**** *creator_moliere *book_moliere_amantsmagnifiques *style_prose *genre_show *dist1_moliere_prose_show_amantsmagnifiques *dist2_moliere_prose_show *id_aristione *date_1670 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_aristione Prince, je ne puis me lasser de le dire, il n'est point de spectacle au monde qui puisse le disputer en magnificence à celui que vous venez de nous donner. Cette Fête a eu des ornements qui l'emportent sans doute sur tout ce que l'on saurait voir, et elle vient de produire à nos yeux quelque chose de si noble, de si grand, et de si majestueux, que le Ciel même ne saurait aller au delà, et je puis dire assurément qu'il n'y a rien dans l'Univers qui s'y puisse égaler. Je crois que nous n'y verrons rien que de fort agréable, et certes il faut avouer que la campagne a lieu de nous paraître belle, et que nous n'avons pas le temps de nous ennuyer dans cet agréable séjour qu'ont célébré tous les Poètes sous le nom de Tempé. Car enfin, sans parler des plaisirs de la Chasse que nous y prenons à toute heure, et de la solennité des jeux Pythiens que l'on y célèbre tantôt, vous prenez soin l'un et l'autre de nous y combler de tous les divertissements qui peuvent charmer les chagrins des plus mélancoliques. D'où vient, Sostrate, qu'on ne vous a point vu dans notre promenade ? Et Clitidas a-t-il vu cela ? Et pourquoi du Rivage ? Que vous êtes fou de vous chagriner de ce qu'il dit. Eh ! qu'est-ce donc que cela veut dire ? Où est ma Fille ? Princes, puisque l'amour que vous avez pour Ériphile, a bien voulu se soumettre aux lois que j'ai voulu vous imposer, puisque j'ai su obtenir de vous que vous fussiez Rivaux sans devenir ennemis, et qu'avec pleine soumission aux sentiments de ma Fille, vous attendez un choix dont je l'ai faite seule maîtresse ; ouvrez-moi tous deux le fond de votre âme, et me dites sincèrement quel progrès vous croyez l'un et l'autre avoir fait sur son cœur. Et vous Prince ? Prince, le compliment est d'un Amant adroit, et vous avez entendu dire qu'il fallait cajoler les mères pour obtenir les filles ; mais ici par malheur tout cela devient inutile, et je me suis engagée à laisser le choix tout entier à l'inclination de ma fille. Voilà qui est fort bien. De grâce, Prince, ôtons ces charmes et ces attraits, vous savez que ce sont des mots que je retranche des compliments qu'on me veut faire. Je souffre qu'on me loue de ma sincérité, qu'on dise que je suis une bonne Princesse, que j'ai de la parole pour tout le monde, de la chaleur pour mes amis, et de l'estime pour le mérite et la vertu, je puis tâter de tout cela ; mais pour les douceurs de charmes et d'attraits je suis bien aise qu'on ne m'en serve point, et quelque vérité qui s'y pût rencontrer, on doit faire quelque scrupule d'en goûter la louange, quand on est mère d'une fille comme la mienne. Mon Dieu, Prince, je ne donne point dans tous ces galimatias où donnent la plupart des Femmes ; je veux être mère, parce que je la suis, et ce serait en vain que je ne la voudrais pas être. Ce titre n'a rien qui me choque, puisque de mon consentement je me suis exposée à le recevoir, c'est un faible de notre sexe, dont grâce au Ciel je suis exempte, et je ne m'embarrasse point de ces grandes disputes d'âge, sur quoi nous voyons tant de folles. Revenons à notre discours. Est-il possible que jusqu'ici vous n'ayez pu connaître où penche l'inclination d'Ériphile ? La pudeur peut-être l'empêche de s'expliquer à vous et à moi, servons-nous de quelque autre pour découvrir le secret de son cœur. Sostrate, prenez de ma part cette commission, et rendez cet office à ces Princes, de savoir adroitement de ma Fille vers qui des deux ses sentiments peuvent tourner. Votre mérite, Sostrate, n'est point borné aux seuls emplois de la guerre, vous avez de l'esprit, de la conduite, de l'adresse, et ma Fille fait cas de vous. Non, non ; en vain vous vous en défendez. C'est trop de modestie, et vous vous acquitterez toujours bien de toutes les choses dont on vous chargera. Découvrez doucement les sentiments d'Ériphile, et faites-la ressouvenir qu'il faut se rendre de bonne heure dans le Bois de Diane. On vous a demandée, ma Fille, et il y a des gens que votre absence chagrine fort. On enchaîne pour nous ici tant de divertissements les uns aux autres, que toutes nos heures sont retenues, et nous n'avons aucun moment à perdre, si nous voulons les goûter tous. Entrons vite dans le Bois, et voyons ce qui nous y attend ; ce lieu est le plus beau du monde, prenons vite nos places. Les mêmes paroles toujours se présentent à dire. Il faut toujours s'écrier voilà qui est admirable, il ne se peut rien de plus beau, cela passe tout ce qu'on a jamais vu. Des bagatelles comme celles-là, peuvent occuper agréablement les plus sérieuses personnes. En vérité, ma Fille, vous êtes bien obligée à ces Princes, et vous ne sauriez assez reconnaître tous les soins qu'ils prennent pour vous. Cependant vous les faites longtemps languir, sur ce qu'ils attendent de vous ; j'ai promis de ne vous point contraindre, mais leur amour vous presse de vous déclarer, et de ne plus traîner en longueur la récompense de leurs services. J'ai chargé Sostrate d'apprendre doucement de vous les sentiments de votre cœur, et je ne sais pas s'il a commencé à s'acquitter de cette commission. Ce scrupule, ma Fille, ne doit point vous inquiéter, et ces Princes tous deux se sont soumis il y a longtemps à la préférence que pourra faire votre inclination. Vous savez que je suis engagée de parole à ne rien prononcer là-dessus, et parmi ces deux Princes, votre inclination ne peut point se tromper et faire un choix qui soit mauvais. Quoi, ma Fille ? J'estime tant Sostrate, que soit que vous vouliez vous servir de lui pour expliquer vos sentiments, ou soit que vous vous en remettiez absolument à sa conduite ; je fais, dis-je, tant d'estime de sa vertu et de son jugement, que je consens de tout mon cœur à la proposition que vous me faites. D'où vient cela, Sostrate ? Laissons cela, nous trouverons moyen de terminer l'irrésolution de ma Fille. Ma Fille, vous avez une petite incrédulité qui ne vous quitte point. Sostrate n'en dit mot, quel est son sentiment là-dessus ? Non, Sostrate, je ne vous dirai rien sur quantité de choses, auxquelles je ne donne guère plus de créance que vous. Mais pour l'Astrologie on m'a dit, et fait voir des choses si positives que je ne la puis mettre en doute. Quittons ce discours, et qu'on nous laisse un moment. Dressons notre promenade, ma Fille, vers cette belle grotte, où j'ai promis d'aller. Des galanteries à chaque pas. De qui que cela soit, on ne peut rien de plus galant et de mieux entendu. Ma Fille, j'ai voulu me séparer de tout le monde pour vous entretenir, et je veux que vous ne me cachiez rien de la vérité. N'auriez-vous point dans l'âme quelque inclination secrète que vous ne voulez pas nous dire ? Parlez à cœur ouvert, ma Fille, ce que j'ai fait pour vous mérite bien que vous usiez avec moi de franchise. Tourner vers vous toutes mes pensées, vous préférer à toutes choses, et fermer l'oreille en l'état où je suis, à toutes les propositions que cent Princesses en ma place écouteraient avec bienséance, tout cela vous doit assez persuader que je suis une bonne Mère, et que je ne suis pas pour recevoir avec sévérité les ouvertures que vous pourriez me faire de votre cœur. Non, non, ma Fille, vous pouvez sans scrupule m'ouvrir vos sentiments. Je n'ai point renfermé votre inclination dans le choix de deux Princes, vous pouvez l'étendre où vous voudrez, et le mérite auprès de moi tient un rang si considérable que je l'égale à tout, et si vous m'avouez franchement les choses, vous me verrez souscrire sans répugnance au choix qu'aura fait votre cœur. Jusqu'ici je vous ai laissée assez maîtresse de tout, et l'impatience des Princes vos Amants… Mais quel bruit est-ce que j'entends ? Ah ! ma Fille, quel spectacle s'offre à nos yeux, quelque Divinité descend ici, et c'est la Déesse Vénus qui semble nous vouloir parler. Ma Fille, les Dieux imposent silence à tous nos raisonnements. Après cela, nous n'avons plus rien à faire, qu'à recevoir ce qu'ils s'apprêtent à nous donner, et vous venez d'entendre distinctement leur volonté. Allons dans le premier Temple les assurer de notre obéissance, et leur rendre grâce de leurs bontés. Je vois, ma Fille, que vous savez déjà tout ce que nous pourrions vous dire. Vous voyez que les Dieux se sont expliqués bien plus tôt que nous n'eussions pensé ; mon péril n'a guère tardé à nous marquer leurs volontés, et l'on connaît assez que ce sont eux qui se sont mêlés de ce choix, puisque le mérite tout seul brille dans cette préférence. Aurez-vous quelque répugnance à récompenser de votre cœur, celui à qui je dois la vie, et refuserez-vous Sostrate pour époux ? Princes, vous agissez tous deux avec une violence bien grande, et si Anaxarque a pu vous offenser, j'étais pour vous en faire justice moi-même. Ne vous êtes-vous pas soumis l'un et l'autre, à ce que pourraient décider, ou les ordres du Ciel, ou l'inclination de ma Fille ? Et si chacun de vous a bien pu se résoudre à souffrir une préférence, que vous arrive-t-il à tous deux, où vous ne soyez préparés, et que peut importer, à l'un et à l'autre, les intérêts de son Rival ? Prince, je ne veux pas me brouiller avec une personne qui m'a fait tant de grâce, que de me dire des douceurs ; et je vous prie avec toute l'honnêteté qu'il m'est possible, de donner à votre chagrin un fondement plus raisonnable ; de vous souvenir, s'il vous plaît, que Sostrate est revêtu d'un mérite, qui s'est fait connaître à toute la Grèce, et que le rang où le Ciel l'élève aujourd'hui, va remplir toute la distance qui était entre lui et vous. Je pardonne toutes ces menaces, aux chagrins d'un amour qui se croit offensé, et nous n'en verrons pas avec moins de tranquillité la Fête des jeux Pythiens. Allons-y de ce pas, et couronnons par ce pompeux spectacle cette merveilleuse journée. **** *creator_moliere *book_moliere_amantsmagnifiques *style_prose *genre_show *dist1_moliere_prose_show_amantsmagnifiques *dist2_moliere_prose_show *id_eriphile *date_1670 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_eriphile Ah ! qu'aux personnes comme nous qui sommes toujours accablées de tant de gens, un peu de solitude est parfois agréable, et qu'après mille impertinents entretiens, il est doux de s'entretenir avec ses pensées. Qu'on me laisse ici promener toute seule. Vous avez bien la mine, Cléonice, de me venir ici régaler d'un mauvais divertissement ; car grâce au Ciel vous ne manquez pas de vouloir produire indifféremment tout ce qui se présente à vous, et vous avez une affabilité qui ne rejette rien. Aussi est-ce à vous seule qu'on voit avoir recours, toutes les Muses nécessitantes ; vous êtes la grande protectrice du mérite incommodé, et tout ce qu'il y a de vertueux indigents au monde va débarquer chez vous. Non, non, voyons-les, faites-les venir. Méchante, ou non, il la faut voir ; ce ne serait avec vous que reculer la chose, et il vaut mieux en être quitte. Point de préambule, Cléonice, qu'ils dansent. Voilà qui est admirable ! Je ne crois pas qu'on puisse mieux danser qu'ils dansent, et je suis bien aise de les avoir à moi. Ne triomphez point tant, vous ne tarderez guère à me faire avoir ma revanche, qu'on me laisse ici. Clitidas. Approche. D'où viens-tu ? Ne trouves-tu pas ces lieux les plus charmants du monde ? Le fleuve Pénée fait ici d'agréables détours. D'où vient qu'il n'est pas venu à la promenade ? Tu as eu tort de lui dire cela, et tu devais l'écouter. Tu as bien fait. C'est un homme d'un grand mérite assurément, mais de quoi t'a-t-il parlé ? Comment amoureux ? quelle témérité est la sienne ? c'est un extravagant que je ne verrai de ma vie. Avoir l'audace de m'aimer, et de plus avoir l'audace de le dire ? Ce n'est pas moi ? Et de qui donc, Clitidas ? A-t-elle tant d'appas, qu'il n'ait trouvé qu'elle digne de son amour ? Moi ? Vous êtes un insolent de venir ainsi surprendre mes sentiments. Allons, sortez d'ici, vous vous mêlez de vouloir lire dans les âmes ; de vouloir pénétrer dans les secrets du cœur d'une Princesse. Ôtez-vous de mes yeux, et que je ne vous voie jamais, Clitidas. Venez ici. Je vous pardonne cette affaire-là. Mais à condition, prenez bien garde à ce que je vous dis, que vous n'en ouvrirez la bouche à personne du monde sur peine de la vie. Sostrate t'a donc dit qu'il m'aimait ? Tant mieux, c'est par son seul respect qu'il peut me plaire, et s'il était si hardi que de me déclarer son amour, il perdrait pour jamais, et ma présence, et mon estime. Le voici ; souvenez-vous au moins si vous êtes sage de la défense que je vous ai faite. Quelle commission, Sostrate ? La Princesse ma Mère montre un esprit judicieux dans le choix qu'elle a fait de vous pour un pareil emploi. Cette commission, Sostrate, vous a été agréable sans doute, et vous l'avez acceptée avec beaucoup de joie. Quelle cause, Sostrate, vous obligeait à le refuser ? Croyez-vous que je ne vous estime pas assez pour vous ouvrir mon cœur, et vous donner toutes les lumières que vous pourrez désirer de moi sur le sujet de ces deux Princes ? Jusques ici je me suis défendue de m'expliquer, et la Princesse ma Mère a eu la bonté de souffrir que j'aie reculé toujours ce choix qui me doit engager ; mais je serai bien aise de témoigner à tout le monde que je veux faire quelque chose pour l'amour de vous, et si vous m'en pressez je rendrai cet arrêt qu'on attend depuis si longtemps. Mais c'est ce que la Princesse ma Mère attend de vous. Ô çà, Sostrate, les gens comme vous ont toujours les yeux pénétrants, et je pense qu'il ne doit y avoir guère de choses qui échappent aux vôtres. N'ont-ils pu découvrir, vos yeux, ce dont tout le monde est en peine, et ne vous ont-ils point donné quelques petites lumières du penchant de mon cœur ? Vous voyez les soins qu'on me rend, l'empressement qu'on me témoigne ; quel est celui de ces deux Princes que vous croyez que je regarde d'un œil plus doux ? Pour qui, Sostrate, pencheriez-vous des deux ? Quel est celui, dites-moi, que vous souhaiteriez que j'épousasse ? Mais si je me conseillais à vous pour ce choix ? Vous ne pourriez pas dire qui des deux vous semble plus digne de cette préférence ? Cela est obligeant, et vous êtes de mes amis. Mais je veux que vous me disiez pour qui des deux vous vous sentez plus d'inclination, quel est celui que vous mettez le plus au rang de vos amis. Je pense, Madame, qu'on m'a demandée par compliment, et on ne s'inquiète pas tant qu'on vous dit. J'en ai, Madame, tout le ressentiment qu'il est possible. Oui, Madame, mais il me semble que je ne puis assez reculer ce choix dont on me presse, et que je ne saurais le faire sans mériter quelque blâme. Je me sens également obligée à l'amour, aux empressements, aux services de ces deux Princes, et je trouve une espèce d'injustice bien grande à me montrer ingrate, ou vers l'un, ou vers l'autre, par le refus qu'il m'en faudra faire dans la préférence de son Rival. L'inclination, Madame, est fort sujette à se tromper, et des yeux désintéressés sont beaucoup plus capables de faire un juste choix. Pour ne point violenter votre parole, ni mon scrupule, agréez, Madame, un moyen que j'ose proposer ? Que Sostrate décide de cette préférence. Vous l'avez pris pour découvrir le secret de mon cœur, souffrez que je le prenne pour me tirer de l'embarras où je me trouve. Mais, Seigneur Anaxarque, voyez-vous si clair dans les destinées, que vous ne vous trompiez jamais, et ces prospérités, et cette gloire que vous dites que le Ciel nous promet, qui en sera caution, je vous prie ? Le Ciel, Anaxarque, me marquera les deux fortunes qui m'attendent ? Mais comme il est impossible que je les épouse tous deux, il faut donc qu'on trouve écrit dans le Ciel, non seulement ce qui doit arriver, mais aussi ce qui ne doit pas arriver. Moi, Madame ? Si j'avais si mal suivi votre exemple, que de m'être laissée aller à quelques sentiments d'inclination que j'eusse raison de cacher, j'aurais, Madame, assez de pouvoir sur moi-même pour imposer silence à cette passion, et me mettre en état de ne rien faire voir qui fût indigne de votre sang. Vous avez des bontés pour moi, Madame, dont je ne puis assez me louer, mais je ne les mettrai point à l'épreuve sur le sujet dont vous me parlez, et tout ce que je leur demande, c'est de ne point presser un Mariage où je ne me sens pas encore bien résolue. Hélas ! quelle est ma destinée, et qu'ai-je fait aux Dieux pour mériter les soins qu'ils veulent prendre de moi ? Qu'il approche, Cléonice, et qu'on nous laisse seuls un moment. Sostrate, vous m'aimez ? Laissons cela, Sostrate, je le sais, je l'approuve, et vous permets de me le dire. Votre passion a paru à mes yeux, accompagnée de tout le mérite qui me la pouvait rendre agréable. Si ce n'était le rang où le Ciel m'a fait naître, je puis vous dire que cette passion n'aurait pas été malheureuse, et que cent fois je lui ai souhaité l'appui d'une fortune, qui pût mettre pour elle en pleine liberté les secrets sentiments de mon âme. Ce n'est pas, Sostrate, que le mérite seul n'ait à mes yeux tout le prix qu'il doit avoir, et que dans mon cœur je ne préfère les vertus qui sont en vous, à tous les titres magnifiques, dont les autres sont revêtus. Ce n'est pas même que la Princesse ma Mère ne m'ait assez laissé la disposition de mes vœux, et je ne doute point, je vous l'avoue, que mes prières n'eussent pu tourner son consentement du côté que j'aurais voulu ; mais il est des États, Sostrate, où il n'est pas honnête de vouloir tout ce qu'on peut faire. Il y a des chagrins à se mettre au-dessus de toutes choses, et les bruits fâcheux de la renommée vous font trop acheter le plaisir que l'on trouve à contenter son inclination ; c'est à quoi, Sostrate, je ne me serais jamais résolue, et j'ai cru faire assez de fuir l'engagement dont j'étais sollicitée. Mais enfin, les Dieux veulent prendre le soin eux-mêmes de me donner un époux ; et tous ces longs délais avec lesquels j'ai reculé mon Mariage, et que les bontés de la Princesse ma Mère ont accordés à mes désirs, ces délais, dis-je, ne me sont plus permis, et il me faut résoudre à subir cet arrêt du Ciel. Soyez sûr, Sostrate, que c'est avec toutes les répugnances du monde que je m'abandonne à cet Hyménée ; et que si j'avais pu être maîtresse de moi, ou j'aurais été à vous, ou je n'aurais été à personne. Voilà, Sostrate, ce que j'avais à vous dire, voilà ce que j'ai cru devoir à votre mérite, et la consolation que toute ma tendresse peut donner à votre flamme. Allez, Sostrate, sortez d'ici, ce n'est pas aimer mon repos, que de me demander que je me souvienne de vous. Ôtez-vous, vous dis-je, Sostrate, épargnez ma faiblesse, et ne m'exposez point à plus que je n'ai résolu. Oui, Cléonice, qu'ils fassent tout ce qu'ils voudront, pourvu qu'ils me laissent à mes pensées. Eh, laisse-moi, Clitidas, dans ma sombre mélancolie. Clitidas, holà, Clitidas. Arrête, te dis-je, approche. Que viens-tu me dire ? Que tu es cruel ! Ne me tiens point dans l'inquiétude, qu'est-ce que tu viens m'annoncer ? Ne me fais point languir davantage, te dis-je, et m'apprends cette nouvelle. Oui, dépêche. Qu'as-tu à me dire de Sostrate ? Dis-moi vite ce que c'est. Ah ! parle promptement. Hé bien, Clitidas. Achève promptement. Ah ! Clitidas, pouvais-tu m'en donner une qui me pût être plus agréable ? Et de la main des Dieux, et de la vôtre, Madame, je ne puis rien recevoir qui ne me soit fort agréable. **** *creator_moliere *book_moliere_amantsmagnifiques *style_prose *genre_show *dist1_moliere_prose_show_amantsmagnifiques *dist2_moliere_prose_show *id_cleonice *date_1670 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_cleonice On trouvera étrange, Madame, que vous vous soyez ainsi écartée de tout le monde. Ne voudriez-vous pas, Madame, voir un petit essai de la disposition de ces gens admirables qui veulent se donner à vous ? Ce sont des personnes, qui par leurs pas, leurs gestes, et leurs mouvements expriment aux yeux toutes choses ; et on appelle cela Pantomimes. J'ai tremblé à vous dire ce mot, et il y a des gens dans votre Cour qui ne me le pardonneraient pas. Si vous n'avez pas envie de les voir, Madame, il ne faut que les laisser là. Mais peut-être, Madame, que leur danse sera méchante. Ce ne sera ici, Madame, qu'une danse ordinaire, une autre fois... Et moi, Madame, je suis bien aise que vous ayez vu que je n'ai pas si méchant goût que vous avez pensé. Je vous avertis, Clitidas, que la Princesse veut être seule. Le voici, Madame, que j'ai trouvé, et à vos premiers ordres il n'a pas manqué de me suivre. Madame, je vous vois l'esprit tout chagrin, vous plaît-il que vos danseurs, qui expriment si bien toutes les passions, vous donnent maintenant quelque épreuve de leur adresse ? Madame, je viens vous dire qu'Anaxarque a jusqu'ici abusé, l'un et l'autre Prince, par l'espérance de ce choix qu'ils poursuivent depuis longtemps, et qu'au bruit qui s'est répandu de votre aventure, ils ont fait éclater tous deux leur ressentiment contre lui, jusque-là, que de paroles en paroles, les choses se sont échauffées, et il en a reçu quelques blessures dont on ne sait pas bien ce qui arrivera. Mais les voici. **** *creator_moliere *book_moliere_amantsmagnifiques *style_prose *genre_show *dist1_moliere_prose_show_amantsmagnifiques *dist2_moliere_prose_show *id_chorebe *date_1670 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_chorebe Madame, voilà la Princesse qui vient vous prendre ici, pour aller au Bois de Diane. **** *creator_moliere *book_moliere_amantsmagnifiques *style_prose *genre_show *dist1_moliere_prose_show_amantsmagnifiques *dist2_moliere_prose_show *id_iphicrate *date_1670 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_iphicrate Sostrate est de ces gens, Madame, qui croient qu'il ne sied pas bien d'être curieux comme les autres, et il est beau d'affecter de ne pas courir où tout le monde court. Pour moi, Madame, connaissant son indifférence et le peu de cas qu'elle fait des devoirs qu'on lui rend, je n'ai voulu perdre auprès d'elle, ni plaintes, ni soupirs, ni larmes. Je sais qu'elle est toute soumise à vos volontés, et que ce n'est que de votre main seule qu'elle voudra prendre un époux. Aussi n'est-ce qu'à vous que je m'adresse pour l'obtenir, à vous plutôt qu'à elle que je rends tous mes soins et tous mes hommages. Et plût au Ciel, Madame, que vous eussiez pu vous résoudre à tenir sa place ; que vous eussiez voulu jouir des conquêtes que vous lui faites, et recevoir pour vous les vœux que vous lui renvoyez. Quelque pouvoir que vous lui donniez pour ce choix, ce n'est point compliment, Madame, que ce que je vous dis. Je ne recherche la Princesse Ériphile, que parce qu'elle est votre sang ; je la trouve charmante par tout ce qu'elle tient de vous, et c'est vous que j'adore en elle. Oui, Madame, toute la terre voit en vous des attraits et des charmes que je... Ah ! Madame, c'est vous qui voulez être mère malgré tout le monde ; il n'est point d'yeux qui ne s'y opposent, et si vous le vouliez, la Princesse Ériphile ne serait que votre sœur. Ce sont obscurités pour moi. Vous pouvez croire que je prends part à l'estime que la Princesse vous témoigne. Vous voilà en état de servir vos amis. Je ne vous recommande point mes intérêts. Je vous laisse agir comme il vous plaira. Clitidas se ressouvient bien qu'il est de mes amis, je lui recommande toujours de prendre mes intérêts auprès de sa Maîtresse, contre ceux de mon Rival. Je reconnaîtrai ce service. Cela s'appelle, Madame, un fort honnête compliment pour nous refuser tous deux. C'est-à-dire, Madame, qu'il nous faut faire notre Cour à Sostrate ? Craignez-vous, Sostrate, de vous faire un ennemi ? Quelle pourrait être cette raison ? Vous auriez bien la mine, Sostrate, d'être vous-même cet ami dont vous prenez les intérêts. Pour moi, je m'y soumets entièrement, et je déclare que cette voie me semble la plus raisonnable. La vérité de l'Astrologie est une chose incontestable, et il n'y a personne qui puisse disputer contre la certitude de ses prédictions. Cent aventures prédites arrivent tous les jours, qui convainquent les plus opiniâtres. Si vous ne comprenez pas les choses, au moins les pouvez-vous croire, sur ce que l'on voit tous les jours. Pour moi j'ai vu, et des choses tout à fait convaincantes. Mais enfin, la Princesse croit à l'Astrologie, et il me semble qu'on y peut bien croire après elle. Est-ce que Madame, Sostrate, n'a pas de l'esprit et du sens ? Et quelle justice, Madame, auriez-vous pu nous faire de lui, si vous la faites si peu à notre rang, dans le choix que vous embrassez ? Oui, Madame, il importe, c'est quelque consolation de se voir préférer un homme qui vous est égal, et votre aveuglement est une chose épouvantable. Oui, oui, Madame, nous nous en souviendrons, mais peut-être aussi vous souviendrez-vous, que deux Princes outragés ne sont pas deux ennemis peu redoutables. **** *creator_moliere *book_moliere_amantsmagnifiques *style_prose *genre_show *dist1_moliere_prose_show_amantsmagnifiques *dist2_moliere_prose_show *id_timocles *date_1670 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_timocles Ce sont des ornements dont on ne peut pas espérer que toutes les Fêtes soient embellies, et je dois fort trembler, Madame, pour la simplicité du petit divertissement que je m'apprête à vous donner dans le Bois de Diane. Madame, elle s'est écartée, et je lui ai présenté une main qu'elle a refusé d'accepter. Madame, je ne suis point pour me flatter, j'ai fait ce que j'ai pu pour toucher le cœur de la princesse Ériphile, et je m'y suis pris que je crois de toutes les tendres manières, dont un Amant se peut servir. Je lui ai fait des hommages soumis de tous mes vœux ; j'ai montré des assiduités ; j'ai rendu des soins chaque jour ; j'ai fait chanter ma passion aux voix les plus touchantes, et l'ai fait exprimer en Vers aux plumes les plus délicates ; je me suis plaint de mon martyre en des termes passionnés ; j'ai fait dire à mes yeux aussi bien qu'à ma bouche le désespoir de mon amour ; j'ai poussé à ses pieds des soupirs languissants ; j'ai même répandu des larmes, mais tout cela inutilement, et je n'ai point connu qu'elle ait dans l'âme aucun ressentiment de mon ardeur. C'est pour moi un mystère impénétrable. Vous pouvez croire que je suis ravi du choix que l'on a fait de vous. Vous avez de quoi rendre de bons offices aux gens qu'il vous plaira. Je ne vous dis point de parler pour moi. Vous en userez comme vous voudrez. Mon Rival fait sa Cour à Clitidas, mais Clitidas sait bien qu'il m'a promis d'appuyer contre lui les prétentions de mon amour. Il n'y a rien que je ne fasse pour Clitidas. C'est donner de trop grandes paroles, Madame, à de petites bagatelles. Par quelle raison donc, refusez-vous d'accepter le pouvoir qu'on vous donne, et de vous acquérir l'amitié d'un Prince qui vous devrait tout son bonheur ? Je suis de même avis, et le Ciel ne saurait rien faire où je ne souscrive sans répugnance. Je suis assez incrédule pour quantité de choses, mais, pour ce qui est de l'Astrologie, il n'y a rien de plus sûr et de plus constant, que le succès des Horoscopes qu'elle tire. Peut-on contester sur cette matière les incidents célèbres, dont les Histoires nous font foi ? Et moi aussi. Oui, Madame, nous nous sommes soumis à ce qu'ils pourraient décider, entre le Prince Iphicrate et moi, mais non pas à nous voir rebutés tous deux. Peut-être, Madame, qu'on ne goûtera pas longtemps la joie du mépris que l'on fait de nous. **** *creator_moliere *book_moliere_amantsmagnifiques *style_prose *genre_show *dist1_moliere_prose_show_amantsmagnifiques *dist2_moliere_prose_show *id_sostrate *date_1670 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_sostrate Non, Sostrate, je ne vois rien où tu puisses avoir recours, et tes maux sont d'une nature à ne te laisser nulle espérance d'en sortir. Hélas ! Sur quelles chimères, dis-moi, pourrais-tu bâtir quelque espoir, et que peux-tu envisager, que l'affreuse longueur d'une vie malheureuse, et des ennuis à ne finir que par la mort ? Ah ! mon cœur, ah ! mon cœur, où m'avez-vous jeté ? Où vas-tu, Clitidas ? Je me figure assez sans la voir cette magnificence, et tant de gens d'ordinaire s'empressent à porter de la confusion dans ces sortes de Fêtes, que j'ai cru à propos de ne pas augmenter le nombre des importuns. J'avoue que je n'ai pas naturellement grande curiosité pour ces sortes de choses. Que voudrais-tu que j'y pusse avoir ? Que tu es fou, Clitidas. Sur quoi prends-tu cette pensée ? Moi ? Ah ! Clitidas, j'avoue que je ne puis cacher mon trouble, et tu me frappes d'un coup de foudre. Hélas ! si par quelque aventure tu as pu découvrir le secret de mon cœur, je te conjure au moins de ne le révéler à qui que ce soit, et surtout de le tenir caché à la belle Princesse, dont tu viens de dire le nom. Laissons-la, Clitidas, laissons-la voir si elle peut dans mes soupirs et mes regards l'amour que ses charmes m'inspirent, mais gardons bien que par nulle autre voie elle en apprenne jamais rien. Ah ! Clitidas, je tremble avec raison, et tous les Gaulois du monde ensemble sont bien moins redoutables, que deux beaux yeux pleins de charmes. Mourir sans déclarer ma passion. Trop de choses, hélas ! condamnent mes feux à un éternel silence. La bassesse de ma fortune, dont il plaît au Ciel de rabattre l'ambition de mon amour, le rang de la Princesse qui met entre elle et mes désirs une distance si fâcheuse, la concurrence de deux Princes appuyés de tous les grands titres qui peuvent soutenir les prétentions de leurs flammes ; de deux Princes, qui par mille et mille magnificences se disputent à tous moments la gloire de sa conquête, et sur l'amour de qui on attend tous les jours de voir son choix se déclarer, mais plus que tout, Clitidas, le respect inviolable où ses beaux yeux assujettissent toute la violence de mon ardeur. Ah ! ne t'avise point de vouloir flatter par pitié le cœur d'un misérable. Ah ! de grâce, quelque bonté que mon malheur t'inspire, garde-toi bien de lui rien dire de ma flamme. J'aimerais mieux mourir que de pouvoir être accusé par elle de la moindre témérité, et ce profond respect où ses charmes divins... Une petite indisposition, Madame, m'a empêché de m'y trouver. Seigneur, l'affectation n'a guère de part à tout ce que je fais, et sans vous faire compliment, il y avait des choses à voir dans cette Fête, qui pouvaient m'attirer, si quelque autre motif ne m'avait retenu. Madame, vous avez cent personnes dans votre Cour, sur qui vous pourriez mieux verser l'honneur d'un tel emploi, et je me sens mal propre à bien exécuter ce que vous souhaitez de moi. Quelque autre mieux que moi, Madame, ... Puisque vous le voulez, Madame, il vous faut obéir, mais je vous jure que dans toute votre Cour vous ne pouviez choisir personne qui ne fût en état de s'acquitter beaucoup mieux que moi d'une telle commission. Seigneurs, il serait inutile, j'aurais tort de passer les ordres de ma commission, et vous trouverez bon que je ne parle, ni pour l'un, ni pour l'autre. J'ai une excuse, Madame, pour oser interrompre votre solitude, et j'ai reçu de la Princesse votre Mère une commission qui autorise la hardiesse que je prends maintenant. Celle, Madame, de tâcher d'apprendre de vous vers lequel des deux Princes peut incliner votre cœur. Je l'ai acceptée, Madame, par la nécessité que mon devoir m'impose d'obéir, et si la Princesse avait voulu recevoir mes excuses, elle aurait honoré quelque autre de cet emploi. La crainte, Madame, de m'en acquitter mal. Je ne désire rien pour moi là-dessus, Madame, et je ne vous demande que ce que vous croirez devoir donner aux ordres qui m'amènent. C'est une chose, Madame, dont vous ne serez point importunée par moi, et je ne saurais me résoudre à presser une Princesse qui sait trop ce qu'elle a à faire. Ne lui ai-je pas dit aussi que je m'acquitterais mal de cette commission ? Les doutes que l'on forme sur ces sortes de choses, ne sont réglés d'ordinaire que par les intérêts qu'on prend. Ah ! Madame, ce ne seront pas mes souhaits, mais votre inclination qui décidera de la chose. Si vous vous conseilliez à moi, je serais fort embarrassé. Si l'on s'en rapporte à mes yeux, il n'y aura personne qui soit digne de cet honneur. Tous les Princes du monde seront trop peu de chose pour aspirer à vous ; les Dieux seuls y pourront prétendre, et vous ne souffrirez des hommes que l'encens, et les Sacrifices. Hélas ! petit garçon, que tu es venu à propos. Non, Seigneur, vous n'aurez point de Cour à me faire, et avec tout le respect que je dois aux Princesses, je renonce à la gloire où elles veulent m'élever. J'ai des raisons, Madame, qui ne permettent pas que je reçoive l'honneur que vous me présentez. Je craindrais peu, Seigneur, les ennemis que je pourrais me faire en obéissant à mes Souveraines. Par la raison que je ne suis pas en état d'accorder à ce Prince ce qu'il souhaiterait de moi. Pourquoi me tant presser là-dessus. Peut-être ai-je, Seigneur, quelque intérêt secret qui s'oppose aux prétentions de votre amour. Peut-être ai-je un ami qui brûle sans oser le dire, d'une flamme respectueuse pour les charmes divins dont vous êtes épris. Peut-être cet ami me fait-il tous les jours confidence de son martyre ; qu'il se plaint à moi tous les jours des rigueurs de sa destinée, et regarde l'Hymen de la Princesse, ainsi que l'arrêt redoutable qui le doit pousser au tombeau ; et si cela était, Seigneur, serait-il raisonnable que ce fût de ma main qu'il reçût le coup de sa mort ? Ne cherchez point, de grâce, à me rendre odieux aux personnes qui vous écoutent ; je sais me connaître, Seigneur, et les malheureux comme moi n'ignorent pas jusques où leur fortune leur permet d'aspirer. Madame, tous les esprits ne sont pas nés avec les qualités qu'il faut pour la délicatesse de ces belles Sciences, qu'on nomme curieuses, et il y en a de si matériels, qu'ils ne peuvent aucunement comprendre ce que d'autres conçoivent le plus facilement du monde. Il n'est rien de plus agréable, Madame, que toutes les grandes promesses de ces connaissances sublimes. Transformer tout en or, faire vivre éternellement, guérir par des paroles, se faire aimer de qui l'on veut, savoir tous les secrets de l'avenir, faire descendre comme on veut du Ciel sur des métaux des impressions de bonheur, commander aux démons, se faire des Armées invisibles et des Soldats invulnérables. Tout cela est charmant, sans doute, et il y a des gens qui n'ont aucune peine à en comprendre la possibilité, cela leur est le plus aisé du monde à concevoir ; mais pour moi, je vous avoue que mon esprit grossier a quelque peine à le comprendre, et à le croire, et j'ai toujours trouvé cela trop beau pour être véritable. Toutes ces belles raisons de sympathie, de force magnétique, et de vertu occulte, sont si subtiles et délicates, qu'elles échappent à mon sens matériel, et sans parler du reste, jamais il n'a été en ma puissance de concevoir comme on trouve écrit dans le Ciel jusqu'aux plus petites particularités de la fortune du moindre homme. Quel rapport, quel commerce, quelle correspondance peut-il y avoir entre nous et des Globes, éloignés de notre terre d'une distance si effroyable, et d'où cette belle Science, enfin, peut être venue aux hommes ? Quel Dieu l'a révélée, ou quelle expérience l'a pu former, de l'observation de ce grand nombre d'Astres qu'on n'a pu voir encore deux fois dans la même disposition ? Vous serez plus habile que tous les autres. Comme mon sens est si grossier qu'il n'a pu rien comprendre, mes yeux aussi sont si malheureux qu'ils n'ont jamais rien vu. Comme vous avez vu, vous faites bien de croire, et il faut que vos yeux soient faits autrement que les miens. Seigneur, la question est un peu violente, l'esprit de la Princesse n'est pas une règle pour le mien, et son intelligence peut l'élever à des lumières où mon sens ne peut pas atteindre. Madame, je n'ai rien à répondre à cela. Moi, Madame ? Ah ! Madame, c'en est trop pour un malheureux, je ne m'étais pas préparé à mourir avec tant de gloire, et je cesse dans ce moment de me plaindre des destinées. Si elles m'ont fait naître dans un rang beaucoup moins élevé que mes désirs, elles m'ont fait naître assez heureux pour attirer quelque pitié du cœur d'une grande Princesse ; et cette pitié glorieuse vaut des Sceptres et des Couronnes, vaut la fortune des plus grands Princes de la terre. Oui, Madame, dès que j'ai osé vous aimer, c'est vous, Madame, qui voulez bien que je me serve de ce mot téméraire, dès que j'ai, dis-je, osé vous aimer, j'ai condamné d'abord l'orgueil de mes désirs, je me suis fait moi-même la destinée que je devais attendre. Le coup de mon trépas, Madame, n'aura rien qui me surprenne, puisque je m'y étais préparé ; mais vos bontés le comblent d'un honneur que mon amour jamais n'eût osé espérer, et je m'en vais mourir après cela, le plus content et le plus glorieux de tous les hommes. Si je puis encore souhaiter quelque chose, ce sont deux grâces, Madame, que je prends la hardiesse de vous demander à genoux ; de vouloir souffrir ma présence jusqu'à cet heureux Hyménée, qui doit mettre fin à ma vie ; et parmi cette grande gloire, et ces longues prospérités que le Ciel promet à votre union, de vous souvenir quelquefois de l'amoureux Sostrate. Puis-je, divine Princesse, me promettre de vous cette précieuse faveur ? Ah ! Madame, si votre repos... Ciel ! n'est-ce point ici quelque songe, tout plein de gloire, dont les Dieux me veuillent flatter, et quelque réveil malheureux ne me replongera-t-il point dans la bassesse de ma fortune ? **** *creator_moliere *book_moliere_amantsmagnifiques *style_prose *genre_show *dist1_moliere_prose_show_amantsmagnifiques *dist2_moliere_prose_show *id_clitidas *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_clitidas Il est attaché à ses pensées ? Il raisonne tout seul. Voilà des soupirs qui veulent dire quelque chose, et ma conjecture se trouvera véritable. Cette tête-là est plus embarrassée que la mienne ? Serviteur, Seigneur Sostrate. Mais vous plutôt que faites-vous ici, et quelle secrète mélancolie, quelle humeur sombre, s'il vous plaît, vous peut retenir dans ces Bois, tandis que tout le monde a couru en foule à la magnificence de la Fête, dont l'amour du Prince Iphicrate vient de régaler sur la Mer la promenade des Princesses ; tandis qu'elles y ont reçu des Cadeaux merveilleux de Musique, et de Danse, et qu'on a vu les Rochers et les Ondes se parer de Divinités pour faire honneur à leurs attraits ? Vous savez que votre présence ne gâte jamais rien, et que vous n'êtes point de trop en quelque lieu que vous soyez. Votre visage est bien venu partout, et il n'a garde d'être de ces visages disgraciés, qui ne sont jamais bien reçus des regards Souverains. Vous êtes également bien auprès des deux Princesses ; et la Mère, et la Fille vous font assez connaître l'estime qu'elles font de vous pour n'appréhender pas de fatiguer leurs yeux ; et ce n'est pas cette crainte, enfin, qui vous a retenu. Mon Dieu ! quand on n'aurait nulle curiosité pour les choses, on en a toujours pour aller où l'on trouve tout le monde, et quoi que vous puissiez dire, on ne demeure point tout seul pendant une Fête à rêver parmi des Arbres comme vous faites, à moins d'avoir en tête quelque chose qui embarrasse. Ouais, je ne sais d'où cela vient, mais il sent ici l'amour ; ce n'est pas moi. Ah ! par ma foi c'est vous. Je ne suis point fou, vous êtes amoureux, j'ai le nez délicat, et j'ai senti cela d'abord. Sur quoi ? Vous seriez bien étonné si je vous disais encore de qui vous êtes amoureux. Oui, je gage que je vais deviner tout à l'heure celle que vous aimez. J'ai mes secrets aussi bien que notre Astrologue, dont la Princesse Aristione est entêtée ; et s'il a la science de lire dans les Astres la fortune des hommes, j'ai celle de lire dans les yeux le nom des personnes qu'on aime. Tenez-vous un peu, et ouvrez les yeux. É, par soi, é, r, i, ri, éri, p, h, i, phi, ériphi, l, e, le, Ériphile. Vous êtes amoureux de la Princesse Ériphile. Vous voyez si je suis savant ? Et sérieusement parlant, si dans vos actions j'ai bien pu connaître depuis un temps la passion que vous voulez tenir secrète, pensez-vous que la princesse Ériphile puisse avoir manqué de lumière pour s'en apercevoir ? Les belles, croyez-moi, sont toujours les plus clairvoyantes à découvrir les ardeurs qu'elles causent, et le langage des yeux et des soupirs se fait entendre mieux qu'à tout autre à celles à qui il s'adresse. Et qu'appréhendez-vous ? Est-il possible que ce même Sostrate qui n'a pas craint, ni Brennus, ni tous les Gaulois ; et dont le bras a si glorieusement contribué à nous défaire de ce déluge de Barbares qui ravageait la Grèce ? Est-il possible, dis-je, qu'un homme si assuré dans la guerre soit si timide en amour, et que je le voie trembler à dire seulement qu'il aime ? Je ne suis pas de cet avis, et je sais bien pour moi qu'un seul Gaulois l'épée à la main, me ferait beaucoup plus trembler que cinquante beaux yeux ensemble les plus charmants du monde. Mais dites-moi un peu, qu'espérez-vous faire ? L'espérance est belle. Allez, allez, vous vous moquez, un peu de hardiesse réussit toujours aux Amants ; il n'y a en amour que les honteux qui perdent, et je dirais ma passion à une Déesse moi, si j'en devenais amoureux. Hé quoi ? Le respect bien souvent n'oblige pas tant que l'amour, et je me trompe fort, ou la jeune Princesse a connu votre flamme, et n'y est pas insensible. Ma conjecture est fondée, je lui vois reculer beaucoup le choix de son époux, et je veux éclaircir un peu cette petite affaire-là. Vous savez que je suis auprès d'elle en quelque espèce de faveur, que j'y ai les accès ouverts, et qu'à force de me tourmenter je me suis acquis le privilège de me mêler à la conversation, et parler à tort et à travers de toutes choses. Quelquefois cela ne me réussit pas, mais quelquefois aussi cela me réussit. Laissez-moi faire, je suis de vos amis, les gens de mérite me touchent, et je veux prendre mon temps pour entretenir la Princesse de... Taisons-nous, voici tout le monde. Oui, Madame, mais du Rivage. Ma foi, Madame, j'ai craint quelqu'un des accidents qui arrivent d'ordinaire dans ces confusions. Cette nuit, j'ai songé de Poisson mort, et d'œufs cassés, et j'ai appris du Seigneur Anaxarque, que les œufs cassés et le Poisson mort signifient malencontre. C'est qu'il y a tant de choses à dire de vous, qu'on n'en saurait parler assez. Le moyen ? Ne dites-vous pas que l'ascendant est plus fort que tout ? et s'il est écrit dans les astres que je sois enclin à parler de vous, comment voulez-vous que je résiste à ma destinée ? Je vous rends grâce de l'honneur. Avec tout le respect que je dois à Madame, il y a une chose qui m'étonne dans l'Astrologie, comment des gens qui savent tous les secrets des Dieux, et qui possèdent des connaissances à se mettre au-dessus de tous les hommes, aient besoin de faire leur Cour et de demander quelque chose. Ma foi, on les donne telles qu'on peut. Vous en parlez fort à votre aise, et le métier de plaisant n'est pas comme celui d'Astrologue. Bien mentir, et bien plaisanter sont deux choses fort différentes, et il est bien plus facile de tromper les gens, que de les faire rire. Paix, impertinent que vous êtes. Ne savez-vous pas bien que l'Astrologie est une affaire d'État, et qu'il ne faut point toucher à cette corde-là ? Je vous l'ai dit plusieurs fois, vous vous émancipez trop, et vous prenez de certaines libertés qui vous joueront un mauvais tour ; je vous en avertis. Vous verrez qu'un de ces jours on vous donnera du pied au cul, et qu'on vous chassera comme un faquin, taisez-vous, si vous êtes sage. Laissez-moi faire, il y a bien de la comparaison de lui à vous, et c'est un Prince bien bâti pour vous le disputer. Assurément, et il se moque de croire l'emporter sur vous ; voilà, auprès de vous un beau petit morveux de Prince. Belles paroles de tous côtés. Voici la Princesse ; prenons mon temps pour l'aborder. Laissez-moi faire, je suis homme qui sais ma Cour. La, la, la, la, ah ! Je ne vous avais pas vue là, Madame. De laisser la Princesse votre Mère qui s'en allait vers le temple d'Apollon, accompagnée de beaucoup de gens. Assurément. Les Princes vos Amants y étaient. Fort agréables. Sostrate y était aussi. Il a quelque chose dans la tête qui l'empêche de prendre plaisir à tous ces beaux régales. Il m'a voulu entretenir, mais vous m'avez défendu si expressément de me charger d'aucune affaire auprès de vous, que je n'ai point voulu lui prêter l'oreille, et je lui ai dit nettement que je n'avais pas le loisir de l'entendre. Je lui ai dit d'abord que je n'avais pas le loisir de l'entendre, mais après je lui ai donné audience. En vérité c'est un homme qui me revient, un homme fait comme je veux que les hommes soient faits. Ne prenant point des manières bruyantes et des tons de voix assommants ; sage et posé en toutes choses, ne parlant jamais que bien à propos ; point prompt à décider ; point du tout exagérateur incommode ; et quelques beaux Vers que nos Poètes lui aient récités, je ne lui ai jamais ouï dire Voilà qui est plus beau que tout ce qu'a jamais fait Homère. Enfin, c'est un homme pour qui je me sens de l'inclination, et si j'étais Princesse il ne serait pas malheureux. Il m'a demandé si vous aviez témoigné grande joie au magnifique régale que l'on vous a donné ; m'a parlé de votre personne avec des transports les plus grands du monde, vous a mise au-dessus du Ciel, et vous a donné toutes les louanges qu'on peut donner à la Princesse la plus accomplie de la terre, entremêlant tout cela de plusieurs soupirs qui disaient plus qu'il ne voulait. Enfin, à force de le tourner de tous côtés, et de le presser sur la cause de cette profonde mélancolie, dont toute la Cour s'aperçoit, il a été contraint de m'avouer qu'il était amoureux. De quoi vous plaignez-vous, Madame ? Ce n'est pas vous, Madame, dont il est amoureux. Non, Madame, il vous respecte trop pour cela, et est trop sage pour y penser. D'une de vos Filles, la jeune Arsinoé. Il l'aime éperdument, et vous conjure d'honorer sa flamme de votre protection. Non, non, Madame, je vois que la chose ne vous plaît pas. Votre colère m'a obligé à prendre ce détour, et pour vous dire la vérité, c'est vous qu'il aime éperdument. Madame. Trop de bonté, Madame. Il suffit. Non, Madame, il faut vous dire la vérité ; j'ai tiré de son cœur par surprise un secret qu'il veut cacher à tout le monde, et avec lequel il est, dit-il, résolu de mourir. Il a été au désespoir du vol subtil que je lui en ai fait, et bien loin de me charger de vous le découvrir, il m'a conjuré avec toutes les instantes prières qu'on saurait faire, de ne vous en rien révéler, et c'est trahison contre lui que ce que je viens de vous dire. Ne craignez point, Madame... Cela est fait, Madame, il ne faut pas être Courtisan indiscret. Voilà mon Astrologue embarrassé. Bien répondu. Madame, je ne dis point de mal de l'Astrologie, l'Astrologie est une belle chose, et le Seigneur Anaxarque est un grand homme. Assurément. Ce sont des choses les plus claires du monde. Il est vrai. Il faut n'avoir pas le sens commun. Le moyen de contester ce qui est moulé. Il vous fera une discussion de tout cela quand vous voudrez. De quel côté porter mes pas ? où m'aviserai-je d'aller, et en quel lieu puis-je croire que je trouverai maintenant la Princesse Ériphile ? Ce n'est pas un petit avantage que d'être le premier à porter une nouvelle. Ah ! la voilà. Madame, je vous annonce que le Ciel vient de vous donner l'époux qu'il vous destinait. Madame, je vous demande pardon, je pensais faire bien de vous venir dire que le Ciel vient de vous donner Sostrate pour époux, mais puisque cela vous incommode, je rengaine ma nouvelle, et m'en retourne droit comme je suis venu. Je vous laisse, Madame, dans votre sombre mélancolie. Rien, Madame, on a parfois des empressements de venir dire aux Grands de certaines choses dont ils ne se soucient pas, et je vous prie de m'excuser. Une autre fois j'aurai la discrétion de ne vous pas venir interrompre. C'est une bagatelle de Sostrate, Madame, que je vous dirai une autre fois, quand vous ne serez point embarrassée. Vous la voulez savoir, Madame ? Une aventure merveilleuse, où personne ne s'attendait. Cela ne troublera-t-il point, Madame, votre sombre mélancolie ? J'ai donc à vous dire, Madame, que la princesse votre Mère passait presque seule dans la Forêt, par ces petites routes qui sont si agréables, lorsqu'un Sanglier hideux (ces vilains Sangliers-là font toujours du désordre, et l'on devrait les bannir des Forêts bien policées) ; lors, dis-je, qu'un Sanglier hideux, poussé je crois par des Chasseurs, est venu traverser la route où nous étions. Je devrais vous faire peut-être, pour orner mon récit, une description étendue du Sanglier dont je parle, mais vous vous en passerez s'il vous plaît, et je me contenterai de vous dire que c'était un fort vilain animal. Il passait son chemin, et il était bon de ne lui rien dire, de ne point chercher de noise avec lui, mais la Princesse a voulu égayer sa dextérité, et de son dard qu'elle lui a lancé un peu mal à propos, ne lui en déplaise, lui a fait au-dessus de l'oreille une assez petite blessure. Le Sanglier mal moriginé, s'est impertinemment détourné contre nous ; nous étions là deux, ou trois misérables qui avons pâli de frayeur, chacun gagnait son Arbre, et la Princesse sans défense demeurait exposée à la furie de la bête, lorsque Sostrate a paru, comme si les Dieux l'eussent envoyé. Si mon récit vous ennuie, Madame, je remettrai le reste à une autre fois. Ma foi, c'est promptement de vrai que j'achèverai, car un peu de poltronnerie m'a empêché de voir tout le détail de ce combat ; et tout ce que je puis vous dire, c'est que retournant sur la place, nous avons vu le Sanglier mort, tout vautré dans son sang, et la Princesse pleine de joie, nommant Sostrate son libérateur, et l'époux digne et fortuné que les Dieux lui marquaient pour vous. À ces paroles j'ai cru que j'en avais assez entendu, et je me suis hâté de vous en venir, avant tous, apporter la nouvelle. Voilà qu'on vient vous trouver. **** *creator_moliere *book_moliere_amantsmagnifiques *style_prose *genre_show *dist1_moliere_prose_show_amantsmagnifiques *dist2_moliere_prose_show *id_anaxarque *date_1670 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_anaxarque Je remarque une chose, que Clitidas n'aurait rien à dire s'il ne parlait de moi. Vous pourriez prendre d'autres matières, puisque je vous en ai prié. Avec tout le respect, Madame, que je vous dois, il y a une chose qui est fâcheuse dans votre Cour : que tout le monde y prenne liberté de parler, et que le plus honnête homme y soit exposé aux railleries du premier méchant plaisant. Vous devriez gagner un peu mieux votre argent, et donner à Madame de meilleures plaisanteries. En est-il un meilleur, Madame, pour terminer les choses au contentement de tout le monde, que les lumières que le Ciel peut donner sur ce Mariage ? J'ai commencé comme je vous ai dit, à jeter pour cela les figures mystérieuses que notre art nous enseigne, et j'espère vous faire voir tantôt ce que l'avenir garde à cette union souhaitée. Après cela pourra-t-on balancer encore ? La gloire et les prospérités que le Ciel promettra, ou à l'un, ou à l'autre choix, ne seront-elles pas suffisantes pour le déterminer, et celui qui sera exclus, pourra-t-il s'offenser quand ce sera le Ciel qui décidera cette préférence ? Les épreuves, Madame, que tout le monde a vues de l'infaillibilité de mes prédictions sont les cautions suffisantes des promesses que je puis faire. Mais enfin, quand je vous aurai fait voir ce que le Ciel vous marque, vous vous réglerez là-dessus, à votre fantaisie, et ce sera à vous à prendre la fortune de l'un, ou de l'autre choix. Oui, Madame, les félicités qui vous suivront si vous épousez l'un, et les disgrâces qui vous accompagneront, si vous épousez l'autre. Il faudrait vous faire, Madame, une longue discussion des principes de l'Astrologie pour vous faire comprendre cela. Il ne sera pas difficile de vous le faire concevoir. Attendons que sa Fille soit séparée d'elle, c'est un esprit que je redoute, et qui n'est pas de trempe à se laisser mener, ainsi que celui de sa Mère. Enfin, mon fils, comme nous venons de voir par cette ouverture, le stratagème a réussi, notre Vénus a fait des merveilles ; et l'admirable Ingénieur qui s'est employé à cet artifice, a si bien disposé tout, a coupé avec tant d'adresse le plancher de cette Grotte, si bien caché ses fils de fer et tous ses ressorts, si bien ajusté ses lumières, et habillé ses Personnages, qu'il y a peu de gens qui n'y eussent été trompés. Et comme la Princesse Aristione est fort superstitieuse, il ne faut point douter qu'elle ne donne à pleine tête dans cette tromperie. Il y a longtemps, mon fils, que je prépare cette machine, et me voilà tantôt au but de mes prétentions. Tous deux ont recherché mon assistance, et je leur promets à tous deux la faveur de mon art ; mais les présents du Prince Iphicrate, et les promesses qu'il m'a faites, l'emportent de beaucoup sur tout ce qu'a pu faire l'autre. Ainsi ce sera lui qui recevra les effets favorables de tous les ressorts que je fais jouer ; et comme son ambition me devra toute chose, voilà mon fils notre fortune faite. Je vais prendre mon temps pour affermir dans son erreur l'esprit de la Princesse, pour la mieux prévenir encore par le rapport que je lui ferai voir adroitement des paroles de Vénus, avec les prédictions des figures Célestes, que je lui dis que j'ai jetées. Va-t'en tenir la main au reste de l'ouvrage, préparer nos six hommes à se bien cacher dans leur barque derrière le Rocher ; à posément attendre le temps que la Princesse Aristione vient tous les soirs se promener seule sur le rivage, à se jeter bien à propos sur elle, ainsi que des Corsaires, et donner lieu au Prince Iphicrate de lui apporter ce secours, qui sur les paroles du Ciel doit mettre entre ses mains la Princesse Ériphile. Ce Prince est averti par moi, et sur la foi de ma prédiction il doit se tenir dans ce petit Bois qui borde le rivage. Mais sortons de cette Grotte, je te dirai en marchant toutes les choses qu'il faut bien observer. Voilà la Princesse Ériphile, évitons sa rencontre. **** *creator_moliere *book_moliere_amantsmagnifiques *style_prose *genre_show *dist1_moliere_prose_show_amantsmagnifiques *dist2_moliere_prose_show *id_cleon *date_1670 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_cleon Voilà la Princesse qui s'en va, ne voulez-vous pas lui parler ? Mais pour lequel des deux Princes au moins dressez-vous tout cet artifice ? **** *creator_moliere *book_moliere_amantsmagnifiques *style_prose *genre_show *dist1_moliere_prose_show_amantsmagnifiques *dist2_moliere_prose_show *id_venus *date_1670 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_venus Princesse dans tes soins brille un zèle exemplaire, Qui par les Immortels doit être Couronné, Et pour te voir un gendre, illustre et fortuné, Leur main te veut marquer le choix que tu dois faire ; Ils t'annoncent tous par ma voix, La gloire et les grandeurs, que par ce digne choix, Ils feront pour jamais entrer dans ta famille, De tes difficultés termine donc le cours ; Et pense à donner ta Fille À qui sauvera tes jours. **** *creator_moliere *book_moliere_amourmedecin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_amourmedecin *dist2_moliere_prose_comedy *id_sganarelle *date_1665 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_sganarelle Ah, l'étrange chose que la vie ! et que je puis bien dire avec ce grand Philosophe de l'Antiquité, que qui terre a guerre a, et qu'un malheur ne vient jamais sans l'autre. Je n'avais qu'une seule femme qui est morte. Elle est morte, Monsieur mon ami, cette perte m'est très sensible, et je ne puis m'en ressouvenir sans pleurer. Je n'étais pas fort satisfait de sa conduite, et nous avions le plus souvent dispute ensemble ; mais enfin, la mort rajuste toutes choses. Elle est morte : je la pleure. Si elle était en vie, nous nous querellerions. De tous les enfants que le Ciel m'avait donnés, il ne m'a laissé qu'une fille, et cette fille est toute ma peine. Car enfin, je la vois dans une mélancolie la plus sombre du monde, dans une tristesse épouvantable, dont il n'y a pas moyen de la retirer ; et dont je ne saurais même apprendre la cause. Pour moi j'en perds l'esprit, et j'aurais besoin d'un bon conseil sur cette matière. Vous êtes ma nièce : vous, ma voisine, et vous, mes compères et mes amis : je vous prie de me conseiller tous ce que je dois faire. Tous ces conseils sont admirables assurément : mais je les tiens un peu intéressés, et trouve que vous me conseillez fort bien pour vous. Vous êtes Orfèvre, Monsieur Josse, et votre conseil sent son homme qui a envie de se défaire de sa marchandise. Vous vendez des tapisseries, Monsieur Guillaume, et vous avez la mine d'avoir quelque tenture qui vous incommode. Celui que vous aimez, ma voisine, a, dit-on, quelque inclination pour ma fille, et vous ne seriez pas fâchée de la voir la femme d'un autre. Et quant à vous, ma chère nièce, ce n'est pas mon dessein, comme on sait, de marier ma fille avec qui que ce soit, et j'ai mes raisons pour cela. Mais le conseil que vous me donnez de la faire Religieuse, est d'une femme qui pourrait bien souhaiter charitablement d'être mon héritière universelle. Ainsi, Messieurs et Mesdames, quoique tous vos conseils soient les meilleurs du monde, vous trouverez bon, s'il vous plaît, que je n'en suive aucun. Voilà de mes donneurs de conseils à la mode. Ah, voilà ma fille qui prend l'air. Elle ne me voit pas. Elle soupire. Elle lève les yeux au Ciel. Dieu vous garde. Bonjour ma mie. Hé bien, qu'est-ce ? comme vous en va ? Hé ! quoi ? toujours triste et mélancolique comme cela, et tu ne veux pas me dire ce que tu as. Allons donc, découvre-moi ton petit cœur, là ma pauvre mie, dis, dis ; dis tes petites pensées à ton petit papa mignon. Courage. Veux-tu que je te baise ? Viens. J'enrage de la voir de cette humeur-là. Mais, dis-moi, me veux-tu faire mourir de déplaisir, et ne puis-je savoir d'où vient cette grande langueur ? Découvre-m'en la cause, et je te promets que je ferai toutes choses pour toi. Oui, tu n'as qu'à me dire le sujet de ta tristesse, je t'assure ici, et te fais serment, qu'il n'y a rien que je ne fasse pour te satisfaire. C'est tout dire : Est-ce que tu es jalouse de quelqu'une de tes compagnes, que tu voies plus brave que toi ? et serait-il quelque étoffe nouvelle dont tu voulusses avoir un habit ? Non. Est-ce que ta chambre ne te semble pas assez parée, et que tu souhaiterais quelque cabinet de la Foire Saint-Laurent ? Ce n'est pas cela. Aurais-tu envie d'apprendre quelque chose ? Et veux-tu que je te donne un Maître pour te montrer à jouer du Clavecin ? Nenni. Aimerais-tu quelqu'un, et souhaiterais-tu d'être mariée ? Non, c'est une coquine qui me fait enrager. Il n'est pas nécessaire, et puisqu'elle veut être de cette humeur, je suis d'avis qu'on l'y laisse. Va, fille ingrate, je ne te veux plus parler, et je te laisse dans ton obstination. Oui, je perds toute l'amitié que j'avais pour toi. C'est une coquine qui me veut faire mourir. Ce n'est pas la récompense de t'avoir élevée comme j'ai fait. Non, je suis contre elle, dans une colère épouvantable. Je n'ai plus aucune tendresse pour toi. C'est une friponne. Une ingrate. Une coquine, qui ne me veut pas dire ce qu'elle a. Je l'abandonne. Je la déteste. Et la renonce pour ma fille. Non, ne m'en parlez point. Ne m'en parlez point. Ne m'en parlez point. Il est bon quelquefois de ne point faire semblant d'entendre les choses qu'on n'entend que trop bien : et j'ai fait sagement de parer la déclaration d'un désir que je ne suis pas résolu de contenter. A-t-on jamais rien vu de plus tyrannique que cette coutume où l'on veut assujettir les pères ? Rien de plus impertinent, et de plus ridicule, que d'amasser du bien avec de grands travaux, et élever une fille avec beaucoup de soin et de tendresse, pour se dépouiller de l'un et de l'autre entre les mains d'un homme qui ne nous touche de rien. Non, non, je me moque de cet usage, et je veux garder mon bien et ma fille pour moi. Que dit-elle là ? Que sera-ce ? Je suis perdu. Lisette. Lisette. Lisette. Lisette. Qu'est-ce ? Qu'y a-t-il ? Ah, ah ! Dis donc vite. Hé bien ? Elle s'est jetée. Ah, ma fille ! Champagne, Champagne, Champagne vite, qu'on m'aille quérir des Médecins, et en quantité, on n'en peut trop avoir dans une pareille aventure. Ah, ma fille ! ma pauvre fille ! Taisez-vous. Quatre conseils valent mieux qu'un. Est-ce que les Médecins font mourir ? Chut, n'offensez pas ces Messieurs-là. Voulez-vous vous taire, vous dis-je ; mais voyez quelle impertinence. Les voici. Hé bien, Messieurs. Ma fille est impure. Ah, je vous entends. Allons, faites donner des sièges. De quoi donc connaissez-vous Monsieur ? Paix, discoureuse, allons, sortons d'ici. Messieurs, je vous supplie de consulter de la bonne manière. Quoique ce ne soit pas la coutume de payer auparavant ; toutefois, de peur que je l'oublie, et afin que ce soit une affaire faite, voici… Messieurs, l'oppression de ma fille augmente, je vous prie de me dire vite ce que vous avez résolu. Hé, de grâce, Messieurs, laissez toutes ces cérémonies, et songez que les choses pressent. Hé, Messieurs, parlez l'un après l'autre, de grâce. À qui croire des deux ? et quelle résolution prendre sur des avis si opposés ? Messieurs, je vous conjure de déterminer mon esprit, et de me dire, sans passion, ce que vous croyez le plus propre à soulager ma fille. L'un va en tortue, et l'autre court la poste. Je. vous. rends. très. hum-bles. grâ-ces. et vous suis infiniment obligé de la peine que vous avez prise. Me voilà justement un peu plus incertain que je n'étais auparavant. Morbleu, il me vient une fantaisie. Il faut que j'aille acheter de l'Orviétan, et que je lui en fasse prendre. L'Orviétan est un remède dont beaucoup de gens se sont bien trouvés. Holà. Monsieur, je vous prie de me donner une boîte de votre Orviétan, que je m'en vais vous payer. Monsieur, je crois que tout l'or du monde n'est pas capable de payer votre remède : mais pourtant, voici une pièce de trente sols que vous prendrez, s'il vous plaît. Qu'est-ce ? De quoi ? Dis-moi donc ce que c'est, et puis je me réjouirai peut-être. Sur quoi ? Allons donc, la lera la la, la lera la. Que Diable ! Ma fille est guérie ! Où est-il ? Il faut voir si celui-ci fera plus que les autres. Voilà un Médecin qui a la barbe bien jeune. Monsieur, on m'a dit que vous aviez des remèdes admirables, pour faire aller à la selle. Voilà un grand homme. Oui, fais. Vous connaissez cela ici ? Pourquoi ? Je veux demeurer là. Il me semble qu'il lui parle de bien près. Hé bien, notre malade, elle me semble un peu plus gaie. Voilà un habile homme ! Voilà un grand Médecin. Oui-da, je le veux bien. Oui, cela est le mieux du monde. Hé bien, ma fille, voilà Monsieur qui a envie de t'épouser, et je lui ai dit que je le voulais bien. Oui. Oui, oui. Oui, ma fille. Oh ! la folle ! Oh ! la folle ! Oh ! la folle ! Oui, çà donne-moi ta main. Donnez-moi un peu aussi la vôtre, pour voir. Non, non, c'est pour… pour lui contenter l'esprit. Touchez là. Voilà qui est fait. Fort bien. Oh la folle ! Oh la folle ! Oui, Monsieur, il faut faire un contrat pour ces deux personnes-là. Écrivez (voilà le contrat qu'on fait) je lui donne vingt mille écus en mariage. Écrivez. Voilà un contrat bientôt bâti. Hé non, vous dis-je, sait-on pas bien ? Allons, donnez-lui la plume pour signer. Allons, signé, signé, signé. Va, va, je signerai tantôt moi. Hé bien, tiens. Es-tu contente ? Voilà qui est bien, voilà qui est bien. Voilà une plaisante façon de guérir. Où est donc ma fille et le Médecin ? Comment, le mariage ? Comment, Diable : laissez-moi aller : laissez-moi aller, vous dis-je. Encore. Peste des gens. **** *creator_moliere *book_moliere_amourmedecin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_amourmedecin *dist2_moliere_prose_comedy *id_aminte *date_1665 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_aminte Pour moi, je ne ferais point tant de façon, et je la marierais fort bien, et le plus tôt que je pourrais, avec cette personne qui vous la fit, dit-on, demander, il y a quelque temps. **** *creator_moliere *book_moliere_amourmedecin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_amourmedecin *dist2_moliere_prose_comedy *id_lucrece *date_1665 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_lucrece Et moi, je tiens que votre fille n'est point du tout propre pour le Mariage. Elle est d'une complexion trop délicate et trop peu saine, et c'est la vouloir envoyer bientôt en l'autre monde, que de l'exposer comme elle est à faire des enfants. Le monde n'est point du tout son fait, et je vous conseille de la mettre dans un Couvent, où elle trouvera des divertissements qui seront mieux de son humeur. **** *creator_moliere *book_moliere_amourmedecin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_amourmedecin *dist2_moliere_prose_comedy *id_m-guillaume *date_1665 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mguillaume Et combien donc en voulez-vous avoir ? Et moi ; si j'étais en votre place, j'achèterais une belle tenture de tapisserie de verdure, ou à personnages, que je ferais mettre à sa chambre, pour lui réjouir l'esprit et la vue. **** *creator_moliere *book_moliere_amourmedecin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_amourmedecin *dist2_moliere_prose_comedy *id_m-josse *date_1665 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mjosse Pour moi, je tiens que la braverie et l'ajustement est la chose qui réjouit le plus les filles ; et si j'étais que de vous, je lui achèterais dès aujourd'hui une belle garniture de Diamants, ou de Rubis, ou d'Émeraudes. **** *creator_moliere *book_moliere_amourmedecin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_amourmedecin *dist2_moliere_prose_comedy *id_lucinde *date_1665 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_lucinde Mon père, puisque vous voulez que je vous dise la chose… Mon père, je veux bien… Mais, mon père… Mais… Hé bien, Lisette ; j'avais tort de cacher mon déplaisir, et je n'avais qu'à parler, pour avoir tout ce que je souhaitais de mon père : tu le vois. Hélas, de quoi m'aurait servi de te le découvrir plus tôt ! et n'aurais-je pas autant gagné à le tenir caché toute ma vie. Crois-tu que je n'aie pas bien prévu tout ce que tu vois maintenant, que je ne susse pas à fond tous les sentiments de mon père, et que le refus qu'il a fait porter à celui qui m'a demandée par un ami, n'ait pas étouffé dans mon âme toute sorte d'espoir. Peut-être n'est-il pas honnête à une fille de s'expliquer si librement ; mais enfin, je t'avoue que s'il m'était permis de vouloir quelque chose, ce serait lui que je voudrais. Nous n'avons eu ensemble aucune conversation, et sa bouche ne m'a point déclaré la passion qu'il a pour moi : mais dans tous les lieux où il m'a pu voir, ses regards et ses actions m'ont toujours parlé si tendrement, et la demande qu'il a fait faire de moi, m'a paru d'un si honnête homme, que mon cœur n'a pu s'empêcher d'être sensible à ses ardeurs ; et cependant tu vois où la dureté de mon père, réduit toute cette tendresse. Mais que veux-tu que je fasse contre l'autorité d'un père ? Et s'il est inexorable à mes vœux… Je puis vous dire la même chose, et je sens comme vous des mouvements de joie, qui m'empêchent de pouvoir parler. Si vous ne m'en devez pas la pensée, vous m'êtes redevable, au moins d'en avoir approuvé la proposition avec beaucoup de joie. Mais vous, serez-vous ferme dans les résolutions que vous avez montrées ? Hélas, est-il possible ? Mais, tout de bon ? Quoi, vous êtes dans les sentiments d'être mon mari ? Et mon père y consent ? Ah, que je suis heureuse, si cela est véritable ! C'est me donner des marques d'un amour bien tendre, et j'y suis sensible autant que je puis. Vous voulez donc bien, mon père, me donner Monsieur pour époux ? Faisons donc le contrat, afin que rien n'y manque. Quoi, vous aviez amené un Notaire ? J'en suis ravie. Je vous suis bien obligée, mon père. Non, non, je veux avoir le contrat entre mes mains. Plus qu'on ne peut s'imaginer. **** *creator_moliere *book_moliere_amourmedecin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_amourmedecin *dist2_moliere_prose_comedy *id_lisette *date_1665 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_lisette Hé bien, Monsieur, vous venez d'entretenir votre fille. Avez-vous su la cause de sa mélancolie ? Monsieur, laissez-moi faire, je m'en vais la sonder un peu. Laissez-moi faire, vous dis-je, peut-être qu'elle se découvrira plus librement à moi qu'à vous. Quoi, Madame, vous ne nous direz point ce que vous avez, et vous voulez affliger ainsi tout le monde. Il me semble qu'on n'agit point comme vous faites, et que si vous avez quelque répugnance à vous expliquer à un père, vous n'en devez avoir aucune à me découvrir votre cœur. Dites-moi, souhaitez-vous quelque chose de lui ? Il nous a dit plus d'une fois qu'il n'épargnerait rien pour vous contenter. Est-ce qu'il ne vous donne pas toute la liberté que vous souhaiteriez, et les promenades et les cadeaux ne tenteraient-ils point votre âme ? Heu. Avez-vous reçu quelque déplaisir de quelqu'un ? Heu. N'auriez-vous point quelque secrète inclination, avec qui vous souhaiteriez que votre père vous mariât ? Ah, je vous entends. Voilà l'affaire. Que Diable, pourquoi tant de façons. Monsieur, le mystère est découvert. Et… Monsieur, sa tristesse… Mais, Monsieur… Mais… Mais… C'est un mari qu'elle veut. Un mari. Un mari. Un mari. Un mari. Un mari. Un mari, un mari, un mari. On dit bien vrai : qu'il n'y a point de pires sourds, que ceux qui ne veulent point entendre. Par ma foi, voilà un vilain homme, et je vous avoue que j'aurais un plaisir extrême à lui jouer quelque tour. Mais d'où vient donc, Madame, que jusqu'ici vous m'avez caché votre mal ? Quoi, c'est cet inconnu qui vous a fait demander, pour qui vous… Allez, laissez-moi faire, quelque sujet que j'aie de me plaindre de vous du secret que vous m'avez fait, je ne veux pas laisser de servir votre amour ; et pourvu que vous ayez assez de résolution… Allez, allez, il ne faut pas se laisser mener comme un Oison, et pourvu que l'honneur n'y soit pas offensé, on peut se libérer un peu de la tyrannie d'un père. Que prétend-il que vous fassiez ? N'êtes-vous pas en âge d'être mariée ? et croit-il que vous soyez de marbre ? Allez, encore un coup, je veux servir votre passion, je prends dès à présent sur moi tout le soin de ses intérêts, et vous verrez que je sais des détours… Mais je vois votre père, rentrons, et me laissez agir. Ah, malheur ! ah, disgrâce ! ah, pauvre Seigneur Sganarelle ! où pourrai-je te rencontrer ? Ah, misérable père ! que feras-tu ? quand tu sauras cette nouvelle. Ma pauvre Maîtresse. Ah ! Quelle infortune ! Quel accident. Quelle fatalité ! Ah, Monsieur ! Monsieur. Votre fille. Monsieur, ne pleurez donc point comme cela : car vous me feriez rire. Votre fille toute saisie des paroles que vous lui avez dites, et de la colère effroyable où elle vous a vu contre elle, est montée vite dans sa chambre, et pleine de désespoir, a ouvert la fenêtre qui regarde sur la rivière. Alors, levant les yeux au ciel. Non, a-t-elle dit, il m'est impossible de vivre avec le courroux de mon père : et puisqu'il me renonce pour sa fille, je veux mourir. Non, Monsieur, elle a fermé tout doucement la fenêtre, et s'est allée mettre sur son lit. Là elle s'est prise à pleurer amèrement : et tout d'un coup son visage a pâli, ses yeux se sont tournés, le cœur lui a manqué, et elle m'est demeurée entre mes bras. À force de la tourmenter, je l'ai fait revenir : mais cela lui reprend de moment en moment : et je crois qu'elle ne passera pas la journée. Que voulez-vous donc faire, Monsieur, de quatre Médecins ? N'est-ce pas assez d'un pour tuer une personne ? Est-ce que votre fille ne peut pas bien mourir, sans le secours de ces Messieurs-là ? Sans doute : et j'ai connu un homme qui prouvait, par bonnes raisons, qu'il ne faut jamais dire, une telle personne est morte d'une fièvre et d'une fluxion sur la poitrine : mais, elle est morte de quatre Médecins, et de deux Apothicaires. Ma foi, Monsieur, notre Chat est réchappé depuis peu, d'un saut qu'il fit du haut de la maison dans la rue, et il fut trois jours sans manger, et sans pouvoir remuer ni pied ni patte ; mais il est bien heureux de ce qu'il n'y a point de Chats Médecins : car ses affaires étaient faites, et ils n'auraient pas manqué de le purger, et de le saigner. Prenez garde, vous allez être bien édifié, ils vous diront en Latin que votre fille est malade. Ah, Monsieur, vous en êtes. De l'avoir vu l'autre jour chez la bonne amie de Madame votre nièce. Fort bien, il est mort. Oui. Je ne sais si cela se peut, mais je sais bien que cela est. Et moi je vous dis qu'il est mort, et enterré. Je l'ai vu. Hippocrate dira ce qu'il lui plaira : mais le Cocher est mort. Quoi, Messieurs, vous voilà, et vous ne songez pas à réparer le tort qu'on vient de faire à la Médecine. Un insolent, qui a eu l'effronterie d'entreprendre sur votre métier : et qui sans votre ordonnance, vient de tuer un homme d'un grand coup d'épée au travers du corps. Je vous permets de me tuer, lorsque j'aurai recours à vous. Le mieux du monde, et je vous attendais avec impatience. Enfin, le Ciel m'a faite d'un naturel le plus humain du monde, et je ne puis voir deux Amants soupirer l'un pour l'autre, qu'il ne me prenne une tendresse charitable, et un désir ardent de soulager les maux qu'ils souffrent. Je veux à quelque prix que ce soit, tirer Lucinde de la tyrannie où elle est, et la mettre en votre pouvoir. Vous m'avez plu d'abord, je me connais en gens, et elle ne peut pas mieux choisir. L'amour risque des choses extraordinaires, et nous avons concerté ensemble une manière de stratagème, qui pourra peut-être nous réussir. Toutes nos mesures sont déjà prises. L'homme à qui nous avons affaire n'est pas des plus fins de ce monde : et si cette aventure nous manque, nous trouverons mille autres voies, pour arriver à notre but. Attendez-moi là seulement, je reviens vous quérir. Monsieur, allégresse ! allégresse ! Réjouissez-vous. Réjouissez-vous, vous dis-je. Non, je veux que vous vous réjouissiez auparavant : que vous chantiez, que vous dansiez. Sur ma parole. Monsieur, votre fille est guérie. Oui, je vous amène un Médecin : mais un Médecin d'importance, qui fait des cures merveilleuses, et qui se moque des autres Médecins. Je vais le faire entrer. Le voici. La science ne se mesure pas à la barbe ; et ce n'est pas par le menton qu'il est habile. Que vous ai-je dit ? Monsieur, comme votre fille est là toute habillée dans une chaise, je vais la faire passer ici. Tenez, Monsieur, voilà une chaise auprès d'elle. Allons, laissez-les là tous deux. Vous moquez-vous ? Il faut s'éloigner, un Médecin a cent choses à demander, qu'il n'est pas honnête qu'un homme entende. C'est qu'il observe sa physionomie, et tous les traits de son visage. Ils sont allés achever le reste du mariage. Ma foi, Monsieur, la Bécasse est bridée, et vous avez cru faire un jeu, qui demeure une vérité. **** *creator_moliere *book_moliere_amourmedecin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_amourmedecin *dist2_moliere_prose_comedy *id_m-tomes *date_1665 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mtomes Nous avons vu suffisamment la malade ; et sans doute qu'il y a beaucoup d'impuretés en elle. Je veux dire qu'il y a beaucoup d'impureté dans son corps, quantité d'humeurs corrompues. Mais… nous allons consulter ensemble. Comment se porte son Cocher ? Mort ! Cela ne se peut. Il ne peut pas être mort, vous dis-je. Vous vous trompez. Cela est impossible. Hippocrate dit, que ces sortes de maladies ne se terminent qu'au quatorze, ou au vingt-un, et il n'y a que six jours qu'il est tombé malade. Il faut avouer que j'ai une Mule admirable pour cela, et qu'on a peine à croire le chemin que je lui fais faire tous les jours. Savez-vous le chemin que ma Mule a fait aujourd'hui. J'ai été premièrement tout contre l'Arsenal, de l'Arsenal au bout du Faubourg Saint-Germain, du Faubourg Saint-Germain au fond du Marais, du fond du Marais à la Porte Saint-Honoré, de la Porte Saint-Honoré au Faubourg Saint-Jacques, du Faubourg Saint-Jacques à la Porte de Richelieu, de la Porte de Richelieu ici, et d'ici je dois aller encore à la Place Royale. Mais à propos, quel parti prenez-vous dans la querelle des deux Médecins, Théophraste, et Artémius ? car c'est une affaire qui partage tout notre Corps. Et moi aussi, ce n'est pas que son avis, comme on a vu, n'ait tué le malade, et que celui de Théophraste ne fût beaucoup meilleur assurément : Mais enfin, il a tort dans les circonstances, et il ne devait pas être d'un autre avis que son Ancien. Qu'en dites-vous ? Pour moi j'y suis sévère en Diable, à moins que ce soit entre amis, et l'on nous assembla un jour trois de nous autres avec un Médecin de dehors, pour une consultation, où j'arrêtai toute l'affaire, et ne voulus point endurer qu'on opinât si les choses n'allaient dans l'ordre. Les gens de la maison faisaient ce qu'ils pouvaient, et la maladie pressait : mais je n'en voulus point démordre, et la malade mourut bravement pendant cette contestation. Un homme mort, n'est qu'un homme mort, et ne fait point de conséquence ; Mais une formalité négligée, porte un notable préjudice à tout le Corps des Médecins. Allons, Monsieur. Vous vous moquez. Monsieur. La maladie de votre fille… Monsieur, nous avons raisonné sur la maladie de votre fille ; et mon avis, à moi, est, que cela procède d'une grande chaleur de sang : ainsi je conclus à la saigner le plus tôt que vous pourrez. Je soutiens que l'émétique la tuera. C'est bien à vous de faire l'habile homme. Souvenez-vous de l'homme que vous fîtes crever ces jours passés. Je vous ai dit mon avis. Si vous ne faites saigner tout à l'heure votre fille, c'est une personne morte. Vous avez raison en tout ce que vous dites ; mais ce sont chaleurs de sang, dont parfois on n'est pas le maître. Comment, qu'est-ce ? Écoutez, vous faites la railleuse : mais vous passerez par nos mains quelque jour. **** *creator_moliere *book_moliere_amourmedecin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_amourmedecin *dist2_moliere_prose_comedy *id_m-des-fonandres *date_1665 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mdesfonandres Paris est étrangement grand, et il faut faire de longs trajets, quand la pratique donne un peu. J'ai un cheval merveilleux, et c'est un animal infatigable. Mon cheval a fait tout cela aujourd'hui, et de plus j'ai été à Ruel voir un malade. Moi, je suis pour Artémius. Sans doute. Il faut toujours garder les formalités, quoi qu'il puisse arriver. C'est fort bien fait d'apprendre aux gens à vivre, et de leur montrer leur bec jaune. Non, Monsieur, parlez s'il vous plaît. Je ne parlerai pas le premier. Monsieur. L'avis de tous ces Messieurs tous ensemble… Et moi, je dis que sa maladie est une pourriture d'humeurs, causée par une trop grande réplétion : ainsi je conclus à lui donner de l'émétique. Et moi, que la saignée la fera mourir. Oui, c'est à moi, et je vous prêterai le collet en tout genre d'érudition. Souvenez-vous de la Dame que vous avez envoyée en l'autre monde, il y a trois jours. Je vous ai dit ma pensée. Si vous la faites saigner, elle ne sera pas en vie dans un quart d'heure. J'y consens. Qu'il me passe mon émétique pour la malade dont il s'agit, et je lui passerai tout ce qu'il voudra pour le premier malade dont il sera question. Cela est fait. **** *creator_moliere *book_moliere_amourmedecin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_amourmedecin *dist2_moliere_prose_comedy *id_m-macroton *date_1665 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mmacroton Après avoir bien consulté… Mon-si-eur. dans. ces. ma-ti-è-res. là. il. faut. pro-cé-der. a-vec-que. cir-cons-pec-tion. et. ne. ri-en. fai-re. com-me. on. dit. à. la. vo-lé-e. D'au-tant. que. les. fau-tes. qu'on. y. peut. fai-re. sont. se-lon. no-tre. Maî-tre. Hip-po-cra-te. d'une. dan-ge-reu-se. con-sé-quen-ce. Or. Mon-si-eur, pour. ve-nir. au. fait. je. trou-ve. que. vo-tre. fil-le. a. u-ne. ma-la-die. chro-ni-que. et. qu'el-le. peut. pé-ri-cli-ter, si. on. ne. lui. don-ne. du. se-cours ; d'au-tant. que. les. symp-tô-mes. qu'el-le. A, sont. in-di-ca-tifs. d'u-ne. va-peur. fu-li-gi-neu-se. et. mor-di-can-te, qui. lui. pi-co-te. les. mem-bra-nes. du. cer-veau. Or. cet-te. va-peur. que. nous. nom-mons. en. Grec. At-mos. est. cau-sé.e. par. des. hu-meurs. pu-tri-des, te-na-ces, et. con-glu-ti-neu-ses, qui. sont. con-te-nues. dans. le. bas. ven-tre. Si. bi-en, donc. que. pour. ti-rer, dé-ta-cher, ar-ra-cher, ex-pul-ser, é-va-cu-er, les-di-tes. hu-meurs, il. fau-dra. u-ne. pur-ga-ti-on. vi-gou-reu-se. Mais. au. pré-a-la-ble, je. trou-ve. À. pro-pos, et. il. n'y. a. pas. d'in-con-vé-ni-ent. d'u-ser. de. pe-tits. re-mè-des. a-no-dins. c'est-à-di-re. de. pe-tits. la-ve-ments. ré-mol-li-ents. et. dé-ter-sifs. de. ju-lets. et. de. si-rops. ra-fraî-chis-sants. qu'on. mê-le-ra. dans. sa. pti-san-ne. Ce. n'est. pas. qu'a-vec. tout. ce-la, vo-tre. fil-le. ne. puis-se. mou-rir ; mais. au. moins. vous. au-rez. fait. quel-que. cho-se. et. vous. au-rez. la. con-so-la-tion, qu'el-le. se-ra. mor-te. dans. les. for-mes. Nous. vous. di-sons. sin-cè-re-ment. no-tre. pen-sée. **** *creator_moliere *book_moliere_amourmedecin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_amourmedecin *dist2_moliere_prose_comedy *id_m-bahys *date_1665 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mbahys Pour raisonner… Il est vrai. Il faut bien prendre garde à ce qu'on fait. Car ce ne sont pas ici des jeux d'enfant ; et quand on a failli il n'est pas aisé de réparer le manquement, et de rétablir ce qu'on a gâté. Experimentum periculosum. C'est pourquoi il s'agit de raisonner auparavant, comme il faut, de peser mûrement les choses, de regarder le tempérament des gens, d'examiner les causes de la maladie, et de voir les remèdes qu'on y doit apporter. Et comme ces humeurs ont été là engendrées, par une longue succession de temps ; elles s'y sont recuites, et ont acquis cette malignité, qui fume vers la région du cerveau. Après nous en viendrons à la purgation et à la saignée, que nous réitérerons s'il en est besoin. Il vaut mieux mourir selon les règles, que de réchapper contre les règles. Et nous vous avons parlé, comme nous parlerions à notre propre frère. **** *creator_moliere *book_moliere_amourmedecin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_amourmedecin *dist2_moliere_prose_comedy *id_m-filerin *date_1665 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mfilerin N'avez-vous point de honte, Messieurs, de montrer si peu de prudence pour des gens de votre âge, et de vous être querellés comme de jeunes étourdis ? Ne voyez-vous pas bien quel tort ces sortes de querelles nous font parmi le monde ? et n'est-ce pas assez que les savants voient les contrariétés, et les dissensions qui sont entre nos Auteurs et nos anciens Maîtres, sans découvrir encore au peuple, par nos débats et nos querelles, la forfanterie de notre Art ? Pour moi, je ne comprends rien du tout à cette méchante Politique de quelques-uns de nos gens. Et il faut confesser, que toutes ces contestations nous ont décriés, depuis peu, d'une étrange manière, et que, si nous n'y prenons garde, nous allons nous ruiner nous-mêmes. Je n'en parle pas pour mon intérêt. Car, Dieu merci, j'ai déjà établi mes petites affaires. Qu'il vente, qu'il pleuve, qu'il grêle, ceux qui sont morts sont morts, et j'ai de quoi me passer des vivants. Mais enfin, toutes ces disputes ne valent rien pour la Médecine. Puisque le Ciel nous fait la grâce que depuis tant de siècles, on demeure infatué de nous : ne désabusons point les hommes avec nos cabales extravagantes, et profitons de leur sottise le plus doucement que nous pourrons. Nous ne sommes pas les seuls, comme vous savez, qui tâchons à nous prévaloir de la faiblesse humaine. C'est là que va l'étude de la plupart du monde, et chacun s'efforce de prendre les hommes par leur faible, pour en tirer quelque profit. Les flatteurs, par exemple, cherchent à profiter de l'amour que les hommes ont pour les louanges, en leur donnant tout le vain encens qu'ils souhaitent : et c'est un art où l'on fait, comme on voit, des fortunes considérables. Les Alchimistes tâchent à profiter de la passion qu'on a pour les richesses, en promettant des montagnes d'or à ceux qui les écoutent. Et les diseurs d'Horoscope, par leurs Prédictions trompeuses profitent de la vanité et de l'ambition des crédules esprits : mais le plus grand faible des hommes, c'est l'amour qu'ils ont pour la vie, et nous en profitons nous autres, par notre pompeux galimatias ; et savons prendre nos avantages de cette vénération, que la peur de mourir, leur donne pour notre métier. Conservons-nous donc dans le degré d'estime où leur faiblesse nous a mis, et soyons de concert auprès des malades, pour nous attribuer les heureux succès de la maladie, et rejeter sur la Nature toutes les bévues de notre art. N'allons point, dis-je, détruire sottement les heureuses préventions d'une erreur qui donne du pain à tant de personnes. Allons donc, Messieurs, mettez bas toute rancune, et faisons ici votre accommodement. On ne peut pas mieux dire. Et voilà se mettre à la raison. Touchez donc là. Adieu. Une autre fois, montrez plus de prudence. **** *creator_moliere *book_moliere_amourmedecin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_amourmedecin *dist2_moliere_prose_comedy *id_clitandre *date_1665 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_clitandre Hé bien, Lisette, me trouves-tu bien ainsi ? Monsieur, mes remèdes sont différents de ceux des autres : Ils ont l'émétique, les saignées, les médecines et les lavements : Mais moi, je guéris par des paroles, par des sons, par des lettres, par des talismans, et par des anneaux constellés. Votre fille est bien malade. Oui, par la sympathie qu'il y a entre le père et la fille. Ah ! Madame, que le ravissement où je me trouve est grand ! et que je sais peu par où vous commencer mon discours. Tant que je ne vous ai parlé que des yeux, j'avais, ce me semblait, cent choses à vous dire : et maintenant que j'ai la liberté de vous parler de la façon que je souhaitais, je demeure interdit : et la grande joie où je suis, étouffe toutes mes paroles. Ah, Madame ! que je serais heureux ! s'il était vrai que vous sentissiez tout ce que je sens, et qu'il me fût permis de juger de votre âme par la mienne. Mais, Madame, puis-je au moins croire que ce soit à vous à qui je doive la pensée de cet heureux stratagème, qui me fait jouir de votre présence ? Serez-vous constante, Madame, dans ces bontés que vous me témoignez ? Ah ! Madame, jusqu'à la mort. Je n'ai point de plus forte envie que d'être à vous, et je vais le faire paraître dans ce que vous m'allez voir faire. C'est que j'ai déjà fait agir sur elle un de ces remèdes, que mon art m'enseigne. Comme l'Esprit a grand empire sur le corps, et que c'est de lui bien souvent que procèdent les maladies, ma coutume est de courir à guérir les esprits avant que de venir au corps. J'ai donc observé ses regards, les traits de son visage, et les lignes de ses deux mains : et par la science que le Ciel m'a donnée, j'ai reconnu que c'était de l'esprit qu'elle était malade, et que tout son mal ne venait que d'une imagination déréglée, d'un désir dépravé de vouloir être mariée. Pour moi, je ne vois rien de plus extravagant et de plus ridicule, que cette envie qu'on a du mariage. Et j'ai eu, et aurai pour lui, toute ma vie, une aversion effroyable. Mais, comme il faut flatter l'imagination des malades, et que j'ai vu en elle de l'aliénation d'esprit : et même, qu'il y avait du péril à ne lui pas donner un prompt secours ; je l'ai prise par son faible, et lui ai dit que j'étais venu ici pour vous la demander en mariage. Soudain son visage a changé, son teint s'est éclairci, ses yeux se sont animés : et si vous voulez pour quelques jours l'entretenir dans cette erreur, vous verrez que nous la tirerons d'où elle est. Après nous ferons agir d'autres remèdes pour la guérir entièrement de cette fantaisie. Oui, Madame. N'en doutez point, Madame, ce n'est pas d'aujourd'hui que je vous aime, et que je brûle de me voir votre mari, je ne suis venu ici que pour cela : et si vous voulez que je vous dise nettement les choses comme elles sont, cet habit n'est qu'un pur prétexte inventé, et je n'ai fait le Médecin que pour m'approcher de vous, et obtenir ce que je souhaite. Mais, Monsieur… Acceptez pour gage de ma foi cet anneau que je vous donne. C'est un anneau constellé, qui guérit les égarements d'esprit. Hélas ! Je le veux bien, Madame. Je vais faire monter l'homme qui écrit mes remèdes, et lui faire croire que c'est un notaire. Holà, faites monter le Notaire que j'ai amené avec moi. Oui, Madame. Au moins… Au reste, je n'ai pas eu seulement la précaution d'amener un Notaire, j'ai eu celle encore de faire venir des voix et des instruments pour célébrer la Fête, et pour nous réjouir. Qu'on les fasse venir. Ce sont des gens que je mène avec moi, et dont je me sers tous les jours pour pacifier avec leur harmonie les troubles de l'esprit. **** *creator_moliere *book_moliere_amourmedecin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_amourmedecin *dist2_moliere_prose_comedy *id_notaire *date_1665 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_notaire Voilà qui est fait, vous n'avez qu'à venir signer. **** *creator_moliere *book_moliere_amourmedecin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_amourmedecin *dist2_moliere_prose_comedy *id_comedie *date_1665 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_comedie Quittons, quittons notre vaine querelle, Ne nous disputons point nos talents tour à tour. Et d'une gloire plus belle, Piquons-nous en ce jour. Unissons-nous tous trois d'une ardeur sans seconde, Pour donner du plaisir au plus grand Roi du monde. De ses travaux plus grands qu'on ne peut croire, Il se vient quelquefois délasser parmi nous. Est-il de plus grande gloire Est-il bonheur plus doux. Unissons-nous tous trois… Veut-on qu'on rabatte Par des moyens doux, Les vapeurs de rate Qui vous minent tous, Qu'on laisse Hippocrate, Et qu'on vienne à nous. **** *creator_moliere *book_moliere_amourmedecin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_amourmedecin *dist2_moliere_prose_comedy *id_operateur *date_1665 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_operateur L'or de tous les climats qu'entoure l'Océan Peut-il jamais payer ce secret d'importance ? Mon remède guérit par sa rare excellence, Plus de maux qu'on n'en peut nombrer dans tout un an. La Gale, La Rogne, La Tigne, La Fièvre, La Peste, La Goutte, Vérole, Descente, Rougeole, Ô ! grande puissance de l'Orviétan ! Admirez mes bontés, et le peu qu'on vous vend, Ce trésor merveilleux, que ma main vous dispense. Vous pouvez avec lui braver en assurance, Tous les maux que sur nous l'ire du Ciel répand : La Gale, La Rogne, La Tigne, La Fièvre, La Peste, La Goutte, Vérole, Descente, Rougeole, Ô ! grande puissance de l'Orviétan ! **** *creator_moliere *book_moliere_amourmedecin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_amourmedecin *dist2_moliere_prose_comedy *id_tous *date_1665 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_tous Unissons-nous… Unissons-nous… **** *creator_moliere *book_moliere_amphitryon *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_amphitryon *dist2_moliere_verse_comedy *id_mercure *date_1668 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mercure Tout beau, charmante Nuit ; daignez vous arrêter. Il est certain secours, que de vous on désire : Et j'ai deux mots à vous dire, De la part de Jupiter. Ma foi, me trouvant las, pour ne pouvoir fournir Aux différents Emplois où Jupiter m'engage, Je me suis doucement assis sur ce Nuage, Pour vous attendre venir. Les Dieux sont-ils de Fer ? À votre aise vous en parlez ; Et vous avez, la Belle, une Chaise roulante, Où par deux bons Chevaux, en Dame nonchalante, Vous vous faites traîner partout où vous voulez. Mais de moi ce n'est pas de même ; Et je ne puis vouloir, dans mon destin fatal, Aux Poètes assez de mal, De leur impertinence extrême : D'avoir, par une injuste Loi, Dont on veut maintenir l'usage, À chaque Dieu, dans son Emploi, Donné quelque allure en partage ; Et de me laisser à pied, Moi, Comme un Messager de Village. Moi qui suis, comme on sait, en Terre, et dans les Cieux, Le fameux Messager du Souverain des Dieux ; Et qui, sans rien exagérer, Par tous les Emplois qu'il me donne, Aurais besoin, plus que Personne, D'avoir de quoi me voiturer. Oui ; mais, pour aller plus vite, Est-ce qu'on s'en lasse moins ? C'est Jupiter, comme je vous l'ai dit, Qui de votre Manteau veut la faveur obscure, Pour certaine douce aventure, Qu'un nouvel Amour lui fournit. Ses pratiques, je crois, ne vous sont pas nouvelles. Bien souvent, pour la Terre, il néglige les Cieux : Et vous n'ignorez pas que ce Maître des Dieux Aime à s'humaniser pour des Beautés mortelles, Et sait cent tours ingénieux, Pour mettre à bout les plus cruelles. Des yeux d'Alcmène il a senti les coups : Et tandis qu'au milieu des Béotiques Plaines, Amphitryon, son Époux, Commande aux Troupes Thébaines, Il en a pris la forme, et reçoit là-dessous Un soulagement à ses peines, Dans la possession des plaisirs les plus doux. L'état des Mariés à ses feux est propice : L'hymen ne les a joints, que depuis quelques jours ; Et la jeune chaleur de leurs tendres amours, A fait que Jupiter à ce bel artifice S'est avisé d'avoir recours. Son stratagème ici se trouve salutaire : Mais, près de maint Objet chéri, Pareil déguisement serait pour ne rien faire ; Et ce n'est pas partout un bon moyen de plaire, Que la Figure d'un Mari. Il veut goûter par là toutes sortes d'États ; Et c'est agir en Dieu qui n'est pas Bête. Dans quelque rang qu'il soit des Mortels regardé, Je le tiendrais fort misérable, S'il ne quittait jamais sa mine redoutable, Et qu'au faîte des Cieux il fût toujours guindé. Il n'est point à mon gré de plus sotte méthode, Que d'être emprisonné toujours dans sa grandeur ; Et surtout, aux transports de l'amoureuse ardeur, La haute Qualité devient fort incommode. Jupiter, qui sans doute en plaisirs se connaît, Sait descendre du haut de sa Gloire suprême ; Et pour entrer dans tout ce qu'il lui plaît, Il sort tout à fait de lui-même, Et ce n'est plus alors Jupiter qui paraît. Laissons dire tous les Censeurs. Tels changements ont leurs douceurs, Qui passent leur intelligence. Ce Dieu sait ce qu'il a fait aussi bien là qu'ailleurs ; Et dans les mouvements de leurs tendres ardeurs, Les Bêtes ne sont pas si Bêtes, que l'on pense. Que vos Chevaux par vous au petit pas réduits, Pour satisfaire aux vœux de son Âme amoureuse, D'une Nuit si délicieuse, Fassent la plus longue des Nuits. Qu'à ses transports vous donniez plus d'espace ; Et retardiez la naissance du Jour, Qui doit avancer le retour De celui, dont il tient la place. Pour une jeune Déesse, Vous êtes bien du bon temps ! Un tel Emploi n'est bassesse, Que chez les petites Gens. Lorsque dans un haut Rang on a l'heur de paraître, Tout ce qu'on fait est toujours bel, et bon ; Et suivant ce qu'on peut être, Les choses changent de nom. Hé, là, là, Madame la Nuit, Un peu doucement je vous prie. Vous avez dans le Monde un bruit, De n'être pas si renchérie. On vous fait Confidente en cent Climats divers, De beaucoup de bonnes Affaires ; Et je crois, à parler à sentiments ouverts, Que nous ne nous en devons guères. Adieu, je vais là-bas, dans ma Commission, Dépouiller promptement la forme de Mercure, Pour y vêtir la Figure Du Valet d'Amphitryon. Bon jour, la Nuit. Sous ce minois, qui lui ressemble, Chassons de ces Lieux ce Causeur ; Dont l'abord importun troublerait la douceur, Que nos Amants goûtent ensemble. Tu seras plus fort que Mercure, Ou je t'en empêcherai bien. Comme avec irrévérence Parle des Dieux ce Maraud ! Mon Bras saura bien tantôt Châtier cette insolence ; Et je vais m'égayer avec lui comme il faut, En lui volant son Nom, avec sa Ressemblance. Qui donc est ce Coquin, qui prend tant de licence, Que de chanter, et m'étourdir ainsi ? Veut-il qu'à l'étriller, ma Main un peu s'applique ? Depuis plus d'une Semaine, Je n'ai trouvé personne à qui rompre les os. La vertu de mon Bras se perd dans le repos ; Et je cherche quelque Dos, Pour me remettre en haleine. Qui va là ? Qui, moi ? Quel est ton sort, dis-moi ? Es-tu Maître, ou Valet ? Où s'adressent tes pas ? Ah ! ceci me déplaît. Résolument, par force, ou par amour, Je veux savoir de toi, Traître, Ce que tu fais ; d'où tu viens avant jour ; Où tu vas ; à qui tu peux être. Tu montres de l'Esprit ; et je te vois en train De trancher avec moi de l'Homme d'importance. Il me prend un désir, pour faire connaissance, De te donner un Soufflet de ma Main. À toi-même, et t'en voilà certain. Non, ce n'est que pour rire, Et répondre à tes Quolibets. Ce sont là de mes moindres coups ; De petits Soufflets ordinaires. Tout cela n'est encor rien, Pour y faire quelque pause : Nous verrons bien autre chose ; Poursuivons notre Entretien. Où vas-tu ? Je veux savoir où tu vas. Si jusqu'à l'approcher tu pousses ton audace, Je fais sur toi pleuvoir un Orage de coups. Comment, chez nous ! Ô le Traître ! Tu te dis de cette Maison ? Hé bien ! que fait cette raison ? Toi ? Son valet ? Valet d'Amphitryon ? Ton Nom est ? Heu ? Comment ? Écoute. Sais-tu que de ma Main je t'assomme aujourd'hui ? Qui te donne, dis-moi, cette témérité, De prendre le Nom de Sosie ? Ô le mensonge horrible ! et l'impudence extrême ! Tu m'oses soutenir, que Sosie est ton Nom ? Mille coups de bâton doivent être le prix D'une pareille effronterie. Comment, Bourreau, tu fais des cris ? C'est ainsi que mon Bras… Hé bien, es-tu Sosie à présent ? qu'en dis-tu ? Encor ? Cent autres coups pour cette autre impudence. Fais donc trêve à ton insolence. Es-tu Sosie encor ? dis, Traître ! Ton Nom était Sosie, à ce que tu disais. C'est moi qui suis Sosie ; et tout Thèbes l'avoue. Amphitryon jamais n'en eut d'autre que moi. Oui, Sosie ; et si quelqu'un s'y joue, Il peut bien prendre garde à soi. Entre tes dents, je pense, Tu murmures je ne sais quoi ? Parle. Passe ; Va, je t'accorde ce point. Comment, tu peux… Quoi ! Pendard, Imposteur, Coquin… Tu te dis Sosie ! Sus, je romps notre trêve, et reprends ma parole. Arrête : ou sur ton Dos le moindre pas attire Un assommant éclat de mon juste courroux. Tout ce que tu viens de dire, Est à moi, hormis les coups. C'est moi qu'Amphitryon députe vers Alcmène, Et qui du Port Persique arrive de ce pas. Moi qui viens annoncer la valeur de son Bras, Qui nous fait remporter une Victoire pleine, Et de nos Ennemis a mis le Chef à bas. C'est moi qui suis Sosie enfin, de certitude ; Fils de Dave, honnête Berger ; Frère d'Arpage, mort en Pays étranger ; Mari de Cléanthis la prude, Dont l'humeur me fait enrager. Qui dans Thèbe ai reçu mille coups d'étrivière, Sans en avoir jamais dit rien. Et jadis en Public, fus marqué par derrière, Pour être trop Homme de bien. Cinq fort gros Diamants, en nœud proprement mis ; Dont leur Chef se parait, comme d'un rare Ouvrage. À sa Femme ; et sur elle il le veut voir paraître. Dans un Coffret, scellé des Armes de mon Maître. D'un Jambon… Que j'allai déterrer, Je coupai bravement deux Tranches succulentes, Dont je sus fort bien me bourrer. Et joignant à cela d'un Vin que l'on ménage, Et dont avant le goût, les yeux se contentaient, Je pris un peu de courage, Pour nos Gens qui se battaient. Quand je ne serai plus Sosie, Sois-le, j'en demeure d'accord. Mais tant que je le suis, je te garantis mort, Si tu prends cette fantaisie. Ah ! tu prends donc, Pendard, goût à la Bastonnade ? Enfin, je l'ai fait fuir ; et sous ce traitement, De beaucoup d'actions, il a reçu la peine. Mais je vois Jupiter, que fort civilement Reconduit l'amoureuse Alcmène. La Nuit, qu'il me faut avertir, N'a plus qu'à plier tous ses voiles ; Et pour effacer les Étoiles, Le Soleil, de son Lit, peut maintenant sortir. Et comment donc ? Ne veux-tu pas, Que de mon devoir je m'acquitte ? Et que d'Amphitryon j'aille suivre les pas ? Le beau sujet de fâcherie ! Nous avons tant de temps ensemble à demeurer. Diantre, où veux-tu que mon Esprit T'aille chercher des fariboles ? Quinze ans de Mariage épuisent les paroles ; Et depuis un long temps, nous nous sommes tout dit. Hé, mon Dieu, Cléanthis, ils sont encore Amants. Il est certain âge où tout passe : Et ce qui leur sied bien dans ces commencements, En nous, vieux Mariés, aurait mauvaise grâce. Il nous ferait beau voir attachés, face à face, À pousser les beaux Sentiments ! Non, je n'ai garde de le dire : Mais je suis trop Barbon, pour oser soupirer, Et je ferais crever de rire. Mon Dieu, tu n'es que trop honnête : Ce grand honneur ne me vaut rien. Ne sois point si Femme de bien ; Et me romps un peu moins la tête. La douceur d'une Femme est tout ce qui me charme ; Et ta vertu fait un vacarme, Qui ne cesse de m'assommer. Ma foi, veux-tu que je te dise ? Un mal d'opinion, ne touche que les Sots. Et je prendrais pour ma Devise, Moins d'honneur, et plus de repos. Oui, si je n'étais plus de tes cris rebattu ; Et qu'on te vît changer d'humeur et de méthode. J'aime mieux un Vice commode, Qu'une fatigante Vertu. Adieu, Cléanthis, ma chère Âme, Il me faut suivre Amphitryon. Comme l'Amour ici ne m'offre aucun plaisir, Je m'en veux faire, au moins, qui soient d'autre nature : Et je vais égayer mon sérieux loisir, À mettre Amphitryon hors de toute mesure. Cela n'est pas d'un Dieu bien plein de charité : Mais aussi n'est-ce pas ce dont je m'inquiète ; Et je me sens, par ma Planète, À la malice un peu porté. Holà, tout doucement. Qui frappe ? Qui, moi ? Comment, ouvre ? Et qui donc es-tu, toi ; Qui fais tant de vacarme, et parles de la sorte ? Non : Et n'en ai pas la moindre envie. Hé bien, Sosie : oui, c'est mon nom. As-tu peur que je ne l'oublie ? Fort bien. Qui peut pousser ton Bras, À faire une rumeur si grande ? Et que demandes-tu là-bas ? Que ne demandes-tu donc pas ? Parle, si tu veux qu'on t'entende. Tout beau. Si pour heurter, tu fais la moindre instance, Je t'enverrai d'ici des Messagers fâcheux. Hé bien ! qu'est-ce ? m'as-tu tout parcouru par ordre ? M'as-tu de tes gros yeux assez considéré ? Comme il les écarquille, et paraît effaré ! Si des regards on pouvait mordre, Il m'aurait déjà déchiré. L'Ami, si de ces Lieux tu ne veux disparaître, Tu pourras y gagner quelque contusion. Toi, mon Maître ? Je n'en reconnais point d'autre, qu'Amphitryon. Amphitryon ? Ah ! quelle vision ! Dis-nous un peu. Quel est le Cabaret honnête, Où tu t'es coiffé le cerveau ? Était-ce un Vin à faire fête ? Était-il vieux, ou nouveau ? Le nouveau donne fort dans la tête, Quand on le veut boire sans eau. Passe, mon cher Ami, crois-moi ; Que quelqu'un ici ne t'écoute. Je respecte le Vin : va-t'en, retire-toi ; Et laisse Amphitryon dans les plaisirs qu'il goûte. Fort bien : Qui couvert des Lauriers d'une Victoire pleine, Est auprès de la belle Alcmène, À jouir des douceurs d'un aimable entretien. Après le démêlé d'un amoureux caprice, Ils goûtent le plaisir de s'être rajustés. Garde-toi de troubler leurs douces privautés, Si tu ne veux qu'il ne punisse L'excès de tes témérités. Arrête. Quoi ! tu viens ici mettre ton nez, Impudent Fleureur de Cuisine ? Ah ! vous y retournez ! Je vous ajusterai l'échine. Qui de t'appeler de ce nom, A pu te donner la licence ? Ne t'en ai-je pas fait une expresse défense, Sous peine d'essuyer mille coups de Bâton ? Non, c'est assez d'un seul ; et je suis obstiné, À ne point souffrir de partage. Non, un Frère incommode, et n'est pas de mon goût ; Et je veux être Fils unique. Point du tout. Point de quartier : immuable est la Loi. Si d'entrer là-dedans, tu prends encor l'audace, Mille coups en seront le fruit. Quoi ! ta bouche se licencie, À te donner encore un Nom, que je défends ? Prends garde de tomber dans cette frénésie ; Si tu veux demeurer au nombre des vivants. Que dis-tu ? Tu tiens, je crois, quelque langage. Certain mot de Fils-de-Putain, A pourtant frappé mon oreille : Il n'est rien de plus certain. Adieu. Lorsque le Dos pourra te démanger, Voilà l'Endroit, où je demeure. Oui, vous l'allez voir tous : et sachez, par avance, Que c'est le Grand Maître des Dieux ; Que sous les traits chéris de cette Ressemblance, Alcmène a fait, du Ciel, descendre dans ces Lieux. Et quant à moi, je suis Mercure, Qui ne sachant que faire, ai rossé tant soit peu Celui, dont j'ai pris la Figure : Mais de s'en consoler, il a maintenant lieu ; Et les coups de Bâton d'un Dieu, Font honneur à qui les endure. Je lui donne à présent congé d'être Sosie. Je suis las de porter un Visage si laid ; Et je m'en vais au Ciel, avec de l'Ambrosie, M'en débarbouiller tout à fait. **** *creator_moliere *book_moliere_amphitryon *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_amphitryon *dist2_moliere_verse_comedy *id_nuit *date_1668 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_nuit Ah, ah, c'est vous, Seigneur Mercure ! Qui vous eût deviné là, dans cette posture ? Vous vous moquez, Mercure, et vous n'y songez pas. Sied-il bien à des Dieux de dire qu'ils sont las ? Non ; mais il faut sans cesse Garder le decorum de la Divinité. Il est de certains mots, dont l'usage rabaisse Cette sublime qualité ; Et que, pour leur indignité, Il est bon qu'aux Hommes on laisse. Que voulez-vous faire à cela ? Les poètes font à leur guise. Ce n'est pas la seule sottise, Qu'on voit faire à ces Messieurs-là. Mais contre eux toutefois votre Âme à tort s'irrite, Et vos ailes aux pieds sont un don de leurs soins. Laissons cela, Seigneur Mercure ; Et sachons ce dont il s'agit. J'admire Jupiter ; et je ne comprends pas, Tous les déguisements, qui lui viennent en tête. Passe encor de le voir de ce sublime Étage, Dans celui des Hommes venir ; Prendre tous les transports que leur Cœur peut fournir, Et se faire à leur badinage ; Si dans les changements où son humeur l'engage, À la Nature Humaine il s'en voulait tenir. Mais de voir Jupiter Taureau, Serpent, Cygne, ou quelque autre chose ; Je ne trouve point cela beau, Et ne m'étonne pas, si parfois on en cause. Revenons à l'Objet, dont il a les faveurs. Si par son stratagème, il voit sa flamme heureuse, Que peut-il souhaiter ? et qu'est-ce que je puis ? Voilà sans doute un bel Emploi, Que le Grand Jupiter m'apprête : Et l'on donne un nom fort honnête Au service qu'il veut de moi. Sur de pareilles matières, Vous en savez plus que moi : Et pour accepter l'Emploi, J'en veux croire vos lumières. Laissons ces contrariétés, Et demeurons ce que nous sommes. N'apprêtons point à rire aux Hommes, En nous disant nos vérités. Moi, dans cet Hémisphère, avec ma Suite obscure, Je vais faire une Station. Adieu, Mercure. **** *creator_moliere *book_moliere_amphitryon *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_amphitryon *dist2_moliere_verse_comedy *id_jupiter *date_1668 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_jupiter Défendez, chère Alcmène, aux Flambeaux d'approcher ; Ils m'offrent des plaisirs, en m'offrant votre vue : Mais ils pourraient ici découvrir ma venue, Qu'il est à propos de cacher. Mon amour, que gênaient tous ces soins éclatants, Où me tenait lié la gloire de nos Armes, Au devoir de ma Charge, a volé les instants, Qu'il vient de donner à vos charmes. Ce vol, qu'à vos Beautés mon Cœur a consacré, Pourrait être blâmé dans la bouche publique ; Et j'en veux, pour témoin unique, Celle qui peut m'en savoir gré. Je ne vois rien en vous, dont mon feu ne s'augmente. Tout y marque à mes yeux un Cœur bien enflammé. Et c'est, je vous l'avoue, une chose charmante, De trouver tant d'amour dans un Objet aimé. Mais, si je l'ose dire, un scrupule me gêne, Aux tendres sentiments que vous me faites voir ; Et pour les bien goûter, mon amour, chère Alcmène, Voudrait n'y voir entrer, rien de votre devoir : Qu'à votre seule ardeur ; qu'à ma seule personne, Je dusse les faveurs que je reçois de vous ; Et que la qualité que j'ai de votre Époux, Ne fût point ce qui me les donne. Ah ! ce que j'ai pour vous d'ardeur, et de tendresse, Passe aussi celle d'un Époux ; Et vous ne savez pas, dans des moments si doux, Quelle en est la délicatesse. Vous ne concevez point qu'un Cœur bien amoureux, Sur cent petits égards s'attache avec étude ; Et se fait une inquiétude, De la manière d'être heureux. En moi, belle, et charmante Alcmène, Vous voyez un Mari ; vous voyez un Amant : Mais l'Amant seul me touche, à parler franchement ; Et je sens près de vous, que le Mari le gêne. Cet Amant, de vos vœux, jaloux au dernier point, Souhaite qu'à lui seul votre Cœur s'abandonne ; Et sa passion ne veut point, De ce que le Mari lui donne. Il veut, de pure source, obtenir vos ardeurs ; Et ne veut rien tenir des nœuds de l'Hyménée : Rien d'un fâcheux devoir, qui fait agir les Cœurs, Et par qui, tous les jours, des plus chères faveurs, La douceur est empoisonnée. Dans le scrupule enfin, dont il est combattu, Il veut, pour satisfaire à sa délicatesse, Que vous le sépariez d'avec ce qui le blesse ; Que le Mari ne soit que pour votre vertu ; Et que de votre Cœur, de bonté revêtu, L'Amant ait tout l'amour, et toute la tendresse. Ce discours est plus raisonnable, Alcmène, que vous ne pensez : Mais un plus long séjour me rendrait trop coupable, Et du retour au Port, les moments sont pressés. Adieu, de mon devoir l'étrange barbarie, Pour un temps, m'arrache de vous. Mais, belle Alcmène, au moins, quand vous verrez l'Époux, Songez à l'Amant, je vous prie. Je viens prendre le temps de rapaiser Alcmène ; De bannir les chagrins, que son Cœur veut garder ; Et donner à mes feux, dans ce soin qui m'amène, Le doux plaisir de se raccommoder. Alcmène est là-haut, n'est-ce pas ? Quelque défense qu'elle ait faite, Elle ne sera pas pour moi. Voulez-vous me désespérer ? Hélas ! arrêtez, belle Alcmène. De grâce… Quoi… Ses pleurs touchent mon Âme, et sa douleur m'afflige. Souffrez que mon Cœur… Où voulez-vous aller ? Ce vous est une attente vaine. Je tiens à vos Beautés, par un nœud trop serré, Pour pouvoir un moment en être séparé ; Je vous suivrai partout, Alcmène. Je suis donc bien épouvantable ? En voilà bien, hélas ! que votre bouche dit ! Hé ! que vous a donc fait ma flamme, Pour me pouvoir, Alcmène, en Monstre regarder ? Ah ! d'un Esprit plus adouci… Avez-vous bien le cœur de me traiter ainsi ? Est-ce là cet amour si tendre, Qui devait tant durer, quand je vins hier ici ? Hélas ! que votre amour n'avait guère de force, Si de si peu de chose on le peut voir mourir ! Ce qui n'était que jeu, doit-il faire un divorce, Et d'une raillerie, a-t-on lieu de s'aigrir ? Oui, vous avez raison, Alcmène, il se faut rendre. Cette action, sans doute, est un crime odieux. Je ne prétends plus le défendre : Mais souffrez que mon Cœur s'en défende à vos yeux ; Et donne au vôtre à qui se prendre, De ce transport injurieux. À vous en faire un aveu véritable, L'Époux, Alcmène, a commis tout le mal. C'est l'Époux, qu'il vous faut regarder en coupable. L'Amant n'a point de part à ce transport brutal ; Et de vous offenser, son Cœur n'est point capable. Il a pour vous, ce Cœur, pour jamais y penser, Trop de respect, et de tendresse : Et si de faire rien à vous pouvoir blesser, Il avait eu la coupable faiblesse, De cent coups à vos yeux il voudrait le percer. Mais l'Époux est sorti de ce respect soumis, Où pour vous on doit toujours être. À son dur procédé, l'Époux s'est fait connaître, Et par le droit d'Hymen, il s'est cru tout permis. Oui, c'est lui qui, sans doute, est criminel vers vous. Lui seul a maltraité votre aimable Personne. Haïssez, détestez l'Époux ; J'y consens, et vous l'abandonne : Mais, Alcmène, sauvez l'Amant de ce courroux, Qu'une telle offense vous donne. N'en jetez pas sur lui l'effet. Démêlez-le un peu du coupable ; Et pour être enfin équitable, Ne le punissez point, de ce qu'il n'a pas fait. Hé bien, puisque vous le voulez, Il faut donc me charger du crime. Oui, vous avez raison, lorsque vous m'immolez À vos ressentiments, en coupable Victime. Un trop juste dépit contre moi vous anime ; Et tout ce grand courroux, qu'ici vous étalez, Ne me fait endurer qu'un tourment légitime. C'est avec droit que mon abord vous chasse ; Et que de me fuir en tous Lieux, Votre colère me menace. Je dois vous être un Objet odieux. Vous devez me vouloir un mal prodigieux. Il n'est aucune horreur, que mon forfait ne passe, D'avoir offensé vos beaux yeux. C'est un crime à blesser les Hommes, et les Dieux ; Et je mérite enfin, pour punir cette audace, Que contre moi votre haine ramasse Tous ses traits les plus furieux : Mais mon Cœur vous demande grâce. Pour vous la demander, je me jette à genoux ; Et la demande au nom de la plus vive flamme ; Du plus tendre Amour, dont une Âme Puisse jamais brûler pour vous. Si votre Cœur, charmante Alcmène, Me refuse la grâce, où j'ose recourir ; Il faut qu'une atteinte soudaine, M'arrache, en me faisant mourir, Aux dures rigueurs d'une peine, Que je ne saurais plus souffrir. Oui, cet état me désespère ; Alcmène, ne présumez pas, Qu'aimant, comme je fais, vos célestes appas, Je puisse vivre un jour avec votre colère. Déjà, de ces moments, la barbare longueur, Fait, sous des atteintes mortelles, Succomber tout mon triste Cœur ; Et de mille Vautours, les blessures cruelles, N'ont rien de comparable à ma vive douleur. Alcmène, vous n'avez qu'à me le déclarer, S'il n'est point de pardon que je doive espérer ; Cette Épée aussitôt, par un coup favorable, Va percer à vos yeux, le Cœur d'un Misérable ; Ce Cœur, ce traître Cœur, trop digne d'expirer, Puisqu'il a pu fâcher un Objet adorable. Heureux, en descendant au ténébreux séjour, Si de votre courroux mon trépas vous ramène ; Et ne laisse en votre Âme, après ce triste jour, Aucune impression de haine, Au souvenir de mon amour. C'est tout ce que j'attends, pour faveur souveraine. Dites, parlez, Alcmène. Quelque ressentiment, qu'un outrage nous cause, Tient-il contre un remords d'un Cœur bien enflammé ? Plus on aime quelqu'un, moins on trouve de peine… Vous me haïssez donc ? Mais pourquoi cette violence, Puisque pour vous venger, je vous offre ma mort ? Prononcez-en l'Arrêt, et j'obéis sur l'heure. Et moi, je ne puis vivre, à moins que vous quittiez Cette colère qui m'accable ; Et que vous m'accordiez le pardon favorable, Que je vous demande à vos pieds. Résolvez ici l'un des deux, Ou de punir, ou bien d'absoudre. Ah ! belle Alcmène, il faut que comblé d'allégresse… Va, Sosie, et dépêche-toi, Voir, dans les doux transports dont mon Âme est charmée, Ce que tu trouveras d'Officiers de l'Armée, Et les invite à dîner avec moi. Tandis que d'ici je le chasse, Mercure y remplira sa place. Quel bruit à descendre m'oblige ? Et qui frappe en Maître où je suis ? Tout beau, l'emportement est fort peu nécessaire ; Et lorsque de la sorte on se met en colère, On fait croire qu'on a de mauvaises raisons. Oui, vous avez raison : et cette ressemblance, À douter de tous deux, vous peut autoriser. Je ne m'offense point de vous voir en balance : Je suis plus raisonnable, et sais vous excuser. L'œil ne peut entre nous faire de différence ; Et je vois qu'aisément on s'y peut abuser. Vous ne me voyez point témoigner de colère ; Point mettre l'Épée à la main. C'est un mauvais moyen d'éclaircir ce mystère ; Et j'en puis trouver un plus doux, et plus certain. L'un de nous est Amphitryon ; Et tous deux, à vos yeux, nous le pouvons paraître. C'est à moi de finir cette confusion ; Et je prétends me faire à tous si bien connaître, Qu'aux pressantes clartés de ce que je puis être, Lui-même soit d'accord du sang qui m'a fait naître, Il n'ait plus de rien dire aucune occasion. C'est aux yeux des Thébains, que je veux avec vous, De la vérité pure, ouvrir la connaissance ; Et la chose sans doute est assez d'importance, Pour affecter la circonstance, De l'éclaircir aux yeux de tous. Alcmène attend de moi ce public témoignage. Sa vertu, que l'éclat de ce désordre outrage, Veut qu'on la justifie, et j'en vais prendre soin. C'est à quoi mon amour envers elle m'engage ; Et des plus nobles Chefs, je fais un assemblage, Pour l'éclaircissement, dont sa gloire a besoin. Attendant avec vous ces Témoins souhaités, Ayez, je vous prie, agréable De venir honorer la Table, Où vous a Sosie invités. Hé bien, je les attends ; et saurai décider Le différend en leur présence. À ces injurieux propos Je ne daigne à présent répondre ; Et tantôt je saurai confondre Cette Fureur, avec deux mots. Il ne sera pas nécessaire ; Et l'on verra tantôt, que je ne fuirai pas. Point de façons, je vous conjure : Entrons vite dans la Maison. Regarde, Amphitryon, quel est ton Imposteur ; Et sous tes propres traits, vois Jupiter paraître. À ces marques, tu peux aisément le connaître ; Et c'est assez, je crois, pour remettre ton Cœur Dans l'état auquel il doit être, Et rétablir chez toi, la paix, et la douceur. Mon nom, qu'incessamment toute la Terre adore, Étouffe ici les bruits, qui pouvaient éclater. Un partage avec Jupiter, N'a rien du tout, qui déshonore : Et sans doute, il ne peut être que glorieux, De se voir le Rival du Souverain des Dieux. Je n'y vois, pour ta flamme, aucun lieu de murmure ; Et c'est moi, dans cette aventure, Qui tout Dieu que je suis, dois être le Jaloux. Alcmène est toute à toi, quelque soin qu'on emploie ; Et ce doit à tes feux être un Objet bien doux, De voir, que pour lui plaire, il n'est point d'autre voie, Que de paraître son Époux : Que Jupiter, orné de sa gloire immortelle, Par lui-même, n'a pu triompher de sa foi ; Et que ce qu'il a reçu d'elle, N'a, par son Cœur ardent, été donné qu'à toi. Sors donc des noirs chagrins, que ton Cœur a soufferts ; Et rends le calme entier à l'ardeur, qui te brûle. Chez toi, doit naître un Fils, qui sous le nom d'Hercule, Remplira de ses faits, tout le vaste Univers. L'éclat d'une Fortune, en mille biens féconde, Fera connaître à tous que je suis ton support, Et je mettrai tout le Monde Au point d'envier ton Sort. Tu peux hardiment te flatter De ces espérances données : C'est un crime, que d'en douter. Les paroles de Jupiter, Sont des Arrêts des Destinées. **** *creator_moliere *book_moliere_amphitryon *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_amphitryon *dist2_moliere_verse_comedy *id_amphitryon *date_1668 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_amphitryon Viens çà, Bourreau, viens çà. Sais-tu, Maître Fripon, Qu'à te faire assommer, ton discours peut suffire ? Et que pour te traiter comme je le désire, Mon courroux n'attend qu'un Bâton ? Quoi ! tu veux me donner pour des vérités, Traître, Des contes que je vois d'extravagance outrés ? Çà, je veux étouffer le courroux qui m'enflamme, Et, tout du long, t'ouïr sur ta Commission. Il faut, avant que voir ma Femme, Que je débrouille ici cette confusion. Rappelle tous tes sens ; rentre bien dans ton Âme ; Et réponds, mot pour mot, à chaque Question. Non, je ne te veux obliger, Qu'à me rendre de tout un compte fort sincère. Sur l'ordre que tantôt je t'avais su prescrire ? Comment, Coquin ? Voilà comme un Valet montre pour nous du zèle. Passons. Sur les chemins, que t'est-il arrivé ? Poltron ! Arrivant au logis ? Ensuite ? Et qui ? Quels contes ! D'où peut procéder, je te prie, Ce galimatias maudit ? Est-ce songe ? est-ce ivrognerie ? Aliénation d'Esprit ? Ou méchante plaisanterie ? Il faut être, je le confesse, D'un Esprit bien posé, bien tranquille, bien doux, Pour souffrir qu'un Valet, de Chansons me repaisse. Non, sans emportement, je te veux écouter. Je l'ai promis. Mais dis, en bonne conscience, Au mystère nouveau que tu me viens conter, Est-il quelque ombre d'apparence ? Le moyen d'en rien croire, à moins qu'être insensé ? À quelle patience il faut que je m'exhorte ! Mais enfin, n'es-tu pas entré dans la Maison ? Comment donc ? On t'a battu ? Et qui ? Toi, te battre ? Te confonde le Ciel, de me parler ainsi ! Achevons. As-tu vu ma Femme ? Pourquoi ? Qui t'a fait y manquer, Maraud ; explique-toi ? Il faut que ce matin, à force de trop boire, Il se soit troublé le Cerveau. Il faut donc qu'au sommeil, tes sens se soient portés ? Et qu'un Songe fâcheux, dans ses confus mystères, T'ait fait voir toutes les chimères, Dont tu me fais des vérités. Suis-moi, je t'impose silence, C'est trop me fatiguer l'Esprit. Et je suis un vrai Fou, d'avoir la patience, D'écouter d'un Valet, les sottises qu'il dit. Entrons, sans davantage attendre. Mais Alcmène paraît avec tous ses appas : En ce moment, sans doute, elle ne m'attend pas, Et mon abord la va surprendre. Fasse le Ciel, qu'Amphitryon vainqueur, Avec plaisir soit revu de sa Femme ; Et que ce jour favorable à ma flamme, Vous redonne à mes yeux, avec le même cœur : Que j'y retrouve autant d'ardeur, Que vous en rapporte mon Âme. Certes, c'est en ce jour, Me donner de vos feux, un mauvais témoignage ; Et ce Quoi si tôt de retour, En ces occasions, n'est guère le langage D'un Cœur bien enflammé d'amour. J'osais me flatter en moi-même, Que loin de vous j'aurais trop demeuré. L'attente d'un retour ardemment désiré, Donne à tous les instants une longueur extrême ; Et l'absence de ce qu'on aime, Quelque peu qu'elle dure, a toujours trop duré. Non, Alcmène, à son impatience, On mesure le temps en de pareils états ; Et vous comptez les moments de l'absence, En Personne qui n'aime pas. Lorsque l'on aime comme il faut, Le moindre éloignement nous tue ; Et ce dont on chérit la vue, Ne revient jamais assez tôt. De votre accueil, je le confesse, Se plaint ici mon amoureuse ardeur ; Et j'attendais de votre Cœur, D'autres transports de joie, et de tendresse. Comment ? Que me dites-vous là ? Est-ce que du retour, que j'ai précipité, Un Songe, cette nuit, Alcmène, dans votre Âme, A prévenu la vérité ? Et que m'ayant, peut-être, en dormant, bien traité, Votre Cœur se croit, vers ma flamme, Assez amplement acquitté ? Cette vapeur, dont vous me régalez, Est un peu, ce me semble, étrange. À moins d'un Songe, on ne peut pas, sans doute, Excuser ce qu'ici, votre bouche me dit. Laissons un peu cette vapeur, Alcmène. Sur le sujet dont il est question, Il n'est guère de jeu, que trop loin on ne mène. Est-ce donc que par là, vous voulez essayer, À réparer l'accueil dont je vous ai fait plainte ? Ah ! de grâce, cessons, Alcmène, je vous prie ; Et parlons sérieusement. Quoi ! vous osez me soutenir en face, Que plus tôt qu'à cette heure, on m'ait ici pu voir ? Moi, je vins hier ? Ciel ! un pareil débat s'est-il pu voir encore ! Et qui, de tout ceci, ne serait étonné ? Sosie ? Alcmène, au nom de tous les Dieux, Ce discours a d'étranges suites, Reprenez vos sens un peu mieux ; Et pensez à ce que vous dites. Quoi ! je vous ai déjà donné Le Nœud de Diamants que j'eus pour mon partage, Et que je vous ai destiné ? Et comment ? Sosie ! Le Cachet est entier. Ah Ciel ! ô juste Ciel ! Romps vite ce cachet. Ô Dieux, dont le pouvoir sur les choses préside, Quelle est cette aventure ! et qu'en puis-je augurer, Dont mon amour ne s'intimide ! Tais-toi. Ô Ciel ! quel étrange embarras ! Je vois des incidents qui passent la Nature ; Et mon honneur redoute une aventure, Que mon Esprit ne comprend pas ! Non ; mais à ce retour, daignez, s'il est possible, Me conter ce qui s'est passé. Pardonnez-moi ; mais j'ai certaine cause, Qui me fait demander ce récit entre nous. Peut-être ; mais enfin, vous me ferez plaisir De m'en dire toute l'Histoire. Ah ! d'un si doux accueil je me serais passé. Peut-on plus vivement se voir assassiné ! Ensuite, s'il vous plaît. Ensemble ? Ah ! c'est ici le coup le plus cruel de tous ! Et dont à s'assurer, tremblait mon feu jaloux ! Non, ce n'était pas moi, pour ma douleur sensible. Et qui dit qu'hier ici mes pas se sont portés, Dit, de toutes les faussetés, La fausseté la plus horrible. Perfide ! Non, non, plus de douceur, et plus de déférence. Ce revers vient à bout de toute ma constance, Et mon Cœur ne respire, en ce fatal moment, Et que fureur, et que vengeance. Je ne sais pas : mais ce n'était pas moi ; Et c'est un désespoir, qui de tout rend capable. Après l'indigne affront que l'on me fait connaître, C'est bien à quoi, sans doute, il faut vous préparer. C'est le moins qu'on doit voir ; et les choses, peut-être, Pourront n'en pas là demeurer. Le déshonneur est sûr ; mon malheur m'est visible, Et mon amour en vain voudrait me l'obscurcir. Mais le détail encor ne m'en est pas sensible ; Et mon juste courroux prétend s'en éclaircir. Votre Frère déjà, peut hautement répondre, Que jusqu'à ce matin, je ne l'ai point quitté. Je m'en vais le chercher, afin de vous confondre, Sur ce retour, qui m'est faussement imputé. Après nous percerons jusqu'au fond d'un mystère Jusques à présent inouï ; Et dans les mouvements d'une juste colère, Malheur à qui m'aura trahi. Ne m'accompagne pas ; Et demeure ici, pour m'attendre. Oui, sans doute, le Sort tout exprès me le cache ; Et des tours que je fais, à la fin, je suis las. Il n'est point de Destin plus cruel, que je sache. Je ne saurais trouver, portant partout mes pas, Celui qu'à chercher je m'attache ; Et je trouve tous ceux que je ne cherche pas. Mille Fâcheux cruels, qui ne pensent pas l'être, De nos faits, avec moi, sans beaucoup me connaître, Viennent se réjouir, pour me faire enrager. Dans l'embarras cruel du souci qui me blesse, De leurs embrassements, et de leur allégresse, Sur mon inquiétude, ils viennent tous charger. En vain à passer je m'apprête, Pour fuir leurs persécutions. Leur tuante amitié, de tous côtés m'arrête ; Et tandis qu'à l'ardeur de leurs expressions, Je réponds d'un geste de tête ; Je leur donne, tout bas, cent malédictions. Ah ! qu'on est peu flatté de louange, d'honneur, Et de tout ce que donne une grande Victoire, Lorsque dans l'Âme on souffre une vive douleur ! Et que l'on donnerait volontiers cette gloire, Pour avoir le repos du Cœur ! Ma jalousie, à tout propos, Me promène sur ma disgrâce ; Et plus mon Esprit y repasse, Moins j'en puis débrouiller le funeste chaos. Le vol des Diamants n'est pas ce qui m'étonne : On lève les Cachets, qu'on ne l'aperçoit pas. Mais le don, qu'on veut qu'hier j'en vins faire en personne, Est ce qui fait ici mon cruel embarras. La Nature parfois produit des Ressemblances, Dont quelques Imposteurs ont pris droit d'abuser : Mais il est hors de sens, que sous ces apparences Un Homme, pour Époux, se puisse supposer ; Et dans tous ces rapports, sont mille différences, Dont se peut une Femme aisément aviser. Des charmes de la Thessalie, On vante de tout temps les merveilleux effets : Mais les contes fameux, qui partout en sont faits, Dans mon Esprit toujours ont passé pour folie ; Et ce serait du Sort une étrange rigueur, Qu'au sortir d'une ample Victoire, Je fusse contraint de les croire, Aux dépens de mon propre honneur. Je veux la retâter sur ce fâcheux mystère ; Et voir si ce n'est point une vaine chimère, Qui sur ses sens troublés ait su prendre crédit. Ah ! fasse le Ciel équitable, Que ce penser soit véritable ; Et que, pour mon bonheur, elle ait perdu l'Esprit ! D'où vient donc qu'à cette heure on ferme cette Porte ? Moi. Ah ! ouvre. Quoi ! tu ne me connais pas ? Tout le Monde perd-il aujourd'hui la raison ? Est-ce un mal répandu ? Sosie, holà, Sosie. Me vois-tu bien ? Moi, Pendard, ce que je demande ? Attends, Traître, avec un Bâton Je vais là-haut me faire entendre ; Et de bonne façon t'apprendre À m'oser parler sur ce ton. Ô Ciel ! vit-on jamais une telle insolence ! La peut-on concevoir d'un Serviteur ; d'un Gueux ? Moi-même je frémis de ce que tu t'apprêtes, Avec ces impudents propos. Que tu grossis pour toi d'effroyables tempêtes ! Quels orages de coups vont fondre sur ton Dos ! Ah ! tu sauras Maraud, à ta confusion, Ce que c'est qu'un Valet, qui s'attaque à son Maître. Oui, Coquin. M'oses-tu méconnaître ? Et cet Amphitryon, qui, hors moi, le peut être ? Sans doute. Comment ! encor ! Ciel ! Que de coups ! Ah ! je t'arracherai cette Langue, sans doute. Comment ! Amphitryon est là-dedans ? Ah ! quel étrange coup m'a-t-il porté dans l'Âme ? En quel trouble cruel jette-t-il mon Esprit ? Et si les choses sont, comme le Traître dit, Où vois-je ici réduits mon honneur, et ma flamme ? À quel Parti me doit résoudre ma raison ? Ai-je l'éclat, ou le secret, à prendre ? Et dois-je en mon courroux renfermer, ou répandre Le déshonneur de ma Maison ? Ah ! faut-il consulter dans un affront si rude ? Je n'ai rien à prétendre, et rien à ménager ; Et toute mon inquiétude Ne doit aller qu'à me venger. Ah ! vous voilà ? Insolent, téméraire. Je vous apprendrai de me traiter ainsi. Ce que j'ai, Misérable ? Tu me le demandes, Maraud ? Laissez-moi satisfaire un courroux légitime. Comment ! il vient d'avoir l'audace, De me fermer ma Porte au nez ! Et de joindre encor la menace, À mille propos effrénés ! Ah ! Coquin. Non, il faut qu'il ait le salaire Des mots, où tout à l'heure, il s'est émancipé. Qui t'a donné cet Ordre ? Et quand ? Ô Ciel ! chaque instant, chaque pas, Ajoute quelque chose à mon cruel martyre ! Et dans ce fatal embarras, Je ne sais plus que croire, ni que dire. Allons, vous y pourrez seconder mon effort ; Et le Ciel à propos, ici vous a fait rendre. Voyons quelle fortune en ce jour peut m'attendre. Débrouillons ce mystère, et sachons notre Sort. Hélas ! je brûle de l'apprendre ; Et je le crains plus que la Mort ! Que vois-je, justes Dieux ! Mon Âme demeure transie. Hélas ! Je n'en puis plus ; l'aventure est à bout : Ma destinée est éclaircie ; Et ce que je vois, me dit tout. C'est trop être éludés par un Fourbe exécrable, Il faut, avec ce Fer, rompre l'enchantement. Laissez-moi. Punir, d'un Imposteur, les lâches trahisons. Je te ferai, pour ton partage, Sentir, par mille coups, ces propos outrageants. Laissez-moi m'assouvir dans mon courroux extrême, Et laver mon affront au sang d'un Scélérat. Quoi ! mon honneur, de vous, reçoit ce traitement ? Et mes Amis, d'un Fourbe, embrassent la défense ? Loin d'être les premiers à prendre ma vengeance, Eux-mêmes font obstacle à mon ressentiment ? Ô Ciel ! puis-je plus bas me voir humilié ! Quoi ? faut-il que j'entende ici, pour mon martyre, Tout ce que l'Imposteur, à mes yeux, vient de dire ; Et que dans la fureur, que ce discours m'inspire, On me tienne le Bras lié ! Allez, faibles Amis, et flattez l'imposture. Thèbes en a pour moi de tout autres que vous : Et je vais en trouver, qui partageant l'injure, Sauront prêter la main à mon juste courroux. Fourbe, tu crois par là, peut-être, t'évader : Mais rien ne te saurait sauver de ma vengeance. Le Ciel même, le Ciel, ne t'y saurait soustraire : Et jusques aux Enfers, j'irai suivre tes pas. Allons, courons, avant que d'avec eux il sorte, Assembler des Amis, qui suivent mon courroux ; Et chez moi venons à main forte, Pour le percer de mille coups. Arrêtez là, Messieurs. Suivez-nous d'un peu loin ; Et n'avancez tous, je vous prie, Que quand il en sera besoin. Ah ! de tous les côtés, mortelle est ma douleur ! Et je souffre pour ma flamme, Autant que pour mon honneur. Ah ! sur le fait dont il s'agit, L'erreur simple devient un crime véritable, Et sans consentement, l'Innocence y périt. De semblables erreurs, quelque jour qu'on leur donne, Touchent des endroits délicats : Et la Raison bien souvent les pardonne ; Que l'Honneur, et l'Amour, ne les pardonnent pas. Allons. Lève-toi. Que fait-on ? Suis-moi. Qui t'épouvante ainsi ? Quelle est la peur, que je t'inspire ? **** *creator_moliere *book_moliere_amphitryon *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_amphitryon *dist2_moliere_verse_comedy *id_alcmene *date_1668 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_alcmene Je prends, Amphitryon, grande part à la gloire, Que répandent sur vous vos illustres Exploits ; Et l'éclat de votre Victoire Sait toucher de mon Cœur les sensibles endroits. Mais quand je vois que cet honneur fatal Éloigne de moi ce que j'aime, Je ne puis m'empêcher dans ma tendresse extrême, De lui vouloir un peu de mal ; Et d'opposer mes vœux à cet Ordre suprême, Qui des Thébains vous fait le Général. C'est une douce chose, après une Victoire, Que la Gloire, où l'on voit ce qu'on aime élevé : Mais parmi les périls mêlés à cette Gloire, Un triste coup, hélas ! est bientôt arrivé. De combien de frayeurs a-t-on l'Âme blessée, Au moindre choc dont on entend parler ? Voit-on, dans les horreurs d'une telle pensée, Par où jamais se consoler Du coup, dont on est menacée ? Et de quelque Laurier qu'on couronne un Vainqueur ; Quelque part que l'on ait à cet honneur suprême ; Vaut-il ce qu'il en coûte aux tendresses d'un Cœur, Qui peut, à tout moment, trembler pour ce qu'il aime ? C'est de ce Nom pourtant, que l'ardeur qui me brûle, Tient le droit de paraître au jour : Et je ne comprends rien à ce nouveau scrupule, Dont s'embarrasse votre amour. Amphitryon, en vérité, Vous vous moquez, de tenir ce langage : Et j'aurais peur qu'on ne vous crût pas sage, Si de quelqu'un vous étiez écouté. Je ne sépare point ce qu'unissent les Dieux ; Et l'Époux, et l'Amant, me sont fort précieux. Allons pour mon Époux, Cléanthis, vers les Dieux, Nous acquitter de nos hommages ; Et les remercier des succès glorieux, Dont Thèbes, par son Bras, goûte les avantages. Ô Dieux ! Quoi ! de retour si tôt ? Je ne vois… J'ai peine à comprendre sur quoi Vous fondez les discours que je vous entends faire ; Et si vous vous plaignez de moi, Je ne sais pas, de bonne foi, Ce qu'il faut, pour vous satisfaire. Hier au soir, ce me semble, à votre heureux retour, On me vit témoigner une joie assez tendre ; Et rendre aux soins de votre amour, Tout ce que de mon Cœur, vous aviez lieu d'attendre. Ne fis-je pas éclater à vos yeux, Les soudains mouvements d'une entière allégresse ? Et le transport d'un Cœur peut-il s'expliquer mieux, Au retour d'un Époux, qu'on aime avec tendresse ? Que même votre amour Montra, de mon accueil, une joie incroyable : Et que m'ayant quittée à la pointe du jour, Je ne vois pas qu'à ce soudain retour, Ma surprise soit si coupable. Est-ce qu'une vapeur, par sa malignité, Amphitryon, a dans votre Âme, Du retour d'hier au soir, brouillé la vérité ? Et que du doux accueil duquel je m'acquittai, Votre Cœur prétend à ma flamme, Ravir toute l'honnêteté ? C'est ce qu'on peut donner pour change, Au Songe dont vous me parlez. À moins d'une vapeur, qui vous trouble l'Esprit, On ne peut pas sauver, ce que de vous j'écoute. Laissons un peu ce Songe, Amphitryon. Sans doute ; et pour marque certaine, Je commence à sentir un peu d'émotion. Est-ce donc que par cette feinte, Vous désirez vous égayer ? Amphitryon, c'est trop pousser l'amusement ; Finissons cette raillerie. Quoi ! vous voulez nier avec audace, Que dès hier, en ces Lieux, vous vîntes sur le soir ? Sans doute. Et dès devant l'Aurore, Vous vous en êtes retourné. J'y pense mûrement aussi, Et tous ceux du Logis ont vu votre arrivée. J'ignore quel motif vous fait agir ainsi : Mais si la chose avait besoin d'être prouvée ; S'il était vrai qu'on pût ne s'en souvenir pas ; De qui puis-je tenir, que de vous, la nouvelle Du dernier de tous vos Combats ? Et les cinq Diamants que portait Ptérélas, Qu'a fait, dans la Nuit éternelle, Tomber l'effort de votre bras ? En pourrait-on vouloir un plus sûr témoignage ? Assurément. Il n'est pas difficile De vous en bien convaincre. Le voici. Est-ce une Vision ? Tenez. Trouverez-vous cette preuve assez forte ? Allez, Amphitryon, Vous vous moquez, d'en user de la sorte ; Et vous en devriez avoir confusion. Sur quoi vous étonner si fort ? Et d'où peut naître ce grand trouble ! Songez-vous, en tenant cette preuve sensible, À me nier encor votre retour pressé ? Puisque vous demandez un récit de la chose, Vous voulez dire donc que ce n'était pas vous ? Les soucis importants, qui vous peuvent saisir, Vous ont-ils fait si vite en perdre la mémoire ? L'Histoire n'est pas longue. À vous je m'avançai, Pleine d'une aimable surprise : Tendrement je vous embrassai ; Et témoignai ma joie, à plus d'une reprise. Vous me fîtes d'abord ce Présent d'importance, Que du Butin conquis vous m'aviez destiné. Votre Cœur, avec véhémence, M'étala de ses feux toute la violence, Et les soins importuns qui l'avaient enchaîné ; L'aise de me revoir ; les tourments de l'absence ; Tout le souci, que son impatience, Pour le retour, s'était donné. Et jamais votre amour, en pareille occurrence, Ne me parut si tendre, et si passionné. Tous ces transports, toute cette tendresse, Comme vous croyez bien, ne me déplaisaient pas : Et s'il faut que je le confesse, Mon Cœur, Amphitryon, y trouvait mille appas. Nous nous entrecoupâmes De mille Questions, qui pouvaient nous toucher. On servit. Tête-à-tête, ensemble nous soupâmes ; Et le Souper fini, nous nous fûmes coucher. Assurément. Quelle est cette demande ? D'où vous vient, à ce mot, une rougeur si grande ? Ai-je fait quelque mal, de coucher avec vous ? Amphitryon ! Ah ! quel emportement ! De qui donc vous venger ? et quel manque de foi, Vous fait ici me traiter de coupable ? Allez, indigne Époux, le fait parle de soi ; Et l'imposture est effroyable. C'est trop me pousser là-dessus ; Et d'infidélité, me voir trop condamnée. Si vous cherchez, dans ces transports confus, Un prétexte à briser les nœuds d'un Hyménée, Qui me tient à vous enchaînée ; Tous ces détours sont superflus : Et me voilà déterminée, À souffrir qu'en ce jour, nos liens soient rompus. Je ne puis rien entendre : Laisse-moi seule, et ne suis point mes pas. Non, avec l'Auteur de ma peine, Je ne puis du tout demeurer. Laissez-moi. Laissez-moi, vous dis-je. Non, ne suivez point mes pas. Où vous ne serez pas. Et moi, partout je vous fuirai. Plus qu'on ne peut dire, à mes yeux. Oui, je vous vois, comme un Monstre effroyable ; Un Monstre cruel, furieux, Et dont l'approche est redoutable ; Comme un Monstre à fuir en tous Lieux. Mon Cœur souffre, à vous voir, une peine incroyable. C'est un supplice, qui m'accable ; Et je ne vois rien, sous les Cieux, D'affreux, d'horrible, d'odieux, Qui ne me fût, plus que vous, supportable. J'en ai dans le Cœur davantage. Et pour s'exprimer tout, ce Cœur a du dépit, De ne point trouver de langage. Ah ! juste Ciel ! cela peut-il se demander ? Et n'est-ce pas pour mettre à bout une Âme ? Non, je ne veux, du tout, vous voir, ni vous entendre. Non, non, ce ne l'est pas ; et vos lâches injures En ont autrement ordonné. Il n'est plus, cet amour tendre, et passionné ; Vous l'avez dans mon Cœur, par cent vives blessures, Cruellement assassiné. C'est en sa place un courroux inflexible ; Un vif ressentiment ; un dépit invincible ; Un désespoir d'un Cœur justement animé ; Qui prétend vous haïr, pour cet affront sensible, Autant qu'il est d'accord de vous avoir aimé : Et c'est haïr, autant qu'il est possible. Ah ! c'est cela dont je suis offensée ; Et que ne peut pardonner mon courroux. Des véritables traits d'un mouvement jaloux, Je me trouverais moins blessée. La Jalousie a des impressions, Dont bien souvent la force nous entraîne ; Et l'Âme la plus sage en ces occasions, Sans doute, avec assez de peine, Répond de ses émotions ; L'emportement d'un Cœur, qui peut s'être abusé, A de quoi ramener une Âme, qu'il offense ; Et dans l'amour qui lui donne naissance, Il trouve au moins, malgré toute sa violence, Des raisons pour être excusé. De semblables transports, contre un ressentiment, Pour défense toujours, ont ce qui les fait naître ; Et l'on donne grâce, aisément, À ce dont on n'est pas le Maître. Mais que de Gaieté de cœur, On passe aux mouvements d'une fureur extrême ; Que sans cause l'on vienne, avec tant de rigueur, Blesser la tendresse, et l'honneur D'un Cœur, qui chèrement nous aime ? Ah ! c'est un coup trop cruel en lui-même ; Et que jamais n'oubliera ma douleur. Ah ! toutes ces subtilités N'ont que des excuses frivoles ; Et pour les Esprits irrités, Ce sont des contretemps, que de telles paroles. Ce détour ridicule est en vain pris par vous. Je ne distingue rien en celui qui m'offense. Tout y devient l'objet de mon courroux ; Et dans sa juste violence, Sont confondus, et l'Amant, et l'Époux. Tous deux de même sorte occupent ma pensée ; Et des mêmes couleurs, par mon Âme blessée, Tous deux ils sont peints à mes yeux. Tous deux sont criminels ; tous deux m'ont offensée ; Et tous deux me sont odieux. Ah ! trop cruel Époux ! Faut-il encor pour vous, conserver des bontés ; Et vous voir m'outrager, par tant d'indignités ? Un Cœur bien plein de flamme, à mille morts s'expose, Plutôt que de vouloir fâcher l'Objet aimé. Non, ne m'en parlez point, vous méritez ma haine. J'y fais tout mon effort ; Et j'ai dépit de voir, que toute votre offense Ne puisse de mon Cœur, jusqu'à cette vengeance, Faire encore aller le transport. Qui ne saurait haïr, peut-il vouloir qu'on meure ? Hélas ! ce que je puis résoudre, Paraît bien plus, que je ne veux ! Pour vouloir soutenir le courroux qu'on me donne, Mon Cœur a trop su me trahir. Dire qu'on ne saurait haïr, N'est-ce pas dire qu'on pardonne ? Laissez. Je me veux mal de mon trop de faiblesse. **** *creator_moliere *book_moliere_amphitryon *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_amphitryon *dist2_moliere_verse_comedy *id_cleanthis *date_1668 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_cleanthis Ô Ciel ! que d'aimables caresses D'un Époux ardemment chéri ! Et que mon traître de Mari Est loin de toutes ces tendresses ! Quoi ! c'est ainsi que l'on me quitte ? Mais avec cette brusquerie, Traître, de moi te séparer ! Mais quoi ! partir ainsi d'une façon brutale, Sans me dire un seul mot de douceur pour régale ? Regarde, Traître, Amphitryon, Vois combien, pour Alcmène, il étale de flamme, Et rougis là-dessus, du peu de passion, Que tu témoignes pour ta Femme. Quoi ! suis-je hors d'état, Perfide, d'espérer Qu'un Cœur auprès de moi soupire ? Mérites-tu, Pendard, cet insigne bonheur, De te voir, pour Épouse, une Femme d'honneur ? Comment ! de trop bien vivre, on te voit me blâmer ? Il te faudrait des Cœurs pleins de fausses tendresses ; De ces Femmes aux beaux et louables talents, Qui savent accabler leurs Maris de caresses, Pour leur faire avaler l'usage des Galants. Comment ! tu souffrirais, sans nulle répugnance, Que j'aimasse un Galant avec toute licence ? Pourquoi, pour punir cet Infâme, Mon Cœur n'a-t-il assez de résolution ? Ah ! que dans cette occasion, J'enrage d'être honnête Femme ! Faut-il… Il faut que quelque chose ait brouillé sa cervelle : Mais le Frère, sur-le-champ, Finira cette querelle. Voyez s'il me viendra seulement aborder ? Mais je veux m'empêcher de rien faire paraître. Ah, ah, tu t'en avises, Traître, de t'approcher de nous ! Qu'appelles-tu sur rien ? dis ? Je ne sais qui me tient, Infâme, Que je ne t'arrache les yeux ; Et ne t'apprenne où va le courroux d'une Femme. Tu n'appelles donc rien le procédé, peut-être, Qu'avec moi ton Cœur a tenu ? Quoi ! tu fais l'ingénu ! Est-ce qu'à l'exemple du Maître, Tu veux dire qu'ici tu n'es pas revenu ? Tu crois, peut-être, excuser par ce trait… Tu ne te souviens point du tout de la manière, Dont tu m'as su traiter, étant venu du Port ? Comment ! Amphitryon m'ayant su disposer, Jusqu'à ce que tu vins, j'avais poussé ma veille : Mais je ne vis jamais une froideur pareille : De ta Femme, il fallut moi-même t'aviser ; Et lorsque je fus te baiser, Tu détournas le nez, et me donnas l'oreille ! Comment, bon ? Je te sus exprimer des tendresses de Cœur : Mais à tous mes discours tu fus comme une Souche. Et jamais un mot de douceur, Ne te put sortir de la bouche. Enfin ma flamme eut beau s'émanciper, Sa chaste ardeur en toi ne trouva rien que glace ; Et dans un tel retour je te vis la tromper, Jusqu'à faire refus de prendre au Lit la place, Que les Lois de l'Hymen t'obligent d'occuper. Non, lâche. Traître, il n'est que trop assuré. C'est de tous les affronts, l'affront le plus sensible. Et loin que ce matin, ton Cœur l'ait réparé ; Tu t'es d'avec moi séparé, Par des discours chargés d'un mépris tout visible. Hé quoi ? ma plainte a cet effet ? Tu ris après ce bel Ouvrage ? Exprime-t-on ainsi le regret d'un outrage ? Loin de te condamner d'un si perfide trait, Tu m'en fais éclater la joie en ton visage. Traître, te moques-tu de moi ? Quelle est cette frayeur ? et sachons donc pourquoi ? Je me moque des Médecins, Avec leurs raisonnements fades. Qu'ils règlent ceux qui sont malades, Sans vouloir gouverner les Gens qui sont bien sains. Ils se mêlent de trop d'Affaires, De prétendre tenir nos chastes feux gênés ; Et sur les Jours Caniculaires, Ils nous donnent encore, avec leurs Lois sévères, De cent sots contes par le nez. Non : je soutiens que, cela conclut mal, Ces raisons sont raisons d'extravagantes Têtes. Il n'est ni Vin, ni temps, qui puisse être fatal, À remplir le devoir de l'Amour conjugal ; Et les Médecins sont des Bêtes. Tu n'es pas où tu crois. En vain tu files doux. Ton excuse n'est point une excuse de mise : Et je me veux venger, tôt ou tard, entre nous, De l'air dont chaque jour je vois qu'on me méprise. Des discours de tantôt, je garde tous les coups, Et tâcherai d'user, lâche et perfide Époux, De cette liberté que ton Cœur m'a permise. Tu m'as dit tantôt, que tu consentais fort, Lâche, que j'en aimasse un autre. Si je puis une fois pourtant, Sur mon Esprit gagner la chose… Oui, pleine d'une inquiétude, Qui cherche de la solitude ; Et qui m'a défendu d'accompagner ses pas. Son chagrin, à ce que je vois, A fait une prompte retraite. Que si toutes nous faisions bien, Nous donnerions tous les Hommes au Diable ; Et que le meilleur n'en vaut rien. Vraiment… C'est pour ton nez, vraiment. Cela se fait ainsi. Non. Là, là, reviens. Va, va, Traître, laisse-moi faire ; On se lasse, parfois, d'être Femme de bien. Ô Ciel ! Las ! vous êtes là-haut, et je vous vois ici ! **** *creator_moliere *book_moliere_amphitryon *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_amphitryon *dist2_moliere_verse_comedy *id_sosie *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_sosie Qui va là ? Heu ? Ma peur, à chaque pas s'accroît. Messieurs, Ami de tout le Monde. Ah ! quelle audace sans seconde, De marcher à l'heure qu'il est ! Que mon Maître couvert de gloire, Me joue ici d'un vilain tour ! Quoi ! si pour son Prochain il avait quelque amour, M'aurait-il fait partir par une nuit si noire ? Et pour me renvoyer annoncer son retour, Et le détail de sa Victoire, Ne pouvait-il pas bien attendre qu'il fût jour ? Sosie, à quelle servitude Tes jours sont-ils assujettis ! Notre Sort est beaucoup plus rude Chez les Grands, que chez les Petits. Ils veulent que pour eux tout soit dans la Nature Obligé de s'immoler. Jour et Nuit, Grêle, Vent, Péril, Chaleur, Froidure, Dès qu'ils parlent, il faut voler. Vingt ans d'assidu service, N'en obtiennent rien pour nous : Le moindre petit caprice Nous attire leur courroux. Cependant notre Âme insensée S'acharne au vain honneur de demeurer près d'eux ; Et s'y veut contenter de la fausse pensée, Qu'ont tous les autres Gens que nous sommes heureux. Vers la retraite en vain la Raison nous appelle ; En vain notre dépit quelquefois y consent : Leur vue a sur notre zèle Un ascendant trop puissant ; Et la moindre faveur d'un coup d'œil caressant, Nous rengage de plus belle. Mais enfin, dans l'obscurité, Je vois notre Maison, et ma frayeur s'évade. Il me faudrait, pour l'Ambassade, Quelque Discours prémédité. Je dois aux yeux d'Alcmène un Portrait Militaire Du grand Combat qui met nos ennemis à bas : Mais comment diantre le faire, Si je ne m'y trouvai pas ? N'importe, parlons-en, et d'estoc, et de taille, Comme oculaire témoin : Combien de Gens font-ils des Récits de Bataille, Dont ils se sont tenus loin ? Pour jouer mon rôle sans peine, Je le veux un peu repasser : Voici la Chambre, où j'entre en Courrier que l'on mène, Et cette Lanterne est Alcmène, À qui je me dois adresser. Madame, Amphitryon, mon Maître, et votre Époux… Bon ! beau début ! L'Esprit toujours plein de vos charmes, M'a voulu choisir entre tous, Pour vous donner avis du succès de ses Armes, Et du désir qu'il a de se voir près de vous. Ha ! vraiment, mon pauvre Sosie, À te revoir, j'ai de la joie au cœur. Madame, ce m'est trop d'honneur, Et mon destin doit faire envie. Bien répondu ! Comment se porte Amphitryon ? Madame, en Homme de courage, Dans les occasions, où la Gloire l'engage. Fort bien ! belle conception ! Quand viendra-t-il, par son retour charmant, Rendre mon Âme satisfaite ? Le plus tôt qu'il pourra, Madame, assurément ; Mais bien plus tard que son Cœur ne souhaite. Ah ! Mais quel est l'état, où la Guerre l'a mis ? Que dit-il ? que fait-il ? Contente un peu mon Âme. Il dit moins qu'il ne fait, Madame, Et fait trembler les Ennemis. Peste ! où prend mon Esprit toutes ces gentillesses ? Que font les révoltés ? dis-moi, quel est leur sort ? Ils n'ont pu résister, Madame, à notre effort : Nous les avons taillés en pièces, Mis Ptérélas leur Chef à mort ; Pris Télèbe d'assaut, et déjà dans le Port Tout retentit de nos prouesses. Ah ! quel succès ! ô Dieux ! qui l'eût pu jamais croire ? Raconte-moi, Sosie, un tel événement. Je le veux bien, Madame, et sans m'enfler de gloire, Du détail de cette victoire Je puis parler très savamment. Figurez-vous donc que Télèbe, Madame, est de ce côté : C'est une Ville, en vérité, Aussi grande quasi que Thèbe. La Rivière est comme là. Ici nos Gens se campèrent : Et l'espace que voilà, Nos Ennemis l'occupèrent. Sur un haut, vers cet endroit, Était leur Infanterie ; Et plus bas, du côté droit, Était la Cavalerie. Après avoir aux Dieux adressé les Prières, Tous les Ordres donnés, on donne le Signal. Les Ennemis pensant nous tailler des croupières, Firent trois pelotons de leurs Gens à cheval : Mais leur chaleur par nous fut bientôt réprimée, Et vous allez voir comme quoi. Voilà notre Avant-garde, à bien faire animée ; Là les Archers de Créon, notre Roi ; Et voici le Corps d'Armée, Qui d'abord… Attendez, le Corps d'Armée a peur. J'entends quelque bruit, ce me semble. Mon Cœur tant soit peu se rassure ; Et je pense que ce n'est rien. Crainte pourtant de sinistre aventure, Allons chez nous achever l'Entretien. Cette Nuit, en longueur, me semble sans pareille : Il faut depuis le temps que je suis en chemin, Ou que mon Maître ait pris le soir pour le matin, Ou que trop tard au Lit le blond Phébus sommeille, Pour avoir trop pris de son Vin. Ah ! par ma foi, j'avais raison ! C'est fait de moi, chétive Créature. Je vois devant notre Maison, Certain Homme, dont l'encolure Ne me présage rien de bon. Pour faire semblant d'assurance, Je veux chanter un peu d'ici. Cet Homme, assurément, n'aime pas la Musique. Quel diable d'Homme est-ce ci ? De mortelles frayeurs je sens mon Âme atteinte. Mais pourquoi trembler tant aussi ? Peut-être a-t-il dans l'Âme autant que moi de crainte ; Et que le Drôle parle ainsi, Pour me cacher sa peur, sous une audace feinte. Oui, oui, ne souffrons point qu'on nous croie un Oison. Si je ne suis hardi, tâchons de le paraître. Faisons-nous du Cœur, par raison. Il est seul comme moi, je suis fort, j'ai bon Maître, Et voilà notre Maison. Moi. Moi. Courage, Sosie ! D'être Homme, et de parler. Comme il me prend envie. Où j'ai dessein d'aller. J'en ai l'Âme ravie. Je fais le bien, et le mal, tour à tour : Je viens de là ; vais là ; j'appartiens à mon Maître. À moi-même ? Ah, ah, c'est tout de bon ! Tudieu, l'Ami, sans vous rien dire, Comme vous baillez des Soufflets ! Si j'étais aussi prompt que vous, Nous ferions de belles affaires. Je quitte la Partie. Que t'importe ? Me faire ouvrir cette Porte : Pourquoi retiens-tu mes pas ? Quoi ! tu veux, par ta menace, M'empêcher d'entrer chez nous ? Oui, chez nous. Fort bien. Amphitryon n'en est-il pas le Maître ? Je suis son Valet. Moi. Sans doute. D'Amphitryon ; de lui. Sosie. Sosie. Pourquoi ? De quelle rage est ton Âme saisie ? Moi, je ne le prends point, je l'ai toujours porté. Fort bien, je le soutiens ; par la grande raison, Qu'ainsi l'a fait des Dieux la Puissance suprême : Et qu'il n'est pas en moi de pouvoir dire non, Et d'être un autre, que moi-même. Justice, Citoyens ! au secours, je vous prie ! De mille coups tu me meurtris, Et tu ne veux pas que je crie ? L'action ne vaut rien. Tu triomphes de l'avantage, Que te donne sur moi mon manque de courage, Et ce n'est pas en user bien. C'est pure Fanfaronnerie, De vouloir profiter de la Poltronnerie De ceux qu'attaque notre Bras. Battre un Homme à jeu sûr, n'est pas d'une belle Âme ; Et le Cœur est digne de blâme, Contre les Gens qui n'en ont pas. Tes coups n'ont point en moi fait de métamorphose. Et tout le changement que je trouve à la chose, C'est d'être Sosie battu. De grâce, fais trêve à tes coups. Tout ce qu'il te plaira ; je garde le silence : La dispute est par trop inégale entre nous. Hélas ! je suis ce que tu veux. Dispose de mon sort, tout au gré de tes vœux ; Ton Bras t'en a fait le Maître. Il est vrai, jusqu'ici j'ai cru la chose claire : Mais ton Bâton, sur cette affaire, M'a fait voir que je m'abusais. Toi Sosie ? Ciel ! me faut-il ainsi renoncer à moi-même ; Et par un Imposteur me voir voler mon Nom ? Que son bonheur est extrême, De ce que je suis Poltron ! Sans cela, par la mort… Non ; mais, au nom des Dieux, donne-moi la licence De parler un moment à toi. Mais promets-moi, de grâce, Que les coups n'en seront point. Signons une Trêve. Qui te jette, dis-moi, dans cette fantaisie ? Que te reviendra-t-il, de m'enlever mon Nom ? Et peux-tu faire enfin, quand tu serais Démon, Que je ne sois pas Moi ? que je ne sois Sosie ? Ah ! tout doux : Nous avons fait trêve aux coups. Pour des injures, Dis-m'en tant que tu voudras : Ce sont légères blessures ; Et je ne m'en fâche pas. Oui, quelque conte frivole… N'importe, je ne puis m'anéantir pour toi ; Et souffrir un discours, si loin de l'apparence. Être ce que je suis, est-il en ta puissance ? Et puis-je cesser d'être Moi ? S'avisa-t-on jamais d'une chose pareille ! Et peut-on démentir cent Indices pressants ? Rêvé-je ? est-ce que je sommeille ? Ai-je l'Esprit troublé par des transports puissants ? Ne sens-je pas bien que je veille ? Ne suis-je pas dans mon bon sens ? Mon Maître Amphitryon, ne m'a-t-il pas commis, À venir, en ces Lieux, vers Alcmène sa Femme ? Ne lui dois-je pas faire, en lui vantant sa flamme, Un Récit de ses Faits contre nos Ennemis ? Ne suis-je pas du Port arrivé tout à l'heure ? Ne tiens-je pas une Lanterne en main ? Ne te trouvé-je pas devant notre Demeure ? Ne t'y parlé-je pas d'un Esprit tout humain ? Ne te tiens-tu pas fort de ma Poltronnerie, Pour m'empêcher d'entrer chez nous ? N'as-tu pas sur mon Dos exercé ta Furie ? Ne m'as-tu pas roué de coups ? Ah ! tout cela n'est que trop véritable, Et, plût au Ciel, le fût-il moins ! Cesse donc d'insulter au sort d'un Misérable ; Et laisse à mon devoir s'acquitter de ses soins. Il a raison. À moins d'être Sosie, On ne peut pas savoir tout ce qu'il dit. Et dans l'étonnement, dont mon Âme est saisie, Je commence, à mon tour, à le croire un petit. En effet, maintenant que je le considère, Je vois qu'il a de moi, taille, mine, action. Faisons-lui quelque Question, Afin d'éclaircir ce mystère. Parmi tout le Butin fait sur nos ennemis, Qu'est-ce qu'Amphitryon obtient pour son partage ? À qui destine-t-il un si riche Présent ? Mais où, pour l'apporter, est-il mis à présent ? Il ne ment pas d'un mot, à chaque repartie, Et de moi je commence à douter tout de bon. Près de moi, par la force, il est déjà Sosie : Il pourrait bien encor l'être, par la raison. Pourtant, quand je me tâte, et que je me rappelle, Il me semble que je suis Moi. Où puis-je rencontrer quelque clarté fidèle, Pour démêler ce que je vois ? Ce que j'ai fait tout seul, et que n'a vu personne, À moins d'être Moi-même, on ne le peut savoir. Par cette Question, il faut que je l'étonne : C'est de quoi le confondre, et nous allons le voir. Lorsqu'on était aux mains, que fis-tu dans nos Tentes Où tu courus seul te fourrer ? L'y voilà ! Cette preuve sans pareille, En sa faveur conclut bien ; Et l'on n'y peut dire rien, S'il n'était dans la Bouteille. Je ne saurais nier, aux preuves qu'on m'expose, Que tu ne sois Sosie ; et j'y donne ma voix. Mais si tu l'es, dis-moi qui tu veux que je sois ; Car encor faut-il bien que je sois quelque chose. Tout cet embarras met mon esprit sur les dents ; Et la Raison, à ce qu'on voit s'oppose. Mais il faut terminer enfin par quelque chose, Et le plus court pour moi, c'est d'entrer là-dedans. Ah ! qu'est-ce ci, grands Dieux ! il frappe un ton plus fort ; Et mon Dos, pour un mois, en doit être malade. Laissons ce diable d'Homme ; et retournons au Port. Ô juste Ciel ! j'ai fait une belle Ambassade ! Si vous le prenez sur ce ton, Monsieur, je n'ai plus rien à dire ; Et vous aurez toujours raison. Non, je suis le Valet, et vous êtes le Maître ; Il n'en sera, Monsieur, que ce que vous voudrez. Mais, de peur d'incongruité, Dites-moi, de grâce, à l'avance, De quel air il vous plaît que ceci soit traité. Parlerai-je, Monsieur, selon ma conscience ; Ou comme auprès des Grands on le voit usité ? Faut-il dire la vérité ; Ou bien user de complaisance ? Bon, c'est assez ; laissez-moi faire : Vous n'avez qu'à m'interroger. Je suis parti ; les Cieux, d'un noir crêpe voilés, Pestant fort contre vous dans ce fâcheux martyre, Et maudissant vingt fois l'ordre dont vous parlez. Monsieur, vous n'avez rien qu'à dire. Je mentirai, si vous voulez. D'avoir une frayeur mortelle, Au moindre Objet que j'ai trouvé. En nous formant, Nature a ses caprices. Divers penchants en nous elle fait observer. Les uns à s'exposer, trouvent mille délices : Moi, j'en trouve à me conserver. J'ai devant notre Porte, En moi-même voulu répéter un petit, Sur quel ton, et de quelle sorte, Je ferais du Combat le glorieux Récit. On m'est venu troubler, et mettre en peine. Sosie, un Moi, de vos ordres jaloux, Que vous avez du Port envoyé vers Alcmène, Et qui de nos secrets a connaissance pleine, Comme le Moi qui parle à Vous. Non, Monsieur, c'est la vérité pure. Ce Moi, plutôt que Moi, s'est au Logis trouvé : Et j'étais venu, je vous jure, Avant que je fusse arrivé. Non, c'est la chose comme elle est, Et point du tout conte frivole. Je suis Homme d'honneur, j'en donne ma parole, Et vous m'en croirez, s'il vous plaît. Je vous dis que croyant n'être qu'un seul Sosie, Je me suis trouvé deux chez nous. Et que de ces deux Moi piqués de jalousie, L'un est à la Maison, et l'autre est avec Vous. Que le Moi que voici, chargé de lassitude, A trouvé l'autre Moi, frais, gaillard et dispos, Et n'ayant d'autre inquiétude, Que de battre, et casser des os. Si vous vous mettez en courroux, Plus de conférence entre nous ; Vous savez que d'abord tout cesse. Non ; vous avez raison ; et la chose à chacun, Hors de créance doit paraître. C'est un fait à n'y rien connaître ; Un conte extravagant, ridicule, importun ; Cela choque le sens commun : Mais cela ne laisse pas d'être. Je ne l'ai pas cru Moi, sans une peine extrême. Je me suis, d'être deux, senti l'Esprit blessé ; Et longtemps, d'Imposteur, j'ai traité ce Moi-même. Mais à me reconnaître, enfin il m'a forcé : J'ai vu que c'était Moi, sans aucun stratagème. Des pieds, jusqu'à la tête, il est comme moi fait ; Beau, l'air noble, bien pris, les manières charmantes : Enfin deux gouttes de Lait Ne sont pas plus ressemblantes ; Et n'était que ses mains sont un peu trop pesantes, J'en serais fort satisfait. Bon, entré ! Hé de quelle sorte ? Ai-je voulu jamais entendre de raison ? Et ne me suis-je pas interdit notre Porte ? Avec un Bâton ; Dont mon Dos sent encore une douleur très forte. Vraiment ! Moi. Oui, Moi ; non pas le Moi d'ici, Mais le Moi du Logis, qui frappe comme quatre. Ce ne sont point des Badinages. Le Moi que j'ai trouvé tantôt, Sur le Moi qui vous parle, a de grands avantages : Il a le Bras fort, le Cœur haut ; J'en ai reçu des témoignages : Et ce diable de Moi m'a rossé comme il faut, C'est un Drôle qui fait des rages. Non. Par une raison assez forte. Faut-il le répéter vingt fois de même sorte ? Moi, vous dis-je ; ce Moi plus robuste que Moi ; Ce Moi, qui s'est de force emparé de la Porte. Ce Moi, qui m'a fait filer doux : Ce Moi, qui le seul Moi veut être : Ce Moi, de Moi-même jaloux : Ce Moi vaillant, dont le courroux, Au Moi poltron s'est fait connaître : Enfin ce Moi qui suis chez nous : Ce Moi, qui s'est montré mon Maître ; Ce Moi qui m'a roué de coups. Je veux être pendu, si j'ai bu que de l'eau : À mon serment, on m'en peut croire. Tout aussi peu. Je n'ai point sommeillé ; Et n'en ai même aucune envie. Je vous parle bien éveillé, J'étais bien éveillé ce matin, sur ma vie. Et bien éveillé même était l'autre Sosie, Quand il m'a si bien étrillé. Tous les discours sont des sottises, Partant d'un Homme sans éclat. Ce serait paroles exquises, Si c'était un Grand qui parlât. Elle a besoin de six grains d'Ellébore, Monsieur, son Esprit est tourné ! Elle se moque, et je le tiens ici ; Monsieur, la feinte est inutile. Ma foi, la place est vide. Il faut que par Magie on ait su le tirer : Ou bien que de lui-même, il soit venu sans guide, Vers celle qu'il a su qu'on en voulait parer. Si sa bouche dit vrai, nous avons même sort ; Et de même que moi, Monsieur, vous êtes double. Monsieur… C'est ici, pour mon Maître, un coup assez touchant ; Et son aventure est cruelle. Je crains fort, pour mon fait, quelque chose approchant, Et je m'en veux, tout doux, éclaircir avec elle. La chose quelquefois est fâcheuse à connaître, Et je tremble à la demander. Ne vaudrait-il point mieux, pour ne rien hasarder, Ignorer ce qu'il en peut être ? Allons, tout coup vaille, il faut voir, Et je ne m'en saurais défendre. La faiblesse humaine est d'avoir Des curiosités d'apprendre Ce qu'on ne voudrait pas savoir. Dieu te gard', Cléanthis. Mon Dieu, qu'as-tu ? toujours on te voit en courroux ; Et sur rien, tu te formalises. J'appelle sur rien, Ce qui sur rien s'appelle en Vers, ainsi qu'en Prose ; Et rien, comme tu le sais bien, Veut dire rien, ou peu de chose. Holà. D'où te vient donc ce transport furieux ? Et quel ? Non, je sais fort bien le contraire. Mais je ne t'en fais pas le fin ; Nous avions bu de je ne sais quel Vin, Qui m'a fait oublier tout ce que j'ai pu faire. Non, tout de bon ; tu m'en peux croire. J'étais dans un état, où je puis avoir fait Des choses, dont j'aurais regret, Et dont je n'ai nulle mémoire. Non plus que rien. Tu peux m'en faire le rapport. Je suis équitable, et sincère ; Et me condamnerai moi-même, si j'ai tort. Bon ! Mon Dieu, tu ne sais pas pourquoi, Cléanthis, je tiens ce langage. J'avais mangé de l'Ail, et fis en Homme sage, De détourner un peu mon haleine de toi. Courage. Quoi ! je ne couchai point… Est-il possible ! Vivat, Sosie ! Que je suis de moi satisfait ! Je n'aurais jamais cru que j'eusse été si sage. Mon Dieu, tout doucement ! Si je parais joyeux, Crois que j'en ai dans l'Âme une raison très forte : Et que sans y penser, je ne fis jamais mieux, Que d'en user tantôt avec toi de la sorte. Non, je te parle avec franchise. En l'état où j'étais, j'avais certain effroi, Dont, avec ton discours, mon Âme s'est remise. Je m'appréhendais fort, et craignais qu'avec toi Je n'eusse fait quelque sottise. Les Médecins disent, quand on est ivre, Que de sa Femme on se doit abstenir ; Et que dans cet état, il ne peut provenir, Que des Enfants pesants, et qui ne sauraient vivre. Vois, si mon Cœur n'eût su de froideur se munir, Quels inconvénients auraient pu s'en ensuivre ? Tout doux. Contre eux, je t'en supplie, apaise ton courroux. Ce sont d'honnêtes Gens, quoi que le Monde en dise. Quoi ? Ah ! pour cet Article, j'ai tort. Je m'en dédis, il y va trop du nôtre. Garde-toi bien de suivre ce transport. Fais à ce discours quelque pause : Amphitryon revient, qui me paraît content. Que dis-tu, Cléanthis, de ce joyeux maintien, Après son fracas effroyable ? Cela se dit dans le courroux : Mais aux Hommes, par trop, vous êtes accrochées ; Et vous seriez, ma foi, toutes bien empêchées, Si le Diable les prenait tous. Les voici. Taisons-nous. Hé bien ! tu vois, Cléanthis, ce ménage. Veux-tu, qu'à leur exemple ici, Nous fassions entre nous un peu de paix aussi ? Quelque petit rapatriage ? Quoi ! tu ne veux pas ? Il ne m'importe guère, Tant pis pour toi. Non, morbleu, je n'en ferai rien ; Et je veux être, à mon tour, en colère. Monsieur, avec mes soins, tout ce que j'ai pu faire, C'est de vous amener ces Messieurs que voici. Monsieur. Quoi ? Qu'est-ce donc ? qu'avez-vous ? Holà, Messieurs, venez donc tôt. De quoi suis-je coupable ? Lorsque l'on pend quelqu'un, on lui dit pourquoi c'est. Messieurs, tenez bon, s'il vous plaît ? Je suis mort. Messieurs. M'a-t-il frappé ? Comment cela se peut-il faire, Si j'étais par votre ordre autre part occupé ? Ces messieurs sont ici, pour rendre témoignage, Qu'à dîner avec vous, je les viens d'inviter. Vous. Après votre paix faite, Au milieu des transports d'une Âme satisfaite, D'avoir d'Alcmène apaisé le courroux. Messieurs, voici le véritable ; L'autre est un Imposteur, digne de châtiment. Oui, c'est un Enchanteur, qui porte un Caractère, Pour ressembler aux Maîtres des Maisons. Mon Maître est Homme de courage ; Et ne souffrira point, que l'on batte ses Gens. Je ne me trompais pas. Messieurs, ce mot termine Toute l'irrésolution : Le véritable Amphitryon, Est l'Amphitryon, où l'on dîne. Faites trêve, Messieurs, à toutes vos surprises ; Et pleins de joie, allez tabler jusqu'à demain. Que je vais m'en donner ! et me mettre en beau train, De raconter nos vaillantises ! Je brûle d'en venir aux prises ; Et jamais je n'eus tant de faim. Ah ! de grâce, tout doux ! Hélas ! brave, et généreux Moi, Modère-toi, je t'en supplie. Sosie, épargne un peu Sosie ; Et ne te plais point tant à frapper dessus toi. C'est un Nom, que tous deux nous pouvons à la fois Posséder sous un même Maître. Pour Sosie, en tous Lieux, on sait me reconnaître : Je souffre bien que tu le sois ; Souffre aussi, que je le puisse être. Laissons aux deux Amphitryons, Faire éclater des jalousies ; Et parmi leurs contentions, Faisons en bonne paix, vivre les deux Sosies. Du pas devant, sur moi, tu prendras l'avantage. Je serai le Cadet, et tu seras l'Aîné. Ô Cœur barbare et tyrannique ! Souffre qu'au moins je sois ton Ombre. Que d'un peu de pitié ton âme s'humanise. En cette qualité souffre-moi près de toi. Je te serai partout une Ombre si soumise, Que tu seras content de moi. Las ! à quelle étrange disgrâce, Pauvre Sosie, es-tu réduit ? Non, ce n'est pas moi que j'entends ; Et je parle d'un vieux Sosie, Qui fut jadis de mes Parents ; Qu'avec très grande barbarie, À l'heure du Dîner, l'on chassa de céans. Que je te rosserais, si j'avais du courage, Double Fils-de-Putain, de trop d'orgueil enflé ! Rien. Demandez, je n'ai pas soufflé. C'est donc un Perroquet, que le beau temps réveille. Ô Ciel ! que l'heure de manger, Pour être mis dehors, est une maudite heure ! Allons, cédons au Sort dans notre affliction. Suivons-en aujourd'hui l'aveugle fantaisie ; Et par une juste union, Joignons le malheureux Sosie, Au malheureux Amphitryon. Je l'aperçois venir en bonne compagnie. Je viens, Monsieur, subir à vos genoux, Le juste châtiment d'une audace maudite. Frappez, battez, chargez, accablez-moi de coups ; Tuez-moi dans votre courroux : Vous ferez bien, je le mérite ; Et je n'en dirai pas un seul mot contre vous. L'on m'a chassé tout net : Et croyant, à manger, m'aller comme eux, ébattre ; Je ne songeais pas qu'en effet, Je m'attendais là, pour me battre. Oui, l'autre Moi, Valet de l'autre Vous, a fait, Tout de nouveau, le Diable à quatre. La rigueur d'un pareil Destin, Monsieur, aujourd'hui, nous talonne ; Et l'on me Dés-Sosie enfin, Comme on vous Dés-Amphitryonne. N'est-il pas mieux, de voir s'il vient Personne. Ma foi ! Monsieur le Dieu, je suis votre Valet. Je me serais passé de votre courtoisie. Le Ciel, de m'approcher, t'ôte à jamais l'envie. Ta fureur s'est par trop acharnée après moi : Et je ne vis de ma vie, Un Dieu plus Diable, que toi. Le Seigneur Jupiter sait dorer la Pilule. Messieurs, voulez-vous bien suivre mon sentiment ? Ne vous embarquez nullement, Dans ces douceurs congratulantes. C'est un mauvais embarquement : Et d'une, et d'autre part, pour un tel Compliment, Les Phrases sont embarrassantes. Le grand Dieu Jupiter nous fait beaucoup d'honneur ; Et sa bonté, sans doute, est pour nous sans seconde : Il nous promet l'infaillible bonheur, D'une Fortune, en mille biens féconde ; Et chez nous il doit naître un Fils d'un très grand cœur, Tout cela va le mieux du Monde. Mais enfin coupons aux discours ; Et que chacun chez soi, doucement se retire. Sur telles Affaires, toujours, Le meilleur est de ne rien dire. **** *creator_moliere *book_moliere_amphitryon *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_amphitryon *dist2_moliere_verse_comedy *id_argatiphontidas *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_argatiphontidas Je n'embarrasse point là-dedans ma pensée : Mais je hais vos Messieurs, de leurs honteux délais ; Et c'est un procédé, dont j'ai l'Âme blessée ; Et que les Gens de cœur n'approuveront jamais. Quand quelqu'un nous emploie, on doit, tête baissée, Se jeter dans ses intérêts. Argatiphontidas ne va point aux accords. Écouter d'un Ami raisonner l'adversaire, Pour des Hommes d'honneur, n'est point un coup à faire : Il ne faut écouter que la vengeance alors. Le Procès ne me saurait plaire ; Et l'on doit commencer toujours dans ses transports, Par bailler, sans autre mystère, De l'Épée au travers du Corps. Oui, vous verrez, quoi qu'il advienne, Qu'Argatiphontidas marche droit sur ce point ; Et de vous il faut que j'obtienne, Que le Pendard ne meure point, D'une autre main, que de la mienne. **** *creator_moliere *book_moliere_amphitryon *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_amphitryon *dist2_moliere_verse_comedy *id_naucrates *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_naucrates Ah ! de grâce, arrêtez. Daignez nous dire, au moins, quel peut être son crime. Calmez cette colère. Il est vrai qu'il nous vient de faire ce message ; Et n'a point voulu nous quitter. Tout ce que de chez vous, il vient de nous conter, Surpasse si fort la Nature, Qu'avant que de rien faire, et de vous emporter, Vous devez éclaircir toute cette aventure. Ciel ! quel est ce prodige ! Quoi ! deux Amphitryons ici nous sont produits ! Plus mes regards sur eux s'attachent fortement, Plus je trouve qu'en tout, l'un à l'autre est semblable. Arrêtez. Dieux ! que voulez-vous faire ? Nous ne souffrirons point cet étrange combat, D'Amphitryon, contre lui-même. Que voulez-vous qu'à cette vue Fassent nos résolutions ; Lorsque par deux Amphitryons, Toute notre chaleur demeure suspendue ? À vous faire éclater notre zèle aujourd'hui, Nous craignons de faillir, et de vous méconnaître. Nous voyons bien en vous Amphitryon paraître, Du salut des Thébains le glorieux appui : Mais nous le voyons tous aussi paraître en lui ; Et ne saurions juger dans lequel il peut être. Notre Parti n'est point douteux, Et l'Imposteur, par nous, doit mordre la poussière : Mais ce parfait rapport le cache entre vous deux ; Et c'est un coup trop hasardeux, Pour l'entreprendre sans lumière. Avec douceur laissez-nous voir, De quel côté peut être l'imposture ; Et dès que nous aurons démêlé l'aventure, Il ne nous faudra point dire notre devoir. Vous vous plaignez à tort. Permettez-nous d'attendre L'éclaircissement, qui doit rendre Les ressentiments de saison. Je ne sais pas s'il impose : Mais il parle sur la chose Comme s'il avait raison. Certes, toute cette aventure Confond le sens, et la raison. Ne vous pressez point, le voici, Pour donner devant tous, les clartés, qu'on désire ; Et qui, si l'on peut croire à ce qu'il vient de dire, Sauront vous affranchir de trouble, et de souci. Certes, je suis ravi de ces marques brillantes… **** *creator_moliere *book_moliere_amphitryon *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_amphitryon *dist2_moliere_verse_comedy *id_polidas *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_polidas Qu'est-ce ? Certes, ce rapport admirable Suspend ici mon jugement. **** *creator_moliere *book_moliere_amphitryon *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_amphitryon *dist2_moliere_verse_comedy *id_posicles *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_posicles Je comprends que ce coup doit fort toucher votre Âme. Si cette Ressemblance est telle que l'on dit, Alcmène, sans être coupable… **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_harpagon *date_1668 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_harpagon Hors d'ici tout à l'heure, et qu'on ne réplique pas. Allons, que l'on détale de chez moi, maître Juré Filou ; vrai gibier de potence. Tu murmures entre tes dents. C'est bien à toi, pendard ; à me demander des raisons : Sors vite, que je ne t'assomme. Tu m'as fait, que je veux que tu sortes. Va-t-en l'attendre dans la Rue, et ne sois point dans ma Maison planté tout droit comme un piquet, à observer ce qui se passe, et faire ton profit de tout. Je ne veux point avoir sans cesse devant moi un espion de mes affaires ; un traître, dont les yeux maudits assiègent toutes mes actions, dévorent ce que je possède, et furètent de tous côtés pour voir s'il n'y a rien à voler. Je veux renfermer ce que bon me semble, et faire sentinelle comme il me plaît. Ne voilà pas de mes mouchards, qui prennent garde à ce qu'on fait ? Je tremble qu'il n'ait soupçonné quelque chose de mon argent. Ne serais-tu point Homme à aller faire courir le bruit que j'ai chez moi de l'argent caché ? Non, coquin, je ne dis pas cela. J'enrage. Je demande si malicieusement tu n'irais point faire courir le bruit que j'en ai. Tu fais le raisonneur ; je te baillerai de ce raisonnement-ci par les oreilles. Sors d'ici, encore une fois. Attends. Ne m'emportes-tu rien ? Viens çà, que je voie. Montre-moi tes mains. Les autres. Oui. N'as-tu rien mis ici dedans ? Ces grands hauts-de-chausses sont propres à devenir les recéleurs des choses qu'on dérobe ; et je voudrais qu'on en eût fait pendre quelqu'un. Euh ? Qu'est-ce que tu parles de voler ? C'est ce que je veux faire. Comment ? que dis-tu ? Oui. Qu'est-ce que tu dis d'avarice, et d'avaricieux ? De qui veux-tu parler ? Et qui sont-ils ces avaricieux ? Mais qui est-ce que tu entends par là ? Je me mets en peine de ce qu'il faut ? Je crois ce que je crois ; mais je veux que tu me dises à qui tu parles quand tu dis cela. Et moi, je pourrais bien parler à ta barrette. Non ; mais je t'empêcherai de jaser, et d'être insolent. Tais-toi. Je te rosserai, si tu parles. Te tairas-tu ? Ha, ha ! Allons, rends-le-moi sans te fouiller. Ce que tu m'as pris. Assurément. Adieu. Va-t-en à tous les Diables. Je te le mets sur ta conscience au moins.Voilà un pendard de valet qui m'incommode fort ; et je ne me plais point à voir ce chien de boiteux-là. Certes, ce n'est pas une petite peine que de garder chez soi une grande somme d'argent ; et bienheureux qui a tout son fait bien placé, et ne conserve seulement que ce qu'il faut pour sa dépense. On n'est pas peu embarrassé à inventer dans toute une Maison une cache fidèle : car pour moi les Coffres forts me sont suspects, et je ne veux jamais m'y fier.Je les tiens justement une franche amorce à Voleurs, et c'est toujours la première chose que l'on va attaquer.Cependant je ne sais si j'aurai bien fait, d'avoir enterré dans mon Jardin dix mille écus qu'on me rendit hier. Dix mille écus en or chez soi, est une somme assez… Ô Ciel ! je me serai trahi moi-même.La chaleur m'aura emporté ; et je crois que j'ai parlé haut en raisonnant tout seul. Qu'est-ce ? Y a-t-il longtemps que vous êtes là ? Vous avez entendu… Là… Ce que je viens de dire. Si fait, si fait. Je vois bien que vous en avez ouï quelques mots. C'est que je m'entretenais en moi-même de la peine qu'il y a aujourd'hui à trouver de l'argent ; et je disais, qu'il est bienheureux qui peut avoir dix mille écus chez soi. Je suis bien aise de vous dire cela, afin que vous n'alliez pas prendre les choses de travers, et vous imaginer que je dise que c'est moi qui ai dix mille écus. Plût à Dieu que je les eusse dix mille écus ! Ce serait une bonne affaire pour moi. J'en aurais bon besoin. Cela m'accommoderait fort. Et je ne me plaindrais pas, comme je fais, que le temps est misérable. Comment ? j'ai assez de bien.Ceux qui le disent, en ont menti. Il n'y a rien de plus faux ; et ce sont des coquins qui font courir tous ces bruits-là. Cela est étrange ! que mes propres Enfants me trahissent, et deviennent mes ennemis ! Oui, de pareils discours, et les dépenses que vous faites, seront cause qu'un de ces jours on me viendra chez moi couper la gorge, dans la pensée que je suis tout cousu de pistoles. Quelle ? Est-il rien de plus scandaleux que ce somptueux équipage que vous promenez par la ville ?Je querellais hier votre Sœur, mais c'est encore pis. Voilà qui crie vengeance au Ciel ; et à vous prendre depuis les pieds jusqu'à la tête, il y aurait là de quoi faire une bonne constitution. Je vous l'ai dit vingt fois, mon Fils, toutes vos manières me déplaisent fort ; vous donnez furieusement dans le Marquis ; et pour aller ainsi vêtu, il faut bien que vous me dérobiez. Que sais-je ? Où pouvez-vous donc prendre de quoi entretenir l'état que vous portez ? C'est fort mal fait. Si vous êtes heureux au jeu, vous en devriez profiter, et mettre à honnête intérêt l'argent que vous gagnez, afin de le trouver un jour.Je voudrais bien savoir, sans parler du reste, à quoi servent tous ces rubans dont vous voilà lardé depuis les pieds jusqu'à la tête ; et si une demi-douzaine d'aiguillettes ne suffit pas pour attacher un haut-de-chausses ?Il est bien nécessaire d'employer de l'argent à des perruques, lorsque l'on peut porter des cheveux de son cru, qui ne coûtent rien.Je vais gager qu'en perruques et rubans, il y a du moins vingt pistoles ; et vingt pistoles rapportent par année dix-huit livres six sols huit deniers, à ne les placer qu'au denier douze. Laissons cela, et parlons d'autre affaire. Euh ? je crois qu'ils se font signe l'un à l'autre, de me voler ma bourse. Que veulent dire ces gestes-là ? Et moi, j'ai quelque chose aussi à vous dire à tous deux. Et c'est de mariage aussi que je veux vous entretenir. Pourquoi ce cri ? Est-ce le mot, ma Fille, ou la chose, qui vous fait peur ? Un peu de patience. Ne vous alarmez point. Je sais ce qu'il faut à tous deux ; et vous n'aurez ni l'un, ni l'autre, aucun lieu de vous plaindre de tout ce que je prétends faire. Et pour commencer par un bout ; avez-vous vu, dites moi, une jeune Personne appelée Mariane, qui ne loge pas loin d'ici ? Et vous ? Comment, mon Fils, trouvez-vous cette Fille ? Sa physionomie ? Son air, et sa manière ? Ne croyez-vous pas, qu'une Fille comme cela, mériterait assez que l'on songeât à elle ? Que ce serait un Parti souhaitable ? Qu'elle a toute la mine de faire un bon ménage ? Et qu'un Mari aurait satisfaction avec elle ? Il y a une petite difficulté ; c'est que j'ai peur qu'il n'y ait pas avec elle tout le bien qu'on pourrait prétendre. Pardonnez-moi, pardonnez-moi. Mais ce qu'il y a à dire, c'est que si l'on n'y trouve pas tout le bien qu'on souhaite, on peut tâcher de regagner cela sur autre chose. Enfin je suis bien aise de vous voir dans mes sentiments : car son maintien honnête, et sa douceur, m'ont gagné l'âme ; et je suis résolu de l'épouser, pourvu que j'y trouve quelque bien. Comment ? D'épouser Mariane. Oui, moi, moi ; moi.Que veut dire cela ? Cela ne sera rien. Allez vite boire dans la Cuisine un grand verre d'eau claire. Voilà de mes Damoiseaux flouets, qui n'ont non plus de vigueur que des Poules. C'est là, ma Fille, ce que j'ai résolu pour moi. Quant à ton Frère, je lui destine une certaine Veuve dont ce matin on m'est venu parler ; et pour toi, je te donne au Seigneur Anselme. Oui. Un Homme mûr, prudent et sage, qui n'a pas plus de cinquante ans, et dont on vante les grands biens. Et moi, ma petite Fille ma mie, je veux que vous vous mariiez, s'il vous plaît. Je vous demande pardon, ma Fille. Je suis votre très humble valet ; mais, avec votre permission, vous l'épouserez dès ce soir. Dès ce soir. Cela sera, ma Fille. Si. Si, vous dis-je. C'est une chose où je te réduirai. Tu ne te tueras point, et tu l'épouseras. Mais voyez quelle audace ! A-t-on jamais vu une Fille parler de la sorte à son Père ? C'est un Parti où il n'y a rien à redire ; et je gage que tout le monde approuvera mon choix. Voilà Valère ; veux-tu qu'entre nous deux nous le fassions Juge de cette affaire ? Te rendras-tu à son jugement ? Voilà qui est fait. Ici, Valère. Nous t'avons élu pour nous dire qui a raison, de ma Fille ou de moi. Sais-tu bien de quoi nous parlons ? Je veux ce soir lui donner pour Époux un Homme aussi riche que sage ; et la coquine me dit au nez, qu'elle se moque de le prendre. Que dis-tu de cela ? Oui. Quoi ? Comment ? Le Seigneur Anselme est un Parti considérable ; c'est un Gentilhomme qui est noble, doux, posé, sage, et fort accommodé, et auquel il ne reste aucun Enfant de son premier mariage.Saurait-elle mieux rencontrer ? C'est une occasion qu'il faut prendre vite aux cheveux. Je trouve ici un avantage, qu'ailleurs je ne trouverais pas ; et il s'engage à la prendre sans dot. Oui. C'est pour moi une épargne considérable. Sans dot. Sans dot. Sans dot. Ouais. Il me semble que j'entends un Chien qui aboie. N'est-ce point qu'on en voudrait à mon argent ? Ne bougez, je reviens tout à l'heure. Ce n'est rien, Dieu merci. Bon. Voilà bien parlé cela. Comment ? j'en suis ravi, et je veux que tu prennes sur elle un pouvoir absolu. Oui, tu as beau fuir. Je lui donne l'autorité que le Ciel me donne sur toi, et j'entends que tu fasses tout ce qu'il te dira. Oui, tu m'obligeras. Certes… Cela est vrai. Il faut… Fais, fais. Je m'en vais faire un petit tour en Ville, et reviens tout à l'heure. Ah le brave Garçon !Voilà parlé comme un Oracle. Heureux qui peut avoir un Domestique de la sorte ! Mais croyez-vous, Maître Simon, qu'il n'y ait rien à péricliter ? et savez-vous le nom, les biens, et la Famille de celui pour qui vous parlez ? C'est quelque chose que cela. La charité, Maître Simon, nous oblige à faire plaisir aux Personnes, lorsque nous le pouvons. Comment ? Comment, pendard, c'est toi qui t'abandonnes à ces coupables extrémités ? C'est toi qui te veux ruiner par des emprunts si condamnables ? Oses-tu bien, après cela, paraître devant moi ? N'as-tu point de honte, dis-moi, d'en venir à ces débauches-là ? de te précipiter dans des dépenses effroyables ? et de faire une honteuse dissipation du bien que tes Parents t'ont amassé avec tant de sueurs ? Ôte-toi de mes yeux, coquin, ôte-toi de mes yeux. Retire-toi, te dis-je, et ne m'échauffe pas les oreilles. Je ne suis pas fâché de cette aventure ; et ce m'est un avis de tenir l'œil, plus que jamais, sur toutes ses actions. Attendez un moment. Je vais revenir vous parler, Il est à propos que je fasse un petit tour à mon argent. Tout va comme il faut. Hé bien, qu'est-ce, Frosine ? Qui moi ? Tout de bon ? Cependant, Frosine, j'en ai soixante bien comptés. Il est vrai ; mais vingt années de moins pourtant ne me feraient point de mal, que je crois. Tu le crois ? Tu te connais à cela ? Comment ? Hé bien, qu'est-ce que cela veut dire ? Est-il possible ? Tant mieux. Comment va notre affaire ? Qui a fait réponse… C'est que je suis obligé, Frosine, de donner à souper au Seigneur Anselme ; et je serai bien aise qu'elle soit du régale. Hé bien, elles iront ensemble dans mon Carrosse, que je leur prêterai. Mais, Frosine, as-tu entretenu la Mère touchant le bien qu'elle peut donner à sa Fille ? Lui as-tu dit qu'il fallait qu'elle s'aidât un peu, qu'elle fît quelque effort, qu'elle se saignât pour une occasion comme celle-ci ? Car encore n'épouse-t-on point une Fille, sans qu'elle apporte quelque chose. Douze mille livres de rente ! Oui, cela n'est pas mal ; mais ce compte-là n'est rien de réel. C'est une raillerie, que de vouloir me constituer son dot de toutes les dépenses qu'elle ne fera point. Je n'irai pas donner quittance de ce que je ne reçois pas ; et il faut bien que je touche quelque chose. Il faudra voir cela. Mais, Frosine, il y a encore une chose qui m'inquiète. La Fille est jeune, comme tu vois ; et les jeunes gens d'ordinaire n'aiment que leurs semblables, ne cherchent que leur compagnie. J'ai peur qu'un Homme de mon âge ne soit pas de son goût ; et que cela ne vienne à produire chez moi certains petits désordres qui ne m'accommoderaient pas. Elle ? Sur cela seulement ? Certes, tu me dis là une chose toute nouvelle. Cela est admirable ! Voilà ce que je n'aurais jamais pensé ; et je suis bien aise d'apprendre qu'elle est de cette humeur. En effet, si j'avais été Femme, je n'aurais point aimé les jeunes Hommes. Pour moi, je n'y en comprends point ; et je ne sais pas comment il y a des Femmes qui les aiment tant. C'est ce que je dis tous les jours, avec leur ton de Poule laitée, et leurs trois petits brins de barbe relevés en barbe de Chat, leurs perruques d'étoupes, leurs haut-de-chausses tout tombants, et leurs estomacs débraillés. Tu me trouves bien ? Je n'en ai pas de grandes, Dieu merci. Il n'y a que ma fluxion, qui me prend de temps en temps. Dis-moi un peu.Mariane ne m'a-t-elle point encore vu ? N'a-t-elle point pris garde à moi en passant ? Tu as bien fait ; et je t'en remercie. Certes, tu me ravis, de me dire cela. Tu m'as fait grand plaisir, Frosine ; et je t'en ai, je te l'avoue, toutes les obligations du monde. Adieu. Je vais achever mes dépêches. Je mettrai ordre que mon Carrosse soit tout prêt, pour vous mener à la Foire. Et j'aurai soin qu'on soupe de bonne heure, pour ne vous point faire malades. Je m'en vais. Voilà qu'on m'appelle. Jusqu'à tantôt. Allons.Venez çà tous, que je vous distribue mes ordres pour tantôt, et règle à chacun son emploi.Approchez, Dame Claude. Commençons par vous. Bon, vous voilà les armes à la mainJe vous commets au soin de nettoyer partout ; et surtout, prenez garde de ne point frotter les meubles trop fort, de peur de les user.Outre cela, je vous constitue, pendant le souper, au gouvernement des bouteilles ; et s'il s'en écarte quelqu'une, et qu'il se casse quelque chose, je m'en prendrai à vous, et le rabattrai sur vos gages. Allez. Vous, Brindavoine, et vous, La Merluche, je vous établis dans la charge de rincer les verres, et de donner à boire ; mais seulement lorsque l'on aura soif, et non pas selon la coutume de certains impertinents de Laquais, qui viennent provoquer les gens, et les faire aviser de boire, lorsqu'on n'y songe pas. Attendez qu'on vous en demande plus d'une fois, et vous ressouvenez de porter toujours beaucoup d'eau. Oui, quand vous verrez venir les Personnes ; et gardez bien de gâter vos habits. Paix. Rangez cela adroitement du côté de la muraille, et présentez toujours le devant au monde. Et vous, tenez toujours votre chapeau ainsi, lorsque vous servirez. Pour vous, ma Fille, vous aurez l'œil sur ce que l'on desservira, et prendrez garde qu'il ne s'en fasse aucun dégât. Cela sied bien aux Filles. Mais cependant préparez-vous à bien recevoir ma Maîtresse, qui vous doit venir visiter, et vous mener avec elle à la Foire. Entendez-vous ce que je vous dis ? Et vous, mon Fils le Damoiseau, à qui j'ai la bonté de pardonner l'histoire de tantôt, ne vous allez pas aviser non plus de lui faire mauvais visage. Mon Dieu, nous savons le train des Enfants dont les Pères se remarient, et de quel œil ils ont coutume de regarder ce qu'on appelle Belle-Mère. Mais si vous souhaitez que je perde le souvenir de votre dernière fredaine, je vous recommande, surtout, de régaler d'un bon visage cette Personne-là, et de lui faire enfin tout le meilleur accueil qu'il vous sera possible. Prenez-y garde au moins. Vous ferez sagement. Valère, aide-moi à ceci. Ho çà, Maître Jacques, approchez-vous, je vous ai gardé pour le dernier. C'est à tous les deux. Au cuisinier. Quelle diantre de cérémonie est-ce là ? Je me suis engagé, Maître Jacques, à donner ce soir à souper. Dis-moi un peu, nous feras-tu bonne chère ? Que diable toujours de l'argent ! Il semble qu'ils n'aient autre chose à dire, de l'argent, de l'argent, de l'argent.Ah ! ils n'ont que ce mot à la bouche, de l'argent.Toujours parler d'argent. Voilà leur épée de chevet, de l'argent. Taisez-vous. Qu'est-ce qu'il nous faudra ? Haye. Je veux que tu me répondes. Nous serons huit ou dix ; mais il ne faut prendre que huit.Quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix. Que diable, voilà pour traiter toute une Ville entière. Ah traître, tu manges tout mon bien. Encore ? Il a raison. Ah que cela est bien dit ! Approche, que je t'embrasse pour ce mot. Voilà la plus belle Sentence que j'aie entendue de ma vie. Il faut vivre pour manger, et non pas manger pour vi…Non, ce n'est pas cela.Comment est-ce que tu dis ? Oui. Entends-tu ? Qui est le grand homme qui a dit cela ? Souviens-toi de m'écrire ces mots.Je les veux faire graver en lettres d'or sur la cheminée de ma Salle. Fais donc. Il faudra de ces choses, dont on ne mange guère, et qui rassasient d'abord ; quelque bon Haricot bien gras, avec quelque Pâté en pot bien garni de marrons. Maintenant, Maître Jacques, il faut nettoyer mon Carrosse. Qu'il faut nettoyer mon Carrosse, et tenir mes Chevaux tous prêts pour conduire à la Foire… Les voilà bien malades, ils ne font rien. Le travail ne sera pas grand, d'aller jusqu'à la foire. Paix. Pourrais-je savoir de vous, Maître Jacques, ce que l'on dit de moi ? Non, en aucune façon. Point du tout ; au contraire, c'est me faire plaisir, et je suis bien aise d'apprendre comme on parle de moi. Vous êtes un sot, un maraud, un coquin, et un impudent. Apprenez à parler. Ne vous offensez pas, ma Belle, si je viens à vous avec des lunettes. Je sais que vos appas frappent assez les yeux, sont assez visibles d'eux-mêmes, et qu'il n'est pas besoin de lunettes pour les apercevoir : mais enfin c'est avec des lunettes qu'on observe les Astres, et je maintiens et garantis que vous êtes un Astre, mais un Astre, le plus bel Astre qui soit dans le Pays des Astres. Frosine, elle ne répond mot, et ne témoigne, ce me semble, aucune joie de me voir. Tu as raison. Voilà, belle mignonne, ma Fille, qui vient vous saluer. Vous voyez qu'elle est grande ; mais mauvaise herbe croît toujours. Que dit la Belle ? C'est trop d'honneur que vous me faites, adorable mignonne. Je vous suis trop obligé de ces sentiments. Voici mon Fils aussi, qui vous vient faire la révérence. Je vois que vous vous étonnez de me voir de si grands Enfants ; mais je serai bientôt défait et de l'un, et de l'autre. Voilà un compliment bien impertinent. Quelle belle confession à lui faire ! Elle a raison.À sot compliment, il faut une réponse de même. Je vous demande pardon, ma Belle, de l'impertinence de mon Fils. C'est un jeune sot, qui ne sait pas encore la conséquence des paroles qu'il dit. C'est beaucoup de bonté à vous, de vouloir ainsi excuser ses fautes. Le temps le rendra plus sage, et vous verrez qu'il changera de sentiments. Mais voyez quelle extravagance ! Il continue encore plus fort. Encore ? Avez-vous envie de changer de discours ? Doucement, mon Fils, s'il vous plaît. Mon Dieu, j'ai une langue pour m'expliquer moi-même, et je n'ai pas besoin d'un Procureur comme vous.Allons, donnez des sièges. Qu'on mette donc les Chevaux au Carrosse. Je vous prie de m'excuser, ma Belle, si je n'ai pas songé à vous donner un peu de collation avant que de partir. Valère ! Moi ? Comment ? J'enrage ! Peste soit… Ah traître ! Bourreau que tu es ! Pendard ! Le coquin ! Dis-lui que je suis empêché, et qu'il revienne une autre fois. Je vous demande pardon. Je reviens tout à l'heure. Ah, je suis mort ! Le traître assurément a reçu de l'argent de mes Débiteurs, pour me faire rompre le cou. Que viens-tu faire ici, Bourreau ? Qu'on les mène promptement chez le Maréchal. Valère, aie un peu l'œil à tout cela ; et prends soin, je te prie, de m'en sauver le plus que tu pourras, pour le renvoyer au marchand. Ô fils impertinent, as-tu envie de me ruiner ! Ouais ! mon Fils baise la main de sa prétendue belle-mère, et sa prétendue Belle-mère ne s'en défend pas fort.Y aurait-il quelque mystère là-dessous ? Le Carrosse est tout prêt. Vous pouvez partir quand il vous plaira. Non, demeurez. Elles iront bien toutes seules ; et j'ai besoin de vous. Ô çà, intérêt de Belle-Mère à part, que te semble à toi de cette Personne ? Oui, de son air, de sa taille, de sa beauté, de son esprit ? Mais encore ? Tu lui disais tantôt pourtant… Si bien donc que tu n'aurais pas d'inclination pour elle ? J'en suis fâché : car cela rompt une pensée qui m'était venue dans l'esprit. J'ai fait, en la voyant ici, réflexion sur mon âge ; et j'ai songé qu'on pourra trouver à redire, de me voir marier à une si jeune Personne. Cette considération m'en faisait quitter le dessein ; et comme je l'ai fait demander, et que je suis pour elle engagé de parole, je te l'aurais donnée, sans l'aversion que tu témoignes. À toi. En mariage. Moi ? je suis plus raisonnable que tu ne penses.Je ne veux point forcer ton inclination. Non, non, un mariage ne saurait être heureux, où l'inclination n'est pas. Non, du côté de l'Homme, on ne doit point risquer l'affaire, et ce sont des suites fâcheuses, où je n'ai garde de me commettre. Si tu avais senti quelque inclination pour elle, à la bonne heure, je te l'aurais fait épouser, au lieu de moi ; mais cela n'étant pas, je suivrai mon premier dessein, et je l'épouserai moi-même. Lui avez-vous rendu visite ? Beaucoup de fois ? Vous a-t-on bien reçu ? Lui avez-vous déclaré votre passion, et le dessein où vous étiez de l'épouser ? A-t-elle écouté, pour sa Fille, votre proposition ? Et la Fille correspond-elle fort à votre amour ? Je suis bien aise d'avoir appris un tel secret, et voilà justement ce que je demandais. Oh sus, mon fils, savez-vous ce qu'il y a ? c'est qu'il faut songer, s'il vous plaît, à vous défaire de votre amour ; à cesser toutes vos poursuites auprès d'une Personne que je prétends pour moi ; et à vous marier dans peu avec celle qu'on vous destine. Comment, pendard, tu as l'audace d'aller sur mes brisées ? Ne suis-je pas ton Père ? et ne me dois-tu pas respect ? Je te ferai bien me connaître, avec de bons coups de bâton. Tu renonceras à Mariane. Donnez-moi un bâton tout à l'heure. Me parler avec cette impudence ! Laisse-moi faire. Je te veux faire toi-même, Maître Jacques, juge de cette affaire, pour montrer comme j'ai raison. J'aime une Fille, que je veux épouser ; et le pendard a l'insolence de l'aimer avec moi, et d'y prétendre malgré mes ordres. N'est-ce pas une chose épouvantable, qu'un Fils qui veut entrer en concurrence avec son Père ? et ne doit il pas, par respect, s'abstenir de toucher à mes inclinations ? Ah, dis-lui, Maître Jacques, que moyennant cela, il pourra espérer toutes choses de moi ; et que hors Mariane, je lui laisse la liberté de choisir celle qu'il voudra. Voilà qui va le mieux du monde. Tu m'a fait plaisir, maître Jacques, et cela mérite une récompense. Va, je m'en souviendrai, je t'assure. Cela n'est rien. Et moi, j'ai toutes les joies du monde de te voir raisonnable. On oublie aisément les fautes des Enfants, lorsqu'ils rentrent dans leur devoir. C'est une chose où tu m'obliges, par la soumission et le respect où tu te ranges. Et moi, je te promets qu'il n'y aura aucune chose, que de moi tu n'obtiennes. Comment ? Qui est-ce qui parle de t'accorder Mariane ? Moi ? Comment ? C'est toi qui as promis d'y renoncer ? Oui. Tu ne t'es pas départi d'y prétendre ? Quoi, pendard, derechef ? Laisse-moi faire, traître. Je te défends de me jamais voir. Je t'abandonne. Je te renonce pour mon Fils. Je te déshérite. Et je te donne ma malédiction. Au voleur, au voleur, à l'assassin, au meurtrier.Justice, juste Ciel.Je suis perdu, je suis assassiné, on m'a coupé la gorge, on m'a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? qu'est-il devenu ? où est-il ? où se cache-t-il ? que ferai-je pour le trouver ? où courir ? où ne pas courir ? n'est-il point là ? n'est-il point ici ? qui est-ce ? Arrête. Rends-moi mon argent, coquin… Ah, c'est moi.Mon esprit est troublé, et j'ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas, mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami, on m'a privé de toi ; et puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie, tout est fini pour moi, et je n'ai plus que faire au monde.Sans toi, il m'est impossible de vivre. C'en est fait, je n'en puis plus, je me meurs, je suis mort, je suis enterré. N'y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui l'a pris ? Euh ? que dites-vous ? Ce n'est personne.Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin on ait épié l'heure ; et l'on a choisi justement le temps que je parlais à mon traître de Fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice, et faire donner la Question à toute la Maison ; à Servantes, à Valets, à Fils, à Fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés ! Je ne jette mes regards sur personne, qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. Eh ! de quoi est-ce qu'on parle là ? de celui qui m'a dérobé ?Quel bruit fait-on là-haut ? est-ce mon voleur qui y est ? De grâce, si l'on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il point caché là parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez qu'ils ont part, sans doute, au vol que l'on m'a fait. Allons vite, des Commissaires, des Archers, des Prévôts, des Juges, des Gênes, des Potences et des Bourreaux. Je veux faire pendre tout le monde ; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après. Tous les Magistrats sont intéressés à prendre cette affaire en main ; et si l'on ne me fait retrouver mon argent, je demanderai justice de la Justice. Dix mille écus bien comptés. Dix mille écus. Il n'y a point de supplice assez grand pour l'énormité de ce crime ; et s'il demeure impuni, les choses les plus sacrées ne sont plus en sûreté. En bons Louis d'or, et Pistoles bien trébuchantes. Tout le Monde ; et je veux que vous arrêtiez prisonniers la Ville et les Faubourgs. Qui ? celui qui m'a dérobé ? Il n'est pas question de cela ; et voilà Monsieur, à qui il faut parler d'autre chose. Ce n'est pas là l'affaire. Traître, il s'agit d'autre chose que de souper ; et je veux que tu me dises des nouvelles de l'argent qu'on m'a pris. Oui, coquin ; et je m'en vais te pendre, si tu ne me le rends. Qu'as-tu à ruminer ? Valère ? Lui, qui me paraît si fidèle ? Et sur quoi le crois-tu ? Oui. L'as-tu vu rôder autour du lieu, où j'avais mis mon argent ? Dans le Jardin. Dans une Cassette. Et cette Cassette, comment est-elle faite ? Je verrai bien si c'est la mienne. Oui. Celle qu'on m'a volée est petite. Euh ? Non, grise. Il n'y a point de doute.C'est elle assurément. Écrivez, Monsieur, écrivez sa déposition. Ciel ! à qui désormais se fier ! Il ne faut plus jurer de rien ; et je crois après cela que je suis Homme à me voler moi-même. Approche. Viens confesser l'action la plus noire, l'attentat le plus horrible, qui jamais ait été commis. Comment, traître, tu ne rougis pas de ton crime ? De quel crime, je veux parler, infâme, comme si tu ne savais pas ce que je veux dire. C'est en vain que tu prétendrais de le déguiser. L'affaire est découverte, et l'on vient de m'apprendre tout.Comment abuser ainsi de ma bonté, et s'introduire exprès chez moi pour me trahir ? pour me jouer un tour de cette nature ? Et quelles belles raisons peux-tu me donner, Voleur infâme ? Comment pardonnable ? Un guet-apens ? Un assassinat de la sorte ? Le mal n'est pas si grand que je le fais ! Quoi mon sang, mes entrailles, pendard ? C'est bien mon intention ; et que tu me restitues ce que tu m'as ravi. Il n'est pas question d'honneur là-dedans. Mais, dis-moi, qui t'a porté à cette action ? Oui, vraiment, je te le demande. L'Amour ? Bel amour, bel amour, ma foi ! L'amour de mes Louis d'or. Non ferai, de par tous les Diables, je ne te le laisserai pas. Mais voyez quelle insolence, de vouloir retenir le vol qu'il m'a fait ! Si je l'appelle un vol ? Un trésor comme celui-là. Je n'en ferai rien. Qu'est-ce à dire cela ? Le Serment est admirable, et la Promesse plaisante ! Je vous en empêcherai bien, je vous assure. C'est être bien endiablé après mon argent. Vous verrez que c'est par charité chrétienne qu'il veut avoir mon bien ; mais j'y donnerai bon ordre ; et la Justice, pendard effronté, me va faire raison de tout. Je le crois bien, vraiment ; il serait fort étrange que ma Fille eût trempé dans ce crime. Mais je veux ravoir mon affaire, et que tu me confesses en quel endroit tu me l'as enlevée. Ô ma chère Cassette ! Elle n'est point sortie de ma maison ? Hé, dis-moi donc un peu ; Tu n'y as point touché ? Brûlé pour ma cassette ! Ma Cassette trop honnête ! Les beaux yeux de ma Cassette ! Il parle d'elle, comme un Amant d'une Maîtresse. Quoi, ma Servante est complice de l'affaire ? Eh ? Est-ce que la peur de la justice le fait extravaguer ? Que nous brouilles-tu ici de ma Fille ? La pudeur de qui ? Ma fille t'a signé une Promesse de mariage ! Ô Ciel ! autre disgrâce ! Rengrègement de mal ! Surcroît de désespoir ! Allons, Monsieur, faites le dû de votre Charge, et dressez-lui-moi son Procès, comme Larron, et comme suborneur. Ah ! fille scélérate ! Fille indigne d'un Père comme moi ! C'est ainsi que tu pratiques les Leçons que je t'ai données ! Tu te laisses prendre d'amour pour un Voleur infâme, et tu lui engages ta foi sans mon consentement ? Mais vous serez trompés l'un et l'autre. Quatre bonnes murailles me répondront de ta conduite ; et une bonne Potence me fera raison de ton audace. Je me suis abusé de dire une Potence ; et tu seras roué tout vif. Tout cela n'est rien ; et il valait bien mieux pour moi, qu'il te laissât noyer que de faire ce qu'il a fait. Non, non, je ne veux rien entendre ; et il faut que la Justice fasse son devoir. Ah ! Seigneur Anselme, vous me voyez le plus infortuné de tous les hommes ; et voici bien du trouble et du désordre au Contrat que vous venez faire ?On m'assassine dans le bien, on m'assassine dans l'honneur ; et voilà un traître, un scélérat, qui a violé tous les droits les plus saints ; qui s'est coulé chez moi sous le titre de Domestique, pour me dérober mon argent, et pour me suborner ma Fille. Oui, ils se sont donné l'un et l'autre une Promesse de mariage. Cet affront vous regarde, Seigneur Anselme ; et c'est vous qui devez vous rendre partie contre lui, et faire toutes les poursuites de la Justice, pour vous venger de son insolence. Voilà Monsieur, qui est un honnête Commissaire, qui n'oubliera rien à ce qu'il m'a dit de la fonction de son Office. Chargez-le comme il faut, Monsieur, et rendez les choses bien criminelles. Je me moque de tous ces contes ; et le Monde aujourd'hui n'est plein que de ces larrons de Noblesse, que de ces imposteurs, qui tirent avantage de leur obscurité, et s'habillent insolemment du premier nom illustre qu'ils s'avisent de prendre. Je ne me soucie, ni de D. Thomas, ni de Dom Martin. C'est là votre Fils ? Je vous prends à partie, pour me payer dix mille écus qu'il m'a volés. Lui-même. Maître Jacques. Oui. Voilà Monsieur le Commissaire qui a reçu sa déposition. Capable, ou non capable, je veux ravoir mon argent. Où est-il ? N'en a-t-on rien ôté ? Il faut, pour me donner conseil, que je voie ma cassette. Je n'ai point d'argent à donner en mariage à mes Enfants. Vous obligerez-vous à faire tous les frais de ces deux Mariages ? Oui, pourvu que pour les Noces vous me fassiez faire un habit. Nous n'avons que faire de vos écritures. Pour votre paiement, voilà un Homme que je vous donne à pendre. Vous payerez donc le Commissaire ? Et moi, voir ma chère Cassette. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_cleante *date_1668 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_cleante Je suis bien aise de vous trouver seule, ma Sœur ; et je brûlais de vous parler, pour m'ouvrir à vous d'un secret. Bien des choses, ma Sœur, enveloppées dans un motJ'aime. Oui, j'aime.Mais avant que d'aller plus loin, je sais que je dépends d'un Père, et que le nom de Fils me soumet à ses volontés ; que nous ne devons point engager notre foi, sans le consentement de ceux dont nous tenons le jour ; que le Ciel les a faits les maîtres de nos vœux, et qu'il nous est enjoint de n'en disposer que par leur conduite ; que n'étant prévenus d'aucune folle ardeur, ils sont en état de se tromper bien moins que nous, et de voir beaucoup mieux ce qui nous est propre ; qu'il en faut plutôt croire les lumières de leur prudence, que l'aveuglement de notre passion ; et que l'emportement de la jeunesse nous entraîne le plus souvent dans des précipices fâcheux. Je vous dis tout cela, ma Sœur, afin que vous ne vous donniez pas la peine de me le dire : car enfin, mon amour ne veut rien écouter, et je vous prie de ne me point faire de remontrances. Non ; mais j'y suis résolu ; et je vous conjure encore une fois, de ne me point apporter de raisons pour m'en dissuader. Non, ma Sœur, mais vous n'aimez pas.Vous ignorez la douce violence qu'un tendre amour fait sur nos cœurs ; et j'appréhende votre sagesse. Ah ! plût au Ciel que votre âme comme la mienne… Une jeune personne qui loge depuis peu en ces quartiers, et qui semble être faite pour donner de l'amour à tous ceux qui la voient. La Nature, ma Sœur, n'a rien formé de plus aimable ; et je me sentis transporté, dès le moment que je la vis. Elle se nomme Mariane, et vit sous la conduite d'une bonne Femme de Mère, qui est presque toujours malade, et pour qui cette aimable Fille a des sentiments d'amitié qui ne sont pas imaginables. Elle la sert, la plaint, et la console avec une tendresse qui vous toucherait l'âme. Elle se prend d'un air le plus charmant du monde aux choses qu'elle fait, et l'on voit briller mille grâces en toutes ses actions ; une douceur pleine d'attraits, une bonté toute engageante, une honnêteté adorable, une…Ah ! ma Sœur, je voudrais que vous l'eussiez vue. J'ai découvert sous main, qu'elles ne sont pas fort accommodées, et que leur discrète conduite a de la peine à étendre à tous leurs besoins le bien qu'elles peuvent avoir. Figurez-vous, ma Sœur, quelle joie ce peut être, que de relever la fortune d'une Personne que l'on aime ; que de donner adroitement quelques petits secours aux modestes nécessités d'une vertueuse Famille ; et concevez quel déplaisir ce m'est, de voir que par l'avarice d'un Père, je sois dans l'impuissance de goûter cette joie, et de faire éclater à cette Belle aucun témoignage de mon amour. Ah ! ma Sœur, il est plus grand qu'on ne peut croire. Car enfin, peut-on rien voir de plus cruel, que cette rigoureuse épargne qu'on exerce sur nous ? que cette sécheresse étrange où l'on nous fait languir ? Et que nous servira d'avoir du bien, s'il ne nous vient que dans le temps que nous ne serons plus dans le bel âge d'en jouir ? et si pour m'entretenir même, il faut que maintenant je m'engage de tous côtés ; si je suis réduit avec vous à chercher tous les jours le secours des Marchands, pour avoir moyen de porter des habits raisonnables ? Enfin j'ai voulu vous parler, pour m'aider à sonder mon Père sur les sentiments où je suis ; et si je l'y trouve contraire, j'ai résolu d'aller en d'autres lieux, avec cette aimable Personne, jouir de la fortune que le Ciel voudra nous offrir. Je fais chercher partout pour ce dessein, de l'argent à emprunter ; et si vos affaires, ma Sœur, sont semblables aux miennes, et qu'il faille que notre Père s'oppose à nos désirs, nous le quitterons là tous deux, et nous affranchirons de cette tyrannie où nous tient depuis si longtemps son avarice insupportable. J'entends sa voix. Éloignons-nous un peu, pour nous achever notre confidence ; et nous joindrons après nos forces pour venir attaquer la dureté de son humeur. Rien, mon Père. Quoi ? mon Père. Non. Nous feignions à vous aborder, de peur de vous interrompre. Nous n'entrons point dans vos affaires. Je ne crois pas… Je pense que… Mon Dieu, mon Père, vous n'avez pas lieu de vous plaindre ; et l'on sait que vous avez assez de bien. Est-ce être votre ennemi, que de dire que vous avez du bien ? Quelle grande dépense est-ce que je fais ? Hé comment vous dérober ? Moi ? mon Père : c'est que je joue ; et comme je suis fort heureux, je mets sur moi tout l'argent que je gagne. Vous avez raison. C'est de mariage, mon Père, que nous désirons vous parler. Le mariage peut nous faire peur à tous deux, de la façon que vous pouvez l'entendre ; et nous craignons que nos sentiments ne soient pas d'accord avec votre choix. Oui, mon Père. Une fort charmante Personne. Toute honnête, et pleine d'esprit. Admirables, sans doute. Oui, mon Père. Très souhaitable. Sans doute. Assurément. Ah ! mon Père, le bien n'est pas considérable, lorsqu'il est question d'épouser une honnête personne. Cela s'entend. Euh ? Vous êtes résolu, dites-vous… Qui vous ? vous ? Il m'a pris tout à coup un éblouissement, et je me retire d'ici. Ah ! traître que tu es, où t'es-tu donc allé fourrer ?Ne t'avais-je pas donné ordre… Comment va notre affaire ?Les choses pressent plus que jamais ; et depuis que je ne t'ai vu, j'ai découvert que mon Père est mon Rival. Oui ; et j'ai eu toutes les peines du monde à lui cacher le trouble où cette nouvelle m'a mis. Il a fallu, pour mes péchés, que cette passion lui soit venue en tête. Pour lui donner moins de soupçon, et me conserver au besoin des ouvertures plus aisées pour détourner ce mariage. Quelle réponse t'a-t-on faite ? L'affaire ne se fera point ? J'aurai les quinze mille francs que je demande ? T'a-t-il fait parler à celui qui doit prêter l'argent ? Et principalement notre Mère étant morte, dont on ne peut m'ôter le bien. Il n'y a rien à dire à cela. Au denier dix-huit ? Parbleu, voilà qui est honnête.Il n'y a pas lieu de se plaindre. Comment diable ! quel Juif ! quel Arabe est-ce là ?C'est plus qu'au denier quatre. Que veux-tu que je voie ? J'ai besoin d'argent ; et il faut bien que je consente à tout. Il y a encore quelque chose ? Que veut dire cela ? Que veut-il que je fasse de cela ? Qu'ai-je affaire, morbleu… J'enrage. Que la peste l'étouffe avec sa discrétion, le traître, le bourreau qu'il est.A-t-on jamais parlé d'une usure semblable ? Et n'est-il pas content du furieux intérêt qu'il exige, sans vouloir encore m'obliger à prendre, pour trois mille livres, les vieux rogatons qu'il ramasse ? Je n'aurai pas deux cents écus de tout cela ; et cependant il faut bien me résoudre à consentir à ce qu'il veut ; car il est en état de me faire tout accepter, et il me tient, le scélérat, le poignard sur la gorge. Que veux-tu que j'y fasse ? Voilà où les jeunes gens sont réduits par la maudite avarice des Pères ; et on s'étonne après cela que les Fils souhaitent qu'ils meurent. Donne-moi un peu ce Mémoire, que je le voie encore. Lui aurait-on appris qui je suis ? et serais-tu pour nous trahir ? Comment, mon Père, c'est vous qui vous portez à ces honteuses actions ? C'est vous qui cherchez à vous enrichir par des usures si criminelles ? Osez-vous bien, après cela, vous présenter aux yeux du monde ? Ne rougissez-vous point, de déshonorer votre condition, par les commerces que vous faites ? de sacrifier gloire et réputation, au désir insatiable d'entasser écu sur écu ? et de renchérir, en fait d'intérêts, sur les plus infâmes subtilités qu'aient jamais inventées les plus célèbres Usuriers ? Qui est plus criminel, à votre avis, ou celui qui achète un argent dont il a besoin, ou bien celui qui vole un argent dont il n'a que faire ? Moi, mon Père, mauvais visage ; et par quelle raison ? À vous dire le vrai, mon Père, je ne puis pas vous promettre d'être bien aise qu'elle devienne ma Belle-Mère.Je mentirais, si je vous le disais : mais pour ce qui est de la bien recevoir, et de lui faire bon visage, je vous promets de vous obéir ponctuellement sur ce chapitre. Vous verrez que vous n'aurez pas sujet de vous en plaindre. Madame, à vous dire le vrai, c'est ici une aventure où sans doute je ne m'attendais pas ; et mon Père ne m'a pas peu surpris, lorsqu'il m'a dit tantôt le dessein qu'il avait formé. Il est vrai que mon Père, Madame, ne peut pas faire un plus beau choix, et que ce m'est une sensible joie, que l'honneur de vous voir : Mais avec tout cela, je ne vous assurerai point que je me réjouis du dessein où vous pourriez être de devenir ma Belle-Mère. Le compliment, je vous l'avoue, est trop difficile pour moi ; et c'est un titre, s'il vous plaît, que je ne vous souhaite point. Ce discours paraîtra brutal aux yeux de quelques-uns ; mais je suis assuré que vous serez personne à le prendre comme il faudra.Que c'est un mariage, Madame, où vous vous imaginez bien que je dois avoir de la répugnance ; que vous n'ignorez pas, sachant ce que je suis, comme il choque mes intérêts ; et que vous voulez bien enfin que je vous dise, avec la permission de mon Père, que si les choses dépendaient de moi, cet hymen ne se ferait point. Non, mon Père, je ne suis point capable d'en changer ; et je prie instamment Madame de le croire. Voulez-vous que je trahisse mon cœur ? Hé bien, puisque vous voulez que je parle d'autre façon ; souffrez, Madame, que je me mette ici à la place de mon Père ; et que je vous avoue, que je n'ai rien vu dans le monde de si charmant que vous ; que je ne conçois rien d'égal au bonheur de vous plaire ; et que le titre de votre Époux est une gloire, une félicité, que je préférerais aux destinées des plus grands Princes de la Terre. Oui, Madame, le bonheur de vous posséder est à mes regards la plus belle de toutes les fortunes ; c'est où j'attache toute mon ambition.Il n'y a rien que je ne sois capable de faire pour une conquête si précieuse ; et les obstacles les plus puissants… C'est un compliment que je fais pour vous à Madame. J'y ai pourvu, mon Père, et j'ai fait apporter ici quelques bassins d'Oranges de la Chine, de Citrons doux, et de Confitures, que j'ai envoyé quérir de votre part. Est-ce que vous trouvez, mon Père, que ce ne soit pas assez ? Madame aura la bonté d'excuser cela, s'il lui plaît. Avez-vous jamais vu, Madame, un Diamant plus vif que celui que vous voyez que mon Père a au doigt ? Il faut que vous le voyiez de près. Nenni, Madame, il est en de trop belles mains. C'est un présent que mon Père vous a fait. N'est-il pas vrai, mon Père, que vous voulez que Madame le garde pour l'amour de vous ? Belle demande.Il me fait signe de vous le faire accepter. Vous moquez-vous ? Il n'a garde de le reprendre. Non, vous dis-je, c'est l'offenser. Point du tout. Le voilà qui se scandalise de votre refus. Vous voyez qu'il se désespère. Mon Père, ce n'est pas ma faute. Je fais ce que je puis pour l'obliger à la garder, mais elle est obstinée. Vous êtes cause, Madame, que mon Père me querelle. Vous le ferez tomber malade. De grâce, Madame, ne résistez point davantage. Qu'est-ce, mon Père ? Vous êtes-vous fait mal ? En attendant qu'ils soient ferrés, je vais faire pour vous, mon Père, les honneurs de votre Logis, et conduire Madame dans le Jardin, où je ferai porter la collation. Rentrons ici, nous serons beaucoup mieux.Il n'y a plus autour de nous personne de suspect, et nous pouvons parler librement. Que veux-tu ? c'est ma mauvaise destinée qui l'a voulu ainsi.Mais, belle Mariane, quelles résolutions sont les vôtres ? Point d'autre appui pour moi dans votre cœur que de simples souhaits ? point de pitié officieuse ? point de secourable bonté ? point d'affection agissante ? Hélas, où me réduisez-vous, que de me renvoyer à ce que voudront me permettre les fâcheux sentiments d'un rigoureux honneur, et d'une scrupuleuse bienséance ! Frosine, ma pauvre Frosine, voudrais-tu nous servir ? Songe un peu, je te prie. Cela s'entend. Tu as raison. Tout cela est fort bien pensé. Sois assurée, Frosine, de ma reconnaissance, si tu viens à bout de la chose : mais, charmante Mariane, commençons, je vous prie, par gagner votre Mère ; c'est toujours beaucoup faire, que de rompre ce mariage.Faites-y de votre part, je vous en conjure, tous les efforts qu'il vous sera possible.Servez-vous de tout le pouvoir que vous donne sur elle cette amitié qu'elle a pour vous.Déployez sans réserve les grâces éloquentes, les charmes tout-puissants que le Ciel a placés dans vos yeux et dans votre bouche ; et n'oubliez rien, s'il vous plaît, de ces tendres paroles, de ces douces prières, et de ces caresses touchantes à qui je suis persuadé qu'on ne saurait rien refuser. Puisque vous n'y allez pas, mon Père, je m'en vais les conduire. Ce qui m'en semble ? Là, là. À vous en parler franchement, je ne l'ai pas trouvée ici ce que je l'avais crue. Son air est de franche Coquette ; sa taille est assez gauche, sa beauté très médiocre, et son esprit des plus communs. Ne croyez pas que ce soit, mon Père, pour vous en dégoûter ; car Belle-Mère pour Belle-Mère, j'aime autant celle-là qu'une autre. Je lui ai dit quelques douceurs en votre nom, mais c'était pour vous plaire. Moi ? point du tout. À moi ? En mariage ? Écoutez, il est vrai qu'elle n'est pas fort à mon goût ; mais pour vous faire plaisir, mon Père, je me résoudrai à l'épouser, si vous voulez. Pardonnez-moi ; je me ferai cet effort pour l'amour de vous. C'est une chose, mon Père, qui peut-être viendra ensuite ; et l'on dit que l'amour est souvent un fruit du mariage. Hé bien, mon Père, puisque les choses sont ainsi, il faut vous découvrir mon cœur, il faut vous révéler notre secret.La vérité est que je l'aime, depuis un jour que je la vis dans une promenade ; que mon dessein était tantôt de vous la demander pour Femme ; et que rien ne m'a retenu, que la déclaration de vos sentiments, et la crainte de vous déplaire. Oui, mon Père. Assez, pour le temps qu'il y a. Fort bien ; mais sans savoir qui j'étais ; et c'est ce qui a fait tantôt la surprise de Mariane. Sans doute ; et même j'en avais fait à sa Mère quelque peu d'ouverture. Oui, fort civilement. Si j'en dois croire les apparences, je me persuade, mon Père, qu'elle a quelque bonté pour moi. Oui, mon Père, c'est ainsi que vous me jouez ! Hé bien, puisque les choses en sont venues là, je vous déclare, moi, que je ne quitterai point la passion que j'ai pour Mariane ; qu'il n'y a point d'extrémité où je ne m'abandonne, pour vous disputer sa conquête ; et que si vous avez pour vous le consentement d'une mère, j'aurai d'autres secours, peut-être, qui combattront pour moi. C'est vous qui allez sur les miennes ; et je suis le premier en date. Ce ne sont point ici des choses où les Enfants soient obligés de déférer aux Pères ; et l'Amour ne connaît personne. Toutes vos menaces ne feront rien. Point du tout. Je me moque de cela. Je n'en démordrai point. Hé bien oui, puisqu'il veut te choisir pour Juge, je n'y recule point ; il ne m'importe qui ce soit ; et je veux bien aussi me rapporter à toi, Maître Jacques, de notre différend. Je suis épris d'une jeune Personne qui répond à mes vœux, et reçoit tendrement les offres de ma foi ; et mon Père s'avise de venir troubler notre amour, par la demande qu'il en fait faire. N'a-t-il point de honte, à son âge, de songer à se marier ? lui sied-il bien d'être encore amoureux ? et ne devrait-il pas laisser cette occupation aux jeunes gens ? Ah, Maître Jacques, tu lui peux assurer, que s'il m'accorde Mariane, il me verra toujours le plus soumis de tous les hommes ; et que jamais je ne ferai aucune chose que par ses volontés. Le Ciel en soit loué. Mon pauvre Maître Jacques, je te serai obligé toute ma vie. Je vous demande pardon, mon Père, de l'emportement que j'ai fait paraître. Je vous assure que j'en ai tous les regrets du monde. Quelle bonté à vous, d'oublier si vite ma faute ! Quoi, ne garder aucun ressentiment de toutes mes extravagances ? Je vous promets, mon Père, que jusques au tombeau, je conserverai dans mon cœur le souvenir de vos bontés. Ah ! mon Père, je ne vous demande plus rien ; et c'est m'avoir assez donné, que de me donner Mariane. Je dis, mon Père, que je suis trop content de vous ; et que je trouve toutes choses dans la bonté que vous avez de m'accorder Mariane. Vous, mon Père. Sans doute. Moi, y renoncer ? Point du tout. Au contraire, j'y suis porté plus que jamais. Rien ne me peut changer. Faites tout ce qu'il vous plaira. À la bonne heure. Abandonnez. Soit. Tout ce que vous voudrez. Je n'ai que faire de vos dons. Qu'y a-t-il ? Comment ? Quoi ? Qu'est-ce que c'est ? Comment as-tu fait ? Ne vous tourmentez point, mon Père, et n'accusez personne. J'ai découvert des nouvelles de votre affaire, et je viens ici pour vous dire, que si vous voulez vous résoudre à me laisser épouser Mariane, votre argent vous sera rendu. Ne vous en mettez point en peine. Il est en lieu dont je réponds, et tout ne dépend que de moi.C'est à vous de me dire à quoi vous vous déterminez ; et vous pouvez choisir, ou de me donner Mariane, ou de perdre votre Cassette. Rien du tout. Voyez si c'est votre dessein de souscrire à ce mariage, et de joindre votre consentement à celui de sa Mère, qui lui laisse la liberté de faire un choix entre nous deux. Vous la verrez saine et entière. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_elise *date_1668 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_elise Non, Valère, je ne puis pas me repentir de tout ce que je fais pour vous. Je m'y sens entraîner par une trop douce puissance, et je n'ai pas même la force de souhaiter que les choses ne fussent pas. Mais, à vous dire vrai, le succès me donne de l'inquiétude ; et je crains fort de vous aimer un peu plus que je ne devrais. Hélas ! cent choses à la fois : L'emportement d'un Père ; les reproches d'une Famille ; les censures du monde ; mais plus que tout, Valère, le changement de votre cœur ; et cette froideur criminelle dont ceux de votre Sexe payent le plus souvent les témoignages trop ardents d'une innocente amour. Ah ! Valère, chacun tient les mêmes discours.Tous les Hommes sont semblables par les paroles ; et ce n'est que les actions, qui les découvrent différents. Hélas ! qu'avec facilité on se laisse persuader par les Personnes que l'on aime !Oui, Valère, je tiens votre cœur incapable de m'abuser.Je crois que vous m'aimez d'un véritable amour, et que vous me serez fidèle ; je n'en veux point du tout douter, et je retranche mon chagrin aux appréhensions du blâme qu'on pourra me donner. Je n'aurais rien à craindre, si tout le monde vous voyait des yeux dont je vous vois ; et je trouve en votre Personne de quoi avoir raison aux choses que je fais pour vous. Mon cœur, pour sa défense, a tout votre mérite, appuyé du secours d'une reconnaissance où le Ciel m'engage envers vous.Je me représente à toute heure ce péril étonnant, qui commença de nous offrir aux regards l'un de l'autre ; cette générosité surprenante, qui vous fit risquer votre vie, pour dérober la mienne à la fureur des ondes ; ces soins pleins de tendresse, que vous me fîtes éclater après m'avoir tirée de l'eau ; et les hommages assidus de cet ardent amour, que ni le temps, ni les difficultés, n'ont rebuté, et qui, vous faisant négliger et Parents et Patrie, arrête vos pas en ces lieux, y tient en ma faveur votre fortune déguisée, et vous a réduit, pour me voir, à vous revêtir de l'emploi de Domestique de mon père.Tout cela fait chez moi sans doute un merveilleux effet ; et c'en est assez à mes yeux, pour me justifier lengagement où j'ai pu consentir : mais ce n'est pas assez, peut-être, pour le justifier aux autres ; et je ne suis pas sûre qu'on entre dans mes sentiments. Ah ! Valère, ne bougez d'ici, je vous prie ; et songez seulement à vous bien mettre dans l'esprit de mon Père. Mais que ne tâchez-vous aussi à gagner l'appui de mon Frère, en cas que la Servante s'avisât de révéler notre secret ? Je ne sais si j'aurai la force de lui faire cette confidence. Me voilà prête à vous ouïr, mon Frère. Qu'avez-vous à me dire ? Vous aimez ? Vous êtes-vous engagé, mon Frère, avec celle que vous aimez ? Suis-je, mon Frère, une si étrange personne ? Hélas ! mon Frère, ne parlons point de ma sagesse. Il n'est personne qui n'en manque du moins une fois en sa vie ; et si je vous ouvre mon cœur, peut-être serai-je à vos yeux bien moins sage que vous. Finissons auparavant votre affaire, et me dites qui est celle que vous aimez. J'en vois beaucoup, mon Frère, dans les choses que vous me dites ; et pour comprendre ce qu'elle est, il me suffit que vous l'aimez. Oui, je conçois assez, mon Frère, quel doit être votre chagrin. Il est bien vrai que tous les jours il nous donne, de plus en plus, sujet de regretter la mort de notre Mère, et que… Nous ne venons que d'arriver. Quoi ? Pardonnez-moi. Ce sont des choses… Vous êtes… Ne vous mettez point en colère. Nous marchandons, mon Frère et moi, à qui parlera le premier ; et nous avons tous deux quelque chose à vous dire. Ah ! mon Père. J'en ai ouï parler. Au Seigneur Anselme ? Je ne veux point me marier, mon Père, s'il vous plaît. Je vous demande pardon, mon Père. Je suis très humble servante au Seigneur Anselme ; mais, avec votre permission, je ne l'épouserai point. Dès ce soir ? Cela ne sera pas, mon Père. Non. Non, vous dis-je. C'est une chose où vous ne me réduirez point. Je me tuerai plutôt, que d'épouser un tel Mari. Mais a-t-on jamais vu un Père marier sa Fille de la sorte ? Et moi, je gage qu'il ne saurait être approuvé d'aucune Personne raisonnable. J'y consens. Oui, j'en passerai par ce qu'il dira. Vous moquez-vous, Valère, de lui parler comme vous faites ? Mais ce mariage, Valère ? Mais quelle invention trouver, s'il se doit conclure ce soir ? Mais on découvrira la feinte, si l'on appelle des Médecins. Oui, mon Père. Vous avez fait, Madame, ce que je devais faire, et c'était à moi de vous prévenir. Oui, Madame, mon Frère m'a fait confidence de la passion qu'il a pour vous. Je sais les chagrins et les déplaisirs que sont capables de causer de pareilles traverses ; et c'est, je vous assure, avec une tendresse extrême que je m'intéresse à votre aventure. Trouve quelque invention pour rompre ce que tu as fait. Voilà mon Père. Ah ! mon père, prenez des sentiments un peu plus humains, je vous prie, et n'allez point pousser les choses dans les dernières violences du pouvoir paternel : Ne vous laissez point entraîner aux premiers mouvements de votre passion, et donnez-vous le temps de considérer ce que vous voulez faire.Prenez la peine de mieux voir celui dont vous vous offensez : il est tout autre que vos yeux ne le jugent ; et vous trouverez moins étrange que je me sois donnée à lui, lorsque vous saurez que sans lui vous ne m'auriez plus il y a longtemps. Oui, mon Père, c'est celui qui me sauva de ce grand péril que vous savez que je courus dans l'eau, et à qui vous devez la vie de cette même fille, dont… Mon père, je vous conjure, par l'amour paternel, de me… **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_valere *date_1668 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_valere Hé quoi, charmante Élise, vous devenez mélancolique, après les obligeantes assurances que vous avez eu la bonté de me donner de votre foi ?Je vous vois soupirer, hélas, au milieu de ma joie !Est-ce du regret, dites-moi, de m'avoir fait heureux ? et vous repentez-vous de cet engagement où mes feux ont pu vous contraindre ? Hé que pouvez-vous craindre, Élise, dans les bontés que vous avez pour moi ? Ah ! ne me faites pas ce tort, de juger de moi par les autres.Soupçonnez-moi de tout, Élise, plutôt que de manquer à ce que je vous dois.Je vous aime trop pour cela ; et mon amour pour vous, durera autant que ma vie. Puisque les seules actions font connaître ce que nous sommes ; attendez donc au moins à juger de mon cœur par elles, et ne me cherchez point des crimes dans les injustes craintes d'une fâcheuse prévoyance. Ne m'assassinez point, je vous prie, par les sensibles coups d'un soupçon outrageux ; et donnez-moi le temps de vous convaincre, par mille et mille preuves, de l'honnêteté de mes feux. Mais pourquoi cette inquiétude ? De tout ce que vous avez dit, ce n'est que par mon seul amour que je prétends auprès de vous mériter quelque chose ; et quant aux scrupules que vous avez, votre Père, lui-même, ne prend que trop de soin de vous justifier à tout le monde ; et l'excès de son avarice, et la manière austère dont il vit avec ses Enfants, pourraient autoriser des choses plus étranges. Pardonnez-moi, charmante Élise, si j'en parle ainsi devant vous.Vous savez que sur ce chapitre on n'en peut pas dire de bien. Mais enfin, si je puis, comme je l'espère, retrouver mes Parents, nous n'aurons pas beaucoup de peine à nous le rendre favorable. J'en attends des nouvelles avec impatience, et j'en irai chercher moi-même, si elles tardent à venir. Vous voyez comme je m'y prends, et les adroites complaisances qu'il m'a fallu mettre en usage, pour m'introduire à son service ; sous quel masque de sympathie, et de rapports de sentiments, je me déguise, pour lui plaire, et quel personnage je joue tous les jours avec lui, afin d'acquérir sa tendresse. J'y fais des progrès admirables ; et j'éprouve que pour gagner les Hommes, il n'est point de meilleure voie, que de se parer à leurs yeux de leurs inclinations ; que de donner dans leurs maximes, encenser leurs défauts, et applaudir à ce qu'ils font. On n'a que faire d'avoir peur de trop charger la complaisance ; et la manière dont on les joue, a beau être visible, les plus fins toujours sont de grandes dupes du côté de la flatterie ; et il n'y a rien de si impertinent, et de si ridicule, qu'on ne fasse avaler, lorsqu'on l'assaisonne en louange.La sincérité souffre un peu au métier que je fais : mais quand on a besoin des Hommes, il faut bien s'ajuster à eux ; et puisqu'on ne saurait les gagner que par là, ce n'est pas la faute de ceux qui flattent, mais de ceux qui veulent être flattés. On ne peut pas ménager l'un et l'autre ; et l'esprit du Père, et celui du Fils, sont des choses si opposées, qu'il est difficile d'accommoder ces deux confidences ensemble. Mais vous, de votre part, agissez auprès de votre Frère, et servez-vous de l'amitié qui est entre vous deux, pour le jeter dans nos intérêts. Il vient.Je me retire.Prenez ce temps pour lui parler ; et ne lui découvrez de notre affaire, que ce que vous jugerez à propos. C'est vous, Monsieur, sans contredit. Non. Mais vous ne sauriez avoir tort, et vous êtes toute raison. Ce que j'en dis ? Eh, eh. Je dis que dans le fond je suis de votre sentiment ; et vous ne pouvez pas que vous n'ayez raison. Mais aussi n'a-t-elle pas tort tout à fait, et… Cela est vrai. Mais elle pourrait vous dire que c'est un peu précipiter les choses, et qu'il faudrait au moins quelque temps pour voir si son inclination pourra s'accommoder avec… Sans dot ? Ah ! je ne dis plus rien. Voyez-vous, voilà une raison tout à fait convaincante ; il se faut rendre à cela. Assurément, cela ne reçoit point de contradiction. Il est vrai que votre Fille vous peut représenter que le mariage est une plus grande affaire qu'on ne peut croire ; qu'il y va d'être heureux, ou malheureux, toute sa vie ; et qu'un engagement qui doit durer jusqu'à la mort, ne se doit jamais faire qu'avec de grandes précautions. Vous avez raison.Voilà qui décide tout, cela s'entend. Il y a des gens qui pourraient vous dire qu'en de telles occasions l'inclination d'une Fille est une chose sans doute où l'on doit avoir de l'égard ; et que cette grande inégalité d'âge, d'humeur, et de sentiments, rend un mariage sujet à des accidents très fâcheux. Ah ! il n'y a pas de réplique à cela.On le sait bien.Qui diantre peut aller là contre ? Ce n'est pas qu'il n'y ait quantité de Pères qui aimeraient mieux ménager la satisfaction de leurs Filles, que l'argent qu'ils pourraient donner ; qui ne les voudraient point sacrifier à l'intérêt, et chercheraient plus que toute autre chose, à mettre dans un mariage cette douce conformité qui sans cesse y maintient l'honneur, la tranquillité, et la joie ; et que… Il est vrai.Cela ferme la bouche à tout, sans dot. Le moyen de résister à une raison comme celle-là ? C'est pour ne point l'aigrir, et pour en venir mieux à bout. Heurter de front ses sentiments, est le moyen de tout gâter ; et il y a de certains esprits qu'il ne faut prendre qu'en biaisant ; des tempéraments ennemis de toute résistance ; des naturels rétifs, que la vérité fait cabrer, qui toujours se roidissent contre le droit chemin de la raison, et qu'on ne mène qu'en tournant où l'on veut les conduire. Faites semblant de consentir à ce qu'il veut, vous en viendrez mieux à vos fins, et… On cherchera des biais pour le rompre. Il faut demander un délai, et feindre quelque maladie. Vous moquez-vous ?Y connaissent-ils quelque chose ? Allez, allez, vous pourrez avec eux avoir quel mal il vous plaira, ils vous trouveront des raisons pour vous dire d'où cela vient. Enfin notre dernier recours, c'est que la fuite nous peut mettre à couvert de tout ; et si votre amour, belle Élise, est capable d'une fermeté… Oui, il faut qu'une fille obéisse à son Père. Il ne faut point qu'elle regarde comme un Mari est fait ; et lorsque la grande raison de sans dot s'y rencontre, elle doit être prête à prendre tout ce qu'on lui donne. Monsieur, je vous demande pardon, si je m'emporte un peu, et prends la hardiesse de lui parler comme je fais. Après cela, résistez à mes remontrances. Monsieur, je vais la suivre, pour lui continuer les leçons que je lui faisais. Il est bon de lui tenir un peu la bride haute. Ne vous mettez pas en peine, je crois que j'en viendrai à bout. Oui, l'argent est plus précieux que toutes les choses du monde ; et vous devez rendre grâces au Ciel, de l'honnête homme de Père qu'il vous a donné. Il sait ce que c'est que de vivre. Lorsqu'on s'offre de prendre une Fille sans dot, on ne doit point regarder plus avant. Tout est renfermé là-dedans, et sans dot tient lieu de beauté, de jeunesse, de naissance, d'honneur, de sagesse, et de probité. Je n'ai jamais vu de réponse plus impertinente que celle-là. Voilà une belle merveille, que de faire bonne chère avec bien de l'argent.C'est une chose la plus aisée du monde, et il n'y a si pauvre esprit qui n'en fît bien autant : mais pour agir en habile Homme, il faut parler de faire bonne chère avec peu d'argent. Oui. Cela s'entend. Est-ce que vous avez envie de faire crever tout le monde ? Et Monsieur a-t-il invité des gens pour les assassiner à force de mangeaille ? Allez-vous-en lire un peu les préceptes de la santé, et demander aux Médecins s'il y a rien de plus préjudiciable à l'Homme que de manger avec excès. Apprenez, Maître Jacques, vous, et vos pareils, que c'est un coupe-gorge, qu'une table remplie de trop de viandes ; que pour se bien montrer ami de ceux que l'on invite, il faut que la frugalité règne dans les repas qu'on donne ; et que, suivant le dire d'un Ancien, il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger. Qu'il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger. Je ne me souviens pas maintenant de son nom. Je n'y manquerai pas. Et pour votre souper, vous n'avez qu'à me laisser faire.Je réglerai tout cela comme il faut. Reposez-vous sur moi. Monsieur, j'obligerai le voisin le Picard, à se charger de les conduire : aussi bien nous fera-t-il ici besoin pour apprêter le souper. Maître Jacques fait bien le raisonnable. À ce que je puis voir, Maître Jacques, on paye mal votre franchise. Ah, Monsieur Maître Jacques, ne vous fâchez pas, je vous prie. Eh doucement. De grâce. Monsieur Maître Jacques. Comment, un bâton ? Savez-vous bien, Monsieur le fat, que je suis Homme à vous rosser vous-même ? Que vous n'êtes, pour tout potage, qu'un faquin de cuisinier ? Et que vous ne me connaissez pas encore ? Vous me rosserez, dites-vous ? Et moi, je ne prends point de goût à votre raillerie. Apprenez que vous êtes un mauvais railleur. Il a perdu le sens. Cela ne sera rien. C'est assez. Que voulez-vous, Monsieur ? De quel crime voulez-vous donc parler ? Monsieur, puisqu'on vous a découvert tout, je ne veux point chercher de détours, et vous nier la chose. C'était mon dessein de vous en parler, et je voulais attendre pour cela des conjonctures favorables ; mais puisqu'il est ainsi, je vous conjure de ne vous point fâcher, et de vouloir entendre mes raisons. Ah ! Monsieur, je n'ai pas mérité ces noms. Il est vrai que j'ai commis une offense envers vous ; mais après tout ma faute est pardonnable. De grâce, ne vous mettez point en colère. Quand vous m'aurez ouï, vous verrez que le mal n'est pas si grand que vous le faites. Votre sang, Monsieur, n'est pas tombé dans de mauvaises mains. Je suis d'une condition à ne lui point faire de tort, et il n'y a rien en tout ceci que je ne puisse bien réparer. Votre honneur, Monsieur, sera pleinement satisfait. Hélas ! me le demandez-vous ? Un Dieu qui porte les excuses de tout ce qu'il fait faire : l'Amour. Oui. Non, Monsieur, ce ne sont point vos richesses qui m'ont tenté, ce n'est pas cela qui m'a ébloui, et je proteste de ne prétendre rien à tous vos biens, pourvu que vous me laissiez celui que j'ai. Appelez-vous cela un vol ? C'est un trésor, il est vrai, et le plus précieux que vous ayez sans doute ; mais ce ne sera pas le perdre, que de me le laisser. Je vous le demande à genoux, ce trésor plein de charmes ; et pour bien faire, il faut que vous me l'accordiez. Nous nous sommes promis une foi mutuelle, et avons fait serment de ne nous point abandonner. Oui, nous nous sommes engagés d'être l'un à l'autre à jamais. Rien que la mort ne nous peut séparer. Je vous ai déjà dit, Monsieur, que ce n'était point l'intérêt qui m'avait poussé à faire ce que j'ai fait. Mon cœur n'a point agi par les ressorts que vous pensez, et un motif plus noble m'a inspiré cette résolution. Vous en userez comme vous voudrez, et me voilà prêt à souffrir toutes les violences qu'il vous plaira ; mais je vous prie de croire, au moins, que s'il y a du mal, ce n'est que moi qu'il en faut accuser, et que votre Fille en tout ceci n'est aucunement coupable. Moi ? je ne l'ai point enlevée, et elle est encore chez vous. Non, Monsieur. Moi, y toucher ? Ah ! vous lui faites tort, aussi bien qu'à moi ; et c'est d'une ardeur toute pure et respectueuse, que j'ai brûlé pour elle. J'aimerais mieux mourir que de lui avoir fait paraître aucune pensée offensante. Elle est trop sage et trop honnête pour cela. Tous mes désirs se sont bornés à jouir de sa vue ; et rien de criminel n'a profané la passion que ses beaux yeux m'ont inspirée. Dame Claude, Monsieur, sait la vérité de cette aventure, et elle vous peut rendre témoignage… Oui, Monsieur, elle a été témoin de notre engagement ; et c'est après avoir connu l'honnêteté de ma flamme, qu'elle m'a aidé à persuader votre Fille de me donner sa foi, et recevoir la mienne. Je dis, Monsieur, que j'ai eu toutes les peines du monde à faire consentir sa pudeur à ce que voulait mon amour. De votre Fille ; et c'est seulement depuis hier qu'elle a pu se résoudre à nous signer mutuellement une Promesse de Mariage. Oui, Monsieur ; comme de ma part je lui en ai signé une. Ce sont des noms qui ne me sont point dus ; et quand on saura qui je suis… Ce ne sera point votre passion qui jugera l'affaire ; et l'on m'écoutera, au moins, avant que de me condamner. Qui songe à votre argent, dont vous me faites un galimatias ? Je ne vois pas quel crime on me peut faire de la passion que j'ai pour votre Fille, et le supplice où vous croyez que je puisse être condamné pour notre engagement, lorsqu'on saura ce que je suis… Sachez que j'ai le cœur trop bon, pour me parer de quelque chose qui ne soit point à moi, et que tout Naples peut rendre témoignage de ma naissance. Je ne suis point homme à rien craindre ; et si Naples vous est connu, vous savez qui était D. Thomas d'Alburcy. Je veux dire que c'est lui qui m'a donné le jour. Oui. Songez à mieux parler. Ce n'est point une imposture ; et je n'avance rien qu'il ne me soit aisé de justifier. Oui, je l'ose ; et je suis prêt de soutenir cette vérité contre qui que ce soit. Oui : mais apprenez, pour vous confondre, vous, que son Fils âgé de sept ans, avec un domestique, fut sauvé de ce naufrage par un Vaisseau Espagnol, et que ce Fils sauvé est celui qui vous parle.Apprenez que le Capitaine de ce Vaisseau, touché de ma fortune, prit amitié pour moi ; qu'il me fit élever comme son propre Fils, et que les Armes furent mon emploi dès que je m'en trouvai capable.Que j'ai su depuis peu, que mon Père n'était point mort, comme je l'avais toujours cru ; que passant ici pour l'aller chercher, une aventure par le Ciel concertée, me fit voir la charmante Élise ; que cette vue me rendit esclave de ses beautés ; et que la violence de mon amour, et les sévérités de son Père, me firent prendre la résolution de m'introduire dans son Logis, et d'envoyer un autre à la quête de mes Parents. Le Capitaine Espagnol ; un cachet de rubis qui était à mon Père ; un bracelet d'agate que ma Mère m'avait mis au bras ; le vieux Pedro, ce Domestique, qui se sauva avec moi du naufrage. Vous, ma Sœur ? Vous êtes notre Père ? Qui vous dit cela ? C'est toi qui le dis ? Pouvez-vous me croire capable d'une action si lâche ? **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_mariane *date_1668 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_mariane Ah ! que je suis, Frosine, dans un étrange état ! et s'il faut dire ce que je sens, que j'appréhende cette vue ! Hélas ! me le demandez-vous ? et ne vous figurez-vous point les alarmes d'une Personne toute prête à voir le supplice où l'on veut l'attacher ? Oui, c'est une chose, Frosine, dont je ne veux pas me défendre ; et les visites respectueuses qu'il a rendues chez nous, ont fait, je vous l'avoue, quelque effet dans mon âme. Non, je ne sais point quel il est ; mais je sais qu'il est fait d'un air à se faire aimer ; Que si l'on pouvait mettre les choses à mon choix, je le prendrais plutôt qu'un autre ; et qu'il ne contribue pas peu à me faire trouver un tourment effroyable, dans l'Époux qu'on veut me donner. Mon Dieu, Frosine, c'est une étrange affaire, lorsque pour être heureuse, il faut souhaiter ou attendre le trépas de quelqu'un, et la mort ne suit pas tous les projets que nous faisons. Ah Frosine, quelle figure ! Je m'acquitte bien tard, Madame, d'une telle visite. Ô l'Homme déplaisant ! Quel animal ! Je n'y puis plus tenir. Ah ! Frosine, quelle rencontre !C'est justement celui dont je t'ai parlé. Je puis dire la même chose. C'est une rencontre imprévue qui m'a surprise autant que vous ; et je n'étais point préparée à une pareille aventure. Et moi, pour vous répondre, j'ai à vous dire que les choses sont fort égales ; et que si vous auriez de la répugnance à me voir votre Belle-Mère, je n'en aurais pas moins sans doute à vous voir mon Beau-Fils. Ne croyez pas, je vous prie, que ce soit moi qui cherche à vous donner cette inquiétude. Je serais fort fâchée de vous causer du déplaisir ; et si je ne m'y vois forcée par une Puissance absolue, je vous donne ma parole, que je ne consentirai point au mariage qui vous chagrine. Je vous promets que ce qu'il m'a dit ne m'a point du tout offensée ; au contraire, il m'a fait plaisir de m'expliquer ainsi ses véritables sentiments. J'aime de lui un aveu de la sorte ; et s'il avait parlé d'autre façon, je l'en estimerais bien moins. C'est une chose qui n'était pas nécessaire. Il est vrai qu'il brille beaucoup. Il est fort beau, sans doute, et jette quantité de feux. Je ne veux point… Ce serait… De grâce… Pour ne vous point mettre en colère, je la garde maintenant ; et je prendrai un autre temps pour vous la rendre. C'est une douce consolation, que de voir dans ses intérêts une Personne comme vous ; et je vous conjure, Madame, de me garder toujours cette généreuse amitié, si capable de m'adoucir les cruautés de la fortune. Hélas, suis-je en pouvoir de faire des résolutions ! Et dans la dépendance où je me vois, puis-je former que des souhaits ? Que saurais-je vous dire ? Mettez-vous en ma place, et voyez ce que je puis faire. Avisez, ordonnez vous-même ; je m'en remets à vous ; et je vous crois trop raisonnable, pour vouloir exiger de moi, que ce qui peut m'être permis par l'honneur et la bienséance. Mais que voulez-vous que je fasse ? Quand je pourrais passer sur quantité d'égards où notre Sexe est obligé, j'ai de la considération pour ma Mère. Elle m'a toujours élevée avec une tendresse extrême, et je ne saurais me résoudre à lui donner du déplaisir. Faites, agissez auprès d'elle.Employez tous vos soins à gagner son esprit ; vous pouvez faire et dire tout ce que vous voudrez, je vous en donne la licence ; et s'il ne tient qu'à me déclarer en votre faveur, je veux bien consentir à lui faire un aveu moi-même, de tout ce que je sens pour vous. Ouvre-nous des lumières. J'y ferai tout ce que je puis, et n'oublierai aucune chose. Hélas ! à vos paroles, je puis ici répondre, moi, que vous n'imposez point ; et tout ce que vous dites, me fait connaître clairement que vous êtes mon frère. Oui, mon cœur s'est ému, dès le moment que vous avez ouvert la bouche ; et notre Mère, que vous allez ravir, m'a mille fois entretenue des disgrâces de notre Famille. Le Ciel ne nous fit point aussi périr dans ce triste naufrage ; mais il ne nous sauva la vie que par la perte de notre liberté ; et ce furent des corsaires qui nous recueillirent, ma Mère et moi, sur un débris de notre Vaisseau. Après dix ans d'esclavage, une heureuse fortune nous rendit notre liberté, et nous retournâmes dans Naples, où nous trouvâmes tout notre bien vendu, sans y pouvoir trouver des nouvelles de notre Père. Nous passâmes à Gênes, où ma Mère alla ramasser quelques malheureux restes d'une succession qu'on avait déchirée ; et de là, fuyant la barbare injustice de ses Parents, elle vint en ces lieux, où elle n'a presque vécu que d'une vie languissante. C'est vous que ma mère a tant pleuré ? Mais vous ne savez pas, que ce n'est pas assez que ce consentement ; et que le Ciel, avec un Frère que vous voyez, vient de me rendre un Père dont vous avez à m'obtenir. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_anselme *date_1668 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_anselme Qu'est-ce, Seigneur Harpagon, je vous vois tout ému. Ce n'est pas mon dessein de me faire épouser par force, et de rien prétendre à un cœur qui se serait donné ; mais pour vos intérêts, je suis prêt à les embrasser ainsi que les miens propres. Tout beau.Prenez garde à ce que vous allez dire. Vous risquez ici plus que vous ne pensez ; et vous parlez devant un Homme à qui tout Naples est connu, et qui peut aisément voir clair dans l'Histoire que vous ferez. Sans doute je le sais ; et peu de gens l'ont connu mieux que moi. De grâce, laissez-le parler, nous verrons ce qu'il en veut dire. Lui ? Allez. Vous vous moquez.Cherchez quelque autre Histoire, qui vous puisse mieux réussir ; et ne prétendez pas vous sauver sous cette imposture. Quoi vous osez vous dire fils de D. Thomas d'Alburcy ? L'audace est merveilleuse. Apprenez, pour vous confondre, qu'il y a seize ans pour le moins, que l'Homme dont vous nous parlez, périt sur Mer avec ses Enfants et sa Femme, en voulant dérober leur vie aux cruelles persécutions qui ont accompagné les désordres de Naples, et qui en firent exiler plusieurs nobles Familles. Mais quels témoignages encore, autres que vos paroles, nous peuvent assurer que ce ne soit point une fable que vous ayez bâtie sur une vérité ? Ô Ciel ! quels sont les traits de ta puissance ! et que tu fais bien voir qu'il n'appartient qu'à toi de faire des miracles.Embrassez-moi, mes Enfants, et mêlez tous deux vos transports à ceux de votre Père. Oui ma Fille, oui mon Fils, je suis D. Thomas d'Alburcy, que le Ciel garantit des ondes avec tout l'argent qu'il portait, et qui vous ayant tous crus morts durant plus de seize ans, se préparait après de longs voyages, à chercher dans l'hymen d'une douce et sage Personne, la consolation de quelque nouvelle Famille. Le peu de sûreté que j'ai vu pour ma vie, à retourner à Naples, m'a fait y renoncer pour toujours ; et ayant su trouver moyen d'y faire vendre ce que j'avais, je me suis habitué ici, où sous le nom d'Anselme, j'ai voulu m'éloigner les chagrins de cet autre nom qui m'a causé tant de traverses. Oui. Lui, vous avoir volé ? Le Ciel, mes Enfants, ne me redonne point à vous, pour être contraire à vos vœux. Seigneur Harpagon, vous jugez bien que le choix d'une jeune personne tombera sur le Fils plutôt que sur le Père. Allons, ne vous faites point dire ce qu'il n'est pas nécessaire d'entendre, et consentez ainsi que moi à ce double hyménée. Hé bien, j'en ai pour eux, que cela ne vous inquiète point. Oui, je m'y oblige.Êtes-vous satisfait ? D'accord. Allons jouir de l'allégresse que cet heureux jour nous présente. Seigneur Harpagon, il faut lui pardonner cette imposture. Soit. Allons vite faire part de notre joie à votre Mère. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_frosine *date_1668 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_frosine Monsieur… Hé c'est toi, mon pauvre la Flèche ! D'où vient cette rencontre ? Ce que je fais partout ailleurs ; m'entremettre d'affaires, me rendre serviable aux gens, et profiter du mieux qu'il m'est possible des petits talents que je puis avoir. Tu sais que dans ce Monde il faut vivre d'adresse, et qu'aux Personnes comme moi le Ciel n'a donné d'autres rentes, que l'intrigue, et que l'industrie. Oui, je traite pour lui quelque petite affaire, dont j'espère une récompense. Il y a de certains services qui touchent merveilleusement. Mon Dieu, je sais l'art de traire les Hommes.J'ai le secret de m'ouvrir leur tendresse, de chatouiller leurs cœurs, de trouver les endroits par où ils sont sensibles. Ah, mon Dieu ! que vous vous portez bien ! et que vous avez là un vrai visage de santé ! Jamais je ne vous vis un teint si frais, et si gaillard. Comment ? vous n'avez de votre vie été si jeune que vous êtes ; et je vois des gens de vingt-cinq ans qui sont plus vieux que vous. Hé bien, qu'est-ce que cela, soixante ans ? Voilà bien de quoi ! C'est la fleur de l'âge cela ; et vous entrez maintenant dans la belle saison de l'Homme. Vous moquez-vous ? Vous n'avez pas besoin de cela ; et vous êtes d'une pâte à vivre jusques à cent ans. Assurément. Vous en avez toutes les marques. Tenez-vous un peu. Ô que voilà bien là entre vos deux yeux un signe de longue vie ! Sans doute. Montrez-moi votre main. Ah mon Dieu ! quelle ligne de vie ! Ne voyez-vous pas jusqu'où va cette ligne-là ? Par ma foi, je disais cent ans, mais vous passerez les six-vingts. Il faudra vous assommer, vous dis-je ; et vous mettrez en terre, et vos Enfants, et les Enfants de vos Enfants. Faut-il le demander ? et me voit-on mêler de rien, dont je ne vienne à bout ? J'ai, surtout, pour les mariages, un talent merveilleux.Il n'est point de Partis au monde, que je ne trouve en peu de temps le moyen d'accoupler ; et je crois, si je me l'étais mis en tête, que je marierais le Grand Turc avec la République de Venise.Il n'y avait pas sans doute de si grandes difficultés à cette affaire-ci. Comme j'ai commerce chez elles, je les ai à fond l'une et l'autre entretenues de vous, et j'ai dit à la Mère le dessein que vous aviez conçu pour Mariane, à la voir passer dans la rue, et prendre l'air à sa fenêtre. Elle a reçu la proposition avec joie ; et quand je lui ai témoigné que vous souhaitiez fort que sa Fille assistât ce soir au Contrat de mariage qui se doit faire de la vôtre, elle y a consenti sans peine, et me l'a confiée pour cela. Vous avez raison. Elle doit après dîner rendre visite à votre Fille, d'où elle fait son compte d'aller faire un tour à la Foire, pour venir ensuite au souper. Voilà justement son affaire. Comment ? c'est une Fille qui vous apportera douze mille livres de rente. Oui. Premièrement, elle est nourrie et élevée dans une grande épargne de boucheC'est une Fille accoutumée à vivre de salade, de lait, de fromage, et de pommes, et à laquelle par conséquent il ne faudra ni table bien servie, ni consommés exquis, ni orges mondés perpétuels, ni les autres délicatesses qu'il faudrait pour une autre Femme ; et cela ne va pas à si peu de chose, qu'il ne monte bien, tous les ans, à trois mille francs pour le moins.Outre cela, elle n'est curieuse que d'une propreté fort simple, et n'aime point les superbes habits, ni les riches bijoux, ni les meubles somptueux, où donnent ses pareilles avec tant de chaleur ; et cet article-là vaut plus de quatre mille livres par an. De plus, elle a une aversion horrible pour le jeu, ce qui n'est pas commun aux Femmes d'aujourd'hui ; et j'en sais une de nos quartiers, qui a perdu à trente-et-quarante, vingt mille francs cette année. Mais n'en prenons rien que le quart. Cinq mille francs au jeu par an, et quatre mille francs en habits et bijoux, cela fait neuf mille livres ; et mille écus que nous mettons pour la nourriture, ne voilà-t-il pas par année vos douze mille francs bien comptés ? Pardonnez-moi. N'est-ce pas quelque chose de réel, que de vous apporter en mariage une grande sobriété ; l'héritage d'un grand amour de simplicité de parure, et l'acquisition d'un grand fonds de haine pour le jeu ? Mon Dieu, vous toucherez assez ; et elles m'ont parlé d'un certain Pays où elles ont du bien, dont vous serez le maître. Ah que vous la connaissez mal ! C'est encore une particularité que j'avais à vous dire. Elle a une aversion épouvantable pour tous les jeunes gens, et n'a de l'amour que pour les vieillards. Oui, elle. Je voudrais que vous l'eussiez entendue parler là-dessus. Elle ne peut souffrir du tout la vue d'un jeune Homme ; mais elle n'est point plus ravie, dit-elle, que lorsqu'elle peut voir un beau Vieillard avec une barbe majestueuse. Les plus vieux sont pour elle les plus charmants, et je vous avertis de n'aller pas vous faire plus jeune que vous êtes. Elle veut tout au moins qu'on soit sexagénaire ; et il n'y a pas quatre mois encore, qu'étant prête d'être mariée, elle rompit tout net le mariage, sur ce que son Amant fit voir qu'il n'avait que cinquante-six ans, et qu'il ne prit point de lunettes pour signer le contrat. Oui. Elle dit que ce n'est pas contentement pour elle que cinquante-six ans ; et surtout, elle est pour les nez qui portent des lunettes. Cela va plus loin qu'on ne vous peut dire. On lui voit dans sa Chambre quelques Tableaux et quelques Estampes ; mais que pensez-vous que ce soit ? Des Adonis ? des Céphales ? des Pâris ? et des Apollons ? Non.De beaux portraits de Saturne, du Roi Priam, du vieux Nestor, et du bon Père Anchise sur les épaules de son Fils. Je le crois bien. Voilà de belles drogues que des jeunes gens pour les aimer ! Ce sont de beaux morveux, de beaux godelureaux, pour donner envie de leur peau ; et je voudrais bien savoir quel ragoût il y a à eux ? Il faut être folle fieffée. Trouver la jeunesse aimable ! Est-ce avoir le sens commun ? Sont-ce des hommes que de jeunes blondins ? et peut-on s'attacher à ces animaux-là ? Eh ! cela est bien bâti auprès d'une Personne comme vous. Voilà un Homme cela. Il y a là de quoi satisfaire à la vue ; et c'est ainsi qu'il faut être fait, et vêtu, pour donner de l'amour. Comment ? vous êtes à ravir, et votre figure est à peindre. Tournez-vous un peu, s'il vous plaît. Il ne se peut pas mieux. Que je vous voie marcher. Voilà un corps taillé, libre, et dégagé comme il faut, et qui ne marque aucune incommodité. Cela n'est rien. Votre fluxion ne vous sied point mal, et vous avez grâce à tousser. Non.Mais nous nous sommes fort entretenues de vous. Je lui ai fait un portrait de votre Personne ; et je n'ai pas manqué de lui vanter votre mérite, et l'avantage que ce lui serait, d'avoir un Mari comme vous. J'aurais, Monsieur, une petite prière à vous faire. J'ai un Procès que je suis sur le point de perdre, faute d'un peu d'argent ; et vous pourriez facilement me procurer le gain de ce Procès, si vous aviez quelque bonté pour moi. Vous ne sauriez croire le plaisir qu'elle aura de vous voir. Ah ! que vous lui plairez ! et que votre fraise à l'antique fera sur son esprit un effet admirable ! Mais, surtout, elle sera charmée de votre haut-de-chausses, attaché au pourpoint avec des aiguillettes.C'est pour la rendre folle de vous ; et un Amant aiguilletté sera pour elle un ragoût merveilleux. En vérité, Monsieur, ce Procès m'est d'une conséquence tout à fait grande. Je suis ruinée, si je le perds ; et quelque petite assistance me rétablirait mes affaires. Je voudrais que vous eussiez vu le ravissement où elle était, à m'entendre parler de vous. La joie éclatait dans ses yeux, au récit de vos qualités ; et je l'ai mise enfin dans une impatience extrême, de voir ce mariage entièrement conclu. Je vous prie, Monsieur, de me donner le petit secours que je vous demande. Cela me remettra sur pied ; et je vous en serai éternellement obligée. Je vous assure, Monsieur, que vous ne sauriez jamais me soulager dans un plus grand besoin. Je ne vous importunerais pas, si je ne m'y voyais forcée par la nécessité. Ne me refusez pas la grâce dont je vous sollicite. Vous ne sauriez croire, Monsieur, le plaisir que… Que la fièvre te serre, chien de vilain à tous les Diables.Le ladre a été ferme à toutes mes attaques : mais il ne me faut pas pourtant quitter la négociation ; et j'ai l'autre côté, en tout cas, d'où je suis assurée de tirer bonne récompense. Savez-vous, Maître Jacques, si votre maître est au logis ? Dites-lui, je vous prie, que nous sommes ici. Mais pourquoi, et quelle est votre inquiétude ? Je vois bien que pour mourir agréablement, Harpagon n'est pas le supplice que vous voudriez embrasser ; et je connais à votre mine, que le jeune Blondin dont vous m'avez parlé, vous revient un peu dans l'esprit. Mais avez-vous su quel il est ? Mon Dieu, tous ces Blondins sont agréables, et débitent fort bien leur fait ; mais la plupart sont gueux comme des Rats ; et il vaut mieux pour vous, de prendre un vieux Mari, qui vous donne beaucoup de bien.Je vous avoue que les sens ne trouvent pas si bien leur compte du côté que je dis, et qu'il y a quelques petits dégoûts à essuyer avec un tel Époux ; mais cela n'est pas pour durer ; et sa mort, croyez-moi ; vous mettra bientôt en état d'en prendre un plus aimable, qui réparera toutes choses. Vous moquez-vous ? Vous ne l'épousez qu'aux conditions de vous laisser veuve bientôt ; et ce doit être là un des articles du Contrat. Il serait bien impertinent de ne pas mourir dans trois mois !Le voici en propre personne. C'est qu'elle est encore toute surprise ; et puis les Filles ont toujours honte à témoigner d'abord ce qu'elles ont dans l'âme. Qu'elle vous trouve admirable. L'aventure est merveilleuse. Non, il vaut mieux que de ce pas nous allions à la Foire, afin d'en revenir plus tôt, et d'avoir tout le temps ensuite de vous entretenir. Mon Dieu, que de façons ! Gardez la Bague, puisque Monsieur le veut. Vous êtes, par ma foi, de malheureuses gens l'un et l'autre, de ne m'avoir point avant tout ceci, avertie de votre affaire !Je vous aurais sans doute détourné cette inquiétude, et n'aurais point amené les choses où l'on voit qu'elles sont. Par ma foi, faut-il demander ? Je le voudrais de tout mon cœur. Vous savez que de mon naturel, je suis assez humaine.Le Ciel ne m'a point fait l'âme de bronze ; et je n'ai que trop de tendresse à rendre de petits services, quand je vois des gens qui s'entr'aiment en tout bien, et en tout honneur.Que pourrions-nous faire à ceci ? Ceci est assez difficile. Pour votre Mère, elle n'est pas tout à fait déraisonnable, et peut-être pourrait-on la gagner, et la résoudre à transporter au Fils le don qu'elle veut faire au Père. Mais le mal que j'y trouve, c'est que votre Père est votre Père. Je veux dire qu'il conservera du dépit, si l'on montre qu'on le refuse ; et qu'il ne sera point d'humeur ensuite à donner son consentement à votre mariage. Il faudrait, pour bien faire, que le refus vînt de lui-même ; et tâcher par quelque moyen de le dégoûter de votre Personne. Oui, j'ai raison, je le sais bien. C'est là ce qu'il faudrait ; mais le diantre est d'en pouvoir trouver les moyens. Attendez ; si nous avions quelque Femme un peu sur l'âge, qui fût de mon talent, et jouât assez bien pour contrefaire une Dame de qualité, par le moyen d'un train fait à la hâte, et d'un bizarre nom de Marquise, ou de Vicomtesse, que nous supposerions de la Basse Bretagne ; j'aurais assez d'adresse pour faire accroire à votre Père que ce serait une Personne riche, outre ses Maisons, de cent mille écus en argent comptant ; qu'elle serait éperdument amoureuse de lui, et souhaiterait de se voir sa femme, jusqu'à lui donner tout son bien par Contrat de mariage ; et je ne doute point qu'il ne prêtât l'oreille à la proposition ; car enfin, il vous aime fort, je le sais : mais il aime un peu plus l'argent ; et quand ébloui de ce leurre, il aurait une fois consenti à ce qui vous touche, il importerait peu ensuite qu'il se désabusât, en venant à vouloir voir clair aux effets de notre Marquise. Laissez-moi faire. Je viens de me ressouvenir d'une de mes Amies, qui sera notre fait. Voici un étrange embarras. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_maitre-simon *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_maitresimon Oui, Monsieur, c'est un jeune Homme qui a besoin d'argent. Ses affaires le pressent d'en trouver, et il en passera par tout ce que vous en prescrirez. Non, je ne puis pas bien vous en instruire à fond, et ce n'est que par aventure que l'on m'a adressé à lui ; mais vous serez de toutes choses éclairci par lui-même ; et son Homme m'a assuré, que vous serez content, quand vous le connaîtrez. Tout ce que je saurais vous dire, c'est que sa famille est fort riche, qu'il n'a plus de Mère déjà ; et qu'il s'obligera, si vous voulez, que son Père mourra avant qu'il soit huit mois. Cela s'entend. Ah, ah, vous êtes bien pressés ! Qui vous a dit que c'était céans ? Ce n'est pas moi, Monsieur, au moins, qui leur ai découvert votre nom, et votre logis : mais, à mon avis, il n'y a pas grand mal à cela. Ce sont des Personnes discrètes ; et vous pouvez ici vous expliquer ensemble. Monsieur est la Personne qui veut vous emprunter les quinze mille livres dont je vous ai parlé. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_maitre-jacques *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_maitrejacques Châtiment politique. Oui ; le vin pur monte à la tête. Est-ce à votre Cocher, Monsieur, ou bien à votre Cuisinier, que vous voulez parler ; car je suis l'un et l'autre. Mais à qui des deux le premier ? Attendez donc, s'il vous plaît. Vous n'avez qu'à parler. Grande merveille ! Oui, si vous me donnez bien de l'argent. Bonne chère avec peu d'argent ! Par ma foi, Monsieur l'Intendant, vous nous obligerez de nous faire voir ce secret, et de prendre mon office de Cuisinier : aussi bien vous mêlez-vous céans d'être le Factoton. Voilà Monsieur votre Intendant, qui vous fera bonne chère pour peu d'argent. Combien serez-vous de gens à table ? Hé bien, il faudra quatre grands potages, et cinq assiettes.Potages… Entrées… Rôt… Entremets… Tant mieux, j'en aurai moins de peine. Attendez. Ceci s'adresse au cocher. Vous dites… Vos Chevaux, Monsieur ? Ma foi, ils ne sont point du tout en état de marcher : Je ne vous dirai point qu'ils sont sur la litière, les pauvres bêtes n'en ont point, et ce serait fort mal parler : mais vous leur faites observer des jeûnes si austères, que ce ne sont plus rien que des idées ou des fantômes ; des façons de Chevaux. Et pour ne faire rien, Monsieur, est-ce qu'il ne faut rien manger ? Il leur vaudrait bien mieux, les pauvres animaux, de travailler beaucoup, de manger de même. Cela me fend le cœur, de les voir ainsi exténués : car enfin j'ai une tendresse pour mes Chevaux, qu'il me semble que c'est moi-même, quand je les vois pâtir ; je m'ôte tous les jours pour eux les choses de la bouche ; et c'est être, Monsieur, d'un naturel trop dur, que de n'avoir nulle pitié de son prochain. Non, Monsieur, je n'ai pas le courage de les mener, et je ferais conscience de leur donner des coups de fouet en l'état où ils sont. Comment voudriez-vous qu'ils traînassent un Carrosse, qu'ils ne peuvent pas se traîner eux-mêmes ? Soit.J'aime mieux encore qu'ils meurent sous la main d'un autre, que sous la mienne. Monsieur l'Intendant fait bien le nécessaire. Monsieur, je ne saurais souffrir les flatteurs ; et je vois que ce qu'il en fait, que ses contrôles perpétuels sur le pain et le vin, le bois, le sel, et la chandelle, ne sont rien que pour vous gratter, et vous faire sa cour. J'enrage de cela, et je suis fâché tous les jours d'entendre ce qu'on dit de vous : car enfin je me sens pour vous de la tendresse en dépit que j'en aie ; et après mes Chevaux, vous êtes la Personne que j'aime le plus. Oui, Monsieur, si j'étais assuré que cela ne vous fâchât point. Pardonnez-moi ; je sais fort bien que je vous mettrais en colère. Monsieur, puisque vous le voulez, je vous dirai franchement qu'on se moque partout de vous ; qu'on nous jette de tous côtés cent brocards à votre sujet ; et que l'on n'est point plus ravi, que de vous tenir au cul et aux chausses, et de faire sans cesse des contes de votre lésine. L'un dit que vous faites imprimer des Almanachs particuliers, où vous faites doubler les Quatre-temps, et les vigiles, afin de profiter des jeûnes, où vous obligez votre monde. L'autre, que vous avez toujours une querelle toute prête à faire à vos valets dans le temps des Étrennes, ou de leur sortie d'avec vous, pour vous trouver une raison de ne leur donner rien. Celui-là conte qu'une fois vous fîtes assigner le Chat d'un de vos Voisins, pour vous avoir mangé un reste d'un gigot de Mouton. Celui-ci, que l'on vous surprit une nuit, en venant dérober vous-même l'avoine de vos Chevaux ; et que votre cocher, qui était celui d'avant moi, vous donna dans l'obscurité je ne sais combien de coups de bâton dont vous ne voulûtes rien dire. Enfin voulez-vous que je vous dise, on ne saurait aller nulle part où l'on ne vous entende accommoder de toutes pièces.Vous êtes la fable et la risée de tout le monde, et jamais on ne parle de vous, que sous les noms d'avare, de ladre, de vilain, et de fesse-mathieu. Hé bien, ne l'avais-je pas deviné ? Vous ne m'avez pas voulu croire.Je vous l'avais bien dit que je vous fâcherais de vous dire la vérité. Morbleu, Monsieur le nouveau venu, qui faites l'Homme d'importance, ce n'est pas votre affaire.Riez de vos coups de bâton quand on vous en donnera, et ne venez point rire des miens. Il file doux. Je veux faire le brave, et s'il est assez sot pour me craindre, le frotter quelque peu. Savez-vous bien, Monsieur le rieur, que je ne ris pas, moi ; et que si vous m'échauffez la tête, je vous ferai rire d'une autre sorte ? Comment, doucement ? il ne me plaît pas, moi. Vous êtes un impertinent. Il n'y a point de Monsieur Maître Jacques pour un double. Si je prends un bâton, je vous rosserai d'importance. Eh je ne parle pas de cela. Je n'en doute pas. Je le sais bien. Pardonnez-moi. Je le disais en raillant. Peste soit la sincérité, c'est un mauvais métier.Désormais j'y renonce, et je ne veux plus dire vrai. Passe encore pour mon Maître, il a quelque droit de me battre : mais pour ce Monsieur l'Intendant, je m'en vengerai si je puis. Oui vraiment il y est, je ne le sais que trop. Eh, eh, eh, Messieurs, qu'est-ce ci ? à quoi songez-vous ? Ah, Monsieur, doucement. Ah, Monsieur, de grâce. Hé quoi, à votre Père ? Hé quoi, à votre Fils ? Encore passe pour moi. J'y consens. Éloignez-vous un peu. Ah ! il a tort. Vous avez raison. Laissez-moi lui parler, et demeurez là. C'est beaucoup d'honneur que vous me faites. Il a tort assurément. Vous avez raison, il se moque. Laissez-moi lui dire deux mots. Hé bien, votre Fils n'est pas si étrange que vous le dites, et il se met à la raison. Il dit qu'il sait le respect qu'il vous doit, qu'il ne s'est emporté que dans la première chaleur, et qu'il ne fera point refus de se soumettre à ce qu'il vous plaira, pourvu que vous vouliez le traiter mieux que vous ne faites, et lui donner quelque Personne en mariage, dont il ait lieu d'être content. Laissez-moi faire. Hé bien, votre Père n'est pas si déraisonnable que vous le faites ; et il m'a témoigné que ce sont vos emportements qui l'ont mis en colère ; qu'il n'en veut seulement qu'à votre manière d'agir, et qu'il sera fort disposé à vous accorder ce que vous souhaitez, pourvu que vous vouliez vous y prendre par la douceur, et lui rendre les déférences, les respects, et les soumissions qu'un Fils doit à son père. Cela est fait. Il consent à ce que vous dites. Tout est conclu. Il est content de vos promesses. Messieurs, vous n'avez qu'à parler ensemble : Vous voilà d'accord maintenant ; et vous alliez vous quereller, faute de vous entendre. Il n'y a pas de quoi, Monsieur. Je vous baise les mains. Je m'en vais revenir. Qu'on me l'égorge tout à l'heure ; qu'on me lui fasse griller les pieds ; qu'on me le mette dans l'eau bouillante, et qu'on me le pende au plancher. Je parle d'un Cochon de lait que votre Intendant me vient d'envoyer, et je veux vous l'accommoder à ma fantaisie. Monsieur est de votre Souper ? Ma foi, Monsieur, je montrerai tout ce que je sais faire ; et je vous traiterai du mieux qu'il me sera possible. Si je ne vous fais pas aussi bonne chère que je voudrais, c'est la faute de Monsieur notre Intendant, qui m'a rogné les ailes avec les Ciseaux de son économie. On vous a pris de l'argent ? Voici justement ce qu'il me faut pour me venger de notre Intendant : depuis qu'il est entré céans, il est le favori, on n'écoute que ses conseils ; et j'ai aussi sur le cœur les coups de bâton de tantôt. Monsieur, si vous voulez que je vous dise les choses, je crois que c'est Monsieur votre cher Intendant qui a fait le coup. Oui. Lui-même. Je crois que c'est lui qui vous a dérobé. Sur quoi ? Je le crois…Sur ce que je le crois. Oui, vraiment. Où était-il votre argent ? Justement. Je l'ai vu rôder dans le Jardin. Et dans quoi est-ce que cet argent était ? Voilà l'affaire. Je lui ai vu une Cassette. Comment elle est faite ? Elle est faite…Elle est faite comme une cassette. C'est une grande cassette. Eh, oui, elle est petite, si on le veut prendre par là ; mais je l'appelle grande pour ce qu'elle contient. De quelle couleur ? Elle est de couleur…Là d'une certaine couleur…Ne sauriez-vous m'aider à dire ? N'est-elle pas rouge ? Eh, oui, gris-rouge ; c'est ce que je voulais dire. Monsieur, le voici qui revient. Ne lui allez pas dire, au moins, que c'est moi qui vous ai découvert cela. Oh, oh. Aurais-je deviné sans y penser ? Écrivez, Monsieur, écrivez. Tu me payeras mes coups de bâton. Vous voyez que je ne dis rien. Hélas ! comment faut-il donc faire ? On me donne des coups de bâton pour dire vrai ; et on me veut pendre pour mentir. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_la-fleche *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_lafleche Je n'ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard ; et je pense, sauf correction, qu'il a le Diable au corps. Pourquoi me chassez-vous ? Qu'est-ce que je vous ai fait ? Mon maître, votre Fils, m'a donné ordre de l'attendre. Comment diantre voulez-vous qu'on fasse pour vous voler ? Êtes-vous un Homme volable, quand vous renfermez toutes choses, et faites sentinelle jour et nuit ? Vous avez de l'argent caché ? Hé que nous importe que vous en ayez, ou que vous n'en ayez pas, si c'est pour nous la même chose ? Hé bien, je sors. Que vous emporterais-je ? Les voilà. Les autres ? Les voilà. Voyez vous-même. Ah ! qu'un Homme comme cela, mériterait bien ce qu'il craint ! et que j'aurais de joie à le voler ! Quoi ? Je dis que vous fouilliez bien partout, pour voir si je vous ai volé. La peste soit de l'avarice, et des avaricieux. Ce que je dis ? Je dis que la peste soit de l'avarice, et des avaricieux. Des avaricieux. Des vilains, et des ladres. De quoi vous mettez-vous en peine ? Est-ce que vous croyez que je veux parler de vous ? Je parle…Je parle à mon bonnet. M'empêcherez-vous de maudire les avaricieux ? Je ne nomme personne. Qui se sent morveux, qu'il se mouche. Oui, malgré moi. Tenez, voilà encore une poche.Êtes-vous satisfait ? Quoi ? Je ne vous ai rien pris du tout. Assurément. Me voilà fort bien congédié. Oui, Monsieur, et je m'étais rendu ici pour vous attendre de pied ferme ; mais Monsieur votre Père, le plus malgracieux des Hommes, m'a chassé dehors malgré moi, et j'ai couru risque d'être battu. Votre Père amoureux ? Lui se mêler d'aimer ! De quoi diable s'avise-t-il ? Se moque-t-il du monde ? Et l'amour a-t-il été fait pour des gens bâtis comme lui ? Mais par quelle raison lui faire un mystère de votre amour ? Ma foi, Monsieur, ceux qui empruntent sont bien malheureux ; et il faut essuyer d'étranges choses, lorsqu'on en est réduit à passer, comme vous, par les mains des fesse-mathieux ! Pardonnez-moi. Notre Maître Simon, le Courtier qu'on nous a donné, Homme agissant, et plein de zèle, dit qu'il a fait rage pour vous ; et il assure, que votre seule physionomie lui a gagné le cœur. Oui ; mais à quelques petites conditions, qu'il faudra que vous acceptiez, si vous avez dessein que les choses se fassent. Ah ! vraiment, cela ne va pas de la sorte.Il apporte encore plus de soin à se cacher que vous, et ce sont des mystères bien plus grands que vous ne pensez. On ne veut point du tout dire son nom, et l'on doit aujourd'hui l'aboucher avec vous dans une Maison empruntée, pour être instruit, par votre bouche, de votre bien, et de votre famille ; et je ne doute point que le seul nom de votre Père ne rende les choses faciles. Voici quelques Articles qu'il a dictés lui-même à notre entremetteur, pour vous être montrés, avant que de rien faire.Supposé que le Prêteur voie toutes ses sûretés, et que l'Emprunteur soit majeur, et d'une Famille où le bien soit ample, solide, assuré, clair, et net de tout embarras ; on fera une bonne et exacte obligation par-devant un Notaire, le plus honnête Homme qu'il se pourra, et qui pour cet effet sera choisi par le Prêteur, auquel il importe le plus que l'Acte soit dûment dressé. Le Prêteur, pour ne charger sa conscience d'aucun scrupule, prétend ne donner son argent qu'au denier dix-huit. Cela est vrai. Mais comme ledit Prêteur n'a pas chez lui la somme dont il est question, et que pour faire plaisir à l'Emprunteur, il est contraint lui-même de l'emprunter d'un autre, sur le pied du denier cinq ; il conviendra que ledit premier Emprunteur paye cet intérêt, sans préjudice du reste, attendu que ce n'est que pour l'obliger, que ledit Prêteur s'engage à cet emprunt. Il est vrai, c'est ce que j'ai dit. Vous avez à voir là-dessus. C'est la réponse que j'ai faite. Ce n'est plus qu'un petit article. Des quinze mille francs qu'on demande, le Prêteur ne pourra compter en argent que douze mille livres ; et pour les mille écus restants, il faudra que l'Emprunteur prenne les hardes, nippes, et bijoux, dont s'ensuit le mémoire, et que ledit Prêteur a mis, de bonne foi, au plus modique prix qu'il lui a été possible. Écoutez le mémoire. Premièrement, un Lit de quatre pieds, à bandes de points de Hongrie, appliquées fort proprement sur un drap de couleur d'olive ; avec six chaises, et la courte-pointe de même ; le tout bien conditionné, et doublé d'un petit taffetas changeant rouge et bleu. Plus, un Pavillon à queue, d'une bonne serge d'Aumale rose-sèche ; avec le mollet et les franges de soie. Attendez. Plus, une Tenture de Tapisserie des Amours de Gombaut, et de Macée. Plus, une grande Table de bois de noyer, à douze colonnes, ou piliers tournés, qui se tire par les deux bouts, et garnie par le dessous de ses six Escabelles. Donnez-vous patience. Plus, trois gros Mousquets tout garnis de nacre de perles, avec les trois Fourchettes assortissantes. Plus, un Fourneau de brique, avec deux Cornues, et trois Récipients, fort utiles à ceux qui sont curieux de distiller. Doucement.Plus, un luth de Bologne, garni de toutes ses cordes, ou peu s'en faut. Plus, un Trou-Madame, et un Damier, avec un Jeu de l'Oie renouvelé des Grecs, fort propres à passer le temps lorsque l'on n'a que faire. Plus, une Peau d'un lézard, de trois pieds et demi, remplie de foin ; curiosité agréable, pour pendre au plancher d'une Chambre. Le tout, ci-dessus mentionné, valant loyalement plus de quatre mille cinq cents livres, et rabaissé à la valeur de mille écus, par la discrétion du prêteur. Je vous vois, Monsieur, ne vous en déplaise, dans le grand chemin justement que tenait Panurge pour se ruiner, prenant argent d'avance, achetant cher, vendant à bon marché, et mangeant son blé en herbe. Il faut avouer que le vôtre animerait contre sa vilanie, le plus posé Homme du monde. Je n'ai pas, Dieu merci, les inclinations fort patibulaires ; et parmi mes confrères, que je vois se mêler de beaucoup de petits commerces, je sais tirer adroitement mon épingle du jeu, et me démêler prudemment de toutes les galanteries qui sentent tant soit peu l'échelle : mais, à vous dire vrai, il me donnerait, par ses procédés, des tentations de le voler ; et je croirais, en le volant, faire une action méritoire. Que veut dire ceci ? Notre maître Simon qui parle à votre Père. L'Aventure est tout à fait drôle Il faut bien qu'il ait quelque part un ample magasin de hardes ; car nous n'avons rien reconnu au Mémoire que nous avons. Ah, ah, c'est toi, Frosine, que viens-tu faire ici ? As-tu quelque négoce avec le Patron du logis ? De lui ?Ah, ma foi, tu seras bien fine, si tu en tires quelque chose ; et je te donne avis que l'argent céans est fort cher. Je suis votre valet ; et tu ne connais pas encore le Seigneur Harpagon. Le Seigneur Harpagon est de tous les humains, l'humain le moins humain ; le mortel de tous les mortels, le plus dur, et le plus serré. Il n'est point de service qui pousse sa reconnaissance jusqu'à lui faire ouvrir les mains. De la louange, de l'estime, de la bienveillance en paroles, et de l'amitié tant qu'il vous plaira ; mais de l'argent, point d'affaires. Il n'est rien de plus sec et de plus aride, que ses bonnes grâces, et ses caresses ; et donner est un mot pour qui il a tant d'aversion, qu'il ne dit jamais je vous donne, mais je vous prête le bon jour. Bagatelles ici. Je te défie d'attendrir, du côté de l'argent, l'Homme dont il est question. Il est Turc là-dessus, mais d'une Turquerie à désespérer tout le monde ; et l'on pourrait crever, qu'il n'en branlerait pas. En un mot, il aime l'argent, plus que réputation, qu'honneur, et que vertu ; et la vue d'un demandeur lui donne des convulsions. C'est le frapper par son endroit mortel, c'est lui percer le cœur, c'est lui arracher les entrailles ; et si…Mais il revient ; je me retire. Ah, Monsieur, que je vous trouve à propos !Suivez-moi vite. Suivez-moi, vous dis-je, nous sommes bien. Voici votre affaire. J'ai guigné ceci tout le jour. Le trésor de votre Père, que j'ai attrapé. Vous saurez tout. Sauvons-nous, je l'entends crier. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_brindavoine *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_brindavoine Vous savez bien, Monsieur, qu'un des devants de mon pourpoint est couvert d'une grande tache de l'huile de la Lampe. Monsieur, il y a là un Homme qui veut vous parler. Il dit qu'il vous apporte de l'argent. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_la-merluche *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_lamerluche Quitterons-nous nos siquenilles, Monsieur ? Et moi, Monsieur, que j'ai mon haut-de-chausses tout troué par derrière, et qu'on me voit, révérence parler… Monsieur… Monsieur, je vous demande pardon, je croyais bien faire d'accourir vite. Vous dire que vos deux Chevaux sont déferrés. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_commissaire *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_commissaire Laissez-moi faire. Je sais mon métier, Dieu merci. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je me mêle de découvrir des vols ; et je voudrais avoir autant de sacs de mille francs, que j'ai fait pendre de personnes. Il faut faire toutes les poursuites requises. Vous dites qu'il y avait dans cette Cassette ? Dix mille écus ! Le vol est considérable. En quelles espèces était cette somme ? Qui soupçonnez-vous de ce vol ? Il faut, si vous m'en croyez, n'effaroucher personne, et tâcher doucement d'attraper quelques preuves, afin de procéder après par la rigueur, au recouvrement des deniers qui vous ont été pris. Ne vous épouvantez point. Je suis Homme à ne vous point scandaliser ; et les choses iront dans la douceur. Il faut ici, mon cher Ami, ne rien cacher à votre Maître. Mon Dieu ne le maltraitez point.Je vois à sa mine qu'il est honnête homme ; et que sans se faire mettre en prison, il vous découvrira ce que vous voulez savoir. Oui, mon ami, si vous nous confessez la chose, il ne vous sera fait aucun mal, et vous serez récompensé comme il faut par votre Maître. On lui a pris aujourd'hui son argent, et il n'est pas que vous ne sachiez quelques nouvelles de cette affaire. Laissez-le faire. Il se prépare à vous contenter ; et je vous ai bien dit qu'il était honnête Homme. Mais il est nécessaire de dire les indices que vous avez. Cela s'entend. Mais dépeignez-la un peu pour voir. Et de quelle couleur est-elle ? Oui. Holà, Messieurs, holà.Tout doucement, s'il vous plaît.Qui me payera mes écritures ? Oui.Mais je ne prétends pas, moi, les avoir faites pour rien. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_monsieur-jourdain *date_1670 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurjourdain Hé bien, Messieurs ? Qu'est-ce ? Me ferez-vous voir votre petite drôlerie ? Eh la… comment appelez-vous cela ? Votre Prologue, ou Dialogue de Chansons et de Danse. Je vous ai fait un peu attendre, mais c'est que je me fais habiller aujourd'hui comme les Gens de Qualité ; et mon Tailleur m'a envoyé des Bas de soie que j'ai pensé ne mettre jamais. Je vous prie tous deux de ne vous point en aller, qu'on ne m'ait apporté mon Habit, afin que vous me puissiez voir. Vous me verrez équipé comme il faut, depuis les pieds jusqu'à la tête. Je me suis fait faire cette Indienne-ci. Mon Tailleur m'a dit que les Gens de Qualité étaient comme cela le matin. Laquais, holà, mes deux Laquais. Rien. C'est pour voir si vous m'entendez bien. Que dites-vous de mes Livrées ? Voici encore un petit Déshabillé pour faire le matin mes Exercices. Laquais. L'autre Laquais. Tenez ma Robe. Me trouvez-vous bien comme cela ? Voyons un peu votre Affaire. Oui ; mais il ne fallait pas faire faire cela par un Écolier ; et vous n'étiez pas trop bon vous-même pour cette besogne-là. Donnez-moi ma Robe pour mieux entendre… Attendez, je crois que je serai mieux sans Robe… Non, redonnez-la-moi, cela ira mieux. Cette Chanson me semble un peu lugubre, elle endort, et je voudrais que vous la pussiez un peu ragaillardir par-ci, par-là. On m'en apprit un tout à fait joli il y a quelque temps. Attendez… La… Comment est-ce qu'il dit ? Il y a du Mouton dedans. Oui. Ah. Je croyais Janneton Aussi douce que belle ; Je croyais Janneton Plus douce qu'un Mouton : Hélas ! hélas ! Elle est cent fois, mille fois plus cruelle, Que n'est le Tigre aux Bois. N'est-il pas joli ? C'est sans avoir appris la Musique. Est-ce que les Gens de Qualité apprennent aussi la Musique ? Je l'apprendrai donc. Mais je ne sais quel temps je pourrai prendre ; car outre le Maître d'Armes qui me montre, j'ai arrêté encore un Maître de Philosophie qui doit commencer ce matin. Comment cela ? Cela est vrai. Vous avez raison. Oui, on dit cela. Cela est vrai, vous avez raison tous deux. Je comprends cela à cette heure. Oui. Fort bien. Pourquoi toujours des Bergers ? On ne voit que cela partout. Passe, passe. Voyons. Est-ce tout ? Je trouve cela bien troussé, et il y a là dedans de petits dictons assez jolis. Sont-ce encore des bergers ? Voilà qui n'est point sot, et ces Gens-là se trémoussent bien. C'est pour tantôt au moins ; et la Personne pour qui j'ai fait faire tout cela, me doit faire l'honneur de venir dîner céans. Est-ce que les Gens de Qualité en ont ? J'en aurai donc. Cela sera-t-il beau ? Il y faudra mettre aussi une Trompette marine. La Trompette marine est un instrument qui me plaît, et qui est harmonieux. Au moins, n'oubliez pas tantôt de m'envoyer des Musiciens, pour chanter à Table. Mais surtout, que le Ballet soit beau. Ah les Menuets sont ma Danse, et je veux que vous me les voyiez danser. Allons, mon Maître. Euh ? À propos. Apprenez-moi comme il faut faire une Révérence pour saluer une Marquise ; j'en aurai besoin tantôt. Oui. une Marquise qui s'appelle Dorimène. Non. Vous n'avez qu'à faire, je le retiendrai bien. Faites un peu ? Bon. Dis-lui qu'il entre ici pour me donner Leçon. Je veux que vous me voyiez faire. Euh ? De cette façon donc un Homme, sans avoir du cœur, est sûr de tuer son Homme, et de n'être point tué. Oui. Êtes-vous fou de l'aller quereller, lui qui entend la tierce et la quarte, et qui sait tuer un homme par raison démonstrative ? Tout doux, vous dis-je. Eh mon Maître d'Armes. Eh mon Maître à Danser. Doucement. Tout beau. De grâce. Je vous prie. Mon Dieu. arrêtez-vous. Holà, Monsieur le Philosophe, vous arrivez tout à propos avec votre Philosophie. Venez un peu mettre la Paix entre ces Personnes-ci. Ils se sont mis en colère pour la préférence de leurs Professions, jusqu'à se dire des injures, et vouloir en venir aux mains. Monsieur le Philosophe. Monsieur le Philosophe. Messieurs. Monsieur le Philosophe. Messieurs. Monsieur le Philosophe. Messieurs. Monsieur le Philosophe, Messieurs, Monsieur le Philosophe, Messieurs, Monsieur le Philosophe. Oh battez-vous tant qu'il vous plaira, je n'y saurais que faire, et je n'irai pas gâter ma robe pour vous séparer. Je serais bien fou, de m'aller fourrer parmi eux, pour recevoir quelque coup qui me ferait mal. Ah ! Monsieur, je suis fâché des coups qu'ils vous ont donnés. Tout ce que je pourrai, car j'ai toutes les envies du monde d'être savant, et j'enrage que mon Père et ma Mère ne m'aient pas fait bien étudier dans toutes les Sciences, quand j'étais jeune. Oui, mais faites comme si je ne le savais pas. Expliquez-moi ce que cela veut dire. Ce Latin-là a raison. Oh oui, je sais lire et écrire. Qu'est-ce que c'est que cette Logique ? Qui sont-elles, ces trois opérations de l'Esprit ? Voilà des mots qui sont trop rébarbatifs. Cette Logique-là ne me revient point. Apprenons autre chose qui soit plus joli. La Morale ? Qu'est-ce qu'elle dit cette Morale ? Non, laissons cela. Je suis bilieux comme tous les Diables ; et il n'y a Morale qui tienne, je me veux mettre en colère tout mon soûl, quand il m'en prend envie. Qu'est-ce qu'elle chante cette Physique ? Il y a trop de tintamarre là dedans, trop de brouillamini. Apprenez-moi l'Orthographe. Après vous m'apprendrez l'Almanach, pour savoir quand il y a de la Lune, et quand il n'y en a point. J'entends tout cela. A, A, Oui. A, E, A, E. Ma foi oui. Ah que cela est beau ! A, E, I, I, I, I. Cela est vrai. Vive la Science. O, O. Il n'y a rien de plus juste. A, E, I, O, I, O. Cela est admirable ! I, O, I, O. O, O, O. Vous avez raison, O. Ah la belle chose, que de savoir quelque chose ! U, U. Il n'y a rien de plus véritable, U. U, U. Cela est vrai. Ah que n'ai-je étudié plus tôt, pour savoir tout cela. Est-ce qu'il y a des choses aussi curieuses qu'à celles-ci ? DA, DA. Oui. Ah les belles choses ! les belles choses ! FA, FA. C'est la vérité. Ah ! mon Père, et ma Mère, que je vous veux de mal ! R, r, ra ; R, r, r, r, r, ra. Cela est vrai. Ah l'habile Homme que vous êtes ! et que j'ai perdu de temps ! R, r, r, ra. Je vous en prie. Au reste il faut que je vous fasse une confidence. Je suis amoureux d'une Personne de grande qualité, et je souhaiterais que vous m'aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser tomber à ses pieds. Cela sera galant, oui. Non, non, point de Vers. Non, je ne veux ni Prose, ni Vers. Pourquoi ? Il n'y a que la Prose, ou les Vers ? Et comme l'on parle, qu'est-ce que c'est donc que cela ? Quoi, quand je dis : Nicole, apportez-moi mes Pantoufles, et me donnez mon Bonnet de nuit, c'est de la Prose ? Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je dis de la Prose, sans que j'en susse rien ; et je vous suis le plus obligé du monde, de m'avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un Billet : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour ; mais je voudrais que cela fût mis d'une manière galante ; que cela fût tourné gentiment. Non, non, non, je ne veux point tout cela ; je ne veux que ce que je vous ai dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Non, vous dis-je, je ne veux que ces seules paroles-là dans le Billet ; mais tournées à la mode, bien arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on les peut mettre. Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure ? Cependant je n'ai point étudié, et j'ai fait cela tout du premier coup. Je vous remercie de tout mon cœur, et vous prie de venir demain de bonne heure. Comment, mon Habit n'est point encore arrivé ? Ce maudit Tailleur me fait bien attendre pour un jour où j'ai tant d'affaires. J'enrage. Que la fièvre quartaine puisse serrer bien fort le Bourreau de Tailleur. Au Diable le Tailleur. La peste étouffe le Tailleur. Si je le tenais maintenant ce Tailleur détestable, ce chien de Tailleur-là, ce traître de Tailleur, je… Ah vous voilà. Je m'allais mettre en colère contre vous. Vous m'avez envoyé des Bas de soie si étroits, que j'ai eu toutes les peines du monde à les mettre, et il y a déjà deux mailles de rompues. Oui, si je romps toujours des mailles. Vous m'avez aussi fait faire des Souliers qui me blessent furieusement. Comment, point du tout ? Je vous dis qu'ils me blessent, moi. Je me l'imagine, parce que je le sens. Voyez la belle raison. Qu'est-ce que c'est que ceci ? Vous avez mis les fleurs en enbas. Est-ce qu'il faut dire cela ? Les Personnes de Qualité portent les fleurs en enbas ? Oh voilà qui est donc bien. Non, non. Non, vous dis-je, vous avez bien fait. Croyez-vous que l'Habit m'aille bien ? La Perruque, et les Plumes, sont-elles comme il faut ? Ah, ah, Monsieur le Tailleur, voilà de mon étoffe du dernier Habit que vous m'avez fait. Je la reconnais bien. Oui, mais il ne fallait pas le lever avec le mien. Oui, donnez-moi. Comment m'appelez-vous ? Mon Gentilhomme ! Voilà ce que c'est, de se mettre en Personne de Qualité. Allez-vous-en demeurer toujours habillé en Bourgeois, on ne vous dira point mon Gentilhomme. Tenez, voilà pour Mon Gentilhomme. Monseigneur, oh, oh ! Monseigneur ! Attendez, mon ami, Monseigneur mérite quelque chose, et ce n'est pas une petite parole que Monseigneur. Tenez, voilà ce que Monseigneur vous donne. Votre Grandeur Oh, oh, oh ! Attendez, ne vous en allez pas. À moi, Votre Grandeur ! Ma foi, s'il va jusqu'à l'Altesse, il aura toute la Bourse. Tenez, voilà pour ma Grandeur. Il a bien fait, je lui allais tout donner. Suivez-moi, que j'aille un peu montrer mon Habit par la Ville ; et surtout, ayez soin tous deux de marcher immédiatement sur mes pas, afin qu'on voie bien que vous êtes à moi. Appelez-moi Nicole, que je lui donne quelques ordres. Ne bougez, la voilà. Nicole ! Écoutez. Qu'as-tu à rire ? Que veut dire cette Coquine-là ? Comment donc ? Quelle Friponne est-ce là ? Te moques-tu de moi ? Je te baillerai sur le nez, si tu ris davantage. Tu ne t'arrêteras pas ? Mais voyez quelle insolence. Je te… Tiens, si tu ris encore le moins du monde, je te jure que je t'appliquerai sur la joue le plus grand soufflet qui se soit jamais donné. Prends-y bien garde. Il faut que pour tantôt tu nettoies… Que tu nettoies comme il faut… Il faut, dis-je, que tu nettoies la Salle, et… Encore. J'enrage. Si je te prends… Mais a-t-on jamais vu une Pendarde comme celle-là ? qui me vient rire insolemment au nez, au lieu de recevoir mes ordres ? Que tu songes, Coquine, à préparer ma Maison pour la Compagnie qui doit venir tantôt. Ne dois-je point pour toi fermer ma Porte à tout le Monde ? Il n'y a que des Sots, et des Sottes, ma Femme, qui se railleront de moi. Qui est donc tout ce Monde-là, s'il vous plaît ? Ouais, notre Servante Nicole, vous avez le caquet bien affilé pour une Paysanne. Taisez-vous, ma Servante, et ma Femme. Taisez-vous, vous dis-je, vous êtes des ignorantes l'une et l'autre, et vous ne savez pas les prérogatives de tout cela. Je songerai à marier ma Fille, quand il se présentera un Parti pour elle ; mais je veux songer aussi à apprendre les belles choses. Fort bien. Je veux avoir de l'Esprit, et savoir raisonner des choses parmi les honnêtes Gens. Pourquoi non ? Plût à Dieu l'avoir tout à l'heure, le fouet, devant tout le Monde, et savoir ce qu'on apprend au Collège. Sans doute. Assurément. Vous parlez toutes deux comme des Bêtes, et j'ai honte de votre ignorance. Par exemple, savez-vous, vous, ce que c'est que vous dites à cette heure ? Je ne parle pas de cela. Je vous demande ce que c'est que les paroles que vous dites ici ? Je ne parle pas de cela, vous dis-je. Je vous demande ; Ce que je parle avec vous, Ce que je vous dis à cette heure, qu'est-ce que c'est ? Hé non, ce n'est pas cela. Ce que nous disons tous deux, le langage que nous parlons à cette heure ? Comment est-ce que cela s'appelle ? C'est de la Prose, ignorante. Oui, de la Prose. Tout ce qui est Prose, n'est point Vers ; et tout ce qui n'est point Vers, n'est point Prose. Heu, voilà ce que c'est d'étudier. Et toi, sais-tu bien comme il faut faire pour dire un U ? Oui. Qu'est-ce que tu fais quand tu dis un U ? Dis un peu, U, pour voir ? Qu'est-ce que tu fais ? Oui ; mais quand tu dis, U, qu'est-ce que tu fais ? Ô l'étrange chose que d'avoir affaire à des Bêtes ! Tu allonges les lèvres en dehors, et approches la mâchoire d'en haut de celle d'en bas, U, vois-tu ? U, vois-tu ? U. Je fais la moue : U. C'est bien autre chose, si vous aviez vu O, et DA, DA, et FA, FA. J'enrage, quand je vois des Femmes ignorantes. Ouais, ce Maître d'Armes vous tient fort au cœur. Je te veux faire voir ton impertinence tout à l'heure. Tiens ; Raison démonstrative, La ligne du corps. Quand on pousse en quarte, on n'a qu'à faire cela ; et quand on pousse en tierce, on n'a qu'à faire cela. Voilà le moyen de n'être jamais tué ; et cela n'est-il pas beau, d'être assuré de son fait, quand on se bat contre quelqu'un ? Là, pousse-moi un peu pour voir. Tout beau. Holà, oh, doucement. Diantre soit la Coquine. Oui ; mais tu me pousses en tierce, avant que de pousser en quarte, et tu n'as pas la patience que je pare. Lorsque je hante la Noblesse, je fais paraître mon jugement ; et cela est plus beau que de hanter votre Bourgeoisie. Paix. Songez à ce que vous dites. Savez-vous bien, ma femme, que vous ne savez pas de qui vous parlez, quand vous parlez de lui ? C'est une Personne d'importance plus que vous ne pensez ; Un seigneur que l'on considère à la Cour, et qui parle au Roi tout comme je vous parle. N'est-ce pas une chose qui m'est tout à fait honorable, que l'on voie venir chez moi si souvent une Personne de cette qualité, qui m'appelle son cher Ami, et me traite comme si j'étais son égal ? Il a pour moi des bontés qu'on ne devinerait jamais ; et devant tout le monde, il me fait des caresses dont je suis moi-même confus. Hé bien ! ne m'est-ce pas de l'honneur, de prêter de l'argent à un Homme de cette condition-là ? et puis-je faire moins pour un Seigneur qui m'appelle son cher Ami ? Des choses dont on serait étonné, si on les savait. Baste, je ne puis pas m'expliquer. Il suffit que si je lui ai prêté de l'argent, il me le rendra bien, et avant qu'il soit peu. Assurément. Ne me l'a-t-il pas dit ? Il m'a juré sa foi de Gentilhomme. Ouais, vous êtes bien obstinée, ma Femme ; je vous dis qu'il me tiendra parole, j'en suis sûr. Taisez-vous. Le voici. Taisez-vous, vous dis-je. Fort bien, Monsieur, pour vous rendre mes petits services. Vous voyez. Hay, hay. Vous me faites beaucoup d'honneur, Monsieur. Dans la chambre du Roi ! Monsieur, je sais le respect que je vous dois. Monsieur… Monsieur, je suis votre Serviteur. J'aime mieux être incivil, qu'importun. Monsieur, vous vous moquez. Je n'en doute point, Monsieur. Hé bien, vous voyez votre impertinence, ma Femme. Je vous le disais bien. Vous voilà, avec vos soupçons ridicules. Je crois que oui. J'en ai fait un petit Mémoire. Le voici. Donné à vous une fois deux cents louis. Une autre fois, six-vingts. Et une autre fois, cent quarante. Ces trois articles font quatre cent soixante Louis, qui valent cinq mille soixante livres. Mille huit cent trente-deux livres à votre plumassier. Deux mille sept cent quatre-vingts livres à votre Tailleur. Quatre mille trois cent septante-neuf livres douze sols huit deniers à votre marchand. Et mille sept cent quarante-huit livres sept sols quatre deniers à votre Sellier. Somme totale, quinze mille huit cents livres. Paix. Eh non. Taisez-vous. Non, Monsieur. Taisez-vous, vous dis-je. Point, Monsieur. Taisez-vous donc. Vous tairez-vous ? C'est trop d'honneur, Monsieur, que vous me faites. Je vais quérir votre affaire. Que faire ? voulez-vous que je refuse un Homme de cette condition-là, qui a parlé de moi ce matin dans la Chambre du Roi ? Voilà deux cents Louis bien comptés. Je vous suis trop obligé. Tirons-nous un peu plus loin, pour cause. Comment l'a-t-elle trouvé ? Plût au Ciel ! Ce sont, Monsieur, des bontés qui m'accablent ; et je suis dans une confusion la plus grande du monde, de voir une Personne de votre Qualité s'abaisser pour moi à ce que vous faites. Ho assurément, et de très grand cœur. Il est vrai, ce sont des bontés qui me confondent. Il n'y a point de dépenses que je ne fisse, si par là je pouvais trouver le chemin de son cœur. Une Femme de Qualité a pour moi des charmes ravissants, et c'est un honneur que j'achèterais au prix de toute chose. Pour être en pleine liberté, j'ai fait en sorte que ma Femme ira dîner chez ma Sœur, où elle passera toute l'après-dînée. Ouais, vous êtes bien impertinente. Sortons, s'il vous plaît. Avant que de vous rendre réponse, Monsieur, je vous prie de me dire, si vous êtes Gentilhomme. Touchez là, Monsieur. Ma Fille n'est pas pour vous. Vous n'êtes point Gentilhomme, vous n'aurez pas ma Fille. Taisez-vous, ma Femme, je vous vois venir. Voilà pas le coup de langue. Peste soit de la Femme. Elle n'y a jamais manqué. Si votre Père a été Marchand, tant pis pour lui ; mais pour le mien, ce sont des malavisés qui disent cela. Tout ce que j'ai à vous dire, moi, c'est que je veux avoir un Gendre Gentilhomme. Taisez-vous, impertinente. Vous vous fourrez toujours dans la conversation ; j'ai du bien assez pour ma Fille, je n'ai besoin que d'honneur, et je la veux faire Marquise. Oui, Marquise. C'est une chose que j'ai résolue. Voilà bien les sentiments d'un petit Esprit, de vouloir demeurer toujours dans la bassesse. Ne me répliquez pas davantage, ma Fille sera Marquise en dépit de tout le monde ; et si vous me mettez en colère, je la ferai Duchesse. Que Diable est-ce là ! Ils n'ont rien que les grands Seigneurs à me reprocher ; et moi, je ne vois rien de si beau, que de hanter les grands Seigneurs ; il n'y a qu'honneur et que civilité avec eux, et je voudrais qu'il m'eût coûté deux doigts de la main, et être né Comte ou Marquis. Hé mon Dieu, j'ai quelques ordres à donner. Dis-leur que je vais venir ici tout à l'heure. Un peu plus loin, Madame. Un pas, s'il vous plaît. Reculez un peu, pour la troisième. Madame, ce m'est une gloire bien grande, de me voir assez fortuné, pour être si heureux, que d'avoir le bonheur, que vous ayez eu la bonté de m'accorder la grâce, de me faire l'honneur, de m'honorer de la faveur de votre présence : Et si j'avais aussi le mérite, pour mériter un mérite comme le vôtre, et que le Ciel… envieux de mon bien… m'eût accordé… l'avantage de me voir digne… des… C'est trop d'honneur que vous me faites. Je n'ai rien fait encore, Madame, pour mériter cette grâce. Ne pourrais-je pas seulement lui demander comment elle le trouve ? Que je vous suis obligé, Monsieur, de lui parler ainsi pour moi ! Je ne sais quelles grâces vous en rendre. Madame, c'est vous qui faites les grâces, et… Vous vous moquez, Madame, et je voudrais qu'il fût plus digne de vous être offert. Ah que voilà de belles mains ! Moi, Madame ! Dieu me garde d'en vouloir parler ; ce ne serait pas agir en galant Homme, et le Diamant est fort peu de chose. Vous avez trop de bonté… Madame, ce n'est pas… Je vois encore ici, Madame, quelque chose de plus beau. Je voudrais bien qu'elle me prît pour ce que je dirais. Elle me connaîtra quand il lui plaira. Si je pouvais ravir votre cœur, je serais… Oui, impertinente, c'est Monsieur le Comte qui donne tout ceci à Madame, qui est une Personne de Qualité. Il me fait l'honneur de prendre ma maison, et de vouloir que je sois avec lui. Madame. Monsieur le Comte, faites-lui excuses, et tâchez de la ramener. Ah, impertinente que vous êtes, voilà de vos beaux faits ; vous me venez faire des affronts devant tout le monde, et vous chassez de chez moi des Personnes de Qualité. Je ne sais qui me tient, maudite, que je ne vous fende la tête avec les pièces du Repas que vous êtes venue troubler. Vous faites bien d'éviter ma colère. Elle est arrivée là bien malheureusement. J'étais en humeur de dire de jolies choses, et jamais je ne m'étais senti tant d'esprit. Qu'est-ce que c'est que cela ? Non, Monsieur. Moi ! Pour me baiser ! De feu Monsieur mon Père ! Comment dites-vous ? Mon Père ! Vous l'avez fort connu ? Et vous l'avez connu pour Gentilhomme ? Je ne sais donc pas comment le Monde est fait. Il y a de sottes Gens qui me veulent dire qu'il a été Marchand. Je suis ravi de vous connaître, afin que vous rendiez ce témoignage-là que mon Père était Gentilhomme. Vous m'obligerez. Quel sujet vous amène ? Par tout le Monde ! Je pense qu'il y a bien loin en ce Pays-là. Quelle ? Moi ? Non. Par ma foi, je ne savais pas cela. Le Fils du Grand Turc ? Mon Gendre, le Fils du Grand Turc ! Le Fils du Grand Turc dit cela de moi ? Marababa sahem veut dire Ah que je suis amoureux d'elle ? Par ma foi, vous faites bien de me le dire, car pour moi je n'aurais jamais cru que Marababa sahem eût voulu dire, Ah que je suis amoureux d'elle ! Voilà une langue admirable, que ce Turc ! Cacaracamouchen ? Non. Cacaracamouchen veut dire, Ma chère âme ? Voilà qui est merveilleux ! Cacaracamouchen, Ma chère âme. Dirait-on jamais cela ? Voilà qui me confond. Mamamouchi ? Le Fils du Grand Turc m'honore beaucoup, et je vous prie de me mener chez lui, pour lui en faire mes remerciements. Il va venir ici ? Voilà qui est bien prompt. Tout ce qui m'embarrasse ici, c'est que ma Fille est une opiniâtre, qui s'est allée mettre dans la tête un certain Cléonte, et elle jure de n'épouser personne que celui-là. Je suis très humble serviteur de Son Altesse Turque. Son Altesse Turque m'honore trop, et je lui souhaite toutes sortes de prospérités. Tant de choses en deux mots ? Voyez l'impertinente, de parler de la sorte à un Mamamouchi ! Oui, il me faut porter du respect maintenant, et l'on vient de me faire Mamamouchi. Mamamouchi, vous dis-je. Je suis Mamamouchi. Mamamouchi, c'est-à-dire en notre Langue, Paladin. Quelle ignorante ! Je dis Paladin ; c'est une Dignité dont on vient de me faire la cérémonie. Mahameta per Jordina. Jordina, c'est-à-dire Jourdain. Voler far un Paladina de Iordina. Dar turbanta con galera. Per deffender Palestina. Dara dara bastonara. Non tener honta questa star l'ultima affronta. Hou la ba ba la chou ba la ba ba la da. Paix, insolente, portez respect à Monsieur le Mamamouchi. Monsieur, je vous souhaite la force des Serpents, et la prudence des Lions. Madame, je vous souhaite toute l'année votre Rosier fleuri ; je vous suis infiniment obligé de prendre part aux honneurs qui m'arrivent, et j'ai beaucoup de joie de vous voir revenue ici pour vous faire les très humbles excuses de l'extravagance de ma Femme. La possession de mon cœur est une chose qui vous est toute acquise. Le voilà qui vient, et j'ai envoyé quérir ma Fille pour lui donner la main. Où est le Truchement, pour lui dire qui vous êtes, et lui faire entendre ce que vous dites. Vous verrez qu'il vous répondra, et il parle Turc à merveille. Holà, où diantre est-il allé ?. Strouf, strif, strof, straf. Monsieur est un grande Segnore, grande Segnore, grande Segnore ; et Madame une granda Dama, granda Dama. Ahi lui, Monsieur, lui Mamamouchi Français, et Madame Mamamouchie française. Je ne puis pas parler plus clairement. Bon, voici l'Interprète. Où allez-vous donc ? Nous ne saurions rien dire sans vous. Dites-lui un peu que Monsieur et Madame sont des Personnes de grande Qualité, qui lui viennent faire la révérence, comme mes amis, et l'assurer de leurs services. Vous allez voir comme il va répondre. Voyez-vous ? Je vous l'avais bien dit, qu'il parle Turc. Venez, ma Fille, approchez-vous, et venez donner votre main à Monsieur, qui vous fait l'honneur de vous demander en mariage. Non, non, ce n'est pas une Comédie, c'est une affaire fort sérieuse, et la plus pleine d'honneur pour vous qui se peut souhaiter. Voilà le Mari que je vous donne. Oui à vous, allons, touchez-lui dans la main, et rendez grâce au Ciel de votre bonheur. Je le veux moi, qui suis votre Père. Ah que de bruit. Allons, vous dis-je. Çà votre main. Ah je suis ravi de vous voir si promptement revenue dans votre devoir ; et voilà qui me plaît, d'avoir une Fille obéissante. Voulez-vous vous taire, impertinente ? Vous venez toujours mêler vos extravagances à toutes choses, et il n'y a pas moyen de vous apprendre à être raisonnable. Je veux marier notre Fille avec le Fils du Grand Turc. Oui, faites-lui faire vos compliments par le Truchement que voilà. Voulez-vous vous taire, encore une fois ? Voilà bien du caquet. Je vous dis que ce Mariage-là se fera. Ah que de bruit. Quoi, vous la querellez, de ce qu'elle m'obéit ? Écoutez-le. Il vous dira… Voilà une grande obstination de Femme ! Cela vous fera-t-il mal, de l'entendre ? Ah voilà tout le monde raisonnable. Vous ne vouliez pas l'écouter. Je savais bien qu'il vous expliquerait ce que c'est que le Fils du Grand Turc. C'est pour lui faire accroire. Bon, bon. Qu'on aille vite quérir le Notaire. C'est fort bien avisé, allons prendre nos places. Je la donne au Truchement ; et ma Femme, à qui la voudra. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_madame-jourdain *date_1670 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madamejourdain Ah, ah, voici une nouvelle histoire. Qu'est-ce que c'est donc, mon Mari, que cet équipage-là ? Vous moquez-vous du Monde, de vous être fait enharnacher de la sorte ? et avez-vous envie qu'on se raille partout de vous ? Vraiment on n'a pas attendu jusqu'à cette heure, et il y a longtemps que vos façons de faire donnent à rire à tout le Monde. Tout ce monde-là est un Monde qui a raison, et qui est plus sage que vous. Pour moi, je suis scandalisée de la vie que vous menez. Je ne sais plus ce que c'est que notre Maison. On dirait qu'il est céans Carême-prenant tous les jours ; Et dès le matin, de peur d'y manquer, on y entend des vacarmes de Violons et de Chanteurs, dont tout le voisinage se trouve incommodé. Nicole a raison, et son sens est meilleur que le vôtre. Je voudrais bien savoir ce que vous pensez faire d'un Maître à Danser à l'âge que vous avez. Est-ce que vous voulez apprendre à danser, pour quand vous n'aurez plus de jambes ? Vous devriez bien plutôt songer à marier votre Fille, qui est en âge d'être pourvue. N'irez-vous point l'un de ces jours au Collège vous faire donner le fouet, à votre âge ? Tout cela est fort nécessaire pour conduire votre Maison. Oui, je sais que ce que je dis est fort bien dit, et que vous devriez songer à vivre d'autre sorte. Ce sont des paroles bien sensées, et votre conduite ne l'est guère. Des Chansons. Hé bien ? Cela s'appelle comme on veut l'appeler. De la Prose ? Voilà qui est admirable. Qu'est-ce que c'est donc que tout ce galimatias-là ? Allez, Vous devriez envoyer promener tous ces Gens-là, avec leurs fariboles. Vous êtes fou, mon Mari, avec toutes vos fantaisies, et cela vous est venu depuis que vous vous mêlez de hanter la Noblesse. Çamon vraiment. Il y a fort à gagner à fréquenter vos Nobles, et vous avez bien opéré avec ce beau Monsieur le Comte dont vous vous êtes embéguiné. Oui, il a des bontés pour vous, et vous fait des caresses, mais il vous emprunte votre argent. Et ce Seigneur, que fait-il pour vous ? Et quoi ? Oui. Attendez-vous à cela. Oui, oui, il ne manquera pas d'y faillir. Chansons. Et moi, je suis sûre que non, et que toutes les caresses qu'il vous fait ne sont que pour vous enjôler. Il ne nous faut plus que cela. Il vient peut-être encore vous faire quelque emprunt ; et il me semble que j'ai dîné quand je le vois. Madame Jourdain se porte comme elle peut. Il le gratte par où il se démange. Oui, aussi sot par derrière que par devant. Oui, nous ne le savons que trop. Hé bien, ne l'avais-je pas bien deviné ? Cet homme-là fait de vous une Vache à lait. Il ne sera pas content, qu'il ne vous ait ruiné. C'est un vrai enjôleux. Il vous sucera jusqu'au dernier sou. Quoi, vous allez encore lui donner cela ? Allez, vous êtes une vraie dupe. J'ai la tête plus grosse que le poing, et si elle n'est pas enflée. Mademoiselle ma Fille est bien où elle est. Elle se porte sur ses deux jambes. Oui vraiment, nous avons fort envie de rire, fort envie de rire nous avons. Trédame, Monsieur, est-ce que Madame Jourdain est décrépite, et la tête lui grouille-t-elle déjà ? Madame Jourdain vous baise les mains. Quand il est une fois avec lui, il ne peut le quitter. Que sa présence me pèse sur les épaules ! Est-ce qu'il ne s'en ira point ? Que peuvent-ils tant dire ensemble ? Va-t'en un peu tout doucement prêter l'oreille. Ce n'est pas d'aujourd'hui, Nicole, que j'ai conçu des soupçons de mon Mari. Je suis la plus trompée du monde, ou il y a quelque amour en campagne, et je travaille à découvrir ce que ce peut être. Mais songeons à ma Fille. Tu sais l'amour que Cléonte a pour elle. C'est un homme qui me revient, et je veux aider sa recherche, et lui donner Lucile, si je puis. Va-t'en lui parler de ma part, et lui dire que tout à l'heure il me vienne trouver, pour faire ensemble à mon Mari la demande de ma Fille. Je suis bien aise de vous voir, Cléonte, et vous voilà tout à propos. Mon Mari vient, prenez vite votre temps pour lui demander Lucile en mariage. Que voulez-vous donc dire avec votre Gentilhomme ? Est-ce que nous sommes, nous autres, de la Côte de saint Louis ? Descendons-nous tous deux que de bonne Bourgeoisie ? Et votre Père n'était-il pas Marchand aussi bien que le mien ? Il faut à votre Fille un Mari qui lui soit propre, et il vaut mieux pour elle un honnête Homme riche et bien fait, qu'un Gentilhomme gueux et mal bâti. Marquise ! Hélas, Dieu m'en garde. C'est une chose, moi, où je ne consentirai point. Les alliances avec plus grand que soi, sont sujettes toujours à de fâcheux inconvénients. Je ne veux point qu'un Gendre puisse à ma Fille reprocher ses parents, et qu'elle ait des Enfants qui aient honte de m'appeler leur Grand-Maman. S'il fallait qu'elle me vînt visiter en équipage de Grand-Dame, et qu'elle manquât par mégarde à saluer quelqu'un du quartier, on ne manquerait pas aussitôt de dire cent sottises. Voyez-vous, dirait-on, cette Madame la Marquise qui fait tant la glorieuse ? C'est la Fille de Monsieur Jourdain, qui était trop heureuse, étant petite, de jouer à la Madame avec nous : Elle n'a pas toujours été si relevée que la voilà ; et ses deux Grands-Pères vendaient du drap auprès de la Porte Saint-Innocent. Ils ont amassé du bien à leurs Enfants, qu'ils payent maintenant, peut-être, bien cher en l'autre Monde, et l'on ne devient guère si riches à être honnêtes Gens. Je ne veux point tous ces caquets, et je veux un Homme en un mot qui m'ait obligation de ma Fille, et à qui je puisse dire : Mettez-vous là, mon gendre, et dînez avec moi. Cléonte, ne perdez point courage encore. Suivez-moi, ma Fille, et venez dire résolument à votre Père, que si vous ne l'avez, vous ne voulez épouser personne. Ah, ah, je trouve ici bonne compagnie, et je vois bien qu'on ne m'y attendait pas. C'est donc pour cette belle affaire-ci, Monsieur mon Mari, que vous avez eu tant d'empressement à m'envoyer dîner chez ma Sœur ? Je viens de voir un Théâtre là-bas, et je vois ici un Banquet à faire Noces. Voilà comme vous dépensez votre bien, et c'est ainsi que vous festinez les Dames en mon absence, et que vous leur donnez la Musique et la Comédie, tandis que vous m'envoyez promener ? Ce sont des Chansons que cela ; je sais ce que je sais. Je n'ai que faire de Lunettes, Monsieur, et je vois assez clair ; il y a longtemps que je sens les choses, et je ne suis pas une Bête. Cela est fort vilain à vous, pour un grand Seigneur, de prêter la main comme vous faites aux sottises de mon Mari. Et vous, Madame, pour une grande Dame, cela n'est ni beau, ni honnête à vous, de mettre de la dissension dans un Ménage, et de souffrir que mon Mari soit amoureux de vous. Je me moque de leur Qualité. Je me moque de cela. Ce sont mes droits que je défends, et j'aurai pour moi toutes les Femmes. Ah mon Dieu, miséricorde ! Qu'est-ce que c'est donc que cela ? Quelle figure ! Est-ce un Momon que vous allez porter ; et est-il temps d'aller en Masque ? Parlez donc, qu'est-ce que c'est que ceci ? Qui vous a fagoté comme cela ? Comment donc ? Que voulez-vous dire avec votre Mamamouchi ? Quelle Bête est-ce là ? Baladin ! Êtes-vous en âge de danser des Ballets ? Quelle cérémonie donc ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Hé bien quoi, Jourdain ? Comment ? Qu'est-ce à dire cela ? Que voulez-vous donc dire ? Qu'est-ce donc que ce jargon-là ? Qu'est-ce que c'est donc que tout cela ? Hélas, mon Dieu, mon mari est devenu fou. Où est-ce qu'il a donc perdu l'esprit ? Courons l'empêcher de sortir. Ah, ah, voici justement le reste de notre écu. Je ne vois que chagrin de tous les côtés. Comment donc, qu'est-ce que c'est que ceci ? On dit que vous voulez donner votre Fille en mariage à un Carême-prenant ? C'est vous qu'il n'y a pas moyen de rendre sage, et vous allez de folie en folie. Quel est votre dessein, et que voulez-vous faire avec cet assemblage ? Avec le Fils du Grand Turc ! Je n'ai que faire du Truchement, et je lui dirai bien moi-même à son nez, qu'il n'aura point ma Fille. Mon Dieu, Monsieur, mêlez-vous de vos affaires. Madame, je vous prie aussi de ne vous point embarrasser de ce qui ne vous touche pas. Je me passerai bien de votre amitié. Ma Fille consent à épouser un Turc ? Elle peut oublier Cléonte ? Je l'étranglerais de mes mains, si elle avait fait un coup comme celui-là. Je vous dis, moi, qu'il ne se fera point. Allez, vous êtes une Coquine. Oui, elle est à moi, aussi bien qu'à vous. Que me voulez-vous conter, vous ? Je n'ai que faire de votre mot. Je n'y consentirai point. Non. Non, je ne veux pas écouter. Je ne veux point qu'il me dise rien. Hé bien, quoi ? Ah, ah. Ah comme cela, je me rends. Oui, voilà qui est fait, je consens au Mariage. Il me l'a expliqué comme il faut, et j'en suis satisfaite. Envoyons quérir un Notaire. Je consens aussi à cela. Et Nicole ? **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_lucile *date_1670 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_lucile Ce ne peut être, Nicole, que ce que je te dis. Mais le voilà. Qu'est-ce donc, Cléonte ? qu'avez-vous ? Quel chagrin vous possède ? Êtes-vous muet, Cléonte ? Je vois bien que la rencontre de tantôt a troublé votre esprit. N'est-il pas vrai, Cléonte, que c'est là le sujet de votre dépit ? Voilà bien du bruit pour un rien. Je veux vous dire, Cléonte, le sujet qui m'a fait ce matin éviter votre abord. Sachez que ce matin… Écoutez. Cléonte. Arrêtez. Un moment. Deux paroles. Hé bien, puisque vous ne voulez pas m'écouter, demeurez dans votre pensée, et faites ce qu'il vous plaira. Il ne me plaît plus de le dire. Non, je ne veux rien dire. Non, vous dis-je. Laissez-moi. Non. Je ne veux pas. Non, je n'en ferai rien. Cléonte. Où allez-vous ? Vous allez mourir, Cléonte ? Moi, je veux que vous mouriez ? Qui vous le dit ? Est-ce ma faute ? Et si vous aviez voulu m'écouter, ne vous aurais-je pas dit que l'aventure dont vous vous plaignez, a été causée ce matin par la présence d'une vieille Tante, qui veut à toute force, que la seule approche d'un Homme déshonore une Fille ; Qui perpétuellement nous sermonne sur ce chapitre, et nous figure tous les Hommes comme des Diables qu'il faut fuir. Il n'est rien de plus vrai. Comment, mon Père, comme vous voilà fait ! Est-ce une Comédie que vous jouez ? À moi, mon Père ! Je ne veux point me marier. Je n'en ferai rien. Non, mon Père, je vous l'ai dit, il n'est point de pouvoir qui me puisse obliger à prendre un autre Mari que Cléonte ; et je me résoudrai plutôt à toutes les extrémités, que de… . Il est vrai que vous êtes mon Père, je vous dois entière obéissance ; et c'est à vous à disposer de moi selon vos volontés. Ma Mère. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_nicole *date_1670 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_nicole Plaît-il. Hi, hi, hi, hi, hi. Hi, hi, hi, hi, hi, hi. Hi, hi, hi. Comme vous voilà bâti ! Hi, hi, hi. Ah, ah, mon Dieu. Hi, hi, hi, hi, hi. Nenni Monsieur, j'en serais bien fâchée. Hi, hi, hi, hi, hi, hi. Monsieur, je ne puis pas m'en empêcher. Hi, hi, hi, hi, hi, hi. Monsieur, je vous demande pardon ; mais vous êtes si plaisant, que je ne saurais me tenir de rire. Hi, hi, hi. Vous êtes tout à fait drôle comme cela. Hi, hi. Je vous prie de m'excuser. Hi, hi, hi, hi. Hé bien, Monsieur, voilà qui est fait, je ne rirai plus. Hi, hi. Hi, hi. Hi, hi. Tenez, Monsieur, battez-moi plutôt, et me laissez rire tout mon soûl, cela me fera plus de bien. Hi, hi, hi, hi, hi. De grâce, Monsieur, je vous prie de me laisser rire. Hi, hi, hi. Monsieur, eur, je crèverai, aie, si je ne ris. Hi, hi, hi. Que voulez-vous que je fasse, Monsieur ? Ah, par ma foi, je n'ai plus envie de rire ; et toutes vos Compagnies font tant de désordre céans, que ce mot est assez pour me mettre en mauvaise humeur. Vous devriez au moins la fermer à certaines Gens. Madame parle bien. Je ne saurais plus voir mon ménage propre, avec cet attirail de Gens que vous faites venir chez vous. Ils ont des pieds qui vont chercher de la boue dans tous les Quartiers de la ville, pour l'apporter ici ; et la pauvre Françoise est presque sur les dents, à frotter les planchers que vos biaux Maîtres viennent crotter régulièrement tous les jours. Et d'un grand Maître Tireur d'Armes, qui vient, avec ses battements de pied, ébranler toute la Maison, et nous déraciner tous les carriaux de notre Salle ? Est-ce que vous avez envie de tuer quelqu'un ? J'ai encore ouï dire, Madame, qu'il a pris aujourd'hui, pour renfort de potage, un Maître de Philosophie. Oui, ma foi, cela vous rendrait la jambe bien mieux faite. Comment ? Quoi ? Hé bien, U. Je dis, U. Je fais ce que vous me dites. Oui, cela est biau. De quoi est-ce que tout cela guérit ? Et surtout ce grand escogriffe de Maître d'armes, qui remplit de poudre tout mon ménage. Hé bien, quoi ? Vous me dites de pousser. Ils se trouvent bien ensemble. Ma foi, Madame, la curiosité m'a coûté quelque chose ; mais je crois qu'il y a quelque anguille sous roche, et ils parlent de quelque affaire, où ils ne veulent pas que vous soyez. En vérité, Madame, je suis la plus ravie du monde, de vous voir dans ces sentiments ; car, si le Maître vous revient, le Valet ne me revient pas moins, et je souhaiterais que notre mariage se pût faire à l'ombre du leur. J'y cours, Madame, avec joie, et je ne pouvais recevoir une commission plus agréable. Je vais, je pense, bien réjouir les Gens. Ah vous voilà tout à propos. Je suis une Ambassadrice de joie, et je viens… Est-ce ainsi que vous recevez… Quel vertigo est-ce donc là ? Mon pauvre Covielle, dis-moi un peu ce que cela veut dire ? Quoi ? tu me viens aussi… Ouais ! Quelle mouche les a piqués tous deux ? Allons de cette belle histoire informer ma Maîtresse. Pour moi, j'en ai été toute scandalisée. Qu'as-tu donc, Covielle ? Quelle mauvaise humeur te tient ? As-tu perdu la parole, Covielle ? Notre accueil de ce matin t'a fait prendre la chèvre. Je te veux apprendre la cause qui nous a fait passer si vite. Apprends que… Laisse-moi dire. Covielle. Entends-moi. Un peu de patience. Un mot. Puisque tu fais comme cela, prends-le tout comme tu voudras. Je ne veux plus, moi, te l'apprendre. Non, je ne conte rien. Point d'affaire. Ôte-toi de là. Point. Point du tout. Non, il ne me plaît pas. Covielle. Voilà le secret de l'affaire. C'est la chose comme elle est. Cela est vrai. Nous avons le Fils du Gentilhomme de notre Village, qui est le plus grand Malitorne et le plus sot Dadais que j'aie jamais vu. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_cleonte *date_1670 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_cleonte Retire-toi, perfide, et ne me viens point amuser avec tes traîtresses paroles. Retire-toi, te dis-je, et va-t'en dire de ce pas à ton infidèle Maîtresse, qu'elle n'abusera de sa vie le trop simple Cléonte. Quoi, traiter un Amant de la sorte, et un Amant le plus fidèle, et le plus passionné de tous les Amants ? Je fais voir pour une Personne toute l'ardeur, et toute la tendresse qu'on peut imaginer ; Je n'aime rien au Monde qu'elle, et je n'ai qu'elle dans l'esprit ; elle fait tous mes soins, tous mes désirs, toute ma joie ; je ne parle que d'elle, je ne pense qu'à elle, je ne fais des songes que d'elle, je ne respire que par elle, mon cœur vit tout en elle : et voilà de tant d'amitié la digne récompense ! Je suis deux jours sans la voir, qui sont pour moi deux siècles effroyables ; je la rencontre par hasard ; mon cœur à cette vue se sent tout transporté, ma joie éclate sur mon visage ; je vole avec ravissement vers elle ; et l'infidèle détourne de moi ses regards, et passe brusquement comme si de sa vie elle ne m'avait vu ! Peut-on rien voir d'égal, Covielle, à cette perfidie de l'ingrate Lucile ? Après tant de sacrifices ardents, de soupirs, et de vœux que j'ai faits à ses charmes ! Tant de larmes que j'ai versées à ses genoux ! Tant d'ardeur que j'ai fait paraître à la chérir plus que moi-même ! Elle me fuit avec mépris ! C'est une perfidie digne des plus grands châtiments. Ne t'avise point, je te prie, de me parler jamais pour elle. Ne viens point m'excuser l'action de cette infidèle. Non, vois-tu, tous tes discours pour la défendre, ne serviront de rien. Je veux contre elle conserver mon ressentiment, et rompre ensemble tout commerce. Ce Monsieur le Comte qui va chez elle, lui donne peut-être dans la vue ; et son esprit, je le vois bien, se laisse éblouir à la qualité. Mais il me faut, pour mon honneur, prévenir l'éclat de son inconstance. Je veux faire autant de pas qu'elle au changement où je la vois courir, et ne lui laisser pas toute la gloire de me quitter. Donne la main à mon dépit, et soutiens ma résolution contre tous les restes d'amour qui me pourraient parler pour elle. Dis-m'en, je t'en conjure, tout le mal que tu pourras. Fais-moi de sa Personne une peinture qui me la rende méprisable ; et marque-moi bien, pour m'en dégoûter, tous les défauts que tu peux voir en elle. Cela est vrai, elle a les yeux petits ; mais elle les a pleins de feux, les plus brillants, les plus perçants du monde, les plus touchants qu'on puisse voir. Oui ; mais on y voit des grâces qu'on ne voit point aux autres bouches ; et cette bouche, en la voyant, inspire des désirs, est la plus attrayante, la plus amoureuse du monde. Non ; mais elle est aisée, et bien prise. Il est vrai ; mais elle a grâce à tout cela, et ses manières sont engageantes, ont je ne sais quel charme à s'insinuer dans les cœurs. Ah ! elle en a, Covielle, du plus fin, du plus délicat. Sa conversation est charmante. Veux-tu de ces enjouements épanouis, de ces joies toujours ouvertes ? et vois-turien de plus impertinent, que des Femmes qui rient à tout propos ? Oui, elle est capricieuse, j'en demeure d'accord ; mais tout sied bien aux Belles, on souffre tout des Belles. Moi, j'aimerais mieux mourir ; et je vais la haïr autant que je l'ai aimée. C'est en quoi ma vengeance sera plus éclatante ; en quoi je veux faire mieux voir la force de mon cœur, à la haïr, à la quitter, toute belle, toute pleine d'attraits, toute aimable que je la trouve. La voici. Je ne veux pas seulement lui parler. Que voilà qui est scélérat ! Ah, ah, on voit ce qu'on a fait. Oui, perfide, ce l'est, puisqu'il faut parler ; et j'ai à vous dire que vous ne triompherez pas comme vous pensez de votre infidélité, que je veux être le premier à rompre avec vous, et que vous n'aurez pas l'avantage de me chasser. J'aurai de la peine, sans doute, à vaincre l'amour que j'ai pour vous ; cela me causera des chagrins : Je souffrirai un temps ; mais j'en viendrai à bout, et je me percerai plutôt le cœur, que d'avoir la faiblesse de retourner à vous. Non, je ne veux rien écouter. Non, vous dis-je. Point d'affaire. Non. Chansons. Point du tout. Non, c'en est fait. Sachons donc le sujet d'un si bel accueil. Dites-moi… De grâce. Je vous en prie. Lucile. Au nom des Dieux ! Éclaircissez mes doutes. Hé bien, puisque vous vous souciez si peu de me tirer de peine, et de vous justifier du traitement indigne que vous avez fait à ma flamme, vous me voyez, ingrate, pour la dernière fois, et je vais loin de vous mourir de douleur et d'amour. Eh ? Où je vous ai dit. Oui, cruelle, puisque vous le voulez. Oui, vous le voulez. N'est-ce pas le vouloir, que de ne vouloir pas éclaircir mes soupçons ? Ne me trompez-vous point, Lucile ? Ah, Lucile, qu'avec un mot de votre bouche vous savez apaiser de choses dans mon cœur ! et que facilement on se laisse persuader aux Personnes qu'on aime ! Ah, Madame, que cette parole m'est douce, et qu'elle flatte mes désirs ! Pouvais-je recevoir un ordre plus charmant ? une faveur plus précieuse ? Monsieur, je n'ai voulu prendre personne pour vous faire une demande que je médite il y a longtemps. Elle me touche assez pour m'en charger moi-même ; et sans autre détour, je vous dirai que l'honneur d'être votre Gendre est une faveur glorieuse que je vous prie de m'accorder. Monsieur, la plupart des Gens sur cette question, n'hésitent pas beaucoup. On tranche le mot aisément. Ce nom ne fait aucun scrupule à prendre, et l'usage aujourd'hui semble en autoriser le vol. Pour moi, je vous l'avoue, j'ai les sentiments sur cette matière un peu plus délicats. Je trouve que toute imposture est indigne d'un honnête Homme, et qu'il y a de la lâcheté à déguiser ce que le Ciel nous a fait naître ; à se parer aux yeux du monde d'un Titre dérobé, à se vouloir donner pour ce qu'on n'est pas. Je suis né de Parents, sans doute, qui ont tenu des Charges honorables. Je me suis acquis dans les Armes l'honneur de six ans de services, et je me trouve assez de bien pour tenir dans le Monde un rang assez passable : mais avec tout cela je ne veux point me donner un nom où d'autres en ma place croiraient pouvoir prétendre ; et je vous dirai franchement que je ne suis point Gentilhomme. Comment ? Que veux-tu ? J'ai un scrupule là-dessus, que l'exemple ne saurait vaincre. Tu as raison ; mais je ne croyais pas qu'il fallût faire ses preuves de Noblesse, pour être Gendre de Monsieur Jourdain. De quoi ris-tu ? Comment ? Quoi donc ? Mais apprends-moi… Ambousahim oqui boraf, Iordina salamalequi. Oustin yoc catamalequi basum base alla moran. Bel-men. Catalequi tubal ourin soter amalouchan. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_covielle *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_covielle Ton pauvre Covielle, petite Scélérate ! Allons vite, ôte-toi de mes yeux, vilaine, et me laisse en repos. Ôte-toi de mes yeux, te dis-je, et ne me parle de ta vie. C'est une chose épouvantable, que ce qu'on nous fait à tous deux. Je dis les mêmes choses que vous. Et à celle, Monsieur, de la pendarde de Nicole ? Après tant d'assidus hommages, de soins, et de services que je lui ai rendus dans sa Cuisine ! Tant de seaux d'eau que j'ai tirés au Puits pour elle ! Tant de chaleur que j'ai soufferte à tourner la Broche à sa place ! Elle me tourne le dos avec effronterie ! C'est une trahison à mériter mille soufflets. Moi, Monsieur ! Dieu m'en garde. N'ayez pas peur. Qui songe à cela ? J'y consens. C'est fort bien dit, et j'entre pour mon compte dans tous vos sentiments. Elle, Monsieur ! Voilà une belle Mijaurée, une Pimpesouée bien bâtie, pour vous donner tant d'amour ! Je ne lui vois rien que de très médiocre, et vous trouverez cent Personnes qui seront plus dignes de vous. Premièrement, elle a les yeux petits. Elle a la bouche grande. Pour sa taille, elle n'est pas grande. Elle affecte une nonchalance dans son parler, et dans ses actions. Pour de l'Esprit… Sa conversation… Elle est toujours sérieuse. Mais enfin elle est capricieuse autant que Personne du monde. Puisque cela va comme cela, je vois bien que vous avez envie de l'aimer toujours. Le moyen, si vous la trouvez si parfaite. Je veux vous imiter. Que cela est Judas ! On a deviné l'enclouure. Queussi, queumi. Je ne veux rien entendre. Non, traîtresse. Je suis sourd. Point. Bagatelles. Tarare. Plus de commerce. Apprends-nous un peu cette histoire. Conte-moi… Par charité. Je t'en conjure. Nicole. Parle-moi. Guéris-moi l'esprit. Et moi, je vais suivre ses pas. Plaît-il ? Nous allons mourir. Ne m'en donnes-tu point à garder ? Nous rendrons-nous à cela ? Qu'on est aisément amadoué par ces diantres d'animaux-là ! Vous avez fait de belles affaires, avec vos beaux sentiments. Vous moquez-vous, de le prendre sérieusement avec un Homme comme cela ? Ne voyez-vous pas qu'il est fou ? et vous coûtait-il quelque chose de vous accommoder à ses chimères ? Ah, ah, ah. D'une pensée qui me vient pour jouer notre Homme, et vous faire obtenir ce que vous souhaitez. L'idée est tout à fait plaisante. Il s'est fait depuis peu une certaine Mascarade qui vient le mieux du monde ici, et que je prétends faire entrer dans une bourle que je veux faire à notre Ridicule. Tout cela sent un peu sa Comédie ; mais avec lui on peut hasarder toute chose, il n'y faut point chercher tant de façons, et il est Homme à y jouer son rôle à merveille ; à donner aisément dans toutes les fariboles qu'on s'avisera de lui dire. J'ai les Acteurs, j'ai les Habits tout prêts, laissez-moi faire seulement. Je vais vous instruire de tout ; retirons-nous, le voilà qui revient. Monsieur, je ne sais pas si j'ai l'honneur d'être connu de vous. Je vous ai vu que vous n'étiez pas plus grand que cela. Oui, vous étiez le plus bel Enfant du Monde, et toutes les Dames vous prenaient dans leurs bras pour vous baiser. Oui. J'étais grand Ami de feu Monsieur votre Père. Oui. C'était un fort honnête Gentilhomme. Je dis que c'était un fort honnête Gentilhomme. Oui. Assurément. Sans doute. Comment ? Lui Marchand ! C'est pure médisance, il ne l'a jamais été. Tout ce qu'il faisait, c'est qu'il était fort obligeant, fort officieux ; et comme il se connaissait fort bien en étoffes, il en allait choisir de tous les côtés, les faisait apporter chez lui, et en donnait à ses Amis pour de l'argent. Je le soutiendrai devant tout le monde. Depuis avoir connu feu Monsieur votre Père honnête Gentilhomme, comme je vous ai dit, j'ai voyagé par tout le Monde. Oui. Assurément. Je ne suis revenu de tous mes longs Voyages que depuis quatre jours ; et par l'intérêt que je prends à tout ce qui vous touche, je viens vous annoncer la meilleure nouvelle du monde. Vous savez que le Fils du Grand Turc est ici ? Comment ! Il a un train tout à fait magnifique ; tout le Monde le va voir, et il a été reçu en ce Pays comme un Seigneur d'importance. Ce qu'il y a d'avantageux pour vous, c'est qu'il est amoureux de votre Fille. Oui ; et il veut être votre Gendre. Le Fils du Grand Turc votre Gendre. Comme je le fus voir, et que j'entends parfaitement sa langue, il s'entretint avec moi ; et après quelques autres discours, il me dit. Acciam croc soler ouch alla moustaph gidelum amanahem varahini oussere carbulath, c'est-à-dire ; N'as-tu point vu une jeune belle personne, qui est la fille de Monsieur Jourdain, gentilhomme parisien ? Oui. Comme je lui eus répondu que je vous connaissais particulièrement, et que j'avais vu votre Fille : Ah, me dit-il, Marababa sahem ; c'est-à-dire, Ah que je suis amoureux d'elle ! Oui. Plus admirable qu'on ne peut croire. Savez-vous bien ce que veut dire Cacaracamouchen ? C'est-à-dire, Ma chère âme. Oui. Enfin, pour achever mon Ambassade, il vient vous demander votre Fille en mariage ; et pour avoir un Beau-Père qui soit digne de lui, il veut vous faire Mamamouchi, qui est une certaine grande Dignité de son pays. Oui, Mamamouchi : c'est-à-dire en notre langue, Paladin. Paladin, ce sont de ces anciens… Paladin enfin : Il n'y a rien de plus noble que cela dans le Monde ; et vous irez de pair avec les plus grands Seigneurs de la Terre. Comment ? le voilà qui va venir ici. Oui ; et il amène toutes choses pour la cérémonie de votre Dignité. Son amour ne peut souffrir aucun retardement. Elle changera de sentiment, quand elle verra le Fils du Grand Turc ; et puis il se rencontre ici une aventure merveilleuse, c'est que le Fils du Grand Turc ressemble à ce Cléonte, à peu de chose près. Je viens de le voir, on me l'a montré ; et l'amour qu'elle a pour l'un, pourra passer aisément à l'autre, et… Je l'entends venir ; le voilà. C'est-à-dire : Monsieur Jourdain, votre cœur soit toute l'année comme un rosier fleuri. Ce sont façons de parler obligeantes de ces Pays-là. Carigar camboro oustin moraf. Il dit que le Ciel vous donne la force des Lions, et la prudence des Serpents. Ossa binamen sadoc babally oracaf ouram. Il dit que vous alliez vite avec lui vous préparer pour la cérémonie, afin de voir ensuite votre Fille, et de conclure le mariage. Oui, la Langue Turque est comme cela, elle dit beaucoup en peu de paroles. Allez vite où il souhaite. Ha, ha, ha. Ma foi, cela est tout à fait drôle. Quelle dupe ! Quand il aurait appris son rôle par cœur, il ne pourrait pas le mieux jouer. Ah, ah. Je vous prie, Monsieur, de nous vouloir aider céans dans une affaire qui s'y passe. Vous voyez. Ah, ah. D'une chose, Monsieur, qui le mérite bien. Je vous le donnerais en bien des fois, Monsieur, à deviner, le stratagème dont nous nous servons auprès de Monsieur Jourdain, pour porter son esprit à donner sa Fille à mon Maître. Je sais, Monsieur, que la Bête vous est connue. Prenez la peine de vous tirer un peu plus loin, pour faire place à ce que j'aperçois venir. Vous pourrez voir une partie de l'histoire, tandis que je vous conterai le reste. Alabala crociam acci boram alabamen. Il dit que la pluie des prospérités arrose en tout temps le jardin de votre Famille. Madame. Un mot. Monsieur, si elle veut écouter une parole en particulier, je vous promets de la faire consentir à ce que vous voulez. Écoutez-moi seulement. Ne faites que m'écouter, vous ferez après ce qu'il vous plaira. Il y a une heure, Madame, que nous vous faisons signe. Ne voyez-vous pas bien que tout ceci n'est fait que pour nous ajuster aux visions de votre Mari, que nous l'abusons sous ce déguisement, et que c'est Cléonte lui-même qui est le Fils du Grand Turc ? Et moi, Covielle, qui suis le Truchement. Ne faites pas semblant de rien. Monsieur, je vous remercie. Si l'on en peut voir un plus fou, je l'irai dire à Rome. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_dorante *date_1670 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dorante Mon cher Ami, Monsieur Jourdain, comment vous portez-vous ? Et Madame Jourdain que voilà, comment se porte-t-elle ? Comment, Monsieur Jourdain, vous voilà le plus propre du monde ! Vous avez tout à fait bon air avec cet Habit, et nous n'avons point de jeunes Gens à la Cour qui soient mieux faits que vous. Tournez-vous. Cela est tout à fait galant. Ma foi, Monsieur Jourdain, j'avais une impatience étrange de vous voir. Vous êtes l'Homme du monde que j'estime le plus, et je parlais de vous encore ce matin dans la Chambre du Roi. Allons, mettez… Mon Dieu, mettez ; point de cérémonie entre nous, je vous prie. Mettez, vous dis-je, Monsieur Jourdain, vous êtes mon Ami. Je ne me couvrirai point, si vous ne vous couvrez. Je suis votre débiteur, comme vous le savez. Vous m'avez généreusement prêté de l'argent en plusieurs occasions, et vous m'avez obligé de la meilleure grâce du monde, assurément. Mais je sais rendre ce qu'on me prête, et reconnaître les plaisirs qu'on me fait. Je veux sortir d'affaire avec vous, et je viens ici pour faire nos comptes ensemble. Je suis Homme qui aime à m'acquitter le plus tôt que je puis. Voyons un peu ce que je vous dois. Vous souvenez-vous bien de tout l'argent que vous m'avez prêté ? Cela est vrai. Oui. Vous avez raison. Le compte est fort bon. Cinq mille soixante livres. Justement. Il est vrai. Fort bien. Douze sols huit deniers ; le compte est juste. Tout cela est véritable. Qu'est-ce que cela fait ? Somme totale est juste ; quinze mille huit cents livres. Mettez encore deux cents Pistoles que vous m'allez donner, cela fera justement dix-huit mille francs, que je vous payerai au premier jour. Cela vous incommodera-t-il, de me donner ce que je vous dis ? Si cela vous incommode, j'en irai chercher ailleurs. Vous n'avez qu'à me dire si cela vous embarrasse. J'ai force Gens qui m'en prêteraient avec joie : mais comme vous êtes mon meilleur Ami, j'ai cru que je vous ferais tort, si j'en demandais à quelque autre. Vous me semblez toute mélancolique : qu'avez-vous, Madame Jourdain ? Mademoiselle votre Fille, où est-elle, que je ne la vois point ? Comment se porte-t-elle ? Ne voulez-vous point un de ces jours venir voir avec elle, le Ballet et la Comédie que l'on fait chez le Roi ? Je pense, Madame Jourdain, que vous avez eu bien des Amants dans votre jeune âge, belle et d'agréable humeur comme vous étiez. Ah, ma foi, Madame Jourdain, je vous demande pardon. Je ne songeais pas que vous êtes jeune, et je rêve le plus souvent. Je vous prie d'excuser mon impertinence. Je vous assure, Monsieur Jourdain, que je suis tout à vous, et que je brûle de vous rendre un service à la Cour. Si Madame Jourdain veut voir le Divertissement Royal, je lui ferai donner les meilleures places de la Salle. Notre belle marquise, comme je vous ai mandé par mon Billet, viendra tantôt ici pour le Ballet et le Repas ; et je l'ai fait consentir enfin au Cadeau que vous lui voulez donner. Il y a huit jours que je ne vous ai vu, et je ne vous ai point mandé de nouvelles du Diamant que vous me mîtes entre les mains, pour lui en faire présent de votre part ; mais c'est que j'ai eu toutes les peines du monde à vaincre son scrupule, et ce n'est que d'aujourd'hui qu'elle s'est résolue à l'accepter. Merveilleux ; et je me trompe fort, ou la beauté de ce Diamant fera pour vous sur son esprit un effet admirable. Je lui ai fait valoir comme il faut la richesse de ce présent, et la grandeur de votre amour. Vous moquez-vous ? Est-ce qu'entre Amis on s'arrête à ces sortes de scrupules ? et ne feriez-vous pas pour moi la même chose, si l'occasion s'en offrait ? Pour moi, je ne regarde rien, quand il faut servir un Ami ; et lorsque vous me fîtes confidence de l'ardeur que vous aviez prise pour cette Marquise agréable chez qui j'avais commerce, vous vîtes que d'abord je m'offris de moi-même à servir votre amour. Vous avez pris le bon biais pour toucher son cœur. Les Femmes aiment surtout les dépenses qu'on fait pour elles ; et vos fréquentes Sérénades, et vos Bouquets continuels, ce superbe Feu d'artifice qu'elle trouva sur l'eau, le Diamant qu'elle a reçu de votre part, et le Cadeau que vous lui préparez, tout cela lui parle bien mieux en faveur de votre amour, que toutes les paroles que vous auriez pu lui dire vous-même. Ce sera tantôt que vous jouirez à votre aise du plaisir de sa vue, et vos yeux auront tout le temps de se satisfaire. Vous avez fait prudemment, et votre Femme aurait pu nous embarrasser. J'ai donné pour vous l'ordre qu'il faut au Cuisinier, et à toutes les choses qui sont nécessaires pour le Ballet. Il est de mon invention ; et pourvu que l'exécution puisse répondre à l'idée, je suis sûr qu'il sera trouvé… Voilà qui est bien. Quel Lieu voulez-vous donc, Madame, que mon amour choisisse pour vous régaler, puisque pour fuir l'éclat, vous ne voulez ni votre Maison, ni la mienne ? Ma foi, Madame, vous y devriez déjà être. Vous êtes Veuve, et ne dépendez que de vous. Je suis maître de moi, et vous aime plus que ma vie. À quoi tient-il que dès aujourd'hui vous ne fassiez tout mon bonheur ? Vous vous moquez, Madame, de vous y figurer tant de difficultés ; et l'expérience que vous avez faite, ne conclut rien pour tous les autres. Ah, Madame, ce sont des bagatelles, et ce n'est pas par là… Eh, Madame, de grâce, ne faites point tant valoir une chose que mon amour trouve indigne de vous ; et souffrez… Voici le Maître du Logis. Madame, Monsieur Jourdain sait son monde. Monsieur Jourdain, en voilà assez ; Madame n'aime pas les grands compliments, et elle sait que vous êtes Homme d'esprit.C'est un bon Bourgeois assez ridicule, comme vous voyez, dans toutes ses manières. Madame, voilà le meilleur de mes Amis. Galant Homme tout à fait. Prenez bien garde au moins, à ne lui point parler du Diamant que vous lui avez donné. Comment ? gardez-vous-en bien. Cela serait vilain à vous ; et pour agir en galant Homme, il faut que vous fassiez comme si ce n'était pas vous qui lui eussiez fait ce présent. Monsieur Jourdain, Madame, dit qu'il est ravi de vous voir chez lui. J'ai eu une peine effroyable à la faire venir ici. Il dit, Madame, qu'il vous trouve la plus belle Personne du Monde. Songeons à manger. Allons donc nous mettre à table, et qu'on fasse venir les Musiciens. Monsieur Jourdain a raison, Madame, de parler de la sorte, et il m'oblige de vous faire si bien les honneurs de chez lui. Je demeure d'accord avec lui, que le Repas n'est pas digne de vous. Comme c'est moi qui l'ai ordonné, et que je n'ai pas sur cette matière les lumières de nos Amis, vous n'avez pas ici un Repas fort savant, et vous y trouverez des incongruités de bonne chère, et des barbarismes de bon goût. Si Damis s'en était mêlé, tout serait dans les règles ; il y aurait partout de l'élégance et de l'érudition, et il ne manquerait pas de vous exagérer lui-même toutes les pièces du Repas qu'il vous donnerait, et de vous faire tomber d'accord de sa haute capacité dans la science des bons morceaux ; de vous parler d'un Pain de rive, à biseau doré, relevé de croûte partout, croquant tendrement sous la dent ; d'un Vin à sève veloutée, armé d'un vert qui n'est point trop commandant ; d'un Carré de Mouton gourmandé de persil ; d'une Longe de Veau de Rivière, longue comme cela, blanche, délicate, et qui sous les dents est une vraie pâte d'amande ; de Perdrix relevées d'un fumet surprenant ; et pour son Opéra, d'une Soupe à bouillon perlé, soutenue d'un jeune gros Dindon, cantonné de Pigeonneaux, et couronnée d'Oignons blancs, mariés avec la Chicorée. Mais pour moi, je vous avoue mon ignorance ; et comme Monsieur Jourdain a fort bien dit, je voudrais que le Repas fût plus digne de vous être offert. Allons, qu'on donne du Vin à Monsieur Jourdain, et à ces Messieurs qui nous feront la grâce de nous chanter un Air à boire. Monsieur Jourdain, prêtons silence à ces Messieurs ; ce qu'ils nous diront, vaudra mieux que tout ce que nous pourrions dire. Comment, Madame, pour qui prenez-vous Monsieur Jourdain ? Vous ne le connaissez pas. Il est Homme qui a toujours la riposte en main. Mais vous ne voyez pas que Monsieur Jourdain, Madame, mange tous les morceaux que vous touchez. Que voulez-vous dire, Madame Jourdain ? et quelles fantaisies sont les vôtres, de vous aller mettre en tête que votre Mari dépense son bien, et que c'est lui qui donne ce Régale à Madame ? Apprenez que c'est moi, je vous prie ; Qu'il ne fait seulement que me prêter sa Maison, et que vous devriez un peu mieux regarder aux choses que vous dites. Prenez, Madame Jourdain, prenez de meilleures Lunettes. Madame, holà Madame, où courez-vous ? Ah, ah, Covielle, qui t'aurait reconnu ? Comme te voilà ajusté ! De quoi ris-tu ? Comment ? Je ne devine point le stratagème, mais je devine qu'il ne manquera pas de faire son effet, puisque tu l'entreprends. Apprends-moi ce que c'est. Oui, Madame, vous verrez la plus plaisante chose qu'on puisse voir ; et je ne crois pas que dans tout le Monde il soit possible de trouver encore un homme aussi fou que celui-là : Et puis, Madame, il faut tâcher de servir l'amour de Cléonte, et d'appuyer toute sa Mascarade. C'est un fort galant Homme, et qui mérite que l'on s'intéresse pour lui. Outre cela, nous avons ici, Madame, un Ballet qui nous revient, que nous ne devons pas laisser perdre, et il faut bien voir si mon idée pourra réussir. Ah ! Madame, est-il possible que vous ayez pu prendre pour moi une si douce résolution ? Que j'ai d'obligation, Madame, aux soins que vous avez de conserver mon bien ! Il est entièrement à vous, aussi bien que mon cœur, et vous en userez de la façon qu'il vous plaira. Monsieur, nous venons rendre hommage, Madame, et moi, à votre nouvelle dignité, et nous réjouir avec vous du mariage que vous faites de votre Fille avec le Fils du Grand Turc. Vous voyez, Madame, que Monsieur Jourdain n'est pas de ces Gens que les prospérités aveuglent, et qu'il sait dans sa gloire connaître encore ses Amis. Où est donc Son Altesse Turque ? Nous voudrions bien, comme vos Amis, lui rendre nos devoirs. Monsieur, nous venons faire la révérence à Votre Altesse, comme Amis de Monsieur votre Beau-Père, et l'assurer avec respect de nos très humbles services. Cela est admirable. Comment, Madame Jourdain, vous vous opposez à un bonheur comme celui-là ? Vous refusez Son Altesse Turque pour Gendre ? C'est l'amitié que nous avons pour vous, qui nous fait intéresser dans vos avantages. Voilà votre Fille qui consent aux volontés de son Père. Sans doute. Que ne fait-on pas pour être grand-Dame ? C'est fort bien dit. Et afin, Madame Jourdain, que vous puissiez avoir l'esprit tout à fait content, et que vous perdiez aujourd'hui toute la jalousie que vous pourriez avoir conçue de Monsieur votre Mari, c'est que nous nous servirons du même Notaire pour nous marier Madame, et moi. Il faut bien l'amuser avec cette feinte. Tandis qu'il viendra, et qu'il dressera les Contrats, voyons notre Ballet, et donnons-en le divertissement à Son Altesse Turque. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_dorimene *date_1670 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_dorimene Je ne sais pas, Dorante ; je fais encore ici une étrange démarche, de me laisser amener par vous dans une Maison où je ne connais personne. Mais vous ne dites pas que je m'engage insensiblement chaque jour à recevoir de trop grands témoignages de votre passion ? J'ai beau me défendre des choses, vous fatiguez ma résistance, et vous avez une civile opiniâtreté qui me fait venir doucement à tout ce qu'il vous plaît. Les Visites fréquentes ont commencé ; les Déclarations sont venues ensuite, qui après elles ont traîné les Sérénades et les Cadeaux, que les Présents ont suivis. Je me suis opposée à tout cela, mais vous ne vous rebutez point, et pied à pied vous gagnez mes résolutions. Pour moi je ne puis plus répondre de rien, et je crois qu'à la fin vous me ferez venir au Mariage dont je me suis tant éloignée. Mon Dieu, Dorante, il faut des deux parts bien des qualités pour vivre heureusement ensemble ; et les deux plus raisonnables Personnes du Monde, ont souvent peine à composer une union dont ils soient satisfaits. Enfin j'en reviens toujours là. Les dépenses que je vous vois faire pour moi, m'inquiètent par deux raisons ; l'une, qu'elles m'engagent plus que je ne voudrais ; et l'autre, que je suis sûre, sans vous déplaire, que vous ne les faites point, que vous ne vous incommodiez ; et je ne veux point cela. Je sais ce que je dis ; et entre autres le diamant que vous m'avez forcée à prendre, est d'un prix… Comment ? Quoi donc ? Il n'est pas malaisé de s'en apercevoir. J'ai beaucoup d'estime pour lui. Il m'honore beaucoup. C'est bien de la grâce qu'il me fait. Comment, Dorante, voilà un Repas tout à fait magnifique ! Je ne réponds à ce compliment, qu'en mangeant comme je fais. Les mains sont médiocres, Monsieur Jourdain ; mais vous voulez parler du Diamant qui est fort beau. Vous êtes bien dégoûté. C'est merveilleusement assaisonner la bonne chère, que d'y mêler la Musique, et je me vois ici admirablement régalée. Je ne crois pas qu'on puisse mieux chanter, et cela est tout à fait beau. Ouais. Monsieur Jourdain est galant plus que je ne pensais. Encore ! Oh je le quitte. Monsieur Jourdain est un Homme qui me ravit. Que veut donc dire tout ceci ? Allez, Dorante, vous vous moquez, de m'exposer aux sottes visions de cette extravagante. J'en fais beaucoup de cas, et il est digne d'une bonne fortune. J'ai vu là des apprêts magnifiques, et ce sont des choses, Dorante, que je ne puis plus souffrir. Oui, je veux enfin vous empêcher vos profusions ; et pour rompre le cours à toutes les dépenses que je vous vois faire pour moi, j'ai résolu de me marier promptement avec vous. C'en est le vrai secret, et toutes ces choses finissent avec le Mariage. Ce n'est que pour vous empêcher de vous ruiner ; et sans cela je vois bien qu'avant qu'il fût peu, vous n'auriez pas un sou. J'userai bien de tous les deux. Mais voici votre Homme ; la figure en est admirable. J'ai été bien aise d'être des premières, Monsieur, à venir vous féliciter du haut degré de gloire où vous êtes monté. Cela n'est rien, j'excuse en elle un pareil mouvement ; votre cœur lui doit être précieux, et il n'est pas étrange que la possession d'un Homme comme vous puisse inspirer quelques alarmes. C'est la marque d'une âme tout à fait généreuse. C'est une grande gloire, qui n'est pas à rejeter. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_maitre-musique *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_maitremusique Venez, entrez dans cette Salle, et vous reposez là, en attendant qu'il vienne. Est-ce fait ? Voyons… Voilà qui est bien. Oui, c'est un Air pour une Sérénade, que je lui ai fait composer ici, en attendant que notre Homme fût éveillé. Vous l'allez entendre, avec le Dialogue, quand il viendra. Il ne tardera guère. Il est vrai. Nous avons trouvé ici un Homme comme il nous le faut à tous deux. Ce nous est une douce rente que ce Monsieur Jourdain, avec les visions de Noblesse et de Galanterie qu'il est allé se mettre en tête. Et votre Danse, et ma Musique, auraient à souhaiter que tout le Monde lui ressemblât. Il est vrai qu'il les connaît mal, mais il les paie bien ; et c'est de quoi maintenant nos Arts ont plus besoin, que de toute autre chose. J'en demeure d'accord, et je les goûte comme vous. Il n'y a rien assurément qui chatouille davantage que les applaudissements que vous dites ; mais cet Encens ne fait pas vivre. Des louanges toutes pures, ne mettent point un Homme à son aise : Il y faut mêler du solide ; et la meilleure façon de louer, c'est de louer avec les mains. C'est un Homme à la vérité dont les lumières sont petites, qui parle à tort et à travers de toutes choses, et n'applaudit qu'à contre-sens ; mais son argent redresse les jugements de son Esprit. Il a du discernement dans sa bourse. Ses louanges sont monnayées ; et ce Bourgeois ignorant, nous vaut mieux, comme vous voyez, que le grand Seigneur éclairé qui nous a introduits ici. Vous recevez fort bien pourtant l'argent que notre Homme vous donne. Je le voudrais aussi, et c'est à quoi nous travaillons tous deux autant que nous pouvons. Mais en tout cas il nous donne moyen de nous faire connaître dans le Monde ; et il payera pour les autres, ce que les autres loueront pour lui. Vous nous y voyez préparés. Nous ne sommes ici que pour attendre votre loisir. Nous n'en doutons point. Cela vous sied à merveille. Il est galant. Je voudrais bien auparavant vous faire entendre un Air qu'il vient de composer pour la Sérénade que vous m'avez demandée. C'est un de mes Écoliers, qui a pour ces sortes de choses un talent admirable. Il ne faut pas, Monsieur, que le nom d'Écolier vous abuse. Ces sortes d'Écoliers en savent autant que les plus grands Maîtres, et l'Air est aussi beau qu'il s'en puisse faire. Écoutez seulement. Il faut, Monsieur, que l'Air soit accommodé aux Paroles. Le plus joli du monde. Vous devriez l'apprendre, Monsieur, comme vous faites la Danse. Ce sont deux Arts qui ont une étroite liaison ensemble. Oui, Monsieur. La Philosophie est quelque chose ; mais la Musique, Monsieur, la Musique… Il n'y a rien qui soit si utile dans un État, que la Musique. Sans la Musique, un État ne peut subsister. Tous les désordres, toutes les guerres qu'on voit dans le Monde, n'arrivent que pour n'apprendre pas la Musique. La Guerre ne vient-elle pas d'un manque d'union entre les Hommes ? Et si tous les Hommes apprenaient la Musique, ne serait-ce pas le moyen de s'accorder ensemble, et de voir dans le Monde la Paix universelle ? Voulez-vous voir nos deux Affaires ? Je vous l'ai déjà dit, c'est un petit essai que j'ai fait autrefois des diverses passions que peut exprimer la Musique. Allons, avancez. Il faut vous figurer qu'ils sont habillés en Bergers. Oui. Lorsque la Danse sera mêlée avec la Musique, cela fera plus d'effet encore, et vous verrez quelque chose de galant dans le petit Ballet que nous avons ajusté pour vous. Au reste, Monsieur, ce n'est pas assez, il faut qu'une Personne comme vous, qui êtes magnifique, et qui avez de l'inclination pour les belles choses, ait un Concert de Musique chez soi tous les Mercredis, ou tous les Jeudis. Oui, Monsieur. Sans doute. Il vous faudra trois Voix, un Dessus, une Haute-Contre, et une Basse, qui seront accompagnées d'une Basse de Viole, d'un Théorbe, et d'un Clavecin pour les Basses continues, avec deux Dessus de Violon pour jouer les Ritournelles. Laissez-nous gouverner les choses. Vous aurez tout ce qu'il vous faut. Vous en serez content, et entre autres choses de certains Menuets que vous y verrez. Voilà qui est le mieux du monde. Vous faites des merveilles. Apprenez, je vous prie, à mieux traiter l'excellence de la Musique. Voyez un peu l'Homme d'importance ! Laissez-nous un peu lui apprendre à parler. Et moi, que la Musique en est une que tous les Siècles ont révérée. Allez, Belître de Pédant. Au Diable l'impertinent. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_l-eleve *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_leleve Oui. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_musicien1 *date_1670 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_musicien1 Je languis nuit et jour, et mon mal est extrême, Depuis qu'à vos rigueurs vos beaux yeux m'ont soumis : Si vous traitez ainsi, belle Iris, qui vous aime, Hélas ! que pourriez-vous faire à vos ennemis ? Il n'est rien de si doux que les tendres ardeurs Qui font vivre deux cœurs Dans une même envie : On ne peut être heureux sans amoureux désirs ; Ôtez l'amour de la vie, Vous en ôtez les plaisirs. Aimable ardeur ! Que tu m'es précieuse ! Ah ! quitte pour aimer, cette haine mortelle ! **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_musicien2 *date_1670 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_musicien2 Il serait doux d'entrer sous l'amoureuse Loi, Si l'on trouvait en Amour de la foi : Mais hélas, ô rigueur cruelle, On ne voit point de Bergère fidèle ; Et ce Sexe inconstant, trop indigne du jour, Doit faire pour jamais renoncer à l'Amour. Sexe trompeur ! Que tu me fais d'horreur ! Hélas ! où la rencontrer ? Mais, Bergère, puis-je croire Qu'il ne sera point trompeur ? Qui manquera de constance, Le puissent perdre les Dieux. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_musicienne *date_1670 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_musicienne Franchise heureuse ! Que tu plais à mon cœur ! On peut, on peut te montrer Une Bergère fidèle. Pour défendre notre gloire, Je te veux offrir mon cœur. Voyons par expérience Qui des deux aimera mieux. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_maitre-a-danser *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_maitreadanser Et vous aussi, de ce côté. Est-ce quelque chose de nouveau ? Peut-on voir ce que c'est ? Nos occupations, à vous, et à moi, ne sont pas petites maintenant. Non pas entièrement ; et je voudrais pour lui, qu'il se connût mieux qu'il ne fait aux choses que nous lui donnons. Pour moi, je vous l'avoue, je me repais un peu de gloire. Les applaudissements me touchent ; et je tiens que dans tous les beaux Arts, c'est un supplice assez fâcheux, que de se produire à des Sots ; que d'essuyer sur des Compositions, la barbarie d'un Stupide. Il y a plaisir, ne m'en parlez point, à travailler pour des Personnes qui soient capables de sentir les délicatesses d'un Art ; qui sachent faire un doux accueil aux beautés d'un Ouvrage ; et par de chatouillantes approbations, vous régaler de votre travail. Oui, la récompense la plus agréable qu'on puisse recevoir des choses que l'on fait, c'est de les voir connues ; de les voir caressées d'un applaudissement qui vous honore. Il n'y a rien, à mon avis, qui nous paie mieux que cela de toutes nos fatigues ; et ce sont des douceurs exquises, que des louanges éclairées. Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites ; mais je trouve que vous appuyez un peu trop sur l'argent ; et l'intérêt est quelque chose de si bas, qu'il ne faut jamais qu'un honnête Homme montre pour lui de l'attachement. Assurément ; mais je n'en fais pas tout mon bonheur, et je voudrais qu'avec son bien, il eût encore quelque bon goût des choses. Le voilà qui vient. Comment ? Quelle petite drôlerie ? Ah, ah. Tout ce qu'il vous plaira. Elle est fort belle. Elles sont magnifiques. Fort bien. On ne peut pas mieux. Par ma foi, je ne sais. Du Mouton ? Et vous le chantez bien. Et qui ouvrent l'esprit d'un Homme aux belles choses. La Musique et la Danse… La Musique et la Danse, c'est là tout ce qu'il faut. Il n'y a rien qui soit si nécessaire aux Hommes, que la Danse. Sans la Danse, un Homme ne saurait rien faire. Tous les malheurs des Hommes, tous les revers funestes dont les Histoires sont remplies, les bévues des Politiques, et les manquements des grands Capitaines, tout cela n'est venu que faute de savoir danser. Lorsqu'un Homme a commis un Manquement dans sa conduite, soit aux Affaires de sa Famille, ou au Gouvernement d'un État, ou au Commandement d'une Armée, ne dit-on pas toujours, un Tel a fait un mauvais pas dans une telle Affaire ? Et faire un mauvais pas, peut-il procéder d'autre chose que de ne savoir pas danser ? C'est pour vous faire voir l'excellence et l'utilité de la Danse et de la Musique. Lorsqu'on a des Personnes à faire parler en Musique, il faut bien que pour la vraisemblance on donne dans la Bergerie. Le Chant a été de tout temps affecté aux Bergers ; et il n'est guère naturel en Dialogue, que des Princes, ou des Bourgeois, chantent leurs passions. Voici pour mon affaire, un petit essai des plus beaux mouvements, et des plus belles attitudes dont une Danse puisse être variée. C'est ce qu'il vous plaira. Allons. Tout est prêt. Un Chapeau, Monsieur, s'il vous plaît. La, la, la ; La, la, la, la, la, la ; La, la, la, bis ; La, la, la ; La, la. En cadence, s'il vous plaît. La, la, la, la. La jambe droite. La, la, la. Ne remuez point tant les épaules. La, la, la, la, la ; La, la, la, la, la. Vos deux bras sont estropiés. La, la, la, la, la. Haussez la tête. Tournez la pointe du pied en dehors. La, la, la. Dressez votre corps. Une Révérence pour saluer une Marquise ? Donnez-moi la main. Si vous voulez la saluer avec beaucoup de respect, il faut faire d'abord une Révérence en arrière, puis marcher vers elle avec trois Révérences en avant, et à la dernière vous baisser jusqu'à ses genoux. Tout beau, Monsieur le Tireur d'armes. Ne parlez de la Danse qu'avec respect. Voilà un plaisant Animal, avec son Plastron ! Monsieur le Batteur de Fer, je vous apprendrai votre Métier. Je me moque de sa raison démonstrative, et de sa tierce, et de sa quarte. Comment ? grand Cheval de Carrosse. Si je mets sur vous la main… Je vous rosserai d'une manière… Comment, Monsieur, il vient nous dire des injures à tous deux, en méprisant la Danse que j'exerce, et la Musique dont il fait profession ? Je lui soutiens que la Danse est une Science à laquelle on ne peut faire assez d'honneur. Allez, Cuistre fieffé. Diantre soit de l'Âne bâté ! **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_maitre-armes *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_maitrearmes Allons, Monsieur, la révérence. Votre corps droit. Un peu penché sur la cuisse gauche. Les jambes point tant écartées. Vos pieds sur une même ligne. Votre poignet à l'opposite de votre hanche. La pointe de votre Épée vis-à-vis de votre épaule. Le bras pas tout à fait si étendu. La main gauche à la hauteur de l'œil. L'épaule gauche plus quartée. La tête droite. Le regard assuré. Avancez. Le corps ferme. Touchez-moi l'Épée de quarte, et achevez de même. Une, Deux. Remettez-vous. Redoublez de pied ferme. Un saut en arrière. Quand vous portez la Botte, Monsieur, il faut que l'Épée parte la première, et que le corps soit bien effacé. Une, deux. Allons, touchez-moi l'Épée de tierce, et achevez de même. Avancez. Le corps ferme. Avancez. Partez de là. Une, deux. Remettez-vous. Redoublez. Un saut en arrière. En garde, Monsieur, en garde. Je vous l'ai déjà dit ; tout le secret des Armes ne consiste qu'en deux choses, à donner, et à ne point recevoir : Et comme je vous fis voir l'autre jour par raison démonstrative, il est impossible que vous receviez, si vous savez détourner l'Épée de votre ennemi de la ligne de votre corps ; ce qui ne dépend seulement que d'un petit mouvement du poignet ou en dedans, ou en dehors. Sans doute. N'en vîtes-vous pas la démonstration ? Et c'est en quoi l'on voit de quelle considération nous autres nous devons être dans un État, et combien la Science des Armes l'emporte hautement sur toutes les autres Sciences inutiles, comme la Danse, la Musique, la… Vous êtes de plaisantes Gens, de vouloir comparer vos Sciences à la mienne ! Mon petit Maître à Danser, je vous ferais danser comme il faut. Et vous, mon petit Musicien, je vous ferais chanter de la belle manière. Comment ? petit Impertinent. Si je me jette sur vous… Je vous étrillerai d'un air… Ils ont tous deux l'audace, de vouloir comparer leurs Professions à la mienne. Et moi, je leur soutiens à tous deux, que la Science de tirer des Armes, est la plus belle et la plus nécessaire de toutes les Sciences. Allez, Philosophe de chien. La peste l'Animal ! **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_maitre-philosophie *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_maitrephilosophie Qu'est-ce donc ? Qu'y a-t-il, Messieurs ? Hé quoi, Messieurs, faut-il s'emporter de la sorte ? et n'avez-vous point lu le docte Traité que Sénèque a composé, de la Colère ? Y a-t-il rien de plus bas et de plus honteux, que cette passion, qui fait d'un Homme une Bête féroce ? et la Raison ne doit-elle pas être maîtresse de tous nos mouvements ? Un Homme sage est au-dessus de toutes les injures qu'on lui peut dire ; et la grande réponse qu'on doit faire aux outrages, c'est la modération, et la patience. Faut-il que cela vous émeuve ? Ce n'est pas de vaine gloire, et de condition, que les hommes doivent disputer entre eux ; et ce qui nous distingue parfaitement les uns des autres, c'est la Sagesse, et la Vertu. Et que sera donc la Philosophie ? Je vous trouve tous trois bien impertinents, de parler devant moi avec cette arrogance ; et de donner impudemment le nom de Science à des choses que l'on ne doit pas même honorer du nom d'Art, et qui ne peuvent être comprises que sous le nom de Métier misérable de Gladiateur, de Chanteur, et de Baladin ! Comment ? Marauds que vous êtes… Infâmes ! coquins ! insolents ! Impudents ! Scélérats ! Fripons ! gueux ! traîtres ! imposteurs ! Venons à notre leçon. Cela n'est rien. Un Philosophe sait recevoir comme il faut les choses, et je vais composer contre eux une Satire du style de Juvénal, qui les déchirera de la belle façon. Laissons cela. Que voulez-vous apprendre ? Ce sentiment est raisonnable, Nam sine doctrina vita est quasi mortis imago. Vous entendez cela, et vous savez le Latin sans doute. Cela veut dire que sans la Science, la Vie est presque une image de la Mort. N'avez-vous point quelques principes, quelques commencements des Sciences ? Par où vous plaît-il que nous commencions ? Voulez-vous que je vous apprenne la Logique ? C'est elle qui enseigne les trois opérations de l'Esprit. La première, la seconde, et la troisième. La première est, de bien concevoir par le moyen des Universaux. La seconde, de bien juger par le moyen des Catégories : Et la troisième, de bien tirer une conséquence par le moyen des Figures. Barbara, Celarent, Darii, Ferio, Baralipton, etc. Voulez-vous apprendre la Morale ? Oui. Elle traite de la Félicité ; Enseigne aux Hommes à modérer leurs passions, et… Est-ce la Physique que vous voulez apprendre ? La Physique est celle qui explique les principes des choses naturelles, et les propriétés du Corps ; Qui discourt de la nature des Éléments, des Métaux, des Minéraux, des Pierres, des Plantes, et des Animaux, et nous enseigne les causes de tous les Météores, l'Arc-en-ciel, les Feux volants, les Comètes, les Éclairs, le Tonnerre, la Foudre, la Pluie, la Neige, la Grêle, les Vents, et les Tourbillons. Que voulez-vous donc que je vous apprenne ? Très volontiers. Soit. Pour bien suivre votre pensée, et traiter cette matière en Philosophe, il faut commencer selon l'ordre des choses, par une exacte connaissance de la nature des Lettres, et de la différente manière de les prononcer toutes. Et là-dessus j'ai à vous dire, que les Lettres sont divisées en voyelles, ainsi dites voyelles, parce qu'elles expriment les voix ; et en consonnes, ainsi appelées consonnes, parce qu'elles sonnent avec les voyelles, et ne font que marquer les diverses articulations des voix. Il y a cinq voyelles, ou voix, A, E, I, O, U. La voix, A, se forme en ouvrant fort la bouche, A. La voix, E, se forme en rapprochant la mâchoire d'en bas de celle d'en haut, A, E. Et la voix, I, en rapprochant encore davantage les mâchoires l'une de l'autre, et écartant les deux coins de la bouche vers les oreilles, A, E, I. La voix, O, se forme en rouvrant les mâchoires, et rapprochant les lèvres par les deux coins, le haut et le bas, O. L'ouverture de la bouche fait justement comme un petit rond qui représente un O. La voix, U, se forme en rapprochant les dents sans les joindre entièrement, et allongeant les deux lèvres en dehors, les approchant aussi l'une de l'autre sans les joindre tout à fait, U. Vos deux lèvres s'allongent comme si vous faisiez la moue : D'où vient que si vous la voulez faire à quelqu'un, et vous moquer de lui, vous ne sauriez lui dire que U. Demain, nous verrons les autres Lettres, qui sont les consonnes. Sans doute. La consonne, D, par exemple, se prononce en donnant du bout de la langue au-dessus des dents d'en haut : DA. L'F, en appuyant les dents d'en haut sur la lèvre de dessous, FA. Et l'R, en portant le bout de la langue jusqu'au haut du palais ; de sorte qu'étant frôlée par l'air qui sort avec force, elle lui cède, et revient toujours au même endroit, faisant une manière de tremblement, R r a. Je vous expliquerai à fond toutes ces curiosités. Fort bien. Sans doute. Sont-ce des Vers que vous lui voulez écrire ? Vous ne voulez que de la Prose ? Il faut bien que ce soit l'un, ou l'autre. Par la raison, Monsieur, qu'il n'y a pour s'exprimer, que la Prose, ou les Vers. Non, Monsieur : tout ce qui n'est point prose, est Vers ; et tout ce qui n'est point Vers, est Prose. De la Prose. Oui, Monsieur. Mettre que les feux de ses yeux réduisent votre cœur en cendres ; que vous souffrez nuit et jour pour elle les violences d'un… Il faut bien étendre un peu la chose. On les peut mettre premièrement comme vous avez dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Ou bien : D'amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux. Ou bien : Vos yeux beaux d'amour me font, belle Marquise, mourir. Ou bien : Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d'amour me font. Ou bien : Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d'amour. Celle que vous avez dite : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Je n'y manquerai pas. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_maitre-tailleur *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_maitretailleur Je n'ai pas pu venir plus tôt, et j'ai mis vingt Garçons après votre Habit. Ils ne s'élargiront que trop. Point du tout, Monsieur. Non, ils ne vous blessent point. Vous vous imaginez cela. Tenez, voilà le plus bel Habit de la Cour, et le mieux assorti. C'est un chef-d'œuvre, que d'avoir inventé un Habit sérieux, qui ne fût pas noir ; et je le donne en six coups aux Tailleurs les plus éclairés. Vous ne m'aviez pas dit que vous les vouliez en enhaut. Oui, vraiment. Toutes les Personnes de Qualité les portent de la sorte. Oui, Monsieur. Si vous voulez, je les mettrai en enhaut. Vous n'avez qu'à dire. Belle demande. Je défie un Peintre, avec son pinceau, de vous faire rien de plus juste. J'ai chez moi un Garçon qui, pour monter une Rhingrave, est le plus grand Génie du Monde ; et un autre, qui pour assembler un Pourpoint, est le Héros de notre temps. Tout est bien. C'est que l'étoffe me sembla si belle, que j'en ai voulu lever un Habit pour moi. Voulez-vous mettre votre habit ? Attendez. Cela ne va pas comme cela. J'ai amené des Gens pour vous habiller en cadence, et ces sortes d'Habits se mettent avec cérémonie. Holà, entrez, vous autres. Mettez cet Habit à Monsieur, de la manière que vous faites aux Personnes de Qualité. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_garcon-tailleur *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_garcontailleur Mon Gentilhomme, donnez, s'il vous plaît, aux Garçons, quelque chose pour boire. Mon gentilhomme. Monseigneur, nous vous sommes bien obligés. Monseigneur, nous allons boire tous à la santé de votre Grandeur. Monseigneur, nous la remercions très humblement de ses libéralités. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_laquais1 *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_laquais1 Que voulez-vous, Monsieur ? Monsieur. Monsieur, voilà votre Maître d'Armes qui est là. Oui, Monsieur. Monsieur, voici Monsieur le Comte, et une Dame qu'il mène par la main. Monsieur dit comme cela, qu'il va venir ici tout à l'heure. Tout est prêt, Monsieur. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_laquais2 *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_laquais2 Monsieur. Non, Monsieur. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_mufti *date_1670 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mufti Se ti sabir, Ti respondir Se non sabir Tazir, tazir. Mi star Mufti Ti qui star ti Non intendir Tazir, tazir. Mahametta per Giourdina Mi pregar sera é mattina Voler far un Paladina De Giourdina, de Giourdina. Dar Turbanta, é dar scarcina Con Galera ê Brigantina Per deffender Palestina. Mahametta, etc. Star bon Turca, Giourdina. Hu la ba ba la chou ba la ba ba la da. Ti non star Furba. Non star forfanta ? Donar Turbanta, donar Turbanta. Ti star nobilé non star fabola. Pigliar schiabbola. Dara dara Bastonara bastonara. Non tener honta Questa star l'ultima affronta. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_turcs *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_turcs Hi valla. No no no. No no no. **** *creator_moliere *book_moliere_comtesseescarbagnas *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_comtesseescarbagnas *dist2_moliere_prose_comedy *id_la-comtesse *date_1672 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lacomtesse Ah ! mon Dieu, Madame, vous voilà toute seule ? quelle pitié est-ce là, toute seule ; il me semble que mes gens m'avaient dit, que le Vicomte était ici ? Comment il vous a vue ? Et il ne vous a rien dit ? Vraiment je le veux quereller de cette action, quelque amour que l'on ait pour moi, j'aime que ceux qui m'aiment, rendent ce qu'ils doivent au Sexe ; et je ne suis point de l'humeur de ces femmes injustes, qui s'applaudissent des incivilités, que leurs Amants font aux autres belles. Je crois être en état de pouvoir faire naître une passion assez forte, et je me trouve pour cela assez de beauté, de jeunesse, et de qualité, Dieu merci ; mais cela n'empêche pas, qu'avec ce que j'inspire, on ne puisse garder de l'honnêteté, et de la complaisance pour les autres. Que faites-vous donc là, Laquais ? est-ce qu'il n'y a pas une antichambre, où se tenir, pour venir quand on vous appelle ; cela est étrange qu'on ne puisse avoir en Province un Laquais qui sache son monde. À qui est-ce donc que je parle, voulez-vous vous en aller là dehors, petit fripon ? Filles approchez. Ôtez-moi mes coiffes. Doucement donc maladroite, comme vous me saboulez la tête avec vos mains pesantes. Oui, mais le plus doucement que vous pouvez, est fort rudement pour ma tête, et vous me l'avez déboîtée. Tenez encore ce manchon, ne laissez point traîner tout cela, et portez-le dans ma garde-robe. Hé bien, où va-t-elle, où va-t-elle, que veut-elle faire, cet oison bridé ? Ah ! mon Dieu, l'impertinente. Je vous demande pardon, Madame. Je vous ai dit ma garde-robe, grosse bête, c'est-à-dire où sont mes habits. Oui, butorde, on appelle ainsi le lieu où l'on met les habits. Quelle peine il faut prendre pour instruire ces animaux-là ! C'est une fille de ma Mère nourrice, que j'ai mise à la chambre, et elle est toute neuve encore. Allons, des sièges. Holà, Laquais, Laquais, Laquais. En vérité voilà qui est violent, de ne pouvoir pas avoir un Laquais, pour donner des sièges. Filles, Laquais, Laquais, Filles, quelqu'un. Je pense que tous mes gens sont morts, et que nous serons contraintes de nous donner des sièges nous-mêmes. Il se faut bien égosiller avec vous autres. Appelez-moi ce petit fripon de Laquais. Laissez là votre Criquet, bouvière, et appelez Laquais. Où étiez-vous donc, petit coquin ? Et pourquoi dans la rue ? Vous êtes un petit impertinent, mon ami, et vous devez savoir que là-dehors, en termes de personnes de qualité, veut dire l'antichambre. Andrée, ayez soin tantôt de faire donner le fouet à ce petit fripon-là, par mon Écuyer ; c'est un petit incorrigible. Taisez-vous, sotte que vous êtes, vous ne sauriez ouvrir la bouche que vous ne disiez une impertinence. Des sièges ; et vous, allumez deux bougies dans mes flambeaux d'argent, il se fait déjà tard. Qu'est-ce que c'est donc que vous me regardez toute effarée ? Hé bien, Madame. Qu'y a-t-il ? Quoi ? Comment, vous n'en avez point ? La bouvière. Et où est donc la cire que je fis acheter ces jours passés ? Ôtez-vous de là, insolente, je vous renvoyerai chez vos parents. Apportez-moi un verre d'eau. Madame Ah ! Madame. Mon Dieu, Madame. Oh, Madame. Eh, Madame. Hé allons donc, Madame. Je suis chez moi, Madame, nous sommes demeurées d'accord de cela. Me prenez-vous pour une Provinciale, Madame ? Allez, impertinente, je bois avec une soucoupe. Je vous dis que vous m'alliez quérir une soucoupe pour boire. Vous ne vous grouillez pas ? Apprenez que c'est une assiette, sur laquelle on met le verre. Vive Paris pour être bien servie, on vous entend là au moindre coup d'œil. Hé bien vous ai-je dit comme cela, tête de bœuf ? C'est dessous qu'il faut mettre l'assiette. Hé bien ne voilà pas l'étourdie ? En vérité vous me paierez mon verre. Mais voyez cette maladroite, cette bouvière, cette butorde, cette… Ôtez-vous de devant mes yeux. En vérité, Madame, c'est une chose étrange que les petites Villes, on n'y sait point du tout son monde ; et je viens de faire deux ou trois visites, où ils ont pensé me désespérer, par le peu de respect qu'ils rendent à ma qualité. Ils ne laisseraient pas de l'apprendre s'ils voulaient écouter les personnes ; mais le mal que j'y trouve, c'est qu'ils veulent en savoir autant que moi, qui ai été deux mois à Paris, et vu toute la Cour. Ils sont insupportables, avec les impertinentes égalités dont ils traitent les gens. Car enfin, il faut qu'il y ait de la subordination dans les choses ; et ce qui me met hors de moi, c'est qu'un Gentilhomme de Ville de deux jours, ou de deux cents ans, aura l'effronterie de dire qu'il est aussi bien Gentilhomme, que feu Monsieur mon mari, qui demeurait à la campagne, qui avait meute de chiens courants, et qui prenait la qualité de Comte dans tous les Contrats qu'il passait. Il est vrai qu'il y a bien de la différence de ces lieux-là, à tout ceci. On y voit venir du beau monde, qui ne marchande point à vous rendre tous les respects qu'on saurait souhaiter. On ne s'en lève pas, si l'on veut, de dessus son siège ; et lorsque l'on veut voir la revue, ou le grand Ballet de Psyché, on est servie à point nommé. Vous pouvez bien croire, Madame, que tout ce qui s'appelle les galants de la Cour, n'a pas manqué de venir à ma porte, et de m'en conter, et je garde dans ma cassette de leurs billets, qui peuvent faire voir quelles propositions j'ai refusées ; il n'est pas nécessaire de vous dire leurs noms, on sait ce qu'on veut dire par les galants de la Cour. Ce sont gens qu'on ménage dans les Provinces pour le besoin qu'on en peut avoir, ils servent au moins à remplir les vides de la galanterie, à faire nombre de soupirants ; et il est bon, Madame, de ne pas laisser un Amant seul maître du terrain, de peur que faute de Rivaux, son amour ne s'endorme sur trop de confiance. Hé bien petit coquin, voilà encore de vos âneries, un Laquais qui saurait vivre, aurait été parler tout bas à la Demoiselle suivante, qui serait venue dire doucement à l'oreille de sa Maîtresse : Madame, voilà le Laquais de Monsieur un tel, qui demande à vous dire un mot, à quoi la Maîtresse aurait répondu, faites-le entrer. Autre lourderie. Qu'y a-t-il, Laquais ? Que portes-tu là ? C'est du bon-chrétien, qui est fort beau. Andrée, faites porter cela à l'office. Tiens mon enfant, voilà pour boire. Tiens, te dis-je. Cela ne fait rien. Dis à ton Maître que je le remercie. Ce qui me plaît de ce Monsieur Tibaudier, c'est qu'il sait vivre avec les personnes de ma qualité, et qu'il est fort respectueux. Je ne veux point de cohue au moins. Que l'on dise à mon Suisse qu'il ne laisse entrer personne. Laquais, un siège. Vous voilà venu à propos pour recevoir un petit sacrifice que je veux bien vous faire. Tenez, c'est un billet de Monsieur Tibaudier, qui m'envoie des poires. Je vous donne la liberté de le lire tout haut, je ne l'ai point encore vu. Cela vous marque clairement qu'il ne se passe rien entre nous. Il y a peut-être quelque mot qui n'est pas de l'Académie ; mais j'y remarque un certain respect qui me plaît beaucoup. Approchez, Monsieur Tibaudier, ne craignez point d'entrer. Votre billet a été bien reçu, aussi bien que vos poires, et voilà Madame qui parle pour vous, contre votre Rival. Il veut dire deux Strophes. Laquais, donnez un siège à Monsieur Tibaudier. Un pliant, petit animal. Monsieur Tibaudier, mettez-vous là, et nous lisez vos strophes. Le premier Vers est beau, Une personne de qualité. Voyons l'autre strophe. Ne pensez pas vous moquer, pour des Vers faits dans la Province, ces Vers-là sont fort beaux. Quoi, Martial fait-il des Vers, je pensais qu'il ne fît que des gants ? Il faut que mon Fils le Comte soit de la partie, car il est arrivé ce matin de mon Château avec son Précepteur, que je vois là-dedans. Holà, Monsieur Bobinet, Monsieur Bobinet, approchez-vous du monde. À quelle heure, Monsieur Bobinet, êtes-vous parti d'Escarbagnas, avec mon Fils le Comte ? Comment se portent mes deux autres Fils, le Marquis, et le Commandeur ? Où est le Comte ? Que fait-il, Monsieur Bobinet ? Faites-le venir, Monsieur Bobinet. Comte, saluez Madame. Faites la révérence à Monsieur le Vicomte, saluez Monsieur le Conseiller. Mon Dieu, Monsieur Tibaudier, de quelle comparaison vous servez-vous là ? Hélas ! quand je le fis, j'étais si jeune que je me jouais encore avec une poupée. Monsieur Bobinet, ayez bien soin au moins de son éducation. Monsieur Bobinet, faites-lui un peu dire quelque petite galanterie de ce que vous lui apprenez. Fi, Monsieur Bobinet, quelles sottises est-ce que vous lui apprenez là ? Mon Dieu, ce Jean Despautère-là est un insolent, et je vous prie de lui enseigner du Latin plus honnête que celui-là. Non, non, cela s'explique assez. Allons nous placer. Monsieur Tibaudier, prenez Madame. Mon Dieu voyons l'affaire, on a assez d'esprit pour comprendre les choses. Holà, Monsieur le Receveur, que voulez-vous donc dire avec l'action que vous faites, vient-on interrompre comme cela une Comédie ? Mais vraiment, on ne vient point ainsi se jeter au travers d'une Comédie, et troubler un Acteur qui parle. En vérité vous ne savez ce que vous dites. Eh fi, Monsieur, que cela est vilain de jurer de la sorte. Quand on a des chagrins jaloux, on n'en use point de la sorte, et l'on vient doucement se plaindre à la personne que l'on aime. Oui. L'on ne vient point crier de dessus un Théâtre, ce qui se doit dire en particulier. Faut-il faire un si grand vacarme pour une Comédie, que Monsieur le Vicomte me donne ? vous voyez que Monsieur Tibaudier qui m'aime en use plus respectueusement que vous. Mais vraiment, Monsieur le Receveur, vous ne songez pas à ce que vous dites, on ne traite point de la sorte les Femmes de qualité, et ceux qui vous entendent croiraient qu'il y a quelque chose d'étrange entre vous et moi. Que voulez-vous donc dire, avec votre quittons la faribole ? Cela est merveilleux, comme les Amants emportés deviennent à la mode ; on ne voit autre chose de tous côtés. Là, là, Monsieur le Receveur, quittez votre colère, et venez prendre place pour voir la Comédie. Pour moi, je suis confuse de cette insolence. Comment donc, qu'est-ce que cela veut dire ? Quoi, jouer de la sorte une personne de ma qualité ? Oui, Monsieur Tibaudier, je vous épouse, pour faire enrager tout le monde. **** *creator_moliere *book_moliere_comtesseescarbagnas *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_comtesseescarbagnas *dist2_moliere_prose_comedy *id_le-comte *date_1672 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_lecomte Omne viro soli quod convenit esto virile. Omne viri… **** *creator_moliere *book_moliere_comtesseescarbagnas *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_comtesseescarbagnas *dist2_moliere_prose_comedy *id_le-vicomte *date_1672 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_levicomte Hé, quoi Madame, vous êtes déjà ici ? Je serais ici il y a une heure, s'il n'y avait point de fâcheux au monde, et j'ai été arrêté en chemin par un vieux importun de qualité, qui m'a demandé tout exprès des nouvelles de la Cour, pour trouver moyen de m'en dire des plus extravagantes qu'on puisse débiter, et c'est là, comme vous savez, le fléau des petites Villes, que ces grands Nouvellistes qui cherchent partout où répandre les contes qu'ils ramassent. Celui-ci m'a montré d'abord deux feuilles de papier, pleines jusques aux bords d'un grand fatras de balivernes, qui viennent, m'a-t-il dit, de l'endroit le plus sûr du monde. Ensuite, comme d'une chose fort curieuse, il m'a fait, avec grand mystère, une fatigante lecture de toutes les méchantes plaisanteries de la Gazette de Hollande, dont il épouse les intérêts. Il tient que la France est battue en ruine par la plume de cet Écrivain, et qu'il ne faut que ce bel esprit pour défaire toutes nos Troupes; et de là s'est jeté à corps perdu dans la raisonnement du Ministère, dont il remarque tous les défauts, et d'où j'ai cru qu'il ne sortirait point. À l'entendre parler, il sait les secrets du Cabinet mieux que ceux qui les font. La politique de l'État lui laisse voir tous ses desseins, et elle ne fait pas un pas, dont il ne pénètre les intentions. Il nous apprend les ressorts cachés de tout ce qui se fait, nous découvre les vues de la prudence de nos voisins, et remue à sa fantaisie toutes les affaires de l'Europe. Ses intelligences même s'étendent jusques en Afrique, et en Asie; et il est informé de tout ce qui s'agite dans le Conseil d'en haut, du Prêtre-Jean, et du grand Mogol. C'est là, belle Julie, la véritable cause de mon retardement, et si je voulais y donner une excuse galante, je n'aurais qu'à vous dire, que le rendez-vous que vous voulez prendre peut autoriser la paresse dont vous me querellez. Que m'engager à faire l'Amant de la Maîtresse du logis, c'est me mettre en état de craindre de me trouver ici le premier. Que cette feinte où je me force n'étant que pour vous plaire, j'ai lieu de ne vouloir en souffrir la contrainte, que devant les yeux qui s'en divertissent. Que j'évite le tête-à-tête avec cette Comtesse ridicule, dont vous m'embarrassez, et en un mot que ne venant ici que pour vous, j'ai toutes les raisons du monde d'attendre que vous y soyez. Mais tout de bon, Madame, quand voulez-vous mettre fin à cette contrainte, et me faire moins acheter le bonheur de vous voir ? Mais pourquoi ne pas mieux jouir du rendez-vous que leur inimitié nous laisse, et me contraindre à perdre en une sotte feinte, les moments que j'ai près de vous ? Oui, mais vous ne considérez pas que le jeu qui vous divertit tient mon cœur au supplice, et qu'on n'est point capable de se jouer longtemps, lorsqu'on a dans l'esprit une passion aussi sérieuse, que celle que je sens pour vous. Il est cruel, belle Julie, que cet amusement dérobe à mon amour un temps qu'il voudrait employer à vous expliquer son ardeur ; et cette nuit j'ai fait là-dessus quelques Vers, que je ne puis m'empêcher de vous réciter, sans que vous me le demandiez, tant la démangeaison de dire ses ouvrages, est un vice attaché à la qualité de Poète. C'est trop longtemps, Iris, me mettre à la torture. Iris, comme vous le voyez, est mis là pour Julie. C'est trop longtemps, Iris, me mettre à la torture, Et si je suis vos lois, je les blâme tout bas, De me forcer à taire un tourment que j'endure Pour déclarer un mal que je ne ressens pas. Faut-il que vos beaux yeux à qui je rends les armes, Veuillent se divertir de mes tristes soupirs, Et n'est-ce pas assez de souffrir pour vos charmes, Sans me faire souffrir encor pour vos plaisirs ? C'en est trop à la fois, que ce double martyre, Et ce qu'il me faut taire, et ce qu'il me faut dire, Exerce sur mon cœur pareille cruauté. L'amour le met en feu, la contrainte le tue, Et si par la pitié vous n'êtes combattue, Je meurs, et de la feinte, et de la vérité. C'est assez de vous les avoir dits, et je dois en demeurer là ; il est permis d'être parfois assez fou pour faire des Vers, mais non pour vouloir qu'ils soient vus. Mon Dieu, Madame, marchons là-dessus, s'il vous plaît, avec beaucoup de retenue ; il est dangereux dans le monde de se mêler d'avoir de l'esprit. Il y a là-dedans un certain ridicule qu'il est facile d'attraper, et nous avons de nos amis qui me font craindre leur exemple. Moi, Madame, vous vous moquez, et je ne suis pas si Poète que vous pourriez bien croire, pour… Mais voici votre Madame la Comtesse d'Escarbagnas, je sors par l'autre porte pour ne la point trouver, et vais disposer tout mon monde au divertissement que je vous ai promis. Madame, je viens vous avertir que la Comédie sera bientôt prête, et que dans un quart d'heure nous pouvons passer dans la Salle. En ce cas, Madame, je vous déclare que je renonce à la Comédie, et je n'y saurais prendre de plaisir, lorsque la compagnie n'est pas nombreuse. Croyez-moi, si vous voulez vous bien divertir, qu'on dise à vos gens de laisser entrer toute la Ville. Voici un billet du beau style, Madame, et qui mérite d'être bien écouté. Madame, je n'aurais pas pu vous faire le présent que je vous envoie, si je ne recueillais pas plus de fruit de mon Jardin, que j'en recueille de mon amour. Les poires ne sont pas encore bien mûres, mais elles en cadrent mieux, avec la dureté de votre âme, qui par ses continuels dédains, ne me promet pas poires molles. Trouvez bon, Madame, que sans m'engager dans une énumération de vos perfections, et charmes, qui me jetterait dans un progrès à l'infini, je conclue ce mot, en vous faisant considérer que je suis d'un aussi franc Chrétien, que les poires que je vous envoie, puisque je rends le bien pour le mal, c'est-à-dire, Madame, pour m'expliquer plus intelligiblement, puisque je vous présente des poires de bon chrétien, pour des poires d'angoisse, que vos cruautés me font avaler tous les jours. TIBAUDIER, votre Esclave indigne. Voilà, Madame, un billet à garder. J'espérais quelque chose, Monsieur Tibaudier, avant votre billet, mais il me fait craindre pour mon amour. Ah ! je ne pensais pas que Monsieur Tibaudier fût Poète, et voilà pour m'achever, que ces deux petits Versets-là. Je suis perdu après cela. Me voilà supplanté, moi, par Monsieur Tibaudier. Comment, Madame, me moquer ? Quoique son Rival, je trouve ces Vers admirables, et ne les appelle pas seulement deux Strophes, comme vous, mais deux Épigrammes, aussi bonnes que toutes celles de Martial. Monsieur Tibaudier a lu les Auteurs, comme vous le voyez. Mais allons voir, Madame, si ma Musique et ma Comédie, avec mes entrées de Ballet, pourront combattre dans votre esprit les progrès des deux Strophes, et du billet que nous venons de voir. Ce Monsieur Bobinet, Madame, a la mine fort sage, et je crois qu'il a de l'esprit. Voilà un jeune Gentilhomme qui vient bien dans le monde. Il est nécessaire de dire, que cette Comédie n'a été faite que pour lier ensemble les différents morceaux de Musique, et de danse, dont on a voulu composer ce divertissement, et que… Qu'on commence le plus tôt qu'on pourra, et qu'on empêche, s'il se peut, qu'aucun fâcheux ne vienne troubler notre divertissement. Je ne sais pas, Monsieur le Receveur, de quoi vous vous plaignez, et si… Je n'ai rien à dire à cela, et ne sais point les sujets de plaintes, que vous pouvez avoir contre Madame la Comtesse d'Escarbagnas. Les jaloux, Madame, sont comme ceux qui perdent leur procès, ils ont permission de tout dire. Prêtons silence à la Comédie. En cas que vous ayez quelque mesure à prendre, je vous envoie promptement un avis. La querelle de vos Parents et de ceux de Julie, vient d'être accommodée, et les conditions de cet accord, c'est le Mariage de vous, et d'elle. Bonsoir. Ma foi, Madame, voilà notre Comédie achevée aussi. Cela veut dire, Madame, que j'épouse Julie, et si vous m'en croyez, pour rendre la Comédie complète de tout point, vous épouserez Monsieur Tibaudier, et donnerez Mademoiselle Andrée à son laquais, dont il fera son Valet de chambre. C'est sans vous offenser, Madame, et les Comédies veulent de ces sortes de choses. Souffrez, Madame, qu'en enrageant, nous puissions voir ici le reste du spectacle. **** *creator_moliere *book_moliere_comtesseescarbagnas *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_comtesseescarbagnas *dist2_moliere_prose_comedy *id_julie *date_1672 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_julie Oui, vous en devriez rougir, Cléante, et il n'est guère honnête à un Amant de venir le dernier au rendez-vous. Vous parez votre excuse du mieux que vous pouvez, afin de la rendre agréable, et faire qu'elle soit plus aisément reçue. Nous savons bien que vous ne manquerez jamais d'esprit, pour donner de belles couleurs aux fautes que vous pourrez faire. Cependant si vous étiez venu une demie-heure plus tôt, nous aurions profité de tous ces moments, car j'ai trouvé en arrivant que la Comtesse était sortie, et je ne doute point qu'elle ne soit allée par la Ville, se faire honneur de la Comédie, que vous me donnez sous son nom. Quand nos Parents pourront être d'accord, ce que je n'ose espérer. Vous savez comme moi que les démêlés de nos deux familles, ne nous permettent point de nous voir autre part, et que mes Frères, non plus que votre Père, ne sont pas assez raisonnables pour souffrir notre attachement. Pour mieux cacher notre amour ; et puis, à vous dire la vérité, cette feinte dont vous parlez m'est une Comédie fort agréable, et je ne sais si celle que vous nous donnez aujourd'hui me divertira davantage. Notre Comtesse d'Escarbagnas, avec son perpétuel entêtement de qualité, est un aussi bon personnage qu'on en puisse mettre sur le Théâtre. Le petit voyage qu'elle a fait à Paris, l'a ramenée dans Angoulême, plus achevée qu'elle n'était. L'approche de l'air de la Cour a donné à son ridicule de nouveaux agréments, et sa sottise tous les jours ne fait que croître et embellir. Je vois que vous vous faites là bien plus maltraité que vous n'êtes ; mais c'est une licence que prennent Messieurs les Poètes, de mentir de gaieté de cœur, et de donner à leurs Maîtresses des cruautés qu'elles n'ont pas, pour s'accommoder aux pensées qui leur peuvent venir. Cependant je serai bien aise que vous me donniez ces Vers par écrit. C'est en vain que vous vous retranchez sur une fausse modestie, on sait dans le monde que vous avez de l'esprit, et je ne vois pas la raison qui vous oblige à cacher les vôtres. Mon Dieu, Cléante, vous avez beau dire, je vois avec tout cela que vous mourez d'envie de me les donner, et je vous embarrasserais si je faisais semblant de ne m'en pas soucier. Il est vrai qu'il y est venu, mais c'est assez pour lui de savoir que vous n'y étiez pas pour l'obliger à sortir. Oui. Non, Madame, et il a voulu témoigner par là qu'il est tout entier à vos charmes. Il ne faut point, Madame, que vous soyez surprise de son procédé. L'amour que vous lui donnez, éclate dans toutes ses actions, et l'empêche d'avoir des yeux que pour vous. Je les trouve bien heureux, Madame, d'être sous votre discipline. Cela est d'une belle âme, Madame, et il est glorieux de faire ainsi des créatures. Madame. Ah ! Madame. Mon Dieu, Madame. Oh, Madame. Eh, Madame. Hé allons donc, Madame. Dieu m'en garde, Madame. Où auraient-ils appris à vivre, ils n'ont point fait de voyage à Paris ? Les sottes gens que voilà. On sait bien mieux vivre à Paris dans ces Hôtels, dont la mémoire doit être si chère. Cet Hôtel de Mouhy, Madame, cet Hôtel de Lyon, cet Hôtel de Hollande. Les agréables demeures que voilà ! Je pense, Madame, que durant votre séjour à Paris, vous avez fait bien des conquêtes de qualité. Je m'étonne, Madame, que de tous ces grands noms que je devine, vous ayez pu redescendre à un Monsieur Tibaudier, le Conseiller, et à un monsieur Harpin, le Receveur des Tailles. La chute est grande, je vous l'avoue. Car pour Monsieur votre Vicomte, quoique Vicomte de Province, c'est toujours un Vicomte, et il peut faire un voyage à Paris, s'il n'en a point fait ; mais un Conseiller, et un Receveur, sont des Amants un peu bien minces, pour une grande Comtesse comme vous. Je vous avoue, Madame, qu'il y a merveilleusement à profiter de tout ce que vous dites, c'est une école que votre conversation, et j'y viens tous les jours attraper quelque chose. Vous avez raison, Madame, et Monsieur le Vicomte dût-il s'en offenser, j'aimerais un homme qui m'écrirait comme cela. Vous n'avez pas besoin d'Avocat, Monsieur, et votre cause est juste. Je crois qu'il est un peu trop long, mais on peut prendre une licence pour dire une belle pensée. En vérité, Madame, Monsieur le Comte a tout à fait bon air. Qui dirait que Madame eût un si grand enfant ? C'est Monsieur votre frère, et non pas Monsieur votre Fils. Ah ! Cléante quel bonheur ! notre amour eût-il osé espérer un si heureux succès ? **** *creator_moliere *book_moliere_comtesseescarbagnas *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_comtesseescarbagnas *dist2_moliere_prose_comedy *id_monsieur-tibaudier *date_1672 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurtibaudier Je lui suis bien obligé, Madame, et si elle a jamais quelque procès en notre Siège, elle verra que je n'oublierai pas l'honneur qu'elle me fait, de se rendre auprès de vos beautés l'Avocat de ma flamme. Ce néanmoins, Madame, bon droit a besoin d'aide, et j'ai sujet d'appréhender de me voir supplanté par un tel Rival, et que Madame ne soit circonvenue par la qualité de Vicomte. Voici encore, Madame, deux petits Versets, ou couplets, que j'ai composés à votre honneur et gloire. Une personne de qualité Ravit mon âme, Elle a de la beauté, J'ai de la flamme ; Mais je la blâme D'avoir de la fierté. Je ne sais pas si vous doutez de mon parfait amour ; Mais je sais bien que mon cœur à toute heure Veut quitter sa chagrine demeure, Pour aller par respect faire au vôtre sa Cour : Après cela pourtant, sûre de ma tendresse, Et de ma foi, dont unique est l'espèce, Vous devriez à votre tour Vous contentant d'être Comtesse, Vous dépouiller en ma faveur, d'une peau de tigresse, Qui couvre vos appas, la nuit comme le jour. Ce n'est pas ce Martial-là, Madame, c'est un Auteur qui vivait il y a trente, ou quarante ans. Je suis ravi, Madame, que vous me concédiez la grâce d'embrasser Monsieur le Comte votre Fils. On ne peut pas aimer le tronc, qu'on n'aime aussi les branches. Monsieur le Receveur, nous nous verrons autre part qu'ici, et je vous ferai voir, que je suis au poil, et à la plume. Ce m'est bien de l'honneur, Madame. **** *creator_moliere *book_moliere_comtesseescarbagnas *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_comtesseescarbagnas *dist2_moliere_prose_comedy *id_monsieur-harpin *date_1672 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurharpin Parbleu la chose est belle, et je me réjouis de voir ce que je vois. Morbleu, Madame, je suis ravi de cette aventure, et ceci me fait voir ce que je dois croire de vous, et l'assurance qu'il y a au don de votre cœur, et aux serments que vous m'avez faits de sa fidélité. Eh têtebleu la véritable Comédie qui se fait ici, c'est celle que vous jouez, et si je vous trouble, c'est de quoi je me soucie peu. Si fait morbleu je le sais bien, je le sais bien, morbleu, et… Eh ventrebleu, s'il y a ici quelque chose de vilain, ce ne sont point mes jurements, ce sont vos actions, et il vaudrait bien mieux que vous jurassiez, vous, la tête, la mort et la sang, que de faire ce que vous faites avec Monsieur le Vicomte. Pour vous, Monsieur, je n'ai rien à vous dire, vous faites bien de pousser votre pointe, cela est naturel, je ne le trouve point étrange, et je vous demande pardon si j'interromps votre Comédie ; mais vous ne devez point trouver étrange aussi que je me plaigne de son procédé, et nous avons raison tous deux de faire ce que nous faisons. Moi me plaindre doucement ? J'y viens moi morbleu tout exprès, c'est le lieu qu'il me faut, et je souhaiterais que ce fût un Théâtre public, pour vous dire avec plus d'éclat toutes vos vérités. Monsieur Tibaudier en use comme il lui plaît, je ne sais pas de quelle façon Monsieur Tibaudier a été avec vous, mais Monsieur Tibaudier n'est pas un exemple pour moi, et je ne suis point d'humeur à payer les Violons pour faire danser les autres. Hé ventrebleu, Madame, quittons la faribole. Je veux dire, que je ne trouve point étrange que vous vous rendiez au mérite de Monsieur le Vicomte, vous n'êtes pas la première Femme qui joue dans le monde de ces sortes de caractères, et qui ait auprès d'elle un Monsieur le Receveur, dont on lui voit trahir, et la passion, et la bourse pour le premier venu qui lui donnera dans la vue ; mais ne trouvez point étrange aussi que je ne sois point la dupe d'une infidélité si ordinaire aux coquettes du temps, et que je vienne vous assurer devant bonne compagnie, que je romps commerce avec vous, et que Monsieur le Receveur ne sera plus pour vous Monsieur le donneur. Moi, morbleu, prendre place, cherchez vos benêts à vos pieds. Je vous laisse, Madame la Comtesse, à Monsieur le Vicomte, et ce sera à lui que j'enverrai tantôt vos lettres. Voilà ma Scène faite, voilà mon rôle joué. Serviteur à la compagnie. Tu as raison, Monsieur Tibaudier. **** *creator_moliere *book_moliere_comtesseescarbagnas *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_comtesseescarbagnas *dist2_moliere_prose_comedy *id_monsieur-bobinet *date_1672 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_monsieurbobinet Je donne le bon Vêpres à toute l'honorable compagnie. Que désire Madame la Comtesse d'Escarbagnas, de son très humble Serviteur Bobinet ? À huit heures trois quarts, Madame, comme votre commandement me l'avait ordonné. Ils sont, Dieu grâce, Madame, en parfaite santé. Dans votre belle chambre à alcôve, Madame. Il compose un Thème, Madame, que je viens de lui dicter, sur une Épître de Cicéron. Soit fait, Madame, ainsi que vous le commandez. Allons, Monsieur le Comte, faites voir que vous profitez des bons documents qu'on vous donne. La révérence à toute l'honnête assemblée. Madame, je n'oublierai aucune chose pour cultiver cette jeune plante, dont vos bontés m'ont fait l'honneur de me confier la conduite, et je tâcherai de lui inculquer les semences de la vertu. Allons, Monsieur le Comte, récitez votre leçon d'hier au matin. C'est du Latin, Madame, et la première règle de Jean Despautère. Si vous voulez, Madame, qu'il achève, la glose expliquera ce que cela veut dire. **** *creator_moliere *book_moliere_comtesseescarbagnas *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_comtesseescarbagnas *dist2_moliere_prose_comedy *id_andree *date_1672 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_andree Que vous plaît-il, Madame ? Je fais, Madame, le plus doucement que je puis. Je veux, Madame, comme vous m'avez dit, porter cela aux garde-robes. Est-ce, Madame, qu'à la Cour une armoire s'appelle une garde-robe ? Je m'en ressouviendrai, Madame, aussi bien que de votre grenier, qu'il faut appeler garde-meuble. Que voulez-vous, Madame ? J'enfermais votre manchon et vos coiffes dans votre armoi…, dis-je, dans votre garde-robe. Holà, Criquet. Laquais donc, et non pas Criquet, venez parler à Madame. Je pense qu'il est sourd, Criq… Laquais, Laquais. Qu'est-ce que c'est, Madame, que votre Écuyer ? est-ce maître Charles que vous appelez comme cela ? Madame… C'est que… C'est que je n'ai point de bougie. Non, Madame, si ce n'est des bougies de suif. Je n'en ai point vu depuis que je suis céans. Criquet, qu'est-ce que c'est qu'une soucoupe ? Oui. Nous ne savons tous deux, Madame, ce que c'est qu'une soucoupe. Cela est bien aisé. Hé bien oui, Madame, je le paierai. Dame, Madame, si je le paye, je ne veux point être querellée. **** *creator_moliere *book_moliere_comtesseescarbagnas *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_comtesseescarbagnas *dist2_moliere_prose_comedy *id_jeannot *date_1672 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_jeannot C'est Monsieur le Conseiller, Madame, qui vous souhaite le bon jour ; et auparavant que de venir, vous envoie des poires de son jardin, avec ce petit mot d'écrit. Oh non, Madame. Mon Maître m'a défendu, Madame, de rien prendre de vous. Pardonnez-moi, Madame. Oui, quelque sot. Je l'aurais bien pris sans toi. Voilà un billet, Monsieur, qu'on nous a dit de vous donner vite. **** *creator_moliere *book_moliere_comtesseescarbagnas *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_comtesseescarbagnas *dist2_moliere_prose_comedy *id_criquet *date_1672 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_criquet Plaît-il ? Dans la rue, Madame. Vous m'avez dit d'aller là-dehors. Une soucoupe ? Je ne sais. Voilà Jeannot de Monsieur le Conseiller qui vous demande, Madame. Entrez, Jeannot. Hé prenez, Jeannot, si vous n'en voulez pas, vous me le baillerez. Donne-moi donc cela ? C'est moi qui te l'ai fait prendre. Les Comédiens envoient dire qu'ils sont tout prêts. **** *creator_moliere *book_moliere_critiqueecoledesfemmes *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_critiqueecoledesfemmes *dist2_moliere_prose_comedy *id_uranie *date_1663 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_uranie Quoi, Cousine, personne ne t'est venu rendre visite ? Vraiment voilà qui m'étonne, que nous ayons été seules, l'une et l'autre, tout aujourd'hui. L'après-dînée, à dire vrai, m'a semblé fort longue. C'est que les beaux esprits, Cousine, aiment la solitude. Pour moi j'aime la compagnie, je l'avoue. La délicatesse est trop grande, de ne pouvoir souffrir que des gens triés. Je goûte ceux qui sont raisonnables, et me divertis des extravagants. Ce langage est à la mode, et l'on le tourne en plaisanterie à la Cour. On ne dit pas cela aussi, comme une chose spirituelle, et la plupart de ceux qui affectent ce langage, savent bien eux-mêmes qu'il est ridicule. Laissons cette matière, qui t'échauffe un peu trop, et disons que Dorante vient bien tard, à mon avis, pour le souper que nous devons faire ensemble. Eh mon Dieu ! quelle visite ! Vite, qu'on aille dire que je n'y suis pas. Et qui est le sot, qui l'a dit ? Diantre soit le petit vilain. Je vous apprendrai bien à faire vos réponses de vous-même. Arrêtez animal, et la laissez monter, puisque la sottise est faite. Ah ! Cousine, que cette visite m'embarrasse à l'heure qu'il est. L'épithète est un peu forte. Elle se défend bien de ce nom, pourtant. Doucement donc, si elle venait à entendre… Tais-toi, je vais la recevoir à la porte de la chambre. Veux-tu te taire ; la voici. Vraiment, c'est bien tard que… Un fauteuil, promptement. Qu'est-ce donc ? Qu'avez-vous ? Sont-ce vapeurs, qui vous ont prise ? Voulez-vous, que l'on vous délasse ? Quel est donc votre mal ? et depuis quand vous a-t-il pris ? Comment ? Je ne sais pas de quel tempérament nous sommes ma cousine et moi ; mais nous fûmes avant-hier à la même Pièce, et nous en revînmes toutes deux saines et gaillardes. Oui ; et écoutée d'un bout à l'autre. Je ne suis pas si délicate, Dieu merci ; et je trouve pour moi, que cette Comédie serait plutôt capable de guérir les gens, que de les rendre malades. Pour moi je n'ai pas tant de complaisance, et pour dire ma pensée, je tiens cette Comédie une des plus plaisantes que l'Auteur ait produites. Moi, je ne sais pas ce que vous y avez trouvé qui blesse la pudeur. Il faut donc que pour les ordures, vous ayez des lumières, que les autres n'ont pas : car pour moi je n'y en ai point vu. Mais encore, s'il vous plaît, marquez-moi une de ces ordures que vous dites. Oui : je vous demande seulement un endroit, qui vous ait fort choquée. Eh bien, que trouvez-vous là de sale ? De grâce ? Mais encore ? Pour moi, je n'y entends point de mal. Tant mieux plutôt, ce me semble. Je regarde les choses du côté qu'on me les montre ; et ne les tourne point, pour y chercher ce qu'il ne faut pas voir. L'honnêteté d'une femme n'est pas dans les grimaces. Il sied mal de vouloir être plus sage, que celles qui sont sages. L'affectation en cette matière est pire qu'en toute autre ; et je ne vois rien de si ridicule, que cette délicatesse d'honneur, qui prend tout en mauvaise part ; donne un sens criminel aux plus innocentes paroles ; et s'offense de l'ombre des choses. Croyez-moi, celles qui font tant de façons, n'en sont pas estimées plus femmes de bien. Au contraire, leur sévérité mystérieuse, et leurs grimaces affectées irritent la censure de tout le monde, contre les actions de leur vie. On est ravi de découvrir ce qu'il y peut avoir à redire ; et pour tomber dans l'exemple, il y avait l'autre jour des Femmes à cette Comédie, vis-à-vis de la Loge où nous étions, qui par les mines qu'elles affectèrent durant toute la Pièce ; leurs détournements de tête ; et leurs cachements de visage, firent dire de tous côtés cent sottises de leur conduite, que l'on n'aurait pas dites sans cela ; et quelqu'un même des Laquais cria tout haut, qu'elles étaient plus chastes des oreilles que de tout le reste du corps. Il ne faut pas y vouloir voir ce qui n'y est pas. Et moi, je ne demeure pas d'accord de cela. Non vraiment. Elle ne dit pas un mot, qui de soi ne soit fort honnête ; et si vous voulez entendre dessous quelque autre chose, c'est vous qui faites l'ordure, et non pas elle ; puisqu'elle parle seulement d'un ruban qu'on lui a pris. Eh ! mon Dieu ; c'est une causeuse, qui ne dit pas ce qu'elle pense. Ne vous y fiez pas beaucoup, si vous m'en voulez croire. Qu'est-ce donc qu'il y a là ? Et pourquoi dire à Monsieur que je n'y suis pas ? Voyez cet insolent ! Je vous prie, Monsieur, de ne pas croire ce qu'il dit : c'est un petit écervelé, qui vous a pris pour un autre. Un siège donc, impertinent. Approchez-le. Sur la Comédie de L'École des Femmes. Ah ! voici Dorante que nous attendions. Voilà Monsieur le Marquis, qui en dit force mal. C'est une chose qu'on ne peut pas nier. Il est vrai ; notre ami est de ces gens-là, sans doute. Il veut être le premier de son opinion, et qu'on attende par respect son jugement. Toute approbation qui marche avant la sienne est un attentat sur ses lumières, dont il se venge hautement en prenant le contraire parti. Il veut qu'on le consulte sur toutes les affaires d'esprit ; et je suis sûre que si l'Auteur lui eût montré sa Comédie, avant que de la faire voir au public, il l'eût trouvée la plus belle du monde. Vous êtes bien fou, Chevalier. Ah ! voici l'auteur, Monsieur Lysidas : il vient tout à propos, pour cette matière. Monsieur Lysidas ; prenez un siège vous-même, et vous mettez là. Asseyez-vous donc, Monsieur Lysidas ; nous lirons votre Pièce après souper. Je le crois : mais, encore une fois asseyez-vous, s'il vous plaît : Nous sommes ici sur une matière que je serai bien aise que nous poussions. Nous verrons. Poursuivons de grâce notre discours. Voilà qui est bien. Enfin j'avais besoin de vous, lorsque vous êtes venu, et tout le monde était ici contre moi. Mais auparavant sachons un peu les sentiments de Monsieur Lysidas. Sur le sujet de L'École des Femmes. De bonne foi, dites-nous votre avis. Pour moi, je me garderai bien de m'en offenser, et de prendre rien sur mon compte de tout ce qui s'y dit. Ces sortes de satires tombent directement sur les mœurs, et ne frappent les personnes que par réflexion. N'allons point nous appliquer nous-mêmes les traits d'une censure générale ; et profitons de la leçon, si nous pouvons, sans faire semblant qu'on parle à nous. Toutes les peintures ridicules qu'on expose sur les Théâtres doivent être regardées sans chagrin de tout le monde. Ce sont miroirs publics où il ne faut jamais témoigner qu'on se voie ; et c'est se taxer hautement d'un défaut, que se scandaliser qu'on le reprenne. Aussi, Madame, n'ai-je rien dit qui aille à vous ; et mes paroles, comme les Satires de la Comédie, demeurent dans la thèse générale. Ne voyez-vous pas que c'est un ridicule qu'il fait parler ? Mais il faut expliquer sa pensée, ce me semble. Que trouvez-vous là à redire ? Ah ! je le quitte. Ce n'est pas mon sentiment, pour moi. La Tragédie, sans doute, est quelque chose de beau quand elle est bien touchée ; mais la Comédie a ses charmes, et je tiens que l'une n'est pas moins difficile à faire que l'autre. Il est vrai que pour peu qu'on y demeure, il vous passe là tous les jours assez de choses devant les yeux, pour acquérir quelque habitude de les connaître, et surtout pour ce qui est de la bonne et mauvaise plaisanterie. C'est une étrange chose de vous autres Messieurs les Poètes, que vous condamniez toujours les Pièces où tout le monde court, et ne disiez jamais du bien que de celles où personne ne va. Vous montrez pour les unes une haine invincible, et pour les autres une tendresse qui n'est pas concevable. Mais de grâce, Monsieur Lysidas, faites-nous voir ces défauts, dont je ne me suis point aperçue. Je vous avoue que je n'ai aucune habitude avec ces Messieurs-là, et que je ne sais point les règles de l'art. J'ai remarqué une chose de ces Messieurs-là ; c'est que ceux qui parlent le plus des règles, et qui les savent mieux que les autres, font des Comédies que personne ne trouve belles. Pour moi, quand je vois une Comédie, je regarde seulement si les choses me touchent, et lorsque je m'y suis bien divertie, je ne vais point demander si j'ai eu tort, et si les règles d'Aristote me défendaient de rire. Il est vrai ; et j'admire les raffinements de certaines gens sur des choses que nous devons sentir par nous-mêmes. Pour moi, je trouve que la beauté du sujet de L'École des Femmes consiste dans cette confidence perpétuelle ; et ce qui me paraît assez plaisant, c'est qu'un homme qui a de l'Esprit et qui est averti de tout par une innocente qui est sa maîtresse et par un étourdi qui est son rival, ne puisse avec cela éviter ce qui lui arrive. Il me semble que… Il se passe des choses assez plaisantes dans notre dispute. Je trouve qu'on en pourrait bien faire une petite Comédie, et que cela ne serait pas trop mal à la queue de L'École des Femmes. Puisque chacun en serait content, Chevalier, faites un mémoire de tout, et le donnez à Molière que vous connaissez, pour le mettre en Comédie. Point, point ; je connais son humeur ; il ne se soucie pas qu'on fronde ses pièces, pourvu qu'il y vienne du monde. Il faudrait rêver quelque incident pour cela. La Comédie ne peut pas mieux finir, et nous ferons bien d'en demeurer là. **** *creator_moliere *book_moliere_critiqueecoledesfemmes *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_critiqueecoledesfemmes *dist2_moliere_prose_comedy *id_elise *date_1663 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_elise Personne du monde. Cela m'étonne aussi ; car ce n'est guère notre coutume, et votre maison, Dieu merci, est le refuge ordinaire de tous les Fainéants de la Cour. Et moi je l'ai trouvée fort courte. Ah ! très humble servante au bel esprit, vous savez que ce n'est pas là que je vise. Je l'aime aussi ; mais je l'aime choisie, et la quantité des sottes visites qu'il vous faut essuyer parmi les autres, est cause bien souvent que je prends plaisir d'être seule. Et la complaisance est trop générale, de souffrir indifféremment toutes sortes de personnes. Ma foi, les extravagants ne vont guère loin sans vous ennuyer, et la plupart de ces gens-là ne sont plus plaisants dès la seconde visite. Mais à propos d'extravagants, ne voulez-vous pas me défaire de votre Marquis incommode ? pensez-vous me le laisser toujours sur les bras, et que je puisse durer à ses turlupinades perpétuelles ? Tant pis pour ceux qui le font, et qui se tuent tout le jour à parler ce jargon obscur. La belle chose de faire entrer aux conversations du Louvre de vieilles équivoques ramassées parmi les boues des Halles et de la place Maubert ! La jolie façon de plaisanter pour des Courtisans ! et qu'un homme montre d'esprit lorsqu'il vient vous dire ; Madame, vous êtes dans la place Royale, et tout le monde vous voit de trois lieues de Paris, car chacun vous voit de bon œil, à cause que Boneuil est un village à trois lieues d'ici. Cela n'est-il pas bien galant et bien spirituel ; et ceux qui trouvent ces belles rencontres, n'ont-ils pas lieu de s'en glorifier ? Tant pis encore, de prendre peine à dire des sottises, et d'être mauvais plaisants de dessein formé. Je les en tiens moins excusables ; et, si j'en étais juge, je sais bien à quoi je condamnerais tous ces Messieurs les Turlupins. Peut-être l'a-t-il oublié, et que… Vous vous plaigniez d'être seule, aussi : le Ciel vous en punit. Il est vrai que la Dame est un peu embarrassante de son naturel : j'ai toujours eu pour elle une furieuse aversion ; et, n'en déplaise à sa qualité, c'est la plus sotte bête qui se soit jamais mêlée de raisonner. Allez, allez, elle mérite bien cela, et quelque chose de plus, si on lui faisait justice. Est-ce qu'il y a une personne qui soit plus véritablement qu'elle, ce qu'on appelle Précieuse, à prendre le mot dans sa plus mauvaise signification ? Il est vrai, elle se défend du nom ; mais non pas de la chose : car enfin elle l'est depuis les pieds jusqu'à la tête, et la plus grande façonnière du monde. Il semble que tout son corps soit démonté, et que les mouvements de ses hanches, de ses épaules, et de sa tête, n'aillent que par ressorts. Elle affecte toujours un ton de voix languissant, et niais ; fait la moue, pour montrer une petite bouche, et roule les yeux, pour les faire paraître grands. Point, point, elle ne monte pas encore. Je me souviens toujours du soir qu'elle eut envie de voir Damon, sur la réputation qu'on lui donne, et les choses que le public a vues de lui. Vous connaissez l'homme, et sa naturelle paresse à soutenir la conversation. Elle l'avait invité à souper, comme bel esprit, et jamais il ne parut si sot, parmi une demi-douzaine de gens, à qui elle avait fait fête de lui, et qui le regardaient avec de grands yeux, comme une personne qui ne devait pas être faite comme les autres. Ils pensaient tous qu'il était là pour défrayer la Compagnie de bons mots ; que chaque parole qui sortait de sa bouche devait être extraordinaire ; qu'il devait faire des Impromptus sur tout ce qu'on disait, et ne demander à boire qu'avec une pointe. Mais il les trompa fort par son silence ; et la Dame fut aussi mal satisfaite de lui, que je le fus d'elle. Encore un mot. Je voudrais bien la voir mariée avec le Marquis, dont nous avons parlé. Le bel assemblage que ce serait d'une Précieuse, et d'un Turlupin ! Voyez un peu, comme les maladies arrivent sans qu'on y songe. Mon Dieu ! que tout cela est dit élégamment. J'aurais cru que cette Pièce était bonne ; mais Madame a une éloquence si persuasive, elle tourne les choses d'une manière si agréable, qu'il faut être de son sentiment, malgré qu'on en ait. Les jolies façons de parler, que voilà ! Que vous êtes, Madame, une rude joueuse en Critique ; et que je plains le pauvre Molière de vous avoir pour ennemie. Ah ! Il est vrai, ma cousine ; je suis pour Madame contre ce le. Ce le est insolent au dernier point. Et vous avez tort de défendre ce le. Comment dites-vous ce mot-là, Madame ? Ah ! mon Dieu ! obscénité. Je ne sais ce que ce mot veut dire ; mais je le trouve le plus joli du monde. Ah ! que vous êtes méchante, de me vouloir rendre suspecte à Madame. Voyez un peu où j'en serais, si elle allait croire ce que vous dites. Serais-je si malheureuse, Madame, que vous eussiez de moi cette pensée ? Ah ! que vous avez bien raison, Madame ; et que vous me rendrez justice, quand vous croirez que je vous trouve la plus engageante personne du monde ; que j'entre dans tous vos sentiments, et suis charmée de toutes les expressions, qui sortent de votre bouche. On le voit bien, Madame, et que tout est naturel en vous. Vos paroles, le ton de votre voix, vos regards, vos pas, votre action, et votre ajustement ont je ne sais quel air de qualité, qui enchante les gens. Je vous étudie des yeux et des oreilles ; et je suis si remplie de vous, que je tâche d'être votre singe, et de vous contrefaire en tout. Pardonnez-moi, Madame. Qui voudrait se moquer de vous ? Oh que si, Madame. Point du tout, Madame. Je vous épargne aussi, Madame ; et je ne dis pas la moitié de ce que je pense, Madame. Ma cousine vous est fort obligée de cette déférence. Il aurait tort, sans doute. L'âge le rendra plus éclairé en honnêtes gens. Il est vrai que cela crie vengeance contre L'École des Femmes, et que vous la condamnez avec justice. Tout beau, Monsieur le Chevalier : il pourrait y en avoir d'autres qu'elle, qui seraient dans les mêmes sentiments. Il est vrai, mais j'ai changé d'avis, et Madame sait appuyer le sien, par des raisons si convaincantes, qu'elle m'a entraînée de son côté. C'est un grand charme que les louanges pour arrêter un Auteur. Il s'est mis d'abord de votre côté, mais maintenant qu'il sait que Madame est à la tête du parti contraire, je pense que vous n'avez qu'à chercher un autre secours. Quoi vous voyez contre vous Madame, Monsieur le Marquis, et Monsieur Lysidas, et vous osez résister encore ? Fi que cela est de mauvaise grâce. Assurément, Madame, on ne vous y cherchera point ; votre conduite est assez connue ; et ce sont de ces sortes de choses qui ne sont contestées de personne. Dites tout ce que vous voudrez, je ne saurais digérer cela, non plus que le potage, et la tarte à la crème, dont Madame a parlé tantôt. Monsieur le Marquis s'y prend bien, et vous bourre de la belle manière. Mais je voudrais bien que Monsieur Lysidas voulût les achever, et leur donner quelques petits coups de sa façon. Celui-là est joli encore, s'encanaille. Est-ce vous qui l'avez inventé, Madame ? Je m'en suis bien doutée. Courage, Monsieur Lysidas, nous sommes perdus si vous reculez. Ah ! Il a raison. Merveilleuse. Il ne se peut rien de mieux. Vivat, Monsieur Lysidas. Mauvaises raisons. C'est ne rien dire. Cela fait pitié. Et moi je fournirais de bon cœur mon personnage. **** *creator_moliere *book_moliere_critiqueecoledesfemmes *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_critiqueecoledesfemmes *dist2_moliere_prose_comedy *id_climene *date_1663 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_climene Eh de grâce, ma chère, faites-moi vite donner un siège. Ah mon Dieu ! Je n'en puis plus. Le cœur me manque. Non. Mon Dieu non. Ah ! Il y a plus de trois heures, et je l'ai rapporté du Palais-Royal. Je viens de voir, pour mes péchés, cette méchante Rapsodie de L'École des Femmes. Je suis encore en défaillance du mal de cœur, que cela m'a donné, et je pense que je n'en reviendrai de plus de quinze jours. Quoi, vous l'avez vue ? Et vous n'en avez pas été jusques aux convulsions, ma chère ? Ah mon Dieu, que dites-vous là ! Cette proposition peut-elle être avancée par une personne, qui ait du revenu en sens commun ? Peut-on, impunément comme vous faites, rompre en visière à la raison ? Et dans le vrai de la chose, est-il un esprit si affamé de plaisanterie, qu'il puisse tâter des fadaises dont cette Comédie est assaisonnée ? Pour moi, je vous avoue, que je n'ai pas trouvé le moindre grain de sel dans tout cela. Les enfants par l'oreille m'ont paru d'un goût détestable ; la tarte à la crème m'a affadi le cœur ; et j'ai pensé vomir au potage. Ah ! vous me faites pitié, de parler ainsi ; et je ne saurais vous souffrir cette obscurité de discernement. Peut-on, ayant de la vertu, trouver de l'agrément dans une Pièce, qui tient sans cesse la pudeur en alarme, et salit à tous moments l'imagination ? Croyez-moi ma chère, corrigez de bonne foi votre jugement, et pour votre honneur, n'allez point dire par le monde que cette Comédie vous ait plu. Hélas tout ; et je mets en fait, qu'une honnête femme ne la saurait voir, sans confusion ; tant j'y ai découvert d'ordures, et de saletés. C'est que vous ne voulez pas y en avoir vu, assurément : car enfin toutes ces ordures, Dieu merci, y sont à visage découvert. Elles n'ont pas la moindre enveloppe qui les couvre ; et les yeux les plus hardis sont effrayés de leur nudité. Hay, hay, hay. Hélas ! est-il nécessaire de vous les marquer ? En faut-il d'autre que la scène de cette Agnès, lorsqu'elle dit ce que l'on lui a pris ? Ah ! Fi. Je n'ai rien à vous dire. Tant pis pour vous. L'honnêteté d'une femme… Enfin il faut être aveugle dans cette Pièce, et ne pas faire semblant d'y voir les choses. Ah ! je soutiens, encore un coup, que les saletés y crèvent les yeux. Quoi la pudeur n'est pas visiblement blessée par ce que dit Agnès dans l'endroit dont nous parlons ? Ah ! ruban, tant qu'il vous plaira ; mais ce le où elle s'arrête, n'est pas mis pour des prunes. Il vient sur ce le d'étranges pensées. Ce le scandalise furieusement ; et quoi que vous puissiez dire, vous ne sauriez défendre l'insolence de ce le. Il a une obscénité qui n'est pas supportable. Obscénité, Madame. Enfin vous voyez, comme votre sang prend mon parti. Non, non, je ne m'arrête pas à ses paroles, et je vous crois plus sincère, qu'elle ne dit. Hélas ! je parle sans affectation. Vous vous moquez de moi, Madame. Je ne suis pas un bon modèle, Madame. Vous me flattez, Madame. Épargnez-moi, s'il vous plaît, Madame. Ah mon Dieu ! brisons là, de grâce : vous me jetteriez dans une confusion épouvantable. Enfin nous voilà deux contre vous, et l'opiniâtreté sied si mal aux personnes spirituelles… Eh bien, Monsieur, comment la trouvez-vous, s'il vous plaît ? Ah que j'en suis ravie ! Je ne veux pas que ce soit pour l'amour de moi ; mais pour l'amour de la raison : car enfin cette pièce, à le bien prendre, est tout à fait indéfendable ; et je ne conçois pas… Non, non, je ne voudrais pas qu'il fît mal sa Cour auprès de Madame votre cousine, et je permets à son esprit d'être du parti de son cœur. Voilà qui me confond, pour moi, que des personnes raisonnables se puissent mettre en tête de donner protection aux sottises de cette Pièce ! Rendez-vous, ou ne vous rendez pas, je sais fort bien que vous ne me persuaderez point de souffrir les immodesties de cette Pièce ; non plus que les satires désobligeantes qu'on y voit contre les Femmes. Pour moi je ne parle pas de ces choses, par la part que j'y puisse avoir ; et je pense que je vis d'un air dans le monde, à ne pas craindre d'être cherchée dans les peintures qu'on fait là des femmes qui se gouvernent mal. Je n'en doute pas, Madame. Mais enfin passons sur ce chapitre. Je ne sais pas de quelle façon vous recevez les injures qu'on dit à notre sexe dans un certain endroit de la pièce ; et pour moi je vous avoue que je suis dans une colère épouvantable, de voir que cet auteur impertinent nous appelle des animaux. Il est vrai que le goût des gens est étrangement gâté là-dessus, et que le siècle s'encanaille furieusement. Hé ! Je crois être du nombre des honnêtes gens, et cependant je n'ai pas trouvé le mot pour rire dans tout ce que j'ai vu. Voilà qui est spirituellement remarqué, et c'est prendre le fin des choses. Fort bien. Assurément. Admirable. Voilà parlé comme il faut. Miracle ! De grâce écoutons ses raisons. Faible réponse. Cela ne satisfait point. Tout cela ne fait que blanchir. Pour moi, je souhaiterais que cela se fît, pourvu qu'on traitât l'affaire comme elle s'est passée. Il n'aurait garde, sans doute, et ce ne serait pas des vers à sa louange. **** *creator_moliere *book_moliere_critiqueecoledesfemmes *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_critiqueecoledesfemmes *dist2_moliere_prose_comedy *id_galopin *date_1663 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_galopin Voilà Climène, Madame, qui vient ici pour vous voir. On a déjà dit que vous y étiez. Moi, Madame. Je vais lui dire, Madame, que vous voulez être sortie. Elle parle encore à un homme dans la rue. Arrêtez, s'il vous plaît, Monsieur. Si fait, je vous connais ; mais vous n'entrerez pas. Cela n'est pas bien de vouloir entrer malgré les gens. Elle n'y est pas, vous dis-je. Il est vrai, la voilà ; mais elle n'y est pas. Je lui dis que vous n'y êtes pas, Madame, et il ne veut pas laisser d'entrer. Vous me grondâtes l'autre jour, de lui avoir dit que vous y étiez. N'en voilà-t-il pas un ? Madame, on a servi sur table. **** *creator_moliere *book_moliere_critiqueecoledesfemmes *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_critiqueecoledesfemmes *dist2_moliere_prose_comedy *id_marquis *date_1663 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_marquis Tu ne me connais pas, sans doute. Ah que de bruit, petit laquais ! Je veux voir ta Maîtresse. La voilà dans la chambre. C'est votre laquais, Madame, qui fait le sot. Je l'ai bien vu, Madame ; et sans votre respect, je lui aurais appris à connaître les gens de qualité. Votre petit laquais, Madame, a du mépris pour ma personne. C'est peut-être que je paie l'intérêt de ma mauvaise mine : hay, hay, hay, hay. Sur quoi en étiez-vous, Mesdames, lorsque je vous ai interrompues ? Je ne fais que d'en sortir. Tout à fait impertinente. C'est la plus méchante chose du monde. Comment, diable ! à peine ai-je pu trouver place. J'ai pensé être étouffé à la porte ; et jamais on ne m'a tant marché sur les pieds. Voyez comme mes canons, et mes rubans en sont ajustés, de grâce. Il ne s'est jamais fait, je pense, une si méchante comédie. Il est vrai, je la trouve détestable ; morbleu détestable du dernier détestable ; ce qu'on appelle détestable. Quoi Chevalier, est-ce que tu prétends soutenir cette Pièce ? Parbleu, je la garantis détestable. Pourquoi elle est détestable ? Elle est détestable, parce qu'elle est détestable. Que sais-je moi ? je ne me suis pas seulement donné la peine de l'écouter. Mais enfin je sais bien que je n'ai jamais rien vu de si méchant, Dieu me damne ; et Dorilas, contre qui j'étais a été de mon avis. Il ne faut que voir les continuels éclats de rire que le Parterre y fait : je ne veux point d'autre chose, pour témoigner qu'elle ne vaut rien. Te voilà donc, Chevalier, le défenseur du Parterre ? Parbleu, je m'en réjouis, et je ne manquerai pas de l'avertir, que tu es de ses amis. Hay, hay, hay, hay, hay, hay. Parbleu, Chevalier, tu le prends là… Dis-moi, un peu, Chevalier, crois-tu que Lysandre ait de l'esprit ? Demandez-lui ce qui lui semble de L'École des Femmes : vous verrez qu'il vous dira, qu'elle ne lui plaît pas. Et que direz-vous de la Marquise Araminte, qui la publie partout pour épouvantable, et dit qu'elle n'a pu jamais souffrir les ordures dont elle est pleine ? Enfin, Chevalier, tu crois défendre ta Comédie, en faisant la satire de ceux qui la condamnent. Ma foi, Chevalier, tu en tiens, et te voilà payé de ta raillerie, ah, ah, ah, ah, ah. Tu vois que nous avons les Savants de notre côté. Dieu me damne, Madame, elle est misérable depuis le commencement jusqu'à la fin. Parbleu, tous les autres Comédiens qui étaient là pour la voir, en ont dit tous les maux du monde. Ah ! ma foi oui, tarte à la crème. Voilà ce que j'avais remarqué tantôt ; tarte à la crème. Que je vous suis obligé, Madame, de m'avoir fait souvenir de tarte à la crème. Y a-t-il assez de pommes en Normandie pour tarte à la crème ? Tarte à la crème, morbleu, Tarte à la crème ! Parbleu, tarte à la crème, Chevalier. Tarte à la crème. Tarte à la crème. Tarte à la crème, Madame. Moi, rien ; tarte à la crème. Ma foi, ni moi non plus. Ah, ah, Chevalier. Cela est vrai. Bon, la remarque est encore bonne. C'est bien dit. Morbleu, merveille ! Parbleu, Chevalier, te voilà mal ajusté. Tu as trouvé ton homme, ma foi. Réponds, réponds, réponds, réponds. Réponds donc, je te prie. Parbleu, je te défie de répondre. Bagatelle, bagatelle. C'est mal répondre. Voilà des raisons qui ne valent rien. Ma foi, Chevalier, tu ferais mieux de te taire. Je ne veux pas seulement t'écouter. La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la. La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la. La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la, la. La, la, la, lare, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la. Parbleu, Chevalier, tu jouerais là-dedans un rôle qui ne te serait pas avantageux. **** *creator_moliere *book_moliere_critiqueecoledesfemmes *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_critiqueecoledesfemmes *dist2_moliere_prose_comedy *id_dorante *date_1663 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dorante Ne bougez, de grâce, et n'interrompez point votre discours. Vous êtes là sur une matière, qui depuis quatre jours fait presque l'entretien de toutes les maisons de Paris ; et jamais on n'a rien vu de si plaisant, que la diversité des jugements, qui se font là-dessus. Car enfin, j'ai ouï condamner cette Comédie à certaines gens, par les mêmes choses, que j'ai vu d'autres estimer le plus. Et moi, mon cher Marquis, je trouve le jugement détestable. Oui je prétends la soutenir. La caution n'est pas Bourgeoise. Mais, Marquis, par quelle raison, de grâce, cette Comédie est-elle ce que tu dis ? Oui. Après cela, il n'y a plus rien à dire : voilà son procès fait. Mais encore instruis-nous, et nous dis les défauts qui y sont. L'autorité est belle, et te voilà bien appuyé. Tu es donc, Marquis, de ces Messieurs du bel air, qui ne veulent pas que le Parterre ait du sens commun, et qui seraient fâchés d'avoir ri avec lui, fût-ce de la meilleure chose du monde ? Je vis l'autre jour sur le Théâtre un de nos amis qui se rendit ridicule par là. Il écouta toute la Pièce avec un sérieux le plus sombre du monde : et tout ce qui égayait les autres ridait son front. À tous les éclats de risée, il haussait les épaules, et regardait le Parterre en pitié ; et quelquefois aussi le regardant avec dépit, il lui disait tout haut, Ris donc, Parterre, ris donc. Ce fut une seconde Comédie, que le chagrin de notre ami ; il la donna en galant homme à toute l'assemblée ; et chacun demeura d'accord qu'on ne pouvait pas mieux jouer, qu'il fit. Apprends, Marquis, je te prie, et les autres aussi, que le bon sens n'a point de place déterminée à la Comédie ; que la différence du demi-Louis d'or, et de la pièce de quinze sols, ne fait rien du tout au bon goût ; que debout et assis on peut donner un mauvais jugement ; et qu'enfin, à le prendre en général, je me fierais assez à l'approbation du Parterre, par la raison qu'entre ceux qui le composent, il y en a plusieurs qui sont capables de juger d'une pièce selon les règles, et que les autres en jugent par la bonne façon d'en juger, qui est de se laisser prendre aux choses, et de n'avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicatesse ridicule. Ris tant que tu voudras ; je suis pour le bon sens, et ne saurais souffrir les ébullitions de cerveau de nos marquis de Mascarille. J'enrage de voir de ces gens qui se traduisent en ridicules, malgré leur qualité ; de ces gens qui décident toujours, et parlent hardiment de toutes choses, sans s'y connaître ; qui dans une Comédie se récrieront aux méchants endroits, et ne branleront pas à ceux qui sont bons ; qui voyant un tableau, ou écoutant un concert de musique, blâment de même, et louent tout à contre-sens, prennent par où ils peuvent les termes de l'Art qu'ils attrapent, et ne manquent jamais de les estropier, et de les mettre hors de place. Eh ! Morbleu, Messieurs, taisez-vous, quand Dieu ne vous a pas donné la connaissance d'une chose ; n'apprêtez point à rire à ceux qui vous entendent parler ; et songez qu'en ne disant mot, on croira, peut-être, que vous êtes d'habiles gens. Mon Dieu Marquis ce n'est pas à toi que je parle. C'est à une douzaine de messieurs qui déshonorent les gens de Cour par leurs manières extravagantes, et font croire parmi le peuple que nous nous ressemblons tous. Pour moi je m'en veux justifier, le plus qu'il me sera possible ; et je les dauberai tant, en toutes rencontres, qu'à la fin ils se rendront sages. Oui, sans doute, et beaucoup. Eh mon Dieu ! il y en a beaucoup que le trop d'esprit gâte ; qui voient mal les choses à force de lumière ; et même qui seraient bien fâchés d'être de l'avis des autres, pour avoir la gloire de décider. Je dirai que cela est digne du Caractère qu'elle a pris ; et qu'il y a des personnes, qui se rendent ridicules, pour vouloir avoir trop d'honneur. Bien qu'elle ait de l'esprit, elle a suivi le mauvais exemple de celles, qui étant sur le retour de l'âge, veulent remplacer de quelque chose ce qu'elles voient qu'elles perdent ; et prétendent que les grimaces d'une pruderie scrupuleuse, leur tiendront lieu de jeunesse et de beauté. Celle-ci pousse l'affaire plus avant qu'aucune, et l'habileté de son scrupule découvre des saletés, où jamais personne n'en avait vu. On tient qu'il va, ce scrupule, jusques à défigurer notre langue, et qu'il n'y a point presque de mots, dont la sévérité de cette Dame ne veuille retrancher ou la tête, ou la queue, pour les syllabes déshonnêtes qu'elle y trouve. Non pas ; mais je tiens que cette Dame se scandalise à tort… Je sais bien que ce n'est pas vous, au moins ; et que lorsque vous avez vu cette représentation… Ah ! Madame, je vous demande pardon ; et si vous le voulez, je me dédirai, pour l'amour de vous, de tout ce que j'ai dit. Avec cette permission, Madame, je prendrai la hardiesse de me défendre. Que vous en semble. Mais encore, entre nous, que pensez-vous de cette Comédie ? Assurément ? Hom, hom, vous êtes un méchant diable, Monsieur Lysidas ; vous ne dites pas ce que vous pensez. Mon Dieu, je vous connais ; ne dissimulons point. Je vois bien que le bien que vous dites de cette Pièce n'est que par honnêteté ; et que dans le fond du cœur, vous êtes de l'avis de beaucoup de gens, qui la trouvent mauvaise. Avouez, ma foi, que c'est une méchante chose que cette Comédie. Pousse, mon cher Marquis, pousse. Il est vrai, le jugement de Monsieur Lysidas est quelque chose de considérable ; mais Monsieur Lysidas veut bien que je ne me rende pas pour cela. Et puisque j'ai bien l'audace de me défendre contre les sentiments de Madame, il ne trouvera pas mauvais que je combatte les siens. Cela est bientôt dit, Marquis ; il n'est rien plus aisé que de trancher ainsi, et je ne vois aucune chose, qui puisse être à couvert de la souveraineté de tes décisions. Ah ! je ne dis plus mot, tu as raison, Marquis ; puisque les autres Comédiens en disent du mal, il faut les en croire assurément. Ce sont tous gens éclairés, et qui parlent sans intérêt, il n'y a plus rien à dire, je me rends. Et puis, Madame, ne savez-vous pas que les injures des Amants n'offensent jamais ? qu'il est des amours emportés aussi bien que des doucereux ? et qu'en de pareilles occasions les paroles les plus étranges, et quelque chose de pis encore, se prennent bien souvent pour des marques d'affection par celles mêmes qui les reçoivent ? Eh bien que veux-tu dire, tarte à la crème ? Mais encore ? Dis-nous un peu tes raisons. Vous croyez donc, Monsieur Lysidas, que tout l'esprit et toute la beauté sont dans les Poèmes sérieux, et que les Pièces Comiques sont des niaiseries qui ne méritent aucune louange ? Assurément, Madame, et quand pour la difficulté vous mettriez un plus du côté de la Comédie, peut-être que vous ne vous abuseriez pas. Car enfin, je trouve qu'il est bien plus aisé de se guinder sur de grands sentiments, de braver en Vers la Fortune, accuser les Destins, et dire des injures aux Dieux, que d'entrer comme il faut dans le ridicule des hommes, et de rendre agréablement sur le Théâtre les défauts de tout le monde. Lorsque vous peignez des Héros, vous faites ce que vous voulez ; ce sont des portraits à plaisir, où l'on ne cherche point de ressemblance ; et vous n'avez qu'à suivre les traits d'une imagination qui se donne l'essor, et qui souvent laisse le vrai pour attraper le merveilleux. Mais lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d'après Nature ; on veut que ces portraits ressemblent ; et vous n'avez rien fait si vous n'y faites reconnaître les gens de votre siècle. En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit, pour n'être point blâmé, de dire des choses qui soient de bon sens, et bien écrites : Mais ce n'est pas assez dans les autres ; il y faut plaisanter ; et c'est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens. Pour toi, Marquis, je ne m'en étonne pas ; c'est que tu n'y as point trouvé de Turlupinades. La Cour n'a pas trouvé cela. Achevez, Monsieur Lysidas. Je vois bien que vous voulez dire que la Cour ne se connaît pas à ces choses ; et c'est le refuge ordinaire de vous autres Messieurs les Auteurs, dans le mauvais succès de vos ouvrages, que d'accuser l'injustice du siècle, et le peu de lumière des Courtisans. Sachez, s'il vous plaît, Monsieur Lysidas, que les Courtisans ont d'aussi bons yeux que d'autres ; qu'on peut être habile avec un point de Venise, et des plumes, aussi bien qu'avec une perruque courte, et un petit rabat uni : que la grande épreuve de toutes vos Comédies, c'est le jugement de la Cour ; que c'est son goût qu'il faut étudier pour trouver l'art de réussir ; qu'il n'y a point de lieu où les décisions soient si justes ; et sans mettre en ligne de compte tous les gens savants qui y sont, que du simple bon sens naturel et du commerce de tout le beau monde, on s'y fait une manière d'esprit, qui, sans comparaison, juge plus finement des choses, que tout le savoir enrouillé des Pédants. La Cour a quelques ridicules, j'en demeure d'accord, et je suis, comme on voit, le premier à les fronder. Mais, ma foi, il y en a un grand nombre parmi les beaux Esprits de profession ; et si l'on joue quelques Marquis, je trouve qu'il y a bien plus de quoi jouer les Auteurs, et que ce serait une chose plaisante à mettre sur le Théâtre, que leurs grimaces savantes, et leurs raffinements ridicules ; leur vicieuse coutume d'assassiner les gens de leurs ouvrages ; leur friandise de louanges ; leurs ménagements de pensées ; leur trafic de réputation ; et leurs ligues offensives et défensives ; aussi bien que leurs guerres d'esprit, et leurs combats de Prose, et de Vers. C'est qu'il est généreux de se ranger du côté des affligés. Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles dont vous embarrassez les ignorants, et nous étourdissez tous les jours. Il semble, à vous ouïr parler, que ces règles de l'art soient les plus grands Mystères du monde, et cependant ce ne sont que quelques observations aisées que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l'on prend à ces sortes de Poèmes ; et le même bon sens qui a fait autrefois ces observations, les fait aisément tous les jours, sans le secours d'Horace et d'Aristote. Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est pas de plaire ; et si une pièce de Théâtre qui a attrapé son but n'a pas suivi un bon chemin. Veut-on que tout un public s'abuse sur ces sortes de choses, et que chacun n'y soit pas juge du plaisir qu'il y prend ? Et c'est ce qui marque, Madame, comme on doit s'arrêter peu à leurs disputes embarrassées. Car enfin, si les pièces qui sont selon les règles ne plaisent pas, et que celles qui plaisent ne soient pas selon les règles, il faudrait de nécessité que les règles eussent été mal faites. Moquons-nous donc de cette chicane où ils veulent assujettir le goût du public, et ne consultons dans une Comédie que l'effet qu'elle fait sur nous. Laissons-nous aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par les entrailles, et ne cherchons point de raisonnements pour nous empêcher d'avoir du plaisir. C'est justement comme un homme qui aurait trouvé une sauce, excellente, et qui voudrait examiner si elle est bonne, sur les préceptes du Cuisinier français. Vous avez raison Madame, de les trouver étranges tous ces raffinements mystérieux. Car enfin, s'ils ont lieu, nous voilà réduits à ne nous plus croire ; nos propres sens seront esclaves en toutes choses ; et jusques au manger et au boire, nous n'oserons plus trouver rien de bon, sans le congé de messieurs les experts. Tout beau, Monsieur Lysidas, je ne vous accorde pas cela. Je dis bien que le grand art est de plaire, et que cette Comédie ayant plu à ceux pour qui elle est faite, je trouve que c'est assez pour elle, et qu'elle doit peu se soucier du reste. Mais avec cela, je soutiens qu'elle ne pèche contre aucune des règles dont vous parlez. Je les ai lues, Dieu merci, autant qu'un autre, et je ferais voir aisément que peut-être, n'avons-nous point de pièce au Théâtre plus régulière que celle-là. Ah ! Monsieur Lysidas, vous nous assommez avec vos grands mots. Ne paraissez point si savant, de grâce ; humanisez votre discours, et parlez pour être entendu. Pensez-vous qu'un nom grec donne plus de poids à vos raisons ? Et ne trouveriez-vous pas qu'il fût aussi beau de dire, l'exposition du sujet, que la Protase ; le nœud, que l'Épitase ; et le dénouement, que la Péripétie ? Il faut voir. Peut-être. Volontiers. Il… Laisse-moi donc faire. Si… Oui, si tu parles toujours. Premièrement, il n'est pas vrai de dire que toute la pièce n'est qu'en récits. On y voit beaucoup d'actions qui se passent sur la Scène ; et les récits eux-mêmes y sont des actions suivant la constitution du sujet, d'autant qu'ils sont tous faits innocemment, ces récits, à la personne intéressée, qui par là entre à tous coups dans une confusion à réjouir les spectateurs, et prend à chaque nouvelle toutes les mesures qu'il peut pour se parer du malheur qu'il craint. Pour ce qui est des enfants par l'oreille, ils ne sont plaisants que par réflexion à Arnolphe ; et l'Auteur n'a pas mis cela pour être de soi un bon mot : mais seulement pour une chose qui caractérise l'homme, et peint d'autant mieux son extravagance, puisqu'il rapporte une sottise triviale qu'a dite Agnès, comme la chose la plus belle du monde et qui lui donne une joie inconcevable. Quant à l'argent qu'il donne librement, outre que la lettre de son meilleur ami lui est une caution suffisante, il n'est pas incompatible qu'une personne soit ridicule en de certaines choses, et honnête homme en d'autres. Et pour la Scène d'Alain et de Georgette dans le logis, que quelques-uns ont trouvée longue et froide, il est certain qu'elle n'est pas sans raison ; et de même qu'Arnolphe se trouve attrapé pendant son voyage, par la pure innocence de sa maîtresse, il demeure au retour longtemps à sa porte par l'innocence de ses valets, afin qu'il soit partout puni par les choses qu'il a cru faire la sûreté de ses précautions. Pour le discours moral que vous appelez un sermon, il est certain que de vrais dévots qui l'ont ouï n'ont pas trouvé qu'il choquât ce que vous dites ; et sans doute que ces paroles d'enfer et de chaudières bouillantes sont assez justifiées par l'extravagance d'Arnolphe et par l'innocence de celle à qui il parle. Et quant au transport amoureux du cinquième acte qu'on accuse d'être trop outré et trop comique, je voudrais bien savoir si ce n'est pas faire la satire des amants, et si les honnêtes gens même, et les plus sérieux, en de pareilles occasions, ne font pas des choses ?… Fort bien. Mais enfin si nous nous regardions nous-mêmes, quand nous sommes bien amoureux ?… Écoute-moi si tu veux. Est-ce que dans la violence de la passion ?… Quoi ?… Je ne sais pas si ?… Vous avez raison. Il est vrai, Marquis. Oui ; mais quel dénouement pourrait-il trouver à ceci ? Car il ne saurait y avoir ni mariage, ni reconnaissance ; et je ne sais point par où l'on pourrait faire finir la dispute. Ah ! voilà justement ce qu'il faut pour le dénouement que nous cherchions, et l'on ne peut rien trouver de plus naturel. On disputera fort et ferme de part et d'autre, comme nous avons fait, sans que personne se rende ; un petit laquais viendra dire qu'on a servi ; on se lèvera, et chacun ira souper. **** *creator_moliere *book_moliere_critiqueecoledesfemmes *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_critiqueecoledesfemmes *dist2_moliere_prose_comedy *id_lysidas *date_1663 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lysidas Madame ; je viens un peu tard ; mais il m'a fallu lire ma Pièce chez Madame la Marquise, dont je vous avais parlé ; et les louanges, qui lui ont été données, m'ont retenu une heure, plus que je ne croyais. Tous ceux qui étaient là, doivent venir à sa première représentation, et m'ont promis de faire leur devoir comme il faut. Je pense Madame, que vous retiendrez aussi une loge pour ce jour-là. Je vous donne avis, Madame, qu'elles sont presque toutes retenues. Sur quoi, Madame ? Ha, ha. Je n'ai rien à dire là-dessus ; et vous savez qu'entre nous autres Auteurs, nous devons parler des Ouvrages les uns des autres, avec beaucoup de circonspection. Moi, Monsieur ? Je la trouve fort belle. Assurément ; pourquoi non ? N'est-elle pas en effet la plus belle du monde ? Pardonnez-moi. Moi Monsieur ? Hay, hay, hay. Il est vrai qu'elle n'est pas approuvée par les Connaisseurs. Ce n'est pas ma coutume de rien blâmer, et je suis assez indulgent pour les ouvrages des autres. Mais enfin, sans choquer l'amitié que Monsieur le Chevalier témoigne pour l'Auteur, on m'avouera que ces sortes de Comédies ne sont pas proprement des Comédies, et qu'il y a une grande différence de toutes ces bagatelles, à la beauté des pièces sérieuses. Cependant tout le monde donne là dedans aujourd'hui ; on ne court plus qu'à cela ; et l'on voit une solitude effroyable aux grands ouvrages, lorsque des sottises ont tout Paris. Je vous avoue que le cœur m'en saigne quelquefois, et cela est honteux pour la France. Ma foi, Monsieur, ce qu'on y rencontre ne vaut guère mieux, et toutes les plaisanteries y sont assez froides, à mon avis. Ah ! Monsieur, la Cour. Molière est bien heureux, Monsieur, d'avoir un protecteur aussi chaud que vous. Mais enfin, pour venir au fait, il est question de savoir si sa pièce est bonne, et je m'offre d'y montrer partout cent défauts visibles. Ceux qui possèdent Aristote et Horace voient d'abord, Madame, que cette comédie pèche contre toutes les règles de l'art. Enfin, Monsieur, toute votre raison, c'est que L'École des Femmes a plu ; et vous ne vous souciez point qu'elle soit dans les règles pourvu… Quoi, Monsieur, la Protase, l'Épitase, et la Péripétie ?… Ce sont termes de l'art dont il est permis de se servir. Mais puisque ces mots blessent vos oreilles, je m'expliquerai d'une autre façon, et je vous prie de répondre positivement à trois ou quatre choses que je vais dire. Peut-on souffrir une pièce qui pèche contre le nom propre des pièces de Théâtre ? Car enfin le nom de poème Dramatique vient d'un mot grec, qui signifie agir, pour montrer que la nature de ce poème consiste dans l'action ; et dans cette comédie-ci il ne se passe point d'actions, et tout consiste en des récits que vient faire ou Agnès ou Horace. Est-il rien de si peu spirituel, ou, pour mieux dire, rien de si bas, que quelques mots où tout le monde rit, et surtout celui des enfants par l'oreille ? La Scène du valet et de la servante au dedans de la maison, n'est-elle pas d'une longueur ennuyeuse, et tout à fait impertinente ? Arnolphe ne donne-t-il pas trop librement son argent à Horace ; et puisque c'est le personnage ridicule de la pièce, fallait-il lui faire faire l'action d'un honnête homme ? Le sermon, et les Maximes ne sont-elles pas des choses ridicules, et qui choquent, même, le respect que l'on doit à nos mystères ? Et ce Monsieur de la Souche, enfin, qu'on nous fait un homme d'esprit, et qui paraît si sérieux en tant d'endroits, ne descend-il point dans quelque chose de trop Comique, et de trop outré au cinquième Acte, lorsqu'il explique à Agnès la violence de son amour avec ces roulements d'yeux extravagants, ces soupirs ridicules, et ces larmes niaises qui font rire tout le monde ? Je laisse cent mille autres choses de peur d'être ennuyeux. Je ne refuserais pas le mien, que je pense. **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_eraste *date_1656 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_eraste Veux-tu que je te dise ? une atteinte secrète Ne laisse point mon âme en une bonne assiette : Oui, quoi qu'à mon amour tu puisses repartir, Il craint d'être la dupe, à ne te point mentir : Qu'en faveur d'un rival ta foi ne se corrompe, Ou du moins, qu'avec moi, toi-même on ne te trompe. Souvent d'un faux espoir un amant est nourri ; Le mieux reçu toujours n'est pas le plus chéri ; Et tout ce que d'ardeur font paraître les femmes Parfois n'est qu'un beau voile à couvrir d'autres flammes. Valère enfin, pour être un amant rebuté, Montre depuis un peu trop de tranquillité ; Et ce qu'à ces faveurs, dont tu crois l'apparence, Il témoigne de joie ou bien d'indifférence M'empoisonne à tous coups leurs plus charmants appas, Me donne ce chagrin que tu ne comprends pas ; Tient mon bonheur en doute, et me rend difficile Une entière croyance aux propos de Lucile. Je voudrais, pour trouver un tel destin plus doux, Y voir entrer un peu de son transport jaloux, Et sur ses déplaisirs et son impatience Mon âme prendrait lors une pleine assurance. Toi-même, penses-tu, qu'on puisse, comme il fait, Voir chérir un rival d'un esprit satisfait ? Et, si tu n'en crois rien, dis-moi, je t'en conjure, Si j'ai lieu de rêver dessus cette aventure. Lorsque par les rebuts une âme est détachée, Elle veut fuir l'objet dont elle fut touchée, Et ne rompt point sa chaîne avec si peu d'éclat, Qu'elle puisse rester en un paisible état : De ce qu'on a chéri la fatale présence Ne nous laisse jamais dedans l'indifférence ; Et, si de cette vue on n'accroît son dédain, Notre amour est bien près de nous rentrer au sein. Enfin, crois-moi, si bien qu'on éteigne une flamme, Un peu de jalousie occupe encore une âme, Et l'on ne saurait voir, sans en être piqué, Posséder par un autre un cœur qu'on a manqué. Voilà de tes discours. Comment ? Quoi ? Apprends-moi donc de grâce, Qui te fait me chercher. Ha ! chère Marinette, Ton discours de ton cœur est-il bien l'interprète ? Ne me déguise point un mystère fatal, Je ne t'en voudrai pas pour cela plus de mal : Au nom des Dieux, dis-moi si ta belle maîtresse N'abuse point mes vœux d'une fausse tendresse. Eh bien, n'en parlons plus, que venais-tu m'apprendre ? Vous m'avez dit que votre amour Était capable de tout faire, Il se couronnera lui-même dans ce jour, S'il peut avoir l'aveu d'un père. Faites parler les droits qu'on a dessus mon cœur ; Je vous en donne la licence : Et, si c'est en votre faveur, Je vous réponds de mon obéissance. Ah ! quel bonheur ! Ô toi, qui me l'as apporté Je te dois regarder comme une Déité. Faites parler les droits qu'on a dessus mon cœur ; Je vous en donne la licence : Et, si c'est en votre faveur, Je vous réponds de mon obéissance. Ha, cache-lui, de grâce, une peur passagère Où mon âme a cru voir quelque peu de lumière ; Ou, si tu la lui dis, ajoute que ma mort Est prête d'expier l'erreur de ce transport ; Que je vais à ses pieds, si j'ai pu lui déplaire, Sacrifier ma vie à sa juste colère. Au reste, je te dois beaucoup, et je prétends Reconnaître dans peu de la bonne manière Les soins d'une si noble et si belle courrière. Hé bien ? Où donc ? Ha, j'entends. Il est vrai, j'ai tardé trop longtemps À m'acquitter vers toi d'une telle promesse : Mais… Celle-ci peut-être aura de quoi Te plaire. Accepte-la pour celle que je dois. Quand puis-je rendre grâce à cet ange adorable ? Mais, s'il me rebutait, dois-je… Adieu, nous en saurons le succès dans ce jour. Valère vient à nous. Hé bien ? Seigneur Valère. En quel état l'amour ? Plus forts de jour en jour. Pour Lucile ? Certes, je l'avouerai, vous êtes le modèle D'une rare constance. Pour moi, je suis peu fait à cet amour austère, Qui dans les seuls regards trouve à se satisfaire, Et je ne forme point d'assez beaux sentiments, Pour souffrir constamment les mauvais traitements. Enfin, quand j'aime bien, j'aime fort que l'on m'aime. Lucile cependant… Vous êtes donc facile à contenter… Je puis croire pourtant, Sans trop de vanité, que je suis en sa grâce. Ne vous abusez point ; croyez-moi. Si j'osais vous montrer une preuve assurée Que son cœur… non ; votre âme en serait altérée. Vraiment, vous me poussez ; et contre mon envie Votre présomption veut que je l'humilie. Lisez. Vous connaissez la main ? Hé bien ? cet espoir si certain… Certes, il me surprend, et j'ignore, entre nous, Quel diable de mystère est caché là-dessous. Oui, je le vois paraître. Feignons, pour le jeter sur l'amour de son maître. La rigueur est extrême : Doucement, Mascarille. Vous nous fuyez bien vite ? Hé quoi ! vous fais-je peur ? Touche : nous n'avons plus sujet de jalousie ; Nous devenons amis, et mes feux que j'éteins Laissent la place libre à vos heureux desseins. Gros-René sait qu'ailleurs je me jette. J'ai su qu'en ses amours ton maître était trop bien ; Et je serais un fou de prétendre plus rien Aux étroites faveurs qu'il a de cette belle. Hé ! que dis-tu ? Vous en avez menti. Vous êtes un coquin. Et cette audace Mériterait cent coups de bâton sur la place. Ha ! Gros-René. Je démens un discours dont je n'ai que trop peur Tu penses fuir ? Quoi ! Lucile est la femme… Ha ! vous raillez ! infâme. Il est donc vrai ? Que dis-tu donc ? Assure, Ou si c'est chose vraie, ou si c'est imposture. Veux-tu dire ? voici, Sans marchander, de quoi te délier la langue. Tu mourras, ou je veux que la vérité pure S'exprime par ta bouche. Parle : mais prends bien garde à ce que tu vas faire ; À ma juste fureur rien ne te peut soustraire, Si tu mens d'un seul mot en ce que tu diras. Ce mariage est vrai ? Ôte-toi de mes yeux, maraud. Hé bien ! Las ! il ne l'est que trop, le bourreau détestable. Je vois trop d'apparence à tout ce qu'il a dit : Et ce qu'a fait Valère, en voyant cet écrit, Marque bien leur concert, et que c'est une baye Qui sert sans doute aux feux dont l'ingrate le paye. Oses-tu me parler, âme double, et traîtresse ? Va, sors de ma présence, et dis à ta maîtresse, Qu'avecque ses écrits elle me laisse en paix, Et que voilà l'état, infâme, que j'en fais. Encore rebuté ? L'ingrate ! recevoir avec tant de fierté Le prompt retour d'un cœur justement emporté ! Quoi ! le premier transport d'un amour qu'on abuse Sous tant de vraisemblance est indigne d'excuse ? Et ma plus vive ardeur en ce moment fatal Devait être insensible au bonheur d'un rival ? Tout autre n'eût pas fait même chose en ma place ? Et se fût moins laissé surprendre à tant d'audace ? De mes justes soupçons suis-je sorti trop tard ? Je n'ai point attendu de serments de sa part ; Et, lorsque tout le monde encor ne sait qu'en croire, Ce cœur impatient lui rend toute sa gloire, Il cherche à s'excuser, et le sien voit si peu Dans ce profond respect la grandeur de mon feu ? Loin d'assurer une âme, et lui fournir des armes, Contre ce qu'un rival lui veut donner d'alarmes, L'ingrate m'abandonne à mon jaloux transport, Et rejette de moi, message, écrit, abord ? Ha ! sans doute, un amour a peu de violence, Qu'est capable d'éteindre une si faible offense, Et ce dépit si prompt à s'armer de rigueur Découvre assez pour moi tout le fond de son cœur, Et de quel prix doit être à présent à mon âme Tout ce dont son caprice a pu flatter ma flamme. Non je ne prétends plus demeurer engagé Pour un cœur, où je vois le peu de part que j'ai ; Et, puisque l'on témoigne une froideur extrême À conserver les gens, je veux faire de même. Pour moi, sur toutes choses, un mépris me surprend ; Et, pour punir le sien par un autre aussi grand, Je veux mettre en mon cœur une nouvelle flamme. C'est fort bien raisonner. Ne te mets pas en peine. Non, non ; ne croyez pas, Madame, Que je revienne encor vous parler de ma flamme ; C'en est fait ; je me veux guérir, et connais bien Ce que de votre cœur a possédé le mien. Un courroux si constant pour l'ombre d'une offense M'a trop bien éclairé de votre indifférence, Et je dois vous montrer que les traits du mépris Sont sensibles surtout aux généreux esprits. Je l'avouerai, mes yeux observaient dans les vôtres Des charmes qu'ils n'ont point trouvés dans tous les autres, Et le ravissement où j'étais de mes fers Les aurait préférés à des sceptres offerts : Oui, mon amour pour vous, sans doute, était extrême, Je vivais tout en vous ; et, je l'avouerai même, Peut-être qu'après tout j'aurai, quoiqu'outragé, Assez de peine encore à m'en voir dégagé : Possible que, malgré la cure qu'elle essaie, Mon âme saignera longtemps de cette plaie, Et qu'affranchi d'un joug qui faisait tout mon bien, Il faudra se résoudre à n'aimer jamais rien. Mais, enfin, il n'importe ; et puisque votre haine Chasse un cœur tant de fois que l'amour vous ramène, C'est la dernière ici des importunités, Que vous aurez jamais de mes vœux rebutés. Hé bien, Madame, hé bien, ils seront satisfaits : Je romps avecque vous, et j'y romps pour jamais, Puisque vous le voulez ; que je perde la vie Lorsque de vous parler je reprendrai l'envie. Non, non, n'ayez pas peur Que je fausse parole ; eussé-je un faible cœur Jusques à n'en pouvoir effacer votre image, Croyez que vous n'aurez jamais cet avantage, De me voir revenir. Moi-même, de cent coups je percerais mon sein, Si j'avais jamais fait cette bassesse insigne, De vous revoir, après ce traitement indigne. Oui, oui ; n'en parlons plus : Et pour trancher ici tous propos superflus, Et vous donner, ingrate, une preuve certaine, Que je veux sans retour sortir de votre chaîne, Je ne veux rien garder, qui puisse retracer Ce que de mon esprit il me faut effacer. Voici votre portrait, il présente à la vue Cent charmes merveilleux dont vous êtes pourvue, Mais il cache sous eux cent défauts aussi grands, Et c'est un imposteur enfin que je vous rends. Il est à vous encor ce bracelet. Vous m'aimez d'une amour extrême, Éraste ; et de mon cœur voulez être éclairci : Si je n'aime Éraste de même, Au moins, aimé-je fort qu'Éraste m'aime ainsi. Voilà qui m'assurait à jamais de vos feux ? Et la main, et la lettre, ont menti toutes deux. Elle est de vous ? suffit : même fortune. Et, grâce au Ciel, c'est tout. Que sois-je exterminé, si je ne tiens parole. Adieu donc. Ha ! Lucile, Lucile, un cœur comme le mien Se fera regretter, et je le sais fort bien. Non, non, cherchez partout, vous n'en aurez jamais De si passionné pour vous, je vous promets. Je ne dis pas cela pour vous rendre attendrie ; J'aurais tort d'en former encore quelque envie, Mes plus ardents respects n'ont pu vous obliger, Vous avez voulu rompre ; il n'y faut plus songer : Mais personne après moi, quoi qu'on vous fasse entendre, N'aura jamais pour vous de passion si tendre. Quand on aime les gens, on peut de jalousie, Sur beaucoup d'apparence, avoir l'âme saisie : Mais alors qu'on les aime, on ne peut en effet Se résoudre à les perdre, et vous vous l'avez fait. On voit d'un œil plus doux une offense amoureuse. Non, Lucile, jamais vous ne m'avez aimé. Pourquoi ? Nous rompons ? Et vous voyez cela d'un esprit satisfait ? Comme moi ! Mais, cruelle, c'est vous qui l'avez bien voulu. Moi ! je vous ai cru là faire un plaisir extrême. Mais, si mon cœur encor revoulait sa prison ? Si, tout fâché qu'il est, il demandait pardon ?… Ha ! vous ne pouvez pas trop tôt me l'accorder, Ni moi sur cette peur trop tôt le demander ; Consentez-y, Madame, une flamme si belle, Doit pour votre intérêt demeurer immortelle. Je le demande enfin : me l'accorderez-vous, Ce pardon obligeant ? Je prenais intérêt tantôt à tout ceci ; Mais enfin, comme Ascagne a pris sur lui l'affaire, Je ne veux plus en prendre, et je le laisse faire. Il saura pour tous vous mettre à la raison. Mais, vous ne songez pas en tenant ce langage, Qu'il reste encore ici des sujets de carnage : Voilà bien à tous deux notre amour couronné, Mais de son Mascarille, et de mon Gros-René, Par qui doit Marinette être ici possédée ? Il faut que par le sang l'affaire soit vidée. **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_albert *date_1656 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_albert Rentrez, Lucile, et me faites venir Le précepteur, je veux un peu l'entretenir, Et m'informer de lui qui me gouverne Ascagne, S'il sait point quel ennui depuis peu l'accompagne. En quel gouffre de soins et de perplexité Nous jette une action faite sans équité ! D'un enfant supposé par mon trop d'avarice Mon cœur depuis longtemps souffre bien le supplice, Et, quand je vois les maux où je me suis plongé, Je voudrais à ce bien n'avoir jamais songé. Tantôt je crains de voir, par la fourbe éventée, Ma famille en opprobre et misère jetée ; Tantôt, pour ce fils-là, qu'il me faut conserver, Je crains cent accidents qui peuvent arriver. S'il advient que dehors quelque affaire m'appelle, J'appréhende au retour cette triste nouvelle, Las ! vous ne savez pas ? vous l'a-t-on annoncé ? Votre fils a la fièvre, ou jambe, ou bras cassé. Enfin, à tous moments, sur quoi que je m'arrête, Cent sortes de chagrins me roulent par la tête. Ha ! Maître, j'ai voulu… Je meure, Si je savais cela. Mais, soit ; à la bonne heure. Maître, donc… Je veux poursuivre aussi ; Mais ne poursuivez point, vous, d'interrompre ainsi. Donc, encore une fois, Maître c'est la troisième, Mon fils me rend chagrin ; vous savez que je l'aime, Et que soigneusement je l'ai toujours nourri. Maître, en discourant ensemble, Ce jargon n'est pas fort nécessaire, me semble ; Je vous crois grand Latin, et grand Docteur juré ; Je m'en rapporte à ceux qui m'en ont assuré : Mais, dans un entretien qu'avec vous je destine, N'allez point déployer toute votre doctrine, Faire le pédagogue, et cent mots me cracher, Comme si vous étiez en chaire pour prêcher. Mon père, quoiqu'il eût la tête des meilleures, Ne m'a jamais rien fait apprendre que mes heures, Qui, depuis cinquante ans dites journellement, Ne sont encor pour moi que du haut Allemand. Laissez donc en repos votre science auguste, Et que votre langage à mon faible s'ajuste. À mon fils, l'hymen semble lui faire peur, Et, sur quelque parti que je sonde son cœur, Pour un pareil lien il est froid, et recule. Mon Dieu, Maître éternel, laissez là, je vous prie, Les Grecs, les Albanais, avec l'Esclavonie Et tous ces autres gens dont vous venez parler ; Eux et mon fils n'ont rien ensemble à démêler. Je ne sais si dans l'âme, Il ne sentirait point une secrète flamme. Quelque chose le trouble, ou je suis fort déçu, Et je l'aperçus hier, sans en être aperçu, Dans un recoin du bois où nul ne se retire. Comment aurait-il pu l'avoir dit, ce Virgile ? Puisque je suis certain que dans ce lieu tranquille Âme du monde enfin n'était lors que nous deux. Et moi, je vous dis, moi, que je n'ai pas besoin De terme plus choisi, d'auteur ni de témoin, Et qu'il suffit ici de mon seul témoignage. Homme, ou démon, veux-tu m'entendre sans conteste ? La peste Soit du causeur ! Je serai le diable qui t'emporte, Chien d'homme. Ô ! que je suis tenté d'étrange sorte De faire sur ce mufle une application ! Je veux que l'on m'écoute, Vous ai-je dit vingt fois, quand je parle. Vous ferez sagement. Tant mieux. Dieu vous en fasse la grâce. Ainsi soit-il. J'y vais. C'est assez dit. Je le crois. Suffit. Fort bien. Le traître ! Donc, bourreau détestable… Ma patience est bien… Je n'ai pas dit… J'enrage. Parbleu, tu te tairas ! Qui frappe ? Ho ! ho ! qui te peut amener ? Mascarille. Ha ! vraiment, tu prends beaucoup de peine ! De tout mon cœur, bonjour. Encor ? Ne m'as-tu pas donné le bonjour ? Eh bien, bonjour, te dis-je. Ha ! c'est un autre fait. Ton maître t'a chargé De me saluer ? Je lui suis obligé ; Va, que je lui souhaite une joie infinie. Hé bien ! quand il voudra je suis à son service. Hé ! quelle est-elle encor l'affaire qui l'oblige À me vouloir parler ? Ô ! Juste Ciel, je tremble ! Car enfin nous avons peu de commerce ensemble. Quelque tempête va renverser mes desseins, Et ce secret sans doute est celui que je crains. L'espoir de l'intérêt m'a fait quelque infidèle, Et voilà sur ma vie une tache éternelle ; Ma fourbe est découverte. Ô ! que la vérité Se peut cacher longtemps avec difficulté ! Et qu'il eût mieux valu pour moi, pour mon estime, Suivre les mouvements d'une peur légitime, Par qui je me suis vu tenté plus de vingt fois, De rendre à Polydore un bien que je lui dois, De prévenir l'éclat où ce coup-ci m'expose, Et faire qu'en douceur passât toute la chose. Mais hélas ! c'en est fait, il n'est plus de saison, Et ce bien par la fraude entré dans ma maison N'en sera point tiré, que dans cette sortie Il n'entraîne du mien la meilleure partie. Dieu ! Polydore vient ! La crainte me retient. Quel sera mon langage ? Il change de visage. Hélas ! oui. J'en dois rougir de honte, et de confusion. Dieu fait miséricorde au pécheur misérable. Il faut être Chrétien. Grâce, au nom de Dieu, grâce, ô Seigneur Polydore. Afin de l'obtenir je me jette à genoux. Prenez quelque pitié de ma triste aventure. Vous me fendez le cœur avec cette bonté. Pardon, encore un coup. J'ai de cette action une douleur extrême. J'ose vous convier qu'elle n'éclate point. Conservons mon honneur. Quant au bien qu'il faudra, vous-même en résoudrez. Ha ! quel homme de Dieu ! quel excès de douceur ! Que puissiez-vous avoir toutes choses prospères. Embrassons-nous en frères. J'en rends grâces au Ciel. Heu ? que parlez-vous là de faute, et de Lucile ? Ô ! Dieu, quelle méprise ! et qu'est-ce qu'il m'apprend ! Je rentre ici d'un trouble en un autre aussi grand : Dans ces divers transports je ne sais que répondre, Et, si je dis un mot, j'ai peur de me confondre. À rien : Remettons, je vous prie, à tantôt l'entretien : Un mal subit me prend, qui veut que je vous laisse. Plus je reviens du trouble où j'ai donné d'abord, Plus je me sens piqué de ce discours étrange, Sur qui ma peur prenait un si dangereux change ; Car Lucile soutient que c'est une chanson, Et m'a parlé d'un air à m'ôter tout soupçon. Ha ! monsieur, est-ce vous, de qui l'audace insigne Met en jeu mon honneur, et fait ce conte indigne ? Comment gendre, coquin ? Tu portes bien la mine De pousser les ressorts d'une telle machine, Et d'en avoir été le premier inventeur. Trouves-tu beau, dis-moi, de diffamer ma fille ? Et faire un tel scandale à toute une famille ? Que voudrais-je, sinon qu'il dît des vérités ? Si quelque intention le pressait pour Lucile, La recherche en pouvait être honnête et civile, Il fallait l'attaquer du côté du devoir, Il fallait de son père implorer le pouvoir, Et non pas recourir à cette lâche feinte, Qui porte à la pudeur une sensible atteinte. Non, traître, et n'y sera jamais. Et, s'il est constant, toi, que cela ne soit pas, Veux-tu te voir casser les jambes et les bras ? Bon, voilà l'autre encor digne maître D'un semblable valet. Ô ! les menteurs hardis ! Ils s'entendent tous deux comme larrons en foire. Et si le démenti par elle vous en reste ? Il faut voir cette affaire. Holà, Lucile, un mot. Que veux-tu que je dise ? une telle aventure Me met tout hors de moi. Va, coquin, scélérat, sa main vient sur ta joue De faire une action dont son père la loue. Et nonobstant cela qu'on me coupe une oreille, Si tu portes fort loin une audace pareille. Veux-tu deux de mes gens qui te bâtonneront ? Leurs bras peuvent du mien réparer l'impuissance. Je te dis que j'aurai raison de tout ceci. Connais-tu bien Grimpant le bourreau de la ville ? Et la potence mise au milieu du marché ? Tu verras achever par eux ta destinée. Ce sont eux qui dans peu me vengeront de toi. Et ces yeux te verront faire la capriole. Et, pour signe, ton front nous le fait assez voir. Ô ! le fourbe damnable ! Va, rends grâce à mes ans qui me font incapables De punir sur-le-champ l'affront que tu me fais ; Tu n'en perds que l'attente, et je te le promets. Hé bien ? les combattants ? on amène le nôtre. Avez-vous disposé le courage du vôtre ? Il l'ignore : Mais il pourra dans peu le lui faire savoir. Et c'est là justement ce combat singulier, Qui devait envers nous réparer votre offense, Et pour qui les Édits n'ont point fait de défense. Cet habit, cher Valère, Souffre mal les discours que vous lui pourriez faire. Allons lui faire en prendre un autre ; et cependant Vous saurez le détail de tout cet incident. Allons, ce compliment se fera bien chez nous, Et nous aurons loisir de nous en faire tous. Pour la troisième fois, allons-nous-en chez nous Poursuivre en liberté des entretiens si doux. **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_gros-rene *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_grosrene Pour moi, me soupçonner de quelque mauvais tour, Je dirai, n'en déplaise à monsieur votre amour, Que c'est injustement blesser ma prud'homie Et se connaître mal en physionomie. Les gens de mon minois ne sont point accusés D'être, grâces à Dieu, ni fourbes, ni rusés : Cet honneur qu'on nous fait, je ne le démens guères, Et suis homme fort rond de toutes les manières. Pour que l'on me trompât, cela se pourrait bien ; Le doute est mieux fondé ; pourtant je n'en crois rien. Je ne vois point encore, ou je suis une bête, Sur quoi vous avez pu prendre martel en tête. Lucile, à mon avis, vous montre assez d'amour, Elle vous voit, vous parle, à toute heure du jour, Et Valère après tout qui cause votre crainte Semble n'être à présent souffert que par contrainte. Peut-être que son cœur a changé de désirs Connaissant qu'il poussait d'inutiles soupirs. Pour moi, je ne sais point tant de philosophie ; Ce que voyent mes yeux, franchement je m'y fie, Et ne suis point de moi si mortel ennemi, Que je m'aille affliger sans sujet ni demi, Pourquoi subtiliser, et faire le capable À chercher des raisons pour être misérable ? Sur des soupçons en l'air je m'irais alarmer ? Laissons venir la fête avant que la chômer. Le chagrin me paraît une incommode chose ; Je n'en prends point pour moi, sans bonne et juste cause ; Et même à mes yeux cent sujets d'en avoir S'offrent le plus souvent, que je ne veux pas voir. Avec vous en amour je cours même fortune ; Celle que vous aurez me doit être commune ; La maîtresse ne peut abuser votre foi, À moins que la suivante en fasse autant pour moi : Mais j'en fuis la pensée avec un soin extrême. Je veux croire les gens, quand on me dit je t'aime ; Et ne vais point chercher, pour m'estimer heureux, Si Mascarille ou non, s'arrache les cheveux. Que tantôt Marinette endure qu'à son aise Jodelet par plaisir la caresse et la baise, Et que ce beau rival en rie ainsi qu'un fou, À son exemple aussi j'en rirai tout mon soûl ; Et l'on verra qui rit avec meilleure grâce. Mais je la vois qui passe. Ssst, Marinette. Ma foi, Demande, nous étions tout à l'heure sur toi. Il fallait en jurer. À moins que Valère se pende, Bagatelle ; son cœur ne s'assurera point. Il est jaloux jusques en un tel point. Moi jaloux ? Dieu m'en garde, et d'être assez badin Pour m'aller emmaigrir avec un tel chagrin ; Outre que de ton cœur ta foi me cautionne, L'opinion que j'ai de moi-même est trop bonne Pour croire auprès de moi que quelque autre te plût, Où diantre pourrais-tu trouver qui me valût ? Je vous le disais bien contre votre croyance, Je ne me trompe guère aux choses que je pense. La Matoise ! Ho ! que non ! Pauvre honteuse, prends, sans davantage attendre. Refuser ce qu'on donne, est bon à faire aux fous. Un hymen qu'on souhaite Entre gens comme nous est chose bientôt faite. Je te veux. Me veux-tu de même ? Touche ; il suffit. Adieu, mon Astre. Adieu, chère comète, arc-en-Ciel de mon âme. Le bon Dieu soit loué, nos affaires vont bien ; Albert n'est pas un homme à vous refuser rien. Je plains le pauvre hère, Sachant ce qui se passe. Il est fou le bon Sire, Où vient-il donc, pour lui, de voir le mot pour rire ? Son valet vient, je pense. Bonjour. Où tend Mascarille à cette heure ? Que fait-il ? revient-il ? va-t-il ? ou s'il demeure ? Sans doute : et je te cède aussi la Marinette. Monsieur. Hé bien ! Monsieur : Nous en tenons tous deux, si l'autre est véritable. M'oses-tu bien encor parler ? femelle inique ? Crocodile trompeur, de qui le cœur félon Est pire qu'un Satrape ou bien qu'un Lestrigon ? Va, va rendre réponse à ta bonne maîtresse, Et lui dis bien et beau que, malgré sa souplesse, Nous ne sommes plus sots, ni mon maître, ni moi, Et désormais qu'elle aille au Diable avecque toi. Jamais Ambassadeur ne fut moins écouté : À peine ai-je voulu lui porter la nouvelle Du moment d'entretien que vous souhaitiez d'elle, Qu'elle m'a répondu, tenant son quant-à-moi, Va, va ; je fais état de lui, comme de toi : Dis-lui qu'il se promène ; et sur ce beau langage, Pour suivre son chemin m'a tourné le visage : Et Marinette aussi, d'un dédaigneux museau, Lâchant un Laisse-nous, beau valet de carreau, M'a planté là comme elle, et mon sort et le vôtre N'ont rien à se pouvoir reprocher 1'un à l'autre. Et moi de même aussi : soyons tous deux fâchés, Et mettons notre amour au rang des vieux péchés : Il faut apprendre à vivre à ce sexe volage, Et lui faire sentir que l'on a du courage. Qui souffre ses mépris les veut bien recevoir. Si nous avions l'esprit de nous faire valoir, Les femmes n'auraient pas la parole si haute. Ô ! qu'elles nous sont bien fières par notre faute ! Je veux être pendu, si nous ne les verrions Sauter à notre cou plus que nous ne voudrions, Sans tous ces vils devoirs, dont la plupart des hommes Les gâtent tous les jours dans le siècle où nous sommes. Et moi, je ne veux plus m'embarrasser de femme ; À toutes je renonce, et crois, en bonne foi, Que vous feriez fort bien de faire comme moi. Car, voyez-vous ? la femme est, comme on dit, mon maître, Un certain animal difficile à connaître, Et de qui la nature est fort encline au mal : Et comme un animal est toujours animal, Et ne sera jamais qu'animal, quand sa vie Durerait cent mille ans ; aussi, sans repartie, La femme est toujours femme, et jamais ne sera Que femme, tant qu'entier le monde durera. D'où vient qu'un certain Grec dit, que sa tête passe Pour un sable mouvant : car, goûtez bien, de grâce, Ce raisonnement-ci, lequel est des plus forts : Ainsi que la tête est comme le chef du corps, Et que le corps sans chef est pire qu'une bête ; Si le chef n'est pas bien d'accord avec la tête, Que tout ne soit pas bien réglé par le compas, Nous voyons arriver de certains embarras ; La partie brutale alors veut prendre empire Dessus la sensitive, et l'on voit que 1'un tire À dia, l'autre à hurhaut ; 1'un demande du mou, L'autre du dur ; enfin tout va sans savoir où : Pour montrer qu'ici-bas, ainsi qu'on l'interprète, La tête d'une femme est comme la girouette Au haut d'une maison, qui tourne au premier vent. C'est pourquoi le cousin Aristote souvent La compare à la mer ; d'où vient qu'on dit qu'au monde On ne peut rien trouver de si stable que l'onde. Or, par comparaison ; car la comparaison Nous fait distinctement comprendre une raison ; Et nous aimons bien mieux, nous autres gens d'étude, Une comparaison qu'une similitude. Par comparaison donc, mon maître, s'il vous plaît, Comme on voit que la mer, quand l'orage s'accroît, Vient à se courroucer, le vent souffle, et ravage, Les flots contre les flots font un remue-ménage Horrible, et le vaisseau, malgré le Nautonier, Va tantôt à la cave, et tantôt au grenier ; Ainsi, quand une femme a sa tête fantasque, On voit une tempête en forme de bourrasque, Qui veut compétiter par de certains… propos ; Et lors un… certain vent, qui par… de certains flots, De… certaine façon, ainsi qu'un banc de sable… Quand… les femmes enfin ne valent pas le diable. Assez bien, Dieu merci : Mais je les vois, Monsieur, qui passent par ici. Tenez-vous ferme au moins. J'ai bien peur que ses yeux resserrent votre chaîne. Bon. Poussez. N'ayez pas le dernier. Vous triomphez. Retirez-vous, après cet effort de courage. Que faut-il davantage ? Ha ! le faible courage ! J'en suis gonflé de rage : Ne t'imagine pas que je me rende ainsi. Viens, viens, frotter ton nez auprès de ma colère. Oui ? tu le prends par là ? Tiens, tiens, sans y chercher tant de façon, voilà Ton beau galant de neige, avec ta nonpareille : Il n'aura plus l'honneur d'être sur mon oreille. Tiens encor ton couteau ; la pièce est riche et rare : Il te coûta six blancs lorsque tu m'en fis don. J'oubliais d'avant-hier ton morceau de fromage ; Tiens : Je voudrais pouvoir rejeter le potage Que tu me fis manger, pour n'avoir rien à toi. Et des tiennes tu sais ce que j'en saurai faire ? Pour couper tout chemin à nous rapatrier, Il faut rompre la paille ; une paille rompue Rend, entre gens d'honneur, une affaire conclue, Ne fais point les doux yeux : je veux être fâché. Romps ; voilà le moyen de ne s'en plus dédire : Romps ; tu ris, bonne bête ! La peste soit ton ris ; voilà tout mon courroux Déjà dulcifié : Qu'en dis-tu ? romprons-nous ? Ou ne romprons-nous pas ? Vois toi. Est-ce que tu consens que jamais je ne t'aime ? Ce que tu voudras, toi. Dis… Ni moi non plus. Ma foi, nous ferons mieux de quitter la grimace ; Touche, je te pardonne. Mon Dieu ! qu'à tes appas je suis acoquiné ! Cela ne serait pas honnête. Écoute, quand l'hymen aura joint nos deux peaux, Je prétends qu'on soit sourde à tous les Damoiseaux. Bien entendu, je veux une femme sévère : Ou je ferai beau bruit. **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_valere *date_1656 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_valere Hé bien ? Seigneur Éraste. En quel état vos feux ? Et mon amour plus fort. Pour elle. Et votre fermeté Doit être un rare exemple à la postérité. Il est très naturel, et j'en suis bien de même : Le plus parfait objet dont je serais charmé N'aurait pas mes tributs, n'en étant point aimé. Lucile dans son âme Rend tout ce que je veux qu'elle rende à ma flamme. Pas tant Que vous pourriez penser. Moi, je sais que j'y tiens une assez bonne place. Croyez-moi, Ne laissez point duper vos yeux à trop de Foi. Si je vous osais, moi, découvrir en secret… Mais, je vous fâcherais, et veux être discret. Ces mots sont doux. Oui, de Lucile. Adieu, Seigneur Éraste. Si vous êtes tous deux en quelque conférence, Où je vous fasse tort de mêler ma présence, Je me retirerai. Moi ? Et comment ? Ces protestations ne coûtent pas grand-chose, Alors qu'à leur effet un pareil si s'oppose : Mais vous seriez bien pris, si quelque événement Allait mettre à l'épreuve un si doux compliment. Et si c'était quelqu'une, où par votre secours Vous puissiez être utile au bonheur de mes jours ? Cette confession n'est pas fort obligeante. Mais cela n'étant pas ? Ainsi donc il ne faut rien prétendre, Ascagne, à des bontés que vous auriez pour nous, À moins que le Ciel fasse un grand miracle en vous. Bref, si vous n'êtes fille, adieu votre tendresse ; Il ne vous reste rien qui pour nous s'intéresse ? Je n'avais jamais vu ce scrupule jaloux ; Mais tout nouveau qu'il est, ce mouvement m'oblige, Et je vous fais ici tout l'aveu qu'il exige. Oui, sans fard. J'ai bientôt à vous dire un important mystère, Où l'effet de ces mots me sera nécessaire. Hé ! de quelle façon cela pourrait-il être ? Expliquez-vous, Ascagne, et croyez par avance Que votre heur est certain, s'il est en ma puissance. Non, non ; dites l'objet pour qui vous m'employez. Votre discours m'étonne ; Plût à Dieu que ma sœur… Et pourquoi ? J'ai besoin pour cela de l'aveu de quelque autre. Adieu ; j'en suis content. Que fais-je tous les jours qui soit si criminel ? En quoi mériter tant le courroux paternel ? D'où peut venir ce coup ? mon âme embarrassée Ne voit que Mascarille ou jeter sa pensée : Il ne sera pas homme à m'en faire un aveu ; Il faut user d'adresse, et me contraindre un peu Dans ce juste courroux. Mascarille, mon père Que je viens de trouver sait toute notre affaire. Oui. Je ne sais point sur qui ma conjoncture asseoir ; Mais enfin d'un succès cette affaire est suivie Dont j'ai tous les sujets d'avoir l'âme ravie. Il ne m'en a pas dit un mot qui fût fâcheux ; Il excuse ma faute, il approuve mes feux, Et je voudrais savoir qui peut être capable D'avoir pu rendre ainsi son esprit si traitable. Je ne puis t'exprimer l'aise que j'en reçois. Bon, bon, tu voudrais bien ici m'en donner d'une. Mais, là, sans te railler ? Et qu'il m'entraîne, moi, si tout présentement Tu n'en vas recevoir le juste payement. C'est la fidélité que tu m'avais promise ? Sans ma feinte, jamais tu n'eusses avoué Le trait que j'ai bien cru que tu m'avais joué. Traître, de qui la langue à causer trop habile D'un père contre moi vient d'échauffer la bile, Qui me perds tout à fait, il faut sans discourir Que tu meures. Et si tous ces discours ne sont que des sornettes ? Nous verrons. Mais, Lucile… Monsieur, il est aisé de vous faire paraître Qu'il dit vrai. Quel serait notre but de vous en faire accroire ? Je crains… Pardon, charmant objet, un valet a parlé, Et j'ai vu malgré moi notre hymen révélé. On sait tout, adorable Lucile, Et vouloir déguiser est un soin inutile. C'est un bien qui me doit faire mille jaloux ; Mais j'impute bien moins ce bonheur de ma flamme, À l'ardeur de vos feux, qu'aux bontés de votre âme. Je sais que vous avez sujet de vous fâcher ; Que c'était un secret que vous vouliez cacher, Et j'ai de mes transports forcé la violence, À ne point violer votre expresse défense : Mais… C'en est fait son courroux ne peut être adouci. Hé bien ! ce beau succès que tu devais produire… Non, non ; ta fuite est superflue : Si tu meurs, je prétends que ce soit à ma vue. Suis-moi, traître, suis-moi ; mon amour en furie Te fera voir si c'est matière à raillerie. Je n'ai jamais trouvé de jour plus ennuyeux : Le soleil semble s'être oublié dans les Cieux ; Et jusqu'au lit qui doit recevoir sa lumière, Je vois rester encore une telle carrière, Que je crois que jamais il ne l'achèvera, Et que de sa lenteur mon âme enragera. Ne me fais point ici de contes superflus. Quand j'y devrais trouver cent embûches mortelles, Je sens de son courroux des gênes trop cruelles, Et je veux l'adoucir, ou terminer mon sort. C'est un point résolu. Fort bien. Et comment ? Ce mal te passera, prends du jus de réglisse. Oh ! qu'ils ne seront pas si méchants qu'ils le disent ! Et quelque belle ardeur que ses feux lui produisent, Éraste n'aura pas si bon marché de nous. Je vous suis obligé, Monsieur de la Rapière. C'est trop de complaisance. Monsieur de la Rapière, un homme de la sorte Doit être regretté, mais quant à votre escorte, Je vous rends grâce. Et moi, pour vous montrer combien je l'appréhende : Je lui veux, s'il me cherche, offrir ce qu'il demande : Et par toute la ville aller présentement, Sans être accompagné que de lui seulement. Que regardes-tu là ? Nous renfermer ! faquin ; Tu m'oses proposer un acte de coquin ! Sus, sans plus de discours, résous-toi de me suivre. Je m'en vais t'assommer de coups, si je t'entends. Ascagne vient ici ; laissons-le ; il faut attendre Quel parti de lui-même il résoudra de prendre. Cependant avec moi viens prendre à la maison Pour nous frotter. Chien de poltron ! Ce sentiment, mon père, Est d'un homme de cœur ; et je vous en révère. J'ai dû vous offenser, et je suis criminel D'avoir fait tout ceci sans l'aveu paternel ; Mais, à quelque dépit que ma faute vous porte, La nature toujours se montre la plus forte, Et votre honneur fait bien, quand il ne veut pas voir Que le transport d'Éraste ait de quoi m'émouvoir. Moi ! le fuir ! Dieu m'en garde. Et qui donc pourrait-ce être ? Ascagne ? Lui, qui de me servir m'avait donné sa foi ! Et Lucile, mon père, a d'un cœur endurci !… Ha ! c'est une impudence à me mettre en fureur : Elle a donc perdu sens, foi, conscience, honneur ? Oui, oui, me voilà prêt, puisqu'on m'y veut forcer ; Et, si j'ai pu trouver sujet de balancer, Un reste de respect en pouvait être cause, Et non pas la valeur du bras que l'on m'oppose. Mais c'est trop me pousser, ce respect est à bout ; À toute extrémité mon esprit se résout, Et l'on fait voir un trait de perfidie étrange, Dont il faut hautement que mon amour se venge. Non pas que cet amour prétende encore à vous ; Tout son feu se résout en ardeur de courroux, Et quand j'aurai rendu votre honte publique, Votre coupable hymen n'aura rien qui me pique. Allez, ce procédé, Lucile, est odieux : À peine en puis-je croire au rapport de mes yeux ; C'est de toute pudeur se montrer ennemie : Et vous devriez mourir d'une telle infamie. Il ne le fera pas, Quand il joindrait au sien encor vingt autres bras. Je le plains de défendre une sœur criminelle : Mais, puisque son erreur me veut faire querelle, Nous le satisferons, et vous, mon brave, aussi. C'est bien fait : la prudence est toujours de saison : Mais… Lui ? Sus donc que maintenant il me le fasse voir. Se moque-t-on de moi ? je casserai la tête À quelqu'un des rieurs. Enfin, voyons l'effet. Non, quand toute la terre après sa perfidie, Et les traits effrontés… Non, non ; je ne veux pas songer à m'en défendre ; Et, si cette aventure a lieu de me surprendre, La surprise me flatte, et je me sens saisir De merveille à la fois, d'amour, et de plaisir, Se peut-il que ces yeux ?… Vous, Lucile, pardon, si mon âme abusée… **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_lucile *date_1656 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_lucile C'en est fait ; c'est ainsi que je me puis venger : Et, si cette action a de quoi l'affliger, C'est toute la douceur que mon cœur s'y propose. Mon frère, vous voyez une métamorphose. Je veux chérir Valère après tant de fierté, Et mes vœux maintenant tournent de son côté. La vôtre me surprend avec plus de sujet : De vos soins autrefois Valère était l'objet ; Je vous ai vu pour lui m'accuser de caprice, D'aveugle cruauté, d'orgueil, et d'injustice, Et, quand je veux l'aimer, mon dessein vous déplaît, Et je vous vois parler contre son intérêt. Si ce n'est que cela, j'aurai soin de ma gloire ; Et je sais pour son cœur tout ce que j'en dois croire : Il s'explique à mes yeux intelligiblement. Ainsi, découvrez-lui, sans peur, mon sentiment : Ou, si vous refusez de le faire, ma bouche Lui va faire savoir que son ardeur me touche. Quoi ? mon frère, à ces mots vous restez interdit ! Mon frère, c'est assez ; Je ne sais point pour qui vous vous intéressez ; Mais, de grâce, cessons ce discours, je vous prie, Et me laissez un peu dans quelque rêverie. Un cœur ne pèse rien alors que l'on l'affronte ; Il court à sa vengeance, et saisit promptement Tout ce qu'il croit servir à son ressentiment. Le traître ! faire voir cette insolence extrême ! Rien ne s'est pu passer dont il faille être en peine, Puisque rien ne le doit défendre de ma haine. Quoi ! tu voudrais chercher hors de sa lâcheté La secrète raison de cette indignité ! Cet écrit malheureux dont mon âme s'accuse Peut-il à son transport souffrir la moindre excuse ? Hé bien, bien ; qu'il s'en vante, et rie à nos dépens ; Il n'aura pas sujet d'en triompher longtemps ; Et je lui ferai voir qu'en une âme bien faite Le mépris suit de près la faveur qu'on rejette. Que tu dis de folies ! Et choisis mal ton temps pour de telles saillies ! Enfin je suis touchée au cœur sensiblement, Et, si jamais celui de ce perfide amant Par un coup de bonheur, dont j'aurais tort, je pense, De vouloir à présent concevoir l'espérance (Car le Ciel a trop pris plaisir à m'affliger, Pour me donner celui de me pouvoir venger), Quand, dis-je, par un sort à mes désirs propice, Il reviendrait m'offrir sa vie en sacrifice, Détester à mes pieds l'action d'aujourd'hui, Je te défends surtout de me parler pour lui. Au contraire, je veux que ton zèle s'exprime À me bien mettre aux yeux la grandeur de son crime, Et même, si mon cœur était pour lui tenté De descendre jamais à quelque lâcheté, Que ton affection me soit alors sévère, Et tienne comme il faut la main à ma colère. Que me vient donc conter ce coquin assuré ? Sachons un peu, Monsieur, quelle belle saillie Fait ce conte galant qu'aujourd'hui l'on publie. Notre hymen ? Quoi ! l'ardeur de mes feux vous a fait mon Époux ? Est-il une imposture égale à celle-là ? Vous l'osez soutenir en ma présence même, Et pensez m'obtenir par ce beau stratagème ? Ô ! le plaisant amant ! dont la galante ardeur Veut blesser mon honneur au défaut de mon cœur, Et que mon père ému de l'éclat d'un sot conte, Paie avec mon hymen qui me couvre de honte. Quand tout contribuerait à votre passion, Mon père, les destins, mon inclination, On me verrait combattre, en ma juste colère Mon inclination, les destins, et mon père ; Perdre même le jour avant que de m'unir À qui par ce moyen aurait cru m'obtenir. Allez ; et si mon sexe, avec bienséance, Se pouvait emporter à quelque violence, Je vous apprendrais bien à me traiter ainsi. Quoi ! vous pouvez ouïr ces discours effrontés ! Et vous ne dites mot à ces indignités ! Et quoi donc confesser ? Et que s'est-il passé, monstre d'effronterie, Entre ton maître et moi ? C'est trop souffrir, mon père, un impudent valet. Ne me soupçonne pas d'être faible à ce point. Vous pouvez faire aux miens la grâce tout entière, Monsieur, et m'épargner encor cette dernière. Tant mieux ; c'est m'obliger. Ce serait bien en vain. Soit ; n'en parlons donc plus. Et moi, pour vous suivre au dessein de tout rendre, Voilà le diamant que vous m'aviez fait prendre. Et cette agate à vous qu'on fit mettre en cachet. Vous m'assuriez par là d'agréer mon service ? C'est une fausseté digne de ce supplice. J'ignore le destin de mon amour ardente, Et jusqu'à quand je souffrirai : Mais je sais, ô beauté charmante, Que toujours je vous aimerai. J'aurais regret d'en épargner aucune. Enfin, voilà le reste. Me confonde le Ciel, si la mienne est frivole. Adieu donc. Éraste, Éraste, un cœur fait comme est fait le vôtre Se peut facilement réparer par un autre. Quand on aime les gens, on les traite autrement ; On fait de leur personne un meilleur jugement. La plus pure jalousie est plus respectueuse. Non votre cœur, Éraste, était mal enflammé. Eh ! je crois que cela faiblement vous soucie : Peut-être en serait-il beaucoup mieux pour ma vie, Si je… mais laissons là ces discours superflus : Je ne dis point quels sont mes pensers là-dessus. Par la raison que nous rompons ensemble, Et que cela n'est plus de saison ce me semble. Oui vraiment ? quoi ? n'en est-ce pas fait ? Comme vous. Sans doute c'est faiblesse, De faire voir aux gens que leur perte nous blesse. Moi ! point du tout ; c'est vous qui l'avez résolu. Point, vous avez voulu vous contenter vous-même. Non, non, n'en faites rien, ma faiblesse est trop grande, J'aurais peur d'accorder trop tôt votre demande. Remenez-moi chez nous. Un semblable discours me pourrait affliger, Si je n'avais en main qui m'en saura venger. Voici venir Ascagne, il aura l'avantage De vous faire changer bien vite de langage, Et sans beaucoup d'effort. L'oubli de cette injure est une chose aisée. **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_marinette *date_1656 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_marinette Oh, oh. Que fais-tu là ? Vous êtes aussi là ! Monsieur, depuis une heure Vous m'avez fait trotter comme un Basque, je meure. Pour vous chercher j'ai fait dix mille pas, Et vous promets, ma foi… Que vous n'êtes pas Au temple, au cours, chez vous, ni dans la grande place. Quelqu'un, en vérité, Qui pour vous n'a pas trop mauvaise volonté. Ma maîtresse en un mot. Hé, hé, d'où vous vient donc ce plaisant mouvement ? Elle ne fait pas voir assez son sentiment ? Quel garant est-ce encor que votre amour demande ? Que lui faut-il ? Comment ? De Valère ? Ha ! vraiment la pensée est bien belle ! Elle peut seulement naître en votre cervelle ! Je vous croyais du sens, et jusqu'à ce moment ; J'avais de votre esprit quelque bon sentiment, Mais, à ce que je vois, je m'étais fort trompée. Ta tête de ce mal est-elle aussi frappée ? En effet, tu dis bien, voilà comme il faut être, Jamais de ces soupçons qu'un jaloux fait paraître ; Tout le fruit qu'on en cueille est de se mettre mal, Et d'avancer par là les desseins d'un rival : Au mérite souvent de qui l'éclat vous blesse, Vos chagrins font ouvrir les yeux d'une maîtresse ; Et j'en sais tel qui doit son destin le plus doux Aux soins trop inquiets de son rival jaloux. Enfin, quoi qu'il en soit, témoigner de l'ombrage C'est jouer en amour un mauvais personnage, Et se rendre après tout misérable à crédit : Cela, Seigneur Éraste, en passant vous soit dit. Vous mériteriez bien que l'on vous fît attendre : Qu'afin de vous punir je vous tinsse caché, Le grand secret pourquoi je vous ai tant cherché. Tenez, voyez ce mot, et sortez hors de doute. Lisez-le donc tout haut ; personne ici n'écoute. Si je lui rapportais vos faiblesses d'esprit, Elle désavouerait bientôt un tel écrit. Ne parlons point de mort, ce n'en est pas le temps. À propos ; savez-vous où je vous ai cherché Tantôt encore ? Tout proche du marché, Où vous savez. Là, dans cette boutique Où dès le mois passé votre cœur magnifique Me promit, de sa grâce, une bague. Ce que j'en ai dit, n'est pas que je vous presse. Monsieur, vous vous moquez, j'aurais honte à la prendre. Ce sera pour garder quelque chose de vous. Travaillez à vous rendre un père favorable. Alors comme alors, Pour vous on emploiera toutes sortes d'efforts, D'une façon ou d'autre il faut qu'elle soit vôtre ; Faites votre pouvoir, et nous ferons le nôtre. Et nous, que dirons-nous aussi de notre amour ? Tu ne m'en parles point. Avec plaisir. Adieu, Gros-René mon désir. Adieu, beau tison de ma flamme. Je viens vous avertir que tantôt sur le soir Ma maîtresse au jardin vous permet de la voir. Gros-René, dis-moi donc, quelle mouche le pique. Ma pauvre Marinette, es-tu bien éveillée ? De quel démon est donc leur âme travaillée ? Quoi, faire un tel accueil à nos soins obligeants ! Ô ! que ceci chez nous va surprendre les gens ! La résolution, Madame, est assez prompte. Vous m'en voyez encor toute hors de moi-même ; Et, quoique là-dessus je rumine sans fin, L'aventure me passe et j'y perds mon latin. Car enfin, aux transports d'une bonne nouvelle, Jamais cœur ne s'ouvrit d'une façon plus belle : De l'écrit obligeant le sien tout transporté Ne me donnait pas moins que de la déité ; Et cependant jamais, à cet autre message, Fille ne fut traitée avec tant d'outrage. Je ne sais, pour causer de si grands changements, Ce qui s'est pu passer entre ces courts moments. En effet ; je comprends que vous avez raison, Et que cette querelle est pure trahison. Nous en tenons, Madame ; et puis prêtons l'oreille Aux bons chiens de pendards qui nous chantent merveille, Qui pour nous accrocher feignant tant de langueur ; Laissons à leurs beaux mots fondre notre rigueur, Rendons-nous à leurs vœux, trop faibles que nous sommes. Foin de notre sottise, et peste soit des hommes. Au moins, en pareil cas, est-ce un bonheur bien doux, Quand on sait qu'on n'a point d'avantage sur vous. Marinette eut bon nez, quoi qu'on en puisse dire, De ne permettre rien un soir qu'on voulait rire. Quelque autre, sous espoir de matrimonion, Aurait ouvert l'oreille à la tentation ; Mais moi, nescio vos. Vraiment, n'ayez point peur, et laissez faire à nous ; J'ai pour le moins autant de colère que vous ; Et je serais plutôt fille toute ma vie, Que mon gros traître aussi me redonnât envie. S'il vient… Je l'aperçois encor ; mais ne vous rendez point. Il vient à nous. Fort bien. Ferme. Tenez bon jusqu'au bout. Voilà qui va des mieux. Allons, ôtez-vous de ses yeux. Qu'attendez-vous encor ? Ô ! La lâche personne ! J'en rougis de dépit. Et ne pense pas, toi, trouver ta dupe aussi. Tu nous prends pour un autre ; et tu n'as pas affaire À ma sotte maîtresse. Ardez le beau museau ! Pour nous donner envie encore de sa peau : Moi, j'aurais de l'amour pour ta chienne de face ! Moi, je te chercherais ! ma foi, l'on t'en fricasse Des filles comme nous. Et toi, pour te montrer que tu m'es à mépris, Voilà ton demi-cent d'épingles de Paris, Que tu me donnas hier avec tant de fanfare. Tiens tes ciseaux, avec ta chaîne de laiton. Je n'ai point maintenant de tes lettres sur moi ; Mais j'en ferai du feu jusques à la dernière. Prends garde à ne venir jamais me reprier. Ne me lorgne point, toi ; j'ai l'esprit trop touché. Oui, car tu me fais rire. Vois. Vois toi-même. Moi ? ce que tu voudras. Je ne dirai rien. Ni moi. Et moi je te fais grâce. Que Marinette est sotte après son Gros-René ! Aux yeux de tous ? Et tu crois que de toi je ferais mon galant ? Un mari, passe encor ; tel qu'il est, on le prend ; On n'y va pas chercher tant de cérémonie : Mais il faut qu'un galant soit fait à faire envie. Va, va, petit mari : ne crains rien de ma foi : Les douceurs ne feront que blanchir contre moi : Et je te dirai tout. Taisez-vous, as de pique. **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_polydore *date_1656 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_polydore S'être ainsi marié sans qu'on en ait su rien ! Puisse cette action se terminer à bien : Je ne sais qu'en attendre, et je crains fort du père Et la grande richesse, et la juste colère. Mais je l'aperçois seul. Je tremble à l'aborder. Par où lui débuter ! Son âme est toute émue. Je vois, seigneur Albert, au trouble de vos yeux Que vous savez déjà qui m'amène en ces lieux. La nouvelle a droit de vous surprendre, Et je n'eusse pas cru ce que je viens d'apprendre. Je trouve condamnable une telle action, Et je ne prétends point excuser le coupable. C'est ce qui doit par vous être considéré. Il est très assuré. Eh ! c'est moi qui de vous présentement l'implore. Je dois en cet état être plutôt que vous. Je suis le suppliant dans une telle injure. Vous me rendez confus de tant d'humilité. Hélas ! pardon, vous-même. Et moi, j'en suis touché de même au dernier point. Hélas, Seigneur Albert, je ne veux autre chose. Hé ! oui, je m'y dispose. Je ne veux de vos biens que ce que vous voudrez : De tous ces intérêts je vous ferai le maître, Et je suis trop content si vous le pouvez être. Quelle douceur, vous-même, après un tel malheur ! Le bon Dieu vous maintienne. J'y consens de grand cœur, et me réjouis fort Que tout soit terminé par un heureux accord. Il ne vous faut rien feindre, Votre ressentiment me donnait lieu de craindre ; Et Lucile tombée en faute avec mon fils, Comme on vous voit puissant, et de biens, et d'amis… Soit ; ne commençons point un discours inutile : Je veux bien que mon fils y trempe grandement, Même, si cela fait à votre allégement, J'avouerai qu'à lui seul en est toute la faute ; Que votre fille avait une vertu trop haute, Pour avoir jamais fait ce pas contre l'honneur, Sans l'incitation d'un méchant suborneur ; Que le traître a séduit sa pudeur innocente, Et de votre conduite ainsi détruit l'attente ; Puisque la chose est faite, et que selon mes vœux, Un esprit de douceur nous met d'accord tous deux, Ne ramentevons rien, et réparons l'offense Par la solennité d'une heureuse alliance. À quoi pensez-vous là, Seigneur Albert ? Je lis dedans son âme, et vois ce qui le presse. À quoi que sa raison l'eût déjà disposé, Son déplaisir n'est pas encor tout apaisé. L'image de l'affront lui revient, et sa fuite Tâche à me déguiser le trouble qui l'agite. Je prends part à sa honte, et son deuil m'attendrit. Il faut qu'un peu de temps remette son esprit : La douleur trop contrainte aisément le redouble. Voici mon jeune fou d'où nous vient tout ce trouble. Enfin, le beau mignon, vos bons déportements Troubleront les vieux jours d'un père à tous moments : Tous les jours vous ferez de nouvelles merveilles ; Et nous n'aurons jamais autres choses aux oreilles. Je suis un étrange homme, et d'une humeur terrible, D'accuser un enfant si sage et si paisible. Las ! il vit comme un saint, et dedans la maison Du matin jusqu'au soir il est en oraison. Dire qu'il pervertit l'ordre de la nature, Et fait du jour la nuit, ô ! la grande imposture ! Qu'il n'a considéré père, ni parenté En vingt occasions, horrible fausseté ! Que de fraîche mémoire, un furtif hyménée À la fille d'Albert a joint sa destinée, Sans craindre de la suite un désordre puissant, On le prend pour un autre, et le pauvre innocent Ne sait pas seulement ce que je veux lui dire ! Ha ! chien, que j'ai reçu du ciel pour mon martyre, Te croiras-tu toujours ? et ne pourrai-je pas, Te voir être une fois sage avant mon trépas ? Approchez-vous, ma fille, un tel nom m'est permis ; Et j'ai su le secret que cachaient ces habits. Vous avez fait un trait qui, dans sa hardiesse Fait briller tant d'esprit et tant de gentillesse, Que je vous en excuse, et tiens mon fils heureux, Quand il saura l'objet de ses soins amoureux. Vous valez tout un monde ; et c'est moi qui l'assure. Mais le voici : prenons plaisir de l'aventure. Allez faire venir tous vos gens promptement. Valère, il s'apprête un combat, Où toute ta valeur te sera nécessaire. Tu vas avoir en tête un puissant adversaire. Non, non ; en cet endroit Je le pousse moi-même à faire ce qu'il doit. On me faisait tantôt redouter sa menace ; Mais les choses depuis ont bien changé de face ; Et, sans le pouvoir fuir, d'un ennemi plus fort Tu vas être attaqué. Ascagne. Oui ; tu le vas voir paraître. Oui, c'est lui qui prétend avoir affaire à toi ; Et qui veut, dans le champ où l'honneur vous appelle, Qu'un combat seul à seul vide votre querelle. Enfin d'une imposture ils te rendent coupable, Dont le ressentiment m'a paru raisonnable ; Si bien qu'Albert et moi sommes tombés d'accord, Que tu satisferais Ascagne sur ce tort. Mais aux yeux d'un chacun, et sans nulles remises, Dans les formalités en pareil cas requises. Lucile épouse Éraste, et te condamne aussi : Et, pour convaincre mieux tes discours d'injustice, Veut qu'à tes propres yeux cet hymen s'accomplisse. Ne t'y trompe pas : tu ne sais pas encore Quel étrange garçon est Ascagne. Oui, mon fils, c'est assez rire de ta fureur, Et je vois qu'il est temps de te tirer d'erreur. Celle à qui par serment ton âme est attachée, Sous l'habit que tu vois à tes yeux est cachée ; Un intérêt de bien dès ses plus jeunes ans Fit ce déguisement qui trompe tant de gens ; Et depuis peu l'amour en a su faire un autre, Qui t'abusa, joignant leur famille à la nôtre. Ne va point regarder à tout le monde aux yeux : Je te fais maintenant un discours sérieux : Oui, c'est elle, en un mot, dont l'adresse subtile La nuit reçut ta foi sous le nom de Lucile, Et qui par ce ressort qu'on ne comprenait pas, A semé parmi vous un si grand embarras. Mais puisqu'Ascagne ici fait place à Dorothée, Il faut voir de vos feux toute imposture ôtée, Et qu'un nœud plus sacré donne force au premier. Un tel événement rend tes esprits confus ; Mais en vain tu voudrais balancer là-dessus. **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_frosine *date_1656 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_frosine Ascagne, je suis fille à secret, Dieu merci. Nous serions au logis beaucoup moins sûrement : Ici de tous côtés on découvre aisément, Et nous pouvons parler avec toute assurance. Ouais ! ceci doit donc être un important secret. Ha ! c'est me faire outrage ! Feindre à s'ouvrir à moi ! dont vous avez connu Dans tous vos intérêts l'esprit si retenu. Moi nourrie avec vous ! et qui tiens sous silence Des choses qui vous sont de si grande importance ! Qui sais… En bonne foi, ce point sur quoi vous me pressez, Est une affaire aussi qui m'embarrasse assez : Le fond de cette intrigue est pour moi lettre close ; Et ma mère ne put m'éclaircir mieux la chose. Quand il mourut ce fils l'objet de tant d'amour, Au destin de qui même, avant qu'il vînt au jour, Le testament d'un oncle abondant en richesses, D'un soin particulier avait fait des largesses, Et que sa mère fit un secret de sa mort, De son époux absent redoutant le transport, S'il voyait chez un autre aller tout l'héritage Dont sa maison tirait un si grand avantage, Quand, dis-je, pour cacher un tel événement, La supposition fut de son sentiment, Et qu'on vous prit chez nous où vous étiez nourrie, Votre mère d'accord de cette tromperie Qui remplaçait ce fils à sa garde commis, En faveur des présents le secret fut promis, Albert ne l'a point su de nous ; et pour sa femme, L'ayant plus de douze ans conservé dans son âme, Comme le mal fut prompt dont on la vit mourir, Son trépas imprévu ne put rien découvrir. Mais, cependant, je vois qu'il garde intelligence Avec celle de qui vous tenez la naissance. J'ai su, qu'en secret même, il lui faisait du bien ; Et peut-être cela ne se fait pas pour rien. D'autre part, il vous veut porter au mariage ; Et, comme il le prétend, c'est un mauvais langage : Je ne sais s'il saurait la supposition Sans le déguisement ; mais la digression Tout insensiblement pourrait trop loin s'étendre : Revenons au secret que je brûle d'apprendre. Vous aimez ? Et quoi ? Ha ! vous aviez raison, L'objet de votre amour, lui dont à la maison Votre imposture enlève un puissant héritage, Et qui de votre sexe ayant le moindre ombrage, Verrait incontinent ce bien lui retourner, C'est encore un plus grand sujet de s'étonner. Ô ! Dieux ! sa femme ! Ha ! certes celui-là l'emporte, et vient à bout De toute ma raison. Encore ! Ho ! poussez ; je le quitte, et ne raisonne plus, Tant mes sens coup sur coup se trouvent confondus. À ces Énigmes-là je ne puis rien comprendre. Peste ! les grands talents que votre esprit possède ! Dirait-on qu'elle y touche, avec sa mine froide ? Cependant, vous avez été bien vite ici ; Car je veux que la chose ait d'abord réussi, Ne jugez-vous pas bien, à regarder l'issue, Qu'elle ne peut longtemps éviter d'être sue ? Il croit trouver en vous l'assistance d'un frère. L'aventure est fâcheuse. Je trouve que c'est là raisonné comme il faut : Mais ces réflexions devaient venir plus tôt. Qui vous a jusqu'ici caché cette lumière ? Il ne fallait pas être une grande sorcière, Pour voir, dès le moment de vos desseins pour lui, Tout ce que votre esprit ne voit que d'aujourd'hui : L'action le disait ; et dès que je l'ai sue, Je n'en ai prévu guère une meilleure issue. Ce doit être à vous-même, en prenant votre place, À me donner conseil dessus cette disgrâce : Car je suis maintenant vous, et vous êtes moi ; Conseillez-moi, Frosine, au point où je me vois. Quel remède trouver ? dites, je vous en prie. Non vraiment, tout de bon ; votre ennui m'est sensible, Et pour vous en tirer je ferais mon possible. Mais, que puis-je après tout ? je vois fort peu de jour À tourner cette affaire au gré de votre amour. Ha ! pour cela toujours il est assez bonne heure ; La mort est un remède à trouver quand on veut, Et l'on s'en doit servir le plus tard que l'on peut. Savez-vous ma pensée ? il faut que j'aille voir La… mais Éraste vient qui pourrait nous distraire, Nous pourrons en marchant parler de cette affaire ; Allons, retirons-nous. Vous en saurez assez le détail ; laissez faire : Ces sortes d'incidents ne sont pour l'ordinaire Que redits trop de fois de moment en moment. Suffit que vous sachiez, qu'après ce testament Qui voulait un garçon pour tenir sa promesse, De la femme d'Albert la dernière grossesse N'accoucha que de vous, et que lui dessous main Ayant depuis longtemps concerté son dessein, Fit son fils de celui d'Ignès la bouquetière, Qui vous donna pour sienne à nourrir à ma mère. La mort ayant ravi ce petit innocent Quelque dix mois après, Albert étant absent, La crainte d'un Époux, et l'amour maternelle, Firent l'événement d'une ruse nouvelle. Sa femme en secret lors se rendit son vrai sang ; Vous devîntes celui qui tenait votre rang, Et la mort de ce fils mis dans votre famille, Se couvrit pour Albert de celle de sa fille. Voilà de votre sort un mystère éclairci Que votre feinte mère a caché jusqu'ici. Elle en dit des raisons, et peut en avoir d'autres, Par qui ses intérêts n'étaient pas tous les vôtres. Enfin cette visite où j'espérais si peu, Plus qu'on ne pouvait croire, a servi votre feu. Cette Ignès vous relâche ; et par votre autre affaire L'éclat de son secret devenu nécessaire, Nous en avons nous deux votre père informé : Un billet de sa femme a le tout confirmé, Et poussant plus avant encore notre pointe, Quelque peu de fortune à notre adresse jointe, Aux intérêts d'Albert, de Polydore après, Nous avons ajusté si bien les intérêts, Si doucement à lui déplié ces mystères, Pour n'effaroucher pas d'abord trop les affaires, Enfin, pour dire tout, mené si prudemment Son esprit pas à pas à l'accommodement, Qu'autant que votre père il montre de tendresse À confirmer les nœuds qui font votre allégresse. Au reste, le bonhomme est en humeur de rire, Et pour son fils encor nous défend de rien dire. **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_ascagne *date_1656 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_ascagne Mais, pour un tel discours, sommes-nous bien ici ? Prenons garde qu'aucun ne nous vienne surprendre, Ou que de quelque endroit on ne nous puisse entendre. Hélas ! que j'ai de peine à rompre mon silence ! Trop, puisque je le fie à vous-même à regret, Et que si je pouvais le cacher davantage, Vous ne le sauriez point. Oui, vous savez la secrète raison Qui cache aux yeux de tous mon sexe et ma maison : Vous savez que dans celle où passa mon bas âge Je suis, pour y pouvoir retenir l'héritage Que relâchait ailleurs le jeune Ascagne mort, Dont mon déguisement fait revivre le sort, Et c'est aussi pourquoi ma bouche se dispense À vous ouvrir mon cœur avec plus d'assurance. Mais avant que passer, Frosine à ce discours, Éclaircissez un doute où je tombe toujours. Se pourrait-il qu'Albert ne sût rien du mystère Qui masque ainsi mon sexe et l'a rendu mon père ? Sachez donc que l'amour ne sait point s'abuser ; Que mon sexe à ses yeux n'a pu se déguiser, Et que ses traits subtils, sous l'habit que je porte, Ont su trouver le cœur d'une fille peu forte : J'aime enfin. Frosine, doucement ; N'entrez pas tout à fait dedans l'étonnement : Il n'est pas temps encore : et ce cœur qui soupire A bien pour vous surprendre autre chose à vous dire. J'aime Valère. J'ai de quoi toutefois surprendre plus votre âme : Je suis sa femme. Oui, sa femme. Ce n'est pas encor tout. Je la suis, dis-je, sans qu'il le pense, Ni qu'il ait de mon sort la moindre connaissance. Je vais vous l'expliquer, si vous voulez m'entendre. Valère dans les fers de ma sœur arrêtée Me semblait un amant digne d'être écouté, Et je ne pouvais voir qu'on rebutât sa flamme, Sans qu'un peu d'intérêt touchât pour lui mon âme. Je voulais que Lucile aimât son entretien, Je blâmais ses rigueurs, et les blâmai si bien, Que moi-même j'entrai, sans pouvoir m'en défendre, Dans tous les sentiments qu'elle ne pouvait prendre. C'était en lui parlant moi qu'il persuadait, Je me laissais gagner aux soupirs qu'il perdait, Et ses vœux rejetés de l'objet qui l'enflamme Étaient, comme vainqueurs, reçus dedans mon âme. Ainsi mon cœur, Frosine, un peu trop faible, hélas ! Se rendit à des soins qu'on ne lui rendait pas, Par un coup réfléchi reçut une blessure, Et paya pour un autre avec beaucoup d'usure. Enfin, ma chère, enfin, l'amour que j'eus pour lui Se voulut expliquer, mais sous le nom d'autrui : Dans ma bouche, une nuit, cet amant trop aimable Crut rencontrer Lucile à ses vœux favorable, Et je sus ménager si bien cet entretien, Que du déguisement il ne reconnut rien. Sous ce voile trompeur qui flattait sa pensée, Je lui dis que pour lui mon âme était blessée ; Mais que, voyant mon père en d'autres sentiments, Je devais une feinte à ses commandements ; Qu'ainsi de notre amour nous ferions un mystère, Dont la nuit seulement serait dépositaire, Et qu'entre nous de jour, de peur de rien gâter, Tout entretien secret se devait éviter ; Qu'il me verrait alors la même indifférence, Qu'avant que nous eussions aucune intelligence, Et que de son côté, de même que du mien, Geste, parole, écrit, ne m'en dît jamais rien. Enfin, sans m'arrêter sur toute l'industrie Dont j'ai conduit le fil de cette tromperie, J'ai poussé jusqu'au bout un projet si hardi, Et me suis assuré l'Époux que je vous dis. Quand l'amour est bien fort, rien ne peut l'arrêter ; Ses projets seulement vont à se contenter, Et, pourvu qu'il arrive au but qu'il se propose, Il croit que tout le reste après est peu de chose. Mais, enfin, aujourd'hui je me découvre à vous, Afin que vos conseils… Mais voici cet Époux. Non, non ; vous pouvez bien, Puisque vous le faisiez, rompre notre entretien. Vous-même. Je disais que Valère Aurait, si j'étais fille, un peu trop su me plaire ; Et que, si je faisais tous les vœux de son cœur, Je ne tarderais guère à faire son bonheur. Point du tout ; je vous dis que régnant dans votre âme Je voudrais de bon cœur couronner votre flamme. Je pourrais assez mal répondre à votre attente. Hé ! quoi ! vous voudriez, Valère, injustement, Qu'étant fille, et mon cœur vous aimant tendrement, Je m'allasse engager avec une promesse De servir vos ardeurs pour quelque autre maîtresse. Un si pénible effort pour moi m'est interdit. Ce que je vous ai dit Je l'ai dit comme fille, et vous le devez prendre Tout de même. J'ai l'esprit délicat plus qu'on ne peut penser, Et le moindre scrupule a de quoi m'offenser Quand il s'agit d'aimer ; enfin je suis sincère ; Je ne m'engage point à vous servir, Valère, Si vous ne m'assurez au moins absolument, Que vous gardez pour moi le même sentiment ; Que pareille chaleur d'amitié vous transporte, Et que, si j'étais fille, une flamme plus forte N'outragerait point celle où je vivrais pour vous. Mais sans fard ? S'il est vrai, désormais Vos intérêts seront les miens, je vous promets. Et j'ai quelque secret de même à vous ouvrir, Où votre cœur pour moi se pourra découvrir. C'est que j'ai de l'amour qui n'oserait paraître, Et vous pourriez avoir sur l'objet de mes vœux Un empire à pouvoir rendre mon sort heureux. Vous promettez ici plus que vous ne croyez. Il n'est pas encor temps ; mais c'est une personne Qui vous touche de près. Ce n'est pas la saison De m'expliquer, vous dis-je. Pour raison. Vous saurez mon secret, quand je saurai le vôtre. Ayez-le donc ; et lors nous expliquant nos vœux, Nous verrons qui tiendra mieux parole des deux. Et moi content, Valère. Que dites-vous ? ma sœur ; comment ! courir au change ! Cette inégalité me semble trop étrange. Je le quitte, ma sœur, pour embrasser le vôtre : Je sais qu'il est rangé dessous les lois d'un autre, Et ce serait un trait honteux à vos appas, Si vous le rappeliez et qu'il ne revînt pas. Ha ! ma sœur, si sur vous je puis avoir crédit, Si vous êtes sensible aux prières d'un frère, Quittez un tel dessein, et n'ôtez point Valère Aux vœux d'un jeune objet dont l'intérêt m'est cher, Et qui sur ma parole a droit de vous toucher. La pauvre infortunée aime avec violence ; À moi seul de ses feux elle fait confidence, Et je vois dans son cœur de tendres mouvements À dompter la fierté des plus durs sentiments. Oui, vous auriez pitié de l'état de son âme, Connaissant de quel coup vous menacez sa flamme, Et je ressens si bien la douleur qu'elle aura, Que je suis assuré, ma sœur, qu'elle en mourra, Si vous lui dérobez l'amant qui peut lui plaire. Éraste est un parti qui doit vous satisfaire ; Et des feux mutuels… Allez, cruelle sœur, vous me désespérez, Si vous effectuez vos desseins déclarés. Ah ! ma chère Frosine, Le sort absolument a conclu la ruine : Cette affaire, venue au point où la voilà N'est pas assurément pour en demeurer là ; Il faut qu'elle passe outre ; et Lucile, et Valère, Surpris des nouveautés d'un semblable mystère Voudront chercher un jour dans ces obscurités, Par qui tous mes projets se verront avortés. Car, enfin, soit qu'Albert ait part au stratagème, Ou qu'avec tout le monde on l'ait trompé lui-même ; S'il arrive une fois que mon sort éclairci Mette ailleurs tout le bien dont le sien a grossi, Jugez s'il aura lieu de souffrir ma présence : Son intérêt détruit me laisse à ma naissance ; C'est fait de sa tendresse, et, quelque sentiment Où pour ma fourbe alors pût être mon amant, Voudra-t-il avouer pour épouse une fille Qu'il verra sans appui de biens et de famille ? Que dois-je faire enfin ? mon trouble est sans pareil : Mettez-vous en ma place, et me donnez conseil. Hélas ! ne traitez point ceci de raillerie ; C'est prendre peu de part à mes cuisants ennuis, Que de rire, et de voir les termes où j'en suis. Si rien ne peut m'aider, il faut donc que je meure. Non, non, Frosine, non ; si vos conseils propices Ne conduisent mon sort parmi ces précipices, Je m'abandonne toute aux traits du désespoir. Est-il bien vrai, Frosine ? et ne rêvé-je point ? De grâce, contez-moi bien tout de point en point. Ha ! Frosine, la joie où vous m'acheminez !… Et que ne dois-je point à vos soins fortunés ! Vous obéir sera mon premier compliment. Non, non, je ne suis pas si méchant qu'on me fait : Et, dans cette aventure où chacun m'intéresse, Vous allez voir plutôt éclater ma faiblesse, Connaître que le Ciel qui dispose de nous Ne me fit pas un cœur pour tenir contre vous, Et qu'il vous réservait, pour victoire facile, De finir le destin du frère de Lucile. Oui, bien loin de vanter le pouvoir de mon bras, Ascagne va par vous recevoir le trépas : Mais il veut bien mourir, si sa mort nécessaire Peut avoir maintenant de quoi vous satisfaire, En vous donnant pour femme en présence de tous Celle qui justement ne peut être qu'à vous. Ah ! souffrez que je die, Valère, que le cœur qui vous est engagé D'aucun crime envers vous ne peut être chargé : Sa flamme est toujours pure, et sa constance extrême ; Et j'en prends à témoin votre père lui-même. **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_mascarille *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_mascarille Non, je ne trouve point d'état plus malheureux, Que d'avoir un patron jeune et fort amoureux. Bonjour. Non, je ne reviens pas ; car je n'ai pas été : Je ne vais pas aussi ; car je suis arrêté : Et ne demeure point ; car, tout de ce pas même, Je prétends m'en aller. Ha ! monsieur, Serviteur. Je ne crois pas cela de votre courtoisie. Plût à Dieu ! Passons sur ce point-là ; notre rivalité N'est pas pour en venir à grande extrémité : Mais, est-ce un coup bien sûr que votre Seigneurie Soit désenamourée, ou si c'est raillerie ? Certes, vous me plaisez avec cette nouvelle ; Outre qu'en nos projets je vous craignais un peu, Vous tirez sagement votre épingle du jeu. Oui, vous avez bien fait de quitter une place Où l'on vous caressait pour la seule grimace ; Et mille fois, sachant tout ce qui se passait, J'ai plaint le faux espoir dont on vous repaissait. On offense un brave homme alors que l'on l'abuse. Mais, d'où, diantre, après tout, avez-vous su la ruse ? Car cet engagement mutuel de leur foi N'eut, pour témoins, la nuit, que deux autres et moi ; Et l'on croit jusqu'ici la chaîne fort secrète Qui rend de nos amants la flamme satisfaite. Je dis que je suis interdit : Et ne sais pas, Monsieur, qui peut vous avoir dit, Que, sous ce faux semblant qui trompe tout le monde, En vous trompant aussi, leur ardeur sans seconde D'un secret mariage a serré le lien. Monsieur, je le veux bien. D'accord. Vous avez tout pouvoir. Nenni. Non, Monsieur, je raillais. Non, je ne raillais point. Non pas, Je ne dis pas cela. Hélas ! Je ne dis rien, de peur de mal parler. C'est ce qu'il vous plaira : je ne suis pas ici Pour vous rien contester. Elle ira faire encor quelque sotte harangue. Hé, de grâce, plutôt, si vous le trouvez bon, Donnez-moi vitement quelques coups de bâton, Et me laissez tirer mes chausses sans murmure. Hélas ! je la dirai : Mais, peut-être, Monsieur, que je vous fâcherai. J'y consens, rompez-moi les jambes et les bras ; Faites-moi pis encor, tuez-moi si j'impose En tout ce que j'ai dit ici la moindre chose. Ma langue, en cet endroit, A fait un pas de clerc dont elle s'aperçoit : Mais, enfin, cette affaire est comme vous la dites ; Et c'est après cinq jours de nocturnes visites, Tandis que vous serviez à mieux couvrir leur jeu, Que depuis avant-hier ils sont joints de ce nœud ; Et Lucile depuis fait encor moins paraître La violente amour qu'elle porte à mon maître, Et veut absolument que tout ce qu'il verra, Et qu'en votre faveur son cœur témoignera, Il l'impute à l'effet d'une haute prudence, Qui veut de leurs secrets ôter la connaissance. Si, malgré mes serments, vous doutez de ma foi, Gros-René peut venir une nuit avec moi ; Et je lui ferai voir étant en sentinelle Que nous avons dans l'ombre un libre accès chez elle. Et de grand cœur ; C'est ce que je demande. Le Ciel parfois seconde un dessein téméraire, Et l'on sort comme on peut d'une méchante affaire. Pour moi, qu'une imprudence a trop fait discourir, Le remède plus prompt où j'ai su recourir, C'est de pousser ma pointe, et dire en diligence À notre vieux patron toute la manigance. Son fils qui m'embarrasse est un évaporé : L'autre, diable, disant ce que j'ai déclaré, Gare une irruption sur notre friperie : Au moins, avant qu'on puisse échauffer sa furie, Quelque chose de bon nous pourra succéder, Et les vieillards entre eux se pourront accorder. C'est ce qu'on va tenter ; et de la part du nôtre, Sans perdre un seul moment, je m'en vais trouver l'autre. Amis. Je viens, Monsieur, pour vous donner Le bonjour. La réplique est soudaine. Quel homme brusque ! Vous n'avez pas ouï, Monsieur. Oui. Oui ; mais je viens encore Vous saluer au nom du Seigneur Polydore. Oui. Cet homme est ennemi de la cérémonie. Je n'ai pas achevé, Monsieur, son compliment : Il voudrait vous prier d'une chose instamment. Attendez, et souffrez qu'en deux mots je finisse. Il souhaite un moment pour vous entretenir D'une affaire importante, et doit ici venir. Un grand secret, vous dis-je, Qu'il vient de découvrir en ce même moment, Et qui, sans doute, importe à tous deux grandement. Voilà mon Ambassade. Il la sait ? D'où, diantre, a-t-il pu la savoir ? Et que me diriez-vous, Monsieur, si c'était moi Qui vous eût procuré cette heureuse fortune ? C'est moi, vous dis-je, moi dont le patron le sait, Et qui vous ai produit ce favorable effet. Que le diable m'emporte, Si je fais raillerie, et s'il n'est de la sorte. Ha ! monsieur, qu'est-ceci ? je défends la surprise. Tout beau ; mon âme, pour mourir, N'est pas en bon état. Daignez, je vous conjure, Attendre le succès qu'aura cette aventure. J'ai de fortes raisons qui m'ont fait révéler Un hymen que vous-même aviez peine à celer ; C'était un coup d'État, et vous verrez l'issue Condamner la fureur que vous avez conçue. De quoi vous fâchez-vous ? pourvu que vos souhaits Se trouvent par mes soins pleinement satisfaits, Et voient mettre à fin la contrainte où vous êtes ? Toujours serez-vous lors à temps pour me tuer. Mais enfin mes projets pourront s'effectuer. Dieu fera pour les siens, et content dans la suite Vous me remercierez de ma rare conduite. Halte ; son père sort. Seigneur Albert, prenez un ton un peu plus doux, Et contre votre gendre ayez moins de courroux. Je ne vois ici rien à vous mettre en fureur. Le voilà prêt de faire en tout vos volontés. Quoi ! Lucile n'est pas sous des liens secrets À mon Maître ? Tout doux : et s'il est vrai que ce soit chose faite, Voulez-vous l'approuver cette chaîne secrète ? D'homme d'honneur, il est ainsi que je le dis. Mais venons à la preuve, et sans nous quereller : Faites sortir Lucile et la laissez parler. Elle n'en fera rien, Monsieur, je vous proteste, Promettez à leurs vœux votre consentement, Et je veux m'exposer au plus dur châtiment, Si de sa propre bouche elle ne vous confesse, Et la foi qui l'engage, et l'ardeur qui la presse. Allez ; tout ira bien. Ne craignez rien. Seigneur Albert, au moins, silence. Enfin, Madame, Toute chose conspire au bonheur de votre âme, Et Monsieur votre père averti de vos feux, Vous laisse votre Époux, et confirme vos vœux ; Pourvu que bannissant toutes craintes frivoles, Deux mots de votre aveu confirment nos paroles. Bon, me voilà déjà d'un beau titre honoré. Hé bien, oui, c'est moi ; le grand mal que voilà ! Laissez-moi lui parler. Eh ! Madame, de grâce, À quoi bon maintenant toute cette grimace ? Quelle est votre pensée ? et quel bourru transport Contre vos propres vœux vous fait raidir si fort ? Si monsieur votre père était homme farouche, Passe : mais il permet que la raison le touche, Et lui-même m'a dit qu'une confession Vous va tout obtenir de son affection. Vous sentez, je crois bien, quelque petite honte À faire un libre aveu de l'amour qui vous dompte : Mais s'il vous a fait perdre un peu de liberté, Par un bon mariage on voit tout rajusté ; Et, quoi que l'on reproche au feu qui vous consomme, Le mal n'est pas si grand que de tuer un homme. On sait que la chair est fragile quelquefois, Et qu'une fille enfin n'est ni caillou ni bois. Vous n'avez pas été sans doute la première, Et vous ne serez pas, que je crois, la dernière. Madame, je vous jure Que déjà vous devriez avoir tout confessé. Quoi ? Ce qui s'est passé Entre mon maître et vous ; la belle raillerie ! Vous devez, que je crois, En savoir un peu plus de nouvelles que moi, Et pour vous cette nuit fut trop douce, pour croire Que vous puissiez si vite en perdre la mémoire. Je crois qu'elle me vient de donner un soufflet : Et, nonobstant cela, qu'un diable en cet instant M'emporte, si j'ai dit rien que de très constant. Voulez-vous deux témoins qui me justifieront ? Leur rapport doit au mien donner toute créance. Je vous dis que Lucile agit par honte ainsi. Connaissez-vous Ormin ce gros Notaire habile ? Et Simon le Tailleur jadis si recherché ? Vous verrez confirmer par eux cet hyménée. Ce sont eux qu'ils ont pris pour témoins de leur foi. Et ces yeux les ont vus s'entre-donner parole. Et, pour signe, Lucile avait un voile noir. Oh ! l'obstiné vieillard ! J'entends à demi-mot ce que vous voulez dire ; Tout s'arme contre moi ; pour moi de tous côtés Je vois coups de bâton, et gibets apprêtés : Aussi, pour être en paix dans ce désordre extrême, Je me vais d'un rocher précipiter moi-même, Si, dans le désespoir dont mon cœur est outré, Je puis en rencontrer d'assez haut à mon gré. Adieu, Monsieur. Je ne saurais mourir quand je suis regardé, Et mon trépas ainsi se verrait retardé. Malheureux Mascarille ! à quels maux aujourd'hui Te vois-tu condamné pour le péché d'autrui ? Dès que l'obscurité régnera dans la ville, Je me veux introduire au logis de Lucile : Va vite de ce pas préparer pour tantôt, Et la lanterne sourde, et les armes qu'il faut. Quand il m'a dit ces mots, il m'a semblé d'entendre, Va vitement chercher un licou pour te pendre. Venez çà, mon patron, car, dans l'étonnement Où m'a jeté d'abord un tel commandement, Je n'ai pas eu le temps de vous pouvoir répondre ; Mais je vous veux ici parler, et vous confondre : Défendez-vous donc bien, et raisonnons sans bruit. Vous voulez, dites-vous, aller voir cette nuit Lucile ? Oui, Mascarille. Et que pensez-vous faire ? Une action d'amant qui se veut satisfaire, Une action d'un homme à fort petit cerveau, Que d'aller sans besoin risquer ainsi sa peau ; Mais tu sais quel motif à ce dessein m'appelle : Lucile est irritée. Eh bien, tant pis pour elle, Mais l'amour veut que j'aille apaiser son esprit. Mais l'amour est un sot qui ne sait ce qu'il dit : Nous garantira-t-il, cet amour, je vous prie, D'un rival, ou d'un père, ou d'un frère en furie ? Penses-tu qu'aucun d'eux songe à nous faire mal ? Oui vraiment, je le pense, et surtout, ce rival. Mascarille, en tout cas, l'espoir où je me fonde, Nous irons bien armés, et si quelqu'un nous gronde, Nous nous chamaillerons. Oui ; voilà justement Ce que votre valet ne prétend nullement : Moi chamailler ! bon Dieu ! suis-je un Roland ? mon Maître, Ou quelque Ferragu ? c'est fort mal me connaître, Quand je viens à songer, moi qui me suis si cher, Qu'il ne faut que deux doigts d'un misérable fer Dans le corps, pour vous mettre un humain dans la bière, Je suis scandalisé d'une étrange manière. Mais tu seras armé de pied en cap. Tant pis, J'en serai moins léger à gagner le taillis : Et de plus, il n'est point d'armure si bien jointe Où ne puisse glisser une vilaine pointe. Oh ! tu seras ainsi tenu pour un poltron. Soit : pourvu que toujours je branle le menton : À table comptez-moi, si vous voulez, pour quatre ; Mais comptez-moi pour rien, s'il s'agit de se battre : Enfin, si l'autre monde a des charmes poux vous, Pour moi, je trouve l'air de celui-ci fort doux : Je n'ai pas grande faim de mort ni de blessure, Et vous ferez le sot tout seul, je vous assure. Et cet empressement pour s'en aller dans l'ombre, Pêcher vite à tâtons quelque sinistre encombre… Vous voyez que Lucile entière en ses rebuts… J'approuve ce transport ; Mais le mal est, Monsieur, qu'il faudra s'introduire En cachette. Et j'ai peur de vous nuire. Une toux me tourmente à mourir, Dont le bruit importun vous fera découvrir : De moment en moment… Vous voyez le supplice. Je ne crois pas, Monsieur, qu'il se veuille passer. Je serais ravi moi de ne vous point laisser ; Mais j'aurais un regret mortel, si j'étais cause Qu'il fût à mon cher maître arrivé quelque chose. Moi, je ne suis pour rien dans tout cet embarras. Qu'ai-je fait ? pour me voir rouer jambes et bras ? Suis-je donc gardien, pour employer ce style, De la Virginité des filles de la ville ? Sur la tentation ai-je quelque crédit ? Et puis-je mais, chétif, si le cœur leur en dit ? Acceptez-les, Monsieur. Quoi ! Monsieur, vous voulez tenter Dieu ! quelle audace ! Las ! vous voyez tous deux comme l'on vous menace, Combien de tous côtés… C'est qu'il sent le bâton du côté que voilà. Enfin, si maintenant ma prudence en est crue, Ne nous obstinons point à rester dans la rue : Allons nous renfermer. Eh ! Monsieur, mon cher maître, il est si doux de vivre ! On ne meurt qu'une fois, et c'est pour si longtemps ! Je n'ai nulle démangeaison. Que maudit soit l'amour, et les filles maudites, Qui veulent en tâter, puis font les chattemites. Les disgrâces souvent sont du Ciel révélées : J'ai songé cette nuit de perles défilées, Et d'œufs cassés, Monsieur, un tel songe m'abat. Et personne, Monsieur, qui se veuille bouger Pour retenir des gens qui se vont égorger ! Pour moi je le veux bien ; mais, au moins, s'il arrive Qu'un funeste accident de votre fils vous prive, Ne m'en accusez point. Père dénaturé ! Point de moyen d'accord ? C'est un brave homme ; il sait que les cœurs généreux Ne mettent point les gens en compromis pour eux. Nenni, nenni, mon sang dans mon corps sied trop bien : Qu'il l'épouse en repos, cela ne me fait rien. De l'humeur que je sais la chère Marinette, L'hymen ne ferme pas la porte à la fleurette. Tu crois te marier pour toi tout seul, compère ? Eh ! mon Dieu, tu feras Comme les autres font : et tu t'adouciras. Ces gens avant l'hymen si fâcheux et critiques Dégénèrent souvent en maris pacifiques. Oh ! Las ! fine pratique ! Un mari confident !… **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_metaphraste *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_metaphraste Mandatum tuum curo diligenter. Maître est dit a Magister, C'est comme qui dirait trois fois plus grand. Poursuivez. Il est vrai : Filio non potest praeferri Nisi filius. Soit. Peut-être a-t-il l'humeur du frère de Marc Tulle, Dont avec Atticus le même fait sermon, Et comme aussi les Grecs disent Atanaton… Hé bien, donc ? votre fils ? Dans un lieu reculé du bois, voulez-vous dire ; Un endroit écarté, Latine, secessus ; Virgile l'a dit : Est in secessu locus… Virgile est nommé là comme un auteur fameux D'un terme plus choisi que le mot que vous dites, Et non comme témoin de ce que hier vous vîtes. Il faut choisir pourtant les mots mis en usage Par les meilleurs auteurs : tu, vivendo, bonos, Comme on dit, scribendo, sequare peritos. Quintilien en fait le précepte. Et dit là-dessus doctement Un mot, que vous serez bien aise assurément D'entendre. Mais qui cause, Seigneur, votre inflammation ? Que voulez-vous de moi ? Ha ! sans doute, Vous serez satisfait, s'il ne tient qu'à cela. Je me tais. Me voilà Tout prêt de vous ouïr. Que je trépasse, Si je dis plus mot. Vous n'accuserez point mon caquet désormais. Parlez quand vous voudrez. Et n'appréhendez plus l'interruption nôtre. Je suis exact plus qu'aucun autre. J'ai promis que je ne dirais rien. Dès à présent je suis muet. Parlez : courage ; au moins, je vous donne audience ; Vous ne vous plaindrez pas de mon peu de silence, Je ne desserre pas la bouche seulement. Mais, de grâce, achevez vitement ; Depuis longtemps j'écoute, il est bien raisonnable Que je parle à mon tour. Hé ! bon Dieu ! voulez-vous que j'écoute à jamais ? Partageons le parler, au moins, ou je m'en vais. Quoi ! voulez-vous poursuivre ? Ce n'est pas encor fait ? per Jovem, je suis ivre. Encor ! bon Dieu ! que de discours ! Rien n'est-il suffisant d'en arrêter le cours ? Derechef ? ô ! l'étrange torture ! Hé ! laissez-moi parler un peu, je vous conjure ; Un sot qui ne dit mot ne se distingue pas D'un savant qui se tait. D'où vient fort à propos cette Sentence expresse D'un Philosophe, parle, afin qu'on te connaisse. Doncques, si de parler le pouvoir m'est ôté, Pour moi, j'aime autant perdre aussi l'humanité, Et changer mon Essence en celle d'une bête. Me voilà pour huit jours avec un mal de tête. Ô ! que les grands parleurs sont par moi détestés. Mais quoi ! si les savants ne sont point écoutés, Si l'on veut que toujours ils aient la bouche close, Il faut donc renverser l'ordre de chaque chose ; Que les poules dans peu dévorent les renards ; Que les jeunes enfants remontrent aux vieillards ; Qu'à poursuivre les loups les agnelets s'ébattent ; Qu'un fou fasse les lois ; que les femmes combattent ; Que par les criminels les juges soient jugés : Et par les écoliers les maîtres fustigés ; Que le malade au sain présente le remède ; Que le lièvre craintif… miséricorde ! à l'aide ! **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_la-rapiere *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_larapiere Monsieur, de bonne part je viens d'être informé, Qu'Éraste est contre vous fortement animé ; Et qu'Albert parle aussi de faire pour sa fille Rouer jambes et bras à votre Mascarille. S'il vous faisait besoin, mon bras est tout à vous. Vous savez de tout temps que je suis un bon frère. J'ai deux amis aussi que je vous puis donner, Qui contre tous venants sont gens à dégainer, Et sur qui vous pourrez prendre toute assurance. Le petit Gille encore eût pu nous assister, Sans le triste accident qui vient de nous l'ôter. Monsieur, le grand dommage ! et l'homme de service ! Vous avez su le tour que lui fit la Justice ? Il mourut en César, et lui cassant les os Le bourreau ne lui put faire lâcher deux mots. Soit ; mais soyez averti Qu'il vous cherche, et vous peut faire un mauvais parti. **** *creator_moliere *book_moliere_domgarciedenavarre *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_domgarciedenavarre *dist2_moliere_verse_comedy *id_dom-garcie *date_1661 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_domgarcie Je viens m'intéresser, Madame, au doux espoir, qu'il vous vient d'annoncer. Ce Frère qui menace un Tyran plein de crimes, Flatte de mon amour les transports légitimes. Son sort offre à mon bras des périls glorieux, Dont je puis faire hommage à l'éclat de vos yeux, Et par eux m'acquérir, si le Ciel m'est propice, La gloire d'un revers, que vous doit sa justice ; Qui va faire à vos pieds choir l'infidélité, Et rendre à votre sang toute sa dignité. Mais ce qui plus me plaît, d'une atteinte si chère, C'est que pour être Roi, le Ciel vous rend ce Frère ; Et qu'ainsi mon amour peut éclater au moins Sans qu'à d'autres motifs on impute ses soins ; Et qu'il soit soupçonné, que dans votre personne Il cherche à me gagner les droits d'une Couronne. Oui, tout mon cœur voudrait montrer aux yeux de tous, Qu'il ne regarde en vous autre chose que vous ; Et cent fois, si je puis le dire sans offense, Ses vœux se sont armés contre votre naissance, Leur chaleur indiscrète a d'un destin plus bas Souhaité le partage à vos divins appas, Afin que de ce Cœur, le noble sacrifice Pût du Ciel envers vous réparer l'injustice ; Et votre sort tenir des mains de mon amour, Tout ce qu'il doit au sang, dont vous tenez le jour. Mais puisque enfin les Cieux, de tout ce juste hommage, À mes feux prévenus dérobent l'avantage. Trouvez bon que ces feux, prennent un peu d'espoir Sur la mort que mon bras s'apprête à faire voir ; Et qu'ils osent briguer par d'illustres services, D'un Frère et d'un État les suffrages propices. Oui, Madame, j'entends ce que vous voulez dire, Je sais bien que pour vous mon cœur en vain soupire ; Et l'obstacle puissant, qui s'oppose à mes feux, Sans que vous le nommiez, n'est pas secret pour eux. Ce me sera, Madame, une faveur extrême. Et que peut-on, hélas ! observer sous les Cieux Qui ne cède à l'ardeur, que m'inspirent vos yeux ? C'est là son plus grand soin. Ils vous révèrent trop. Ah ! Madame, il est vrai, quelque effort que je fasse, Qu'un peu de jalousie en mon cœur trouve place, Et qu'un Rival absent de vos divins appas Au repos de ce cœur vient livrer des combats. Soit caprice, ou raison, j'ai toujours la croyance Que votre âme en ces lieux souffre de son absence ; Et que malgré mes soins, vos soupirs amoureux Vont trouver à tous coups ce Rival trop heureux. Mais si de tels soupçons ont de quoi vous déplaire, Il vous est bien facile, hélas ! de m'y soustraire ; Et leur bannissement, dont j'accepte la Loi Dépend bien plus de vous, qu'il ne dépend de moi. Oui, c'est vous qui pouvez par deux mots pleins de flamme, Contre la jalousie armer toute mon âme ; Et des pleines clartés d'un glorieux espoir Dissiper les horreurs que ce monstre y fait choir. Daignez donc étouffer le doute qui m'accable, Et faites qu'un aveu d'une bouche adorable Me donne l'assurance au fort de tant d'assauts, Que je ne puis trouver dans le peu que je vaux. Hé bien, Madame, hé bien, je suis trop téméraire, De tout ce qui vous plaît, je dois me satisfaire ; Je ne demande point de plus grande clarté, Je crois que vous avez pour moi quelque bonté, Que d'un peu de pitié mon feu vous sollicite, Et je me vois heureux plus que je ne mérite. C'en est fait, je renonce à mes soupçons jaloux, L'arrêt qui les condamne, est un arrêt bien doux ; Et je reçois la Loi qu'il daigne me prescrire, Pour affranchir mon cœur de leur injuste empire. Ah ! Madame, il suffit pour me rendre croyable, Que ce qu'on vous promet doit être inviolable ; Et que l'heur d'obéir à sa divinité, Ouvre aux plus grands efforts trop de facilité ; Que le Ciel me déclare une éternelle guerre, Que je tombe à vos pieds d'un éclat de tonnerre, Ou pour périr encor par de plus rudes coups, Puissé-je voir sur moi fondre votre courroux ; Si jamais mon amour descend à la faiblesse De manquer aux devoirs d'une telle promesse ; Si jamais dans mon âme aucun jaloux transport Fait… J'ai cru que vous aviez quelque secret ensemble, Et je ne voulais pas l'interrompre. D'un mal qui tout à coup vient d'attaquer mon cœur. Parfois. Par cet écrit, Madame, ah ! ma main le refuse, Je vois votre pensée, et de quoi l'on m'accuse ; Si… Pour me traiter après, de faible, de jaloux ? Non, non, je dois ici vous rendre un témoignage, Qu'à mon cœur cet écrit n'a point donné d'ombrage ; Et bien que vos bontés m'en laissent le pouvoir, Pour me justifier je ne veux point le voir. Ma volonté toujours vous doit être soumise, Si c'est votre plaisir, que pour vous je le lise ; Je consens volontiers à prendre cet emploi. C'est pour vous obéir au moins, et je puis dire… Il est de Done Ignès, à ce que je connais. Malgré l'effort d'un long mépris, Le Tyran toujours m'aime, et depuis votre absence, Vers moi pour me porter au dessein qu'il a pris, Il semble avoir tourné toute sa violence, Dont il poursuivait l'alliance De vous et de son Fils. Ceux qui sur moi peuvent avoir empire Par de lâches motifs qu'un faux honneur inspire, Approuvent tous cet indigne lien ; J'ignore encor par où finira mon martyre : Mais je mourrai plutôt que de consentir rien. Puissiez-vous jouir, belle Elvire, D'un destin plus doux que le mien. Dans la haute vertu son âme est affermie. Hé quoi, vous croyez donc… Croyez que désormais, c'est toute mon envie, Et qu'avant qu'y manquer, je veux perdre la vie. Que fait la Princesse ? J'attendrai qu'elle ait fait ; près de souffrir sa vue, D'un trouble tout nouveau je me sens l'âme émue ; Et la crainte mêlée à mon ressentiment, Jette par tout mon corps un soudain tremblement. Prince, prends garde au moins, qu'un aveugle caprice Ne te conduise ici dans quelque précipice ; Et que de ton esprit les désordres puissants, Ne donnent un peu trop au rapport de tes sens. Consulte ta raison, prends sa clarté pour guide, Vois si de tes soupçons, l'apparence est solide, Ne démens pas leur voix, mais aussi garde bien Que pour les croire trop, ils ne t'imposent rien ; Qu'à tes premiers transports ils n'osent trop permettre, Et relis posément cette moitié de lettre. Ha ! qu'est-ce que mon cœur, trop digne de pitié, Ne voudrait pas donner pour son autre moitié ! Mais après tout que dis-je ? il suffit bien de l'une, Et n'en voilà que trop pour voir mon infortune. Quoique votre Rival… Vous devez toutefois vous… Et vous avez en vous à… L'obstacle le plus grand… Je chéris tendrement ce… Pour me tirer des mains de… Son amour, ses devoirs… Mais il m'est odieux, avec… Ôtez donc à vos feux ce… Méritez les regards que l'on… Et lorsqu'on vous oblige… Ne vous obstinez point à… Oui, mon sort par ces mots est assez éclairci : Son coeur, comme sa main, se fait connaître ici ; Et les sens imparfaits de cet écrit funeste, Pour s'expliquer à moi, n'ont pas besoin du reste. Toutefois dans l'abord agissons doucement, Couvrons à l'infidèle un vif ressentiment ; Et de ce que je tiens, ne donnant point d'indice, Confondons son esprit par son propre artifice. La voici, ma raison, renferme mes transports, Et rends-toi pour un temps maîtresse du dehors. Ha ! qu'elle cache bien. Oui, Madame, et mon cœur s'en réjouit de même, Mais… Le succès en pourra parler dans quelques jours, Mais de grâce passons à quelque autre discours. Puis-je sans trop oser vous prier de me dire, À qui vous avez pris, Madame, soin d'écrire, Depuis que le destin nous a conduits ici ? D'un désir curieux de pure fantaisie. Non, ce n'est rien du tout de ce que vous pensez, Vos ordres de ce mal me défendent assez. Vous n'avez point écrit à quelque autre personne, Madame ? De grâce songez bien avant que d'assurer, En manquant de mémoire on peut se parjurer. Elle a dit toutefois une haute imposture. Madame. Oui, oui, je l'ai perdu, lorsque dans votre vue, J'ai pris pour mon malheur le poison qui me tue ; Et que j'ai cru trouver quelque sincérité Dans les traîtres appas, dont je fus enchanté. Ah ! que ce cœur est double, et sait bien l'art de feindre ; Mais tous moyens de fuir lui vont être soustraits, Jetez ici les yeux, et connaissez vos traits ; Sans avoir vu le reste, il m'est assez facile De découvrir pour qui vous employez ce style. Vous ne rougissez pas en voyant cet écrit ? Il est vrai qu'en ces lieux on la voit opprimée, Ce billet démenti pour n'avoir point de seing. Encore est-ce beaucoup que de franchise pure, Vous demeuriez d'accord, que c'est votre écriture ; Mais ce sera, sans doute, et j'en serais garant, Un billet qu'on envoie à quelque indifférent, Ou du moins ce qu'il a de tendresse évidente Sera pour une amie, ou pour quelque parente. Et je puis, ô Perfide… Ce sont propos obscurs, qu'on ne saurait comprendre. Au Prince Don Garcie ! ah. Quoique votre Rival, Prince, alarme votre âme, Vous devez toutefois vous craindre plus que lui, Et vous avez en vous à détruire aujourd'hui L'obstacle le plus grand que trouve votre flamme. Je chéris tendrement ce qu'a fait Don Garcie, Pour me tirer des mains de nos fiers ravisseurs, Son amour, ses devoirs ont pour moi des douceurs ; Mais il m'est odieux avec sa jalousie. Ôtez donc à vos feux, ce qu'ils en font paraître, Méritez les regards que l'on jette sur eux ; Et lorsqu'on vous oblige à vous tenir heureux, Ne vous obstinez point à ne pas vouloir l'être. Ha ! Madame, je dis, Qu'à cet objet mes sens demeurent interdits ; Que je vois dans ma plainte une horrible injustice, Et qu'il n'est point pour moi d'assez cruel supplice. Madame, hélas ! où fuyez-vous ? Ha ! Madame, excusez un Amant misérable, Qu'un sort prodigieux a fait vers vous coupable, Et qui, bien qu'il vous cause un courroux si puissant, Eût été plus blâmable à rester innocent. Car enfin, peut-il être une âme bien atteinte, Dont l'espoir le plus doux ne soit mêlé de crainte ? Et pourriez-vous penser que mon cœur eût aimé, Si ce billet fatal ne l'eût point alarmé ? S'il n'avait point frémi des coups de cette foudre, Dont je me figurais tout mon bonheur en poudre ; Vous-même, dites-moi, si cet événement, N'eût pas dans mon erreur jeté tout autre Amant ? Si d'une preuve, hélas ! qui me semblait si claire, Je pouvais démentir… Moins on mérite un bien qu'on nous fait espérer, Plus notre âme a de peine à pouvoir s'assurer ; Un sort trop plein de gloire à nos yeux est fragile, Et nous laisse aux soupçons une pente facile. Pour moi qui crois si peu mériter vos bontés, J'ai douté du bonheur de mes témérités ; J'ai cru que dans ces lieux rangés sous ma puissance Votre âme se forçait à quelque complaisance ; Que déguisant pour moi votre sévérité… Hé bien, je suis coupable, et ne m'en défends pas, Mais je demande grâce à vos divins appas ; Je la demande au nom de la plus vive flamme, Dont jamais deux beaux yeux aient fait brûler une âme. Que si votre courroux ne peut être apaisé, Si mon crime est trop grand pour se voir excusé, Si vous ne regardez, ni l'amour qui le cause, Ni le vif repentir que mon cœur vous expose ; Il faut qu'un coup heureux, en me faisant mourir, M'arrache à des tourments que je ne puis souffrir. Non ne présumez pas, qu'ayant su vous déplaire, Je puisse vivre une heure avec votre colère. Déjà de ce moment la barbare longueur, Sous ses cuisants remords fait succomber mon cœur ; Et de mille Vautours les blessures cruelles, N'ont rien de comparable à ses douleurs mortelles ; Madame, vous n'avez qu'à me le déclarer, S'il n'est point de pardon que je doive espérer, Cette épée aussitôt, par un coup favorable Va percer à vos yeux le cœur d'un misérable ; Ce cœur, ce traître cœur, dont les perplexités, Ont si fort outragé vos extrêmes bontés ; Trop heureux en mourant, si ce coup légitime Efface en votre esprit l'image de mon crime ; Et ne laisse aucuns traits de votre aversion Au faible souvenir de mon affection ; C'est l'unique faveur que demande ma flamme. Dites, parlez, Madame. Un cœur ne peut jamais outrager quand il aime, Et ce que fait l'amour il l'excuse lui-même. Tout ce qu'il a d'ardeur passe en ses mouvements, Et plus il devient fort, plus il trouve de peine… Vous me haïssez donc ? D'un supplice si grand ne tentez point l'effort, Puisque pour vous venger je vous offre ma mort ; Prononcez-en l'arrêt, et j'obéis sur l'heure. Et moi je ne puis vivre, à moins que vos bontés Accordent un pardon à mes témérités, Résolvez l'un des deux, de punir, ou d'absoudre. Ah ! c'en est trop, souffrez, adorable Princesse… Enfin je suis… Ne me viens point parler de secret, ni d'alarme Dans les doux mouvements du transport qui me charme, Après ce qu'à mes yeux on vient de présenter, Il n'est point de soupçons que je doive écouter ; Et d'un divin objet la bonté sans pareille, À tous ces vains rapports, doit fermer mon oreille, Ne m'en fais plus. La Castille du moins n'aura pas la victoire, Sans que nous essayions d'en partager la gloire ; Et nos Troupes aussi peuvent être en état, D'imprimer quelque crainte au cœur de Mauregat. Mais quel est ce secret, dont tu voulais m'instruire, Voyons un peu ? Va, va, parle, mon cœur t'en donne le pouvoir. Enfin, je veux savoir la chose absolument. Madame, mon abord, comme je connais bien, Assez mal à propos trouble votre entretien ; Et mes pas en ce lieu, s'il faut que je le die, Ne croyaient pas trouver si bonne compagnie. Oui, Madame, je crois, que de cette visite, Comme vous l'assurez, vous n'étiez point instruite ; Mais, Seigneur, vous deviez nous faire au moins l'honneur De nous donner avis de ce rare bonheur ; Et nous mettre en état, sans nous vouloir surprendre, De vous rendre en ces lieux, ce qu'on voudrait vous rendre. Mais les grands Conquérants, dont on vante les soins, Loin d'aimer le secret, affectent les témoins. Leur âme dès l'enfance à la gloire élevée, Les fait dans leurs projets aller tête levée ; Et s'appuyant toujours sur des hauts sentiments, Ne s'abaisse jamais à des déguisements. Ne commettez-vous point vos vertus héroïques, En passant dans ces lieux par des sourdes pratiques ; Et ne craignez-vous point, qu'on puisse aux yeux de tous Trouver cette action trop indigne de vous ? Ah ! c'en est trop que prendre sa querelle, Madame, et votre esprit devrait feindre un peu mieux, Lorsqu'il veut ignorer sa venue en ces lieux. Cette chaleur si prompte, à vouloir la défendre, Persuade assez mal, qu'elle ait pu vous surprendre. Poussez donc jusqu'au bout cet orgueil héroïque, Et que sans hésiter tout votre cœur s'explique ; C'est au déguisement donner trop de crédit, Ne désavouez rien, puisque vous l'avez dit. Tranchez, tranchez le mot, forcez toute contrainte, Dites que de ses feux vous ressentez l'atteinte ; Que pour vous sa présence a des charmes si doux… Tout vous rit, et votre âme en cette occasion Jouit superbement de ma confusion ; Il vous est doux de voir un aveu plein de gloire, Sur les feux d'un Rival marquer votre victoire ; Mais c'est à votre joie un surcroît sans égal, D'en avoir pour témoins les yeux de ce Rival ; Et mes prétentions hautement étouffées, À vos vœux triomphants sont d'illustres trophées ; Goûtez à pleins transports ce bonheur éclatant, Mais sachez qu'on n'est pas encore où l'on prétend. La fureur qui m'anime a de trop justes causes, Et l'on verra peut-être arriver bien des choses ; Un désespoir va loin quand il est échappé, Et tout est pardonnable à qui se voit trompé. Si l'ingrate à mes yeux pour flatter votre flamme, À jamais n'être à moi, vient d'engager son âme ; Je saurai bien trouver dans mon juste courroux Les moyens d'empêcher qu'elle ne soit à vous. Non, non, ne craignez point qu'on pousse votre esprit, À violer ici l'ordre qu'on vous prescrit ; Quelque juste fureur qui me presse, et vous flatte, Je sais, Comte, je sais, quand il faut qu'elle éclate. Ces lieux vous sont ouverts, oui, sortez-en, sortez, Glorieux des douceurs que vous en remportez ; Mais encore une fois, apprenez que ma tête Peut seule dans vos mains mettre votre conquête. Ah ! sois un peu sensible à ma disgrâce extrême, Élise, et prends pitié d'un cœur infortuné, Qu'aux plus vives douleurs tu vois abandonné. Je le sais, mais hélas ! les destins inhumains, S'opposent à l'effet de ces justes desseins ; Et malgré tous mes soins viennent toujours me tendre Un piège, dont mon cœur ne saurait se défendre ; Ce n'est pas que l'ingrate aux yeux de mon Rival, N'ait fait contre mes feux un aveu trop fatal ; Et témoigné pour lui des excès de tendresse, Dont le cruel objet me reviendra sans cesse : Mais comme trop d'ardeur, enfin, m'avait séduit, Quand j'ai cru qu'en ces lieux elle l'ait introduit, D'un trop cuisant ennui je sentirais l'atteinte, À lui laisser sur moi quelque sujet de plainte. Oui, je veux faire au moins, si je m'en vois quitté, Que ce soit de son cœur pure infidélité ; Et venant m'excuser d'un trait de promptitude, Dérober tout prétexte à son ingratitude. Ah ! si tu me chéris, obtiens que je la voie, C'est une liberté qu'il faut qu'elle m'octroie ; Je ne pars point d'ici qu'au moins son fier dédain… Non, ne m'oppose point une excuse frivole. Dis-lui, que j'ai d'abord banni de ma présence, Celui dont les avis ont causé mon offense, Que Don Lope jamais… Que vois-je! ô justes Cieux, Faut-il que je m'assure au rapport de mes yeux ? Ah ! sans doute ils me sont des témoins trop fidèles, Voilà le comble affreux de mes peines mortelles. Voici le coup fatal qui devait m'accabler, Et quand par des soupçons je me sentais troubler, C'était, c'était le Ciel, dont la sourde menace Présageait à mon cœur cette horrible disgrâce. J'ai vu ce que mon âme a peine à concevoir, Et le renversement de toute la nature Ne m'étonnerait pas comme cette aventure ; C'en est fait… le destin… je ne saurais parler. J'ai vu… vengeance, ô Ciel ! J'en mourrai, Don Alvar, la chose est bien certaine. Ah ! tout est ruiné, Je suis, je suis trahi, je suis assassiné ; Un homme, sans mourir te le puis-je bien dire, Un homme dans les bras de l'infidèle Elvire ? Ah ! sur ce que j'ai vu, ne me contestez point. Don Alvar, c'en est trop que soutenir sa gloire, Lorsque mes yeux font foi d'une action si noire. Don Alvar, laissez-moi je vous prie, Un Conseiller me choque en cette occasion, Et je ne prends avis que de ma passion. Ah ! que sensiblement cette atteinte me touche ; Mais il faut voir qui c'est, et de ma main punir… La voici, ma fureur, te peux-tu retenir ? Que toutes les horreurs, dont une âme est capable À vos déloyautés n'ont rien de comparable, Que le sort, les démons, et le Ciel en courroux, N'ont jamais rien produit de si méchant que vous. Oui, oui, c'en est un autre, et vous n'attendiez pas Que j'eusse découvert le traître dans vos bras, Qu'un funeste hasard par la porte entrouverte, Eût offert à mes yeux votre honte, et ma perte. Est-ce l'heureux Amant sur ses pas revenu, Ou quelque autre Rival qui m'était inconnu ? Ô Ciel ! donne à mon cœur des forces suffisantes Pour pouvoir supporter des douleurs si cuisantes, Rougissez maintenant, vous en avez raison, Et le masque est levé de votre trahison. Voilà ce que marquaient les troubles de mon âme, Ce n'était pas en vain que s'alarmait ma flamme ; Par ces fréquents soupçons qu'on trouvait odieux, Je cherchais le malheur qu'ont rencontré mes yeux. Et malgré tous vos soins, et votre adresse à feindre, Mon astre me disait ce que j'avais à craindre ; Mais ne présumez pas que sans être vengé, Je souffre le dépit de me voir outragé. Je sais que sur les vœux on n'a point de puissance, Que l'amour veut partout naître sans dépendance, Que jamais par la force on n'entra dans un cœur, Et que toute âme est libre à nommer son vainqueur : Aussi ne trouverais-je aucun sujet de plainte, Si pour moi votre bouche avait parlé sans feinte, Et son arrêt livrant mon espoir à la mort, Mon cœur n'aurait eu droit de s'en prendre qu'au sort. Mais d'un aveu trompeur voir ma flamme applaudie, C'est une trahison, c'est une perfidie, Qui ne saurait trouver de trop grands châtiments, Et je puis tout permettre à mes ressentiments ; Non, non, n'espérez rien après un tel outrage, Je ne suis plus à moi, je suis tout à la rage, Trahi de tous côtés, mis dans un triste état, Il faut que mon amour se venge avec éclat, Qu'ici j'immole tout à ma fureur extrême, Et que mon désespoir achève par moi-même. Et par quels beaux discours que l'artifice inspire… Hé bien j'écoute, ô Ciel, quelle est ma patience ! C'est que vous voyez bien… Et n'est-ce pas… Juste Ciel ! jamais rien peut-il être inventé Avec plus d'artifice, et de déloyauté ? Tout ce que des Enfers la malice étudie, A-t-il rien de si noir que cette perfidie, Et peut-elle trouver dans toute sa rigueur Un plus cruel moyen d'embarrasser un cœur ? Ah ! que vous savez bien, ici contre moi-même, Ingrate, vous servir de ma faiblesse extrême, Et ménager pour vous l'effort prodigieux De ce fatal amour né de vos traîtres yeux, Parce qu'on est surprise, et qu'on manque d'excuse, D'un offre de pardon on emprunte la ruse, Votre feinte douceur forge un amusement, Pour divertir l'effet de mon ressentiment ; Et par le nœud subtil du choix qu'elle embarrasse, Veut soustraire un perfide au coup qui le menace, Oui, vos dextérités veulent me détourner D'un éclaircissement qui vous doit condamner ; Et votre âme feignant une innocence entière Ne s'offre à m'en donner une pleine lumière, Qu'à des conditions, qu'après d'ardents souhaits, Vous pensez que mon cœur n'acceptera jamais ; Mais vous serez trompée en me croyant surprendre, Oui, oui, je prétends voir ce qui doit vous défendre, Et quel fameux prodige accusant ma fureur, Peut de ce que j'ai vu justifier l'horreur. Soit, je souscris à tout, et mes vœux aussi bien, En l'état où je suis ne prétendent plus rien. Non, non, tous ces discours sont de vaines défaites, Et c'est moi bien plutôt qui dois vous avertir, Que quelque autre dans peu se pourra repentir ; Le traître, quel qu'il soit, n'aura pas l'avantage, De dérober sa vie à l'effort de ma rage. Et je puis… Ô Ciel ! Quelles tristes clartés dissipent mon erreur, Enveloppent mes sens d'une profonde horreur, Et ne laissent plus voir à mon âme abattue, Que l'effroyable objet d'un remords qui me tue ! Ah ! Don Alvar, je vois que vous avez raison, Mais l'Enfer dans mon cœur a soufflé son poison ; Et par un trait fatal d'une rigueur extrême, Mon plus grand ennemi se rencontre en moi-même. Que me sert-il d'aimer du plus ardent amour, Qu'une âme consumée ait jamais mis au jour ; Si par ses mouvements qui font toute ma peine, Cet amour à tous coups se rend digne de haine ? Il faut, il faut venger par mon juste trépas L'outrage que j'ai fait à ses divins appas ; Aussi bien quel conseil aujourd'hui puis-je suivre ? Ah ! j'ai perdu l'objet, pour qui j'aimais à vivre, Si j'ai pu renoncer à l'espoir de ses vœux, Renoncer à la vie, est beaucoup moins fâcheux. Non, Don Alvar, ma mort est nécessaire, Il n'est soins, ni raisons qui m'en puissent distraire ; Mais il faut que mon sort en se précipitant Rende à cette Princesse un service éclatant. Et je veux me chercher dans cette illustre envie Les moyens glorieux de sortir de la vie, Faire par un grand coup qui signale ma foi, Qu'en expirant pour elle, elle ait regret à moi, Et qu'elle puisse dire en se voyant vengée, C'est par son trop d'amour qu'il m'avait outragée. Il faut que de ma main un illustre attentat Porte une mort trop due au sein de Mauregat, Que j'aille prévenir par une belle audace, Le coup, dont la Castille avec bruit le menace, Et j'aurai des douceurs dans mon instant fatal, De ravir cette gloire, à l'espoir d'un Rival. Allons par un juste devoir, Faire à ce noble effort servir mon désespoir. Madame, avec quel front faut-il que je m'avance, Quand je viens vous offrir l'odieuse présence… C'est faire voir, Madame, une bonté trop rare, Que vouloir adoucir le coup qu'on me prépare, Sur moi sans de tels soins vous pouvez laisser choir Le foudre rigoureux de tout votre devoir. En l'état où je suis, je n'ai rien à vous dire, J'ai mérité du sort tout ce qu'il a de pire, Et je sais, quelques maux qu'il me faille endurer, Que je me suis ôté le droit d'en murmurer. Par où pourrais-je, hélas ! dans ma vaste disgrâce, Vers vous de quelque plainte autoriser l'audace ? Mon amour s'est rendu mille fois odieux, Il n'a fait qu'outrager vos attraits glorieux : Et lorsque par un juste, et fameux sacrifice, Mon bras à votre sang cherche à rendre un service, Mon astre m'abandonne au déplaisir fatal, De me voir prévenu par le bras d'un Rival. Madame, après cela je n'ai rien à prétendre, Je suis digne du coup que l'on me fait attendre, Et je le vois venir, sans oser contre lui, Tenter de votre cœur le favorable appui. Ce qui peut me rester dans mon malheur extrême, C'est de chercher alors mon remède en moi-même, Et faire que ma mort propice à mes désirs, Affranchisse mon cœur de tous ses déplaisirs. Oui, bientôt dans ces lieux, Don Alphonse doit être, Et déjà mon Rival commence de paraître. De Léon vers ces murs, il semble avoir volé, Pour recevoir le prix du Tyran immolé ; Ne craignez point du tout qu'aucune résistance Fasse valoir ici ce que j'ai de puissance, Il n'est effort humain que pour vous conserver, Si vous y consentiez, je ne pusse braver ; Mais ce n'est pas à moi, dont on hait la mémoire, À pouvoir espérer cet aveu plein de gloire, Et je ne voudrais pas par des efforts trop vains Jeter le moindre obstacle à vos justes desseins. Non, je ne contrains point vos sentiments, Madame, Je vais en liberté laisser toute votre âme, Ouvrir les murs d'Astorgue à cet heureux vainqueur, Et subir de mon sort la dernière rigueur. De grâce cachez-moi votre contentement, Madame, et me laissez mourir dans la croyance, Que le devoir vous fait un peu de violence. Je sais que de vos vœux vous pouvez disposer, Et mon dessein n'est pas de leur rien opposer, Vous le voyez assez, et quelle obéissance De vos commandements m'arrache la puissance ; Mais je vous avouerai que cette gayeté Surprend au dépourvu toute ma fermeté ; Et qu'un pareil objet dans mon âme fait naître Un transport, dont j'ai peur que je ne sois pas maître, Et je me punirais, s'il m'avait pu tirer De ce respect soumis où je veux demeurer. Oui, vos commandements ont prescrit à mon âme, De souffrir sans éclat le malheur de ma flamme. Cet ordre sur mon cœur doit être tout-puissant, Et je prétends mourir en vous obéissant ; Mais encore une fois, la joie où je vous treuve, M'expose à la rigueur d'une trop rude épreuve, Et l'âme la plus sage en ces occasions Répond malaisément de ses émotions. Madame, épargnez-moi cette cruelle atteinte, Donnez-moi par pitié deux moments de contrainte, Et quoi que d'un Rival vous inspirent les soins, N'en rendez pas mes yeux les malheureux témoins, C'est la moindre faveur qu'on peut je crois prétendre, Lorsque dans ma disgrâce un Amant peut descendre ; Je ne l'exige pas, Madame, pour longtemps, Et bientôt mon départ rendra vos vœux contents. Je vais, où de ses feux mon âme consumée, N'apprendra votre Hymen que par la renommée, Ce n'est pas un spectacle où je doive courir, Madame, sans le voir j'en saurai bien mourir. Hélas ! cette bonté, Seigneur, doit me confondre, À mes plus chers désirs elle daigne répondre, Le coup que je craignais le Ciel l'a détourné, Et tout autre que moi se verrait fortuné ; Mais ces douces clartés d'un secret favorable, Vers l'objet adoré me découvrent coupable, Et tombé de nouveau dans ces traîtres soupçons, Sur quoi l'on m'a tant fait d'inutiles leçons ; Et par qui mon ardeur si souvent odieuse, Doit perdre tout espoir d'être jamais heureuse. Oui, l'on doit me haïr avec trop de raison, Moi-même je me trouve indigne de pardon, Et quelque heureux succès que le sort me présente, La mort, la seule mort, est toute mon attente. Ciel ! dans l'excès des biens que cet aveu m'octroie, Rends capable mon cœur de supporter sa joie. **** *creator_moliere *book_moliere_domgarciedenavarre *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_domgarciedenavarre *dist2_moliere_verse_comedy *id_dona-elvire *date_1661 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_donaelvire Non, ce n'est point un choix, qui pour ces deux Amants, Sut régler de mon cœur les secrets sentiments ; Et le Prince n'a point dans tout ce qu'il peut être, Ce qui fit préférer l'amour qu'il fait paraître. Don Sylve comme lui fit briller à mes yeux Toutes les qualités d'un Héros glorieux ; Même éclat de vertus, joint à même naissance, Me parlait en tous deux pour cette préférence ; Et je serais encore à nommer le vainqueur, Si le mérite seul prenait droit sur un cœur. Mais ces chaînes du Ciel, qui tombent sur nos âmes, Décidèrent en moi le destin de leurs flammes ; Et toute mon estime égale entre les deux, Laissa vers Don Garcie entraîner tous mes vœux. De ces nobles Rivaux l'amoureuse poursuite, À de fâcheux combats, Élise, m'a réduite. Quand je regardais l'un, rien ne me reprochait Le tendre mouvement où mon âme penchait ; Mais je me l'imputais à beaucoup d'injustice, Quand de l'autre à mes yeux s'offrait le sacrifice. Et Don Sylve, après tout, dans ses soins amoureux Me semblait mériter un destin plus heureux. Je m'opposais encor, ce qu'au sang de Castille, Du feu Roi de Léon, semble devoir la Fille ; Et la longue amitié, qui d'un étroit lien Joignit les intérêts, de son Père et du mien. Ainsi plus dans mon âme un autre prenait place, Plus de tous ses respects je plaignais la disgrâce : Ma pitié complaisante à ses brûlants soupirs, D'un dehors favorable amusait ses désirs ; Et voulait réparer par ce faible avantage, Ce qu'au fond de mon cœur je lui faisais d'outrage. Il est vrai que j'ai lieu de chérir la nouvelle, Qui m'apprit que Don Sylve était un infidèle ; Puisque par ses ardeurs mon cœur tyrannisé Contre elles à présent se voit autorisé, Qu'il en peut justement combattre les hommages, Et sans scrupule ailleurs donner tous ses suffrages. Mais enfin quelle joie en peut prendre ce cœur, Si d'une autre contrainte il souffre la rigueur ? Si d'un Prince jaloux l'éternelle faiblesse, Reçoit indignement les soins de ma tendresse ; Et semble préparer dans mon juste courroux Un éclat à briser tout commerce entre nous ? Non, non, de cette sombre, et lâche jalousie Rien ne peut excuser l'étrange frénésie ; Et par mes actions je l'ai trop informé, Qu'il peut bien se flatter du bonheur d'être aimé. Sans employer la langue, il est des interprètes Qui parlent clairement des atteintes secrètes. Un soupir, un regard, une simple rougeur, Un silence est assez pour expliquer un cœur. Tout parle dans l'amour, et sur cette matière Le moindre jour doit être une grande lumière ; Puisque chez notre Sexe, où l'honneur est puissant, On ne montre jamais tout ce que l'on ressent. J'ai voulu, je l'avoue ajuster ma conduite, Et voir d'un œil égal, l'un et l'autre mérite : Mais que contre ses vœux on combat vainement, Et que la différence est connue aisément, De toutes ces faveurs qu'on fait avec étude À celles où du cœur fait pencher l'habitude. Dans les unes toujours, on paraît se forcer ; Mais les autres, hélas ! se font sans y penser, Semblables à ces eaux, si pures et si belles, Qui coulent sans effort des sources naturelles. Ma pitié pour Don Sylve, avait beau l'émouvoir, J'en trahissais les soins, sans m'en apercevoir. Et mes regards au Prince, en un pareil martyre En disaient toujours plus, que je n'en voulais dire. Ah ! ne m'avancez point cette étrange maxime Partout la jalousie est un monstre odieux, Rien n'en peut adoucir les traits injurieux ; Et plus l'amour est cher, qui lui donne naissance Plus on doit ressentir les coups de cette offense. Voir un Prince emporté, qui perd à tous moments Le respect que l'amour inspire aux vrais Amants : Qui dans les soins jaloux, où son âme se noie, Querelle également mon chagrin, et ma joie ; Et dans tous mes regards ne peut rien remarquer, Qu'en faveur d'un Rival il ne veuille expliquer. Non, non, par ces soupçons je suis trop offensée, Et sans déguisement je te dis ma pensée. Le Prince Don Garcie est cher à mes désirs, Il peut d'un cœur illustre échauffer les soupirs : Au milieu de Léon, on a vu son courage Me donner de sa flamme un noble témoignage, Braver en ma faveur les périls les plus grands, M'enlever aux desseins de nos lâches tyrans. Et dans ces murs forcés mettre ma destinée, À couvert des horreurs d'un indigne hyménée ; Et je ne cèle point que j'aurais de l'ennui, Que la gloire en fût due à quelque autre qu'à lui ; Car un cœur amoureux prend un plaisir extrême, À se voir redevable, Élise, à ce qu'il aime ; Et sa flamme timide ose mieux éclater, Lorsqu'en favorisant, elle croit s'acquitter. Oui, j'aime qu'un secours qui hasarde sa tête Semble à sa passion donner droit de conquête. J'aime que mon péril m'ait jetée en ses mains, Et si les bruits communs ne sont pas des bruits vains ; Si la bonté du Ciel nous ramène mon Frère, Les vœux les plus ardents, que mon cœur puisse faire, C'est que son bras encor, sur un perfide sang Puisse aider à ce Frère, à reprendre son rang, Et par d'heureux succès d'une haute vaillance Mériter tous les soins de sa reconnaissance : Mais avec tout cela, s'il pousse mon courroux, S'il ne purge ses feux de leurs transports jaloux, Et ne les range aux lois, que je lui veux prescrire, C'est inutilement qu'il prétend Done Elvire. L'hymen ne peut nous joindre, et j'abhorre des nœuds, Qui deviendraient sans doute un Enfer pour tous deux. Je n'y veux point, Élise, employer cette lettre, C'est un soin qu'à ma bouche, il me vaut mieux commettre. La faveur d'un écrit laisse aux mains d'un Amant Des témoins trop constants de notre attachement : Ainsi donc empêchez, qu'au Prince on ne la livre. Nous ne le croyions pas si proche ; le voici. Votre retour surprend, qu'avez-vous à m'apprendre ? Don Alphonse vient-il, a-t-on lieu de l'attendre ? Un secours si puissant doit flatter notre espoir ; Mais je crains que mon Frère y puisse trop devoir. Il cherche dans l'Hymen de cette illustre Fille L'appui du grand crédit, où se voit sa famille ; Je ne reçois rien d'elle, et j'en suis en souci, Mais son cœur au Tyran fut toujours endurci. Je sais que vous pouvez, Prince, en vengeant nos droits Faire par votre amour parler cent beaux exploits. Mais ce n'est pas assez pour le prix qu'il espère Que l'aveu d'un État, et la faveur d'un Frère. Done Elvire n'est pas au bout de cet effort, Et je vous vois à vaincre un obstacle plus fort. Souvent on entend mal, ce qu'on croit bien entendre, Et par trop de chaleur, Prince, on se peut méprendre. Mais puisqu'il faut parler, désirez-vous savoir, Quand vous pourrez me plaire, et prendre quelque espoir ? Quand vous saurez m'aimer, comme il faut que l'on aime. Quand votre passion ne fera rien paraître, Dont se puisse indigner celle qui l'a fait naître. Quand tous ses mouvements Ne prendront point de moi de trop bas sentiments. Quand d'un injuste ombrage Votre raison saura me réparer l'outrage ; Et que vous bannirez, enfin, ce monstre affreux, Qui de son noir venin empoisonne vos feux. Cette jalouse humeur, dont l'importun caprice, Aux vœux, que vous m'offrez, rend un mauvais office, S'oppose à leur attente, et contre eux à tous coups Arme les mouvements de mon juste courroux. Prince, de vos soupçons la tyrannie est grande : Au moindre mot qu'il dit, un cœur veut qu'on l'entende, Et n'aime pas ces feux, dont l'importunité Demande qu'on s'explique avec tant de clarté. Le premier mouvement qui découvre notre âme, Doit d'un Amant discret satisfaire la flamme ; Et c'est à s'en dédire autoriser nos vœux, Que vouloir plus avant pousser de tels aveux. Je ne dis point quel choix, s'il m'était volontaire, Entre Don Sylve et vous, mon âme pourrait faire ; Mais vouloir vous contraindre à n'être point jaloux, Aurait dit quelque chose à tout autre que vous ; Et je croyais cet ordre un assez doux langage Pour n'avoir pas besoin d'en dire davantage. Cependant votre amour n'est pas encor content ; Il demande un aveu qui soit plus éclatant. Pour l'ôter de scrupule, il me faut à vous-même, En des termes exprès, dire que je vous aime ; Et peut-être qu'encor pour vous en assurer Vous vous obstineriez à m'en faire jurer. Vous promettez beaucoup, Prince, et je doute fort, Si vous pourrez sur vous faire ce grand effort. J'en étais en peine, et tu m'obliges fort, Que le Courrier attende. À ces regards qu'il jette, Vois-je pas que déjà cet écrit l'inquiète. Prodigieux effet de son tempérament, Qui vous arrête, Prince, au milieu du serment ? Il me semble Que vous me répondez d'un ton fort altéré, Je vous vois tout à coup le visage égaré ; Ce changement soudain a lieu de me surprendre, D'où peut-il provenir, le pourrait-on apprendre ? Souvent plus qu'on ne croit ces maux ont de rigueur ; Et quelque prompt secours vous serait nécessaire, Mais encor dites-moi, vous prend-il d'ordinaire ? Ah ! Prince faible, hé bien par cet écrit, Guérissez-le ce mal, il n'est que dans l'esprit. Lisez-le, vous dis-je, et satisfaites-vous. Si vous vous obstinez à cette résistance, J'aurais tort de vouloir vous faire violence ; Et c'est assez enfin, que vous avoir pressé De voir de quelle main ce billet m'est tracé. Oui, oui, Prince, tenez vous le lirez pour moi. C'est ce que vous voudrez, dépêchez-vous de lire. Oui, je m'en réjouis, et pour vous, et pour moi. Je vais faire réponse à cette illustre amie, Cependant apprenez, Prince, à vous mieux armer Contre ce qui prend droit de vous trop alarmer. J'ai calmé votre trouble, avec cette lumière, Et la chose a passé d'une douce manière ; Mais à n'en point mentir il serait des moments, Où je pourrais entrer dans d'autres sentiments. Je crois ce qu'il faut croire. Adieu, de mes avis conservez la mémoire, Et s'il est vrai pour moi, que votre amour soit grand, Donnez-en à mon cœur les preuves qu'il prétend. Vous avez bien voulu que je vous fisse attendre ? On vient de nous apprendre Que le Roi votre Père approuve vos projets, Et veut bien que son Fils nous rende nos Sujets, Et mon âme en a pris une allégresse extrême. Le Tyran sans doute aura peine à parer Les foudres que partout il entend murmurer, Et j'ose me flatter que le même courage Qui pût bien me soustraire à sa brutale rage ; Et dans les murs d'Astorgue, arrachés de ses mains, Me faire un sûr asile à braver ses desseins : Pourra de tout Léon, achevant la conquête, Sous ses nobles efforts faire choir cette tête. Pourquoi cette demande ? et d'où vient ce souci ? La curiosité naît de la jalousie. Sans chercher plus avant quel intérêt vous presse, J'ai deux fois à Léon, écrit à la Comtesse ; Et deux fois au Marquis Don Louis, à Burgos, Avec cette réponse êtes-vous en repos ? Non, sans doute, et ce discours m'étonne. Ma bouche sur ce point ne peut être parjure. Prince. Ô Ciel! quel est ce mouvement, Avez-vous, dites-moi, perdu le jugement ? De quelle trahison pouvez-vous donc vous plaindre ? Voilà donc le sujet qui vous trouble l'esprit ? L'innocence à rougir n'est point accoutumée. Pourquoi le démentir, puisqu'il est de ma main ? Non, c'est pour un Amant, que ma main l'a formé, Et j'ajoute de plus pour un Amant aimé. Arrêtez, Prince indigne De ce lâche transport l'égarement insigne, Bien que de vous mon cœur ne prenne point de loi, Et ne doive en ces lieux aucun compte qu'à soi, Je veux bien me purger pour votre seul supplice, Du crime que m'impose un insolent caprice ; Vous serez éclairci, n'en doutez nullement, J'ai ma défense prête en ce même moment. Vous allez recevoir une pleine lumière, Mon innocence ici paraîtra toute entière ; Et je veux vous mettant juge en votre intérêt, Vous faire prononcer vous-même votre arrêt. Bientôt à vos dépens vous me pourrez entendre. Élise, holà. Observez bien au moins, Si j'ose à vous tromper employer quelques soins, Si par un seul coup d'œil, ou geste qui l'instruise, Je cherche de ce coup à parer la surprise. Le billet que tantôt ma main avait tracé, Répondez promptement, où l'avez-vous laissé ? Avez-vous ici l'autre ? Donnez, nous allons voir qui mérite le blâme, Avec votre moitié rassemblez celle-ci, Lisez, et hautement, je veux l'entendre aussi. Achevez de lire, Votre âme pour ce mot ne doit pas s'interdire. Hé bien, que dites-vous ? Il suffit, apprenez que si j'ai souhaité Qu'à vos yeux cet écrit pût être présenté ; C'est pour le démentir, et cent fois me dédire De tout ce que pour vous, vous y venez de lire. Adieu Prince. Où vous ne serez point, trop odieux jaloux. Oui, vous le pouviez faire, Et dans mes sentiments assez bien déclarés Vos doutes rencontraient des garants assurés ; Vous n'aviez rien à craindre, et d'autres sur ce gage, Auraient du monde entier bravé le témoignage. Et je pourrais descendre à cette lâcheté, Moi prendre le parti d'une honteuse feinte, Agir par les motifs d'une servile crainte, Trahir mes sentiments, et pour être en vos mains, D'un masque de faveur vous couvrir mes dédains ; La gloire sur mon cœur aurait si peu d'empire, Vous pouvez le penser, et vous me l'osez dire ? Apprenez que ce cœur ne sait point s'abaisser, Qu'il n'est rien sous les Cieux qui puisse l'y forcer. Et s'il vous a fait voir par une erreur insigne Des marques de bonté, dont vous n'étiez pas digne ; Qu'il saura bien montrer malgré votre pouvoir, La haine que pour vous il se résout d'avoir ; Braver votre furie, et vous faire connaître Qu'il n'a point été lâche, et ne veut jamais l'être. Ha ! Prince trop cruel. Faut-il encor pour vous conserver des bontés, Et vous voir m'outrager par tant d'indignités ? L'amour n'excuse point de tels emportements. Non, ne m'en parlez point, vous méritez ma haine. J'y veux tâcher au moins ; Mais, hélas ! je crains bien que j'y perde mes soins, Et que tout le courroux qu'excite votre offense Ne puisse jusque-là faire aller ma vengeance. Qui ne saurait haïr, ne peut vouloir qu'on meure. Hélas ! j'ai trop fait voir, ce que je puis résoudre. Par l'aveu d'un pardon, n'est-ce pas se trahir, Que dire au Criminel qu'on ne le peut haïr ? Laissez, je me veux mal d'une telle faiblesse. Élise, que dis-tu de l'étrange faiblesse, Que vient de témoigner le cœur d'une Princesse ? Que dis-tu de me voir tomber si promptement, De toute la chaleur de mon ressentiment ; Et malgré tant d'éclat relâcher mon courage Au pardon trop honteux d'un si cruel outrage ? Ah ! sache quelque ardeur qui m'impose des lois, Que mon front a rougi pour la dernière fois ; Et que si désormais on pousse ma colère, Il n'est point de retour qu'il faille qu'on espère. Quand je pourrais reprendre un tendre sentiment, C'est assez contre lui que l'éclat d'un serment ; Car enfin un esprit qu'un peu d'orgueil inspire, Trouve beaucoup de honte à se pouvoir dédire ; Et souvent aux dépens d'un pénible combat, Fait sur ses propres vœux un illustre attentat, S'obstine par honneur, et n'a rien qu'il n'immole À la noble fierté de tenir sa parole. Ainsi dans le pardon que l'on vient d'obtenir, Ne prends point de clartés pour régler l'avenir ; Et quoi qu'à mes destins la fortune prépare, Crois que je ne puis être au Prince de Navarre, Que de ces noirs accès qui troublent sa raison, Il n'ait fait éclater l'entière guérison, Et réduit tout mon cœur que ce mal persécute, À n'en plus redouter l'affront d'une rechute. En est-il un qui soit plus digne de courroux ? Et puisque notre cœur fait un effort extrême, Lorsqu'il se peut résoudre à confesser qu'il aime ; Puisque l'honneur du Sexe en tout temps rigoureux, Oppose un fort obstacle à de pareils aveux, L'Amant qui voit pour lui franchir un tel obstacle, Doit-il impunément douter de cet Oracle ? Et n'est-il pas coupable, alors qu'il ne croit pas, Ce qu'on ne dit jamais qu'après de grands combats ? N'en disputons plus, chacun a sa pensée, C'est un scrupule, enfin, dont mon âme est blessée ; Et contre mes désirs, je sens je ne sais quoi, Me prédire un éclat entre le Prince et moi ; Qui malgré ce qu'on doit aux vertus dont il brille… Mais ô Ciel ! en ces lieux, Don Sylve de Castille ; Ah ! Seigneur, par quel sort vous vois-je maintenant ? Je sais, Seigneur, je sais, que vous avez un cœur, Qui des plus grands périls vous peut rendre vainqueur ; Et je ne doute point que ce généreux zèle, Dont la chaleur vous pousse à venger ma querelle, N'eût contre les efforts d'un indigne projet Pu faire en ma faveur tout ce qu'un autre a fait. Mais sans cette action, dont vous étiez capable, Mon sort à la Castille est assez redevable ; On sait ce qu'en ami, plein d'ardeur et de foi, Le Comte votre Père a fait pour le feu Roi, Après l'avoir aidé, jusqu'à l'heure dernière, Il donne en ses États un asile à mon Frère. Quatre Lustres entiers, il y cache son sort, Aux barbares fureurs de quelque lâche effort ; Et pour rendre à son front l'éclat d'une Couronne, Contre nos ravisseurs vous marchez en personne. N'êtes-vous pas content, et ces soins généreux, Ne m'attachent-ils point par d'assez puissants nœuds ? Quoi votre âme, Seigneur, serait-elle obstinée À vouloir asservir toute ma destinée ; Et faut-il que jamais il ne tombe sur nous L'ombre d'un seul bienfait qu'il ne vienne de vous ? Ah ! souffrez dans les maux, où mon destin m'expose, Qu'aux soins d'un autre aussi, je doive quelque chose ; Et ne vous plaignez point de voir un autre bras, Acquérir de la gloire, où le vôtre n'est pas. Ne me demandez rien avant que regarder, Ce qu'à mes sentiments vous devez demander ; Et sur cette froideur qui semble vous confondre, Répondez-vous, Seigneur, ce que je puis répondre ; Car enfin tous vos soins ne sauraient ignorer Quels secrets de votre âme on m'a su déclarer, Et je la crois cette âme, et trop noble, et trop haute, Pour vouloir m'obliger à commettre une faute ; Vous-même, dites-vous s'il est de l'équité, De me voir couronner une infidélité, Si vous pouviez m'offrir, sans beaucoup d'injustice Un cœur à d'autres yeux offert en sacrifice, Vous plaindre avec raison, et blâmer mes refus, Lorsqu'ils veulent d'un crime affranchir vos vertus. Oui, Seigneur, c'est un crime, et les premières flammes, Ont des droits si sacrés sur les illustres âmes, Qu'il faut perdre grandeurs, et renoncer au jour, Plutôt que de pencher vers un second amour. J'ai pour vous cette ardeur que peut prendre l'estime, Pour un courage haut, pour un cœur magnanime ; Mais n'exigez de moi que ce que je vous dois, Et soutenez l'honneur de votre premier choix. Malgré vos feux nouveaux, voyez quelle tendresse Vous conserve le cœur de l'aimable Comtesse ; Ce que pour un ingrat, (car vous l'êtes Seigneur), Elle a d'un choix constant refusé le bonheur. Quel mépris généreux dans son ardeur extrême, Elle a fait de l'éclat, que donne un Diadème ; Voyez combien d'efforts pour vous elle a bravés, Et rendez à son cœur, ce que vous lui devez. Vous n'avez que les maux que vous voulez avoir, Et toujours notre cœur est en notre pouvoir ; Il peut bien quelquefois montrer quelque faiblesse, Mais enfin, sur nos sens, la raison, la maîtresse… Cette vue, en effet, surprend au dernier point, Et de même que vous, je ne l'attendais point. Prince, vous avez tort, et sa visite est telle, Que vous… Quoi que vous soupçonniez, il m'importe si peu, Que j'aurais du regret d'en faire un désaveu. Et si je veux l'aimer m'en empêcherez-vous ? Avez-vous sur mon cœur quelque empire à prétendre, Et pour régler mes vœux ai-je votre ordre à prendre ? Sachez que trop d'orgueil a pu vous décevoir, Si votre cœur sur moi s'est cru quelque pouvoir ; Et que mes sentiments sont d'une âme trop grande Pour vouloir les cacher, lorsqu'on me les demande : Je ne vous dirai point si le Comte est aimé, Mais apprenez de moi qu'il est fort estimé, Que ses hautes vertus, pour qui je m'intéresse, Méritent mieux que vous les vœux d'une Princesse, Que je garde aux ardeurs, aux soins qu'il me fait voir Tout le ressentiment qu'une âme puisse avoir. Et que si des destins la fatale puissance, M'ôte la liberté d'être sa récompense ; Au moins est-il en moi de promettre à ses vœux, Qu'on ne me verra point le butin de vos feux. Et sans vous amuser d'une attente frivole, C'est à quoi je m'engage, et je tiendrai parole. Voilà mon cœur ouvert, puisque vous le voulez, Et mes vrais sentiments à vos yeux étalés ; Êtes-vous satisfait, et mon âme attaquée, S'est-elle à votre avis assez bien expliquée ? Voyez pour vous ôter tout lieu de soupçonner, S'il reste quelque jour encore à vous donner ; Cependant si vos soins s'attachent à me plaire, Songez que votre bras, Comte, m'est nécessaire ; Et d'un capricieux, quels que soient les transports, Qu'à punir nos Tyrans, il doit tous ses efforts. Fermez l'oreille, enfin, à toute sa furie, Et pour vous y porter, c'est moi qui vous en prie. Retournez, Don Alvar, et perdez l'espérance, De me persuader l'oubli de cette offense ; Cette plaie en mon cœur ne saurait se guérir, Et les soins qu'on en prend ne font rien que l'aigrir. À quelques faux respects croit-il que je défère ? Non, non, il a poussé trop avant ma colère ; Et son vain repentir qui porte ici vos pas, Sollicite un pardon que vous n'obtiendrez pas. Ah ! c'est trop promptement qu'il croit mon innocence, Il n'en a pas encore une entière assurance ; Dites-lui, dites-lui, qu'il doit bien tout peser, Et ne se hâter point, de peur de s'abuser. Mais, Don Alvar, de grâce, N'étendons pas plus loin un discours qui me lasse, Il réveille un chagrin qui vient à contre-temps, En troubler dans mon cœur d'autres plus importants. Oui, d'un trop grand malheur la surprise me presse, Et le bruit du trépas de l'illustre Comtesse, Doit s'emparer si bien de tout mon déplaisir, Qu'aucun autre souci n'a droit de me saisir. De quelque grand ennui qu'il puisse être agité, Il en aura toujours moins qu'il n'a mérité. Élise, il faut le voir, qu'il vienne promptement. Hé bien nous serons seuls, et je vais l'ordonner, Tandis que tu prendras le soin de l'amener ; Que mon impatience en ce moment est forte ! Ô! destins, est-ce joie, ou douleur qu'on m'apporte ? Hé bien que voulez-vous, et quel espoir, de grâce, Après vos procédés peut flatter votre audace ? Osez-vous à mes yeux encor vous présenter, Et que me direz-vous que je doive écouter ? Ah ! vraiment j'attendais l'excuse d'un outrage, Mais à ce que je vois, c'est un autre langage. Assez paisiblement vous a-t-on écouté, Et pourrai-je à mon tour parler en liberté ? Si vous avez encor quelque chose à me dire, Vous pouvez l'ajouter, je suis prête à l'ouïr, Sinon faites au moins que je puisse jouir De deux, ou trois moments de paisible audience. Je force ma colère, et veux sans nulle aigreur, Répondre à ce discours si rempli de fureur. Ah ! j'ai prêté l'oreille, Autant qu'il vous a plu, rendez-moi la pareille ; J'admire mon destin, et jamais sous les Cieux, Il ne fut rien, je crois, de si prodigieux, Rien dont la nouveauté soit plus inconcevable, Et rien que la raison rende moins supportable. Je me vois un Amant, qui sans se rebuter Applique tous ses soins à me persécuter, Qui dans tout cet amour que sa bouche m'exprime, Ne conserve pour moi nul sentiment d'estime, Rien au fond de ce cœur qu'ont pu blesser mes yeux, Qui fasse droit au sang que j'ai reçu des Cieux, Et de mes actions défende l'innocence Contre le moindre effort d'une fausse apparence. Oui, je vois… Ah ! surtout ne m'interrompez point, Je vois, dis-je, mon sort malheureux à ce point, Qu'un cœur qui dit qu'il m'aime, et qui doit faire croire, Que quand tout l'Univers douterait de ma gloire, Il voudrait contre tous en être le garant, Est celui qui s'en fait l'ennemi le plus grand. On ne voit échapper aux soins que prend sa flamme Aucune occasion de soupçonner mon âme ; Mais c'est peu des soupçons, il en fait des éclats, Que sans être blessé l'amour ne souffre pas. Loin d'agir en Amant, qui plus que la mort même, Appréhende toujours d'offenser ce qu'il aime, Qui se plaint doucement, et cherche avec respect À pouvoir s'éclaircir de ce qu'il croit suspect, À toute extrémité dans ses doutes il passe, Et ce n'est que fureur, qu'injure, et que menace ; Cependant aujourd'hui je veux fermer les yeux Sur tout ce qui devrait me le rendre odieux, Et lui donner moyen par une bonté pure De tirer son salut d'une nouvelle injure. Ce grand emportement qu'il m'a fallu souffrir, Part de ce qu'à vos yeux le hasard vient d'offrir, J'aurais tort de vouloir démentir votre vue, Et votre âme sans doute a dû paraître émue. Encore un peu d'attention, Et vous allez savoir ma résolution. Il faut que de nous deux le destin s'accomplisse, Vous êtes maintenant sur un grand précipice, Et ce que votre cœur pourra délibérer, Va vous y faire choir, ou bien vous en tirer. Si malgré cet objet qui vous a pu surprendre, Prince, vous me rendez ce que vous devez rendre, Et ne demandez point d'autre preuve que moi Pour condamner l'erreur du trouble où je vous vois, Si de vos sentiments la prompte déférence, Veut sur ma seule foi croire mon innocence, Et de tous vos soupçons démentir le crédit, Pour croire aveuglément ce que mon cœur vous dit ; Cette soumission, cette marque d'estime, Du passé dans ce cœur efface tout le crime. Je rétracte à l'instant, ce qu'un juste courroux M'a fait dans la chaleur prononcer contre vous ; Et si je puis un jour choisir ma destinée, Sans choquer les devoirs du rang où je suis née, Mon honneur satisfait par ce respect soudain Promet à votre amour, et mes vœux, et ma main ; Mais prêtez bien l'oreille, à ce que je vais dire, Si cet offre sur vous obtient si peu d'empire, Que vous me refusiez de me faire entre nous Un sacrifice entier de vos soupçons jaloux ; S'il ne vous suffit pas de toute l'assurance Que vous peuvent donner mon cœur, et ma naissance, Et que de votre esprit les ombrages puissants, Forcent mon innocence à convaincre vos sens, Et porter à vos yeux l'éclatant témoignage D'une vertu sincère à qui l'on fait outrage : Je suis prête à le faire, et vous serez content, Mais il vous faut de moi détacher à l'instant, À mes vœux pour jamais renoncer de vous-même, Et j'atteste du Ciel la puissance suprême, Que quoi que le destin puisse ordonner de nous, Je choisirai plutôt d'être à la mort qu'à vous ; Voilà dans ces deux choix de quoi vous satisfaire, Avisez maintenant celui qui peut vous plaire. Songez que par ce choix vous allez vous prescrire De ne plus rien prétendre au cœur de Done Elvire. Vous vous repentirez de l'éclat que vous faites. Ah ! c'est trop en souffrir, et mon cœur irrité Ne doit plus conserver une sotte bonté ; Abandonnons l'ingrat à son propre caprice, Et puisqu'il veut périr, consentons qu'il périsse ; Élise… À cet éclat vous voulez me forcer, Mais je vous apprendrai que c'est trop m'offenser. Faites un peu sortir la personne chérie… Allez, vous m'entendez, dites que je l'en prie. Attendez vous serez satisfait. Prenez garde qu'au moins cette noble colère, Dans la même fierté, jusqu'au bout persévère ; Et surtout désormais songez bien à quel prix Vous avez voulu voir vos soupçons éclaircis. Voici, grâces au Ciel, ce qui les a fait naître, Ces soupçons obligeants que l'on me fait paraître, Voyez bien ce visage, et si de Done Ignès, Vos yeux au même instant n'y connaissent les traits. Si la fureur dont votre âme est émue, Vous trouble jusque-là l'usage de la vue, Vous avez d'autres yeux à pouvoir consulter, Qui ne vous laisseront aucun lieu de douter. Sa mort est une adresse au besoin inventée Pour fuir l'autorité qui l'a persécutée, Et sous un tel habit elle cachait son sort Pour mieux jouir du fruit de cette feinte mort. Madame, pardonnez, s'il faut que je consente À trahir vos secrets, et tromper votre attente ; Je me vois exposée à sa témérité, Toutes mes actions n'ont plus de liberté, Et mon honneur en butte aux soupçons qu'il peut prendre, Est réduit à toute heure aux soins de se défendre. Nos doux embrassements qu'a surpris ce jaloux, De cent indignités m'ont fait souffrir les coups. Oui, voilà le sujet d'une fureur si prompte, Et l'assuré témoin qu'on produit de ma honte ; Jouissez à cette heure en Tyran absolu De l'éclaircissement que vous avez voulu ; Mais sachez que j'aurai sans cesse la mémoire De l'outrage sanglant qu'on a fait à ma gloire, Et si je puis jamais oublier mes serments, Tombent sur moi du Ciel les plus grands châtiments, Qu'un tonnerre éclatant mette ma tête en poudre, Lorsqu'à souffrir vos feux je pourrai me résoudre. Allons, Madame, allons, ôtons-nous de ces lieux, Qu'infectent les regards d'un monstre furieux, Fuyons-en promptement l'atteinte envenimée, Évitons les effets de sa rage animée, Et ne faisons des vœux dans nos justes desseins, Que pour nous voir bientôt affranchir de ses mains. Faites Don Alvar venir le Prince ici, Souffrez que devant vous je lui parle, Madame Sur cet événement, dont on surprend mon âme. Et ne m'accusez point d'un trop prompt changement, Si je perds contre lui tout mon ressentiment. Sa disgrâce imprévue a pris droit de l'éteindre, Sans lui laisser ma haine, il est assez à plaindre, Et le Ciel qui l'expose à ce trait de rigueur, N'a que trop bien servi les serments de mon cœur, Un éclatant arrêt de ma gloire outragée, À jamais n'être à lui me tenait engagée ; Mais quand par les destins il est exécuté, J'y vois pour son amour trop de sévérité ; Et le triste succès de tout ce qu'il m'adresse M'efface son offense, et lui rend ma tendresse. Oui, mon cœur trop vengé par de si rudes coups, Laisse à leur cruauté désarmer son courroux, Et cherche maintenant par un soin pitoyable À consoler le sort d'un Amant misérable ; Et je crois que sa flamme a bien pu mériter Cette compassion que je lui veux prêter. Prince, ne parlons plus de mon ressentiment, Votre sort dans mon âme a fait du changement, Et par le triste état où sa rigueur vous jette, Ma colère est éteinte, et notre paix est faite. Oui, bien que votre amour ait mérité les coups, Que fait sur lui du Ciel éclater le courroux ; Bien que ses noirs soupçons aient offensé ma gloire, Par des indignités qu'on aurait peine à croire ; J'avouerai toutefois que je plains son malheur, Jusqu'à voir nos succès avec quelque douleur; Que je hais les faveurs de ce fameux service, Lorsqu'on veut de mon cœur lui faire un sacrifice, Et voudrais bien pouvoir racheter les moments, Où le sort contre vous n'armait que mes serments, Mais, enfin, vous savez comme nos destinées, Aux intérêts publics sont toujours enchaînées, Et que l'ordre des Cieux pour disposer de moi, Dans mon Frère qui vient, me va montrer mon Roi. Cédez comme moi, Prince, à cette violence, Où la grandeur soumet celles de ma naissance ; Et si de votre amour les déplaisirs sont grands, Qu'il se fasse un secours de la part que j'y prends Et ne se serve point contre un coup qui l'étonne Du pouvoir qu'en ces lieux votre valeur vous donne ; Ce vous serait sans doute un indigne transport De vouloir dans vos maux lutter contre le sort. Et lorsque c'est en vain qu'on s'oppose à sa rage, La soumission prompte est grandeur de courage, Ne résistez donc point à ses coups éclatants, Ouvrez les murs d'Astorgue au Frère que j'attends, Laissez-moi rendre aux droits qu'il peut sur moi prétendre, Ce que mon triste cœur a résolu de rendre ; Et ce fatal hommage, où mes vœux sont forcés Peut-être n'ira pas si loin que vous pensez. Madame, au désespoir où son destin l'expose, De tous mes déplaisirs n'imputez pas la cause, Vous me rendrez justice, en croyant que mon cœur Fait de vos intérêts sa plus vive douleur, Que bien plus que l'amour l'amitié m'est sensible, Et que si je me plains d'une disgrâce horrible, C'est de voir que du Ciel le funeste courroux Ait pris chez moi les traits qu'il lance contre vous, Et rendu mes regards coupables d'une flamme, Qui traite indignement les bontés de votre âme. Accusez-vous plutôt de l'injuste silence, Qui m'a de vos deux cœurs caché l'intelligence, Ce secret plus tôt su, peut-être à toutes deux Nous aurait épargné des troubles si fâcheux ; Et mes justes froideurs des désirs d'un volage, Au point de leur naissance, ayant banni l'hommage, Eussent pu renvoyer… Sans rencontrer ses yeux vous pouvez être ici, Ne sortez point, Madame, et dans un tel martyre, Veuillez être témoin de ce que je vais dire. Son succès, si le Ciel seconde ma pensée, Madame, n'aura rien, dont vous soyez blessée. Avant que vous parliez je demande instamment, Que vous daigniez, Seigneur, m'écouter un moment, Déjà la renommée a jusqu'à nos oreilles Porté de votre bras les soudaines merveilles ; Et j'admire avec tous, comme en si peu de temps, Il donne à nos destins ces succès éclatants. Je sais bien qu'un bienfait de cette conséquence Ne saurait demander trop de reconnaissance, Et qu'on doit toute chose à l'exploit immortel Qui replace mon Frère au Trône paternel. Mais quoi que de son cœur vous offrent les hommages, Usez en généreux de tous vos avantages, Et ne permettez pas que ce coup glorieux Jette sur moi, Seigneur, un joug impérieux. Que votre amour qui sait quel intérêt m'anime, S'obstine à triompher d'un refus légitime, Et veuille que ce Frère, où l'on va m'exposer Commence d'être roi pour me tyranniser. Léon a d'autres prix, dont en cette occurrence, Il peut mieux honorer votre haute vaillance ; Et c'est à vos vertus faire un présent trop bas, Que vous donner un cœur qui ne se donne pas. Peut-on être jamais satisfait en soi-même, Lorsque par la contrainte on obtient ce qu'on aime ? C'est un triste avantage, et l'Amant généreux À ces conditions refuse d'être heureux ; Il ne veut rien devoir à cette violence Qu'exercent sur nos cœurs les droits de la naissance, Et pour l'objet qu'il aime est toujours trop zélé, Pour souffrir qu'en victime il lui soit immolé ; Ce n'est pas que ce cœur au mérite d'un autre Prétende réserver ce qu'il refuse au vôtre : Non, Seigneur, j'en réponds, et vous donne ma foi Que personne jamais n'aura pouvoir sur moi ; Qu'une sainte retraite à toute autre poursuite… Ne vous étonnez pas si je tarde à répondre, Seigneur, ces nouveautés ont droit de me confondre, Je n'entreprendrai point de dire à votre amour, Si Done Ignès est morte, ou respire le jour ; Mais par Ce Cavalier, l'un de ses plus fidèles, Vous en pourrez sans doute apprendre des nouvelles ? Mon Frère, d'un tel nom souffrez-moi la douceur, De quel ravissement comblez-vous une sœur ; Que j'aime votre choix, et bénis l'aventure, Qui vous fait couronner une amitié si pure, Et de deux nobles cœurs que j'aime tendrement… Non, non, de ce transport le soumis mouvement, Prince, jette en mon âme un plus doux sentiment, Par lui de mes serments je me sens détachée, Vos plaintes, vos respects, vos douleurs m'ont touchée, J'y vois partout briller un excès d'amitié, Et votre maladie est digne de pitié. Je vois, Prince, je vois, qu'on doit quelque indulgence, Aux défauts, où du Ciel fait pencher l'influence, Et pour tout dire, enfin, jaloux, ou non jaloux ; Mon roi sans me gêner peut me donner à vous. **** *creator_moliere *book_moliere_domgarciedenavarre *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_domgarciedenavarre *dist2_moliere_verse_comedy *id_elise *date_1661 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_elise Cet amour que pour lui votre astre vous inspire, N'a sur vos actions pris que bien peu d'empire ; Puisque nos yeux, Madame, ont pu longtemps douter Qui de ces deux Amants vous vouliez mieux traiter. Mais son premier amour que vous avez appris, Doit de cette contrainte affranchir vos esprits. Et puisque avant ses soins, où pour vous il s'engage, Done Ignès de son cœur avait reçu l'hommage ; Et que par des liens aussi fermes que doux L'amitié vous unit, cette Comtesse et vous, Son secret révélé vous est une matière À donner à vos vœux liberté toute entière ; Et vous pouvez sans crainte à cet Amant confus D'un devoir d'amitié couvrir tous vos refus. Mais si de votre bouche il n'a point su sa gloire, Est-ce un crime pour lui que de n'oser la croire ? Et ce qui d'un rival a pu flatter les feux, L'autorise-t-il pas à douter de vos vœux ? Enfin, si les soupçons de cet illustre Amant, Puisque vous le voulez n'ont point de fondement ; Pour le moins font-ils foi d'une âme bien atteinte, Et d'autres chériraient ce qui fait votre plainte. De jaloux mouvements doivent être odieux, S'ils partent d'un amour qui déplaise à nos yeux. Mais tout ce qu'un Amant nous peut montrer d'alarmes, Doit lorsque nous l'aimons, avoir pour nous des charmes ; C'est par là que son feu se peut mieux exprimer, Et plus il est jaloux, plus nous devons l'aimer ; Ainsi puisqu'en votre âme un Prince magnanime… Bien que l'on pût avoir des sentiments tout autres, C'est au Prince, Madame, à se régler aux vôtres, Et dans votre billet ils sont si bien marqués, Que quand il les verra de la sorte expliqués… Toutes vos volontés sont des lois qu'on doit suivre. J'admire cependant que le Ciel ait jeté Dans le goût des esprits tant de diversité, Et que ce que les uns regardent comme outrage, Soit vu par d'autres yeux sous un autre visage. Pour moi je trouverais mon sort tout à fait doux, Si j'avais un Amant qui pût être jaloux ; Je saurais m'applaudir de son inquiétude ; Et ce qui pour mon âme est souvent un peu rude, C'est de voir Don Alvar ne prendre aucun souci. De trop puissants motifs, d'honneur et de tendresse, Opposent ses refus aux nœuds dont on la presse, Pour… Tout ce que fait le Prince, à parler franchement, N'est pas ce qui me donne un grand étonnement ; Car que d'un noble amour une âme bien saisie, En pousse les transports jusqu'à la jalousie, Que de doutes fréquents ses vœux soient traversés, Il est fort naturel, et je l'approuve assez ; Mais ce qui me surprend, Don Lope, c'est d'entendre, Que vous lui préparez les soupçons qu'il doit prendre, Que votre âme les forme, et qu'il n'est en ces lieux, Fâcheux que par vos soins, jaloux que par vos yeux, Encore un coup, Don Lope, une âme bien éprise Des soupçons qu'elle prend, ne me rend point surprise ; Mais qu'on ait sans amour tous les soins d'un jaloux, C'est une nouveauté qui n'appartient qu'à vous. Mais savez-vous, qu'enfin, il fera mal la sienne, S'il faut qu'en cette humeur votre esprit l'entretienne ? Ces maximes un temps leur peuvent succéder ; Mais il est des revers, qu'on doit appréhender. Et dans l'esprit des Grands, qu'on tâche de surprendre, Un rayon de lumière, à la fin peut descendre, Qui sur tous ces flatteurs venge équitablement, Ce qu'a fait à leur gloire, un long aveuglement. Cependant je dirai, que votre âme s'explique Un peu bien librement sur votre Politique ; Et ses nobles motifs, au Prince rapportés, Serviraient assez mal vos assiduités. Tout Amant de bon sens en doit user ainsi. Quelques lettres, Seigneur, je le présume ainsi ; Mais elle va savoir que vous êtes ici. Madame. Madame, j'ai sujet de m'avouer coupable, Je ne sais comme il est demeuré sur ma table ; Mais on vient de m'apprendre en ce même moment, Que Don Lope venant dans mon appartement, Par une liberté, qu'on lui voit se permettre, A fureté partout, et trouvé cette lettre. Comme il la dépliait, Léonor a voulu S'en saisir promptement, avant qu'il eût rien lu ; Et se jetant sur lui, la lettre contestée, En deux justes moitiés dans leurs mains est restée, Et Don Lope aussitôt prenant un prompt essor, A dérobé la sienne aux soins de Léonor. Oui, la voilà, Madame. Moi, je dis que d'un cœur que nous pouvons chérir, Une injure sans doute est bien dure à souffrir : Mais que s'il n'en est point qui davantage irrite, Il n'en est point aussi qu'on pardonne si vite ; Et qu'un coupable aimé triomphe à nos genoux De tous les prompts transports du plus bouillant courroux, D'autant plus aisément, Madame, quand l'offense Dans un excès d'amour peut trouver sa naissance ; Ainsi quelque dépit que l'on vous ait causé, Je ne m'étonne point de le voir apaisé ; Et je sais quel pouvoir malgré votre menace, À de pareils forfaits donnera toujours grâce. Mais quel affront nous fait le transport d'un jaloux ? Moi, je tiens que toujours un peu de défiance, En ces occasions n'a rien qui nous offense ; Et qu'il est dangereux qu'un cœur qu'on a charmé, Soit trop persuadé, Madame, d'être aimé, Si… J'attendais qu'il sortît, Madame, pour vous dire, Ce qu'il veut maintenant que votre âme respire, Puisque votre chagrin dans un moment d'ici, Du sort de Done Ignès peut se voir éclairci. Un inconnu qui vient pour cette confidence, Vous fait par un des siens demander audience. Mais il veut n'être vu que de vous seulement ; Et par cet envoyé, Madame, il sollicite, Qu'il puisse sans témoins vous rendre sa visite. Où… En quel lieu votre Maître… Dites-lui qu'il s'avance, Assuré qu'on l'attend avec impatience, Et qu'il ne se verra d'aucuns yeux éclairé ; Je ne sais quel secret en doit être auguré, Tant de précautions qu'il affecte de prendre… Mais le voici déjà. Seigneur, pour vous attendre On a fait… Mais que vois-je ? Ha ! Madame, mes yeux… Ma surprise en public eût trahi vos désirs, Mais allez là-dedans étouffer des soupirs ; Et des charmants transports d'une pleine allégresse, Saisir à votre aspect le cœur de la Princesse ; Vous la trouverez seule, elle-même a pris soin Que votre abord fût libre, et n'eût aucun témoin ; Vois-je pas Don Alvar ? C'est avec d'autres yeux que ne fait la Princesse, Seigneur, que je verrais le tourment qui vous presse ; Mais nous avons du Ciel, ou du tempérament, Que nous jugeons de tout chacun diversement. Et puisqu'elle vous blâme, et que sa fantaisie, Lui fait un monstre affreux de votre jalousie ; Je serais complaisante, et voudrais m'efforcer De cacher à ses yeux, ce qui peut les blesser. Un Amant suit sans doute une utile méthode, S'il fait qu'à notre humeur la sienne s'accommode, Et cent devoirs font moins que ces ajustements, Qui font croire en deux cœurs les mêmes sentiments. L'art de ces doux rapports fortement les assemble, Et nous n'aimons rien tant, que ce qui nous ressemble. Laissez un peu de temps à son ressentiment, Et ne la voyez point, Seigneur, si promptement. De grâce différez l'effet de ce dessein. Il faut que ce soit elle, avec une parole, Qui trouve les moyens de le faire en aller, Demeurez donc, Seigneur, je m'en vais lui parler. Voici de son jaloux sans doute un nouveau trait. Oui, Done Elvire a su ces nouvelles semées, Et du vieux Don Louis, les trouve confirmées, Qui vient de lui mander, que Léon dans ce jour, De Don Alphonse, et d'elle, attend l'heureux retour, Et que c'est là qu'on doit, par un revers prospère, Lui voir prendre un époux de la main de ce Frère ; Dans ce peu qu'il en dit, il donne assez à voir, Que Don Sylve est l'époux qu'elle doit recevoir. Est sans doute bien rude, Et je le trouve à plaindre en son inquiétude, Son intérêt pourtant, si j'en ai bien jugé, Est encor cher au cœur qu'il a tant outragé ; Et je n'ai point connu, qu'à ce succès qu'on vante, La Princesse ait fait voir une âme fort contente, De ce frère qui vient, et de la lettre aussi, Mais… **** *creator_moliere *book_moliere_domgarciedenavarre *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_domgarciedenavarre *dist2_moliere_verse_comedy *id_dom-alphonse *date_1661 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_domalphonse Je sais que mon abord, Madame, est surprenant, Et qu'être sans éclat entré dans cette Ville, Dont l'ordre d'un Rival rend l'accès difficile ; Qu'avoir pu me soustraire aux yeux de ses Soldats, C'est un événement que vous n'attendiez pas. Mais si j'ai dans ces lieux franchi quelques obstacles, L'ardeur de vous revoir peut bien d'autres miracles, Tout mon cœur a senti par de trop rudes coups Le rigoureux destin d'être éloigné de vous ; Et je n'ai pu nier au tourment qui le tue, Quelques moments secrets d'une si chère vue. Je viens vous dire donc que je rends grâce aux Cieux, De vous voir hors des mains d'un Tyran odieux ; Mais parmi les douceurs d'une telle aventure, Ce qui m'est un sujet d'éternelle torture, C'est de voir qu'à mon bras les rigueurs de mon sort, Ont envié l'honneur de cet illustre effort, Et fait à mon Rival, avec trop d'injustice, Offrir les doux périls d'un si fameux service ; Oui, Madame, j'avais pour rompre vos liens Des sentiments sans doute aussi beaux que les siens ; Et je pouvais pour vous gagner cette victoire, Si le Ciel n'eût voulu m'en dérober la gloire. Oui, Madame, mon cœur doit cesser de s'en plaindre, Avec trop de raison vous voulez m'y contraindre, Et c'est injustement qu'on se plaint d'un malheur, Quand un autre plus grand s'offre à notre douleur. Ce secours d'un Rival m'est un cruel martyre ; Mais, hélas ! de mes maux, ce n'est pas là le pire, Le coup, le rude coup, dont je suis atterré, C'est de me voir par vous ce Rival préféré. Oui, je ne vois que trop, que ses feux pleins de gloire, Sur les miens dans votre âme emportent la victoire ; Et cette occasion de servir vos appas, Cet avantage offert de signaler son bras, Cet éclatant exploit qui vous fut salutaire, N'est que le pur effet du bonheur de vous plaire, Que le secret pouvoir d'un astre merveilleux, Qui fait tomber la gloire, où s'attachent vos vœux ; Ainsi tous mes efforts ne seront que fumée, Contre vos fiers Tyrans je conduis une armée. Mais je marche en tremblant à cet illustre emploi, Assuré que vos vœux ne seront pas pour moi, Et que s'ils sont suivis, la fortune prépare L'heur des plus beaux succès aux soins de la Navarre. Ah ! Madame, faut-il me voir précipité De l'espoir glorieux dont je m'étais flatté ; Et ne puis-je savoir quels crimes on m'impute, Pour avoir mérité cette effroyable chute ? Ah ! Madame, à mes yeux n'offrez point son mérite, Il n'est que trop présent à l'ingrat qui la quitte ; Et si mon cœur vous dit, ce que pour elle il sent, J'ai peur qu'il ne soit pas envers vous innocent. Oui, ce cœur l'ose plaindre, et ne suit pas sans peine L'impérieux effort de l'amour qui l'entraîne, Aucun espoir pour vous n'a flatté mes désirs, Qui ne m'ait arraché pour elle des soupirs ; Qui n'ait dans ses douceurs fait jeter à mon âme, Quelques tristes regards, vers sa première flamme, Se reprocher l'effet de vos divins attraits, Et mêler des remords à mes plus chers souhaits. J'ai fait plus que cela, puisqu'il vous faut tout dire, Oui, j'ai voulu sur moi vous ôter votre empire, Sortir de votre chaîne, et rejeter mon cœur, Sous le joug innocent de son premier vainqueur. Mais après mes efforts ma constance abattue, Voit un cours nécessaire à ce mal qui me tue ; Et dût être mon sort à jamais malheureux, Je ne puis renoncer à l'espoir de mes vœux ; Je ne saurais souffrir l'épouvantable idée De vous voir par un autre à mes yeux possédée ; Et le flambeau du jour qui m'offre vos appas, Doit avant cet Hymen éclairer mon trépas. Je sais que je trahis une Princesse aimable, Mais, Madame, après tout mon cœur est-il coupable ; Et le fort ascendant, que prend votre beauté, Laisse-t-il aux esprits aucune liberté ? Hélas ! je suis ici, bien plus à plaindre qu'elle, Son cœur, en me perdant, ne perd qu'un infidèle. D'un pareil déplaisir on se peut consoler ; Mais moi par un malheur qui ne peut s'égaler, J'ai celui de quitter une aimable personne, Et tous les maux encor que mon amour me donne. Les héroïques soins vous occupent si fort, Que de vous en tirer, Seigneur, j'aurais eu tort ; Et des grands Conquérants les sublimes pensées Sont aux civilités avec peine abaissées. Je ne sais si quelqu'un blâmera ma conduite, Au secret que j'ai fait d'une telle visite ; Mais je sais qu'aux projets qui veulent la clarté, Prince, je n'ai jamais cherché l'obscurité. Et quand j'aurai sur vous à faire une entreprise, Vous n'aurez pas sujet de blâmer la surprise ; Il ne tiendra qu'à vous de vous en garantir, Et l'on prendra le soin de vous en avertir. Cependant demeurons aux termes ordinaires, Remettons nos débats après d'autres affaires ; Et d'un sang un peu chaud réprimant les bouillons, N'oublions pas tous deux, devant qui nous parlons. Cet obstacle n'est pas ce qui me met en peine, Nous verrons quelle attente en tout cas sera vaine, Et chacun de ses feux pourra par sa valeur, Ou défendre la gloire, ou venger le malheur. Mais comme entre Rivaux, l'âme la plus posée, À des termes d'aigreur, trouve une pente aisée, Et que je ne veux point qu'un pareil entretien Puisse trop échauffer votre esprit, et le mien ; Prince, affranchissez-moi d'une gêne secrète, Et me donnez moyen de faire ma retraite. Quand nous en serons là, le sort en notre bras, De tous nos intérêts videra les débats. J'ai de votre discours assez souffert la suite, Madame, et par deux mots je vous l'eusse épargné, Si votre fausse alarme eût sur vous moins gagné. Je sais qu'un bruit commun qui partout se fait croire, De la mort du Tyran me veut donner la gloire ; Mais le seul Peuple, enfin, comme on nous fait savoir, Laissant par Don Louis échauffer son devoir, A remporté l'honneur de cet acte héroïque, Dont mon nom est chargé par la rumeur publique. Et ce qui d'un tel bruit a fourni le sujet, C'est que pour appuyer son illustre projet, Don Louis fit semer par une feinte utile, Que secondé des miens j'avais saisi la Ville, Et par cette nouvelle il a poussé les bras, Qui d'un usurpateur ont hâté le trépas. Par son zèle prudent il a su tout conduire, Et c'est par un des siens qu'il vient de m'en instruire ; Mais dans le même instant un secret m'est appris Qui va vous étonner autant qu'il m'a surpris. Vous attendez un frère, et Léon son vrai Maître, À vos yeux maintenant le Ciel le fait paraître. Oui, je suis Don Alphonse, et mon sort conservé, Et sous le nom du sang de Castille élevé, Est un fameux effet de l'amitié sincère, Qui fut entre son Prince, et le Roi notre Père. Don Louis du secret a toutes les clartés, Et doit aux yeux de tous prouver ces vérités. D'autres soins maintenant occupent ma pensée, Non, qu'à votre sujet elle soit traversée, Que ma flamme querelle un tel événement, Et qu'en mon cœur le Frère importune l'Amant. Mes feux par ce secret ont reçu sans murmure, Le changement qu'en eux a prescrit la nature ; Et le sang qui nous joint m'a si bien détaché De l'amour, dont pour vous mon cœur était touché, Qu'il ne respire plus pour faveur souveraine Que les chères douceurs de sa première chaîne, Et le moyen de rendre à l'adorable Ignès, Ce que de ses bontés a mérité l'excès ; Mais son sort incertain rend le mien misérable, Et si ce qu'on en dit se trouvait véritable, En vain Léon m'appelle, et le Trône m'attend, La Couronne n'a rien à me rendre content ; Et je n'en veux l'éclat que pour goûter la joie, D'en Couronner l'objet où le Ciel me renvoie, Et pouvoir réparer par ces justes tributs L'outrage que j'ai fait à ses rares vertus. Madame, c'est de vous que j'ai raison d'attendre, Ce que de son destin mon âme peut apprendre, Instruisez-m'en de grâce, et par votre discours, Hâtez mon désespoir, ou le bien de mes jours. Ah ! Madame, il m'est doux en ces perplexités De voir ici briller vos célestes beautés, Mais vous avec quels yeux verrez-vous un volage, Dont le crime… Mon cœur, grâces au Ciel, après un long martyre, Seigneur, sans vous rien prendre a tout ce qu'il désire, Et goûte d'autant mieux son bonheur en ce jour, Qu'il se voit en état de servir votre amour. Je veux que cet Hymen après nos vains débats, Seigneur, joigne à jamais nos cœurs, et nos États ; Mais ici le temps presse, et Léon nous appelle, Allons dans nos plaisirs satisfaire son zèle, Et par notre présence, et nos soins différents, Donner le dernier coup au parti des Tyrans. **** *creator_moliere *book_moliere_domgarciedenavarre *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_domgarciedenavarre *dist2_moliere_verse_comedy *id_dona-ignes *date_1661 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_donaignes Ne me découvrez point, Élise, dans ces lieux, Et laissez respirer ma triste destinée, Sous une feinte mort, que je me suis donnée. C'est elle qui m'arrache à tous mes fiers Tyrans, Car je puis sous ce nom comprendre mes parents ; J'ai par elle évité cet Hymen redoutable, Pour qui j'aurais souffert une mort véritable ; Et sous cet équipage, et le bruit de ma mort, Il faut cacher à tous le secret de mon sort, Pour me voir à l'abri de l'injuste poursuite, Qui pourrait dans ces lieux persécuter ma fuite. Seigneur, de vos soupçons l'injuste violence, À la même vertu vient de faire une offense. Madame, on aurait tort de trouver à redire Aux tendres sentiments qu'on voit qu'il vous inspire, Ce qu'il a fait pour vous… Il vient, et sa pâleur, De ce coup surprenant marque assez la douleur. C'est un événement, dont sans doute vos yeux N'ont point pour moi, Madame, à quereller les Cieux ; Si les faibles attraits qu'étale mon visage, M'exposaient au destin de souffrir un volage, Le Ciel ne pouvait mieux m'adoucir de tels coups, Quand pour m'ôter ce cœur, il s'est servi de vous, Et mon front ne doit point rougir d'une inconstance Qui de vos traits aux miens marque la différence. Si pour ce changement je pousse des soupirs, Ils viennent de le voir fatal à vos désirs ; Et dans cette douleur que l'amitié m'excite, Je m'accuse pour vous de mon peu de mérite, Qui n'a pu retenir un cœur, dont les tributs Causent un si grand trouble à vos vœux combattus. Madame, le voici. Madame, j'y consens, quoique je sache bien, Qu'on fuirait en ma place un pareil entretien. Ah ! gardez de me faire un outrage, Et de vous hasarder à dire que vers moi, Un cœur, dont je fais cas ait pu manquer de foi ; J'en refuse l'idée, et l'excuse me blesse, Rien n'a pu m'offenser auprès de la Princesse, Et tout ce que d'ardeur elle vous a causé, Par un si haut mérite est assez excusé. Cette flamme vers moi ne vous rend point coupable, Et dans le noble orgueil, dont je me sens capable, Sachez si vous l'étiez, que ce serait en vain, Que vous présumeriez de fléchir mon dédain, Et qu'il n'est repentir, ni suprême puissance Qui gagnât sur mon cœur d'oublier cette offense. Seigneur, permettez-moi de blâmer votre plainte, De vos maux la Princesse a su paraître atteinte ; Et cette joie encor, de quoi vous murmurez Ne lui vient que des biens qui vous sont préparés. Elle goûte un succès à vos désirs prospère, Et dans votre Rival elle trouve son Frère ; C'est Don Alphonse, enfin, dont on a tant parlé, Et ce fameux secret vient d'être dévoilé. **** *creator_moliere *book_moliere_domgarciedenavarre *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_domgarciedenavarre *dist2_moliere_verse_comedy *id_dom-alvar *date_1661 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_domalvar Oui, Madame, et ce Frère en Castille élevé De rentrer dans ses droits voit le temps arrivé. Jusqu'ici Don Louis qui vit à sa prudence Par le feu Roi mourant, commettre son enfance, A caché ses destins aux yeux de tout l'État, Pour l'ôter aux fureurs du traître Mauregat. Et bien que le Tyran, depuis sa lâche audace, L'ait souvent demandé pour lui rendre sa place ; Jamais son zèle ardent n'a pris de sûreté, À l'appas dangereux de sa fausse équité. Mais les peuples émus par cette violence Que vous a voulu faire une injuste puissance, Ce généreux Vieillard a cru qu'il était temps D'éprouver le succès d'un espoir de vingt ans. Il a tenté Léon, et ses fidèles trames, Des grands, comme du peuple ont pratiqué les âmes, Tandis que la Castille armait dix mille bras, Pour redonner ce Prince aux vœux de ses États ; Il fait auparavant semer sa renommée, Et ne veut le montrer qu'en tête d'une armée. Que tout prêt à lancer le foudre punisseur, Sous qui doit succomber un lâche ravisseur, On investit Léon, et Don Sylve en personne Commande le secours que son Père vous donne. Mais, Madame, admirez que malgré la tempête Que votre usurpateur voit gronder sur sa tête, Tous les bruits de Léon annoncent pour certain, Qu'à la Comtesse Ignès il va donner la main. Le Prince entre ici. Enfin, nous apprenons que le Roi de Navarre Pour les désirs du Prince, aujourd'hui se déclare ; Et qu'un nouveau renfort de Troupes nous attend Pour le fameux service, où son amour prétend. Je suis surpris pour moi, qu'avec tant de vitesse, On ait fait avancer… Mais… Madame, il fait pitié, jamais cœur que je pense, Par un plus vif remords n'expia son offense ; Et si dans sa douleur vous le considériez, Il toucherait votre âme, et vous l'excuseriez. On sait bien que le Prince est dans un âge à suivre Les premiers mouvements, où son âme se livre, Et qu'en un sang bouillant, toutes les passions Ne laissent guère place à des réflexions. Don Lope prévenu d'une fausse lumière, De l'erreur de son Maître, a fourni la matière ; Un bruit assez confus, dont le zèle indiscret, A de l'abord du Comte éventé le secret, Vous avait mise aussi de cette intelligence, Qui dans ces lieux gardés a donné sa présence, Le Prince a cru l'avis, et son amour séduit, Sur une fausse alarme a fait tout ce grand bruit ; Mais d'une telle erreur son âme est revenue, Votre innocence, enfin, lui vient d'être connue, Et Don Lope, qu'il chasse, est un visible effet, Du vif remords qu'il sent de l'éclat qu'il a fait. Madame, il sait trop bien… Madame, ce peut être une fausse nouvelle, Mais mon retour au Prince, en porte une cruelle. Le Prince me renvoie, Vous prier que pour lui votre crédit s'emploie, De ses jours, belle Élise, on doit n'espérer rien, S'il n'obtient par vos soins un moment d'entretien, Son âme a des transports… Mais le voici lui-même. Qu'avez-vous vu, Seigneur, qui vous puisse émouvoir ? Seigneur, que votre esprit tâche à se rappeler. Quelle atteinte soudaine… Mais, Seigneur, qui pourrait… Ah ! Seigneur, la Princesse est vertueuse au point… Seigneur, nos passions nous font prendre souvent Pour chose véritable un objet décevant ; Et de croire qu'une âme à la vertu nourrie, Se puisse… Il ne faut rien répondre à cet esprit farouche. Seigneur. Un service, Seigneur, de cette conséquence Aurait bien le pouvoir d'effacer votre offense ; Mais hasarder… Oui, jamais il ne fut de si rude surprise, Il venait de former cette haute entreprise, À l'avide désir d'immoler Mauregat, De son prompt désespoir il tournait tout l'éclat. Ses soins précipités voulaient à son courage, De cette juste mort assurer l'avantage, Y chercher son pardon, et prévenir l'ennui, Qu'un Rival partageât cette gloire avec lui. Il sortait de ces murs, quand un bruit trop fidèle, Est venu lui porter la fâcheuse nouvelle, Que ce même Rival qu'il voulait prévenir, A remporté l'honneur qu'il pensait obtenir ; L'a prévenu lui-même, en immolant le traître, Et pousse dans ce jour, Don Alphonse à paraître, Qui d'un si prompt succès va goûter la douceur, Et vient prendre en ces lieux la Princesse sa sœur ; Et ce qui n'a pas peine à gagner la croyance, On entend publier que c'est la récompense, Dont il prétend payer le service éclatant Du bras qui lui fait jour, au Trône qui l'attend. Ce coup au cœur du Prince… **** *creator_moliere *book_moliere_domgarciedenavarre *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_domgarciedenavarre *dist2_moliere_verse_comedy *id_dom-lope *date_1661 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_domlope Que sur cette conduite à son aise l'on glose, Chacun règle la sienne au but qu'il se propose ; Et rebuté par vous des soins de mon amour, Je songe auprès du Prince à bien faire ma Cour. Et quand, charmante Élise, a-t-on vu s'il vous plaît, Qu'on cherche auprès des grands, que son propre intérêt ? Qu'un parfait Courtisan veuille charger leur suite, D'un censeur des défauts, qu'on trouve en leur conduite ; Et s'aille inquiéter, si son discours leur nuit, Pourvu que sa fortune en tire quelque fruit ? Tout ce qu'on fait ne va, qu'à se mettre en leur grâce Par la plus courte voie, on y cherche une place ; Et les plus prompts moyens de gagner leur faveur, C'est de flatter toujours le faible de leur cœur : D'applaudir en aveugle à ce qu'ils veulent faire, Et n'appuyer jamais ce qui peut leur déplaire ; C'est là le vrai secret d'être bien auprès d'eux, Les utiles conseils font passer pour fâcheux, Et vous laissent toujours hors de la confidence, Où vous jette d'abord l'adroite complaisance. Enfin on voit partout, que l'art des Courtisans, Ne tend qu'à profiter des faiblesses des Grands ; À nourrir leurs erreurs, et jamais dans leur âme, Ne porter les avis des choses qu'on y blâme. Outre que je pourrais désavouer, sans blâme, Ces libres vérités, sur quoi s'ouvre mon âme ; Je sais fort bien qu'Élise a l'esprit trop discret, Pour aller divulguer cet entretien secret. Qu'ai-je dit, après tout, que sans moi l'on ne sache ? Et dans mon procédé que faut-il que je cache ? On peut craindre une chute avec quelque raison, Quand on met en usage, ou ruse, ou trahison. Mais qu'ai-je à redouter, moi qui partout n'avance Que les soins approuvés d'un peu de complaisance ; Et qui suis seulement par d'utiles leçons La pente qu'a le Prince à de jaloux soupçons ? Son âme semble en vivre, et je mets mon étude, À trouver des raisons à son inquiétude, À voir de tous côtés, s'il ne se passe rien, À fournir le sujet d'un secret entretien. Et quand je puis venir enflé d'une nouvelle, Donner à son repos une atteinte mortelle ; C'est lors que plus il m'aime, et je vois sa raison D'une audience avide avaler ce poison, Et m'en remercier, comme d'une victoire, Qui comblerait ses jours, de bonheur et de gloire. Mais mon Rival paraît, je vous laisse tous deux, Et bien que je renonce à l'espoir de vos vœux, J'aurais un peu de peine à voir qu'en ma présence, Il reçût des effets de quelque préférence ; Et je veux, si je puis, m'épargner ce souci. Seigneur, je viens vous informer D'un secret dont vos feux ont droit de s'alarmer. Seigneur, je veux ce qu'il vous plaît, Mes soins en tout ceci n'ont que votre intérêt ; J'ai cru que le secret que je viens de surprendre Méritait bien qu'en hâte on vous le vînt apprendre ; Mais puisque vous voulez que je n'en touche rien, Je vous dirai, Seigneur, pour changer d'entretien, Que déjà dans Léon on voit chaque famille Lever le masque au bruit des Troupes de Castille, Et que surtout le Peuple y fait pour son vrai Roi Un éclat à donner au Tyran de l'effroi. Seigneur, je n'ai rien à vous dire. Vos paroles, Seigneur, m'en ont trop fait savoir, Et puisque mes avis ont de quoi vous déplaire, Je saurai désormais trouver l'art de me taire. Je ne réplique point à ce commandement ; Mais, Seigneur, en ce lieu le devoir de mon zèle Trahirait le secret d'une telle nouvelle. Sortons pour vous l'apprendre, et sans rien embrasser, Vous-même vous verrez ce qu'on en doit penser. **** *creator_moliere *book_moliere_domgarciedenavarre *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_domgarciedenavarre *dist2_moliere_verse_comedy *id_dom-pedre *date_1661 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_dompedre Si vous me cherchez, Madame, me voici. Il est proche d'ici, Le ferai-je venir ? **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesfemmes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesfemmes *dist2_moliere_verse_comedy *id_arnolphe *date_1662 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_arnolphe Oui, je veux terminer la chose dans demain. Il est vrai, notre Ami. Peut-être que chez vous Vous trouvez des sujets de craindre pour chez nous ; Et votre front, je crois, veut que du Mariage, Les Cornes soient par tout l'infaillible apanage. Fort bien : Est-il au Monde une autre Ville, aussi, Où l'on ait des Maris si patients qu'ici ? Est-ce qu'on n'en voit pas de toutes les espèces, Qui sont accommodés chez eux de toutes pièces ? L'un amasse du bien, dont sa Femme fait part À ceux qui prennent soin de le faire Cornard. L'autre un peu plus heureux, mais non pas moins infâme, Voit faire tous les jours des présents à sa Femme, Et d'aucun soin jaloux n'a l'esprit combattu, Parce qu'elle lui dit que c'est pour sa vertu. L'un fait beaucoup de bruit, qui ne lui sert de guères ; L'autre, en toute douceur, laisse aller les affaires, Et voyant arriver chez lui le Damoiseau, Prend fort honnêtement ses gants, et son manteau. L'une de son Galant, en adroite Femelle, Fait fausse confidence à son Époux fidèle, Qui dort en sureté sur un pareil appas, Et le plaint, ce Galant, des soins qu'il ne perd pas. L'autre, pour se purger de sa magnificence, Dit qu'elle gagne au jeu l'argent qu'elle dépense ; Et le Mari benêt, sans songer à quel jeu, Sur les gains qu'elle fait, rend des grâces à Dieu. Enfin ce sont partout des sujets de Satire, Et comme Spectateur, ne puis-je pas en rire ? Puis-je pas de nos Sots… Mon Dieu, notre Ami, ne vous tourmentez point ; Bien huppé qui pourra m'attraper sur ce point. Je sais les tours rusés, et les subtiles trames, Dont, pour nous en planter, savent user les Femmes, Et comme on est dupé par leurs dextérités ; Contre cet accident j'ai pris mes sûretés, Et celle que j'épouse, a toute l'innocence Qui peut sauver mon front de maligne influence. Épouser une Sotte, est pour n'être point Sot : Je crois, en bon Chrétien, votre moitié fort sage ; Mais une Femme habile est un mauvais présage, Et je sais ce qu'il coûte à de certaines gens, Pour avoir pris les leurs avec trop de talents. Moi j'irais me charger d'une Spirituelle, Qui ne parlerait rien que Cercle, et que Ruelle ? Qui de Prose, et de Vers, ferait de doux écrits, Et que visiteraient Marquis, et beaux Esprits, Tandis que, sous le nom du Mari de Madame, Je serais comme un Saint, que pas un ne réclame ? Non, non, je ne veux point d'un Esprit qui soit haut Et Femme qui compose, en sait plus qu'il ne faut. Je prétends que la mienne, en clartés peu sublime, Même ne sache pas ce que c'est qu'une Rime ; Et s'il faut qu'avec elle on joue au Corbillon, Et qu'on vienne à lui dire, à son tour, qu'y met-on ? Je veux qu'elle réponde, une tarte à la crème ; En un mot, qu'elle soit d'une ignorance extrême ; Et c'est assez pour elle, à vous en bien parler, De savoir prier Dieu, m'aimer, coudre, et filer. Tant, que j'aimerais mieux une laide, bien sotte, Qu'une Femme fort belle, avec beaucoup d'esprit. L'honnêteté suffit. À ce bel argument, à ce discours profond, Ce que Pantagruel à Panurge répond. Pressez-moi de me joindre à Femme autre que sotte ; Prêchez, patrocinez jusqu'à la Pentecôte, Vous serez ébahi, quand vous serez au bout, Que vous ne m'aurez rien persuadé du tout. Chacun a sa méthode. En Femme, comme en tout, je veux suivre ma mode ; Je me vois riche assez, pour pouvoir, que je crois, Choisir une moitié, qui tienne tout de moi, Et de qui la soumise, et pleine dépendance, N'ait à me reprocher aucun bien, ni naissance. Un air doux, et posé, parmi d'autres enfants, M'inspira de l'amour pour elle, dès quatre ans : Sa Mère se trouvant de pauvreté pressée, De la lui demander il me vint la pensée, Et la bonne Paysanne, apprenant mon désir, À s'ôter cette charge eut beaucoup de plaisir. Dans un petit Couvent, loin de toute pratique, Je la fis élever, selon ma politique, C'est-à-dire ordonnant quels soins on emploierait, Pour la rendre idiote autant qu'il se pourrait. Dieu merci, le succès a suivi mon attente, Et grande, je l'ai vue à tel point innocente, Que j'ai béni le Ciel d'avoir trouvé mon fait, Pour me faire une Femme au gré de mon souhait. Je l'ai donc retirée ; et comme ma demeure À cent sortes de monde est ouverte à toute heure, Je l'ai mise à l'écart, comme il faut tout prévoir, Dans cette autre Maison, où nul ne me vient voir ; Et pour ne point gâter sa bonté naturelle, Je n'y tiens que des gens tout aussi simples qu'elle. Vous me direz pourquoi cette narration ? C'est pour vous rendre instruit de ma précaution. Le résultat de tout, est qu'en Ami fidèle, Ce soir, je vous invite à souper avec elle : Je veux que vous puissez un peu l'examiner, Et voir, si de mon choix on me doit condamner. Vous pourrez, dans cette conférence, Juger de sa personne, et de son innocence. La vérité passe encor mon récit. Dans ses simplicités à tous coups je l'admire, Et parfois elle en dit, dont je pâme de rire. L'autre jour (pourrait-on se le persuader ?) Elle était fort en peine, et me vint demander, Avec une innocence à nulle autre pareille, Si les enfants qu'on fait, se faisaient par l'oreille. Bon ; Me voulez-vous toujours appeler de ce nom ? Outre que la Maison par ce nom se connaît, La Souche, plus qu'Arnolphe, à mes oreilles plaît. Vous pourriez vous passer d'exemples de la sorte : Mais enfin de la Souche est le nom que je porte ; J'y vois de la raison, j'y trouve des appas, Et m'appeler de l'autre, est ne m'obliger pas. Je le souffre aisément de qui n'est pas instruit ; Mais vous… Adieu : Je frappe ici, pour donner le bonjour, Et dire seulement, que je suis de retour. Il est un peu blessé sur certaines matières. Chose étrange de voir, comme avec passion, Un chacun est chaussé de son opinion ! Holà… Ouvrez. On aura, que je pense, Grande joie à me voir, après dix jours d'absence. Moi. Belle cérémonie Pour me laisser dehors. Holà ho, je vous prie. Votre Maître. Quiconque de vous deux n'ouvrira pas la porte, N'aura point à manger de plus de quatre jours. Ha. Il faut que j'aie ici l'âme bien patiente. Peste. Voyez ce lourdaud-là. Que tous deux on se taise. Songez à me répondre, et laissons la fadaise. Hé bien, Alain, comment se porte-t-on ici ? Qui vous apprend, impertinente bête, À parler devant moi, le chapeau sur le tête ? Faites descendre Agnès. Lorsque je m'en allai, fut-elle triste après ? Non ! Pourquoi donc… La besogne à la main, c'est un bon témoignage. Hé bien, Agnès, je suis de retour du voyage, En êtes-vous bien aise ? Et moi de vous revoir, je suis bien aise aussi : Vous vous êtes toujours, comme on voit, bien portée ? Ah ! vous aurez dans peu quelqu'un pour les chasser. Je le puis bien penser. Que faites-vous donc là ? Ha ! voila qui va bien ; allez, montez là haut, Ne vous ennuyez point, je reviendrai tantôt, Et je vous parlerai d'affaires importantes. Héroïnes du temps, Mesdames les Savantes, Pousseuses de tendresse et de beaux sentiments, Je défie à la fois tous vos Vers, vos Romans, Vos Lettres, Billets doux, toute votre Science, De valoir cette honnête et pudique ignorance. Ce n'est point par le bien qu'il faut être ébloui ; Et pourvu que l'honneur soit… Que vois-je ? Est-ce ?… Oui. Je me trompe. Nenni. Si fait. Non, c'est lui-même. Hor… Horace. Ah ! joie extrême ! Et depuis quand ici ? Vraiment… J'étais à la campagne. Ô comme les enfants croissent en peu d'années ! J'admire de le voir au point où le voilà, Après que je l'ai vu pas plus grand que cela. Mais, de grâce, Oronte votre Père, Mon bon et cher Ami, que j'estime et révère, Que fait-il ? que dit-il ? est-il toujours gaillard ? À tout ce qui le touche, il sait que je prends part. Nous ne nous sommes vus depuis quatre ans ensemble. Non : vous a-t-on point dit comme on le nomme ? Non. J'aurai certainement grande joie à le voir, Et pour le régaler, je ferai mon pouvoir. Il faut, pour des Amis, des Lettres moins civiles, Et tous ces compliments sont choses inutiles ; Sans qu'il prît le souci de m'en écrire rien, Vous pouvez librement disposer de mon bien. Ma foi, c'est m'obliger, que d'en user ainsi, Et je me réjouis de les avoir ici. Gardez aussi la bourse. Laissons ce style. Hé bien, comment encor trouvez-vous cette Ville ? Chacun a ses plaisirs, qu'il se fait à sa guise : Mais pour ceux que du nom de Galants on baptise, Ils ont de ce Pays de quoi se contenter, Car les Femmes y sont faites à coqueter. On trouve d'humeur douce et la brune, et la blonde, Et les Maris aussi les plus bénins du monde : C'est un plaisir de Prince, et des tours que je vois, Je me donne souvent la Comédie à moi. Peut-être en avez-vous déjà féru quelqu'une : Vous est-il point encore arrivé de fortune ? Les gens faits comme vous, font plus que les écus, Et vous êtes de taille à faire des Cocus. Bon, voici de nouveau quelque conte gaillard, Et ce sera de quoi mettre sur mes tablettes. Oh. Et c'est ? Ah ! je crève. La fâcheuse pilule ! Eh oui, je le connais. Eh… Non, c'est que je songeais… Ah ! faut-il… Que je sens dans mon âme… Oh… Oh que j'ai souffert durant cet entretien ! Jamais trouble d'esprit ne fut égal au mien. Avec quelle imprudence, et quelle hâte extrême, Il m'est venu conter cette affaire à moi-même ! Bien que mon autre nom le tienne dans l'erreur, Étourdi, montra-t-il jamais tant de fureur ? Mais ayant tant souffert, je devais me contraindre, Jusques à m'éclaircir de ce que je dois craindre, À pousser jusqu'au bout son caquet indiscret, Et savoir pleinement leur commerce secret. Tâchons à le rejoindre, il n'est pas loin, je pense, Tirons-en de ce fait l'entière confidence ; Je tremble du malheur qui m'en peut arriver, Et l'on cherche souvent plus qu'on ne veut trouver. Il m'est, lorsque j'y pense, avantageux sans doute, D'avoir perdu mes pas, et pu manquer sa route : Car enfin, de mon cœur le trouble impérieux, N'eût pu se renfermer tout entier à ses yeux, Il eût fait éclater l'ennui qui me dévore, Et je ne voudrais pas qu'il sût ce qu'il ignore. Mais je ne suis pas Homme à gober le morceau, Et laisser un champ libre aux vœux du Damoiseau, J'en veux rompre le cours, et sans tarder, apprendre Jusqu'où l'intelligence entre eux a pu s'étendre : J'y prends, pour mon honneur, un notable intérêt ; Je la regarde en Femme, aux termes qu'elle en est, Elle n'a pu faillir, sans me couvrir de honte, Et tout ce qu'elle a fait, enfin est sur mon compte. Éloignement fatal ! Voyage malheureux ! Paix. Venez-çà tous deux : Passez-là, passez-là. Venez-là, venez dis-je. C'est donc ainsi, qu'absent, vous m'avez obéi, Et tous deux, de concert, vous m'avez donc trahi ? Ouf. Je ne puis parler, tant je suis prévenu, Je suffoque, et voudrais me pouvoir mettre nu. Vous avez donc souffert, ô canaille maudite, Qu'un Homme soit venu… Tu veux prendre la fuite ? Il faut que surlechamp… Si tu bouges… Je veux Que vous me disiez… Euh ? Oui, je veux que tous deux… Quiconque remuera, par la mort, je l'assomme. Comme est-ce que chez moi s'est introduit cet Homme ? Eh ? parlez, dépêchez, vite, promptement, tôt, Sans rêver, veut-on dire ? Je suis en eau, prenons un peu d'haleine, Il faut que je m'évente, et que je me promène. Aurais-je deviné, quand je l'ai vu petit, Qu'il croîtrait pour cela ! Ciel ! que mon cœur pâtit ! Je pense qu'il vaut mieux que de sa propre bouche Je tire avec douceur l'affaire qui me touche : Tâchons à modérer notre ressentiment. Patience, mon cœur, doucement, doucement. Levez-vous, et rentrant, faites qu'Agnès descende. Arrêtez. Sa surprise en deviendrait moins grande, Du chagrin qui me trouble, ils iraient l'avertir ; Et moi-même je veux l'aller faire sortir. Que l'on m'attende ici. Un certain Grec, disait à l'Empereur Auguste, Comme une instruction utile, autant que juste, Que lorsqu'une aventure en colère nous met, Nous devons, avant tout, dire notre Alphabet. Afin que dans ce temps la bile se tempère, Et qu'on ne fasse rien que l'on ne doive faire. J'ai suivi sa leçon sur le sujet d'Agnès ; Et je la fais venir dans ce lieu tout exprès, Sous prétexte d'y faire un tour de promenade ; Afin que les soupçons de mon esprit malade Puissent sur le discours la mettre adroitement : Et lui sondant le cœur s'éclaircir doucement. Venez, Agnès. Rentrez. La promenade est belle. Le beau jour ! Quelle nouvelle ? C'est dommage : mais quoi Nous sommes tous mortels, et chacun est pour soi. Lorsque j'étais aux champs n'a-t-il point fait de pluie ? Vous ennuyait-il ? Qu'avez-vous fait encor ces neuf ou dix jours-ci ? Le monde, chère Agnès, est une étrange chose. Voyez la médisance, et comme chacun cause. Quelques voisins m'ont dit : qu'un jeune homme inconnu, Était en mon absence à la maison venu ; Que vous aviez souffert sa vue et ses harangues. Mais je n'ai point pris foi sur ces méchantes langues ; Et j'ai voulu gager que c'était faussement… Quoi ! c'est la vérité qu'un homme… Cet aveu qu'elle fait avec sincérité, Me marque pour le moins son ingénuité. Mais il me semble, Agnès, si ma mémoire est bonne, Que j'avais défendu que vous vissiez personne. Peut-être : mais enfin, contez-moi cette Histoire. Fort bien. Ah suppôt de Satan, exécrable damnée. Ah ! sorcière maudite, empoisonneuse d'âmes, Puisse l'Enfer payer tes charitables trames. Tout cela n'est parti que d'une âme innocente : Et j'en dois accuser mon absence imprudente, Qui sans guide a laissé cette bonté de mœurs Exposée aux aguets des rusés séducteurs. Je crains que le pendard, dans ses vœux téméraires, Un peu plus fort que jeu n'ait poussé les affaires. Non. Mais de cette vue apprenez-moi les suites, Et comme le jeune homme a passé ses visites. Oui ; mais que faisait-il étant seul avec vous ? Ô fâcheux examen d'un mystère fatal, Où l'examinateur souffre seul tout le mal ! Outre tous ces discours, toutes ces gentillesses, Ne vous faisait-il point aussi quelques caresses ? Ne vous a-t-il point pris, Agnès, quelque autre chose… Ouf. Quoi ? Euh ! Plaît-il ? Non. Mon dieu ! non. Ma foi, soit. Non. Non, non, non, non ! Diantre ! que de mystère ! Qu'est-ce qu'il vous a pris ? Je souffre en damné. Passe pour le ruban. Mais je voulais apprendre, S'il ne vous a rien fait que vous baiser les bras. Non pas. Mais pour guérir du mal qu'il dit qui le possède, N'a-t-il point exigé de vous d'autre remède ? Grâce aux bontés du Ciel, j'en suis quitte à bon compte. Si j'y retombe plus je veux bien qu'on m'affronte. Chut. De votre innocence, Agnès, c'est un effet, Je ne vous en dis mot, ce qui s'est fait est fait. Je sais qu'en vous flattant le Galant ne désire Que de vous abuser, et puis après s'en rire. Ah ! vous ne savez pas ce que c'est que sa foi. Mais enfin : apprenez qu'accepter des cassettes, Et de ces beaux blondins écouter les sornettes : Que se laisser par eux à force de langueur Baiser ainsi les mains, et chatouiller le cœur ; Est un péché mortel des plus gros qu'il se fasse. La raison ? la raison, est l'arrêt prononcé, Que par ces actions le Ciel est courroucé. Oui. C'est un grand plaisir que toutes ces tendresses, Ces propos si gentils, et ces douces caresses : Mais il faut le goûter en toute honnêteté, Et qu'en se mariant le crime en soit ôté. Non. Si vous le souhaitez, je le souhaite aussi, Et pour vous marier on me revoit ici. Oui. Oui ; je ne doute point que l'hymen ne vous plaise. Rien de plus assuré. Hé, la chose sera de ma part réciproque. Oui, vous le pourrez voir. Oui. Dès ce soir ? Dès ce soir. Cela vous fait donc rire ? Vous voir bien contente, est ce que je désire. Avec qui ? Là… là n'est pas mon compte. À choisir un mari, vous êtes un peu prompte. C'est un autre en un mot que je vous tiens tout prêt, Et quant au Monsieur, là… Je prétends, s'il vous plaît, Dût le mettre au tombeau le mal dont il vous berce, Qu'avez lui désormais vous rompiez tout commerce ; Que venant au logis, pour votre compliment Vous lui fermiez au nez la porte honnêtement, Et lui jetant, s'il heurte, un grès par la fenêtre, L'obligiez tout de bon à ne plus y paraître. M'entendez-vous, Agnès ? Moi, caché dans un coin, De votre procédé je serai le témoin. Ah que de langage ! Point de bruit davantage. Montez là-haut. C'est assez. Je suis Maître, je parle, allez, obéissez. Oui : tout a bien été, ma joie est sans pareille. Vous avez là suivi mes ordres à merveille : Confondu de tout point le blondin séducteur ; Et voilà de quoi sert un usage directeur. Votre innocence, Agnès, avait été surprise, Voyez, sans y penser où vous vous étiez mise. Vous enfiliez tout droit, sans mon instruction, Le grand chemin d'Enfer et de perdition. De tous ces Damoiseaux on sait trop les coutumes. Ils ont de beaux canons, force rubans, et plumes, Grands cheveux, belles dents, et des propos fort doux : Mais comme je vous dis la griffe est là-dessous, Et ce sont vrais Satans, dont la gueule altérée De l'honneur féminin cherche à faire curée. Mais encore une fois, grâce au soin apporté, Vous en êtes sortie avec honnêteté. L'air dont je vous ai vu lui jeter cette pierre, Qui de tous ses desseins a mis l'espoir par terre, Me confirme encore mieux à ne point différer Les Noces, où je dis qu'il vous faut préparer. Mais avant toute chose il est bon de vous faire Quelque petit discours, qui vous soit salutaire. Un siège au frais ici. Vous, si jamais en rien… Ayez donc pour souper tout ce que je désire ; Et pour notre contrat, comme je viens de dire, Faites venir ici l'un ou l'autre au retour, Le Notaire qui loge au coin de ce carfour. Agnès, pour m'écouter, laissez-là votre ouvrage. Levez un peu la tête, et tournez le visage. Là, regardez-moi là, durant cet entretien : Et jusqu'au moindre mot imprimez-le-vous bien. Je vous épouse, Agnès, et cent fois la journée Vous devez bénir l'heur de votre destinée : Contempler la bassesse où vous avez été, Et dans le même temps admirer ma bonté, Qui de ce vil état de pauvre Villageoise, Vous fait monter au rang d'honorable Bourgeoise : Et jouir de la couche et des embrassements, D'un homme qui fuyait tous ces engagements ; Et dont à vingt partis fort capables de plaire, Le cœur a refusé l'honneur qu'il vous veut faire. Vous devez toujours, dis-je, avoir devant les yeux Le peu que vous étiez sans ce nœud glorieux ; Afin que cet objet d'autant mieux vous instruise, À mériter l'état où je vous aurai mise ; À toujours vous connaître, et faire qu'à jamais Je puisse me louer de l'acte que je fais. Le mariage, Agnès, n'est pas un badinage. À d'austères devoirs le rang de femme engage : Et vous n'y montez pas, à ce que je prétends, Pour être libertine et prendre du bon temps. Votre sexe n'est là que pour la dépendance. Du côté de la barbe est la toute-puissance. Bien qu'on soit deux moitiés de la société, Ces deux moitiés pourtant n'ont point d'égalité : L'une est moitié suprême, et l'autre subalterne : L'une en tout est soumise à l'autre qui gouverne. Et ce que le soldat dans son devoir instruit Montre d'obéissance au Chef qui le conduit, Le Valet à son Maître, un Enfant à son Père, À son Supérieur le moindre petit Frère, N'approche point encor de la docilité, Et de l'obéissance, et de l'humilité, Et du profond respect, où la femme doit être Pour son mari, son Chef, son Seigneur et son Maître. Lors qu'il jette sur elle un regard sérieux, Son devoir aussitôt est de baisser les yeux ; Et de n'oser jamais le regarder en face Que quand d'un doux regard il lui veut faire grâce. C'est ce qu'entendent mal les femmes d'aujourd'hui : Mais ne vous gâtez pas sur l'exemple d'autrui. Gardez-vous d'imiter ces coquettes vilaines, Dont par toute la Ville on chante les fredaines : Et de vous laisser prendre aux assauts du malin, C'est-à-dire, d'ouïr aucun jeune blondin. Songez qu'en vous faisant moitié de ma personne ; C'est mon honneur, Agnès, que je vous abandonne : Que cet honneur est tendre, et se blesse de peu ; Que sur un tel sujet il ne fait point de jeu : Et qu'il est aux Enfers des chaudières bouillantes, Où l'on plonge à jamais les femmes mal vivantes. Ce que je vous dis là ne sont pas des chansons : Et vous devez du cœur dévorer ces leçons. Si votre âme les suit et fuit d'être coquette, Elle sera toujours comme un lis blanche et nette : Mais s'il faut qu'à l'honneur elle fasse un faux bond, Elle deviendra lors noire comme un charbon, Vous paraîtrez à tous un objet effroyable, Et vous irez un jour, vrai partage du diable, Bouillir dans les Enfers à toute éternité : Dont vous veuille garder la Céleste bonté. Faites la révérence. Ainsi qu'une Novice Par cœur dans le Couvent doit savoir son office, Entrant au mariage il en faut faire autant : Et voici dans ma poche un écrit important Qui vous enseignera l'office de la femme. J'en ignore l'Auteur : mais c'est quelque bonne âme. Et je veux que ce soit votre unique entretien. Tenez : voyons un peu si vous le lirez bien. Je vous expliquerai ce que cela veut dire : Mais pour l'heure présente il ne faut rien que lire. Vous achèverez seule, et pas à pas, tantôt Je vous expliquerai ces choses comme il faut. Je me suis souvenu d'une petite affaire. Je n'ai qu'un mot à dire, et ne tarderai guère. Rentrez : et conservez ce Livre chèrement. Si le Notaire vient, qu'il m'attende un moment. Je ne puis faire mieux que d'en faire ma femme. Ainsi que je voudrai, je tournerai cette âme. Comme un morceau de cire entre mes mains elle est, Et je lui puis donner la forme qui me plaît. Il s'en est peu fallu que, durant mon absence, On ne m'ait attrapé par son trop d'innocence, Mais il vaut beaucoup mieux, à dire vérité, Que la femme qu'on a pèche de ce côté. De ces sortes d'erreur le remède est facile. Toute personne simple aux leçons est docile : Et si du bon chemin on l'a fait écarter Deux mots incontinent l'y peuvent rejeter. Mais une femme habile est bien une autre bête. Notre sort ne dépend que de sa seule tête : De ce qu'elle s'y met, rien ne la fait gauchir, Et nos enseignements ne font là que blanchir. Son bel esprit lui sert à railler nos maximes, À se faire souvent des vertus de ses crimes ; Et trouver, pour venir à ses coupables fins, Des détours à duper l'adresse des plus fins. Pour se parer du coup en vain on se fatigue. Une femme d'esprit est un diable en intrigue : Et dès que son caprice a prononcé tout bas L'arrêt de notre honneur, il faut passer le pas. Beaucoup d'honnêtes gens en pourraient bien que dire. Enfin mon étourdi n'aura pas lieu d'en rire. Par son trop de caquet il a ce qu'il lui faut. Voilà de nos Français l'ordinaire défaut. Dans la possession d'une bonne fortune, Le secret est toujours ce qui les importune ; Et la vanité sotte a pour eux tant d'appas, Qu'ils se pendraient plutôt que de ne causer pas. Ô que les femmes sont du diable bien tentées, Lorsqu'elles vont choisir ces têtes éventées ! Et que… Mais le voici : cachons-nous toujours bien, Et découvrons un peu quel chagrin est le sien. Hé mon Dieu ! n'entrons point dans ce vain compliment. Rien ne me fâche tant que ces cérémonies, Et si l'on m'en croyait, elles seraient bannies. C'est un maudit usage, et la plupart des gens Y perdent sottement les deux tiers de leur temps. Mettons donc sans façon. Hé bien vos amourettes. Puis-je, Seigneur Horace, apprendre où vous en êtes ? J'étais tantôt distrait par quelque vision : Mais depuis là-dessus j'ai fait réflexion. De vos premiers progrès j'admire la vitesse, Et dans l'événement mon âme s'intéresse. Oh, oh ! comment cela ? Quel malheur ! D'où, diantre ! a-t-il sitôt appris cette aventure ? La porte au nez ! La chose est un peu forte. Ils n'ont donc point ouvert ? Comment d'un grès ? Diantre ! ce ne sont pas des prunes que cela ; Et je trouve fâcheux l'état où vous voilà. Certes j'en suis fâché pour vous, je vous proteste. Oui, mais cela n'est rien, Et de vous raccrocher vous trouverez moyen. Cela vous est facile, et la fille, après tout, Vous aime. Vous en viendrez à bout. Le grès vous a mis en déroute, Mais cela ne doit pas vous étonner. Oui fort plaisant. Pardonnez-moi, j'en ris tout autant que je puis. Voilà, friponne, à quoi l'écriture te sert, Et contre mon dessein l'art t'en fut découvert. Hom chienne. Moi ? rien ; c'est que je tousse, Adieu. Il m'est dans la pensée Venu tout maintenant une affaire pressée. Non vraiment, et sans moi vous en trouverez bien. Comme il faut devant lui que je me mortifie, Quelle peine à cacher mon déplaisir cuisant. Quoi pour une innocente, un esprit si pressent ? Elle a feint être telle à mes yeux la traîtresse ; Ou le diable à son âme a soufflé cette adresse : Enfin me voilà mort par ce funeste écrit, Je vois qu'il a le traître empaumé son esprit, Qu'à ma suppression il s'est ancré chez elle, Et c'est mon désespoir, et ma peine mortelle, Je souffre doublement dans le vol de son cœur, Et l'amour y pâtit aussi bien que l'honneur. J'enrage de trouver cette place usurpée, Et j'enrage de voir ma prudence trompée. Je sais que pour punir son amour libertin Je n'ai qu'à laisser faire à son mauvais destin, Que je serai vengé d'elle par elle-même : Mais il est bien fâcheux de perdre ce qu'on aime. Ciel ! puisque pour un choix j'ai tant Philosophé, Faut-il de ses appas m'être si fort coiffé ? Elle n'a ni parents, ni support, ni richesse, Elle trahit mes soins, mes bontés, ma tendresse, Et cependant je l'aime, après ce lâche tour, Jusqu'à ne me pouvoir passer de cet amour. Sot, n'as-tu point de honte, ah je crève, j'enrage, Et je souffletterais mille fois mon visage, Je veux entrer un peu ; mais seulement pour voir Quelle est sa contenance après un trait si noir. Ciel ! faites que mon front soit exempt de disgrâce, Ou bien s'il est écrit, qu'il faille que j'y passe, Donnez-moi tout au moins pour de tels accidents La constance qu'on voit à de certaines gens. J'ai peine, je l'avoue, à demeurer en place, Et de mille soucis mon esprit s'embarrasse, Pour pouvoir mettre un ordre et dedans et dehors, Qui du godelureau rompe tous les efforts : De quel œil la traîtresse a soutenu ma vue, De tout ce qu'elle a fait elle n'est point émue. Et bien qu'elle me mette à deux doigts du trépas, On dirait à la voir qu'elle n'y touche pas. Plus en la regardant je la voyais tranquille, Plus je sentais en moi s'échauffer une bile, Et ces bouillants transports dont s'enflammait mon cœur, Y semblaient redoubler mon amoureuse ardeur. J'étais aigri, fâché, désespéré contre elle, Et cependant jamais je ne la vis si belle ; Jamais ses yeux aux miens n'ont paru si perçants, Jamais je n'eus pour eux des désirs si pressants, Et je sens là-dedans qu'il faudra que je crève, Si de mon triste sort la disgrâce s'achève. Quoi ? j'aurai dirigé son éducation Avec tant de tendresse et de précaution, Je l'aurai fait passer chez moi dès son enfance, Et j'en aurai chéri la plus tendre espérance, Mon cœur aura bâti sur ses attraits naissants, Et cru la mitonner pour moi durant treize ans, Afin qu'un jeune fou dont elle s'amourache Me la vienne enlever jusque sur la moustache, Lorsqu'elle est avec moi mariée à demi. Non parbleu, non parbleu, petit sot mon ami, Vous aurez beau tourner ou j'y perdrai mes peines, Ou je rendrai ma foi, vos espérances vaines, Et de moi tout à fait vous ne vous rirez point. Comment faire ! À mes précautions je veux songer de près. Il se faut garantir de toutes les surprises. J'ai peur si je vais faire éclater quelque chose, Que de cet incident par la ville on ne cause. Mais comment faudra-il qu'avec elle j'en sorte ? Je l'aime, et cet amour est mon grand embarras. Quel traitement lui faire en pareille aventure ? Si… Euh ! Oui, c'est chose sûre, Vous savez tout cela mais qui vous en dit mot ? La peste soit fait l'homme, et sa chienne de face. Adieu. C'est le moyen de vous faire finir. Oui, je vous ai mandé : mais la chose est remise, Et l'on vous mandera quand l'heure sera prise. Voyez quel Diable d'homme avec son entretien ? Approchez-vous, vous êtes mes fidèles, Mes bons, mes vrais amis, et j'en sais des nouvelles. Laissons, c'est pour quelque autre jour. On veut à mon honneur jouer d'un mauvais tour : Et quel affront pour vous mes enfants pourrait-ce être, Si l'on avait ôté l'honneur à votre Maître ? Vous n'oseriez après paraître en nul endroit, Et chacun vous voyant vous montrerait au doigt : Donc puisque autant que moi l'affaire vous regarde, Il faut de votre part faire un telle garde, Que ce galant ne puisse en aucune façon… Mais à ses beaux discours gardez bien de vous rendre. S'il venait doucement. Alain, mon pauvre cœur, Par un peu de secours soulage ma langueur. Bon. Georgette ma mignonne Tu me parais si douce, et si bonne personne. Bon. Quel mal trouves-tu Dans un dessein honnête, et tout plein de vertu ? Fort bien. Ma mort est sûre Si tu ne prends pitié des peines que j'endure. Fort bien. Je ne suis pas un homme à vouloir rien pour rien, Je sais quand on me sert en garder la mémoire : Cependant par avance, Alain voilà pour boire, Et voilà pour t'avoir, Georgette, un cotillon, Ce n'est de mes bienfaits qu'un simple échantillon Toute la courtoisie enfin dont je vous presse, C'est que je puisse voir votre belle Maîtresse. Bon cela. Bon. Bon. Holà, c'est assez. Oui, fort bien, hors l'argent qu'il ne fallait pas prendre. Point. Suffit, rentrez tous deux. Non, non, dis-je, rentrez, puisque je le désire. Je vous laisse l'argent, allez, je vous rejoins, Ayez bien l'œil à tout, et secondez mes soins. Je veux pour espion qui soit d'exacte vue, Prendre le Savetier du coin de notre rue, Dans la maison toujours je prétends la tenir, Y faire bonne garde, et sur tout en bannir Vendeuses de Ruban, Perruquières, Coiffeuses, Faiseuses de Mouchoirs, Gantières, Revendeuses, Tous ces gens qui sous main travaillent chaque jour, À faire réussir les mystères d'amour ; Enfin j'ai vu le monde, et j'en sais les finesses. Il faudra que mon homme ait de grandes adresses, Si Message ou Poulet de sa part peut entrer. Quoi ? l'astre qui s'obstine à me désespérer, Ne me donnera pas le temps de respirer, Coup sur coup je verrai par leur intelligence, De mes soins vigilants confondre la prudence, Et je serai la dupe en ma maturité, D'une jeune innocente, et d'un jeune éventé, En sage Philosophe on m'a vu vingt années, Contempler des maris les tristes destinées, Et m'instruire avec soin de tous les accidents, Qui font dans le malheur tomber les plus prudents, Des disgrâces d'autrui profitant dans mon âme, J'ai cherché les moyens voulant prendre une femme, De pouvoir garantir mon front de tous affronts, Et le tirer de pair d'avec les autres fronts, Pour ce noble dessein j'ai cru mettre en pratique, Tout ce que peut trouver l'humaine Politique, Et comme si du sort il était arrêté, Que nul homme ici-bas n'en serait exempté, Après l'expérience, et toutes les lumières, Que j'ai pu m'acquérir sur de telles matières, Après vingt ans et plus, de méditation, Pour me conduire en tout avec précaution, De tant d'autres maris j'aurais quitté la trace, Pour me trouver après dans la même disgrâce. Ah bourreau de destin vous en aurez menti, De l'objet qu'on poursuit, je suis encor nanti. Si mon cœur m'est volé par ce blondin funeste, J'empêcherai du moins qu'on s'empare du reste, Et cette nuit qu'on prend pour ce galant exploit, Ne se passera pas si doucement qu'on croit, Ce m'est quelque plaisir, parmi tant de tristesse, Que l'on me donne avis du piège qu'on me dresse, Et que cet étourdi qui veut m'être fatal, Fasse son confident de son propre Rival. Non, je jeûne ce soir. De grâce excusez-moi, j'ai quelque autre embarras. C'est trop s'inquiéter des affaires des autres. Quoi qu'il m'arrive au moins aurai-je l'avantage, De ne pas ressembler à de certaines gens, Qui souffrent doucement l'approche des galants. Après ce beau discours, toute la confrérie, Doit un remercîment à votre Seigneurie : Et quiconque voudra vous entendre parler, Montrera de la joie à s'y voir enrôler. C'est-à-dire dormir, et manger toujours bien, Et se persuader que tout cela n'est rien. Si vous êtes d'humeur à vous en contenter, Quant à moi ce n'est pas la mienne d'en tâter ; Et plutôt que subir une telle aventure… Moi ! je serais cocu ? Et moi je n'en voudrais avec eux faire aucune : Mais cette raillerie en un mot m'importune : Brisons-là, s'il vous plaît. Moi ! je le jure encore, et je vais de ce pas, Contre cet accident trouver un bon remède. Mes amis, c'est ici que j'implore votre aide, Je suis édifié de votre affection ; Mais il faut qu'elle éclate en cette occasion : Et si vous m'y servez selon ma confiance, Vous êtes assurés de votre récompense. L'homme que vous savez, n'en faites point de bruit, Veut comme je l'ai su m'attraper cette nuit, Dans la chambre Agnès entrer par escalade, Mais il lui faut nous trois dresser une embuscade : Je veux que vous preniez chacun un bon bâton, Et quand il sera près du dernier échelon ; Car dans le temps qu'il faut j'ouvrirai la fenêtre, Que tous deux à l'envi vous me chargiez ce traître : Mais d'un air dont son dos garde le souvenir, Et qui lui puisse apprendre à n'y plus revenir, Sans me montrer pourtant en aucune manière, Ni faire aucun semblant que je serai derrière. Auriez-vous bien l'esprit de servir mon courroux ? Rentrez donc, et surtout gardez de babiller ; Voilà pour le prochain une leçon utile, Et si tous les Maris qui sont en cette Ville, De leurs Femmes ainsi recevaient le Galland, Le nombre des Cocus ne serait pas si grand. Traîtres, qu'avez-vous fait par cette violence ? De cette excuse en vain vous voulez vous armer. L'ordre était de le battre, et non de l'assommer ; Et c'était sur le dos, et non pas sur la tête, Que j'avais commandé qu'on fît choir la tempête. Ciel ! dans quel accident me jette ici le sort ? Et que puis-je résoudre à voir cet homme mort ? Rentrez dans la maison ; et gardez de rien dire De cet ordre innocent que j'ai pu vous prescrire. Le jour s'en va paraître, et je vais consulter Comment dans ce malheur je me dois comporter. Hélas ! que deviendrai-je ? et que dira le père, Lors qu'inopinément il saura cette affaire ? Eût-on jamais prévu… Qui va là ? s'il vous plaît. Oui ; mais vous… Quelle confusion ! Est-ce un enchantement ? est-ce une illusion ? Je suis, n'en doutez point, tout à votre service. Très volontiers, vous dis-je, et je me sens ravir De cette occasion que j'ai de vous servir. Je rends grâces au Ciel de ce qu'il me l'envoie, Et n'ai jamais rien fait avec si grande joie. Mais comment ferons-nous ; car il fait un peu jour ; Si je la prends ici, l'on me verra, peut-être, Et s'il faut que chez moi vous veniez à paraître, Des valets causeront. Pour jouer au plus sûr, Il faut me l'amener dans un lieu plus obscur, Mon allée est commode, et je l'y vais attendre. Ah fortune ! ce trait d'aventure propice, Répare tous les maux que m'a faits ton caprice. Venez, ce n'est pas là que je vous logerai, Et votre gîte ailleurs est pour moi préparé. Je prétends en lieu sûr mettre votre personne. Me connaissez-vous ? Mon visage, Friponne, Dans cette occasion rend vos sens effrayés, Et c'est à contrecœur qu'ici vous me voyez ; Je trouble en ses projets l'amour qui vous possède, N'appelez point des yeux le Galant à votre aide, Il est trop éloigné pour vous donner secours, Ah, ah, si jeune encor, vous jouez de ces tours ! Votre simplicité qui semble sans pareille, Demande si l'on fait les Enfants par l'oreille, Et vous savez donner des rendez-vous la nuit, Et pour suivre un Galant vous évader sans bruit. Tudieu ! comme avec lui votre langue cajole : Il faut qu'on vous ait mise à quelque bonne école. Qui diantre tout d'un coup vous en a tant appris ? Vous ne craignez donc plus de trouver des Esprits ? Et ce Galant la nuit vous a donc enhardie. Ah, Coquine, en venir à cette perfidie ; Malgré tous mes bienfaits former un tel dessein, Petit serpent que j'ai réchauffé dans mon sein, Et qui dès qu'il se sent par une humeur ingrate, Cherche à faire du mal à celui qui le flatte. J'ai grand tort en effet. Suivre un galant n'est pas une action infame ? Oui, mais pour femme moi je prétendais vous prendre. Et je vous l'avais fait, me semble, assez entendre. Ah, c'est que vous l'aimez, traîtresse. Et vous avez le front de le dire à moi-même ? Le deviez-vous aimer ? Impertinente. Mais il fallait chasser cet amoureux désir. Et ne savez-vous pas que c'était me déplaire ? Il est vrai, j'ai sujet d'en être réjoui. Vous ne m'aimez donc pas à ce compte ? Oui. Comment, non ? Pourquoi ne m'aimer pas, Madame l'impudente ? Je m'y suis efforcé de toute ma puissance ; Mais les soins que j'ai pris, je les ai perdus tous. Voyez comme raisonne et répond la vilaine. Peste, une Précieuse en dirait-elle plus ? Ah ! je l'ai mal connue, ou ma foi là-dessus Une sotte en sait plus que le plus habile homme ; Puisqu'en raisonnement votre esprit se consomme, La belle raisonneuse, est-ce qu'un si long-temps Je vous aurai pour lui nourrie à mes dépens ? Elle a de certains mots où mon dépit redouble, Me rendra-t-il, coquine, avec tout son pouvoir Les obligations que vous pouvez m'avoir ? N'est-ce rien que les soins d'élever votre enfance ? Vous fuyez l'ignorance, et voulez, quoi qu'il coûte, Apprendre du blondin quelque chose. Je ne sais qui me tient qu'avec une gourmade Ma main de ce discours ne venge la bravade. J'enrage quand je vois sa piquante froideur, Et quelques coups de poing satisferaient mon cœur. Ce mot, et ce regard désarme ma colère, Et produit un retour de tendresse de cœur, Qui de son action m'efface la noirceur. Chose étrange ! d'aimer, et que pour ces traîtresses Les hommes sont sujets à de telles faiblesses. Tout le monde connaît leur imperfection. Ce n'est qu'extravagance, et qu'indiscrétion ; Leur esprit est méchant, et leur âme fragile ; Il n'est rien de plus faible, et de plus imbécile, Rien de plus infidèle, et malgré tout cela Dans le monde on fait tout pour ces animaux-là. Hé bien, faisons la paix, va petite traîtresse, Je te pardonne tout, et te rends ma tendresse ; Considère par là l'amour que j'ai pour toi, Et me voyant si bon, en revanche aime-moi. Mon pauvre petit bec, tu le peux, si tu veux, Écoute seulement ce soupir amoureux, Vois ce regard mourant, contemple ma personne, Et quitte ce morveux, et l'amour qu'il te donne ; C'est quelque sort qu'il faut qu'il ait jeté sur toi, Et tu seras cent fois plus heureuse avec moi. Ta forte passion est d'être brave et leste, Tu le seras toujours, va, je te le proteste ; Sans cesse nuit et jour je te caresserai, Je te bouchonnerai, baiserai, mangerai ; Tout comme tu voudras, tu pourras te conduire, Je ne m'explique point, et cela c'est tout dire. Jusqu'où la passion peut-elle faire aller ? Enfin à mon amour rien ne peut s'égaler. Quelle preuve veux-tu que je t'en donne, ingrate ? Me veux-tu voir pleurer ? veux-tu que je me batte ? Veux-tu que je m'arrache un côté de cheveux ? Veux-tu que je me tue ? oui, dis si tu le veux. Je suis tout prêt, cruelle, à te prouver ma flamme. Ah ! c'est trop me braver, trop pousser mon courroux ; Je suivrai mon dessein, bête trop indocile, Et vous dénicherez à l'instant de la Ville ; Vous rebutez mes vœux, et me mettez à bout ; Mais un cul de Couvent me vengera de tout. La voici ; dans ma chambre allez me la nicher. Ce ne sera pas là qu'il la viendra chercher, Et puis c'est seulement pour une demie-heure. Je vais pour lui donner une sûre demeure Trouver une voiture ; enfermez-vous des mieux, Et surtout gardez-vous de la quitter des yeux : Peut-être que son âme étant dépaysée Pourra de cet amour être désabusée. Ouida. Je n'y manquerai pas. Fort bien. Oui, je vais vous servir de la bonne façon. N'ayez aucun soupçon. Que je sens à vous voir une grande allégresse. Sans m'en faire récit, Je sais ce qui vous mène. Oui. Votre fils à cet hymen résiste, Et son cœur prévenu n'y voit rien que de triste, Il m'a même prié de vous en détourner ; Et moi tout le conseil que je vous puis donner, C'est de ne pas souffrir que ce nœud se diffère, Et de faire valoir l'autorité de père ; Il faut avec vigueur ranger les jeunes gens, Et nous faisons contre eux à leur être indulgents. Quoi ? se laissera-t-il gouverner par son fils ? Est-ce que vous voulez qu'un père ait la mollesse De ne savoir pas faire obéir la jeunesse ? Il serait beau, vraiment, qu'on le vît aujourd'hui Prendre loi de qui doit la recevoir de lui. Non, non, c'est mon intime, et sa gloire est la mienne, Sa parole est donnée, il faut qu'il la maintienne, Qu'il fasse voir ici de fermes sentiments, Et force de son fils tous les attachements. Je sais ce que je fais, et dis ce qu'il faut dire. Il n'importe. Oui c'est là le mystère, Et vous pouvez juger ce que je devais faire. Faites-la-moi venir, aussi bien de ce pas Prétends-je l'emmener, ne vous en fâchez pas, Un bonheur continu rendrait l'homme superbe, Et chacun à son tour, comme dit le Proverbe. Pressez vite le jour de la Cérémonie, J'y prends part, et déjà moi-même je m'en prie. Venez, Belle, venez, Qu'on ne saurait tenir, et qui vous mutinez. Voici votre Galant, à qui pour récompense Vous pouvez faire une humble et douce révérence, Adieu ; l'événement trompe un peu vos souhaits ; Mais tous les amoureux ne sont pas satisfaits. Allons, causeuse, allons. Avec plus de loisir je pourrai vous l'apprendre, Jusqu'au revoir. Je vous ai conseillé malgré tout son murmure, D'achever l'hyménée. Quoi… Oh ! **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesfemmes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesfemmes *dist2_moliere_verse_comedy *id_agnes *date_1662 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_agnes Oui, Monsieur, Dieu merci. Hors les puces, qui m'ont la nuit inquiétée. Vous me ferez plaisir. Je me fais des Cornettes : Vos Chemises de nuit, et vos Coiffes sont faites. Fort belle. Fort beau ! Le petit chat est mort. Non. Jamais je ne m'ennuie. Six chemises, je pense, et six coiffes aussi. Mon Dieu, ne gagez pas, vous perdriez vraiment. Chose sûre. Il n'a presque bougé de chez nous, je vous jure. Oui : mais quand je l'ai vu, vous ignorez pourquoi, Et vous en auriez fait, sans doute, autant que moi. Elle est fort étonnante et difficile à croire. J'étais sur le Balcon à travailler au frais : Lorsque je vis passer sous les arbres d'auprès Un jeune homme bien fait, qui rencontrant ma vue, D'une humble révérence aussitôt me salue : Moi, pour ne point manquer à la civilité Je fis la révérence aussi de mon côté. Soudain, il me refait une autre révérence. Moi, j'en refais de même une autre en diligence ; Et lui d'une troisième aussitôt repartant, D'une troisième aussi j'y repars à l'instant. Il passe, vient, repasse, et toujours de plus belle Me fait à chaque fois révérence nouvelle. Et moi, qui tous ces tours fixement regardais, Nouvelle révérence aussi je lui rendais. Tant, que si sur ce point la nuit ne fut venue, Toujours comme cela je me serais tenue. Ne voulant point céder et recevoir l'ennui, Qu'il me pût estimer moins civile que lui. Le lendemain étant sur notre porte, Une vieille m'aborde en parlant de la sorte. Mon enfant, le bon Dieu puisse-t-il vous bénir, Et dans tous vos attraits longtemps vous maintenir. Il ne vous a pas faite une belle personne, Afin de mal user des choses qu'il vous donne. Et vous devez savoir que vous avez blessé Un cœur, qui de s'en plaindre est aujourd'hui forcé. Moi, j'ai blessé quelqu'un ? fis-je toute étonnée, Oui, dit-elle, blessé, mais blessé tout de bon ; Et c'est l'homme qu'hier vous vîtes du Balcon. Hélas ! qui pourrait, dis-je, en avoir été cause ? Sur lui sans y penser, fis-je choir quelque chose ? Non, dit-elle, vos yeux ont fait ce coup fatal, Et c'est de leurs regards qu'est venu tout son mal. Hé, mon Dieu ! ma surprise est, fis-je, sans seconde. Mes yeux ont-ils du mal pour en donner au monde ? Oui, fit-elle, vos yeux, pour causer le trépas Ma fille, ont un venin que vous ne savez pas. En un mot, il languit le pauvre misérable ; Et s'il faut, poursuivit la vieille charitable, Que votre cruauté lui refuse un secours, C'est un homme à porter en terre dans deux jours. Mon Dieu ! j'en aurais, dis-je, une douleur bien grande. Mais pour le secourir, qu'est-ce qu'il me demande ? Mon enfant, me dit-elle, il ne veut obtenir, Que le bien de vous voir et vous entretenir. Vos yeux peuvent eux seuls empêcher sa ruine, Et du mal qu'ils ont fait être la médecine. Hélas ! volontiers, dis-je, et puisqu'il est ainsi, Il peut tant qu'il voudra me venir voir ici. Voilà comme il me vit et reçut guérison. Vous-même, à votre avis, n'ai-je pas eu raison ? Et pouvais-je, après tout, avoir la conscience De le laisser mourir faute d'une assistance ? Moi qui compatis tant aux gens qu'on fait souffrir, Et ne puis sans pleurer voir un poulet mourir. Qu'avez-vous ; vous grondez, ce me semble, un petit. Est-ce que c'est mal fait ce que je vous ai dit ? Hélas ! si vous saviez, comme il était ravi. Comme il perdit son mal, sitôt que je le vis ; Le présent qu'il m'a fait d'une belle cassette, Et l'argent qu'en ont eu notre Alain et Georgette. Vous l'aimeriez sans doute, et diriez comme nous… Il jurait qu'il m'aimait d'une amour sans seconde : Et me disait des mots les plus gentils du monde : Des choses que jamais rien ne peut égaler ; Et dont, toutes les fois que je l'entends parler, La douceur me chatouille, et là-dedans remue Certain je ne sais quoi, dont je suis toute émue. Oh tant ; il me prenait et les mains et les bras, Et de me les baiser il n'était jamais las. Hé, il m'a… Pris… Le… Je n'ose, Et vous vous fâcherez peut-être contre moi. Si fait. Jurez donc votre foi. Il m'a pris… vous serez en colère. Si. Il… Il m'a pris le ruban que vous m'aviez donné. À vous dire le vrai, je n'ai pu m'en défendre. Comment. Est-ce qu'on fait d'autres choses ? Non. Vous pouvez juger s'il en eût demandé, Que pour le secourir j'aurais tout accordé. Oh ! point. Il me l'a dit plus de vingt fois à moi. Un péché, dites-vous, et la raison de grâce ? Courroucé. Mais pourquoi faut-il qu'il s'en courrouce ? C'est une chose, hélas ! si plaisante et si douce. J'admire quelle joie on goûte à tout cela. Et je ne savais point encor ces choses-là. N'est-ce pas un péché lorsque l'on se marie ? Mariez-moi donc promptement, je vous prie. Est-il possible ? Que vous me ferez aise ! Vous nous voulez nous deux… Que si cela se fait, je vous caresserai ! Je ne reconnais point, pour moi, quand on se moque. Parlez-vous tout de bon ? Nous serons mariés ? Mais quand ? Dès ce soir. Oui. Hélas ! que je vous ai grande obligation ! Et qu'avec lui j'aurai de satisfaction ! Avec… là. Las ! il est si bien fait. c'est… Je n'aurai pas le cœur… Mais quoi, voulez-vous… LES MAXIMES DU MARIAGE, OU LES DEVOIRS DE LA FEMME MARIÉE Avec son Exercice journalier Ire MAXIME Celle qu'un lien honnête, Fait entrer au lit d'autrui : Doit se mettre dans la tête, Malgré le train d'aujourd'hui, Que l'homme qui la prend, ne la prend que pour lui. IIe MAXIME Elle ne se doit parer, Qu'autant que peut désirer Le mari qui la possède. C'est lui que touche seul le soin de sa beauté ; Et pour rien doit être conté, Que les autres la trouvent laide. IIIe MAXIME Loin, ces études d'œillades, Ces eaux, ces blancs, ces pommades, Et mille ingrédients qui font des teints fleuris. À l'honneur tous les jours ce sont drogues mortelles, Et les soins de paraître belles Se prennent peu pour les maris. IVe MAXIME Sous sa coiffe en sortant, comme l'honneur l'ordonne, Il faut que de ses yeux elle étouffe les coups Car pour bien plaire à son Époux, Elle ne doit plaire à personne. Ve MAXIME Hors ceux dont au mari la visite se rend, La bonne règle défend De recevoir aucune âme. Ceux qui de galante humeur, N'ont affaire qu'à Madame, N'accommodent pas Monsieur. VIe MAXIME Il faut des présents des hommes Qu'elle se défende bien. Car dans le siècle où nous sommes On ne donne rien pour rien. VIIe MAXIME Dans ses meubles, dût-elle en avoir de l'ennui Il ne faut écritoire, encre, papier ni plumes. Le mari doit, dans les bonnes coutumes, Écrire tout ce qui s'écrit chez lui. VIIIe MAXIME Ces sociétés déréglées, Qu'on nomme belles assemblées, Des femmes, tous les jours corrompent les esprits. En bonne Politique on les doit interdire ; Car c'est là que l'on conspire Contre les pauvres maris. IXe MAXIME Toute femme qui veut à l'honneur se vouer, Doit se défendre de jouer, Comme d'une chose funeste. Car le jeu fort décevant Pousse une femme souvent, À jouer de tout son reste. Xe MAXIME Des promenades du temps, Ou repas qu'on donne aux champs Il ne faut point qu'elle essaye. Selon les prudents cerveaux, Le mari dans ces cadeaux Est toujours celui qui paye. XIe MAXIME… Pourquoi me quittez-vous ? Songez donc, je vous prie, à revenir bientôt. Quand je ne vous vois point, je ne suis point joyeuse. Hélas ! s'il était vrai, vous resteriez ici. Non, vous ne m'aimez pas autant que je vous aime. Ah ! l'on me tire trop ! Mais suivre un inconnu que… Je me trouverais mieux entre celles d'Horace. Et j'aurais… Attendez. Quand vous verrai-je donc ? Que je vais m'ennuyer jusques à ce moment ! Hay. Pourquoi me criez-vous ? Je n'entend point de mal dans tout ce que j'ai fait. C'est un homme qui dit qu'il me veut pour sa femme ; J'ai suivi vos leçons, et vous m'avez prêché Qu'il se faut marier pour ôter le péché. Oui, mais à vous parler franchement entre nous, Il est plus pour cela selon mon goût, que vous ; Chez vous le mariage est fâcheux et pénible, Et vos discours en font une image terrible : Mais las ! il le fait lui si rempli de plaisirs, Que de se marier il donne des désirs. Oui je l'aime. Et pourquoi s'il est vrai, ne le dirais-je pas ? Hélas ! Est-ce que j'en puis mais ? lui seul en est la cause, Et je n'y songeais pas lorsque se fit la chose. Le moyen de chasser ce qui fait du plaisir. Moi, point du tout, quel mal cela vous peut-il faire ? Vous ? Hélas, non. Voulez-vous que je mente ? Mon dieu, ce n'est pas moi que vous devez blâmer ; Que ne vous êtes-vous comme lui fait aimer ? Je ne vous en ai pas empêché, que je pense. Vraiment il en sait donc là-dessus plus que vous ; Car à se faire aimer il n'a point eu de peine. Non, il vous rendra tout jusques au dernier double. Je ne vous en ai pas de si grandes qu'on pense. Vous avez là-dedans bien opéré vraiment, Et m'avez fait en tout instruire joliment, Croit-on que je me flatte, et qu'enfin dans ma tête Je ne juge pas bien que je suis une bête ? Moi-même j'en ai honte, et dans l'âge où je suis Je ne veux plus passer pour sotte, si je puis. Sans doute, C'est de lui que je sais ce que je puis savoir, Et beaucoup plus qu'à vous je pense lui devoir. Hélas, vous le pouvez, si cela peut vous plaire. Du meilleur de mon cœur, je voudrais vous complaire. Que me coûterait-il, si je le pouvais faire ? Tenez, tous vos discours ne me touchent point l'âme. Horace avec deux mots en ferait plus que vous. Me laissez-vous, Horace, emmener de la sorte ? Je veux rester ici. **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesfemmes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesfemmes *dist2_moliere_verse_comedy *id_horace *date_1662 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_horace Seigneur Ar… Arnolphe. Depuis neuf jours. Je fus d'abord chez vous, mais inutilement. Oui, depuis deux journées. Vous voyez. Ni, qui plus est, écrit l'un à l'autre, me semble. Il est, Seigneur Arnolphe, encore plus gai que nous, Et j'avais de sa part une Lettre pour vous ; Mais depuis par une autre il m'apprend sa venue, Et la raison encor ne m'en est pas connue. Savez-vous qui peut être un de vos Citoyens, Qui retourne en ces lieux avec beaucoup de biens, Qu'il s'est en quatorze ans acquis dans l'Amérique ? Enrique. Mon Père m'en parle, et qu'il est revenu, Comme s'il devait m'être entièrement connu, Et m'écrit qu'en chemin ensemble ils se vont mettre, Pour un fait important que ne dit point sa Lettre. Je suis Homme à saisir les gens par leurs paroles, Et j'ai présentement besoin de cent pistoles. Il faut… Nombreuse en Citoyens, superbe en bâtiments, Et j'en crois merveilleux les divertissements. À ne vous rien cacher de la vérité pure J'ai d'amour en ces lieux eu certaine aventure, Et l'amitié m'oblige à vous faire part. Mais, de grâce, qu'au moins ces choses soient secrètes. Vous n'ignorez pas qu'en ces occasions. Un secret éventé rompt nos prétentions. Je vous avouerai donc avec pleine franchise, Qu'ici d'une Beauté mon âme s'est éprise. Mes petits soins d'abord ont eu tant de succès, Que je me suis chez elle ouvert un doux accès ; Et sans trop me vanter ni lui faire une injure, Mes affaires y sont en fort bonne posture. Un jeune objet qui loge en ce logis, Dont vous voyez d'ici que les murs sont rougis ; Simple à la vérité, par l'erreur sans seconde D'un Homme qui la cache au commerce du monde, Mais qui dans l'ignorance où l'on veut l'asservir, Fait briller des attraits capables de ravir, Un air tout engageant, je ne sais quoi de tendre, Dont il n'est point de cœur qui se puisse défendre. Mais, peut-être, il n'est pas que vous n'ayez bien vu Ce jeune Astre d'amour de tant d'attraits pourvu : C'est Agnès qu'on l'appelle. Pour l'Homme, C'est, je crois, de la Zousse, ou Source, qu'on le nomme, Je ne me suis pas fort arrêté sur le nom ; Riche, à ce qu'on m'a dit, mais des plus sensés, non, Et l'on m'en a parlé comme d'un Ridicule. Le connaissez-vous point ? Eh ! vous ne dites mot ? C'est un fou, n'est-ce pas ? Qu'en dites-vous ? quoi ? Eh ? c'est-à-dire oui. Jaloux à faire rire. Sot ? je vois qu'il en est ce que l'on m'a pu dire. Enfin l'aimable Agnès a su m'assujettir. C'est un joli bijou, pour ne vous point mentir, Et ce serait péché, qu'une Beauté si rare Fût laissée au pouvoir de cet Homme bizarre. Pour moi, tous mes efforts, tous mes vœux les plus doux, Vont à m'en rendre maître, en dépit du jaloux ; Et l'argent que de vous j'emprunte avec franchise, N'est que pour mettre à bout cette juste entreprise. Vous savez mieux que moi quels que soient nos efforts, Que l'argent est la clef de tous les grands ressorts, Et que ce doux métal qui frappe tant de têtes, En amour, comme en guerre, avance les conquêtes. Vous me semblez chagrin ; serait-ce qu'en effet Vous désapprouveriez le dessein que j'ai fait ? Cet entretien vous lasse ; Adieu, j'irai chez vous tantôt vous rendre grâce. Derechef, veuillez être discret, Et n'allez pas, de grâce, éventer mon secret. Et surtout à mon Père, Qui s'en ferait peut-être un sujet de colère. Je reviens de chez vous, et le destin me montre Qu'il n'a pas résolu que je vous y rencontre. Mais j'irai tant de fois qu'enfin quelque moment… Ma foi, depuis qu'à vous s'est découvert mon cœur, Il est à mon amour arrivé du malheur. La fortune cruelle A ramené des champs le patron de la belle. Et de plus, à mon très grand regret, Il a su de nous deux le commerce secret. Je ne sais. Mais enfin c'est une chose sûre. Je pensais aller rendre, à mon heure, à peu prés, Ma petite visite à ses jeunes attraits, Lorsque changeant pour moi de ton et de visage Et Servante et Valet m'ont bouché le passage, Et d'un : retirez vous, vous nous importunez, M'ont assez rudement fermé la porte au nez. Au nez. J'ai voulu leur parler au travers de la porte : Mais à tous mes propos ce qu'ils ont répondu C'est, vous n'entrerez point, Monsieur l'a défendu. Non. Et de la fenêtre Agnès m'a confirmé le retour de ce Maître ; En me chassant de là d'un ton plein de fierté, Accompagné d'un grès que sa main a jeté. D'un grès de taille non petite, Dont on a par ses mains régalé ma visite. Il est vrai, je suis mal par ce retour funeste. Cet homme me rompt tout. Il faut bien essayer par quelque intelligence De vaincre du jaloux l'exacte vigilance. Assurément. Je l'espère. Sans doute, Et j'ai compris d'abord que mon homme était là, Qui sans se faire voir conduisait tout cela : Mais ce qui m'a surpris et qui va vous surprendre, C'est un autre incident que vous allez entendre, Un trait hardi qu'a fait cette jeune beauté, Et qu'on n'attendrait point de sa simplicité ; Il le faut avouer, l'amour est un grand maître, Ce qu'on ne fut jamais il nous enseigne à l'être, Et souvent de nos mœurs l'absolu changement Devient par ses leçons l'ouvrage d'un moment. De la nature en nous il force les obstacles, Et ses effets soudains ont de l'air des miracles, D'un avare à l'instant il fait un libéral : Un Vaillant d'un Poltron, un Civil d'un Brutal. Il rend agile à tout l'âme la plus pesante, Et donne de l'esprit à la plus innocente : Oui, ce dernier miracle éclate dans Agnès, Car tranchant avec moi par ces termes exprès, Retirez-vous, mon âme aux visites renonce, Je sais tous vos discours : Et voila ma réponse. Cette pierre ou ce grès dont vous vous étonniez, Avec un mot de lettre est tombée à mes pieds, Et j'admire de voir cette lettre ajustée, Avec le sens des mots ; zt la pierre jetée ; D'une telle action n'êtes-vous pas surpris ? L'Amour sait-il pas l'art d'aiguiser les esprits ? Et peut-on me nier que ses flammes puissantes, Ne fassent dans un cœur des choses étonnantes ? Que dites-vous du tour, et de ce mot d'écrit ? Euh ! n'admirez-vous point cette adresse d'esprit ? Trouvez-vous pas plaisant de voir quel Personnage A joué mon jaloux dans tout ce badinage. Dites, Riez-en donc un peu, Cet homme gendarmé d'abord contre mon feu, Qui chez lui se retranche, et de grès fait parade, Comme si j'y voulais entrer par escalade, Qui pour me repousser dans son bizarre effroi, Anime du dedans tous ses gens contre moi, Et qu'abuse à ses yeux par sa machine même, Celle qu'il veut tenir dans l'ignorance extrême : Pour moi je vous l'avoue, encor que son retour En un grand embarras jette ici mon amour, Je tiens cela plaisant autant qu'on saurait dire, Je ne puis y songer sans de bon cœur en rire. Et vous n'en riez pas assez à mon avis. Mais il faut qu'en ami je vous montre la lettre. Tout ce que son cœur sent, sa main a su l'y mettre : Mais en termes touchants, et tous pleins de bonté, De tendresse innocente, et d'ingénuité, De la manière enfin que la pure nature Exprime de l'amour la première blessure. Je veux vous écrire, et je suis bien en peine par où je m'y prendrai. J'ai des pensées que je désirerais que vous sussiez ; mais je ne sais comment faire pour vous les dire, et je me défie de mes paroles. Comme je commence à connaître qu'on m'a toujours tenue dans l'ignorance, j'ai peur de mettre quelque chose, qui ne soit pas bien, et d'en dire plus que je ne devrais. En vérité je ne sais ce que vous m'avez fait ; mais je sens que je suis fâchée à mourir de ce qu'on me fait faire contre vous, que j'aurai toutes les peines du monde à me passer de vous, et que je serais bien aise d'être à vous. Peut-être qu'il y a du mal à dire cela ; mais enfin je ne puis m'empêcher de le dire, et je voudrais que cela se pût faire, sans qu'il y en eût. On me dit fort, que tous les jeunes hommes sont des trompeurs ; qu'ils ne les faut point écouter, et que tout ce que vous me dites, n'est que pour m'abuser ; mais je vous assure, que je n'ai pu encore me figurer cela de vous ; et je suis si touchée de vos paroles, que je ne saurais croire qu'elles soient menteuses. Dites-moi franchement ce qui en est : car enfin, comme je suis sans malice, vous auriez le plus grand tort du monde, si vous me trompiez. Et je pense que j'en mourrais de déplaisir. Qu'avez-vous ? Avez-vous jamais vu, d'expression plus douce, Malgré les soins maudits d'un injuste pouvoir, Un plus beau naturel peut-il se faire voir ? Et n'est-ce pas sans doute un crime punissable, De gâter méchamment ce fonds d'âme admirable ? D'avoir dans l'ignorance et la stupidité, Voulu de cet esprit étouffer la clarté ? L'amour a commencé d'en déchirer le voile, Et si par la faveur de quelque bonne étoile, Je puis, comme j'espère, à ce franc animal, Ce traître, ce bourreau, ce faquin, ce brutal… Comment si vite ? Mais ne sauriez-vous point, comme on la tient de près, Qui dans cette maison pourrait avoir accès, J'en use sans scrupule, et ce n'est pas merveille, Qu'on se puisse entre amis servir à la pareille. Je n'ai plus là-dedans que gens pour m'observer, Et servante et valet que je viens de trouver, N'ont jamais de quelque air que je m'y sois pu prendre Adouci leur rudesse à me vouloir entendre, J'avais pour de tels coups certaine vieille en main, D'un génie à vrai dire au-dessus de l'humain, Elle m'a dans l'abord servi de bonne sorte : Mais depuis quatre jours la pauvre femme est morte, Ne me pourriez-vous point ouvrir quelque moyen ? Adieu donc. Vous voyez ce que je vous confie. La place m'est heureuse à vous y rencontrer. Je viens de l'échapper bien belle je vous jure. Au sortir d'avec vous sans prévoir l'aventure, Seule dans son balcon j'ai vu paraître Agnès, Qui des arbres prochains prenait un peu le frais, Après m'avoir fait signe, elle a su faire en sorte, Descendant au jardin de m'en ouvrir la porte : Mais à peine tous deux dans la chambre étions-nous, Qu'elle a sur les degrés entendu son jaloux, Et tout ce qu'elle a pu dans un tel accessoire, C'est de me renfermer dans une grande armoire. Il est entré d'abord ; je ne le voyais pas, Mais je l'oyais marcher sans rien dire à grands pas ; Poussant de temps en temps des soupirs pitoyables, Et donnant quelquefois de grands coups sur les tables, Frappant un petit chien qui pour lui s'émouvait, Et jetant brusquement les hardes qu'il trouvait, Il a même cassé, d'une main mutinée, Des vases dont la belle ornait sa cheminée, Et sans doute il faut bien qu'à ce becque cornu, Du trait qu'elle a joué quelque jour soit venu. Enfin après cent tours ayant de la manière, Sur ce qui n'en peut mais déchargé sa colère, Mon jaloux inquiet sans dire son ennui, Est sorti de la chambre, et moi de mon étui, Nous n'avons point voulu de peur du personnage, Risquer à nous tenir ensemble davantage, C'était trop hasarder ; mais je dois cette nuit, Dans sa chambre un peu tard m'introduire sans bruit, En toussant par trois fois je me ferai connaître, Et je dois au signal voir ouvrir la fenêtre, Dont avec une échelle, et secondé d'Agnès, Mon amour tâchera de me gagner l'accès. Comme à mon seul ami je veux bien vous l'apprendre, L'allégresse du cœur s'augmente à la répandre, Et goûtât-on cent fois un bonheur tout parfait, On n'en est pas content si quelqu'un ne le sait. Vous prendrez part, je pense, à l'heur de mes affaires. Adieu je vais songer aux choses nécessaires. Il faut que j'aille un peu reconnaître qui c'est. C'est vous, Seigneur Arnolphe. C'est Horace. Je m'en allais chez vous, vous prier d'une grâce. Vous sortez bien matin. J'étais, à dire vrai, dans une grande peine ; Et je bénis du Ciel la bonté souveraine, Qui fait qu'à point nommé je vous rencontre ainsi. Je viens vous avertir que tout a réussi, Et même beaucoup plus que je n'eusse osé dire ; Et par un incident qui devait tout détruire. Je ne sais point par où l'on a pu soupçonner Cette assignation qu'on m'avait su donner : Mais étant sur le point d'atteindre à la fenêtre J'ai, contre mon espoir, vu quelques gens paraître, Qui sur moi brusquement levant chacun le bras M'ont fait manquer le pied et tomber jusqu'en bas ; Et ma chute aux dépens de quelque meurtrissure, De vingt coups de bâtons m'a sauvé l'aventure. Ces gens-là, dont était je pense mon jaloux, Ont imputé ma chute à l'effort de leurs coups, Et comme la douleur un assez long espace M'a fait sans remuer demeurer sur la place, Ils ont cru tout de bon qu'ils m'avaient assommé, Et chacun d'eux s'en est aussitôt alarmé. J'entendais tout leur bruit dans le profond silence, L'un l'autre ils s'accusaient de cette violence, Et sans lumière aucune, en querellant le sort, Sont venus doucement tâter si j'étais mort. Je vous laisse à penser si dans la nuit obscure, J'ai d'un vrai trépassé su tenir la figure. Ils se sont retirés avec beaucoup d'effroi ; Et comme je songeais à me retirer moi, De cette feinte mort la jeune Agnès émue Avec empressement est devers moi venue : Car les discours qu'entre eux ces gens avaient tenus Jusques à son oreille étaient d'abord venus, Et pendant tout ce trouble étant moins observée, Du logis aisément elle s'était sauvée. Mais me trouvant sans mal elle a fait éclater Un transport difficile à bien représenter. Que vous dirai-je ? enfin cette aimable personne A suivi les conseils que son amour lui donne, N'a plus voulu songer à retourner chez soi, Et de tout son destin s'est commise à ma foi. Considérez un peu par ce trait d'innocence Où l'expose d'un fou la haute impertinence ; Et quels fâcheux périls elle pourrait courir. Si j'étais maintenant homme à la moins chérir ? Mais d'un trop pur amour mon âme est embrasée, J'aimerais mieux mourir que l'avoir abusée. Je lui vois des appas dignes d'un autre sort, Et rien ne m'en saurait séparer que la mort. Je prévois là-dessus l'emportement d'un père : Mais nous prendrons le temps d'apaiser sa colère. À des charmes si doux je me laisse emporter, Et dans la vie, enfin, il se faut contenter. Ce que je veux de vous sous un secret fidèle, C'est que je puisse mettre en vos mains cette Belle, Que dans votre maison, en faveur de mes feux, Vous lui donniez retraite au moins un jour ou deux. Outre qu'aux yeux du monde il faut cacher sa fuite, Et qu'on en pourra faire une exacte poursuite ; Vous savez qu'une fille aussi de sa façon Donne avec un jeune homme un étrange soupçon. Et comme c'est à vous, sûr de votre prudence Que j'ai fait de mes feux entière confidence ; C'est à vous seul aussi, comme ami généreux Que je puis confier ce dépôt amoureux. Vous voulez bien me rendre un si charmant office. Que je suis redevable à toutes vos bontés ! J'avais de votre part craint des difficultés : Mais vous êtes du monde, et dans votre sagesse Vous savez excuser le feu de la jeunesse. Un de mes gens la garde au coin de ce détour. Ce sont précautions qu'il est fort bon de prendre. Pour moi je ne ferai que vous la mettre en main, Et chez moi sans éclat je retourne soudain. Ne soyez point en peine, où je vais vous mener, C'est un logement sûr que je vous fais donner. Vous loger avec moi ce serait tout détruire, Entrez dans cette porte, et laissez-vous conduire. Chère Agnès, il le faut. J'en suis assez pressé par ma flamme amoureuse. Hors de votre présence on me voit triste aussi. Quoi ! vous pourriez douter de mon amour extrême ? C'est qu'il est dangereux, Chère Agnès, qu'en ce lieu nous soyons vus tous deux. Et le parfait ami, de qui la main vous presse, Suit le zèle prudent qui pour nous l'intéresse. N'appréhendez rien, Entre de telles mains vous ne serez que bien. Adieu, le jour me chasse. Bientôt assurément. Grâce au Ciel, mon bonheur n'est plus en concurrence, Et je puis maintenant dormir en assurance. Ah ! je viens vous trouver accablé de douleur, Le Ciel, Seigneur Arnolphe, a conclu mon malheur, Et par un trait fatal d'une injustice extrême On me veut arracher de la beauté que j'aime. Pour arriver ici mon père a pris le frais, J'ai trouvé qu'il mettait pied-à-terre ici près, Et la cause en un mot d'une telle venue, Qui, comme je disais, ne m'était pas connue, C'est qu'il m'a marié sans m'en écrire rien, Et qu'il vient en ces lieux célébrer ce lien. Jugez, en prenant part à mon inquiétude, S'il pouvait m'arriver un contre-temps plus rude ; Cet Enrique, dont hier je m'informais à vous, Cause tout le malheur dont je ressens les coups ; Il vient avec mon père achever ma ruine, Et c'est sa fille unique à qui l'on me destine. J'ai dès leurs premiers mots pensé m'évanouir, Et d'abord sans vouloir plus longtemps les ouïr, Mon père ayant parlé de vous rendre visite L'esprit plein de frayeur je l'ai devancé vite : De grâce, gardez-vous de lui rien découvrir De mon engagement, qui le pourrait aigrir, Et tâchez, comme en vous il prend grande créance, De le dissuader de cette autre alliance. Conseillez-lui de différer un peu, Et rendez en ami ce service à mon feu. C'est en vous que j'espère. Et je vous tiens mon véritable père ; Dites-lui que mon âge… ah ! je le vois venir, Écoutez les raisons que je vous puis fournir. Gardez encor un coup… Ah traître ! Qu'entends-je ? En quel trouble… Quels maux peuvent, ô Ciel, égaler mes ennuis ? Et s'est-on jamais vu dans l'abîme où je suis ? Je ne sais où j'en suis, tant ma douleur est forte. Ah mon père Vous saurez pleinement ce surprenant mystère. Le hasard en ces lieux avait exécuté Ce que votre sagesse avait prémédité. J'étais par les doux nœuds d'une ardeur mutuelle Engagé de parole avec cette Belle ; Et c'est elle en un mot que vous venez chercher, Et pour qui mon refus a pensé vous fâcher. **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesfemmes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesfemmes *dist2_moliere_verse_comedy *id_alain *date_1662 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_alain Qui heurte ? Qui va là ? Georgette ? Ouvre là-bas. Vas-y toi. Je n'irai pas aussi. Quoi ? Ouvre, toi. J'empêche, peur du Chat, que mon Moineau ne sorte. Pourquoi plutôt que moi ? le plaisant strodagéme ! Non, ôte-toi, toi-même. Et je veux l'ouvrir, moi. Ni toi non plus. Au moins c'est moi, Monsieur. Sans le respect de Monsieur que voilà, Je te… Pardon. C'est elle aussi, Monsieur… Monsieur, nous nous… Monsieur, nous nous por… Dieu merci ; Nous nous… Vous faites bien, j'ai tort. Ah ! Monsieur, cette fois… Quelque Chien enragé l'a mordu, je m'assure. Je meurs. Ce Monsieur l'a fâché, je te le disais bien. C'est que cette action le met en jalousie. Cela vient… Cela vient, de ce qu'il est jaloux. C'est que la jalousie… Entends-tu bien, Georgette, Est une chose… là… qui fait qu'on s'inquiète… Et qui chasse les gens d'autour d'une maison. Je m'en vais te bailler une comparaison, Afin de concevoir la chose davantage. Dis-moi, n'est-il pas vrai, quand tu tiens ton potage, Que si quelque affamé venait pour en manger, Tu serais en colère, et voudrais le charger ? C'est justement tout comme. La Femme est en effet le potage de l'Homme ; Et quand un Homme voit d'autres Hommes parfois, Qui veulent dans sa soupe aller tremper leurs doigts, Il en montre aussitôt une colère extrême. C'est que chacun n'a pas cette amitié goulue, Qui n'en veut que pour soi. Tes yeux sont bons, c'est lui. C'est qu'il a de l'ennui. S'il entre jamais, je veux jamais ne boire. Aussi bien est-ce un sot, il nous a l'autre fois Donné deux écus d'or qui n'étaient pas de poids. Oui. Monsieur… Le Notaire… Oh vraiment… Vous êtes un sot. Vous êtes un fripon. Hors d'ici. Est-ce de la façon que vous voulez l'entendre ? Voulez-vous qu'à l'instant nous recommencions ? Vous n'avez rien qu'à dire. S'il ne tient qu'à frapper, Monsieur, tout est à nous. Vous verrez, quand je bats, si j'y vais de main morte. Nous vous avons rendu, Monsieur, obéissance. Je ne sais ce que c'est, Monsieur, mais il me semble Qu'Agnès et le corps mort s'en sont allés ensemble. **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesfemmes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesfemmes *dist2_moliere_verse_comedy *id_georgette *date_1662 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_georgette Hé bien ? Vas-y toi. Ma foi je n'irai pas. Qui frappe ? Alain ? C'est Monsieur, Ouvre vite. Je souffle notre feu. Par quelle raison y venir quand j'y cours ? Ôte-toi donc de là. Je veux ouvrir la porte. Tu ne l'ouvriras pas. Ni toi. Je suis votre Servante, C'est moi. Triste ? Non. Si fait. Oui, je meure, Elle vous croyait voir de retour à toute heure ; Et nous n'oyions jamais passer devant chez nous, Cheval, Âne, ou Mulet, qu'elle ne prît pour vous Ah ! vous me faites peur, et tout mon sang se fige. Eh ne me mangez pas, Monsieur, je vous conjure. Le cœur me faut. Mon Dieu, qu'il est terrible ! Ses regards m'ont fait peur, mais une peur horrible, Et jamais je ne vis un plus hideux Chrétien. Mais que diantre est-ce là, qu'avec tant de rudesse Il nous fait au logis garder notre Maîtresse ? D'où vient qu'à tout le monde il veut tant la cacher, Et qu'il ne saurait voir personne en approcher ? Mais d'où vient qu'il est pris de cette fantaisie ? Oui : mais pourquoi l'est-il ? et pourquoi ce courroux ? Oui, je comprends cela. Oui : mais pourquoi chacun n'en fait-il pas de même ? Et que nous en voyons qui paraissent joyeux, Lorsque leurs Femmes sont avec les biaux Monsieux ? Si je n'ai la berlue, Je le vois qui revient. Vois comme il est chagrin. De toutes vos leçons nous nous souviendrons bien. Cet autre Monsieur-là nous en faisait accroire. Mais… Nous n'y manquerons pas. Vous nous avez tantôt montré notre leçon. Nous savons comme il faut s'en défendre. Vous êtes un nigaud. Vous êtes un benêt, un impudent. À d'autres. Mais tôt. Fais-je pas comme il faut ? Nous ne nous sommes pas souvenus de ce point. La mienne, quoique aux yeux, elle semble moins forte, N'en quitte pas sa part à le bien étriller. Monsieur, si vous n'êtes auprès, Nous aurons de la peine à retenir Agnès, Elle veut à tous coups s'échapper, et peut-être Qu'elle se pourrait bien jeter par la fenêtre. **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesfemmes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesfemmes *dist2_moliere_verse_comedy *id_chrysalde *date_1662 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_chrysalde Vous venez, dites-vous, pour lui donner la main ? Nous sommes ici seuls, et l'on peut, ce me semble, Sans craindre d'être ouïs, y discourir ensemble. Voulez-vous qu'en Ami je vous ouvre mon cœur ? Votre dessein, pour vous, me fait trembler de peur ; Et de quelque façon que vous tourniez l'affaire, Prendre Femme, est à vous un coup bien téméraire. Ce sont coups du Hasard, dont on n'est point garant ; Et bien sot, ce me semble, est le soin qu'on en prend. Mais quand je crains pour vous, c'est cette raillerie Dont cent pauvres Maris ont souffert la furie : Car enfin vous savez, qu'il n'est grands, ni petits, Que de votre Critique on ait vus garantis ; Que vos plus grands plaisirs sont, partout où vous êtes, De faire cent éclats des intrigues secrètes… Oui : mais qui rit d'autrui, Doit craindre, qu'en revanche, on rie aussi de lui. J'entends parler le monde, et des gens se délassent À venir débiter les choses qui se passent : Mais quoi que l'on divulgue aux endroits où je suis, Jamais on ne m'a vu triompher de ces bruits ; J'y suis assez modeste ; et bien qu'aux occurrences Je puisse condamner certaines tolérances ; Que mon dessein ne soit de souffrir nullement, Ce que d'aucuns Maris souffrent paisiblement, Pourtant je n'ay jamais affecté de le dire ; Car enfin il faut craindre un revers de Satire, Et l'on ne doit jamais jurer, sur de tels cas, De ce qu'on pourra faire, ou bien ne faire pas. Ainsi quand à mon front, par un sort qui tout mène, Il serait arrivé quelque disgrâce humaine ; Après mon procédé, je suis presque certain Qu'on se contentera de s'en rire sous-main ; Et peut-être qu'encor j'aurai cet avantage, Que quelques bonnes gens diront, que c'est dommage ! Mais de vous, cher Compère, il en est autrement ; Je vous le dis encor, vous risquez diablement. Comme sur les Maris accusés de souffrance, De tout temps votre langue a daubé d'importance, Qu'on vous a vu contre eux un Diable déchaîné ; Vous devez marcher droit, pour n'être point berné ; Et s'il faut que sur vous on ait la moindre prise, Gare qu'aux Carrefours on ne vous tympanise, Et… Et que prétendez-vous qu'une Sotte en un mot… Une Femme stupide est donc votre Marotte ? L'esprit, et la beauté… Mais comment voulez-vous, après tout, qu'une bête Puisse jamais savoir ce que c'est qu'être honnête ? Outre qu'il est assez ennuyeux, que je crois, D'avoir toute sa vie une bête avec soi, Pensez-vous le bien prendre, et que sur votre idée La sûreté d'un front peut être bien fondée ? Une Femme d'esprit peut trahir son devoir ; Mais il faut, pour le moins, qu'elle ose le vouloir ; Et la stupide au sien peut manquer d'ordinaire, Sans en avoir l'envie, et sans penser le faire. Je ne vous dis plus mot. J'y consens. Pour cet article-là, ce que vous m'avez dit, Ne peut… Je me réjouis fort, Seigneur Arnolphe… Ah ! malgré que j'en aie, il me vient à la bouche, Et jamais je ne songe à Monsieur de la Souche. Qui diable vous a fait aussi vous aviser, À quarante et deux ans, de vous débaptiser ? Et d'un vieux tronc pourri de votre Métairie, Vous faire dans le Monde un nom de Seigneurie ? Quel abus, de quitter le vrai nom de ses Pères Pour en vouloir prendre un bâti sur des chimères ! De la plupart des gens c'est la démangeaison ; Et sans vous embrasser dans la comparaison, Je sais un Paysan, qu'on appelait gros Pierre, Qui n'ayant, pour tout bien, qu'un seul quartier de terre, Y fit tout à l'entour faire un fossé bourbeux, Et de Monsieur de l'Isle en prit le nom pompeux. Cependant la plupart ont peine à s'y soumettre, Et je vois même encor des adresses de Lettre… Soit. Là-dessus nous n'aurons point de bruit, Et je prendrai le soin d'accoutumer ma bouche À ne plus vous nommer que Monsieur de la Souche. Ma foi je le tiens fou de toutes les manières. Et bien souperons-nous avant la promenade ? D'où vient cette boutade ? Votre hymen résolu ne se fera-t-il pas ? Oh, oh, si brusquement ? quels chagrins sont les vôtres ? Serait-il point, compère, à votre passion, Arrivé quelque peu de tribulation ? Je le jurerais presque à voir votre visage. C'est un étrange fait qu'avec tant de lumières, Vous vous effarouchiez toujours sur ces matières, Qu'en cela vous mettiez le souverain bonheur, Et ne conceviez point au monde d'autre honneur, Être avare, brutal, fourbe, méchant, et lâche, N'est rien à votre avis auprès de cette tache, Et de quelque façon qu'on puisse avoir vécu, On est homme d'honneur quand on n'est point cocu. À le bien prendre au fond, pourquoi voulez-vous croire, Que de ce cas fortuit dépende notre gloire ? Et qu'une âme bien née ait à se reprocher, L'injustice d'un mal qu'on ne peut empêcher ? Pourquoi voulez-vous, dis-je, en prenant une femme Qu'on soit digne à son choix de louange ou de blâme, Et qu'on s'aille former un monstre plein d'effroi, De l'affront que nous fait son manquement de foi ? Mettez-vous dans l'esprit qu'on peut du cocuage, Se faire en galant homme une plus douce image, Que des coups du hasard aucun n'étant garant, Cet accident de soi doit être indifférent, Et qu'enfin tout le mal quoi que le monde glose, N'est que dans la façon de recevoir la chose. Car pour se bien conduire en ces difficultés, Il y faut comme en tout fuir les extrémités, N'imiter pas ces gens un peu trop débonnaires, Qui tirent vanité de ces sortes d'affaires ; De leurs femmes toujours vont citant les galants, En font par tout l'éloge, et prônent leurs talents, Témoignent avec eux d'étroites sympathies, Sont de tous leurs cadeaux, de toutes leurs parties : Et font qu'avec raison les gens sont étonnés, De voir leur hardiesse à montrer là leur nez. Ce procédé sans doute est tout à fait blâmable : Mais l'autre extrémité n'est pas moins condamnable, Si je n'approuve pas ces amis des galants, Je ne suis pas aussi pour ces gens turbulents, Dont l'imprudent chagrin qui tempête et qui gronde, Attire au bruit qu'il fait les yeux de tout le monde ; Et qui par cét éclat semblent ne pas vouloir Qu'aucun puisse ignorer ce qu'ils peuvent avoir. Entre ces deux partis il en est un honnête, Où dans l'occasion l'homme prudent s'arrête, Et quand on le sait prendre on n'a point à rougir, Du pis dont une femme avec nous puisse agir. Quoi qu'on en puisse dire, enfin le cocuage Sous des traits moins affreux aisément s'envisage : Et comme je vous dis toute l'habileté, Ne va qu'à le savoir tourner du bon côté. Je ne dis pas cela, car c'est ce que je blâme : Mais comme c'est le sort qui nous donne une femme, Je dis que l'on doit faire ainsi qu'au jeu de dés, Où, s'il ne vous vient pas ce que vous demandez, Il faut jouer d'adresse, et d'une âme réduite, Corriger le hasard par la bonne conduite. Vous pensez-vous moquer : mais à ne vous rien feindre, Dans le monde je vois cent choses plus à craindre, Et dont je me ferais un bien plus grand malheur, Que de cet accident qui vous fait tant de peur. Pensez-vous qu'à choisir de deux choses prescrites, Je n'aimasse pas mieux être ce que vous dites, Que de me voir mari de ces femmes de bien, Dont la mauvaise humeur fait un procès sur rien : Ces dragons de vertu, ces honnêtes Diablesses, Se retranchant toujours sur leurs sages prouesses, Qui pour un petit tort qu'elles ne nous font pas, Prennent droit de traiter les gens de haut en bas, Et veulent sur le pied de nous être fidèles, Que nous soyons tenus à tout endurer d'elles : Encor un coup Compère, apprenez qu'en effet, Le Cocuage n'est que ce que l'on le fait, Qu'on peut le souhaiter pour de certaines causes, Et qu'il a ses plaisirs comme les autres choses. Mon Dieu ne jurez point de peur d'être parjure ; Si le sort l'a réglé, vos soins sont superflus, Et l'on ne prendra pas votre avis là-dessus. Vous voilà bien malade, Mille gens le sont bien sans vous faire bravade ; Qui de mine, de cœur, de biens et de maison, Ne feraient avec vous nulle comparaison. Vous êtes en courroux, Nous en saurons la cause : Adieu souvenez-vous ; Quoique sur ce sujet votre honneur vous inspire, Que c'est être à demi ce que l'on vient de dire : Que de vouloir jurer qu'on ne le sera pas. C'est de mon jugement avoir mauvaise estime, Que douter si j'approuve un choix si légitime. Si son cœur a quelque répugnance, Je tiens qu'on ne doit pas lui faire violence ; Mon frère, que je crois, sera de mon avis. Je suis surpris, pour moi, du grand empressement Que vous me faites voir pour cet engagement, Et ne puis deviner quel motif vous inspire… Ce nom l'aigrit, C'est Monsieur de la Souche, on vous l'a déjà dit. Je m'étonnais aussi de voir son procédé. D'un hymen secret ma sœur eut une fille, Dont on cacha le sort à toute la famille. Et dans ce temps le sort lui déclarant la guerre, L'obligea de sortir de sa natale terre. Où ses soins ont gagné ce que dans sa patrie Avaient pu lui ravir l'imposture et l'envie. Et cette Paysanne a dit avec franchise, Qu'en vos mains à quatre ans elle l'avait remise. Et lui plein de transports, et l'allégresse en l'âme A fait jusqu'en ces lieux conduire cette femme. Je devine à peu prés quel est votre supplice, Mais le sort en cela ne vous est que propice ; Si n'être point cocu vous semble un si grand bien, Ne vous point marier en est le vrai moyen. J'en ferais de bon cœur, mon frère, autant que vous. Mais ces lieux et cela ne s'accommodent guères ; Allons dans la maison débrouiller ces mystères, Payer à notre ami ses soins officieux, Et rendre grâce au Ciel qui fait tout pour le mieux. **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesfemmes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesfemmes *dist2_moliere_verse_comedy *id_enrique *date_1662 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_enrique Aussitôt qu'à mes yeux je vous ai vu paraître, Quand on ne m'eût rien dit j'aurais su vous connaître ; Je vous vois tous les traits de cette aimable sœur, Dont l'hymen autrefois m'avait fait possesseur ; Et je serais heureux, si la Parque cruelle M'eût laissé ramener cette épouse fidèle, Pour jouir avec moi des sensibles douceurs De revoir tous les siens après nos longs malheurs : Mais puisque du destin la fatale puissance Nous prive pour jamais de sa chère présence, Tâchons de nous résoudre, et de nous contenter Du seul fruit amoureux qui m'en est pu rester, Il vous touche de près. Et sans votre suffrage J'aurais tort de vouloir disposer de ce gage ; Le choix du fils d'Oronte est glorieux de soi, Mais il faut que ce choix vous plaise comme à moi. Je n'en ai point douté d'abord que je l'ai vue, Et mon âme depuis n'a cessé d'être émue. Ah ! ma fille, je cède à des transports si doux. **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesfemmes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesfemmes *dist2_moliere_verse_comedy *id_oronte *date_1662 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_oronte Ah ! que cette embrassade est pleine de tendresse. Je suis ici venu… On vous l'a déjà dit. Tant mieux. C'est parler comme il faut, et dans cette alliance, C'est moi qui vous réponds de son obéissance. Oui, oui, Seigneur Arnolphe, il est… C'est bien notre dessein. Dites-nous ce que c'est que ce mystère-ci, Nous nous regardons tous sans le pouvoir comprendre. Où donc prétendez-vous aller ? Vous ne nous parlez point, comme il nous faut parler. Oui, mais pour le conclure Si l'on vous a dit tout, ne vous a-t-on pas dit Que vous avez chez vous celle dont il s'agit ? La fille qu'autrefois de l'aimable Angélique, Sous des liens secrets eut le Seigneur Enrique. Sur quoi votre discours était-il donc fondé ? Et qui sous de feints noms pour ne rien découvrir, Par son époux aux champs fut donnée à nourrir. Et d'aller essuyer mille périls divers Dans ces lieux séparés de nous par tant de mers. Et de retour en France, il a cherché d'abord Celle à qui de sa fille il confia le sort. Et qu'elle l'avait fait sur votre charité Par un accablement d'extrême pauvreté. Et vous allez, enfin, la voir venir ici Pour rendre aux yeux de tous ce mystère éclairci. D'où vient qu'il s'enfuit sans rien dire ? **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesfemmes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesfemmes *dist2_moliere_verse_comedy *id_notaire *date_1662 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_notaire Ah le voilà ! Bonjour, me voici tout à point Pour dresser le contrat que vous souhaitez faire. Il le faut dans la forme ordinaire. Je ne passerai rien contre vos intérêts. Suffit qu'entre mes mains vos affaires soient mises. Il ne vous faudra point de peur d'être déçu, Quittancer le Contrat que vous n'ayez reçu. Et bien il est aisé d'empêcher cet éclat, Et l'on peut en secret faire votre Contrat. Le douaire se règle au bien qu'on vous apporte. On peut avantager une femme en ce cas. L'ordre est que le futur doit douer la future Du tiers du dot qu'elle a, mais cet ordre n'est rien, Et l'on va plus avant lorsque l'on le veut bien. Pour le préciput il les regarde ensemble. Je dis que le futur peut comme bon lui semble Douer la future. Il peut l'avantager Lors qu'il l'aime beaucoup et qu'il veut l'obliger, Et cela par douaire, ou préfix qu'on appelle, Qui demeure perdu par le trépas d'icelle, Ou sans retour, qui va de ladite à ses hoirs, Ou Coutumier, selon les différents vouloirs, Ou par donation dans le Contrat formelle, Qu'on fait, ou pure et simple, ou qu'on fait mutuelle ; Pourquoi hausser le dos ? est-ce qu'on parle en fat, Et que l'on ne sait pas les formes d'un Contrat ? Qui me les apprendra ? personne ; je présume. Sais-je pas qu'étant joints on est par la Coutume, Communs en meubles, biens, immeubles et conquêts, À moins que par un Acte on y renonce exprès ? Sais-je pas que le tiers du bien de la future Entre en communauté ? pour… Vous qui me prétendez faire passer pour sot, En me haussant l'épaule, et faisant la grimace. Pour dresser un Contrat m'a-t-on pas fait venir ? Je pense qu'il en tient, et je crois penser bien. M'êtes-vous pas venu quérir pour votre Maître ? J'ignore pour qui vous le pouvez connaître : Mais allez de ma part lui dire de ce pas Que c'est un fou fieffé. **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesmaris *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesmaris *dist2_moliere_verse_comedy *id_sganarelle *date_1661 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_sganarelle Mon frère, s'il vous plaît, ne discourons point tant, Et que chacun de nous vive comme il l'entend ; Bien que sur moi des ans vous ayez l'avantage, Et soyez assez vieux pour devoir être sage ; Je vous dirai pourtant que mes intentions, Sont de ne prendre point de vos corrections : Que j'ai pour tout conseil ma fantaisie à suivre, Et me trouve fort bien de ma façon de vivre. Oui des fous comme vous, Mon frère. Je voudrais bien savoir, puisqu'il faut tout entendre, Ce que ces beaux censeurs en moi peuvent reprendre ? Il est vrai qu'a la mode il faut m'assujettir, Et ce n'est pas pour moi que je me dois vêtir ? Ne voudriez-vous point, par vos belles sornettes, Monsieur mon frère aîné, car Dieu merci vous l'êtes D'une vingtaine d'ans, à ne nous rien celer, Et cela ne vaut pas la peine d'en parler : Ne voudriez-vous point, dis-je, sur ces matières, De vos jeunes muguets m'inspirer les manières, M'obliger à porter de ces petits chapeaux, Qui laissent éventer leurs débiles cerveaux, Et de ces blonds cheveux de qui la vaste enflure Des visages humains offusque la figure ? De ces petits pourpoints sous les bras se perdant, Et de ces grands collets jusqu'au nombril pendant ? De ces manches qu'à table on voit tâter les sauces, Et de ces cotillons appelés haut-de-chausses ? De ces souliers mignons de rubans revêtus, Qui vous font ressembler à des pigeons pattus ; Et de ces grands canons, ou comme en des entraves, On met tous les matins ses deux jambes esclaves, Et par qui nous voyons ces Messieurs les galants, Marcher écarquillés ainsi que des volants ? Je vous plairais, sans doute, équipé de la sorte, Et je vous vois porter les sottises qu'on porte. Cela sent son vieillard, qui pour en faire accroire, Cache ses cheveux blancs d'une perruque noire. Quoi qu'il en soit, je suis attaché fortement À ne démordre point de mon habillement : Je veux une coiffure, en dépit de la mode, Sous qui toute ma tête ait un abri commode : Un bon pourpoint bien long, et fermé comme il faut, Qui pour bien digérer tienne l'estomac chaud ; Un haut-de-chausses fait justement pour ma cuisse, Des souliers où mes pieds ne soient point au supplice, Ainsi qu'en ont usé sagement nos aïeux, Et qui me trouve mal, n'a qu'à fermer les yeux. Où donc allez-vous, qu'il ne vous en déplaise, Pour vous, vous pouvez aller où bon vous semble Vous n'avez qu'à courir, vous voilà deux ensemble : Mais vous, je vous défends s'il vous plaît de sortir. Je suis votre valet, mon frère. La jeunesse est sotte, et parfois la vieillesse. Non pas, mais avec moi, je la crois mieux encore. Mais ses actions de moi doivent dépendre, Et je sais l'intérêt enfin, que j'y dois prendre. Mon Dieu, chacun raisonne, et fait comme il lui plaît. Elles sont sans parents, et notre ami leur père, Nous commit leur conduite à son heure dernière ; Et nous chargeant tous deux, ou de les épouser, Ou sur notre refus un jour d'en disposer, Sur elles par contrat, nous sut dès leur enfance, Et de père, et d'époux donner pleine puissance, D'élever celle-là, vous prîtes le souci, Et moi je me chargeai du soin de celle-ci ; Selon vos volontés vous gouvernez la vôtre, Laissez-moi, je vous prie, à mon gré régir l'autre. Il me semble, et je le dis tout haut, Que sur un tel sujet, c'est parler comme il faut. Vous souffrez que la vôtre, aille leste et pimpante, Je le veux bien : qu'elle ait, et laquais, et suivante, J'y consens : qu'elle coure, aime l'oisiveté, Et soit des damoiseaux fleurée en liberté ; J'en suis fort satisfait ; mais j'entends que la mienne, Vive à ma fantaisie, et non pas à la sienne ; Que d'une serge honnête, elle ait son vêtement, Et ne porte le noir, qu'aux bons jours seulement. Qu'enfermée au logis en personne bien sage, Elle s'applique toute aux choses du ménage ; À recoudre mon linge aux heures de loisir, Ou bien à tricoter quelque bas par plaisir ; Qu'aux discours des muguets, elle ferme l'oreille, Et ne sorte jamais sans avoir qui la veille. Enfin la chair est faible, et j'entends tous les bruits, Je ne veux point porter de cornes, si je puis, Et comme à m'épouser sa fortune l'appelle, Je prétends corps pour corps, pouvoir répondre d'elle. Taisez-vous ; Je vous apprendrai bien, s'il faut sortir sans nous. Mon Dieu, Madame, sans langage, Je ne vous parle pas, car vous êtes trop sage. Oui, vous me la gâtez, puisqu'il faut parler net. Vos visites ici, ne font que me déplaire, Et vous m'obligerez de ne nous en plus faire. Voilà, beau Précepteur, votre éducation, Et vous souffrez cela sans nulle émotion. Chansons que tout cela. Hé qu'il est doucereux, c'est tout sucre, et tout miel. Mais ce qu'en la jeunesse on prend de liberté, Ne se retranche pas avec facilité, Et tous ses sentiments suivront mal votre envie, Quand il faudra changer sa manière de vie. Pourquoi ? Je ne sais : Quoi si vous l'épousez elle pourra prétendre Les mêmes libertés que fille on lui voit prendre ? Vos désirs lui seront complaisants. Jusqu'à lui laisser, et mouches, et rubans ? À lui souffrir en cervelle troublée, De courir tous les Bals, et les lieux d'assemblée ? Et chez vous iront les damoiseaux ? Qui joueront, et donneront cadeaux ? Et votre femme entendra les fleurettes ? Et vous verrez ces visites muguettes, D'un œil à témoigner de n'en être point soûl ? Allez, vous êtes un vieux fou. Rentrez pour n'ouïr point cette pratique infâme. Que j'aurai de plaisir si l'on le fait cocu. Rien donc, beau rieur, ô que cela doit plaire, De voir un goguenard presque sexagénaire. Allez langue maudite, et des plus mal apprises. Je ne suis pas le vôtre, Ô que les voilà bien tous formés l'un pour l'autre ! Quelle belle famille ! un vieillard insensé, Qui fait le dameret dans un corps tout cassé, Une fille Maîtresse, et Coquette suprême, Des valets impudents, non la sagesse même, N'en viendrait pas à bout, perdrait sens et raison, À vouloir corriger une telle maison, Isabelle pourrait perdre dans ces hantises, Les semences d'honneur qu'avec nous elle a prises, Et pour l'en empêcher dans peu nous prétendons, Lui faire aller revoir nos choux et nos dindons. N'est-ce pas quelque chose enfin de surprenant, Que la corruption des mœurs de maintenant. Au lieu de voir régner cette sévérité, Qui composait si bien l'ancienne honnêteté ; La jeunesse en ces lieux, libertine, absolue, Ne prend… Il faut sortir d'ici. Le séjour de la ville en moi ne peut produire Que des… Heu ? J'ai cru qu'on parlait. Aux champs, grâces aux cieux ; Les sottises du temps ne blessent point mes yeux. Plaît-il ? les oreilles me cornent Là, tous les passe-temps de nos filles se bornent… Est-ce à nous ? Là, nul godelureau Ne vient… que diable… encor ? Que de coups de chapeau. Cela se peut ? Soit. Je le crois. C'est bien fait. Que m'importe. Si je veux. À mes affaires. Ce qui me plaît. Serviteur. Va je sais la maison, et connais la personne, Aux marques seulement, que ta bouche me donne ; Dis-tu pas qu'on t'a dit, qu'il s'appelle Valère. Va, sois en repos, rentre, et me laisse faire, Je vais parler sur l'heure, à ce jeune étourdi. Ne perdons point de temps, c'est ici, qui va là ? Bon je rêve, holà, dis-je, holà, quelqu'un holà ; Je ne m'étonne pas, après cette lumière, S'il y venait tantôt de si douce manière ; Mais je veux me hâter, et de son fol espoir… Peste soit du gros boeuf, qui pour me faire choir, Se vient devant mes pas planter comme une perche, Ah ! c'est vous que je cherche. Vous Valère, est-il pas votre nom ? Je viens vous parler, si vous le trouvez bon. Non, mais je prétends-moi, vous rendre un bon office, Et c'est ce qui chez vous, prend droit de m'amener ; Chez vous, faut-il, tant s'étonner ! Laissons-là cet honneur, je vous prie. Il n'en est pas besoin. Non, je n'irai pas plus loin. Moi je n'en veux bouger. Je veux parler debout. Ah, contrainte effroyable, C'en est une que rien ne saurait égaler ; De n'ouïr pas les gens qui veulent nous parler. Vous ne sauriez mieux faire ; Tant de cérémonie est fort peu nécessaire : Voulez-vous m'écouter. Savez-vous, dites-moi, que je suis le tuteur, D'une fille assez jeune, et passablement belle, Qui loge en ce quartier, et qu'on nomme Isabelle ? Si vous le savez, je ne vous l'apprends pas. Mais savez-vous aussi, lui trouvant des appas ; Qu'autrement qu'en tuteur sa personne me touche, Et qu'elle est destinée à l'honneur de ma couche. Je vous l'apprends donc, et qu'il est à propos, Que vos feux, s'il vous plaît, la laissent en repos. Oui vous, mettons bas toute feinte. Des gens à qui l'on peut donner quelque crédit : Elle-même. Elle, est-ce assez dit ; Comme une fille honnête, et qui m'aime d'enfance, Elle vient de m'en faire entière confidence ; Et de plus m'a chargé de vous donner avis, Que depuis que par vous, tous ses pas sont suivis ; Son cœur qu'avec excès votre poursuite outrage, N'a que trop de vos yeux entendu le langage ; Que vos secrets désirs, lui sont assez connus, Et que c'est vous donner des soucis superflus ; De vouloir davantage expliquer une flamme, Qui choque l'amitié que me garde son âme. Oui, vous venir donner cet avis franc, et net, Et qu'ayant vu l'ardeur dont votre âme est blessée, Elle vous eût plutôt fait savoir sa pensée ; Si son cœur avait eu dans son émotion, À qui pouvoir donner cette commission ; Mais qu'enfin les douleurs d'une contrainte extrême, L'on réduite à vouloir se servir de moi-même ; Pour vous rendre averti, comme je vous ai dit, Qu'à tout autre que moi son cœur est interdit ; Que vous avez assez joué de la prunelle, Et que si vous avez tant soit peu de cervelle, Vous prendrez d'autres soins, adieu jusqu'au revoir, Voilà ce que j'avais, à vous faire savoir. Le voilà bien surpris ; Il en tient comme il faut. Que sa confusion paraît sur son visage. Il ne s'attendait pas, sans doute à ce message ; Appelons Isabelle, elle montre le fruit, Que l'éducation dans une âme produit, La vertu fait ses soins, et son cœur s'y consomme, Jusques à s'offenser des seuls regards d'un homme. Me voilà de retour. Un plein effet A suivi tes discours, et ton homme a son fait ; Il me voulait nier que son cœur fût malade ; Mais lorsque de ta part j'ai marqué l'ambassade, Il est resté d'abord, et muet, et confus, Et je ne pense pas qu'il y revienne plus. Et sur quoi fondes-tu cette peur que tu dis ? Voyez un peu la ruse et la friponnerie. Au contraire mignonne, C'est me faire mieux voir ton amour et ta foi, Et mon cœur avec joie accepte cet emploi, Tu m'obliges par là plus que je ne puis dire. Bon, voyons ce qu'il a pu t'écrire. Et pourquoi. Certes elle a raison, lorsqu'elle parle ainsi, Va ta vertu me charme, et ta prudence aussi, Je vois que mes leçons ont germé dans ton âme, Et tu te montres digne enfin d'être ma femme. Non je n'ai garde ! hélas, tes raisons sont trop bonnes, Et je vais m'acquitter du soin que tu me donnes, À quatre pas de là dire ensuite deux mots, Et revenir ici te remettre en repos. Dans quel ravissement est-ce que mon cœur nage, Lorsque je vois en elle une fille si sage ; C'est un trésor d'honneur que j'ai dans ma maison. Prendre un regard d'amour pour une trahison, Recevoir un poulet comme une injure extrême, Et le faire au galant reporter par moi-même, Je voudrais bien savoir en voyant tout ceci, Si celle de mon frère en userait ainsi ; Ma foi les filles sont ce que l'on les fait être. Ho là ! Tenez, dites à votre Maître Qu'il ne s'ingère pas d'oser écrire encor, Des lettres qu'il envoie avec des boîtes d'or, Et qu'Isabelle en est puissamment irritée, Voyez, on ne l'a pas au moins décachetée, Il connaîtra l'état que l'on fait de ses feux, Et quel heureux succès il doit espérer d'eux. Ô trois et quatre fois, béni soit cet Édit, Par qui des vêtements le luxe est interdit ; Les peines des Maris ne seront plus si grandes, Et les femmes auront un frein à leurs demandes. Ô que je sais au Roi bon gré de ces décris ! Et que pour le repos de ces mêmes Maris, Je voudrais bien qu'on fît de la coquetterie Comme de la guipure et de la broderie ! J'ai voulu l'acheter l'Édit expressément, Afin que d'Isabelle il soit lu hautement, Et ce sera tantôt, n'étant plus occupée, Le divertissement de notre après-soupée. Enverrez-vous encor, Monsieur aux blonds cheveux, Avec des boîtes d'or, des billets amoureux ? Vous pensiez bien trouver quelque jeune coquette, Friande de l'intrigue, et tendre à la fleurette, Vous voyez de quel air on reçoit vos joyaux ; Croyez-moi, c'est tirer votre poudre aux moineaux. Elle est sage, elle m'aime, et votre amour l'outrage, Prenez visée ailleurs, et troussez-moi bagage. Il est vrai, c'est folie. Je le crois. Vous faites bien. Cela s'entend. Oui. Fort bien. C'est parler sagement, et je vais de ce pas Lui faire ce discours, qui ne la choque pas ; Mais si vous me croyez, tâchez de faire en sorte, Que de votre cerveau cette passion sorte. Adieu, Il me fait grand' pitié, Ce pauvre malheureux trop rempli d'amitié ; Mais c'est un mal pour lui de s'être mis en tête De vouloir prendre un fort qui se voit ma conquête. Jamais Amant n'a fait tant de trouble éclater, Au poulet renvoyé sans le décacheter : Il perd toute espérance, enfin, et se retire ; Mais il m'a tendrement conjuré de te dire, Que du moins en t'aimant il n'a jamais pensé À rien dont ton honneur ait lieu d'être offensé, Et que ne dépendant que du choix de son âme, Tous ses désirs étaient de t'obtenir pour femme, Si les destins en moi qui captive ton cœur, N'opposaient un obstacle à cette juste ardeur, Que quoi qu'on puisse faire il ne te faut pas croire, Que jamais tes appas sortent de sa mémoire : Que quelque arrêt des cieux qu'il lui faille subir, Son sort est de t'aimer jusqu'au dernier soupir. Et que si quelque chose étouffe sa poursuite, C'est le juste respect qu'il a pour mon mérite, Ce sont ses propres mots, et loin de le blâmer, Je le trouve honnête homme, et le plains de t'aimer. Que dis-tu ? Mais il ne savait pas tes inclinations, Et par l'honnêteté de ses intentions Son amour ne mérite… Comment. Voilà qui ne vaut rien. Il a tort, et ceci passe la raillerie. Il est fou. Va ne redoute rien. Ne t'afflige point tant, va ma petite femme, Je m'en vais le trouver, et lui chanter sa gamme. Je dirai ce qu'il faut. Va je n'oublierai rien, je t'en donne assurance. Va pouponne, mon cœur, je reviens tout à l'heure. Est-il une personne, et plus sage et meilleure, Ah ! que je suis heureux, et que j'ai de plaisir, De trouver une femme au gré de mon désir, Oui, voilà comme il faut que les femmes soient faites, Et non comme j'en sais, de ces franches coquettes, Qui s'en laissent conter, et font dans tout Paris Montrer au bout du doigt leurs honnêtes maris, Holà notre galant aux belles entreprises. Vos sottises. Vous savez bien de quoi je veux parler ; Je vous croyais plus sage à ne vous rien celer, Vous venez m'amuser de vos belles paroles, Et conservez sous main des espérances folles, Voyez-vous, j'ai voulu doucement vous traiter ; Mais vous m'obligerez à la fin d'éclater, N'avez-vous point de honte, étant ce que vous êtes, De faire en votre esprit les projets que vous faites, De prétendre enlever une fille d'honneur, Et troubler un hymen qui fait tout son bonheur. Ne dissimulons point, je la tiens d'Isabelle, Qui vous mande par moi, pour la dernière fois, Qu'elle vous a fait voir assez quel est son choix, Que son cœur tout à moi d'un tel projet s'offense, Qu'elle mourrait plutôt qu'en souffrir l'insolence ; Et que vous causerez de terribles éclats, Si vous ne mettez fin à tout cet embarras. Si ? vous en doutez donc, et prenez pour des feintes, Tout ce que de sa part je vous ai fait de plaintes ? Voulez-vous qu'elle-même elle explique son cœur, J'y consens volontiers pour vous tirer d'erreur, Suivez-moi, vous verrez s'il est rien que j'avance, Et si son jeune cœur entre nous deux balance. Non mamie, et ton cœur pour cela m'est trop cher ; Mais il prend mes avis pour des contes en l'air, Croit que c'est moi qui parle et te fais par adresse, Pleine pour lui de haine, et pour moi de tendresse, Et par toi-même enfin j'ai voulu sans retour, Le tirer d'une erreur qui nourrit son amour. Oui mignonne je songe à remplir ton attente. Tu la seras dans peu. Point point. Oui ma pauvre fanfan, pouponne de mon âme. Oui, tiens baise ma main. Hé, hé, mon petit nez, pauvre petit bouchon, Tu ne languiras pas longtemps, je t'en réponds, Va chut. Vous le voyez je ne lui fais pas dire, Ce n'est qu'après moi seul que son âme respire. Eh, eh ! Mon Dieu, nenni, je ne dis pas cela ; Mais je plains sans mentir l'état où le voilà, Et c'est trop hautement que ta haine se montre. Je plains votre infortune : Mais… Pauvre garçon, sa douleur est extrême ; Tenez embrassez-moi, c'est un autre elle-même. Je le tiens fort à plaindre ; Au reste ton amour me touche au dernier point, Mignonnette, et je veux, qu'il ait sa récompense, C'est trop que de huit jours pour ton impatience, Dès demain je t'épouse, et n'y veux appeler… Par pudeur tu feins d'y reculer, Mais, je sais bien la joie où ce discours te jette, Et tu voudrais déjà que la chose fût faite. Pour ce mariage allons tout préparer. Je reviens, et l'on va pour demain de ma part… C'est toi mignonne, où vas-tu donc si tard ? Tu disais qu'en ta chambre étant un peu lassée, Tu t'allais renfermer lorsque je t'ai laissée ; Et tu m'avais prié même que mon retour, T'y souffrît en repos jusques à demain jour. Et quoi ? Quoi donc, que pourrait-ce être ? Comment ? Valère ! La vilaine. Et tu trouves cela… Il le mérite bien, et j'en suis fort ravi ; Non, non, je ne veux point, chez moi tout ce mystère, J'y pourrais consentir à l'égard de mon frère, Mais on peut être vu de quelqu'un de dehors, Et celle que je dois honorer de mon corps ; Non seulement doit être et pudique et bien née, Il ne faut pas que même elle soit soupçonnée ; Allons chasser l'infâme, et de sa passion… Eh bien fais ! Oui, pour l'amour de toi, je retiens mes transports ; Mais dès le même instant qu'elle sera dehors, Je veux sans différer, aller trouver mon frère, J'aurai joie à courir lui dire cette affaire. Jusqu'à demain mamie, en quelle impatience, Suis-je de voir mon frère, et lui conter sa chance ; Il en tient le bonhomme, avec tout son Phébus, Et je n'en voudrais pas tenir vingt bons écus. La voilà qui je crois, peste de belle sorte, De peur qu'elle revînt, fermons à clef la porte. Où pourra-t-elle aller ! suivons un peu ses pas. Au logis du galant, quelle est son entreprise. Vous en avez menti, chienne ce n'est pas elle, De l'honneur que tu fuis, elle suit trop les lois, Et tu prends faussement, et son nom, et sa voix. Pauvre sot qui s'abuse ! Ah je te promets bien, que je n'ai pas envie, De te l'ôter l'infâme à ses feux asservie, Que du don de ta foi je ne suis point jaloux, Et que si j'en suis cru, tu seras son époux ; Oui, faisons-le surprendre avec cette effrontée, La mémoire du Père, à bon droit respectée ; Jointe au grand intérêt que je prends à la sœur, Veut que du moins on tâche à lui rendre l'honneur ; Holà. Salut : Monsieur le Commissaire, Votre présence en robe est ici nécessaire ; Suivez-moi, s'il vous plaît, avec votre clarté. Il s'agit d'un fait assez hâté. D'aller là-dedans, et d'y surprendre ensemble, Deux personnes qu'il faut qu'un bon hymen assemble, C'est une fille à nous que sous un don de foi, Un Valère a séduite, et fait entrer chez soi ; Elle sort de famille, et noble, et vertueuse, Mais… Monsieur ? Cela s'en va sans dire, entrez dans cette porte, Et sans bruit ayez l'œil que personne n'en sorte ; Vous serez pleinement contenté de vos soins, Mais ne vous laissez pas graisser la pâte au moins. Ce que j'en dis n'est pas pour taxer votre office. Je vais faire venir mon frère promptement, Faites que le flambeau m'éclaire seulement ; Je vais le réjouir cet homme sans colère, Holà. Venez beau directeur, suranné damoiseau, On veut vous faire voir quelque chose de beau. Je vous apporte une bonne nouvelle, Votre Léonor où, je vous prie, est-elle. Eh, oui, oui, suivez-moi, Vous verrez à quel Bal, la donzelle est allée ; Vous l'avez bien stylée ; Il n'est pas bon de vivre en sévère censeur, On gagne les esprits par beaucoup de douceur ; Et les soins défiants, les verrous, et les grilles, Ne font pas la vertu des femmes, ni des filles, Nous les portons au mal par tant d'austérité, Et leur sexe demande un peu de liberté. Vraiment elle en a pris tout son soûl, la rusée, Et la vertu chez elle est fort humanisée. Allez mon frère aîné cela vous sied fort bien, Et je ne voudrais pas pour vingt bonnes pistoles, Que vous n'eussiez ce fruit de vos maximes folles. On voit ce qu'en deux sœurs nos leçons ont produit, L'une fuit ce galant, et l'autre le poursuit. L'énigme est que son Bal est chez Monsieur Valère. Que de nuit je l'ai vue y conduire ses pas, Et qu'à l'heure présente elle est entre ses bras. Léonor. Je raille, il est fort bon avec sa raillerie ; Pauvre esprit, je vous dis, et vous redis encor, Que Valère chez lui tient votre Léonor, Et qu'ils s'étaient promis une foi mutuelle, Avant qu'il eût songé de poursuivre Isabelle. Il ne le croira pas encor en l'ayant vu : J'enrage, par ma foi, l'âge ne sert de guère Quand on n'a pas cela. Mon Dieu je ne veux rien, suivez-moi seulement, Votre esprit tout à l'heure aura contentement, Vous verrez si j'impose, et si leur foi donnée, N'avait pas joint leurs cœurs depuis plus d'une année. Enfin vos propres yeux jugeront de l'affaire, J'ai fait venir déjà Commissaire et Notaire, Nous avons intérêt que l'hymen prétendu Répare sur le champ l'honneur qu'elle a perdu ; Car je ne pense pas que vous soyez si lâche, De vouloir l'épouser avecque cette tâche ; Si vous n'avez encor quelques raisonnements Pour vous mettre au dessus de tous les bernements. Que de discours, Allons : ce procès-là continuerait toujours. Non nous ne songeons pas à vous séparer d'elle, Il ne s'est point encore détrompé d'Isabelle, Profitons de l'erreur. Taisez-vous. Paix donc ? Encor ? Vous tairez-vous vous dis-je. Taisez-vous, et pour cause, Vous saurez le secret, oui, sans dire autre chose, Nous consentons tous deux que vous soyez l'époux De celle qu'à présent on trouvera chez vous. Et moi je le veux fort, Nous rirons bien tantôt, là, signez donc, mon frère, L'honneur vous appartient. Diantre que de façons, signez, pauvre butor. N'êtes-vous pas d'accord, mon frère, si c'est elle, De les laisser tous deux à leur foi mutuelle, Signez donc, j'en fais de même aussi. Vous serez éclairci. Or ça, je vais vous dire La fin de cette intrigue. Oui l'affaire est ainsi : Ah ! je la vois paraître, et la servante aussi. Quoi vous ne sortez pas du logis de Valère, Vous n'avez point conté vos amours aujourd'hui, Et vous ne brûlez pas depuis un an pour lui, Non, je ne puis sortir de mon étonnement, Cette déloyauté confond mon jugement, Et je ne pense pas que Satan en personne, Puisse être si méchant qu'une telle friponne, J'aurais pour elle au feu mis la main que voilà, Malheureux, qui se fie à femme après cela ! La meilleure est toujours en malice féconde, C'est un sexe engendré pour damner tout le monde ; J'y renonce à jamais, à ce sexe trompeur, Et je le donne tout au Diable de bon cœur. **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesmaris *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesmaris *dist2_moliere_verse_comedy *id_ariste *date_1661 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_ariste Mais chacun la condamne. Grand merci, le compliment est doux. Cette farouche humeur, dont la sévérité Fuit toutes les douceurs de la société, À tous vos procédés inspire un air bizarre, Et jusques à l'habit, vous rend chez vous barbare. Toujours au plus grand nombre on doit s'accommoder, Et jamais il ne faut se faire regarder. L'un et l'autre excès choque, et tout homme bien sage Doit faire des habits, ainsi que du langage, Ni rien trop affecter, et sans empressement, Suivre ce que l'usage y fait de changement. Mon sentiment n'est pas qu'on prenne la méthode De ceux qu'on voit toujours renchérir sur la mode, Et qui dans ces excès, dont ils sont amoureux, Seraient fâchés qu'un autre eût été plus loin qu'eux ; Mais je tiens qu'il est mal sur quoi que l'on se fonde, De fuir obstinément ce que suit tout le monde, Et qu'il vaut mieux souffrir d'être au nombre des fous, Que du sage parti se voir seul contre tous. C'est un étrange fait du soin que vous prenez, À me venir toujours jeter mon âge au nez ; Et qu'il faille qu'en moi sans cesse je vous vois Blâmer l'ajustement aussi bien que la joie : Comme si, condamnée à ne plus rien chérir, La vieillesse devait ne songer qu'à mourir, Et d'assez de laideur n'est pas accompagnée, Sans se tenir encore mal propre et rechignée. Eh ! laissez-les, mon frère, aller se divertir. La jeunesse, Veut… Croyez-vous qu'elle est mal d'être avec Léonor ? Mais… À celles de sa sœur, ai-je un moindre intérêt ? Il me semble… Mon frère, son discours ne doit que faire rire, Elle a quelque raison en ce qu'elle veut dire. Leur sexe aime à jouir d'un peu de liberté, On le retient fort mal par tant d'austérité, Et les soins défiants, les verrous, et les grilles, Ne font pas la vertu des femmes, ni des filles, C'est l'honneur qui les doit tenir dans le devoir, Non la sévérité que nous leur faisons voir. C'est une étrange chose à vous parler sans feinte, Qu'une femme qui n'est sage que par contrainte ; En vain sur tous ses pas nous prétendons régner, Je trouve que le cœur est ce qu'il faut gagner, Et je ne tiendrais moi, quelque soin qu'on se donne, Mon honneur guère sûr aux mains d'une personne ; À qui, dans les désirs qui pourraient l'assaillir, Il ne manquerait rien qu'un moyen de faillir. Soit, mais je tiens sans cesse, Qu'il nous faut en riant instruire la jeunesse, Reprendre ses défauts avec grande douceur, Et du nom de vertu ne lui point faire peur ; Mes soins pour Léonor ont suivi ces maximes, Des moindres libertés je n'ai point fait des crimes, À ses jeunes désirs j'ai toujours consenti, Et je ne m'en suis point, grâce au ciel, repenti ; J'ai souffert qu'elle ait vu les belles compagnies, Les divertissements, les Bals, les Comédies ; Ce sont choses, pour moi, que je tiens de tout temps, Fort propres à former l'esprit des jeunes gens ; Et l'École du monde en l'air dont il faut vivre ; Instruit mieux à mon gré que ne fait aucun livre : Elle aime à dépenser en habits, linge, et noeuds ; Que voulez-vous, je tâche à contenter ses vœux, Et ce sont des plaisirs qu'on peut dans nos familles, Lorsque l'on a du bien, permettre aux jeunes filles, Un ordre paternel l'oblige à m'épouser ; Mais mon dessein n'est pas de la tyranniser, Je sais bien que nos ans ne se rapportent guère, Et je laisse à son choix liberté tout entière, Si quatre mille écus de rente bien venants, Une grande tendresse, et des soins complaisants, Peuvent à son avis pour un tel mariage, Réparer entre nous l'inégalité d'âge ; Elle peut m'épouser, sinon choisir ailleurs, Je consens que sans moi ses destins soient meilleurs, Et j'aime mieux la voir sous un autre hyménée, Que si contre son gré sa main m'était donnée. Enfin c'est mon humeur, et j'en rends grâce au Ciel, Je ne suivrais jamais ces maximes sévères, Qui font que les enfants comptent les jours des pères. Et pourquoi la changer ? Oui ? Y voit-on quelque chose où l'honneur soit blessé. Pourquoi non ? Sans doute. Oui vraiment. Et quoi donc ? D'accord ; Fort bien, Cela s'entend : Je veux m'abandonner à la foi de ma femme, Et prétends toujours vivre ainsi que j'ai vécu. J'ignore pour quel sort mon astre m'a fait naître ; Mais je sais que pour vous, si vous manquez de l'être, On ne vous en doit point imputer le défaut, Car vos soins pour cela font bien tout ce qu'il faut. Vous vous êtes, mon frère, attiré ces sottises, Adieu, changez d'humeur, et soyez averti, Que renfermer sa femme, est le mauvais parti, Je suis votre valet. Qui frappe ! ah, ah, que voulez-vous mon frère ; Comment ! Quoi ! Pourquoi cette demande, elle est comme je crois, Au Bal chez son amie. Que voulez-vous conter. Où veut donc aboutir un pareil entretien ? Si vous ne me rendez cette énigme plus claire… Qui ! Cessons de railler, je vous prie. Ce discours d'apparence est si fort dépourvu… Quoi vous voulez mon frère… L'apparence qu'ainsi sans m'en faire avertir, À cet engagement elle eût pu consentir, Moi qui dans toute chose ai depuis son enfance, Montré toujours pour elle entière complaisance, Et qui cent fois ai fait des protestations, De ne jamais gêner ses inclinations. Moi je n'aurai jamais cette faiblesse extrême, De vouloir posséder un cœur malgré lui-même ; Mais je ne saurais croire enfin… La fille… Mais, est-ce Léonor… Mais… Je veux savoir… Ce qu'il dit là n'est pas… Mais quoi tout ce mystère… Il parle d'Isabelle, et vous de Léonor. Sans doute. Soit, je n'y comprends rien. Léonor, sans courroux, j'ai sujet de me plaindre, Vous savez si jamais j'ai voulu vous contraindre, Et si plus de cent fois je n'ai pas protesté De laisser à vos vœux leur pleine liberté ; Cependant votre cœur méprisant mon suffrage, De foi comme d'amour à mon insu s'engage ; Je ne me repens pas de mon doux traitement, Mais votre procédé me touche assurément, Et c'est une action que n'a pas méritée Cette tendre amitié que je vous ai portée. Dessus quel fondement venez-vous donc mon frère… Mon frère doucement, il faut boire la chose, D'une telle action vos procédés sont cause, Et je vois votre sort malheureux à ce point, Que vous sachant dupé l'on ne vous plaindra point. Allons tous chez moi. Venez Seigneur Valère. Nous tâcherons demain d'apaiser sa colère. **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesmaris *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesmaris *dist2_moliere_verse_comedy *id_isabelle *date_1661 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_isabelle Il est ainsi bâti. C'est un miracle encor, qu'il ne m'ait aujourd'hui Enfermée à la clef, où menée avec lui. Vous n'avez pas sujet que je crois… Ô Ciel, sois-moi propice, et seconde en ce jour, Le stratagème adroit, d'une innocente amour. Oui ? Je fais pour une fille, un projet bien hardi ; Mais l'injuste rigueur, dont envers moi l'on use, Dans tout esprit bien fait, me servira d'excuse. J'ai peur que cet Amant, plein de sa passion, N'ait pas de mon avis compris l'intention ; Et j'en veux dans les fers, où je suis prisonnière, Hasarder un qui parle avec plus de lumière. Eh bien ? Ha ! Que me dites-vous, j'ai bien peur du contraire, Et qu'il ne nous prépare encor plus d'une affaire. Vous n'avez pas été plutôt hors du logis, Qu'ayant, pour prendre l'air, la tête à ma fenêtre, J'ai vu dans ce détour un jeune homme paraître, Qui d'abord de la part de cet impertinent, Est venu me donner un bonjour surprenant. Et m'a droit dans ma chambre une boîte jetée, Qui renferme une lettre en poulet cachetée, J'ai voulu sans tarder lui rejeter le tout ; Mais ses pas de la rue avaient gagné le bout, Et je m'en sens le cœur tout gros de fâcherie. Il est de mon devoir de faire promptement Reporter boîte et lettre, à ce maudit Amant, Et j'aurais pour cela besoin d'une personne ; Car d'oser à vous-même… Tenez donc. Ah ! Ciel, gardez-vous bien de l'ouvrir. Lui voulez-vous donner à croire que c'est moi, Une fille d'honneur doit toujours se défendre De lire les billets qu'un homme lui fait rendre, La curiosité qu'on fait lors éclater, Marque un secret plaisir de s'en ouïr conter, Et je trouve à propos que toute cachetée Cette lettre lui soit promptement reportée, Afin que d'autant mieux il connaisse aujourd'hui, Le mépris éclatant que mon cœur fait de lui, Que ses feux désormais perdent toute espérance, Et n'entreprennent plus pareille extravagance. Je ne veux pas pourtant gêner votre désir, La lettre est en vos mains, et vous pouvez l'ouvrir. Ses feux ne trompent point ma secrète croyance, Et toujours ses regards m'en ont dit l'innocence. Qu'il m'est dur que vous plaigniez si fort Un homme que je hais à l'égal de la mort, Et que si vous m'aimiez autant que vous le dites, Vous sentiriez l'affront que me font les poursuites. Est-ce les avoir bonnes, Dites-moi de vouloir enlever les personnes, Est-ce être homme d'honneur de former des desseins Pour m'épouser de force en m'ôtant de vos mains, Comme si j'étais fille à supporter la vie, Après qu'on m'aurait fait une telle infamie. Oui, oui, j'ai su que ce traître d'Amant, Parle de m'obtenir par un enlèvement, Et j'ignore pour moi les pratiques secrètes, Qui l'ont instruit sitôt du dessein que vous faites, De me donner la main dans huit jours au plus tard, Puisque ce n'est que d'hier que vous m'en fîtes part ; Mais il veut prévenir dit-on cette journée, Qui doit à votre sort unir ma destinée. Ô que pardonnez-moi, C'est un fort honnête homme, et qui ne sent pour moi… Allez votre douceur entretient sa folie, S'il vous eût vu tantôt lui parler vertement, Il craindrait vos transports, et mon ressentiment ; Car c'est encor depuis sa lettre méprisée, Qu'il a dit ce dessein qui m'a scandalisée, Et son amour conserve ainsi que je l'ai su, La croyance qu'il est dans mon cœur bien reçu, Que je fuis votre hymen, quoi que le monde en croie, Et me verrais tirer de vos mains avec joie. Devant vous il sait se déguiser, Et son intention est de vous amuser, Croyez par ces beaux mots que le traître vous joue, Je suis bien malheureuse, il faut que je l'avoue. Qu'avecque tous mes soins pour vivre dans l'honneur, Et rebuter les vœux d'un lâche suborneur, Il faille être exposée aux fâcheuses surprises, De voir faire sur moi d'infâmes entreprises. Pour moi je vous le dis, Si vous n'éclatez fort contre un trait si hardi, Et ne trouvez bientôt moyen de me défaire, Des persécutions d'un pareil téméraire, J'abandonnerai tout et renonce à l'ennui, De souffrir les affronts que je reçois de lui. Dites-lui bien au moins, qu'il le nierait en vain, Que c'est de bonne part qu'on m'a dit son dessein, Et qu'après cet avis, quoi qu'il puisse entreprendre, J'ose le défier de me pouvoir surprendre ; Enfin que sans plus perdre et soupirs et moments, Il doit savoir pour vous quels sont mes sentiments, Et que si d'un malheur il ne veut être cause, Il ne se fasse pas deux fois dire une chose. Mais tout cela d'un ton Qui marque que mon cœur lui parle tout de bon. J'attends votre retour avec impatience, Hâtez-le, s'il vous plaît, de tout votre pouvoir, Je languis quand je suis un moment sans vous voir. Quoi vous me l'amenez ! quel est votre dessein ! Prenez-vous contre moi ses intérêts en main, Et voulez-vous charmé de ses rares mérites, M'obliger à l'aimer, et souffrir ses visites ? Quoi mon âme à vos yeux ne se montre pas toute, Et de mes vœux encor vous pouvez être en doute ? Non non, un tel arrêt ne doit pas vous surprendre, Ce sont mes sentiments qu'il vous a fait entendre, Et je les tiens fondés sur assez d'équité, Pour en faire éclater toute la vérité ; Oui je veux bien qu'on sache, et j'en dois être crue, Que le sort offre ici deux objets à ma vue, Qui m'inspirant pour eux différents sentiments, De mon cœur agité font tous les mouvements. L'un par un juste choix où l'honneur m'intéresse, A toute mon estime et toute ma tendresse ; Et l'autre pour le prix de son affection, A toute ma colère et mon aversion : La présence de l'un m'est agréable et chère, J'en reçois dans mon âme une allégresse entière, Et l'autre par sa vue inspire dans mon cœur De secrets mouvements, et de haine et d'horreur. Me voir femme de l'un est toute mon envie, Et plutôt qu'être à l'autre, on m'ôterait la vie ; Mais c'est assez montrer mes justes sentiments, Et trop longtemps languir dans ces rudes tourments. Il faut que ce que j'aime usant de diligence, Fasse à ce que je hais perdre toute espérance, Et qu'un heureux hymen affranchisse mon sort, D'un supplice pour moi plus affreux que la mort. C'est l'unique moyen de me rendre contente. Je sais qu'il est honteux Aux filles d'expliquer si librement leurs vœux. Mais en l'état où sont mes destinées ; De telles libertés doivent m'être données ; Et je puis sans rougir faire un aveu si doux, À celui que déjà je regarde en Époux. Qu'il songe donc, de grâce, à me prouver sa flamme. Que sans plus de soupirs, Il conclue un hymen qui fait tous mes désirs, Et reçoive en ce lieu, la foi que je lui donne, De n'écouter jamais les vœux d'autre personne. Vous ne me sauriez faire un plus charmant plaisir ; Car enfin cette vue est fâcheuse à souffrir, Elle m'est odieuse et l'horreur est si forte… Vous offensé-je, en parlant de la sorte ; Fais-je… Je n'en puis trop montrer en pareille rencontre. À la bonne heure ; Adieu. Allez il ne l'est point ; Dès demain ? Mais… Ô ciel, inspire-moi ce qui peut le parer ! Oui le trépas cent fois, me semble moins à craindre, Que cet hymen fatal où l'on veut me contraindre ; Et tout ce que je fais pour en fuir les rigueurs, Doit trouver quelque grâce auprès de mes censeurs ; Le temps presse, il fait nuit, allons sans crainte aucune, À la foi d'un amant, commettre ma fortune. Ô ciel ! Il est vrai, mais… Vous me voyez confuse, Et je ne sais comment vous en dire l'excuse ; Un secret surprenant ; C'est ma sœur qui m'oblige à sortir maintenant ; Et qui pour un dessein dont je l'ai fort blâmée, M'a demandé ma chambre où je l'ai renfermée. L'eût-on pu croire, elle aime cet amant Que nous avons banni. Éperdument : C'est un transport si grand, qu'il n'en est point de même, Et vous pouvez juger de sa puissance extrême, Puisque seule à cette heure, elle est venue ici, Me découvrir à moi son amoureux souci ; Me dire absolument qu'elle perdra la vie, Si son âme n'obtient l'effet de son envie, Que depuis plus d'un an d'assez vives ardeurs, Dans un secret commerce entretenaient leurs cœurs ; Et que même ils s'étaient, leur flamme étant nouvelle, Donné de s'épouser une foi mutuelle… Qu'ayant appris le désespoir, Où j'ai précipité celui qu'elle aime à voir ; Elle vient me prier de souffrir que sa flamme, Puisse rompre un départ qui lui percerait l'âme ; Entretenir ce soir cet amant sous mon nom, Par la petite rue où ma chambre répond Lui peindre d'une voix qui contrefait la mienne, Quelques doux sentiments dont l'appas le retienne ; Et ménager enfin pour elle adroitement, Ce que pour moi l'on sait qu'il a d'attachement. Moi j'en suis courroucée ; Quoi ma sœur, ai-je dit, êtes vous insensée, Ne rougissez-vous point d'avoir pris tant d'amour, Pour ces sortes de gens qui changent chaque jour, D'oublier votre sexe, et tromper l'espérance, D'un homme dont le Ciel vous donnait l'alliance. Enfin de cent raisons mon dépit s'est servi, Pour lui bien reprocher des bassesses si grandes, Et pouvoir cette nuit rejeter ses demandes, Mais elle m'a fait voir de si pressants désirs, A tant versé de pleurs, tant poussé de soupirs, Tant dit qu'au désespoir je porterais son âme, Si je lui refusais ce qu'exige sa flamme ; Qu'à céder malgré moi mon cœur s'est vu réduit ; Et pour justifier cette intrigue de nuit, Où me faisait du sang relâcher la tendresse, J'allais faire avec moi venir coucher Lucrèce ; Dont vous me vantez tant les vertus chaque jour, Mais vous m'avez surprise avec ce prompt retour ; Ah, vous lui donneriez trop de confusion, Et c'est avec raison qu'elle pourrait se plaindre, Du peu de retenue, où j'ai su me contraindre, Puisque de son dessein je dois me départir, Attendez que du moins je le fasse sortir. Mais surtout, cachez-vous je vous prie, Et sans lui dire rien daignez voir sa sortie. Je vous conjure donc de ne me point nommer ; Bonsoir, car tout d'un temps, je vais me renfermer. Oui, de vos déplaisirs l'atteinte m'est sensible, Mais ce que vous voulez, ma sœur, m'est impossible ; Mon honneur qui m'est cher, y court trop de hasard ; Adieu, retirez-vous avant qu'il soit plus tard. Ô Ciel dans mes desseins, ne m'abandonnez pas. Dans mon trouble du moins, la nuit me favorise : Ne faites point de bruit, Valère, on vous prévient, et je suis Isabelle. Mais à moins de vous voir par un saint hyménée… Ma sœur, je vous demande un généreux pardon, Si de mes libertés j'ai taché votre nom ; Le pressant embarras d'une surprise extrême, M'a tantôt inspiré ce honteux stratagème : Votre exemple condamne un tel emportement, Mais le sort nous traita nous deux diversement ; Pour vous je ne veux point, Monsieur, vous faire excuse, Je vous sers beaucoup plus que je ne vous abuse ; Le Ciel pour être joints ne nous fit pas tous deux, Je me suis reconnue indigne de vos vœux, Et j'ai bien mieux aimé me voir aux mains d'un autre, Que ne pas mériter un cœur comme le vôtre. **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesmaris *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesmaris *dist2_moliere_verse_comedy *id_leonor *date_1661 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_leonor Je me charge de tout, en cas que l'on vous gronde. Je vous en plains ma sœur. Nous ne savons encore, et je pressais ma sœur De venir du beau temps respirer la douceur : Mais… Quoi donc, Monsieur… ? Voyez-vous Isabelle, avec nous à regret ? Voulez-vous que mon cœur, vous parle net aussi ? J'ignore de quel œil, elle voit tout ceci, Mais je sais ce qu'en moi ferait la défiance, Et quoiqu'un même sang nous ait donné naissance ; Nous sommes bien peu sœurs, s'il faut que chaque jour Vos manières d'agir lui donnent de l'amour. Du sort dont vous parlez je le garantis moi, S'il faut que par l'hymen il reçoive ma foi, Il s'y peut assurer, mais sachez que mon âme, Ne répondrait de rien si j'étais votre femme. Ô l'étrange martyre, Que tous ces jeunes fous me paraissent fâcheux, Je me suis dérobée au Bal pour l'amour d'eux. Et moi je n'ai rien vu de plus insupportable, Et je préférerais le plus simple entretien, À tous les contes bleus de ces discours de rien ; Ils croient que tout cède à leur perruque blonde, Et pensent avoir dit le meilleur mot du monde, Lorsqu'ils viennent d'un ton de mauvais goguenard, Vous railler sottement sur l'amour d'un vieillard ; Et moi d'un tel vieillard je prise plus le zèle, Que tous les beaux transports d'une jeune cervelle : Mais n'aperçois-je pas… Je ne sais pas sur quoi vous tenez ce discours ; Mais croyez que je suis de même que toujours ; Que rien ne peut pour vous altérer mon estime, Que toute autre amitié me paraîtrait un crime, Et que si vous voulez satisfaire mes vœux, Un saint noeud dès demain nous unira nous deux. Qui vous a fait de moi de si belles peintures, Et prend soin de forger de telles impostures. Je ne sais si ce trait se doit faire estimer, Mais je sais bien qu'au moins je ne le puis blâmer. **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesmaris *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesmaris *dist2_moliere_verse_comedy *id_lisette *date_1661 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_lisette Toujours dans une chambre à ne point voir le monde ? Bien vous prend que son frère ait toute une autre humeur, Madame, et le destin vous fut bien favorable, En vous faisant tomber aux mains du raisonnable. Ma foi je l'enverrais au diable avec sa fraise, Et… En effet tous ces soins sont des choses infâmes, Sommes-nous chez les Turcs pour renfermer les femmes Car on dit qu'on les tient esclaves en ce lieu, Et que c'est pour cela, qu'ils sont maudits de Dieu. Notre honneur est, Monsieur, bien sujet à faiblesse, S'il faut qu'il ait besoin qu'on le garde sans cesse : Pensez-vous après tout que ces précautions, Servent de quelque obstacle à nos intentions, Et quand nous nous mettons quelque chose à la tête, Que l'homme le plus fin, ne soit pas une bête ? Toutes ces gardes-là, sont visions de fous, Le plus sûr est ma foi de se fier en nous, Qui nous gêne se met en un péril extrême, Et toujours notre honneur, veut se garder lui-même. C'est nous inspirer, presque un désir de pécher, Que montrer tant de soins de nous en empêcher, Et si par un mari, je me voyais contrainte, J'aurais fort grande pente à confirmer sa crainte. C'est conscience à ceux qui s'assurent en nous ; Mais c'est pain béni, certes, a des gens comme vous. Chacun d'eux près de vous veut se rendre agréable. Par ma foi je lui sais bon gré de cette affaire, Et ce prix de ses soins est un trait exemplaire. Vous, si vous connaissez des maris loups-garous, Envoyez-les au moins à l'école chez nous. **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesmaris *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesmaris *dist2_moliere_verse_comedy *id_valere *date_1661 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_valere Ergaste, le voilà cet argus que j'abhorre, Le sévère Tuteur de celle que j'adore. Je voudrais l'accoster, s'il est en ma puissance, Et tâcher de lier avec lui connaissance. Il ne voit pas que c'est lui qu'on salue. Il faut chez lui tâcher de m'introduire. Monsieur, un tel abord vous interrompt peut-être ? Mais quoi ? l'honneur de vous connaître Est un si grand bonheur, est un si doux plaisir, Que de vous saluer, j'avais un grand désir, Et de vous venir ; mais sans nul artifice, Assurer que je suis tout à votre service. J'ai le bien d'être de vos voisins, Et j'en dois rendre grâce à mes heureux destins. Mais Monsieur savez-vous les nouvelles Que l'on dit à la Cour, et qu'on tient pour fidèles ? Il est vrai ; mais pour les nouveautés, On peut avoir par fois des curiosités : Vous irez voir, Monsieur, cette magnificence, Que de notre Dauphin prépare la naissance ? Avouons que Paris nous fait part De cent plaisirs charmants qu'on n'a point autre part ; Les Provinces auprès sont des lieux solitaires, À quoi donc passez-vous le temps ? L'esprit veut du relâche, et succombe parfois, Par trop d'attachement aux sérieux emplois. Que faites-vous les soirs avant qu'on se retire ? Sans doute on ne peut pas mieux dire : Cette réponse est juste, et le bon sens paraît, À ne vouloir jamais faire que ce qui plaît. Si je ne vous croyais l'âme trop occupée, J'irais parfois chez vous passer l'après-soupée. Que dis-tu de ce bizarre fou ? Ah ! j'enrage, De quoi ? C'est que j'enrage De voir celle que j'aime au pouvoir d'un sauvage, D'un dragon surveillant, dont la sévérité, Ne lui laisse jouir d'aucune liberté. Mais depuis quatre mois que je l'aime ardemment, Je n'ai pour lui parler pu trouver un moment. Mais qu'aurais-tu pu faire ? Puisque sans ce brutal on ne la voit jamais, Et qu'il n'est là-dedans servantes ni valets, Dont par l'appât flatteur de quelque récompense, Je puisse pour mes feux ménager l'assistance. C'est un point dont mes vœux ne sont point informés, Partout où ce farouche a conduit cette belle, Elle m'a toujours vu comme une ombre après elle, Et mes regards aux siens ont tâché chaque jour, De pouvoir expliquer l'excès de mon amour : Mes yeux ont fort parlé ; mais qui me peut apprendre, Si leur langage enfin a pu se faire entendre ? Que faire pour sortir de cette peine extrême, Et savoir si la belle a connu que je l'aime ? Dis m'en quelque moyen. Monsieur, j'ai du regret… Moi, monsieur ? Oui ? Puis-je être assez heureux, pour vous rendre service. Chez moi, Monsieur ? J'en ai bien du sujet, et mon âme ravie De l'honneur… Voulez-vous pas entrer ? Monsieur, de grâce. Tant que vous serez-là, je ne puis vous entendre ; Eh bien, il se faut rendre, Vite, puisque Monsieur, à cela se résout ; Donnez un siège ici ; Vous souffrir de la sorte ? Cette incivilité serait trop condamnable, Je vous obéis, donc ; Sans doute, et de grand cœur ; Oui. Non ; Qui moi, Monsieur ? Qui vous a dit, que j'ai pour elle l'âme atteinte : Mais encor ? Elle ? C'est elle, dites-vous, qui de sa part vous fait… Ergaste, que dis-tu, d'une telle aventure ? Tu crois mystérieux… Que vient de te donner cette farouche bête. Cette lettre vous surprendra, sans doute, et l'on peut trouver bien hardi pour moi, et le dessein de vous l'écrire, et la manière de vous la faire tenir ; mais je me vois dans un état à ne plus garder de mesures ; la juste horreur d'un mariage, dont je suis menacée dans six jours, me fait hasarder toutes choses, et dans la résolution de m'en affranchir par quelque voie que ce soit, j'ai cru que je devais plutôt vous choisir que le désespoir. Ne croyez pas pourtant que vous soyez redevable de tout à ma mauvaise destinée, ce n'est pas la contrainte où je me trouve qui a fait naître les sentiments que j'ai pour vous ; mais c'est elle qui en précipite le témoignage, et qui me fait passer sur des formalités où la bienséance du sexe oblige. Il ne tiendra qu'à vous que je sois à vous bien tôt, et j'attends seulement que vous m'ayez marqué les intentions de votre amour, pour vous faire savoir la résolution que j'ai prise ; mais surtout songez que le temps presse, et que deux cœurs qui s'aiment doivent s'entendre à demi-mot. Ah ! je la trouve là tout à fait adorable, Ce trait de son esprit et de son amitié, Accroît pour elle encor, mon amour de moitié, Et joint aux sentiments que sa beauté m'inspire… Oui, oui, votre mérite à qui chacun se rend, Est à mes vœux, Monsieur, un obstacle trop grand, Et c'est folie à moi, dans mon ardeur fidèle, De prétendre avec vous à l'amour d'Isabelle. Aussi n'aurais-je pas Abandonné mon cœur à suivre ses appas, Si j'avais pu savoir que ce cœur misérable, Dût trouver un rival comme vous redoutable. Je n'ai garde à présent d'espérer, Je vous cède, Monsieur, et c'est sans murmurer. Le droit de la sorte l'ordonne, Et de tant de vertus brille votre personne, Que j'aurais tort de voir d'un regard de courroux, Les tendres sentiments qu'Isabelle a pour vous. Oui, oui, je vous quitte la place ; Mais je vous prie au moins, et c'est la seule grâce, Monsieur, que vous demande un misérable Amant, Dont vous seul aujourd'hui causez tout le tourment. Je vous conjure donc d'assurer Isabelle, Que si depuis trois mois mon cœur brûle pour elle, Cet amour est sans tâche, et n'a jamais pensé, À rien dont son honneur ait lieu d'être offensé. Que ne dépendant que du choix de mon âme, Tous mes desseins étaient de l'obtenir pour femme, Si les destins en vous qui captivez son cœur, N'opposaient un obstacle à cette juste ardeur. Que quoi qu'on fasse il ne lui faut pas croire, Que jamais ses appas sortent de ma mémoire, Que quelque Arrêt des Cieux, qu'il me faille subir, Mon sort est de l'aimer jusqu'au dernier soupir, Et que si quelque chose étouffe mes poursuites, C'est le juste respect que j'ai pour vos mérites. Monsieur, qui vous ramène en ce lieu ? Comment ? Qui vous a dit, monsieur, cette étrange nouvelle. S'il est vrai qu'elle ait dit ce que je viens d'entendre, J'avouerai que mes feux n'ont plus rien à prétendre, Par ces mots assez clairs, je vois tout terminé, Et je dois révérer l'arrêt qu'elle a donné. Oui tout ce que Monsieur, de votre part m'a dit, Madame, a bien pouvoir de surprendre un esprit, J'ai douté, je l'avoue, et cet arrêt suprême, Qui décide du sort de mon amour extrême, Doit m'être assez touchant pour ne pas s'offenser, Que mon cœur par deux fois le fasse prononcer. Eh bien, Madame, eh bien, c'est s'expliquer assez, Je vois par ce discours de quoi vous me pressez, Et je saurai dans peu vous ôter la présence De celui qui vous fait si grande violence. Oui, vous serez contente, et dans trois jours vos yeux, Ne verront plus l'objet qui vous est odieux. Non vous n'entendrez de mon cœur plainte aucune, Madame, assurément rend justice à tous deux ; Et je vais travailler à contenter ses vœux ! Adieu. Oui, oui, je veux tenter quelque effort cette nuit, Pour parler… Qui va-là ? Oui, c'est l'unique but, où tend ma destinée ; Et je vous donne ici ma foi que dès demain, Je vais, où vous voudrez recevoir votre main. Entrez en assurance ! De votre argus dupé, je brave la puissance, Et devant qu'il vous pût ôter à mon ardeur, Mon bras de mille coups lui percerait le cœur. Non, Messieurs, et personne ici n'aura l'entrée, Que cette volonté ne m'ait été montrée, Vous savez qui je suis, et j'ai fait mon devoir, En vous signant l'aveu qu'on peut vous faire voir, Si c'est votre dessein d'approuver l'alliance, Votre main peut aussi m'en signer l'assurance, Sinon faites état de m'arracher le jour, Plutôt que de m'ôter l'objet de mon amour. Enfin quoi qu'il advienne, Isabelle à ma foi, j'ai de même la sienne, Et ne suis point un choix à tout examiner, Que vous soyez reçus à faire condamner. J'y consens de la sorte. Pour moi je mets ma gloire et mon bien souverain À la pouvoir, Monsieur, tenir de votre main. **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesmaris *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesmaris *dist2_moliere_verse_comedy *id_ergaste *date_1661 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_ergaste Son mauvais œil, peut-être, est de ce côté-ci : Passons du côté droit. Abordez-le ! Approchez. Il a le repart brusque, et l'accueil loup-garou. Et de quoi ? C'est ce qui fait pour vous, et sur ces conséquences, Votre amour doit fonder de grandes espérances ; Apprenez pour avoir votre esprit raffermi, Qu'une femme qu'on garde est gagnée à demi, Et que les noirs chagrins des maris ou des pères, Ont toujours du Galant avancé les affaires. Je coquette fort peu, c'est mon moindre talent, Et de profession, je ne suis point galant ; Mais j'en ai servi vingt de ces chercheurs de proie, Qui disaient fort souvent que leur plus grande joie Était de rencontrer de ces maris fâcheux, Qui jamais sans gronder ne reviennent chez eux, De ces brutaux fieffés, qui sans raison ni suite, De leurs femmes en tout contrôlent la conduite ; Et du nom de mari fièrement se parant, Leur rompent en visière aux yeux des soupirants. On en sait, disent-ils, prendre ses avantages, Et l'aigreur de la Dame à ces sortes d'outrages, Dont la plaint doucement le complaisant témoin, Est un champ à pousser les choses assez loin ; En un mot ce vous est une attente assez belle, Que la sévérité du Tuteur d'Isabelle. L'amour rend inventif ; mais vous ne l'êtes guère, Et si j'avais été… Elle ne sait donc pas encor que vous l'aimez ? Ce langage, il est vrai, peut être obscur parfois, S'il n'a pour truchement l'écriture ou la voix. C'est ce qu'il faut trouver, Entrons un peu chez vous afin d'y mieux rêver. Selon ma conjecture, Je tiens qu'elle n'a rien de déplaisant pour vous, Qu'un mystère assez fin, est caché là-dessous, Et qu'enfin cet avis n'est pas d'une personne, Qui veuille voir cesser l'amour qu'elle vous donne. Oui… mais il nous observe, ôtons-nous de ses yeux. Qu'est-ce ? Cette lettre, Monsieur, qu'avecque cette boîte, On prétend qu'ait reçue Isabelle de vous, Et dont elle est, dit-il, en un fort grand courroux ; C'est sans vouloir l'ouvrir qu'elle vous la fait rendre, Lisez vite, et voyons si je me puis méprendre. Hé bien, Monsieur, le tour est-il d'original, Pour une jeune fille, elle n'en sait pas mal, De ces ruses d'amour la croirait-on capable. La dupe vient, songez à ce qu'il vous faut dire. La dupe est bonne. Au sort d'être cocu son ascendant l'expose, Et ne l'être qu'en herbe est pour lui douce chose. Bon. **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesmaris *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesmaris *dist2_moliere_verse_comedy *id_commissaire *date_1661 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_commissaire Qu'est-ce ? Nous sortions… Quoi ! Si c'est pour cela la rencontre est heureuse, Puisqu'ici nous avons un Notaire ! De plus homme d'honneur ! Comment vous croyez donc qu'un homme de justice… Il ne faut mettre ici nulle force en usage, Messieurs, et si vos vœux ne vont qu'au mariage, Vos transports en ce lieu s'y peuvent apaiser, Tous deux également tendent à s'épouser, Et Valère déjà sur ce qui vous regarde, A signé que pour femme il tient celle qu'il garde. Est renfermée et ne veut point sortir, Que vos désirs aux leurs ne veuillent consentir. C'est dans ces termes-là que la chose est conçue, Et le nom est en blanc pour ne l'avoir point vue, Signez, la fille après vous mettra tous d'accord. Nous allons revenir. **** *creator_moliere *book_moliere_ecoledesmaris *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_ecoledesmaris *dist2_moliere_verse_comedy *id_notaire *date_1661 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_notaire Oui, Notaire Royal ; **** *creator_moliere *book_moliere_etourdi *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_etourdi *dist2_moliere_verse_comedy *id_lelie *date_1655 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_lelie Hé bien ! Léandre, hé bien ! il faudra contester ; Nous verrons de nous deux qui pourra l'emporter ; Qui dans nos soins communs pour ce jeune miracle, Aux vœux de son Rival portera plus d'obstacle. Préparez vos efforts, et vous défendez bien, Sûr que de mon côté je n'épargnerai rien. Ah ! Mascarille. Voici bien des affaires ; J'ai dans ma passion toutes choses contraires : Léandre aime Célie, et par un trait fatal, Malgré mon changement, est toujours mon rival. Il l'adore, te dis-je. Hé ! oui, tant pis, c'est là ce qui m'afflige. Toutefois j'aurais tort de me désespérer, Puisque j'ai ton secours je puis me rassurer ; Je sais que ton esprit en intrigues fertile, N'a jamais rien trouvé qui lui fût difficile, Qu'on te peut appeler le Roi des serviteurs, Et qu'en toute la terre… Ma foi, tu me fais tort avec cette invective ; Mais enfin discourons un peu de ma captive, Dis si les plus cruels et plus durs sentiments Ont rien d'impénétrable à des traits si charmants : Pour moi, dans ses discours, comme dans son visage, Je vois pour sa naissance un noble témoignage, Et je crois que le Ciel dedans un rang si bas, Cache son Origine, et ne l'en tire pas. Ah ! trêve, je vous prie, à votre Rhétorique. Sais-tu qu'on n'acquiert rien de bon à me fâcher ? Que chez moi les avis ont de tristes salaires ? Qu'un valet conseiller y fait mal ses affaires ? Ah ! c'est par ces discours que tu peux me ravir. Au reste, mon amour, quand je l'ai fait paraître, N'a point été mal vu des yeux qui l'ont fait naître ; Mais Léandre à l'instant vient de me déclarer Qu'à me ravir Célie il se va préparer. C'est pourquoi dépêchons, et cherche dans ta tête Les moyens les plus prompts d'en faire ma conquête. Trouve ruses, détours, fourbes, inventions, Pour frustrer un rival de ses prétentions. Hé bien ? le stratagème ? Où ? Et quelle ? Quoi ? Et que lui puis-je dire ? Que faire ? C'en est trop à la fin ; Et tu me mets à bout par ces contes frivoles. Quoi ? c'est ? Mais Trufaldin pour elle, Fait de nuit et de jour exacte sentinelle ; Prends garde. Ah ! que le Ciel m'oblige, en offrant à ma vue Les célestes attraits dont vous êtes pourvue ! Et, quelque mal cuisant que m'aient causé vos yeux, Que je prends de plaisir à les voir en ces lieux ! Ah ! leurs coups sont trop beaux pour me faire une injure, Je mets toute ma gloire à chérir ma blessure, Et… Oh ! rencontre cruelle, Ce malheureux vieillard devait-il nous troubler ! Cessez, ô Trufaldin, de vous inquiéter, C'est par mon ordre seul qu'il vous vient visiter ; Et je vous l'envoyais, ce serviteur fidèle, Vous offrir mon service, et vous parler pour elle, Dont je vous veux dans peu payer la liberté, Pourvu qu'entre nous deux le prix soit arrêté. Je pensais faire bien. Ah ! mon Dieu, pour un rien me voilà bien coupable, Le mal est-il si grand qu'il soit irréparable ? Enfin, si tu ne mets Célie entre mes mains, Songe au moins de Léandre à rompre les desseins, Qu'il ne puisse acheter avant moi cette belle, De peur que ma présence encor soit criminelle, Je te laisse. À qui la bourse ? Ma foi, sans moi, l'argent était perdu pour lui. Qu'est-ce donc ? qu'ai-je fait ? Quoi ! C'était !… S'il est ainsi j'ai tort ; mais qui l'eût deviné. Tu me devais par signe avertir de l'affaire. Non, je te le promets, De ne me mêler plus de rien dire, ou rien faire. Mais surtout hâte-toi, de peur qu'en ce dessein… Que diable fais-tu là ? Tu me promets merveille ; Mais ta lenteur d'agir est pour moi sans pareille : Sans que mon bon génie au-devant m'a poussé, Déjà tout mon bonheur eût été renversé. C'était fait de mon bien, c'était fait de ma joie, D'un regret éternel je devenais la proie ; Bref, si je ne me fusse en ce lieu rencontré, Anselme avait l'esclave, et j'en étais frustré. Il l'emmenait chez lui ; mais j'ai paré l'atteinte, J'ai détourné le coup, et tant fait, que par crainte Le pauvre Trufaldin l'a retenue. Il nous le faut mener en quelque Hôtellerie, Et faire sur les pots décharger sa furie. Non, je serai prudent, te dis‑je, ne crains rien, Tu verras seulement… Son esprit, il est vrai, trouve une étrange voie Pour adresser mes vœux au comble de leur joie ; Mais quand d'un bel objet on est bien amoureux, Que ne ferait-on pas pour devenir heureux ? Si l'amour est au crime une assez belle excuse, Il en peut bien servir à la petite ruse, Que sa flamme aujourd'hui me force d'approuver Par la douceur du bien qui m'en doit arriver : Juste Ciel ! qu'ils sont prompts ! je les vois en parole, Allons nous préparer à jouer notre rôle. Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Maintenant avec ce passeport, Je puis à Trufaldin rendre aisément visite. Que dites-vous ! jamais elle ne quittera, Un cœur qui chèrement toujours la nourrira. Vous me faites plaisir de les vouloir reprendre ; Mais je n'en ai point vu de faux, comme je crois. Oui. Il faut dire : J'en tiens ; quelle surprise extrême ! D'où peut-il avoir su sitôt le stratagème ! Ah ! mon pauvre garçon, la chance a bien tourné, Pourrais-tu de mon sort deviner l'injustice ? Anselme instruit de l'artifice, M'a repris maintenant tout ce qu'il nous prêtait, Sous couleur de changer de l'or que l'on doutait. Il est trop véritable. Tout de bon, j'en suis inconsolable ; Tu te vas emporter d'un courroux sans égal. Ah ! n'aie point pour moi si grande indifférence, Et sois plus indulgent à ce peu d'imprudence, Sans ce dernier malheur, ne m'avoueras-tu pas, Que j'avais fait merveille ? et qu'en ce feint trépas J'éludais un chacun d'un deuil si vraisemblable, Que les plus clairvoyants l'auraient cru véritable. Hé bien, je suis coupable, et je veux l'avouer ; Mais, si jamais mon bien te fut considérable, Répare ce malheur, et me sois secourable. Mascarille, mon fils. Fais-moi ce plaisir. Si tu m'es inflexible, Je m'en vais me tuer. Je ne te puis fléchir ? Vois-tu le fer prêt. Je vais le pousser. Tu n'auras pas regret de m'arracher la vie ! Adieu Mascarille. Quoi !… Tu voudrais bien, ma foi, pour avoir mes habits, Que je fisse le sot, et que je me tuasse. Que vois-je ! mon rival et Trufaldin ensemble ! Il achète Célie ; ah ! de frayeur je tremble. Que dois-je faire ? dis, veuille me conseiller. Laisse-moi, je vais le quereller. Que veux-tu que je fasse Pour empêcher ce coup ? Laisse m'en rire encore avant que te le dire. Ah ! je ne serai plus de tes plaintes l'objet. Tu ne me diras plus, toi qui toujours me cries, Que je gâte en brouillon toutes tes fourberies : J'ai bien joué moi-même un tour des plus adroits. Il est vrai, je suis prompt, et m'emporte parfois ; Mais pourtant, quand je veux, j'ai l'imaginative Aussi bonne en effet que personne qui vive ; Et toi-même avoueras que ce que j'ai fait part D'une pointe d'esprit où peu de monde a part. Tantôt, l'esprit ému d'une frayeur bien vive, D'avoir vu Trufaldin avecque mon rival, Je songeais à trouver un remède à ce mal, Lorsque me ramassant, tout entier en moi-même, J'ai conçu, digéré, produit un stratagème, Devant qui tous les tiens, dont tu fais tant de cas, Doivent sans contredit mettre pavillon bas. Ah ! s'il te plaît, donne-toi patience ; J'ai donc feint une lettre avec diligence, Comme d'un grand Seigneur écrite à Trufaldin, Qui mande, qu'ayant su par un heureux destin, Qu'une esclave qu'il tient sous le nom de Célie, Est sa fille, autrefois par des voleurs ravie ; Il veut la venir prendre, et le conjure au moins De la garder toujours, de lui rendre des soins ; Qu'à ce sujet il part d'Espagne, et doit pour elle Par de si grands présents reconnaître son zèle, Qu'il n'aura point regret de causer son bonheur. Écoute donc ; voici bien le meilleur. La Lettre que je dis a donc été remise ; Mais, sais-tu bien comment ? en saison si bien prise, Que le porteur m'a dit que sans ce trait falot, Un homme l'emmenait, qui s'est trouvé fort sot. Oui, d'un tour si subtil m'aurais-tu cru capable ? Loue au moins mon adresse, et la dextérité, Dont je romps d'un rival le dessein concerté. Apprends-moi le sujet qui contre moi te pique : Ai-je fait quelque chose ? éclaircis-moi ce point. Je te suivrai partout, pour savoir ce mystère. Il m'échappe ! oh ! malheur qui ne se peut forcer ! Au discours qu'il m'a fait que saurais-je comprendre ? Et quel mauvais office aurais-je pu me rendre ? Du chagrin qui vous tient, quel peut être l'objet ? Vous-même. Je vois bien ce que c'est, Célie en est la cause. Pour elle vous aviez pourtant de grands desseins, Mais il faut dire ainsi, lorsqu'ils se trouvent vains. Quelles finesses donc ? Quoi ? C'est de l'Hébreu pour moi, je n'y puis rien comprendre. Tout beau, tout beau, Léandre. Léandre, arrêtons là ce discours importun. Contre moi tant d'efforts qu'il vous plaira pour elle ; Mais surtout retenez cette atteinte mortelle : Sachez que je m'impute à trop de lâcheté, D'entendre mal parler de ma divinité ; Et que j'aurai toujours bien moins de répugnance À souffrir votre amour qu'un discours qui l'offense. Quiconque vous l'a dit est un lâche, un pendard ; On ne peut imposer de tache à cette fille : Je connais bien son cœur. Oui ? Il prétend D'une fille d'honneur insolemment médire, Et que peut-être encor je n'en ferai que rire. Gage qu'il se dédit. Parbleu, je le ferais mourir sous le bâton, S'il m'avait soutenu des faussetés pareilles. Ah ! bon, bon, le voilà, venez çà, chien maudit. Langue de serpent fertile en impostures, Vous osez sur Célie attacher vos morsures ! Et lui calomnier la plus rare vertu, Qui puisse faire éclat sous un sort abattu ! Non, non, point de clin d'œil, et point de raillerie ; Je suis aveugle à tout, sourd à quoi que ce soit ; Fût-ce mon propre frère, il me la payerait ; Et sur ce que j'adore oser porter le blâme, C'est me faire une plaie au plus tendre de l'âme ; Tous ces signes sont vains, quels discours as-tu faits ? Tu n'échapperas pas. Parle donc, confesse. Dépêche, qu'as-tu dit ? vide entre nous ce point. Ah ! je vous ferai bien parler d'une autre sorte. Laissez‑moi contenter mon courage offensé. Quoi ! châtier mes gens, n'est pas en ma puissance ? Quand j'aurais volonté de le battre à mourir, Hé bien ? c'est mon valet ? Le trait est admirable ! et comment donc le vôtre ? Sans doute… Hem, que veux-tu conter ? Vous rêvez bien, Léandre, et me la baillez bonne. Il n'est pas mon valet ? Je ne sais ce que c'est. Point du tout. Moi ? l'avoir chassé, roué de coups ? Vous vous moquez de moi, Léandre, ou lui de vous. Il t'avait accusé de discours médisants Contre… Je ne m'étonne pas si je romps tes attentes ; À moins d'être informé des choses que tu tentes, J'en ferais encor cent de la sorte. Au moins, pour t'emporter à de justes dépits, Fais-moi dans tes desseins entrer de quelque chose ; Mais que de leurs ressorts la porte me soit close, C'est ce qui fait toujours que je suis pris sans vert. Puisque la chose est faite, il n'y faut plus penser : Mon rival en tout cas ne peut me traverser, Et pourvu que tes soins, en qui je me repose… S'il ne tient qu'à cela, je n'y résiste pas ; As-tu besoin ? dis-moi, de mon sang ? de mes bras. Que puis‑je donc pour toi ? Nous avons fait la paix. Oui, nous le fléchirons ; Mais aussi tu promets… Il prétend l'enlever avec sa mascarade ? Tu m'obliges par trop avec cette nouvelle : Va, je reconnaîtrai ce service fidèle ; Mon drôle assurément leur jouera quelque trait : Mais je veux de ma part seconder son projet : Il ne sera pas dit, qu'en un fait qui me touche, Je ne me sois non plus remué qu'une souche ; Voici l'heure, ils seront surpris à mon aspect, Foin, que n'ai-je avec moi pris mon porte‑respect ; Mais, vienne qui voudra contre notre personne, J'ai deux bons pistolets, et mon épée est bonne. Holà, quelqu'un, un mot. Fermez soigneusement votre porte ce soir. Certaines gens font une mascarade, Pour vous venir donner une fâcheuse aubade ; Ils veulent enlever votre Célie. Et, sans doute bientôt, ils viennent en ces lieux ; Demeurez, vous pourrez voir tout de la fenêtre : Hé bien ? qu'avais-je dit ? les voyez-vous paraître ? Chut, je veux à vos yeux leur en faire l'affront, Nous allons voir beau jeu, si la corde ne rompt. Masques, où courez-vous ? le pourrait-on apprendre ? Trufaldin, ouvrez-leur pour jouer un momon ; Bon Dieu ! qu'elle est jolie ! et qu'elle a l'air mignon ! Hé quoi ! vous murmurez ! mais, sans vous faire outrage, Peut-on lever le masque et voir votre visage ? Mascarille, est-ce toi ? Hélas ! quelle surprise ! et quel sort est le nôtre ! L'aurais-je deviné ! n'étant point averti Des secrètes raisons qui l'avaient travesti ! Malheureux que je suis, d'avoir dessous ce masque, Été sans y penser te faire cette frasque ! Il me prendrait envie, en ce juste courroux, De me battre moi-même, et me donner cent coups. Las ! si de ton secours ta colère me prive, À quel Saint me vouerai-je ? Ah ! si ton cœur pour moi n'est de bronze, ou de fer, Qu'encore un coup, du moins, mon imprudence ait grâce S'il faut pour l'obtenir que tes genoux j'embrasse, Vois-moi… Tu ranimes par là mon espérance morte. Aussi, crois, si jamais je suis dans la puissance, Que tu seras content de ma reconnaissance ; Et, que, quand je n'aurais qu'un seul morceau de pain… Mais comment Trufaldin chez lui t'a-t-il reçu ? C'est assez, je sais tout : tu me l'as dit deux fois. Mais, à tant différer je me fais de l'effort. Ces répétitions ne sont que superflues. Dès l'abord mon esprit a compris tout le fait. Écoute Mascarille, un seul point me chagrine, S'il allait de son fils me demander la mine ? Il est vrai ; mais dis-moi, s'il connaît qu'il m'a vu, Que faire ? Fort bien : mais, à propos, cet endroit de Turquie ?… Mais, le nom de la ville où j'aurai pu les voir ? Va, va-t'en commencer ; il ne me faut plus rien. Laisse-moi gouverner : que ton âme est craintive ! Ah ! c'est me faire honte, Que de me tant prêcher ; suis-je un sot à ton compte ? Quand il m'est inutile, il fait le chien couchant : Mais, parce qu'il sent bien le secours qu'il me donne, Sa familiarité jusque-là s'abandonne. Je vais être de près éclairé des beaux yeux, Dont la force m'impose un joug si précieux ; Je m'en vais sans obstacle, avec des traits de flamme, Peindre à cette beauté les tourments de mon âme ; Je saurai quel arrêt je dois… mais les voici. Ce sont soins superflus, et je vous en dispense. Oui, Seigneur Trufaldin, le plus gaillard du monde. Plus de dix mille fois. Il vous a dépeint tel que je vous vois paraître, Le visage, le port… En Turquie, à Turin. C'est là votre vrai nom, et l'autre est emprunté. Dans Naples son destin a commencé son cours. Pour moi, point de repas. Après vous. D'abord il m'a surpris : Mais n'appréhende plus, je reprends mes esprits, Et m'en vais débiter avecque hardiesse… Dois-je éternellement ouïr tes réprimandes ? De quoi te peux-tu plaindre ? Ai-je pas réussi En tout ce que j'ai dit depuis… Pourrait-on se forcer à plus de retenue ! Je ne l'ai presque point encore entretenue. Et comment donc ? Mon Dieu ! qu'il t'est aisé de condamner des choses, Dont tu ne ressens point les agréables causes ! Je veux bien néanmoins, pour te plaire une fois, Faire force à l'amour qui m'impose des lois : Désormais… Il faudrait autrement être fort indiscret. Ah coquin ! Bourreau ! Quoi donc ? je serais homme… À moi ! par un valet cet affront éclatant ! L'aurait-on pu prévoir l'action de ce traître ! Qui vient insolemment de maltraiter son maître. Quoi ? tu m'oses encor tenir un tel propos. Ah ! je me vengerai de ce trait déloyal. Moi ! On aurait pu surprendre un mot dit à Célie ! Oh ! le plus malheureux de tous les misérables ! Mais encore, pourquoi me voir chassé par toi ? Tu devais donc, pour toi, frapper plus doucement. Quoique ton traitement ait eu trop de rudesse, Qu'est-ce que dessus moi ne peut cette promesse ? Oui, je te le promets. Soit. Mais tiens‑moi donc parole, et songe à mon repos. Faut-il que le malheur qui me suit à la trace, Me fasse voir toujours disgrâce sur disgrâce ? Oui, va, je m'y tiendrai. Quel que soit le transport d'une âme impatiente, Ma parole m'engage à rester en attente ; À laisser faire un autre, et voir sans rien oser, Comme de mes destins le Ciel veut disposer. Demandiez-vous quelqu'un dedans cette demeure ? À mon père pourtant, la maison appartient, Et mon valet la nuit, pour la garder s'y tient. Certes, ceci me surprend, je l'avoue ; Qui diantre l'aurait mis ? et par quel intérêt ?… Ah ! ma foi, je devine à peu près ce que c'est : Cela ne peut venir que de ce que j'augure. Je voudrais à tout autre en faire un grand secret ; Mais, pour vous, il n'importe, et vous serez discret ; Sans doute, l'écriteau que vous voyez paraître, Comme je conjecture, au moins ne saurait être, Que quelque invention du valet que je dis, Que quelque nœud subtil qu'il doit avoir ourdi, Pour mettre en mon pouvoir certaine Égyptienne, Dont j'ai l'âme piquée, et qu'il faut que j'obtienne : Je l'ai déjà manqué, et même plusieurs coups. Célie. Quoi ? vous la connaissez ? Oh ! discours surprenant ! Quoi ? j'obtiendrais de vous le bonheur que j'espère ? Vous pourriez ?… Que pourrais‑je vous dire ? et quel remerciement ?… Sous ce grotesque habit, qui l'aurait reconnu ? Approche, Mascarille, et sois le bienvenu. Le plaisant baragouin ! il est bon, sur ma foi. Va, va, lève le masque, et reconnais ton maître. Tout est accommodé, ne te déguise point. Ton jargon Allemand est superflu, te dis-je ; Car nous sommes d'accord, et sa bonté m'oblige : J'ai tout ce que mes vœux lui pouvaient demander, Et tu n'as pas sujet de rien appréhender. Hé bien, que diras-tu ? Tu feignais à sortir de ton déguisement ? Et ne pouvais me croire en cet événement ? Mais, confesse, qu'enfin, c'est avoir fait beaucoup ; Au moins, j'ai réparé mes fautes à ce coup, Et j'aurai cet honneur d'avoir fini l'ouvrage. Ah ! quel bonheur au mien pourrait être égalé ! C'est trop, je ne veux plus Te demander pour moi de secours superflus ; Je suis un chien, un traître, un bourreau détestable ! Indigne d'aucun soin, de rien faire incapable. Va, cesse tes efforts pour un malencontreux, Qui ne saurait souffrir que l'on le rende heureux ! Après tant de malheurs, après mon imprudence, Le trépas me doit seul prêter son assistance. Croirai-je que du Ciel la puissance absolue ?… Il faut que je t'embrasse, et mille et mille fois, Dans cette joie… **** *creator_moliere *book_moliere_etourdi *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_etourdi *dist2_moliere_verse_comedy *id_celie *date_1655 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_celie Mon cœur qu'avec raison votre discours étonne, N'entend pas que mes yeux fassent mal à personne ; Et, si dans quelque chose ils vous ont outragé, Je puis vous assurer que c'est sans mon congé. Autrefois j'ai connu cet honnête garçon ; Et vous n'avez pas lieu d'en prendre aucun soupçon. Oui, lui-même. Non, tout ce que je sais n'est que blanche magie. Sous quel Astre ton Maître a-t-il reçu le jour ? Sans me nommer l'objet pour qui son cœur soupire, La science que j'ai m'en peut assez instruire ; Cette fille a du cœur, et dans l'adversité, Elle sait conserver une noble fierté, Elle n'est pas d'humeur à trop faire connaître, Les secrets sentiments qu'en son cœur on fait naître : Mais je les sais comme elle, et d'un esprit plus doux, Je vais en peu de mots vous les découvrir tous. Si ton Maître en ce point de constance se pique, Et que la vertu seule anime son dessein, Qu'il n'appréhende pas de soupirer en vain ; Il a lieu d'espérer, et le sort qu'il veut prendre N'est pas sourd aux traités, et voudra bien se rendre. C'est là tout le malheur. Je vais vous enseigner ce que vous devez faire. Votre zèle, pour moi, visiblement éclate ; Pour en paraître triste, il faudrait être ingrate ; Et mon visage aussi par son émotion, N'explique point mon cœur en cette occasion ; Une douleur de tête y peint sa violence, Et, si j'avais sur vous quelque peu de puissance, Notre voyage, au moins, pour trois ou quatre jours, Attendrait que ce mal eût pris un autre cours. Quoi que tu veuilles dire, et que l'on se propose, De ce retardement j'attends fort peu de chose ; Ce qu'on voit de succès peut bien persuader Qu'ils ne sont pas encor fort près de s'accorder ; Et je t'ai déjà dit qu'un cœur comme le nôtre, Ne voudrait pas pour l'un faire injustice à l'autre ; Et que très fortement, par de différents nœuds, Je me trouve attachée au parti de tous deux : Si Lélie a pour lui l'amour et sa puissance, Andrès pour son partage a la reconnaissance, Qui ne souffrira point que mes pensers secrets, Consultent jamais rien contre ses intérêts : Oui, s'il ne peut avoir plus de place en mon âme, Si le don de mon cœur ne couronne sa flamme, Au moins, dois-je ce prix à ce qu'il fait pour moi, De n'en choisir point d'autre au mépris de sa foi, Et de faire à mes vœux autant de violence, Que j'en fais aux désirs qu'il met en évidence : Sur ces difficultés qu'oppose mon devoir, Juge ce que tu peux te permettre d'espoir. Voilà d'un air galant faire une raillerie ; Mais, épargnez un peu celle qui vous en prie : Vos yeux, vos propres yeux, se connaissent trop bien, Pour pouvoir de ma part redouter jamais rien ; Ils sont fort assurés du pouvoir de leurs charmes, Et ne prendront jamais de pareilles alarmes. Je crois, qu'étant tombés dans cet aveuglement, Vous vous consoleriez de leur perte aisément, Et trouveriez pour vous l'amant peu souhaitable, Qui d'un si mauvais choix se trouverait capable. Qu'est‑ce donc ? Quoi ? Hé bien ? Je demeure immobile à tant de nouveautés. Ah ! mon père. Je viens d'entendre ici ce succès merveilleux. Pour moi, je me blâmais, et croyais faire faute, Quand je n'avais pour vous qu'une estime très haute ; Je ne pouvais savoir quel obstacle puissant M'arrêtait sur un pas si doux et si glissant, Et détournait mon cœur de l'aveu d'une flamme, Que mes sens s'efforçaient d'introduire en mon âme. Que de vous maintenant dépend ma destinée. **** *creator_moliere *book_moliere_etourdi *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_etourdi *dist2_moliere_verse_comedy *id_mascarille *date_1655 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_mascarille Quoi ? Léandre aime Célie ! Tant pis. Hé, trêve de douceurs. Quand nous faisons besoin nous autres misérables, Nous sommes les chéris et les incomparables, Et dans un autre temps, dès le moindre courroux, Nous sommes les coquins qu'il faut rouer de coups. Vous êtes romanesque avecque vos chimères ; Mais que fera Pandolfe en toutes ces affaires, C'est, Monsieur, votre père, au moins à ce qu'il dit, Vous savez que sa bile assez souvent s'aigrit, Qu'il peste contre vous d'une belle manière, Quand vos déportements lui blessent la visière ; Il est avec Anselme en parole pour vous, Que de son Hippolyte on vous fera l'époux, S'imaginant que c'est dans le seul mariage, Qu'il pourra rencontrer de quoi vous faire sage. Et s'il vient à savoir que, rebutant son choix D'un objet inconnu vous recevez les lois, Que de ce fol amour la fatale puissance Vous soustrait au devoir de votre obéissance, Dieu sait quelle tempête alors éclatera, Et de quels beaux sermons on vous régalera. Mais vous, trêve plutôt à votre Politique, Elle n'est pas fort bonne, et vous devriez tâcher… Il se met en courroux ! tout ce que j'en ai dit N'était rien que pour rire, et vous sonder l'esprit : D'un censeur de plaisirs ai-je fort l'encolure ? Et Mascarille est-il ennemi de nature ? Vous savez le contraire, et qu'il est très certain, Qu'on ne peut me taxer que d'être trop humain. Moquez-vous des sermons d'un vieux barbon de père ; Poussez votre bidet, vous dis-je, et laissez faire ; Ma foi j'en suis d'avis, que ces peinards chagrins, Nous viennent étourdir de leurs contes badins, Et vertueux par force, espèrent par envie, Ôter aux jeunes gens les plaisirs de la vie. Vous savez mon talent, je m'offre à vous servir. Laissez-moi quelque temps rêver à cette affaire. Que pourrais-je inventer pour ce coup nécessaire ? Ah ! comme vous courez ! Ma cervelle toujours marche à pas mesurés. J'ai trouvé votre fait, il faut… non, je m'abuse ; Mais, si vous alliez… C'est une faible ruse. J'en songeais une. Elle n'irait pas bien. Mais ne pourriez‑vous pas ?… Vous ne pourriez rien. Parlez avec Anselme. Il est vrai, c'est tomber d'un mal dedans un pire. Il faut pourtant l'avoir. Allez chez Trufaldin. Je ne sais. Monsieur, si vous aviez en main force pistoles, Nous n'aurions pas besoin maintenant de rêver, À chercher les biais que nous devons trouver ; Et pourrions, par un prompt achat de cette esclave, Empêcher qu'un rival vous prévienne et vous brave. De ces Égyptiens qui la mirent ici, Trufaldin qui la garde est en quelque souci, Et trouvant son argent qu'ils lui font trop attendre, Je sais bien qu'il serait très ravi de la vendre : Car enfin en vrai ladre il a toujours vécu, Il se ferait fesser, pour moins d'un quart d'écu ; Et l'argent est le Dieu que sur tout il révère : Mais le mal c'est… Que Monsieur votre père Est un autre vilain qui ne vous laisse pas, Comme vous voudriez bien, manier ses ducats : Qu'il n'est point de ressort qui pour votre ressource, Peut faire maintenant ouvrir la moindre bourse : Mais tâchons de parler à Célie un moment, Pour savoir là-dessus quel est son sentiment. La fenêtre est ici. Dans ce coin demeurons en repos. Oh ! bonheur ! la voilà qui paraît à propos. Vous le prenez là d'un ton un peu trop haut ; Ce style maintenant n'est pas ce qu'il nous faut ; Profitons mieux du temps, et sachons vite d'elle Ce que… Hé bien ? Allez, retirez-vous ; je saurai lui parler. Est-ce là le Seigneur Trufaldin ? Monsieur, je suis tout vôtre, et ma joie est extrême, De pouvoir saluer en toute humilité Un homme dont le nom est partout si vanté. J'incommode peut-être ; Mais je l'ai vue ailleurs, où m'ayant fait connaître, Les grands talents qu'elle a pour savoir l'avenir, Je voulais sur un point un peu l'entretenir. Voici donc ce que c'est. Le Maître que je sers, Languit pour un objet qui le tient dans ses fers ; Il aurait bien voulu du feu qui le dévore Pouvoir entretenir la beauté qu'il adore : Mais un dragon veillant sur ce rare trésor N'a pu, quoi qu'il ait fait, le lui permettre encor, Et, ce qui plus le gêne et le rend misérable, Il vient de découvrir un rival redoutable ; Si bien que, pour savoir si ses soins amoureux, Ont sujet d'espérer quelque succès heureux, Je viens vous consulter, sûr que de votre bouche, Je puis apprendre au vrai le secret qui nous touche. Sous un Astre à jamais ne changer son amour. Oh ! merveilleux pouvoir de la vertu magique ! C'est beaucoup ; mais ce sort dépend d'un gouverneur Difficile à gagner. Au diable le fâcheux qui toujours nous éclaire. La peste soit la bête. Monsieur, ce galant homme a le cerveau blessé ; Ne le savez-vous pas ? C'est bien fait ; je voudrais qu'encor, sans flatterie, Il nous eût d'un bâton chargés de compagnie ; À quoi bon se montrer ? et comme un Étourdi Me venir démentir de tout ce que je dis. Oui, c'était fort l'entendre ; Mais quoi, cette action ne me doit point surprendre, Vous êtes si fertile en pareils Contretemps, Que vos écarts d'esprit n'étonnent plus les gens. Fort bien. À dire vrai, l'argent ; Serait dans notre affaire un sûr et fort agent ; Mais ce ressort manquant, il faut user d'un autre. Ô ! Dieu, la belle proie À tirer en volant ! chut : il faut que je voie Si je pourrais un peu de près le caresser. Je sais bien les discours dont il le faut bercer. Je viens de voir, Anselme… Votre Nérine. Pour vous elle est de flamme. Et vous aime tant, Que c'est grande pitié. Peu s'en faut que d'amour la pauvrette ne meure ; Anselme, mon mignon, crie-t-elle à toute heure, Quand est-ce que l'hymen unira nos deux cœurs ? Et que tu daigneras éteindre mes ardeurs ? Oui, vraiment, ce visage est encor fort mettable ; S'il n'est pas des plus beaux, il est désagréable. Si bien donc qu'elle est sotte de vous ; Ne vous regarde plus… Que comme un époux : Et vous veut… Et vous veut, quoi qu'il tienne, Prendre la bourse. La bouche avec la sienne. Laissez-moi faire. Que le Ciel te conduise. Ah ! non pas, s'il vous plaît. Point du tout, j'agis sans intérêt. Non Anselme, vous dis-je ; Je suis homme d'honneur, cela me désoblige. Ô ! long discours ! Non, laissez votre argent, Sans vous mettre en souci, je ferai le présent ; Et l'on m'a mis en main une bague à la mode, Qu'après vous payerez si cela l'accommode. C'est être officieux, et très fort, ou je meure. Certes, vous faites rage, et payez aujourd'hui D'un jugement très rare, et d'un bonheur extrême. Nous avancerons fort, continuez de même. Le sot, en bon français, Puisque je puis le dire, et qu'enfin je le dois. Il sait bien l'impuissance où son père le laisse, Qu'un rival qu'il doit craindre étrangement nous presse, Cependant quand je tente un coup pour l'obliger, Dont je cours moi tout seul la honte et le danger… Oui, bourreau, c'était pour la captive, Que j'attrapais l'argent dont votre soin nous prive. Il fallait, en effet, être bien raffiné. Oui, je devais au dos avoir mon luminaire ; Au nom de Jupiter, laissez-nous en repos, Et ne nous chantez plus d'impertinents propos : Un autre après cela quitterait tout peut-être ; Mais j'avais médité tantôt un coup de maître, Dont tout présentement je veux voir les effets, À la charge que si… Allez donc, votre vue excite ma colère. Allez, encore un coup, j'y vais mettre la main. Menons bien ce projet, la fourbe sera fine, S'il faut qu'elle succède ainsi que j'imagine. Allons voir… bon, voici mon homme justement. Monsieur ; De mon maître ? Vous n'êtes pas le seul qui se plaigne de l'être : Sa mauvaise conduite insupportable en tout, Met à chaque moment ma patience à bout. Moi ? Monsieur, perdez cette croyance ; Toujours de son devoir je tâche à l'avertir : Et l'on nous voit sans cesse avoir maille à partir. À l'heure même encor nous avons eu querelle, Sur l'hymen d'Hippolyte, où je le vois rebelle ; Où par l'indignité d'un refus criminel, Je le vois offenser le respect paternel. Oui, querelle, et bien avant poussée. Moi ! Voyez ce que c'est que du monde aujourd'hui ; Et comme l'innocence est toujours opprimée. Si mon intégrité vous était confirmée ; Je suis auprès de lui gagé pour serviteur, Vous me voudriez encor payer pour Précepteur : Oui, vous ne pourriez pas lui dire davantage, Que ce que je lui dis, pour le faire être sage. Monsieur, au nom de Dieu, lui fais-je assez souvent, Cessez de vous laisser conduire au premier vent, Réglez-vous. Regardez l'honnête homme de père Que vous avez du Ciel, comme on le considère ; Cessez de lui vouloir donner la mort au cœur, Et, comme lui, vivez en personne d'honneur. Répondre ? des chansons, dont il me vient confondre. Ce n'est pas qu'en effet, dans le fond de son cœur, Il ne tienne de vous des semences d'honneur ; Mais sa raison n'est pas maintenant la maîtresse : Si je pouvais parler avecque hardiesse, Vous le verriez dans peu soumis sans nul effort. C'est un secret qui m'importerait fort, S'il était découvert : mais à votre prudence Je puis le confier avec toute assurance. Sachez donc que vos vœux sont trahis, Par l'amour qu'une esclave imprime à votre fils. Vous voyez si je suis le secret confident… Cependant À son devoir, sans bruit, désirez-vous le rendre ? Il faut… j'ai toujours peur qu'on nous vienne surprendre : Ce serait fait de moi s'il savait ce discours. Il faut, dis-je, pour rompre à toute chose cours, Acheter sourdement l'esclave idolâtrée, Et la faire passer en une autre contrée. Anselme a grand accès auprès de Trufaldin ; Qu'il aille l'acheter pour vous dès ce matin : Après, si vous voulez en mes mains la remettre, Je connais des Marchands, et puis bien vous promettre, D'en retirer l'argent qu'elle pourra coûter : Et malgré votre fils de la faire écarter. Car enfin si l'on veut qu'à l'hymen il se range, À cette amour naissante il faut donner le change ; Et de plus, quand bien même il serait résolu, Qu'il aurait pris le joug que vous avez voulu : Cet autre objet pouvant réveiller son caprice, Au mariage encor peut porter préjudice. Bon, allons avertir mon Maître de ceci : Vive la fourberie, et les fourbes aussi. Ah ! que vous êtes prompte ! La mouche tout d'un coup à la tête vous monte ; Et, sans considérer s'il a raison, ou non, Votre esprit contre moi fait le petit démon. J'ai tort, et je devrais sans finir mon ouvrage, Vous faire dire vrai, puisqu'ainsi l'on m'outrage. Non ; mais il faut savoir que tout cet artifice Ne va directement qu'à vous rendre service : Que ce conseil adroit qui semble être sans fard, Jette dans le panneau 1'un et l'autre vieillard : Que mon soin par leurs mains ne veut avoir Célie, Qu'à dessein de la mettre au pouvoir de Lélie : Et faire que l'effet de cette invention Dans le dernier excès portant sa passion, Anselme rebuté de son prétendu gendre, Puisse tourner son choix du côté de Léandre. Oui, pour vous. Mais puisqu'on reconnaît si mal mes bons offices, Qu'il me faut de la sorte essuyer vos caprices, Et que, pour récompense, on s'en vient de hauteur Me traiter de faquin, de lâche, d'imposteur, Je m'en vais réparer l'erreur que j'ai commise, Et dès ce même pas rompre mon entreprise. Non, non, laissez-moi faire, il est en ma puissance, De détourner le coup qui si fort vous offense. Vous ne vous plaindrez point de mes soins désormais : Oui, vous aurez mon maître, et je vous le promets. Non je ne le saurais, quelque effort que je fasse : Mais votre promptitude est de mauvaise grâce. Apprenez, qu'il n'est rien qui blesse un noble cœur, Comme quand il peut voir qu'on le touche en l'honneur. Hé ! tout cela n'est rien ; je suis tendre à ces coups : Mais déjà je commence à perdre mon courroux. Il faut de ses amis endurer quelque chose. N'ayez point pour ce fait l'esprit sur des épines ; J'ai des ressorts tout prêts pour diverses machines ; Et quand ce stratagème à nos vœux manquerait, Ce qu'il ne ferait pas, un autre le ferait. L'espérance du gain n'est pas ce qui me flatte. Et trois ; Quand nous serons à dix, nous ferons une croix. C'était par mon adresse, ô cervelle incurable, Qu'Anselme entreprenait cet achat favorable ; Entre mes propres mains on la devait livrer ; Et vos soins endiablés nous en viennent sevrer ; Et puis pour votre amour je m'emploierais encore ? J'aimerais mieux cent fois être grosse pécore, Devenir cruche, chou, lanterne, loup-garou, Et que Monsieur Satan vous vînt tordre le cou. À vos désirs enfin il a fallu se rendre, Malgré tous mes serments je n'ai pu m'en défendre, Et pour vos intérêts, que je voulais laisser, En de nouveaux périls viens de m'embarrasser ; Je suis ainsi facile, et si de Mascarille Madame la Nature avait fait une fille, Je vous laisse à penser ce que c'aurait été. Toutefois, n'allez pas sur cette sûreté Donner de vos revers au projet que je tente, Me faire une bévue, et rompre mon attente ; Auprès d'Anselme encor nous vous excuserons, Pour en pouvoir tirer ce que nous désirons ; Mais, si dorénavant votre imprudence éclate, Adieu vous dis mes soins pour l'objet qui vous flatte. Souvenez-vous-en bien : J'ai commencé pour vous un hardi stratagème : Votre père fait voir une paresse extrême À rendre par sa mort tous vos désirs contents, Je viens de le tuer, de parole, j'entends, Je fais courir le bruit que d'une Apoplexie, Le bonhomme surpris a quitté cette vie ; Mais avant, pour pouvoir mieux feindre ce trépas, J'ai fait que vers sa grange il a porté ses pas ; On est venu lui dire, et par mon artifice, Que les ouvriers qui sont après son édifice, Parmi les fondements qu'ils en jettent encor, Avaient fait par hasard rencontre d'un trésor ; Il a volé d'abord, et comme à la campagne Tout son monde à présent hors nous deux l'accompagne, Dans l'esprit d'un chacun je le tue aujourd'hui, Et produis un fantôme enseveli pour lui : Enfin je vous ai dit à quoi je vous engage, Jouez bien votre rôle, et pour mon personnage, Si vous apercevez que j'y manque d'un mot, Dites absolument que je ne suis qu'un sot. La nouvelle a sujet de vous surprendre fort. Il a certes grand tort. Je lui sais mauvais gré d'une telle incartade. Non, jamais homme n'eut si hâte de mourir. Il se bat, et ne peut rien souffrir : Il s'est fait en maints lieux contusion et bosse, Et veut accompagner son papa dans la fosse : Enfin, pour achever, l'excès de son transport M'a fait en grande hâte ensevelir le mort, De peur que cet objet qui le rend hypocondre, À faire un vilain coup ne me l'allât semondre. Je vous le garantis trépassé comme il faut ; Au reste, pour venir au discours de tantôt, Lélie, et l'action lui sera salutaire, D'un bel enterrement veut régaler son père, Et consoler un peu ce défunt de son sort, Par le plaisir de voir faire honneur à sa mort ; Il hérite beaucoup, mais comme en ses affaires, Il se trouve assez neuf, et ne voit encor guères ; Que son bien la plupart n'est point en ces quartiers, Ou que ce qu'il y tient consiste en des papiers ; Il voudrait vous prier, ensuite de l'instance D'excuser de tantôt son trop de violence, De lui prêter au moins pour ce dernier devoir… Jusques ici du moins tout va le mieux du monde : Tâchons à ce progrès que le reste réponde, Et de peur de trouver dans le port un écueil, Conduisons le vaisseau de la main et de l'œil. En peu de temps parfois on fait bien du chemin. Vous avez beau prêcher, Ce deuil enraciné ne se peut arracher. Il n'en fera rien, je connais son humeur. Comme à ce mot s'augmente sa douleur, Il ne peut sans mourir, songer à ce malheur. Le grand déplaisir que sent monsieur mon Maître ! Ah ! Ah ! Las ! en l'état qu'il est, comment vous contenter ! Donnez-lui le loisir de se désattrister ; Et quand ses déplaisirs prendront quelque allégeance, J'aurai soin d'en tirer d'abord votre assurance. Adieu, je sens mon cœur qui se gonfle d'ennui, Et m'en vais tout mon soûl pleurer avecque lui. Ah ! Quoi ? vous étiez sorti ? je vous cherchais partout : Hé bien ? en sommes-nous enfin venus à bout ; Je le donne en six coups au fourbe le plus brave. Çà, donnez-moi que j'aille acheter notre esclave, Votre rival après sera bien étonné. Quoi ? que serait-ce ? Vous vous moquez peut-être ? Tout de bon ? Moi, Monsieur ? Quelque sot, la colère fait mal ; Et je veux me choyer, quoi qu'enfin il arrive : Que Célie après tout soit ou libre, ou captive ; Que Léandre l'achète, ou qu'elle reste là, Pour moi, je m'en soucie autant que de cela. Vous avez en effet sujet de vous louer. Je vous baise les mains, je n'ai pas le loisir. Point. Non, je n'en ferai rien. Soit, il vous est loisible. Non. Oui. Faites ce qu'il vous plaît. Non. Adieu Monsieur Lélie. Tuez-vous donc vite : ah ! que de longs devis ! Savais-je pas qu'enfin ce n'était que grimace ; Et, quoi que ces esprits jurent d'effectuer, Qu'on n'est point aujourd'hui si prompt à se tuer. Il ne faut point douter qu'il fera ce qu'il peut, Et, s'il a de l'argent, qu'il pourra ce qu'il veut : Pour moi, j'en suis ravi ; voilà la récompense De vos brusques erreurs, de votre impatience. Je ne sais. Qu'en arrivera-t-il ? Allez, je vous fais grâce ; Je jette encore un œil pitoyable sur vous, Laissez‑moi l'observer par des moyens plus doux ; Je vais, comme je crois, savoir ce qu'il projette. Il faut que je l'attrape, et que de ses desseins Je sois le confident pour mieux les rendre vains. Ahi, ahi, à l'aide, au meurtre, au secours, on m'assomme, Ah, ah, ah, ah, ah, ah, ô traître ! ô bourreau d'homme ! On vient de me donner deux cents coups de bâton. Lélie. Pour une bagatelle, Il me chasse et me bat d'une façon cruelle. Mais, ou je ne pourrai, Ou je jure bien fort, que je m'en vengerai ; Oui, je te ferai voir, batteur que Dieu confonde, Que ce n'est pas pour rien qu'il faut rouer le monde : Que je suis un valet, mais fort homme d'honneur, Et qu'après m'avoir eu quatre ans pour serviteur, Il ne me fallait pas payer en coups de gaules, Et me faire un affront si sensible aux épaules : Je te le dis encor, je saurai m'en venger ; Une esclave te plaît, tu voulais m'engager À la mettre en tes mains, et je veux faire en sorte Qu'un autre te l'enlève, ou le diable m'emporte. Oui, Monsieur, d'autant mieux que le destin propice M'offre à me bien venger en vous rendant service, Et que dans mes efforts pour vos contentements, Je puis à mon brutal trouver des châtiments. De Célie en un mot par mon adresse extrême… Quoi ? Célie est à vous ? Hors de la ville un peu, je puis avec raison, D'un vieux parent que j'ai vous offrir la maison, Là, vous pourrez la mettre avec toute assurance, Et de cette action nul n'aura connaissance. Oui, je te vais servir d'un plat de ma façon ; Fut-il jamais au monde un plus heureux garçon ! Ô ! que dans un moment Lélie aura de joie ! Sa maîtresse en nos mains tomber par cette voie ! Recevoir tout son bien, d'où l'on attend le mal ! Et devenir heureux par la main d'un rival ! Après ce rare exploit, je veux que l'on s'apprête À me peindre en Héros, un laurier sur la tête, Et qu'au bas du portrait on mette en lettres d'or, Vivat Mascarillus, fourbum Imperator. Holà. Cette bague connue, Vous dira le sujet qui cause ma venue. Mais l'outrage Que vous lui faites… Ah ! le fâcheux paquet que nous venons d'avoir ! Le sort a bien donné la baye à mon espoir ! Et bien à la male heure est‑il venu d'Espagne, Ce Courrier que la foudre, ou la grêle accompagne ; Jamais, certes, jamais, plus beau commencement N'eut en si peu de temps plus triste événement. Quel beau transport de joie à présent vous inspire ? Çà, rions donc bien fort, nous en avons sujet. Sachons donc ce qu'a fait cette imaginative. Mais qu'est-ce ? Fort bien. Vous avez fait ce coup sans vous donner au diable ? À vous pouvoir louer selon votre mérite, Je manque d'éloquence, et ma force est petite ; Oui, pour bien étaler cet effort relevé, Ce bel exploit de guerre à nos yeux achevé, Ce grand et rare effet d'une imaginative, Qui ne cède en vigueur à personne qui vive, Ma langue est impuissante, et je voudrais avoir Celles de tous les gens du plus exquis savoir, Pour vous dire en beaux Vers, ou bien en docte Prose, Que vous serez toujours, quoi que l'on se propose, Tout ce que vous avez été durant vos jours ; C'est-à-dire, un esprit chaussé tout à rebours, Une raison malade, et toujours en débauche, Un envers du bon sens, un jugement à gauche, Un brouillon, une bête, un brusque, un étourdi, Que sais-je, un, cent fois plus encor que je ne dis, C'est faire en abrégé votre panégyrique. Non, vous n'avez rien fait ; mais ne me suivez point. Oui ? sus donc, préparez vos jambes à bien faire, Car je vais vous fournir de quoi les exercer. Taisez-vous, ma bonté, cessez votre entretien ; Vous êtes une sotte, et je n'en ferai rien ; Oui, vous avez raison, mon courroux, je l'avoue ; Relier tant de fois ce qu'un brouillon dénoue, C'est trop de patience ; et je dois en sortir Après de si beaux coups qu'il a su divertir. Mais aussi, raisonnons un peu sans violence ; Si je suis maintenant ma juste impatience, On dira que je cède à la difficulté, Que je me trouve à bout de ma subtilité ; Et que deviendra lors cette publique estime, Qui te vante partout pour un fourbe sublime, Et que tu t'es acquise en tant d'occasions, À ne t'être jamais vu court d'inventions ? L'honneur, ô Mascarille, est une belle chose : À tes nobles travaux ne fais aucune pause ; Et, quoi qu'un maître ait fait pour te faire enrager, Achève pour ta gloire, et non pour l'obliger : Mais quoi ! que feras-tu, que de l'eau toute claire, Traversé sans repos par ce démon contraire ? Tu vois qu'à chaque instant il te fait déchanter, Et que c'est battre l'eau, de prétendre arrêter Ce torrent effréné, qui de tes artifices Renverse en un moment les plus beaux Édifices. Eh bien, pour toute grâce, encore un coup du moins, Au hasard du succès, sacrifions des soins ; Et s'il poursuit encore à rompre notre chance, J'y consens, ôtons-lui toute notre assistance. Cependant notre affaire encor n'irait pas mal, Si par là nous pouvions perdre notre rival, Et que Léandre enfin, lassé de sa poursuite, Nous laissât jour entier pour ce que je médite. Oui, je roule en ma tête un trait ingénieux, Dont je promettrais bien un succès glorieux, Si je puis n'avoir plus cet obstacle à combattre : Bon, voyons si son feu se rend opiniâtre. Monsieur, j'ai perdu temps, votre homme se dédit. Voyez un peu la fourbe ! C'est pourquoi désormais il la gardera bien, Et je ne vois pas lieu d'y prétendre plus rien.     Vous pourriez l'épouser ! Sa vertu, dites‑vous ? Monsieur, votre visage en un moment s'altère, Et je ferai bien mieux peut-être de me taire. Hé bien donc, très charitablement, Je vous veux retirer de votre aveuglement. Cette fille… N'est rien moins qu'inhumaine ; Dans le particulier elle oblige sans peine ; Et son cœur, croyez-moi, n'est point roche après tout, À quiconque la sait prendre par le bon bout ; Elle fait la sucrée, et veut passer pour prude ; Mais je puis en parler avec certitude ; Vous savez que je suis quelque peu d'un métier, À me devoir connaître en un pareil gibier. Oui, sa pudeur n'est que franche grimace, Qu'une ombre de vertu qui garde mal la place, Et qui s'évanouit, comme l'on peut savoir, Aux rayons du Soleil qu'une bourse fait voir. Monsieur, les volontés sont libres, que m'importe ? Non, ne me croyez pas, suivez votre dessein, Prenez cette matoise, et lui donnez la main ; Toute la ville en corps reconnaîtra ce zèle, Et vous épouserez le bien public en elle. Il a pris l'hameçon ; Courage, s'il s'y peut enferrer tout de bon, Nous nous ôtons du pied une fâcheuse épine. Quoi ! vous pourriez !… Quoi ? Doucement ce discours est de mon industrie. Mon Dieu, ne cherchons point querelle, ou je m'en vais. Ahii. Laissez-moi ; je vous dis que c'est un tour d'adresse. J'ai dit ce que j'ai dit, ne vous emportez point. Fut-il jamais au monde un esprit moins sensé ! Encor ! il va tout découvrir. Doucement. Ah ! le double bourreau, qui me va tout gâter ! Et qui ne comprend rien quelque signe qu'on donne. Pousse, pousse, bourreau, tu fais bien tes affaires. Il ne sait ce qu'il dit, sa mémoire… Courage, mon garçon, tout heur nous accompagne, Mettons flamberge au vent et bravoure en campagne, Faisons l'Olibrius, l'occiseur d'innocents. Et vous ne pouviez souffrir mon artifice ? Lui laisser son erreur, qui vous rendait service, Et par qui son amour s'en était presque allé ? Non, il a l'esprit franc, et point dissimulé : Enfin chez son rival je m'ancre avec adresse, Cette fourbe en mes mains va mettre sa maîtresse ; Il me la fait manquer avec de faux rapports : Je veux de son rival alentir les transports ; Mon brave incontinent vient qui le désabuse, J'ai beau lui faire signe, et montrer que c'est ruse ; Point d'affaire, il poursuit sa pointe jusqu'au bout, Et n'est point satisfait qu'il n'ait découvert tout : Grand et sublime effort d'une imaginative Qui ne le cède point à personne qui vive ! C'est une rare pièce ! et digne sur ma foi, Qu'on en fasse présent au cabinet d'un Roi ! Tant pis. Je crois que vous seriez un maître d'Arme expert : Vous savez à merveille en toutes aventures Prendre les contretemps, et rompre les mesures. Laissons là ce discours, et parlons d'autre chose, Je ne m'apaise pas, non, si facilement, Je suis trop en colère ; il faut premièrement Me rendre un bon office, et nous verrons ensuite, Si je dois de vos feux reprendre la conduite. De quelle vision sa cervelle est frappée ! Vous êtes de l'humeur de ces amis d'épée, Que l'on trouve toujours plus prompts à dégainer, Qu'à tirer un teston, s'il fallait le donner. C'est que de votre père, Il faut absolument apaiser la colère. Oui, mais non pas pour nous. Je l'ai fait ce matin mort pour l'amour de vous ; La vision le choque, et de pareilles feintes Aux vieillards, comme lui, sont de dures atteintes, Qui sur l'état prochain de leur condition, Leur font faire à regret triste réflexion : Le bon homme, tout vieux, chérit fort la lumière, Et ne veut point de jeu dessus cette matière ; Il craint le pronostic, et contre moi fâché, On m'a dit qu'en justice il m'avait recherché : J'ai peur, si le logis du Roi fait ma demeure, De m'y trouver si bien dès le premier quart d'heure, Que j'aie peine aussi d'en sortir par après : Contre moi dès longtemps on a force décrets ; Car enfin, la vertu n'est jamais sans envie, Et dans ce maudit siècle, est toujours poursuivie. Allez donc le fléchir. Ah ! mon Dieu, nous verrons. Ma foi, prenons haleine après tant de fatigues, Cessons pour quelque temps le cours de nos intrigues, Et de nous tourmenter de même qu'un lutin : Léandre, pour nous nuire, est hors de garde enfin, Et Célie, arrêtée avecque l'artifice… Quoi donc ? Non. Oui ! suffit ; il n'est pas au comble de sa joie, Je pourrai bien tantôt lui souffler cette proie ; Et contre cet assaut je sais un coup fourré, Par qui je veux qu'il soit de lui-même enferré ; Il ne sait pas les dons dont mon âme est pourvue. Adieu, nous boirons pinte à la première vue. Il faut, il faut tirer à nous ce que d'heureux Pourrait avoir en soi ce projet amoureux, Et par une surprise adroite et non commune, Sans courir le danger en tenter la fortune : Si je vais me masquer pour devancer ses pas, Léandre assurément ne nous bravera pas ; Et là premier que lui, si nous faisons la prise, Il aura fait pour nous les frais de l'entreprise ; Puisque par son dessein déjà presque éventé, Le soupçon tombera toujours de son côté, Et que nous à couvert de toutes ses poursuites, De ce coup hasardeux ne craindrons point les suites ; C'est ne se point commettre à faire de l'éclat, Et tirer les marrons de la patte du chat : Allons donc nous masquer avec quelques bons frères, Pour prévenir nos gens, il ne faut tarder guères. Je sais où gît le lièvre, et me puis sans travail Fournir en un moment d'hommes, et d'attirail ; Croyez que je mets bien mon adresse en usage, Si j'ai reçu du Ciel les fourbes en partage, Je ne suis point au rang de ces esprits mal nés Qui cachent les talents que Dieu leur a donnés. Nennida, c'est quelque autre. Adieu, sublime esprit ; rare imaginative. Au grand diable d'Enfer. Tarare, allons camarades, allons. J'entends venir des gens qui sont sur nos talons. Vous voilà fagoté d'une plaisante sorte. Toujours de ma colère on me voit revenir ; J'ai beau jurer, pester, je ne m'en puis tenir. Baste, songez à vous, dans ce nouveau dessein ; Au moins, si l'on vous voit commettre une sottise, Vous n'imputerez plus l'erreur à la surprise, Votre rôle en ce jeu par cœur doit être su. D'un zèle simulé j'ai bridé le bon sire ; Avec empressement je suis venu lui dire, S'il ne songeait à lui, que l'on le surprendrait, Que l'on couchait en joue, et de plus d'un endroit, Celle, dont il a vu, qu'une lettre en avance, Avait si faussement divulgué la naissance ; Qu'on avait bien voulu m'y mêler quelque peu ; Mais que j'avais tiré mon épingle du jeu : Et que, touché d'ardeur pour ce qui le regarde, Je venais l'avertir de se donner de garde. De là, moralisant, j'ai fait de grands discours, Sur les fourbes qu'on voit ici-bas tous les jours ; Que, pour moi, las du monde, et de sa vie infâme, Je voulais travailler au salut de mon âme ; À m'éloigner du trouble, et pouvoir longuement, Près de quelque honnête homme être paisiblement : Que s'il le trouvait bon, je n'aurais d'autre envie, Que de passer chez lui le reste de ma vie ; Et que même à tel point il m'avait su ravir, Que sans lui demander gages pour le servir, Je mettrais en ses mains, que je tenais certaines, Quelque bien de mon père, et le fruit de mes peines, Dont, advenant que Dieu de ce monde m'ôtât, J'entendais tout de bon que lui seul héritât. C'était le vrai moyen d'acquérir sa tendresse, Et, comme pour résoudre avec votre maîtresse, Des biais qu'on doit prendre à terminer vos vœux, Je voulais en secret vous aboucher tous deux, Lui-même a su m'ouvrir une voie assez belle, De pouvoir hautement vous loger avec elle, Venant m'entretenir d'un fils privé du jour, Dont cette nuit en songe il a vu le retour : À ce propos, voici l'histoire qu'il m'a dite, Et sur qui j'ai tantôt notre fourbe construite. Oui, oui ; mais quand j'aurais passé jusques à trois, Peut-être encor qu'avec toute sa suffisance, Votre esprit manquera dans quelque circonstance. Ah ! de peur de tomber, ne courons pas si fort. Voyez-vous ? vous avez la caboche un peu dure : Rendez-vous affermi dessus cette aventure. Autrefois Trufaldin de Naples est sorti, Et s'appelait alors Zanobio Ruberti : Un parti qui causa quelque émeute civile, Dont il fut seulement soupçonné dans sa ville, De fait, il n'est pas homme à troubler un État, L'obligea d'en sortir une nuit sans éclat. Une fille fort jeune, et sa femme laissées, À quelque temps de là se trouvant trépassées, Il en eut la nouvelle, et dans ce grand ennui, Voulant dans quelque ville emmener avec lui, Outre ses biens, l'espoir qui restait de sa race, Un sien fils Écolier, qui se nommait Horace ; Il écrit à Bologne, où pour mieux être instruit, Un certain maître Albert jeune l'avait conduit ; Mais, pour se joindre tous, le rendez-vous qu'il donne, Durant deux ans entiers ne lui fit voir personne : Si bien, que les jugeant morts après ce temps-là, Il vint en cette ville, et prit le nom qu'il a ; Sans que de cet Albert, ni de ce fils Horace, Douze ans aient découvert jamais la moindre trace. Voilà l'histoire en gros, redite seulement, Afin de vous servir ici de fondement. Maintenant, vous serez un marchand d'Arménie, Qui les aurez vus sains l'un et l'autre en Turquie. Si j'ai plutôt qu'aucun, un tel moyen trouvé, Pour les ressusciter sur ce qu'il a rêvé ; C'est qu'en fait d'aventure, il est très ordinaire, De voir gens pris sur mer par quelque Turc Corsaire, Puis être à leur famille à point nommé rendus, Après quinze ou vingt ans qu'on les a crus perdus. Pour moi, j'ai vu déjà cent contes de la sorte. Sans nous alambiquer, servons-nous-en, qu'importe ? Vous leur aurez ouï leur disgrâce conter ; Et leur aurez fourni de quoi se racheter. Mais que parti plus tôt, pour chose nécessaire, Horace vous chargea de voir ici son père, Dont il a su le sort, et chez qui vous devez Attendre quelques jours qu'ils y seraient arrivés ; Je vous ai fait tantôt des leçons étendues. Je m'en vais là-dedans donner le premier trait. Belle difficulté ! devez-vous pas savoir Qu'il était fort petit alors qu'il l'a pu voir ; Et puis, outre cela, le temps et l'esclavage, Pourraient-ils pas avoir changé tout son visage ? De mémoire êtes-vous dépourvu ? Nous avons dit tantôt, qu'outre que votre image N'avait dans son esprit pu faire qu'un passage, Pour ne vous avoir vu que durant un moment, Et le poil et l'habit déguisaient grandement. Tout, vous dis-je, est égal, Turquie, ou Barbarie. Tunis. Il me tiendra, je crois, jusques au soir : La répétition, dit-il, est inutile, Et j'ai déjà nommé douze fois cette ville. Au moins, soyez prudent, et vous conduisez bien ; Ne donnez point ici de l'imaginative. Horace dans Bologne Écolier ; Trufaldin Zanobio Ruberti, dans Naples Citadin ; Le Précepteur Albert… Non pas du tout ; mais bien quelque chose approchant. C'est à vous de rêver, et de faire des songes, Puisqu'en vous, il est faux, que songes sont mensonges. C'est ce que je disais : Mais on voit des rapports admirables parfois. Quelque peu moins, je crois. Le sang, bien autrement, conserve cette image ; Par des traits si profonds, ce portrait est tracé, Que mon père… Oh ! cerveau malhabile ! Vous ne l'entendez pas, il veut dire Tunis, Et c'est en effet là qu'il laissa votre fils : Mais les Arméniens ont tous une habitude, Certain vice de langue à nous autres fort rude ; C'est que dans tous les mots, ils changent nis en rin, Et pour dire Tunis, ils prononcent Turin. Voyez s'il répondra. Je repassais un peu Quelque leçon d'escrime ; autrefois en ce jeu Il n'était point d'adresse à mon adresse égale, Et j'ai battu le fer en mainte et mainte salle. Ah ! Seigneur Zanobio Ruberti, quelle joie Est celle maintenant que le Ciel vous envoie ! Naples est un séjour qui paraît agréable : Mais, pour vous, ce doit être un lieu fort haïssable. Ce pauvre maître Albert a beaucoup de mérite, D'avoir depuis Bologne accompagné ce fils, Qu'à sa discrétion vos soins avaient commis. Nous sommes perdus, si cet entretien dure. Je ne sais ce que c'est, je ne fais que bâiller ; Mais, Seigneur Trufaldin, songez-vous que peut-être, Ce Monsieur l'Étranger a besoin de repaître ? Et qu'il est tard aussi ? Ah ! vous avez plus faim que vous ne pensez pas. Monsieur, en Arménie, Les maîtres du logis sont sans cérémonie. Pauvre esprit ! pas deux mots ! Voici notre rival qui ne sait pas la pièce. Bientôt de notre fourbe on verra le débris, Si vous continuez des sottises si grandes. Coussi, coussi ; Témoin les Turcs par vous appelés hérétiques, Et que vous assurez, par serments authentiques, Adorer pour leurs Dieux la Lune, et le Soleil. Passe : ce qui me donne un dépit nonpareil, C'est, qu'ici votre amour étrangement s'oublie Près de Célie, il est ainsi que la bouillie, Qui par un trop grand feu s'enfle, croît jusqu'aux bords, Et de tous les côtés se répand au dehors. Oui, mais ce n'est pas tout que de ne parler pas ; Par vos gestes, durant un moment de repas, Vous avez aux soupçons donné plus de matière, Que d'autres ne feraient dans une année entière. Comment ? chacun a pu le voir. À table, où Trufaldin l'oblige de se seoir, Vous n'avez toujours fait qu'avoir les yeux sur elle ; Rouge, tout interdit, jouant de la prunelle, Sans prendre jamais garde à ce qu'on vous servait, Vous n'aviez point de soif qu'alors qu'elle buvait ; Et dans ses propres mains vous saisissant du verre, Sans le vouloir rincer, sans rien jeter à terre, Vous buviez sur son reste, et montriez d'affecter Le côté qu'à sa bouche elle avait su porter. Sur les morceaux touchés de sa main délicate, Ou mordus de ses dents, vous étendiez la patte Plus brusquement qu'un chat dessus une souris, Et les avaliez tout ainsi que des pois gris. Puis, outre tout cela, vous faisiez sous la table, Un bruit, un triquetrac de pieds insupportable ; Dont Trufaldin, heurté de deux coups trop pressants, A puni par deux fois, deux chiens très innocents, Qui, s'ils eussent osé, vous eussent fait querelle : Et, puis après cela votre conduite est belle ? Pour moi, j'en ai souffert la gêne sur mon corps ; Malgré le froid, je sue encor de mes efforts ; Attaché dessus vous, comme un joueur de boule, Après le mouvement de la sienne qui roule, Je pensais retenir toutes vos actions, En faisant de mon corps mille contorsions. Nous parlions des fortunes d'Horace. Non : mais si vous voulez je ne tarderai guère, Sans doute à le savoir. Mais, pour qui, je vous prie, un tel préparatif ? Quoi ? vous ne croyez pas ?… Ah ! vous me faites tort ! s'il faut qu'on vous affronte ; Croyez qu'il m'a trompé le premier à ce conte. Oui-da, très volontiers, je l'épousterai bien, Et par là vous verrez que je n'y trempe en rien. Ah ! vous serez rossé, Monsieur de l'Arménie, Qui toujours gâtez tout. Feindre avoir vu son fils en une autre contrée ! Pour vous donner chez lui plus aisément entrée. C'est ainsi Que les fourbes… Sont ajustés ici. Garde-moi bien cela. Tirez, tirez, vous dis-je, ou bien je vous assomme. Peut-on vous demander comme va votre dos ? Voilà, voilà que c'est, de ne voir pas Jeannette, Et d'avoir en tout temps une langue indiscrète ; Mais pour cette fois-ci, je n'ai point de courroux, Je cesse d'éclater, de pester contre vous ; Quoique de l'action l'imprudence soit haute, Ma main sur votre échine a lavé votre faute. Vous vous êtes causé vous-même tout le mal. Si vous n'étiez pas une cervelle folle, Quand vous avez parlé naguère à votre idole, Vous auriez aperçu Jeannette sur vos pas, Dont l'oreille subtile a découvert le cas. Et d'où doncques viendrait cette prompte sortie ? Oui, vous n'êtes dehors que par votre caquet ; Je ne sais si souvent vous jouez au piquet ; Mais, au moins, faites-vous des écarts admirables. Je ne fis jamais mieux que d'en prendre l'emploi ; Par là, j'empêche au moins que de cet artifice Je ne sois soupçonné d'être auteur, ou complice. Quelque sot, Trufaldin lorgnait exactement. Et puis je vous dirai, sous ce prétexte utile, Je n'étais point fâché d'évaporer ma bile : Enfin la chose est faite, et si j'ai votre foi, Qu'on ne vous verra point vouloir venger sur moi ; Soit, ou directement, ou par quelque autre voie, Les coups sur votre râble assenés avec joie, Je vous promets aidé par le poste où je suis, De contenter vos vœux avant qu'il soit deux nuits. Vous le promettez donc ? Ce n'est pas encor tout, promettez que jamais Vous ne vous mêlerez dans quoi que j'entreprenne. Si vous y manquez, votre fièvre quartaine. Allez quitter l'habit, et graisser votre dos. Quoi ! vous n'êtes pas loin ! sortez vite d'ici ; Mais, surtout, gardez‑vous de prendre aucun souci : Puisque je fais pour vous, que cela vous suffise ; N'aidez point mon projet de la moindre entreprise… Demeurez en repos. Il faut voir maintenant quel biais je prendrai. Sans doute, c'est l'amant dont Célie a parlé. Fut-il jamais destin plus brouillé que le nôtre ! Sortant d'un embarras, nous entrons dans un autre. En vain nous apprenons que Léandre est au point De quitter la partie, et ne nous troubler point ; Que son père, arrivé contre toute espérance, Du côté d'Hippolyte emporte la balance ; Qu'il a tout fait changer par son autorité, Et va dès aujourd'hui conclure le traité ; Lorsqu'un rival s'éloigne, un autre plus funeste S'en vient nous enlever tout l'espoir qui nous reste : Toutefois, par un trait merveilleux de mon art, Je crois que je pourrai retarder leur départ, Et me donner le temps qui sera nécessaire, Pour tâcher de finir cette fameuse affaire. Il s'est fait un grand vol, par qui, l'on n'en sait rien ; Eux autres rarement passent pour gens de bien : Je veux adroitement sur un soupçon frivole, Faire pour quelques jours emprisonner ce drôle ; Je sais des Officiers de justice altérés, Qui sont pour de tels coups de vrais délibérés : Dessus l'avide espoir de quelque paraguante, Il n'est rien que leur art aveuglément ne tente, Et du plus innocent, toujours à leur profit La bourse est criminelle, et paie son délit. Ah chien ! ah double chien ! mâtine de cervelle, Ta persécution sera-t-elle éternelle ? Le traître ne sait pas que cet Égyptien, Est déjà là‑dedans pour lui ravir son bien. Oui, je suis stupéfait de ce dernier prodige ; On dirait, et pour moi, j'en suis persuadé, Que ce démon brouillon, dont il est possédé, Se plaise à me braver, et me l'aille conduire, Partout où sa présence est capable de nuire. Pourtant, je veux poursuivre, et malgré tous ces coups, Voir qui l'emportera de ce diable, ou de nous : Célie est quelque peu de notre intelligence, Et ne voit son départ qu'avec répugnance ; Je tâche à profiter de cette occasion : Mais ils viennent ; songeons à l'exécution. Cette maison meublée est en ma bienséance, Je puis en disposer avec grande licence ; Si le sort nous en dit, tout sera bien réglé, Nul que moi ne s'y tient, et j'en garde la clé. Oh ! Dieu, qu'en peu de temps on a vu d'aventures ! Et qu'un fourbe est contraint de prendre de figures ! Moi, pour serfir à fous. Oui, moi pour d'estrancher chappon champre garni ; Mais ché non point locher te gent te méchant vi. Fous nouviau dant sti fil, moi foir à la fissage. La matame est-il mariage al montsieur ? S'il être son fame, ou s'il être son sœur ? Mon foi, pien choli : finir pour marchandisse, Ou pien pour temanter à la Palais choustice ? La procès, il fault rien, il coûter tant tarchant ; La procurair larron, la focat pien méchant. Fous tonc mener sti file, Pour fenir pourmener, et recarter la file ? Li ne porte pas pien ? Moi, chavoir de pon fin, et de fromage pon. Entre fous, entre fous, dans mon petit maisson. Hé bien ! ne voilà pas mon enragé de maître ! Il nous va faire encor quelque nouveau bissêtre. Moi souis ein chant honneur, moi non point Maquerille, Chai point fentre chamais le fame ni le fille. Alle fous pourmener, sans toi rire te moi. Partieu, tiaple, mon foi jamais toi chai connaître. Si toi point en aller, chai paille ein cou te point. Si vous êtes d'accord par un bonheur extrême, Je me dessuisse donc, et redeviens moi-même. Que j'ai l'âme ravie, De voir d'un beau succès notre peine suivie. Comme je vous connais, j'étais dans l'épouvante, Et trouve l'aventure aussi fort surprenante. Soit, vous aurez été bien plus heureux que sage. Je ris, et toutefois je n'en ai guère envie, Vous voilà bien d'accord, il vous donne Célie. Et… Vous m'entendez bien. Voilà le vrai moyen d'achever son destin ; Il ne lui manque plus que de mourir, enfin, Pour le couronnement de toutes ses sottises ; Mais en vain son dépit pour ses fautes commises, Lui fait licencier mes soins et mon appui ; Je veux, quoi qu'il en soit, le servir malgré lui, Et dessus son lutin obtenir la victoire : Plus l'obstacle est puissant, plus on reçoit de gloire, Et les difficultés dont on est combattu, Sont les dames d'atour qui parent la vertu. Ce sont, à dire vrai, de très fâcheux obstacles, Et je ne sais point l'art de faire des miracles : Mais je vais employer mes efforts plus puissants, Remuer terre et Ciel, m'y prendre de tout sens, Pour tâcher de trouver un biais salutaire ; Et vous dirai bientôt ce qui se pourra faire. Grande ! grande nouvelle, et succès surprenant ! Que ma bouche vous vient annoncer maintenant. Écoutez, voici, sans flatterie… La fin d'une vraie et pure Comédie ; La vieille Égyptienne à l'heure même… Passait dedans la place, et ne songeait à rien, Alors qu'une autre vieille assez défigurée, L'ayant de près, au nez, longtemps considérée ; Par un bruit enroué de mots injurieux, A donné le signal d'un combat furieux : Qui pour armes, pourtant, mousquets, dagues ou flèches, Ne faisait voir en l'air que quatre griffes sèches ; Dont ces deux combattants s'efforçaient d'arracher, Ce peu que sur leurs os les ans laissent de chair : On n'entend que ces mots, chienne, louve, bagace ; D'abord leurs scoffions ont volé par la place, Et laissant voir à nu deux têtes sans cheveux, Ont rendu le combat risiblement affreux. Andrès, et Trufaldin, à l'éclat du murmure, Ainsi que force monde, accourus d'aventure, Ont, à les décharpir, eu de la peine assez, Tant leurs esprits étaient par la fureur poussés ; Cependant que chacune après cette tempête, Songe à cacher aux yeux la honte de sa tête, Et que l'on veut savoir qui causait cette humeur, Celle qui la première avait fait la rumeur, Malgré la passion dont elle était émue, Ayant sur Trufaldin tenu longtemps la vue ; C'est vous, si quelque erreur n'abuse ici mes yeux, Qu'on m'a dit qui viviez inconnu dans ces lieux, A-t-elle dit tout haut : oh ! rencontre opportune ! Oui, Seigneur Zanobio Ruberti, la fortune Me fait vous reconnaître, et dans le même instant, Que pour votre intérêt je me tourmentais tant : Lorsque Naples vous vit quitter votre famille, J'avais, vous le savez, en mes mains votre fille, Dont j'élevais l'enfance, et qui par mille traits, Faisait voir dès quatre ans sa grâce et ses attraits ; Celle que vous voyez, cette infâme sorcière, Dedans notre maison se rendant familière, Me vola ce trésor. Hélas ! de ce malheur Votre femme, je crois, conçut tant de douleur, Que cela servit fort pour avancer sa vie : Si bien qu'entre mes mains cette fille ravie, Me faisant redouter un reproche fâcheux, Je vous fis annoncer la mort de toutes deux : Mais il faut maintenant, puisque je l'ai connue, Qu'elle fasse savoir ce qu'elle est devenue ; Au nom de Zanobio Ruberti, que sa voix, Pendant tout ce récit répétait plusieurs fois : Andrès, ayant changé quelque temps de visage, À Trufaldin surpris, a tenu ce langage. Quoi donc ! le Ciel me fait trouver heureusement, Celui que jusqu'ici j'ai cherché vainement ! Et que j'avais pu voir, sans pourtant reconnaître La source de mon sang, et l'auteur de mon être ! Oui, mon père, je suis Horace votre fils, D'Albert qui me gardait les jours étant finis, Me sentant naître au cœur d'autres inquiétudes, Je sortis de Bologne, et quittant mes études, Portai durant six ans mes pas en divers lieux, Selon que me poussait un désir curieux ; Pourtant, après ce temps, une secrète envie Me pressa de revoir les miens, et ma patrie ; Mais dans Naples, hélas ! je ne vous trouvai plus, Et n'y sus votre sort que par des bruits confus : Si bien, qu'à votre quête ayant perdu mes peines, Venise pour un temps borna mes courses vaines ; Et j'ai vécu depuis, sans que de ma maison, J'eusse d'autres clartés que d'en savoir le nom. Je vous laisse à juger, si pendant ces affaires, Trufaldin ressentait des transports ordinaires. Enfin, pour retrancher ce que plus à loisir, Vous aurez le moyen de vous faire éclaircir, Par la confession de votre Égyptienne, Trufaldin maintenant vous reconnaît pour sienne ; Andrès est votre frère, et comme de sa sœur Il ne peut plus songer à se voir possesseur, Une obligation qu'il prétend reconnaître, A fait qu'il vous obtient pour épouse à mon maître ; Dont le père, témoin de tout l'événement, Donne à cette hyménée un plein consentement ; Et pour mettre une joie entière en sa famille, Pour le nouvel Horace a proposé sa fille. Voyez que d'incidents à la fois enfantés. Tous viennent sur mes pas, hors les deux championnes, Qui du combat encor remettent leurs personnes : Léandre est de la troupe, et votre père aussi : Moi, je vais avertir mon maître de ceci ; Et que, lorsqu'à ses vœux on croit le plus d'obstacle, Le Ciel en sa faveur produit comme un miracle. Voyons si votre diable aura bien le pouvoir De détruire à ce coup un si solide espoir ; Et si contre l'excès du bien qui vous arrive, Vous armerez encor votre imaginative. Par un coup imprévu des destins les plus doux, Vos vœux sont couronnés, et Célie est à vous. Ahi, ahi ! doucement, je vous prie, Il m'a presque étouffé, je crains fort pour Célie. Si vous la caressez avec tant de transport : De vos embrassements on se passerait fort. Vous voilà tous pourvus ; n'est-il point quelque fille, Qui pût accommoder le pauvre Mascarille ; À voir chacun se joindre à sa chacune ici, J'ai des démangeaisons de mariage aussi. Allons donc ; et que les Cieux prospères Nous donnent des enfants dont nous soyons les pères. **** *creator_moliere *book_moliere_etourdi *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_etourdi *dist2_moliere_verse_comedy *id_hippolyte *date_1655 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_hippolyte Oui, traître, c'est ainsi que tu me rends service ; Je viens de tout entendre et voir ton artifice ; À moins que de cela l'eussé-je soupçonné ! Tu couches d'imposture, et tu m'en as donné ! Tu m'avais promis lâche, et j'avais lieu d'attendre, Qu'on te verrait servir mes ardeurs pour Léandre ; Que du choix de Lélie, où l'on veut m'obliger, Ton adresse et tes soins sauraient me dégager ; Que tu m'affranchirais du projet de mon père ; Et cependant ici tu fais tout le contraire : Mais tu t'abuseras, je sais un sûr moyen, Pour rompre cet achat où tu pousses si bien ; Et je vais de ce pas… Par quelle illusion penses-tu m'éblouir ? Traître, peux-tu nier ce que je viens d'ouïr. Quoi ! tout ce grand projet qui m'a mise en courroux, Tu l'as formé pour moi, Mascarille ! Hé ! ne me traite pas si rigoureusement, Et pardonne aux transports d'un premier mouvement. Hé ! mon pauvre garçon, que ta colère cesse ; J'ai mal jugé de toi, j'ai tort, je le confesse : Mais je veux réparer ma faute avec ceci. Pourrais‑tu te résoudre à me quitter ainsi ? Il est vrai je t'ai dit de trop grosses injures : Mais que ces deux Louis guérissent tes blessures. Pourras-tu mettre à fin ce que je me propose ? Et crois-tu que l'effet de tes desseins hardis Produise à mon amour le succès que tu dis ? Crois qu'Hippolyte au moins ne sera pas ingrate. Ton maître te fait signe, et veut parler à toi ; Je te quitte : mais songe à bien agir pour moi. Je dois vous annoncer, Léandre, une nouvelle ; Mais la trouverez‑vous agréable, ou cruelle ? Donnez-moi donc la main Jusqu'au Temple, en marchant je pourrai vous l'apprendre. Depuis votre séjour, les Dames de ces lieux Se plaignent justement des larcins de vos yeux ; Si vous leur dérobez leurs conquêtes plus belles, Et de tous leurs Amants faites des infidèles, Il n'est guère de cœurs qui puissent échapper Aux traits, dont à l'abord vous savez les frapper ; Et mille libertés à vos chaînes offertes, Semblent vous enrichir chaque jour de nos pertes. Quant à moi, toutefois je ne me plaindrais pas, Du pouvoir absolu de vos rares appas ; Si lorsque mes Amants sont devenus les vôtres, Un seul m'eût consolé de la perte des autres : Mais qu'inhumainement vous me les ôtiez tous, C'est un dur procédé, dont je me plains à vous. Pourtant, en ce discours je n'ai rien avancé, Qui dans tous les esprits ne soit déjà passé ; Et, sans parler du reste, on sait bien que Célie A causé des désirs à Léandre et Lélie. Au contraire, j'agis d'un air tout différent, Et trouve en vos beautés un mérite si grand ; J'y vois tant de raisons capables de défendre L'inconstance de ceux qui s'en laissent surprendre, Que je ne puis blâmer la nouveauté des feux, Dont envers moi Léandre a parjuré ses vœux ; Et le vais voir tantôt, sans haine et sans colère, Ramené sous mes lois par le pouvoir d'un père. Un tel ravissement rend mes esprits confus, Que pour mon propre sort je n'en aurais pas plus. Mais les voici venir. En vain vous parleriez pour excuser vos feux, Si j'ai devant les yeux ce que vous pouvez dire. **** *creator_moliere *book_moliere_etourdi *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_etourdi *dist2_moliere_verse_comedy *id_anselme *date_1655 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_anselme Par mon chef, c'est un siècle étrange que le nôtre ! J'en suis confus ; jamais tant d'amour pour le bien, Et jamais tant de peine à retirer le sien. Les dettes aujourd'hui, quelque soin qu'on emploie, Sont comme les enfants que l'on conçoit en joie, Et dont avec peine on fait l'accouchement ; L'argent dans une bourse entre agréablement : Mais le terme venu que nous devons le rendre, C'est lorsque les douleurs commencent à nous prendre ; Baste ce n'est pas peu que deux mille francs dus, Depuis deux ans entiers me soient enfin rendus, Encore est-ce un bonheur. Et qui ? Que dit-elle de moi cette gente assassine ? Elle ? Que tu me rends content ! Mais pourquoi jusqu'ici me les avoir celées ? Les filles, par ma foi, sont bien dissimulées ! Mascarille, en effet, qu'en dis-tu ? quoique vieux, J'ai de la mine encore assez pour plaire aux yeux. Si bien donc… Quoi ? Et me veut… La ? Ah ! je t'entends. Viens çà, lorsque tu la verras, Vante-lui mon mérite autant que tu pourras. Adieu. Ah ! vraiment je faisais une étrange sottise, Et tu pouvais pour toi m'accuser de froideur : Je t'engage à servir mon amoureuse ardeur, Je reçois par ta bouche une bonne nouvelle, Sans du moindre présent récompenser ton zèle ; Tiens, tu te souviendras… Laisse-moi. Je le sais, mais pourtant… Adieu donc, Mascarille. Je veux Régaler par tes mains cet objet de mes vœux ; Et je vais te donner de quoi faire pour elle L'achat de quelque bague, ou telle bagatelle Que tu trouveras bon. Soit, donne-la pour moi ; mais surtout fais si bien, Qu'elle garde toujours l'ardeur de me voir sien. Ah ! Dieux, elle m'était tombée, Et j'aurais après cru qu'on me l'eût dérobée ; Je vous suis bien tenu de ce soin obligeant, Qui m'épargne un grand trouble, et me rend mon argent : Je vais m'en décharger au logis tout à l'heure. Être mort de la sorte ! N'avoir pas seulement le temps d'être malade ! Et Lélie ? N'importe, tu devais attendre jusqu'au soir, Outre qu'encore un coup j'aurais voulu le voir. Qui tôt ensevelit bien souvent assassine, Et tel est cru défunt qui n'en a que la mine. Tu me l'as déjà dit, et je m'en vais le voir. Sortons, je ne saurais qu'avec douleur très forte, Le voir empaqueté de cette étrange sorte : Las ! en si peu de temps ! il vivait ce matin ! Mais quoi ? cher Lélie, enfin il était homme : On n'a point pour la mort de dispense de Rome. Sans leur dire gare elle abat les humains, Et contre eux de tout temps a de mauvais desseins. Ce fier animal pour toutes les prières, Ne perdrait pas un coup de ses dents meurtrières, Tout le monde y passe. Si malgré ces raisons votre ennui persévère, Mon cher Lélie, au moins, faites qu'il se modère. Au reste, sur l'avis de votre serviteur, J'apporte ici l'argent qui vous est nécessaire, Pour faire célébrer les obsèques d'un père… Je sais que vous verrez aux papiers du bonhomme, Que je suis débiteur d'une plus grande somme : Mais, quand par ces raisons je ne vous devrais rien, Vous pourriez librement disposer de mon bien. Tenez, je suis tout vôtre, et le ferai paraître. Mascarille, je crois qu'il serait à propos, Qu'il me fît de sa main un reçu de deux mots. Des événements l'incertitude est grande. Faisons-lui signer le mot que je demande. Le monde est rempli de beaucoup de traverses. Chaque homme tous les jours en ressent de diverses, Et jamais ici-bas… Ah ! bons Dieux, je frémis ! Pandolfe qui revient ! fût-il bien endormi. Comme depuis sa mort sa face est amaigrie ! Las ! ne m'approchez pas de plus près, je vous prie ; J'ai trop de répugnance à coudoyer un mort. Dites‑moi de bien loin quel sujet vous amène. Si pour me dire adieu vous prenez tant de peine, C'est trop de courtoisie, et véritablement, Je me serais passé de votre compliment. Si votre âme est en peine et cherche des prières, Las ! je vous en promets, et ne m'effrayez guères. Foi d'homme épouvanté, je vais faire à l'instant Prier tant Dieu pour vous que vous serez content. Disparaissez donc, je vous prie, Et que le Ciel par sa bonté, Comble de joie et de santé Votre défunte seigneurie. Las ! pour un trépassé vous êtes bien gaillard ! Hélas ! vous êtes mort, et je viens de vous voir. Sitôt que Mascarille en a dit la nouvelle, J'en ai senti dans l'âme une douleur mortelle. Vous êtes habillé D'un corps aérien qui contrefait le vôtre, Mais qui dans un moment peut devenir tout autre. Je crains fort de vous voir comme un géant grandir, Et tout votre visage affreusement laidir. Pour Dieu, ne prenez point de vilaine figure ; J'ai prou de ma frayeur en cette conjoncture. M'aurait-on joué pièce, et fait supercherie ? Ah ! vraiment ma raison, vous seriez fort jolie ! Touchons un peu pour voir : en effet c'est bien lui. Malepeste du sot, que je suis aujourd'hui ! De grâce, n'allez pas divulguer un tel conte ; On en ferait jouer quelque farce à ma honte : Mais, Pandolfe, aidez-moi vous-même à retirer L'argent que j'ai donné pour vous faire enterrer. Et moi, la bonne dupe, à trop croire un vaurien, Il faut donc qu'aujourd'hui je perde, et sens et bien ? Il me sied bien, ma foi, de porter tête grise, Et d'être encor si prompt à faire une sottise ! D'examiner si peu sur un premier rapport… Mais je vois… À ce que je puis voir, votre douleur vous quitte ? Je reviens sur mes pas, vous dire, avec franchise, Que tantôt avec vous j'ai fait une méprise ; Que parmi ces Louis, quoiqu'ils semblent très beaux, J'en ai sans y penser mêlé que je tiens faux, Et j'apporte sur moi de quoi mettre en leur place : De nos faux-monnayeurs l'insupportable audace, Pullule en cet État d'une telle façon, Qu'on ne reçoit plus rien qui soit hors de soupçon : Mon Dieu, qu'on ferait bien de les faire tous pendre ! Je les connaîtrai bien, montrez, montrez-les-moi : Est-ce tout ? Tant mieux ; enfin je vous raccroche, Mon argent bien aimé, rentrez dedans ma poche ; Et vous, mon brave Escroc, vous ne tenez plus rien ; Vous tuez donc des gens qui se portent fort bien ; Et qu'auriez-vous donc fait sur moi, chétif beau-père ? Ma foi, je m'engendrais d'une belle manière ! Et j'allais prendre en vous un beau‑fils fort discret. Allez, allez mourir de honte, et de regret. Arrêtez-vous, Léandre, et souffrez un discours, Qui cherche le repos et l'honneur de vos jours : Je ne vous parle point en père de ma fille, En homme intéressé pour ma propre famille ; Mais comme votre père ému pour votre bien, Sans vouloir vous flatter, et vous déguiser rien ; Bref, comme je voudrais, d'une âme franche et pure, Que l'on fît à mon sang, en pareille aventure. Savez-vous de quel œil chacun voit cet amour, Qui dedans une nuit vient d'éclater au jour ? À combien de discours, et de traits de risée, Votre entreprise d'hier est partout exposée ? Quel jugement on fait du choix capricieux, Qui pour femme, dit-on, vous désigne en ces lieux ? Un rebut de l'Égypte, une fille coureuse, De qui le noble emploi n'est qu'un métier de gueuse ? J'en ai rougi pour vous, encor plus que pour moi, Qui me trouve compris dans l'éclat que je vois, Moi, dis-je, dont la fille à vos ardeurs promise, Ne peut sans quelque affront souffrir qu'on la méprise. Ah ! Léandre, sortez de cet abaissement ; Ouvrez un peu les yeux sur votre aveuglement : Si notre esprit n'est pas sage à toutes les heures, Les plus courtes erreurs sont toujours les meilleures. Quand on ne prend en dot que la seule beauté, Le remords est bien près de la solennité, Et la plus belle femme a très peu de défense, Contre cette tiédeur qui suit la jouissance : Je vous le dis encor, ces bouillants mouvements, Ces ardeurs de jeunesse, et ces emportements, Nous font trouver d'abord quelques nuits agréables : Mais ces félicités ne sont guère durables, Et notre passion alentissant son cours, Après ces bonnes nuits donnent de mauvais jours. De là viennent les soins, les soucis, les misères, Les fils déshérités par le courroux des pères. On ouvre cette porte, Retirons-nous plus loin, de crainte qu'il n'en sorte Quelque secret poison dont vous seriez surpris. J'ai ton fait. **** *creator_moliere *book_moliere_etourdi *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_etourdi *dist2_moliere_verse_comedy *id_trufaldin *date_1655 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_trufaldin Célie. Que faites-vous dehors ? et quel soin vous talonne, Vous à qui je défends de parler à personne. Très humble serviteur. Quoi ! te mêlerais‑tu d'un peu de diablerie ? Ho ! Ho ! qui des deux croire, Ce discours au premier est fort contradictoire. Je sais ce que je sais ; J'ai crainte ici dessous de quelque manigance : Rentrez, et ne prenez jamais cette licence : Et vous filous fieffés, ou je me trompe fort, Mettez pour me jouer vos flûtes mieux d'accord. Quand on viendra tantôt, c'est une affaire faite. Que voulez-vous ? Oui, je reconnais bien la bague que voilà : Je vais querir l'esclave, arrêtez un peu là. Et qui ? Et que lui voulez‑vous ? Vous le voyez ici. Quoiqu'à leur Nation bien peu de foi soit due, Ils me l'avaient bien dit, ceux qui me l'ont vendue, Que je verrais dans peu quelqu'un la retirer, Et que je n'aurais pas sujet d'en murmurer : Et cependant j'allais par mon impatience, Perdre aujourd'hui les fruits d'une haute espérance. Un seul moment plus tard tous vos pas étaient vains : J'allais mettre en l'instant cette fille en ses mains ; Mais suffit, j'en aurai tout le soin qu'on désire. Vous-même, vous voyez ce que je viens de lire : Vous direz à celui qui vous a fait venir, Que je ne lui saurais ma parole tenir. Qu'il vienne retirer son argent. Va, sans causer davantage. Qu'est-ce ? qui me vient voir ? Pourquoi ? Oh ! Dieux ! Oh ! les plaisants robins qui pensent me surprendre ! Allez, fourbes méchants ; retirez-vous d'ici, Canaille ; et vous, Seigneur, bonsoir, et grand merci. Quoi ! masques toute nuit assiégeront ma porte ! Messieurs, ne gagnez point de rhumes à plaisir, Tout cerveau qui le fait, est certes de loisir ; Il est un peu trop tard pour enlever Célie, Dispensez-l'en ce soir, elle vous en supplie : La belle est dans le lit, et ne peut vous parler ; J'en suis fâché pour vous : Mais, pour vous régaler Du souci qui pour elle ici vous inquiète, Elle vous fait présent de cette cassolette. Sois béni, juste Ciel ! de mon sort adouci. Quelle grâce, quels biens vous rendrai-je, Seigneur ? Vous, que je dois nommer l'Ange de mon bonheur. J'ai, je ne sais pas où, vu quelque ressemblance De cet Arménien. Vous avez vu ce fils où mon espoir se fonde ? Il vous a dit sa vie, et parlé fort de moi ? Cela pourrait-il être ? Si lorsqu'il m'a pu voir il n'avait que sept ans ? Et si son Précepteur, même depuis ce temps, Aurait peine à pouvoir connaître mon visage ? Suffit. Où l'avez-vous laissé ? Turin ? mais cette ville Est, je pense, en Piémont. Il fallait, pour l'entendre, avoir cette lumière. Quel moyen, vous dit-il, de rencontrer son père ? Ce n'est pas maintenant ce que je veux savoir. Quel autre nom dit-il que je devais avoir ? Mais où vous a-t-il dit qu'il reçut la clarté ? Ne peux‑tu sans parler, souffrir notre discours ? Où l'envoyai-je jeune ? et sous quelle conduite ? Ah ! Je voudrais bien savoir de vous leur aventure ; Sur quel vaisseau le sort qui m'a su travailler… Entrez donc. C'est bien fait. Cependant me ferez-vous la grâce Que je puisse lui dire un seul mot en secret ? Écoute, sais-tu bien ce que je viens de faire ? D'un chêne grand et fort, Dont près de deux cents ans ont fait déjà le sort, Je viens de détacher une branche admirable, Choisie expressément, de grosseur raisonnable, Dont j'ai fait sur-le-champ avec beaucoup d'ardeur, Un bâton à peu près… oui, de cette grandeur ; Moins gros par l'un des bouts, mais plus que trente gaules Propre, comme je pense, à rosser les épaules ; Car il est bien en main, vert, noueux et massif. Pour toi premièrement, puis pour ce bon apôtre, Qui veut m'en donner d'une et m'en jouer d'un autre : Pour cet Arménien, ce Marchand déguisé, Introduit sous l'appât d'un conte supposé. Ne cherche point d'excuse, Lui-même heureusement a découvert sa ruse, Et disant à Célie, en lui serrant la main, Que pour elle il venait sous ce prétexte vain : Il n'a pas aperçu Jeannette ma fillole, Laquelle a tout ouï parole pour parole ; Et je ne doute point, quoiqu'il n'en ait rien dit, Que tu ne sois de tout le complice maudit. Veux-tu me faire voir que tu dis vérité ? Qu'à le chasser mon bras soit du tien assisté ; Donnons-en à ce fourbe, et du long et du large, Et de tout crime après mon esprit te décharge. Un mot, je vous supplie. Donc, monsieur l'imposteur, vous osez aujourd'hui Duper un honnête homme, et vous jouer de lui ? Vidons, vidons sur l'heure. Voilà qui me plaît fort ; rentre, je suis content. Ah ! ma fille. Sais-tu déjà comment le Ciel nous est prospère ? Mais en te recouvrant que diras-tu de moi ? Si je songe aussitôt à me priver de toi ? Et t'engage à son fils sous les lois d'hyménée ? Oui, mon gendre, il est vrai. Vous savez le bonheur que le Ciel me renvoie ; Mais puisqu'un même jour nous met tous dans la joie, Ne nous séparons point qu'il ne soit terminé, Et que son père aussi nous soit vite amené. **** *creator_moliere *book_moliere_etourdi *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_etourdi *dist2_moliere_verse_comedy *id_pandolfe *date_1655 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_pandolfe Mascarille, À parler franchement, Je suis mal satisfait de mon fils. Je vous croirais pourtant assez d'intelligence Ensemble. Querelle ! Je me trompais donc bien ; car j'avais la pensée, Qu'à tout ce qu'il faisait tu donnais de l'appui. C'est parler comme il faut. Et que peut-il répondre ? Parle. Tu dis bien. On m'en avait parlé ; mais l'action me touche, De voir que je l'apprenne encore par ta bouche. Vraiment, je suis ravi de cela. C'est très bien raisonné ; ce conseil me plaît fort ; Je vois Anselme, va, je m'en vais faire effort, Pour avoir promptement cette esclave funeste, Et la mettre en tes mains pour achever le reste. D'où peut donc provenir ce bizarre transport ? Malgré tout mon dépit, il m'y faut prendre part. Est-ce jeu ? dites-nous, ou bien si c'est folie, Qui traite de défunt une personne en vie ? Quoi ? j'aurais trépassé sans m'en apercevoir ? Mais enfin, dormez-vous ? êtes-vous éveillé ? Me connaissez-vous pas ? En une autre saison, cette naïveté, Dont vous accompagnez votre crédulité, Anselme, me serait un charmant badinage, Et j'en prolongerais le plaisir davantage : Mais avec cette mort un trésor supposé, Dont parmi les chemins on m'a désabusé, Fomente dans mon âme un soupçon légitime. Mascarille est un fourbe, et fourbe fourbissime, Sur qui ne peuvent rien la crainte, et le remords, Et qui pour ses desseins a d'étranges ressorts. De l'argent, dites-vous ? ah ! c'est donc l'enclouure. Voilà le nœud secret de toute l'aventure ; À votre dam. Pour moi, sans m'en mettre en souci, Je vais faire informer de cette affaire ici, Contre ce Mascarille, et si l'on peut le prendre, Quoi qu'il puisse coûter, je veux le faire pendre. La chose est résolue. **** *creator_moliere *book_moliere_etourdi *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_etourdi *dist2_moliere_verse_comedy *id_leandre *date_1655 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_leandre Grâces au Ciel, voilà mon bonheur hors d'atteinte, J'ai su me l'assurer, et je n'ai plus de crainte ; Quoi que désormais puisse entreprendre un rival, Il n'est plus en pouvoir de me faire du mal. D'où procède cela ? qu'est-ce ? que te fait‑on ? Qui ? Et pourquoi ? Ah ! vraiment il a tort. Écoute, Mascarille, et quitte ce transport ; Tu m'as plu de tout temps, et je souhaitais fort Qu'un garçon comme toi plein d'esprit et fidèle, À mon service un jour pût attacher son zèle : Enfin, si le parti te semble bon pour toi, Si tu veux me servir, je t'arrête, avec moi. Mon amour s'est rendu cet office lui-même, Enflammé d'un objet qui n'a point de défaut, Je viens de l'acheter moins encor qu'il ne vaut. Tu la verrais paraître, Si de mes actions j'étais tout à fait maître : Mais quoi ! mon père l'est, comme il a volonté, Ainsi que je l'apprends d'un paquet apporté, De me déterminer à l'hymen d'Hippolyte, J'empêche qu'un rapport de tout ceci l'irrite. Donc avec Trufaldin ; car je sors de chez lui, J'ai voulu tout exprès agir au nom d'autrui ; Et l'achat fait, ma bague est la marque choisie, Sur laquelle au premier il doit livrer Célie ; Je songe auparavant à chercher les moyens D'ôter aux yeux de tous ce qui charme les miens, À trouver promptement un endroit favorable, Où puisse être en secret cette captive aimable. Oui, ma foi, tu me fais un plaisir souhaité. Tiens donc, et va pour moi prendre cette beauté, Dès que par Trufaldin ma bague sera vue, Aussitôt en tes mains elle sera rendue, Et dans cette maison tu me la conduiras Quand… mais chut, Hippolyte est ici sur nos pas. Pour en pouvoir juger, et répondre soudain, Il faudrait la savoir. Va, vat'en me servir sans davantage attendre. De la chose lui‑même il m'a fait un récit ; Mais, c'est bien plus, j'ai su que tout ce beau mystère, D'un rapt d'Égyptiens, d'un grand Seigneur pour père, Qui doit partir d'Espagne, et venir en ces lieux, N'est qu'un pur stratagème, un trait facétieux, Une histoire à plaisir, un conte dont Lélie A voulu détourner notre achat de Célie. Et pourtant Trufaldin Est si bien imprimé de ce conte badin, Mord si bien à l'appât de cette faible ruse, Qu'il ne veut point souffrir que l'on le désabuse. Si d'abord à mes yeux elle parut aimable, Je viens de la trouver tout à fait adorable, Et je suis en suspens, si pour me l'acquérir, Aux extrêmes moyens je ne dois point courir, Par le don de ma foi rompre sa destinée, Et changer ses liens en ceux de l'hyménée. Je ne sais : mais enfin, Si quelque obscurité se trouve en son destin, Sa grâce et sa vertu sont de douces amorces, Qui pour tirer les cœurs ont d'incroyables forces. Quoi ! que murmures-tu ? Achève, explique-toi sur ce mot de vertu. Non, non, parle. Poursuis. Célie… Las ! que dis-tu ? croirai-je un discours de la sorte ! Quelle surprise étrange ! Oui d'un coup étonnant ce discours m'assassine. Va-t'en jusqu'à la poste, et vois Je ne sais quel paquet qui doit venir pour moi. Qui ne s'y fût trompé ? jamais l'air d'un visage, Si ce qu'il dit est vrai, n'imposa davantage. Moi ? Pourtant je n'en ai point sujet. Mon esprit ne court pas après si peu de chose. Si j'étais assez sot, pour chérir ses caresses, Je me moquerais bien de toutes vos finesses. Mon Dieu, nous savons tout. Votre procédé de l'un à l'autre bout. Feignez, si vous voulez, de ne me pas entendre ; Mais, croyez-moi, cessez de craindre pour un bien, Où je serais fâché de vous disputer rien ; J'aime fort la beauté qui n'est point profanée, Et ne veux point brûler pour une abandonnée. Ah ! que vous êtes bon ! Allez, vous dis-je encor, servez-la sans soupçon, Vous pourrez vous nommer homme à bonnes fortunes : Il est vrai, sa beauté n'est pas des plus communes ; Mais en revanche aussi le reste est fort commun. Ce que j'avance ici me vient de bonne part. Mais enfin Mascarille, D'un semblable procès est juge compétent ; C'est lui qui la condamne. Lui-même. Et moi gage que non. Moi, je lui couperais sur-le-champ les oreilles, S'il n'était pas garant de tout ce qu'il m'a dit. Halte un peu, retenez l'ardeur qui vous emporte. C'est trop que de vouloir le battre en ma présence. Comment vos gens ? C'est maintenant le nôtre. Pour quelque mal commis, Hors de votre service il n'a pas été mis ? Et plein de violence, Vous n'avez pas chargé son dos avec outrance ? Donc les coups de bâton ne sont qu'imaginaires. Non, non, Tous ces signes pour toi ne disent rien de bon ; Oui, d'un tour délicat mon esprit te soupçonne ; Mais, pour l'invention, va, je te le pardonne ; C'est bien assez, pour moi, qu'il m'a désabusé, De voir par quels motifs tu m'avais imposé, Et que m'étant commis à ton zèle hypocrite, À si bon compte encor je m'en sois trouvé quitte : Ceci doit s'appeler un avis au lecteur. Adieu, Lélie, adieu, très humble serviteur. Sans bruit ; ne faisons rien que de la bonne sorte. Fi, cela sent mauvais ; et je suis tout gâté ; Nous sommes découverts, tirons de ce côté. Dans tout votre discours, je n'ai rien écouté, Que mon esprit déjà ne m'ait représenté. Je sais, combien je dois, à cet honneur insigne, Que vous me voulez faire, et dont je suis indigne ; Et vois, malgré l'effort dont je suis combattu, Ce que vaut votre fille, et quelle est sa vertu : Aussi veux-je tâcher… Un généreux pardon est ce que je désire ; Mais j'atteste les Cieux, qu'en ce retour soudain Mon père fait bien moins que mon propre dessein. **** *creator_moliere *book_moliere_etourdi *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_etourdi *dist2_moliere_verse_comedy *id_andres *date_1655 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_andres Vous le savez, Célie, il n'est rien que mon cœur N'ait fait, pour vous prouver l'excès de son ardeur ; Chez les Vénitiens, dès un assez jeune âge, La guerre en quelque estime avait mis mon courage, Et j'y pouvais un jour, sans trop croire de moi, Prétendre en les servant, un honorable emploi : Lorsqu'on me vit pour vous oublier toute chose, Et que le prompt effet d'une métamorphose, Qui suivit de mon cœur le soudain changement, Parmi vos compagnons sut ranger votre Amant, Sans que mille accidents, ni votre indifférence, Aient pu me détacher de ma persévérance : Depuis, par un hasard, d'avec vous séparé, Pour beaucoup plus de temps que je n'eusse auguré, Je n'ai pour vous rejoindre épargné temps ni peine : Enfin, ayant trouvé la vieille Égyptienne, Et plein d'impatience, apprenant votre sort, Que pour certain argent qui leur importait fort, Et qui de tous vos gens détourna le naufrage, Vous aviez en ces lieux été mise en otage : J'accours vite y briser ces chaînes d'intérêt, Et recevoir de vous les ordres qu'il vous plaît : Cependant on vous voit une morne tristesse, Alors que dans vos yeux doit briller l'allégresse ; Si pour vous la retraite avait quelques appas, Venise, du butin fait parmi les combats, Me garde pour tous deux, de quoi pouvoir y vivre. Que si, comme devant, il vous faut encor suivre, J'y consens, et mon cœur n'ambitionnera Que d'être auprès de vous tout ce qu'il vous plaira. Autant que vous voudrez, faites qu'il se diffère, Toutes mes volontés ne butent qu'à vous plaire ; Cherchons une maison à vous mettre en repos, L'écriteau que voici s'offre tout à propos. Seigneur Suisse, êtes-vous de ce logis le maître ? Pourrons-nous y bien être ? Je crois votre maison franche de tout ombrage. Oui. Quoi ? Non. Ce n'est pas pour cela. Il n'importe. Je suis à vous dans un moment. Je vais faire venir la vieille promptement, Contremander aussi notre voiture prête. Elle a mal à la tête. C'est un logis garni que j'ai pris tout à l'heure. Je ne sais, l'écriteau marque au moins qu'on la loue : Lisez. Peut-on vous demander quelle est cette aventure ? Vous l'appelez ? Hé ! que ne disiez-vous ! Vous n'aviez qu'à parler ; je vous aurais sans doute, Épargné tous les soins que ce projet vous coûte. C'est moi, qui maintenant Viens de la racheter. Sa santé de partir ne nous pouvant permettre, Au logis que voilà je venais de la mettre ; Et je suis très ravi dans cette occasion, Que vous m'ayez instruit de votre intention. Tout à l'heure on va vous satisfaire. Non, ne m'en faites point, je n'en veux nullement. Ce valet vous servait avec beaucoup de feu ; Mais je reviens à vous, demeurez quelque peu. N'est-ce pas là l'objet dont vous m'avez parlé ? Il est vrai, d'un bienfait je vous suis redevable, Si je ne l'avouais, je serais condamnable : Mais enfin, ce bienfait aurait trop de rigueur, S'il fallait le payer aux dépens de mon cœur ; Jugez donc le transport où sa beauté me jette, Si je dois à ce prix vous acquitter ma dette ; Vous êtes généreux, vous ne le voudriez pas. Adieu pour quelques jours, retournons sur nos pas. Qui l'aurait jamais cru que cette ardeur si pure, Pût être condamnée un jour par la nature ? Toutefois, tant d'honneur la sut toujours régir, Qu'en y changeant fort peu, je puis la retenir. Je m'acquitte par là de ce que je vous dois. **** *creator_moliere *book_moliere_etourdi *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_etourdi *dist2_moliere_verse_comedy *id_ergaste *date_1655 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_ergaste Je te cherchais partout pour te rendre un service, Pour te donner avis d'un secret important. N'avons-nous point ici quelque écoutant ? Nous sommes amis autant qu'on le peut être, Je sais bien tes desseins, et l'amour de ton maître ; Songez à vous tantôt, Léandre fait parti Pour enlever Célie, et j'en suis averti, Qu'il a mis ordre à tout, et qu'il se persuade D'entrer chez Trufaldin par une mascarade, Ayant su qu'en ce temps assez souvent le soir, Des femmes du Quartier en masque l'allaient voir. Il n'est rien plus certain ; quelqu'un de sa brigade, M'ayant de ce dessein instruit, sans m'arrêter, À Mascarille lors j'ai couru tout conter, Qui s'en va, m'a-t-il dit, rompre cette partie, Par une invention dessus le champ bâtie ; Et comme je vous ai rencontré par hasard, J'ai cru que je devais de tout vous faire part. Mascarille, je viens te dire une nouvelle, Qui donne à tes desseins une atteinte cruelle ; À l'heure que je parle, un jeune Égyptien, Qui n'est pas noir pourtant, et sent assez son bien, Arrive accompagné d'une vieille fort hâve, Et vient chez Trufaldin racheter cette esclave Que vous vouliez. Pour elle, il paraît fort zélé. Par les soins vigilants de l'Exempt balafré, Ton affaire allait bien, le drôle était coffré, Si ton Maître au moment ne fût venu lui-même, En vrai désespéré, rompre ton stratagème : Je ne saurais souffrir, a-t-il dit hautement, Qu'un honnête homme soit traîné honteusement ; J'en réponds sur sa mine, et je le cautionne : Et comme on résistait à lâcher sa personne, D'abord il a chargé si bien sur les recors, Qui sont gens d'ordinaire à craindre pour leurs corps, Qu'à l'heure que je parle ils sont encore en fuite, Et pensent tous avoir un Lélie à leur suite. Adieu, certaine affaire à te quitter m'oblige. **** *creator_moliere *book_moliere_etourdi *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_etourdi *dist2_moliere_verse_comedy *id_courrier *date_1655 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_courrier Seigneur, obligez‑moi de m'enseigner un homme… Je crois que c'est Trufaldin qu'il se nomme. Lui rendre seulement la lettre que voici. Le Ciel, dont la bonté prend souci de ma vie, Vient de me faire ouïr par un bruit assez doux, Que ma fille à quatre ans par des voleurs ravie, Sous le nom de Célie est esclave chez vous. Si vous sûtes jamais ce que c'est qu'être père, Et vous trouvez sensible aux tendresses du sang, Conservez-moi chez vous cette fille si chère, Comme si de la vôtre elle tenait le rang. Pour l'aller retirer, je pars d'ici moi-même, Et vous vais de vos soins récompenser si bien, Que par votre bonheur que je veux rendre extrême, Vous bénirez le jour où vous causez le mien. De Madrid. Dom Pedro de Gusman, Marquis de Montalcane. **** *creator_moliere *book_moliere_facheux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_facheux *dist2_moliere_verse_comedy *id_eraste *date_1661 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_eraste Sous quel astre, bon Dieu, faut-il que je sois né, Pour être de Fâcheux toujours assassiné ! Il semble que partout le sort me les adresse, Et j'en vois, chaque jour, quelque nouvelle espèce. Mais il n'est rien d'égal au Fâcheux d'aujourd'hui ; J'ai cru n'être jamais débarrassé de lui ; Et, cent fois, j'ai maudit cette innocente envie Qui m'a pris à dîner, de voir la Comédie, Où, pensant m'égayer, j'ai misérablement, Trouvé de mes péchés le rude châtiment. Il faut que je te fasse un récit de l'affaire ; Car je m'en sens encor tout ému de colère. J'étais sur le Théâtre, en humeur d'écouter La pièce, qu'à plusieurs j'avais ouï vanter ; Les Acteurs commençaient, chacun prêtait silence, Lorsque d'un air bruyant, et plein d'extravagance, Un homme à grands canons est entré brusquement En criant, holà-ho ! un siège promptement ; Et de son grand fracas surprenant l'assemblée, Dans le plus bel endroit a la pièce troublée. Hé mon Dieu, nos Français, si souvent redressés, Ne prendront-ils jamais un air de gens sensés, Ai-je dit, et faut-il, sur nos défauts extrêmes, Qu'en théâtre public nous nous jouions nous-mêmes, Et confirmions ainsi, par des éclats de fous, Ce que chez nos voisins on dit partout de nous ! Tandis que là-dessus je haussais les épaules, Les Acteurs ont voulu continuer leurs Rôles : Mais l'homme, pour s'asseoir a fait nouveau fracas, Et traversant encor le Théâtre à grands pas, Bien que dans les côtés il pût être à son aise, Au milieu du devant il a planté sa chaise, Et de son large dos morguant les spectateurs, Aux trois quarts du parterre a caché les Acteurs. Un bruit s'est élevé, dont un autre eût eu honte ; Mais lui, ferme et constant, n'en a fait aucun compte ; Et se serait tenu comme il s'était posé, Si, pour mon infortune, il ne m'eût avisé. Ha Marquis, m'a-t-il dit, prenant près de moi place, Comment te portes-tu ? Souffre, que je t'embrasse. Au visage, sur l'heure, un rouge m'est monté, Que l'on me vît connu d'un pareil éventé. Je l'étais peu pourtant ; mais on en voit paraître, De ces gens qui de rien veulent fort vous connaître Dont il faut au salut les baisers essuyer, Et qui sont familiers jusqu'à vous tutoyer. Il m'a fait, à l'abord, cent questions frivoles, Plus haut que les Acteurs élevant ses paroles. Chacun le maudissait, et moi pour l'arrêter, Je serais, ai-je dit, bien aise d'écouter. Tu n'as point vu ceci, Marquis ; ha ! Dieu me damne Je le trouve assez drôle, et je n'y suis pas âne ; Je sais par quelles lois un ouvrage est parfait, Et Corneille me vient lire tout ce qu'il fait. Là-dessus de la pièce il m'a fait un sommaire, Scène, à Scène, averti de ce qui s'allait faire, Et jusques à des vers qu'il en savait par cœur, Il me les récitait tout haut avant l'Acteur. J'avais beau m'en défendre, il a poussé sa chance, Et s'est, devers la fin, levé longtemps d'avance ; Car les gens du bel air pour agir galamment, Se gardent bien, surtout, d'ouïr le dénouement. Je rendais grâce au Ciel, et croyais de justice, Qu'avec la Comédie eût fini mon supplice : Mais, comme si c'en eût été trop bon marché, Sur nouveaux frais mon homme à moi s'est attaché ; M'a conté ses exploits, ses vertus non communes, Parlé de ses chevaux, de ses bonnes fortunes, Et de ce qu'à la Cour il avait de faveur, Disant, qu'à m'y servir il s'offrait de grand cœur. Je le remerciais doucement de la tête, Minutant à tous coups quelque retraite honnête : Mais lui, pour le quitter, me voyant ébranlé, Sortons, ce m'a-t-il dit, le monde est écoulé  : Et sortis de ce lieu, me la donnant plus sèche, Marquis, allons au Cours faire voir ma calèche ; Elle est bien entendue, et plus d'un Duc et Pair, En fait, à mon faiseur, faire une du même air. Moi de lui rendre grâce, et pour mieux m'en défendre De dire que j'avais certain repas à rendre. Ah parbleu j'en veux être, étant de tes amis, Et manque au Maréchal à qui j'avais promis. De la chère, ai-je fait, la dose est trop peu forte Pour oser y prier des gens de votre sorte. Non ; m'a-t-il répondu, je suis sans compliment, Et j'y vais pour causer avec toi seulement ; Je suis des grands repas fatigué, je te jure : Mais si l'on vous attend, ai-je dit, c'est injure… Tu te moques, Marquis : nous nous connaissons tous ; Et je trouve avec toi des passe-temps plus doux. Je pestais contre moi, l'âme triste et confuse Du funeste succès qu'avait eu mon excuse, Et ne savais à quoi je devais recourir, Pour sortir d'une peine à me faire mourir ; Lorsqu'un carrosse fait de superbe manière, Et comblé de Laquais, et devant et derrière, S'est avec un grand bruit devant nous arrêté ; D'où sautant un jeune homme amplement ajusté, Mon importun et lui courant à l'embrassade Ont surpris les passants de leur brusque incartade ; Et tandis que tous deux étaient précipités Dans les convulsions de leurs civilités, Je me suis doucement esquivé sans rien dire ; Non sans avoir longtemps gémi d'un tel martyre, Et maudit ce Fâcheux, dont le zèle obstiné M'ôtait au rendez-vous qui m'est ici donné. Mais de tous mes Fâcheux, le plus fâcheux encore, C'est Damis, le tuteur de celle que j'adore ; Qui rompt ce qu'à mes vœux elle donne d'espoir, Et fait qu'en sa présence elle n'ose me voir. Je crains d'avoir déjà passé l'heure promise, Et c'est dans cette allée, où devait être Orphise. Il est vrai ; mais je tremble, et mon amour extrême D'un rien se fait un crime envers celle que j'aime. Mais, tout de bon, crois‑tu que je sois d'elle aimé ? Ah c'est malaisément qu'en pareille matière, Un cœur bien enflammé prend assurance entière. Il craint de se flatter, et dans ses divers soins, Ce que plus il souhaite, est ce qu'il croit le moins. Mais songeons à trouver une beauté si rare. N'importe. Ouf, tu m'étrangles, fat, laisse-le, comme il est. Sottise sans pareille ! Tu m'as, d'un coup de dent, presque emporté l'oreille. Laisse-les ; tu prends trop de souci. Je veux qu'ils soient ainsi. Frotte donc, puisqu'il faut que j'en passe par là. Mon Dieu dépêche-toi. C'est assez. Il me tue. T'es-tu de ce chapeau pour toujours emparé ? Donne-moi donc. Le voilà par terre : Je suis fort avancé : que la fièvre te serre. Il ne me plaît pas. Au diantre tout valet qui vous est sur les bras ; Qui fatigue son Maître, et ne fait que déplaire À force de vouloir trancher du nécessaire. Mais vois-je pas Orphise ? oui c'est elle, qui vient. Où va-t-elle si vite, et quel homme la tient ? Quoi me voir en ces lieux devant elle paraître, Et passer en feignant de ne me pas connaître ? Que croire ? Qu'en dis‑tu ? Parle donc, si tu veux. Et c'est l'être en effet que de ne me rien dire Dans les extrémités d'un si cruel martyre. Fais donc quelque réponse à mon cœur abattu : Que dois-je présumer ? parle, qu'en penses‑tu ? Dis-moi ton sentiment. Peste l'impertinent ! Va-t-en suivre leurs pas ; Vois ce qu'ils deviendront, et ne les quitte pas. Oui. Non, tu feras bien mieux de leur donner avis, Que par mon ordre exprès ils sont de toi suivis. Que le Ciel te confonde, Homme, à mon sentiment, le plus fâcheux du monde. Ah ! que je sens de trouble, et qu'il m'eût été doux, Qu'on me l'eût fait manquer, ce fatal rendez-vous. Je pensais y trouver toutes choses propices ; Et mes yeux pour mon cœur y trouvent des supplices. Ah ! Fort belle assurément. Tous ces pas-là sont fins. On le voit. N'ont rien qui ne surprenne. Ma foi, pour le présent, j'ai certain embarras… Une autre fois. Ciel ! faut-il que le rang, dont on veut tout couvrir, De cent sots, tous les jours, nous oblige à souffrir ; Et nous fasse abaisser jusques aux complaisances, D'applaudir bien souvent à leurs impertinences ? Ah d'un trouble bien grand je me sens agité ! J'ai de l'amour encore pour la belle inhumaine, Et ma raison voudrait, que j'eusse de la haine ! Hélas, je te l'avoue, et déjà cet aspect, À toute ma colère imprime le respect. Hélas, pouvez-vous bien me demander, cruelle, Ce qui fait de mon cœur la tristesse mortelle ? Et d'un esprit méchant n'est-ce pas un effet, Que feindre d'ignorer ce que vous m'avez fait ? Celui dont l'entretien vous a fait, à ma vue, Passer… Insultez inhumaine, encore à mon malheur. Allez, il vous sied mal de railler ma douleur ; Et d'abuser, ingrate, à maltraiter ma flamme, Du faible, que pour vous, vous savez, qu'a mon âme. À vos discours, Orphise, ajouterai-je foi ? Et votre cœur est-il tout sincère pour moi ? Ah ne vous fâchez pas, trop sévère beauté. Je veux croire en aveugle, étant sous votre empire, Tout ce que vous aurez la bonté de me dire. Trompez, si vous voulez, un malheureux Amant ; J'aurai pour vous respect, jusques au monument. Maltraitez mon amour, refusez-moi le vôtre ; Exposez à mes yeux le triomphe d'un autre, Oui je souffrirai tout de vos divins appas, J'en mourrai, mais enfin je ne m'en plaindrai pas. Je ne veux point ici faire le Capitan ; Mais on m'a vu soldat, avant que Courtisan. J'ai servi quatorze ans, et je crois être en passe, De pouvoir d'un tel pas me tirer avec grâce, Et de ne craindre point, qu'à quelque lâcheté Le refus de mon bras me puisse être imputé. Un duel met les gens en mauvaise posture, Et notre Roi n'est pas un Monarque en peinture. Il sait faire obéir les plus grands de l'État, Et je trouve qu'il fait en digne Potentat. Quand il faut le servir, j'ai du cœur, pour le faire : Mais je ne m'en sens point, quand il faut lui déplaire. Je me fais de son ordre une suprême Loi. Pour lui désobéir, cherche un autre que moi. Je te parle, Vicomte, avec franchise entière, Et suis ton serviteur en toute autre matière, Adieu. Cinquante fois au Diable les Fâcheux, Où donc s'est retiré cet objet de mes vœux ? Pour savoir où la belle est allée, Va-t-en chercher partout, j'attends dans cette allée. Mes Fâcheux à la fin se sont-ils écartés ? Je pense qu'il en pleut ici de tous côtés. Je les fuis, et les trouve, et pour second martyre, Je ne saurais trouver celle que je désire. Le tonnerre, et la pluie ont promptement passé, Et n'ont point, de ces lieux, le beau monde chassé. Plût au Ciel, dans les dons que ses soins y prodiguent, Qu'ils en eussent chassé tous les gens qui fatiguent ! Le Soleil baisse fort, et je suis étonné, Que mon Valet encor ne soit point retourné. Eh quoi toujours ma flamme divertie ! C'est dans le jeu, qu'on voit les plus grands coups du sort. J'ai compris le tout, par ton récit, Et vois de la justice au transport qui t'agite ; Mais, pour certaine affaire, il faut que je te quitte : Adieu console-toi, pourtant, de ton malheur. En quel lieu sommes-nous ! De quelque part qu'on tourne, on ne voit que des fous. Ah ! que tu fais languir ma juste impatience. Mais me rapportes-tu quelque nouvelle enfin ? Et quoi ? déjà mon cœur après ce mot soupire, Parle. Oui, dis vite. Prends-tu quelque plaisir à me tenir en peine ? Peste soit fait de tes digressions. Sénèque est un sot dans ta bouche, Puisqu'il ne me dit rien de tout ce qui me touche. Dis-moi ton ordre, tôt. Laisse. Quoi ! Sais-tu que je ne veux pas rire ? Tenons-nous donc au lieu qu'elle a voulu choisir : Mais, puisque l'ordre ici m'offre quelque loisir, Laisse-moi méditer, j'ai dessein de lui faire Quelques vers, sur un air, où je la vois se plaire. C'est une question à vider difficile, Et vous devez chercher un Juge plus habile. Hé de grâce… Que ne puis-je à mon traître inspirer le souci, D'inventer quelque chose à me tirer d'ici ! Puisqu'à moins d'un arrêt je ne m'en puis défaire, Toutes deux à la fois je vous veux satisfaire ; Et pour ne point blâmer ce qui plaît à vos yeux, Le jaloux aime plus, et l'autre aime bien mieux. Suffit, j'en suis quitte. Après ce que j'ai dit, souffrez que je vous quitte. Que vous tardez, Madame, et que j'éprouve bien… Sans sujet contre moi voulez-vous vous aigrir, Et me reprochez-vous ce qu'on me fait souffrir ? Ha ! de grâce attendez… Ciel ! faut-il qu'aujourd'hui Fâcheuses, et Fâcheux, Conspirent à troubler les plus chers de mes vœux ! Mais allons sur ses pas, malgré sa résistance, Et faisons à ses yeux briller notre innocence. Je cherche ici quelqu'un, et ne puis m'arrêter. Non je pense. Tu ne pouvais mieux faire, et ta prudence est rare : C'est ainsi des Fâcheux, qu'il faut qu'on se sépare ; Adieu. Fort bien. Je crois qu'enfin je perdrai patience. Cherchons à m'excuser avec diligence. Il est vrai, d'un côté mes soins ont réussi : Cet adorable objet enfin s'est adouci : Mais d'un autre on m'accable, et les Astres sévères, Ont, contre mon amour, redoublé leurs colères. Oui Damis son tuteur, mon plus rude fâcheux, Tout de nouveau s'oppose aux plus doux de mes vœux, À son aimable nièce a défendu ma vue, Et veut, d'un autre Époux, la voir demain pourvue. Orphise toutefois, malgré son désaveu, Daigne accorder ce soir une grâce à mon feu ; Et j'ai fait consentir l'esprit de cette belle, À souffrir qu'en secret je la visse chez elle. L'amour aime surtout les secrètes faveurs ; Dans l'obstacle, qu'on force, il trouve des douceurs ; Et le moindre entretien de la beauté qu'on aime, Lorsqu'il est défendu, devient grâce suprême. Je vais au rendez-vous : c'en est l'heure, à peu près : Puis, je veux m'y trouver plutôt avant qu'après. Non, je craindrais que peut-être À quelques yeux suspects, tu me fisses connaître. Je ne le veux pas. Te tairas-tu, vingt fois ? Et ne veux-tu jamais quitter cette méthode, De te rendre, à toute heure, un valet incommode ! Monsieur, souhaitez-vous quelque chose de moi ? Sans tant de façons, qu'avez-vous à me dire ? Oui je suis fort vanté, Passons, Monsieur. Je vois assez, Monsieur, ce que vous pouvez être, Et votre seul abord le peut faire connaître. Monsieur Caritidès soit. Qu'avez-vous à dire ? Hé ! Monsieur, vous pouvez le présenter vous-même. Eh bien vous le pouvez, et prendre votre temps. Eh bien donnez-moi donc, je le présenterai. Non… Ce Placet est fort long et pourrait bien fâcher… Achevez promptement. Fort bien : donnez-le vite, et faites la retraite : Il sera vu du Roi ; c'est une affaire faite. Oui, vous l'aurez demain, Monsieur Caritidès. Ma foi de tels savants sont des ânes bien faits. J'aurais dans d'autres temps bien ri de sa sottise… Fort bien, mais dépêchons, car je veux m'en aller. Voici quelque souffleur, de ces gens qui n'ont rien ; Et vous viennent toujours promettre tant de bien. Vous avez fait, Monsieur, cette bénite pierre, Qui peut, seule, enrichir tous les Rois de la terre ? Soit, nous en parlerons, je suis un peu pressé. Non, non, je ne veux point savoir votre secret. D'un peu plus loin, et pour cause, Monsieur. L'avis est bon, et plaira fort au Roi. Adieu, nous nous verrons. Oui, oui. Oui, volontiers. Plût à Dieu qu'à ce prix, De tous les Importuns je pusse me voir quitte ! Voyez quel contretemps prend ici leur visite ! Je pense qu'à la fin je pourrai bien sortir. Viendra-t-il point quelqu'un encor me divertir ? Quoi ? À moi ? Je te suis obligé ; mais crois que tu me fais… Ah j'enrage. Je te jure, Marquis, qu'on s'est moqué de toi. Que le Ciel me foudroie. Si d'aucun démêlé… Eh mon Dieu ! je te dis, et ne déguise point, Que… Veux-tu m'obliger ? Laisse-moi, je te prie. Une galanterie, En certain lieu, ce soir… Parbleu, puisque tu veux que j'aie une querelle, Je consens à l'avoir pour contenter ton zèle : Ce sera contre toi qui me fais enrager, Et dont je ne me puis par douceur dégager. Vous serez mon ami quand vous me quitterez. Mais voyez quels malheurs suivent ma destinée ! Ils m'auront fait passer l'heure qu'on m'a donnée. J'entrevois là quelqu'un sur la porte d'Orphise. Quoi toujours quelque obstacle aux feux qu'elle autorise ! Bien qu'il m'ait voulu perdre, un point d'honneur me presse De secourir ici l'oncle de ma Maîtresse. Je suis à vous, Monsieur. Je n'ai fait, vous servant, qu'un acte de justice. Oui, oui, Monsieur, c'est moi. Trop heureux, que ma main vous ait tiré de peine, Trop malheureux d'avoir mérité votre haine. Mon cœur est si surpris d'une telle merveille, Qu'en ce ravissement, je doute, si je veille. Qui frappe là si fort. Quoi toujours des Fâcheux, holà Suisses, ici, Qu'on me fasse sortir ces gredins que voici. **** *creator_moliere *book_moliere_facheux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_facheux *dist2_moliere_verse_comedy *id_montagne *date_1661 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_montagne Ce sont chagrins mêlés aux plaisirs de la vie. Tout ne va pas, Monsieur, au gré de notre envie. Le Ciel veut qu'ici-bas chacun ait ses Fâcheux ; Et les hommes seraient, sans cela, trop heureux. L'heure d'un rendez-vous d'ordinaire s'étend ; Et n'est pas resserrée aux bornes d'un instant. Si ce parfait amour, que vous prouvez si bien, Se fait vers votre objet un grand crime de rien, Ce que son cœur, pour vous, sent de feux légitimes, En revanche, lui fait un rien de tous vos crimes. Quoi ? vous doutez encor d'un amour confirmé… Monsieur, votre rabat par devant se sépare. Laissez‑moi l'ajuster, s'il vous plaît. Souffrez qu'on peigne un peu… Vos canons… Ils sont tout chiffonnés. Accordez‑moi du moins, pour grâce singulière, De frotter ce chapeau, qu'on voit plein de poussière. Le voulez-vous porter fait comme le voilà ? Ce serait conscience. Donnez-vous un peu de patience. En quel lieu vous êtes‑vous fourré ? C'est fait. Hay ! Permettez qu'en deux coups j'ôte… Monsieur, je ne dis rien de peur d'être fâcheux. Monsieur, je veux me taire, Et ne désire point trancher du nécessaire. Il faut suivre de loin ? Sans que l'on me voie, Ou faire aucun semblant qu'après eux on m'envoie. Vous trouverai-je ici ? Monsieur, Orphise est seule, et vient de ce côté. Monsieur, votre raison ne sait ce qu'elle veut ; Ni ce que sur un cœur une Maîtresse peut. Bien que de s'emporter on ait de justes causes, Une belle, d'un mot, rajuste bien des choses. Je ne sais. Monsieur, je n'ai pu faire une autre diligence. Sans doute ; et de l'objet qui fait votre destin, J'ai, par un ordre exprès, quelque chose à vous dire. Souhaitez-vous de savoir ce que c'est ? Monsieur, attendez, s'il vous plaît. Je me suis, à courir, presque mis hors d'haleine. Puisque vous désirez de savoir promptement L'ordre que j'ai reçu de cet objet charmant, Je vous dirai… Ma foi, sans vous vanter mon zèle, J'ai bien fait du chemin, pour trouver cette belle, Et si… Ah ! il faut modérer un peu ses passions, Et Sénèque… Pour contenter vos vœux, Votre Orphise… Une bête est là dans vos cheveux. Cette beauté de sa part vous fait dire… Devinez. Son ordre est qu'en ce lieu vous devez vous tenir, Assuré que dans peu vous l'y verrez venir, Lorsqu'elle aura quitté quelques provinciales, Aux personnes de Cour fâcheuses animales. Suivrai-je vos pas ? Mais… Je dois suivre vos lois : Mais au moins si de loin… **** *creator_moliere *book_moliere_facheux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_facheux *dist2_moliere_verse_comedy *id_orphise *date_1661 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_orphise Votre front à mes yeux montre peu d'allégresse. Serait-ce ma présence, Éraste, qui vous blesse ? Qu'est-ce donc ? qu'avez-vous ? et sur quels déplaisirs, Lorsque vous me voyez, poussez-vous des soupirs ? C'est de cela, que votre âme est émue ? Certes il en faut rire, et confesser ici, Que vous êtes bien fou, de vous troubler ainsi. L'homme, dont vous parlez, loin qu'il puisse me plaire, Est un homme Fâcheux dont j'ai su me défaire ; Un de ces importuns, et sots officieux, Qui ne sauraient souffrir qu'on soit seule en des lieux ; Et viennent aussitôt, avec un doux langage, Vous donner une main, contre qui l'on enrage. J'ai feint de m'en aller, pour cacher mon dessein ; Et, jusqu'à mon carrosse, il m'a prêté la main. Je m'en suis promptement défaite de la sorte, Et j'ai pour vous trouver, rentré par l'autre porte. Je vous trouve fort bon de tenir ces paroles ; Quand je me justifie à vos plaintes frivoles. Je suis bien simple encore, et ma sotte bonté… Quand de tels sentiments régneront dans votre âme, Je saurai de ma part… Non, non, ne quittez pas un si doux entretien. À tort vous m'accusez d'être trop tard venue, Et vous avez de quoi vous passer de ma vue. Laissez-moi, je vous prie, Et courez vous rejoindre à votre compagnie. Monsieur, quelle aventure a d'un trouble effroyable… Si c'est pour lui payer ce que vous lui devez, J'y consens, devant tout, aux jours qu'il a sauvés. **** *creator_moliere *book_moliere_facheux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_facheux *dist2_moliere_verse_comedy *id_lysandre *date_1661 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lysandre Sous ces arbres, de loin, mes yeux t'ont reconnu, Cher Marquis, et d'abord je suis à toi venu. Comme à de mes amis il faut que je te chante Certain air, que j'ai fait, de petite courante, Qui de toute la Cour contente les experts, Et sur qui plus de vingt ont déjà fait des vers. J'ai le bien, la naissance, et quelque emploi passable, Et fais figure en France assez considérable ; Mais je ne voudrais pas, pour tout ce que je suis, N'avoir point fait cet air, qu'ici je te produis. La, la, hem, hem : écoute avec soin, je te prie. N'est-elle pas belle ? Cette fin est jolie. Comment la trouves-tu ? Les pas que j'en ai faits n'ont pas moins d'agrément, Et surtout la figure a merveilleuse grâce. Tiens, l'homme passe ainsi : puis la femme repasse : Ensemble : puis on quitte, et la femme vient là. Vois-tu ce petit trait de feinte que voilà ? Ce fleuret ? ces coupés courant après la belle ? Dos à dos : face à face, en se pressant sur elle. Que t'en semble Marquis ? Je me moque, pour moi, des maîtres Baladins. Les pas donc… Veux-tu, par amitié, que je te les apprenne ? Eh bien donc, ce sera, lorsque tu le voudras. Si j'avais dessus moi ces paroles nouvelles, Nous les lirions ensemble, et verrions les plus belles. Adieu, Baptiste le très cher N'a point vu ma courante, et je le vais chercher. Nous avons, pour les airs, de grandes sympathies, Et je veux le prier d'y faire des parties. **** *creator_moliere *book_moliere_facheux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_facheux *dist2_moliere_verse_comedy *id_alcandre *date_1661 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_alcandre Marquis, un mot. Madame, De grâce pardonnez, si je suis indiscret, En osant, devant vous, lui parler en secret. Avec peine, Marquis, je te fais la prière ; Mais un homme vient là de me rompre en visière, Et je souhaite fort, pour ne rien reculer, Qu'à l'heure de ma part, tu l'ailles appeler. Tu sais, qu'en pareil cas, ce serait avec joie, Que je te le rendrais en la même monnaie. **** *creator_moliere *book_moliere_facheux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_facheux *dist2_moliere_verse_comedy *id_alcipe *date_1661 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_alcipe Bonjour. Console-moi, Marquis, d'une étrange partie, Qu'au Piquet je perdis, hier, contre un Saint-Bouvain, À qui je donnerais quinze points, et la main. C'est un coup enragé, qui depuis hier m'accable, Et qui ferait donner tous les Joueurs au Diable ; Un coup assurément à se pendre en public. Il ne m'en faut que deux ; l'autre a besoin d'un pic. Je donne ; il en prend six, et demande à refaire : Moi, me voyant de tout, je n'en voulus rien faire. Je porte l'as de trèfle, admire mon malheur, L'as, le Roi, le valet, le huit, et dix de cœur ; Et quitte, comme au point allait la politique, Dame, et Roi de carreau ; dix, et Dame de pique. Sur mes cinq cœurs portés la Dame arrive encor, Qui me fait justement une quinte major : Mais mon homme avec l'as, non sans surprise extrême, Des bas carreaux, sur table, étale une sixième. J'en avais écarté la Dame, avec le Roi ; Mais lui fallant un pic, je sortis hors d'effroi, Et croyais bien du moins faire deux points uniques. Avec les sept carreaux, il avait quatre piques ; Et, jetant le dernier, m'a mis dans l'embarras, De ne savoir lequel garder de mes deux as. J'ai jeté l'as de cœur, avec raison, me semble ; Mais il avait quitté quatre trèfles ensemble, Et par un six de cœur je me suis vu capot, Sans pouvoir, de dépit, proférer un seul mot. Morbleu fais-moi raison de ce coup effroyable. À moins que l'avoir vu, peut-il être croyable ? Parbleu tu jugeras, toi-même, si j'ai tort ; Et si c'est sans raison, que ce coup me transporte ; Car voici nos deux jeux, qu'exprès sur moi je porte. Tiens, c'est ici mon port, comme je te l'ai dit ; Et voici… Qui moi ? J'aurai toujours ce coup-là sur le cœur : Et c'est pour ma raison, pis qu'un coup de tonnerre. Je le veux faire, moi, voir à toute la terre. Un six de cœur ! deux points ! **** *creator_moliere *book_moliere_facheux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_facheux *dist2_moliere_verse_comedy *id_orante *date_1661 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_orante Tout le monde sera de mon opinion. Je pense mes raisons meilleures que les vôtres. J'avise un homme ici qui n'est pas ignorant ; Il pourra nous juger sur notre différend. Marquis, de grâce, un mot : Souffrez qu'on vous appelle, Pour être, entre nous deux, juge d'une querelle, D'un débat, qu'ont ému nos divers sentiments, Sur ce qui peut marquer les plus parfaits Amants. Non : vous nous dites là d'inutiles chansons : Votre esprit fait du bruit, et nous vous connaissons ; Nous savons que chacun vous donne à juste titre… En un mot vous serez notre arbitre, Et ce sont deux moments qu'il vous faut nous donner. Pour moi, de son esprit j'ai trop bon témoignage, Pour craindre qu'il prononce à mon désavantage. Enfin ce grand débat qui s'allume entre nous, Est de savoir s'il faut qu'un Amant soit jaloux. Pour moi, sans contredit, je suis pour le dernier. Je crois que notre cœur doit donner son suffrage, À qui fait éclater du respect davantage. Oui, mais on voit l'ardeur dont une âme est saisie. Bien mieux dans le respect, que dans la jalousie. Fi ne me parlez point, pour être Amants, Climène, De ces gens dont l'amour est fait comme la haine, Et, qui pour tous respects, et toute offre de vœux, Ne s'appliquent jamais, qu'à se rendre Fâcheux ; Dont l'âme, que sans cesse un noir transport anime, Des moindres actions cherche à nous faire un crime ; En soumet l'innocence à son aveuglement, Et veut, sur un coup d'œil, un éclaircissement : Qui de quelque chagrin nous voyant l'apparence, Se plaignent aussitôt, qu'il naît de leur présence ; Et lorsque dans nos yeux brille un peu d'enjouement, Veulent que leurs Rivaux en soient le fondement : Enfin, qui prenant droit des fureurs de leur zèle, Ne nous parlent jamais, que pour faire querelle ; Osent défendre à tous l'approche de nos cœurs, Et se font les tyrans de leurs propres vainqueurs. Moi je veux des Amants que le respect inspire ; Et leur soumission marque mieux notre empire. Si pour vous plaire il faut beaucoup d'emportement, Je sais qui vous pourrait donner contentement ; Et je connais des gens dans Paris plus de quatre Qui, comme ils le font voir, aiment jusques à battre. Enfin, par votre arrêt vous devez déclarer, Celui de qui l'amour vous semble à préférer. **** *creator_moliere *book_moliere_facheux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_facheux *dist2_moliere_verse_comedy *id_climene *date_1661 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_climene Croyez-vous l'emporter par obstination ? Je voudrais qu'on ouît les unes et les autres. Vous retenez ici qui vous doit condamner : Car enfin, s'il est vrai ce que j'en ose croire, Monsieur, à mes raisons, donnera la victoire. Ou, pour mieux expliquer ma pensée et la vôtre, Lequel doit plaire plus d'un jaloux ou d'un autre. Et dans mon sentiment je tiens pour le premier. Et moi, que si nos vœux doivent paraître au jour, C'est pour celui qui fait éclater plus d'amour. Et c'est mon sentiment, que qui s'attache à nous, Nous aime d'autant plus, qu'il se montre jaloux. Fi ne me parlez point, pour être vrais Amants, De ces gens, qui pour nous n'ont nuls emportements ; De ces tièdes Galants, de qui les cœurs paisibles, Tiennent déjà pour eux les choses infaillibles ; N'ont point peur de nous perdre, et laissent chaque jour, Sur trop de confiance endormir leur amour ; Sont avec leurs Rivaux en bonne intelligence, Et laissent un champ libre à leur persévérance. Un amour si tranquille excite mon courroux. C'est aimer froidement que n'être point jaloux ; Et je veux, qu'un Amant, pour me prouver sa flamme, Sur d'éternels soupçons laisse flotter son âme, Et par de prompts transports, donne un signe éclatant De l'estime qu'il fait de celle qu'il prétend. On s'applaudit alors de son inquiétude, Et s'il nous fait parfois un traitement trop rude, Le plaisir de le voir soumis à nos genoux, S'excuser de l'éclat qu'il a fait contre nous, Ses pleurs, son désespoir d'avoir pu nous déplaire, Est un charme à calmer toute notre colère. Si pour vous plaire il faut n'être jamais jaloux, Je sais certaines gens fort commodes pour vous ; Des hommes en amour d'une humeur si souffrante, Qu'ils vous verraient sans peine entre les bras de trente. L'arrêt est plein d'esprit ; mais… **** *creator_moliere *book_moliere_facheux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_facheux *dist2_moliere_verse_comedy *id_dorante *date_1661 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dorante Ha Marquis que l'on voit de Fâcheux tous les jours, Venir de nos plaisirs interrompre le cours ! Tu me vois enragé d'une assez belle chasse, Qu'un fat… C'est un récit qu'il faut que je te fasse. Parbleu chemin faisant je te le veux conter. Nous étions une troupe assez bien assortie, Qui pour courir un Cerf avions hier fait partie ; Et nous fûmes coucher sur le pays exprès, C'est-à-dire, mon cher, en fin fond de forêts. Comme cet exercice est mon plaisir suprême, Je voulus, pour bien faire, aller au bois moi-même ; Et nous conclûmes tous d'attacher nos efforts, Sur un Cerf, qu'un chacun nous disait Cerf dix-cors ; Mais moi, mon jugement, sans qu'aux marques j'arrête, Fut qu'il n'était que Cerf à sa seconde tête. Nous avions, comme il faut, séparé nos relais, Et déjeunions en hâte, avec quelques œufs frais ; Lorsqu'un franc Campagnard, avec longue rapière, Montant superbement sa Jument poulinière, Qu'il honorait du nom de sa bonne Jument, S'en est venu nous faire un mauvais compliment, Nous présentant aussi, pour surcroît de colère, Un grand benêt de fils, aussi sot que son père. Il s'est dit grand Chasseur, et nous a priés tous, Qu'il pût avoir le bien de courir avec nous. Dieu préserve, en chassant, toute sage personne, D'un porteur de huchet, qui mal à propos sonne ; De ces gens, qui suivis de dix Hourets galeux, Disent ma meute, et font les chasseurs merveilleux. Sa demande reçue et ses vertus prisées, Nous avons été tous frapper à nos brisées. À trois longueurs de trait, tayaut ; voilà d'abord Le Cerf donné aux chiens. J'appuie, et sonne fort. Mon Cerf débuche, et passe une assez longue plaine, Et mes chiens après lui ; mais si bien en haleine, Qu'on les aurait couverts tous d'un seul justaucorps. Il vient à la Forêt. Nous lui donnons alors La vieille meute ; et moi, je prends en diligence Mon Cheval Alezan. Tu l'as vu ? Comment ? C'est un Cheval aussi bon qu'il est beau, Et que ces jours passés j'achetai de Gaveau. Je te laisse à penser, si, sur cette matière, Il voudrait me tromper, lui qui me considère : Aussi je m'en contente, et jamais, en effet, Il n'a vendu Cheval, ni meilleur, ni mieux fait. Une tête de Barbe, avec l'Étoile nette ; L'encolure d'un Cygne, effilée, et bien droite ; Point d'épaules non plus qu'un Lièvre, court-jointé, Et qui fait dans son port voir sa vivacité. Des pieds, morbleu, des pieds ! le rein double : à vrai dire, J'ai trouvé le moyen, moi seul, de le réduire, Et sur lui, quoique aux yeux il montrât beau semblant, Petit Jean de Gaveau ne montait qu'en tremblant. Une croupe, en largeur, à nulle autre pareille ; Et des gigots, Dieu sait ! bref, c'est une merveille, Et j'en ai refusé cent pistoles, crois-moi, Au retour d'un cheval amené pour le Roi. Je monte donc dessus, et ma joie était pleine, De voir filer de loin les coupeurs dans la plaine ; Je pousse, et je me trouve en un fort à l'écart, À la queue de nos chiens, moi seul avec Drécar. Une heure là-dedans notre Cerf se fait battre. J'appuie alors mes chiens, et fais le diable à quatre : Enfin jamais Chasseur ne se vit plus joyeux ; Je le relance seul, et tout allait des mieux ; Lorsque d'un jeune Cerf s'accompagne le nôtre, Une part de mes chiens se sépare de l'autre, Et je les vois, Marquis, comme tu peux penser, Chasser tous avec crainte, et Finaut balancer : Il se rabat soudain, dont j'eus l'âme ravie ; Il empaume la voie, et moi, je sonne et crie, À Finaut, à Finaut : j'en revois à plaisir, Sur une taupinière, et resonne à loisir. Quelques chiens revenaient à moi, quand pour disgrâce, Le jeune Cerf, Marquis, à mon Campagnard passe. Mon étourdi se met à sonner comme il faut, Et crie à pleine voix tayaut, tayaut, tayaut. Mes chiens me quittent tous, et vont à ma pécore, J'y pousse et j'en revois dans le chemin encore ; Mais à terre, mon cher, je n'eus pas jeté l'œil, Que je connus le change, et sentis un grand deuil. J'ai beau lui faire voir toutes les différences, Des pinces de mon Cerf, et de ses connaissances ; Il me soutient toujours, en Chasseur ignorant, Que c'est le Cerf de meute, et par ce différend Il donne temps aux chiens d'aller loin : j'en enrage, Et pestant de bon cœur contre le personnage, Je pousse mon cheval, et par haut, et par bas, Qui pliait des gaulis aussi gros que les bras : Je ramène les chiens à ma première voie, Qui vont, en me donnant une excessive joie, Requérir notre Cerf, comme s'ils l'eussent vu : Ils le relancent ; mais, ce coup est-il prévu ? À te dire le vrai, cher Marquis, il m'assomme. Notre Cerf relancé va passer à notre homme, Qui croyant faire un trait de Chasseur fort vanté, D'un pistolet d'arçon qu'il avait apporté, Lui donne justement au milieu de la tête, Et de fort loin me crie : Ah ! j'ai mis bas la bête. A-t-on jamais parlé de pistolets, bon Dieu ! Pour courre un Cerf ? pour moi venant dessus le lieu, J'ai trouvé l'action tellement hors d'usage, Que j'ai donné des deux à mon cheval, de rage, Et m'en suis revenu chez moi toujours courant, Sans vouloir dire un mot à ce sot ignorant. Quand tu voudras, nous irons quelque part, Où nous ne craindrons point de chasseur Campagnard. **** *creator_moliere *book_moliere_facheux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_facheux *dist2_moliere_verse_comedy *id_caritides *date_1661 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_caritides Monsieur, le temps répugne à l'honneur de vous voir. Le matin est plus propre à rendre un tel devoir : Mais de vous rencontrer il n'est pas bien facile ; Car vous dormez toujours, ou vous êtes en ville ; Au moins, Messieurs vos gens me l'assurent ainsi, Et j'ai, pour vous trouver, pris l'heure que voici. Encore est-ce un grand heur, dont le destin m'honore ; Car deux moments plus tard, je vous manquais encore. Je m'acquitte, Monsieur, de ce que je vous dois ; Et vous viens… Excusez l'audace, qui m'inspire, Si… Comme le rang, l'esprit, la générosité, Que chacun vante en vous… Monsieur, c'est une peine extrême, Lorsqu'il faut à quelqu'un se produire soi-même, Et toujours, près des Grands, on doit être introduit, Par des gens, qui de nous fassent un peu de bruit ; Dont la bouche écoutée, avec poids débite, Ce qui peut faire voir notre petit mérite : Enfin j'aurais voulu que des gens bien instruits, Vous eussent pu, Monsieur, dire ce que je suis. Oui je suis un savant charmé de vos vertus. Non pas de ces savants, dont le nom n'est qu'en us : Il n'est rien si commun, qu'un nom à la Latine. Ceux qu'on habille en Grec ont bien meilleure mine ; Et pour en avoir un qui se termine en ès, Je me fais appeler Monsieur Caritidès. C'est un placet, Monsieur, que je voudrais vous lire ; Et que dans la posture, où vous met votre emploi, J'ose vous conjurer de présenter au Roi. Il est vrai que le Roi fait cette grâce extrême ; Mais par ce même excès de ses rares bontés, Tant de méchants placets, Monsieur, sont présentés, Qu'ils étouffent les bons, et l'espoir où je fonde, Est qu'on donne le mien, quand le Prince est sans monde. Ah Monsieur ! les Huissiers sont de terribles gens, Ils traitent les Savants de faquins à nasardes ; Et je n'en puis venir qu'à la salle des Gardes. Les mauvais traitements qu'il me faut endurer, Pour jamais de la Cour me feraient retirer, Si je n'avais conçu l'espérance certaine, Qu'auprès de notre Roi vous serez mon Mécène. Oui, votre crédit m'est un moyen assuré… Le voici ; mais au moins oyez-en la lecture. C'est pour être instruit : Monsieur, je vous conjure. Ah ! Monsieur pas un mot ne s'en peut retrancher. Supplie humblement Votre Majesté de créer, pour le bien de son État, et la gloire de son Empire, une Charge de Contrôleur, Intendant, Correcteur, Réviseur, et Restaurateur général desdites inscriptions ; et d'icelle honorer le suppliant, tant en considération de son rare et éminent savoir, que des grands et signalés services qu'il a rendus à l'État, et à Votre Majesté, en faisant l'Anagramme de votre dite Majesté en Français, Latin, Grec, Hébreu, Syriaque, Chaldéen, Arabe… Hélas ! Monsieur, c'est tout que montrer mon placet. Si le Roi le peut voir, je suis sûr de mon fait : Car comme sa justice en toute chose est grande, Il ne pourra jamais refuser ma demande. Au reste, pour porter au Ciel votre renom, Donnez-moi par écrit votre nom, et surnom, J'en veux faire un poème, en forme d'acrostiche, Dans les deux bouts un Vers, et dans chaque hémistiche. **** *creator_moliere *book_moliere_facheux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_facheux *dist2_moliere_verse_comedy *id_ormin *date_1661 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_ormin Bien qu'une grande affaire en ce lieu me conduise, J'ai voulu qu'il sortît, avant que vous parler. Je me doute à peu près que l'homme qui vous quitte Vous a fort ennuyé, Monsieur, par sa visite. C'est un vieux importun, qui n'a pas l'esprit sain, Et pour qui j'ai toujours quelque défaite en main. Au Mail, à Luxembourg, et dans les Tuileries, Il fatigue le monde, avec ses rêveries : Et des gens, comme vous, doivent fuir l'entretien, De tous ces savantas, qui ne sont bons à rien. Pour moi je ne crains pas, que je vous importune, Puisque je viens, Monsieur, faire votre fortune. La plaisante pensée, hélas, où vous voilà ! Dieu me garde, Monsieur, d'être de ces fous-là. Je ne me repais point de visions frivoles, Et je vous porte ici les solides paroles, D'un avis, que par vous je veux donner au Roi ; Et que tout cacheté je conserve sur moi. Non de ces sots projets, de ces chimères vaines, Dont les Surintendants ont les oreilles pleines ; Non de ces gueux d'avis, dont les prétentions Ne parlent que de vingt, ou trente millions : Mais un, qui tous les ans, à si peu qu'on le monte, En peut donner au Roi quatre cents, de bon compte : Avec facilité, sans risque, ni soupçon, Et sans fouler le peuple en aucune façon. Enfin c'est un avis d'un gain inconcevable, Et que du premier mot on trouvera faisable. Oui, pourvu que par vous je puisse être poussé… Si vous me promettiez de garder le silence, Je vous découvrirais cet avis d'importance. Monsieur, pour le trahir, je vous crois trop discret, Et veux, avec franchise, en deux mots vous l'apprendre. Il faut voir si quelqu'un ne peut point nous entendre. Cet avis merveilleux, dont je suis l'inventeur, Est que… Vous voyez le grand gain, sans qu'il faille le dire, Que de ces ports de mer le Roi tous les ans tire. Or l'avis dont encor nul ne s'est avisé, Est qu'il faut de la France, et c'est un coup aisé, En fameux ports de mer, mettre toutes les côtes. Ce serait pour monter à des sommes très hautes, Et si… Au moins appuyez-moi, Pour en avoir ouvert les premières paroles. Si vous vouliez me prêter deux pistoles, Que vous reprendriez sur le droit de l'avis, Monsieur… **** *creator_moliere *book_moliere_facheux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_facheux *dist2_moliere_verse_comedy *id_filinte *date_1661 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_filinte Marquis, je viens d'apprendre une étrange nouvelle. Qu'un homme, tantôt, t'a fait une querelle. Que te sert-il de le dissimuler ? Je sais de bonne part qu'on t'a fait appeler ; Et comme ton ami, quoi qu'il en réussisse, Je te viens, contre tous, faire offre de service. Tu ne l'avoueras pas, mais tu sors sans valets : Demeure dans la ville, ou gagne la campagne, Tu n'iras nulle part que je ne t'accompagne. À quoi bon de te cacher de moi ? En vain tu t'en défends. Tu penses qu'on te croie ? Ne me crois pas dupe, et crédule à ce point. Non. Point d'affaire, Marquis. Je ne te quitte pas : En quel lieu que ce soit, je veux suivre tes pas. C'est fort mal d'un ami recevoir le service : Mais, puisque je vous rends un si mauvais office, Adieu, videz sans moi tout ce que vous aurez. **** *creator_moliere *book_moliere_facheux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_facheux *dist2_moliere_verse_comedy *id_damis *date_1661 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_damis Quoi, malgré moi, le traître espère l'obtenir ? Ah ! mon juste courroux le saura prévenir. Oui, j'ai su que ma Nièce, en dépit de mes soins, Doit voir ce soir chez elle Éraste sans témoins. Mais avant qu'il ait lieu d'achever son dessein, Il faut, de mille coups, percer son traître sein. Va-t-en faire venir ceux que je viens de dire, Pour les mettre en embûche aux lieux que je désire ; Afin, qu'au nom d'Éraste, on soit prêt à venger Mon honneur, que ses feux ont l'orgueil d'outrager ; À rompre un rendez-vous, qui dans ce lieu l'appelle, Et noyer dans son sang sa flamme criminelle. Ô Ciel, par quel secours, D'un trépas assuré vois-je sauver mes jours ! À qui suis-je obligé d'un si rare service ? Ciel ! puis-je à mon oreille ajouter quelque foi ? Est-ce la main d'Éraste… Quoi celui, dont j'avais résolu le trépas, Est celui, qui, pour moi, vient d'employer son bras ? Ah ! c'en est trop, mon cœur est contraint de se rendre ; Et quoi que votre amour, ce soir, ait pu prétendre, Ce trait si surprenant de générosité, Doit étouffer en moi toute animosité. Je rougis de ma faute, et blâme mon caprice. Ma haine, trop longtemps, vous a fait injustice ; Et pour la condamner par un éclat fameux, Je vous joins, dès ce soir, à l'objet de vos vœux. Ma Nièce elle n'a rien que de très agréable, Puisque après tant de vœux que j'ai blâmés en vous, C'est elle qui vous donne Éraste pour Époux. Son bras a repoussé le trépas, que j'évite ; Et je veux, envers lui, que votre main m'acquitte. Célébrons l'heureux sort, dont vous allez jouir ; Et que nos violons viennent nous réjouir. **** *creator_moliere *book_moliere_facheux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_facheux *dist2_moliere_verse_comedy *id_epine *date_1661 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_epine Monsieur ce sont des Masques, Qui portent des crin-crins, et des tambours de Basques. **** *creator_moliere *book_moliere_facheux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_facheux *dist2_moliere_verse_comedy *id_riviere *date_1661 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_riviere Qu'entends-je à ces gens-là dire de notre Maître ? Approchons doucement, sans nous faire connaître. Avant qu'à tes fureurs on puisse l'immoler, Traître tu trouveras en nous à qui parler. **** *creator_moliere *book_moliere_femmessavantes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_femmessavantes *dist2_moliere_verse_comedy *id_chrysale *date_1672 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_chrysale Et vous aussi. Mon Frère. Non ; mais, si vous voulez, je suis prêt à l'apprendre. Sans doute, et je le vois qui fréquente chez nous. D'Homme d'honneur, d'esprit, de cœur, et de conduite, Et je vois peu de Gens qui soient de son mérite. Je connus feu son Père en mon voyage à Rome. C'était, mon Frère, un fort bon Gentilhomme. Nous n'avions alors que vingt-huit ans, Et nous étions, ma foi, tous deux de Verts-Galants. Nous donnions chez les Dames Romaines, Et tout le Monde là parlait de nos fredaines ; Nous faisions des Jaloux. Quoi, de ma Fille ? De ces chimères-là vous devez vous défaire. Notre sœur est folle, oui. Faut-il le demander ? J'y consens de bon cœur, Et tiens son alliance à singulier honneur. C'est un intérêt qui n'est pas d'importance ; Il est riche en vertu, cela vaut des trésors, Et puis son Père et moi n'étions qu'un en deux corps. Il suffit, je l'accepte pour Gendre. Vous moquez-vous ? Il n'est pas nécessaire, Je réponds de ma Femme, et prends sur moi l'affaire. Laissez faire, dis-je, et n'appréhendez pas. Je la vais disposer aux choses de ce pas. C'est une affaire faite. Et je vais à ma Femme en parler sans délai. Qu'est-ce donc ? Qu'avez-vous, Martine ? Oui ? Votre congé ! Je n'entends pas cela. Comment ? Non, vous demeurerez, je suis content de vous ; Ma femme bien souvent a la tête un peu chaude, Et je ne veux pas moi... Tout doux. Eh. Mais qu'a-t-elle commis, pour vouloir de la sorte... En aucune façon. Mon Dieu non ; Je ne fais seulement que demander son crime. Je ne dis pas cela, mais il faut de nos Gens... Hé bien oui. Vous dit-on quelque chose là -contre ? D'accord. Aussi fais-je. Oui, ma Femme avec raison vous chasse, Coquine, et votre crime est indigne de grâce. Ma foi !Je ne sais pas. A-t-elle, pour donner matière à votre haine, Cassé quelque Miroir, ou quelque Porcelaine ? Qu'est-ce à dire ? L'affaire est donc considérable ? Est-ce qu'elle a laissé, d'un esprit négligent, Dérober quelque Aiguière, ou quelque Plat d'argent ? Oh, oh ! Peste, la Belle ! Quoi ? l'avez-vous surprise à n'être pas fidèle ? Pis que tout cela ? Comment diantre, Friponne ! Euh ? a-t-elle commis... Est-ce là... Du plus grand des forfaits je la croyais coupable. Si fait. Je n'ai garde. Si fait. À son caprice il me faut consentir. Va, ne l'irrite point ; retire-toi, Martine. Moi ? Point. Allons, sortez.Va-t'en, ma pauvre Enfant. Vous êtes satisfaite, et la voilà partie. Mais je n'approuve point une telle sortie ; C'est une fille propre aux choses qu'elle fait, Et vous me la chassez pour un maigre sujet. Qu'importe qu'elle manque aux lois de Vaugelas, Pourvu qu'à la cuisine elle ne manque pas ? J'aime bien mieux, pour moi, qu'en épluchant ses herbes, Elle accommode mal les noms avec les verbes, Et redise cent fois un bas ou méchant mot, Que de brûler ma Viande, ou saler trop mon Pot. Je vis de bonne Soupe, et non de beau Langage. Vaugelas n'apprend point à bien faire un Potage, Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux mots, En Cuisine peut-être auraient été des sots. Oui, mon Corps est moi-même, et j'en veux prendre soin, Guenille si l'on veut, ma guenille m'est chère. Ma foi si vous songez à nourrir votre Esprit, C'est de viande bien creuse, à ce que chacun dit, Et vous n'avez nul soin, nulle sollicitude Pour... Voulez-vous que je dise ? Il faut qu'enfin j'éclate, Que je lève le masque, et décharge ma rate. De folles on vous traite, et j'ai fort sur le cœur... C'est à vous que je parle, ma Sœur. Le moindre solécisme en parlant vous irrite : Mais vous en faites, vous, d'étranges en conduite. Vos Livres éternels ne me contentent pas, Et hors un gros Plutarque à mettre mes rabats, Vous devriez brûler tout ce meuble inutile, Et laisser la science aux docteurs de la ville ; M'ôter, pour faire bien, du grenier de céans, Cette longue Lunette à faire peur aux Gens, Et cent brimborions dont l'aspect importune : Ne point aller chercher ce qu'on fait dans la Lune, Et vous mêler un peu de ce qu'on fait chez vous, Où nous voyons aller tout sens dessus dessous. Il n'est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes, Qu'une Femme étudie, et sache tant de choses. Former aux bonnes mœurs l'esprit de ses Enfants, Faire aller son ménage, avoir l'œil sur ses Gens, Et régler la dépense avec économie, Doit être son étude et sa philosophie. Nos Pères sur ce point étaient Gens bien sensés, Qui disaient qu'une Femme en sait toujours assez, Quand la capacité de son esprit se hausse À connaître un Pourpoint d'avec un Haut -de -chausse. Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bien ; Leurs ménages étaient tout leur docte entretien, Et leurs Livres un Dé, du Fil, et des Aiguilles, Dont elles travaillaient au trousseau de leurs Filles. Les Femmes d'à présent sont bien loin de ces mœurs, Elles veulent écrire, et devenir Auteurs. Nulle Science n'est pour elles trop profonde, Et céans beaucoup plus qu'en aucun lieu du Monde. Les secrets les plus hauts s'y laissent concevoir, Et l'on sait tout chez moi, hors ce qu'il faut savoir. On y sait comme vont Lune, Étoile Polaire, Vénus, Saturne, et Mars, dont je n'ai point affaire ; Et dans ce vain savoir, qu'on va chercher si loin, On ne sait comme va mon Pot dont j'ai besoin. Mes Gens à la Science aspirent pour vous plaire, Et tous ne font rien moins que ce qu'ils ont à faire ; Raisonner est l'emploi de toute ma Maison, Et le raisonnement en bannit la Raison ; L'un me brûle mon Rôt en lisant quelque Histoire, L'autre rêve à des Vers quand je demande à boire ; Enfin je vois par eux votre exemple suivi, Et j'ai des Serviteurs, et ne suis point servi. Une pauvre Servante au moins m'était restée, Qui de ce mauvais air n'était point infectée, Et voilà qu'on la chasse avec un grand fracas, À cause qu'elle manque à parler Vaugelas. Je vous le dis, ma Sœur, tout ce train-là me blesse, (Car c'est, comme j'ai dit, à vous que je m'adresse) ; Je n'aime point céans tous vos Gens à Latin, Et principalement ce Monsieur Trissotin. C'est lui qui dans des Vers vous a tympanisées, Tous les propos qu'il tient sont des billevesées, On cherche ce qu'il dit après qu'il a parlé, Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé. Moi ? Non. Ne parlons plus de querelle, c'est fait ; Discourons d'autre affaire. À votre fille aînée On voit quelque dégoût pour les nœuds d'Hyménée ; C'est une philosophe enfin, je n'en dis rien, Elle est bien gouvernée, et vous faites fort bien. Mais de toute autre humeur se trouve sa cadette, Et je crois qu'il est bon de pourvoir Henriette, De choisir un Mari... Oui. Pas tout à fait encor. Non. En aucune façon. C'est que pour Gendre elle m'offre un autre Homme. Un autre. Monsieur Trissotin. Oui, qui parle toujours de Vers et de Latin. Moi, point, à Dieu ne plaise. Rien ; et je suis bien aise De n'avoir point parlé, pour ne m'engager pas ! Non : car comme j'ai vu qu'on parlait d'autre Gendre, J'ai cru qu'il était mieux de ne m'avancer point. Mon Dieu, vous en parlez, mon Frère, bien à l'aise, Et vous ne savez pas comme le bruit me pèse. J'aime fort le repos, la paix, et la douceur, Et ma Femme est terrible avecque son humeur. Du nom de Philosophe elle fait grand mystère, Mais elle n'en est pas pour cela moins colère ; Et sa Morale faite à mépriser le bien, Sur l'aigreur de sa bile opère comme rien. Pour peu que l'on s'oppose à ce que veut sa tête, On en a pour huit jours d'effroyable tempête. Elle me fait trembler dès qu'elle prend son ton. Je ne sais où me mettre, et c'est un vrai Dragon ; Et cependant avec toute sa diablerie, Il faut que je l'appelle, et mon cœur, et ma mie. Oui, vous avez raison, et je vois que j'ai tort. Allons, il faut enfin montrer un cœur plus fort, Mon Frère. C'est une chose infâme, Que d'être si soumis au pouvoir d'une Femme. De ma douceur elle a trop profité. Trop joui de ma facilité. Et je lui veux faire aujourd'hui connaître Que ma Fille est ma Fille, et que j'en suis le Maître, Pour lui prendre un Mari qui soit selon mes vœux. Vous êtes pour Clitandre, et savez sa demeure ; Faites-le-moi venir, mon Frère, tout à l'heure. C'est souffrir trop longtemps, Et je m'en vais être Homme à la barbe des Gens. Allons, ma Fille, il faut approuver mon dessein, Ôtez ce Gant. Touchez à Monsieur dans la main, Et le considérez désormais dans votre âme En Homme dont je veux que vous soyez la Femme. Qu'est-ce à dire ? Taisez-vous, Péronnelle ! Allez philosopher tout le soûl avec elle, Et de mes actions ne vous mêlez en rien. Dites-lui ma pensée, et l'avertissez bien Qu'elle ne vienne pas m'échauffer les oreilles ; Allons vite. Allons, prenez sa main, et passez devant nous, Menez-la dans sa chambre. Ah les douces caresses ! Tenez, mon cœur s'émeut à toutes ces tendresses, Cela ragaillardit tout à fait mes vieux jours, Et je me ressouviens de mes jeunes amours. Mais quelle fantaisie a-t-elle donc pu prendre ? Pourquoi diantre vouloir ce Monsieur Trissotin ? Dès ce soir ? Et dès ce soir je veux, Pour la contrecarrer, vous marier vous deux. Et je vais le quérir pour celui qu'il doit faire. Et moi, je lui commande avec pleine puissance, De préparer sa main à cette autre Alliance. Ah je leur ferai voir, si pour donner la loi, Il est dans ma Maison d'autre Maître que moi. Nous allons revenir, songez à nous attendre ; Allons, suivez mes pas, mon Frère, et vous mon Gendre. Ah, ma Fille, je suis bien aise de vous voir. Allons, venez-vous-en faire votre devoir, Et soumettre vos vœux aux volontés d'un Père. Je veux, je veux apprendre à vivre à votre Mère ; Et pour la mieux braver, voilà, malgré ses dents, Martine que j'amène, et rétablis céans. Comment ? Me prenez-vous ici pour un Benêt ? Suis-je un Fat, s'il vous plaît ? Me croit-on incapable Des fermes sentiments d'un Homme raisonnable ? Est-ce donc qu'à l'âge où je me vois, Je n'aurais pas l'esprit d'être Maître chez moi ? Et que j'aurais cette faiblesse d'âme, De me laisser mener par le nez à ma femme ? Ouais. Qu'est-ce donc que ceci ? Je vous trouve plaisante à me parler ainsi. Ma volonté céans doit être en tout suivie. Aucun, hors moi, dans la Maison, N'a droit de commander. C'est moi qui tiens le rang de chef de la famille. C'est moi qui dois disposer de ma Fille. Le Ciel me donne un plein pouvoir sur vous. Et pour prendre un Époux, Je vous ferai bien voir que c'est à votre Père Qu'il vous faut obéir, non pas à votre Mère. Nous verrons si ma Femme à mes désirs rebelle... Secondez-moi bien tous. Tantôt avec loisir on vous dira pourquoi. Nous avons maintenant autre chose à conclure. Oui. La voilà, Monsieur, Henriette est son nom. Et celui, moi, qu'en propre personne, Je prétends qu'elle épouse, est Monsieur. Pour mon gendre mettez, mettez, Monsieur, Clitandre. Faites, faites, Monsieur, les choses à ma tête. Je ne saurais souffrir qu'on ne cherche ma fille, Que pour l'amour du bien qu'on voit dans ma Famille. Enfin pour son époux, j'ai fait choix de Clitandre. Ouais. Vous le prenez là d'un ton bien absolu ? C'est bien dit. Sans doute. Il est vrai. C'est parler comme il faut. Oui. Fort bien. Elle a dit vérité. Voilà dans cette affaire un accommodement. Voyez ? y donnez-vous votre consentement ? Votre procès perdu ! Monsieur, l'amitié qui me lie à Monsieur votre Frère, me fait prendre intérêt à tout ce qui vous touche. Je sais que vous avez mis votre bien entre les mains d'Argante et de Damon, et je vous donne avis qu'en même jour ils ont fait tous deux banqueroute. Ô Ciel! tout à la fois perdre ainsi tout mon bien! Le Ciel en soit loué. Je le savais bien, moi, que vous l'épouseriez. Allons, Monsieur, suivez l'ordre que j'ai prescrit, Et faites le Contrat ainsi que je l'ai dit. **** *creator_moliere *book_moliere_femmessavantes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_femmessavantes *dist2_moliere_verse_comedy *id_philaminte *date_1672 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_philaminte Quoi, je vous vois, Maraude ? Vite, sortez, Friponne ; allons, quittez ces lieux, Et ne vous présentez jamais devant mes yeux. Non, c'en est fait. Je veux qu'elle sorte. Quoi, vous la soutenez ? Prenez-vous son parti contre moi ? Suis-je pour la chasser sans cause légitime ? Non, elle sortira, vous dis-je, de céans. Je ne veux point d'obstacle aux désirs que je montre. Et vous devez en raisonnable Époux, Être pour moi contre elle et prendre mon courroux. Elle est d'humeur encore à n'en faire aucun cas. Voudrais-je la chasser, et vous figurez-vous Que pour si peu de chose on se mette en courroux ? Sans doute. Me voit-on femme déraisonnable ? Cela ne serait rien. C'est pis que tout cela. Pis. Elle a, d'une insolence à nulle autre pareille, Après trente leçons, insulté mon oreille, Par l'impropriété d'un mot sauvage et bas, Qu'en termes décisifs condamne Vaugelas. Quoi, toujours malgré nos remontrances, Heurter le fondement de toutes les Sciences ; La Grammaire qui sait régenter jusqu'aux Rois, Et les fait la main haute obéir à ses lois ? Quoi, vous ne trouvez pas ce crime impardonnable ? Je voudrais bien que vous l'excusassiez. L'impudente ! appeler un jargon le langage Fondé sur la Raison et sur le bel Usage ! Hé bien, ne voilà pas encore de son style, Ne servent pas de rien ! Ah peut-on y tenir ! En voilà pour tuer une oreille sensible. Ô Ciel ! Quel martyre ! Eh, mon Dieu, finissez un discours de la sorte. Vous ne voulez pas, vous, me la faire sortir ? Comment ? vous avez peur d'offenser la Coquine ? Vous lui parlez d'un ton tout à fait obligeant ? Vous voulez que toujours je l'aie à mon service, Pour mettre incessamment mon oreille au supplice ? Pour rompre toute loi d'usage et de raison, Par un barbare amas de vices d'Oraison, De mots estropiés, cousus par intervalles, De Proverbes traînés dans les ruisseaux des Halles ? Que ce discours grossier terriblement assomme ! Et quelle indignité pour ce qui s'appelle Homme, D'être baissé sans cesse aux soins matériels, Au lieu de se hausser vers les spirituels ! Le Corps, cette guenille, est-il d'une importance, D'un prix à mériter seulement qu'on y pense, Et ne devons-nous pas laisser cela bien loin ? Ah sollicitude à mon oreille est rude, Il put étrangement son ancienneté. Comment donc ? Quelle bassesse, ô Ciel, et d'âme, et de langage ! Avez-vous à lâcher encore quelque trait ? C'est à quoi j'ai songé, Et je veux vous ouvrir l'intention que j'ai. Ce Monsieur Trissotin dont on nous fait un crime, Et qui n'a pas l'honneur d'être dans votre estime, Est celui que je prends pour l'Époux qu'il lui faut, Et je sais mieux que vous juger de ce qu'il vaut ; La contestation est ici superflue, Et de tout point chez moi l'affaire est résolue. Au moins ne dites mot du choix de cet Époux, Je veux à votre Fille en parler avant vous. J'ai des raisons à faire approuver ma conduite, Et je connaîtrai bien si vous l'aurez instruite. Ah mettons-nous ici pour écouter à l'aise Ces Vers que mot à mot il est besoin qu'on pèse. Ce sont charmes pour moi, que ce qui part de vous. Ne faites point languir de si pressants désirs. À notre impatience offrez votre Épigramme. Pour me le rendre cher, il suffit de son Père. Holà, pourquoi donc fuyez-vous ? Approchez, et venez de toutes vos oreilles Prendre part au plaisir d'entendre des merveilles. Il n'importe ; aussi bien ai-je à vous dire ensuite Un secret dont il faut que vous soyez instruite. Allons, petit Garçon, vite, de quoi s'asseoir. Voyez l'impertinent ! Est -ce que l'on doit choir, Après avoir appris l'équilibre des choses ? Le Lourdaud ! Servez-nous promptement votre aimable Repas. Donnons vite audience. Si nous parlons toujours, il ne pourra rien dire. Lui seul des Vers aisés possède le talent ! J'aime superbement et magnifiquement ; Ces deux adverbes joints font admirablement. Superbement, et magnifiquement ! On se sent à ces Vers, jusques au fond de l'âme, Couler je-ne-sais-quoi qui fait que l'on se pâme. Faites-la sortir, quoi qu'on die. Ah ! que ce quoi qu'on die est d'un goût admirable ! C'est, à mon sentiment, un endroit impayable. Mais en comprend-on bien comme moi la finesse ? Faites-la sortir, quoi qu'on die. Que de la Fièvre on prenne ici les intérêts, N'ayez aucun égard, moquez-vous des caquets. Faites-la sortir, quoi qu'on die. Quoi qu'on die ; quoi qu'on die. Ce quoi qu'on die en dit beaucoup plus qu'il ne semble. Je ne sais pas, pour moi, si chacun me ressemble ; Mais j'entends là-dessous un million de mots. Mais quand vous avez fait ce charmant quoi qu'on die, Avez-vous compris, vous, toute son énergie ? Songiez-vous bien vous-même à tout ce qu'il nous dit, Et pensiez-vous alors y mettre tant d'esprit ? Enfin les Quatrains sont admirables tous deux. Venons-en promptement aux Tiercets, je vous prie. Quoi qu'on die ! Riche appartement ! Cette ingrate de Fièvre ! Votre belle vie ! On n'en peut plus ! De mille doux frissons vous vous sentez saisir. Noyez-la de vos propres mains. De vos propres mains, là, noyez-la dans les Bains. On n'y saurait marcher que sur de belles choses. Admirable, nouveau, Et personne jamais n'a rien fait de si beau. Ah ? voyons l'Épigramme. Ces Titres ont toujours quelque chose de rare. À cent beaux traits d'Esprit leur nouveauté prépare. Ah ! Ah ma Laïs ! voilà de l'érudition. On n'a que lui qui puisse écrire de ce goût. Je ne sais du moment que je vous ai connu, Si sur votre sujet j'ai l'esprit prévenu, Mais j'admire partout vos Vers et votre Prose. Je n'ai rien fait en Vers, mais j'ai lieu d'espérer Que je pourrai bientôt vous montrer en Amie, Huit chapitres du Plan de notre Académie. Platon s'est au projet simplement arrêté, Quand de sa République il a fait le Traité ; Mais à l'effet entier je veux pousser l'idée Que j'ai sur le papier en Prose accommodée, Car enfin je me sens un étrange dépit Du tort que l'on nous fait du côté de l'Esprit, Et je veux nous venger toutes tant que nous sommes De cette indigne Classe où nous rangent les Hommes ; De borner nos talents à des futilités, Et nous fermer la porte aux sublimes clartés. Le Sexe aussi vous rend justice en ces matières ; Mais nous voulons montrer à de certains Esprits, Dont l'orgueilleux savoir nous traite avec mépris, Que de Science aussi les Femmes sont meublées, Qu'on peut faire comme eux de doctes Assemblées, Conduites en cela par des ordres meilleurs, Qu'on y veut réunir ce qu'on sépare ailleurs ; Mêler le beau Langage, et les hautes Sciences ; Découvrir la Nature en mille expériences ; Et sur les questions qu'on pourra proposer Faire entrer chaque Secte, et n'en point épouser. Pour les abstractions j'aime le Platonisme. Moi ses Mondes tombants. Pour moi, sans me flatter, j'en ai déjà fait une, Et j'ai vu clairement des Hommes dans la Lune. La Morale a des traits dont mon cœur est épris, Et c'était autrefois l'amour des grands Esprits ; Mais aux Stoïciens je donne l'avantage, Et je ne trouve rien de si beau que leur Sage. Mais le plus beau projet de notre Académie, Une entreprise noble et dont je suis ravie ; Un dessein plein de gloire, et qui sera vanté Chez tous les beaux Esprits de la postérité, C'est le retranchement de ces syllabes sales, Qui dans les plus beaux mots produisent des scandales ; Ces jouets éternels des Sots de tous les temps ; Ces fades lieux communs de nos méchants Plaisants ; Ces sources d'un amas d'équivoques infâmes, Dont on vient faire insulte à la pudeur des Femmes. Pour le faire venir, vous avez tout crédit. Faisons bien les honneurs au moins de notre Esprit. Holà. Je vous ai dit en paroles bien claires, Que j'ai besoin de vous. Venez, on va dans peu vous les faire savoir. La main qui le présente, en dit assez le prix. Du Grec, ô Ciel ! du Grec ! Il sait du Grec, ma Sœur ! Quoi, Monsieur sait du Grec ? Ah permettez, de grâce Que pour l'amour du Grec, Monsieur, on vous embrasse. J'ai pour les Livres Grecs un merveilleux respect. Monsieur, avec du Grec on ne peut gâter rien. Eh, Messieurs, que prétendez-vous faire ? À vous remettre bien, je me veux appliquer. Mais parlons d'autre affaire. Approchez, Henriette. Depuis assez longtemps mon âme s'inquiète, De ce qu'aucun esprit en vous ne se fait voir, Mais je trouve un moyen de vous en faire avoir. Oui, mais j'y suis blessée, et ce n'est pas mon compte De souffrir dans mon sang une pareille honte. La beauté du Visage est un frêle ornement, Une fleur passagère, un éclat d'un moment, Et qui n'est attaché qu'à la simple épiderme ; Mais celle de l'Esprit est inhérente et ferme. J'ai donc cherché longtemps un biais de vous donner La beauté que les ans ne peuvent moissonner, De faire entrer chez vous le désir des Sciences, De vous insinuer les belles connaissances ; Et la pensée enfin où mes vœux ont souscrit, C'est d'attacher à vous un homme plein d'esprit, Et cet Homme est Monsieur que je vous détermine À voir comme l'Époux que mon choix vous destine. Oui, vous. Faites la Sotte un peu. Comme vous répondez ! Savez-vous bien que si… Suffit, vous m'entendez. Elle se rendra sage ; allons, laissons-la faire. Je lui montrerai bien aux lois de qui des deux Les droits de la Raison soumettent tous ses vœux ; Et qui doit gouverner ou sa Mère, ou son Père, Ou l'esprit, ou le corps ; la forme, ou la matière. Il n'en est pas encore où son cœur peut prétendre. Je le trouvais bien fait, et j'aimais vos amours ; Mais dans ses procédés il m'a déplu toujours. Il sait que Dieu merci je me mêle d'écrire, Et jamais il ne m'a prié de lui rien lire. Petit Sot ! Le Brutal ! L'Impertinent ! Mais enfin comptez-vous, Monsieur, sur mon suffrage, Quand vous vous promettez cet autre Mariage ? Et dans vos visions savez-vous, s'il vous plaît, Que j'ai pour Henriette un autre Époux tout prêt ? Si vous jugez de lui tout autrement que nous, C'est que nous le voyons par d'autres yeux que vous. Remettons ce discours pour une autre saison, Monsieur n'y trouverait ni rime, ni raison ; Il fait profession de chérir l'ignorance, Et de haïr surtout l'Esprit et la Science. Il me semble, Monsieur... On souffre aux entretiens ces sortes de combats, Pourvu qu'à la Personne on ne s'attaque pas. Votre chaleur est grande, et cet emportement De la Nature en vous marque le mouvement. C'est le nom de Rival qui dans votre âme excite... Quelque important que soit ce qu'on veut que je lise, Apprenez, mon ami, que c'est une sottise De se venir jeter au travers d'un discours, Et qu'aux Gens d'un Logis il faut avoir recours, Afin de s'introduire en Valet qui sait vivre. Trissotin s'est vanté, Madame, qu'il épouserait votre Fille. Je vous donne avis que sa Philosophie n'en veut qu'à vos richesses, et que vous ferez bien de ne point conclure ce Mariage, que vous n'ayez vu le Poème que je compose contre lui. En attendant cette Peinture où je prétends vous le dépeindre de toutes ses couleurs, je vous envoie Horace, Virgile, Térence et Catulle, où vous verrez notés en marge tous les endroits qu'il a pillés. Voilà sur cet Hymen que je me suis promis Un mérite attaqué de beaucoup d'ennemis ; Et ce déchaînement aujourd'hui me convie, À faire une action qui confonde l'envie ; Qui lui fasse sentir que l'effort qu'elle fait, De ce qu'elle veut rompre, aura pressé l'effet. Reportez tout cela sur l'heure à votre Maître ; Et lui dites, qu'afin de lui faire connaître Quel grand état je fais de ses nobles avis, Et comme je les crois dignes d'être suivis, Dès ce soir à Monsieur je marierai ma Fille ; Vous, Monsieur, comme Ami de toute la Famille, À signer leur Contrat vous pourrez assister, Et je vous y veux bien de ma part inviter. Armande, prenez soin d'envoyer au Notaire, Et d'aller avertir votre Sœur de l'affaire. Nous verrons qui sur elle aura plus de pouvoir, Et si je la saurai réduire à son devoir. Vous ne sauriez changer votre style sauvage, Et nous faire un Contrat qui soit en beau langage ? De cette barbarie en vain nous nous plaignons. Allons, Monsieur, prenez la Table pour écrire. Ah, ah ! Cette Impudente ose encor se produire ? Pourquoi donc, s'il vous plaît, la ramener chez moi ? Celle que je marie est la Cadette. L'époux que je lui donne Est Monsieur. Où vous arrêtez-vous ? Mettez, mettez, Monsieur, Trissotin pour mon gendre. Suivez, suivez, Monsieur, le choix où je m'arrête. Quoi donc, vous combattrez les choses que je veux ? Vraiment à votre bien on songe bien ici, Et c'est là pour un Sage, un fort digne souci ! Et moi, pour son Époux, voici qui je veux prendre : Mon choix sera suivi, c'est un point résolu. Il faut souffrir qu'elle jase à son aise. Est-ce fait ? et sans trouble ai-je assez écouté Votre digne interprète ? Et moi, pour trancher court toute cette dispute, Il faut qu'absolument mon désir s'exécute. Henriette, et Monsieur seront joints de ce pas ; Je l'ai dit, je le veux, ne me répliquez pas : Et si votre parole à Clitandre est donnée, Offrez-lui le parti d'épouser son aînée. Quel malheur, Digne de nous troubler, pourrait-on nous écrire ? Madame, j'ai prié Monsieur votre Frère de vous rendre cette Lettre, qui vous dira ce que je n'ai osé vous aller dire. La grande négligence que vous avez pour vos Affaires, a été cause que le Clerc de votre Rapporteur ne m'a point averti, et vous avez perdu absolument votre Procès que vous deviez gagner. Vous vous troublez beaucoup ! Mon cœur n'est point du tout ébranlé de ce coup. Faites, faites paraître une âme moins commune À braver comme moi les traits de la Fortune. Le peu de soin que vous avez vous coûte quarante mille écus, et c'est à payer cette somme, avec les dépens, que vous êtes condamnée par Arrêt de la Cour. Condamnée ! Ah ce mot est choquant, et n'est fait Que pour les Criminels. Voyons l'autre. Ah quel honteux transport ! Fi ! tout cela n'est rien. Il n'est pour le vrai Sage aucun revers funeste, Et perdant toute chose, à soi-même il se reste. Achevons notre affaire, et quittez votre ennui ; Son bien nous peut suffire et pour nous, et pour lui. Cette réflexion vous vient en peu de temps ! Elle suit de bien près, Monsieur, notre disgrâce. Je vois, je vois de vous, non pas pour votre gloire, Ce que jusques ici j'ai refusé de croire. Qu'il a bien découvert son âme mercenaire ! Et que peu philosophe est ce qu'il vient de faire ! Vous me charmez, Monsieur, par ce trait généreux, Et je veux couronner vos désirs amoureux. Oui, j'accorde Henriette à l'ardeur empressée... J'en ai la joie au cœur, Par le chagrin qu'aura ce lâche Déserteur. Voilà le châtiment de sa basse avarice, De voir qu'avec éclat cet Hymen s'accomplisse. Ce ne sera point vous que je leur sacrifie, Et vous avez l'appui de la Philosophie, Pour voir d'un œil content couronner leur ardeur. **** *creator_moliere *book_moliere_femmessavantes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_femmessavantes *dist2_moliere_verse_comedy *id_armande *date_1672 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_armande Quoi, le beau nom de Fille est un titre, ma Sœur, Dont vous voulez quitter la charmante douceur ? Et de vous marier vous osez faire fête ? Ce vulgaire dessein vous peut monter en tête ? Ah ce oui se peut-il supporter ? Et sans un mal de cœur saurait-on l'écouter ? Ah mon Dieu, fi. Ah fi, vous dis-je. Ne concevez-vous point ce que, dès qu'on l'entend, Un tel mot à l'Esprit offre de dégoûtant ? De quelle étrange image on est par lui blessée ? Sur quelle sale vue il traîne la pensée ? N'en frissonnez-vous point ? et pouvez-vous, ma Sœur, Aux suites de ce mot résoudre votre cœur ? De tels attachements, ô Ciel ! sont pour vous plaire ? Mon Dieu, que votre Esprit est d'un étage bas ! Que vous jouez au Monde un petit Personnage, De vous claquemurer aux choses du Ménage, Et de n'entrevoir point de plaisirs plus touchants, Qu'un idole d'Époux,et des marmots d'Enfants ! Laissez aux Gens grossiers, aux Personnes vulgaires, Les bas amusements de ces sortes d'affaires. À de plus hauts objets élevez vos désirs, Songez à prendre un goût des plus nobles plaisirs, Et traitant de mépris les sens et la matière, À l'Esprit comme nous donnez-vous toute entière : Vous avez notre Mère en exemple à vos yeux, Que du nom de Savante on honore en tous lieux, Tâchez ainsi que moi de vous montrer sa Fille, Aspirez aux Clartés qui sont dans la Famille, Et vous rendez sensible aux charmantes douceurs Que l'amour de l'Étude épanche dans les cœurs : Loin d'être aux lois d'un Homme en Esclave asservie ; Mariez-vous, ma Sœur, à la Philosophie, Qui nous monte au-dessus de tout le Genre Humain, Et donne à la Raison l'empire souverain, Soumettant à ses lois la partie animale Dont l'appétit grossier aux Bêtes nous ravale. Ce sont là les beaux feux, les doux attachements, Qui doivent de la vie occuper les moments ; Et les soins où je vois tant de Femmes sensibles, Me paraissent aux yeux des pauvretés horribles. Quand sur une Personne on prétend se régler, C'est par les beaux côtés qu'il lui faut ressembler ; Et ce n'est point du tout la prendre pour modèle, Ma Sœur, que de tousser et de cracher comme elle. Je vois que votre Esprit ne peut être guéri Du fol entêtement de vous faire un Mari : Mais sachons, s'il vous plaît, qui vous songez à prendre ? Votre visée au moins n'est pas mise à Clitandre. Non, mais c'est un dessein qui serait malhonnête, Que de vouloir d'un autre enlever la conquête ; Et ce n'est pas un fait dans le Monde ignoré, Que Clitandre ait pour moi hautement soupiré. Cet empire que tient la Raison sur les sens, Ne fait pas renoncer aux douceurs des encens ; Et l'on peut pour Époux refuser un mérite Que pour adorateur on veut bien à sa suite. Mais à l'offre des vœux d'un Amant dépité, Trouvez-vous, je vous prie, entière sûreté ? Croyez-vous pour vos yeux sa passion bien forte, Et qu'en son cœur pour moi toute flamme soit morte ? Ne soyez pas, ma Sœur, d'une si bonne foi, Et croyez, quand il dit qu'il me quitte et vous aime, Qu'il n'y songe pas bien, et se trompe lui-même. Non, non,je ne veux point à votre passion Imposer la rigueur d'une explication ; Je ménage les Gens, et sais comme embarrasse Le contraignant effort de ces aveux en face. Eh qui vous dit, Monsieur, que l'on ait cette envie, Et que de vous enfin si fort on se soucie ? Je vous trouve plaisant, de vous le figurer ; Et bien impertinent, de me le déclarer. Mais vous qui m'en parlez, où la pratiquez-vous, De répondre à l'amour que l'on vous fait paraître, Sans le congé de ceux qui vous ont donné l'être ? Sachez que le devoir vous soumet à leurs lois, Qu'il ne vous est permis d'aimer que par leur choix, Qu'ils ont sur votre cœur l'autorité suprême, Et qu'il est criminel d'en disposer vous-même. Vous triomphez, ma Sœur, et faites une mine Àvous imaginer que cela me chagrine. Votre petit Esprit se mêle de railler, Et d'un cœur qu'on vous jette on vous voit toute fière. Àrépondre à cela je ne daigne descendre, Et ce sont sots discours qu'il ne faut pas entendre. Je brûle de les voir. Ce m'est une douceur à nulle autre pareille. Dépêchez. Ah de l'esprit partout ! Ah ! Je n'en doute point. Ah laissez-le donc lire. Qu'il a le tour galant ! À prudence endormie il faut rendre les armes. Prudence endormie ! Donnez-nous, s'il vous plaît, le loisir d'admirer. Faites-la sortir, quoi qu'on die, De votre riche Appartement. Que riche Appartement est là joliment dit ! Et que la métaphore est mise avec esprit ! De quoi qu'on die aussi mon cœur est amoureux. Je voudrais l'avoir fait. J'ai fort aussi l'ingrate dans la tête, Cette ingrate de Fièvre, injuste, malhonnête, Qui traite mal les Gens, qui la logent chez eux. Ah, s'il vous plaît, encore une fois quoi qu'on die. On se meurt de plaisir. Si vous la conduisez aux Bains, Chaque pas dans vos Vers rencontre un trait charmant. Ce sont petits chemins tout parsemés de roses. Oh, oh, oh ! Celui-là ne s'attend point du tout. C'est faire à notre Sexe une trop grande offense, De n'étendre l'effort de notre intelligence, Qu'à juger d'une Jupe, et de l'air d'un Manteau, Ou des beautés d'un Point, ou d'un Brocart nouveau. Épicure me plaît, et ses Dogmes sont forts. J'aime ses tourbillons. Il me tarde de voir notre Assemblée ouverte, Et de nous signaler par quelque découverte. Nous approfondirons, ainsi que la Physique, Grammaire, Histoire, Vers, Morale, et Politique. Pour la Langue, on verra dans peu nos Règlements, Et nous y prétendons faire des remuements. Par une antipathie ou juste, ou naturelle, Nous avons pris chacune une haine mortelle Pour un nombre de mots, soit ou verbes, ou noms, Que mutuellement nous nous abandonnons ; Contre eux nous préparons de mortelles Sentences, Et nous devons ouvrir nos doctes Conférences Par les proscriptions de tous ces mots divers, Dont nous voulons purger et la Prose et les Vers. Nous serons par nos Lois les Juges des Ouvrages. Par nos Lois, Prose et Vers, tout nous sera soumis. Nul n'aura de l'esprit, hors nous et nos Amis. Nous chercherons partout à trouver à redire, Et ne verrons que nous qui sache bien écrire. Du Grec ! Quelle douceur ! On voit briller pour vous les soins de notre Mère ; Et son choix ne pouvait d'un plus illustre Époux... C'est à vous, non à moi, que sa main est donnée. Si l'Hymen comme à vous me paraissait charmant, J'accepterais votre offre avec ravissement. Cependant bien qu'ici nos goûts soient différents, Nous devons obéir, ma Sœur, à nos Parents ; Une Mère a sur nous une entière puissance, Et vous croyez en vain par votre résistance... De ce côté, ma Sœur, vos penchants sont fort grands. Une Mère a sa part à notre obéissance. Je dis que j'appréhende fort Qu'ici ma Mère et vous ne soyez pas d'accord, Et c'est un autre Époux... Oui, rien n'a retenu son esprit en balance. Elle a fait vanité de son obéissance. Son cœur, pour se livrer, à peine devant moi S'est-il donné le temps d'en recevoir la loi, Et semblait suivre moins les volontés d'un Père, Qu'affecter de braver les ordres d'une Mère. On vous en devait bien au moins un compliment, Et ce petit Monsieur en use étrangement, De vouloir malgré vous devenir votre Gendre. Je ne souffrirais point, si j'étais que de vous, Que jamais d'Henriette il pût être l'Époux. On me ferait grand tort d'avoir quelque pensée, Que là-dessus je parle en Fille intéressée, Et que le lâche tour que l'on voit qu'il me fait, Jette au fond de mon cœur quelque dépit secret. Contre de pareils coups, l'âme se fortifie Du solide secours de la Philosophie, Et par elle on se peut mettre au-dessus de tout : Mais vous traiter ainsi, c'est vous pousser à bout. Il est de votre honneur d'être à ses vœux contraire, Et c'est un Homme enfin qui ne doit point vous plaire. Jamais je n'ai connu, discourant entre nous, Qu'il eût au fond du cœur de l'estime pour vous. Quelque bruit que votre gloire fasse, Toujours à vous louer il a paru de glace. Et vingt fois, comme Ouvrages nouveaux, J'ai lu des Vers de vous qu'il n'a point trouvé beaux. Souvent nous en étions aux prises ; Et vous ne croiriez point de combien de sottises... Si j'avais le courroux dont on veut m'accuser, Je trouverais assez de quoi l'autoriser ; Vous en seriez trop digne, et les premières flammes S'établissent des droits si sacrés sur les âmes. Qu'il faut perdre fortune, et renoncer au jour, Plutôt que de brûler des feux d'un autre amour ; Au changement de vœux nulle horreur ne s'égale, Et tout cœur infidèle est un Monstre en Morale. Appelez-vous, Monsieur, être à vos vœux contraire, Que de leur arracher ce qu'ils ont de vulgaire, Et vouloir les réduire à cette pureté Où du parfait amour consiste la beauté ? Vous ne sauriez pour moi tenir votre pensée Du commerce des sens nette et débarrassée ? Et vous ne goûtez point dans ses plus doux appas, Cette union des cœurs, où les corps n'entrent pas ? Vous ne pouvez aimer que d'une amour grossière ? Qu'avec tout l'attirail des nœuds de la matière ? Et pour nourrir les feux que chez vous on produit, Il faut un Mariage, et tout ce qui s'ensuit. Ah quel étrange amour ! et que les belles âmes Sont bien loin de brûler de ces terrestres flammes ! Les sens n'ont point de part à toutes leurs ardeurs, Et ce beau feu ne veut marier que les cœurs. Comme une chose indigne, il laisse là le reste. C'est un feu pur et net comme le feu céleste, On ne pousse avec lui que d'honnêtes soupirs, Et l'on ne penche point vers les sales désirs. Rien d'impur ne se mêle au but qu'on se propose. On aime pour aimer, et non pour autre chose. Ce n'est qu'à l'esprit seul que vont tous les transports Et l'on ne s'aperçoit jamais qu'on ait un corps. Hé bien, Monsieur, hé bien, puisque sans m'écouter Vos sentiments brutaux veulent se contenter ; Puisque pour vous réduire à des ardeurs fidèles, Il faut des nœuds de chair, des chaînes corporelles ; Si ma Mère le veut, je résous mon esprit À consentir pour vous à ce dont il s'agit. Mais l'offensante aigreur de chaque repartie Dont vous... Pour avertir ma Sœur, il n'en est pas besoin, Et Monsieur que voilà, saura prendre le soin De courir lui porter bientôt cette nouvelle, Et disposer son cœur à vous être rebelle. J'ai grand regret, Monsieur, de voir qu'à vos visées, Les choses ne soient pas tout à fait disposées. J'ai peur que votre effort n'ait pas trop bonne issue. Je le souhaite ainsi. Oui, je vais vous servir de toute ma puissance. Ainsi donc à leurs vœux vous me sacrifiez ? **** *creator_moliere *book_moliere_femmessavantes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_femmessavantes *dist2_moliere_verse_comedy *id_henriette *date_1672 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_henriette Oui, ma sœur. Qu'a donc le Mariage en soi qui vous oblige, Ma Sœur... Comment ? Les suites de ce mot, quand je les envisage, Me font voir un Mari, des Enfants, un Ménage ; Et je ne vois rien là, si j'en puis raisonner, Qui blesse la pensée, et fasse frissonner. Et qu'est-ce qu'à mon âge on a de mieux à faire, Que d'attacher à soi, par le titre d'époux, Un Homme qui vous aime, et soit aimé de vous ; Et de cette union de tendresse suivie, Se faire les douceurs d'une innocente vie ? Ce nœud bien assorti n'a-t-il pas des appas ? Le Ciel, dont nous voyons que l'ordre est tout-puissant, Pour différents emplois nous fabrique en naissant ; Et tout Esprit n'est pas composé d'une étoffe Qui se trouve taillée à faire un Philosophe. Si le vôtre est né propre aux élévations Où montent des Savants les spéculations, Le mien est fait, ma Sœur, pour aller terre à terre, Et dans les petits soins son faible se resserre. Ne troublons point du Ciel les justes règlements, Et de nos deux instincts suivons les mouvements ; Habitez par l'essor d'un grand et beau génie, Les hautes régions de la Philosophie, Tandis que mon Esprit se tenant ici-bas, Goûtera de l'Hymen les terrestres appas. Ainsi dans nos desseins l'une à l'autre contraire, Nous saurons toutes deux imiter notre Mère ; Vous, du côté de l'âme et des nobles désirs, Moi, du côté des sens et des grossiers plaisirs ; Vous, aux productions d'Esprit et de lumière, Moi, dans celles, ma Sœur, qui sont de la matière. Mais vous ne seriez pas ce dont vous vous vantez, Si ma Mère n'eût eu que de ces beaux côtés ; Et bien vous prend, ma Sœur, que son noble génie N'ait pas vaqué toujours à la Philosophie. De grâce souffrez-moi par un peu de bonté Des bassesses à qui vous devez la clarté ; Et ne supprimez point, voulant qu'on vous seconde, Quelque petit Savant qui veut venir au monde. Et par quelle raison n'y serait-elle pas ? Manque-t-il de mérite ? est-ce un choix qui soit bas ? Oui,mais tous ces soupirs chez vous sont choses vaines, Et vous ne tombez point aux bassesses humaines ; Votre esprit à l'Hymen renonce pour toujours, Et la Philosophie a toutes vos amours : Ainsi n'ayant au cœur nul dessein pour Clitandre, Que vous importe-t-il qu'on y puisse prétendre ? Je n'ai pas empêché qu'à vos perfections Il n'ait continué ses adorations ; Et je n'ai fait que prendre, au refus de votre âme, Ce qu'est venu m'offrir l'hommage de sa flamme. Il me le dit, ma Sœur, et pour moi je le crois. Je ne sais ; Mais enfin, si c'est votre plaisir, Il nous est bien aisé de nous en éclaircir. Je l'aperçois qui vient, et sur cette matière Il pourra nous donner une pleine lumière. Pour me tirer d'un doute où me jette ma Sœur, Entre elle et moi, Clitandre, expliquez votre cœur, Découvrez-en le fond, et nous daignez apprendre Qui de nous à vos vœux est en droit de prétendre. Eh doucement, ma Sœur. Où donc est la Morale Qui sait si bien régir la partie animale, Et retenir la bride aux efforts du courroux ? Je rends grâce aux bontés que vous me faites voir, De m'enseigner si bien les choses du devoir ; Mon cœur sur vos leçons veut régler sa conduite, Et pour vous faire voir, ma Sœur, que j'en profite ; Clitandre, prenez soin d'appuyer votre amour De l'agrément de ceux dont j'ai reçu le jour, Faites-vous sur mes vœux un pouvoir légitime, Et me donnez moyen de vous aimer sans crime. Moi, ma Sœur, point du tout ; je sais que sur vos sens Les droits de la Raison sont toujours tout-puissants, Et que par les leçons qu'on prend dans la Sagesse, Vous êtes au-dessus d'une telle faiblesse. Loin de vous soupçonner d'aucun chagrin, je crois Qu'ici vous daignerez vous employer pour moi, Appuyer sa demande, et de votre suffrage Presser l'heureux moment de notre Mariage. Je vous en sollicite, et pour y travailler... Tout jeté qu'est ce cœur, il ne vous déplaît guère ; Et si vos yeux sur moi le pouvaient ramasser, Ils prendraient aisément le soin de se baisser. C'est fort bien fait à vous, et vous nous faites voir Des modérations qu'on ne peut concevoir. Votre sincère aveu ne l'a pas peu surprise. Le plus sûr est de gagner ma Mère : Mon Père est d'une humeur à consentir à tout, Mais il met peu de poids aux choses qu'il résout ; Il a reçu du Ciel certaine bonté d'âme, Qui le soumet d'abord à ce que veut sa Femme ; C'est elle qui gouverne, et d'un ton absolu Elle dicte pour loi ce qu'elle a résolu. Je voudrais bien vous voir pour elle, et pour ma Tante, Une âme, je l'avoue, un peu plus complaisante, Un esprit qui flattant les visions du leur, Vous pût de leur estime attirer la chaleur. Ses Écrits, ses discours, tout m'en semble ennuyeux, Et je me trouve assez votre goût et vos yeux : Mais comme sur ma Mère il a grande puissance, Vous devez vous forcer à quelque complaisance. Un Amant fait sa Cour où s'attache son cœur, Il veut de tout le Monde y gagner la faveur ; Et pour n'avoir personne à sa flamme contraire, Jusqu'au Chien du Logis il s'efforce de plaire. C'est avoir de bons yeux que de voir tout cela. Quel conte ! C'est de peur de troubler un entretien si doux. Je sais peu les beautés de tout ce qu'on écrit, Et ce n'est pas mon fait que les choses d'esprit. Aussi peu l'un que l'autre, et je n'ai nulle envie... Chacun fait ici-bas la Figure qu'il peut, Ma Tante ; et Bel Esprit, il ne l'est pas qui veut. Point, je n'écoute pas. Mais pour quelles affaires ? Excusez-moi, Monsieur, je n'entends pas le Grec. C'est prendre un soin pour moi qui n'est pas nécessaire, Les doctes entretiens ne sont point mon affaire. J'aime à vivre aisément, et dans tout ce qu'on dit Il faut se trop peiner, pour avoir de l'esprit. C'est une ambition que je n'ai point en tête, Je me trouve fort bien, ma Mère, d'être Bête, Et j'aime mieux n'avoir que de communs propos, Que de me tourmenter pour dire de beaux mots. Moi, ma Mère ? Tout beau, Monsieur, il n'est pas fait encore Ne vous pressez pas tant. Si le choix est si beau, que ne le prenez-vous ? Je vous le cède tout, comme à ma Sœur aînée. Si j'avais comme vous les Pédants dans la tête, Je pourrais le trouver un Parti fort honnête. Il nous faut obéir, ma Sœur, à nos Parents ; Un Père a sur nos vœux une entière puissance. Hélas ! dans cette humeur conservez-le toujours. Pour mon cœur vous pouvez vous assurer de lui. Vous voyez à quels nœuds on prétend le contraindre. Je vais tout essayer pour nos vœux les plus doux ; Et si tous mes efforts ne me donnent à vous, Il est une retraite où notre âme se donne, Qui m'empêchera d'être à toute autre Personne. C'est sur le Mariage où ma Mère s'apprête, Que j'ai voulu, Monsieur, vous parler tête -à -tête ; Et j'ai cru dans le trouble où je vois la Maison, Que je pourrais vous faire écouter la Raison. Je sais qu'avec mes vœux vous me jugez capable De vous porter en dot un bien considérable : Mais l'argent dont on voit tant de Gens faire cas, Pour un vrai Philosophe a d'indignes appas ; Et le mépris du bien et des grandeurs frivoles, Ne doit point éclater dans vos seules paroles. Je suis fort redevable à vos feux généreux ; Cet obligeant amour a de quoi me confondre, Et j'ai regret, Monsieur, de n'y pouvoir répondre. Je vous estime autant qu'on saurait estimer, Mais je trouve un obstacle à vous pouvoir aimer. Un cœur, vous le savez, à deux ne saurait être, Et je sens que du mien Clitandre s'est fait maître. Je sais qu'il a bien moins de mérite que vous, Que j'ai de méchants yeux pour le choix d'un Époux, Que par cent beaux talents vous devriez me plaire. Je vois bien que j'ai tort, mais je n'y puis que faire ; Et tout ce que sur moi peut le raisonnement, C'est de me vouloir mal d'un tel aveuglement. Non, à ses premiers vœux mon âme est attachée, Et ne peut de vos soins, Monsieur, être touchée. Avec vous librement j'ose ici m'expliquer, Et mon aveu n'a rien qui vous doive choquer. Cette amoureuse ardeur qui dans les cœurs s'excite, N'est point, comme l'on sait, un effet du mérite ; Le caprice y prend part, et quand quelqu'un nous plaît, Souvent nous avons peine à dire pourquoi c'est. Si l'on aimait, Monsieur, par choix et par sagesse, Vous auriez tout mon cœur et toute ma tendresse ; Mais on voit que l'Amour se gouverne autrement. Laissez-moi, je vous prie, à mon aveuglement, Et ne vous servez point de cette violence Que pour vous on veut faire à mon obéissance. Quand on est honnête Homme, on ne veut rien devoir À ce que des Parents ont sur nous de pouvoir. On répugne à se faire immoler ce qu'on aime, Et l'on veut n'obtenir un cœur que de lui-même. Ne poussez point ma Mère à vouloir par son choix, Exercer sur mes vœux la rigueur de ses droits. Ôtez-moi votre amour, et portez à quelque autre Les hommages d'un cœur aussi cher que le vôtre. Eh Monsieur, laissons là ce galimatias. Vous avez tant d'Iris, de Philis, d'Amarantes, Que partout dans vos Vers vous peignez si charmantes, Et pour qui vous jurez tant d'amoureuse ardeur... Eh de grâce, Monsieur... Mais savez-vous qu'on risque un peu plus qu'on ne pense, À vouloir sur un cœur user de violence. Qu'il ne fait pas bien sûr, à vous le trancher net, D'épouser une fille en dépit qu'elle en ait ; Et qu'elle peut aller en se voyant contraindre, À des ressentiments que le mari doit craindre. En vérité, Monsieur, je suis de vous ravie ; Et je ne pensais pas que la Philosophie Fût si belle qu'elle est, d'instruire ainsi les Gens À porter constamment de pareils accidents. Cette fermeté d'âme à vous si singulière, Mérite qu'on lui donne une illustre matière ; Est digne de trouver qui prenne avec amour, Les soins continuels de la mettre en son jour ; Et comme à dire vrai, je n'oserais me croire Bien propre à lui donner tout l'éclat de sa gloire, Je le laisse à quelque autre, et vous jure entre nous, Que je renonce au bien de vous voir mon Époux. Vos résolutions sont dignes de louange. Gardez que cette humeur, mon Père, ne vous change. Soyez ferme à vouloir ce que vous souhaitez, Et ne vous laissez point séduire à vos bontés. Ne vous relâchez pas, et faites bien en sorte D'empêcher que sur vous ma Mère ne l'emporte. M'en préserve le Ciel. Je ne dis pas cela. Non, mon père. Si fait. Eh non, mon père. Si je vous ai choqué, ce n'est pas mon envie. Fort bien, mon Père. Oui, vous avez raison. D'accord. Eh oui. Qui vous dit le contraire ? Hélas ! vous flattez là les plus doux de mes vœux ; Veuillez être obéi, c'est tout ce que je veux. Eh mon père ! Non, ma Mère, je change à présent de pensée. Souffrez que je résiste à votre volonté. Je sais le peu de bien que vous avez, Clitandre, Et je vous ai toujours souhaité pour Époux, Lorsqu'en satisfaisant à mes vœux les plus doux, J'ai vu que mon Hymen ajustait vos affaires : Mais lorsque nous avons les Destins si contraires, Je vous chéris assez dans cette extrémité, Pour ne vous charger point de notre adversité. L'Amour dans son transport parle toujours ainsi. Des retours importuns évitons le souci, Rien n'use tant l'ardeur de ce nœud qui nous lie, Que les fâcheux besoins des choses de la vie ; Et l'on en vient souvent à s'accuser tous deux, De tous les noirs chagrins qui suivent de tels feux. Sans cela, vous verriez tout mon cœur y courir ; Et je ne fuis sa main, que pour le trop chérir. **** *creator_moliere *book_moliere_femmessavantes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_femmessavantes *dist2_moliere_verse_comedy *id_ariste *date_1672 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_ariste Oui, je vous porterai la réponse au plus tôt ; J'appuierai, presserai, ferai tout ce qu'il faut. Qu'un Amant, pour un mot, a de choses à dire ! Et qu'impatiemment il veut ce qu'il désire ! Jamais... Ah, Dieu vous gard', mon frère. Savez-vous ce qui m'amène ici ? Depuis assez longtemps vous connaissez Clitandre ? En quelle estime est-il, mon Frère, auprès de vous ? Certain désir qu'il a, conduit ici mes pas, Et je me réjouis que vous en fassiez cas. Fort bien. On le dit. Je le crois. Voilà qui va des mieux : Mais venons au sujet qui m'amène en ces lieux. Clitandre auprès de vous me fait son Interprète, Et son cœur est épris des grâces d'Henriette. Oui, Clitandre en est charmé, Et je ne vis jamais Amant plus enflammé. Comment, ma Sœur ? Vous raillez. Ce n'est pas Henriette qu'il aime ? Il me l'a dit lui-même. Vous me voyez, ma Sœur, chargé par lui D'en faire la demande à son Père aujourd'hui. Et son amour même m'a fait instance De presser les moments d'une telle alliance. Mais puisque vous savez tant de choses, ma Sœur, Dites-nous, s'il vous plaît, cet autre Objet qu'il aime. Oui. Quoi ? Vous ? Hay, ma Sœur ! Ces gens vous aiment ? Ils vous l'ont dit ? On ne voit presque point céans venir Damis. De mots piquants partout Dorante vous outrage. Cléonte et Lycidas ont pris femme tous deux. Ma foi ! ma chère Sœur, vision toute claire. Cela croît tous les jours. Mais, encore une fois, reprenons le discours. Clitandre vous demande Henriette pour Femme, Voyez quelle réponse on doit faire à sa flamme ? Vous savez que de bien il n'a pas l'abondance, Que... Parlons à votre Femme, et voyons à la rendre Favorable... Oui ; mais pour appuyer votre consentement, Mon Frère, il n'est pas mal d'avoir son agrément, Allons... Mais... Soit. Je vais là-dessus sonder votre Henriette, Et reviendrai savoir... Hé bien ? la Femme sort, mon Frère, et je vois bien Que vous venez d'avoir ensemble un entretien. Quel est le succès ? Aurons-nous Henriette ? A-t-elle consenti ? l'affaire est-elle faite ? Refuse-t-elle ? Est-ce qu'elle balance ? Quoi donc ? Un autre Homme pour Gendre ! Qui se nomme ? Quoi ? ce Monsieur Trissotin... Vous l'avez accepté ? Qu'avez-vous répondu ? La raison est fort belle, et c'est faire un grand pas. Avez-vous su du moins lui proposer Clitandre ? Certes votre prudence est rare au dernier point ! N'avez-vous point de honte avec votre mollesse ? Et se peut-il qu'un Homme ait assez de faiblesse Pour laisser à sa Femme un pouvoir absolu, Et n'oser attaquer ce qu'elle a résolu ? Allez, c'est se moquer. Votre Femme, entre nous, Est par vos lâchetés souveraine sur vous. Son pouvoir n'est fondé que sur votre faiblesse. C'est de vous qu'elle prend le titre de Maîtresse. Vous-même à ses hauteurs vous vous abandonnez, Et vous faites mener en Bête par le nez. Quoi, vous ne pouvez pas, voyant comme on vous nomme, Vous résoudre une fois à vouloir être un Homme ? À faire condescendre une Femme à vos vœux, Et prendre assez de cœur pour dire un : Je le veux ? Vous laisserez sans honte immoler votre Fille Aux folles visions qui tiennent la Famille, Et de tout votre bien revêtir un Nigaud, Pour six mots de Latin qu'il leur fait sonner haut ? Un Pédant qu'à tous coups votre Femme apostrophe Du nom de bel Esprit, et de grand Philosophe, D'homme qu'en Vers galants jamais on n'égala, Et qui n'est, comme on sait, rien moins que tout cela ? Allez, encore un coup, c'est une moquerie, Et votre lâcheté mérite qu'on en rie. C'est bien dit. Fort bien. Il est vrai. Sans doute. Vous voilà raisonnable, et comme je vous veux. J'y cours tout de ce pas. Fort bien ; Vous faites des merveilles. C'est par l'honneur qu'il a de rimer à Latin, Qu'il a sur son rival emporté l'avantage. J'emploierai toute chose à servir vos amours. J'ai regret de troubler un mystère joyeux, Par le chagrin qu'il faut que j'apporte en ces lieux. Ces deux Lettres me font porteur de deux nouvelles, Dont j'ai senti pour vous les atteintes cruelles : L'une pour vous, me vient de votre Procureur ; L'autre pour vous, me vient de Lyon. Cette Lettre en contient un que vous pouvez lire. Il a tort en effet, Et vous vous êtes là justement récriée. Il devait avoir mis que vous êtes priée, Par Arrêt de la Cour, de payer au plus tôt Quarante mille écus, et les dépens qu'il faut. N'est-ce que le motif que nous venons d'entendre, Qui vous fait résister à l'Hymen de Clitandre ? Laissez-vous donc lier par des chaînes si belles. Je ne vous ai porté que de fausses nouvelles ; Et c'est un stratagème, un surprenant secours, Que j'ai voulu tenter pour servir vos amours ; Pour détromper ma Sœur, et lui faire connaître Ce que son Philosophe à l'essai pouvait être. **** *creator_moliere *book_moliere_femmessavantes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_femmessavantes *dist2_moliere_verse_comedy *id_belise *date_1672 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_belise Ah tout beau, gardez-vous de m'ouvrir trop votre âme : Si je vous ai su mettre au rang de mes Amants, Contentez-vous des yeux pour vos seuls truchements, Et ne m'expliquez point par un autre langage Des désirs qui chez moi passent pour un outrage ; Aimez-moi, soupirez, brûlez pour mes appas, Mais qu'il me soit permis de ne le savoir pas : Je puis fermer les yeux sur vos flammes secrètes, Tant que vous vous tiendrez aux muets Interprètes ; Mais si la bouche vient à s'en vouloir mêler, Pour jamais de ma vue il vous faut exiler. Ah certes le détour est d'esprit, je l'avoue, Ce subtil faux-fuyant mérite qu'on le loue ; Et dans tous les Romans où j'ai jeté les yeux, Je n'ai rien rencontré de plus ingénieux. Je vois où doucement veut aller la demande, Et je sais sous ce nom ce qu'il faut que j'entende ; La figure est adroite, et pour n'en point sortir, Aux choses que mon cœur m'offre à vous repartir, Je dirai qu'Henriette à l'Hymen est rebelle, Et que sans rien prétendre, il faut brûler pour elle. Mon Dieu, point de façons ; cessez de vous défendre De ce que vos regards m'ont souvent fait entendre ; Il suffit que l'on est contente du détour Dont s'est adroitement avisé votre amour, Et que sous la Figure où le respect l'engage, On veut bien se résoudre à souffrir son hommage, Pourvu que ses transports par l'honneur éclairés N'offrent à mes autels que des vœux épurés. Adieu, pour ce coup ceci doit vous suffire, Et je vous ai plus dit que je ne voulais dire. Laissez, je rougis maintenant, Et ma pudeur s'est fait un effort surprenant. Non, non, je ne veux rien entendre davantage. Non, non,je vous entends, vous ignorez l'histoire, Et l'affaire n'est pas ce que vous pouvez croire. Clitandre abuse vos esprits, Et c'est d'un autre Objet que son cœur est épris. Non, j'en suis assurée. Eh oui. Fort bien. Encor mieux. On ne peut tromper plus galamment. Henriette, entre nous, est un amusement, Un voile ingénieux, un prétexte, mon Frère, À couvrir d'autres feux dont je sais le mystère, Et je veux bien tous deux vous mettre hors d'erreur. Vous le voulez savoir ? Moi. Moi-même. Qu'est-ce donc que veut dire ce Hay, Et qu'a de surprenant le discours que je fais ? On est faite d'un air je pense à pouvoir dire Qu'on n'a pas pour un Cœur soumis à son empire ; Et Dorante, Damis, Cléonte, et Lycidas, Peuvent bien faire voir qu'on a quelques appas. Oui, de toute leur puissance. Aucun n'a pris cette licence ; Ils m'ont su révérer si fort jusqu'à ce jour, Qu'ils ne m'ont jamais dit un mot de leur amour : Mais pour m'offrir leur cœur, et vouer leur service, Les muets truchements ont tous fait leur office. C'est pour me faire voir un respect plus soumis. Ce sont emportements d'une jalouse rage. C'est par un désespoir où j'ai réduit leurs feux. Ah chimères ! Ce sont des chimères, dit-on ! Chimères, moi ! Vraiment chimères est fort bon ! Je me réjouis fort de chimères, mes Frères, Et je ne savais pas que j'eusse des chimères. Il est vrai que ce sont des pitiés, Toute construction est par elle détruite, Et des lois du Langage on l'a cent fois instruite. Ô cervelle indocile ! Faut-il qu'avec les soins qu'on prend incessamment, On ne te puisse apprendre à parler congrûment ? De pas, mis avec rien, tu fais la récidive, Et c'est, comme on t'a dit, trop d'une négative. Quel solécisme horrible ! Ton esprit, je l'avoue, est bien matériel. Je, n'est qu'un singulier ; avons, est pluriel. Veux-tu toute ta vie offenser la Grammaire ? Grammaire est prise à contre-sens par toi, Et je t'ai dit déjà d'où vient ce mot. Quelle âme villageoise ! La Grammaire, du verbe et du nominatif, Comme de l'adjectif avec le substantif, Nous enseigne les lois. Ce sont les noms des mots, et l'on doit regarder En quoi c'est qu'il les faut faire ensemble accorder. Il est vrai que l'on sue à souffrir ses discours. Elle y met Vaugelas en pièces tous les jours ; Et les moindres défauts de ce grossier génie, Sont ou le pléonasme, ou la cacophonie. Le Corps avec l'Esprit, fait figure, mon Frère ; Mais si vous en croyez tout le Monde savant, L'Esprit doit sur le Corps prendre le pas devant ; Et notre plus grand soin, notre première instance, Doit être à le nourrir du suc de la Science. Il est vrai que le mot est bien collet monté. Est-il de petits Corps un plus lourd assemblage ! Un Esprit composé d'atomes plus Bourgeois ! Et de ce même sang se peut-il que je sois ! Je me veux mal -de -mort d'être de votre race, Et de confusion j'abandonne la place. Et l'on s'en meurt chez nous. Ce sont repas friands qu'on donne à mon oreille. Faites tôt, et hâtez nos plaisirs. Qu'il a d'esprit ! Ah songeons à l'Enfant nouveauné, je vous prie. De ta chute, Ignorant, ne vois-tu pas les causes, Et qu'elle vient d'avoir du point fixe écarté, Ce que nous appelons centre de gravité ? Cela ne tarit pas. Je sens d'aise mon cœur tressaillir par avance. J'aime la Poésie avec entêtement. Et surtout quand les Vers sont tournés galamment. Silence,ma nièce. Ah le joli début ! Loger son Ennemie est pour moi plein de charmes. Prêtons l'oreille au reste. Loger son ennemie ! Ah tout doux, laissez-moi, de grâce, respirer. Je suis de votre avis, quoi qu'on die est heureux. Il vaut toute une Pièce. Il est vrai qu'il dit plus de choses qu'il n'est gros. On pâme. Sans la marchander davantage, Partout on s'y promène avec ravissement. Quoi, sans émotion pendant cette lecture ? Vous faites là, ma Nièce, une étrange Figure ! L'enveloppe est jolie, et vaut un million. Ne dis plus qu'il est Amarante : Dis plutôt qu'il est de ma Rente. Voilà qui se décline : ma Rente, de ma Rente, à ma Rente. Il faut se relever de ce honteux partage, Et mettre hautement notre Esprit hors de Page. Je m'accommode assez pour moi des petits Corps ; Mais le Vide à souffrir me semble difficile, Et je goûte bien mieux la matière subtile. Je n'ai point encor vu d'Hommes, comme je crois, Mais j'ai vu des Clochers tout comme je vous vois. Vous verrez nos Statuts quand ils seront tous faits. Ah, ma Nièce, du Grec ! Je vous entends. Vos yeux demandent mon aveu, Pour engager ailleurs un cœur que je possède. Allez, je le veux bien. À ce nœud je vous cède, C'est un Hymen qui fait votre établissement. Ah ! quelle barbarie au milieu de la France ! Mais au moins en faveur, Monsieur, de la Science, Veuillez au lieu d'écus, de livres et de francs, Nous exprimer la dot en Mines et Talents, Et dater par les mots d'Ides et de Calendes. On pourrait bien lui faire Des propositions qui pourraient mieux lui plaire : Mais nous établissons une espèce d'amour Qui doit être épuré comme l'Astre du jour ; La substance qui pense, y peut être reçue, Mais nous en bannissons la substance étendue. Qu'il prenne garde au moins que je suis dans son cœur. Par un prompt désespoir souvent on se marie, Qu'on s'en repent après tout le temps de sa vie. **** *creator_moliere *book_moliere_femmessavantes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_femmessavantes *dist2_moliere_verse_comedy *id_clitandre *date_1672 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_clitandre Non, Madame, mon cœur qui dissimule peu, Ne sent nulle contrainte à faire un libre aveu ; Dans aucun embarras un tel pas ne me jette, Et j'avouerai tout haut d'une âme franche et nette, Que les tendres liens où je suis arrêté, Mon amour et mes vœux, sont tout de ce côté. Qu'à nulle émotion cet aveu ne vous porte ; Vous avez bien voulu les choses de la sorte, Vos attraits m'avaient pris, et mes tendres soupirs Vous ont assez prouvé l'ardeur de mes désirs : Mon cœur vous consacrait une flamme immortelle, Mais vos yeux n'ont pas cru leur conquête assez belle ; J'ai souffert sous leur joug cent mépris différents, Ils régnaient sur mon âme en superbes tyrans, Et je me suis cherché, lassé de tant de peines, Des vainqueurs plus humains, et de moins rudes chaînes : Je les ai rencontrés, Madame, dans ces yeux, Et leurs traits à jamais me seront précieux ; D'un regard pitoyable ils ont séché mes larmes, Et n'ont pas dédaigné le rebut de vos charmes ; De si rares bontés m'ont si bien su toucher, Qu'il n'est rien qui me puisse à mes fers arracher ; Et j'ose maintenant vous conjurer, Madame, De ne vouloir tenter nul effort sur ma flamme, De ne point essayer à rappeler un cœur Résolu de mourir dans cette douce ardeur. J'y vais de tous mes soins travailler hautement, Et j'attendais de vous ce doux consentement. Elle mérite assez une telle franchise, Et toutes les hauteurs de sa folle fierté Sont dignes tout au moins de ma sincérité : Mais puisqu'il m'est permis, je vais à votre Père, Madame... Mon cœur n'a jamais pu, tant il est né sincère, Même dans votre Sœur flatter leur caractère, Et les Femmes Docteurs ne sont point de mon goût. Je consens qu'une femme ait des clartés de tout, Mais je ne lui veux point la passion choquante De se rendre savante afin d'être Savante ; Et j'aime que souvent aux questions qu'on fait, Elle sache ignorer les choses qu'elle sait ; De son étude enfin je veux qu'elle se cache, Et qu'elle ait du savoir sans vouloir qu'on le sache, Sans citer les Auteurs, sans dire de grands mots, Et clouer de l'esprit à ses moindres propos. Je respecte beaucoup Madame votre Mère, Mais je ne puis du tout approuver sa chimère, Et me rendre l'écho des choses qu'elle dit Aux encens qu'elle donne à son Héros d'esprit. Son Monsieur Trissotin me chagrine, m'assomme, Et j'enrage de voir qu'elle estime un tel Homme, Qu'elle nous mette au rang des grands et beaux Esprits Un Benêt dont partout on siffle les Écrits, Un Pédant dont on voit la plume libérale D'officieux papiers fournir toute la Halle. Oui, vous avez raison ; mais Monsieur Trissotin M'inspire au fond de l'âme un dominant chagrin. Je ne puis consentir, pour gagner ses suffrages, À me déshonorer, en prisant ses Ouvrages ; C'est par eux qu'à mes yeux il a d'abord paru, Et je le connaissais avant que l'avoir vu. Je vis dans le fatras des Écrits qu'il nous donne, Ce qu'étale en tous lieux sa pédante Personne, La constante hauteur de sa présomption ; Cette intrépidité de bonne opinion ; Cet indolent état de confiance extrême, Qui le rend en tout temps si content de soi-même, Qui fait qu'à son mérite incessamment il rit ; Qu'il se sait si bon gré de tout ce qu'il écrit ; Et qu'il ne voudrait pas changer sa renommée Contre tous les honneurs d'un Général d'Armée. Jusques à sa Figure encor la chose alla, Et je vis par les Vers qu'à la tête il nous jette, De quel air il fallait que fût fait le Poète ; Et j'en avais si bien deviné tous les traits, Que rencontrant un Homme un jour dans le Palais, Je gageai que c'était Trissotin en personne, Et je vis qu'en effet la gageure était bonne. Non, je dis la chose comme elle est : Mais je vois votre Tante. Agréez, s'il vous plaît, Que mon cœur lui déclare ici notre mystère, Et gagne sa faveur auprès de votre Mère. Souffrez, pour vous parler, Madame, qu'un Amant Prenne l'occasion de cet heureux moment, Et se découvre à vous de la sincère flamme… Des projets de mon cœur ne prenez point d'alarme ; Henriette, Madame, est l'objet qui me charme, Et je viens ardemment conjurer vos bontés De seconder l'amour que j'ai pour ses beautés. Ceci n'est point du tout un trait d'esprit, Madame, Et c'est un pur aveu de ce que j'ai dans l'âme. Les Cieux, par les liens d'une immuable ardeur, Aux beautés d'Henriette ont attaché mon cœur ; Henriette me tient sous son aimable empire, Et l'hymen d'Henriette est le bien où j'aspire ; Vous y pouvez beaucoup, et tout ce que je veux, C'est que vous y daigniez favoriser mes vœux. Eh, Madame, à quoi bon un pareil embarras, Et pourquoi voulez-vous penser ce qui n'est pas ? Mais... Mais votre erreur... Je veux être pendu, si je vous aime, et sage... Diantre soit de la folle avec ses visions. A-t-on rien vu d'égal à ces préventions ? Allons commettre un autre au soin que l'on me donne, Et prenons le secours d'une sage personne. Quel transport ! quelle joie ! ah ! que mon sort est doux ! Eh doucement de grâce. Un peu de charité, Madame, ou tout au moins un peu d'honnêteté. Quel mal vous ai-je fait ? et quelle est mon offense, Pour armer contre moi toute votre éloquence ? Pour vouloir me détruire, et prendre tant de soin De me rendre odieux aux Gens dont j'ai besoin ? Parlez. Dites, d'où vient ce courroux effroyable ? Je veux bien que Madame en soit Juge équitable. Appelez-vous, Madame, une infidélité, Ce que m'a de votre âme ordonné la fierté ? Je ne fais qu'obéir aux lois qu'elle m'impose ; Et si je vous offense, elle seule en est cause. Vos charmes ont d'abord possédé tout mon cœur. Il a brûlé deux ans d'une constante ardeur ; Il n'est soins empressés, devoirs, respects, services, Dont il ne vous ait fait d'amoureux sacrifices. Tous mes feux, tous mes soins ne peuvent rien sur vous, Je vous trouve contraire à mes vœux les plus doux ; Ce que vous refusez, je l'offre au choix d'une autre. Voyez. Est-ce, Madame, ou ma faute, ou la vôtre ? Mon cœur court-il au change, ou si vous l'y poussez ? Est-ce moi qui vous quitte, ou vous qui me chassez ? Pour moi par un malheur, je m'aperçois, Madame, Que j'ai, ne vous déplaise, un corps tout comme une âme : Je sens qu'il y tient trop, pour le laisser à part ; De ces détachements je ne connais point l'art ; Le Ciel m'a dénié cette Philosophie, Et mon âme et mon corps marchent de compagnie. Il n'est rien de plus beau, comme vous avez dit, Que ces vœux épurés qui ne vont qu'à l'esprit, Ces unions de cœurs, et ces tendres pensées, Du commerce des sens si bien débarrassées : Mais ces amours pour moi sont trop subtilisés, Je suis un peu grossier, comme vous m'accusez ; J'aime avec tout moi-même, et l'amour qu'on me donne, En veut, je le confesse, à toute la personne. Ce n'est pas là matière à de grands châtiments ; Et sans faire de tort à vos beaux sentiments, Je vois que dans le Monde on suit fort ma méthode, Et que le Mariage est assez à la mode, Passe pour un lien assez honnête et doux, Pour avoir désiré de me voir votre Époux, Sans que la liberté d'une telle pensée Ait dû vous donner lieu d'en paraître offensée. Il n'est plus temps, Madame, une autre a pris la place ; Et par un tel retour j'aurais mauvaise grâce De maltraiter l'asile, et blesser les bontés, Où je me suis sauvé de toutes vos fiertés. Eh, Madame, voyez votre choix, je vous prie ; Exposez-moi, de grâce, à moins d'ignominie, Et ne me rangez pas à l'indigne destin De me voir le Rival de Monsieur Trissotin. L'amour des beaux Esprits qui chez vous m'est contraire Ne pouvait m'opposer un moins noble Adversaire. Il en est, et plusieurs, que pour le bel esprit Le mauvais goût du Siècle a su mettre en crédit : Mais Monsieur Trissotin n'a pu duper personne, Et chacun rend justice aux Écrits qu'il nous donne. Hors céans, on le prise en tous lieux ce qu'il vaut ; Et ce qui m'a vingt fois fait tomber de mon haut, C'est de vous voir au Ciel élever des sornettes, Que vous désavoueriez, si vous les aviez faites. Cette vérité veut quelque adoucissement. Je m'explique, Madame, et je hais seulement La Science et l'Esprit qui gâtent les Personnes. Ce sont choses de soi qui sont belles et bonnes ; Mais j'aimerais mieux être au rang des Ignorants, Que de me voir savant comme certaines Gens. Et c'est mon sentiment, qu'en faits, comme en propos, La Science est sujette à faire de grands Sots. Sans être fort habile, La preuve m'en serait je pense assez facile. Si les raisons manquaient, je suis sûr qu'en tout cas Les exemples fameux ne me manqueraient pas. Je n'irais pas bien loin pour trouver mon affaire. Moi, je les vois si bien, qu'ils me crèvent les yeux. Vous avez cru fort mal, et je vous suis garant, Qu'un Sot savant est sot plus qu'un Sot ignorant. Si vous le voulez prendre aux usages du mot, L'alliance est plus grande entre Pédant et Sot. Et l'Étude dans l'autre ajoute à la Nature. Le Savoir dans un Fat devient impertinent. Si pour moi l'Ignorance a des charmes bien grands, C'est depuis qu'à mes yeux s'offrent certains Savants. Oui, si l'on s'en rapporte à ces certains Savants ; Mais on n'en convient pas chez ces certaines Gens. Eh, Madame, de grâce, Monsieur est assez fort, sans qu'à son aide on passe : Je n'ai déjà que trop d'un si rude assaillant ; Et si je me défends, ce n'est qu'en reculant. Autre second, je quitte la partie. Eh, mon Dieu, tout cela n'a rien dont il s'offense ; Il entend raillerie autant qu'Homme de France ; Et de bien d'autres traits il s'est senti piquer, Sans que jamais sa gloire ait fait que s'en moquer. Vous en voulez beaucoup à cette pauvre Cour, Et son malheur est grand, de voir que chaque jour Vous autres beaux Esprits, vous déclamiez contre elle ; Que de tous vos chagrins vous lui fassiez querelle ; Et sur son méchant goût lui faisant son procès, N'accusiez que lui seul de vos méchants succès. Permettez-moi, Monsieur Trissotin, de vous dire, Avec tout le respect que votre nom m'inspire, Que vous feriez fort bien, vos Confrères, et vous, De parler de la Cour d'un ton un peu plus doux ; Qu'à le bien prendre au fond, elle n'est pas si bête Que vous autres Messieurs vous vous mettez en tête ; Qu'elle a du sens commun pour se connaître à tout ; Que chez elle on se peut former quelque bon goût ; Et que l'Esprit du Monde y vaut, sans flatterie, Tout le savoir obscur de la Pédanterie. Où voyez-vous, Monsieur, qu'elle l'ait si mauvais ? Je vois votre chagrin, et que par modestie Vous ne vous mettez point, Monsieur, de la partie : Et pour ne vous point mettre aussi dans le propos, Que font-ils pour l'État vos habiles Héros ? Qu'est-ce que leurs Écrits lui rendent de service, Pour accuser la Cour d'une horrible injustice, Et se plaindre en tous lieux que sur leurs doctes noms Elle manque à verser la faveur de ses dons ? Leur savoir à la France est beaucoup nécessaire, Et des Livres qu'ils font la Cour a bien affaire. Il semble à trois Gredins, dans leur petit cerveau, Que pour être imprimés, et reliés en Veau, Les voilà dans l'État d'importantes Personnes ; Qu'avec leur plume ils font les destins des Couronnes ; Qu'au moindre petit bruit de leurs productions, Ils doivent voir chez eux voler les Pensions ; Que sur eux l'Univers a la vue attachée ; Que partout de leur nom la gloire est épanchée, Et qu'en Science ils sont des prodiges fameux, Pour savoir ce qu'ont dit les autres avant eux, Pour avoir eu trente ans des yeux et des oreilles, Pour avoir employé neuf ou dix mille veilles À se bien barbouiller de Grec et de Latin, Et se charger l'esprit d'un ténébreux butin De tous les vieux fatras qui traînent dans les Livres ; Gens qui de leur savoir paraissent toujours ivres ; Riches pour tout mérite, en babil importun, Inhabiles à tout, vides de sens commun, Et pleins d'un ridicule, et d'une impertinence À décrier partout l'Esprit et la Science. Je m'en vais travailler, Madame, avec ardeur, À ne vous point laisser ce grand regret au cœur. Peut-être verrez-vous votre crainte déçue. J'en suis persuadé, Et que de votre appui je serai secondé. Et ce service est sûr de ma reconnaissance. Sans votre appui, Monsieur, je serai malheureux. Madame votre Femme a rejeté mes vœux, Et son cœur prévenu, veut Trissotin pour Gendre. Elle veut dès ce soir faire ce Mariage. Dès ce soir. Pour dresser le Contrat, elle envoie au Notaire. Et Madame doit être instruite par sa Sœur, De l'hymen où l'on veut qu'elle apprête son cœur. Quelque secours puissant qu'on promette à ma flamme, Mon plus solide espoir, c'est votre cœur, Madame. Je ne puis qu'être heureux, quand j'aurai son appui. Tant qu'il sera pour moi, je ne vois rien à craindre. Veuille le juste Ciel me garder en ce jour, De recevoir de vous cette preuve d'amour. La voici qui conduit le Notaire avec elle. Eh Monsieur ! Je ne me vante point de l'être, mais enfin Je m'attache, Madame, à tout votre destin ; Et j'ose vous offrir, avecque ma personne, Ce qu'on sait que de bien la Fortune me donne. Quoi, vous vous opposez à ma félicité ? Et lorsqu'à mon amour je vois chacun se rendre... Tout Destin avec vous me peut être agréable ; Tout Destin me serait sans vous insupportable. **** *creator_moliere *book_moliere_femmessavantes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_femmessavantes *dist2_moliere_verse_comedy *id_trissotin *date_1672 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_trissotin Hélas, c'est un Enfant tout nouveauné, Madame. Son sort assurément a lieu de vous toucher, Et c'est dans votre cour que j'en viens d'acmortr. Votre approbation lui peut servir de Mère. Les Sciences n'ont rien qui vous puisse enflammer, Et vous ne vous piquez que de savoir charmer. Bien lui prend de n'être pas de verre. Pour cette grande faim qu'à mes yeux on expose, Un Plat seul de huit Vers me semble peu de chose, Et je pense qu'ici je ne ferai pas mal, De joindre à l'Épigramme, ou bien au Madrigal, Le ragoût d'un Sonnet, qui chez une Princesse A passé pour avoir quelque délicatesse. Il est de sel attique assaisonné partout, Et vous le trouverez, je crois, d'assez bon goût. SO... SONNET, À LA PRINCESSE URANIE, sur sa fièvre Votre prudence est endormie, De traiter magnifiquement, Et de loger superbement Votre plus cruelle Ennemie. Votre prudence est endormie, De traiter magnifiquement, Et de loger superbement Votre plus cruelle Ennemie. Faites-la sortir, quoi qu'on die, De votre riche Appartement, Où cette Ingrate insolemment Attaque votre belle vie. Hay, hay. Faites-la sortir, quoi qu'on die, De votre riche appartement, Où cette Ingrate insolemment Attaque votre belle vie. Et nuit et jour vous fait outrage ? Si vous la conduisez aux Bains, Sans la marchander davantage, Noyez-la de vos propres mains. Le sonnet donc vous semble... Peut-être que mes Vers importunent Madame.       SUR UN CARROSSE DE COULEUR AMARANTE,       DONNÉ À UNE DAME DE SES AMIES. L'amour si chèrement m'a vendu son lien, Qu'il m'en coûte déjà la moitié de mon bien.       Et quand tu vois ce beau Carrosse       Où tant d'or se relève en bosse,       Qu'il étonne tout le Pays, Et fait pompeusement triompher ma Laïs,       Et quand tu vois ce beau Carrosse,       Où tant d'or se relève en bosse,       Qu'il étonne tout le Pays, Et fait pompeusement triompher ma Laïs,       Ne dis plus qu'il est Amarante :       Dis plutôt qu'il est de ma Rente. Si vous vouliez de vous nous montrer quelque chose, À notre tour aussi nous pourrions admirer. Pour les Dames on sait mon respect en tous lieux, Et si je rends hommage aux brillants de leurs yeux, De leur esprit aussi j'honore les lumières. Je m'attache pour l'ordre au Péripatétisme. Descartes pour l'aimant donne fort dans mon sens. On en attend beaucoup de vos vives clartés, Et pour vous la nature a peu d'obscurités. Voilà certainement d'admirables projets ! Ils ne sauraient manquer d'être tous beaux et sages. C'est cet Ami savant qui m'a fait tant d'instance De lui donner l'honneur de votre connaissance. Voici l'Homme qui meurt du désir de vour voir. En vous le produisant, je ne crains point le blâme D'avoir admis chez vous un Profane, Madame, Il peut tenir son coin parmi de beaux Esprits. Il a des vieux Auteurs la pleine intelligence, Et sait du Grec, Madame, autant qu'Homme de France. Au reste il fait merveille en Vers ainsi qu'en Prose, Et pourrait, s'il voulait, vous montrer quelque chose. Vos Vers ont des beautés que n'ont point tous les autres. Vous avez le tour libre, et le beau choix des mots. Nous avons vu de vous des Églogues d'un style, Qui passe en doux attraits Théocrite et Virgile. Est-il rien d'amoureux comme vos Chansonnettes ? Rien qui soit plus charmant que vos petits Rondeaux ? Aux Ballades surtout vous êtes admirable. Si la France pouvait connaître votre prix, En Carrosse doré vous iriez par les rues. Avez-vous vu certain petit Sonnet Sur la Fièvre qui tient la Princesse Uranie ? Vous en savez l'Auteur ? Beaucoup de Gens pourtant le trouvent admirable. Je sais que là-dessus je n'en suis point du tout, Et que d'un tel Sonnet peu de Gens sont capables. Je soutiens qu'on ne peut en faire de meilleur ; Et ma grande raison, c'est que j'en suis l'auteur. Moi. C'est qu'on fut malheureux, de ne pouvoir vous plaire. La Ballade, à mon goût, est une chose fade. Ce n'en est plus la mode ; Elle sent son vieux temps. Cela n'empêche pas qu'elle ne me déplaise. Elle a pour les Pédants de merveilleux appas. Vous donnez sottement vos qualités aux autres. Allez, petit Grimaud, Barbouilleur de Papier. Allez, Fripier d'Écrits, impudent Plagiaire. Va, va restituer tous les honteux larcins Que réclament sur toi les Grecs et les Latins. Souviens-toi de ton Livre, et de son peu de bruit. Ma gloire est établie, en vain tu la déchires. Je t'y renvoie aussi. C'est par là que j'y tiens un rang plus honorable. Il te met dans la foule ainsi qu'un Misérable, Il croit que c'est assez d'un coup pour t'accabler, Et ne t'a jamais fait l'honneur de redoubler : Mais il m'attaque à part comme un noble Adversaire Sur qui tout son effort lui semble nécessaire ; Et ses coups contre moi redoublés en tous lieux, Montrent qu'il ne se croit jamais victorieux. Et la mienne saura te faire voir ton Maître. Hé bien, nous nous verrons seul à seul chez Barbin. À mon emportement ne donnez aucun blâme ; C'est votre jugement que je défends, Madame, Dans le Sonnet qu'il a l'audace d'attaquer. Je ne sais que vous dire, en mon ravissement, Madame, et cet Hymen dont je vois qu'on m'honore Me met... Je viens vous annoncer une grande nouvelle. Nous l'avons en dormant, Madame, échappé belle : Un Monde près de nous a passé tout du long, Est chu tout au travers de notre tourbillon ; Et s'il eût en chemin rencontré notre terre, Elle eût été brisée en morceaux comme verre. Pour moi je ne tiens pas, quelque effet qu'on suppose, Que la Science soit pour gâter quelque chose. Le paradoxe est fort. Vous en pourriez citer qui ne concluraient guère. Pour moi je ne vois pas ces exemples fameux. J'ai cru jusques ici que c'était l'Ignorance Qui faisait les grands Sots, et non pas la Science. Le sentiment commun est contre vos maximes, Puisque Ignorant et Sot sont termes synonymes. La Sottise dans l'un se fait voir toute pure. Le Savoir garde en soi son mérite éminent. Il faut que l'Ignorance ait pour vous de grands charmes, Puisque pour elle ainsi vous prenez tant les armes. Ces certains Savants-là, peuvent à les connaître Valoir certaines Gens que nous voyons paraître. Je ne m'étonne pas au combat que j'essuie, De voir prendre à Monsieur la Thèse qu'il appuie. Il est fort enfoncé dans la Cour, c'est tout dit : La Cour, comme l'on sait, ne tient pas pour l'Esprit ; Elle a quelque intérêt d'appuyer l'Ignorance, Et c'est en Courtisan qu'il en prend la défense. De son bon goût, Monsieur, nous voyons des effets. Ce que je vois, Monsieur, c'est que pour la Science Rasius et Baldus font honneur à la France, Et que tout leur mérite exposé fort au jour, N'attire point les yeux et les dons de la Cour. Aussi n'est-ce point là ce qui me charme en vous ; Et vos brillants attraits, vos yeux perçants et doux, Votre grâce et votre air sont les biens, les richesses, Qui vous ont attiré mes vœux et mes tendresses ; C'est de ces seuls trésors que je suis amoureux. Le don de votre main où l'on me fait prétendre, Me livrera ce cœur que possède Clitandre ; Et par mille doux soins, j'ai lieu de présumer, Que je pourrai trouver l'art de me faire aimer. Le moyen que ce cœur puisse vous contenter ? Imposez-lui des Lois qu'il puisse exécuter. De ne vous point aimer peut-il être capable, À moins que vous cessiez, Madame, d'être aimable, Et d'étaler aux yeux les célestes appas... C'est mon esprit qui parle, et ce n'est pas mon cœur. D'elles on ne me voit amoureux qu'en Poète ; Mais j'aime tout de bon l'adorable Henriette. Si c'est vous offenser, Mon offense envers vous n'est pas prête à cesser. Cette ardeur jusqu'ici de vos yeux ignorée, Vous consacre des vœux d'éternelle durée. Rien n'en peut arrêter les aimables transports ; Et bien que vos beautés condamnent mes efforts, Je ne puis refuser le secours d'une Mère Qui prétend couronner une flamme si chère ; Et pourvu que j'obtienne un bonheur si charmant, Pourvu que je vous aie, il n'importe comment. Un tel discours n'a rien dont je sois altéré. À tous événements le Sage est préparé. Guéri par la raison des faiblesses vulgaires, Il se met au-dessus de ces sortes d'affaires, Et n'a garde de prendre aucune ombre d'ennui, De tout ce qui n'est pas pour dépendre de lui. Nous allons voir bientôt comment ira l'affaire ; Et l'on a là-dedans fait venir le Notaire. Non, Madame, cessez de presser cette affaire. Je vois qu'à cet Hymen tout le Monde est contraire, Et mon dessein n'est point de contraindre les Gens. De tant de résistance à la fin je me lasse. J'aime mieux renoncer à tout cet embarras, Et ne veux point d'un cœur qui ne se donne pas. Vous pouvez voir de moi tout ce que vous voudrez, Et je regarde peu comment vous le prendrez : Mais je ne suis point Homme à souffrir l'infamie Des refus offensants qu'il faut qu'ici j'essuie ; Je vaux bien que de moi l'on fasse plus de cas, Et je baise les mains à qui ne me veut pas. **** *creator_moliere *book_moliere_femmessavantes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_femmessavantes *dist2_moliere_verse_comedy *id_vadius *date_1672 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_vadius Je crains d'être fâcheux, par l'ardeur qui m'engage À vous rendre aujourd'hui, Madame, mon hommage, Et j'aurais pu troubler quelque docte entretien. Le défaut des Auteurs, dans leurs productions, C'est d'en tyranniser les Conversations ; D'être au Palais, au Cours, aux Ruelles, aux Tables, De leurs Vers fatigants lecteurs infatigables. Pour moi je ne vois rien de plus sot à mon sens, Qu'un Auteur qui partout va gueuser des encens ; Qui des premiers -venus saisissant les oreilles, En fait le plus souvent les martyrs de ses veilles. On ne m'a jamais vu ce fol entêtement, Et d'un Grec là-dessus je suis le sentiment, Qui par un dogme exprès défend à tous ses Sages L'indigne empressement de lire leurs ouvrages. Voici de petits vers pour de jeunes Amants, Sur quoi je voudrais bien avoir vos sentiments. Les Grâces et Vénus règnent dans tous les vôtres. On voit partout chez vous l'Ithos et le Pathos. Vos Odes ont un air noble, galant et doux, Qui laisse de bien loin votre Horace après vous. Peut-on voir rien d'égal aux Sonnets que vous faites ? Rien de si plein d'esprit que tous vos Madrigaux ? Et dans les Bouts-rimés je vous trouve adorable. Si le Siècle rendait justice aux beaux Esprits, On verrait le Public vous dresser des Statues. Hom. C'est une Ballade, et je veux que tout net Vous m'en... Oui, hier il me fut lu dans une Compagnie. Non ; mais je sais fort bien, Qu'à ne le point flatter, son Sonnet ne vaut rien. Cela n'empêche pas qu'il ne soit misérable ; Et si vous l'avez vu, vous serez de mon goût. Me préserve le Ciel d'en faire de semblables ! Vous ? Je ne sais donc comment se fit l'affaire. Il faut qu'en écoutant j'aie eu l'esprit distrait, Ou bien que le Lecteur m'ait gâté le Sonnet. Mais laissons ce discours, et voyons ma Ballade. La Ballade pourtant charme beaucoup de gens. Elle n'en reste pas pour cela plus mauvaise. Cependant nous voyons qu'elle ne vous plaît pas. Fort impertinemment vous me jetez les vôtres. Allez, Rimeur de Balle, opprobre du Métier. Allez, Cuistre... Va, va-t'en faire amende honorable au Parnasse, D'avoir fait à tes Vers estropier Horace. Et toi, de ton Libraire à l'Hôpital réduit. Oui, oui, je te renvoie à l'Auteur des Satires. J'ai le contentement, Qu'on voit qu'il m'a traité plus honorablement. Il me donne en passant une atteinte légère Parmi plusieurs Auteurs qu'au Palais on révère ; Mais jamais dans ses Vers il ne te laisse en paix, Et l'on t'y voit partout être en butte à ses traits. Ma plume t'apprendra quel Homme je puis être. Je te défie en Vers, Prose, Grec, et Latin. **** *creator_moliere *book_moliere_femmessavantes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_femmessavantes *dist2_moliere_verse_comedy *id_martine *date_1672 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_martine Me voilà bien chanceuse ! Hélas l'an dit bien vrai : Qui veut noyer son Chien, l'accuse de la rage, Et service d'autrui n'est pas un héritage. Ce que j'ai ? J'ai que l'an me donne aujourd'hui mon congé, Monsieur. Oui, Madame me chasse. On me menace, Si je ne sors d'ici, de me bailler cent coups. Qu'est-ce donc que j'ai fait ? Tout ce que vous prêchez est je crois bel et bon ; Mais je ne saurais, moi, parler votre jargon. Quand on se fait entendre, on parle toujours bien, Et tous vos biaux dictons ne servent pas de rien. Mon Dieu, je n'avons pas étugué comme vous, Et je parlons tout droit comme on parle cheux nous. Qui parle d'offenser Grand'mère ni Grand-père ? Ma foi, Qu'il vienne de Chaillot, d'Auteuil, ou de Pontoise, Cela ne me fait rien. J'ai, Madame, à vous dire. Que je ne connais point ces Gens-là. Qu'ils s'accordent entr'eux, ou se gourment, qu'importe ? Laissez-moi, j'aurai soin De vous encourager, s'il en est de besoin. Ce n'est point à la Femme à prescrire, et je sommes Pour céder le dessus en toute chose aux Hommes. Mon congé cent fois me fût-il hoc, La poule ne doit point chanter devant le Coq. Et nous voyons que d'un homme on se gausse, Quand sa Femme chez lui porte le Haut-de-chausse. Si j'avais un mari, je le dis, Je voudrais qu'il se fît le Maître du logis. Je ne l'aimerais point, s'il faisait le Jocrisse. Et si je contestais contre lui par caprice ; Si je parlais trop haut, je trouverais fort bon, Qu'avec quelques soufflets il rabaissât mon ton. Monsieur est raisonnable, De vouloir pour sa Fille un Mari convenable. Par quelle raison, jeune, et bien fait qu'il est, Lui refuser Clitandre ? Et pourquoi, s'il vous plaît, Lui bailler un Savant, qui sans cesse épilogue ? Il lui faut un Mari, non pas un Pédagogue : Et ne voulant savoir le Grais, ni le Latin, Elle n'a pas besoin de Monsieur Trissotin. Les Savants ne sont bons que pour prêcher en Chaise ; Et pour mon Mari, moi, mille fois je l'ai dit, Je ne voudrais jamais prendre un Homme d'esprit. L'Esprit n'est point du tout ce qu'il faut en ménage ; Les Livres cadrent mal avec le Mariage ; Et je veux, si jamais on engage ma foi, Un Mari qui n'ait point d'autre Livre que moi ; Qui ne sache A, ne B, n'en déplaise à Madame, Et ne soit en un mot Docteur que pour sa femme. **** *creator_moliere *book_moliere_femmessavantes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_femmessavantes *dist2_moliere_verse_comedy *id_l-epine *date_1672 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_lepine Je m'en suis aperçu, Madame, étant par terre. Monsieur, un Homme est là qui veut parler à vous, Il est vêtu de noir, et parle d'un ton doux. **** *creator_moliere *book_moliere_femmessavantes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_femmessavantes *dist2_moliere_verse_comedy *id_julien *date_1672 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_julien Le Savant qui tantôt vous a rendu visite, Et de qui j'ai l'honneur de me voir le Valet, Madame, vous exhorte à lire ce Billet. Je noterai cela, Madame, dans mon Livre. **** *creator_moliere *book_moliere_femmessavantes *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_femmessavantes *dist2_moliere_verse_comedy *id_le-notaire *date_1672 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_lenotaire Notre style est très bon, et je serais un Sot, Madame, de vouloir y changer un seul mot. Moi ? Si j'allais, Madame, accorder vos demandes, Je me ferais siffler de tous mes Compagnons. Procédons au Contrat. Où donc est la Future ? Bon. Fort bien. Et le futur ? Deux époux ! C'est trop pour la coutume. Mettez-vous donc d'accord et d'un jugement mûr Voyez à convenir entre vous du Futur ? Dites-moi donc à qui j'obéirai des deux ? **** *creator_moliere *book_moliere_festindepierre *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_festindepierre *dist2_moliere_prose_comedy *id_donjuan *date_1665 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_donjuan Quel homme te parlait là ? il a bien de l'air, ce me semble, du bon Gusman de Done Elvire. Quoi, c'est lui ! Et depuis quand est-il en cette Ville ? Et quel sujet l'amène ? Notre départ sans doute. Et quelle Réponse as-tu faite ? Mais encore, quelle est ta pensée là-dessus, que t'imagines-tu de cette affaire ? Tu le crois ? Ma foi tu ne te trompes pas, et je dois t'avouer qu'un autre objet a chassé Done Elvire, de ma pensée. Et ne trouves-tu pas que j'ai raison d'en user de la sorte ? Quoi ? parle. Et bien, je te donne la liberté de parler, et de me dire tes sentiments. Quoi ? tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne ; la belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur, d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse pour toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ; non non, la constance n'est bonne que pour des ridicules : toutes les belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'être rencontrée la première, ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu'elles ont toutes sur nos cœurs ; pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence où elle nous entraine ; J'ai beau être engagé, l'amour que j'ai pour une belle n'engage point mon âme à faire une injustice aux autres ; Je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et je rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige ; quoi qu'il en soit je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d'aimable, et dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avais dix mille, je les donnerais tous : les inclinations naissantes après tout ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement : on goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le cœur d'une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu'on fait, à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l'innocente pudeur d'une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu'elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur, et à la mener doucement où nous avons envie de la faire venir ; mais lorsqu'on est maître une fois, il n'y a plus rien à dire ni rien à souhaiter, tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d'un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre cœur les charmes attrayants d'une conquête à faire ; enfin il n'est rien de si doux que de triompher de la résistance d'une belle personne, et j'ai sur ce sujet l'ambition des conquérants qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent point se résoudre à borner leurs souhaits ; il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes désirs, je me sens porté à aimer toute la terre, et comme Alexandre je souhaiterais qu'il y eût d'autres mondes pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses. Qu'as tu à dire là-dessus. Tu feras bien. Comment ? quelle vie est-ce que je mène ? Y a-t-il Rien de plus agréable ? Va, c'est une affaire entre le Ciel et moi, et nous la démêlerons bien ensemble, sans que tu t'en mettes en peine. Holà maître sot, vous savez que je vous ai dit que je n'aime pas les faiseurs de remontrances. Paix. Il est question de te dire qu'une jeune beauté me tient au cœur, et qu'entraîné par ses appas, je l'ai suivie jusque dans cette Ville. Et pourquoi craindre ? ne l'ai-je pas bien tué. J'ai eu ma grâce de cette affaire. Ah, n'allons point songer au mal qui nous peut arriver, et songeons seulement à ce qui peut nous donner du plaisir : la personne dont je te parle est une jeune fiancée, la plus agréable du monde, qui a été conduite ici par celui même qu'elle y vient épouser, et le hasard m'a fait voir le couple d'amants trois ou quatre jours avant leur voyage. Jamais je n'ai vu deux personnes être si contents l'un de l'autre, et faire éclater plus d'amour : la tendresse visible de leurs mutuelles ardeurs me donna de l'émotion, j'en fus frappé au cœur, et mon amour commença par la jalousie ; oui je ne pus souffrir d'abord de les voir si bien ensemble ; le dépit alluma mes désirs, et je me figurai un plaisir extrême à pouvoir troubler leur intelligence, et rompre cet attachement, dont la délicatesse de mon cœur se tenait offensé ; mais jusqu'ici tous mes efforts ont été inutiles, et j'ai recours au dernier remède ; cet Époux prétendu doit aujourd'hui régaler sa Maîtresse d'une promenade sur mer, sans avoir rien dit, toutes choses sont préparées pour satisfaire mon amour, et j'ai une petite barque et des gens, avec quoi fort facilement je prétends enlever la belle. Hein. Prépare-toi donc à venir avec moi, et prends soin toi-même d'apporter toutes mes armes afin que… Ah rencontre fâcheuse ! traître tu ne m'avais pas dit qu'elle était ici elle-même. Est-elle folle de n'avoir pas changé d'habit, et de venir dans ce lieu-ci avec son équipage de Campagne ? Madame je vous avoue que je suis surpris, et que je ne vous attendais pas ici. Madame, voilà Sganarelle qui sait pourquoi je suis parti. Allons, parle donc à Madame. Tu ne répondras pas ? Veux tu répondre, te dis-je. Si… Madame, à vous dire la vérité. Je vous avoue, Madame, que je n'ai point le talent de dissimuler, et que je porte un cœur sincère, je ne vous dirai point que je suis toujours dans les mêmes sentiments pour vous, et que je brûle de vous rejoindre, puisqu'enfin il est assuré que je ne suis parti que pour vous fuir, non point pour les raisons que vous pouvez vous figurer, mais par un pur motif de conscience, et pour ne croire pas qu'avec vous davantage je puisse vivre sans péché ; il m'est venu des scrupules Madame, et j'ai ouvert les yeux de l'âme sur ce que je faisais, j'ai fait réflexion que pour vous épouser je vous ai dérobée à la clôture d'un convent, que vous avez rompu des vœux qui vous engageaient autre part, et que le Ciel est fort jaloux de ces sortes de choses. Le repentir m'a pris, et j'ai craint le courroux céleste ; j'ai cru que notre mariage n'était qu'un adultère déguisé, qu'il nous attirerait quelque disgrâce d'en haut, et qu'enfin je devais tâcher de vous oublier, et vous donner moyen de retourner à vos premières chaînes ; voudriez vous Madame vous opposer à une si sainte pensée ; et que j'allasse, en vous retenant, me mettre le Ciel sur les bras ? que pour… Sganarelle, le Ciel. Madame. Allons songer à l'exécution de notre entreprise amoureuse. Nous avons manqué notre coup Sganarelle, et cette bourrasque imprévue a renversé, avec notre barque, le projet que nous avions fait ; mais à te dire vrai la paysanne que je viens de quitter répare ce malheur, et je lui ai trouvé des charmes qui effacent de mon esprit tout le chagrin que me donnait le mauvais succès de notre entreprise ; il ne faut pas que ce cœur m'échappe, et j'y ai déjà jeté des dispositions à ne me pas souffrir de pousser longtemps des soupirs. Ah ah, d'où sort cette autre Paysanne ? Sganarelle as-tu rien vu de plus joli, et ne trouves tu pas, dis-moi, que celle-ci vaut bien l'autre ? D'où me vient, la belle, une rencontre si agréable ? quoi, dans ces lieux champêtres, parmi ces arbres, et ces Rochers, on trouve des personnes faites comme vous êtes ? Êtes-vous de ce Village ? Et vous y demeurez ? Vous vous appellez. Ah la belle personne, et que ses yeux sont pénétrants ! Ah n'ayez point de honte d'entendre dire vos vérités. Sganarelle qu'en dis tu ? peut on rien voir de plus agréable ? tournez-vous un peu s'il vous plaît ; ah que cette taille est jolie ! haussez un peu la tête de grâce. ah que ce visage est mignon ! ouvrez vos yeux entièrement, ah qu'ils sont beaux ! que je voie un peu vos dents, je vous prie. Ah qu'elles sont amoureuses, et ces lèvres appétissantes ! pour moi je suis ravi, et je n'ai jamais veu une si charmante personne. Moi, me railler de vous, Dieu m'en garde, je vous aime trop pour cela, c'est du fond du cœur que je vous parle. Point du tout, vous ne m'êtes point obligée de tout ce que je dis, et ce n'est que à votre beauté que vous en êtes redevable. Sganarelle, regarde un peu ses mains. Ah que dites vous là ? elles sont les plus belles du monde, souffrez que je les baise, je vous prie. Et dites-moi un peu, belle Charlotte, vous n'êtes pas mariée sans doute ? Quoi ! une personne comme vous seriez la femme d'un simple Paysan ? non, non, c'est profaner tant de beauté, et vous n'êtes pas née pour demeurer dans un Village ; vous méritez sans doute une meilleure fortune, et le Ciel qui le connaît bien m'a conduit ici tout exprès pour empêcher ce mariage, et rendre justice à vos charmes ; car enfin, belle Charlotte, je vous aime de tout mon cœur, et il ne tiendra qu'à vous que je ne vous arrache de ce lieu misérable, et ne vous mette dans l'état où vous méritez d'être ; cet amour est bien prompt sans doute ; mais quoi ! c'est un éclat, Charlotte, de votre grande beauté, et l'on vous aime autant en un quart d'heure qu'on ferait une autre en six mois. Je ne suis pas de ces gens-là. Moi j'aurais l'âme assez méchante pour abuser une personne comme vous ? je serais assez lâche pour vouloir vous déshonorer ? non, non, j'ai trop de conscience pour cela ; je vous aime Charlotte en tout bien et en tout honneur, et pour vous montrer que je vous dis vrai, sachez que je n'ai point d'autre dessein que de vous épouser. En voulez vous un plus grand témoignage ? m'y voilà prêt quand vous voudrez, et je prends à témoin l'homme que voilà de la parole que je vous donne. Eh Charlotte, je vois bien que vous ne me connaissez pas encore, vous me faites grand tort de juger de moi par les autres ; et s'il y a des fourbes dans le monde, des gens qui ne cherchent qu'à abuser des filles, vous devez me tirer du nombre, et ne pas mettre en doute la sincérité de ma foi ; et puis votre beauté vous assure de tout ; quand on est faite comme vous, on doit être à couvert de toutes ces sortes de créances ; vous n'avez point l'air, croyez-moi, d'une personne qu'on abuse, et pour moi, je vous l'avoue, je me percerais le cœur de mille coups si j'avais eu la moindre pensée de vous trahir. Lorsque vous me croyez, vous me rendez justice assurément, et je vous réitère encore la promesse que je vous ai faite, ne la croyez-vous pas ? et ne voulez-vous pas consentir à être ma femme ? Touchez donc là, Charlotte, que vous le voulez donc bien de votre part. Comment, il semble que vous doutiez encore de ma sincérité ! voulez-vous que je vous fasse des serments épouvantables ? que le Ciel. Donnez-moi donc un petit baiser pour gage de votre parole. Et bien, belle Charlotte, je veux tout ce que vous voulez, abandonnez-moi seulement votre main, et souffrez, que par cent baisers je lui exprime le ravissement où je suis. Qui m'amène cet Impertinent ? Ah que de bruit. Ah ! Heu. Qu'est-ce que vous dites ? Attends-moi un peu. Voyons cela. Houais. Ah je vous apprendrai. Te voilà payé de ta charité. Enfin je m'en vais être le plus heureux de tous les hommes, et je ne changerais pas mon bonheur à toutes les choses du monde : que de plaisirs, que de plaisirs, quand vous serez ma femme, et que ! Non, au contraire c'est elle qui me témoignait vouloir être ma femme, et je lui répondais que j'étais engagé à vous. Elle est jalouse de me voir vous parler, et voudrait bien que je l'épousasse, mais je lui ai dit que c'est vous que je veux. Tout ce que vous lui direz sera inutile, elle s'est mis cela en la tête. C'est en vain que vous lui parlerez, vous ne lui ôterez pas cette fantaisie. Il n'y a pas moyen de lui faire entendre raison. Elle est obstinée comme tous les Diables. Ne lui dites rien, c'est une folle. Laissez-la là, c'est une extravagante. Je gage qu'elle vous dira que je lui ai promis de l'épouser. Gageons qu'elle vous soutiendra que je lui ai donné parole de la prendre pour femme. Eh bien, que vous ai-je dit ? N'ai-je pas deviné. Vous vous raillez de moi. Pouvez vous avoir cette pensée. Laissez la faire. Laissez la dire. Que voulez-vous que je vous dise, vous soutenez également toutes deux que je vous ai promis de vous prendre pour femmes, est-ce que chacune de vous ne sait pas ce qui en est, sans qu'il soit nécessaire que je m'explique davantage. Pourquoi m'obliger là-dessus à des redites ? celle à qui j'ai promis effectivement n'a-t-elle pas en elle-même de quoi se moquer des discours de l'autre, et doit-elle se mettre en peine, pourvu que j'accomplisse ma promesse ? tous les discours n'avancent point les choses, il faut faire et non pas dire, et les effets décideront mieux que les paroles ; aussi n'est-ce rien que par là que je veux vous mettre d'accord, et l'on verra quand je me marierai laquelle des deux a mon cœur ; laissez-lui croire ce qu'elle voudra. je suis tout à vous. tous les visages sont laids auprès du vôtre. on ne peut plus souffrir les autres quand on vous a vue. J'ai un petit ordre à donner, je viens vous retrouver dans un quart d'heure. Je voudrais bien savoir pourquoi Sganarelle ne me suit pas. Oui. Sganarelle. Hon. Comment ? Une affaire pressante m'oblige de partir d'ici, mais je vous prie de vous ressouvenir de la parole que je vous ai donnée, et de croire que vous aurez de mes nouvelles, avant qu'il soit demain au soir ; Comme la partie n'est pas égale, il faut user de stratagème et éluder adroitement le malheur qui me cherche, je veux que Sganarelle se vête de mes habits et moi… Allons vite, c'est trop d'honneur que je vous fais, et bien heureux est le valet qui peut avoir la gloire de mourir pour son Maître. Il est vrai que te voilà bien, et je ne sais où tu as été déterrer cet attirail ridicule. Comment donc ? Tu leur as répondu, que tu n'y entendais rien. Et quels remèdes encore leur as-tu ordonnés ? Et pourquoi non, par quelle raison n'aurais-tu pas les mêmes privilèges qu'ont tous les autres Médecins ? Ils n'ont pas plus de part que toi aux guérisons des malades, et tout leur art est pure grimace, ils ne font rien que recevoir la gloire des heureux succès, et tu peux profiter comme eux du bonheur du malade, et voir attribuer à tes remèdes tout ce qui peut venir des faveurs du hasard, et des forces de la nature. C'est une des grandes erreurs qui soit parmi les hommes. Et pourquoi veux-tu que j'y croie ? Et quel ? Il réchappa ? L'effet est admirable. Et bien. Laissons cela. Eh. Oui, oui. Ah, ah, ah. La peste soit du fat. Ce que je crois. Je crois que deux et deux font quatre, Sganarelle et que quatre et quatre font huit. J'attends que ton raisonnement soit fini. Bon voilà ton raisonnement qui a le nez cassé. Mais tout en raisonnant, je crois que nous sommes égarés ; appelle un peu cet homme que voilà là-bas, pour lui demander le chemin. Je te suis obligé mon ami, et je te rends grâces de tout mon cœur. Ah, ah, ton avis est intéressé à ce que je vois. Eh prie le Ciel qu'il te donne un habit, sans te mettre en peine des affaires des autres. Quelle est ton occupation parmi ces arbres ? Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien à ton aise ? Tu te moques, un homme qui prie le Ciel tout le jour ne peut pas manquer d'être bien dans ses affaires. Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins ; ah, ah, je m'en vais te donner un louis d'or tout à l'heure pourvu que tu veuilles jurer. Tu n'as qu'à voir si tu veux gagner un louis d'or ou non, en voici un que je te donne si tu jures, tiens il faut jurer. À moins de cela tu ne l'auras pas. Prends, le voilà, prends te dis-je, mais jure donc. Va, va, je te le donne pour l'amour de humanité, mais que vois-je là ? un homme attaqué par trois autres ! la partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâcheté. Je n'ai rien fait, Monsieur, que vous n'eussiez fait à ma place, notre propre honneur est intéressé dans de pareilles aventures, et l'action de ces Coquins était si lâche que c'eût été y prendre part que de ne s'y pas opposer ; mais par quelle rencontre vous êtes-vous trouvé entre leurs mains ? Votre dessein est-il d'aller du côté de la ville ? On a cet avantage qu'on fait courir le même risque et passer mal aussi le temps, à ceux qui prennent fantaisie de nous venir faire une offense de gaieté de cœur ; mais ne serait-ce point une indiscrétion, que de vous demander quelle peut être votre affaire ? Le connaissez-vous, Monsieur, ce Don Juan, dont vous parlez ? Arrêtez, Monsieur, s'il vous plaît ; il est un peu un de mes amis, et ce serait à moi une espèce de lâcheté que d'en ouïr dire du mal. Au contraire, je vous y veux servir, et vous épargner des soins inutiles ; je suis ami de Don Juan, je ne puis pas m'en empêcher, mais il n'est pas raisonnable qu'il offense des Gentilshommes impunément, je m'engage à vous faire faire raison par lui. Toute celle que votre honneur peut souhaiter, et sans vous donner la peine de chercher Don Juan davantage, je m'oblige à le faire trouver au lieu que vous voudrez et quand il vous plaira. Je suis si attaché à Don Juan qu'il ne saurait se battre que je ne me batte aussi, mais enfin j'en réponds comme de moi-même, et vous n'avez qu'à dire quand vous voulez qu'il paraisse et vous donne satisfaction. Oui je suis Don Juan moi-même, et l'avantage du nombre ne m'obligera pas à vouloir déguiser mon nom. Je n'ai rien exigé de vous, et je vous tiendrai ce que j'ai promis. Holà, ho, Sganarelle. Comment coquin, tu fuis quand on m'attaque ? Peste soit l'insolent, couvre au moins ta poltronnerie d'un voile plus honnête ; sais-tu bien que celui à qui j'ai sauvé la vie est assez honnête homme, il en a bien usé, et j'ai regret d'avoir du démêlé avec lui. Oui, mais ma passion est usée pour Done Elvire et l'engagement ne compatit point avec mon humeur ; j'aime la liberté en amour, tu le sais, et je ne saurais me résoudre à renfermer mon cœur entre quatre murailles, je te l'ai dit vingt fois, j'ai une pente naturelle à me laisser aller à tout ce qui m'attire, mon cœur est à toutes les belles, et c'est à elles à le prendre tour à tour, et à le garder tant qu'elles pourront ; mais quel est le superbe édifice que je vois entre ces arbres. Non vraiment. Ah, tu as raison, je ne songeais pas que c'était de ce côté qu'il était, tout le monde m'a dit des merveilles de cet ouvrage, aussi bien que de la statue du Commandeur, et j'ai envie de l'aller voir. Pourquoi ? Au contraire, c'est une visite dont je lui veux faire civilité, et qu'il doit recevoir de bonne grâce, s'il est galant homme ; allons, entrons dedans. Qu'on ne peut voir aller plus loin l'ambition d'un homme mort, et ce que je trouve d'admirable c'est qu'un homme qui s'est passé durant sa vie d'une assez simple demeure, en veuille avoir une si magnifique quand il n'en a plus que faire. Parbleu le voilà beau, avec son habit d'Empereur Romain. Il aurait tort, et ce serait mal recevoir l'honneur que je lui fais ; demande-lui s'il veut venir souper avec nous. Demande-lui te dis-je. Fais ce que je te dis. Qu'est-ce ? qu'as-tu ? dis donc ? veux tu parler ? Et bien, que veux-tu dire, traître ? Et bien la statue, je t'assomme si tu ne parles. La peste le Coquin. Viens, maraud, viens, je te veux bien faire toucher au doigt ta Poltronnerie, prends garde ; Le Seigneur Commandeur voudrait-il venir souper avec moi ? Allons, sortons d'ici. Quoiqu'il en soit laissons cela, c'est une bagatelle, et nous pouvons avoir été trompés par un faux jour, ou surpris de quelque vapeur qui nous ait troublé la vue. Écoute, si tu m'importunes davantage de tes sottes moralités, si tu me dis encore le moindre mot là-dessus, je vais appeler quelqu'un, demander un nerf de bœuf ; te faire tenir par trois ou quatre, et te rouer de mille coups ; m'entends-tu bien ? Allons, qu'on me fasse souper le plus tôt qu'on pourra, une chaise, petit garçon. Non, au contraire, faites-le entrer, c'est une fort mauvaise politique que de se faire celer aux créanciers ; il est bon de les payer de quelque chose, et j'ai le secret de les renvoyer satisfaits sans leur donner un double. Ah, Monsieur Dimanche, approchez ; que je suis ravi de vous voir, et que je veux de mal à mes gens de ne vous pas faire entrer d'abord ; j'avais donné ordre qu'on ne me fît parler à personne, mais cet ordre n'est pas pour vous, et vous êtes en droit de ne trouver jamais de porte fermée chez moi. Parbleu, Coquins, je vous apprendrai à laisser Monsieur Dimanche dans une antichambre, et je vous ferai connaître les gens. Comment ? vous direz que je n'y suis pas à Monsieur Dimanche, au meilleur de mes amis ? Allons, vite, un siège pour Monsieur Dimanche. Point, point, je veux que vous soyez assis comme moi. Ôtez ce pliant, et apportez un fauteuil. Non, non, je sais ce que je vous dois, et je ne veux point qu'on mette de différence entre nous deux. Mettez-vous là vous dis-je. Non, je ne vous écoute point si vous n'êtes assis. Parbleu, Monsieur Dimanche, vous vous portez bien. Vous avez un fond de santé admirable, des lèvres fraîches, un teint vermeil, et des yeux vifs. Comment se porte Madame Dimanche votre épouse ? C'est une brave femme. Et votre petite fille Claudine, comment se porte-t-elle ? La Jolie petite fille que c'est, je l'aime de tout mon cœur. Et le petit Colin fait toujours bien du bruit avec son tambour ? Et votre petit chien brusquet, gronde-t-il toujours aussi fort, et mord-il toujours bien aux jambes les gens qui vont chez vous ? Ne vous étonnez pas, si je m'informe des nouvelles de votre famille, car j'y prends beaucoup d'intérêt. Touchez donc là Monsieur Dimanche, êtes-vous bien de mes amis ? Parbleu je suis à vous de tout mon cœur. Il n'y a rien que je ne fasse pour vous. Et cela sans intérêt, je vous prie de le croire. Oh çà, sans façon, Monsieur Dimanche, voulez vous souper avec moi ? Allons, vite, un flambeau pour conduire Monsieur Dimanche, et que quatre ou cinq de mes gens prennent des mousquetons pour l'escorter. Comment ? je veux que l'on vous escorte, et je m'intéresse trop à votre personne, je suis votre serviteur, et de plus votre débiteur. C'est une chose que je ne cache pas, et je le dis à tout le monde. Voulez vous que je vous reconduise. Embrassez-moi donc, s'il vous plaît ; je vous prie encore une fois d'être persuadé que je suis tout à vous, et qu'il n'y a rien au monde que je ne fasse pour votre service. Ah me voici bien ! il me fallait cette visite pour me faire enrager. Monsieur, si vous étiez assis, vous en seriez bien mieux pour parler. Eh mourez, le plus tôt que vous pourrez, c'est le mieux que vous puissiez faire ; il faut que chacun vive son tour, et j'enrage de voir que des Pères vivent autant que leurs fils. J'ai tort. J'ai tort. Me fera-t-on souper bientôt ? Que pourrait-ce être ? Tu pleures, je pense. Madame il est tard, demeurez ici, on vous y logera le mieux que l'on pourra. Madame, vous me ferez plaisir de demeurer ici, je vous assure. Sais-tu bien que j'ai encore senti quelque peu d'émotion pour elle, que j'ai trouvé de l'agrément dans cette nouveauté bizarre, et que son habit négligé, son air languissant et ses larmes ont réveillé en moi quelques petits restes de feu éteint ? Vite à souper. Sganarelle, il faut songer à s'amender pourtant. Oui ma foi, il faut s'amender encor vingt ou trente ans de cette vie-ci, et puis nous songerons à nous. Qu'en dis-tu ? Il semble que tu as la joue enflée ; qu'est-ce que c'est, parle donc, qu'as-tu là ? Montre un peu, parbleu c'est une fluxion qui lui est tombée sur la joue, vite une lancette pour percer cela, le pauvre garçon n'en peut plus, cet abcès le pourrait étouffer, attends voici comme il était mûr, ah coquin que vous êtes. Allons mets-toi là, mange, j'ai affaire de toi quand j'aurai soupé, tu as faim à ce que je vois. Qui peut frapper de cette sorte ? Je veux souper en repos au moins, et qu'on ne laisse entrer personne. Qu'est-ce donc, qu'y a-t-il là. Allons voir, et montrons que rien ne me saurait ébranler. Une chaise et un couvert, vite donc, allons, mets-toi à table. Mets-toi là te dis-je, à boire à la Santé du Commandeur, je te la porte Sganarelle, qu'on lui donne du vin. Bois, et chante la chanson pour régaler le Commandeur. Il n'importe, allons, vous autres venez, accompagnez sa voix. Oui j'irai accompagné du seul Sganarelle. Prends ce flambeau. Oui, vous me voyez revenu de toutes mes erreurs, je ne suis plus le même d'hier au soir, et le Ciel tout d'un coup a fait un changement qui va surprendre tout le monde, il a touché mon âme et dessillé mes yeux, et je regarde avec horreur le long dérèglement où j'ai été, et les désordres criminels de la vie que j'ai menée ; j'en repasse dans mon esprit toutes les abominations, et m'étonne comme le Ciel les a pu souffrir si longtemps, et n'a pas vingt fois sur ma tête laissé tomber les coups de sa justice redoutable ; je vois les grâces que sa bonté m'a faites en ne punissant point mes crimes, et je prétends en profiter comme je dois, faire éclater aux yeux de tout le monde un soudain changement de vie, réparer le scandale de mes actions passées, et m'efforcer d'en obtenir du Ciel une pleine rémission ; c'est à quoi je vais travailler, et je vous prie, Monsieur, de vouloir bien contribuer à ce dessein, et de m'aider vous-même à faire un choix d'une personne qui me serve de guide, et sous la conduite de qui je puisse marcher sûrement dans le chemin où je vais entrer. La peste le benêt. Quoi, tu prends pour de bon argent ce que je viens de dire, et tu crois que ma bouche est d'accord avec mon cœur ? Non, non, je ne suis point changé, et mes sentiments sont toujours les mêmes. Il y a bien quelque chose là-dedans que je ne comprends pas ; mais quoi que ce puisse être, cela n'est pas capable ni de convaincre mon esprit ni d'ébranler mon âme, et si j'ai dit que je voulais corriger ma conduite, et me jeter dans un train de vie exemplaire, c'est un dessein que j'ai formé par politique, un stratagème utile, une grimace nécessaire où je veux me contraindre pour en ménager un père dont j'ai besoin, et me mettre à couvert du côté des hommes de cent fâcheuses aventures qui pourraient m'arriver ; je veux bien Sganarelle t'en faire confidence, et je suis bien aise d'avoir un témoin du fond de mon âme, et des véritables motifs qui m'obligent à faire les choses. Eh pourquoi non ? il y en a tant d'autres comme moi, qui se mêlent de ce métier, et qui se servent du même masque pour abuser le monde. Il n'y a plus de honte maintenant à cela, l'hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour des vertus, le personnage d'homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu'on puisse jouer, aujourd'hui la profession d'hypocrite a de merveilleux avantages, c'est un art de qui l'imposture est toujours respectée, et quoiqu'on la découvre on n'ose rien dire contre elle, tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement, mais l'hypocrisie est un vice privilégié qui de sa main ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d'une impunité souveraine ; on lie à force de grimaces une société étroite avec tous les gens du parti, qui en choque un se les jette tous sur les bras, et ceux que l'on sait même agir de bonne foi là-dessus et que chacun connaît pour être véritablement touchés, ceux-là dis-je sont toujours les dupes des autres, ils donnent hautement dans le panneau des grimaciers, et appuient aveuglement les singes de leurs actions : combien crois-tu que j'en connaisse qui par ce stratagème ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se sont fait un bouclier du manteau de la religion, et sous cet habit respecté ont permission d'être les plus méchants hommes du monde ; on a beau savoir leurs intrigues et les connaître pour ce qu'ils sont, ils ne laissent pas pour cela d'être en crédit parmi les gens, et quelque baissement de tête, un soupir mortifié et deux roulements d'yeux rajustent dans le monde tout ce qu'ils peuvent faire ; c'est sous cet abri favorable que je veux me sauver et mettre en sûreté mes affaires, je ne quitterai point mes douces habitudes, mais j'aurai soin de me cacher et me divertirai à petit bruit, que si je viens à être découvert, je verrai sans me remuer prendre mes intérêts à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous ; enfin c'est le vrai moyen de faire impunément tout ce que je voudrai, je m'érigerai en censeur des actions d'autrui, je jugerai mal de tout le monde et n'aurai bonne opinion que de moi ; dès qu'une fois on m'aura choqué tant soit peu je ne pardonnerai jamais, et garderai tout doucement une haine irréconciliable ; je ferai le vengeur des intérêts du Ciel, et sous ce prétexte commode je pousserai mes ennemis, je les accuserai d'impiété, et saurai déchaîner contre eux des Zélés indiscrets qui sans connaissance de cause crieront en public après eux, qui les accableront d'injures, et les damneront hautement de leur autorité privée, c'est ainsi qu'il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu'un sage esprit s'accommode aux vices de son siècle. Ô beau raisonnement ! Hélas ! je voudrais bien de tout mon cœur vous donner la satisfaction que vous souhaitez, mais le Ciel s'y oppose directement, et il a inspiré à mon âme de changer de vie, et je n'ai point d'autre pensée maintenant que de quitter entièrement tous les attachements du monde, de me dépouiller au plus tôt de toutes sortes de vanités, et de corriger désormais, par une austère conduite tous les dérèglements criminels où m'a porté le feu d'une aveugle jeunesse. Hélas, point du tout, c'est un dessein que votre sœur elle-même a pris ; elle a résolu sa retraite, et nous avons été touchés tous deux en même temps. Je vous assure que cela ne se peut, j'en avais pour moi toutes les envies du monde, et je me suis même encore aujourd'hui conseillé au Ciel pour cela ; mais lorsque je l'ai consulté j'ai entendu une voix qui m'a dit que je ne devais point songer à votre sœur, et qu'avec elle assurément je ne ferais point mon salut. J'obéis à la voix du Ciel. C'est le Ciel qui le veut ainsi. Le Ciel l'ordonne de la sorte. Prenez-vous-en au Ciel. Le Ciel le souhaite comme cela. Vous ferez ce que vous voudrez, vous savez que je ne manque point de cœur, et que je sais me servir de mon épée quand il le faut, je m'en vais passer tout à l'heure dans cette petite rue écartée qui mène au grand convent, mais je vous déclare pour moi que ce n'est pas moi qui me veux battre ; le Ciel m'en défend la pensée, et si vous m'y attaquez nous verrons ce qui en arrivera. Va va, le Ciel n'est pas si exact que tu penses, et si toutes les fois que les hommes… Si le Ciel me donne un avis, il faut qu'il parle plus clairement s'il veut que je l'entende. Qui ose tenir ces paroles, je crois connaître cette voix. Spectre, fantôme, ou Diable je veux voir ce que c'est. Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur, et je veux éprouver avec mon épée si c'est un corps ou un esprit. Non, non, il ne sera pas dit que quoi qu'il arrive je sois capable de me repentir allons suis-moi. Oui, où faut il aller ? La voilà Ô Ciel que sens-je ? un feu invisible me brûle, je n'en puis plus et tout mon corps devient… **** *creator_moliere *book_moliere_festindepierre *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_festindepierre *dist2_moliere_prose_comedy *id_don-louis *date_1665 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_donlouis Je vois bien que je vous embarrasse, et que vous vous passeriez fort aisément de ma venue : à dire vrai nous nous incommodons étrangement l'un l'autre, et si vous êtes las de me voir, je suis bien las aussi de vos déportements ; hélas ! que nous savons peu ce que nous faisons, quand nous ne laissons pas au Ciel le soin des choses qu'il nous donne, quand nous voulons être plus avisés que lui, et que nous venons à l'importuner par nos souhaits aveugles et nos demandes inconsidérées ! j'ai souhaité un fils avec des ardeurs nonpareilles, je l'ai demandé sans relâche avec des transports incroyables ; et ce fils, que j'obtiens en fatiguant le Ciel de vœux, est le chagrin et le supplice de cette même vie dont je croyais qu'il devait être la joie et la consolation : De quel œil, à votre avis, pensez-vous que je puisse voir cet amas d'actions indignes, dont on a peine aux yeux du monde d'adoucir le mauvais visage ? cette suite continue de méchantes affaires, qui nous réduisent à toute heure à lasser la bonté du Souverain, et qui ont épuisé auprès de lui le mérite de mes services et le crédit de mes amis ? ah quelle bassesse est la vôtre ! ne rougissez-vous point de mériter si peu votre naissance ; êtes-vous en droit, dites-moi, d'en tirer quelque vanité ? et qu'avez vous fait dans le monde pour être Gentilhomme ? croyez-vous qu'il suffise d'en porter le nom et les armes, et que ce nous soit une gloire d'être sorti d'un sang noble, lors que nous vivons en infâmes ? non, non, la naissance n'est rien où la vertu n'est pas ; ainsi nous n'avons part à la gloire de nos ancêtres qu'autant que nous nous efforçons de leur ressembler, et cet éclat de leurs actions qu'ils répandent sur nous, nous impose un engagement de leur faire le même honneur, de suivre les pas qu'ils nous tracent, et de ne point dégénérer de leurs vertus, si nous voulons être estimés leurs véritables descendants. Ainsi vous descendez en vain des aïeux dont vous êtes né, ils vous désavouent pour leur sang, et tout ce qu'ils ont fait d'illustre ne vous donne aucun avantage ; au contraire l'éclat n'en rejaillit sur nous qu'à notre déshonneur, et leur gloire est un flambeau qui éclaire aux yeux d'un chacun la honte de vos actions. Apprenez encore qu'un Gentilhomme qui vit mal, est un monstre dans la nature, que la vertu est le premier titre de noblesse, que je regarde bien moins au nom qu'on signe, qu'aux actions qu'on fait, et que je ferais plus d'état d'un fils d'un crocheteur qui serait honnête homme, que du fils d'un Monarque qui vivrait comme vous. Non, insolent, je ne veux point m'asseoir ni parler davantage, et je vois bien que toutes mes paroles ne font rien sur ton âme ; mais sache, fils indigne, que la tendresse paternelle est poussée à bout par tes actions, que je saurais plutôt que tu ne penses mettre cette borne à tes dérèglements, prévenir sur toi le courroux du Ciel, et laver par ta punition la honte de t'avoir fait naître. Quoi, mon fils, serait-il possible que la bonté du Ciel eût exaucé mes vœux ? ce que vous me dites est il bien vrai ? ne m'abusez-vous point d'un faux espoir, et puis-je prendre quelque assurance sur la nouveauté surprenante d'une telle conversion ? Ah mon fils, que la tendresse d'un père est facilement rappelée, et que les offenses d'un fils s'évanouissent vite au moindre mot de repentir ! je ne me souviens plus déjà de tous les déplaisirs que vous m'avez donnés, et tout est effacé par les paroles que vous venez de me faire entendre ; je ne me sens pas, je l'avoue, je jette des larmes de joie, tous mes vœux sont satisfaits, et je n'ai plus rien désormais à demander au Ciel ; embrassez-moi et persistez je vous conjure dans cette louable pensée ; pour moi je m'en vais tout de ce pas porter l'heureuse nouvelle à votre mère, partager avec elle les doux transports de ravissement où je suis, et rendre grâce au Ciel des saintes résolutions qu'il a daigné vous inspirer. **** *creator_moliere *book_moliere_festindepierre *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_festindepierre *dist2_moliere_prose_comedy *id_done-elvire *date_1665 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_doneelvire Me feriez-vous la grâce, Don Juan, de vouloir bien me reconnaître, et puis-je au moins espérer que vous daigniez tourner le visage de ce côté ? Oui, je vois bien que vous ne m'attendiez pas, et vous êtes surpris à la vérité, mais tout autrement que je ne l'espérais, et la manière dont vous le paraissez me persuade pleinement ce que je refusais de croire ; j'admire ma simplicité, et la faiblesse de mon cœur, à douter d'une trahison que tant d'apparences me confirmaient : j'ai été assez bonne, je le confesse, ou plutôt assez sotte pour vouloir me tromper moi-même, et travailler à démentir mes yeux et mon jugement. J'ai cherché des raisons pour excuser à ma tendresse le relâchement d'amitié qu'elle voyait en vous, et je me suis forgé exprès cent sujets légitimes d'un départ si précipité, pour vous justifier du crime dont ma raison vous accusait. Mes justes soupçons, chaque jour, avaient beau me parler, j'en rejetais la voix qui vous rendait criminel à mes yeux, et j'écoutais avec plaisir mille chimères ridicules qui vous peignaient innocent à mon cœur ; mais enfin cet abord ne me permet plus de douter, et le coup d'œil qui m'a reçue m'apprend bien plus de choses que je ne voudrais en savoir : Je serai bien aise pourtant d'ouïr de votre bouche les Raisons de votre départ. Parlez Don Juan je vous prie, et voyons de quel air vous savez vous justifier. Et bien Sganarelle, parlez, il n'importe de quelle bouche j'entende ces raisons. Approchez, puis qu'on le veut ainsi, et me dites un peu les causes de ce départ si prompt. Quoi. Vous plaît-il, Don Juan, nous éclaircir ces beaux mystères. Ah, que vous savez mal vous défendre, pour un homme de Cour et qui doit être accoutumé à ces sortes de choses, j'ay pitié de vous voir la confusion que vous avez ; que ne vous armez-vous le front d'une noble effronterie ? que ne me jurez vous que vous êtes toujours dans les mêmes sentiments pour moi, que vous m'aimez toujours avec une ardeur sans égale, et que rien n'est capable de vous détacher de moi que la mort ? que ne me dites vous que des affaires de la dernière conséquence vous ont obligé à partir sans m'en donner avis, qu'il faut que malgré vous vous demeuriez ici quelque temps, et que je n'ai qu'à m'en retourner d'où je viens, assurée que vous suivez mes pas le plus tôt qu'il vous sera possible, puisque il est très certain que vous brulez de me rejoindre, et qu'éloigné de moi vous souffrez ce que souffre un corps qui est séparé de son âme ; voilà comme il faut vous défendre, et non pas être interdit comme vous êtes. Ah scélérat, c'est maintenant que je te connais tout entier, et pour mon malheur je te connais lors qu'il n'en est plus temps, et qu'une telle connaissance ne peut plus me servir qu'à me désespérer ; mais sache que ton crime ne demeurera pas impuni, et que le même Ciel dont tu te joues, me saura venger de ta perfidie. Il suffit, je n'en veux pas ouïr davantage, et je m'accuse moi-même d'en avoir trop entendu, c'est une lâcheté que de se faire expliquer trop sa honte, et sur de tels sujets, un noble cœur, au premier mot, doit prendre son parti ; n'attends pas que j'éclate ici en reproche et en injures, non, non, je n'ai point un courroux à exhaler une parole vaine, et toute sa chaleur se réserve pour ma vengeance ; je te le dis encore, le Ciel te punira, perfide, de l'outrage que tu me fais, et si le Ciel n'a rien que tu puisses appréhender, appréhende au moins la colère d'une femme offensée. Ne soyez point surpris Don Juan de me voir à cette heure, et dans cet équipage ; C'est un motif pressant qui m'oblige à cette visite, et ce que j'ai à vous dire ne veut point du tout de retardement ; je ne viens point ici pleine de courroux, que j'ai tantôt fait éclater, et vous me voyez bien changée de ce que j'étais ce matin ; ce n'est plus cette Done Elvire qui faisait des vœux contre vous, et dont l'âme irritée ne jetait que menaces, et ne respirait que vengeance : le Ciel a banni de mon âme toutes ces indignes ardeurs que je sentais pour vous, tous ces transports tumultueux d'un attachement criminel, tous ces honteux emportements d'un amour terrestre, et grossier, et il n'a laissé dans mon cœur pour vous, qu'une flamme épurée de tout le commerce des sens, une tendresse toute sainte, un amour détaché de tout, qui n'agit point pour soi, et ne se met en peine que de votre intérêt. C'est ce parfait et pur amour qui me conduit ici pour votre bien, pour vous faire part d'un avis du Ciel, et tâcher de vous retirer du précipice où vous courez ; oui Don Juan je sais tous les dérèglements de votre vie, et ce même Ciel qui m'a touché le cœur, et fait jeter les yeux sur les égarements de ma conduite, m'a inspiré de vous venir trouver, et de vous dire de sa part, que vos offenses ont épuisé sa miséricorde, que sa colère redoutable est prête de tomber sur vous, qu'il est en vous de l'éviter par un prompt repentir ; et que peut-être vous n'avez pas encore un jour à vous, pour vous soustraire au plus grand de tous les malheurs ; pour moi je ne tiens plus à vous par un attachement du monde, je suis revenue, grâce au Ciel, de toutes mes folles pensées ; ma retraite est résolue et je ne demande qu'assez de vie pour pouvoir expier la faute que j'ai faite, et mériter, par une austère pénitence, le pardon de l'aveuglement où m'ont plongée les transports d'une passion condamnable : mais dans cette retraite j'aurai une douleur extrême qu'une personne, que j'ai chérie tendrement, devînt un exemple funeste de la justice du Ciel, et ce me sera une joie incroyable, si je puis vous y porter et détourner de dessus votre tête l'épouvantable coup qui vous menace. De grâce Don Juan accordez-moi pour dernière faveur cette douce consolation, ne me refusez point votre salut, que je vous demande avec larmes ; et si vous n'êtes point touché de votre intérêt, soyez-le au moins de mes prières, et m'épargnez le cruel déplaisir de vous voir condamné à des supplices éternels. Je vous ai aimé avec une tendresse extrême, rien au monde ne m'a été si cher que vous, j'ai oublié mon devoir pour vous, j'ai fait toutes choses pour vous ; et toute la récompense que je vous demande c'est de corriger votre vie, et de prévenir votre perte. Sauvez-vous je vous prie, ou pour l'amour de moi, ou pour l'amour de vous. Encore une fois Don Juan, je vous le demande avec larmes, et si ce n'est assez des larmes d'une personne que vous avez aimée, je vous en conjure par tout ce qu'il y a de plus capable pour vous toucher. Je m'en vais après ces discours, et voilà tout ce que j'avais à vous dire. Non Don Juan, ne me retenez pas davantage. Non vous dis-je, ne perdons point de temps en discours superflus, laissez-moi vite aller, ne faites aucune instance pour me conduire, et songez seulement à profiter de mon avis. **** *creator_moliere *book_moliere_festindepierre *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_festindepierre *dist2_moliere_prose_comedy *id_don-alonse *date_1665 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_donalonse Faites boire là nos chevaux, et qu'on les amène après nous, je veux un peu marcher à pied. Ô Ciel que vois-je ici ! quoi, mon frère, vous voilà avec notre ennemi mortel ! Ah traître, il faut que tu périsses et… Tous les discours sont superflus, il faut qu'il meure. Quoi, vous prenez le parti de notre ennemi contre moi ? et loin d'être saisi, à son aspect, des mêmes transports que je sens, vous faites voir pour lui des sentiments pleins de douceur ? Ah l'étrange faiblesse, et l'aveuglement effroyable de hasarder ainsi les intérêts de son honneur pour la ridicule pensée d'une obligation chimérique ! **** *creator_moliere *book_moliere_festindepierre *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_festindepierre *dist2_moliere_prose_comedy *id_don-carlos *date_1665 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_doncarlos On voit par la fuite de ces voleurs de quel secours est votre bras, Monsieur ; que je vous rends grâce d'une action si généreuse et que… Je m'étais par hasard écarté d'un frère et de tous ceux de notre suite, et comme je cherchais à les rejoindre j'ai fait rencontre de ces voleurs qui d'abord ont tué mon cheval, et qui sans votre valeur en auraient fait autant de moi. Oui, mais sans y vouloir entrer, et nous nous voyons obligés, mon frère et moi, à tenir la campagne pour une de ces fâcheuses affaires qui réduisent les Gentilshommes à se sacrifier eux et leur famille à la sévérité de leur honneur, puisque enfin le plus doux succès en est toujours funeste, et que si l'on ne quitte pas la vie on est contraint de quitter le Royaume, et c'est en quoi je trouve la condition d'un Gentilhomme malheureuse de ne pouvoir point s'assurer sur toute la prudence et toute l'honnêteté de sa condition, d'être asservi par les lois de l'honneur au dérèglement de la conduite d'autrui, et de voir sa vie, son repos et ses biens dépendre de la fantaisie du premier téméraire qui s'avisera de lui faire une de ces injures pour qui un honnête homme doit périr. La chose en est aux termes de n'en plus faire de secret, et lors que l'injure a une fois éclaté notre honneur ne va point à vouloir cacher notre honte, mais à faire éclater notre vengeance et à publier même le dessein que nous en avons ; ainsi, Monsieur, je ne feindrai point de vous dire que l'offense que nous cherchons à venger, est une sœur séduite et enlevée d'un convent, et que l'auteur de cette offense est un Don Juan Tenorio, fils de Don Louis Tenorio ; nous le cherchons depuis quelques jours et nous l'avons suivi ce matin sur le rapport d'un valet qui nous a dit qu'il sortait à cheval accompagné de quatre ou cinq, et qu'il avait pris le long de ce côté, mais tous nos soins ont été inutiles et nous n'avons pu découvrir ce qu'il est devenu. Non, quant à moi je ne l'ai jamais vu, et je l'ai seulement ouï dépeindre à mon frère ; mais la Renommée n'en dit pas force bien, et c'est un homme dont la vie… Pour l'amour de vous, Monsieur, je n'en dirai rien du tout, et c'est bien la moindre chose que je vous doive, après m'avoir sauvé la vie, que de me taire devant vous d'une personne que vous connaissez, lorsque je ne puis en parler sans en dire du mal ; mais quelque ami que vous lui soyez, j'ose espérer que vous n'approuverez pas son action, et ne trouverez pas étrange que nous cherchions d'en prendre la vengeance. Et quelle raison peut-on faire à ces sortes d'injures. Cet espoir est bien doux, Monsieur, à des cœurs offensés ; mais après ce que je vous dois ce me serait une trop sensible douleur que vous fussiez de la partie. Que ma destinée est cruelle ! faut il que je vous doive la vie, et que Don Juan soit de vos amis ! De grâce, mon frère. Arrêtez vous dis-je, mon frère, je ne souffrirai point du tout qu'on attaque ses jours et je jure le Ciel que je le défendrai ici contre qui que ce soit, je saurai lui faire un rempart de cette même vie qu'il a sauvée, et pour adresser vos coups il faudra que vous me perciez. Mon frère, montrons de la modération dans une action légitime, et ne vengeons point notre honneur avec cet emportement que vous témoignez ; ayons du cœur dont nous soyons les maîtres, une valeur qui n'ait rien de farouche, et qui se porte aux choses par une pure délibération de notre raison, et non point par le mouvement d'une aveugle colère ; je ne veux point mon frère demeurer redevable à mon ennemi, et je lui ai une obligation dont il faut que je m'acquitte avant toute chose : notre vengeance, pour être différée n'en sera pas moins éclatante, au contraire elle en tirera de l'avantage, et cette occasion de l'avoir pu prendre, la fera paraître plus juste aux yeux de tout le monde. Non mon frère, ne vous mettez pas en peine, si je fais une faute, je saurai la réparer ; je me charge de tout le soin de notre honneur, je sais à quoi il nous oblige, et cette suspension d'un jour que ma reconnaissance lui demande, ne fera qu'augmenter l'ardeur que j'ai de le satisfaire. Don Juan, vous voyez que j'ai soin de vous rendre le bien que j'ai reçu de vous, et vous pouvez par là juger du reste, et croire que je m'acquitte avec même chaleur de tout ce que je dois, et que je ne serai pas moins exact à vous payer l'injure que le bienfait ; je ne veux point vous obliger à m'expliquer ici vos sentiments, et je vous donne la liberté de penser à loisir aux résolutions que vous avez à prendre ; vous connaissez assez la grandeur de l'offense que vous nous avez faite, et je vous fais juge vous-même des réparations qu'elle demande : il est des moyens doux pour nous satisfaire, il en est de violents et sanglants ; mais enfin, quelque choix que vous fassiez, vous m'avez donné parole de me faire faire raison par Don Juan, songez à me la tenir je vous prie, et vous ressouvenez que hors d'ici je ne dois plus qu'à mon honneur. Allons, mon frère, un moment de douceur ne fait aucune injure à la sévérité de notre devoir. Don Juan je vous trouve à propos, et suis bien aise de vous parler ici plutôt que chez vous, pour vous demander vos résolutions ; vous savez que ce soin me regarde, et que je me suis en votre présence chargé de cette affaire, pour moi je ne le cèle point, je souhaite fort que les choses aillent dans la douceur, et il n'y a rien que je ne fasse pour porter votre esprit à vouloir prendre cette voie, et pour vous voir publiquement à ma sœur confirmer le nom de votre femme. Ce dessein, Don Juan, ne choque point ce que je dis et la compagnie d'une femme légitime peut bien s'accommoder avec les louables pensées que le Ciel vous inspire. Sa retraite ne peut nous satisfaire, pouvant être imputée au mépris que vous faites d'elle et de notre famille, et notre honneur demande qu'elle vive avec vous. Croyez-vous, Don Juan, nous éblouir par ces belles excuses ? Quoi, vous voulez que je me paie d'un semblable discours ? Vous aurez fait sortir ma sœur d'un couvent pour la laisser ensuite ? Nous souffrirons cette tache en notre famille ? Eh quoi, toujours le Ciel ? Il suffit Don Juan, je vous entends, ce n'est pas ici que je veux venir vous prendre, et le lieu ne le souffre pas, mais avant qu'il soit peu je saurai vous trouver. Nous verrons de vrai, nous verrons. **** *creator_moliere *book_moliere_festindepierre *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_festindepierre *dist2_moliere_prose_comedy *id_gusman *date_1665 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_gusman Et la raison encore, dis-moi je te prie Sganarelle, qui peut t'inspirer de si mauvais augure ? ton Maître t'a-t-il découvert son cœur là-dessus, et t'a t-il dit qu'il eût pour nous quelque froideur qui l'ait obligé à partir ? Quoi ! ce départ si peu prévu serait une infidélité de Don Juan ! il pourrait faire cette injure aux chastes feux de Done Elvire ! Un homme de sa qualité ferait une action si lâche. Mais les saints nœuds du mariage le tiennent engagé. Je ne sais pas de vrai quel homme il peut être, s'il faut qu'il nous ait fait cette perfidie, et je ne comprends point comme après tant d'amour et tant d'impatience témoignée, tant d'hommages pressants, de vœux, de soupirs, et de larmes, tant de lettres passionnées, de protestations ardentes et de serments réitérés, tant de transports enfin, et tant d'emportements qu'il a fait paraître, jusques à forcer dans sa passion l'obstacle sacré d'un Convent pour mettre Done Elvire en sa puissance, je ne comprends pas, dis-je, comme après tout cela il aurait le cœur de pouvoir manquer à sa parole. **** *creator_moliere *book_moliere_festindepierre *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_festindepierre *dist2_moliere_prose_comedy *id_sganarelle *date_1665 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_sganarelle Quoique puisse dire Aristote et toute la Philosophie, il n'est rien d'égal au Tabac, c'est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre ; non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et leur apprend avec lui à demeurer honnête homme ; Ne voyez vous pas bien, dès qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner à droite et à gauche, partout où l'on se trouve ? On n'attend pas même qu'on en demande, et l'on court au-devant du souhait des gens, tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d'honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent : Mais c'est assez de cette matière ; reprenons notre discours. Si bien donc, cher Gusman que Done Elvire, ta Maîtresse, surprise de notre départ, s'est mise en campagne après ; et son cœur, que mon Maître a su toucher trop fortement, n'a pu depuis vivre sans le venir chercher ici ; Veux-tu qu'entre nous, je te dise ma pensée, j'ai peur qu'elle soit mal payée de son amour, que son voyage en cette ville produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagné à ne bouger de là. Non pas, mais à vue de pays je connais à peu près le train des choses, et sans qu'il m'ait encore rien dit, je gagerais presque que l'affaire va là. Je pourrais peut-être me tromper, mais enfin sur de tels sujets l'expérience m'a donné quelque lumière. Non, c'est qu'il est trop sûr encore qu'il n'a pas le courage. Eh ! oui, sa qualité, la raison en est belle, et c'est par là qu'il s'empêcherait des choses. Eh ! mon pauvre Gusman, mon ami, tu ne sais pas encore, crois-moi, quel homme c'est Don Juan. Je n'ai pas grande peine à le comprendre moi, et si tu connaissais le pèlerin, tu trouverais la chose assez facile pour lui ; je ne dis pas qu'il ait changé de sentiments pour Done Elvire, je n'en ai point de certitude encore ; tu sais que par son ordre je partis avant lui, et depuis son arrivée, il ne m'a point entretenu ; mais par précaution je t'apprends inter nos, que tu vois en Don Juan mon Maître le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un Diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel ni Saint, ni Dieu, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, en pourceau d'Épicure, en vrai Sardanapale, ferme l'oreille à toutes les remontrances Chrétiennes qu'on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons ; tu me dis qu'il a épousé ta Maitresse, crois qu'il aurait plus fait pour contenter sa passion, et qu'avec elle il aurait encore épousé toi, son chien et son chat ; un mariage ne lui coûte rien à contracter, il ne se sert point d'autre piège pour attraper les belles, et c'est un épouseur à toutes mains, Dame, Damoiselle, Bourgeoise, Paysanne ; Il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui, et si je te disais le nom de toutes celles qu'il a épousées en divers lieux, ce serait un chapitre à durer jusques au soir ; tu demeures surpris et changes de couleur à ce discours ; ce n'est là qu'une ébauche du personnage ; et pour en achever le portrait, il faudrait bien d'autres coups de pinceau : Suffit qu'il faut que le courroux du Ciel l'accable quelque jour, qu'il me vaudrait bien mieux d'être au Diable qu'à lui, et qu'il me fait voir tant d'horreurs que je souhaiterais qu'il fût déjà je ne sais où. C'est une chose terrible, il faut que je lui sois fidèle en dépit que j'en aie ; la crainte en moi fait l'office du zèle, bride mes sentiments et me réduit à la complaisance d'applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste ; le voila qui vient se promener dans ce Palais, séparons nous ; écoute, au moins je te fais confidence avec grande franchise, et cela m'est sorti un peu bien vite de la bouche ; mais s'il fallait qu'il en vînt quelque chose à ses oreilles, je dirais hautement que tu aurais menti. C'est quelque chose aussi à peu près comme cela. Lui-même. D'hier au soir. Je crois que vous jugez assez ce qui peut l'inquiéter. Le bon homme en est tout mortifié, et m'en demandait le sujet Que vous ne m'en aviez rien dit. Moi ? je crois, sans vous faire tort, que vous avez quelque nouvel amour en tête. Oui. Eh mon Dieu ! je sais mon Don Juan sur le bout du doigt, et connais votre cœur pour le plus grand coureur du monde ; il se plaît à se promener de lieux en lieux, et n'aime point à demeurer en place. Eh Monsieur. Assurément que vous avez raison, si vous le voulez. On ne peut pas aller là contre ; mais si vous ne le vouliez pas, ce serait peut-être une autre affaire. En ce cas, Monsieur, je vous dirai franchement que je n'approuve point votre méthode, et que je trouve fort vilain d'aimer de tous côtés comme vous faites. Vertu de ma vie, comme vous débitez ; il semble que vous ayez appris par cœur cela, et vous parlez tout comme un Livre. Ma foi, j'ai à dire, et je ne sais que dire, car vous tournez les choses d'une manière qu'il semble que vous ayez raison, et cependant il est vrai que vous ne l'avez pas ; j'avais les plus belles pensées du monde, et vos discours m'ont brouillé tout cela : laissez faire, une autre fois je mettrai mes raisonnements par écrit, pour disputer avec vous. Mais Monsieur, cela serait-il de la permission que vous m'avez donnée, si je vous disais que je suis tant soit peu scandalisé de la vie que vous menez ? Fort bonne, mais par exemple je vous vois tous les mois vous marier comme vous faites. Il est vrai, je conçois que cela est fort agréable et fort divertissant, et je m'en accommoderais assez moi, s'il n'y avait point de mal ; mais Monsieur se jouer ainsi d'un mystère sacré et, Ma foi Monsieur, j'ai toujours ouï dire que c'est une méchante raillerie que se railler du Ciel, et que les libertins ne font jamais une bonne fin. Je ne parle pas aussi à vous, Dieu m'en garde, vous savez ce que vous faites, et si vous ne croyez rien vous avez vos raisons : il y a de certains petits impertinents dans le monde, qui sont libertins sans savoir pourquoi, qui font les esprits forts parce qu'ils croient que cela leur sied bien, et si j'avais un maître comme cela, je lui dirais fort nettement, le regardant en face, osez-vous bien ainsi vous jouer du Ciel, et ne tremblez-vous point de vous moquer comme vous faites des choses les plus saintes c'est bien à vous petit ver de terre, petit myrmidon que vous êtes (je parle au maître que j'ai dit) c'est bien à vous à vouloir vous mêler de tourner en raillerie ce que tous les hommes révèrent ; pensez-vous que pour être de qualité, pour avoir une perruque blonde et bien frisée, des plumes à votre chapeau, un habit bien doré, et des rubans couleur de feu (ce n'est pas à vous que je parle, c'est à l'autre) pensez-vous dis-je que vous en soyez plus habile homme, que tout vous soit permis et qu'on n'ose vous dire vos vérités ? apprenez de moi qui suis votre valet, que le Ciel punit tôt ou tard les impies, qu'une méchante vie amène une méchante mort et que… De quoi est-il question ? Et n'y craignez-vous rien, Monsieur, de la mort de ce Commandeur que vous tuâtes il y a six mois ? Fort bien, le mieux du monde, il aurait tort de s'en plaindre. Oui, mais cette grâce n'éteint pas peut-être le ressentiment des parents et des amis et… Ah Monsieur ! C'est fort bien fait à vous, et vous le prenez comme il faut, il n'est rien tel en ce monde que de se contenter. Monsieur vous ne me l'aviez pas demandé. Oui Monsieur, je ne sais rien s'il vous plait. Que voulez vous que je dise ; Je n'ai rien à répondre, vous vous moquez de votre serviteur. Madame. Monsieur. Madame, les conquérants, Alexandre, et les autres mondes, sont causes de notre départ : voilà Monsieur tout ce que je puis dire. Vraiment oui, nous nous moquons bien de cela nous autres. Si le remords le pouvait prendre. Ah ! quel abominable Maître me vois-je obligé de servir. Monsieur j'avoue que vous m'étonnez, à présent que nous sommes échappés d'un péril de mort, qu'au lieu de rendre grâce au ciel de la peine qu'il a daigné prendre de nous, vous travaillez tout de nouveau à vous attirer sa colère par vos fantaisies accoutumées et vos amours cr… paix, coquin que vous êtes, vous ne savez ce que vous dites, et Monsieur sait ce qu'il fait, allons Assurément. Autre pièce nouvelle. Il n'a garde. Non, non, ne craignez point, il se mariera avec vous tant que vous voudrez. Eh Monsieur, laissez là ce pauvre misérable, c'est conscience de le battre ; écoute mon pauvre garçon, retire-toi et ne lui dis rien. Peste soit du maroufle. Ah, ah. Ah ! Pauvres filles que vous êtes, j'ai pitié de votre innocence, et je ne puis souffrir de vous voir courir à votre malheur ; croyez-moy l'une et l'autre, ne vous amusez point à tous les contes qu'on vous fait, et demeurez dans votre village. Mon Maître est un fourbe, il n'a dessein que de vous abuser, et en a bien abusé d'autres, c'est l'épouseur du genre humain, et cela est faux, et quiconque vous dira cela, vous lui devez dire qu'il en a menti, mon Maître n'est point l'épouseur du genre humain ; Il n'est point fourbe, n'a pas dessein de vous tromper, et n'en a point abusé d'autres ; ah tenez le voilà, demandez-le plutôt à lui-même. Monsieur comme le monde est plein de médisances, je vais au-devant des choses, et je leur disais que si quelqu'un leur venait dire du mal de vous, elles se gardassent bien de le croire, et ne manquassent pas de lui dire qu'il en avait menti. Oui, Monsieur est homme d'honneur, je le garantis tel. Ce sont des Impertinents. Monsieur vous vous moquez, m'exposer à être tué sous vos habits et… Je vous remercie d'un tel honneur. Ô Ciel puisqu'il s'agit de mort, fais-moi la grâce de n'être point pris pour un autre. Ma foi Monsieur, avouez que j'ai eu raison, et que nous voilà l'un et l'autre déguisés à merveille, votre premier dessein n'était point du tout à propos, et ceci nous cache bien mieux que tout ce que vous vouliez faire. Oui, c'est l'habit d'un vieux Médecin qui a été laissé en gage au lieu où je l'ai pris et il m'en a coûté de l'argent pour l'avoir. Mais savez-vous, Monsieur, que cet habit me met déjà en considération, que je suis salué des gens que je rencontre, et que l'on vient me consulter ainsi qu'un habile homme. Cinq ou six Paysans ou Paysannes, en me voyant passer, me sont venus demander mon avis sur différentes maladies. Moi, point du tout, j'ai voulu soutenir l'honneur de mon habit, j'ai raisonné sur le mal, et leur ai fait ordonnance à chacun. Ma foi, Monsieur, j'en ai pris par où j'en ai pu attraper, j'ai fait mes ordonnances à l'aventure, et ce serait une chose plaisante si ces malades guérissaient, et qu'on me vînt remercier. Comment Monsieur, vous êtes aussi impie en Médecine. Quoi ! vous ne croyez pas au Séné, ni à la Casse, au Vin émétique ? Vous avez l'âme bien méchante, cependant vous voyez depuis un temps que le Vin émétique fait bruire ses fuseaux, ses miracles ont converti les plus incrédules esprits, et il n'y a pas trois semaines que j'en ai vu, moi qui vous parle, un effet merveilleux. Il y avait un homme qui depuis six jours était à l'agonie. On ne savait plus que lui ordonner, et tous les remèdes ne faisaient rien ; on s'avisa à la fin de lui donner de l'émétique. Non, il mourut. Mais laissons-là la Médecine, où vous ne croyez point, et parlons des autres choses ; car cet habit me donne de l'esprit, et je me sens en humeur de disputer contre vous ; vous savez bien que vous me permettez les disputes, et que vous ne me défendez que les Remontrances. Je veux savoir un peu vos pensées à fonds ; est-il possible que vous ne croyez point du tout au Ciel ? C'est à dire que non ; et à l'enfer ? Tout de même ; et au Diable s'il vous plaît ? Aussi peu ; ne croyez-vous point l'autre vie ? Voilà un homme que j'aurais bien de la peine à convertir ; et dites-moi un peu, le Moine bourru, qu'en croyez vous ? eh ! Et voilà ce que je ne puis souffrir, car il n'y a rien de plus vrai que le Moine bourru ; et je me ferais pendre pour celui-là ; mais encore faut-il croire quelque chose dans le monde, qu'est-ce donc que vous croyez ? Oui. Belle croyance, et les beaux articles de foi que voici ; votre religion à ce que je vois, est donc l'arithmétique ; il faut avouer qu'il se met d'étranges folies dans la tête des hommes, et que pour avoir étudié on est bien moins sage le plus souvent ; pour moi Monsieur, je n'ai point étudié comme vous, Dieu merci, et personne ne se saurait vanter de m'avoir jamais rien appris ; mais avec mon petit sens et mon petit jugement je vois les choses mieux que tous vos livres, et je comprends fort bien que ce monde, que nous voyons, n'est pas un champignon qui soit venu tout seul en une nuit. Je voudrais bien vous demander qui a fait ces orbes-là, ces rochers, cette terre, et ce Ciel que voilà là-haut, et si tout cela s'est bâti de lui-même ; vous voilà vous par exemple, vous êtes là ; est-ce que vous vous êtes fait tout seul, et n'a-t-il pas fallu que votre père ait engrossé votre mère pour vous faire ? pouvez vous voir toutes ces inventions, dont la machine de l'homme est composée, sans admirer de quelle façon cela est agencé l'un dans l'autre ? ces nerfs, ces os, ces veines, ces artères, ces… ce poumon, ce cœur, ce foie, et tous ces autres ingrédients qui sont là et qui… ah Dame interrompez-moi donc si vous voulez, je ne saurais disputer si l'on ne m'interrompt, vous vous taisez exprès, et me laissez parler par belle malice. Mon Raisonnement est qu'il y a quelque chose d'admirable dans l'homme quoi que vous puissiez dire que tous les savants ne sauraient expliquer ; cela n'est-il pas merveilleux que me voilà ici ; et que j'aie quelque chose dans la tête qui pense cent choses différentes en un moment ; et fait de mon corps tout ce qu'il veut ! je veux frapper des mains, hausser le bras, lever les yeux aux Ciel, baisser la tête, remuer les pieds, aller à droit, à gauche, en avant, en arrière, tourner, Morbleu je suis bien sot de raisonner avec vous, croyez ce que vous voudrez, il m'importe bien que vous soyez damné. Holà ho l'homme, ho mon compère, ho l'ami, un petit mot s'il vous plaît. Enseigne nous un peu le chemin qui mène à la ville. Vous ne connaissez pas Monsieur, bonhomme, il ne croit qu'en deux et deux font quatre, et en quatre et quatre font huit. Va, va, jure un peu, il n'y a pas de mal. Mon Maître est un vrai enragé d'aller se présenter à un péril qui ne le cherche pas ; mais ma foi le secours a servi, et les deux ont fait fuir les trois. Plaît-il. Pardonnez-moi, Monsieur, je viens seulement d'ici près, je crois que cet habit est purgatif, et que c'est prendre Médecine que de le porter. Il vous serait aisé de pacifier toute chose. Vous ne le savez pas ? Bon, c'est le tombeau que le Commandeur faisait faire lorsque vous le tuâtes. Monsieur, n'allez point là. Cela n'est pas civil d'aller voir un homme que vous avez tué. Ah, que cela est beau, les belles statues ! le beau marbre, les beaux Piliers ! ah, que cela est beau, qu'en dites vous Monsieur ? Voilà la statue du Commandeur. Ma foi Monsieur voilà qui est bien fait, il semble qu'il est en vie, et qu'il s'en va parler ; il jette des regards sur nous qui me feraient peur si j'étais tout seul, et je pense qu'il ne prend pas plaisir à nous voir. C'est une chose dont il n'a pas besoin je crois. Vous moquez-vous ? ce serait être fou que d'aller parler à une statue. Quelle bizarrerie ! Seigneur je ris de ma sottise ; mais c'est mon Maître qui me la fait faire ; Seigneur Commandeur, mon Maître Don Juan vous demande si vous voulez lui faire l'honneur de venir souper avec lui… ah. La statue. Je vous dis que la statue. La statue m'a fait Signe. Elle m'a fait signe vous dis-je, il n'est rien de plus vrai, allez vous-en lui parler vous-même pour voir, peut-être. Je ne voudrais pas en tenir dix pistoles, eh bien, Monsieur ? Voilà de mes esprits forts qui ne veulent rien croire. Ah, Monsieur, ne cherchons point à démentir ce que nous avons vu des yeux que voilà ; il n'est rien plus véritable que ce signe de tête, et je ne doute point que le Ciel scandalisé de votre vie n'ait produit ce miracle pour vous convaincre, et pour vous retirer de… Fort bien, Monsieur, le mieux du monde ; vous vous expliquez clairement ; c'est ce qu'il y a de bon en vous, que vous ne m'allez point chercher des tours, vous dites les choses avec une netteté admirable. Bon, voilà ce qu'il nous faut, qu'un compliment de créancier ; de quoi s'avise-t-il de nous venir demander de l'argent, et que ne lui disais-tu que Monsieur n'y est pas ? Qu'il attende tant qu'il voudra. Allons assoyez-vous. Il faut avouer que vous avez en Monsieur un homme qui vous aime bien. Je vous assure que toute la maison périrait pour vous, et je voudrais qu'il vous arrivât quelque chose, que quelqu'un s'avisât de vous donner des coups de bâton, vous verriez de quelle manière. Oh ne vous mettez pas en peine, il vous paiera le mieux du monde. Fi, ne parlez pas de cela. Ne sais-je pas bien que je vous dois. Allons Monsieur Dimanche, je vais vous éclairer. Vous moquez-vous ? Eh. Bagatelles. Fi. Fi vous dis-je. Ah Monsieur, vous avez tort. Monsieur. Oui Monsieur vous avez tort, d'avoir souffert ce qu'il vous a dit, et vous le deviez mettre dehors par les épaules ; a-t-on jamais rien vu de plus impertinent ? un père venir faire des remontrances à son fils, et lui dire de corriger ses actions, de se ressouvenir de sa naissance, de mener une vie d'honnête homme, et cent autres sottises de pareille nature ; cela se peut-il souffrir à un homme comme vous qui savez comme il faut vivre ? j'admire votre patience, et si j'avais été en votre place, je l'aurais envoyé promener ; Ô complaisant maudit, à quoi me réduis-tu ? Il faut voir. Pardonnez-moi. Pauvre femme. Cœur de tigre. C'est à dire que ces paroles n'ont fait aucun effet sur… Fort bien. Oui-da. Eh. Rien, voilà le souper. Rien. Ma foi Monsieur je voulais voir si votre cuisinière n'avait point mis trop de sel ou trop de poivre. Je le crois Monsieur, je n'ai point mangé depuis le matin, tâtez de cela, voilà qui est le meilleur du monde, mon assiette, mon assiette, tout doux s'il vous plaît, vertubleu petit compère que vous êtes habile à donner des assiettes, et vous petit La Violette que vous savez présenter à boire à propos. Qui Diable nous vient troubler dans notre repas ? Laissez-moi faire, je m'y en vais moi-même. Le… qui est là. Ah pauvre Sganarelle ! où te cacheras tu ? Monsieur, je n'ai plus de faim. Monsieur je n'ai pas soif. Je suis enrhumé Monsieur. Je vous rends grâce, il est demain jeûne pour moi. Ah Monsieur ! que j'ai de joie de vous voir converti ; il y a longtemps que j'attendais cela, et voilà, grâce au Ciel, tous mes souhaits accomplis. Comme, le benêt. Quoi ? ce n'est pas… vous re… votre… eh quel homme, quel homme, quel homme ! Vous ne vous rendez pas sur la surprenante merveille de cette Statue mouvante et parlante ? Quoi, vous ne croyez rien du tout, et vous voulez cependant vous ériger en homme de bien ? Ah quel homme ! quel homme ! Ô Ciel, qu'entends-je ici ! il ne vous manque plus que d'être hypocrite pour vous achever de tous points, et voilà le comble des abominations. Monsieur cette dernière-ci m'importe, et je ne puis m'empêcher de parler, faites-moi tout ce qu'il vous plaira, battez-moi, assommez-moi de coups, tuez-moi si vous voulez, il faut que je décharge mon cœur, et qu'en valet fidèle je vous dise ce que je dois. Sachez Monsieur que tant va la cruche à l'eau qu'enfin elle s'y brise, et comme dit fort bien cet auteur que je ne connais pas, que l'homme est en ce monde ainsi que l'oiseau sur la branche, la branche est attachée à l'arbre, qui s'attache à l'arbre suit de bons préceptes : les bons préceptes valent mieux que les belles paroles, les belles paroles se trouvent à la Cour, à la Cour sont les Courtisans, les Courtisans suivent la mode, la mode vient de la fantaisie, la faculté de l'âme est ce qui nous donne la vie, la vie finit par la mort, la mort nous fait penser au Ciel, le Ciel est au-dessus de la terre, la terre n'est point la mer, la mer est sujette aux orages, les orages tourmentent les vaisseaux, les vaisseaux ont besoin d'un bon pilote, un bon pilote a de la prudence, la prudence n'est point dans les jeunes gens, les jeunes gens doivent obéissance aux vieux, les vieux aiment les richesses, les richesses font les riches, les riches ne sont pas pauvres, les pauvres ont de la nécessité, la nécessité n'a point de loi, qui n'a point de loi vit en bête brute, et par conséquent vous serez damné à tous les Diables. Après cela, si ne vous rendez, tant pis pour vous. Monsieur, quel Diable de style prenez-vous là ? ceci est bien pis que le reste, et je vous aimerais bien mieux encore comme vous étiez auparavant, j'espérais toujours de votre salut, mais c'est maintenant que j'en désespère, et je croyais que le Ciel qui vous a souffert jusques ici ne pourra du tout souffrir cette dernière horreur. Ah Monsieur, c'est le Ciel qui vous parle, et c'est un avis qu'il vous donne. Entendez-vous Monsieur. Ah Monsieur, c'est un spectre je le reconnais au marcher. Ô Ciel ! voyez, Monsieur, ce changement de figure. Ah Monsieur, rendez-vous à tant de preuves et jetez-vous vite dans le repentir. Ah mes gages ! mes gages ! voilà par sa mort un chacun satisfait, Ciel offensé, lois violées, filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content, il n'y a que moi seul de malheureux, mes gages, mes gages, mes gages ! **** *creator_moliere *book_moliere_festindepierre *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_festindepierre *dist2_moliere_prose_comedy *id_laviolette *date_1665 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_laviolette Monsieur, voilà votre marchand, Monsieur Dimanche, qui demande à vous parler. Il y a trois quarts d'heure que je lui dis. Il ne veut pas me croire, et s'est assis là-dedans pour attendre. Monsieur. Voilà Monsieur votre Père. **** *creator_moliere *book_moliere_festindepierre *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_festindepierre *dist2_moliere_prose_comedy *id_ragotin *date_1665 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_ragotin Monsieur, voici une Dame voilée qui vient vous parler. **** *creator_moliere *book_moliere_festindepierre *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_festindepierre *dist2_moliere_prose_comedy *id_mdimanche *date_1665 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_mdimanche Monsieur je vous suis bien obligé. Monsieur, cela n'est rien. Monsieur, je suis votre serviteur ; j'étais venu. Monsieur, je suis bien comme cela. Cela n'est pas nécessaire. Monsieur, vous vous moquez et… Ce n'est pas besoin Monsieur et je n'ai qu'un mot à vous dire. J'étais… Non, Monsieur, je suis bien, je viens pour. Monsieur, je fais ce que vous voulez, je… Oui Monsieur, pour vous rendre service ; je suis venu… Je voudrais bien… Fort bien Monsieur Dieu merci. Elle est votre servante Monsieur je venais… Le mieux du monde. C'est trop d'honneur que vous lui faites Monsieur je vous… Toujours de même Monsieur, je… Plus que jamais Monsieur, et vous ne sauriez en chevir. Nous vous sommes, Monsieur infiniment obligés ; Monsieur, je suis votre serviteur. Vous m'honorez trop Monsieur. Je… Monsieur, vous avez trop de bonté pour moi. Je n'ai point mérité cette grâce, Monsieur, mais Monsieur… Non Monsieur, il faut que je m'en retourne à l'heure. Il n'est pas nécessaire, et je m'en irai bien tout seul. Mais… Ah Monsieur ! Si… Ah Monsieur, vous vous moquez. Mais… Il est vrai, il me fait tant de civilités, et tant de compliments que je ne lui saurais jamais demander de l'argent. Je le crois ; mais Sganarelle, je vous prie de lui dire un petit mot de mon argent. Mais vous, Sganarelle, vous me devez quelque chose en votre particulier. Comment. Je… Oui, mais… Mais mon argent ? Je veux. J'entends. Mais. De. **** *creator_moliere *book_moliere_festindepierre *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_festindepierre *dist2_moliere_prose_comedy *id_laramee *date_1665 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_laramee Monsieur je viens vous avertir qu'il ne fait pas bon ici pour vous. Douze hommes à cheval vous cherchent, qui doivent arriver ici dans un moment ; je ne sais pas par quel moyen ils peuvent vous avoir suivi, mais j'ai appris cette nouvelle d'un paysan qu'ils ont interrogé, et auquel ils vous ont dépeint ; l'affaire presse, et le plutôt que vous pourrez sortir d'ici sera le meilleur. **** *creator_moliere *book_moliere_festindepierre *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_festindepierre *dist2_moliere_prose_comedy *id_pierrot *date_1665 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_pierrot Porquisenne, il ne s'en est pas fallu l'épaisseur d'une épingle qu'ils ne se s'ayant noyés tou deu. Aga, quien, Charlotte, je m'en vas te conter tout fin drai comme cela est venu ça, comme dit l'autre, je les ai le premier avisés, avisés le premier je les ai ; enfin donc j'équions sur le bord de la mar, mo et le gros Lucas, et je nous amusions à batifoler avé des mottes de tarre, que je nous jesquions à la tête ; car comme tu sais bian, le gros Lucas aime à batifoler, et moi per fois je batifole i tou ; en batifolant donc, pisque batifoler y a, j'ai aperçu de tout loin queuque chose qui grouillait dans glieau, et qui venait comme envars nous per secousse, je voyais ça fisiblement, et pis tout d'un coup je voyais que je ne voyais plus rien ; eh Lucas ! ç'ay je fait, je pense que vlà des hommes qui nageant là-bas ; voire ce m'a-t-il fait, t'as été au trepassement d'un chat, t'as la vue trouble ; pal sanguienne, ç'ai je fait, je n'ai point la vue trouble, ce sont des hommes ; point du tout ce m'a-t-il fait, t'as la barlue ; veux tu gager, ç'ai je fait, que je n'ai point la barlue, ç'ai je fait, et que ce sont des hommes, ç'ai je fait qui nageant drai ici, ç'ai je fait ; morguenne ce m'a-t-il fait, je gage que non ; o ça ç'ai je fait, veux tu gager dix sols que si ? je veux bian, ce m'a-t-il fait, et pour te montrer, vlà argent ser jeu, ce m'a-t-il fait ; moi je n'ai été ni fou ni étourdi, j'ai bravement bouté quatre pièces tapées et cinq sols en double, j'erniguenne, aussi hardiment que si j'avais avalé un vare de vin, car si hasardeux moi, et je vas à la débandade ; je savais bian ce que je faisais pourtant, queuque gniais : enfin donc je n'avais pas plutôt eu gagé, que j'avons vu les deux hommes tous à plein, qui nous faisians signe de les aller quérir, et moi d'hier auparavant les enjeux, allons Lucas, ç'ai-je dit, tu vois bian qu'ils nous appellent, allons viste à leur secours ; non ce m'a-t-il dit, ils m'ont fait pardre ; o dont tanquia, qu'à la parfin, pour le faire court, je l'ai tant sarmonné que je nous sommes boutés dans une barque, et pis j'avons tant fait, cahin caha, que je les avons tiré de gliau, et pis je les avons menés cheu nous, auprès du feu, et pis ils se sont dépouillés tous nus pour se sécher, et pis il y en est encor venu deux de la même bande, qui saguiant sauvés tout seul, et pis Mathurine est arrivée là, à qui l'on a fait les doux yeux ; vlà justement Charlotte comme tout ça s'est fait. Oui, c'est le Maître, il faut que ce soit queuque gros gros Monsieur, car il a du dor à son habit tout depis l'haut jusque en bas, et ceux qui le sarvant sont des Monsieurs eux-mesmes, et Stan pandant, tout gros Monsieur qu'il est, il serait per ma fegue nayé, si je n'avions esté là. O par guenne, sans nous, il en avait pour sa maine de feves. Nannain, ils l'avont rhabillé tout devant nous ; monquieu je n'en avais jamais vu s'habiller ; que d'histoires et d'angingorniaux boutont ces Monsieurs-là les courtisans, je me pardrais là dedans pour moi, et j'étais tout ebobi de voir ça ; quien Charlotte, ils avont des cheveux qui ne tenont point à leu teste, et ils boutont ça après tout comme un gros bonnet de filace, ils ant des chemises qui ant des manches ou j'entrerais tout brandis toi et moi ; en glieu d'haut de chausse ils portont un garde-robe aussi large que d'ici à pasque ; en glieu de pourpoint de petites brasières qui ne leur venont pas jusqu'au brichet, et en glieu de rabat un grand mouchoir de cou à reziau avec quatre grosses houpes de linge qui leu pendont ser l'estoumaque ; ils avont itou d'autres petis rabat au bout des bras, et de grands antonoirs de passement aux jambes, et parmi tout ça tant de ribans, tant de ribans, que c'est une vraie piquié ; ignia pas jusqu'aux souliez qui n'en soyont farcy tout depis un bout jusqu'à l'autre, et ils sont faits d'une façon que je me romperais le cou au cul. O, acoute un peu auparavant Charlotte, j'ai queuque autre à te dire moi. Vois tu, Charlotte, il faut comme dit l'autre que je débonde mon cœur, je t'ayme, tu le sais bian, et je sommes pour être mariés ensemble, mais, morguenne, je ne suis point satisfait de toi. Il y glia, que tu me chagraines l'esprit franchement. Teste quienne, tu ne m'aimes point. Oui ce n'est que ça, et c'est bian assez. Je te dis toujou la même chose, parce que c'est toujou la même chose, et si ce n'était pas toujou la même chose, je ne te dirais pas toujou la même chose. Jerniguienne je veux que tu m'aimes. Non tu ne m'aimes pas, et si je fais tout ce que je pis pour ça, je t'ajette sans reproche des rubans à tous ces marciers qui passont, je me romps le cou à t'aller dénicher des marles, je fais jouer pour toi les vielloux quand ce vient ta feste, et tout ça comme si je me frappais la tête contre un mur ; vois-tu, c'a n'est ni biau ni honeste de n'aimer pas les gens qui nous aimant. Ouy, tu m'aimes d'une belle deguaine. Je veux que l'on fasse comme l'on fait quand l'on aime comme il faut. Non, quand ça est, ça se voit, et l'on fait mille petites singeries aux personnes, quand on les aime du bon du cœur : regarde la grosse Tomasse comme elle assotie du jeune Robain, alle est toujou entour de ly à l'agacer, et ne le laisse jamais en repos, toujou elle y fait queuque niche, ou ly baille queuque taloche en passant ; et l'autre jou, qu'il était assis sur un escabeau, al fut le tirer dessous ly et le fit choir tout de son long par tarre ; jarny vla où l'on voit les gens qui aimant, mais toi tu ne me dis jamais mot, t'es toujou là comme une vraie souche de bois, et je passerois vingt fois devant toi que tu ne te grouillerais pas pour me bailler le moindre coup, ou me dire la moindre chose, ventre guienne ça n'est pas bian apres tout, et t'es trop froide pour les gens. Ignia humeur qui guienne, quand on a de l'amiquié pour les personnes, l'on en baille toujou queuque petite signifiance. Eh bien vla pas mon conte, testiquié si tu m'aimais me dirais-tu ça ? Morgué que mal te fais-je ? je ne te demande qu'un peu pus damiquié. Touche donc là Charlotte. Promets-moi que tu tâcheras de m'aimer davantage. Oui, le vla. Je revians à l'heure, je m'en vas boire chopaine pour me rebouter tent soit peu de la fatigue que j'ai eu. Tout doucement Monsieur, tenez-vous s'il vous plaît, vous vous échauffez trop, et vous pourriez gagner la puresie. Je vous dis que vous tgnais, et que vous ne caressiez point nos accordées. Jerniguenne, ce n'est pas comme ça qu'il faut pousser les gens. Quement, que je laisse faire ? je ne veux pas moi. Testequenne, parce que vous êtes… vous viendrez caresser nos femmes à notre barbe, allez v's-en caresser les vôtres. Heu testiqué ne me frappez pas, ah jernigué, ventregué, pal sangué, morguenne, ça n'est pas bien de battre les gens, et ce n'est pas la récompense de vous avoir sauvé d'être nayé. Je me veux fâcher, et t'es une vilaine, toi, d'endurer qu'on te caresse. Quement, jerny, tu renies promesse ! Jernigué non, j'aime mieux te voir crever, que de te voir à un autre. Ventreguenne je gny en porterai jamais, quand tu m'y en payerais deux fois autant ; est-ce donc comme ça que t'écoute ce qu'il te dit ? morguenne si j'avois su ça tantôt, je me serais bien gardé de le tirer de gliau, et je ly aurois bailli un bon coup d'aviron sur la tête. Jerniguenne, je ne crains personne. Je me moque de tout, moi. J'en avons bien vu d'autres. Je veux lui dire, moi. Jarny, je vas dire à ta tante tout ce ménage-ci. **** *creator_moliere *book_moliere_festindepierre *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_festindepierre *dist2_moliere_prose_comedy *id_charlotte *date_1665 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_charlotte Notre dinje, Piarrot, tu t'is trouvé là bien à point. C'est donc le coup de vent d'amatin qui les avait renversés. Ne m'as tu pas dit, Piarrot, qu'il y en a un qui est bian pu mieux fait que les autres. Ardez un peu. Est il encore cheu toi tout nu, Piarrot ? Perma fi, Piarrot, il faut que j'aille veor en peu ça. Et bian, dis, qu'est que c'est ? Quemant ? qu'est ce que c'est donc qu'il y glia ? Et quemant donc ? Ah Ah, n'est-ce que ça ? Monguieu, Piarrot, tu me viens toujou dire la même chose. Mais qu'est-ce qu'il te faut ? que veux tu ? Est ce que je ne t'aime pas ? Mais mon guieu, je t'aime aussi. Quemant veux tu donc qu'on fasse ; Ne t'aimé-je pas aussi comme il faut. Enfin que veux-tu que je fasse ? c'est mon humeur, et je ne pis pas me refondre. Enfin je t'aime tout autant que je pis, si tu n'es pas content de ça, tu n'as qu'à en aimer queuque autre. Pourquoi me viens-tu tarabuster l'esprit. Et bien laisse faire aussi, et ne me presse point tant, peut-être que ça viendra tout d'un coup sans y songer. Et bien, quien. J'y ferai tout ce que je pourrai ; mais il faut que ça vienne de lui-même ; Piarrot, est-ce là Monsieur. Ah mon quieu, qu'il est gentis, et que c'aurait été dommage qu'il eût été nayé ! Vous voyez Monsieur. Oui Monsieur. Oui Monsieur. Charlotte pour vous servir. Monsieur vous me rendez toute honteuse. Monsieur, cela vous plaît à dire, et je ne sais pas si c'est pour vous railler de moi. Je vous suis bien obligée si cela est. Monsieur, tout ça est trop bien dit pour moi, et je n'ai pas d'esprit pour vous répondre. Fi, Monsieur, elles sont noires comme je ne sais quoi. Monsieur, c'est trop d'honneur que vous me faites, et si j'avais su ça tantôt je n'aurais pas manqué de les laver avec du son. Non Monsieur, mais je dois bien l'être avec Piarrot, le fils de la voisine Simonette. Aussi vrai, Monsieur, je ne sais comment vous faites quand vous parlez, ce que vous dites me fait aise, et j'aurais toutes les envies du monde de vous croire, mais on m'a toujours dit qu'il ne faut jamais croire les Monsieurs, et que vous autres Courtisans vous êtes des enjôleurs qui ne songez qu'à abuser les filles. Voyez-vous, Monsieur, il n'y a pas plaisir à se laisser abuser : je suis une pauvre paysanne, mais j'ai l'honneur en recommandation, et j'aimerais mieux me voir morte que de me voir déshonorée. Mon Dieu, je ne sais si vous dites vrai ou non, mais vous faites que l'on vous croie. Oui, pourvu que ma tante le veuille. Mais au moins Monsieur, ne m'y allez pas tromper je vous prie, il y aurait de la conscience à vous, et vous voyez comme j'y vais à la bonne foi. Mon Dieu ! ne jurez point, je vous crois. Oh, Monsieur ! attendez que je soyons mariées, je vous prie, après ça je vous baiserai tant que vous voudrez. Et laisse le faire aussi Piarrot. Piarrot ne te fâche point… Oh Piarrot, ce n'est pas ce que tu penses, ce Monsieur veut m'épouser, et tu ne dois pas te bouter en colère. Ça n'y fait rien, Piarrot, si tu m'aimes ne dois-tu pas être bien aise que je devienne Madame ? Va va Pierrot, ne te mets point en peine, si je sis Madame je te ferai gagner queuque chose, et tu apporteras du beurre et du fromage cheu nous. Qu'est-ce que c'est donc que vous veut Mathurine ? Quement donc Mathurine ? Je voudrais. Je pense. Je veux voir un peu ses raisons. Je. Ça n'est pas honnête, Mathurine, d'être jalouse que Monsieur me parle. S'il vous a vu la première, il m'a vu la seconde, et m'a promis de m'épouser. À d'autres je vous prie, c'est moi vous dis-je, vous vous moquez des gens, c'est moi encor un coup. Est-ce Monsieur que vous lui aviez promis de l'épouser ? Vous voyez qu'al le soutient. Non non, il faut savoir la vérité. Oui, Mathurine, je veux que Monsieur vous montre votre bec jaune. Monsieur, videz la querelle s'il vous plaît. Vous allez voir. Perlez. Je suis celle qu'il aime au moins. **** *creator_moliere *book_moliere_festindepierre *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_festindepierre *dist2_moliere_prose_comedy *id_mathurine *date_1665 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_mathurine Monsieur, que faites vous donc là avec Charlotte, est-ce que vous lui parlez d'amour aussi ? Quoi Charlotte ? Est-ce que. Vremant. Non non, il faut que je lui parle. Quoi ? Holà, Charlotte, ça n'est pas bien de courir sur le marché des autres. C'est moi que Monsieur a vu la première. Je vous baise les mains, c'est moi, et non pas vous qu'il a promis d'épouser. Le vlà qui est pour me démentir si je ne dis pas vrai. Est-il vrai Monsieur que vous ly ayez donné parole d'être son mari ? Vous êtes témoin comme al l'asseure. Il est question de juger ça. Oui Charlotte, je veux que Monsieur vous rende un peu camuse. Mettez-nous d'accord Monsieur. Vous allez voir vous-même. Perlez. C'est moi qu'il épousera. **** *creator_moliere *book_moliere_festindepierre *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_festindepierre *dist2_moliere_prose_comedy *id_commandeur *date_1665 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_commandeur Don Juan, c'est assez, je vous invite à venir demain souper avec moi, en aurez vous le courage ? On n'a pas besoin de lumières quand on est conduit par le Ciel. Arrêtez Don Juan, vous m'avez hier donné parole de venir manger avec moi. Donnez-moi la main. Don Juan, l'endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces du Ciel que l'on renvoie ouvrent un chemin à la foudre. **** *creator_moliere *book_moliere_festindepierre *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_festindepierre *dist2_moliere_prose_comedy *id_le-spectre *date_1665 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_lespectre Don Juan n'a plus qu'un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel, et s'il ne se repent ici sa perte est résolue. **** *creator_moliere *book_moliere_festindepierre *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_festindepierre *dist2_moliere_prose_comedy *id_pelerin *date_1665 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_pelerin Vous n'avez qu'à suivre cette route, Messieurs, et tournez à main droite quand vous serez au bout de la forêt ; mais je vous donne avis que vous devez vous tenir sur vos gardes, et que depuis quelque temps il y a des voleurs ici autour. Si vous voulez me secourir, Monsieur de quelque aumône. Je suis un Pauvre homme, Monsieur, retiré tout seul dans ce bois depuis plus de dix ans, et je ne manquerai pas de prier le Ciel qu'il vous donne toute sorte de biens. De prier le Ciel tout le jour pour la prospérité des gens de bien qui me donnent quelque chose. Hélas, Monsieur, je suis dans la plus grande nécessité du monde. Je vous assure Monsieur que le plus souvent je n'ai pas un morceau de pain à mettre sous les dents. Ah, Monsieur, voudriez vous que je commisse un tel péché ? Monsieur. Non Monsieur, j'aime mieux mourir de faim. **** *creator_moliere *book_moliere_fourberiesdescapin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_fourberiesdescapin *dist2_moliere_prose_comedy *id_argante *date_1671 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_argante A-t-on jamais ouï parler d'une action pareille à celle-là ? Voilà une témérité bien grande ! Je voudrais bien savoir ce qu'ils me pourront dire sur ce beau Mariage. Tâcheront-ils de me nier la chose ? Ou s'ils entreprendront de l'excuser ? Prétendront-ils m'amuser par des contes en l'air ? Tous leurs discours seront inutiles. Ils ne m'en donneront point à garder. Je saurai mettre mon pendard de Fils en lieu de sûreté. Et pour le coquin de Silvestre, je le rouerai de coups. Ah, ah, vous voilà donc, sage Gouverneur de Famille, beau Directeur de jeunes Gens. Bonjour, Scapin, vous avez suivi mes ordres vraiment d'une belle manière, et mon Fils s'est comporté fort sagement pendant mon absence. Assez bien. Tu ne dis mot, Coquin, tu ne dis mot. Mon Dieu, fort bon.Laisse-moi un peu quereller en repos. Oui, je veux quereller. Ce Maraud-là. Tu n'as pas ouï parler de ce qui s'est passé dans mon absence ? Comment quelque petite chose !Une action de cette nature ? Une hardiesse pareille à celle-là ? Un Fils qui se marie sans le consentement de son Père ? Je ne suis pas de cet avis, moi, et je veux faire du bruit tout mon soûl.Quoi, tu ne trouves pas que j'ai tous les sujets du monde d'être en colère ? Que me viens-tu conter ?Il n'a pas tant de tort de s'aller marier de but en blanc avec une Inconnue ? Ah, ah, voici une raison la plus belle du monde.On n'a plus qu'à commettre tous les crimes imaginables, tromper, voler, assassiner et dire pour excuse qu'on y a été poussé par sa destinée. Et pourquoi s'y engageait-il ? Cela est vrai.J'en demeure d'accord ; mais je m'en suis toujours tenu à la galanterie, et je n'ai point été jusqu'à faire ce qu'il a fait. On ne m'a pas dit que l'affaire se soit ainsi passée. C'est par force qu'il a été marié ? Il devait donc aller tout aussitôt protester de violence chez un Notaire. Cela m'aurait donné plus de facilité à rompre ce Mariage. Oui. Je ne le romprai point ? Quoi, je n'aurai pas pour moi les droits de Père, et la raison de la violence qu'on a faite à mon Fils ? Il n'en demeurera pas d'accord ? Mon fils ? Je me moque de cela. Et je veux moi, pour mon honneur et pour le sien, qu'il dise le contraire. Je l'y forcerai bien. Il le fera, ou je le déshériterai. Moi. Comment, bon ? Je ne le déshériterai point ? Non ? Hoy. Voici qui est plaisant.Je ne déshériterai pas mon Fils. Qui m'en empêchera ? Moi ? Je l'aurai. Je ne me moque point. Elle ne fera rien. Je vous dis que cela sera. Il ne faut point dire bagatelles. Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux.Finissons ce discours qui m'échauffe la bile.Va-t'en, Pendard, va-t'en me chercher mon Fripon, tandis que j'ira rejoindre le Seigneur Géronte, pour lui conter ma disgrâce. Je vous remercie.Ah pourquoi faut-il qu'il soit Fils unique !Et que n'ai-je à cette heure la Fille que le Ciel m'a ôtée, pour la faire mon Héritière ! Ne vous mettez pas en peine ; je vous réponds de renverser tout cet obstacle, et j'y vais travailler de ce pas. Sans doute.À quel propos cela ? Cela arrive parfois.Mais que voulez-vous dire par là ? Oui. Fort bien.De sorte donc que vous avez bien mieux moriginé le vôtre ? Et si ce Fils que vous avez, en brave Père, si bien morigéné, avait fait pis encore que le mien ; Eh ? Comment ? Cela veut dire, Seigneur Géronte, qu'il ne faut pas être si prompt à condamner la conduite des autres ; et que ceux qui veulent gloser, doivent bien regarder chez eux s'il n'y a rien qui cloche. On vous l'expliquera. Cela se peut faire. Votre Scapin, dans mon dépit, ne m'a dit la chose qu'en gros ; et vous pourrez de lui, ou de quelque autre, être instruit du détail.Pour moi, je vais vite consulter un Avocat, et aviser des biais que j'ai à prendre.Jusqu'au revoir. Avoir si peu de conduite et de considération !S'aller jeter dans un engagement comme celui-là !Ah, ah, Jeunesse impertinente ! Bonjour, Scapin. Je t'avoue que cela me donne un furieux chagrin. Quoi ? Voilà qui est bien ; mais ce Mariage impertinent qui trouble celui que nous voulons faire, est une chose que je ne puis souffrir, et je viens de consulter des Avocats pour le faire casser. Tu as raison, je le vois bien. Mais quelle autre voie ? Je te suis obligé. Et qu'a-t-il demandé ? Et quoi ? Mais encore ? Cinq ou six cents fièvres quartaines qui le puissent serrer.Se moque-t-il des Gens ? Hé bien, pour soixante pistoles, je les donne. Vingt pistoles, et soixante, ce serait quatre-vingts. C'est beaucoup ; mais soit, je consens à cela. Comment diantre !Qu'il se promène ; il n'aura rien du tout. Non, c'est un Impertinent. Qu'il aille comme il lui plaira, et le Maître aussi. Hé bien soit, je me résous à donner encore ces trente Pistoles. Oh qu'il aille au diable avec son Mulet ; c'en est trop, et nous irons devant les Juges. Non, je n'en ferai rien. Je ne lui donnerais pas seulement un Âne. Non, j'aime mieux plaider. À combien est-ce qu'il fait monter le mulet ? Deux cents Pistoles ? Allons, allons, nous plaiderons. Je plaiderai. Je veux plaider. Comment, deux cents pistoles ? Je me moque de cela, et je défie les Avocats de rien dire de moi. Je ne donnerai point deux cents Pistoles. Scapin. Je me résous à donner les deux cents Pistoles. Allons le trouver, je les ai sur moi. Oui ; mais j'aurais été bien aise de voir comme je donne mon argent. Non pas, mais… Tiens donc. Mon Dieu, tiens. Tiens, te dis-je, ne me fais point contester davantage.Mais songe à bien prendre tes sûretés avec lui. Je vais t'attendre chez moi. Holà, Silvestre. Vous vous êtes donc accordés, Coquin ; vous vous êtes accordés, Scapin, vous, et mon Fils, pour me fourber, et vous croyez que je l'endure ? Nous verrons cette affaire, Pendard, nous verrons cette affaire, et je ne prétends pas qu'on me fasse passer la plume par le bec. Vous me voyez aussi dans un accablement horrible. Le même pendard de Scapin, par une fourberie aussi, m'a attrapé deux cents Pistoles. Je veux qu'il me fasse raison de la pièce qu'il m'a jouée. Mais pourquoi, s'il vous plaît, la tenir à Tarente, et ne vous être pas donné la joie de l'avoir avec vous ? Quelle rencontre ! Voici Octave tout à propos. Venez, mon Fils, venez vous réjouir avec nous de l'heureuse aventure de votre Mariage.Le Ciel… Oui ; mais tu ne sais pas… Je veux te dire que la Fille du Seigneur Géronte… Ta Femme… Hé bien, c'est elle qu'on te donne.Quel diable d'étourdi, qui suit toujours sa pointe. Hélas ! à voir ce Bracelet, c'est ma Fille que je perdis à l'âge que vous dites. Oui, ce l'est, et j'y vois tous les traits qui m'en peuvent rendre assuré. Où est-il ? Pour moi, je te pardonne ; va, meurs en repos. Seigneur Géronte, en faveur de notre joie, il faut lui pardonner sans condition. Allons souper ensemble, pour mieux goûter notre plaisir. **** *creator_moliere *book_moliere_fourberiesdescapin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_fourberiesdescapin *dist2_moliere_prose_comedy *id_geronte *date_1671 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_geronte Oui, sans doute, par le temps qu'il fait, nous aurons ici nos Gens aujourd'hui ; et un Matelot qui vient de Tarente, m'a assuré qu'il avait vu mon Homme qui était près de s'embarquer.Mais l'arrivée de ma Fille trouvera les choses mal disposées à ce que nous nous proposions ; et ce que vous venez de m'apprendre de votre Fils, rompt étrangement les mesures que nous avions prises ensemble. Ma foi, Seigneur Argante, voulez-vous que je vous dise ; l'éducation des Enfants est une chose à quoi il faut s'attacher fortement. À propos, de ce que les mauvais déportements des jeunes Gens viennent le plus souvent de la mauvaise éducation que leurs Pères leur donnent. Ce que je veux dire par là ? Que si vous aviez en brave Père, bien morigéné votre Fils, il ne vous aurait pas joué le tour qu'il vous a fait. Sans doute, et je serais bien fâché qu'il m'eût rien fait approchant de cela. Comment ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Je n'entends point cette Énigme. Est-ce que vous auriez ouï dire quelque chose de mon Fils ? Et quoi encore ? Que pourrait-ce être que cette affaire-ci ?Pis encore que le sien !Pour moi, je ne vois pas ce que l'on peut faire de pis ; et je trouve que se marier sans le consentement de son Père, est une action qui passe tout ce qu'on peut s'imaginer.Ah vous voilà. Doucement.Parlons un peu d'affaire. Doucement, vous dis-je. Oui, nous avons quelque chose à démêler ensemble. Tenez-vous, que je vous vois en face. Regardez-moi entre deux yeux. Qu'est-ce donc qu'il s'est passé ici ? Oui.Qu'avez-vous fait dans mon absence ? Ce n'est pas moi qui veux que vous ayez fait, mais qui demande ce que c'est que vous avez fait. Aucune chose ? Vous êtes bien résolu. Scapin pourtant a dit de vos nouvelles. Ah, ah, ce mot vous fait rougir. Ce lieu n'est pas tout à fait propre à vider cette affaire, et nous allons l'examiner ailleurs.Qu'on se rende au Logis. j'y vais revenir tout à l'heure.Ah !Traître, s'il faut que tu me déshonores, je te renonce pour mon Fils, et tu peux bien pour jamais te résoudre à fuir de ma présence. Que dit-il là de moi, avec ce visage affligé ? Qu'y a-t-il, Scapin ? Qu'est-ce que c'est donc ? Me voici. Holà, es-tu aveugle, que tu ne me vois pas ? Il y a une heure que je suis devant toi.Qu'est-ce que c'est donc qu'il y a ? Quoi ? Hé bien mon fils… Et quelle ? Qu'y a-t-il de si affligeant à tout cela ? Comment, diantre, cinq cents Écus ? Ah le pendard de Turc, m'assassiner de la façon ! Que diable allait-il faire dans cette Galère ? Va-t'en, Scapin, va-t'en vite dire à ce Turc que je vais envoyer la Justice après lui. Que diable allait-il faire dans cette Galère ? Il faut, Scapin, il faut que tu fasses ici, l'action d'un serviteur fidèle. Que tu ailles dire à ce Turc, qu'il me renvoie mon Fils, et que tu te mets à sa place, jusqu'à ce que j'aie amassé la somme qu'il demande. Que diable allait-il faire dans cette Galère ? Tu dis qu'il demande… Cinq cents Écus ! N'a-t-il point de conscience ? Sait-il bien ce que c'est que cinq cents Écus ? Croit-il, le traître, que mille cinq cents livres se trouvent dans le pas d'un Cheval ? Mais que diable allait-il faire à cette Galère ? Tiens, voilà la clef de mon Armoire. Tu l'ouvriras. Tu trouveras une grosse clef du côté gauche, qui est celle de mon Grenier. Tu iras prendre toutes les Hardes qui sont dans cette grande Manne, et tu les vendras aux Fripiers, pour aller racheter mon Fils. Mais que diable allait-il faire à cette Galère ? Attends, Scapin, je m'en vais quérir cette somme. N'est-ce pas quatre cents Écus que tu dis ? Cinq cents Écus ? Que diable allait-il faire à cette Galère ? N'y avait-il point d'autre promenade ? Ah maudite Galère ! Tiens, Scapin, je ne me souvenais pas que je viens justement de recevoir cette somme en or, et je ne croyais pas qu'elle dût m'être si tôt ravie. Tiens.Va-t'en racheter mon Fils. Mais dis à ce Turc que c'est un Scélérat. Un Infâme. Un Homme sans foi, un Voleur. Qu'il me tire cinq cents Écus contre toute sorte de droit. Que je ne les lui donne ni à la mort, ni à la vie. Et que si jamais je l'attrape, je saurai me venger de lui. Va, va, vite requérir mon Fils. Quoi ? Ne te l'ai-je pas donné ? Ah, c'est la douleur qui me trouble l'esprit. Que diable allait-il faire dans cette Galère ?Ah maudite Galère !Traître de Turc à tous les Diables ! Hé bien, Scapin, comment va l'affaire de mon Fils ? Comment donc ? Moi ? Et qui ? Que ferai-je, mon pauvre Scapin ? Eh ? Ne saurais-tu trouver quelque moyen, pour me tirer de peine ? Eh, Scapin, montre-toi Serviteur zélé.Ne m'abandonne pas, je te prie. Tu en seras récompensé, je t'assure ; et je te promets cet Habit-ci, quand je l'aurai un peu usé. Ah ! L'invention est bonne. Eh ? Laisse-moi faire.Je saurai me tenir… Ah, Scapin, je n'en puis plus. Comment, c'est sur les miennes qu'il a frappé. Que veux-tu dire ?J'ai bien senti les coups, et les sens bien encore. Tu devais donc te retirer un peu plus loin, pour m'épargner… Ah ! je suis roué. Pourquoi diantre faut-il qu'ils frappent sur mon dos ? Ah infâme ! ah traître ! ah scélérat !C'est ainsi que tu m'assassines. Tu me le payeras, je te jure. Il n'y a rien de plaisant à cela, et vous n'avez que faire d'en rire. Je veux dire que vous ne devez pas vous moquer de moi. Oui. Pourquoi venez-vous ici me rire au nez ? Par un Fils à son Père, pour en attraper de l'argent ? Je vous prie de me dire cette histoire. Non. Ah coquin que tu es ! Je dis que le jeune Homme est un pendard, un insolent, qui sera puni par son Père, du tour qu'il lui a fait ; que l'Égyptienne est une malavisée, une impertinente, de dire des injures à un Fomme d'honneur, qui saura lui apprendre à venir ici débaucher les enfants de Famille ; Et que le Valet est un scélérat, qui sera par Géronte envoyé au gibet avant qu'il soit demain. Ah, Seigneur Argante, vous me voyez accablé de disgrâce. Le pendard de Scapin, par une fourberie, m'a attrapé cinq cents Écus. Il ne s'est pas contenté de m'attraper cinq cents Écus, il m'a traité d'une manière que j'ai honte de dire.Mais il me la paiera. Et je prétends faire de lui une vengeance exemplaire. Mais ce n'est pas encore tout, Seigneur Argante, et un malheur nous est toujours l'avant-coureur d'un autre.Je me réjouissais aujourd'hui de l'espérance d'avoir ma Fille, dont je faisais toute ma consolation ; et je viens d'apprendre de mon Homme qu'elle est partie il y a longtemps de Tarente, et qu'on y croit qu'elle a péri dans le Vaisseau où elle s'embarqua. J'ai eu mes raisons pour cela, et des intérêts de Famille m'ont obligé jusques ici à tenir fort secret ce second Mariage.Mais que vois-je ? Ah ! te voilà, Nourrice. Appelle-moi Géronte, et ne te sers plus de ce nom.Les raisons ont cessé, qui m'avaient obligé à le prendre parmi vous à Tarente. Où est ma Fille, et sa Mère ? Ma Fille mariée ! Et avec qui ? Ô Ciel ! Mène-nous, mène-nous promptement où elle est. Passe devant.Suivez-moi, suivez-moi, Seigneur Argante. Allons, ma Fille, venez chez moi.Ma joie aurait été parfaite, si j'y avais pu voir votre Mère avec vous. C'est elle… Allons chez moi, nous serons mieux qu'ici pour nous entretenir. Tu veux que je tienne chez moi une Personne qui est aimée de ton Frère, et qui m'a dit tantôt au nez mille sottises de moi-même ? Comment, que de réputation ? Voilà qui est fort bien.Ne voudrait-on point que je mariasse mon Fils avec elle ?Une Fille inconnue, qui fait le métier de Coureuse. Votre Fille ? Quoi ? C'est un Coquin que je veux faire pendre. Ne parle point davantage, je te pardonne aussi. Laissons cela. Mon Dieu, tais-toi. Tais-toi, te dis-je, j'oublie tout. Eh oui.Ne parlons plus de rien ; je te pardonne tout, voilà qui est fait. Oui ; mais je te pardonne, à la charge que tu mourras. Je me dédis de ma parole, si tu réchappes. Soit. **** *creator_moliere *book_moliere_fourberiesdescapin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_fourberiesdescapin *dist2_moliere_prose_comedy *id_octave *date_1671 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_octave Ah fâcheuses nouvelles pour un Cœur amoureux !Dures extrémités où je me vois réduit !Tu viens, Silvestre, d'apprendre au Port que mon Père revient ? Qu'il arrive ce matin même ? Et qu'il revient dans la résolution de me marier ? Avec une Fille du seigneur Géronte ? Et que cette Fille est mandée de Tarente ici pour cela ? Et tu tiens ces nouvelles de mon Oncle ? À qui mon Père les a mandées par une Lettre ? Et cet Oncle, dis-tu, sait toutes nos affaires. Ah parle, si tu veux, et ne te fais point de la sorte, arracher les mots de la bouche. Conseille-moi, du moins, et me dis ce que je dois faire dans ces cruelles conjonctures. Je suis assassiné par ce maudit retour. Lorsque mon Père apprendra les choses, je vais voir fondre sur moi un orage soudain d'impétueuses réprimandes. Ô Ciel ! par où sortir de l'embarras où je me trouve ? Ah tu me fais mourir, par tes leçons hors de saison. Que dois-je faire ?Quelle résolution prendre ?À quel remède recourir ? Ah, mon pauvre Scapin, je suis perdu ; je suis désespéré ; je suis le plus infortuné de tous les Hommes. N'as-tu rien appris de ce qui me regarde ? Mon Père arrive avec le seigneur Géronte, et ils me veulent marier. Hélas ! tu ne sais pas la cause de mon inquiétude. Ah ! Scapin, si tu pouvais trouver quelque invention, forger quelque machine, pour me tirer de la peine où je suis, je croirais t'être redevable de plus que de la vie. Comment ?Quelle affaire, Scapin ? La justice ! Tu sais, Scapin, qu'il y a deux mois que le seigneur Géronte, et mon Père, s'embarquèrent ensemble pour un Voyage qui regarde certain commerce où leurs intérêts sont mêlés. Et que Léandre et moi nous fûmes laissés par nos Pères ; moi sous la conduite de Silvestre ; et Léandre sous ta direction. Quelque temps après, Léandre fit rencontre d'une jeune Égyptienne dont il devint amoureux. Comme nous sommes grands Amis, il me fit aussitôt confidence de son amour, et me mena voir cette Fille, que je trouvai belle à la vérité, mais non pas tant qu'il voulait que je la trouvasse.Il ne m'entretenait que d'elle chaque jour ; m'exagérait à tous moments sa beauté, et sa grâce ; me louait son esprit, et me parlait avec transport des charmes de son entretien, dont il me rapportait jusqu'aux moindres paroles, qu'il s'efforçait toujours de me faire trouver les plus spirituelles du Monde.Il me querellait quelquefois de n'être pas assez sensible aux choses qu'il me venait dire, et me blâmait sans cesse de l'indifférence où j'étais pour les feux de l'Amour. Un jour que je l'accompagnais pour aller chez les Gens qui gardent l'Objet de ses vœux, nous entendîmes dans une petite Maison d'une Rue écartée, quelques plaintes mêlées de beaucoup de sanglots.Nous demandons ce que c'est.Une Femme nous dit en soupirant, que nous pouvions voir là quelque chose de pitoyable en des Personnes étrangères ; et qu'à moins que d'être insensibles, nous en serions touchés. La curiosité me fit presser Léandre de voir ce que c'était.Nous entrons dans une Salle, où nous voyons une vieille Femme mourante, assistée d'une Servante qui faisait des regrets, et d'une jeune Fille toute fondante en larmes, la plus belle, et la plus touchante qu'on puisse jamais voir. Un autre aurait paru effroyable en l'état où elle était ; car elle n'avait pour habillement qu'une méchante petite Jupe, avec des Brassières de nuit qui étaient de simple futaine ; et sa coiffure était une Cornette jaune, retroussée au haut de sa tête, qui laissait tomber en désordre ses cheveux sur ses épaules ; et cependant faite comme cela, elle brillait de mille attraits, et ce n'était qu'agréments et que charmes, que toute sa Personne. Si tu l'avais vue, Scapin, en l'état que je dis, tu l'aurais trouvée admirable. Ses larmes n'étaient point de ces larmes désagréables, qui défigurent un visage ; Elle avait à pleurer, une grâce touchante ; et sa douleur était la plus belle du Monde. Elle faisait fondre chacun en larmes, en se jetant amoureusement sur le corps de cette Mourante, qu'elle appelait sa chère Mère ; et il n'y avait Personne qui n'eût l'âme percée, de voir un si bon naturel. Ah ! Scapin, un Barbare l'aurait aimée. Après quelques paroles, dont je tâchai d'adoucir la douleur de cette charmante Affligée, nous sortîmes de là ; et demandant à Léandre ce qu'il lui semblait de cette Personne, il me répondit froidement qu'il la trouvait assez jolie.Je fus piqué de la froideur avec laquelle il m'en parlait, et je ne voulus point lui découvrir l'effet que ses beautés avaient fait sur mon âme. Et par-dessus tout cela, mets encore l'indigence où se trouve cette aimable Personne, et l'impuissance où je me vois d'avoir de quoi la secourir. Voici mon aimable Hyacinte. Oui, belle Hyacinte, et ces nouvelles m'ont donné une atteinte cruelle.Mais que vois-je ? vous pleurez !Pourquoi ces larmes ?Me soupçonnez-vous, dites-moi, de quelque infidélité, et n'êtes-vous pas assurée de l'amour que j'ai pour vous ? Eh peut-on vous aimer, qu'on ne vous aime toute sa vie ? Ah ! ma chère Hyacinte, mon cœur n'est donc pas fait comme celui des autres Hommes, et je sens bien pour moi que je vous aimerai jusqu'au tombeau. Non, belle Hyacinte, il n'y a point de Père qui puisse me contraindre à vous manquer de foi, et je me résoudrai à quitter mon Pays, et le jour même, s'il est besoin, plutôt qu'à vous quitter.J'ai déjà pris, sans l'avoir vue, une aversion effroyable pour celle que l'on me destine ; et sans être cruel, je souhaiterais que la Mer l'écartât d'ici pour jamais.Ne pleurez donc point, je vous prie, mon aimable Hyacinte, car vos larmes me tuent, et je ne les puis voir sans me sentir percer le cœur. Le Ciel nous sera favorable. Je le serai assurément. Voici un Homme qui pourrait bien, s'il le voulait, nous être dans tous nos besoins, d'un secours merveilleux. Ah s'il ne tient qu'à te prier bien fort, pour obtenir ton aide, je te conjure de tout mon cœur de prendre la conduite de notre Barque. Crois que… Je t'avoue que cet abord me fait trembler par avance, et j'ai une timidité naturelle que je ne saurais vaincre. Je ferai du mieux que je pourrai. Comme cela ? Ainsi ? C'est que je m'imagine que c'est mon père que j'entends. Je m'en vais prendre plus de résolution, et je répondrai fermement. Assurément. Ô Ciel ! je suis perdu. Mon cher Scapin, que ne dois-je point à tes soins !Que tu es un Homme admirable !Et que le Ciel m'est favorable, de t'envoyer à mon secours ! Ah, Léandre. De grâce. Au nom de l'amitié, Léandre, ne le maltraitez point. Eh doucement. Léandre. Tout doux. Eh. Scapin, il faut faire quelque chose pour lui. Je joins mes prières aux siennes. Il faut quitter ton ressentiment. Ah ! ma foi, Scapin, il se faut rendre à cela. Deux cents Pistoles. Hé bien, Scapin, as-tu réussi pour moi dans ton entreprise ? Ah que tu me donnes de joie ! Non, mon père, toutes vos propositions de Mariage ne serviront de rien.Je dois lever le masque avec vous, et l'on vous a dit mon engagement. Je sais tout ce qu'il faut savoir. La Fille du Seigneur Géronte ne me sera jamais de rien. Non, Monsieur, je vous demande pardon, mes résolutions sont prises. Non, tais-toi, je n'écoute rien. Non, vous dis-je, mon Père, je mourrai plutôt que de quitter mon aimable Hyacinte. Oui, vous avez beau faire, la voilà celle à qui ma foi est engagée ; je l'aimerai toute ma vie, et je ne veux point d'autre Femme. **** *creator_moliere *book_moliere_fourberiesdescapin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_fourberiesdescapin *dist2_moliere_prose_comedy *id_leandre *date_1671 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_leandre Ah ! mon Père, que j'ai de joie de vous voir de retour ! Souffrez que je vous embrasse, et que… Quoi, vous me refusez, mon Père, de vous exprimer mon transport par mes embrassements ? Et quoi ? Comment ? Hé bien ? Ce qui s'est passé ? Que voulez-vous, mon Père, que j'ai fait ? Moi, je n'ai fait aucune chose dont vous ayez lieu de vous plaindre. Non. C'est que je suis sûr de mon innocence. Scapin ! Il vous a dit quelque chose de moi ? Me trahir de cette manière !Un Coquin, qui doit par cent raisons être le premier à cacher les choses que je lui confie, est le premier à les aller découvrir à mon Père.Ah ! je jure le Ciel, que cette trahison ne demeurera pas impunie. Ah, ah, vous voilà.Je suis ravi de vous trouver, Monsieur le Coquin. Vous faites le méchant Plaisant.Ah ! je vous apprendrai… Non, Octave, ne me retenez point, je vous prie. Laissez-moi contenter mon ressentiment. Ce que tu m'as fait, traître ? Non, Octave, je veux qu'il me confesse lui-même tout à l'heure la perfidie qu'il m'a faite.Oui, Coquin, je sais le trait que tu m'as joué, on vient de me l'apprendre ; et tu ne croyais pas peut-être que l'on me dût révéler ce secret : mais je veux en avoir la confession de ta propre bouche, ou je vais te passer cette épée au travers du corps. Parle donc. Oui, Coquin, et ta conscience ne te dit que trop ce que c'est. Tu l'ignores ! C'est toi, Pendard, qui m'as bu mon Vin d'Espagne, et qui as été cause que j'ai tant querellé la Servante, croyant que c'était elle qui m'avait fait le tour ? Je suis bien aise d'apprendre cela ; mais ce n'est pas l'affaire dont il est question maintenant. Non, c'est une autre affaire qui me touche bien plus, et je veux que tu me la dises. Tu ne veux pas parler ? C'est toi qui as retenu ma Montre ? Ah, ah, j'apprends ici de jolies choses, et j'ai un Serviteur fort fidèle vraiment.Mais ce n'est pas encore cela que je demande. Non, Infâme, c'est autre chose encore que je veux que tu me confesses. Parle vite, j'ai hâte. Voilà tout ? Hé bien ? C'était toi, traître, qui faisais le Loup-garou ? Je saurai me souvenir en temps et lieu de tout ce que je viens d'apprendre.Mais je veux venir au fait, et que tu me confesses ce que tu as dit à mon Père. Oui, Fripon, à mon Père. Tu ne l'as pas vu ? Assurément. C'est de sa bouche que je le tiens pourtant. Comment ? Dans deux heures ? Ah ! mon pauvre Scapin, j'implore ton secours. Va, je te pardonne tout ce que tu viens de me dire, et pis encore, si tu me l'as fait. Non.Je te conjure plutôt de me donner la vie, en servant mon amour. Tu m'es trop précieux ; et je te prie de vouloir employer pour moi ce génie admirable, qui vient à bout de toute chose. Ah, de grâce, ne songe plus à tout cela, et pense à me donner le secours que je te demande. Je te conjure d'oublier mon emportement, et de me prêter ton adresse. Voudrais-tu m'abandonner, Scapin, dans la cruelle extrémité où se voit mon amour ? J'ai tort, je le confesse. J'en ai tous les regrets du monde. Je t'en demande pardon de tout mon cœur ; et s'il ne tient qu'à me jeter à tes genoux, tu m'y vois, Scapin, pour te conjurer encore une fois de ne me point abandonner. Me promets-tu de travailler pour moi ? Mais tu sais que le temps presse. Cinq cents Écus. Tout beau, Scapin. As-tu fait quelque chose pour tirer mon amour de la peine où il est ? Il faut donc que j'aille mourir ; et je n'ai que faire de vivre si Zerbinette m'est ôtée. Que veux-tu que je devienne ? Ah tu me redonnes la vie. Tout ce que tu voudras. Oui. Allons en promptement acheter celle que j'adore. Mon Père, ne vous plaignez point que j'aime une Inconnue, sans naissance et sans bien.Ceux de qui je l'ai rachetée, viennent de me découvrir qu'elle est de cette Ville, et d'honnête Famille ; que ce sont eux qui l'y ont dérobée à l'âge de quatre ans ; et voici un Bracelet qu'ils m'ont donné, qui pourra nous aider à trouver ses Parents. **** *creator_moliere *book_moliere_fourberiesdescapin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_fourberiesdescapin *dist2_moliere_prose_comedy *id_zerbinette *date_1671 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_zerbinette J'accepte la proposition, et ne suis point Personne à reculer, lorsqu'on m'attaque d'amitié. Pour l'amour, c'est une autre chose ; on y court un peu plus de risque, et je n'y suis pas si hardie. Je ne m'y fie encore que de la bonne sorte ; et ce n'est pas assez pour m'assurer entièrement, que ce qu'il vient de faire.J'ai l'humeur enjouée, et sans cesse je ris ; mais tout en riant, je suis sérieuse sur de certains chapitres ; et ton Maître s'abusera, s'il croit qu'il lui suffise de m'avoir achetée pour me voir toute à lui.Il doit lui en coûter autre chose que de l'argent ; et pour répondre à son amour de la manière qu'il souhaite, il me faut un don de sa foi qui soit assaisonné de certaines cérémonies qu'on trouve nécessaires. C'est ce que je veux croire, puisque vous me le dites ; mais du côté du Père, j'y prévois des empêchements. Vous avez cet avantage, au moins, que vous savez de qui vous êtes née ; et que l'appui de vos Parents que vous pouvez faire connaître, est capable d'ajuster tout, peut assurer votre bonheur, et faire donner un consentement au Mariage qu'on trouve fait.Mais pour moi je ne rencontre aucun secours dans ce que je puis être, et l'on me voit dans un état qui n'adoucira pas les volontés d'un Père qui ne regarde que le bien. Le changement du cœur d'un Amant, n'est pas ce qu'on peut le plus craindre.On se peut naturellement croire assez de mérite pour garder sa conquête ; et ce que je vois de plus redoutable dans ces sortes d'affaires, c'est la puissance Paternelle, auprès de qui tout le mérite ne sert de rien. Mon Dieu, Scapin, fais-nous un peu ce récit, qu'on m'a dit qui est si plaisant, du stratagème dont tu t'es avisé, pour tirer de l'argent de ton Vieillard avare.Tu sais qu'on ne perd point sa peine, lorsqu'on me fait un conte, et que je le paye assez bien, par la joie qu'on m'y voit prendre. Nous aurons besoin de tes soins. Ah, ah, je veux prendre un peu l'air. Ah, ah, ah, ah ; la plaisante histoire, et la bonne dupe que ce Vieillard ! Quoi ? que voulez-vous dire, Monsieur ? De vous ? Comment ? qui songe à se moquer de vous ? Cela ne vous regarde point, et je ris toute seule d'un conte qu'on vient de me faire, le plus plaisant qu'on puisse entendre.Je ne sais pas si c'est parce que je suis intéressée dans la chose ; mais je n'ai jamais trouvé rien de si drôle qu'un tour qui vient d'être joué par un Fils à son Père, pour en attraper de l'argent. Oui.Pour peu que vous me pressiez, vous me trouverez assez disposée à vous dire l'affaire, et j'ai une démangeaison naturelle à faire part des contes que je sais. Je le veux bien.Je ne risquerai pas grand'chose à vous la dire, et c'est une aventure qui n'est pas pour être longtemps secrète.La Destinée a voulu que je me trouvasse parmi une Bande de ces Personnes, qu'on appelle Égyptiens, et qui rôdant de Province en Province, se mêlent de dire la bonne fortune, et quelquefois de beaucoup d'autres choses.En arrivant dans cette Ville, un jeune Homme me vit, et conçut pour moi de l'Amour.Dès ce moment il s'attache à mes pas, et le voilà d'abord, comme tous les jeunes Gens, qui croient qu'il n'y a qu'à parler, et qu'au moindre mot qu'ils nous disent, leurs affaires sont faites : mais il trouva une fierté qui lui fit un peu corriger ses premières pensées.Il fit connaître sa passion aux Gens qui me tenaient, et il les trouva disposés à me laisser à lui, moyennant quelque somme.Mais le mal de l'affaire était, que mon amant se trouvait dans l'état où l'on voit très souvent la plupart des Fils de Famille, c'est-à-dire qu'il était un peu dénué d'argent ; et il a un père, qui, quoique riche, est un avaricieux fieffé, le plus vilain Homme du Monde. Attendez.Ne me saurais-je souvenir de son nom ?Haye.Aidez-moi un peu.Ne pouvez-vous me nommer quelqu'un de cette Ville qui soit connu pour être avare au dernier point ? Il y a à son nom du ron… ronte.Or… Oronte.Non.Gé… Géronte ; oui Géronte justement ; voilà mon vilain, je l'ai trouvé, c'est ce ladre-là que je dis.Pour venir à notre conte, nos Gens ont voulu aujourd'hui partir de cette Ville ; et mon Amant m'allait perdre faute d'argent, si pour en tirer de son Père, il n'avait trouvé du secours dans l'industrie d'un Serviteur qu'il a.Pour le nom du Serviteur, je le sais à merveille.Il s'appelle Scapin ; c'est un Homme incomparable, et il mérite toutes les louanges qu'on peut donner. Voici le stratagème dont il s'est servi pour attraper sa dupe.Ah, ah, ah, ah.Je ne saurais m'en souvenir, que je ne rie de tout mon cœur.Ah, ah, ah.Il est allé trouver ce chien d'avare, Ah, ah ah ; et lui a dit, qu'en se promenant sur le Port avec son Fils, hi, hi, ils avaient vu une Galère Turque où on les avait invités d'entrer.Qu'un jeune Turc leur y avait donné la Collation.Ah.Que, tandis qu'ils mangeaient, on avait mis la Galère en Mer ; et que le Turc l'avait renvoyé lui seul à terre dans un Esquif, avec ordre de dire au Père de son Maître qu'il emmenait son fils en Alger, s'il ne lui envoyait tout à l'heure cinq cents Écus.Ah, ah, ah.Voilà mon ladre, mon vilain dans de furieuses angoisses ; et la tendresse qu'il a pour son Fils, fait un combat étrange avec son avarice.Cinq cents Écus qu'on lui demande, sont justement cinq cents coups de poignard qu'on lui donne.Ah, ah, ah.Il ne peut se résoudre à tirer cette somme de ses entrailles ; et la peine qu'il souffre, lui fait trouver cent moyens ridicules pour ravoir son Fils.Ah, ah, ah.Il veut envoyer la Justice en Mer après la Galère du Turc.Ah, ah, ah.Il sollicite son Valet de s'aller offrir à tenir la place de son Fils, jusqu'à ce qu'il ait amassé l'argent qu'il n'a pas envie de donner.Ah, ah, ah.Il abandonne, pour faire les cinq cents Écus, quatre ou cinq vieux Habits qui n'en valent pas trente.Ah, ah, ah.Le Valet lui fait comprendre à tous coups l'impertinence de ses propositions, et chaque réflexion est douloureusement accompagnée d'un : Mais que diable allait-il faire à cette Galère ?Ah maudite Galère !Traître de Turc !Enfin après plusieurs détours, après avoir longtemps gémi et soupiré…Mais il me semble que vous ne riez point de mon conte.Qu'en dites-vous ? Je viens de m'en douter, et je me suis adressée à lui-même sans y penser, pour lui conter son histoire. Oui, j'étais toute remplie du conte, et je brûlais de le redire.Mais qu'importe ? tant pis pour lui.Je ne vois pas que les choses pour nous en puissent être ni pis, ni mieux. N'aurait-il pas appris cela de quelque autre ? Monsieur, je vous prie de m'excuser.Je n'aurais pas parlé de la sorte, si j'avais su que c'était vous, et je ne vous connaissais que de réputation. **** *creator_moliere *book_moliere_fourberiesdescapin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_fourberiesdescapin *dist2_moliere_prose_comedy *id_hyacinthe *date_1671 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_hyacinthe Ah, Octave, est-il vrai ce que Silvestre vient de dire à Nérine ?Que votre père est de retour, et qu'il veut vous marier ? Oui, Octave, je suis sûre que vous m'aimez ; mais je ne le suis pas que vous m'aimiez toujours. J'ai ouï dire, Octave, que votre Sexe aime moins longtemps que le nôtre, et que les ardeurs que les Hommes font voir, sont des feux qui s'éteignent aussi facilement qu'ils naissent. Je veux croire que vous sentez ce que vous dites, et je ne doute point que vos paroles ne soient sincères ; mais je crains un pouvoir, qui combattra dans votre cœur les tendres sentiments que vous pouvez avoir pour moi.Vous dépendez d'un Père, qui veut vous marier à une autre Personne ; et je suis sûre que je mourrai, si ce malheur m'arrive. Puisque vous le voulez, je veux bien essuyer mes pleurs, et j'attendrai d'un œil constant ce qu'il plaira au Ciel de résoudre de moi. Il ne saurait m'être contraire, si vous m'êtes fidèle. Je serai donc heureuse. Je vous conjure, à son exemple, par tout ce qui vous est le plus cher au Monde, de vouloir servir notre amour. Un tel ordre n'a rien qui ne me soit fort agréable.Je reçois avec joie une Compagne de la sorte ; et il ne tiendra pas à moi, que l'amitié qui est entre les Personnes que nous aimons, ne se répande entre nous deux. La ressemblance de nos destins, doit contribuer encore à faire naître notre amitié ; et nous nous voyons toutes deux dans les mêmes alarmes, toutes deux exposées à la même infortune. Mais aussi avez-vous cet avantage, que l'on ne tente point par un autre Parti, celui que vous aimez. Hélas ! pourquoi faut-il que de justes inclinations se trouvent traversées ?La douce chose que d'aimer, lorsque l'on ne voit point d'obstacle à ces aimables chaînes dont deux cœurs se lient ensemble ! Oui, Octave, voilà mon Père que j'ai trouvé, et nous nous voyons hors de peine. Ah, mon Père, je vous demande par grâce, que je ne sois point séparée de l'aimable Personne que vous voyez : Elle a un mérite, qui vous fera concevoir de l'estime pour elle, quand il sera connu de vous. Mon Père, la passion que mon Frère a pour elle, n'a rien de criminel, et je réponds de sa vertu. Ô Ciel ! que d'aventures extraordinaires ! **** *creator_moliere *book_moliere_fourberiesdescapin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_fourberiesdescapin *dist2_moliere_prose_comedy *id_scapin *date_1671 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_scapin Qu'est-ce, Seigneur Octave, qu'avez-vous ?Qu'y a-t-il ?Quel désordre est-ce là ?Je vous vois tout troublé. Comment ? Non. Hé bien, qu'y a-t-il là de si funeste ? Non ; mais il ne tiendra qu'à vous que je ne la sache bientôt ; et je suis Homme consolatif, Homme à m'intéresser aux affaires des jeunes Gens. À vous dire la vérité, il y a peu de choses qui me soient impossibles, quand je m'en veux mêler.J'ai sans doute reçu du Ciel un génie assez beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d'Esprit, de ces galanteries ingénieuses à qui le vulgaire ignorant donne le nom de Fourberies ; et je puis dire sans vanité, qu'on n'a guère vu d'Homme qui fût plus habile Ouvrier de ressorts et d'intrigues ; qui ait acquis plus de gloire que moi dans ce noble Métier : Mais, ma foi, le mérite est trop maltraité aujourd'hui, et j'ai renoncé à toutes choses depuis certain chagrin d'une affaire qui m'arriva. Une aventure où je me brouillai avec la Justice. Oui, nous eûmes un petit démêlé ensemble. Oui.Elle en usa fort mal avec moi, et je me dépitai de telle sorte contre l'ingratitude du Siècle, que je résolus de ne plus rien faire.Baste.Ne laissez pas de me conter votre aventure. Je sais cela. Oui, je me suis fort bien acquitté de ma charge. Je sais cela encore. Je ne vois pas encore où ceci veut aller. Où est-ce que cela nous mène ? Ah, ah. Je sens venir les choses. Oh je n'en doute point ; et sans l'avoir vue, je vois bien qu'elle était tout à fait charmante. Je vois tout cela. En effet, cela est touchant ; et je vois bien que ce bon naturel-là vous la fit aimer. Assurément.Le moyen de s'en empêcher ? J'entends. Est-ce là tout ?Vous voilà bien embarrassés tous deux pour une bagatelle.C'est bien là de quoi se tant alarmer.N'as-tu point de honte, toi, de demeurer court à si peu de chose ?Que diable, te voilà grand et gros comme Père et Mère, et tu ne saurais trouver dans ta tête, forger dans ton esprit quelque ruse galante, quelque honnête petit stratagème, pour ajuster vos affaires ?Fi.Peste soit du Butor.Je voudrais bien que l'on m'eût donné autrefois nos Vieillards à duper ; je les aurais joués tous deux par-dessous la jambe ; et je n'étais pas plus grand que cela, que je me signalais déjà par cent tours d'adresse jolis. Elle n'est pas tant sotte, ma foi, et je la trouve assez passable. J'ai fait de grands serments de ne me mêler plus du Monde ; mais si vous m'en priez bien fort tous deux, peut-être… Et vous, ne me dites-vous rien ? Il faut se laisser vaincre, et avoir de l'humanité.Allez, je veux m'employer pour vous. Chut.Allez-vous-en vous, et soyez en repos.Et vous, préparez-vous à soutenir avec fermeté l'abord de votre père. Il faut pourtant paraître ferme au premier choc, de peur que sur votre faiblesse il ne prenne le pied de vous mener comme un Enfant.Là, tâchez de vous composer par étude.Un peu de hardiesse, et songez à répondre résolument sur tout ce qu'il pourra vous dire. Çà, essayons un peu pour vous accoutumer.Répétons un peu votre rôle, et voyons si vous ferez bien.Allons.La mine résolue, la tête haute, les regards assurés. Encore un peu davantage. Bon.Imaginez-vous que je suis votre Père qui arrive, et répondez-moi fermement comme si c'était à lui-même.Comment, Pendard, Vaurien, Infâme, Fils indigne d'un Père comme moi, oses-tu bien paraître devant mes yeux après tes bons déportements, après le lâche tour que tu m'as joué pendant mon absence ?Est-ce là le fruit de mes soins, Maraud, est-ce là le fruit de mes soins ? le respect qui m'est dû ? le respect que tu me conserves ?Allons donc.Tu as l'insolence, Fripon, de t'engager sans le consentement de ton Père ; de contracter un Mariage clandestin ?Réponds-moi, Coquin, réponds-moi.Voyons un peu tes belles raisons.Oh ! que diable, vous demeurez interdit. Eh oui.C'est par cette raison qu'il ne faut pas être comme un Innocent. Assurément ? Holà, Octave, demeurez.Octave.Le voilà enfui.Quelle pauvre espèce d'Homme !Ne laissons pas d'attendre le Vieillard. Laisse-moi dire, moi, et ne fais que me suivre. Il a déjà appris l'affaire, et elle lui tient si fort en tête, que tout seul il en parle haut. Écoutons-le un peu. Nous y avons songé. Non, nous n'y pensons pas. Celui-là se pourra faire. Peut-être. Nous allons voir. Ne jurons de rien. Nous y pourvoirons. Monsieur, je suis ravi de vous voir de retour. Vous vous portez bien, à ce que je vois ? Votre voyage a-t-il été bon ? Vous voulez quereller ? Et qui, Monsieur ? Pourquoi ? J'ai bien ouï parler de quelque petite chose. Vous avez quelque raison. Cela est vrai. Oui, il y a quelque chose à dire à cela.Mais je serais d'avis que vous ne fissiez point de bruit. Si fait, j'y ai d'abord été moi, lorsque j'ai su la chose, et je me suis intéressé pour vous, jusqu'à quereller votre Fils.Demandez-lui un peu quelles belles réprimandes je lui ai faites, et comme je l'ai chapitré sur le peu de respect qu'il gardait à un Père, dont il devait baiser les pas ?On ne peut pas lui mieux parler, quand ce serait vous-même.Mais quoi, je me suis rendu à la raison, et j'ai considéré que dans le fond, il n'a pas tant de tort qu'on pourrait croire. Que voulez-vous, il y a été poussé par sa destinée. Mon Dieu, vous prenez mes paroles trop en Philosophe.Je veux dire qu'il s'est trouvé fatalement engagé dans cette affaire. Voulez-vous qu'il soit aussi sage que vous ?Les jeunes Gens sont jeunes, et n'ont pas toute la prudence qu'il leur faudrait, pour ne rien faire que de raisonnable ; témoin notre Léandre, qui malgré toutes mes leçons, malgré toutes mes remontrances, est allé faire de son côté pis encore que votre Fils.Je voudrais bien savoir si vous-même n'avez pas été jeune, et n'avez pas dans votre temps fait des fredaines comme les autres.J'ai ouï dire, moi, que vous avez été autrefois un Compagnon parmi les femmes, que vous faisiez de votre drôle avec les plus galantes de ce temps-là ; et que vous n'en approchiez point, que vous ne poussassiez à bout. Que vouliez-vous qu'il fît ?Il voit une jeune Personne qui lui veut du bien ; (car il tient cela de vous, d'être aimé de toutes les Femmes).Il la trouve charmante.Il lui rend des visites ; lui conte des douceurs, soupire galamment, fait le passionné.Elle se rend à sa poursuite.Il pousse sa fortune.Le voilà surpris avec elle par ses Parents, qui la force à la main le contraignent de l'épouser. Eussiez-vous voulu qu'il se fût laissé tuer ?Il vaut mieux encore être marié, qu'être mort. Demandez-lui plutôt. il ne vous dira pas le contraire. Voudrais-je vous mentir ? C'est ce qu'il n'a pas voulu faire. Rompre ce Mariage ! Vous ne le romprez point. Non. C'est une chose dont il ne demeurera pas d'accord. Non. Votre Fils.Voulez-vous qu'il confesse qu'il ait été capable de crainte, et que ce soit par force qu'on lui ait fait faire les choses ?Il n'a garde d'aller avouer cela.Ce serait se faire tort, et se montrer indigne d'un Père comme vous. Il faut, pour son honneur, et pour le vôtre, qu'il dise dans le monde, que c'est de bon gré qu'il l'a épousée. Non, je suis sûr qu'il ne le fera pas. Il ne le fera pas, vous dis-je. Vous ? Bon. Vous ne le déshériterez point. Non. Non. Non, vous dis-je. Vous-même. Oui.Vous n'aurez pas ce cœur-là. Vous vous moquez. La tendresse Paternelle fera son office. Oui, oui. Bagatelles. Mon Dieu, je vous connais, vous êtes bon naturellement. Monsieur, si je vous puis être utile en quelque chose, vous n'avez qu'à me commander. Laisse-moi faire, la machine est trouvée.Je cherche seulement dans ma tête un Homme qui nous soit affidé, pour jouer un Personnage dont j'ai besoin.Attends.Tiens-toi un peu.Enfonce ton bonnet en méchant Garçon.Campe-toi sur un pied.Mets la main au côté.Fais les yeux furibonds.Marche un peu en Roi de Théâtre.Voilà qui est bien.Suis-moi.J'ai des secrets pour déguiser ton visage et ta voix. Va, va ; nous partagerons les périls en Frères ; et trois ans de Galère de plus, ou de moins, ne sont pas pour arrêter un noble cœur. Monsieur, votre Serviteur.C'est trop d'honneur que vous me faites. Monsieur. Eh, Monsieur. Monsieur, que vous ai-je fait ? Ah ! Monsieur, auriez-vous bien ce cœur-là ? Je vous ai fait quelque chose, Monsieur ? Je vous assure que je l'ignore. Hé bien Monsieur, puisque vous le voulez, je vous confesse que j'ai bu avec mes Amis ce petit Quartaut de vin d'Espagne dont on vous fit présent il y a quelques jours ; et que c'est moi qui fis une fente au Tonneau, et répandis de l'eau autour, pour faire croire que le Vin s'était échappé. Oui, Monsieur, je vous en demande pardon. Ce n'est pas cela, Monsieur ? Monsieur, je ne me souviens pas d'avoir fait autre chose. Eh. Oui, Monsieur, il est vrai qu'il y a trois semaines que vous m'envoyâtes porter le soir, une petite Montre à la jeune Égyptienne que vous aimez.Je revins au Logis mes habits tout couverts de boue, et le visage plein de sang, et vous dis que j'avais trouvé des Voleurs qui m'avaient bien battu, et m'avaient dérobé la Montre.C'était moi, Monsieur, qui l'avais retenue. Oui, Monsieur, afin de voir quelle heure il est. Ce n'est pas cela ? Peste ! Monsieur, voilà tout ce que j'ai fait. Hé bien oui, Monsieur, vous vous souvenez de ce Loup-garou il y a six mois qui vous donna tant de coups de bâton la nuit, et vous pensa faire rompre le cou dans une Cave où vous tombâtes en fuyant. C'était moi, Monsieur, qui faisais le Loup-garou. Oui, Monsieur, seulement pour vous faire peur, et vous ôter l'envie de nous faire courir toutes les nuits comme vous aviez de coutume. À votre Père ? Je ne l'ai pas seulement vu depuis son retour. Non, Monsieur. Assurément.C'est une chose que je vais vous faire dire par lui-même. Avec votre permission, il n'a pas dit la vérité. « Ah ! mon pauvre Scapin.Je suis mon pauvre Scapin à cette heure qu'on a besoin de moi. Non, non, ne me pardonnez rien.Passez-moi votre épée au travers du corps.Je serai ravi que vous me tuiez. Point, point, vous ferez mieux de me tuer. Non, tuez-moi, vous dis-je. Le moyen, après une avanie de la sorte ? J'ai cette insulte-là sur le cœur. Me venir faire à l'improviste un affront comme celui-là ! Me traiter de Coquin, de Fripon, de Pendard, d'Infâme ! Me vouloir passer son épée au travers du corps ! Levez-vous.Une autre fois ne soyez point si prompt. On y songera. Ne vous mettez pas en peine. Combien est-ce qu'il vous faut ? Et à vous ? Je veux tirer cet argent de vos Pères. Pour ce qui est du vôtre, la machine est déjà toute trouvée : Et quant au vôtre, bien qu'avare au dernier degré, il y faudra moins de façons encore ; car vous savez que pour l'esprit, il n'en a pas grâces à Dieu grande provision, et je le livre pour une espèce d'Homme à qui l'on fera toujours croire tout ce que l'on voudra.Cela ne vous offense point, il ne tombe entre lui et vous aucun soupçon de ressemblance ; et vous savez assez l'opinion de tout le monde, qui veut qu'il ne soit votre Père que pour la forme. Bon, bon ; on fait bien scrupule de cela, vous moquez-vous ?Mais j'aperçois venir le Père d'Octave.Commençons par lui, puisqu'il se présente.Allez-vous-en tous deux.Et vous, avertissez votre Silvestre de venir vite jouer son rôle. Le voilà qui rumine. Monsieur, votre serviteur. Vous rêvez à l'affaire de votre Fils. Monsieur, la vie est mêlée de traverses.Il est bon de s'y tenir sans cesse préparé ; et j'ai ouï dire il y a longtemps une parole d'un Ancien que j'ai toujours retenue. Que pour peu qu'un Père de Famille ait été absent de chez lui, il doit promener son esprit sur tous les fâcheux accidents que son retour peut rencontrer ; se figurer sa Maison brûlée, son argent dérobé, sa Femme morte, son Fils estropié, sa Fille subornée ; et ce qu'il trouve qu'il ne lui est point arrivé, l'imputer à bonne fortune.Pour moi, j'ai pratiqué toujours cette leçon dans ma petite philosophie ; et je ne suis jamais revenu au Logis, que je ne me sois tenu prêt à la colère de mes Maîtres, aux réprimandes, aux injures, aux coups de pied au cul, aux bastonnades, aux étrivières ; et ce qui a manqué à m'arriver, j'en ai rendu grâce à mon bon destin. Ma foi, Monsieur, si vous m'en croyez, vous tâcherez par quelque autre voie, d'accommoder l'affaire.Vous savez ce que c'est que les Procès en ce Pays-ci, et vous allez vous enfoncer dans d'étranges épines. Je pense que j'en ai trouvé une.La compassion que m'a donnée tantôt votre chagrin, m'a obligé à chercher dans ma tête quelque moyen pour vous tirer d'inquiétude : car je ne saurais voir d'honnêtes Pères chagrinés par leurs Enfants, que cela ne m'émeuve ; et de tout temps je me suis senti pour votre personne une inclination particulière. J'ai donc été trouver le Frère de cette Fille qui a été épousée.C'est un de ces Braves de profession, de ces Gens qui sont tous coups d'épée ; qui ne parlent que d'échiner, et ne font non plus de conscience de tuer un Homme, que d'avaler un Verre de Vin.Je l'ai mis sur ce Mariage ; lui ai fait voir quelle facilité offrait la raison de la violence, pour le faire casser ; vos prérogatives du nom de Père, et l'appui que vous donnerait auprès de la Justice et votre droit, et votre argent, et vos Amis.Enfin je l'ai tant tourné de tous les côtés, qu'il a prêté l'oreille aux propositions que je lui ai faites d'ajuster l'affaire pour quelque somme ; et il donnera son consentement à rompre le Mariage, pourvu que vous lui donniez de l'argent. Oh d'abord, des choses par-dessus les Maisons. Des choses extravagantes. Il ne parlait pas moins que de cinq ou six cents Pistoles. C'est ce que je lui ai dit. J'ai rejeté bien loin de pareilles propositions, et je lui ai bien fait entendre que vous n'étiez point une dupe, pour vous demander des cinq ou six cents Pistoles.Enfin après plusieurs discours, voici où s'est réduit le résultat de notre conférence.Nous voilà au temps, m'a-t-il dit, que je dois partir pour l'Armée.Je suis après à m'équiper ; et le besoin que j'ai de quelque argent, me fait consentir malgré moi à ce qu'on me propose.Il me faut un Cheval de service, et je n'en saurais avoir un, qui soit tant soit peu raisonnable, à moins de soixante Pistoles. Il faudra le Harnais, et les Pistolets ; et cela ira bien à vingt Pistoles encore. Justement. Il me faut aussi un Cheval pour monter mon Valet, qui coûtera bien trente Pistoles. Monsieur. Voulez-vous que son Valet aille à pied ? Mon Dieu, Monsieur, ne vous arrêtez point à peu de chose.N'allez point plaider, je vous prie, et donnez tout pour vous sauver des mains de la Justice. Il me faut encore, a-t-il dit, un Mulet pour porter... De grâce, Monsieur… Monsieur, un petit Mulet. Considérez… Eh, Monsieur, de quoi parlez-vous là, et à quoi vous résolvez-vous ?Jetez les yeux sur les détours de la Justice. Voyez combien d'appels et de degrés de Jurisdiction ; combien de Procédures embarrassantes ; combien d'Animaux ravissants par les griffes desquels il vous faudra passer, Sergents, Procureurs, Avocats, Greffiers, Substituts, Rapporteurs, Juges, et leurs Clercs.Il n'y pas un de tous ces Gens-là, qui pour la moindre chose, ne soit capable de donner un soufflet au meilleur droit du monde. Un Sergent baillera de faux Exploits, sur quoi vous serez condamné sans que vous le sachiez.Votre Procureur s'entendra avec votre Partie et vous vendra à beaux deniers comptants.Votre Avocat gagné de même, ne se trouvera point lorsqu'on plaidera votre Cause, ou dira des raisons qui ne feront que battre la campagne, et n'iront point au fait.Le Greffier délivrera par contumace des Sentences et Arrêts contre vous. Le Clerc du Rapporteur soustraira des Pièces, ou le Rapporteur même ne dira pas ce qu'il a vu.Et quand par les plus grandes précautions du monde vous aurez paré tout cela, vous serez ébahi que vos Juges auront été sollicités contre vous, ou par des Gens dévots, ou par des Femmes qu'ils aimeront.Eh, Monsieur, si vous le pouvez, sauvez-vous de cet Enfer-là.C'est être damné dès ce Monde, que d'avoir à plaider ; et la seule pensée d'un Procès serait capable de me faire fuir jusqu'aux Indes. Monsieur, pour le Mulet, pour son Cheval, et celui de son Homme, pour le Harnais et les Pistolets, et pour payer quelque petite chose qu'il doit à son Hôtesse, il demande en tout deux cents Pistoles. Oui. Faites réflexion… Ne vous allez point jeter… Mais pour plaider, il vous faudra de l'argent. Il vous en faudra pour l'exploit ; il vous en faudra pour le Contrôle.Il vous en faudra pour la Procuration, pour la Présentation, Conseils, Productions, et Journées du Procureur.Il vous en faudra pour les Consultations et Plaidoiries des Avocats ; pour le droit de retirer le Sac, et pour les Grosses d'Écritures.Il vous en faudra pour le Rapport des Substituts ; pour les Épices de Conclusion ; pour l'Enregistrement du Greffier, façon d'Appointement, Sentences et Arrêts, Contrôles, Signatures, et Expéditions de leurs Clercs, sans parler de tous les Présents qu'il vous faudra faire.Donnez cet argent-là à cet Homme-ci, vous voilà hors d'affaire. Oui, vous y gagnerez. J'ai fait un petit calcul en moi-même de tous les frais de la Justice ; et j'ai trouvé qu'en donnant deux cents Pistoles à votre Homme, vous en aurez de reste pour le moins cent cinquante, sans compter les soins, les pas, et les chagrins que vous épargnerez.Quand il n'y aurait à essuyer que les sottises que disent devant tout le Monde de méchants plaisants d'Avocats, j'aimerais mieux donner trois cents Pistoles, que de plaider. Vous ferez ce qu'il vous plaira ; mais si j'étais que de vous, je fuirais les Procès. Voici l'Homme dont il s'agit. Pourquoi, Monsieur ? Je ne sais pas s'il a cette pensée ; mais il ne veut point consentir aux deux cents Pistoles que vous voulez, et il dit que c'est trop. Monsieur, ce Père d'Octave a du cœur, et peut-être ne vous craindra-t-il point. Ce n'est pas lui, Monsieur, ce n'est pas lui. Non, Monsieur, au contraire, c'est son Ennemi capital. Oui. Oui, oui, je vous en réponds. Monsieur, les violences en ce Pays-ci ne sont guère souffertes. Il se tiendra sur ses gardes assurément ; et il a des Parents, des Amis, et des Domestiques, dont il se fera un secours contre votre ressentiment. Eh, eh, eh, Monsieur, nous n'en sommes pas. Hé bien, vous voyez combien de Personnes tuées pour deux cents Pistoles.Oh sus, je vous souhaite une bonne fortune. Plaît-il ? J'en suis ravi, pour l'amour de vous. Vous n'avez qu'à me les donner.Il ne faut pas pour votre honneur, que vous paraissiez là, après avoir passé ici pour autre que ce que vous êtes ; et de plus, je craindrais qu'en vous faisant connaître, il n'allât s'aviser de vous demander davantage. Est-ce que vous vous défiez de moi ? Parbleu, Monsieur, je suis un Fourbe, ou je suis honnête Homme ; c'est l'un des deux.Est-ce que je voudrais vous tromper, et que dans tout ceci j'ai d'autre intérêt que le vôtre, et celui de mon Maître, à qui vous voulez vous allier ?Si je vous suis suspect, je ne me mêle plus de rien, et vous n'avez qu'à chercher dès cette heure qui accommodera vos affaires. Non, Monsieur, ne me confiez point votre argent.Je serai bien aise que vous vous serviez de quelque autre. Non, vous dis-je, ne vous fiez point à moi.Que sait-on, si je ne veux point vous attraper votre argent ? Laissez-moi faire, il n'a pas affaire à un Sot. Je ne manquerai pas d'y aller.Et un.Je n'ai qu'à chercher l'autre.Ah, ma foi, le voici.Il semble que le Ciel, l'un après l'autre, les amène dans mes filets. Ô Ciel ! ô disgrâce imprévue ! ô misérable père !Pauvre Géronte, que feras-tu ? N'y a-t-il personne qui puisse me dire où est le seigneur Géronte ? Où pourrai-je le rencontrer, pour lui dire cette infortune ? En vain je cours de tous côtés pour le pouvoir trouver. Il faut qu'il soit caché en quelque endroit qu'on ne puisse point deviner. Ah, Monsieur, il n'y a pas moyen de vous rencontrer. Monsieur… Monsieur, votre fils… Est tombé dans une disgrâce la plus étrange du Monde. Je l'ai trouvé tantôt, tout triste, de je ne sais quoi que vous lui avez dit, où vous m'avez mêlé assez mal à propos ; et cherchant à divertir cette tristesse, nous nous sommes allés promener sur le Port.Là, entre autres plusieurs choses, nous avons arrêté nos yeux sur une Galère Turque assez bien équipée.Un jeune Turc de bonne mine, nous a invités d'y entrer, et nous a présenté la main.Nous y avons passé ; il nous a fait mille civilités, nous a donné la Collation, où nous avons mangé des Fruits les plus excellents qui se puissent voir, et bu du Vin que nous avons trouvé le meilleur du monde. Attendez, Monsieur, nous y voici.Pendant que nous mangions, il a fait mettre la Galère en Mer, et, se voyant éloigné du Port, il m'a fait mettre dans un Esquif, et m'envoie vous dire que si vous ne lui envoyez par moi tout à l'heure cinq cents Écus, il va vous emmener votre Fils en Alger. Oui, Monsieur ; et de plus, il ne m'a donné pour cela que deux heures. C'est à vous, Monsieur, d'aviser promptement aux moyens de sauver des fers un Fils que vous aimez avec tant de tendresse. Il ne songeait pas à ce qui est arrivé. La Justice en pleine Mer !Vous moquez-vous des Gens ? Une méchante destinée conduit quelquefois les Personnes. Quoi, Monsieur ? Eh, Monsieur, songez-vous à ce que vous dites ? et vous figurez-vous que ce Turc ait si peu de sens, que d'aller recevoir un misérable comme moi, à la place de votre Fils ? Il ne devinait pas ce malheur.Songez, Monsieur, qu'il ne m'a donné que deux heures. Cinq cents Écus. Vraiment oui, de la conscience à un Turc. Oui, Monsieur, il sait que c'est mille cinq cents livres. Ce sont des Gens qui n'entendent point de raison. Il est vrai ; mais quoi ! on ne prévoyait pas les choses.De grâce, Monsieur, dépêchez. Bon. Fort bien. Oui. Eh, Monsieur, rêvez-vous ?Je n'aurais pas cent francs de tout ce que vous dites ; et de plus, vous savez le peu de temps qu'on m'a donné. Oh que de paroles perdues !Laissez là cette Galère, et songez que le temps presse, et que vous courez risque de perdre votre Fils.Hélas ! mon pauvre Maître, peut-être que je ne te verrai de ma vie, et qu'à l'heure que je parle on t'emmène esclave en Alger.Mais le Ciel me sera témoin que j'ai fait pour toi tout ce que j'ai pu ; et que si tu manques à être racheté, il n'en faut accuser que le peu d'amitié d'un Père. Dépêchez donc vite, Monsieur, je tremble que l'heure ne sonne. Non : cinq cents Écus. Oui. Vous avez raison, mais hâtez-vous. Cela est vrai.Mais faites promptement. Cette Galère lui tient au cœur. Oui, Monsieur. Oui. Oui. Laissez-moi faire. Oui. Fort bien. Oui. Holà, Monsieur. Où est donc cet argent ? Non vraiment, vous l'avez remis dans votre poche. Je le vois bien. Il ne peut digérer les cinq cents Écus que je lui arrache ; mais il n'est pas quitte envers moi, et je veux qu'il me paye en une autre monnaie, l'imposture qu'il m'a faite auprès de son Fils. Voilà deux cents Pistoles que j'ai tirées de votre Père. Pour vous, je n'ai pu faire rien. Holà, holà, tout doucement.Comme diantre vous allez vite. Allez, j'ai votre affaire ici. Mais à condition que vous me permettrez à moi, une petite vengeance contre votre Père, pour le tour qu'il m'a fait. Vous me le promettez devant Témoin. Tenez, voilà cinq cents Écus. Et lorsque c'est d'amour qu'on vous attaque ? Vous l'êtes, que je crois, contre mon Maître maintenant ; et ce qu'il vient de faire pour vous, doit vous donner du cœur pour répondre comme il faut à sa passion. C'est là aussi comme il l'entend.Il ne prétend à vous qu'en tout bien et en tout honneur ; et je n'aurais pas été Homme à me mêler de cette affaire, s'il avait une autre pensée. Nous trouverons moyen d'accommoder les choses. Vous vous moquez ; la tranquillité en amour est un calme désagréable. Un bonheur tout uni, nous devient ennuyeux ; il faut du haut et du bas dans la vie ; et les difficultés qui se mêlent aux choses, réveillent les ardeurs, augmentent les plaisirs. Voilà Silvestre qui s'en acquittera aussi bien que moi.J'ai dans la tête certaine petite vengeance dont je vais goûter le plaisir. Je me plais à tenter des entreprises hasardeuses. Oui, mais c'est moi que j'en croirai. De quoi diable te mets-tu en peine ? Hé bien, c'est aux dépens de mon dos, et non pas du tien. Ces sortes de périls ne m'ont jamais arrêté, et je hais ces cœurs pusillanimes, qui pour trop prévoir les suites des choses, n'osent rien entreprendre. Allez, je vous irai bientôt rejoindre.Il ne sera pas dit qu'impunément on m'ait mis en état de me trahir moi-même, et de découvrir des secrets qu'il était bon qu'on ne sût pas. Votre Fils, Monsieur, est en lieu de sûreté ; mais vous courez maintenant, vous, le péril le plus grand du monde, et je voudrais pour beaucoup, que vous fussiez dans votre Logis. À l'heure que je parle, on vous cherche de toutes parts pour vous tuer. Oui. Le Frère de cette Personne qu'Octave a épousée.Il croit que le dessein que vous avez de mettre votre Fille à la place que tient sa Sœur, est ce qui pousse le plus fort à faire rompre leur Mariage ; et dans cette pensée il a résolu hautement de décharger son désespoir sur vous, et vous ôter la vie pour venger son honneur.Tous ses Amis, Gens d'épée comme lui, vous cherchent de tous les côtés, et demandent de vos nouvelles.J'ai vu même deçà et delà, des Soldats de sa Compagnie qui interrogent ceux qu'ils trouvent, et occupent par pelotons toutes les avenues de votre Maison.De sorte que vous ne sauriez aller chez vous ; vous ne sauriez faire un pas ni à droit, ni à gauche, que vous ne tombiez dans leurs mains. Je ne sais pas, Monsieur, et voici une étrange affaire.Je tremble pour vous depuis les pieds jusqu'à la tête, et…Attendez. Non, non, non, ce n'est rien. J'en imagine bien un ; mais je courrais risque moi, de me faire assommer. Je le veux bien.J'ai une tendresse pour vous qui ne saurait souffrir que je vous laisse sans secours. Attendez.Voici une affaire que je me suis trouvée fort à propos pour vous sauver.Il faut que vous vous mettiez dans ce Sac et que… Non, non, non, non, ce n'est personne.Il faut, dis-je, que vous vous mettiez là dedans, et que vous gardiez de remuer en aucune façon.Je vous chargerai sur mon dos, comme un paquet de quelque chose, et je vous porterai ainsi au travers de vos Ennemis, jusque dans votre Maison, où quand nous serons une fois, nous pourrons nous barricader, et envoyer querir main-forte contre la violence. La meilleure du Monde.Vous allez voir. Tu me payeras l'imposture. Je dis que vos Ennemis seront bien attrapés.Mettez-vous bien jusqu'au fond, et surtout prenez garde de ne vous point montrer, et de ne branler pas, quelque chose qui puisse arriver. Cachez-vous.Voici un Spadassin qui vous cherche. Quoi ?Jé n'aurai pas l'abantage dé tuer cé Geronte, et quelqu'un par charité né m'enseignera pas où il est ? Ne branlez pas. Cadédis, jé lé trouberai, sé cachât-il au centre dé la Terre. Ne vous montrez pas. Oh, l'homme au sac !Monsieur.Jé té vaille un Louis, et m'enseigne où put être Geronte.Vous cherchez le seigneur Géronte ?Oui, mordi ! jé lé cherche.Et pour quelle affaire, Monsieur.Pour quelle affaire ?Oui.Jé beux, cadédis, lé faire mourir sous les coups de vaton.Oh !Monsieur, les coups de bâton ne se donnent point à des Gens comme lui, et ce n'est pas un Homme à être traité de la sorte.Qui, cé fat dé Geronte, cé maraut, cé velître ?Le seigneur Géronte, Monsieur, n'est ni fat, ni maraud, ni belître, et vous devriez, s'il vous plaît, parler d'autre façon.Comment, tu mé traites, à moi, avec cette hautur ?Je défends, comme je dois, un Homme d'honneur qu'on offense.Est-ce que tu es des amis dé cé Geronte ?Oui, Monsieur, j'en suis.Ah ! cadédis, tu es de ses Amis, à la vonne hure. Tiens. Boilà cé que jé té vaille pour lui.Ah, ah, ah !Ah, Monsieur !Ah, ah, Monsieur !Tout beau.Ah, doucement, ah, ah, ah !Va, porte-lui cela de ma part. Adiusias.Ah ! diable soit le Gascon ! Ah ! Ah, Monsieur, je suis tout moulu, et les épaules me font un mal épouvantable. Nenni, Monsieur, c'était sur mon dos qu'il frappait. Non, vous dis-je, ce n'est que le bout du bâton qui a été jusque sur vos épaules. Prenez garde.En voici un autre qui a la mine d'un Étranger. Parti ! Moi courir comme une Basque, et moi ne pouvre point troufair de tout le jour sti tiable de Gironte ?Cachez-vous bien.Dites-moi un peu fous, Monsir l'Homme, s'il ve plaist, fous savoir point où l'est sti Gironte que moi cherchair ?Non, Monsieur, je ne sais point où est Géronte.Dites-moi-le vous frenchemente, moi li fouloir pas grande chose à lui.L'est seulemente pour li donnair un petite régale sur le dos d'un douzaine de coups de bastonne, et de trois ou quatre petites coups d'épée au trafers de son poitrine.Je vous assure, Monsieur, que je ne sais pas où il est.Il me semble que j'y foi remuair quelque chose dans sti sac.Pardonnez-moi, Monsieur.Li est assurémente quelque histoire là tetans.Point du tout, Monsieur.Moi l'avoir enfie de tonner ain coup d'épée dans ste Sac.Ah !Monsieur, gardez-vous-en bien.Montre-le-moi un peu fous ce que c'estre là.Tout beau, Monsieur.Quement, tout beau.Vous n'avez que faire de vouloir voir ce que je porte.Et moi je le fouloir foir, moi.Vous ne le verrez point.Ahi que de badinemente.Ce sont hardes qui m'appartiennent.Montre-moi fous, te dis-je.Je n'en ferai rien.Toi ne faire rien ?Non.Moi pailler de ste bastonne dessus les épaules de toi.Je me moque de cela.Ah toi faire le trole.Ahi, ahi, ahi ; Ah, Monsieur, ah, ah, ah, ah.Jusqu'au refoir : l'estre là un petit leçon pour li apprendre à toi à parlair insolentemente !Ah ! peste soit du Baragouineux.Ah ! Ah ! je suis mort. Prenez garde, voici une demi-douzaine de Soldats tout ensemble. Allons, tâchons à trouver ce Géronte, cherchons partout.N'épargnons point nos pas.Courons toute la Ville.N'oublions aucun lieu.Visitons tout.Furetons de tous les côtés.Par où irons-nous ?Tournons par là.Non, par Ici.À gauche.À droit.Nenni.Si fait.Cachez-vous bien.Ah, Camarades, voici son Valet.Allons, coquin, il faut que tu nous enseignes où est ton Maître.Eh, Messieurs, ne me maltraitez point.Allons, dis-nous où il est.Parle.Hâte-toi.Expédions.Dépêche vite.Tôt.Eh, Messieurs, doucement. Si tu ne nous fais trouver ton maître tout à l'heure, nous allons faire pleuvoir sur toi une ondée de coups de bâton.J'aime mieux souffrir toute chose que de vous découvrir mon Maître.Nous allons t'assommer.Faites tout ce qu'il vous plaira.Tu as envie d'être battu.Je ne trahirai point mon Maître.Ah ! tu en veux tâter ?Voilà…Oh ! Hé bien, Silvestre, que font nos Gens ? Cela n'est rien.Les menaces ne m'ont jamais fait mal ; et ce sont des nuées qui passent bien loin sur nos têtes. Laisse-moi faire, je trouverai moyen d'apaiser leur courroux, et… Ahi, ahi.Messieurs, vous me voyez…Ahi, vous me voyez dans un étrange état.Ahi.Je n'ai pas voulu mourir, sans venir demander pardon à toutes les Personnes que je puis avoir offensées.Ahi.Oui, Messieurs, avant que de rendre le dernier soupir, je vous conjure de tout mon cœur, de vouloir me pardonner tous ce que je puis avoir fait, et principalement le Seigneur Argante, et le Seigneur Géronte.Ahi. C'est vous, Monsieur, que j'ai le plus offensé, par les coups de bâton que… C'a été une témérité bien grande à moi, que les coups de bâton que je… J'ai en mourant, une douleur inconcevable des coups de bâton que… Les malheureux coups de bâton que je vous… Hélas, quelle bonté !Mais est-ce de bon cœur, Monsieur, que vous me pardonnez ces coups de bâton que… Ah, Monsieur, je me sens tout soulagé depuis cette parole. Comment, Monsieur ? Ahi, ahi.Voilà mes faiblesses qui me reprennent. Et moi, qu'on me porte au bout de la Table, en attendant que je meure. **** *creator_moliere *book_moliere_fourberiesdescapin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_fourberiesdescapin *dist2_moliere_prose_comedy *id_silvestre *date_1671 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_silvestre Oui. Ce matin même. Oui. Du Seigneur Géronte. Oui. De votre Oncle. Par une Lettre. Toutes nos affaires. Qu'ai-je à parler davantage ! Vous n'oubliez aucune circonstance, et vous dites les choses tout justement comme elles sont. Ma foi, je m'y trouve autant embarrassé que vous, et j'aurais bon besoin que l'on me conseillât moi-même. Je ne le suis pas moins. Les réprimandes ne sont rien ; et plût au Ciel que j'en fusse quitte à ce prix !Mais j'ai bien la mine, pour moi, de payer plus cher vos folies, et je vois se former de loin un nuage de coups de bâton qui crèvera sur mes épaules. C'est à quoi vous deviez songer, avant que de vous y jeter. Vous me faites bien plus mourir, par vos actions étourdies. Toi, et la Justice ? Si vous n'abrégez ce récit, nous en voilà pour jusqu'à demain.Laissez-le-moi finir en deux mots.Son cœur prend feu dès ce moment.Il ne saurait plus vivre, qu'il n'aille consoler son aimable Affligée.Ses fréquentes visites sont rejetées de la Servante, devenue la Gouvernante par le trépas de la Mère ; voilà mon Homme au désespoir.Il presse, supplie, conjure ; point d'affaire.On lui dit que la Fille, quoique sans bien, et sans appui, est de Famille honnête ; et qu'à moins que de l'épouser, on ne peut souffrir ses poursuites.Voilà son amour augmenté par les difficultés.Il consulte dans sa tête, agite, raisonne, balance, prend sa résolution ; Le voilà marié avec elle depuis trois jours. Maintenant mets avec cela le retour imprévu du Père, qu'on n'attendait que dans deux mois ; La découverte que l'Oncle a faite du secret de notre Mariage, et l'autre Mariage qu'on veut faire de lui avec la Fille que le seigneur Géronte a eue d'une seconde Femme qu'on dit qu'il a épousée à Tarente. J'avoue que le Ciel ne m'a pas donné tes talents, et que je n'ai pas l'esprit comme toi, de me brouiller avec la Justice. Voilà votre Père qui vient. Que lui dirai-je ? J'étais bien étonné s'il m'oubliait. L'habile Fourbe que voilà ! Oui, Monsieur. J'avoue que tu es un grand Homme, et voilà l'affaire en bon train ; mais l'argent d'autre part nous presse pour notre subsistance, et nous avons de tous côtés des Gens qui aboient après nous. Je te conjure au moins, de ne m'aller point brouiller avec la Justice. Scapin, fais-moi connaître un peu cet Argante, qui est Père d'Octave. Je viens d'apprendre qu'il veut me mettre en Procès, et faire rompre par Justice le Mariage de ma Sœur. Par la mort, Par la tête, Par le ventre, si je le trouve, je le veux échiner, dussé-je être roué tout vif. Lui ?Lui ?Par le sang, Par la tête, s'il était là, je lui donnerais tout à l'heure de l'épée dans le ventre.Qui est cet Homme-là ? N'est-ce point quelqu'un de ses Amis ? Son Ennemi capital ? Ah, parbleu, j'en suis ravi.Vous êtes Ennemi, Monsieur, de ce faquin d'Argante ; Eh ? Touchez là. Touchez.Je vous donne ma parole, et vous jure sur mon honneur, par l'épée que je porte, par tous les serments que je saurais faire, qu'avant la fin du jour je vous déferai de ce Maraud fieffé, de ce faquin d'Argante.Reposez-vous sur moi. Je me moque de tout, et je n'ai rien à perdre. C'est ce que je demande, morbleu, c'est ce que je demande. Ah tête ! ah ventre !Que ne le trouvé-je à cette heure avec tout son secours !Que ne paraît-il à mes yeux au milieu de trente Personnes !Que ne les vois-je fondre sur moi les armes à la main !Comment, Marauds, vous avez la hardiesse de vous attaquer à moi ?Allons, morbleu, tue, point de quartier.Donnons.Ferme.Poussons.Bon pied, bon œil.Ah Coquins, ah Canaille, vous en voulez par là ; je vous en ferai tâter votre soûl.Soutenez, Marauds, soutenez.Allons.À cette botte.À cette autre.À celle-ci.À celle-là.Comment, vous reculez ?Pied ferme, morbleu, pied ferme. Voilà qui vous apprendra à vous oser jouer de moi. Oui, vos Amants ont arrêté entre eux que vous fussiez ensemble ; et nous nous acquittons de l'ordre qu'ils nous ont donné. Pourquoi, de gaieté de cœur, veux-tu chercher à t'attirer de méchantes affaires ? Je te l'ai déjà dit, tu quitterais le dessein que tu as, si tu m'en voulais croire. À quoi diable te vas-tu amuser ? C'est que je vois que sans nécessité tu vas courir risque de t'attirer une venue de coups de bâton. Il est vrai que tu es maître de tes épaules, et tu en disposeras comme il te plaira. Où est-ce donc que vous vous échappez ?Savez-vous bien que vous venez de parler là au Père de votre Amant ? Comment, son histoire ? Vous aviez grande envie de babiller ; et c'est avoir bien de la langue, que de ne pouvoir se taire de ses propres affaires. Rentrez dans la maison.Voilà mon Maître qui m'appelle. Ma foi, Monsieur, si Scapin vous fourbe, je m'en lave les mains, et vous assure que je n'y trempe en aucune façon. Plaise au Ciel, que dans tout ceci je n'aye point ma part ! Voilà une aventure qui est tout à fait surprenante ! J'ai deux avis à te donner.L'un, que l'affaire d'Octave est accommodée.Notre Hyacinte s'est trouvée la Fille du Seigneur Géronte ; et le hasard a fait, ce que la prudence des Pères avait délibéré.L'autre avis, c'est que les deux Vieillards font contre toi des menaces épouvantables, et surtout le Seigneur Géronte. Prends garde à toi, les Fils se pourraient bien raccommoder avec les Pères, et toi demeurer dans la nasse. Retire-toi, les voilà qui sortent. Ecoutez… **** *creator_moliere *book_moliere_fourberiesdescapin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_fourberiesdescapin *dist2_moliere_prose_comedy *id_nerine *date_1671 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_nerine Ah, Seigneur Pandolphe, que… Las ! que ce changement de nom nous a causé de troubles et d'inquiétudes dans les soins que nous avons pris de vous venir chercher ici ! Votre Fille, Monsieur, n'est pas loin d'ici.Mais avant que de vous la faire voir, il faut que je vous demande pardon de l'avoir mariée, dans l'abandonnement, où faute de vous rencontrer, je me suis trouvée avec elle. Oui, Monsieur. Avec un jeune Homme nommé Octave, Fils d'un certain Seigneur Argante. Vous n'avez qu'à entrer dans ce Logis. **** *creator_moliere *book_moliere_fourberiesdescapin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_fourberiesdescapin *dist2_moliere_prose_comedy *id_carle *date_1671 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_carle Monsieur, je vous apporte une nouvelle qui est fâcheuse pour votre amour. Vos Égyptiens sont sur le point de vous enlever Zerbinette ; et elle-même, les larmes aux yeux, m'a chargé de venir promptement vous dire, que si dans deux heures vous ne songez à leur porter l'argent qu'il vous ont demandé pour elle, vous l'allez perdre pour jamais. Dans deux heures. Ah, Messieurs, il vient d'arriver un accident étrange. Le pauvre Scapin… Hélas !Monsieur, vous ne serez pas en peine de cela.En passant contre un Bâtiment, il lui est tombé sur la tête un Marteau de Tailleur de Pierre, qui lui a brisé l'os, et découvert toute la cervelle.Il se meurt, et il a prié qu'on l'apportât ici pour vous pouvoir parler avant que de mourir. Le voilà. **** *creator_moliere *book_moliere_georgedandin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_georgedandin *dist2_moliere_prose_comedy *id_george-dandin *date_1668 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_georgedandin Ah ! qu'une femme Demoiselle est une étrange affaire, et que mon mariage est une leçon bien parlante à tous les Paysans qui veulent s'élever au-dessus de leur condition, et s'allier comme j'ai fait à la maison d'un Gentilhomme. La noblesse de soi est bonne : c'est une chose considérable assurément, mais elle est accompagnée de tant de mauvaises circonstances, qu'il est très bon de ne s'y point frotter. Je suis devenu là-dessus savant à mes dépens, et connais le style des Nobles lorsqu'ils nous font nous autres entrer dans leur famille. L'alliance qu'ils font est petite avec nos personnes. C'est notre bien seul qu'ils épousent, et j'aurais bien mieux fait, tout riche que je suis, de m'allier en bonne et franche paysannerie, que de prendre une femme qui se tient au-dessus de moi, s'offense de porter mon nom, et pense qu'avec tout mon bien je n'ai pas assez acheté la qualité de son mari. George Dandin, George Dandin, vous avez fait une sottise la plus grande du monde. Ma maison m'est effroyable maintenant, et je n'y rentre point sans y trouver quelque chagrin. Que diantre ce drôle-là vient-il faire chez moi ? Il ne me connaît pas. Ouais ! il a grand-peine à saluer. Bonjour. Vous n'êtes pas d'ici que je crois ? Hé dites-moi un peu, s'il vous plaît, vous venez de là-dedans. Comment ? Quoi donc ? Pourquoi ? Mais encore ? Point, point. Oui. Je n'ai garde. C'est bien fait. Fort bien. Sans doute. Le mieux du monde. Assurément. Hé comment nommez-vous celui qui vous a envoyé là-dedans ? Est-ce ce jeune Courtisan qui demeure... C'est pour cela que depuis peu ce Damoiseau poli s'est venu loger contre moi, j'avais bon nez sans doute, et son voisinage déjà m'avait donné quelque soupçon. Hé bienavez-vous fait votre message. Ah coquine de servante ! Mais quelle réponse a fait la Maîtresse à ce Monsieur le Courtisan ? Ah ! pendarde de femme. Cela est vrai. Oui, oui. Hé bien, George Dandin, vous voyez de quel air votre femme vous traite. Voilà ce que c'est d'avoir voulu épouser une Demoiselle, l'on vous accommode de toutes pièces, sans que vous puissiez vous venger, et la Gentilhommerie vous tient les bras liés. L'égalité de condition laisse du moins à l'honneur d'un mari liberté de ressentiment, et si c'était une Paysanne, vous auriez maintenant toutes vos coudées franches à vous en faire la justice à bons coups de bâton. Mais vous avez voulu tâter de la Noblesse, et il vous ennuyait d'être maître chez vous. Ah ! j'enrage de tout mon cœur, et je me donnerais volontiers des soufflets. Quoi écouter impudemment l'amour d'un Damoiseau, et y promettre en même temps de la correspondance ! Morbleu je ne veux point laisser passer une occasion de la sorte. Il me faut de ce pas aller faire mes plaintes au père et à la mère, et les rendre témoins à telle fin que de raison, des sujets de chagrin et de ressentiment que leur fille me donne. Mais les voici l'un et l'autre fort à propos. Aussi en ai-je du sujet, et... Ma foi, ma belle-mère, c'est que j'ai d'autres choses en tête, et... Comment ? Parbleu, si vous m'appelez votre gendre, il me semble que je puis vous appeler ma belle-mère. Puisqu'il faut donc parler catégoriquement, je vous dirai, Monsieur de Sotenville, que j'ai lieu de... Hé bien, Monsieur tout court, et non plus Monsieur de Sotenville, j'ai à vous dire que ma femme me donne... J'enrage. Comment, ma femme n'est pas ma femme ? Ah ! George Dandin, où t'es-tu fourré ? Et de grâce, mettez pour un moment votre gentilhommerie à côté, et souffrez que je vous parle maintenant comme je pourrai. Au diantre soit la tyrannie de toutes ces histoires-là. Je vous dis donc que je suis mal satisfait de mon mariage. Et quels avantages, Madame, puisque Madame y a ? L'aventure n'a pas été mauvaise pour vous, car sans moi vos affaires, avec votre permission, étaient fort délabrées, et mon argent a servi à reboucher d'assez bons trous ; mais moi de quoi y ai-je profité, je vous prie, que d'un allongement de nom, et au lieu de George Dandin, d'avoir reçu par vous le titre de Monsieur de la Dandinière ? Oui, voilà qui est bien, mes enfants seront Gentilshommes, mais je serai cocu moi, si l'on n'y met ordre. Cela veut dire que votre fille ne vit pas comme il faut qu'une femme vive, et qu'elle fait des choses qui sont contre l'honneur. Ho bien votre fille n'est pas si difficile que cela, et elle s'est apprivoisée depuis qu'elle est chez moi. Tout ce que je vous puis dire, c'est qu'il y a ici un certain Courtisan que vous avez vu, qui est amoureux d'elle à ma barbe, et qui lui a fait faire des protestations d'amour, qu'elle a très humainement écoutées. Je vous ai dit ce qui se passe pour vous faire mes plaintes, et je vous demande raison de cette affaire-là. Très sûr. Je ne vous ai rien dit, vous dis-je, qui ne soit véritable. Le voici qui vient vers nous. Quoi ? Répondez vous-même. Elle est toute soutenue, cela est vrai. Je dis que ce sont là des contes à dormir debout. Que je sais bien ce que je sais, et que tantôt, puisqu'il faut parler, elle a reçu une ambassade de sa part. Taisez-vous, carogne que vous êtes. Je sais de vos nouvelles, et c'est vous qui tantôt avez introduit le Courrier. Oui vous. Ne faites point tant la sucrée. Taisez-vous, bonne pièce. Vous faites la sournoise. Mais je vous connais il y a longtemps, et vous êtes une dessalée. Taisez-vous, vous dis-je, vous pourriez bien porter la folle enchère de tous les autres. Et vous n'avez point de père Gentilhomme. J'enrage de bon cœur d'avoir tort, lorsque j'ai raison. Comment satisfaction ? C'est une chose moi dont je ne demeure pas d'accord de l'avoir à tort accusé, et je sais bien ce que j'en pense. Si bien donc que si je le trouvais couché avec ma femme, il en serait quitte pour se dédire ? Moi, je lui ferai encore des excuses après... Je ne saurais... Ah George Dandin ! J'enrage. Monsieur. Des mauvaises pensées que j'ai eues de vous. C'est que je n'avais pas l'honneur de vous connaître. Et je vous prie de croire. Voulez-vous que je sois serviteur d'un homme qui me veut faire cocu ? Que je suis votre serviteur. Ah que je... Vous l'avez voulu, vous l'avez voulu, George Dandin, vous l'avez voulu, cela vous sied fort bien, et vous voilà ajusté comme il faut,vous avez justement ce que vous méritez. Allons il s'agit seulement de désabuser le père et la mère et je pourrai trouver peut-être quelque moyen d y réussir. Non non, on ne m'abuse pas avec tant de facilité, et je ne suis que trop certain que le rapport que l'on m'a fait est véritable. J'ai de meilleurs yeux qu'on ne pense, et votre galimatias ne m'a point tantôt ébloui. Au travers de toutes vos grimaces, j'ai vu la vérité de ce que l'on m'a dit, et le peu de respect que vous avez pour le nœud qui nous joint. Mon Dieu laissez là votre révérence, ce n'est pas de ces sortes de respect dont je vous parle, et vous n'avez que faire de vous moquer. Je sais votre pensée, et connais... Encore ? ah ne raillons pas davantage ! Je n'ignore pas qu'à cause de votre noblesse vous me tenez fort au-dessous de vous, et le respect que je vous veux dire ne regarde point ma personne. J'entends parler de celui que vous devez à des nœuds aussi vénérables que le sont ceux du mariage. Il ne faut point lever les épaules, et je ne dis point de sottises. Mon Dieu nous voyons clair. Je vous dis encore une fois que le mariage est une chaîne à laquelle on doit porter toute sorte de respect, et que c'est fort mal fait à vous d'en user comme vous faites. Oui oui mal fait à vous, et vous n'avez que faire de hocher la tête, et de me faire la grimace. Je le sais fort bien moi, et vos mépris me sont connus. Si je ne suis pas né noble, au moins suis-je d'une race où il n'y a point de reproche, et la famille des Dandins... Eh ? Le voilà qui vient rôder autour de vous. Je veux que vous y fassiez ce que fait une femme qui ne veut plaire qu'à son mari. Quoi qu'on en puisse dire, les Galants n'obsèdent jamais que quand on le veut bien, il y a un certain air doucereux qui les attire ainsi que le miel fait les mouches, et les honnêtes femmes ont des manières qui les savent chasser d'abord. Oui. Mais quel personnage voulez-vous que joue un mari pendant cette galanterie ? Je suis votre valet. Ce n'est pas là mon compte, et les Dandins ne sont point accoutumés à cette mode-là. C'est ainsi que vous satisfaites aux engagements de la foi que vous m'avez donnée publiquement. Oui !c'est ainsi que vous le prenez. Je suis votre mari, et je vous dis que je n'entends pas cela. Il me prend des tentations d'accommoder tout son visage à la compote, et le mettre en état de ne plaire de sa vie aux diseurs de fleurettes. Ah ! allons, George Dandin, je ne pourrais me retenir, et il vaut mieux quitter la place. Voici mon homme de tantôt. Plût au Ciel qu'il pût se résoudre à vouloir rendre témoignage au père et à la mère de ce qu'ils ne veulent point croire. Moi ? Écoute, mon ami. Comment. qu'est-ce qui se passe ? Arrête un peu. Je ne te veux dire qu'un mot. Non, ce n'est pas cela. C'est autre chose. Écoute. De grâce. Je te donnerai... Je n'ai pu me servir avec cet innocent de la pensée que j'avais. Mais le nouvel avis qui lui est échappé ferait la même chose, et si le Galant est chez moi, ce serait pour avoir raison aux yeux du père et de la mère, et les convaincre pleinement de l'effronterie de leur fille. Le mal de tout ceci c'est que je ne sais comment faire pour profiter d'un tel avis. Si je rentre chez moi, je ferai évader le drôle, et quelque chose que je puisse voir moi-même de mon déshonneur, je n'en serai point cru à mon serment, et l'on me dira que je rêve. Si d'autre part je vais querir beau-père et belle-mère sans être sûr de trouver chez moi le Galant, ce sera la même chose, et je retomberai dans l'inconvénient de tantôt. Pourrais-je point m'éclaircir doucement s'il y est encore ? Ah Ciel ! il n'en faut plus douter et je viens de l'apercevoir par le trou de la porte. Le sort me donne ici de quoi confondre ma partie, et pour achever l'aventure il fait venir à point nommé les juges dont j'avais besoin. Enfin vous ne m'avez pas voulu croire tantôt, et votre fille l'a emporté sur moi. Mais j'ai en main de quoi vous faire voir comme elle m'accommode, et Dieu mercimon déshonneur est si clair maintenant, que vous n'en pourrez plus douter. Oui j'y suis, et jamais je n'eus tant de sujet d'y être. Oui, Madame, et l'on fait bien pis à la mienne. Non. Mais je me lasse fort d'être pris pour dupe. Non, Madame, mais je voudrais bien me défaire d'une femme qui me déshonore. Marchand qui perd ne peut rire. Je m'en souviens assez, et ne m'en souviendrai que trop. Mais que ne songe-t-elle plutôt à me traiter plus honnêtement ? Quoi parce qu'elle est Demoiselle, il faut qu'elle ait la liberté de me faire ce qui lui plaît, sans que j'ose souffler ? Oui. Mais vous, que pourrez-vous dire, si je vous fais voir maintenant que le galant est avec elle ? Oui avec elle, et dans ma maison ? Oui. Dans ma propre maison. Vous n'avez qu'à me suivre. Mon Dieu, vous allez voir. Tenez. Ai-je menti ? Approchons doucement par derrière, et tâchons de n'être point vus. Euh traîtresse ! Scélérate. Je ne dis mot. Car je ne gagnerais rien à parler, et jamais il ne s'est rien vu d'égal à ma disgrâce. Oui, j'admire mon malheur, et la subtile adresse de ma carogne de femme pour se donner toujours raison, et me faire avoir tort. Est-il possible que toujours j'aurai du dessous avec elle ; que les apparences toujours tourneront contre moi, et que je ne parviendrai point à convaincre mon effrontée ? Ô Ciel ! seconde mes desseins, et m'accorde la grâce de faire voir aux gens que l'on me déshonore. entendu descendre ma femme, et je me suis vite habillé pour descendre après elle. Où peut-elle être allée ? Serait-elle sortie ? Qui va là ? Il fuit, et me laisse informé de la nouvelle perfidie de ma coquine. Allons, il faut que sans tarder, j'envoie appeler son père et sa mère, et que cette aventure me serve à me faire séparer d'elle. Holà, Colin, Colin. Allons, vite, ici-bas. Tu es là ? Doucement. Parle bas. Écoute. Va-t'en chez mon beau-père, et ma belle-mère, et dis que je les prie très instamment de venir tout a l'heure ici. Entends-tu ? Eh ? Colin, Colin. Où diable es-tu ? Peste soit du maroufle qui s'éloigne de moi. Je te dis que tu ailles de ce pas trouver mon beau-père, et ma belle-mère, et leur dire que je les conjure de se rendre ici tout à l'heure. M'entends-tu bien ? Réponds. Colin, Colin. Voilà un pendard qui me fera enrager, viens-t'en à moi. Ah le traître ! il m'a estropié. Où est-ce que tu es ? Approche, que je te donne mille coups. Je pense qu'il me fuit. Veux-tu venir ? Viens, te dis-je. Hé bien non. Je ne te ferai rien. Oui. Approche. Bon. Tu es bien heureux de ce que j'ai besoin de toi. Va-t'en vite de ma part prier mon beau-père et ma belle-mère de se rendre ici le plus tôt qu'ils pourront, et leur dis que c'est pour une affaire de la dernière conséquence. Et s'ils faisaient quelque difficulté à cause de l'heure, ne manque pas de les presser, et de leur bien faire entendre qu'il est très important qu'ils viennent, en quelque état qu'ils soient. Tu m'entends bien maintenant ? Va vite, et reviens de même. Et moi je vais rentrer dans ma maison, attendant que. … Mais j'entends quelqu'un. Ne serait-ce point ma femme ? Il faut que j'écoute, et me serve de l'obscurité qu'il fait. Voilà nos carognes de femmes. Pauvres maris ! voilà comme on vous traite. Plût au Ciel ! Fût-elle la tienne, tu changerais bien de langage. Rentrons. C'en est assez. Colin, Colin ? Ah je vous y prends donc, Madame ma femme, et vous faites des escampativos pendant que je dors. Je suis bien aise de cela, et de vous voir dehors à l'heure qu'il est. Oui, oui. L'heure est bonne à prendre le frais. C'est bien plutôt le chaud, Madame la Coquine ; et nous savons toute l'intrigue du rendez-vous, et du Damoiseau. Nous avons entendu votre galant entretien, et les beaux vers à ma louange que vous avez dits l'un et l'autre. Mais ma consolation c'est que je vais être vengé, et que votre père et votre mère seront convaincus maintenant de la justice de mes plaintes, et du dérèglement de votre conduite. Je les ai envoyé querir, et ils vont être ici dans un moment. Voilà un coup sans doute où vous ne vous attendiez pas. C'est maintenant que je triomphe, et j'ai de quoi mettre à bas votre orgueil, et détruire vos artifices. Jusques ici vous avez joué mes accusations, ébloui vos parents, et plâtré vos malversations. J'ai eu beau voir, et beau dire, et votre adresse toujours l'a emporté sur mon bon droit, et toujours vous avez trouvé moyen d'avoir raison. Mais à cette fois, Dieu merci, les choses vont être éclaircies, et votre effronterie sera pleinement confondue. Non, non il faut attendre la venue de ceux que j'ai mandés, et je veux qu'ils vous trouvent dehors à la belle heure qu'il est. En attendant qu'ils viennent, songez, si vous voulez à chercher dans votre tête quelque nouveau détour pour vous tirer de cette affaire. À inventer quelque moyen de rhabiller votre escapade. À trouver quelque belle ruse pour éluder ici les gens et paraître innocente. Quelque prétexte spécieux de pèlerinage nocturne, ou d'amie en travail d'enfant que vous veniez de secourir. C'est que vous voyez bien que tous les moyens vous en sont fermés, et que dans cette affaire vous ne sauriez inventer d'excuse qu'il ne me soit facile de convaincre de fausseté. Je vous baise les mains. Ah mon pauvre petit mari ? Je suis votre petit mari maintenant, parce que vous vous sentez prise. Je suis bien aise de cela, et vous ne vous étiez jamais avisée de me dire de ces douceurs. Tout cela n'est rien. Je ne veux point perdre cette aventure, et il m'importe qu'on soit une fois éclairci à fond de vos déportements. Hé bien quoi ? Oui : vous le dites, et ce sont de ces choses qui ont besoin qu'on les croie pieusement. Ah ! Crocodile qui flatte les gens pour les étrangler. Point d'affaires. Je suis inexorable. Non. Point. Non, non, non. Je veux qu'on soit détrompé de vous, et que votre confusion éclate. Et que ferez-vous, s'il vous plaît ? Ah ! ah ! à la bonne heure. Je suis votre valet. On ne s'avise plus de se tuer soi-même, et la mode en est passée il y a longtemps. Bagatelles, bagatelles. C'est pour me faire peur. Ouais ! serait-elle bien si malicieuse que de s'être tuée pour me faire pendre ? Prenons un bout de chandelle pour aller voir. La méchanceté d'une femme irait-elle bien jusques là ? (Il sort avec un bout de chandelle sans les apercevoir, elles entrent, aussitôt elles ferment la porte. ) Il n'y a personne. Eh je m'en étais bien douté, et la pendarde s'est retirée, voyant qu'elle ne gagnait rien après moi, ni par prières ni par menaces. Tant mieuxcela rendra ses affaires encore plus mauvaises, et le père et la mère qui vont venir en verront mieux son crime. Ahah la porte s'est fermée. Holà ho quelqu'un. Qu'on m'ouvre promptement. Comment vous avez... Quoi c'est ainsi que vous osez... Voilà une méchante carogne. Jamais... Peut-on... Laissez-moi vous dire deux mots. Je désespère. Monsieur mon beau-père, je vous conjure... Madame, je vous prie... Souffrez que je vous... Permettez de grâce que... Hé bien oui, je parle de loin. Je vous jure que je n'ai bougé de chez moi, et que c'est elle qui est sortie. J'atteste le Ciel, que j'étais dans la maison, et que... Que la foudre m'écrase tout à l'heure, si... Moi demander pardon ? Quoi je... Ah George Dandin ! À genoux ? Ô Ciel ! Que faut-il dire ? Madame, je vous prie de me pardonner. L'extravagance que j'ai faite (à part) De vous épouser. Et je vous promets de mieux vivre à l'avenir. Ah ! je le quitte maintenant, et je n'y vois plus de remède, lorsqu'on a comme moi épousé une méchante femme, le meilleur parti qu'on puisse prendre, c'est de s'aller jeter dans l'eau la tête la première. **** *creator_moliere *book_moliere_georgedandin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_georgedandin *dist2_moliere_prose_comedy *id_angelique *date_1668 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_angelique Moi, et comment lui aurais-je dit ? Est-ce que cela est ? Je voudrais bien le voir vraiment que vous fussiez amoureux de moi. Jouez-vous-y, je vous en prie, vous trouverez à qui parler. C'est une chose que je vous conseille de faire. Ayez recours pour voir à tous les détours des Amants. Essayez un peu par plaisir à m'envoyer des ambassades, à m'écrire secrètement de petits billets doux, à épier les moments que mon mari n'y sera pas, ou le temps que je sortirai pour me parler de votre amour. Vous n'avez qu'à y venir, je vous promets que vous serez reçu comme il faut. Que sais-je moi ce qu'on me vient conter ici ? Vous n'aviez qu'à le faire, vous auriez été bien venu. Moi, j'ai reçu une ambassade. Claudine. C'est une imposture si grande, et qui me touche si fort au cœur, que je ne puis pas même avoir la force d'y répondre ; cela est bien horrible d'être accusée par un mari lorsqu'on ne lui fait rien qui ne soit à faire. Hélas ! si je suis blâmable de quelque chose, c'est d'en user trop bien avec lui. Tout mon malheur est de le trop considérer, et plût au Ciel que je fusse capable de souffrir, comme il dit, les galanteries de quelqu'un, je ne serais pas tant à plaindre. Adieu, je me retire, et je ne puis plus endurer qu'on m'outrage de cette sorte. Moi, me moquer ! En aucune façon. Qui songe à lever les épaules ? Moi ! je ne sais ce que vous voulez dire. Quoi ? je ne dis mot. Hé bien est-ce ma faute ? Que voulez-vous que j'y fasse ? Moi les chasser ? et par quelle raison, je ne me scandalise point qu'on me trouve bien faite, et cela me fait du plaisir. Le personnage d'un honnête homme qui est bien aise de voir sa femme considérée. Oh les Dandins s'y accoutumeront s'ils veulent. Car pour moi je vous déclare que mon dessein n'est pas de renoncer au monde, et de m'enterrer toute vive dans un mari. Comment, parce qu'un homme s'avise de nous épouser, il faut d'abord que toutes choses soient finies pour nous, et que nous rompions tout commerce avec les vivants ?C'est une chose merveilleuse que cette tyrannie de Messieurs les maris, et je les trouve bons de vouloir qu'on soit morte à tous les divertissements, et qu'on ne vive que pour eux. Je me moque de cela, et ne veux point mourir si jeune. Moi ? je ne vous l'ai point donnée de bon cœur, et vous me l'avez arrachée. M'avez-vous avant le mariage demandé mon consentement, et si je voulais bien de vous ? Vous n'avez consulté pour cela que mon père, et ma mère, ce sont eux proprement qui vous ont épousé, et c'est pourquoi vous ferez bien de vous plaindre toujours à eux des torts que l'on pourra vous faire. Pour moi qui ne vous ai point dit de vous marier avec moi, et que vous avez prise sans consulter mes sentiments, je prétends n'être point obligée à me soumettre en esclave à vos volontés, et je veux jouir, s'il vous plaît, de quelque nombre de beaux jours que m'offre la jeunesse ; prendre les douces libertés, que l'âge me permet, voir un peu le beau monde, et goûter le plaisir de m'ouïr dire des douceurs. Préparez-vous-y pour votre punition, et rendez grâces au Ciel de ce que je ne suis pas capable de quelque chose de pis. Moi je suis votre femme, et je vous dis que je l'entends. Voyons. Ah Claudine que ce billet s'explique d'une façon galante ! que dans tous leurs discours, et dans toutes leurs actions les gens de Cour ont un air agréable, et qu'est-ce que c'est auprès d'eux que nos gens de Province ? Demeure ici, je m'en vais faire la réponse. Adieu. J'ai peur qu'on vous surprenne ici, et j'ai quelques mesures à garder. J'y ferai mes efforts. S'il vous demeure quelque chose sur le cœur, je suis pour vous répondre. Ah mon père vous êtes là ! Non non, mon père, il n'est pas nécessaire. Il ne m'a aucune obligation de ce qu'il vient de voir, et tout ce que j'en fais n'est que pour l'amour de moi-même. Je me retire, mon père, pour ne me voir point obligée à recevoir ses compliments. Claudine. Laisse la porte entr'ouverte. St. Quoi ? Tout beau, Lubin. Oui. Est-ce pas vous, Clitandre ? Mon mari ronfle comme il faut, et j'ai pris ce temps pour nous entretenir ici. Adieu. Il est temps de se retirer. Nous nous sommes assez entretenus. Nous en écouterons une autre fois davantage. Nous trouverons moyen de nous revoir. Serez-vous assez fort pour avoir cette inquiétude, et pensez-vous qu'on soit capable d'aimer de certains maris qu'il y a. On les prend, parce qu'on ne s'en peut défendre, et que l'on dépend de parents qui n'ont des yeux que pour le bien, mais on sait leur rendre justice, et l'on se moque fort de les considérer au delà de ce qu'ils méritent. Elle a raison. Séparons-nous. Adieu. Rentrons sans faire de bruit. J'ai le passe-partout. On a fermé en dedans, et je ne sais comment nous ferons. Colin, Colin, Colin. Hé bien, quel grand mal est-ce qu'il y a à prendre le frais de la nuit ? Ah Ciel ! Hé je vous prie, faites-moi ouvrir la porte. Non, mon intention n'est pas de vous rien déguiser. Je ne prétends point me défendre, ni vous nier les choses, puisque vous les savez. Oui. Je confesse que j'ai tort, et que vous avez sujet de vous plaindre. Mais je vous demande par grâce de ne m'exposer point maintenant à la mauvaise humeur de mes parents, et de me faire promptement ouvrir. Ehmon pauvre petit mari. Je vous en conjure. Tenez. Je vous promets de ne vous plus donner aucun sujet de déplaisir, et de me... De grâce, laissez-moi vous dire. Je vous demande un moment d'audience. Il est vrai que j'ai failli, je vous l'avoue encore une fois, et que votre ressentiment est juste. Que j'ai pris le temps de sortir pendant que vous dormiez, et que cette sortie est un rendez-vous que j'avais donné à la personne que vous dites. Mais enfin ce sont des actions que vous devez pardonner à mon âge ; des emportements de jeune personne qui n'a encore rien vu, et ne fait que d'entrer au monde. Des libertés où l'on s'abandonne sans y penser de mal, et qui sans doute dans le fond n'ont rien de… Je ne veux point m'excuser par là d'être coupable envers vous, et je vous prie seulement d'oublier une offense, dont je vous demande pardon de tout mon cœur ; et de m'épargner en cette rencontre le déplaisir que me pourraient causer les reproches fâcheux de mon père et de ma mère. Si vous m'accordez généreusement la grâce que je vous demande ; ce procédé obligeant, cette bonté que vous me ferez voir, me gagnera entièrement. Elle touchera tout à fait mon cœur, et y fera naître pour vous ce que tout le pouvoir de mes parents et les liens du mariage n'avaient pu y jeter. En un mot, elle sera cause que je renoncerai à toutes les galanteries, et n'aurai de l'attachement que pour vous. Oui, je vous donne ma parole que vous m'allez voir désormais la meilleure femme du monde, et que je vous témoignerai tant d'amitié, tant d'amitié que vous en serez satisfait. Accordez-moi cette faveur. Montrez-vous généreux. De grâce. Je vous en conjure de tout mon cœur. Hé bien si vous me réduisez au désespoir, je vous avertis qu'une femme en cet état est capable de tout, et que je ferai quelque chose ici dont vous vous repentirez. Mon cœur se portera jusqu'aux extrêmes résolutions, et de ce couteau que voici je me tuerai sur la place. Pas tant à la bonne heure pour vous, que vous vous imaginez. On sait de tous côtés nos différends, et les chagrins perpétuels que vous concevez contre moi. Lorsqu'on me trouvera morte, il n'y aura personne qui mette en doute que ce ne soit vous qui m'aurez tuée ; et mes parents ne sont pas gens assurément à laisser cette mort impunie, et ils en feront sur votre personne toute la punition que leur pourront offrir, et les poursuites de la justice, et la chaleur de leur ressentiment. C'est par là que je trouverai moyen de me venger de vous, et je ne suis pas la première qui ait su recourir à de pareilles vengeances, qui n'ait pas fait difficulté de se donner la mort, pour perdre ceux qui ont la cruauté de nous pousser à la dernière extrémité. C'est une chose dont vous pouvez vous tenir sûr, et si vous persistez dans votre refus, si vous ne me faites ouvrir, je vous jure que tout à l'heure je vais vous faire voir jusques où peut aller la résolution d'une personne qu'on met au désespoir. Hé bien puisqu'il le faut, voici qui nous contentera tous deux, et montrera si je me moque. Ah c'en est fait. Fasse le Ciel que ma mort soit vengée comme je le souhaite, et que celui qui en est cause, reçoive un juste châtiment de la dureté qu'il a eue pour moi. St. Paix. Rangeons-nous chacune immédiatement contre un des côtés de la porte. Comment c'est toi !D'où viens-tu, bon pendard ? Est-il l'heure de revenir chez soi, quand le jour est près de paraître, et cette manière de vie est-elle celle que doit suivre un honnête mari ? Va, va, traître, je suis lasse de tes déportements, et je m'en veux plaindre sans plus tarder à mon père et à ma mère. Approchez de grâce, et venez me faire raison de l'insolence la plus grande du monde, d'un mari à qui le vin et la jalousie ont troublé de telle sorte la cervelle, qu'il ne sait plus ni ce qu'il dit, ni ce qu'il fait, et vous a lui-même envoyé querir pour vous faire témoins de l'extravagance la plus étrange dont on ait jamais ouï parler. Le voilà qui revient comme vous voyez, après s'être fait attendre toute la nuit, et si vous voulez l'écouter, il vous dira qu'il a les plus grandes plaintes du monde à vous faire de moi ; que durant qu'il dormait, je me suis dérobée d'auprès de lui pour m'en aller courir, et cent autres contes de même nature qu'il est allé rêver. Non, mon père, je ne puis plus souffrir un mari de la sorte. Ma patience est poussée à bout, et il vient de me dire cent paroles injurieuses. Vous n'avez qu'à l'écouter, il va vous en conter de belles. Ne voilà pas ce que je vous ai dit ? Moi ? lui pardonner tout ce qu'il m'a dit ? Non, non, mon père, il m'est impossible de m'y résoudre, et je vous prie de me séparer d'un mari avec lequel je ne saurais plus vivre. Comment patienter après de telles indignités ? non, mon père, c'est une chose où je ne puis consentir. Ce mot me ferme la bouche, et vous avez sur moi une puissance absolue. Il est fâcheux d'être contrainte d'oublier de telles injures, mais quelle violence que je me fasse, c'est à moi de vous obéir. Tout ce que vous me faites faire ne servira de rien, et vous verrez que ce sera dès demain à recommencer. **** *creator_moliere *book_moliere_georgedandin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_georgedandin *dist2_moliere_prose_comedy *id_monsieur-de-sotenville *date_1668 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurdesotenville Qu'est-ce, mon gendre ? vous me paraissez tout troublé. C'en est assez mamour, laissons cela. Corbleu, pardonnez-moi, on ne peut point me faire de leçons là-dessus, et j'ai su montrer en ma vie par vingt actions de vigueur, que je ne suis point homme à démordre jamais d'une partie de mes prétentions. Mais il suffit de lui avoir donné un petit avertissement. Sachons un peu, mon gendre, ce que vous avez dans l'esprit. Doucement, mon gendre. Apprenez qu'il n'est pas respectueux d'appeler les gens par leur nom, et qu'à ceux qui sont au-dessus de nous il faut dire Monsieur tout court. Tout beau. Apprenez aussi que vous ne devez pas dire ma femme, quand vous parlez de notre fille. Et la raison, mon gendre. Ne comptez-vous rien, mon gendre, l'avantage d'être allié à la maison de Sotenville ? Que veut dire cela, mon gendre ? Corbleu, dans la maison de Sotenville on n'a jamais vu de coquette, et la bravoure n'y est pas plus héréditaire aux mâles, que la chasteté aux femelles. Il y a eu une Mathurine de Sotenville qui refusa vingt mille écus d'un Favori du Roi, qui ne lui demandait seulement que la faveur de lui parler. Expliquez-vous, mon gendre, nous ne sommes point gens à la supporter dans de mauvaises actions, et nous serons les premiers, sa mère et moi, à vous en faire la justice. Corbleu, je lui passerais mon épée au travers du corps, à elle et au galant, si elle avait forfait à son honneur. Ne vous tourmentez point, je vous la ferai de tous deux, et je suis homme pour serrer le bouton à qui que ce puisse être. Mais êtes-vous bien sûr aussi de ce que vous nous dites ? Prenez bien garde au moins, car entre Gentilshommes, ce sont des choses chatouilleuses, et il n'est pas question d'aller faire ici un pas de Clerc. Mamour, allez-vous-en parler à votre fille, tandis qu'avec mon gendre j'irai parler à l'homme. Nous allons éclaircir l'affaire. Suivez-moi, mon gendre, et ne vous mettez pas en peine, vous verrez de quel bois nous nous chauffons lorsqu'on s'attaque à ceux qui nous peuvent appartenir. Monsieur, suis-je connu de vous ? Je m'appelle le baron de Sotenville. Monsieur, mon père Jean-Gilles de Sotenville eut la gloire d'assister en personne au grand siège de Montauban. Et j'ai eu un aïeul Bertrand de Sotenville, qui fut si considéré en son temps, que d'avoir permission de vendre tout son bien pour le voyage d'outre-mer. Il m'a été rapporté, Monsieur, que vous aimez et poursuivez une jeune personne, qui est ma fille pour laquelle je m'intéresse, et pour l'homme que vous voyez, qui a l'honneur d'être mon gendre. Oui. Et je suis bien aise de vous parler, pour tirer de vous, s'il vous plaît, un éclaircissement de cette affaire. Quelqu'un qui croit le bien savoir. Allons, mon gendre. Répondez. Soutenez donc la chose. Oui, c'est lui-même qui s'en est plaint à moi. Vous voilà satisfait, mon gendre, que dites-vous à cela ? Vous méritez, mon gendre, qu'on vous dise ces choses-là, et votre procédé met tout le monde contre vous. Cela est juste, et c'est l'ordre des procédés. Allons, mon gendre, faites satisfaction à Monsieur. Oui. Cela se doit dans les règles pour l'avoir à tort accusé. Il n'importe. Quelque pensée qui vous puisse rester, il a nié, c'est satisfaire les personnes, et l'on n'a nul droit de se plaindre de tout homme qui se dédit. Point de raisonnement. Faites-lui les excuses que je vous dis. Allons vous dis-je. Il n'y a rien à balancer, et vous n'avez que faire d'avoir peur d'en trop faire, puisque c'est moi qui vous conduis. Corbleu, mon gendre, ne m'échauffez pas la bile, je me mettrais avec lui contre vous. Allons. Laissez-vous gouverner par moi. Votre bonnet à la main le premier, Monsieur est Gentilhomme, et vous ne l'êtes pas. Répétez après moi. Monsieur. Des mauvaises pensées que j'ai eues de vous. C'est que je n'avais pas l'honneur de vous connaître. Et je vous prie de croire. Que je suis votre serviteur. Ah ! Non, je veux qu'il achève, et que tout aille dans les formes. Que je suis votre serviteur. Je vous baise les mains, et quand il vous plaira je vous donnerai le divertissement de courre un lièvre. Voilà, mon gendre, comme il faut pousser les choses. Adieu. Sachez que vous êtes entré dans une famille qui vous donnera de l'appui, et ne souffrira point que l'on vous fasse aucun affront. Comment, mon Gendre, vous en êtes encore là-dessus ? Ne vous lassez-vous point de vous rendre importun ? Corbleu cherchez des termes moins offensants que ceux-là. Si vous vous en souvenez, songez donc à parler d'elle avec plus de respect. Qu'avez-vous donc, et que pouvez-vous dire ?N'avez-vous pas vu ce matin qu'elle s'est défendue de connaître celui dont vous m'étiez venu parler ? Dans votre maison ? Oui. L'honneur de notre famille nous est plus cher que toute chose, et si vous dites vrai, nous la renoncerons pour notre sang, et l'abandonnerons à votre colère. N'allez pas faire comme tantôt. Oui, ma fille, et je vois qu'en sagesse, et en courage tu te montres un digne rejeton de la maison de Sotenville. Viens çà, approche-toi que je t'embrasse. Qu'est-ce, mon gendre ? que ne remerciez-vous un peu votre femme, de l'amitié que vous voyez qu'elle montre pour vous ? Où allez-vous, ma fille ? C'est un petit ressentiment de l'affaire de tantôt, et cela se passera avec un peu de caresse que vous lui ferez. Adieu, mon gendre, vous voilà en état de ne vous plus inquiéter. Allez-vous-en faire la paix ensemble, et tâchez de l'apaiser par des excuses de votre emportement. Comment, qu'est-ce à dire cela ? Corbleu vous êtes un malhonnête homme. Retirez-vous. Vous puez le vin à pleine bouche. Retirez-vous, vous dis-je. On ne peut vous souffrir. Allez. Vous vous moquez des gens. Descendez, ma fille, et venez ici. Ne nous rompez pas davantage la tête et songez à demander pardon à votre femme. Oui pardon, et sur-le-champ. Corbleu si vous me répliquez. Je vous apprendrai ce que c'est que de vous jouer à nous. Allons, venez, ma fille, que votre mari vous demande pardon. Ma fille, de semblables séparations ne se font point sans grand scandale, et vous devez vous montrer plus sage que lui, et patienter encore cette fois. Il le faut, ma fille, et c'est moi qui vous le commande. Approchez. Nous y donnerons ordre. Allons, mettez-vous à genoux. Oui à genoux, et sans tarder. Madame, je vous prie de me pardonner. L'extravagance que j'ai faite. Et je vous promets de mieux vivre à l'avenir. Prenez-y garde, et sachez que c'est ici la dernière de vos impertinences que nous souffrirons. Voilà le jour qui va paraître. Adieu. Rentrez chez vous, et songez bien à être sage. Et nous, mamour, allons nous mettre au lit. **** *creator_moliere *book_moliere_georgedandin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_georgedandin *dist2_moliere_prose_comedy *id_madame-de-sotenville *date_1668 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madamedesotenville Mon Dieu, notre gendre, que vous avez peu de civilité de ne pas saluer les gens quand vous les approchez. Encor !Est-il possible, notre gendre, que vous sachiez si peu votre monde, et qu'il n'y ait pas moyen de vous instruire de la manière qu'il faut vivre parmi les personnes de qualité ? Ne vous déferez-vous jamais avec moi de la familiarité de ce mot de ma belle-mère, et ne sauriez-vous vous accoutumer à me dire Madame. Il y a fort à dire, et les choses ne sont pas égales. Apprenez, s'il vous plaît, que ce n'est pas à vous à vous servir de ce mot-là avec une personne de ma condition ; Que tout notre gendre que vous soyez, il y a grande différence de vous à nous, et que vous devez vous connaître. Mon Dieu, Monsieur de Sotenville, vous avez des indulgences qui n'appartiennent qu'à vous, et vous ne savez pas vous faire rendre par les gens ce qui vous est dû. Oui, notre gendre, elle est votre femme, mais il ne vous est pas permis de l'appeler ainsi, et c'est tout ce que vous pourriez faire, si vous aviez épousé une de vos pareilles. Quoi parler ainsi d'une chose dont vous avez tiré de si grands avantages ? Et à celle de la Prudoterie, dont j'ai l'honneur d'être issue. Maison où le ventre anoblit : et qui par ce beau privilège rendra vos enfants Gentilshommes. Tout beau. Prenez garde à ce que vous dites. Ma fille est d'une race trop pleine de vertu pour se porter jamais à faire aucune chose dont l'honnêteté soit blessée, et de la maison de la Prudoterie, il y a plus de trois cents ans qu'on n'a point remarqué qu'il y ait eu une femme, Dieu merci, qui ait fait parler d'elle. Nous avons eu une Jacqueline de la Prudoterie qui ne voulut jamais être la Maîtresse d'un Duc et Pair, Gouverneur de notre Province. Nous n'entendons point raillerie sur les matières de l'honneur, et nous l'avons élevée dans toute la sévérité possible. Jour de Dieu, je l'étranglerais de mes propres mains, s'il fallait qu'elle forlignât de l'honnêteté de sa mère. Se pourrait-il, mon fils, qu'elle s'oubliât de la sorte, après le sage exemple que vous savez vous-même que je lui ai donné ? Pour ce qui est de cela, la jalousie est une étrange chose !J'amène ici ma fille pour éclaircir l'affaire en présence de tout le monde. Hé bien vous le voyez. Allez, vous ne méritez pas l'honnête femme qu'on vous a donnée. Allez, songez à mieux traiter une Demoiselle bien née, et prenez garde désormais à ne plus faire de pareilles bévues. Vous nous venez encore étourdir la tête ? Ne voulez-vous point vous défaire de vos pensées extravagantes ? Jour de Dieu, notre gendre, apprenez à parler. Souvenez-vous que vous avez épousé une Demoiselle. Avec elle ? Si cela est, nous serons pour vous contre elle. Gardez de vous tromper. Embrasse-moi aussi, ma fille. Las ! je pleure de joie, et reconnais mon sang aux choses que tu viens de faire. Sans doute, notre gendre, et vous devez maintenant être le plus content des hommes. Vous devez considérer que c'est une jeune fille élevée à la vertu, et qui n'est point accoutumée à se voir soupçonner d'aucune vilaine action. Adieu. Je suis ravie de voir vos désordres finis et des transports de joie que vous doit donner sa conduite. Voilà une furieuse impudence que de nous envoyer querir. Allez, vous devriez mourir de honte. Fi ne m'approchez pas. Votre haleine est empestée. Poua, vous m'engloutissez le cœur. Parlez de loin, si vous voulez. Taisez-vous, c'est une extravagance qui n'est pas supportable. Jour de Dieu, si vous y retournez, on vous apprendra le respect que vous devez à votre femme ; et à ceux de qui elle sort. **** *creator_moliere *book_moliere_georgedandin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_georgedandin *dist2_moliere_prose_comedy *id_clitandre *date_1668 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_clitandre Non pas que je sache, Monsieur. Je m'en réjouis fort. À la bonne heure. J'en suis ravi. Je le veux croire. Qui moi. Voilà une étrange médisance. Qui vous a dit cela, Monsieur ? Ce quelqu'un-là en a menti. Je suis honnête homme. Me croyez-vous capable, Monsieur, d'une action aussi lâche que celle-là ? Moi, aimer une jeune et belle personne, qui a l'honneur d'être la fille de Monsieur le baron de Sotenville. Je vous révère trop pour cela, et suis trop votre serviteur. Quiconque vous l'a dit est un sot. C'est un coquin et un maraud. Si je savais qui ce peut être, je lui donnerais en votre présence de l'épée dans le ventre. Est-ce votre gendre, Monsieur, qui... Certes, il peut remercier l'avantage qu'il a de vous appartenir, et sans cela je lui apprendrais bien à tenir de pareils discours d'une personne comme moi. Est-ce donc vous, Madame, qui avez dit à votre mari que je suis amoureux de vous ? Hé là là, Madame, tout doucement. Il n'est pas nécessaire de me faire tant de leçons, et de vous tant scandaliser. Qui vous dit que je songe à vous aimer ? On dira ce que l'on voudra. Mais vous savez si je vous ai parlé d'amour lorsque je vous ai rencontrée. Je vous assure qu'avec moi vous n'avez rien à craindre. Que je ne suis point homme à donner du chagrin aux Belles, et que je vous respecte trop, et vous et Messieurs vos parents, pour avoir la pensée d'être amoureux de vous. J'ai envoyé une ambassade ? Est-il vrai ? Monsieur, vous voyez comme j'ai été faussement accusé. Vous êtes homme qui savez les maximes du point d'honneur, et je vous demande raison de l'affront qui m'a été fait. Il suffit, Monsieur. Monsieur, je suis le vôtre de tout mon cœur, et je ne songe plus à ce qui s'est passé. Pour vous, Monsieur, je vous donne le bonjour, et suis fâché du petit chagrin que vous avez eu. C'est trop de grâces que vous me faites. Ah la voilà. Mais le mari est avec elle. Un moment d'entretien. Je n'ai pas osé envoyer de mes gens, mais, ma pauvre Claudine, il faut que je te récompense des bons offices que je sais que tu m'as rendus. Je te suis obligé. Dis-moi, as-tu rendu mon billet à ta belle maîtresse ? Mais, Claudine, n'y a-t-il pas moyen que je la puisse entretenir ? Mais le trouvera-t-elle bon, et n'y a-t-il rien à risquer ? Promettez-moi donc, Madame, que je pourrai vous parler cette nuit. Ah Ciel ! La nuit est avancée, et j'ai peur qu'il ne soit trop tard. Je ne vois point à me conduire. Lubin ! Est-ce par ici ? Elle a tort assurément. Mais si d'un côté elle nous empêche de voir, elle empêche de l'autre que nous ne soyons vus. C'est une grande question, et qui est difficile. Tu es curieux, Lubin. Je le crois. Tu as la mine d'avoir l'esprit subtil et pénétrant. Cela est admirable ! Tu sais donc lire, Lubin ? Nous voici contre la maison. C'est le signal que m'a donné Claudine. Aussi t'ai-je amené avec moi pour l'entretenir. Chut. J'entends quelque bruit. Ce sont elles. St. Madame. Ah ! Madame, que j'ai de joie ! Est-ce toi, Claudine ? Oui, Madame. Cherchons quelque lieu pour nous asseoir. Quoi si tôt ? Ah ! Madame, puis-je assez vous entretenir, et trouver en si peu de temps toutes les paroles dont j'ai besoin ? Il me faudrait des journées entières pour me bien expliquer à vous de tout ce que je sens ; et je ne vous ai pas dit encore la moindre partie de ce que j'ai à vous dire. Hélas ! de quel coup me percez-vous l'âme, lorsque vous parlez de vous retirer, et avec combien de chagrins m'allez-vous laisser maintenant ? Oui. Mais je songe qu'en me quittant, vous allez trouver un mari. Cette pensée m'assassine, et les privilèges qu'ont les maris sont des choses cruelles pour un Amant qui aime bien. Ah ! qu'il faut avouer que celui qu'on vous a donné était peu digne de l'honneur qu'il a reçu, et que c'est une étrange chose que l'assemblage qu'on a fait d'une personne comme vous avec un homme comme lui. Vous méritez sans doute une toute autre destinée, et le Ciel ne vous a point faite pour être la femme d'un paysan. Ah, Claudine, que tu es cruelle. Il faut donc s'y résoudre puisque vous le voulez. Mais au moins je vous conjure de me plaindre un peu, des méchants moments que je vais passer. **** *creator_moliere *book_moliere_georgedandin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_georgedandin *dist2_moliere_prose_comedy *id_claudine *date_1668 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_claudine Par ma foi voilà une étrange fausseté. Qui moi ? Hélas ! que le monde aujourd'hui est rempli de méchanceté, de m'aller soupçonner ainsi, moi qui suis l'innocence même. Madame, est-ce que... Assurément. Par ma foi, il mériterait qu'elle lui fît dire vrai, et si j'étais en sa place je n'y marchanderais pas. Oui, Monsieur, vous devez pour le punir, faire l'amour à ma Maîtresse. Poussez, c'est moi qui vous le dis, ce sera fort bien employé, et je m'offre à vous y servir, puisqu'il m'en a déjà taxée. Oui, j'ai bien deviné qu'il fallait que cela vînt de toi, et que tu l'eusses dit à quelqu'un qui l'ait rapporté à notre Maître. Vraiment ce Monsieur le Vicomte a bien choisi son monde que de te prendre pour son Ambassadeur, et il s'est allé servir là d'un homme bien chanceux. Oui, oui, il sera temps. Que veux-tu que j'écoute ? Hé bien qu'est-ce ? Quoi ? Non. Tout de bon ? À la bonne heure. Je m'en réjouis. Je fais comme font les autres. Tu serais peut-être jaloux comme notre Maître. Pour moi, je hais les maris soupçonneux, et j'en veux un qui ne s'épouvante de rien, un si plein de confiance, et si sûr de ma chasteté, qu'il me vît sans inquiétude au milieu de trente hommes. C'est la plus sotte chose du monde que de se défier d'une femme, et de la tourmenter. La vérité de l'affaire est qu'on n'y gagne rien de bon. Cela nous fait songer à mal, et ce sont souvent les maris qui avec leurs vacarmes se font eux-mêmes ce qu'ils sont. Voilà comme il faut faire pour n'être point trompé. Lorsqu'un mari se met à notre discrétion, nous ne prenons de liberté que ce qu'il nous en faut, et il en est comme avec ceux qui nous ouvrent leur bourse et nous disent, prenez. Nous en usons honnêtement, et nous nous contentons de la raison. Mais ceux qui nous chicanent, nous nous efforçons de les tondre, et nous ne les épargnons point. Hé bien bien nous verrons. Que veux-tu ? Ah ! doucement. Je n'aime pas les patineurs. Laisse-moi là, te dis-je, je n'entends pas raillerie. Ahy ! Je te donnerai sur le nez. Tu t'émancipes trop. Il faut que tu te donnes patience. Je suis votre Servante. Le mot est amoureux. Je vais remettre aux mains de ma Maîtresse... Mais la voici avec son Mari, éloignons-nous, et attendons qu'elle soit seule. J'avais, Madame, impatience qu'il s'en allât pour vous rendre ce mot de la part que vous savez. À ce que je puis remarquer, ce qu'on lui dit ne lui déplaît pas trop. Je crois qu'après les avoir vus, les Dandins ne vous plaisent guères. Je n'ai pas besoin, que je pense, de lui recommander de la faire agréable. Mais voici... Vraiment, Monsieur, vous avez pris là un habile messager. Eh ! Monsieur il n'est pas nécessaire. Non, Monsieur, vous n'avez que faire de vous donner cette peine-là, et je vous rends service, parce que vous le méritez, et que je me sens au cœur de l'inclination pour vous. Je te le garde aussi bien que le baiser. Oui, elle est allée y répondre. Oui, venez avec moi, je vous ferai parler à elle. Ah ! Madame, tout est perdu. Voilà votre père et votre mère accompagnés de votre mari. Fort, Madame, frappez comme il faut. Apprenez à qui vous vous jouez. Assurément. Voilà une femme, celle-là, vous êtes trop heureux de l'avoir, et vous devriez baiser les pas où elle passe. Elle a raison d'être en colère. C'est une femme qui mérite d'être adorée, et vous ne la traitez pas comme vous devriez. Hé bien ? Voilà qui est fait. St. Qu'est-ce ? Doucement, Monsieur. Oui. Vous avez pris l'une pour l'autre. C'est fort bien avisé. Madame, si vous avez à dire du mal de votre mari, dépêchez vite, car il est tard. Va, va, je le reçois de loin, et je t'en renvoie autant. La porte s'est fermée. Ouvrez donc doucement. Appelez le garçon qui couche là. Madame. Cela est-il beau d'aller ivrogner toute la nuit ? et de laisser ainsi toute seule une pauvre jeune femme dans la maison ? Oui, il nous a voulu faire accroire qu'il était dans la maison, et que nous en étions dehors, et c'est une folie qu'il n'y a pas moyen de lui ôter de la tête. C'est une conscience de voir une pauvre jeune femme traitée de la façon, et cela crie vengeance au Ciel. Il a tant bu, que je ne pense pas qu'on puisse durer contre lui, et l'odeur du vin qu'il souffle est montée jusqu'à nous. Vous voyez quelle apparence il y a. Le moyen d'y résister ? Quelle douceur ! Pauvre mouton ! **** *creator_moliere *book_moliere_georgedandin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_georgedandin *dist2_moliere_prose_comedy *id_lubin *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_lubin Voilà un homme qui me regarde. Il se doute de quelque chose. J'ai peur qu'il n'aille dire qu'il m'a vu sortir de làdedans. Serviteur. Non, je n'y suis venu que pour voir la Fête de demain. Chut. Paix. Motus, il ne faut pas dire que vous m'ayez vu sortir de là. Mon Dieu parce. Doucement. J'ai peur qu'on ne nous écoute. C'est que je viens de parler à la Maîtresse du logis de la part d'un certain Monsieur qui lui fait les doux yeux, et il ne faut pas qu'on sache cela. Entendez-vous ? Voilà la raison. On m'a enchargé de prendre garde que personne ne me vît, et je vous prie au moins de ne pas dire que vous m'ayez vu. Je suis bien aise de faire les choses secrètement comme on m'a recommandé. Le mari, à ce qu'ils disent, est un jaloux qui ne veut pas qu'on fasse l'amour à sa femme, et il ferait le diable à quatre si cela venait à ses oreilles. Vous comprenez bien. Il ne faut pas qu'il sache rien de tout ceci. On le veut tromper tout doucement. Vous entendez bien ? Si vous alliez dire que vous m'avez vu sortir de chez lui, vous gâteriez toute l'affaire. Vous comprenez bien ? C'est le Seigneur de notre pays, Monsieur le Vicomte de chose… foin je ne me souviens jamais comment diantre ils baragouinent ce nom-là, monsieur Cli... Clitande. Oui. Auprès de ces arbres. Testigué, c'est le plus honnête homme que vous ayez jamais vu. Il m'a donné trois pièces d'or pour aller dire seulement à la femme qu'il est amoureux d'elle, et qu'il souhaite fort l'honneur de pouvoir lui parler. Voyez s'il y a là une grande fatigue pour me payer si bien, et ce qu'est au prix de cela une journée de travail où je ne gagne que dix sols. Oui, j'ai trouvé là-dedans une certaine Claudine, qui tout du premier coup a compris ce que je voulais, et qui m'a fait parler à sa Maîtresse. Morguène cette Claudine-là est tout à fait jolie, elle a gagné mon amitié, et il ne tiendra qu'à elle que nous ne soyons mariés ensemble. Elle m'a dit de lui dire… attendez, je ne sais si je me souviendrai bien de tout cela. Qu'elle lui est tout à fait obligée de l'affection qu'il a pour elle, et qu'à cause de son mari qui est fantasque, il garde d'en rien faire paraître, et qu'il faudra songer à chercher quelque invention pour se pouvoir entretenir tous deux. Testiguiène, cela sera drôle, car le mari ne se doutera point de la manigance, voilà ce qui est de bon. Et il aura un pied de nez avec sa jalousie. Est-ce pas ? Adieu. Bouche cousue au moins. Gardez bien le secret, afin que le mari ne le sache pas. Pour moi je vais faire semblant de rien, je suis un fin matois, et l'on ne dirait pas que j'y touche. Par ma foi je n'en ai touché qu'un petit mot en passant à un homme, afin qu'il ne dît point qu'il m'avait vu sortir, et il faut que les gens en ce pays-ci soient de grands babillards. Va, une autre fois je serai plus fin, et je prendrai mieux garde à moi. Ne parlons plus de cela, écoute. Tourne un peu ton visage devers moi. Claudine. Hé là, ne sais-tu pas bien ce que je veux dire ? Morgué je t'aime. Oui le diable m'emporte, tu me peux croire, puisque j'en jure. Je me sens tout tribouiller le cœur quand je te regarde. Comment est-ce que tu fais pour être si jolie ? Vois-tu, il ne faut point tant de beurre pour faire un quarteron. Si tu veux tu seras ma femme, je serai ton mari, et nous serons tous deux mari et femme. Point. Hé bien, je serai tout comme cela. Hé bien, je te donnerai la liberté de faire tout ce qu'il te plaira. Va, je serai de ceux qui ouvrent leur bourse, et tu n'as qu'à te marier avec moi. Viens donc ici, Claudine. Viens, te dis-je. Eh un petit brin d'amitié. Claudine. Ah ! que tu es rude à pauvres gens. Fi, que cela est malhonnête de refuser les personnes. N'as-tu point de honte d'être belle, et de ne vouloir pas qu'on te caresse ? Eh là. Oh la farouche. La sauvage. Fi poua la vilaine, qui est cruelle. Qu'est-ce que cela te coûterait de me laisser un peu faire ? Un petit baiser seulement en rabattant sur notre mariage. Adieu beauté rude ânière. Adieu rocher, caillou, pierre de taille, et tout ce qu'il y a de plus dur au monde. Puisque nous serons mariés, donne-moi cela que je le mette avec le mien. Testiguenne que j'aurai là une habile femme, elle a de l'esprit comme quatre. Ah vous voilà, Monsieur le babillard, à qui j'avais tant recommandé de ne point parler, et qui me l'aviez tant promis. Vous êtes donc un causeur, et vous allez redire ce que l'on vous dit en secret. Oui. Vous avez été tout rapporter au mari. Et vous êtes cause qu'il a fait du vacarme. Je suis bien aise de savoir que vous avez de la langue, et cela m'apprendra à ne vous plus rien dire. Si vous n'aviez point babillé, je vous aurais conté ce qui se passe à cette heure, mais pour votre punition vous ne saurez rien du tout. Rien, rien. Voilà ce que c'est d'avoir causé, vous n'en tâterez plus, et je vous laisse sur la bonne bouche. Point. Nennin, nennin, vous avez envie de me tirer les vers du nez. Eh quelque sot. Je vous vois venir. Point d'affaire. Vous voudriez que je vous disse que Monsieur le Vicomte vient de donner de l'argent à Claudine, et qu'elle l'a mené chez sa Maîtresse. Mais je ne suis pas si bête. Non. Tarare ! Monsieur ? Je pense que oui. Morgué voilà une sotte nuit, d'être si noire que cela. Vous avez raison. Elle n'a pas tant de tort. Je voudrais bien savoir, Monsieur, vous qui êtes savant, pourquoi il ne fait point jour la nuit ? Oui. Si j'avais étudié, j'aurais été songer à des choses où on n'a jamais songé. Cela est vrai. Tenez. J'explique du Latin, quoique jamais je ne l'aie appris, et voyant l'autre jour écrit sur une grande porte Collegium, je devinai que cela voulait dire Collège. Oui. Je sais lire la lettre moulée, mais je n'ai jamais su apprendre à lire l'écriture. Par ma foi c'est une fille qui vaut de l'argent, et je l'aime de tout mon cœur. Monsieur, je vous suis… St. Claudine. Claudine, ma pauvre Claudine. Est-ce vous, Madame ? Ma foi la nuit on n'y voit goutte. Claudine, où est-ce que tu es ? Où es-tu donc, Claudine ? Ah te voilà. Par ma foi ton Maître est plaisamment attrapé, et je trouve ceci aussi drôle que les coups de bâton de tantôt dont on m'a fait récit. Ta Maîtresse dit qu'il ronfle à cette heure, comme tous les diantres, et il ne sait pas que Monsieur le Vicomte et elle sont ensemble pendant qu'il dort. Je voudrais bien savoir quel songe il fait maintenant. Cela est tout à fait risible ! De quoi s'avise-t-il aussi d'être jaloux de sa femme, et de vouloir qu'elle soit à lui tout seul ?C'est un impertinent, et Monsieur le Vicomte lui fait trop d'honneur. Tu ne dis mot, Claudine. Allons, suivons-les, et me donne ta petite menotte que je la baise. Ah que cela est doux ! Il me semble que je mange des confitures. (Comme il baise la main de Dandin, Dandin la lui pousse rudement au visage.) Tubleu, comme vous y allez. Voilà une petite menotte qui est un peu bien rude. Personne. Où es-tu, Claudine que je te donne le bonsoir. **** *creator_moliere *book_moliere_georgedandin *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_georgedandin *dist2_moliere_prose_comedy *id_colin *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_colin Monsieur. M'y voilà. On ne peut pas plus vite. Oui, Monsieur. Monsieur. Ici. Monsieur. Assurément. Nenni ma foi. Point, vous me voulez battre. Assurément ? Oui, Monsieur. **** *creator_moliere *book_moliere_impromptuversailles *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_impromptuversailles *dist2_moliere_prose_comedy *id_moliere *date_1663 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_moliere Allons donc, messieurs et mesdames, vous moquez-vous avec votre longueur, et ne voulez-vous pas tous venir ici ? La peste soit des gens ! Holà ho ! Monsieur de Brécourt Monsieur de La Grange ! Monsieur Du Croisy ! Mademoiselle Du Parc ! Mademoiselle Béjart ! Mademoiselle de Brie ! Mademoiselle Du Croisy ! Mademoiselle Hervé ! Je crois que je deviendrai fou avec tous ces gens-ci. Eh têtebleu ! Messieurs, me voulez-vous faire enrager aujourd'hui ? Ah ! Les étranges animaux à conduire que des comédiens ! De grâce, mettons-nous ici ; et puisque nous voilà tous habillés, et que le roi ne doit venir de deux heures, employons ce temps à répéter notre affaire et voir la manière dont il faut jouer les choses. Vous voilà tous bien malades, d'avoir un méchant rôle à jouer, et que feriez-vous donc si vous étiez en ma place ? Et n'ai-je à craindre que le manquement de mémoire ? Ne comptez-vous pour rien l'inquiétude d'un succès qui ne regarde que moi seul ? Et pensez-vous que ce soit une petite affaire que d'exposer quelque chose de comique devant une assemblée comme celle-ci, que d'entreprendre de faire rire des personnes qui nous impriment le respect et ne rient que quand ils veulent ? Est-il auteur qui ne doive trembler lorsqu'il en vient à cette épreuve ? Et n'est-ce pas à moi de dire que je voudrais en être quitte pour toutes les choses du monde ? Le moyen de m'en défendre, quand un roi me l'a commandé ? Mon Dieu, mademoiselle, les rois n'aiment rien tant qu'une prompte obéissance, et ne se plaisent point du tout à trouver des obstacles. Les choses ne sont bonnes que dans le temps qu'ils les souhaitent ; et leur en vouloir reculer le divertissement, est en ôter pour eux toute la grâce. Ils veulent des plaisirs qui ne se fassent point attendre ; et les moins préparés leur sont toujours les plus agréables. Nous ne devons jamais nous regarder dans ce qu'ils désirent de nous : nous ne sommes que pour leur plaire ; et lorsqu'ils nous ordonnent quelque chose, c'est à nous à profiter vite de l'envie où ils sont. Il vaut mieux s'acquitter mal de ce qu'ils nous demandent, que de ne s'en acquitter pas assez tôt ; et si l'on a la honte de n'avoir pas bien réussi, on a toujours la gloire d'avoir obéi vite à leurs commandements. Mais songeons à répéter, s'il vous plaît. Vous les saurez, vous dis-je ; et quand même vous ne les sauriez pas tout à fait, pouvez-vous pas y suppléer de votre esprit, puisque c'est de la prose, et que vous savez votre sujet ? Taisez-vous, ma femme, vous êtes une bête. Taisez-vous, je vous prie. Que de discours ! Ahy ! Laissons cela. Il n'est pas question de causer maintenant : nous avons autre chose à faire. Il est vrai ; mais j'ai mes raisons pour ne le pas faire, et je n'ai pas cru, entre nous, que la chose en valût la peine ; et puis il fallait plus de temps pour exécuter cette idée. Comme leurs jours de comédies sont les mêmes que les nôtres, à peine ai-je été les voir que trois ou quatre fois depuis que nous sommes à Paris ; je n'ai attrapé de leur manière de réciter que ce qui m'a d'abord sauté aux yeux, et j'aurais eu besoin de les étudier davantage pour faire des portraits bien ressemblants. C'est une idée qui m'avait passé une fois par la tête, et que j'ai laissée là comme une bagatelle, une badinerie, qui peut-être n'aurait point fait rire. Nous n'avons pas le temps maintenant. J'avais songé une comédie où il y aurait eu un poète, que j'aurais représenté moi-même, qui serait venu pour offrir une pièce à une troupe de comédiens nouvellement arrivés de la campagne. " Avez-vous, aurait-il dit, des acteurs et des actrices qui soient capables de bien faire valoir un ouvrage ? Car ma pièce est une pièce... Eh ! Monsieur, auraient répondu les comédiens, nous avons des hommes et des femmes qui ont été trouvés raisonnables partout où nous avons passé. Et qui fait les rois parmi vous ? Voilà un acteur qui s'en démêle parfois. Qui ? Ce jeune homme bien fait ? Vous moquez-vous ? Il faut un roi qui soit gros et gras comme quatre, un roi, morbleu ! Qui soit entripaillé comme il faut, un roi d'une vaste circonférence, et qui puisse remplir un trône de la belle manière. La belle chose qu'un roi d'une taille galante ! Voilà déjà un grand défaut ; mais que je l'entende un peu réciter une douzaine de vers. "Là-dessus le comédien aurait récité, par exemple, quelques vers du roi de Nicomède : Te le dirai-je, Araspe ? Il m'a trop bien servi ; Augmentant mon pouvoir... Le plus naturellement qu'il aurait été possible. Et le poète : Comment ? Vous appelez cela réciter ? C'est se railler : il faut dire les choses avec emphase. Écoutez-moi. Te le dirai-je, Araspe ?... Etc... Voyez-vous cette posture ? Remarquez bien cela. Là, appuyer comme il faut le dernier vers. Voilà ce qui attire l'approbation, et fait faire le brouhaha. Mais, Monsieur, aurait répondu le comédien, il me semble qu'un roi qui s'entretient tout seul avec son capitaine des gardes parle un peu plus humainement, et ne prend guère ce ton de démoniaque. Vous ne savez ce que c'est. Allez-vous-en réciter comme vous faites, vous verrez si vous ferez faire aucun "Ah !" Voyons un peu une scène d'amant et d'amante. "Là-dessus une comédienne et un comédien auraient fait une scène ensemble, qui est celle de Camille et de Curiace. Iras-tu, ma chère âme, et ce funeste honneur Te plaît-il aux dépens de tout notre bonheur ? Hélas ! Je vois trop bien..., etc... Tout de même que l'autre, et le plus naturellement qu'ils auraient pu. Et le poète aussitôt : " Vous vous moquez, vous ne faites rien qui vaille, et voici comme il faut réciter cela." Iras-tu, ma chère âme..., etc... Non, je te connais mieux..., etc... Voyez-vous comme cela est naturel et passionné ? Admirez ce visage riant qu'elle conserve dans les plus grandes afflictions." Enfin, voilà l'idée ; et il aurait parcouru de même tous les acteurs et toutes les actrices. Percé jusques au fond du cœur..., etc... Et celui-ci, le reconnaîtrez-vous bien dans Pompée de Sertorius ? L'inimitié qui règne entre les deux partis, n'y rend pas de l'honneur..., etc... Et celui-ci ? Seigneur, Polybe est mort..., etc... Mon Dieu, il n'y en a point qu'on ne pût attraper par quelque endroit, si je les avais bien étudiés. Mais vous me faites perdre un temps qui nous est cher. Songeons à nous, de grâce, et ne nous amusons point davantage à discourir. Vous, prenez garde à bien représenter avec moi votre rôle de marquis. Oui, toujours des marquis. Que diable voulez-vous qu'on prenne pour un caractère agréable de théâtre ? Le marquis aujourd'hui est le plaisant de la comédie ; et comme dans toutes les comédies anciennes on voit toujours un valet bouffon qui fait rire les auditeurs, de même, dans toutes nos pièces de maintenant, il faut toujours un marquis ridicule qui divertisse la compagnie. Pour vous, mademoiselle... Mon Dieu, mademoiselle, voilà comme vous disiez lorsque l'on vous donna celui de la Critique de l'École des femmes ; cependant vous vous en êtes acquittée à merveille, et tout le monde est demeuré d'accord qu'on ne peut pas mieux faire que vous avez fait. Croyez-moi, celui-ci sera de même ; et vous le jouerez mieux que vous ne pensez. Cela est vrai ; et c'est en quoi vous faites mieux voir que vous êtes excellente comédienne, de bien représenter un personnage qui est si contraire à votre humeur. Tâchez donc de bien prendre, tous, le caractère de vos rôles, et de vous figurer que vous êtes ce que vous représentez. Vous faites le poète, vous, et vous devez vous remplir de ce personnage, marquer cet air pédant qui se conserve parmi le commerce du beau monde, ce ton de voix sentencieux, et cette exactitude de prononciation qui appuie sur toutes les syllabes, et ne laisse échapper aucune lettre de la plus sévère orthographe. Pour vous, vous faites un honnête homme de Cour, comme vous avez déjà fait dans la "Critique de l'École des femmes", c'est-à-dire que vous devez prendre un air posé, un ton de voix naturel, et gesticuler le moins qu'il vous sera possible. Pour vous, je n'ai rien à vous dire. Vous, vous représentez une de ces femmes qui, pourvu qu'elles ne fassent point l'amour, croient que tout le reste leur est permis, de ces femmes qui se retranchent toujours fièrement sur leur pruderie, regardent un chacun de haut en bas, et veulent que toutes les plus belles qualités que possèdent les autres ne soient rien en comparaison d'un misérable honneur dont personne ne se soucie. Ayez toujours ce caractère devant les yeux, pour en bien faire les grimaces. Pour vous, vous faites une de ces femmes qui pensent être les plus vertueuses personnes du monde pourvu qu'elles sauvent les apparences, de ces femmes qui croient que le péché n'est que dans le scandale, qui veulent conduire doucement les affaires qu'elles ont sur le pied d'attachement honnête, et appellent amis ce que les autres nomment galants. Entrez bien dans ce caractère. Vous, vous faites le même personnage que dans la critique, et je n'ai rien à vous dire, non plus qu'à mademoiselle Du Parc. Pour vous, vous représentez une de ces personnes qui prêtent doucement des charités à tout le monde, de ces femmes qui donnent toujours le petit coup de langue en passant, et seraient bien fâchées d'avoir souffert qu'on eût dit du bien du prochain. Je crois que vous ne vous acquitterez pas mal de ce rôle. Et pour vous, vous êtes la soubrette de la précieuse, qui se mêle de temps en temps dans la conversation, et attrape, comme elle peut, tous les termes de sa maîtresse. Je vous dis tous vos caractères, afin que vous vous les imprimiez fortement dans l'esprit. Commençons maintenant à répéter, et voyons comme cela ira. Ah ! Voici justement un fâcheux ! Il ne nous fallait plus que cela. Monsieur, votre serviteur. La peste soit de l'homme ! Fort bien, pour vous servir. Mesdemoiselles, ne... Je vous suis obligé. Que le diable t'emporte ! Ayez un peu soin... Oui, Monsieur. N'oubliez pas... Oui, Monsieur. De grâce, songez... Oui, Monsieur. Ah ! Ma foi, je ne sais. Il faut, s'il vous plaît, que vous... Comme vous voyez. Je vous prie... Quand le roi sera venu. Au diantre le questionneur ! La peste m'étouffe, Monsieur, si je le sais. Tenez, Monsieur, je suis le plus ignorant homme du monde ; je ne sais rien de tout ce que vous pourrez me demander, je vous jure. J'enrage ! Ce bourreau vient, avec un air tranquille, vous faire des questions, et ne se soucie pas qu'on ait en tête d'autres affaires. Ah ! Bon, le voilà d'un autre côté. Vous ne voulez pas faire en aller cet homme-là ? Monsieur, ces demoiselles ont peine à vous dire qu'elles souhaiteraient fort que personne ne fût ici pendant cette répétition. Monsieur, c'est une coutume qu'elles observent, et vous aurez plus de plaisir quand les choses vous surprendront. Point du tout, Monsieur ; ne vous hâtez pas, de grâce. Ah ! Que le monde est plein d'impertinents ! Or sus, commençons. Figurez-vous donc premièrement que la scène est dans l'antichambre du roi ; car c'est un lieu où il se passe tous les jours des choses assez plaisantes. Il est aisé de faire venir là toutes les personnes qu'on veut, et on peut trouver des raisons même pour y autoriser la venue des femmes que j'introduis. La comédie s'ouvre par deux marquis qui se rencontrent. Souvenez-vous bien, vous, de venir, comme je vous ai dit, là, avec cet air qu'on nomme le bel air, peignant votre perruque, et grondant une petite chanson entre vos dents. La, la, la, la, la, la. Rangez-vous donc, vous autres, car il faut du terrain à deux marquis ; et ils ne sont pas gens à tenir leur personne dans un petit espace. Allons, parlez. Mon Dieu, ce n'est point là le ton d'un marquis ; il faut le prendre un peu plus haut ; et la plupart de ces messieurs affectent une manière de parler particulière, pour se distinguer du commun : "Bonjour, marquis." Recommencez donc. Ah ! Marquis, ton serviteur. Parbleu ! Tu vois : j'attends que tous ces messieurs aient débouché la porte, pour présenter là mon visage. Il y a là vingt gens qui sont fort assurés de n'entrer point, et qui ne laissent pas de se presser, et d'occuper toutes les avenues de la porte. Cela est bon pour toi ; mais pour moi, je ne veux pas être joué par Molière. Moi ? Je suis ton valet : c'est toi-même en propre personne. Parbleu ! Je te trouve plaisant de me donner ce qui t'appartient. Ha, ha, ha, cela est bouffon. Il est vrai, c'est moi. Détestable, morbleu ! Détestable ! Tarte à la crème ! C'est moi, c'est moi, assurément, c'est moi. Et que veux-tu gager encore ? Et moi, cent pistoles que c'est toi. Comptant : quatre-vingt-dix pistoles sur Amyntas, et dix pistoles comptant. Cela est fait. Le tien est bien aventuré. Voici un homme qui nous jugera. Chevalier ! Bon. Voilà l'autre qui prend le ton de marquis ! Vouai-je pas dit que vous faites un rôle où l'on doit parler naturellement ? Allons donc. Chevalier ! Juge-nous un peu sur une gageure que nous avons faite. Nous disputons qui est le marquis de la critique de Molière : il gage que c'est moi, et moi je gage que c'est lui. Ma foi, chevalier, tu veux justifier Molière, et épargner notre ami que voilà. Soit. Mais, dis-moi, chevalier, crois-tu pas que ton Molière est épuisé maintenant, et qu'il ne trouvera plus de matière pour ?... Attendez, il faut marquer davantage tout cet endroit. Écoutez-le-moi dire un peu. "Et qu'il ne trouvera plus de matière pour... Plus de matière ? Hé ! Mon pauvre marquis, nous lui en fournirons toujours assez, et nous ne prenons guère le chemin de nous rendre sages pour tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit. Crois-tu qu'il ait épuisé dans ses comédies tout le ridicule des hommes ? Et, sans sortir de la cour, n'a-t-il pas encore vingt caractères de gens où il n'a point touché ? N'a-t-il pas, par exemple, ceux qui se font les plus grandes amitiés du monde, et qui, le dos tourné, font galanterie de se déchirer l'un l'autre ? N'a-t-il pas ces adulateurs à outrance, ces flatteurs insipides, qui n'assaisonnent d'aucun sel les louanges qu'ils donnent, et dont toutes les flatteries ont une douceur fade qui fait mal au cœur à ceux qui les écoutent ? N'a-t-il pas ces lâches courtisans de la faveur, ces perfides adorateurs de la fortune, qui vous encensent dans la prospérité et vous accablent dans la disgrâce ? N'a-t-il pas ceux qui sont toujours mécontents de la cour, ces suivants inutiles, ces incommodes assidus, ces gens, dis-je, qui pour services ne peuvent compter que des importunités, et qui veulent que l'on les récompense d'avoir obsédé le prince dix ans durant ? N'a-t-il pas ceux qui caressent également tout le monde, qui promènent leurs civilités à droit et à gauche, et courent à tous ceux qu'ils voient avec les mêmes embrassades et les mêmes protestations d'amitié ? Monsieur, votre très humble serviteur. Monsieur, je suis tout à votre service. Tenez-moi des vôtres, mon cher. Faites état de moi, Monsieur, comme du plus chaud de vos amis. Monsieur, je suis ravi de vous embrasser. Ah ! Monsieur, je ne vous voyais pas ! Faites-moi la grâce de m'employer. Soyez persuadé que je suis entièrement à vous. Vous êtes l'homme du monde que je révère le plus. Il n'y a personne que j'honore à l'égal de vous. Je vous conjure de le croire. Je vous supplie de n'en point douter. Serviteur. Très humble valet. Va, va, marquis, Molière aura toujours plus de sujets qu'il n'en voudra ; et tout ce qu'il a touché jusqu'ici n'est rien que bagatelle au prix de ce qui reste." Voilà à peu près comme cela doit être joué. Poursuivez. Là-dessus vous arrivez toutes deux. Prenez bien garde, vous, à vous déhancher comme il faut, et à faire bien des façons. Cela vous contraindra un peu ; mais qu'y faire ? Il faut parfois se faire violence. Mesdames, voilà des coffres qui vous serviront de fauteuils. Bon. Après ces petites cérémonies muettes, chacun prendra place, et parlera assis, hors les marquis, qui tantôt se lèveront, et tantôt s'assoiront, suivant leur inquiétude naturelle. "Parbleu ! Chevalier, tu devrais faire prendre médecine à tes canons. Ils se portent fort mal. Il est vrai, on me l'a voulu lire ; et c'est un nommé br... Brou... Brossaut qui l'a faite. Et moi aussi. Par la sambleu ! Le railleur sera raillé ; il aura sur les doigts, ma foi ! Par la sambleu ! On m'a dit qu'on le va dauber, lui et toutes ses comédies, de la belle manière, et que les comédiens et les auteurs, depuis le cèdre jusqu'à l'hysope, sont diablement animés contre lui. Et moi de même, parbleu ! Ma foi, chevalier, mon ami, il faudra que ton Molière se cache. Parbleu ! Ce sera donc du bout des dents qu'il y rira. Mais, chevalier... J'enrage de vous ouïr parler de la sorte ; et voilà votre manie, à vous autres femmes. Vous voudriez que je prisse feu d'abord contre eux, et qu'à leur exemple j'allasse éclater promptement en invectives et en injures. Le bel honneur que j'en pourrais tirer, et le grand dépit que je leur ferais ! Ne se sont-ils pas préparés de bonne volonté à ces sortes de choses ? Et lorsqu'ils ont délibéré s'ils joueraient le portrait du peintre, sur la crainte d'une riposte, quelques-uns d'entre eux n'ont-ils pas répondu : "Qu'il nous rende toutes les injures qu'il voudra, pourvu que nous gagnions de l'argent ?" N'est-ce pas là la marque d'une âme fort sensible à la honte ? Et ne me vengerais-je pas bien d'eux en leur donnant ce qu'ils veulent bien recevoir ? Il est vrai, ces trois ou quatre mots sont fort offensants, et ils ont grande raison de les citer. Allez, allez, ce n'est pas cela. Le plus grand mal que je leur aie fait, c'est que j'ai eu le bonheur de plaire un peu plus qu'ils n'auraient voulu ; et tout leur procédé, depuis que nous sommes venus à Paris, a trop marqué ce qui les touche. Mais laissons-les faire tant qu'ils voudront ; toutes leurs entreprises ne doivent point m'inquiéter. Ils critiquent mes pièces : tant mieux ; et Dieu me garde d'en faire jamais qui leur plaise ! Ce serait une mauvaise affaire pour moi. Et qu'est-ce que cela me fait ? N'ai-je pas obtenu de ma comédie tout ce que j'en voulais obtenir, puisqu'elle a eu le bonheur d'agréer aux augustes personnes à qui particulièrement je m'efforce de plaire ? N'ai-je pas lieu d'être satisfait de sa destinée, et toutes leurs censures ne viennent-elles pas trop tard ? Est-ce moi, je vous prie, que cela regarde maintenant ? Et lorsqu'on attaque une pièce qui a eu du succès, n'est-ce pas attaquer plutôt le jugement de ceux qui l'ont approuvée, que l'art de celui qui l'a faite ? Vous êtes folle. Le beau sujet à divertir la cour que Monsieur Boursaut ! Je voudrais bien savoir de quelle façon on pourrait l'ajuster pour le rendre plaisant, et si, quand on le bernerait sur un théâtre, il serait assez heureux pour faire rire le monde. Ce lui serait trop d'honneur que d'être joué devant une auguste assemblée : il ne demanderait pas mieux : et il m'attaque de gaieté de cœur, pour se faire connaître de quelque façon que ce soit. C'est un homme qui n'a rien à perdre, et les comédiens ne me l'ont déchaîné que pour m'engager à une sotte guerre, et me détourner, par cet artifice, des autres ouvrages que j'ai à faire ; et cependant, vous êtes assez simples pour donner toutes dans ce panneau. Mais enfin j'en ferai ma déclaration publiquement. Je ne prétends faire aucune réponse à toutes leurs critiques et leurs contre-critiques. Qu'ils disent tous les maux du monde de mes pièces, j'en suis d'accord. Qu'ils s'en saisissent après nous, qu'ils les retournent comme un habit pour les mettre sur leur théâtre, et tâchent à profiter de quelque agrément qu'on y trouve, et d'un peu de bonheur que j'ai, j'y consens : ils en ont besoin, et je serai bien aise de contribuer à les faire subsister, pourvu qu'ils se contentent de ce que je puis leur accorder avec bienséance. La courtoisie doit avoir des bornes ; et il y a des choses qui ne font rire ni les spectateurs, ni celui dont on parle. Je leur abandonne de bon cœur mes ouvrages, ma figure, mes gestes, mes paroles, mon ton de voix, et ma façon de réciter, pour en faire et dire tout ce qu'il leur plaira, s'ils en peuvent tirer quelque avantage : je ne m'oppose point à toutes ces choses, et je serai ravi que cela puisse réjouir le monde. Mais en leur abandonnant tout cela, ils me doivent faire la grâce de me laisser le reste et de ne point toucher à des matières de la nature de celles sur lesquelles on m'a dit qu'ils m'attaquaient dans leurs comédies. C'est de quoi je prierai civilement cet honnête Monsieur qui se mêle d'écrire pour eux, et voilà toute la réponse qu'ils auront de moi. Mais enfin, vous me feriez devenir fou. Ne parlons point de cela davantage ; nous nous amusons à faire des discours, au lieu de répéter notre comédie. Où en étions-nous ? Je ne m'en souviens plus. Mon Dieu ! J'entends du bruit : c'est le roi qui arrive assurément ; et je vois bien que nous n'aurons pas le temps de passer outre. Voilà ce que c'est de s'amuser. Oh bien ! Faites donc pour le reste du mieux qu'il vous sera possible. Comment, vous ne sauriez aller jouer votre rôle ? Que pensez-vous donc faire ? Vous moquez-vous toutes de moi ? Ah ! Monsieur, vous me voyez dans la plus grande peine du monde, je suis désespéré à l'heure que je vous parle ! Voici des femmes qui s'effrayent et qui disent qu'il leur faut répéter leurs rôles avant que d'aller commencer Nous demandons, de grâce, encore un moment. Le roi a de la bonté, et il sait bien que la chose a été précipitée. Eh ! De grâce, tâchez de vous remettre, prenez courage, je vous prie. Comment m'excuser ?... Tout à l'heure, Monsieur. Je crois que je perdrai l'esprit de cette affaire-ci, et... Dans un moment, Monsieur. Et quoi donc ? Voulez-vous que j'aie l'affront ?... Oui, Monsieur, nous y allons. Eh ! Que de gens se font de fête, et viennent dire : "Commencez donc, à qui le roi ne l'a pas commandé !" Voilà qui est fait, Monsieur. Quoi donc ? Recevrai-je la confusion ?... Monsieur, vous venez pour nous dire de commencer, mais... Ah ! Monsieur, vous me redonnez la vie ! Le roi nous fait la plus grande grâce du monde de nous donner du temps pour ce qu'il avait souhaité ; et nous allons tous le remercier des extrêmes bontés qu'il nous fait paraître. **** *creator_moliere *book_moliere_impromptuversailles *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_impromptuversailles *dist2_moliere_prose_comedy *id_brecourt *date_1663 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_brecourt Quoi ? Que voulez-vous qu'on fasse ? Nous ne savons pas nos rôles ; et c'est nous faire enrager vous-même, que de nous obliger à jouer de la sorte. Et moi, pour vingt bons coups de fouet, je vous assure. Quoi ? Il est vrai. Quoi ? Et quelle ? Et moi, je juge que ce n'est ni l'un ni l'autre. Vous êtes fous tous deux, de vouloir vous appliquer ces sortes de choses ; et voilà de quoi j'ouïs l'autre jour se plaindre Molière, parlant à des personnes qui le chargeaient de même chose que vous. Il disait que rien ne lui donnait du déplaisir comme d'être accusé de regarder quelqu'un dans les portraits qu'il fait ; que son dessein est de peindre les mœurs sans vouloir toucher aux personnes, et que tous les personnages qu'il représente sont des personnages en l'air, et des fantômes proprement, qu'il habille à sa fantaisie, pour réjouir les spectateurs ; qu'il serait bien fâché d'y avoir jamais marqué qui que ce soit ; et que si quelque chose était capable de le dégoûter de faire des comédies, c'était les ressemblances qu'on y voulait toujours trouver, et dont ses ennemis tâchaient malicieusement d'appuyer la pensée, pour lui rendre de mauvais offices auprès de certaines personnes à qui il n'a jamais pensé. Et en effet je trouve qu'il a raison ; car pourquoi vouloir, je vous prie, appliquer tous ses gestes et toutes ses paroles, et chercher à lui faire des affaires en disant hautement : "Il joue un tel, " lorsque ce sont des choses qui peuvent convenir à cent personnes ? Comme l'affaire de la comédie est de représenter en général tous les défauts des hommes, et principalement des hommes de notre siècle, il est impossible à Molière de faire aucun caractère qui ne rencontre quelqu'un dans le monde ; et s'il faut qu'on l'accuse d'avoir songé toutes les personnes ou l'on peut trouver les défauts qu'il peint, il faut sans doute qu'il ne fasse plus de comédies. Plus de matière ? Eh ! Mon pauvre marquis, nous lui en fournirons toujours assez, et nous ne prenons guère le chemin de nous rendre sages pour tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit." C'est assez. "Voici Climène et Élise." Comment ? Serviteur à la turlupinade ! Sans doute ; et pour moi je réponds de douze marquis, de six précieuses, de vingt coquettes, et de trente cocus, qui ne manqueront pas d'y battre des mains. Qui, lui ? Je te promets, marquis, qu'il fait dessein d'aller, sur le théâtre, rire avec tous les autres du portrait qu'on a fait de lui. Va, va, peut-être qu'il y trouvera plus de sujets de rire que tu ne penses. On m'a montré la pièce ; et comme tout ce qu'il y a d'agréable sont effectivement les idées qui ont été prises de Molière, la joie que cela pourra donner n'aura pas lieu de lui déplaire, sans doute ; car, pour l'endroit où on s'efforce de le noircir, je suis le plus trompé du monde, si cela est approuvé de personne ; et quant à tous les gens qu'ils ont tâché d'animer contre lui, sur ce qu'il fait, dit-on, des portraits trop ressemblants, outre que cela est de fort mauvaise grâce, je ne vois rien de plus ridicule et de plus mal repris ; et je n'avais pas cru jusqu'ici que ce fût un sujet de blâme pour un comédien, que de peindre trop bien les hommes. Sur la réponse ? Ma foi, je le trouverais un grand fou, s'il se mettait en peine de répondre à leurs invectives. Tout le monde sait assez de quel motif elles peuvent partir ; et la meilleure réponse qu'il leur puisse faire, c'est une comédie qui réussisse comme toutes ses autres. Voilà le vrai moyen de se venger d'eux comme il faut ; et de l'humeur dont je les connais, je suis fort assuré qu'une pièce nouvelle qui leur enlèvera le monde, les fâchera bien plus que toutes les satires qu'on pourrait faire de leurs personnes. **** *creator_moliere *book_moliere_impromptuversailles *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_impromptuversailles *dist2_moliere_prose_comedy *id_la-grange *date_1663 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_lagrange Qu'est-ce ? Le moyen de jouer ce qu'on ne sait pas ? "Bonjour, Marquis." "Bonjour, Marquis." Que fais-tu là ? Têtebleu ! Quelle foule ! Je n'ai garde de m'y aller frotter, et j'aime mieux entrer des derniers. Crions nos deux noms à l'huissier, afin qu'il nous appelle. Je pense pourtant, marquis, que c'est toi qu'il joue dans la critique. Ah ! Ma foi, tu es bon de m'appliquer ton personnage. Ha, ha, ha, cela est drôle. Quoi ! Tu veux soutenir que ce n'est pas toi qu'on joue dans le marquis de la critique ? Oui parbleu ! C'est toi ; tu n'as que faire de railler ; et si tu veux, nous gagerons, et verrons qui a raison des deux. Je gage cent pistoles que c'est toi. Cent pistoles comptant ? Je le veux. Ton argent court grand risque. À qui nous en rapporter ? Point du tout. C'est toi qu'il épargne, et nous trouverons d'autres juges. Et moi aussi, Dieu me sauve ! Les comédiens m'ont dit qu'ils l'attendaient sur la réponse, et que... **** *creator_moliere *book_moliere_impromptuversailles *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_impromptuversailles *dist2_moliere_prose_comedy *id_du-croisy *date_1663 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_ducroisy Plaît-il ? J'en voudrais être quitte pour dix pistoles. Monsieur, elle est affichée sous le nom de Boursaut ; mais, à vous dire le secret, bien des gens ont mis la main à cet ouvrage, et l'on en doit concevoir une assez haute attente. Comme tous les auteurs et tous les comédiens regardent Molière comme leur plus grand ennemi, nous nous sommes tous unis pour le desservir. Chacun de nous a donné un coup de pinceau à son portrait ; mais nous nous sommes bien gardés d'y mettre nos noms : il lui aurait été trop glorieux de succomber, aux yeux du monde, sous les efforts de tout le Parnasse ; et pour rendre sa défaite plus ignominieuse, nous avons voulu choisir tout exprès un auteur sans réputation. La représentation de cette comédie, Madame, aura besoin d'être appuyée, et les comédiens de l'Hôtel... Il est vrai que j'ai l'avantage de ne point faire d'ennemis, et que tous mes ouvrages ont l'approbation des savants. Je ne sais ; mais je me prépare fort à paraître des premiers sur les rangs, pour crier : "Voilà qui est beau !" **** *creator_moliere *book_moliere_impromptuversailles *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_impromptuversailles *dist2_moliere_prose_comedy *id_la-thorilliere *date_1663 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_lathorilliere Bonjour, Monsieur Molière. Comment vous en va ? Je viens d'un lieu où j'ai bien dit du bien de vous. Vous jouez une pièce nouvelle aujourd'hui ? C'est le roi qui vous la fait faire ? Comment l'appelez-vous ? Je vous demande comment vous la nommez. Comment serez-vous habillés ? Quand commencerez-vous ? Quand croyez-vous qu'il vienne ? Savez-vous point ?... Mesdemoiselles, votre serviteur. Vous voilà belle comme un petit ange. Jouez-vous toutes deux aujourd'hui ? Sans vous, la comédie ne vaudrait pas grand'chose. Ah ! Parbleu ! Je ne veux pas vous empêcher : vous n'avez qu'à poursuivre. Non, non, je serais fâché d'incommoder personne. Faites librement ce que vous avez à faire. Je suis homme sans cérémonie, vous dis-je, et vous pouvez répéter ce qui vous plaira. Pourquoi ? Il n'y a point de danger pour moi. Je m'en vais donc dire que vous êtes prêts. **** *creator_moliere *book_moliere_impromptuversailles *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_impromptuversailles *dist2_moliere_prose_comedy *id_bejart *date_1663 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_bejart Messieurs, je viens vous avertir que le roi est venu, et qu'il attend que vous commenciez. Non, messieurs, je viens pour vous dire qu'on a dit au roi l'embarras où vous vous trouviez, et que, par une bonté toute particulière, il remet votre nouvelle comédie à une autre fois, et se contente, pour aujourd'hui, de la première que vous pourrez donner. **** *creator_moliere *book_moliere_impromptuversailles *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_impromptuversailles *dist2_moliere_prose_comedy *id_mademoiselle-du-parc *date_1663 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_mademoiselleduparc Hé bien ? Quelle est votre pensée ? Pour moi, je vous déclare que je ne me souviens pas d'un mot de mon personnage. Pour moi, j'en ai reconnu quelques-uns dans votre bouche. Mon Dieu, pour moi, je m'acquitterai fort mal de mon personnage, et je ne sais pas pourquoi vous m'avez donné ce rôle de façonnière. Comment cela se pourrait-il faire ? Car il n'y a point de personne au monde qui soit moins façonnière que moi. Vous voyez : je viens attendre ici la sortie d'un homme avec qui j'ai une affaire à démêler. "Allons, Madame, prenez place, s'il vous plaît. Ah ! Que dites-vous là, Madame ? Ne me regardez point, je suis du dernier laid aujourd'hui. Fi ! Je suis épouvantable, vous dis-je, et je me fais peur à moi-même. Point, point. Ah ! Fi donc, je vous prie ! Mon Dieu, non. Vous me désespérez. Ahy. Mon Dieu, que vous êtes une étrange personne ! Vous voulez furieusement ce que vous voulez. Hélas ! Je ne sais pas seulement ce qu'on appelle mettre quelque chose. Mais où vont ces dames ? Pour moi, je vous avoue que j'en ai toutes les joies imaginables. Cela lui apprendra à vouloir satiriser tout. Comment ? Cet impertinent ne veut pas que les femmes aient de l'esprit ? Il condamne toutes nos expressions élevées, et prétend que nous parlions toujours terre à terre ! Mon Dieu, qu'ils n'appréhendent rien. Je leur garantis le succès de leur pièce, corps pour corps. Pour moi, j'y payerai de ma personne comme il faut ; et je réponds d'une bravoure d'approbation, qui mettra en déroute tous les jugements ennemis. C'est bien la moindre chose que nous devions faire, que d'épauler de nos louanges le vengeur de nos intérêts. Ni moi le mien. Vous devez vous aller excuser. **** *creator_moliere *book_moliere_impromptuversailles *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_impromptuversailles *dist2_moliere_prose_comedy *id_mademoiselle-bejart *date_1663 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_mademoisellebejart Qu'y a-t-il ? Eh bien, nous voilà. Que prétendez-vous faire ? Et moi, je me prépare fort à tenir mon rôle à la main. Qui, vous ? Vous n'êtes pas à plaindre ; car, ayant fait la pièce, vous n'avez pas peur d'y manquer. Si cela vous faisait trembler, vous prendriez mieux vos précautions, et n'auriez pas entrepris en huit jours ce que vous avez fait. Le moyen ? Une respectueuse excuse fondée sur l'impossibilité de la chose, dans le peu de temps qu'on vous donne ; et tout autre, en votre place, ménagerait mieux sa réputation, et se serait bien gardé de se commettre comme vous faites. Où en serez-vous, je vous prie, si l'affaire réussit mal ? Et quel avantage pensez-vous qu'en prendront tous vos ennemis ? Comment prétendez-vous que nous fassions, si nous ne savons pas nos rôles ? Je suis votre servante : la prose est pis encore que les vers. Mais puisqu'on vous a commandé de travailler sur le sujet de la critique qu'on a faite contre vous, que n'avez-vous fait cette comédie des comédiens, dont vous nous avez parlé il y a longtemps ? C'était une affaire toute trouvée et qui venait fort bien à la chose, et d'autant mieux, qu'ayant entrepris de vous peindre, ils vous ouvraient l'occasion de les peindre aussi, et que cela aurait pu s'appeler leur portrait, à bien plus juste titre que tout ce qu'ils ont fait ne peut être appelé le vôtre. Car vouloir contrefaire un comédien dans un rôle comique, ce n'est pas le peindre lui-même, c'est peindre d'après lui les personnages qu'il représente, et se servir des mêmes traits et des mêmes couleurs qu'il est obligé d'employer aux différents tableaux des caractères ridicules qu'il imite d'après nature ; mais contrefaire un comédien dans des rôles sérieux, c'est le peindre par des défauts qui sont entièrement de lui, puisque ces sortes de personnages ne veulent ni les gestes, ni les tons de voix ridicules dans lesquels on le reconnoît. Il est vrai, on ne s'en saurait passer. Passe pour tout cela ; mais il satirise même les femmes de bien, et ce méchant plaisant leur donne le titre d'honnêtes diablesses. Assurément. Souffrez que j'interrompe pour un peu la répétition. Voulez-vous que je vous dise ? Si j'avais été en votre place, j'aurais poussé les choses autrement. Tout le monde attend de vous une réponse vigoureuse ; et après la manière dont on m'a dit que vous étiez traité dans cette comédie, vous étiez en droit de tout dire contre les comédiens, et vous deviez n'en épargner aucun. Mais enfin... Par ma foi, la frayeur me prend, et je ne saurais aller jouer mon rôle, si je ne le répète tout entier. Non. **** *creator_moliere *book_moliere_impromptuversailles *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_impromptuversailles *dist2_moliere_prose_comedy *id_mademoiselle-de-brie *date_1663 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_mademoiselledebrie Que veut-on ? De quoi est-il question ? Je sais bien qu'il me faudra souffler le mien d'un bout à l'autre. En effet ; il fallait s'excuser avec respect envers le roi, ou demander du temps davantage. Je n'ai jamais ouï parler de cela. Dites-la-moi un peu, puisque vous l'avez dite aux autres. Seulement deux mots. Je trouve cette idée assez plaisante, et j'en ai reconnu là dès le premier vers. Continuez, je vous prie. Je le reconnais un peu, je pense. Oui, je sais qui c'est ; mais il y en a quelques-uns d'entre eux, je crois, que vous auriez peine à contrefaire. Monsieur, nous avons ici quelque chose à répéter ensemble. Mais... Oui, mais... Vous voulez bien, mesdames, que nous vous donnions, en passant, la plus agréable nouvelle du monde. Voilà Monsieur Lysidas, qui vient de nous avertir qu'on a fait une pièce contre Molière, que les grands comédiens vont jouer. Le langage n'est rien ; mais il censure tous nos attachements, quelque innocents qu'ils puissent être ; et de la façon qu'il en parle, c'est être criminelle que d'avoir du mérite. Et ce qu'il nous faut faire toutes. Ils se sont fort plaints, toutefois, de trois ou quatre mots que vous avez dits d'eux dans la critique et dans vos précieuses. Il n'y a pas grand plaisir pourtant à voir déchirer ses ouvrages. Ma foi, j'aurais joué ce petit Monsieur l'auteur, qui se mêle d'écrire contre des gens qui ne songent pas à lui. Vous en étiez à l'endroit... Ni moi non plus. **** *creator_moliere *book_moliere_impromptuversailles *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_impromptuversailles *dist2_moliere_prose_comedy *id_mademoiselle-moliere *date_1663 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_mademoisellemoliere Et moi aussi. Voulez-vous que je vous dise ? Vous deviez faire une comédie où vous auriez joué tout seul. Grand merci, Monsieur mon mari. Voilà ce que c'est : le mariage change bien les gens, et vous ne m'auriez pas dit cela il y a dix-huit mois. C'est une chose étrange qu'une petite cérémonie soit capable de nous ôter toutes nos belles qualités, et qu'un mari et un galant regardent la même personne avec des yeux si différents. Ma foi, si je faisais une comédie, je la ferais sur ce sujet. Je justifierais les femmes de bien des choses dont on les accuse ; et je ferais craindre aux maris la différence qu'il y a de leurs manières brusques aux civilités des galants. Toujours des marquis ! "Certes, Madame, je vous ai reconnue de loin, et j'ai bien vu à votre air que ce ne pouvait être une autre que vous. Et moi de même." Après vous, Madame." Mon Dieu ! Madame, que je vous trouve le teint d'une blancheur éblouissante, et les lèvres d'un couleur de feu surprenant ! Eh, Madame, levez un peu votre coiffe. Vous êtes si belle ! Montrez-vous. De grâce. Si fait. Un moment. Résolument, vous vous montrerez. On ne peut point se passer de vous voir. Ah ! Madame, vous n'avez aucun désavantage à paraître au grand jour, je vous jure. Les méchantes gens qui assuraient que vous mettiez quelque chose ! Vraiment, je les démentirai bien maintenant. C'est un impertinent. Il faut qu'il en ait tout le soûl. Vous avez raison, Madame. Trop de gens sont intéressés à la trouver belle. Je vous laisse à penser si tous ceux qui se croient satirisés par Molière, ne prendront pas l'occasion de se venger de lui en applaudissant à cette comédie. En effet. Pourquoi aller offenser toutes ces personnes-là, et particulièrement les cocus, qui sont les meilleurs gens du monde ? Cela lui sied fort bien. Pourquoi fait-il de méchantes pièces que tout Paris va voir, et où il peint si bien les gens, que chacun s'y connaît ? Que ne fait-il des comédies comme celles de Monsieur Lysidas ? Il n'aurait personne contre lui et tous les auteurs en diraient du bien. Il est vrai que de semblables comédies n'ont pas ce grand concours de monde ; mais, en revanche, elles sont toujours bien écrites, personne n'écrit contre elles, et tous ceux qui les voient meurent d'envie de les trouver belles. Vous faites bien d'être content de vous. Cela vaut mieux que tous les applaudissements du public, et que tout l'argent qu'on saurait gagner aux pièces de Molière. Que vous importe qu'il vienne du monde à vos comédies, pourvu qu'elles soient approuvées par messieurs vos confrères ? Mais quand jouera-t-on le portrait du peintre ? C'est fort bien dit. Ni moi. **** *creator_moliere *book_moliere_impromptuversailles *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_impromptuversailles *dist2_moliere_prose_comedy *id_mademoiselle-du-croisy *date_1663 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_mademoiselleducroisy Qu'est-ce que c'est ? Ni moi non plus ; mais avec cela je ne répondrais pas de ne point manquer. Oui, Monsieur. Cela est insupportable. Il n'y a pas une femme qui puisse plus rien faire. Que ne laisse-t-il en repos nos maris, sans leur ouvrir les yeux et leur faire prendre garde à des choses dont ils ne s'avisent pas ? Sans doute. Ni moi. **** *creator_moliere *book_moliere_impromptuversailles *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_impromptuversailles *dist2_moliere_prose_comedy *id_mademoiselle-herve *date_1663 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_mademoiselleherve On y va. Pour moi, je n'ai pas grand'chose à dire. Point de quartier à ce contrefaiseur de gens. Ni moi. **** *creator_moliere *book_moliere_impromptuversailles *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_impromptuversailles *dist2_moliere_prose_comedy *id_un-necessaire *date_1663 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_unnecessaire Messieurs, commencez donc. **** *creator_moliere *book_moliere_impromptuversailles *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_impromptuversailles *dist2_moliere_prose_comedy *id_autre-necessaire *date_1663 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_autrenecessaire Messieurs, commencez donc. Messieurs, commencez donc. Messieurs, commencez donc. **** *creator_moliere *book_moliere_jalousiedubarbouille *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_jalousiedubarbouille *dist2_moliere_prose_comedy *id_le-barbouille *date_1660 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lebarbouille Il faut avouer que je suis le plus malheureux de tous les hommes, j'ai une femme qui me fait enrager au lieu de me donner du soulagement, et de faire les choses à mon souhait, elle me fait donner au diable vingt fois le jour, au lieu de se tenir à la maison, elle aime la promenade, la bonne chère, et fréquente je ne sais quelle sorte de gens, ah pauvre Barbouillé, que tu es misérable, il faut pourtant la punir. Si je la tuais, l'invention ne vaut rien, car tu serais pendu. Si tu la faisais mettre en prison, la carogne en sortirait avec son passe-partout, que diable faire donc, mais voilà Monsieur le Docteur qui passe par ici, il faut que je lui demande un bon conseil sur ce que je dois faire. Je m'en allais vous chercher pour vous faire une prière sur une chose qui m'est d'importance. Ma foi excusez-moi, c'est que j'avais l'Esprit en écharpe, et je ne songeais pas à ce que je faisais, mais je sais bien que vous êtes galant homme. Qu'il vienne de Villejuif ou d'Aubervilliers, je ne m'en soucie guère. Je vous prends pour un Docteur. Or çà, parlons un peu de l'affaire que je vous veux proposer, il faut que vous sachiez. D'accord, c'est que... Eh bien, Monsieur le Docteur. Que diable, je n'en doute pas, écoutez-moi donc. Il faut que j'aie bonne patience. Ho, parle tant que tu voudras. Que diable est ceci, je croyais trouver un homme bien savant qui me donnerait un bon Conseil, et je trouve un Ramoneur de cheminée qui au lieu de me parler, s'amuse à jouer à la mourre. 1. 2. 3. 4. ah, ah, ah, oh bien ce n'est pas cela, c'est que je vous prie de m'écouter, et croyez que je ne suis pas un homme à vous faire perdre vos peines, et que si vous me satisfaisiez sur ce que je veux de vous, je vous donnerai ce que vous voudrez, de l'argent, si vous en voulez. Oui de l'argent et toute autre chose que vous pourriez demander. Ma foi je m'y suis mépris à cause qu'il est vêtu comme un Médecin, j'ai cru qu'il lui fallait parler d'argent, mais puisqu'il n'en veut point, il n'y a rien de plus aisé que de le contenter, je m'en vais courir après lui. Ma foi, sans aller chez le Notaire, voilà le certificat de mon cocuage, ah, ah, Madame la carogne, je vous trouve avec un homme après toutes les défenses que je vous ai faites, et vous me voulez envoyer de Gemini en Capricorne ! Vous vous gâteriez par ma foi toutes deux, Mesdames les carognes, et toi Cathau tu corromps ma femme, depuis que tu la sers, elle ne vaut pas la moitié de ce qu'elle valait. Cette coquine-là m'appelle ivrogne, tiens je suis bien tenté de te bailler une quinte major en présence de tes parents. Monsieur le Docteur... À la mienne volonté... J'enrage. Eh Monsieur le Docteur écoutez-moi de grâce. Oh ma foi si se rompt, si se casse, ou si se brise, je ne m'en mets guère en peine, mais tu m'écouteras, ou je te vais casser ton museau doctoral, et que Diable donc est ceci ? Je savais bien que j'aurais raison de ce diable de Docteur et de toute sa fichue doctrine, au diable l'ignorant, j'ai bien renvoyé toute la science par terre, il faut pourtant que j'aille un peu voir si notre bonne ménagère m'aura fait à souper. Cathau, Cathau, eh bien qu'a-t-elle fait Cathau, et d'où venez-vous, Madame la carogne, à l'heure qu'il est et par le temps qu'il fait ? Oui, ah ma foi tu peux aller coucher d'où tu viens, ou si tu l'aimes mieux dans la rue, je n'ouvre point à une coureuse comme toi, comment diable être toute seule à l'heure qu'il est, je ne sais si c'est imagination, mais mon front m'en paraît plus rude de moitié. Il faut être retirée à la maison, donner ordre au souper, avoir soin du ménage, des enfants, mais sans tant de discours inutiles, adieu, bonsoir, va-t'en au Diable, et me laisse en repos. Non je n'ouvrirai pas. Ah Crocodile, ah Serpent dangereux tu me caresses pour me trahir. Adieu, Vade Retro Satanas. Non. Non, je suis inflexible, tu m'as offensé, je suis vindicatif comme tous les Diables, c'est-à-dire bien fort, je suis inexorable. Et que feras-tu, bonne chienne ? Ah, ah, ah, ah, la bonne bête, et qui y perdra le plus de nous deux, va, va, tu n'es pas si sotte que de faire ce coup-là. Prends garde, voilà qui est bien pointu. Je t'ai déjà dit vingt fois que je n'ouvrirai point, tue-toi, crève, va-t'en au diable, je ne m'en soucie pas. Serait-elle bien assez sotte pour avoir fait ce coup-là, il faut que je descende avec la chandelle pour aller voir. Eh bien ne savais-je pas bien qu'elle n'était pas si sotte, elle est morte et si elle court comme le cheval de Pacolet, ma foi, elle m'avait fait peur tout de bon, elle a bien fait de gagner au pied, car si je l'eusse trouvée en vie après m'avoir fait cette frayeur-là, je lui aurais apostrophé cinq ou six clystères de coups de pied dans le cul, pour lui apprendre à faire la bête. Je m'en vais me coucher cependant. Oh, oh, je pense que le vent a fermé la porte. Eh Cathau, Cathau ouvre-moi. Ouvre vite, Diablesse que tu es, ou je te casserai la tête. Je me donne au diable si j'ai sorti de la maison, et demandez plutôt à ces Messieurs qui sont là-bas dans le parterre, c'est elle qui ne fait que de revenir. Ah, que l'innocence est opprimée. Moi pardon ! j'aimerais mieux que le Diable l'eût emportée, je suis dans une colère que je ne me sens pas. **** *creator_moliere *book_moliere_jalousiedubarbouille *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_jalousiedubarbouille *dist2_moliere_prose_comedy *id_le-docteur *date_1660 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_ledocteur Il faut que tu sois bien mal appris, bien Lourdaud, et bien mal morigéné, mon ami, puisque tu m'abordes sans ôter ton chapeau, sans observer rationem loci, temporis et personæ. Quoi débuter d'abord par un discours mal digéré, au lieu de dire Salve, vel Salvus sis Doctor, Doctorum Eruditissime, eh pour qui me prends-tu, mon ami ? Sais-tu bien d'où vient le mot de galant homme ? Sache que le mot de galant homme vient d'élégant, prenant le g et l'a de la dernière syllabe cela fait ga, et puis prenant l, ajoutant un a et les deux dernières lettres, cela fait galant et puis ajoutant homme, cela fait galant homme. Mais encore pour qui me prends-tu ! Sache auparavant que je ne suis pas seulement un Docteur, mais que je suis 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9 et 10 fois Docteur. 1º Parce que comme l'unité est la Base, le fondement et le premier de tous les nombres, aussi moi je suis le premier de tous les Docteurs, le docte des doctes. 2º Parce qu'il y a deux facultés nécessaires pour la parfaite connaissance de toutes choses, le Sens et l'Entendement, et comme je suis tout Sens et tout Entendement je suis deux fois Docteur. 3º Parce que le nombre de 3 est celui de la perfection selon Aristote, et, comme je suis parfait, et que toutes mes Productions le sont aussi, je suis 3 fois Docteur. 4º Parce que la Philosophie a quatre parties, la Logique, Morale, Physique, et Métaphysique, et comme je les possède toutes quatre et que je suis parfaitement versé en icelles, je suis quatre fois Docteur. 5º Parce qu'il y a cinq universelles, le Genre, l'Espèce, la Différence, le Propre et l'Accident, sans la connoissance desquels il est impossible de faire aucun bon raisonnement, et comme je m'en sers avec avantage, et que j'en connais l'utilité, je suis cinq fois Docteur. 6º Parce que le nombre de six est le nombre du travail, et comme je travaille incessamment pour ma gloire, je suis six fois docteur. 7° Parce que le nombre de sept est le nombre de la félicité, et comme je possède une parfaite connaissance de tout ce qui peut rendre heureux, et que je le suis en effet par mes talents, je me sens obligé de dire de moi-même O ter quatuorque beatum ! 8° Parce que le nombre de 8 est le nombre de la justice à cause de l'Égalité qui se rencontre en lui, et que la justice et la prudence avec laquelle je mesure et pèse toutes mes actions me rendent huit fois Docteur. 9° Parce qu'il y a neuf muses, et que je suis également chéri d'elles. 10° Parce que, comme on ne peut passer le nombre de dix sans faire une Répétition des autres nombres, et qu'il est le nombre universel, aussi, aussi quand on m'a trouvé, on a trouvé le Docteur universel, je contiens en moi tous les autres Docteurs, ainsi tu vois par des Raisons plausibles, vraies, démonstratives et convaincantes, que je suis 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. et 10 fois Docteur. Eh, de l'argent. Tu me prends donc pour un homme à qui l'argent fait tout faire, pour un homme attaché à l'intérêt, pour une âme mercenaire, sache, mon ami, que quand tu me donnerais une bourse pleine de pistoles, et que cette bourse serait dans une riche boîte, cette boîte dans un Étui précieux, cet Étui dans un coffret admirable, ce coffret dans un cabinet curieux, ce cabinet dans une chambre magnifique, cette chambre dans un appartement agréable, cet appartement dans un château pompeux, ce château dans une Citadelle incomparable, cette citadelle dans une ville célèbre, cette ville dans une Île fertile, cette Île dans une province opulente, cette province dans une Monarchie florissante, cette Monarchie dans tout le monde, et que tu me donnerais le monde où serait cette Monarchie florissante, où serait cette province opulente, où serait cette Île fertile, où serait cette ville célèbre, où serait cette Citadelle incomparable, où serait ce Château pompeux, où serait cet appartement agréable, où serait cette chambre magnifique, où serait ce cabinet curieux, où serait ce coffret admirable, où serait cet Étui précieux, où serait cette riche boîte dans laquelle serait enfermée la bourse pleine de pistoles, que je me soucierais aussi peu de ton argent et de toi, que de cela. Qu'est ceci, quel désordre, quelle querelle, quel grabuge, quel vacarme, quel bruit, quel différend, quelle combustion, qu'y a-t-il, Messieurs, qu'y a-t-il, qu'y a-t-il, çà, çà, voyons un peu s'il n'y a pas moyen de vous mettre d'accord, que je sois votre pacificateur, que j'apporte l'union chez vous. Et qu'est-ce que c'est, voyons, dites-moi un peu la cause de leur différend. Mais en peu de paroles. Savez-vous d'où vient le mot bonnet ? Cela vient de Bonum est, bon est voilà qui est bon, parce qu'il garantit des catarrhes et fluxions. Dites donc vite cette querelle. Je ne crois pas que vous soyez homme à me tenir longtemps, puisque je vous en prie, j'ai quelques affaires pressantes qui m'appellent à la ville, mais pour remettre la paix dans votre famille, je veux bien m'arrêter un moment. Soyez donc bref. Il faut avouer Monsieur Gorgibus, que c'est une belle qualité que de dire les choses en peu de paroles, et que les grands parleurs au lieu de se faire écouter, se rendent le plus souvent si importuns, qu'on ne les entend point. Virtutem primam esse puta compescere linguam. Oui, la plus belle qualité d'un honnête homme c'est de parler peu. Socrate recommandait trois choses fort soigneusement à ses disciples, la retenue dans les actions, la sobriété dans le manger, et de dire les choses en peu de paroles, commencez donc, Monsieur Gorgibus. En peu de mots, sans façon, sans vous amuser à beaucoup de discours, tranchez-moi d'un apophtegme, vite vite, Monsieur Gorgibus, dépêchons, évitez la prolixité. Monsieur Gorgibus, touchez là ! vous parlez trop, il faut que quelque autre me dise la cause de leur querelle. Vous êtes un ignorant, un Indocte, un homme ignare de toutes les bonnes disciplines, un âne en bon français, eh quoi vous commencez la narration sans avoir fait un mot d'Exorde. Il faut que quelque autre me conte le désordre, Mademoiselle, contez-moi un peu le détail de ce vacarme. Doucement s'il vous plaît, parlez avec respect de votre Époux, quand vous êtes devant la moustache d'un Docteur comme moi. Tu es Docteur quand tu veux, mais je pense que tu es un plaisant Docteur, tu as la mine de suivre fort ton Caprice, des parties de raison tu n'aimes que la conjonction, des genres, le masculin, des déclinaisons, le génitif, de la syntaxe, mobile cum fixo, et enfin de la quantité tu n'aimes que le Dactyle quia constat ex una longa et duabus brevibus. Venez çà vous, dites-moi un peu quelle est la cause, le sujet de votre combustion. Voilà qui est bien commencé, Monsieur le Docteur, ce mot de Docteur a quelque chose de doux à l'oreille, quelque chose plein d'emphase, Monsieur le Docteur Voilà qui est bien, à la mienne volonté, la volonté présuppose le souhait, le souhait présuppose des moyens pour arriver à ses fins, et la fin présuppose un objet, voilà qui est bien, à la mienne volonté. Ôtez-moi ce mot, j'enrage, voilà un terme bas et populaire. Audi, quæso, aurait dit Cicéron. Eh quoi toujours du bruit, du désordre, de la dissension, des querelles, des débats, des différends, des combustions, des altercations éternelles, qu'est-ce, qu'y a-t-il donc, on ne saurait avoir du repos ? À propos d'accord, voulez-vous que je vous lise un chapitre d'Aristote où il prouve que toutes les parties de l'univers ne subsistent que par l'accord qui est entre elles. Non, cela n'est pas long, cela contient environ soixante ou quatre-vingts pages. Vous ne le voulez pas ? Adieu donc puisqu'ainsi est, bonsoir, latine, bona nox. **** *creator_moliere *book_moliere_jalousiedubarbouille *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_jalousiedubarbouille *dist2_moliere_prose_comedy *id_angelique *date_1660 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_angelique Monsieur, je vous assure que vous m'obligez beaucoup de me tenir quelquefois compagnie, mon mari est si mal bâti, si débauché, si ivrogne, que ce m'est un supplice d'être avec lui, et je vous laisse à penser quelle satisfaction on peut avoir d'un rustre comme lui. Monsieur, ne m'en dites pas davantage, je suis votre servante et vous rends grâces de la peine que vous avez prise. Eh bien faut-il gronder pour cela. Ce Monsieur vient de m'apprendre que mon frère est bien malade, où est le sujet de querelles. Laisse là cet Ivrogne, ne vois-tu pas qu'il est si soûl qu'il ne sait ce qu'il dit ? Mais aussi c'est lui qui commence toujours à... Voyez-vous bien là mon gros coquin, mon sac à vin de mari ? Ah vraiment oui, Docteur, je me moque bien de vous et de votre doctrine, et je suis Docteur quand je veux. Cependant que mon mari n'y est pas, je vais faire un tour à un bal que donne une de mes voisines, je serai revenue auparavant lui, car il est quelque part au Cabaret, il ne s'apercevra pas que je suis sortie, ce maroufle-là me laisse toute seule à la maison comme si j'étais son chien. Que je suis malheureuse, j'ai été trop tard, l'assemblée est finie, je suis arrivée justement comme tout le monde sortait, mais il n'importe, ce sera pour une autre fois, je m'en vais cependant au logis comme si de rien n'était. Mais la porte est fermée. Cathau. Cathau. D'où je viens, ouvre-moi seulement, et je te le dirai après. Eh bien pour être toute seule qu'en veux-tu dire, tu me querelles quand je suis en compagnie, comment faut-il donc faire ? Tu ne veux pas m'ouvrir. Eh mon pauvre petit mari, je t'en prie, ouvre-moi, mon cher petit cœur. Ouvre, ouvre donc. Quoi, tu ne m'ouvriras point ? Tu n'as point de pitié de ta femme qui t'aime tant ? Sais-tu bien que si tu me pousses à bout et que tu me mettes en colère, je ferai quelque chose dont tu te repentiras ? Tiens, si tu ne m'ouvres, je m'en vais me tuer devant la porte, mes parents qui sans doute viendront ici auparavant de se coucher pour savoir si nous sommes bien ensemble me trouveront morte, et tu seras pendu. Tu ne le crois donc pas, tiens, tiens, voilà mon couteau tout prêt, si tu ne m'ouvres, je m'en vais tout à cette heure m'en donner dans le cœur. Tu ne veux donc pas m'ouvrir ? Adieu donc, aïe je suis morte. Il faut que je l'attrape, si je peux entrer dans la maison subtilement, cependant que tu me chercheras, chacun aura bien son tour. Cathau, Cathau, eh bien, qu'a-t-elle fait, Cathau, et d'où venez-vous Monsieur l'Ivrogne, ah vraiment va, mes parents qui vont venir dans un moment, sauront tes vérités, Sac à vin infâme, tu ne bouges du Cabaret, et tu laisses une pauvre femme avec des petits Enfants, sans savoir s'ils ont besoin de quelque chose, à croquer le marmot tout le long du jour. Mais voyez un peu, le voilà qui est soûl, et revient à l'heure qu'il est faire un vacarme horrible, il me menace. **** *creator_moliere *book_moliere_jalousiedubarbouille *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_jalousiedubarbouille *dist2_moliere_prose_comedy *id_valere *date_1660 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_valere Mademoiselle, vous me faites trop d'honneur de me vouloir souffrir, et je vous promets de contribuer de tout mon pouvoir à votre divertissement, et que puisque vous témoignez que ma compagnie ne vous est point désagréable, je vous ferai connaître combien j'ai de joie de la bonne nouvelle que vous m'apprenez, par mes empressements. Mademoiselle, je suis au désespoir de vous apporter de si méchantes nouvelles, mais aussi bien les auriez-vous apprises de quelque autre, et puisque votre frère est fort malade... Monsieur, je vous suis obligé du soin que vous avez pris, et je vous promets de me rendre à l'assignation que vous me donnez, dans une heure. Allons donc ensemble de ce pas. **** *creator_moliere *book_moliere_jalousiedubarbouille *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_jalousiedubarbouille *dist2_moliere_prose_comedy *id_cathau *date_1660 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_cathau Ah changez de discours, voyez porte-guignon qui arrive. Ah le voilà venu, je m'étonnais bien si nous aurions longtemps du repos. Vraiment oui vous nous la baillez bonne. Que maudite soit l'heure que vous avez choisi ce grigou... **** *creator_moliere *book_moliere_jalousiedubarbouille *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_jalousiedubarbouille *dist2_moliere_prose_comedy *id_gorgibus *date_1660 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_gorgibus Ne voilà pas encore mon maudit gendre qui querelle ma fille. Eh quoi toujours se quereller, vous n'aurez point la paix dans votre ménage ? Je dédonne au diable l'escarcelle si vous l'aviez fait. C'est mon Gendre et ma fille qui ont eu bruit ensemble. Monsieur. Oui-da. Mettez donc votre bonnet. Nenni. Ma foi je ne savais pas cela. Voici ce qui est arrivé. J'aurai fait en un moment. Voilà qui est fait incontinent. Vous saurez donc. C'est ce que je veux faire. Laissez-moi donc parler. Allons, ma fille, retirez-vous chez vous, et vivez bien avec votre mari. Qu'est ceci, toujours de la dispute, de la querelle, et de la Dissension ? Mais aussi ce n'est pas là l'heure de revenir, ne devriez-vous pas comme un bon père de famille, vous retirer de bonne heure et bien vivre avec votre femme ? Allons, ma fille, embrassez votre mari, et soyez bons amis. Il n'en est pas de besoin. Non. **** *creator_moliere *book_moliere_jalousiedubarbouille *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_jalousiedubarbouille *dist2_moliere_prose_comedy *id_villebrequin *date_1660 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_villebrequin Il faut savoir ce que c'est. Allons taisez-vous, la paix. Monsieur le Docteur, vous saurez que... Adieu, Serviteur et bonsoir. Eh quoi, vous ne serez jamais d'accord ? Çà, çà, allons accordez-vous, demandez-lui pardon. Ce n'est rien, Monsieur le Docteur, tout le monde est d'accord. Cela est-il bien long ? Adieu, bonsoir, nous vous remercions. Allons-nous-en souper ensemble, nous autres. **** *creator_moliere *book_moliere_jalousiedubarbouille *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_jalousiedubarbouille *dist2_moliere_prose_comedy *id_la-vallee *date_1660 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_lavallee Cela ne peut se différer, et si vous tardez un quart d'heure le bal sera fini dans un moment, et vous n'aurez pas le bien d'y voir celle que vous aimez, si vous n'y venez tout présentement. **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_argan *date_1673 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_argan Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Trois et deux font cinq. Plus du vingt-quatrième, un petit Clystère insinuatif, préparatif, et rémolliant, pour amollir, humecter, et rafraîchir les entrailles de Monsieur, trente sols. Ce qui me plaît de Monsieur Fleurant mon Apothicaire, c'est que ses Parties sont toujours fort civiles. Les entrailles de Monsieur, trente sols ! Oui : mais Monsieur Fleurant, ce n'est pas tout que d'être civil, il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades. Trente sols un Lavement ? Je suis votre Serviteur, je vous l'ai déjà dit. Vous ne me les avez mis dans les autres Parties qu'à vingt sols ; et vingt sols en langage d'Apothicaire, c'est à dire dix sols. Les voilà. Plus, dudit jour un bon Clystère détersif, composé avec Catholicon double, Rhubarbe, Miel rosat et autres, suivant l'Ordonnance, pour balayer, laver, et nettoyer le bas ventre de Monsieur, trente sols. Avec votre permission, dix sols. Plus dudit jour, le soir, un Julep hépatique, soporatif et somnifère, composé pour faire dormir Monsieur, trente cinq sols. Je ne me plains pas de celui-là, car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize, et dix-sept sols six deniers. Plus, du vingt-cinquième, une bonne Médecine purgative et corroborative, composée de Casse récente, avec Séné Levantin et autres, suivant l'Ordonnance de Monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de Monsieur, quatre livres. Ah ! Monsieur Fleurant, c'est se moquer, il faut vivre avec les Malades, Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre livres. Mettez, mettez trois livres, s'il vous plaît. Vingt et trente sols. Plus, dudit jour, une potion anodine et astringente, pour faire reposer Monsieur, trente sols. Bon. Dix, et quinze sols. Plus, du vingt-sixième, un Clystère carminatif, pour chasser les vents de Monsieur, trente sols. Dix sols, Monsieur Fleurant. Plus le Clystère de Monsieur réitéré le soir, comme dessus, trente sols. Monsieur Fleurant, dix sols. Plus, du vingt-septième, une bonne Médecine composée pour hâter d'aller et chasser dehors les mauvaises humeurs de Monsieur, trois livres. Bon. Vingt, et trente sols. Je suis bien aise que vous soyez raisonnable. Plus, du vingt-huitième, une prise de petit Lait clarifié et dulcoré, pour adoucir, lénifier, tempérer et rafraîchir le sang de Monsieur, vingt sols. Bon. Dix sols. Plus une Potion cordiale et préservative, composée avec douze grains de Bézoard, sirops de Limon et Grenade et autres, suivant l'ordonnance, cinq livres. Ah ! Monsieur Fleurant, tout doux, s'il vous plaît ; si vous en usez comme cela, on ne voudra plus être malade. Contentez-vous de quarante sols. Vingt et quarante sols. Trois, et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Soixante et trois livres quatre sols six deniers. Si bien donc, que de ce mois j'ai pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit Médecines ; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, et douze Lavements ; et l'autre mois il y avait douze Médecines, et vingt Lavements. Je ne m'étonne pas si je ne me porte pas si bien ce mois-ci que l'autre. Je le dirai à Monsieur Purgon, afin qu'il mette ordre à cela. Allons, qu'on m'ôte tout ceci. Il n'y a personne ; j'ai beau dire, on me laisse toujours seul. Il n'y a pas moyen de les arrêter ici. Ils n'entendent point, et ma Sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin. Point d'affaire. Drelin, drelin, drelin. Ils sont sourds. Toinette, Drelin, drelin, drelin, Tout comme si je ne sonnais point. Chienne, Coquine, drelin, drelin, drelin. J'enrage. Drelin, drelin, drelin. Carogne, à tous les diables. Est-il possible qu'on laisse comme cela un pauvre malade tout seul ? Drelin, drelin, drelin. Voilà qui est pitoyable. Drelin, drelin, drelin. Ah, mon Dieu, ils me laisseront ici mourir. Drelin, drelin, drelin. Ah Chienne, ah Carogne… Ah traîtresse… Il y a… Il y a une heure… Tu m'as laissé… Tais-toi donc, Coquine, que je te querelle. Tu m'as fait égosiller, Carogne. Quoi, Coquine… Me laisser, Traîtresse… Chienne, tu veux… Quoi, il faudra encore que je n'aie pas le plaisir de la quereller ? Tu m'en empêches, Chienne, en m'interrompant à tous coups. Allons, il faut en passer par là. Ôte-moi ceci, Coquine, ôte-moi ceci. Mon Lavement d'aujourd'hui a-t-il bien opéré ? Oui. Ai-je bien fait de la bile ? Qu'on ait soin de me tenir un Bouillon prêt pour l'autre que je dois tantôt prendre. Taisez-vous, Ignorante, ce n'est pas à vous à contrôler les ordonnances de la Médecine. Qu'on me fasse venir ma fille Angélique, j'ai à lui dire quelque chose. Approchez, Angélique, vous venez à propos. Je voulais vous parler. Attendez. Donnez-moi mon Bâton. Je vais revenir tout à l'heure. Ô çà, ma Fille, je vais vous dire une nouvelle, où peut-être ne vous attendez-vous pas. On vous demande en mariage. Qu'est-ce que cela ? vous riez. Cela est plaisant, oui, ce mot de mariage, il n'y a rien de plus drôle pour les jeunes Filles. Ah, Nature, Nature ! À ce que je puis voir, ma Fille, je n'ai que faire de vous demander si vous voulez bien être mariée. Je suis bien aise d'avoir une Fille si obéissante. La chose est donc conclue, et je vous ai promise. Ma Femme, votre Belle-Mère, avait envie qu'on vous fisse Religieuse, et votre petite Sœur Louison aussi, et de tout temps elle a été aheurtée à cela. Elle ne voulait point consentir à ce Mariage, mais je l'ai emporté, et ma parole est donnée. Je n'ai point encore vu la Personne ; mais on m'a dit que j'en serais content, et toi aussi. Comment ? l'as-tu vu ? Ils ne m'ont pas dit cela, mais j'en suis bien aise, et c'est tant mieux que les choses soient de la sorte. Ils disent que c'est un grand jeune Garçon bien fait. De belle taille. Agréable de sa personne. De bonne physionomie. Sage et bien né. Fort honnête. Qui parle bien Latin et Grec. Et qui sera reçu Médecin dans trois jours. Oui. Est-ce qu'il ne te l'a pas dit ? Monsieur Purgon. La belle demande ! Il faut bien qu'il le connaisse, puisque c'est son Neveu. Quel Cléante ? Nous parlons de celui pour qui l'on t'a demandée en mariage. Hé bien, c'est le Neveu de Monsieur Purgon, qui est le fils de son Beau-frère le Médecin Monsieur Diafoirus ; et ce fils s'appelle Thomas Diafoirus, et non pas Cléante, et nous avons conclu ce mariage-là ce matin, Monsieur Purgon, Monsieur Fleurant, et moi, et demain ce Gendre prétendu doit m'être amené par son Père. Qu'est-ce ? vous voilà tout ébaubie ? Oui. De quoi te mêles-tu, Coquine, Impudente que tu es ? Ma raison est, que me voyant infirme, et malade comme je suis, je veux me faire un Gendre, et des alliés Médecins, afin de m'appuyer de bons secours contre ma maladie, d'avoir dans ma famille les sources des Remèdes qui me sont nécessaires, et d'être à même des Consultations, et des Ordonnances. Comment, Coquine, si je suis malade ? Si je suis malade, Impudente ? C'est pour moi que je lui donne ce Médecin ; et une Fille de bon naturel doit être ravie d'épouser ce qui est utile à la santé de son Père. Quel est-il ce conseil ? Hé la raison ? Elle n'y consentira point ? Ma Fille ? J'en ai affaire, moi ; outre que le Parti est plus avantageux qu'on ne pense. Monsieur Diafoirus n'a que ce fils-là pour tout héritier ; et de plus, Monsieur Purgon, qui n'a ni Femme, ni Enfants, lui donne tout son bien, en faveur de ce mariage ; et Monsieur Purgon est un Homme qui a huit mille bonnes livres de rente. Huit mille livres de rente sont quelque chose, sans compter le bien du Père. Et je veux, moi, que cela soit. Comment, que je ne dise pas cela ? Et pourquoi ne le dirai-je pas ? On dira ce qu'on voudra ; mais je vous dis que je veux qu'elle exécute la parole que j'ai donnée. Je l'y forcerai bien. Elle le fera, ou je la mettrai dans un Convent. Moi. Comment, bon ? Je ne la mettrai point dans un Convent ? Non ? Ouais ! voici qui est plaisant. Je ne mettrai pas ma Fille dans un Convent, si je veux ? Qui m'en empêchera ? Moi ? Je l'aurai. Je ne me moque point. Elle ne me prendra point. Tout cela ne fera rien. Je vous dis que je n'en démordrai point. Il ne faut point dire bagatelles. Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux. Je lui commande absolument de se préparer à prendre le Mari que je dis. Où est-ce donc que nous sommes ? et quelle audace est-ce là à une coquine de Servante, de parler de la sorte devant son Maître ? Ah Insolente ! il faut que je t'assomme. Viens, viens, que je t'apprenne à parler. Chienne ! Pendarde ! Carogne ! Angélique, tu ne veux pas m'arrêter cette Coquine-là ? Si tu ne me l'arrêtes, je te donnerai ma malédiction. Ah, ah ! je n'en puis plus. Voilà pour me faire mourir. Ah ma Femme, approchez. Venez-vous en ici à mon secours. Ma Mie. On vient de me mettre en colère. Votre coquine de Toinette est devenue plus insolente que jamais. Elle m'a fait enrager, ma Mie. Elle a contrecarré une heure durant les choses que je veux faire. Et a eu l'effronterie de me dire que je ne suis point malade. Vous savez, mon Cœur, ce qui en est. Mamour, cette Coquine-là me fera mourir. Elle est cause de toute la bile que je fais. Et il y a je ne sais combien que je vous dis de me la chasser. Ah la Traîtresse ! Ah ! mamour, vous la croyez ? C'est une scélérate. Elle m'a dit cent insolences. Ah ma Mie, que je vous suis obligé de tous les soins que vous prenez de moi ! Ah Coquine ! tu veux m'étouffer. Ah, ah, ah ! je n'en puis plus. Vous ne connaissez pas, mamour, la malice de la Pendarde. Ah ! Elle m'a mis tout hors de moi ; et il faudra plus de huit Médecines, et de douze Lavements, pour réparer tout ceci. Ma Mie, vous êtes toute ma consolation. Pour tâcher de reconnaître l'amour que vous me portez, je veux, mon Cœur, comme je vous ai dit, faire mon Testament. Je vous avais dit de parler pour cela à votre Notaire. Faites-le entrer mamour. Ah bonjour Monsieur Bonnefoy, je veux faire mon Testament ; et pour cela dites-moi, s'il vous plaît, comment je dois faire pour donner tout mon bien à ma Femme, et en frustrer mes Enfants. Et par quelle raison ? Voilà une Coutume bien impertinente, de dire qu'un Mari ne puisse rien donner à une Femme qui l'aime, et qui prend tant de soin de lui. J'ai envie de consulter mon Avocat, pour voir ce qu'il y a à faire pour cela. Vraiment, Monsieur, ma femme m'avait bien dit que vous étiez un fort habile et fort honnête homme. J'ai, mon Cœur, vingt mille francs dans le petit coffret de mon alcôve en argent comptant, dont je vous donnerai la clef, et deux billets payables au porteur, l'un de six mil livres, et l'autre de quatre, qui me sont dues ; le premier par Monsieur Damon, et l'autre par Monsieur Gérante, que je vous mettrai entre les mains. Vingt mille francs, mon Cœur. L'un de six, et l'autre de quatre mille livres. Ce qui me fâche le plus, ma Mie, auparavant de mourir, c'est de n'avoir point eu d'enfants de vous ; Monsieur Purgon m'avait promis qu'il m'en ferait faire un. Oui, mais nous serons mieux dans mon petit cabinet qui est ici près ; allons-y, Monsieur, soutenez-moi, mamour. Monsieur Purgon m'a dit de me promener le matin dans ma Chambre douze allées et venues ; mais j'ai oublié à lui demander si c'est en long ou en large. Parle bas, Pendarde, tu viens m'ébranler tout le cerveau, et tu ne songes pas qu'il ne faut point parler si haut à des malades. Parle bas, te dis-je. Eh ? Qu'est-ce que tu dis ? Qu'il vienne. Elle a raison. Cela est vrai. Fort bien. Appelez Angélique. Non, faites-la venir. Si fait, si fait. Point, point, j'aime la Musique, et je serai bien aise de… Ah ! la voici. Allez vous-en voir, vous, si ma Femme est habillée. Venez, ma Fille, votre Maître de Musique est allé aux champs, et voilà une personne qu'il envoie à sa place pour vous montrer. Qu'est-ce ? D'où vient cette surprise ? Quoi ? qui vous émeut de la sorte ? Comment ? Ne vous en allez point, Monsieur ; c'est que je marie ma Fille, et voilà qu'on lui amène son prétendu mari, qu'elle n'a point encore vu. C'est le Fils d'un habile Médecin, et le mariage se fera dans quatre jours. Mandez-le un peu à son Maître de Musique, afin qu'il se trouve à la Noce. Je vous y prie aussi. Monsieur Purgon, Monsieur, m'a défendu de découvrir ma tête. Vous êtes du métier ; vous savez les conséquences. Je reçois, Monsieur… Avec beaucoup de joie, L'honneur que vous me faites : Et j'aurais souhaité De pouvoir aller chez vous Pour vous en assurer : Mais vous savez, Monsieur, Ce que c'est qu'un pauvre malade Qui ne peut faire autre chose, Que de vous dire ici, Qu'il cherchera toutes les occasions De vous faire connaître, Monsieur, Qu'il est tout à votre service. Allons, saluez Monsieur. Ce n'est pas ma Femme, c'est ma Fille à qui vous parlez. Elle va venir. Eh ? que dites-vous de cela ? Allons vite ma chaise, et des sièges à tout le monde. Mettez-vous là, ma Fille. Vous voyez, Monsieur, que tout le monde admire Monsieur votre Fils, et je vous trouve bien heureux de vous voir un Garçon comme cela. N'est-ce pas votre intention, Monsieur, de le pousser à la Cour, et d'y ménager pour lui une Charge de Médecin ? Monsieur, faites un peu chanter ma Fille devant la Compagnie. Les Vers en sont-ils beaux ? Fort bien. Écoutons. Ouais, je ne croyais pas que ma Fille fût si habile que de chanter ainsi à Livre ouvert sans hésiter. Et que dit le Père à tout cela ? Voilà un sot Père que ce Père-là, de souffrir toutes ces sottises-là, sans rien dire. Non, non, en voilà assez, cette Comédie-là est de fort mauvais exemple. Le Berger Tircis est un impertinent, et la Bergère Philis une impudente de parler de la sorte devant son Père. Montrez-moi ce papier. Ha, ha. Où sont donc les paroles que vous avez dites ? Il n'y a là que de la Musique écrite ? Fort bien. Je suis votre serviteur, Monsieur, jusqu'au revoir. Nous nous serions bien passés de votre impertinent d'Opéra. Les sottises ne divertissent point. Ah ! voici ma Femme. Mamour, voilà le Fils de Monsieur Diafoirus Je voudrais, ma Mie, que vous eussiez été ici tantôt. Allons, ma Fille, touchez dans la main de Monsieur, et lui donnez votre Foi comme à votre Mari. Hé bien, mon Père. Qu'est-ce que cela veut dire ? Ho bien, bien, cela aura tout le loisir de se faire quand vous serez mariés ensemble. Ouais, je joue ici un plaisant personnage. Messieurs, je vous demande pardon de tout ceci. Écoute, il n'y a point de milieu à cela, choisis d'épouser dans quatre jours, ou Monsieur, ou un Convent. Ne vous mettez pas en peine, je la rangerai bien. Allez, mamour, et passez chez votre Notaire, afin qu'il expédie ce que vous savez. Adieu, ma Mie. Voilà une femme qui m'aime… Cela n'est pas croyable. Je vous prie, Monsieur, de me dire un peu comment je suis. Non, Monsieur Purgon dit que c'est mon foie qui est malade. Non, rien que du bouilli. Monsieur, combien est-ce qu'il faut mettre de grains de sel dans un œuf ? Jusques au revoir, Monsieur. Un jeune homme avec ma Fille ? Envoyez-la ici, mamour ; envoyez-la ici. Ah l'effrontée ! Je ne m'étonne plus de sa résistance. Oui, venez ça, avancez là. Tournez-vous, levez les yeux. Regardez-moi. Eh ! Là ? N'avez-vous rien à me dire ? Ce n'est pas là ce que je demande. Ah rusée, vous savez bien ce que je veux dire. Est-ce là comme vous m'obéissez ? Ne vous ai-je pas recommandé de me venir dire d'abord tout ce que vous voyez ? L'avez-vous fait ? Et n'avez-vous rien vu aujourd'hui ? Non ? Assurément ? Oh çà, je m'en vais vous faire voir quelque chose, moi. Ah, ah, petite masque, vous ne me dites pas que vous avez vu un homme dans la chambre de votre sœur. Voici qui vous apprendra à mentir. Il faut premièrement que vous ayez le fouet pour avoir menti ; puis après nous verrons au reste. Non, non. Vous l'aurez. Allons, allons. Holà, qu'est-ce là ? Louison, Louison. Ah, mon Dieu ! Louison ! Ah ma Fille ! Ah, malheureux, ma pauvre Fille est morte. Qu'ai-je fait, misérable ? Ah, chiennes de Verges, la peste soit des Verges. Ah, ma pauvre Fille ! ma pauvre petite Louison. Voyez-vous la petite rusée ? Oh çà, çà, je vous pardonne pour cette fois-ci, pourvu que vous me disiez bien tout. Prenez-y bien garde au moins ; car voilà un petit doigt qui sait tout, qui me dira si vous mentez. Non, non. Hé bien ? Hon, hon ! Voilà l'affaire. Hé bien ? Hé bien ? Hé bien ? Qu'est-ce qu'il lui disait ? Et quoi encore ? Et puis après ? Et puis après ? Et puis après ? Il n'y a point autre chose ? Voilà mon petit doigt pourtant qui gronde quelque chose, attendez. Eh ! ah, ah ! oui ? oh, oh ! voilà mon petit doigt qui me dit quelque chose que vous avez vu, et que vous ne m'avez pas dit. Prenez garde. Oh bien bien nous verrons cela. Allez-vous-en, et prenez bien garde à tout. Ah que d'affaires ! je n'ai pas seulement le loisir de songer à ma Maladie, en vérité je n'en puis plus. Ah mon Frère, fort mal. Oui, je suis dans une faiblesse si grande, que cela n'est pas croyable. Je n'ai pas seulement la force de pouvoir parler. Mon Frère, ne me parlez point de cette coquine-là. C'est une friponne, une impertinente, une effrontée que je mettrai dans un Convent avant qu'il soit deux jours. Un peu de patience, mon Frère, je reviens dans un moment. Tu as raison, donne vite. Quelle est-elle cette prière ? Bien, soit. Oui, je le ferai. Hé bien oui : voici bien du préambule. Par la raison, mon Frère, que je suis le Maître chez moi, et que je puis disposer à ma volonté de tout ce qui est en ma puissance. Parce que dans l'état où je suis, un Médecin m'est plus nécessaire que tout autre ; et si ma Fille était raisonnable, c'en serait assez pour le lui faire accepter. Eh pourquoi non ? Voyez un peu le grand mal qu'il y aurait. Qu'entendez-vous par là, mon Frère ? Monsieur Purgon dit que c'est ce qui me fait vivre : et que je mourrais, s'il était seulement deux jours sans prendre soin de moi. Mais, mon Frère, vous ne croyez donc point à la Médecine ? Quoi ? vous ne croyez pas à une Science qui depuis un si long temps est si solidement établie par toute la terre et respectée de tous les hommes ? Eh pourquoi, mon Frère, ne voulez-vous pas qu'un homme en puisse guérir un autre ? Que faut-il donc faire lorsque l'on est malade ? Mais encore devez-vous m'avouer qu'on peut aider cette nature. Vous voulez donc dire, mon Frère, que les Médecins ne savent rien ? Mais pourquoi donc, mon Frère, tous les hommes sont-ils dans la même erreur où vous voulez que je sois ? Ouais, vous êtes devenu fort habile homme en peu de temps. Ce sont donc de méchantes gens d'abuser ainsi de la crédulité et de la bonne foi des hommes ? C'est que vous avez une dent de lait contre lui. Je voudrais bien, mon Frère, qu'il y eût ici quelqu'un de ces Messieurs pour vous tenir tête, pour rembarrer un peu tout ce que vous venez de dire, et vous apprendre à les attaquer. Voyez-vous, mon Frère, ne me parlez plus contre ces gens-là, ils me tiennent trop au cœur, vous ne faites que m'échauffer et augmenter mon mal. Ce sont de plaisants impertinents que vos Comédiens, avec leurs Comédies de Molière ; c'est bien à faire à eux à se moquer de la Médecine. Ce sont de bons nigauds, et je les trouve bien ridicules de mettre sur leur Théâtre de vénérables Messieurs comme ces Messieurs-là. Par la mort non d'un diable, je les attraperais bien quand ils seraient malades, ils auraient beau me prier, je prendrais plaisir à les voir souffrir, je ne voudrais pas les soulager en rien, je ne leur ordonnerais pas la moindre petite saignée, le moindre petit Lavement, je me vengerais bien de leur insolence, et leur dirais : Crevez, crevez, crevez mes petits Messieurs, cela vous apprendra à vous moquer une autre fois de la Faculté. Attendez un moment, cela sera bientôt fait. À ce soir, s'il vous plaît, Monsieur Fleurant. Mon Frère, vous allez être cause ici de quelque malheur ; et je crains fort que Monsieur Purgon ne se fâche quand il saura que je n'ai pas pris son Lavement. Mon Dieu, mon Frère, vous parlez comme un homme qui se porte bien ; si vous étiez en ma place, vous seriez aussi embarrassé que moi. Il ne l'est pas pour moi, et cela me suffit ; en un mot elle est promise, et elle n'a qu'à se déterminer à cela ou à un Convent. Ah ! j'étais bien étonné si l'on ne me parlait pas de la pauvre femme, c'est toujours elle qui fait tout, il faut que tout le monde en parle. Monsieur Purgon, ce n'est pas moi, c'est mon Frère. Eh Monsieur Purgon, ce n'est pas ma faute, c'est la sienne. Ce n'est pas moi, vous dis-je. Mon frère, vous êtes cause de tout ceci. Je vous demande pardon. Faites-le venir, je le prendrai devant vous. Ah! je suis mort. Monsieur Purgon. Monsieur Purgon. Doucement Monsieur Purgon. Ah, Monsieur Purgon. Mon pauvre Monsieur Purgon ! Monsieur Purgon. Monsieur Purgon ? Ah, c'en est fait, de moi, je suis perdu, je n'en puis revenir ; ah je sens déjà que la Médecine se venge. Vous avez beau dire, toutes ces maladies en ies me font trembler, et je les ai toutes sur le cœur. Il dit que je deviendrai incurable. Que ferai-je, mon Frère, à présent qu'il m'a abandonné, et où trouverai-je un Médecin qui me puisse traiter aussi bien que lui ? Ah, mon frère, il connaissait mon tempérament, et savait mon mal mieux que moi-même. Quel est-il ce Médecin ? Dis-lui qu'il prenne la peine d'entrer, c'est sans doute un Médecin qui vient de la part de Monsieur Purgon, pour nous bien remettre ensemble ; il faut voir ce que c'est, et ne pas laisser échapper une si belle occasion de me raccommoder avec lui. Ma foi, mon Frère, c'est Toinette elle-même. Je crois sûrement que c'est elle ; qu'en croyez-vous ? Quoi ? Moi ? tu te trompes. Demeure, demeure, pour voir ce Médecin qui te ressemble si fort. Ma foi, mon Frère, cela est admirable, et je ne le croirais pas, si je ne les voyais tous deux ensemble. Je ne puis sortir de mon étonnement, et il semble que c'est elle-même. Je vous suis trop obligé, Monsieur ; cela n'est point nécessaire. Je ne le puis savoir au juste, pourtant vous avez bien vingt-sept ou vingt-huit ans au plus. Quatre-vingt dix ? voilà un beau jeune Vieillard. Monsieur Purgon. On le tient pourtant en grande réputation. Il dit que c'est de la Rate, d'autres disent que c'est du Foie. Du Poumon ? Eh oui. Oui. Oui, oui, même assez souvent. Ah oui tous les jours. Ah ! mon Frère, le Poumon. Du Potage. De prendre force bouillons. Du bouilli. Du Veau, et des Poulets. Et le soir de petits Pruneaux pour lâcher le ventre. Mais voyez un peu, mon Frère, quelle Ordonnance. Ce que j'en fais? la belle demande! Et la raison ? Eh ! je ne me soucie pas de cela, j'aime bien mieux les avoir tous deux. Et pourquoi le faire crever ? Je suis votre serviteur, j'aime beaucoup mieux ne voir pas si clair de l'un, et n'en avoir point de manque. Pourquoi une Consultation pour un Malade qui mourut hier ? Monsieur, je ne vous reconduis point, vous savez que les Malades en sont exempts. Comment Diable? il me semble qu'il va bien vite en besogne. Couper un bras, crever un œil, voyez quelle plaisante opération, de me faire borgne et manchot. Qu'as-tu donc, Toinette ? Cela est étonnant, à son âge, qui pourrait croire cela, qu'à quatre-vingt-dix ans l'on fût encore si gaillard? Je vous prie, mon Frère, ne parlons point de cela, je sais bien ce que j'ai à faire, et je la mettrai dès demain dans un Convent. Ô çà voilà encore la pauvre femme en jeu. Vous ne la connaissez pas, mon Frère, c'est une femme qui a trop d'amitié pour moi. Demandez-lui les caresses qu'elle me fait ; à moins que de les voir on ne le croirait pas. Que faut-il faire pour cela ? Oui, oui, oui, oui ; bon, bon, bon, bon. Tout beau, tout beau, Madame la carogne : ah, ah, je suis ravi d'avoir entendu le bel Éloge que vous avez fait de moi ; cela m'empêchera de faire bien des choses. Ah vraiment oui, je le vois, je ne le vois que trop. Tu as raison, tu as raison. Ah, ma fille… Viens, ma chère Enfant, que je te baise ; va, je ne suis pas mort, je vois que tu es ma Fille, et je suis bien aise de reconnaître ton bon naturel. Hé bien, qu'il se fasse Médecin, et je lui donne ma Fille. Moi, Médecin ? Vous vous moquez, je crois ; et je ne sais pas un seul mot de Latin, comment donc faire ? Mais, mon Frère, cela ne se peut faire si tôt. Allons, voyons, voyons. **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_beline *date_1673 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_beline Qu'avez-vous, mon pauvre Mari ? Qu'est-ce que c'est donc qu'il y a, mon petit Fils ? Mon Ami. Hélas pauvre petit Mari. Comment donc mon Ami ? Ne vous passionnez donc point. Doucement, mon Fils. Là, là, tout doux. C'est une Impertinente. Oui, mon Cœur, elle a tort. Eh là là, là là. Ne vous fâchez point tant. Mon Dieu, mon Fils, il n'y a point de Serviteurs et de Servantes qui n'aient leurs défauts. On est contraint parfois de souffrir leurs mauvaises qualités à cause des bonnes. Celle-ci est adroite, soigneuse, diligente, et surtout fidèle, et vous savez qu'il faut maintenant de grandes précautions pour les Gens que l'on prend. Holà, Toinette. Pourquoi donc est-ce que vous mettez mon Mari en colère ? Il n'y a pas grand mal à cela, et je trouve qu'elle a raison. Hé bien je vous crois, mon Ami. Là, remettez-vous. Écoutez, Toinette, si vous fâchez jamais mon Mari, je vous mettrai dehors. Çà, donnez-moi son Manteau fourré et des Oreillers, que je l'accommode dans sa Chaise. Vous voilà je ne sais comment. Enfoncez bien votre Bonnet jusque sur vos oreilles. Il n'y a rien qui enrhume tant, que de prendre l'air par les oreilles. Levez-vous que je mette ceci sous vous. Mettons celui-ci pour vous appuyer ; et celui-là de l'autre côté. Mettons celui-ci derrière votre dos, et cet autre-là pour soutenir votre tête. Eh là, eh là. Qu'est-ce que c'est donc ? Pourquoi vous emporter ainsi ? Elle a cru faire bien. Là, là, mon petit Ami, apaisez-vous un peu. Pauvre petit Fils. Ah mon Ami, ne parlons point de cela, je vous prie, je ne saurais souffrir cette pensée ; et le seul mot de Testament me fait tressaillir de douleur. Le voici dans votre Antichambre, et je l'ai fait venir tout exprès. Ne me parlez point de cela, je vous prie, vous me faites mourir de frayeur… Combien dites-vous qu'il y a d'argent comptant dans votre alcôve. Tous les biens de ce monde ne me sont rien en comparaison de vous… De combien sont les deux billets ? Ah ! mon Fils, la seule pensée de vous quitter me met au désespoir, vous mort je ne veux plus rester au monde : ah, ah. Ah Monsieur Bonnefoy, vous ne savez pas ce que c'est qu'être toujours séparée d'un Mari que l'on aime tendrement. Allons, pauvre petit Mari. Monsieur, je suis ravie d'être venue ici à propos pour avoir l'honneur de vous voir. Elle a peut-être quelque inclination en tête. Si j'étais que de vous, mon Fils, je ne la forcerais point à se marier, et je sais bien ce que je ferais. C'est que les Filles bien sages et bien honnêtes comme vous, se moquent d'être obéissantes, et soumises aux volontés de leurs Pères. Cela était bon autrefois. C'est-à-dire que vos pensées ne sont que pour le mariage ; mais vous voulez choisir un Époux à votre fantaisie. Je vous trouve aujourd'hui bien raisonnante, et je voudrais bien savoir ce que vous voulez dire par là. Vous êtes si sotte, ma Mie, qu'on ne saurait plus vous souffrir. Il n'est rien d'égal à votre insolence. Et vous avez un ridicule orgueil, une impertinente présomption qui fait hausser les épaules à tout le monde. Je suis fâchée de vous quitter, mon Fils ; mais j'ai une affaire en Ville dont je ne puis me dispenser. Je reviendrai bientôt. Adieu, mon petit Ami. Je viens, mon Fils, avant que de sortir, vous donner avis d'une chose, à laquelle il faut que vous preniez garde. En passant par-devant la chambre d'Angélique, j'ai vu un jeune homme avec elle, qui s'est sauvé d'abord qu'il m'a vue. Oui. Votre petite Fille Louison était avec eux, qui pourra vous en dire des nouvelles. Qu'as-tu, Toinette ? Quoi, mon mari est mort ? Le Ciel en soit loué, me voila délivrée d'un grand fardeau : que tu es folle, Toinette, de pleurer ! Bon, et je voudrais bien savoir pour quelle raison ai-je fait une si grande perte : quoi ? pleurer un homme mal bâti, mal fait, sans esprit, de mauvaise humeur, fort âgé, toujours toussant, mouchant, crachant, reniflant, fâcheux, ennuyeux, incommode à tout le monde, grondant sans cesse et sans raison, toujours un Lavement ou une Médecine dans le corps, de méchante odeur : il faudrait que je n'eusse pas le sens commun. Je ne prétends pas avoir passé la plus grande partie de ma jeunesse avec lui sans y profiter de quelque chose ; et il faut, Toinette, que tu m'aides à bien faire mes affaires sûrement, ta récompense est sûre. Puisque tu m'assures que sa mort n'est sue de personne, saisissons-nous de l'argent, et de tout ce qu'il y a de meilleur ; portons-le dans son lit, et quand j'aurai tout mis à couvert, nous ferons en sorte que quelque autre l'y trouve mort, et ainsi on ne se doutera point de ce que nous aurons fait. Il faut d'abord que je lui prenne ses clefs qui sont dans cette poche. **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_angelique *date_1673 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_angelique Me voilà prête à vous ouïr. Toinette. Regarde-moi un peu. Toinette. Ne devines-tu point de quoi je veux parler ? Puisque tu connais cela, que n'es-tu donc la première à m'en entretenir, et ne m'épargnes-tu la peine de te jeter sur ce discours. Je t'avoue, que je ne saurais me lasser de te parler de lui, et que mon cœur profite avec chaleur de tous les moments de s'ouvrir à toi. Mais dis-moi, condamnes-tu, Toinette, les sentiments que j'ai pour lui ? Ai-je tort de m'abandonner à ces douces impressions ? Et voudrais-tu que je fusse insensible aux tendres protestations de cette passion ardente qu'il témoigne pour moi ? Dis-moi un peu, ne trouves-tu pas comme moi, quelque chose du Ciel, quelque effet du destin, dans l'aventure inopinée de notre connaissance ? Ne trouves-tu pas que cette action d'embrasser ma défense sans me connaître, est tout à fait d'un honnête Homme ? Que l'on ne peut pas en user plus généreusement ? Et qu'il fit tout cela de la meilleure grâce du monde ? Ne trouves-tu pas Toinette, qu'il est bien fait de sa personne ? Qu'il a l'air le meilleur du monde ? Que ses discours, comme ses actions, ont quelque chose de noble ? Qu'on ne peut rien entendre de plus passionné que tout ce qu'il me dit ? Et qu'il n'est rien de plus fâcheux, que la contrainte où l'on me tient, qui bouche tout commerce aux doux empressements de cette mutuelle ardeur que le Ciel nous inspire ? Mais, ma pauvre Toinette, crois-tu qu'il m'aime autant qu'il me le dit ? Ah ! Toinette, que dis-tu là ? Hélas ! de la façon qu'il parle, serait-il bien possible qu'il ne me dît pas vrai ? Ah ! Toinette, si celui-là me trompe, je ne croirai de ma vie aucun Homme. Je dois faire, mon Père, tout ce qu'il vous plaira de m'ordonner. C'est à moi, mon Père, à suivre aveuglément toutes vos volontés. Ah ! mon Père, que je vous suis obligée de toutes vos bontés. Assurément, mon Père. Puisque votre consentement m'autorise à vous pouvoir ouvrir mon cœur, je ne feindrai point de vous dire que le hasard nous a fait connaître il y a six jours ; et que la demande qu'on vous a faite, est un effet de l'inclination que dès cette première vue nous avons prise l'un pour l'autre. Oui, mon Père. Sans doute. Assurément. Très bonne. Tout à fait. Le plus honnête Homme du monde. C'est ce que je ne sais pas. Lui, mon Père ? Non vraiment. Qui vous l'a dit à vous ? Est-ce que Monsieur Purgon le connaît ? Cléante Neveu de Monsieur Purgon ? Hé, oui. C'est, mon Père, que je connais que vous avez parlé d'une Personne, et que j'ai entendu une autre. Eh mon Père, ne vous faites point malade. Qu'il dispose de tout mon bien en faveur de qui il lui plaira, pourvu qu'il ne dispose pas de mon cœur ; qu'il ne me contraigne point d'accepter pour Époux celui dont il m'a parlé, je me soucie fort peu du reste, qu'il en fasse ce qu'il voudra. Mais comment faire pour rompre ce coup terrible dont je suis menacée ? As-tu quelqu'un propre à faire ce message ? Ah Ciel ! C'est… C'est, mon Père, une aventure surprenante qui se rencontre ici. J'ai songé cette nuit que j'étais dans le plus grand embarras du monde, et qu'une personne faite tout comme Monsieur s'est présentée à moi à qui j'ai demandé secours, et qui m'est venue tirer de la peine où j'étais, et ma surprise a été grande de voir inopinément en arrivant ici, ce que j'ai eu dans l'idée toute la nuit. Monsieur, c'est pour moi un meuble inutile, et je ne me connais pas à ces choses-là. Moi ? Vous me voyez, Tircis, triste et mélancolique Aux apprêts de l'Hymen, dont vous vous alarmez, Je lève au Ciel les yeux, je vous regarde, je soupire, C'est vous en dire assez. Je ne m'en défends point, dans cette peine extrême : Oui, Tircis, je vous aime. Oui, Tircis, je vous aime. Je vous aime. Je vous aime, je vous aime, Oui, Tircis, je vous aime. Ah ! je le hais plus que la mort, Et sa présence ainsi qu'à vous M'est un cruel supplice. Plutôt, plutôt mourir, Que de jamais y consentir, Plutôt, plutôt mourir, plutôt mourir. Mon Père. De grâce ne précipitez pas les choses. Donnez-nous au moins le temps de nous connaître, et de voir naître en nous l'un pour l'autre cette inclination si nécessaire à composer une union parfaite. Si vous êtes si prompt, Monsieur, il n'en est pas de même de moi, et je vous avoue que votre mérite n'a pas encore fait assez d'impression dans mon âme. Eh mon Père, donnez-moi du temps, je vous prie, le Mariage est une chaîne, où l'on ne doit jamais soumettre un cœur par force ; et si Monsieur est honnête homme, il ne doit point vouloir accepter une personne, qui serait à lui par contrainte. C'est un méchant moyen de se faire aimer de quelqu'un, que de lui faire violence. Les Anciens, Monsieur, sont les Anciens, et nous sommes les gens de maintenant. Les grimaces ne sont point nécessaires dans notre Siècle ; et quand un mariage nous plaît, nous savons fort bien y aller, sans qu'on nous y traîne. Donnez-vous patience ; si vous m'aimez, Monsieur, vous devez vouloir tout ce que je veux. Mais la grande marque d'amour, c'est d'être soumis aux volontés de celle qu'on aime. Si j'en avais, Madame, elle serait telle que la raison et l'honnêteté pourraient me la permettre. Je sais, Madame, ce que vous voulez dire, et les bontés que vous avez pour moi, mais peut-être que vos conseils ne seront pas assez heureux pour être exécutés. Le devoir d'une Fille a des bornes, Madame, et la raison et les lois ne l'étendent point à toutes sortes de choses. Si mon Père ne veut pas me donner un Mari qui me plaise, je le conjurerai, au moins, de ne me point forcer à en épouser un que je ne puisse pas aimer. Chacun a son but en se mariant ; pour moi qui ne veux un Mari que pour l'aimer véritablement, et qui prétends en faire tout l'attachement de ma vie, je vous avoue que j'y cherche quelque précaution. Il y en a d'aucunes qui prennent des Maris seulement pour se tirer de la contrainte de leurs parents, et se mettre en état de faire tout ce qu'elles voudront. Il y en a d'autres, Madame, qui font du mariage un commerce de pur intérêt ; qui ne se marient que pour gagner des douaires ; que pour s'enrichir par la mort de ceux qu'elles épousent, et courent sans scrupule de Mari en Mari, pour s'approprier leurs dépouilles. Ces personnes-là à la vérité n'y cherchent pas tant de façons, et regardent peu la personne. Moi, Madame ? Que voudrais-je dire que ce que je dis ? Vous voudriez bien, Madame, m'obliger à vous répondre quelque impertinence ; mais je vous avertis que vous n'aurez pas cet avantage. Non, Madame, vous avez beau dire. Tout cela, Madame, ne servira de rien, je serai sage en dépit de vous ; et pour vous ôter l'espérance de pouvoir réussir dans ce que vous voulez, je vais m'ôter de votre vue. Qu'y a-t-il de nouveau, Toinette, pour te causer tant de gémissements ? Mon Père est mort, Toinette ? Mon Père est mort, et justement dans le temps où il était en colère contre moi, par la résistance que je lui ai faite tantôt, en refusant le Mari qu'il me voulait donner ? que deviendrai-je, misérable que je suis ? et comment cacher une chose qui a paru devant tant de personnes ? Ah Cléante, ne me parlez plus de rien, mon Père est mort, il faut vous dire adieu pour toujours, et nous séparer entièrement l'un de l'autre. Le Ciel ne l'a pas voulu, vous devez comme moi vous soumettre à ce qu'il veut, et il faut vous résoudre de me quitter pour toujours. Oui, mon Père, puisque j'ai été assez infortunée pour ne pas faire ce que vous vouliez de moi pendant votre vie, du moins ai-je dessein de le réparer après votre mort ; je veux exécuter votre dernière volonté, et je vais me retirer dans un Convent pour y pleurer votre mort pendant tout le reste de ma vie. Oui, mon cher Père, souffrez que je vous en donne ici les dernières assurances, et que je vous embrasse… Ha, ha, ha, ha ! Mon Père, permettez que je me mette à genoux devant vous, pour vous conjurer que si vous ne me voulez pas faire la grâce de me donner Cléante pour Époux, vous ne me refusiez pas celle de ne m'en pas donner un avec lequel je ne puisse vivre. Mais, mon Oncle, il me semble que c'est se railler un peu fortement de mon Père. Il le faut bien. **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_louison *date_1673 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_louison Qu'est-ce que vous voulez, mon Papa ? ma belle-Maman m'a dit que vous me demandez. Quoi, mon Papa ? Quoi ? Je vous dirai, si vous voulez, pour vous désennuyer, le conte de peau d'Âne, ou bien la fable du Corbeau et du Renard, qu'on m'a apprise depuis peu. Quoi donc ? Pardonnez-moi, mon Papa. Quoi ? Oui, mon Papa. Oui, mon Papa, je vous suis venu dire tout ce que j'ai vu. Non, mon Papa. Non, mon Papa. Assurément. Ah, mon Papa ! Mon Papa. Ah ! mon Papa, je vous demande pardon ; c'est que ma Sœur m'avait dit de ne pas vous le dire ; mais je m'en vais vous dire tout. Pardon, mon Papa. Mon pauvre Papa, ne me donnez pas le fouet. Au nom de Dieu, mon Papa, que je ne l'aie pas. Ah, mon Papa, vous m'avez blessée ! attendez je suis morte. Là, là, mon Papa, ne pleurez point tant, je ne suis pas encore morte tout à fait. Ho oui mon Papa. Mais, mon Papa, ne dites pas à ma Sœur que je vous l'ai dit. C'est, mon Papa, qu'il est venu un homme dans la chambre de ma Sœur comme j'y étais. Je lui ai demandé ce qu'il demandait, et il m'a dit qu'il était son Maître à chanter. Ma Sœur est venue après. Elle lui a dit : Sortez, sortez, sortez ; mon Dieu, sortez, vous me mettez au désespoir. Et lui, il ne voulait point sortir. Il lui disait je ne sais combien de choses. Il lui disait, tout ci, tout ça, qu'il l'aimait bien, et qu'elle était la plus belle du monde. Et puis après, il se mettait à genoux devant elle. Et puis après il lui baisait les mains. Et puis après, ma belle-Maman est venue à la porte, et il s'est enfui. Non, mon Papa. Ah mon Papa, votre petit doigt est un menteur. Non, mon Papa, ne le croyez pas, il ment, je vous assure. **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_beralde *date_1673 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_beralde Hé bien, mon Frère, qu'est-ce ? comment vous portez-vous ? Comment fort mal ? Voilà qui est fâcheux. J'étais venu ici, mon Frère, vous proposer un parti pour ma Nièce Angélique. Ah ! voilà qui est bien. Je suis bien aise que la force vous revienne un peu, et que ma visite vous fasse du bien. Oh çà, nous parlerons d'affaires tantôt. Je vous amène ici un divertissement que j'ai rencontré, qui dissipera votre chagrin, et vous rendra l'âme mieux disposée aux choses que nous avons à dire. Ce sont des Égyptiens vêtus en Maures, qui font des danses mêlées de chansons, où je suis sûr que vous prendrez plaisir, et cela vaudra bien une Ordonnance de Monsieur Purgon. Allons. Hé bien, mon Frère, que dites-vous du plaisir que vous venez d'avoir, cela ne vaut-il pas bien une prise de Casse ? Puisque vous êtes mieux, mon Frère, vous voulez bien que je vous entretienne un peu de l'affaire de tantôt. Dans le vrai, la nouvelle de ce bizarre mariage m'a fort surpris, je veux tout mettre en usage pour rompre ce coup, et je porterai même les choses à la dernière extrémité, plutôt que de le souffrir. Je lui ai déjà parlé en faveur de Cléante ; j'ai été très mal reçu ; mais afin de faire réussir leurs feux, il faut commencer par le dégoûter de l'autre, et c'est ce qui m'embarrasse fort. Que prétends-tu faire ? Quel est-il ? Je veux, mon Frère, vous faire une prière avant que de vous parler d'affaires. C'est d'écouter favorablement tout ce que j'ai à vous dire. De ne vous point emporter à votre ordinaire. Et de me répondre sans chaleur précisément sur chaque chose. Ainsi, mon Frère, par quelle raison, dites-moi, voulez-vous marier votre Fille à un Médecin ? Mais encore, pourquoi choisir plutôt un Médecin qu'un autre ? Par cette même raison, si votre petite Louison était plus grande, vous la donneriez en mariage à un Apothicaire. En vérité, mon Frère, je ne puis souffrir l'entêtement que vous avez des Médecins, et que vous vouliez être malade en dépit de vous-même. J'entends, mon Frère, que je ne vois guère d'hommes qui se portent mieux que vous et que je ne voudrais pas avoir une meilleure constitution que la vôtre : une grande marque que vous vous portez bien, c'est que toutes les Médecines et les Lavements qu'on vous a fait prendre, n'aient point encore altéré la bonté de votre tempérament ; et un de mes étonnements est, que vous ne soyez point crevé à force de remèdes. Oui, oui, il en prendra tant de soin, que devant qu'il soit peu, vous n'aurez plus besoin de lui. Moi, mon Frère ? nullement, et je ne vois pas que pour son salut, il soit nécessaire d'y croire. Non, vous dis-je, et je ne vois pas même une plus plaisante momerie : rien au monde de plus impertinent qu'un homme qui se veut mêler d'en guérir un autre. Parce que les ressorts de notre machine sont mystères jusques ici inconnus, où les hommes ne voient goutte, et dont l'Auteur de toutes choses s'est réservé la connaissance. Rien que se tenir de repos, et laisser faire la nature ; puisque c'est elle qui est tombée dans le désordre, elle s'en peut aussi bien retirer, et se rétablir elle-même. Bien éloigné de cela, on ne fait bien souvent que l'empêcher de faire son effet : et j'ai connu bien des gens qui sont morts des remèdes qu'on leur a fait prendre, qui se porteraient bien présentement s'ils l'eussent laissé faire. Non, je ne dis pas cela ; la plupart d'entre eux sont de très bons Humanistes qui parlent fort bien Latin, qui savent nommer en Grec toutes les maladies, les définir ; mais pour les guérir, c'est ce qu'il ne savent pas. C'est, mon Frère, parce qu'il y a des choses dont l'apparence nous charme, et que nous croyons véritables, par l'envie que nous avons qu'elles se fassent. La Médecine est de celle-là ; il n'y a rien de si beau et de si charmant que son objet : par exemple, lorsqu'un Médecin vous parle de purifier le sang, de fortifier le cœur, de rafraîchir les entrailles, de rétablir la poitrine, de raccommoder la rate, d'apaiser la trop grande chaleur du foie, de régler, modérer et retirer la chaleur naturelle, il vous dit justement le Roman de la Médecine, et il en est comme de ces beaux songes qui pendant la nuit nous ont bien divertis, et qui ne nous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir eus. Dans les discours et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes que vos grands Médecins ; entendez-les parler, ce sont les plus habiles gens du monde ; voyez-les faire, les plus ignorants de tous les hommes ; de telle manière que toute leur science est renfermée en un pompeux Galimatias, et un spécieux babil. Il y en a entre eux qui sont dans l'erreur aussi bien que les autres, d'autres qui en profitent sans y être. Votre Monsieur Purgon y est plus que personne. C'est un homme tout Médecin depuis la tête jusques aux pieds, qui croit plus aux règles de son Art qu'à toutes les démonstrations de Mathématique, et qui donne à travers les purgations et les saignées sans y rien connaître, et qui lorsqu'il vous tuera ne fera dans cette occasion que ce qu'il a fait à sa femme et à ses enfants, et ce qu'en un besoin il ferait à lui-même. Quelle raison m'en aurait-il donnée ? Moi, mon Frère ? je ne prétends point les attaquer ; ce que j'en dis n'est qu'entre nous, et que par manière de conversation, chacun à ses périls et fortunes en peut croire tout ce qu'il lui plaira. Soit, je le veux bien, mais je souhaiterais seulement pour vous désennuyer vous mener voir un de ces jours représenter une des Comédies de Molière sur ce sujet. Que voulez-vous qu'ils y mettent que les diverses professions des hommes ? Nous y voyons bien tous les jours des Princes et des Rois qui sont du moins d'aussi bonne maison que les Médecins. Ils ne s'exposent point à de pareilles épreuves, et ils savent très bien se guérir eux-mêmes lorsqu'ils sont malades. Que voulez-vous faire, mon Frère ? Je crois que vous vous moquez de moi ; Eh ne sauriez-vous prendre un autre temps ? allez, Monsieur, revenez une autre fois. On voit bien, Monsieur, que vous n'avez pas accoutumé de parler à des visages. Voyez un peu le grand mal de n'avoir pas pris un Lavement que Monsieur Purgon a ordonné, vous ne vous mettriez pas plus en peine si vous aviez commis un crime considérable. Encore un coup, est-il possible qu'on ne vous puisse pas guérir de la maladie des Médecins, et ne vous verrai-je jamais qu'avec un Lavement et une Médecine dans le corps ? Hé bien, mon Frère, faites ce que vous voudrez. Mais j'en reviens toujours là, votre Fille n'est point destinée pour un Médecin, et le parti dont je veux vous parler, lui est bien plus convenable. Votre femme n'est pas des dernières à vous donner ce Conseil. Ah ! j'ai tort, il est vrai, c'est une femme qui a trop d'amitié pour vos enfants ; et qui pour l'amitié qu'elle leur porte, voudrait les voir toutes deux bonnes Religieuses. Sérieusement, mon Frère, vous n'êtes pas raisonnable, et je ne voudrais pas qu'il y eût ici personne qui vous vît faire ces extravagances. Le simple homme que vous êtes, comme si Monsieur Purgon tenait entre ses mains le fil de votre vie, et qu'il pût l'allonger ou l'accourcir, comme bon lui semblerait ; détrompez-vous, encore une fois, et sachez qu'il y peut encore moins, qu'à vous guérir lorsque vous êtes malade. Dans le vrai, vous êtes un homme d'une grande prévention ; et lorsque vous vous êtes mis quelque chose dans l'esprit, difficilement peut-on l'en chasser. Mon Dieu, mon Frère, puisque c'est une nécessité pour vous d'avoir un Médecin, l'on vous en trouvera un du moins aussi habile, qui n'ira pas si vite, avec qui vous courrez moins de risque, et qui prendra plus de précaution aux remèdes qu'il vous ordonnera. Pourquoi voulez-vous cela ? sont-ce les premiers qui ont quelque ressemblance, et ne voyons-nous pas souvent arriver de ces sortes de choses ? Cela n'est point si surprenant, notre Siècle nous en fournit plusieurs exemples ; et vous devez, ce me semble, vous souvenir de quelques-uns qui ont fait tant de bruit dans le monde. Hé bien, mon Frère, que dites-vous de ce Médecin ? Comme font tous ces grands Médecins, et il ne le serait pas s'il faisait autrement. Enfin, mon Frère, puisque vous avez rompu avec Monsieur Purgon ; qu'il n'y a plus d'espérance d'y pouvoir renouer, et qu'il a déchiré les Articles d'entre son Neveu et votre Fille, rien ne vous peut plus empêcher d'accepter le parti que je vous propose pour ma Nièce : c'est un… Vous voulez faire plaisir à quelqu'un. Hé bien oui, mon Frère, c'est d'elle dont je veux parler ; et non plus que l'entêtement des Médecins, je ne puis supporter celui que vous avez pour elle. Comment ? Hé bien, mon Frère, voyez-vous à présent comme votre femme vous aime. Mon Frère, avez-vous à consulter, et ne devriez-vous pas déjà l'avoir donnée aux vœux de Monsieur ? Mais, mon Frère, il me vient une pensée ; faites-vous Médecin vous-même plutôt que Monsieur. Oui vous, c'est le véritable moyen de vous bien porter ; et il n'y a aucune Maladie, si redoutable qu'elle soit, qui ait l'audace de s'attaquer à un Médecin. Voila une belle raison ! allez, allez, il y en a parmi eux qui en savent encore moins que vous et lorsque vous aurez la robe et le bonnet, vous en saurez plus qu'il ne vous en faut. Tout à présent, si vous voulez, et j'ai une Faculté de mes amis fort près d'ici, que j'enverrai quérir pour célébrer la Cérémonie, allez vous préparer seulement, toutes choses seront bientôt prêtes. C'est un Intermède de la réception d'un Médecin que des Comédiens ont représenté ces jours passés : je les avais fait venir pour le jouer ce soir ici devant nous, afin de nous bien divertir ; et je prétends que mon Frère y joue le premier Personnage. Ce n'est pas tant le railler que de s'accommoder à son humeur, outre que pour lui ôter tout sujet de se fâcher quand il aura reconnu la pièce que nous lui jouons, nous pouvons y prendre chacun un rôle, et jouer en même temps que lui. Allons donc nous habiller. **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_cleante *date_1673 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_cleante Ce que je demande ? Savoir ma Destinée ; parler à l'aimable Angélique ; consulter les sentiments de son cœur, et lui demander ses résolutions sur ce mariage fatal, dont on m'a averti. Aussi ne viens-je pas ici comme Cléante, et sous l'apparence de son Amant ; mais comme ami de son Maître de Musique, dont j'ai obtenu le pouvoir de dire qu'il m'envoie à sa place. Monsieur… Monsieur, je suis ravi de vous trouver debout, et de voir que vous vous portez mieux. J'ai ouï dire que Monsieur était mieux, et je lui trouve bon visage. Monsieur, j'en suis au désespoir. Je viens de la part du Maître à chanter de Mademoiselle votre Fille. Il s'est vu obligé d'aller à la campagne pour quelques jours ; et comme son ami intime, il m'envoie à sa place pour lui continuer ses leçons, de peur qu'en les interrompant, elle ne vînt à oublier ce qu'elle sait déjà. Ce n'est pas être malheureux que d'occuper votre pensée soit en dormant soit en veillant, et mon bonheur serait grand sans doute, si vous étiez dans quelque peine dont vous me jugeassiez assez digne de vous tirer ; et il n'y a rien que je ne fisse pour… C'est m'honorer beaucoup, Monsieur, de vouloir que je sois témoin d'une entrevue si agréable. Fort bien. Je n'y manquerai pas. Vous me faites beaucoup d'honneur. Que Monsieur fait merveilles, et que s'il est aussi bon Médecin, qu'il est bon Orateur, il y aura plaisir à être de ses malades. J'attendais vos ordres, Monsieur, et il m'est venu en pensée, pour divertir la Compagnie, de chanter avec Mademoiselle une Scène d'un petit Opéra qu'on a fait depuis peu. Tenez ; voilà votre Partie. Ne vous défendez point, s'il vous plaît, et me laissez vous faire comprendre ce que c'est que la Scène que nous devons chanter. Je n'ai pas une voix à chanter ; mais il suffit que je me fasse entendre, et l'on aura la bonté de m'excuser par la nécessité où je me trouve de faire chanter Mademoiselle. C'est proprement ici un petit Opéra impromptu, et vous n'allez entendre chanter, que de la Prose cadencée, ou des manières de Vers libres, tels que la passion et la nécessité peuvent faire trouver à deux personnes qui disent les choses d'eux-mêmes, et parlent sur-le-champ. Voici le sujet de la Scène. Un Berger était attentif aux beautés d'un Spectacle qui ne faisait que de commencer, lorsqu'il fut tiré de son attention par un bruit qu'il entendit à ses côtés. Il se retourne, et voit un brutal, qui de paroles insolentes maltraitait une Bergère. D'abord il prend les intérêts d'un sexe à qui tous les hommes doivent hommage ; et après avoir donné au brutal le châtiment de son insolence, il vient à la Bergère, et voit une jeune personne qui des deux plus beaux yeux qu'il eût jamais vus, versait des larmes, qu'il trouva les plus belles du monde. Hélas ! dit-il en lui-même, est-on capable d'outrager une personne si aimable ? Et quel inhumain, quel barbare ne serait touché par de telles larmes ? Il prend soin de les arrêter, ces larmes qu'il trouve si belles, et l'aimable Bergère prend soin en même temps de le remercier de son léger service ; mais d'une manière si charmante, si tendre, et si passionnée que le Berger n'y peut résister : chaque mot, et chaque regard, est un trait plein de flamme, dont son cœur se sent pénétré. Est-il, disait-il, quelque chose qui puisse mériter les aimables paroles d'un tel remerciement ? Et que ne voudrait-on pas faire, à quels services, à quels dangers ne serait-on pas ravi de courir pour s'attirer un seul moment des touchantes douceurs d'une âme si reconnaissante ? Tout le Spectacle passe sans qu'il y donne aucune attention : mais il se plaint qu'il est trop court, parce qu'en finissant il le sépare de son adorable Bergère, et de cette première vue, de ce premier moment il emporte chez lui tout ce qu'un amour de plusieurs années peut avoir de plus violent. Le voilà aussitôt à sentir tous les maux de l'absence, et il est tourmenté de ne plus voir ce qu'il a si peu vu. Il fait tout ce qu'il peut pour se redonner cette vue, dont il conserve nuit et jour une si chère idée, mais la grande contrainte où l'on tient sa Bergère, lui en ôte tous les moiens. La violence de sa passion le fait résoudre à demander en Mariage l'adorable Beauté sans laquelle il ne peut plus vivre, et il en obtient d'elle la permission par un Billet qu'il a l'adresse de lui faire tenir. Mais dans le même temps on l'avertit que le Père de cette Belle a conclu son mariage avec un autre, et que tout se dispose pour en célébrer la Cérémonie. Jugez quelle atteinte cruelle au cœur de ce triste Berger. Le voilà accablé d'une mortelle douleur. Il ne peut souffrir l'effroyable Idée de voir tout ce qu'il aime entre les bras d'un autre, et son amour au désespoir lui fait trouver moien de s'introduire dans la maison de sa Bergère, pour apprendre ses sentiments, et savoir d'elle la Destinée à laquelle il doit se résoudre. Il y rencontre les apprêts de tout ce qu'il craint. Il y voit venir l'indigne Rival que le caprice d'un Père oppose aux tendresses de son amour. Il le voit Triomphant, ce Rival ridicule auprès de l'aimable Bergère, ainsi qu'auprès d'une Conquête qui lui est assurée, et cette vue le remplit d'une colère dont il a peine à se rendre le maître. Il jette de douloureux regards sur celle qu'il adore, et son respect, et la présence de son Père, l'empêchent de lui rien dire que des yeux : mais enfin, il force toute contrainte, et le transport de son amour l'oblige à lui parler ainsi. Belle Philis, c'est trop, c'est trop souffrir, Rompons ce dur silence, et m'ouvrez vos pensées, Apprenez-moi ma Destinée, Faut-il vivre ? Faut-il mourir ? Hélas ! belle Philis, Se pourrait-il, que l'amoureux Tircis, Eût assez de bonheur, Pour avoir quelque place dans votre cœur ? Ô parole pleine d'appas ! Ai-je bien entendu ? hélas Redites-la, Philis, que je n'en doute pas. De grâce encore, Philis. Recommencez cent fois, ne vous en lassez pas. Dieux, Rois, qui sous vos pieds regardez tout le monde, Pouvez-vous comparer votre bonheur au mien ? Mais, Philis, une pensée Vient troubler ce doux transport, Un Rival, un Rival… Mais un Père à ses vœux vous veut assujettir. Il ne dit rien. Ah ! mon amour… Est-ce que vous ne savez pas, Monsieur, qu'on a trouvé depuis peu l'invention d'écrire les paroles avec les notes mêmes ? J'ai cru vous divertir. Juste Ciel ! que vois-je ? dites, qu'avez-vous, belle Angélique ? Quelle infortune, grand Dieu ! hélas! après la demande que j'avais prié votre Oncle de lui faire de vous, je venais moi-même me jeter à ses pieds pour faire un dernier effort afin de vous obtenir. Eh Monsieur, serez-vous insensible à tant d'amour ? et ne peut-on pas vous attendrir par aucun endroit ? Oui-da, Monsieur, je le veux bien ; Apothicaire même si vous voulez. Je ferais encore des choses bien plus difficiles pour avoir la belle Angélique. En tout cas, me voila prêt à faire ce que l'on voudra. Quel est donc votre dessein ? et que voulez-vous dire avec cette Faculté de vos amis ? Y consentez-vous ? **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_diafoirus *date_1673 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_diafoirus Nous sommes dans toutes nos visites pour porter secours aux malades, et non pour leur porter de l'incommodité. Nous venons ici, Monsieur… Mon Fils Thomas et moi, Vous témoigner, Monsieur, Le ravissement où nous sommes, De la grâce que vous nous faites De vouloir bien nous recevoir Dans l'honneur, Monsieur, De votre alliance ; Et vous assurer, Que dans les choses qui dépendront de notre métier, De même qu'en toute autre, Nous serons toujours prêts, Monsieur, À vous témoigner notre zèle. Allons, Thomas, avancez, faites vos compliments. Oui. Optime. Oui, oui. Faites toujours le compliment de Mademoiselle. Monsieur, ce n'est pas parce que je suis son père, mais je puis dire que j'ai sujet d'être content de lui, et que tous ceux qui le voient en parlent comme d'un Garçon qui n'a point de méchanceté. Il n'a jamais eu l'imagination bien vive, ni ce feu d'esprit qu'on remarque dans quelques-uns ; mais c'est par là que j'ai toujours bien auguré de sa judiciaire, qualité requise pour l'exercice de notre Art. Lorsqu'il était petit, il n'a jamais été ce qu'on appelle mièvre et éveillé. On le voyait toujours doux, paisible, et taciturne ; ne disant jamais mot, et ne jouant jamais à tous ces petits jeux que l'on nomme Enfantins. On eut toutes les peines du monde à lui apprendre à lire, et il avait neuf ans qu'il ne connaissait pas encore ses lettres. Bon, disais-je en moi-même, les Arbres tardifs sont ceux qui portent les meilleurs fruits. On grave sur le marbre, bien plus malaisément que sur le sable ; mais les choses y sont conservées bien plus longtemps, et cette lenteur à comprendre, cette pesanteur d'imagination est la marque d'un bon jugement à venir. Lorsque je l'envoyai au Collège il trouva de la peine ; mais il se raidissait contre les difficultés, et ses Régents se louaient toujours à moi de son assiduité, et de son travail. Enfin, à force de battre le fer, il en est venu glorieusement à avoir ses Licences, et je puis dire sans vanité que depuis deux ans qu'il est sur les Bancs, il n'y a point de Candidat qui ait fait plus de bruit que lui dans toutes les disputes de notre École ; il s'y est rendu redoutable, et il ne s'y passe point d'Acte où il n'aille argumenter à outrance pour la proposition contraire. Il est ferme dans la dispute, fort comme un Turc sur ses principes, ne démord jamais de son opinion, et poursuit un raisonnement jusques dans les derniers recoins de la Logique ; mais sur toute chose, ce qui me plaît en lui, et en quoi il suit mon exemple, c'est qu'il s'attache aveuglément aux Opinions de nos Anciens ; et que jamais il n'a voulu comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle, touchant la Circulation du sang et autres opinions de même forme. Au reste, pour ce qui est des qualités requises pour le Mariage et la propagation, je vous assure que selon les règles de nos Docteurs, il est tel qu'on le peut souhaiter. Qu'il possède en un degré louable la vertu prolifique, et qu'il est du tempérament qu'il faut pour engendrer et procréer des enfants bien conditionnés. À vous en parler franchement, notre métier auprès des Grands ne m'a jamais paru agréable, et j'ai toujours trouvé qu'il valait mieux, pour nous autres, demeurer au public. Le public est commode ; vous n'avez à répondre de vos actions à personne, et pourvu que l'on suive le courant des règles de l'Art, on ne se met point en peine de tout ce qui peut arriver. Mais ce qu'il y a de fâcheux auprès des Grands, c'est que quand ils viennent à être malades, ils veulent absolument que leurs Médecins les guérissent. Cela est vrai. On n'est obligé qu'à traiter les gens dans les formes. Thomas, réservez cela pour une autre fois. Nous allons, Monsieur, prendre congé de vous. Allons, Thomas, prenez l'autre bras de Monsieur, pour voir si vous saurez porter un bon jugement de son pouls. Quid dicis ? Bon. Fort bien. Bene. Optime. Fort bien. Eh oui, qui dit parenchyme dit l'un et l'autre, à cause de l'étroite sympathie qu'ils ont ensemble par le moyen du vas breve du pylore, et souvent des méats cholidoques. Il vous ordonne sans doute de manger force rôti. Eh oui, rôti, bouilli, même chose. Il vous ordonne fort prudemment, et vous ne pouvez être en de meilleures mains. Six, huit, dix, par les nombres pairs, comme dans les médicaments par les nombres impairs. **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_thomas-diafoirus *date_1673 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_thomasdiafoirus N'est-ce pas par le Père qu'il convient commencer ? Monsieur, je viens saluer, reconnaître, chérir, et révérer en vous un second Père : mais un second Père auquel j'ose dire que je me trouve plus redevable qu'au premier. Le premier m'a engendré ; mais vous m'avez choisi. Il m'a reçu par nécessité ; mais vous m'avez accepté par grâce. Ce que je tiens de lui est un ouvrage de son corps ; mais ce que je tiens de vous est un ouvrage de votre volonté ; et d'autant plus que les facultés spirituelles sont au-dessus des corporelles, d'autant plus je vous dois, et d'autant plus je tiens précieuse cette future Filiation, dont je viens aujourd'hui vous rendre par avance les très humbles, et très respectueux hommages. Cela a-t-il bien été, mon Père ? Baiserai-je ? Madame, c'est avec justice que le Ciel vous a concédé le nom de belle-Mère, puisque l'on… Où donc est-elle ? Attendrai-je, mon Père, qu'elle soit venue ? Mademoiselle, ne plus, ne moins que la Statue de Memnon rendait un son harmonieux lorsqu'elle venait à être éclairée des rayons du Soleil, tout de même me sens-je animé d'un doux transport à l'apparition du Soleil de vos beautés ; et comme les Naturalistes remarquent que la Fleur nommée Héliotrope tourne sans cesse vers cet Astre du jour, aussi mon cœur d'ores en avant tournera-t-il toujours vers les Astres resplendissants de vos yeux adorables, ainsi que vers son pôle unique. Souffrez donc, Mademoiselle, que j'appende aujourd'hui à l'Autel de vos charmes l'offrande de ce cœur, qui ne respire, et n'ambitionne autre gloire, que d'être toute sa vie, Mademoiselle, votre très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur, et mari. J'ai contre les Circulateurs soutenu une Thèse qu'avec la permission de Monsieur j'ose présenter à Mademoiselle, comme un hommage que je lui dois des prémices de mon esprit. Avec la permission aussi de Monsieur, je vous invite à venir voir l'un de ces jours pour vous divertir, la Dissection d'une femme sur quoi je dois raisonner. Madame, c'est avec justice que le Ciel vous a concédé le nom de Belle-mère, puisque l'on voit sur votre visage… Puisque l'on voit sur votre visage… Madame, vous m'avez interrompu dans le milieu de ma période, et cela m'a troublé la mémoire. Quant à moi, Mademoiselle, elle est déjà toute née en moi ; et je n'ai pas besoin d'attendre davantage. Nego consequentiam, Mademoiselle ; et je puis être honnête homme, et vouloir bien vous accepter des mains de Monsieur votre Père. Nous lisons des Anciens, Mademoiselle, que leur coutume était d'enlever par force de la maison des Pères les Filles qu'on menait marier, afin qu'il ne semblât pas que ce fût de leur consentement qu'elles convolaient dans les bras d'un homme. Oui, Mademoiselle, jusques aux intérêts de mon amour exclusivement. Distinguo, Mademoiselle, dans ce qui ne regarde point sa possession, Concedo, mais dans ce qui la regarde, Nego. Dico, que le pouls de Monsieur est le pouls d'un homme qui ne se porte point bien. Qu'il est Duriuscule, pour ne pas dire dur. Repoussant. Et même un peu caprisant. Ce qui marque une intempérie dans le parenchyme splénique, c'est-à-dire la rate. **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_purgon *date_1673 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_purgon Qu'est-ce ? on vient de m'apprendre de belles nouvelles. Comment, refuser un Clystère que j'avais pris plaisir moi-même de composer avec grand soin ? Voilà une étrange rébellion d'un Malade contre son Médecin. Le renvoyer avec audace ; c'est une action exorbitante. Un attentat énorme contre la Médecine. C'est un crime de lèse-Faculté. Je vous aurais dans peu tiré d'affaire, et je ne voulais plus que dix Médecines, et vingt Lavements pour vider le fond du sac. Mais puisque vous avez eu l'insolence de mépriser mon Clystère. Que vous vous êtes soustrait de l'obéissance qu'un Malade doit à son Médecin. Je ne veux plus avoir d'alliance avec vous, et voici le don que je faisais de tout mon bien à mon Neveu, en faveur du Mariage avec votre Fille, que je déchire en mille pièces. Je ne veux plus prendre soin de vous, et être davantage votre Médecin. Je vous abandonne à votre méchante constitution, à l'intempérie de votre tempérament, et à la féculence de vos humeurs. Je veux que dans peu vous soyez en un état incurable. Et je vous avertis que vous tomberez dans l'Épilepsie. De l'Épilepsie dans la Phtisie. De la Phtisie dans la Bradypepsie. De la Bradypepsie dans la Lienterie. De la Lienterie dans la Dysenterie. De la Dysenterie dans l'Hydropisie. De l'Hydropisie dans l'Apoplexie. De l'Apoplexie dans la privation de la vie où vous aura conduit votre folie. **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_fleurant *date_1673 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_fleurant C'est un petit Clystère que je vous apporte ; prenez vite, Monsieur, prenez vite, il est comme il faut, il est comme il faut. De quoi vous mêlez-vous, Monsieur ? vous êtes bien plaisant d'empêcher Monsieur de prendre son Clystère, sont-ce là vos affaires ? Que voulez-vous dire avec vos visages ? sachez que je ne perds pas ainsi mes pas, et que je viens ici en vertu d'une bonne Ordonnance, et vous Monsieur, vous vous repentirez du mépris que vous en faites, je vais le dire à Monsieur Purgon, vous verrez, vous verrez. **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_bonnefoy *date_1673 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_bonnefoy Monsieur, vous ne pouvez rien donner à votre Femme par votre Testament. Parce que la Coutume y résiste ; cela serait bon par tout ailleurs et dans le pays de Droit écrit : mais à Paris et dans les Pays Coutumiers, cela ne se peut ; tout avantage qu'Homme et Femme se peuvent faire réciproquement l'un à l'autre en faveur de mariage, n'est qu'un avantage indirect, et qu'un don mutuel entre vifs, encore faut-il qu'il n'y ait point d'Enfants d'eux ou de l'un d'iceux avant le décès du premier mourant. Ce n'est pas aux Avocats à qui il faut s'adresser, ce sont gens fort scrupuleux sur cette matière, qui ne savent pas disposer en fraude de la Loi, et qui sont ignorants des tours de la conscience, c'est notre affaire à nous autres, et je suis venu à bout de bien plus grandes difficultés ; il vous faut pour cela auparavant que de mourir donner à votre femme tout votre argent comptant, et des billets payables au Porteur si vous en avez ; il vous faut outre ce, contracter quantité de bonnes Obligations sous-main avec de vos intimes amis, qui après votre mort les remettront entre les mains de votre femme sans lui rien demander, qui prendra ensuite le soin de s'en faire payer. Pourquoi pleurer, Madame ? les larmes sont hors de saison, et les choses, grâces à Dieu, n'en sont pas encore là. Voulez-vous que nous procédions au Testament ? **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_toinette *date_1673 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_toinette On y va. Diantre soit fait de votre impatience. Vous pressez si fort les personnes, que je me suis donné un grand coup de la tête contre la carne d'un Volet. Ha ! Ha ! Ha ! Ha ! Çamon, ma foi, j'en suis d'avis, après ce que je me suis fait. Et vous m'avez fait, vous, casser la tête. L'un vaut bien l'autre. Quitte à quitte, si vous voulez. Si vous querellez, je pleurerai. Ha ! Ha ! Querellez tout votre soûl, je le veux bien. Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que de mon côté j'aie le plaisir de pleurer. Chacun le sien ce n'est pas trop. Ha ! Votre Lavement ? Ma foi, je ne me mêle point de ces affaires-là. C'est à Monsieur Fleurant à y mettre le nez, puisqu'il en a le profit. Ce Monsieur Fleurant-là, et ce Monsieur Purgon, s'égaient bien sur votre Corps ! Ils ont en vous une bonne Vache à lait ; et je voudrais bien leur demander quel mal vous avez, pour vous faire tant de remèdes. La voici qui vient d'elle-même ; elle a deviné votre pensée. Allez vite, Monsieur, allez. Monsieur Fleurant nous donne des affaires. Quoi ? Hé bien je vous regarde. Hé bien, quoi, Toinette ? Je m'en doute assez : de votre jeune Amant ; car c'est sur lui depuis six jours que roulent tous vos entretiens ; et vous n'êtes point bien si vous n'en parlez à toute heure. Vous ne m'en donnez pas le temps, et vous avez des soins là-dessus, qu'il est difficile de prévenir. Je n'ai garde. Je ne dis pas cela. À Dieu ne plaise. Oui. Oui. D'accord. Oh oui. Assurément. Sans doute. Cela est sûr. Il est vrai. Vous avez raison. Eh, eh, ces choses-là parfois sont un peu sujettes à caution. Les grimaces d'amour ressemblent fort à la vérité ; et j'ai vu de grands Comédiens là-dessus. En tout cas vous en serez bientôt éclaircie ; et la résolution où il vous écrivit hier qu'il était de vous faire demander en mariage, est une prompte marque pour vous faire connaître s'il vous dit vrai, ou non. C'en sera là une bonne preuve. Voilà votre Père qui revient. La bonne Bête a ses raisons. En vérité je vous sais bon gré de cela, et voilà l'action la plus sage que vous ayez faite de votre vie. Quoi, Monsieur, vous auriez fait ce dessein burlesque ? et avec tout le bien que vous avez, vous voudriez marier votre Fille avec un Médecin ? Mon Dieu tout doux, vous allez d'abord aux invectives. Est-ce que nous ne pouvons pas raisonner ensemble sans nous emporter ? Là, parlons de sang froid. Quelle est votre raison, s'il vous plaît, pour un tel mariage ? Hé bien, voilà dire une raison, et il y a plaisir à se répondre doucement les uns aux autres. Mais, Monsieur, mettez la main à la conscience. Est-ce que vous êtes malade ? Hé bien oui, Monsieur, vous êtes malade, n'ayons point de querelle là-dessus. Oui, vous êtes fort malade, j'en demeure d'accord, et plus malade que vous ne pensez. Voilà qui est fait. Mais votre Fille doit épouser un Mari pour elle ; et n'étant point malade, il n'est pas nécessaire de lui donner un Médecin. Ma foi, Monsieur, voulez-vous qu'en Amie je vous donne un conseil ? De ne point songer à ce mariage-là. La raison ? C'est que votre Fille n'y consentira point. Non. Votre Fille. Elle vous dira qu'elle n'a que faire de Monsieur Diafoirus, ni de son fils Thomas Diafoirus, ni de tous les Diafoirus du monde. Il faut qu'il ait tué bien des Gens, pour s'être fait si riche. Monsieur, tout cela est bel et bon ; mais j'en reviens toujours là. Je vous conseille entre nous de lui choisir un autre Mari, et elle n'est point faite pour être Madame Diafoirus. Eh fi, ne dites pas cela. Hé non. On dira que vous ne songez pas à ce que vous dites. Non, je suis sûr qu'elle ne le fera pas. Elle ne le fera pas, vous dis-je. Vous ? Bon. Vous ne la mettrez point dans un Convent. Non. Non. Non, vous dis-je. Vous-même. Oui. Vous n'aurez pas ce cœur-là. Vous vous moquez. La tendresse paternelle vous prendra. Une petite larme ou deux, des bras jetés au cou, un mon petit Papa mignon prononcé tendrement, fera assez pour vous toucher. Oui, oui. Bagatelles. Mon Dieu je vous connais ; vous êtes bon naturellement. Doucement, Monsieur ; vous ne songez pas que vous êtes malade. Et moi je lui défends absolument d'en faire rien. Quand un Maître ne songe pas à ce qu'il fait, une Servante bien sensée est en droit de le redresser. Il est de mon devoir de m'opposer aux choses qui vous peuvent déshonorer. Je m'intéresse, comme je dois, à ne vous point laisser faire de folie. Non, je ne consentirai jamais à ce mariage. Je ne veux point qu'elle épouse votre Thomas Diafoirus. Et elle m'obéira plutôt qu'à vous. Et moi je la déshériterai, si elle vous obéit. Madame. Moi, Madame ? Hélas je ne sais pas ce que vous me voulez dire, et je ne songe qu'à complaire à Monsieur en toutes choses. Il nous a dit qu'il voulait donner sa Fille en mariage au Fils de Monsieur Diafoirus. Je lui ai répondu que je trouvais le Parti avantageux pour elle ; mais que je croyais qu'il ferait mieux de la mettre dans un Convent. Et celui-ci pour vous garder du serein. Entrez, entrez, ils ne sont plus ici : j'ai une inquiétude prodigieuse ; j'ai vu un Notaire avec eux, et ai entendu parler de Testament ; votre belle-Mère ne s'endort point, et veut sans doute profiter de la colère où vous avez tantôt mis votre Père ; elle aura pris ce temps pour nuire à vos intérêts. Votre belle-Mère tâche par toutes sortes de promesses de m'attirer dans son parti ; mais elle a beau faire, elle n'y réussira jamais, et je me suis toujours trouvé de l'inclination à vous rendre service ; cependant comme il nous est nécessaire dans la conjoncture présente de savoir ce qui se passe, afin de mieux prendre nos mesures, et de mieux venir à bout de notre dessein, j'ai envie de lui faire croire par de feintes complaisances que je suis entièrement dans ses intérêts, l'envie qu'elle a que j'y sois, ne manquera pas de la faire donner dans le panneau, c'est un sûr moyen pour découvrir ses intrigues, et cela nous servira beaucoup. Il faut en premier lieu avertir Cléante du dessein de votre père, et le charger de s'acquitter au plus tôt de la parole qu'il vous a donnée ; il n'y a point de temps à perdre, il faut qu'il se détermine. Il est assez difficile, et je ne trouve personne plus propre à s'en acquitter que le vieux Usurier Polichinelle mon Amant, il m'en coûtera pour cela quelques faveurs, et quelques baisers que je veux bien dépenser pour vous ; Allez, reposez-vous sur moi, dormez seulement en repos, il est tard, je crains qu'on ait affaire de moi ; j'entends qu'on m'appelle, retirez-vous, adieu bonsoir, je vais songer à vous. Que demandez-vous, Monsieur ? Ah, ah, c'est vous ! quelle surprise ! Que venez-vous faire céans ? Oui ; mais on ne parle pas comme cela de but en blanc à Angélique. Il y faut des mystères, et l'on vous a dit l'étroite garde où elle est retenue. Qu'on ne la laisse, ni sortir, ni parler à personne, et que ce ne fut que la curiosité d'une vieille Tante, qui nous fit accorder la liberté d'aller à cette Comédie, qui donna lieu à la naissance de votre passion, et nous nous sommes bien gardées de parler de cette aventure. Voici son Père. Retirez-vous un peu, et me laissez lui dire que vous êtes là. Monsieur, voilà un… Je voulais vous dire Monsieur… Monsieur… Je vous dis que… Je dis que voilà un homme qui veut parler à vous. Ne parlez pas si haut, de peur d'ébranler le cerveau de Monsieur. Comment qu'il se porte mieux ! cela est faux, Monsieur se porte toujours mal. Que voulez-vous dire avec votre bon visage ? Monsieur l'a fort mauvais, et ce sont des impertinents qui vous ont dit qu'il était mieux, il ne s'est jamais si mal porté. Il marche, dort, mange, et boit tout comme les autres : mais cela n'empêche pas qu'il ne soit fort malade. Je crois, Monsieur, qu'il sera mieux de mener Monsieur à sa Chambre. Il ne pourra lui donner leçon comme il faut, s'ils ne sont en particulier. Monsieur, cela ne fera que vous étourdir, et il ne faut rien pour vous émouvoir en l'état où vous êtes. Ma foi, Monsieur, je suis pour vous maintenant, et je me dédis de tout ce que je disais hier. Voici Monsieur Diafoirus le Père, et Monsieur Diafoirus le Fils qui viennent vous rendre visite. Que vous serez bien engendré ! Vous allez voir le garçon le mieux fait du monde, et le plus spirituel. Il n'a dit que deux mots qui m'ont ravie, et votre fille va être charmée de lui. Allons qu'on se range, les voici. Vivent les Collèges d'où l'on sort si habile homme. Voilà ce que c'est que d'étudier, on apprend à dire de belles choses. Assurément. Ce sera quelque chose d'admirable, s'il fait d'aussi belles cures, qu'il fait de beaux discours. Donnez, donnez, elle est toujours bonne à prendre pour l'Image, cela servira à parer notre chambre. Le divertissement sera agréable. Il y en a qui donnent la Comédie à leurs Maîtresses ; mais donner une dissection est quelque chose de plus galant. Cela est plaisant, et ils sont bien impertinents de vouloir que vous autres Messieurs vous les guérissiez. Vous n'êtes point auprès d'eux pour cela. Vous n'y êtes que pour recevoir vos pensions et leur ordonner des Remèdes, c'est à eux à guérir s'ils peuvent. Ah, Madame, vous avez bien perdu de n'avoir point été au second Père, à la Statue de Memnon, et à la Fleur nommée Héliotrope. Vous avez beau raisonner ; Monsieur est frais émoulu du Collège, et il vous donnera toujours votre reste. Pourquoi tant résister, et refuser la gloire d'être attachée au Corps de la Faculté ? De bonne Casse est bonne. Monsieur, vous oubliez votre bâton ; vous ne songez pas que vous ne sauriez marcher sans lui. Eh, Monsieur, n'avez-vous point de pitié pour votre Nièce, et la laisserez-vous sacrifier au caprice de son Père, qui veut absolument qu'elle épouse ce qu'elle hait le plus au monde? Il est vrai que difficilement le fait-on changer de sentiment. Écoutez, pourtant, je songe à quelque chose qui pourrait bien nous réussir. C'est un dessein assez burlesque, et une imagination fort plaisante qui me vient dans l'esprit pour duper notre homme ; je songe qu'il faudrait faire venir un Médecin à notre poste, qui eût une méthode tout contraire à celle de Monsieur Purgon, qui le décriât et le fît passer pour un ignorant ; qui lui offrît ses services, et lui promît de prendre soin de lui en sa place, peut-être serons nous plus heureux que sages : éprouvons ceci à tout hasard ; mais comme je ne vois personne propre à bien faire le Médecin, j'ai envie de jouer un tour de ma teste. Vous verrez ce que c'est, j'entends votre Frère secondez-moi bien seulement. Cela est vrai. Assurément. Cela est certain. Vous avez raison. Il ne le mérite pas. C'est fort bien fait. Monsieur, il y a un Médecin à la porte qui souhaite parler à vous. C'est un Médecin de la Médecine qui me ressemble comme deux gouttes d'eau ; et si je ne savais que ma mère était honnête femme, je croirais que ce serait quelque petit frère qu'elle m'aurait donné depuis le trépas de mon père. Monsieur, quoique je n'aie pas l'honneur d'être connu de vous, ayant appris que vous êtes malade, je viens vous offrir mon service pour toutes les purgations et les saignées dont vous aurez besoin. Monsieur, je vous demande pardon, j'ai une petite affaire en Ville, permettez-moi d'y envoyer mon Valet que j'ai laissé à votre porte, dire que l'on m'attende. Que voulez-vous, Monsieur ? Ne m'avez-vous pas appelée ? Il faut donc que les oreilles m'aient corné. Ah, vraiment oui ; je l'ai assez vu. Monsieur, excusez-moi s'il vous plaît. Je suis un Médecin passager, courant de Villes en Villes, et de Royaumes en Royaumes pour chercher d'illustres Malades, et pour trouver d'amples matières à ma Capacité. Je ne suis pas de ces Médecins d'ordinaire, qui ne s'amusent qu'à des bagatelles de Fiévrottes, de Rhumatismes, de Migraines, et autres Maladies de peu de conséquence : je veux de bonnes Fièvres continues, avec des transports au Cerveau, de bonnes oppressions de Poitrine, de bons Maux de Côté, de bonnes Fièvres pourprées, de bonnes Véroles, de bonnes Pestes. C'est là où je me plais ; c'est là où je triomphe ; et je voudrais, Monsieur, que vous eussiez toutes ces maladies ensemble ; que vous fussiez abandonné de tous les Médecins, et à l'agonie, pour vous montrer la longue et grande expérience que j'ai dans notre Art, et la passion que j'ai de vous rendre service. Je vois que vous me regardez fixement, quel âge croyez-vous bien que j'aie ? Bon, j'en ai quatre-vingt dix. Oui, quatre-vingt dix ans, et j'ai su me maintenir toujours frais et jeune, comme vous voyez, par la vertu et la bonté de mes Remèdes. Donnez-moi bien votre pouls : allons donc, voilà un pouls bien impertinent ; ah, je vois bien que vous ne me connaissez pas encore, je vous ferai bien aller comme il faut. Qui est votre Médecin ? Monsieur Purgon ? ce nom ne m'est point connu, et n'est point écrit sur mes Tablettes dans le rang des grands et fameux Médecins qui y sont : quittez-moi cet homme, ce n'est point du tout votre affaire, il faut que ce soit peu de chose ; je veux vous en donner un de ma main. De quoi dit-il que vous êtes malade ? L'ignorant ! c'est du Poumon que vous êtes malade. Oui, du Poumon : n'avez-vous pas grand appétit à ce que vous mangez ? C'est justement le Poumon : ne trouvez-vous pas le vin bon ? Le Poumon ; ne rêvez-vous point pendant la nuit ? Le Poumon ; ne faites-vous point un petit sommeil après le repas? Le Poumon ; le Poumon, vous dis-je. Que vous ordonne-t-il de manger ? L'ignorant ! L'ignorant ! L'ignorant ! L'ignorant ! Ignorantus, ignoranta, ignorantum. Et moi, je vous ordonne de bon gros Pain bis, de bon gros Bœuf, de bons gros Pois, de bon Fromage d'Hollande ; et afin que vous ne crachiez plus, des Marrons et des Oublies, pour coller et conglutiner. Croyez-moi exécutez-la, vous vous en trouverez bien. À propos, je m'aperçois ici d'une chose. Dites-moi, Monsieur que faites-vous de ce bras-là ? Si vous me croyez, vous vous le ferez couper tout à l'heure. Ne voyez-vous pas qu'il attire à lui toute la nourriture, et qu'il empêche l'autre côté de profiter ? Si j'étais aussi en votre place, je me ferais crever cet œil-ci tout à l'heure. N'en verrez-vous pas une fois plus clair de l'autre ? faites-le, vous dis-je, et tout à présent. Excusez-moi, Monsieur, si je suis obligé de vous quitter si tôt, je vous verrai quelquefois pendant le séjour que je ferai en cette Ville ; mais je suis obligé de me trouver aujourd'hui à une Consultation qui se doit faire pour un Malade qui mourut hier. Pour aviser aux Remèdes qu'il eût fallu lui faire pour le guérir, et s'en servir dans une semblable occasion. Doucement, doucement, Monsieur le Médecin, modérez, s'il vous plaît, votre appétit. Vraiment votre Médecin veut rire, ma foi il a voulu mettre sa main sur mon sein en sortant. Monsieur a raison, et on ne peut pas concevoir l'amitié qu'elle a pour lui ; voulez-vous que je vous fasse voir comme Madame aime Monsieur ? Eh Monsieur laissez-moi faire, souffrez que je le détrompe, et que je lui fasse voir son bec jaune. J'entends Madame qui revient de Ville. Vous Monsieur, cachez-vous dans ce petit endroit, et prenez garde surtout que l'on ne vous voie ; approchons votre chaise, mettez-vous dedans tout de votre long, et contrefaites le mort. Vous verrez par le regret qu'elle témoignera de votre perte, l'amitié qu'elle vous porte : la voici. Ah Ciel ! quelle cruelle aventure ! quel malheur imprévu vient de m'arriver ? que ferai-je malheureuse ? Et comment annoncer à Madame de si méchantes nouvelles ? Ah ! ah ! Ah Madame ! quelle perte venez-vous de faire ? Monsieur vient de mourir tout à l'heure subitement ; j'étais seule ici, et il n'y avait personne pour le secourir. Hélas ! oui, le pauvre homme défunt est trépassé. Moi, Madame? et je croyais qu'il fallût pleurer. Voila une belle Oraison Funèbre. Ah ! Madame, je n'ai garde de manquer à mon devoir. Quoi, le défunt n'est pas mort ? Je vous jure que j'ai bien été trompée, et je n'eusse jamais cru cela. Mais j'aperçois votre fille, retournez-vous-en où vous étiez ; et vous remettez dans votre chaise, il est bon aussi de l'éprouver, et ainsi vous connaîtrez les sentiments de toute votre famille. Ah quel étrange accident ! mon pauvre Maître est mort ; que de larmes, que de pleurs il nous va coûter ! quel désastre ! s'il était encore mort d'une autre manière, on n'en aurait pas tant de regret ! ah ! que j'en ai de déplaisir ; ha, ha, ha ! Hélas ! votre père est mort. Ah il ne l'est que trop, et il vient d'expirer entre mes bras d'une faiblesse qui lui a prise. Tenez, voyez-le, le voilà tout étendu dans sa chaise. Ha, ha. Comment ! vous résisterez à de si grandes marques de tendresse ? là Monsieur, rendez-vous. Tenez, Monsieur, votre barbe y peut beaucoup, et la barbe fait plus de la moitié d'un Médecin. **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_flore *date_1673 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_flore Quittez, quittez vos Troupeaux, Venez Bergers, venez Bergères, Accourez, accourez sous ces tendres Ormeaux ; Je viens vous annoncer des nouvelles bien chères, Et réjouir tous ces Hameaux. Quittez, quittez vos Troupeaux, Venez Bergers, venez Bergères, Accourez, accourez, sous ces tendres Ormeaux. La voici, silence, silence. Vos vœux sont exaucés, louis est de retour, Il ramène en ces lieux les Plaisirs et l'Amour. Et vous voyez finir vos mortelles alarmes, Par ses vastes Exploits son bras voit tout soumis, Il quitte les armes Faute d'ennemis. De vos Flûtes bocagères Réveillez les plus beaux sons ; louis offre à vos Chansons La plus belle des matières. Après cent combats, Où cueille son bras Une ample victoire : Formez entre vous Cent combats plus doux, Pour chanter sa gloire. Mon jeune Amant dans ce bois, Des présents de mon empire Prépare un prix à la voix, Qui saura le mieux nous dire Les vertus et les Exploits Du plus Auguste des Rois. Bien que pour étaler ses vertus immortelles La force manque à vos esprits. Ne laissez pas tous deux de recevoir le prix. Dans les choses grandes et belles Il suffit d'avoir entrepris. **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_pan *date_1673 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_pan Laissez, laissez, Bergers, ce dessein téméraire, Hé, que voulez-vous faire ? Chanter sur vos chalumeaux, Ce qu'Apollon sur sa Lyre Avec ses chants les plus beaux, N'entreprendrait pas de dire? C'est donner trop d'essor au feu qui vous inspire, C'est monter vers les Cieux sur des ailes de cire, Pour tomber dans le fonds des Eaux. Pour chanter de louis l'intrépide courage; Il n'est point d'assez docte voix, Point de mots assez grands pour en tracer l'Image; Le silence est le langage Qui doit louer ses Exploits. Consacrez d'autres soins à sa pleine Victoire, Des louanges n'ont rien qui flatte ses désirs, Laissez, laissez là sa gloire Ne songez qu'à ses plaisirs. **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_climene *date_1673 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_climene Quelle nouvelle parmi nous, Déesse, doit jeter tant de réjouissance ? Si Tircis a l'avantage, À le cherir je m'engage. **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_daphne *date_1673 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_daphne Nous brûlons d'apprendre de vous Cette nouvelle d'importance. Si Dorilas est vainqueur. Je me donne à son ardeur. **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_tircis *date_1673 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_tircis Si d'un peu d'amitié tu payeras mes vœux ? Languirai-je toujours dans ma peine mortelle ? Ô trop chère espérance ! Quand la neige fondue enfle un torrent fameux, Contre l'effort soudain de ses flots écumeux Il n'est rien d'assez solide; Digues, Châteaux, Villes, et Bois, Hommes, et Troupeaux à la fois, Tout cède au courant qui le guide, Tel, et plus fier et plus rapide, Marche louis dans ses Exploits. Des fabuleux Exploits que la Grèce a chantés, Par un brillant amas de belles vérités Nous voyons la gloire effacée, Et tous ces fameux demi-dieux, Que vante l'Histoire passée Ne sont point à notre pensée, Ce que louis est à nos yeux : **** *creator_moliere *book_moliere_maladeimaginaire *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_maladeimaginaire *dist2_moliere_prose_comedy *id_dorilas *date_1673 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_dorilas Si tu seras sensible à mon ardeur fidèle ? Puis-je espérer qu'un jour tu me rendras heureux? D'ardeur nous en soupirons tous. Ô mot plein de douceur ! Le foudre menaçant qui perce avec fureur L'affreuse obscurité de la nue enflammée, Fait d'épouvante et d'horreur Trembler le plus ferme cœur: Mais à la tête d'une armée louis jette plus de terreur. louis fait à nos temps par ses faits inouïs Croire tous les beaux faits que nous chante l'histoire Des Siècles évanouis : Mais nos Neveux dans leur gloire, N'auront rien qui fasse croire Tous les beaux faits de louis. **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_sganarelle *date_1664 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_sganarelle Je suis de retour dans un moment. Que l'on ait bien soin du Logis ; et que tout aille comme il faut. Si l'on m'apporte de l'argent, que l'on me vienne quérir vite chez le Seigneur Géronimo ; et si l'on vient m'en demander, qu'on dise que je suis sorti, et que je ne dois revenir de toute la journée. Ah ! Seigneur Géronimo, je vous trouve à propos ; et j'allais chez vous vous chercher. Pour vous communiquer une Affaire, que j'ai en tête ; et vous prier de m'en dire votre avis. Mettez donc dessus, s'il vous plaît. Il s'agit d'une chose de conséquence, que l'on m'a proposée ; et il est bon de ne rien faire, sans le conseil de ses Amis. Mais auparavant, je vous conjure de ne me point flatter du tout ; et de me dire nettement votre pensée. Je ne vois rien de plus condamnable qu'un Ami, qui ne nous parle pas franchement. Et dans ce Siècle, on trouve peu d'Amis sincères. Promettez-moi donc, Seigneur Géronimo, de me parler avec toute sorte de franchise. Jurez-en votre foi. C'est que je veux savoir de vous, si je ferai bien de me marier. Oui, moi-même en propre Personne. Quel est votre avis là-dessus ? Et quoi ? Moi ? Ma foi, je ne sais ; mais je me porte bien. Non. Est-ce qu'on songe à cela ? Ma foi, je n'avais que vingt ans alors. Huit ans. Sept ans. Cinq ans, et demi. Je revins en cinquante-six. Qui, moi ? Cela ne se peut pas. Et moi, je vous dis que je suis résolu de me marier ; et que je ne serai point ridicule en épousant la Fille, que je recherche. C'est une Fille, qui me plaît ; et que j'aime de tout mon cœur. Sans doute ; et je l'ai demandée à son Père. Oui, c'est un Mariage, qui se doit conclure ce soir ; et j'ai donné parole. Je quitterais le dessein que j'ai fait ? Vous semble-t-il, Seigneur Géronimo, que je ne sois plus propre à songer à une Femme ? Ne parlons point de l'âge que je puis avoir ; mais regardons seulement les choses. Y a-t-il Homme de trente ans, qui paraisse plus frais, et plus vigoureux, que vous me voyez ? N'ai-je pas tous les mouvements de mon Corps aussi bons que jamais ? Et voit-on que j'aie besoin de Carrosse, ou de Chaise, pour cheminer ? N'ai-je pas encore toutes mes dents les meilleures du monde ? Ne fais-je pas vigoureusement mes quatre Repas par jour ? Et peut-on voir un Estomac qui ait plus de force que le mien ? Hem, hem, hem. Eh ? Qu'en dites-vous ? J'y ai répugné autrefois : mais j'ai maintenant de puissantes raisons pour cela. Outre la joie que j'aurai de posséder une belle Femme, qui me fera mille caresses ; qui me dorlotera, et me viendra frotter, lorsque je serai las : outre cette joie, dis-je, je considère, qu'en demeurant comme je suis, je laisse périr dans le Monde la race des Sganarelles ; et qu'en me mariant, je pourrai me voir revivre en d'autres moi-mêmes ; que j'aurai le plaisir de voir des Créatures, qui seront sorties de moi ; de petites Figures qui me ressembleront comme deux gouttes d'eau ; qui se joueront continuellement dans la Maison ; qui m'appelleront leur Papa, quand je reviendrai de la Ville, et me diront de petites folies les plus agréables du Monde. Tenez, il me semble déjà que j'y suis, et que j'en vois une demi-douzaine autour de moi. Tout de bon ; vous me le conseillez ? Vraiment, je suis ravi que vous me donniez ce conseil en véritable Ami. Dorimène. Oui. Justement. C'est cela. Qu'en dites-vous ? N'ai-je pas raison, d'avoir fait ce choix ? Vous me comblez de joie, de me dire cela. Je vous remercie de votre conseil ; et je vous invite ce soir à mes Noces. Serviteur. Ce Mariage doit être heureux ; car il donne de la joie à tout le monde ; et je fais rire tous ceux à qui j'en parle. Me voilà maintenant le plus content des Hommes. Voici ma Maîtresse, qui vient. Ah ! qu'elle est agréable ! quel air ! et quelle taille ! Peut-il y avoir un Homme, qui n'ait, en la voyant, des démangeaisons, de se marier ? Où allez-vous, belle Mignonne, chère Épouse future de votre Époux futur ? Hé bien, ma Belle, c'est maintenant que nous allons être heureux l'un, et l'autre. Vous ne serez plus en droit de me rien refuser ; et je pourrai faire avec vous tout ce qu'il me plaira, sans que personne s'en scandalise. Vous allez être à moi depuis la tête jusqu'aux pieds ; et je serai Maître de tout : De vos petits yeux éveillés ; de votre petit nez fripon ; de vos lèvres appétissantes ; de vos oreilles amoureuses ; de votre petit menton joli ; de vos petits tétons rondelets ; de votre... Enfin toute votre Personne sera à ma discrétion ; et je serai à même, pour vous caresser, comme je voudrai. N'êtes-vous pas bien aise de ce Mariage, mon aimable Pouponne ? Ce sont quelques vapeurs, qui me viennent de monter à la tête. Mon Dieu, cela n'est pas pressé. Il m'est venu, depuis un moment, de petits scrupules sur le mariage. Avant que de passer plus avant, je voudrais bien agiter à fond cette matière ; et que l'on m'expliquât un Songe que j'ai fait cette Nuit, et qui vient tout à l'heure de me revenir dans l'esprit. Vous savez que les Songes sont comme des Miroirs, où l'on découvre quelquefois tout ce qui nous doit arriver. Il me semblait que j'étais dans un Vaisseau, sur une Mer bien agitée ; et que... Il a raison. Il faut que je consulte un peu ces Gens-là sur l'incertitude où je suis. Ah ! bon, en voici un fort à propos. Il a pris querelle contre quelqu'un. Seigneur... La colère l'empêche de me voir. Seigneur... Il faut qu'on l'ait fort irrité. Je... Je baise les mains à Monsieur le Docteur. Peut-on... Je vous... Je... Puis-je... Seigneur Aristote, peut-on savoir ce qui vous met si fort en colère ? Et quoi encore ? Puis-je demander ce que c'est ? Quoi donc ? Comment ? Je pensais que tout fût perdu. Seigneur Docteur, ne songez plus à tout cela. Je... Laissez la Forme, et le Chapeau en paix ; j'ai quelque chose à vous communiquer. Je... De grâce, remettez-vous. Je... Eh ! mon Dieu. Je... Il a tort. Je... Cela est vrai. Je... Vous avez raison. Oui, vous êtes un Sot, et un Impudent, de vouloir disputer contre un Docteur, qui sait lire, et écrire. Voilà qui est fait, je vous prie de m'écouter. Je viens vous consulter sur une Affaire qui m'embarrasse. J'ai dessein de prendre une Femme, pour me tenir compagnie dans mon Ménage. La Personne est belle, et bien faite : elle me plaît beaucoup, et est ravie de m'épouser. Son Père me l'a accordée ; mais je crains un peu ce que vous savez, la disgrâce dont on ne plaint Personne ; et je voudrais bien vous prier, comme Philosophe, de me dire votre sentiment. Eh ! quel est votre avis là-dessus ? La peste soit de l'Homme. Eh ! Monsieur le Docteur, écoutez un peu les Gens. On vous parle une heure durant ; et vous ne répondez point à ce qu'on vous dit. Eh ! laissez tout cela ; et prenez la peine de m'écouter. Je veux vous parler de quelque chose. De quelle langue ? Parbleu, de la langue que j'ai dans la bouche ; je crois que je n'irai pas emprunter celle de mon Voisin. Ah ! c'est une autre affaire. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non, non, Français. Fort bien. Il faut bien des cérémonies avec ces sortes de Gens-ci ! Vous consulter sur une petite difficulté. Pardonnez-moi. Je... Point du tout. Je... Ce n'est pas cela. Je... Non. Je... Point. Je... Nenni. Je... Non. Je... Eh ! non. Je... Non, non, non, non, non, de par tous les diables, non. Je vous la veux expliquer aussi : mais il faut m'écouter. L'affaire que j'ai à vous dire, c'est que j'ai envie de me marier avec une Fille, qui est jeune, et belle. Je l'aime fort, et l'ai demandée à son Père : mais comme j'appréhende... Au Diable les Savants, qui ne veulent point écouter les Gens. On me l'avait bien dit, que son Maître Aristote n'était qu'un Bavard. Il faut que j'aille trouver l'autre ; il est plus posé, et plus raisonnable. Holà. Seigneur Docteur, j'aurais besoin de votre Conseil sur une petite Affaire dont il s'agit ; et je suis venu ici pour cela. Ah ! voilà qui va bien. Il écoute le monde, celui-ci. Il me semble ! Parbleu, il faut bien qu'il me le semble, puisque cela est. Comment, il n'est pas vrai que je suis venu ? Quoi ? je ne suis pas ici ; et vous ne me parlez pas ? Eh ! que Diable, vous vous moquez. Me voilà, et vous voilà bien nettement ; et il n'y a point de me semble à tout cela. Laissons ces subtilités je vous prie ; et parlons de mon Affaire. Je viens vous dire que j'ai envie de me marier. Je vous le dis. La Fille, que je veux prendre, est fort jeune, et fort belle. Ferai-je bien, ou mal, de l'épouser ? Ah ! ah ! voici une autre Musique. Je vous demande, si je ferai bien d'épouser la Fille dont je vous parle. Ferai-je mal ? De grâce, répondez-moi, comme il faut. J'ai une grande inclination pour la Fille. Le Père me l'a accordée. Mais en l'épousant, je crains d'être Cocu. Qu'en pensez-vous ? Mais que feriez-vous, si vous étiez en ma place ? Que me conseillez-vous de faire ? J'enrage ! Au Diable soit le vieux rêveur. La peste du Bourreau. Je te ferai changer de note, chien de Philosophe enragé. Te voilà payé de ton galimatias ; et me voilà content. Corrigez, s'il vous plaît, cette manière de parler. Il faut douter de toutes choses ; et vous ne devez pas dire que je vous ai battu ; mais qu'il vous semble que je vous ai battu. Je m'en lave les mains. Il se peut faire. Il n'y a pas d'impossibilité. Je n'en sais rien. Il en sera ce qui pourra. Comment ? on ne saurait tirer une Parole positive de ce chien d'Homme-là ! et l'on est aussi savant à la fin, qu'au commencement ! Que dois-je faire dans l'incertitude des suites de mon Mariage ? Jamais Homme ne fut plus embarrassé que je suis. Ah ! voici des Égyptiennes. Il faut que je me fasse dire par elles ma bonne Aventure. Elles sont gaillardes. Écoutez, vous autres, y a-t-il moyen de me dire ma bonne fortune ? Tenez, les voilà toutes deux, avec ce que vous demandez. Voilà qui est bien : mais, dites-moi un peu, suis-je menacé d'être Cocu ? Oui. Oui, si je suis menacé d'être Cocu ? Que Diable, ce n'est pas là me répondre. Venez çà. Je vous demande à toutes deux, si je serai Cocu ? Oui, si je serai cocu ? Oui, si je le serai, ou non ? Peste soit des Carognes, qui me laissent dans l'inquiétude ! Il faut absolument que je sache la destinée de mon Mariage : et pour cela, je veux aller trouver ce grand Magicien, dont tout le monde parle tant, et qui par son art admirable fait voir tout ce que l'on souhaite. Ma foi, je crois que je n'ai que faire d'aller au Magicien, et voici qui me montre tout ce que je puis demander. Me voilà tout à fait dégoûté de mon Mariage ; et je crois que je ne ferai pas mal de m'aller dégager de ma Parole. Il m'en a coûté quelque argent : mais il vaut mieux encore perdre cela, que de m'exposer à quelque chose de pis. Tâchons adroitement de nous débarrasser de cette affaire. Holà. Monsieur, votre serviteur. Excusez-moi. Je viens ici pour un autre sujet. Il n'est pas question de cela. Ce n'est pas ce qui m'amène. Mon Dieu, c'est autre chose. J'ai un petit mot à vous dire. Non, vous dis-je. Je vous veux parler auparavant. Oui. Seigneur Alcantor, j'ai demandé votre fille en mariage, il est vrai ; et vous me l'avez accordée : mais je me trouve un peu avancé en âge pour elle ; et je considère que je ne suis point du tout son fait. Point ; j'ai parfois des bizarreries épouvantables ; et elle aurait trop à souffrir de ma mauvaise humeur. J'ai quelques infirmités sur mon Corps, qui pourraient la dégoûter. Enfin voulez-vous que je vous dise, je ne vous conseille pas de me la donner. Mon Dieu, je vous en dispense, et je... Que diable ! Seigneur Alcantor, je vous suis obligé de l'honneur que vous me faites ; mais je vous déclare que je ne me veux point marier. Oui, moi. La raison ; c'est que je ne me sens point propre pour le Mariage ; et que je veux imiter mon Père, et tous ceux de ma Race, qui ne se sont jamais voulu marier. Encore est-il plus raisonnable que je ne pensais ; et je croyais avoir bien plus de peine à m'en dégager. Ma foi, quand j'y songe, j'ai fait fort sagement, de me tirer de cette Affaire ; et j'allais faire un pas, dont je me serais peut-être longtemps repenti. Mais voici le Fils qui me vient rendre réponse. Monsieur, je suis le vôtre de tout mon cœur. Oui, Monsieur, c'est avec regret : mais... J'en suis fâché, je vous assure ; et je souhaiterais... De ces deux Épées ? À quoi bon ? Comment ? Voilà un Compliment fort mal tourné. Je suis votre Valet : je n'ai point de gorge à me couper. La vilaine façon de parler que voilà ! Eh ! Monsieur, rengainez ce Compliment, je vous prie. Je ne veux point de cela, vous dis-je. Nenni, ma foi. Tout de bon. Quel Diable d'Homme est-ce ci ? Encore ! Monsieur, je ne puis faire ni l'un, ni l'autre, je vous assure. Assurément. Ah, ah, ah, ah. Hé bien ! j'épouserai, j'épouserai... **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_geronimo *date_1664 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_geronimo Voilà un Ordre fort prudent. Et pour quel sujet, s'il vous plaît ? Très volontiers. Je suis bien aise de cette rencontre ; et nous pouvons parler ici en toute liberté. Je vous suis obligé, de m'avoir choisi pour cela. Vous n'avez qu'à me dire ce que c'est. Je le ferai, puisque vous le voulez. Vous avez raison. Cela est vrai. Je vous le promets. Oui, foi d'Ami. Dites-moi seulement votre Affaire. Qui, vous ? Je vous prie auparavant, de me dire une chose. Quel âge pouvez-vous bien avoir maintenant ? Oui. Quoi ! Vous ne savez pas à peu près, votre âge ? Hé, dites-moi un peu, s'il vous plaît : Combien aviez-vous d'années, lorsque nous fîmes connaissance ? Combien fûmes-nous ensemble à Rome ? Quel temps avez-vous demeuré en Angleterre ? Et en Hollande, où vous fûtes ensuite ? Combien y a-t-il, que vous êtes revenu ici ? De cinquante-six, à soixante-huit, il y a douze ans, ce me semble. Cinq ans en Hollande, font dix-sept. Sept ans en Angleterre, font vingt-quatre. Huit dans notre séjour à Rome, font trente-deux : Et vingt que vous aviez lorsque nous nous connûmes, cela fait justement cinquante-deux. Si bien, Seigneur Sganarelle, que sur votre propre confession, vous êtes, environ, à votre cinquante-deuxième, ou cinquante-troisième année. Mon Dieu, le calcul est juste. Et là-dessus je vous dirai franchement, et en Ami, comme vous m'avez fait promettre de vous parler, que le Mariage n'est guère votre fait. C'est une chose à laquelle il faut que les jeunes Gens pensent bien mûrement avant que de la faire : mais les Gens de votre âge n'y doivent point penser du tout. Et si l'on dit, que la plus grande de toutes les folies, est celle de se marier, je ne vois rien de plus mal à propos, que de la faire, cette folie, dans la Saison où nous devons être plus sages. Enfin je vous en dis nettement ma pensée. Je ne vous conseille point de songer au Mariage ; et je vous trouverais le plus ridicule du Monde, si ayant été libre jusqu'à cette heure, vous alliez vous charger maintenant de la plus pesante des chaînes. Ah ! c'est une autre chose. Vous ne m'aviez pas dit cela. Vous l'aimez de tout votre cœur ? Vous l'avez demandée ? Oh ! mariez-vous donc. Je ne dis plus mot. Vous avez raison : je m'étais trompé. Vous ferez bien de vous marier. Il n'y a rien de plus agréable que cela ; et je vous conseille de vous marier, le plus vite que vous pourrez. Assurément. Vous ne sauriez mieux faire. Hé ! quelle est la Personne, s'il vous plaît, avec qui vous vous allez marier ? Cette jeune Dorimène, si galante, et si bien parée ? Fille du Seigneur Alcantor ? Et Sœur d'un certain Alcidas, qui se mêle de porter l'Épée ? Vertu de ma vie ! Bon Parti ! Mariez-vous promptement. Sans doute. Ah ! que vous serez bien marié ! Dépêchez-vous de l'être. Je n'y manquerai pas ; et je veux y aller en Masque, afin de les mieux honorer. La jeune Dorimène, Fille du Seigneur Alcantor, avec le Seigneur Sganarelle, qui n'a que cinquante-trois ans ? ô le beau Mariage ! ô le beau Mariage ! Ah ! Seigneur Sganarelle, je suis ravi de vous trouver encore ici ; et j'ai rencontré un Orfèvre, qui sur le bruit que vous cherchez quelque beau Diamant en Bague, pour faire un Présent à votre Épouse, m'a fort prié de vous venir parler pour lui ; et de vous dire qu'il en a un à vendre, le plus parfait du Monde. Comment ! que veut dire cela ? où est l'ardeur que vous montriez tout à l'heure ? Seigneur Sganarelle, j'ai maintenant quelque petite affaire, qui m'empêche de vous ouïr. Je n'entends rien du tout aux Songes ; et quant au raisonnement du mariage, vous avez deux Savants ; deux Philosophes vos voisins, qui sont Gens à vous débiter tout ce qu'on peut dire sur ce sujet. Comme ils sont de Sectes différentes, vous pouvez examiner leurs diverses opinions là-dessus. Pour moi, je me contente de ce que je vous ai dit tantôt, et demeure votre Serviteur. **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_dorimene *date_1664 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_dorimene Allons, petit Garçon, qu'on tienne bien ma Queue : et qu'on ne s'amuse pas à badiner. Je vais faire quelques Emplettes. Tout à fait aise, je vous jure : car enfin la sévérité de mon père m'a tenue jusques ici dans une sujétion la plus fâcheuse du Monde. Il y a je ne sais combien que j'enrage du peu de liberté, qu'il me donne ; et j'ai cent fois souhaité qu'il me mariât, pour sortir promptement de la contrainte, où j'étais avec lui, et me voir en état de faire ce que je voudrai. Dieu merci, vous êtes venu heureusement pour cela, et je me prépare désormais à me donner du divertissement, et à réparer comme il faut le temps que j'ai perdu. Comme vous êtes un fort galant Homme, et que vous savez comme il faut vivre ; je crois que nous ferons le meilleur ménage du Monde ensemble, et que vous ne serez point de ces Maris incommodes, qui veulent que leurs Femmes vivent comme des Loups-garous. Je vous avoue que je ne m'accommoderais pas de cela ; et que la Solitude me désespère. J'aime le Jeu ; les Visites ; les Assemblées ; les Cadeaux, et les Promenades ; en un mot toutes les choses de plaisir ; et vous devez être ravi, d'avoir une femme de mon humeur. Nous n'aurons jamais aucun démêlé ensemble ; et je ne vous contraindrai point dans vos actions ; comme j'espère que de votre côté vous ne me contraindrez point dans les miennes : car pour moi, je tiens qu'il faut avoir une complaisance mutuelle ; et qu'on ne se doit point marier, pour se faire enrager l'un l'autre. Enfin nous vivrons, étant mariés, comme deux Personnes qui savent leur monde. Aucun soupçon jaloux ne nous troublera la cervelle ; et c'est assez que vous serez assuré de ma fidélité, comme je serai persuadée de la vôtre. Mais qu'avez-vous ? Je vous vois tout changé de visage. C'est un mal aujourd'hui qui attaque beaucoup de Gens : mais notre Mariage vous dissipera tout cela. Adieu, il me tarde déjà que je n'aie des Habits raisonnables, pour quitter vite ces guenilles. Je m'en vais de ce pas achever d'acheter toutes les choses qu'il me faut ; et je vous enverrai les marchands. Sans raillerie. Tout de bon. Dès ce soir. Moi, point du tout. Je vous considère toujours de même ; et ce Mariage ne doit point vous inquiéter. C'est un Homme que je n'épouse point par amour ; et sa seule richesse me fait résoudre à l'accepter. Je n'ai point de bien. Vous n'en avez point aussi ; et vous savez que sans cela on passe mal le temps au Monde ; et qu'à quelque prix que ce soit, il faut tâcher d'en avoir. J'ai embrassé cette occasion-ci de me mettre à mon aise ; et je l'ai fait sur l'espérance de me voir bientôt délivrée du Barbon, que je prends. C'est un Homme qui mourra avant qu'il soit peu ; et qui n'a tout au plus que six mois dans le ventre. Je vous le garantis défunt dans le temps que je dis ; et je n'aurai pas longuement à demander pour moi au Ciel, l'heureux état de Veuve. Ah ! nous parlions de vous, et nous en disions tout le bien qu'on en saurait dire. Oui, c'est Monsieur, qui me prend pour Femme. C'est trop d'honneur que vous nous faites à tous deux. Mais allons, le temps me presse ; et nous aurons tout le loisir de nous entretenir ensemble. **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_alcantor *date_1664 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_alcantor Ah ! mon Gendre, soyez le bienvenu ! Vous venez pour conclure le Mariage ? Je vous promets que j'en ai autant d'impatience que vous. J'ai donné ordre à toutes les choses nécessaires pour cette Fête. Les Violons sont retenus ; le Festin est commandé ; et ma Fille est parée, pour vous recevoir. Enfin vous allez être satisfait ; et rien ne peut retarder votre contentement. Allons, entrez donc, mon Gendre. Ah ! mon Dieu, ne faisons point de cérémonie : entrez vite, s'il vous plaît. Vous voulez me dire quelque chose ? Et quoi ? Pardonnez-moi. Ma Fille vous trouve bien, comme vous êtes ; et je suis sûr qu'elle vivra fort contente avec vous. Ma Fille a de la complaisance ; et vous verrez qu'elle s'accommodera entièrement à vous. Cela n'est rien. Une honnête Femme ne se dégoûte jamais de son Mari. Vous moquez-vous ? J'aimerais mieux mourir, que d'avoir manqué à ma parole. Point du tout. Je vous l'ai promise ; et vous l'aurez en dépit de tous ceux qui y prétendent. Voyez-vous, j'ai une estime, et une amitié pour vous, toute particulière ; et je refuserais ma Fille à un Prince, pour vous la donner. Qui, vous ? Et la raison ? Écoutez, les volontés sont libres ; et je suis Homme à ne contraindre jamais Personne. Vous vous êtes engagé avec moi, pour épouser ma Fille ; et tout est préparé pour cela. Mais puisque vous voulez retirer votre Parole, je vais voir ce qu'il y a à faire ; et vous aurez bientôt de mes nouvelles. Monsieur, voilà sa main : vous n'avez qu'à donner la vôtre. Loué soit le Ciel ! m'en voilà déchargé ; et c'est vous désormais que regarde le soin de sa conduite. Allons nous réjouir, et célébrer cet heureux Mariage. **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_alcidas *date_1664 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_alcidas Monsieur, je suis votre serviteur très humble. Mon Père, m'a dit, Monsieur, que vous vous étiez venu dégager de la Parole que vous aviez donnée. Oh ! Monsieur, il n'y a pas de mal à cela. Cela n'est rien, vous dis-je. Monsieur, prenez la peine de choisir de ces deux Épées, laquelle vous voulez. Oui, s'il vous plaît. Monsieur, comme vous refusez d'épouser ma Sœur, après la Parole donnée ; je crois que vous ne trouverez pas mauvais le petit Compliment, que je viens vous faire. D'autres Gens feraient du bruit, et s'emporteraient contre vous : mais nous sommes Personnes à traiter les choses dans la douceur ; et je viens vous dire civilement, qu'il faut, si vous le trouvez bon, que nous nous coupions la gorge ensemble. Allons, Monsieur, choisissez, je vous prie. Monsieur, il faut que cela soit, s'il vous plaît. Dépêchons vite, Monsieur. J'ai une petite Affaire qui m'attend. Vous ne voulez pas vous battre ? Tout de bon ? Au moins, Monsieur, vous n'avez pas lieu de vous plaindre ; et vous voyez que je fais les choses dans l'ordre. Vous nous manquez de Parole : Je me veux battre contre vous, vous refusez de vous battre : je vous donne des coups de Bâton, tout cela est dans les formes ; et vous êtes trop honnête Homme, pour ne pas approuver mon procédé. Allons, Monsieur, faites les choses galamment, et sans vous faire tirer l'oreille. Monsieur, je ne contrains Personne ; mais il faut que vous vous battiez, ou que vous épousiez ma Sœur. Assurément ? Avec votre permission donc... Monsieur, j'ai tous les regrets du monde d'être obligé d'en user ainsi avec vous ; mais je ne cesserai point, s'il vous plaît, que vous n'ayez promis de vous battre, ou d'épouser ma Sœur. Ah ! Monsieur, je suis ravi que vous vous mettiez à la raison ; et que les choses se passent doucement : car enfin vous êtes l'Homme du Monde que j'estime le plus, je vous jure ; et j'aurais été au désespoir que vous m'eussiez contraint à vous maltraiter. Je vais appeler mon Père, pour lui dire que tout est d'accord. Mon Père, voilà Monsieur, qui est tout à fait raisonnable. Il a voulu faire les choses de bonne grâce ; et vous pouvez lui donner ma Sœur. **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_lycaste *date_1664 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_lycaste Quoi ? belle Dorimène, c'est sans raillerie que vous parlez ? Vous vous mariez tout de bon ? Et vos Noces se feront dès ce soir ? Et vous pouvez, Cruelle que vous êtes, oublier de la sorte l'amour que j'ai pour vous ; et les obligeantes paroles que vous m'aviez données ? Est-ce là Monsieur... ? Agréez, Monsieur, que je vous félicite de votre Mariage, et vous présente en même temps mes très humbles services. Je vous assure que vous épousez là une très honnête Personne. Et vous, Mademoiselle, je me réjouis avec vous aussi de l'heureux choix que vous avez fait. Vous ne pouviez pas mieux trouver ; et Monsieur a toute la mine d'être un fort bon Mari. Oui, Monsieur, je veux faire amitié avec vous ; et lier ensemble un petit commerce de visites et de divertissements. **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_egyptienne1 *date_1664 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_egyptienne1 Oui, mon bon Monsieur, nous voici deux qui te la diront. Tu as une bonne physionomie, mon bon Monsieur, une bonne physionomie. Tu seras marié avant qu'il soit peu, mon bon Monsieur ; tu seras marié avant qu'il soit peu. Oui, une Femme qui sera chérie, et aimée de tout le Monde. Une femme qui fera venir l'abondance chez toi. Tu seras considéré par elle, mon bon Monsieur ; tu seras considéré par elle. Cocu ? Vous, Cocu ? **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_egyptienne2 *date_1664 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_egyptienne2 Tu n'as seulement qu'à nous donner ta main, avec la Croix dedans ; et nous te dirons quelque chose pour ton bon profit. Oui, bonne physionomie. Physionomie d'un Homme qui sera un jour quelque chose. Tu épouseras une Femme gentille ; une Femme gentille. Une Femme qui te fera beaucoup d'Amis, mon bon Monsieur ; qui te fera beaucoup d'Amis. Une femme qui te donnera une grande réputation. Cocu ! Cocu, vous ? **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_pancrace *date_1664 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_pancrace Allez, vous êtes un impertinent, mon Ami ; un Homme bannissable de la République des Lettres. Oui, je te soutiendrai par vives raisons, que tu es un ignorant, ignorantissime, ignorantifiant, et ignorantifié par tous les cas, et modes imaginables. Tu veux te mêler de raisonner, et tu ne sais pas seulement les Éléments de la Raison. C'est une Proposition condamnable dans toutes les Terres de la Philosophie. Toto Cœlo, tota via aberras. Serviteur. Sais-tu bien ce que tu as fait ? un Syllogisme in balordo. La Majeure en est inepte, la Mineure impertinente, et la Conclusion ridicule. Je crèverais plutôt que d'avouer ce que tu dis ; et je soutiendrai mon opinion jusqu'à la dernière goutte de mon Encre. Oui, je défendrai cette Proposition, pugnis et calcibus, unguibus et rostro. Un sujet le plus juste du Monde. Un Ignorant m'a voulu soutenir une Proposition erronée ; une Proposition épouvantable, effroyable, exécrable. Ah ! Seigneur Sganarelle, tout est renversé aujourd'hui ; et le Monde est tombé dans une corruption générale. Une licence épouvantable règne partout ; et les Magistrats, qui sont établis, pour maintenir l'ordre dans cet État, devraient rougir de honte, en souffrant un scandale aussi intolérable, que celui dont je veux parler. N'est-ce pas une chose horrible ; une chose qui crie vengeance au Ciel, que d'endurer qu'on dise publiquement la forme d'un Chapeau ! Je soutiens qu'il faut dire la Figure d'un Chapeau, et non pas la Forme. D'autant qu'il y a cette différence entre la Forme, et la Figure ; que la Forme est la disposition extérieure des corps qui sont animés ; et la Figure, la disposition extérieure des corps qui sont inanimés : et puisque le Chapeau est un Corps inanimé, il faut dire la Figure d'un Chapeau, et non pas la Forme. Oui, Ignorant que vous êtes, c'est comme il faut parler ; et ce sont les termes exprès d'Aristote dans le Chapitre De la Qualité. Je suis dans une colère, que je ne me sens pas. Impertinent fieffé. Ignorant. Me vouloir soutenir une Proposition de la sorte ? Une Proposition condamnée par Aristote ? En termes exprès ? Plutôt que d'accorder qu'il faille dire la Forme d'un Chapeau, j'accorderais que datur vacuum in rerum natura, et que je ne suis qu'une bête. Je vous demande pardon. Une juste colère m'occupe l'esprit. Soit. Que voulez-vous me dire ? Et de quelle Langue voulez-vous vous servir avec moi ? Oui. Je vous dis de quel Idiome ; de quel Langage. Voulez-vous me parler Italien ? Espagnol ? Allemand ? Anglais ? Latin ? Grec ? Hébreu ? Syriaque ? Turc ? Arabe ? Ah Français ! Passez donc de l'autre côté : car cette oreille-ci est destinée pour les Langues scientifiques, et étrangères, et l'autre est pour la maternelle. Que voulez-vous ? Sur une difficulté de Philosophie, sans doute ? Vous voulez peut-être savoir, si la substance, et l'accident, sont termes synonymes, ou équivoques, à l'égard de l'Être ? Si la logique est un Art, ou une Science ? Si elle a pour objet les trois opérations de l'Esprit, ou la troisième seulement ? S'il y a dix Catégories, ou s'il n'y en a qu'une ? Si la Conclusion est de l'essence du Syllogisme ? Si l'essence du Bien est mise dans l'appétibilité, ou dans la convenance ? Si le Bien se réciproque avec la fin ? Si la Fin nous peut émouvoir par son Être réel, ou par son Être intentionnel ? Expliquez donc votre pensée : car je ne puis pas la deviner. La Parole a été donnée à l'Homme, pour expliquer sa Pensée ; et tout ainsi que les Pensées sont les Portraits des Choses, de même nos Paroles sont-elles les portraits de nos Pensées : mais ces Portraits diffèrent des autres Portraits, en ce que les autres portraits sont distingués partout de leurs Originaux, et que la Parole enferme en soi son Original, puisqu'elle n'est autre chose que la Pensée, expliquée par un Signe extérieur : d'où vient que ceux qui pensent bien, sont aussi ceux qui parlent le mieux. Expliquez-moi donc votre Pensée par la Parole, qui est le plus intelligible de tous les signes. **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_marphurius *date_1664 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_marphurius Que voulez-vous de moi, Seigneur Sganarelle ? Seigneur Sganarelle, changez, s'il vous plaît, cette façon de parler. Notre Philosophie ordonne de ne point énoncer de Proposition décisive ; de parler de tout avec incertitude ; de suspendre toujours son jugement : et par cette raison vous ne devez pas dire Je suis venu ; mais Il me semble que je suis venu. Oui. Ce n'est pas une conséquence ; et il peut vous sembler, sans que la chose soit véritable. Cela est incertain ; et nous devons douter de tout. Il m'apparaît que vous êtes là, et il me semble que je vous parle : mais il n'est pas assuré que cela soit. Je n'en sais rien. Il se peut faire. Il n'est pas impossible. L'un, ou l'autre. Selon la rencontre. Par aventure. C'est mon dessein. Cela peut être. Il se pourrait. La chose est faisable. Il n'y a pas d'impossibilité. Je ne sais. Ce qui vous plaira. Je m'en lave les mains. Il en sera ce qui pourra. Ah, ah, ah. Comment ? quelle insolence ! m'outrager de la sorte ! Avoir eu l'audace de battre un philosophe comme moi ! Ah ! je m'en vais faire ma plainte, au Commissaire du Quartier, des coups que j'ai reçus. J'en ai les marques sur ma Personne. C'est toi, qui m'as traité ainsi. J'aurai un Décret contre toi. Et tu seras condamné en Justice. Laisse-moi faire. **** *creator_moliere *book_moliere_medecinmalgrelui *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinmalgrelui *dist2_moliere_prose_comedy *id_sganarelle *date_1666 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_sganarelle Non je te dis que je n'en veux rien faire : et que c'est à moi de parler, et d'être le Maître. Ô la grande fatigue que d'avoir une Femme : et qu'Aristote a bien raison, quand il dit qu'une Femme est pire qu'un Démon ! Oui, habile Homme, trouve-moi un Faiseur de fagots, qui sache, comme moi, raisonner des choses, qui ait servi six ans, un fameux Médecin, et qui ait su dans son jeune âge, son Rudiment par cœur. Peste de la Carogne. Que maudit soit le Bec cornu de Notaire, qui me fit signer ma ruine. Il est vrai que tu me fis trop d'honneur : et que j'eus lieu de me louer la première nuit de nos Noces. Hé ! morbleu, ne me fais point parler là-dessus, je dirais de certaines choses... Baste, laissons là ce Chapitre, il suffit que nous savons ce que nous savons : et que tu fus bien heureuse de me trouver. Tu as menti, j'en bois une partie. C'est vivre de Ménage. Tu t'en lèveras plus matin. On en déménage plus aisément. C'est pour ne me point ennuyer. Tout ce qu'il te plaira. Mets-les à terre. Donne-leur le fouet, quand j'ai bien bu, et bien mangé, je veux que tout le monde soit saoul dans ma maison. Ma Femme, allons tout doucement, s'il vous plaît. Ne nous emportons point ma Femme. Ma Femme, vous savez que je n'ai pas l'âme endurante : et que j'ai le bras assez bon. Ma petite Femme, ma mie, votre peau vous démange, à votre ordinaire. Ma chère Moitié, vous avez envie de me dérober quelque chose. Doux Objet de mes vœux, je vous frotterai les oreilles. Je vous battrai. Je vous rosserai. Je vous étrillerai. Ah ! vous en voulez, donc. Voilà le vrai moyen de vous apaiser. Il ne me plaît pas, moi. Je la veux battre, si je le veux : et ne la veux pas battre, si je ne le veux pas. C'est ma Femme, et non pas la vôtre. Vous n'avez rien à me commander. Je n'ai que faire de votre aide. Et vous êtes un Impertinent, de vous ingérer des affaires d'autrui : apprenez que Cicéron dit, qu'entre l'arbre et le doigt, il ne faut point mettre l'écorce. Ensuite il revient vers sa femme, et lui dit, en lui pressant la main, Ô çà faisons la paix nous deux. Touche là. Cela n'est rien, touche. Eh ! Ma petite Femme. Allons, te dis-je. Viens, viens, viens. Fi, c'est une bagatelle, allons, allons. Touche, te dis-je. Eh bien va, je te demande pardon, mets là, ta main. Tu es une Folle, de prendre garde à cela. Ce sont petites choses qui sont, de temps en temps, nécessaires dans l'Amitié : et cinq ou six coups de bâton, entre Gens qui s'aiment, ne font que ragaillardir l'Affection. Va je m'en vais au Bois : et je te promets, aujourd'hui, plus d'un cent de Fagots. La, la, la. La, la, la... Ma foi, c'est assez travaillé pour un coup : prenons un peu d'haleine. Il boit, et dit après avoir bu. Voilà du bois qui est salé, comme tous les Diables. Qu'ils sont doux Bouteille jolie, Qu'ils sont doux Vos petits glougloux ! Mais mon sort ferait bien des jaloux, Si vous étiez toujours remplie. Ah ! Bouteille ma mie, Pourquoi vous videz-vous ? Allons, morbleu, il ne faut point engendrer de mélancolie. Ah ! ma petite friponne, que je t'aime, mon petit bouchon. Mon sort… ferait… bien des… jaloux, Si… Que diable, à qui en veulent ces Gens-là ? Ils consultent en me regardant. Quel dessein auraient-ils ? Eh quoi ? Oui, et non, selon ce que vous lui voulez. En ce cas, c'est moi, qui se nomme Sganarelle. Si c'est quelque chose, Messieurs, qui dépende de mon petit Négoce, je suis tout prêt à vous rendre service. Voici des Gens bien pleins de cérémonie. Il est vrai, Messieurs, que je suis le premier Homme du Monde, pour faire des fagots. Je n'y épargne aucune chose, et les fais d'une façon qu'il n'y a rien à dire. Mais, aussi, je les vends cent dix sols, le cent. Je vous promets, que je ne saurais les donner à moins. Si vous savez les choses, vous savez que je les vends cela. Je ne me moque point, je n'en puis rien rabattre. Vous en pourrez trouver autre part, à moins : il y a Fagots, et Fagots. Mais pour ceux que je fais... Je vous jure que vous ne les auriez pas, s'il s'en fallait un double. Non, en conscience, vous en payerez cela. Je vous parle sincèrement, et ne suis pas Homme à surfaire. Il est fou. Comment ? Quoi donc, que me voulez-vous dire ? pour qui me prenez-vous ? Médecin, vous-même : je ne le suis point, et ne l'ai jamais été. À quoi, donc ? Parbleu, venez-en à tout ce qu'il vous plaira, je ne suis point Médecin : et ne sais ce que vous me voulez dire. J'enrage. Messieurs, en un mot, autant qu'en deux mille, je vous dis, que je ne suis point Médecin. Non. Non, vous dis-je. Ah ! ah ! ah ! Messieurs, je suis tout ce qu'il vous plaira. Que Diable est ceci, Messieurs, de grâce, est-ce pour rire, ou si tous deux, vous extravaguez, de vouloir que je sois Médecin ? Diable emporte, si je le suis. Non, la peste m'étouffe ! (Là ils recommencent de le battre.) Ah, ah. Eh bien, Messieurs, oui, puisque vous le voulez, je suis Médecin, je suis Médecin, Apothicaire encore, si vous le trouvez bon. J'aime mieux consentir à tout, que de me faire assommer. Ouais, serait-ce bien moi qui me tromperais, et serais-je devenu Médecin, sans m'en être aperçu ? Mais, Messieurs, dites-moi, ne vous trompez-vous point vous-mêmes ? Est-il bien assuré que je sois Médecin ? Tout de bon ? Diable emporte, si je le savais ! Ah ! ah ! Tudieu ! Peste ! Diantre ! Je gagnerai ce que je voudrai ? Ah ! je suis Médecin, sans contredit : Je l'avais oublié, mais je m'en ressouviens. De quoi est-il question ? où faut-il se transporter ? Ma foi, je ne l'ai pas trouvée. Sans une Robe de Médecin ? Tenez cela vous : voilà où je mets mes juleps. (Puis se tournant vers Lucas en crachant.) Vous, marchez là-dessus, par ordonnance du médecin. Hippocrate dit .... que nous nous couvrions tous deux. Oui. Dans son Chapitre des Chapeaux. Monsieur le Médecin, ayant appris les merveilleuses choses... À vous. Vous n'êtes pas Médecin ? Tout de bon ? Vous êtes Médecin, maintenant, je n'ai jamais eu d'autres Licences. Monsieur, je vous demande pardon de la liberté que j'ai prise. Je suis fâché... Des coups de bâton .... Que j'ai eu l'honneur de vous donner. Je suis ravi, Monsieur, que votre Fille ait besoin de moi : et je souhaiterais de tout mon cœur, que vous en eussiez besoin, aussi, vous et toute votre Famille, pour vous témoigner l'envie que j'ai de vous servir. Je vous assure que c'est du meilleur de mon âme, que je vous parle. Comment s'appelle votre Fille ? Lucinde ! Ah beau nom à médicamenter ! Lucinde ! Qui est cette grande femme-là ? Peste ! le joli Meuble que voilà. Ah Nourrice, charmante Nourrice, ma Médecine est la très humble Esclave de votre Nourricerie ; et je voudrais bien être le petit Poupon fortuné, qui tétât le Lait de vos bonnes grâces. Tous mes Remèdes ; toute ma Science, toute ma Capacité est à votre service, et... Quoi, est-elle votre Femme ? Ah vraiment, je ne savais pas cela : et je m'en réjouis pour l'amour de l'un et de l'autre. Je vous assure, que je suis ravi que vous soyez unis ensemble (Il fait encore semblant d'embrasser Lucas : et passant dessous ses bras, se jette au cou de sa femme). Je la félicite d'avoir un Mari comme vous : et je vous félicite vous, d'avoir une Femme si belle, si sage, et si bien faite, comme elle est. Ne voulez-vous pas que je me réjouisse avec vous, d'un si bel Assemblage ? Je prends part, également, au bonheur de tous deux (Il continue le même jeu) : et si je vous embrasse pour vous en témoigner ma joie, je l'embrasse de même, pour lui en témoigner aussi. Je l'attends, Monsieur, avec toute la Médecine. Là -dedans. Mais, comme je m'intéresse à toute votre Famille, il faut que j'essaye un peu le Lait de votre Nourrice : et que je visite son Sein. C'est l'Office du Médecin, de voir les Tétons des Nourrices. As-tu bien la hardiesse de t'opposer au Médecin ?Hors de là. Je te donnerai la fièvre. Fi, le vilain, qui est jaloux de sa Femme. Est-ce là, la Malade ? Qu'elle s'en garde bien, il ne faut pas qu'elle meure, sans l'Ordonnance du Médecin. Voilà une Malade qui n'est pas tant dégoûtante : et je tiens qu'un Homme bien sain s'en accommoderait assez. Tant mieux, lorsque le Médecin fait rire le Malade, c'est le meilleur signe du Monde. Eh bien, de quoi est-il question ? qu'avez-vous ? quel est le mal que vous sentez ? Eh ! que dites-vous ? Quoi ? Han, hi, hon, han ha. Je ne vous entends point : quel diable de langage est-ce là ? Et pourquoi ? Et qui est ce Sot-là, qui ne veut pas que sa Femme soit muette ? Plût à Dieu que la mienne eût cette maladie, je me garderais bien de la vouloir guérir. Ah ! Ne vous mettez pas en peine. Dites-moi un peu, ce mal l'oppresse-t-il beaucoup ? Tant mieux. Sent-elle de grandes douleurs ? C'est fort bien fait. Va-t-elle où vous savez ? Copieusement ? La Matière est-elle louable ? Donnez-moi votre Bras. Voilà un Pouls qui marque que votre fille est muette. Ah, ah. Nous autres grands Médecins, nous connaissons d'abord, les choses. Un Ignorant aurait été embarrassé, et vous eût été dire : C'est ceci, c'est cela : mais moi, je touche au but du premier coup, et je vous apprends que votre Fille est Muette. Il n'est rien plus aisé. Cela vient de ce qu'elle a perdu la parole. Tous nos meilleurs Auteurs vous diront que c'est l'empêchement de l'action de sa Langue. Aristote là-dessus dit .... de fort belles choses. Ah ! c'était un grand Homme ! Grand Homme tout à fait : un Homme qui était plus grand que moi, de tout cela. Pour revenir, donc, à notre raisonnement, je tiens que cet empêchement de l'action de sa langue, est causé par de certaines Humeurs qu'entre nous autres, Savants, nous appelons humeurs peccantes, peccantes, c'est-à-dire... humeurs peccantes : d'autant que les vapeurs formées par les exhalaisons des influences qui s'élèvent dans la Région des Maladies, venant... pour ainsi dire... à... Entendez-vous le Latin ? Vous n'entendez point le Latin ! Cabricias arci thuram, catalamus, singulariter, nominativo hæc Musa, « la Muse », Bonus, Bona, Bonum, Deus sanctus, estne oratio latinas ? Etiam, « oui », Quare, « pourquoi ? » Quia substantivo, et adjectivum concordat in generi, numerum, et casus. Or ces vapeurs, dont je vous parle, venant à passer du côté gauche, où est le Foie, au côté Droit, où est le cœur, il se trouve que le Poumon que nous appelons en Latin Armyan, ayant communication avec le Cerveau, que nous nommons en Grec nasmus, par le moyen de la Veine Cave, que nous appelons en Hébreu Cubile, rencontre, en son chemin, lesdites vapeurs qui remplissent les ventricules de l'Omoplate ; et parce que lesdites vapeurs.... comprenez bien ce Raisonnement je vous prie : et parce que lesdites vapeurs ont une certaine malignité… Écoutez bien ceci, je vous conjure. Ont une certaine malignité qui est causée ... Soyez attentif, s'il vous plaît. Qui est causée par l'âcreté des humeurs, engendrées dans la concavité du Diaphragme, il arrive que ces vapeurs .... Ossabandus, nequeys, nequer, potarinum, quipsa milus. Voilà justement, ce qui fait que votre Fille est muette. Oui, cela était, autrefois, ainsi ; mais nous avons changé tout cela, et nous faisons maintenant la Médecine d'une Méthode toute nouvelle. Il n'y a point de mal: et vous n'êtes pas obligé d'être aussi habile que nous. Ce que je crois, qu'il faille faire ? Mon avis est qu'on la remette sur son Lit : et qu'on lui fasse prendre pour Remède, quantité de Pain trempé dans du Vin. Parce qu'il y a dans le Vin et le Pain, mêlés ensemble, une Vertu sympathique, qui fait parler. Ne voyez-vous pas bien qu'on ne donne autre chose aux Perroquets : et qu'ils apprennent à parler en mangeant de cela ? Je reviendrai voir sur le soir, en quel état elle sera. (À la nourrice.) Doucement vous. Monsieur, voilà une nourrice à laquelle il faut que je fasse quelques petits Remèdes. Tant pis Nourrice, tant pis. Cette grande santé est à craindre : et il ne sera mauvais de vous faire quelque petite Saignée amiable, de vous donner quelque petit Clystère dulcifiant. Il n'importe, la Mode en est salutaire : et comme on boit pour la Soif à venir, il faut se faire, aussi, saigner pour la maladie à venir. Vous êtes rétive aux Remèdes : mais nous saurons vous soumettre à la Raison. (Parlant à Géronte.) Je vous donne le bonjour. Que voulez-vous faire ? Je n'en prendrai pas, Monsieur. Point du tout. En aucune façon. Vous vous moquez. Je n'en ferai rien. Ce n'est pas l'Argent qui me fait agir. Cela est-il de poids ? Je ne suis pas un Médecin mercenaire. L'intérêt ne me gouverne point. Ma foi, cela ne va pas mal, et pourvu que... Voilà un pouls qui est fort mauvais. Si vous n'êtes pas Malade, que Diable ne le dites-vous donc ? Pour qui me prenez-vous ? Comment oser vous adresser à moi, pour vous servir dans votre amour, et vouloir ravaler la Dignité de Médecin, à des Emplois de cette nature ? J'en veux faire moi, vous êtes un impertinent. Un mal avisé. Je vous apprendrai que je ne suis point Homme à cela : et que c'est une insolence extrême... De vouloir m'employer... je ne parle pas pour vous : car vous êtes honnête Homme, et je serais ravi de vous rendre service. Mais il y a de certains Impertinents au Monde, qui viennent prendre les Gens pour ce qu'ils ne sont pas : et je vous avoue que cela me met en colère. Vous vous moquez : de quoi est-il question ? Allons, Monsieur, vous m'avez donné pour votre amour, une Tendresse qui n'est pas concevable : et j'y perdrai toute ma Médecine, ou la Malade crèvera, ou bien elle sera à vous. Sans doute. Allez, allez, tout cela n'est pas nécessaire. Il suffit de l'Habit : et je n'en sais pas plus que vous. Diable emporte, si j'entends rien en Médecine. Vous êtes honnête Homme : et je veux bien me confier à vous, comme vous vous confiez à moi. Non, vous dis-je, ils m'ont fait Médecin malgré mes Dents. Je ne m'étais jamais mêlé d'être si savant que cela : et toutes mes Études n'ont été que jusqu'en sixième. Je ne sais point sur quoi cette imagination leur est venue : mais quand j'ai vu qu'à toute force, ils voulaient que je fusse Médecin, je me suis résolu de l'être, aux Dépens de qui il appartiendra. Cependant, vous ne sauriez croire comment l'erreur s'est répandue : et de quelle façon, chacun est endiablé à me croire habile Homme. On me vient chercher de tous les côtés : et si les choses vont toujours de même, je suis d'avis de m'en tenir, toute ma vie, à la Médecine. Je trouve que c'est le Métier le meilleur de tous : car soit qu'on fasse bien, ou soit qu'on fasse mal, on est toujours payé de même sorte. La méchante Besogne ne retombe jamais sur notre Dos : et nous taillons, comme il nous plaît, sur l'Étoffe où nous travaillons. Un Cordonnier en faisant des Souliers, ne saurait gâter un morceau de Cuir, qu'il n'en paye les Pots cassés : mais ici, l'on peut gâter un Homme sans, qu'il en coûte rien. Les Bévues ne sont point pour nous : et c'est toujours, la faute de celui qui meurt. Enfin le bon de cette Profession, est qu'il y a parmi les Morts, une honnêteté, une discrétion la plus grande du Monde : jamais on n'en voit se plaindre du Médecin qui l'a tué. Voilà des gens qui ont la mine de me venir consulter. Allez toujours m'attendre auprès du Logis de votre maîtresse. Qu'y a-t-il ? Que voulez-vous que j'y fasse ? Il faut voir de quoi est-ce qu'elle est Malade. D'Hypocrisie ? Venons au fait, mon ami, venons au fait. Je ne vous entends point du tout. Ah ! je vous entends, vous. Voilà un Garçon qui parle clairement, qui s'explique comme il faut. Vous dites que votre Mère est malade d'Hydropisie, qu'elle est enflée par tout le corps, qu'elle a la Fièvre, avec des Douleurs dans les jambes : et qu'il lui prend, parfois, des Syncopes, et des Convulsions, c'est-à-dire des Évanouissements. J'ai compris d'abord, vos paroles. Vous avez un père qui ne sait ce qu'il dit. Maintenant, vous me demandez un remède ? Un Remède pour la guérir ? Tenez, voilà un morceau de Formage, qu'il faut que vous lui fassiez prendre. Oui, c'est un Formage préparé, où il entre de l'Or, du Coral, et des Perles, et quantité d'autres choses précieuses. Allez. Si elle meurt, ne manquez pas de la faire enterrer du mieux que vous pourrez. Voici la belle Nourrice. Ah Nourrice de mon cœur, je suis ravi de cette rencontre : et votre vue est la Rhubarbe, la Casse et le Séné qui purgent toute la Mélancolie de mon Âme. Devenez malade, Nourrice, je vous prie, devenez malade pour l'amour de moi. J'aurais toutes les joies du monde, de vous guérir. Que je vous plains, belle Nourrice, d'avoir un mari jaloux et fâcheux comme celui que vous avez ! Comment, un Rustre comme cela ! Un Homme qui vous observe toujours, et ne veut pas que Personne vous parle ! Est-il possible, et qu'un Homme ait l'Âme assez basse, pour maltraiter une Personne comme vous ? Ah que j'en sais, belle Nourrice, et qui ne sont pas loin d'ici, qui se tiendraient heureux de baiser, seulement, les petits bouts de vos Petons. Pourquoi faut-il qu'une Personne si bien faite, soit tombée en de telles mains : et qu'un franc Animal, un Brutal, un Stupide, un Sot ... ? Pardonnez-moi, Nourrice, si je parle ainsi de votre mari. Oui, sans doute, Nourrice, il les mérite : et il mériterait encore, que vous lui missiez quelque Chose sur la Tête, pour le punir des Soupçons qu'il a. Ma Foi, vous ne feriez pas mal, de vous venger de lui, avec quelqu'un. C'est un Homme, je vous le dis, qui mérite bien cela : et si j'étais assez heureux, belle Nourrice, pour être choisi pour... Je m'étais amusé dans votre Cour, à expulser le superflu de la Boisson. Comment se porte la Malade ? Tant mieux. C'est signe qu'il opère. Ne vous mettez pas en peine : j'ai des Remèdes qui se moquent de tout, et je l'attends à l'Agonie. C'est... Celui .... Qui... Votre fille en aura besoin. Cela lui fera du bien. Allez-vous-en, Monsieur l'Apothicaire, tâter un peu son Pouls, afin que je raisonne tantôt, avec vous, de sa maladie. Monsieur, c'est une grande et subtile Question entre les Doctes, de savoir si les Femmes sont plus faciles à guérir que les Hommes ? Je vous prie d'écouter ceci, s'il vous plaît. Les uns disent que non, les autres disent que oui : et moi je dis que oui, et non. D'autant que l'incongruité des Humeurs opaques, qui se rencontrent au Tempérament naturel des Femmes, étant cause que la Partie Brutale veut toujours prendre empire sur la Sensitive, on voit que l'inégalité de leurs opinions, dépend du Mouvement oblique, du Cercle de la Lune : et comme le Soleil qui darde ses Rayons sur la Concavité de la Terre, trouve... Voilà une maladie qui m'a bien donné de la peine ! C'est une chose qui m'est impossible. Tout ce que je puis faire pour votre service, est de vous rendre sourd, si vous voulez. Mon Dieu, arrêtez-vous, laissez-moi médicamenter cette Affaire. C'est une Maladie qui la tient : et je sais le Remède qu'il y faut apporter. Oui, laissez-moi faire, j'ai des Remèdes pour tout : et notre Apothicaire nous servira pour cette Cure. (Il appelle l'apothicaire et lui parle.) Un mot. Vous voyez que l'ardeur qu'elle a pour ce Léandre, est tout à fait contraire aux volontés du Père, qu'il n'y a point de temps à perdre, que les Humeurs sont fort aigries, et qu'il est nécessaire de trouver promptement un Remède à ce Mal qui pourrait empirer par le retardement. Pour moi, je n'y en vois qu'un seul, qui est une prise de Fuite purgative, que vous mêlerez comme il faut, avec deux Drachmes de Matrimonium en Pilules. Peut-être fera-t-elle quelque difficulté à prendre ce Remède : mais comme vous êtes habile Homme dans votre métier, c'est à vous de l'y résoudre, et de lui faire avaler la chose du mieux que vous pourrez. Allez-vous-en lui faire faire un petit tour de Jardin, afin de préparer les Humeurs, tandis que j'entretiendrai ici son Père : mais surtout, ne perdez point de temps. Au Remède, vite, au Remède spécifique. Ce sont Drogues dont on se sert dans les nécessités urgentes. Les Filles sont quelquefois un peu têtues. La Chaleur du Sang, fait cela dans les jeunes Esprits. Vous avez fait sagement. Fort bien. Sans doute. C'est prudemment raisonné. Quel Drôle. Ah, ah. Il n'a pas affaire à un Sot, et vous savez des Rubriques, qu'il ne sait pas. Plus fin que vous n'est pas bête. Tu vois, ah. Que veux-tu que j'y fasse ? Retire-toi de là, tu me fends le cœur. Ah. Hélas, cela ne se peut-il point changer en quelques coups de bâton ? La Médecine l'a échappé belle ! Oui, c'est toi qui m'as procuré je ne sais combien de coups de Bâton. Soit, je te pardonne ces coups de Bâton, en faveur de la Dignité où tu m'as élevé : mais prépare-toi désormais à vivre dans un grand respect avec un Homme de ma conséquence, et songe que la Colère d'un Médecin est plus à craindre qu'on ne peut croire. **** *creator_moliere *book_moliere_medecinmalgrelui *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinmalgrelui *dist2_moliere_prose_comedy *id_martine *date_1666 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_martine Et je te dis moi, que je veux que tu vives à ma fantaisie : et que je ne me suis point mariée avec toi, pour souffrir tes fredaines. Voyez un peu l'habile Homme, avec son benêt d'Aristote. Peste du Fou fieffé. Que maudit soit l'heure, et le jour, où je m'avisai d'aller dire oui. C'est bien à toi, vraiment, à te plaindre de cette affaire : devrais-tu être un seul moment, sans rendre grâce au Ciel de m'avoir pour ta Femme, et méritais-tu d'épouser une personne comme moi ? Quoi ? que dirais-tu ? Qu'appelles-tu bien heureuse, de te trouver un homme qui me réduit à l'Hôpital, un Débauché, un Traître qui me mange tout ce que j'ai ? Qui me vend, pièce à pièce, tout ce qui est dans le Logis. Qui m'a ôté jusqu'au Lit que j'avais. Enfin, qui ne laisse aucun meuble dans toute la maison. Et qui du matin jusqu'au soir, ne fait que jouer, et que boire. Et que veux-tu pendant ce temps, que je fasse avec ma famille ? J'ai quatre pauvres petits Enfants sur les bras. Qui me demandent à toute heure, du pain. Et tu prétends ivrogne, que les choses aillent toujours de même ? Que j'endure éternellement, tes insolences, et tes débauches ? Et que je ne sache pas trouver le moyen de te ranger à ton devoir ? Je me moque de tes menaces. Je te montrerai bien que je ne te crains nullement. Crois-tu que je m'épouvante de tes paroles ? Ivrogne que tu es. Sac à vin. Infâme. Traître, insolent, trompeur, lâche, coquin, pendard, gueux, bélitre, fripon, maraud, voleur.... Ah, ah, ah, ah. Et je veux qu'il me batte, moi. De quoi vous mêlez-vous ? Est-ce là votre affaire ? Voyez un peu cet Impertinent, qui veut empêcher les Maris de battre leurs Femmes. Qu'avez-vous à voir là-dessus ? Est-ce à vous, d'y mettre le nez ? Mêlez-vous de vos affaires. Il me plaît d'être battue. Ce n'est pas à vos dépens. Et vous êtes un Sot, de venir vous fourrer où vous n'avez que faire. Oui ! après m'avoir ainsi battue ! Je ne veux pas. Non. Point. Je n'en ferai rien. Non, je veux être en colère. Laisse-moi là. Tu m'as trop maltraitée. ) mais tu le payeras. Va, quelque mine que je fasse, je n'oublie pas mon ressentiment : et je brûle en moi-même, de trouver les moyens de te punir des coups que tu me donnes. Je sais bien qu'une femme a toujours dans les mains, de quoi se venger d'un Mari : mais c'est une punition trop délicate pour mon Pendard. Je veux une vengeance qui se fasse un peu mieux sentir : et ce n'est pas contentement, pour l'injure que j'ai reçue. Ne puis-je point trouver quelque invention pour me venger ? Oui, il faut que je m'en venge à quelque prix que ce soit : ces coups de bâton me reviennent au cœur, je ne les saurais digérer, et… (Elle dit tout ceci en rêvant : de sorte que ne prenant pas garde à ces deux Hommes, elle les heurte en se retournant, et leur dit) Ah ! Messieurs, je vous demande pardon, je ne vous voyais pas : et cherchais dans ma tête quelque chose qui m'embarrasse. Serait-ce quelque chose, où je vous puisse aider ? Ah ! que le Ciel m'inspire une admirable invention pour me venger de mon Pendard. (Haut.) Vous ne pouviez jamais, vous mieux adresser, pour rencontrer ce que vous cherchez ; et nous avons ici, un Homme, le plus merveilleux Homme du monde, pour les Maladies désespérées. Vous le trouverez, maintenant, vers ce petit Lieu que voilà, qui s'amuse à couper du Bois. Non, c'est un Homme extraordinaire, qui se plaît à cela, fantasque, bizarre, quinteux, et que vous ne prendriez jamais, pour ce qu'il est. Il va vêtu d'une façon extravagante, affecte, quelquefois, de paraître ignorant, tient sa Science renfermée, et ne fuit rien tant tous les jours, que d'exercer les merveilleux Talents qu'il a eus du Ciel, pour la Médecine. La Folie de celui-ci, est plus grande qu'on ne peut croire : car elle va, parfois, jusqu'à vouloir être battu, pour demeurer d'accord de sa capacité ; Et je vous donne avis que vous n'en viendrez point à bout, qu'il n'avouera jamais, qu'il est Médecin, s'il se le met en fantaisie, que vous ne preniez, chacun, un Bâton, et ne le réduisiez à force de coups, à vous confesser à la fin, ce qu'il vous cachera d'abord. C'est ainsi que nous en usons, quand nous avons besoin de lui. Il est vrai : mais après cela, vous verrez qu'il fait des merveilles. Il s'appelle Sganarelle : mais il est aisé à connaître. C'est un homme qui a une large Barbe noire, et qui porte une fraise, avec un Habit jaune et vert. Comment ! C'est un Homme qui fait des Miracles. Il y a six mois, qu'une Femme fut abandonnée de tous les autres Médecins. On la tenait morte, il y avait déjà six heures : et l'on se disposait à l'ensevelir, lorsqu'on y fit venir de force, l'Homme dont nous parlons. Il lui mit, l'ayant vue, une petite goutte de je ne sais quoi dans la Bouche : et dans le même instant, Elle se leva de son Lit, et se mit, aussitôt, à se promener dans sa Chambre, comme si de rien n'eût été. Cela pourrait bien être. Il n'y a pas trois semaines, encore, qu'un jeune Enfant de douze ans, tomba du haut du Clocher, en bas, et se brisa, sur le pavé, la Tête, les Bras et les Jambes. On n'y eut pas plus tôt, amené notre Homme, qu'il le frotta par tout le Corps, d'un certain Onguent qu'il sait faire ; et l'Enfant, aussitôt, se leva sur ses pieds, et courut jouer à la fossette. Qui en doute ? Mais souvenez-vous bien au moins, de l'avertissement que je vous ai donné. Ah ! mon Dieu, que j'ai eu de peine à trouver ce Logis : dites-moi un peu des Nouvelles du Médecin que je vous ai donné. Quoi, mon mari pendu, hélas, et qu'a-t-il fait pour cela ? Hélas ! mon cher mari, est-il bien vrai qu'on te va pendre ? Faut-il que tu te laisses mourir en présence de tant de Gens ? Encore, si tu avais achevé de couper notre Bois, je prendrais quelque consolation. Non, je veux demeurer pour t'encourager à la Mort : et je ne te quitterai point, que je ne t'aie vu pendu. Puisque tu ne seras point pendu, rends-moi grâce d'être Médecin : car c'est moi qui t'ai procuré cet Honneur. **** *creator_moliere *book_moliere_medecinmalgrelui *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinmalgrelui *dist2_moliere_prose_comedy *id_monsieur-robert *date_1666 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurrobert Holà, holà, holà, fi qu'est ceci ? Quelle infamie, peste soit le Coquin, de battre ainsi sa Femme. Ah ! j'y consens de tout mon cœur. J'ai tort. Vous avez raison. Je me rétracte. Rien. Non. Je ne dis plus mot. D'accord. Il est vrai. Compère, je vous demande pardon de tout mon cœur, faites, rossez, battez, comme il faut, votre Femme, je vous aiderai si vous le voulez ? Ah ! c'est une autre chose. Fort bien. Sans doute. D'accord. Très volontiers. **** *creator_moliere *book_moliere_medecinmalgrelui *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinmalgrelui *dist2_moliere_prose_comedy *id_valere *date_1666 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_valere Que veux-tu mon pauvre Nourricier ? il faut bien obéir à notre Maître : et puis, nous avons intérêt, l'un et l'autre, à la santé de sa Fille, notre maîtresse, et, sans doute, son Mariage différé par sa Maladie, nous vaudrait quelque récompense. Horace qui est libéral, a bonne part aux prétentions qu'on peut avoir sur sa Personne : et quoiqu'elle ait fait voir de l'amitié pour un certain Léandre, tu sais bien que son père n'a jamais, voulu consentir à le recevoir pour son Gendre. On trouve quelquefois, à force de chercher, ce qu'on ne trouve pas d'abord : et souvent, en de simples lieux .... Chacun a ses soins dans le Monde : et nous cherchons aussi, ce que nous voudrions bien trouver. Cela se pourrait faire, et nous tâchons de rencontrer quelque habile Homme, quelque Médecin particulier, qui pût donner quelque soulagement à la Fille de notre Maître, attaquée d'une Maladie qui lui a ôté, tout d'un coup, l'usage de la langue. Plusieurs Médecins ont déjà épuisé toute leur Science après elle : mais on trouve, parfois, des gens avec des Secrets admirables, de certains Remèdes particuliers, qui font le plus souvent, ce que les autres n'ont su faire, et c'est là, ce que nous cherchons. Et de grâce, où pouvons-nous le rencontrer ? Qui s'amuse à cueillir des Simples, voulez-vous dire ? C'est une chose admirable, que tous les grands Hommes ont toujours du Caprice, quelque petit Grain de Folie, mêlé à leur Science. Voilà une étrange folie ! Comment s'appelle-t-il ? Mais est-il bien vrai, qu'il soit si habile, que vous le dites ? Il fallait que ce fût quelque goutte d'Or potable. Il faut que cet Homme-là, ait la Médecine Universelle. Nous vous remercions du plaisir que vous nous faites. Nous sommes bien heureux d'avoir fait cette rencontre : et j'en conçois, pour moi, la meilleure espérance du Monde. J'entends quelqu'un qui chante, et qui coupe du Bois. Le voilà lui-même. Voyons de près. C'est lui assurément. Monsieur, n'est-ce pas vous qui vous appelez Sganarelle ? Je vous demande, si ce n'est pas vous, qui se nomme Sganarelle. Nous ne voulons que lui faire toutes les civilités que nous pourrons. Monsieur, nous sommes ravis de vous voir. On nous a adressés à vous, pour ce que nous cherchons : et nous venons implorer votre aide, dont nous avons besoin. Monsieur, c'est trop de grâce que vous nous faites : mais, Monsieur, couvrez-vous, s'il vous plaît, le Soleil pourrait vous incommoder. Monsieur, il ne faut pas trouver étrange que nous venions à vous : les habiles Gens sont toujours recherchés, et nous sommes instruits de votre capacité. Ah ! Monsieur... Monsieur, ce n'est pas cela, dont il est question. Ne parlons point de cela, s'il vous plaît. Monsieur, nous savons les choses. Monsieur, c'est se moquer que... Parlons d'autre façon, de grâce. Eh ! Monsieur, laissons là, ce discours. Eh fi. Faut-il, Monsieur, qu'une personne comme vous s'amuse à ces grossières feintes ? s'abaisse à parler de la sorte ? qu'un Homme si savant, un fameux Médecin, comme vous êtes, veuille se déguiser aux yeux du Monde, et tenir enterrés les beaux Talents qu'il a ? De grâce, Monsieur, ne dissimulez point avec nous. Pour ce que vous êtes, pour un grand Médecin. Voilà sa folie qui le tient. (Haut.) Monsieur, ne veuillez point nier les choses davantage : et n'en venons point, s'il vous plaît, à de fâcheuses extrémités. À de certaines choses, dont nous serions marris. Je vois bien qu'il faut se servir du remède. (Haut.) Monsieur, encore un coup, je vous prie d'avouer ce que vous êtes. À quoi bon nier ce qu'on sait ? Vous n'êtes point Médecin ? Puisque vous le voulez, il faut s'y résoudre. Pourquoi, Monsieur, nous obligez-vous à cette violence ? Je vous assure que j'en ai tous les regrets du monde. Quoi ? vous ne vous rendez pas encore : et vous vous défendez d'être Médecin ? Ah ! voilà qui va bien, Monsieur, je suis ravi de vous voir raisonnable. Je vous demande pardon de toute mon âme. Monsieur, vous ne vous repentirez pas de nous montrer ce que vous êtes : et vous verrez assurément, que vous en serez satisfait. Sans doute. Comment ? Vous êtes le plus habile Médecin du Monde. Une Femme était tenue pour morte, il y avait six heures ; elle était prête à ensevelir, lorsqu'avec une goutte de quelque chose, vous la fîtes revenir, et marcher d'abord, par la chambre. Enfin, Monsieur, vous aurez contentement avec nous : et vous gagnerez ce que vous voudrez, en vous laissant conduire où nous prétendons vous mener. Oui. Nous vous conduirons. Il est question d'aller voir une Fille, qui a perdu la parole. Il aime à rire. Allons, Monsieur. Nous en prendrons une. Oui, Monsieur, je crois que vous serez satisfait : et nous vous avons amené le plus grand Médecin du Monde. C'est un Homme qui a fait des Cures merveilleuses. Il est un peu capricieux, comme je vous ai dit : et parfois, il a des moments où son esprit s'échappe, et ne paraît pas ce qu'il est. Mais dans le fond, il est toute Science : et bien souvent, il dit des choses tout à fait relevées. Sa réputation s'est déjà répandue ici : et tout le Monde vient à lui. Je le vais quérir. Monsieur préparez-vous, voici notre Médecin qui entre. Je vous ai bien dit que c'était un Médecin goguenard. **** *creator_moliere *book_moliere_medecinmalgrelui *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinmalgrelui *dist2_moliere_prose_comedy *id_lucas *date_1666 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_lucas Parguenne, j'avons pris là, tous deux, une guèble de commission : et je ne sais pas moi, ce que je pensons attraper. Mais quelle fantaisie s'est-il boutée là dans la tête, puisque les médecins y avont tous pardu leur latin ? Un Médecin qui coupe du Bois ! Un habit jaune et vert !C'est donc, le médecin des Paroquets. Ah ! Ah ! Testigué, velà justement, l'Homme qu'il nous faut : allons vite le charcher. Eh ! morguenne, laissez-nous faire, s'il ne tient qu'à battre, la Vache est à nous. Je pense que vous dites vrai : et que j'avons bouté le nez dessus. Le velà tout craché, comme on nous l'a défiguré. Monsieu, boutez dessus. Tout ce Tripotage ne sart de rian, je savons, çen que je savons. Et testigué, ne lantiponez point davantage : et confessez à la franquette, que v'êtes Médecin. Pourquoi toutes ces fraimes-là ? à quoi est-ce que ça vous sart ? V'n'estes pas Médecin ? À quoi bon, nous bailler la peine de vous battre ? Par ma figué, j'en sis fâché, franchement. Il n'est pas vrai qu'ous sayez Médecin ? Vous me boutez la joie au cœur, quand je vous vois parler comme ça. Je vous demandons excuse, de la libarté que j'avons prise. Oui, par ma figué. Un Médecin, qui a guari, je ne sais combien de Maladies. Un petit Enfant de douze ans, se laissit choir du haut d'un clocher, de quoi il eut la Tête, les Jambes, et les bras cassés : et vous, avec je ne sai quel Onguent, vous fîtes qu'aussitôt, il se relevit sur ses pieds, et s'en fut jouer à la fossette. Palsanguenne, velà un Médecin qui me plaît ; je pense qu'il réussira ; car il est Bouffon. Oh morguenne, il faut tirer l'échelle après ceti-là : et tous les autres, ne sont pas daignes de li déchausser ses souillez. Qui a gari des Gens qui estiants morts. Oui, il aime à bouffonner, et l'an dirait par fois, ne v's en déplaise qu'il a quelque petit coup de hache à la Tête. Quand il s'y boute, il parle tout fin drait, comme s'il lisait dans un livre. Taisez-vous, notre Ménagère Jaquelaine : ce n'est pas à vous, à bouter là votre nez. Morgué, tais-toi, T'es cune impartinante. Monsieu n'a que faire de tes discours, et il sait ce qu'il a à faire. Mêle-toi de donner à téter à ton Enfant, sans tant faire la raisonneuse. Monsieu est le Père de sa Fille ; et il est bon et sage, pour voir ce qu'il li faut. Monsieu, je veux un peu la mortifier : et ly apprendre le respect qu'alle vous doit. Ne prenez pas garde à ça, Monsieu, ce n'est que pour rire. Avec votte parmission, Monsieu le Médecin, laissez là ma Femme, je vous prie. Oui. Tout doucement, s'il vous plaît. Eh testigué, point tant de compliments, je vous supplie. Avec moi, tant qu'il vous plaira : mais avec ma Femme, trêve de sarimonie. Ah vartigué, Monsieu le Médecin, que de l'antiponages. Nanin, nanin, je n'avons que faire de ça. Il gnia Office qui quienne, je sis votte sarviteur. Je me moque de ça. Je ne veux pas qu'il te tâte moi. Oui, ça est si biau, que je n'y entends goutte. Que n'ai-je la langue aussi bian pendue ! Et oui, de par tous les Diantres, je l'ai vu, et ma Femme aussi. Je ne sais : mais je voudrais qu'il fût à tous les Guebles. Ah palsanguenne, Monsieu, vaici bian du tintamarre, votte Fille s'en est enfuie avec son Liandre, c'était lui qui était l'Apothicaire, et velà Monsieu le Médecin, qui a fait cette belle Opération-là. Ah par ma fi, Monsieu le Médecin, vous serez pendu, ne bougez de là seulement. Le velà, qui va être pendu. Il a fait enlever la Fille de notte Maître. **** *creator_moliere *book_moliere_medecinmalgrelui *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinmalgrelui *dist2_moliere_prose_comedy *id_geronte *date_1666 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_geronte Je meurs d'envie de le voir, faites-le-moi vite venir. Ouais, Nourrice, Ma mie, vous vous mêlez de bien des choses. Est-elle en état, maintenant, qu'on s'en voulût charger, avec l'infirmité qu'elle a ? Et lorsque j'ai été dans le dessein de la marier, ne s'est-elle pas opposée à mes volontés ? Ce Léandre n'est pas ce qu'il lui faut : il n'a pas du Bien comme l'autre. Tous ces Biens à venir, me semblent autant de Chansons. Il n'est rien tel que ce qu'on tient : et l'on court grand risque de s'abuser, lorsque l'on compte sur le bien qu'un autre vous garde. La mort n'a pas toujours les oreilles ouvertes aux vœux et aux prières de Messieurs les héritiers : et l'on a le temps d'avoir les dents longues, lorsqu'on attend, pour vivre, le trépas de quelqu'un. Peste ! Madame la Nourrice, comme vous dégoisez ! Taisez-vous, je vous prie, vous prenez trop de soin, et vous échauffez votre Lait. Tout doux, Oh, tout doux. Oui, mais ces gestes ne sont pas nécessaires. Monsieur, je suis ravi de vous voir chez moi : et nous avons grand besoin de vous. Hippocrate dit cela ? Dans quel Chapitre, s'il vous plaît ? Puisque Hippocrate le dit, il le faut faire. À qui parlez-vous, de grâce ? Je ne suis pas Médecin. Non vraiment. Tout de bon. Ah ! ah ! ah ! Quel diable d'homme m'avez-vous là amené ? Oui, Mais je l'enverrais promener avec ses goguenarderies. Cette raillerie ne me plaît pas. Monsieur, je suis votre serviteur. Cela n'est rien. Il n'y a pas de mal. Ne parlons plus de cela. Monsieur, j'ai une Fille qui est tombée dans une étrange Maladie. Je vous suis obligé de ces sentiments. C'est trop d'honneur que vous me faites. Lucinde. Je m'en vais voir un peu ce qu'elle fait. C'est la nourrice d'un petit Enfant que j'ai. Monsieur, voici tout à l'heure, ma Fille qu'on va vous amener. Où est-elle ? Fort bien. Voici ma fille. Oui, je n'ai qu'elle de Fille : et j'aurais tous les regrets du Monde, si elle venait à mourir. Allons, un Siège. Vous l'avez fait rire, Monsieur. Monsieur, c'est là, sa Maladie. Elle est devenue muette, sans que jusques ici, on en ait pu savoir la cause : et c'est un Accident qui a fait reculer son Mariage. Celui qu'elle doit épouser, veut attendre sa Guérison, pour conclure les choses. Enfin, Monsieur, nous vous prions d'employer tous vos soins, pour la soulager de son mal. Oui, Monsieur. Fort grandes. Oui. Je n'entends rien à cela. Je ne me connais pas à ces choses. Eh ! oui, Monsieur, c'est là son mal: vous l'avez trouvé tout du premier coup. Oui, mais je voudrais bien que vous me pussiez dire d'où cela vient. Fort bien : mais la Cause, s'il vous plaît, qui fait qu'elle a perdu la Parole ? Mais, encore, vos sentiments sur cet empêchement de l'action de sa langue ? Je le crois. Sans doute. En aucune façon. Non. Ah ! que n'ai-je étudié ! Oui. Je le suis. On ne peut pas mieux raisonner sans doute. Il n'y a qu'une seule chose qui m'a choqué. C'est l'endroit du Foie et du Cœur. Il me semble que vous les placez autrement qu'ils ne sont. Que le Cœur est du côté gauche, et le Foie du côté droit. C'est ce que je ne savais pas : et je vous demande pardon de mon ignorance. Assurément : mais Monsieur, que croyez-vous qu'il faille faire à cette maladie ? Oui. Pourquoi cela, Monsieur ? Cela est vrai, ah ! le grand Homme ! vite, quantité de Pain et de Vin. Mais, Monsieur, voilà une mode que je ne comprends point. Pourquoi s'aller faire saigner, quand on n'a point de maladie ? Attendez un peu, s'il vous plaît. Vous donner de l'Argent, Monsieur. Monsieur .... Un petit moment. De grâce. Voilà qui est fait. Eh ! Je le crois. Oui, Monsieur. Je le sais bien. Je n'ai pas cette pensée. Holà ! Lucas, n'as-tu point vu ici, notre Médecin ? Où est-ce, donc, qu'il peut être ? Va-t'en voir un peu, ce que fait ma Fille. Ah ! Monsieur, je demandais où vous étiez. Un peu plus mal, depuis votre Remède. Oui, mais en opérant, je crains qu'il ne l'étouffe. Qui est cet homme-là, que vous amenez ? Quoi ? Eh. Je vous entends. Voilà ma fille qui parle. Ô grande Vertu du Remède !Ô admirable Médecin !Que je vous suis obligé, Monsieur, de cette guérison merveilleuse : et que puis-je faire pour vous, après un tel service ? Mais... Quoi.... Si... Je... Mais... J'ai... Il... La... Mais... Ah ! quelle impétuosité de paroles, il n'y a pas moyen d'y résister. Monsieur, je vous prie de la faire redevenir muette. Je vous remercie. Penses-tu donc... Tu épouseras Horace, dès ce soir. Serait-il possible, Monsieur, que vous pussiez, aussi, guérir cette Maladie d'Esprit ? Quelles Drogues, Monsieur, sont celles que vous venez de dire ? Il me semble que je ne les ai jamais ouï nommer. Avez-vous jamais vu, une Insolence pareille à la sienne ? Vous ne sauriez croire comme elle est affolée de ce Léandre. Pour moi, dès que j'ai eu découvert la violence de cet Amour, j'ai su tenir toujours ma Fille renfermée. Et j'ai bien empêché qu'ils n'aient eu communication ensemble. Il serait arrivé quelque folie, si j'avais souffert qu'ils se fussent vus. Et je crois qu'elle aurait été fille à s'en aller avec lui. On m'avertit qu'il fait tous ses efforts pour lui parler. Mais il perdra son temps. Et j'empêcherai bien qu'il ne la voie. Comment, m'assassiner de la façon. Allons, un Commissaire, et qu'on empêche qu'il ne sorte. Ah Traître, je vous ferai punir par la justice. Le Commissaire viendra bientôt, et l'on s'en va vous mettre en lieu, où l'on me répondra de vous. Non, non, la Justice en ordonnera .... Mais que vois-je ? Monsieur, votre Vertu m'est tout à fait considérable, et je vous donne ma Fille, avec la plus grande joie du Monde. **** *creator_moliere *book_moliere_medecinmalgrelui *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinmalgrelui *dist2_moliere_prose_comedy *id_jacqueline *date_1666 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_jacqueline Par ma fi, Monsieu, ceti-ci fera justement ce qu'ant fait les autres. Je pense que ce sera queussi queumi : et la meilleure Médeçaine, que l'an pourrait bailler à votre fille, ce serait, selon moi, un biau et bon mari, pour qui elle eût de l'amiqué. Je vous dis et vous douze, que tous ces Médecins n'y feront rian que de l'iau claire, que votre Fille a besoin d'autre chose, que de Ribarbe, et de sené, et qu'un Mari est une emplâtre qui garit tous les maux des Filles. Je le crois bian, vous li vouilliez bailler cun homme qu'alle n'aime point. Que ne preniais-vous ce Monsieu Liandre, qui li touchait au cœur ?Alle aurait été fort obéissante : et je m'en vas gager qu'il la prendrait li, comme alle est, si vous la li vouillais donner. Il a un oncle qui est si riche, dont il est hériquié. Enfin, j'ai, toujours, ouï dire, qu'en Mariage, comme ailleurs, Contentement passe Richesse. Les Bères et les Mères ant cette maudite couteume, de demander toujours, Qu'a-t-il ? et : Qu'a-t-elle ? et le compère Biarre, a marié sa fille Simonette, au gros Thomas, pour un quarquié de Vaigne qu'il avait davantage que le jeune Robin, où alle avait bouté son amiquié : et velà que la pauvre Creiature en est devenue jaune comme un Coing, et n'a point profité tout depuis ce temps-là. C'est un bel exemple pour vous, Monsieu ; on n'a que son plaisir en ce Monde : et j'aimerais mieux, bailler à ma Fille, un bon Mari qui li fût agriable, que toutes les Rentes de la Biausse. Ôte-toi de là, aussi, est-ce que je ne sis pas assez grande pour me défendre moi-même, s'il me fait quelque chose, qui ne soit pas à faire ? Voyez, comme il a deviné sa Maladie. L'habile homme que velà ! Ah que ça est bian dit, notte Homme ! Qui, moi ? Je me porte le mieux du Monde. Ma fi, je me moque de ça ; et je ne veux point faire de mon corps une Boutique d'Apothicaire. Par ma figué, Monsieu le Médecin, ça est trop bian dit pour moi : et je n'entends rien à tout votte latin. Je sis votte sarvante, j'aime bian mieux qu'an ne me guérisse pas. Que velez-vous, Monsieu, c'est pour la Pénitence de mes Fautes : et là où la Chèvre est liée, il faut bian qu'alle y broute. Hélas ! vous n'avez rien vu encore : et ce n'est qu'un petit échantillon de sa mauvaise humeur. Eh, Monsieu, je sai bien qu'il mérite tous ces Noms-là. Il est bien vrai, que si je n'avais, devant les yeux, que son intérêt, il pourrait m'obliger à queuque étrange chose. Monsieu, velà votre Fille qui veut un peu marcher. **** *creator_moliere *book_moliere_medecinmalgrelui *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinmalgrelui *dist2_moliere_prose_comedy *id_lucinde *date_1666 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_lucinde Han, hi, hom, han. Han, hi, hon, han, han, hi, hom. Han, hi, hom. Non, je ne suis point du tout capable de changer de sentiment. Oui, mon Père, j'ai recouvré la parole : mais je l'ai recouvrée pour vous dire, que je n'aurai jamais d'autre époux que Léandre, et que c'est inutilement que vous voulez me donner Horace. Rien n'est capable d'ébranler la Résolution que j'ai prise. Vous m'opposerez en vain de belles Raisons. Tous vos Discours ne serviront de rien. C'est une chose où je suis déterminée. Il n'est Puissance Paternelle, qui me puisse obliger à me marier malgré moi. Vous avez beau faire tous vos efforts. Mon cœur ne saurait se soumettre à cette tyrannie. Et je me jetterai plutôt dans un Convent que d'épouser un Homme que je n'aime point. Non. En aucune façon. Point d'affaire. Vous perdez le temps. Je n'en ferai rien. Cela est résolu. Non, toutes vos raisons ne gagneront rien sur mon Âme. J'épouserai plutôt la mort. **** *creator_moliere *book_moliere_medecinmalgrelui *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinmalgrelui *dist2_moliere_prose_comedy *id_leandre *date_1666 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_leandre Monsieur, il y a longtemps que je vous attends : et je viens implorer votre assistance. Je ne suis point Malade, Monsieur ; et ce n'est pas pour cela, que je viens à vous. Non, pour vous dire la chose en deux mots, je m'appelle Léandre, qui suis amoureux de Lucinde, que vous venez de visiter : et comme, par la mauvaise humeur, de son Père, toute sorte d'accès m'est fermé auprès d'elle, Je me hasarde à vous prier de vouloir servir mon amour : et de me donner lieu d'exécuter un Stratagème que j'ai trouvé, pour lui pouvoir dire deux mots, d'où dépendent, absolument, mon bonheur, et ma vie. Monsieur, ne faites point de bruit. Eh ! Monsieur doucement. De grâce. Monsieur. Je vous demande pardon, Monsieur, de la liberté que... Vous saurez, donc, Monsieur, que cette Maladie que vous voulez guérir, est une feinte Maladie. Les Médecins ont raisonné là-dessus, comme il faut ; et ils n'ont pas manqué de dire, que cela procédait, qui, du Cerveau, qui, des Entrailles, qui, de la Rate, qui, du Foie. Mais il est certain que l'Amour en est la véritable Cause : et que Lucinde n'a trouvé cette Maladie, que pour se délivrer d'un Mariage, dont elle était importunée. Mais, de crainte qu'on ne nous voie ensemble, retirons-nous d'ici : et je vous dirai en marchant, ce que je souhaite de vous. Il me semble que je ne suis pas mal ainsi, pour un Apothicaire : et comme le Père ne m'a guère vu, ce changement d'Habit, et de Perruque, est assez capable, je crois, de me déguiser à ses yeux. Tout ce que je souhaiterais, serait de savoir cinq ou six grands Mots de Médecine, pour parer mon Discours, et me donner l'air d'habile Homme. Comment ? Quoi, vous n'êtes pas effectivement... Il est vrai que les morts sont fort honnêtes Gens, sur cette matière. Monsieur, je viens faire paraître Léandre à vos yeux, et remettre Lucinde en votre pouvoir, nous avons eu dessein de prendre la fuite nous deux, et de nous aller marier ensemble : mais cette entreprise a fait place à un procédé plus honnête : je ne prétends point vous voler votre Fille, et ce n'est que de votre main que je veux la recevoir : ce que je vous dirai, Monsieur, c'est que je viens tout à l'heure de recevoir des lettres, par où j'apprends que mon oncle est mort, et que je suis héritier de tous ses biens. L'effet en est trop beau, pour en garder du ressentiment. **** *creator_moliere *book_moliere_medecinmalgrelui *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinmalgrelui *dist2_moliere_prose_comedy *id_thibaut *date_1666 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_thibaut Monsieu, je venons vous charcher, mon Fils Perrin et moi. Sa pauvre mère, qui a nom Parette est dans un lit, Malade, il y a six mois. Je voudrions, Monsieu, que vous nous baillissiez quelque petite drôlerie pour la garir. Alle est malade d'Hypocrisie, Monsieu. Oui, c'est-à-dire qu'alle est enflée par tout, et l'an dit que c'est quantité de sériosités qu'alle a dans le Corps, et que son Foie, son Ventre, ou sa Rate, comme vous voudrais l'appeler, au glieu de faire du sang, ne fait plus que de L'iau. Alle a de deux jours l'un, la fièvre quotiguenne, avec des lassitules et des douleurs dans les Mufles des jambes. On entend dans sa Gorge, des Fleumes qui sont tout prêts à l'étouffer : parfois, il lui prend des Syncoles, et des Conversions, que je crayons qu'alle est passée. J'avons dans notte Village, un Apothicaire, révérence parler, qui li a donné je ne sai combien d'Histoires : et il m'en coûte plus d'eune douzaine de bons écus, en Lavements, ne v's en déplaise, en Apostumes, qu'on li a fait prendre, en Infections de Jacinthe, et en Portions Cordales. Mais tout ça, comme dit l'autre, n'a été que de l'Onguent miton mitaine. Il velait li bailler d'eune certaine Drogue que l'on appelle du vin Amétile : mais j'ai-s-eu peur, franchement, que ça l'envoyît à patres, et l'an dit que ces gros médecins tuont je ne sai combien de Monde, avec cette Invention-là. Le fait est, Monsieu, que je venons vous prier de nous dire ce qu'il faut que je fassions. **** *creator_moliere *book_moliere_medecinmalgrelui *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinmalgrelui *dist2_moliere_prose_comedy *id_perrin *date_1666 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_perrin Monsieu, ma Mère est Malade, et velà deux Écus que je vous apportons, pour nous bailler queuque Remède. Eh oui, Monsieu, c'est justement ça. Oui, Monsieu. C'est comme je l'entendons. Du fromage, Monsieu ? Monsieu, je vous sommes bien obligés : et j'allons li faire prendre ça tout à l'heure. **** *creator_moliere *book_moliere_medecinvolant *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinvolant *dist2_moliere_prose_comedy *id_valere *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_valere Hé bien !Sabine, quel conseil me donneras-tu ? Mais le moyen de trouver sitôt un médecin à ma poste, et qui voulût tant hasarder pour mon service ?Je te le dis franchement, je n'en connais pas un. C'est un lourdaud qui gâtera tout ; mais il faut s'en servir faute d'autre.Adieu, je le vais chercher.Où diable trouver ce maroufle à présent ?Mais le voici tout à propos. Ce n'est pas cela : c'est qu'il faut que tu contrefasses le médecin. Si tu veux entreprendre cela, va, je te donnerai dix pistoles. Chez le bonhomme Gorgibus, voir sa fille, qui est malade ; mais tu es un lourdaud qui, au lieu de bien faire, pourrais bien... Il n'y a rien de si facile en cette rencontre : Gorgibus est un homme simple, grossier, qui se laissera étourdir de ton discours, pourvu que tu parles d'Hippocrate et de Galien, et que tu sois un peu effronté. Je ne sais ce qu'aura fait Sganarelle : je n'ai point eu de ses nouvelles, et je suis fort en peine où je le pourrois rencontrer. Mais bon, le voici.Hé bien !Sganarelle, qu'as-tu fait depuis que je ne t'ai point vu ? Ah !Que tu me donnes de joie !Sans perdre de temps, je la vais trouver de ce pas. Il faut que j'avoue que je n'eusse jamais cru que Sganarelle se fût si bien acquitté de son devoir. Ah !Mon pauvre garçon, que je t'ai d'obligation !Que j'ai de joie !Et que... **** *creator_moliere *book_moliere_medecinvolant *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinvolant *dist2_moliere_prose_comedy *id_sabine *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_sabine Vraiment, il y a bien des nouvelles.Mon oncle veut résolument que ma cousine épouse Villebrequin, et les affaires sont tellement avancées que je crois qu'ils eussent été mariés dès aujourd'hui, si vous n'étiez aimé ; mais comme ma cousine m'a confié le secret de l'amour qu'elle vous porte, et que nous nous sommes vues à l'extrémité par l'avarice de mon vilain oncle, nous nous sommes avisées d'une bonne invention pour différer le mariage.C'est que ma cousine, dès l'heure que je vous parle, contrefait la malade ; et le bon vieillard, qui est assez crédule, m'envoie quérir un médecin.Si vous en pouviez envoyer quelqu'un qui fût de vos bons amis, et qui fût de notre intelligence, il conseillerait à la malade de prendre l'air à la campagne.Le bonhomme ne manquera pas de faire loger ma cousine à ce pavillon qui est au bout de notre jardin, et par ce moyen vous pourriez l'entretenir à l'insu de notre vieillard, l'épouser, et le laisser pester tout son soûl avec Villebrequin. Je songe une chose : si vous faisiez habiller votre valet en médecin ?Il n'y a rien de si facile à duper que le bonhomme. Ah !Mon pauvre Sganarelle, que j'ai de joie de te voir !J'ai besoin de toi dans une affaire de conséquence ; mais, comme que je ne sais pas ce que tu sais faire... Je vous trouve à propos, mon oncle, pour vous apprendre une bonne nouvelle.Je vous amène le plus habile médecin du monde, un homme qui vient des pays étrangers, qui sait les plus beaux secrets, et qui sans doute guérira ma cousine.On me l'a indiqué par bonheur, et je vous l'amène.Il est si savant que je voudrais de bon cœur être malade, afin qu'il me guérît. Le voilà qui me suit ; tenez, le voilà. Hé !Ce n'est pas lui qui est malade, c'est sa fille. J'ai bien eu de la peine à la faire pisser. Voilà tout ce qu'on peut avoir : elle ne peut pas pisser davantage. Elle est levée ; si vous voulez, je la ferai venir. **** *creator_moliere *book_moliere_medecinvolant *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinvolant *dist2_moliere_prose_comedy *id_sganarelle *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_sganarelle Ce que je sais faire, Monsieur ?Employez-moi seulement en vos affaires de conséquence, en quelque chose d'importance : par exemple, envoyez-moi voir quelle heure il est à une horloge, voir combien le beurre vaut au marché, abreuver un cheval ; c'est alors que vous connaîtrez ce que je sais faire. Moi, médecin, Monsieur !Je suis prêt à faire tout ce qu'il vous plaira ; mais pour faire le médecin, je suis assez votre serviteur pour n'en rien faire du tout ; et par quel bout m'y prendre, bon Dieu ?Ma foi !Monsieur, vous vous moquez de moi. Ah !Pour dix pistoles, je ne dis pas que je ne sois médecin ; car, voyez-vous bien, Monsieur ?Je n'ai pas l'esprit tant, tant subtil, pour vous dire la vérité ; mais, quand je serai médecin, où irai-je ? Hé !Mon Dieu, Monsieur, ne soyez point en peine ; je vous réponds que je ferai aussi bien mourir une personne qu'aucun médecin qui soit dans la ville.On dit un proverbe, d'ordinaire : Après la mort le médecin ; mais vous verrez que, si je m'en mêle, on dira : Après le médecin, gare la mort !Mais néanmoins, quand je songe, cela est bien difficile de faire le médecin ; et si je ne fais rien qui vaille... ? C'est-à-dire qu'il lui faudra parler philosophie, mathématique.Laissez-moi faire ; s'il est un homme facile, comme vous le dites, je vous réponds de tout ; venez seulement me faire avoir un habit de médecin, et m'instruire de ce qu'il faut faire, et me donner mes licences, qui sont les dix pistoles promises. Hippocrate dit, et Galien par vives raisons persuade qu'une personne ne se porte pas bien quand elle est malade.Vous avez raison de mettre votre espérance en moi ; car je suis le plus grand, le plus habile, le plus docte médecin qui soit dans la faculté végétale, sensitive et minérale. Ne vous imaginez pas que je sois un médecin ordinaire, un médecin du commun.Tous les autres médecins ne sont, à mon égard, que des avortons de médecine.J'ai des talents particuliers, j'ai des secrets. Salamalec, salamalec."Rodrigue, as-tu du cœur ?"Signor, si ; segnor, non.Per omnia saecula saeculorum.Mais encore voyons un peu. Il n'importe : le sang du père et de la fille ne sont qu'une même chose ; et par l'altération de celui du père, je puis connaître la maladie de la fille.Monsieur Gorgibus, y aurait-il moyen de voir de l'urine de l'égrotante ? Ah !Qu'elle s'en garde bien !Il ne faut pas qu'elle s'amuse à se laisser mourir sans l'ordonnance du médecin.Voilà de l'urine qui marque grande chaleur, grande inflammation dans les intestins : elle n'est pas tant mauvaise pourtant. Ne vous étonnez pas de cela ; les médecins, d'ordinaire, se contentent de la regarder ; mais moi, qui suis un médecin hors du commun, je l'avale, parce qu'avec le goût je discerne bien mieux la cause et les suites de la maladie.Mais, à vous dire la vérité, il y en avait trop peu pour asseoir un bon jugement : qu'on la fasse encore pisser. Que cela ?Voilà bien de quoi !Faites-la pisser copieusement, copieusement.Si tous les malades pissent de la sorte, je veux être médecin toute ma vie. Quoi ?Monsieur Gorgibus, votre fille ne pisse que des gouttes !Voilà une pauvre pisseuse que votre fille ; je vois bien qu'il faudra que je lui ordonne une potion pissative.N'y aurait-il pas moyen de voir la malade ? Hé bien !Mademoiselle, vous êtes malade ? Tant pis !C'est une marque que vous ne vous portez pas bien.Sentez-vous de grandes douleurs à la tête, aux reins ? C'est fort bien fait.Oui, ce grand médecin, au chapitre qu'il a fait de la nature des animaux, dit... cent belles choses ; et comme les humeurs qui ont de la connexité ont beaucoup de rapport ; car, par exemple, comme la mélancolie est ennemie de la joie, et que la bile qui se répand par le corps nous fait devenir jaunes, et qu'il n'est rien plus contraire à la santé que la maladie, nous pouvons dire, avec ce grand homme, que votre fille est fort malade.Il faut que je vous fasse une ordonnance. Y a-t-il ici quelqu'un qui sache écrire ? Ah !Je ne m'en souvenais pas ; j'ai tant d'affaires dans la tête, que j'oublie la moitié...- Je crois qu'il serait nécessaire que votre fille prît un peu l'air, qu'elle se divertît à la campagne. Allons, allons visiter les lieux. Je n'ai pas le loisir, monsieur Gorgibus : il faut aller à mes malades.Je ne prendrai pas la droite avec vous, Monsieur. Ficile tantina pota baril cambustibus. Il sait quelque petite chose.S'il fût demeuré tant soit peu davantage, je l'allais mettre sur une matière sublime et relevée.Cependant, je prends congé de vous. Hé ! que voulez-vous faire ? Vous vous moquez, monsieur Gorgibus.Je n'en prendrai pas, je ne suis pas un homme mercenaire. Votre très humble serviteur. Merveille sur merveille : j'ai si bien fait que Gorgibus me prend pour un habile médecin.Je me suis introduit chez lui, et lui ai conseillé de faire prendre l'air à sa fille, laquelle est à présent dans un appartement qui est au bout de leur jardin, tellement qu'elle est fort éloignée du vieillard, et que vous pouvez l'aller voir commodément. Il faut avouer que ce bonhomme Gorgibus est un vrai lourdaud de se laisser tromper de la sorte. Ah ! ma foi, tout est perdu : c'est à ce coup que voilà la médecine renversée, mais il faut que je le trompe. Monsieur, votre serviteur.Vous voyez un pauvre garçon au désespoir ; ne connaissez-vous pas un médecin qui est arrivé depuis peu en cette ville, qui fait des cures admirables ? Je suis son frère, monsieur ; nous sommes gémeaux ; et comme nous nous ressemblons fort, on nous prend quelquefois l'un pour l'autre. Narcisse, Monsieur, pour vous rendre service.Il faut que vous sachiez qu'étant dans son cabinet, j'ai répandu deux fioles d'essence qui étaient sur le bout de sa table ; aussitôt il s'est mis dans une colère si étrange contre moi, qu'il m'a mis hors du logis, et ne me veut plus jamais voir, tellement que je suis un pauvre garçon à présent sans appui, sans support, sans aucune connaissance. Je vous serai bien obligé, monsieur Gorgibus. Il faut avouer que, quand les malades ne veulent pas suivre l'avis du médecin, et qu'ils s'abandonnent à la débauche que... Qu'y a-t-il, Monsieur ?Est-il question de vous rendre service ? C'est un coquin, monsieur Gorgibus. C'est un ivrogne, monsieur Gorgibus. Qu'on ne m'en parle plus ; mais voyez l'impudence de ce coquin-là, de vous aller trouver pour faire son accord ; je vous prie de ne m'en pas parler. Vous m'en priez avec tant d'insistance que, quoique j'eusse fait serment de ne lui pardonner jamais, allez, touchez là : je lui pardonne.Je vous assure que je me fais grande violence, et qu'il faut que j'aie bien de la complaisance pour vous.Adieu, monsieur Gorgibus. Ma foi, vous parlez fort à votre aise.Gorgibus m'a rencontré ; et sans une invention que j'ai trouvée, toute la mèche était découverte.Mais fuyez-vous-en, le voici. Ah !Monsieur Gorgibus, je ne crois pas que vous le trouviez à présent ; et puis je ne resterai pas chez vous ; je crains trop sa colère. Ma foi, me voilà attrapé ce coup-là ; il n'y a plus moyen de m'en échapper.Le nuage est fort épais, et j'ai bien peur que, s'il vient à crever, il ne grêle sur mon dos force coups de bâton, ou que, par quelque ordonnance plus forte que toutes celles des médecins, on m'applique tout au moins un cautère royal sur les épaules.Mes affaires vont mal ; mais pourquoi se désespérer ?Puisque j'ai tant fait, poussons la fourbe jusques au bout.Oui, oui, il en faut encore sortir, et faire voir que Sganarelle est le roi des fourbes. Vous vous moquez, monsieur Gorgibus : n'est-ce pas assez que je lui pardonne ?Je ne le veux jamais voir. Je ne vous saurais rien refuser : dites-lui qu'il descende. Monsieur Gorgibus, je vous prie de le faire venir ici : je vous conjure que ce soit en particulier que je lui demande pardon, parce que sans doute il me ferait cent hontes et cent opprobres devant tout le monde. Il n'y a rien que je ne fasse pour votre satisfaction : vous allez entendre de quelle manière je le vais traiter. Ah !Te voilà, coquin.- Monsieur mon frère, je vous demande pardon, je vous promets qu'il n'y a point de ma faute.- Il n'y a point de ta faute, pilier de débauche, coquin ?Va, je t'apprendrai à vivre.Avoir la hardiesse d'importuner M. Gorgibus, de lui rompre la tête de tes sottises !- Monsieur mon frère...- Tais-toi, te dis-je.- Je ne vous désoblig...- Tais-toi, coquin. Ivrogne que tu es, je t'apprendrai à vivre.Comme il baisse la vue !Il voit bien qu'il a failli, le pendard.Ah !L'hypocrite, comme il fait le bon apôtre ! Il est indigne de la vue des gens d'honneur, et puis je ne le saurais souffrir auprès de moi. En vérité, Monsieur Gorgibus, vous avez un tel pouvoir sur moi que je ne vous puis rien refuser.Montre, montre-toi, coquin. - Monsieur Gorgibus, je suis votre obligé. Hé bien !Avez-vous vu cette image de la débauche ? C'est une chose que je refuserais à tout autre qu'à vous : mais pour vous montrer que je veux tout faire pour l'amour de vous, je m'y résous, quoique avec peine, et veux auparavant qu'il vous demande pardon de toutes les peines qu'il vous a données.- Oui, Monsieur Gorgibus, je vous demande pardon de vous avoir tant importuné, et vous promets, mon frère, en présence de M. Gorgibus que voilà, de faire si bien désormais, que vous n'aurez plus lieu de vous plaindre, vous priant de ne plus songer à ce qui s'est passé. Monsieur, voilà la clef de votre maison que je vous rends ; je n'ai pas voulu que ce coquin soit descendu avec moi, parce qu'il me fait honte : je ne voudrais pas qu'on le vît en ma compagnie dans la ville, où je suis en quelque réputation.Vous irez le faire sortir quand bon vous semblera. Je vous donne le bonjour, et suis votre, etc. Monsieur, je vous remercie de la peine que vous avez prise et de la bonté que vous avez eue : je vous en serai obligé toute ma vie. Monsieur, qu'allez-vous faire de me pendre ?Écoutez un mot, s'il vous plaît : il est vrai que c'est par mon invention que mon maître est avec votre fille ; mais en le servant, je ne vous ai point désobligé : c'est un parti sortable pour elle, tant pour la naissance que pour les biens.Croyez-moi, ne faites point un vacarme qui tournerait à votre confusion, et envoyez à tous les diables ce coquin-là, avec Villebrequin.Mais voici nos amants. Nous nous jetons à vos pieds. **** *creator_moliere *book_moliere_medecinvolant *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinvolant *dist2_moliere_prose_comedy *id_gorgibus *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_gorgibus Allez vitement chercher un médecin ; car ma fille est bien malade, et dépêchez-vous. Va-t'en vite : je vois bien que cette maladie-là reculera bien les noces. Où est-il donc ? Très humble serviteur à Monsieur le médecin !Je vous envoie quérir pour voir ma fille, qui est malade ; je mets toute mon espérance en vous. J'en suis fort ravi. Oui-da ; Sabine, vite allez quérir de l'urine de ma fille.Monsieur le médecin, j'ai grand'peur qu'elle ne meure. Hé quoi ?Monsieur, vous l'avalez ? Vite une table, du papier, de l'encre. Est-ce que vous ne le savez point ? Nous avons un fort beau jardin, et quelques chambres qui y répondent ; si vous le trouvez à propos, je l'y ferai loger. Monsieur, votre très humble, etc. J'étais là dedans avec le plus savant homme. Monsieur, voilà un fort habile homme de mes amis qui souhaiterait de vous parler et vous entretenir. Que vous semble de cet homme-là ? Je sais bien ce que je vous dois. Bonjour, Monsieur. Oui, je le connais : il vient de sortir de chez moi. Je me dédonne au diable si je n'y ai été trompé.Et comme vous nommez-vous ? Allez, je ferai votre paix : je suis de ses amis, et je vous promets de vous remettre avec lui.Je lui parlerai d'abord que je le verrai. Monsieur le Médecin, votre très humble serviteur.Je vous demande une grâce. Monsieur, je viens de rencontrer Monsieur votre frère, qui est tout à fait fâché de... Je vous réponds qu'il est tellement contrit de vous avoir mis en colère... Hé !Monsieur, vous voulez désespérer ce pauvre garçon ? Au nom de Dieu, Monsieur le Médecin !Et faites cela pour l'amour de moi.Si je suis capable de vous obliger en autre chose, je le ferai de bon cœur.Je m'y suis engagé, et... Monsieur, votre très humble serviteur ; je m'en vais chercher ce pauvre garçon pour lui apprendre cette bonne nouvelle. Je vous cherchais partout pour vous dire que j'ai parlé à votre frère : il m'a assuré qu'il vous pardonnait ; mais, pour en être plus assuré, je veux qu'il vous embrasse en ma présence ; entrez dans mon logis, et je l'irai chercher. Ah !Vous demeurerez, car je vous enfermerai.Je m'en vais à présent chercher votre frère : ne craignez rien, je vous réponds qu'il n'est plus fâché. Je ne saurais trouver ce médecin ; je ne sais où diable il s'est caché. Mais le voici.Monsieur, ce n'est pas assez d'avoir pardonné à votre frère ; je vous prie, pour ma satisfaction, de l'embrasser : il est chez moi, et je vous cherchais partout pour vous prier de faire cet accord en ma présence. Mais, Monsieur, pour l'amour de moi. Voilà votre frère qui vous attend là-bas : il m'a promis qu'il fera tout ce que je voudrai. Oui-da, je m'en vais lui dire.Monsieur, il dit qu'il est honteux, et qu'il vous prie d'entrer, afin qu'il vous demande pardon en particulier.Voilà la clef, vous pouvez entrer ; je vous supplie de ne me pas refuser et de me donner ce contentement. C'est le médecin et Narcisse son frère ; ils avaient quelque différend, et ils font leur accord. Oui-da, Monsieur le Médecin, je vous prie de faire paraître votre frère à la fenêtre. Monsieur, ne me refusez pas cette grâce, après toutes celles que vous m'avez faites. Mais faites-moi la grâce de le faire paraître avec vous, et de l'embrasser devant moi à la fenêtre. Hé bien !Ne les voilà pas tous deux ? Il faut que j'aille délivrer ce pauvre garçon ; en vérité, s'il lui a pardonné, ce n'a pas été sans le bien maltraiter. Il s'en est allé. Ah !Que je suis malheureux !Mais tu seras pendu, fourbe, coquin. Je vous pardonne, et suis heureusement trompé par Sganarelle, ayant un si brave gendre.Allons tous faire noces, et boire à la santé de toute la compagnie. **** *creator_moliere *book_moliere_medecinvolant *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinvolant *dist2_moliere_prose_comedy *id_gros-rene *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_grosrene Que diable aussi !Pourquoi vouloir donner votre fille à un vieillard ?Croyez-vous que ce ne soit pas le désir qu'elle a d'avoir un jeune homme qui la travaille ?Voyez-vous la connexité qu'il y a, etc. Et c'est ce qui me fait enrager : je croyais refaire mon ventre d'une bonne carrelure, et m'en voilà sevré.Je m'en vais chercher un médecin pour moi aussi bien que pour votre fille ; je suis désespéré. Ah !Ma foi, voilà qui est drôle !Comme diable on saute ici par les fenêtres !Il faut que je demeure ici, et que je voie à quoi tout cela aboutira. Qui diable pensez-vous qui soit chez vous à présent ? Le diable emporte !Ils ne sont qu'un. Monsieur, dites-lui un peu par plaisir qu'il fasse mettre son frère à la fenêtre. Ma foi, ils ne sont qu'un, et, pour vous le prouver, dites-lui un peu que vous les voulez voir ensemble. Ah !Par ma foi, il est sorcier. Où pensez-vous que soit à présent le médecin ? Je le tiens sous mon bras.Voilà le coquin qui faisait le médecin, et qui vous trompe.Cependant qu'il vous trompe et joue la farce chez vous, Valère et votre fille sont ensemble, qui s'en vont à tous les diables. **** *creator_moliere *book_moliere_medecinvolant *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinvolant *dist2_moliere_prose_comedy *id_lucile *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_lucile Oui, Monsieur. Oui, Monsieur. **** *creator_moliere *book_moliere_medecinvolant *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_medecinvolant *dist2_moliere_prose_comedy *id_avocat *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_avocat J'ai ouï dire que la fille de M. Gorgibus était malade : il faut que je m'informe de sa santé, et que je lui offre mes services comme ami de toute sa famille.Holà !Holà !M. Gorgibus y est-il ? Ayant appris la maladie de Mademoiselle votre fille, je vous suis venu témoigner la part que j'y prends, et vous faire offre de tout ce qui dépend de moi. N'y aurait-il pas moyen de l'entretenir un moment ? Monsieur, après ce que m'a dit M. Gorgibus de votre mérite et de votre savoir, j'ai eu la plus grande passion du monde d'avoir l'honneur de votre connaissance, et j'ai pris la liberté de vous saluer à ce dessein : je crois que vous ne le trouverez pas mauvais.Il faut avouer que tous ceux qui excellent en quelque science sont dignes de grande louange, et particulièrement ceux qui font profession de la médecine, tant à cause de son utilité, que parce qu'elle contient en elle plusieurs autres sciences, ce qui rend sa parfaite connaissance fort difficile ; et c'est fort à propos qu'Hippocrate dit dans son premier aphorisme : Vita brevis, ars vero longa, occasio autem praeceps, experimentum periculosum, judicium difficile. Vous n'êtes pas de ces médecins qui ne vous appliquez qu'à la médecine qu'on appelle rationale ou dogmatique, et je crois que vous l'exercez tous les jours avec beaucoup de succès : experientia magistra rerum.Les premiers hommes qui firent profession de la médecine furent tellement estimés d'avoir cette belle science, qu'on les mit au nombre des Dieux pour les belles cures qu'ils faisaient tous les jours.Ce n'est pas qu'on doive mépriser un médecin qui n'aurait pas rendu la santé à son malade, parce qu'elle ne dépend pas absolument de ses remèdes, ni de son savoir : Interdum docta plus valet arte malum.Monsieur, j'ai peur de vous être importun : je prends congé de vous, dans l'espérance que j'ai qu'à la première vue j'aurai l'honneur de converser avec vous avec plus de loisir.Vos heures vous sont précieuses, etc. **** *creator_moliere *book_moliere_melicerte *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_melicerte *dist2_moliere_verse_comedy *id_acante *date_1682 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_acante Ah ! charmante Daphné. Pourquoi me chasses-tu ? Ne cesseras-tu point cette rigueur mortelle ? Si tu n'en prends pitié, je succombe à ma peine. Hé bien en m'éloignant, je te vais satisfaire. Généreuse Éroxène, en faveur de mes feux Daigne au moins par pitié lui dire un mot ou deux. Ah ! Myrtil, vous avez du Ciel reçu des charmes, Qui nous ont préparé des matières de larmes, Et leur naissant éclat fatal à nos ardeurs, De ce que nous aimons nous enlève les cœurs. Ne faites point languir deux Amants davantage, Et nous dites quel sort votre cœur nous partage. Ah, Myrtil, se peut-il que deux tristes Amants… Ah, que cette aventure est un charmant miracle, Et qu'à notre poursuite elle ôte un grand obstacle. Suivons aussi ses pas, afin de tout apprendre. **** *creator_moliere *book_moliere_melicerte *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_melicerte *dist2_moliere_verse_comedy *id_tyrene *date_1682 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_tyrene Trop aimable Éroxène. Pourquoi fuis-tu mes pas ? Ne cesseras-tu point de m'être si cruelle ? Si tu ne me secours, ma mort est trop certaine. Mon départ va t'ôter ce qui peut te déplaire. Obligeante Daphné, parle à cette inhumaine. Et sache d'où pour moi procède tant de haine. Peut-on savoir, Myrtil, vers qui de ces deux Belles Vous tournerez ce choix dont courent les nouvelles, Et sur qui doit de nous tomber ce coup affreux, Dont se voit foudroyé tout l'espoir de nos vœux ? Il vaut mieux quand on craint ces malheurs éclatants, En mourir tout d'un coup que traîner si longtemps. Est-il vrai que le Ciel sensible à nos tourments… Elle peut renvoyer ces Nymphes à nos vœux, Et nous donner moyen d'être contents tous deux. **** *creator_moliere *book_moliere_melicerte *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_melicerte *dist2_moliere_verse_comedy *id_daphne *date_1682 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_daphne Acante, laisse-moi. Tu me plais loin de moi. Ne cesseras-tu point tes inutiles vœux ? Si tu ne veux partir, je vais quitter ce lieu. Tyrène vaut beaucoup, et languit pour tes charmes. D'où vient que sans pitié tu vois couler ses larmes ? Pour tous les soins d'Acante, on me voit inflexible, Parce qu'à d'autres vœux je me trouve sensible. Puis-je savoir de toi ce choix qu'on te voit taire ? Sans te nommer celui qu'Amour m'a fait choisir, Je puis facilement contenter ton désir, Et de la main d'Atis, ce Peintre inimitable, J'en garde dans ma poche un portrait admirable, Qui jusques au moindre trait lui ressemble si fort, Qu'il est sûr que tes yeux le connaîtront d'abord. La boîte que le Peintre a fait faire pour moi, Est tout à fait semblable à celle que je vois. Faisons en même temps par un peu de couleurs, Confidence à nos yeux du secret de nos cœurs. La méprise est plaisante, et tu te brouilles bien, Au lieu de ton portrait, tu m'as rendu le mien. Donne. De cette erreur ta rêverie est cause. Certes, c'est pour en rire, et tu peux me le rendre. De mes sens prévenus est-ce une illusion ? Myrtil à mes regards s'offre dans cet ouvrage. C'est le jeune Myrtil qui fait naître mes feux. Je venais aujourd'hui te prier de lui dire, Les soins que pour son sort son mérite m'inspire. Cette ardeur qu'il t'inspire est-elle si puissante ? Il n'est point de froideur qu'il ne puisse enflammer, Et sa grâce naissante a de quoi tout charmer. Rien que son air charmant ne me touche aujourd'hui ; Et si j'avais cent cœurs, ils seraient tous pour lui. Ce serait donc en vain qu'à chacune, en ce jour, On nous voudrait du sein arracher cet amour. Nos âmes dans leurs vœux sont trop bien affermies, Ne tâchons, s'il se peut, qu'à demeurer amies. Et puisque en même temps pour le même sujet, Nous avons toutes deux formé même projet, Mettons dans ce débat la franchise en usage, Ne prenons l'une et l'autre aucun lâche avantage, Et courons nous ouvrir ensemble à Lycarsis, Des tendres sentiments où nous jette son fils. Soit, je vois Lycarsis avec Mopse et Nicandre, Ils pourront le quitter, cachons-nous pour attendre. Le Ciel tienne, Pasteur, vos brebis toujours saines. Ah ! Lycarsis, nos vœux à même but aspirent. Et l'amour, cet Enfant qui cause nos langueurs, A pris chez vous le trait dont il blesse nos cœurs. Pour ce bien seul nous poussons des soupirs. C'est un peu librement expliquer sa pensée. Mais quand le cœur brûle d'un noble feu, On peut sans nulle honte en faire un libre aveu. Enfin tout notre bien est en votre puissance. Trouverons-nous en vous quelques difficultés ? Accordez donc Myrtil à notre amoureux zèle. Oui, c'est Myrtil que de vous nous voulons. Son mérite naissant peut frapper d'autres yeux, Et l'on veut s'engager un bien si précieux, Prévenir d'autres cœurs, et braver la fortune Sous les fermes liens d'une chaîne commune. Il n'est point tant enfant, qu'à le voir chaque jour, Je ne le croie atteint déjà d'un peu d'amour, Et plus d'une aventure à mes yeux s'est offerte, Où j'ai connu qu'il suit la jeune Mélicerte. Enfin nous désirons par le nœud d'hyménée, Attacher sa fortune à notre destinée. Nous vous laissons, Myrtil, pour l'avis le meilleur, Consulter sur ce choix vos yeux et votre cœur, Et nous n'en voulons point prévenir les suffrages Par un récit paré de tous nos avantages. Non, ne descendez point dans ces humilités, Et laissez-nous juger ce que vous méritez. Puisque nous consentons à l'arrêt qu'on peut rendre, Ces raisons ne font rien à vouloir s'en défendre. Ne vous mettez point en courroux, je vous prie. Traitons, de grâce, ici les choses sans colère. Le choix d'elle et de nous est assez inégal. **** *creator_moliere *book_moliere_melicerte *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_melicerte *dist2_moliere_verse_comedy *id_eroxene *date_1682 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_eroxene Ne me suis point, Tyrène. Je m'aime où tu n'es pas. Ne cesseras-tu point de m'être si fâcheux ? Si tu veux demeurer, je te vais dire adieu. Acante a du mérite, et t'aime tendrement. D'où vient que tu lui fais un si dur traitement ? Puisque j'ai fait ici la demande avant toi, La raison te condamne à répondre avant moi. Je ne fais pour Tyrène éclater que rigueur, Parce qu'un autre choix est maître de mon cœur. Oui, si tu veux du tien m'apprendre le mystère. Je puis te contenter par une même voie, Et payer ton secret en pareille monnaie. J'ai de la main aussi de ce Peintre fameux, Un aimable Portrait de l'objet de mes vœux, Si plein de tous ses traits et de sa grâce extrême, Que tu pourras d'abord te le nommer toi-même. Il est vrai, l'une à l'autre entièrement ressemble, Et certes, il faut qu'Atis les ait fait faire ensemble. Voyons à qui plus vite entendra ce langage, Et qui parle le mieux, de l'un ou l'autre ouvrage. Il est vrai, je ne sais comme j'ai fait la chose. Que veut dire ceci ? Nous nous jouons, je crois. Tu fais de ces Portraits même chose que moi. Voici le vrai moyen de ne se point méprendre. Mon âme sur mes yeux fait-elle impression ? De Myrtil dans ces traits je rencontre l'Image. C'est au jeune Myrtil que tendent tous mes vœux. Je venais te chercher pour servir mon ardeur, Dans le dessein que j'ai de m'assurer son cœur. L'aimes-tu d'une amour qui soit si violente ? Il n'est Nymphe en l'aimant qui ne se tînt heureuse, Et Diane sans honte en serait amoureuse. Il efface à mes yeux tout ce qu'on voit paraître, Et si j'avais un Sceptre, il en serait le Maître. J'ai peine à concevoir, tant la surprise est forte, Comme un tel fils est né d'un père de la sorte, Et sa taille, son air, sa parole et ses yeux, Feraient croire qu'il est issu du sang des Dieux : Mais enfin j'y souscris, courons trouver ce père, Allons-lui de nos cœurs découvrir le mystère, Et consentons qu'après Myrtil, entre nous deux, Décide par son choix ce combat de nos vœux. Cérès tienne de grains vos granges toujours pleines. C'est pour le même objet que nos deux cœurs soupirent. Et nous venons ici chercher votre alliance, Et voir qui de nous deux aura la préférence. À ce bonheur tendent tous nos désirs. La bienséance y semble un peu blessée. Cette liberté nous peut être permise, Et du choix de nos cœurs la beauté l'autorise. Non, non, n'affectez point de modestie ici. C'est de vous que dépend notre unique espérance. Nos vœux, dites-moi, seront-ils rejetés ? Et souffrez que son choix règle notre querelle. De qui pensez-vous donc qu'ici nous vous parlons ? Comme par son esprit et ses autres brillants, Il rompt l'ordre commun et devance le temps, Notre flamme pour lui veut en faire de même, Et régler tous ses vœux sur son mérite extrême. Ils pourraient bien s'aimer, et je vois… Nous voulons l'une et l'autre avec pareille ardeur, Nous assurer de loin l'empire de son cœur. Malgré cette fierté qui règne parmi nous, Deux Nymphes, ô Myrtil, viennent s'offrir à vous, Et de vos qualités les merveilles écloses, Font que nous renversons ici l'ordre des choses. Contentez nos désirs, quoi qu'on en puisse croire, Et ne vous chargez point du soin de notre gloire. Mais en faisant refus de répondre à nos vœux, Au lieu d'une, Myrtil, vous en outragez deux. Peut-on savoir de vous cet objet si charmant, Dont la beauté, Myrtil, vous a fait son Amant ? Vous comparez, Myrtil, ses qualités aux nôtres ? **** *creator_moliere *book_moliere_melicerte *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_melicerte *dist2_moliere_verse_comedy *id_lycarsis *date_1682 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lycarsis Ah ! que vous me pressez ! Cela ne se dit pas comme vous le pensez. Parmi les curieux des affaires d'État, Une nouvelle à dire est d'un puissant éclat. Je me veux mettre un peu sur l'homme d'importance, Et jouir quelque temps de votre impatience. Priez-moi donc tous deux de la bonne manière, Et me dites chacun quel don vous me ferez, Pour obtenir de moi ce que vous désirez. Eh. Je m'en vais vous le dire, écoutez. Quoi vous ne voulez pas m'entendre ? Eh bien Je ne dirai donc mot, et vous ne saurez rien. Vous ne saurez pas qu'avec magnificence, Le Roi vient d'honorer Tempé de sa présence : Qu'il entra dans Larisse hier sur le haut du jour : Qu'à l'aise je l'y vis avec toute sa Cour. Que ces bois vont jouir aujourd'hui de sa vue, Et qu'on raisonne fort touchant cette venue. Je vis cent choses là ravissantes à voir. Ce ne sont que Seigneurs, qui des pieds à la tête, Sont brillants et parés comme au jour d'une fête, Ils surprennent la vue et nos prés au Printemps Avec toutes leurs fleurs sont bien moins éclatants. Pour le Prince entre tous, sans peine on le remarque, Et d'une stade loin, il sent son grand Monarque, Dans toute sa personne, il a je ne sais quoi, Qui d'abord fait juger que c'est un maître Roi. Il le fait d'une grâce à nulle autre seconde, Et cela sans mentir lui sied le mieux du monde. On ne croirait jamais comme de toutes parts, Toute sa Cour s'empresse à chercher ses regards : Ce sont autour de lui confusions plaisantes, Et l'on dirait d'un tas de mouches reluisantes, Qui suivent en tous lieux un doux rayon de miel. Enfin l'on ne voit rien de si beau sous le Ciel, Et la fête de Pan parmi nous si chérie, Auprès de ce spectacle est une gueuserie : Mais puisque sur le fier vous vous tenez si bien, Je garde ma nouvelle, et ne veux dire rien. Allez vous promener. C'est de cette façon que l'on punit les gens, Quand ils font les benêts et les impertinents. Et le grand Pan vous donne à chacune un Époux Qui vous aime beaucoup, et soit digne de vous. Nymphes… Je suis… Pourquoi. Ah point. Je… C'est blesser ma pudeur que me flatter ainsi. Ah. Non, j'ai reçu du Ciel une âme peu cruelle ; Je tiens de feu ma femme, et je me sens comme elle Pour les désirs d'autrui beaucoup d'humanité, Et je ne suis point homme à garder de fierté. Myrtil ? Je ne sais, mais Myrtil n'est guère dans un âge Qui soit propre à ranger au joug du mariage. Il est vrai qu'à son âge, il surprend quelquefois. Et cet Athénien qui fut chez moi vingt mois, Qui le trouvant joli, se mit en fantaisie De lui remplir l'esprit de sa philosophie, Sur de certains discours l'a rendu si profond, Que tout grand que je suis, souvent il me confond. Mais, avec tout cela, ce n'est encore qu'enfance, Et son fait est mêlé de beaucoup d'innocence. Franc abus. Pour elle passe encore, elle a deux ans de plus, Et deux ans dans son sexe est une grande avance. Mais pour lui, le jeu seul l'occupe tout, je pense, Et les petits désirs de se voir ajusté Ainsi que les Bergers de haute qualité. Je m'en tiens honoré autant qu'on saurait croire. Je suis un pauvre Pâtre, et ce m'est trop de gloire, Que deux Nymphes d'un rang le plus haut du pays, Disputent à se faire un époux de mon fils. Puisqu'il vous plaît qu'ainsi la chose s'exécute, Je consens que son choix règle votre dispute, Et celle qu'à l'écart laissera cet arrêt, Pourra pour son recours m'épouser, s'il lui plaît. C'est toujours même sang et presque même chose. Mais le voici, souffrez qu'un peu je le dispose, Il tient quelque moineau qu'il a pris fraîchement. Et voilà ses amours et son attachement. Myrtil, Myrtil, un mot, laissons là ces joyaux, Il s'agit d'autre chose ici que de moineaux. Ces deux Nymphes, Myrtil, à la fois te prétendent, Et tout jeune déjà pour époux te demandent. Je dois par un Hymen t'engager à leurs vœux, Et c'est toi que l'on veut qui choisisse des deux. Oui ; des deux tu peux en choisir une ; Vois quel est ton bonheur, et bénis la fortune. Enfin, qu'on le reçoive, et que sans se confondre, A l'honneur qu'elles font, on songe à bien répondre. Comment donc ? qu'est-ce ci ? qui l'eût pu présumer ? Et savez-vous, morveux, ce que c'est que d'aimer ? Mais cet amour me choque, et n'est pas nécessaire. Mais ce cœur que j'ai fait, me doit obéissance. Mais enfin, sans mon ordre, il ne doit point aimer. Eh bien, je vous défends que cela continue. Quoi, les pères n'ont pas des droits supérieurs ? Les Dieux… Paix, petit sot, cette philosophie Me… Non, je veux qu'il se donne à l'une pour époux, Ou je vais lui donner le fouet tout devant vous : Ah, ah, je vous ferai sentir que je suis père. Myrtil, holà, Myrtil, veux-tu revenir, traître. Il fuit, mais on verra qui de nous est le maître. Ne vous effrayez point de tous ces vains transports, Vous l'aurez pour époux, j'en réponds corps pour corps. Ne vous contraignez pas pour moi. Cela ne va pas mal, continuez tous deux. Peste, mon petit fils, que vous avez l'air tendre, Et qu'en maître déjà vous savez vous y prendre. Vous a-t-il, ce savant, qu'Athènes exila, Dans sa Philosophie appris ces choses-là : Et vous qui lui donnez de si douce manière Votre main à baiser, la gentille Bergère, L'honneur vous apprend-il ces mignardes douceurs, Par qui vous débauchez ainsi les jeunes cœurs ? Je veux lui parler moi, toutes ces amitiés… Comment, à quel orgueil, fripon, vous vois-je aller ? Est-ce de la façon que l'on me doit parler ? Aux douleurs de son âme il me fait prendre part. Qui l'aurait jamais cru de ce petit pendard ? Quel amour, quels transports, quels discours pour son âge : J'en suis confus, et sens que cet amour m'engage. Je ne puis plus tenir, il m'arrache des larmes, Et ces tendres propos me font rendre les armes. Lève-toi. Oui. Oui. Oui, lève-toi, te dis-je. Ah, que pour ses enfants un père a de faiblesse ! Peut-on rien refuser à leurs mots de tendresse, Et ne se sent-on pas certains mouvements doux, Quand on vient à songer que cela sort de vous ? Non. Oui. Ha, nature ! nature, Je m'en vais trouver Mopse, et lui faire ouverture De l'amour que sa Nièce, et toi, vous vous portez. **** *creator_moliere *book_moliere_melicerte *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_melicerte *dist2_moliere_verse_comedy *id_myrtil *date_1682 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_myrtil Innocente petite bête, Qui contre ce qui vous arrête, Vous débattez tant à mes yeux, De votre liberté ne plaignez point la perte, Votre destin est glorieux, Je vous ai pris pour Mélicerte. Elle vous baisera, vous prenant dans sa main, Et de vous mettre en son sein, Elle vous fera la grâce. Est-il un sort au monde et plus doux et plus beau ? Et qui des Rois, hélas, heureux petit moineau, Ne voudrait être en votre place ? Ces Nymphes… Ce choix qui m'est offert, peut-il m'être un bonheur, S'il n'est aucunement souhaité de mon cœur ? C'est me faire un honneur dont l'éclat me surprend ; Mais cet honneur pour moi, je l'avoue, est trop grand. À vos rares bontés, il faut que je m'oppose, Pour mériter ce sort, je suis trop peu de chose : Et je serais fâché, quels qu'en soient les appas, Qu'on vous blâmât pour moi de faire un choix trop bas. Le choix qui m'est offert s'oppose à votre attente, Et peut seul empêcher que mon cœur vous contente. Le moyen de choisir de deux grandes beautés, Égales en naissance, et rares qualités ? Rejeter l'une ou l'autre est un crime effroyable ; Et n'en choisir aucune est bien plus raisonnable. Eh bien, si ces raisons ne vous satisfont pas, Celle-ci le fera, j'aime d'autres appas, Et je sens bien qu'un cœur, qu'un bel objet engage, Est insensible et sourd à tout autre avantage. Sans savoir ce que c'est, mon cœur a su le faire. Vous ne deviez donc pas, si cela vous déplaît, Me faire un cœur sensible et tendre comme il est. Oui, lorsque d'obéir il est en sa puissance. Que n'empêchiez-vous donc que l'on pût le charmer ? La défense, j'ai peur, sera trop tard venue. Les Dieux qui sont bien plus ne forcent point les cœurs. Mélicerte, Madame, elle en peut faire d'autres. Nymphes, au nom des Dieux, n'en dites point de mal, Daignez considérer, de grâce, que je l'aime, Et ne me jetez point dans un désordre extrême. Si j'outrage en l'aimant vos célestes attraits, Elle n'a point de part au crime que je fais : C'est de moi, s'il vous plaît, que vient toute l'offense. Il est vrai d'elle à vous, je sais la différence ; Mais par sa destinée on se trouve enchaîné, Et je sens bien enfin que le Ciel m'a donné Pour vous tout le respect, Nymphes, imaginable : Pour elle tout l'amour dont une âme est capable. Je vois à la rougeur qui vient de vous saisir, Que ce que je vous dis ne vous fait pas plaisir. Si vous parlez, mon cœur appréhende d'entendre Ce qui peut le blesser par l'endroit le plus tendre : Et pour me dérober à de semblables coups, Nymphes, j'aime bien mieux prendre congé de vous. J'ai fait tantôt, charmante Mélicerte, Un petit prisonnier que je garde pour vous, Et dont peut-être un jour je deviendrai jaloux. C'est un jeune Moineau, qu'avec un soin extrême Je veux pour vous l'offrir apprivoiser moi-même. Le présent n'est pas grand ; mais les divinités Ne jettent leurs regards que sur les volontés. C'est le cœur qui fait tout, et jamais la richesse Des présents que… Mais, Ciel, d'où vient cette tristesse ? Qu'avez-vous, Mélicerte, et quel sombre chagrin Serait dans vos beaux yeux répandu ce matin ? Vous ne répondez point ? et ce morne silence Redouble encor ma peine et mon impatience. Parlez, de quel ennui ressentez-vous les coups ? Qu'est-ce donc ? Ce n'est rien, dites-vous ? Et je vois cependant vos yeux couverts de larmes, Cela s'accorde-t-il, beauté pleine de charmes ? Ah, ne me faites point un secret dont je meurs, Et m'expliquez, hélas ! ce que disent ces pleurs. Devez-vous rien avoir que je ne doive apprendre, Et ne blessez-vous pas notre amour aujourd'hui, De vouloir me voler ma part de votre ennui ? Ah, ne le cachez point à l'ardeur qui m'inspire. Et vous pouvez l'avoir, cette injuste tristesse, Vous pouvez soupçonner mon amour de faiblesse, Et croire qu'engagé par des charmes si doux, Je puisse être jamais à quelque autre qu'à vous ? Que je puisse accepter une autre main offerte ? Hé ! que vous ai-je fait, cruelle Mélicerte, Pour traiter ma tendresse avec tant de rigueur, Et faire un jugement si mauvais de mon cœur ? Quoi, faut-il que de lui vous ayez quelque crainte, Je suis bien malheureux de souffrir cette atteinte : Et que me sert d'aimer comme je fais, hélas, Si vous êtes si prête à ne le croire pas. Ah, leur rang de mon cœur ne viendra point à bout, Et vos divins appas vous tiennent lieu de tout. Je vous aime, il suffit, et dans votre personne, Je vois Rang, Biens, Trésors, États, Sceptres, Couronne, Et des Rois les plus grands m'offrît-on le pouvoir, Je n'y changerais pas le bien de vous avoir. C'est une vérité toute sincère et pure, Et pouvoir en douter est me faire une injure. Non, chère Mélicerte, il n'est père ni Dieux Qui me puissent forcer à quitter vos beaux yeux, Et toujours de mes vœux, Reine comme vous êtes… Quoi, faut-il des serments appeler le secours, Lorsque l'on vous promet de vous aimer toujours ? Que vous vous faites tort par de telles alarmes, Et connaissez bien peu le pouvoir de vos charmes. Hé bien, puisqu'il le faut, je jure par les Dieux, Et si ce n'est assez, je jure par vos yeux, Qu'on me tuera plutôt que je vous abandonne, Recevez-en ici la foi que je vous donne, Et souffrez que ma bouche avec ravissement, Sur cette belle main en signe le serment. Est-il rien… Mais, ô Ciel, on vient troubler ma joie. Ah, quittez de ces mots l'outrageante bassesse, Et ne m'accablez point d'un discours qui la blesse. Je ne souffrirai point que vous la maltraitiez. À du respect pour vous la naissance m'engage, Mais je saurai sur moi vous punir de l'outrage : Oui, j'atteste le Ciel, que si contre mes vœux, Vous lui dites encor le moindre mot fâcheux, Je vais avec ce fer, qui m'en fera justice, Au milieu de mon sein vous chercher un supplice, Et par mon sang versé lui marquer promptement L'éclatant désaveu de votre emportement. Eh bien, vous triomphez avec cette retraite, Et dans ces mots votre âme a ce qu'elle souhaite : Mais apprenez qu'en vain vous vous réjouissez, Que vous serez trompé dans ce que vous pensez, Et qu'avec tous vos soins, toute votre puissance, Vous ne gagnerez rien sur ma persévérance. Oui, j'ai tort, il est vrai, mon transport n'est pas sage : Pour rentrer au devoir, je change de langage, Et je vous prie ici, mon Père, au nom des Dieux, Et par tout ce qui peut vous être précieux, De ne vous point servir dans cette conjoncture, Des fiers droits que sur moi vous donne la nature, Ne m'empoisonnez point vos bienfaits les plus doux, Le jour est un présent que j'ai reçu de vous : Mais de quoi vous serai-je aujourd'hui redevable, Si vous me l'allez rendre, hélas ! insupportable ? Il est sans Mélicerte un supplice à mes yeux : Sans ses divins appas, rien ne m'est précieux, Ils font tout mon bonheur, et toute mon envie, Et si vous me l'ôtez, vous m'arrachez la vie. Voyez, me voulez-vous ordonner de mourir ? Vous n'avez qu'à parler, je suis prêt d'obéir. Que si dans votre cœur un reste d'amitié, Vous peut de mon destin donner quelque pitié, Accordez Mélicerte à mon ardente envie, Et vous ferez bien plus que me donner la vie. Serez-vous sensible à mes soupirs ? J'obtiendrai de vous l'objet de mes désirs ? Vous ferez pour moi que son Oncle l'oblige À me donner sa main ? Ô Père, le meilleur qui jamais ait été, Que je baise vos mains, après tant de bonté. Me tiendrez-vous au moins la parole avancée. Ne changerez-vous point, dites-moi, de pensée ? Me permettez-vous de vous désobéir, Si de ces sentiments on vous fait revenir : Prononcez le mot. Ah, que ne dois-je point à vos rares bontés ! Quelle heureuse nouvelle à dire à Mélicerte, Je n'accepterais pas une Couronne offerte, Pour le plaisir que j'ai de courir lui porter, Ce merveilleux succès qui la doit contenter. Rendez, Nobles Bergers, le calme à votre flamme, La Belle Mélicerte a captivé mon âme : Auprès de cet objet mon sort est assez doux, Pour ne pas consentir à rien prendre sur vous. Et si vos vœux enfin n'ont que les miens à craindre, Vous n'aurez l'un ni l'autre aucun lieu de vous plaindre. Oui, content de mes fers comme d'une victoire, Je me suis excusé de ce choix plein de gloire : J'ai de mon Père encore changé les volontés, Et l'ai fait consentir à mes félicités. Comment ? Et pourquoi ? Ô Ciel, expliquez-moi ce discours, je vous prie. Ah, Dieux, quelle rigueur ! hé Nicandre, Nicandre. **** *creator_moliere *book_moliere_melicerte *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_melicerte *dist2_moliere_verse_comedy *id_melicerte *date_1682 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_melicerte Ah, Corinne, tu viens de l'apprendre de Stelle, Et c'est de Lycarsis qu'elle tient la nouvelle. Que les qualités, dont Myrtil est orné, Ont su toucher d'amour Éroxène et Daphné. Que pour l'obtenir leur ardeur est si grande, Qu'ensemble elles en ont déjà fait la demande, Et que dans ce débat elles ont fait dessein De passer dès cette heure à recevoir sa main. Ah, que tes mots ont peine à sortir de ta bouche, Et que c'est faiblement que mon souci te touche. Mais comment Lycarsis reçoit-il cette affaire ? Et ne vois-tu pas bien, toi qui sais mon ardeur, Qu'avec ce mot, hélas ! tu me perces le cœur. Me mettre aux yeux que le sort implacable Auprès d'elles me rend trop peu considérable, Et qu'à moi par leur rang on les va préférer, N'est-ce pas une idée à me désespérer ? Ah, tu me fais mourir par ton indifférence. Mais dis, quels sentiments Myrtil a-t-il fait voir ? Et c'est là ce qu'il fallait savoir, Cruelle. C'est que tu n'entres point dans tous les mouvements D'un cœur, hélas rempli de tendres sentiments. Va-t'en, laisse-moi seule en cette solitude Passer quelques moments de mon inquiétude. Vous le voyez, mon cœur, ce que c'est que d'aimer, Et Bélise avait su trop bien m'en informer. Cette charmante mère avant sa destinée, Me disait une fois, sur le bord du Pénée, Ma fille, songe à toi, l'amour aux jeunes cœurs Se présente toujours entouré de douceurs. D'abord il n'offre aux yeux que choses agréables : Mais il traîne après lui des troubles effroyables. Et si tu veux passer tes jours dans quelque paix, Toujours comme d'un mal défends-toi de ses traits. De ces leçons, mon cœur, je m'étais souvenue : Et quand Myrtil venait à s'offrir à ma vue, Qu'il jouait avec moi, qu'il me rendait des soins, Je vous disais toujours de vous y plaire moins. Vous ne me crûtes point, et votre complaisance Se vit bientôt changée en trop de bienveillance. Dans ce naissant amour qui flattait vos désirs, Vous ne vous figuriez que joie et que plaisirs : Cependant vous voyez la cruelle disgrâce, Dont en ce triste jour le destin vous menace, Et la peine mortelle où vous voilà réduit ! Ah, mon cœur ! ah, mon cœur ! je vous l'avais bien dit : Mais tenons, s'il se peut, notre douleur couverte. Voici… Ce n'est rien. Rien ne me servirait de vous le faire entendre. Hé bien, Myrtil, hé bien, il faut donc vous le dire : J'ai su que par un choix plein de gloire pour vous, Éroxène et Daphné vous veulent pour Époux : Et je vous avouerai que j'ai cette faiblesse, De n'avoir pu, Myrtil, le savoir sans tristesse, Sans accuser du sort la rigoureuse loi, Qui les rend dans leurs vœux préférables à moi. Je pourrais moins, Myrtil, redouter ces Rivales, Si les choses étaient de part et d'autre égales. Et dans un rang pareil j'oserais espérer, Que peut-être l'Amour me ferait préférer : Mais l'inégalité de bien et de naissance, Qui peut d'elles à moi faire la différence… Hé bien, je crois, Myrtil, puisque vous le voulez, Que vos vœux par leur rang ne sont point ébranlés, Et que bien qu'elles soient Nobles, riches et belles, Votre cœur m'aime assez pour me mieux aimer qu'elles : Mais ce n'est pas l'Amour dont vous suivez la voix, Votre père, Myrtil, réglera votre choix, Et de même qu'à vous je ne lui suis pas chère, Pour préférer à tout une simple Bergère. Ah, Myrtil, prenez garde à ce qu'ici vous faites, N'allez point présenter un espoir à mon cœur, Qu'il recevrait peut-être avec trop de douceur, Et qui tombant après comme un éclair qui passe, Me rendrait plus cruel le coup de ma disgrâce. Ah, Myrtil, levez-vous, de peur qu'on ne vous voie. Quel sort fâcheux. Non, non, ne croyez pas qu'avec art je l'enflamme, Et que mon dessein soit de séduire son âme : S'il s'attache à me voir, et me veut quelque bien, C'est de son mouvement, je ne l'y force en rien. Ce n'est pas que mon cœur veuille ici se défendre, De répondre à ses vœux d'une ardeur assez tendre. Je l'aime, je l'avoue, autant qu'on puisse aimer : Mais cet amour n'a rien qui vous doive alarmer. Et pour vous arracher toute injuste créance, Je vous promets ici d'éviter sa présence ; De faire place au choix où vous vous résoudrez, Et ne souffrir ses vœux que quand vous le voudrez. **** *creator_moliere *book_moliere_melicerte *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_melicerte *dist2_moliere_verse_comedy *id_corinne *date_1682 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_corinne Oui. Oui. Mais quoi, que voulez-vous, c'est là la vérité, Et vous redites tout, comme je l'ai conté. Comme un honneur, je crois, qui doit beaucoup lui plaire. Comment ? Mais quoi ? je vous réponds et dis ce que je pense. Je ne sais. En vérité, je ne sais comment faire, Et de tous les côtés je trouve à vous déplaire. **** *creator_moliere *book_moliere_melicerte *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_melicerte *dist2_moliere_verse_comedy *id_nicandre *date_1682 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_nicandre Dis-nous donc ta nouvelle. Veux-tu par tes délais nous fatiguer tous deux ? De grâce, parle, et mets ces mines en arrière. Te voilà puni de tes façons de faire. Non. Nous n'avons pas envie aussi de rien savoir. Savez-vous en quel lieu Mélicerte est cachée ? En diligence elle est partout cherchée. Nous allons perdre cette beauté. C'est pour elle qu'ici le Roi s'est transporté, Avec un grand Seigneur on dit qu'il la marie. Ce sont des incidents grands et mystérieux : Oui, le Roi vient chercher Mélicerte en ces lieux ; Et l'on dit qu'autrefois feu Bélise sa mère, Dont tout Tempé croyait que Mopse était le frère… Mais je me suis chargé de la chercher partout, Vous saurez tout cela tantôt de bout en bout. **** *creator_moliere *book_moliere_melicerte *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_melicerte *dist2_moliere_verse_comedy *id_mopse *date_1682 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mopse Que de sottes façons, et que de badinage, Ménalque pour chanter n'en fait pas davantage. Prends-tu quelque plaisir à te rendre fâcheux ? La peste soit du fat, laissons-le là, Nicandre, Il brûle de parler, bien plus que nous d'entendre. Sa nouvelle lui pèse, il veut s'en décharger, Et ne l'écouter pas, est le faire enrager. Point d'affaire. Soit. Et nous ne te voulons aucunement entendre. Va-t'en te faire pendre. **** *creator_moliere *book_moliere_misanthrope *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_misanthrope *dist2_moliere_verse_comedy *id_alceste *date_1666 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_alceste Laissez-moi, je vous prie. Laissez-moi là, vous dis-je, et courez vous cacher. Moi, je veux me fâcher, et ne veux point entendre. Moi, votre ami ? rayez cela de vos papiers. J'ai fait jusques ici, profession de l'être ; Mais après ce qu'en vous, je viens de voir paraître, Je vous déclare net, que je ne le suis plus, Et ne veux nulle place en des Cœurs corrompus. Allez, vous devriez mourir de pure honte, Une telle action ne saurait s'excuser, Et tout Homme d'honneur s'en doit scandaliser. Je vous vois accabler un Homme de caresses, Et témoigner, pour lui, les dernières tendresses ; De protestations, d'offres, et de serments, Vous chargez la fureur de vos embrassements : Et quand je vous demande après, quel est cet Homme, À peine pouvez-vous dire comme il se nomme, Votre chaleur, pour lui, tombe en vous séparant, Et vous me le traitez, à moi, d'indifférent. Morbleu, c'est une chose indigne, lâche, infâme, De s'abaisser ainsi jusqu'à trahir son Âme : Et si, par un malheur, j'en avais fait autant, Je m'irais, de regret, pendre tout à l'instant. Que la plaisanterie est de mauvaise grâce ! Je veux qu'on soit sincère, et qu'en Homme d'honneur, On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur. Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode Qu'affectent la plupart de vos Gens à la mode ; Et je ne hais rien tant, que les contorsions De tous ces grands Faiseurs de protestations, Ces affables Donneurs d'embrassades frivoles, Ces obligeants Diseurs d'inutiles paroles, Qui de civilités, avec tous, font combat, Et traitent du même air, l'honnête Homme, et le Fat. Quel avantage a-t-on qu'un Homme vous caresse, Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse, Et vous fasse de vous, un éloge éclatant, Lorsque au premier Faquin, il court en faire autant ? Non, non, il n'est point d'Âme un peu bien située, Qui veuille d'une estime, ainsi, prostituée ; Et la plus glorieuse a des régals peu chers, Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'Univers : Sur quelque préférence, une estime se fonde, Et c'est n'estimer rien, qu'estimer tout le Monde. Puisque vous y donnez, dans ces Vices du Temps, Morbleu, vous n'êtes pas pour être de mes Gens ; Je refuse d'un Cœur la vaste complaisance, Qui ne fait de Mérite aucune différence ; Je veux qu'on me distingue, et pour le trancher net, L'Ami du Genre Humain n'est point du tout mon fait. Non, vous dis-je, on devrait châtier, sans pitié, Ce Commerce honteux de Semblants d'Amitié : Je veux que l'on soit Homme, et qu'en toute rencontre, Le fond de notre cœur, dans nos discours, se montre ; Que ce soit lui qui parle, et que nos Sentiments Ne se masquent jamais, sous de vains Compliments. Oui. Sans doute. Fort bien. Je ne me moque point, Et je vais n'épargner personne sur ce point. Mes yeux sont trop blessés ; et la Cour, et la Ville, Ne m'offrent rien qu'objets à m'échauffer la Bile : J'entre en une humeur noire, en un chagrin profond, Quand je vois vivre entre eux, les Hommes comme ils font ; Je ne trouve, partout, que lâche Flatterie, Qu'Injustice, Intérêt, Trahison, Fourberie ; Je n'y puis plus tenir, j'enrage, et mon dessein Est de rompre en visière à tout le Genre Humain. Mon Dieu, laissons là vos comparaisons fades. Tant mieux, morbleu, tant mieux, c'est ce que je demande, Ce m'est un fort bon signe, et ma joie en est grande : Tous les Hommes me sont, à tel point, odieux, Que je serais fâché d'être sage à leurs yeux. Oui, j'ai conçu pour elle une effroyable haine. Non, elle est générale, et je hais tous les Hommes : Les uns, parce qu'ils sont méchants et malfaisants ; Et les autres, pour être aux Méchants complaisants, Et n'avoir pas, pour eux, ces haines vigoureuses Que doit donner le Vice aux Âmes vertueuses. De cette Complaisance, on voit l'injuste excès, Pour le franc Scélérat avec qui j'ai procès ; Au travers de son masque, on voit à plein le Traître, Partout, il est connu pour tout ce qu'il peut être ; Et ses roulements d'yeux, et son ton radouci, N'imposent qu'à des Gens qui ne sont point d'ici. On sait que ce Pied-plat, digne qu'on le confonde, Par de sales Emplois s'est poussé dans le Monde : Et que, par eux, son Sort, de splendeur revêtu, Fait gronder le Mérite, et rougir la Vertu. Quelques Titres honteux qu'en tous lieux on lui donne, Son misérable Honneur ne voit pour lui, Personne : Nommez-le Fourbe, Infâme, et Scélérat maudit, Tout le monde en convient, et nul n'y contredit. Cependant, sa grimace est, par tout, bienvenue, On l'accueille, on lui rit ; partout, il s'insinue ; Et s'il est, par la Brigue, un Rang à disputer, Sur le plus honnête Homme, on le voit l'emporter. Têtebleu, ce me sont de mortelles blessures, De voir qu'avec le Vice on garde des mesures ; Et, parfois, il me prend des mouvements soudains, De fuir, dans un Désert, l'approche des Humains. Mais ce Flegme, Monsieur, qui raisonne si bien, Ce flegme, pourra-t-il ne s'échauffer de rien ? Et s'il faut, par hasard, qu'un Ami vous trahisse, Que pour avoir vos Biens, on dresse un artifice, Ou qu'on tâche à semer de méchants bruits de vous, Verrez-vous tout cela, sans vous mettre en courroux ? Je me verrai trahir, mettre en pièces, voler, Sans que je sois… Morbleu, je ne veux point parler, Tant ce raisonnement est plein d'impertinence. Je n'en donnerai point, c'est une chose dite. Qui je veux ? la Raison, mon bon Droit, l'Équité. Non, est-ce que ma Cause est injuste, ou douteuse ? Non, j'ai résolu de n'en pas faire un pas ; J'ai tort, ou j'ai raison. Je ne remuerai point. Il n'importe. Soit, j'en veux voir le succès. J'aurai le plaisir de perdre mon Procès. Je verrai, dans cette Plaiderie, Si les Hommes auront assez d'effronterie, Seront assez méchants, scélérats et pervers, Pour me faire injustice aux yeux de l'Univers. Je voudrais, m'en coûtât-il grand-chose, Pour la beauté du Fait, avoir perdu ma Cause. Tant pis pour qui rirait. Non, l'amour que je sens pour cette jeune Veuve Ne ferme point mes yeux aux défauts qu'on lui treuve ; Et je suis, quelque ardeur qu'elle m'ait pu donner, Le premier à les voir, comme à les condamner. Mais, avec tout cela, quoi que je puisse faire, Je confesse mon faible, elle a l'art de me plaire ; J'ai beau voir ses défauts et j'ai beau l'en blâmer, En dépit qu'on en ait, elle se fait aimer ; Sa grâce est la plus forte, et, sans doute, ma flamme De ces Vices du Temps pourra purger son âme. Oui, parbleu ; Je ne l'aimerais pas, si je ne croyais l'être. C'est qu'un coeur bien atteint veut qu'on soit tout à lui ; Et je ne viens ici, qu'à dessein de lui dire Tout ce que là-dessus, ma passion m'inspire. Il est vrai, ma Raison me le dit chaque jour ; Mais la Raison n'est pas ce qui règle l'Amour. À moi, Monsieur ? Non pas, mais la surprise est fort grande pour moi. Et je n'attendais pas l'honneur que je reçois. Monsieur... Monsieur… Monsieur… Monsieur… Monsieur, c'est trop d'honneur que vous me voulez faire ; Mais l'Amitié demande un peu plus de mystère, Et c'est, assurément, en profaner le nom, Que de vouloir le mettre à toute occasion. Avec lumière et choix cette union veut naître, Avant que nous lier, il faut nous mieux connaître ; Et nous pourrions avoir telles complexions, Que tous deux, du Marché, nous nous repentirions. Monsieur, je suis mal propre à décider la chose, Veuillez m'en dispenser. J'ai le défaut D'être un peu plus sincère, en cela, qu'il ne faut. Puisqu'il vous plaît ainsi, Monsieur, je le veux bien. Nous verrons bien. Nous allons voir, Monsieur. Voyons, Monsieur, le Temps ne fait rien à l'affaire. Quoi ! vous avez le front de trouver cela beau ? Morbleu, vil Complaisant, vous louez des Sottises ? La peste de ta chute ! Empoisonneur au Diable, En eusses-tu fait une à te casser le nez. Morbleu… Et que fais-tu, donc, Traître ? Monsieur, cette matière est toujours délicate, Et, sur le bel Esprit, nous aimons qu'on nous flatte : Mais un jour, à quelqu'un, dont je tairai le nom, Je disais, en voyant des Vers de sa façon, Qu'il faut qu'un galant Homme ait toujours grand empire Sur les démangeaisons qui nous prennent d'écrire ; Qu'il doit tenir la bride aux grands empressements Qu'on a de faire éclat de tels amusements ; Et que, par la chaleur de montrer ses Ouvrages, On s'expose à jouer de mauvais Personnages. Je ne dis pas cela : Mais je lui disais, moi, qu'un froid Écrit assomme, Qu'il ne faut que ce Faible, à décrier un Homme ; Et qu'eût-on, d'autre part, cent belles Qualités, On regarde les Gens, par leurs méchants côtés. Je ne dis pas cela ; mais, pour ne point écrire, Je lui mettais aux yeux, comme dans notre Temps, Cette Soif a gâté de fort Honnêtes Gens. Je ne dis pas cela ; mais enfin, lui disais-je, Quel besoin, si pressant, avez-vous de Rimer ? Et qui, diantre, vous pousse à vous faire Imprimer ? Si l'on peut pardonner l'essor d'un mauvais Livre, Ce n'est qu'aux Malheureux, qui composent pour vivre. Croyez-moi, résistez à vos tentations, Dérobez au Public, ces Occupations ; Et n'allez point quitter, de quoi que l'on vous somme, Le nom que, dans la Cour, vous avez d'honnête Homme, Pour prendre, de la main d'un avide Imprimeur, Celui de ridicule, et misérable Auteur. C'est ce que je tâchai de lui faire comprendre. Franchement, il est bon à mettre au Cabinet ; Vous vous êtes réglé sur de méchants Modèles, Et vos Expressions ne sont point naturelles. Qu'est-ce que nous berce un temps, notre ennui, Et que rien ne marche après lui ? Que ne vous pas mettre en dépense, Pour ne me donner que l'Espoir ? Et que Philis, on désespère, Alors qu'on espère toujours ? Ce style figuré, dont on fait vanité, Sort du bon Caractère, et de la Vérité ; Ce n'est que jeu de Mots, qu'affectation pure, Et ce n'est point ainsi, que parle la Nature. Le méchant Goût du Siècle, en cela, me fait peur. Nos Pères, tous grossiers, l'avaient beaucoup meilleur ; Et je prise bien moins, tout ce que l'on admire, Qu'une vieille Chanson, que je m'en vais vous dire. Si le Roi m'avait donné Paris, sa grand'Ville, Et qu'il me fallût quitter L'amour de ma Mie ; Je dirais au Roi Henri, Reprenez votre Paris, J'aime mieux ma Mie, au gué, J'aime mieux ma Mie. La Rime n'est pas riche, et le Style en est vieux : Mais ne voyez-vous pas que cela vaut bien mieux Que ces Colifichets, dont le bon Sens murmure, Et que la Passion parle là toute pure ? Si le Roi m'avait donné Paris, sa grand'Ville, Et qu'il me fallût quitter L'amour de ma Mie ; Je dirais au Roi Henri, Reprenez votre Paris, J'aime mieux ma Mie, au gué, J'aime mieux ma Mie. Voilà ce que peut dire un Coeur vraiment épris. Oui, Monsieur le Rieur, malgré vos beaux Esprits, J'estime plus cela, que la Pompe fleurie De tous ces faux Brillants, où chacun se récrie. Pour les trouver ainsi, vous avez vos Raisons ; Mais vous trouverez bon, que j'en puisse avoir d'autres Qui se dispenseront de se soumettre aux vôtres. C'est qu'ils ont l'Art de feindre, et moi, je ne l'ai pas. Si je louais vos Vers, j'en aurais davantage. Il faut bien, s'il vous plaît, que vous vous en passiez. J'en pourrais, par malheur, faire d'aussi méchants ; Mais je me garderais de les montrer aux Gens. Autre part que chez moi, cherchez qui vous encense. Ma foi, mon grand Monsieur, je le prends comme il faut. Et moi, je suis, Monsieur, votre humble Serviteur. Ne me parlez pas. Plus de société. Laissez-moi là. Point de langage. Je n'entends rien. Encore. Ah ! parbleu, c'en est trop, ne suivez point mes pas. Madame, voulez-vous que je vous parle net ? De vos façons d'agir, je suis mal satisfait : Contre elles, dans mon Coeur, trop de Bile s'assemble, Et je sens qu'il faudra que nous rompions ensemble. Oui, je vous tromperais, de parler autrement, Tôt, ou tard, nous romprons, indubitablement ; Et je vous promettrais, mille fois, le contraire, Que je ne serais pas en pouvoir de le faire. Je ne querelle point ; mais votre humeur, Madame, Ouvre, au premier venu, trop d'accès dans votre Âme ; Vous avez trop d'Amants, qu'on voit vous obséder, Et mon cœur, de cela, ne peut s'accommoder. Non, ce n'est pas, Madame, un bâton qu'il faut prendre, Mais un Coeur, à leurs vœux, moins facile, et moins tendre. Je sais que vos Appas vous suivent en tous Lieux, Mais votre accueil retient ceux qu'attirent vos yeux ; Et sa douceur offerte à qui vous rend les Armes, Achève, sur les Coeurs, l'Ouvrage de vos Charmes. Le trop riant Espoir que vous leur présentez, Attache, autour de vous, leurs assiduités ; Et votre Complaisance, un peu moins étendue, De tant de Soupirants chasserait la Cohue. Mais, au moins, dites-moi, Madame, par quel Sort, Votre Clitandre a l'heur de vous plaire si fort ? Sur quel fonds de Mérite, et de Vertu sublime, Appuyez-vous, en lui, l'honneur de votre Estime ? Est-ce par l'Ongle long, qu'il porte au petit Doigt, Qu'il s'est acquis, chez vous, l'Estime où l'on le voit ? Vous êtes-vous rendue, avec tout le beau Monde, Au mérite éclatant de sa Perruque blonde ? Sont-ce ses grands Canons, qui vous le font aimer ? L'amas de ses Rubans a-t-il su vous charmer ? Est-ce par les appas de sa vaste Rhingrave, Qu'il a gagné votre Âme, en faisant votre Esclave ? Ou sa façon de rire, et son ton de Fausset, Ont-ils, de vous toucher, su trouver le secret ? Perdez votre Procès, Madame, avec constance, Et ne ménagez point un Rival qui m'offense. C'est que tout l'Univers est bien reçu de vous. Mais, moi, que vous blâmez de trop de jalousie, Qu'ai-je de plus qu'eux tous, Madame, je vous prie ? Et quel lieu de le croire, à mon Coeur enflammé ? Mais qui m'assurera que dans le même instant, Vous n'en disiez, peut-être, aux autres tout autant ? Morbleu, faut-il que je vous aime ? Ah ! que si, de vos Mains, je rattrape mon Coeur, Je bénirai le Ciel, de ce rare Bonheur ! Je ne le cèle pas, je fais tout mon possible À rompre, de ce Coeur, l'attachement terrible ; Mais mes plus grands efforts n'ont rien fait, jusqu'ici, Et c'est, pour mes Péchés, que je vous aime ainsi. Oui, je puis, là-dessus, défier tout le Monde. Mon amour ne se peut concevoir, et jamais, Personne n'a, Madame, aimé comme je fais. Mais il ne tient qu'à vous, que son chagrin ne passe ; À tous nos Démêlés, coupons chemin, de grâce, Parlons à Coeur ouvert, et voyons d'arrêter… Quoi ! l'on ne peut jamais, vous parler, tête à tête ? À recevoir le Monde, on vous voit toujours prête ? Et vous ne pouvez pas, un seul moment de tous, Vous résoudre à souffrir de n'être pas chez vous ? Vous avez des Regards qui ne sauraient me plaire. Et que vous fait cela, pour vous gêner de sorte… Enfin, quoi qu'il en soit, et sur quoi qu'on se fonde, Vous trouvez des Raisons pour souffrir tout le Monde ; Et les précautions de votre jugement… Justement. Je sors. Pour quoi faire ? Je ne puis. Point d'affaire ; Ces Conversations ne font que m'ennuyer, Et c'est trop, que vouloir me les faire essuyer. Non, il m'est impossible. Non ; mais je veux, Madame, Ou, pour eux, ou pour moi, faire expliquer votre Âme. Aujourd'hui, vous vous expliquerez. Point. Vous vous déclarerez. Vous prendrez Parti. Non ; mais vous choisirez, c'est trop de patience. Allons, ferme, poussez, mes bons Amis de Cour, Vous n'en épargnez point, et chacun a son tour. Cependant, aucun d'eux, à vos yeux, ne se montre, Qu'on ne vous voie en hâte, aller à sa rencontre, Lui présenter la main, et d'un baiser flatteur, Appuyer les Serments d'être son Serviteur. Non, morbleu, c'est à vous ; et vos Ris complaisants Tirent de son Esprit, tous ces traits médisants ; Son Humeur Satirique est sans cesse nourrie Par le coupable Encens de votre Flatterie ; Et son Coeur, à railler, trouverait moins d'appas, S'il avait observé qu'on ne l'applaudît pas. C'est ainsi qu'aux Flatteurs, on doit, partout, se prendre Des Vices où l'on voit les Humains se répandre. Les Rieurs sont pour vous, Madame, c'est tout dire ; Et vous pouvez pousser, contre moi, la Satire. C'est que jamais, morbleu, les Hommes n'ont raison, Que le Chagrin, contre eux, est toujours de Saison, Et que je vois qu'ils sont, sur toutes les Affaires, Loueurs impertinents, ou Censeurs téméraires. Non, Madame, non, quand j'en devrais mourir, Vous avez des Plaisirs que je ne puis souffrir ; Et l'on a tort, ici, de nourrir dans votre Âme, Ce grand attachement aux Défauts qu'on y blâme. Ils frappent tous la mienne, et loin de m'en cacher, Elle sait que j'ai soin de les lui reprocher. Plus on aime quelqu'un, moins il faut qu'on le flatte ; À ne rien pardonner, le pur Amour éclate ; Et je bannirais, moi, tous ces lâches Amants, Que je verrais soumis à tous mes Sentiments, Et dont, à tous propos, les molles Complaisances Donneraient de l'Encens à mes Extravagances. Et moi, je soutiens, moi… La peur de leur départ, occupe fort votre Âme ; Sortez quand vous voudrez, Messieurs ; mais j'avertis, Que je ne sors qu'après que vous serez sortis. Non, en aucune sorte, Nous verrons, si c'est moi, que vous voudrez qui sorte. Dis-lui, que je n'ai point d'Affaires si pressées. Qu'est-ce, donc, qu'il vous plaît ? Venez, Monsieur. Vous pouvez parler haut, Monsieur, pour m'en instruire. Qui ? moi, Monsieur ? Et pour quoi faire ? Moi, je n'aurai, jamais, de lâche Complaisance. Quel accommodement veut-on faire entre nous ? La voix de ces Messieurs, me condamnera-t-elle À trouver bons les Vers qui font notre Querelle ? Je ne me dédis point de ce que j'en ai dit, Je les trouve méchants. Je n'en démordrai point, les Vers sont exécrables. J'irai, mais rien n'aura pouvoir De me faire dédire. Hors qu'un Commandement exprès du Roi me vienne, De trouver bons les Vers, dont on se met en peine, Je soutiendrai, toujours, morbleu, qu'ils sont mauvais, Et qu'un Homme est pendable, après les avoir faits. Par la sangbleu, Messieurs, je ne croyais pas être Si plaisant que je suis. J'y vais, Madame, et, sur mes pas Je reviens en ce Lieu, pour vider nos Débats. Moi, Madame ! Et sur quoi pourrais-je en rien prétendre ? Quel Service, à l'État, est-ce qu'on m'a vu rendre ? Qu'ai-je fait, s'il vous plaît, de si brillant de soi, Pour me plaindre à la Cour, qu'on ne fait rien pour moi ? Mon Dieu ! laissons mon Mérite, de grâce ; De quoi voulez-vous, là, que la Cour s'embarrasse ? Elle aurait fort à faire, et ses soins seraient grands, D'avoir à déterrer le Mérite des Gens. Eh ! Madame, l'on loue, aujourd'hui, tout le Monde, Et le Siècle, par là, n'a rien qu'on ne confonde ; Tout est d'un grand Mérite également doué, Ce n'est plus un Honneur, que de se voir loué ; D'Éloges, on regorge ; à la tête, on les jette, Et mon Valet de Chambre est mis dans la Gazette. Et que voudriez-vous, Madame, que j'y fisse ? L'humeur dont je me sens, veut que je m'en bannisse ; Le Ciel ne m'a point fait, en me donnant le Jour, Une Âme compatible avec l'Air de la Cour. Je ne me trouve point les Vertus nécessaires Pour y bien réussir, et faire mes affaires. Être franc, et sincère, est mon plus grand Talent, Je ne sais point jouer les Hommes en parlant ; Et qui n'a pas le don de cacher ce qu'il pense, Doit faire, en ce Pays, fort peu de résidence. Hors de la Cour, sans doute, on n'a pas cet appui, Et ces Titres d'Honneur, qu'elle donne aujourd'hui ; Mais on n'a pas, aussi, perdant ces Avantages, Le chagrin de jouer de fort sots Personnages. On n'a point à souffrir mille rebuts cruels, On n'a point à louer les Vers de Messieurs Tels, À donner de l'Encens à Madame une Telle, Et de nos francs Marquis, essuyer la cervelle. Mais, disant cela, songez-vous, je vous prie, Que cette Personne est, Madame, votre Amie ? C'est me montrer, Madame, un tendre mouvement ; Et de pareils avis obligent un Amant. Cela se peut, Madame, on ne voit pas les Coeurs ; Mais votre charité se serait bien passée De jeter, dans le mien, une telle pensée. Non ; mais sur ce sujet quoi que l'on nous expose, Les doutes sont fâcheux, plus que toute autre chose ; Et je voudrais, pour moi, qu'on ne me fît savoir Que ce, qu'avec clarté, l'on peut me faire voir. Ah ! faites-moi raison, Madame, d'une Offense Qui vient de triompher de toute ma constance. J'ai que, sans mourir, je ne puis concevoir ; Et le Déchaînement de toute la Nature, Ne m'accablerait pas, comme cette Aventure. C'en est fait… mon amour… Je ne saurais parler. Ô juste Ciel ! faut-il qu'on joigne à tant de Grâces, Les Vices odieux des Âmes les plus basses ? Ah ! tout est ruiné, Je suis, je suis trahi, je suis assassiné : Célimène… Eût-on pu croire cette nouvelle ? Célimène me trompe, et n'est qu'une Infidèle. Ah ! morbleu, mêlez-vous, Monsieur, de vos Affaires. C'est de sa Trahison n'être que trop certain, Que l'avoir, dans ma poche, écrite de sa main. Oui, Madame, une Lettre écrite pour Oronte, A produit, à mes yeux, ma disgrâce, et sa honte ; Oronte, dont j'ai cru qu'elle fuyait les soins, Et que, de mes Rivaux, je redoutais le moins. Monsieur, encore un coup, laissez-moi, s'il vous plaît, Et ne prenez souci que de votre intérêt. Madame, c'est à vous qu'appartient cet Ouvrage, C'est à vous, que mon Coeur a recours, aujourd'hui, Pour pouvoir s'affranchir de son cuisant ennui. Vengez-moi d'une ingrate, et perfide Parente, Qui trahit, lâchement, une ardeur si constante ; Vengez-moi de ce trait qui doit vous faire horreur. En recevant mon Coeur. Acceptez-le, Madame, au lieu de l'Infidèle, C'est par là, que je puis prendre vengeance d'elle : Et je la veux punir par les sincères Voeux, Par le profond Amour, les Soins respectueux, Les Devoirs empressés et l'assidu Service Dont ce Coeur va vous faire un ardent Sacrifice. Non, non, Madame, non, l'Offense est trop mortelle, Il n'est point de retour, et je romps avec elle ; Rien ne saurait changer le Dessein que j'en fais, Et je me punirais, de l'estimer jamais. La voici. Mon Courroux redouble à cette approche, Je vais, de sa noirceur, lui faire un vif reproche, Pleinement, la confondre, et vous porter, après, Un Coeur tout dégagé de ses trompeurs Attraits. Ô Ciel ! de mes Transports, puis-je être, ici, le Maître ? Que toutes les Horreurs, dont une Âme est capable, À vos Déloyautés, n'ont rien de comparable : Que le Sort, les Démons, et le Ciel, en courroux, N'ont, jamais, rien produit de si méchant que vous. Ah ! ne plaisantez point, il n'est pas temps de rire, Rougissez, bien plutôt, vous en avez raison : Et j'ai de sûrs Témoins de votre Trahison. Voilà ce que marquaient les Troubles de mon Âme, Ce n'était pas en vain, que s'alarmait ma flamme : Par ces fréquents Soupçons, qu'on trouvait odieux, Je cherchais le malheur qu'ont rencontré mes yeux : Et malgré tous vos soins, et votre adresse à feindre, Mon Astre me disait, ce que j'avais à craindre : Mais ne présumez pas que, sans être vengé, Je souffre le Dépit de me voir outragé. Je sais que, sur les Vœux, on n'a point de puissance, Que l'Amour veut, partout, naître sans Dépendance ; Que jamais, par la force, on n'entra dans un Coeur, Et que toute Âme est libre à nommer son Vainqueur. Aussi ne trouverais-je aucun sujet de Plainte, Si, pour moi, votre Bouche avait parlé sans feinte ; Et, rejetant mes voeux dès le premier abord, Mon Coeur n'aurait eu droit de s'en prendre qu'au Sort. Mais, d'un Aveu trompeur, voir ma Flamme applaudie, C'est une Trahison, c'est une Perfidie, Qui ne saurait trouver de trop grands Châtiments : Et je puis tout permettre à mes Ressentiments. Oui, oui, redoutez tout, après un tel Outrage, Je ne suis plus à moi, je suis tout à la Rage : Percé du Coup mortel dont vous m'assassinez, Mes Sens, par la Raison, ne sont plus gouvernés ; Je cède aux Mouvements d'une juste Colère, Et je ne réponds pas de ce que je puis faire. Oui, oui, je l'ai perdu, lorsque dans votre vue J'ai pris, pour mon Malheur, le Poison qui me tue, Et que j'ai cru trouver quelque Sincérité Dans les traîtres Appas dont je fus enchanté. Ah ! que ce Coeur est double, et sait bien l'Art de feindre ! Mais, pour le mettre à bout, j'ai des Moyens tous prêts : Jetez ici les yeux, et connaissez vos Traits ; Ce Billet découvert, suffit pour vous confondre, Et, contre ce Témoin, on n a rien à répondre. Vous ne rougissez pas, en voyant cet Écrit ? Quoi ! vous joignez, ici, l'Audace, à l'Artifice ? Le désavouerez-vous, pour n'avoir point de seing ? Et vous pouvez le voir, sans demeurer confuse Du Crime dont, vers moi, son Style vous accuse ? Quoi ? vous bravez, ainsi, ce Témoin convaincant ? Et ce qu'il m'a fait voir de douceur pour Oronte, N'a, donc, rien qui m'outrage, et qui vous fasse honte ? Les Gens qui, dans mes mains, l'ont remise, aujourd'hui. Mais je veux consentir qu'elle soit pour un autre, Mon Coeur en a-t-il moins à se plaindre du vôtre ? En serez-vous, vers moi, moins coupable en effet ? Ah ! le Détour est bon, et l'Excuse admirable, Je ne m'attendais pas, je l'avoue, à ce Trait : Et me voilà, par là, convaincu tout à fait. Osez-vous recourir à ces Ruses grossières, Et croyez-vous les Gens si privés de Lumières ? Voyons, voyons, un peu, par quel biais, de quel air, Vous voulez soutenir un Mensonge si clair : Et comment vous pourrez tourner, pour une Femme, Tous les Mots d'un Billet qui montre tant de flamme ? Ajustez, pour couvrir un manquement de Foi, Ce que je m'en vais lire… Non, non, sans s'emporter, prenez, un peu, souci De me justifier les Termes que voici. De grâce, montrez-moi, je serai satisfait, Qu'on peut, pour une Femme, expliquer ce Billet. Ciel ! rien de plus cruel peut-il être inventé : Et, jamais, Coeur fut-il de la sorte traité ? Quoi ! d'un juste Courroux je suis ému contre elle, C'est moi qui me viens plaindre, et c'est moi qu'on querelle ! On pousse ma Douleur, et mes Soupçons à bout, On me laisse tout croire, on fait gloire de tout ; Et, cependant, mon Coeur est, encore, assez lâche, Pour ne pouvoir briser la Chaîne qui l'attache, Et pour ne pas s'armer d'un généreux Mépris Contre l'ingrat Objet dont il est trop épris ! Ah ! que vous savez bien, ici, contre moi-même, Perfide, vous servir de ma faiblesse extrême, Et ménager, pour vous, l'excès prodigieux De ce fatal Amour, né de vos traîtres yeux ! Défendez-vous, au moins, d'un Crime qui m'accable, Et cessez d'affecter d'être, envers moi, coupable ; Rendez-moi, s'il se peut, ce Billet innocent, À vous prêter les mains ma Tendresse consent ; Efforcez-vous, ici, de paraître fidèle, Et je m'efforcerai, moi, de vous croire telle. Ah ! Traîtresse, mon Faible est étrange pour vous ! Vous me trompez, sans doute, avec des Mots si doux : Mais, il n'importe, il faut suivre ma Destinée, À votre Foi, mon Âme est toute abandonnée, Je veux voir, jusqu'au bout, quel sera votre Coeur : Et si, de me trahir, il aura la Noirceur. Ah ! rien n'est comparable à mon amour extrême ; Et, dans l'ardeur qu'il a de se montrer à tous, Il va jusqu'à former des Souhaits contre vous. Oui, je voudrais qu'aucun ne vous trouvât aimable, Que vous fussiez réduite en un Sort misérable, Que le Ciel, en naissant, ne vous eût donné rien, Que vous n'eussiez ni Rang, ni Naissance, ni Bien, Afin que, de mon Coeur, l'éclatant Sacrifice, Vous pût d'un pareil Sort, réparer l'Injustice : Et que j'eusse la joie, et la gloire, en ce jour, De vous voir tenir tout, des mains de mon Amour. Que veut cet équipage, et cet air effaré ? Qu'as-tu ? Hé bien. Qu'est-ce ? Quoi ? Oui, parle, et promptement. Ah ! que d'amusement ! Veux-tu parler ? Comment ? Et pourquoi ? La cause ? Mais, par quelle Raison, me tiens-tu ce langage ? Ah ! je te casserai la tête, assurément, Si tu ne veux, Maraut, t'expliquer autrement. Hé bien ? quoi ? ce Papier, qu'a-t-il à démêler, Traître, avec le Départ dont tu viens me parler ? Laisse là, son Nom, Traître, et dis ce qu'il t'a dit. Mais quoi ? n'a-t-il voulu te rien spécifier ? Donne-le donc. Je ne sais ; mais j'aspire à m'en voir éclairci. Auras-tu bientôt fait, Impertinent au Diable ? Je ne sais qui me tient… Il semble que le Sort, quelque soin que je prenne, Ait juré d'empêcher que je vous entretienne : Mais, pour en triompher, souffrez à mon Amour, De vous revoir, Madame, avant la fin du Jour. La résolution est prise, vous dis-je. Non, vous avez beau faire, et beau me raisonner, Rien de ce que je dis, ne me peut détourner : Trop de Perversité règne au Siècle où nous sommes, Et je veux me tirer du Commerce des Hommes. Quoi ! contre ma Partie, on voit, tout à la fois, L'Honneur, la Probité, la Pudeur, et les Lois : On publie, en tous Lieux, l'équité de ma Cause : Sur la Foi de mon Droit, mon Âme se repose : Cependant, je me vois trompé par le Succès, J'ai pour moi la Justice, et je perds mon Procès ! Un Traître, dont on sait la scandaleuse Histoire, Est sorti triomphant d'une Fausseté noire ! Toute la Bonne Foi cède à sa Trahison ! Il trouve, en m'égorgeant, moyen d'avoir raison ! Le poids de sa Grimace, où brille l'Artifice, Renverse le bon Droit, et tourne la Justice ! Il fait, par un Arrêt, couronner son Forfait : Et non content, encor, du Tort que l'on me fait, Il court, parmi le Monde, un Livre abominable, Et de qui la lecture est, même, condamnable ! Un Livre à mériter la dernière Rigueur, Dont le Fourbe a le front de me faire l'Auteur ! Et, là-dessus, on voit Oronte qui murmure, Et tâche, méchamment, d'appuyer l'Imposture ! Lui, qui d'un honnête Homme, à la Cour tient le Rang ! À qui je n'ai rien fait, qu'être sincère, et franc ! Qui me vient, malgré moi, d'une ardeur empressée, Sur des Vers qu'il a faits, demander ma pensée ! Et parce que j'en use avec honnêteté, Et ne le veux trahir, lui, ni la Vérité, Il aide à m'accabler d'un Crime imaginaire : Le voilà devenu mon plus grand Adversaire ! Et jamais, de son Cœur, je n'aurai de pardon, Pour n'avoir pas trouvé que son Sonnet fût bon ! Et les Hommes, morbleu, sont faits de cette sorte ! C'est à ces Actions que la Gloire les porte ! Voilà la Bonne Foi, le Zèle vertueux, La Justice, et l'Honneur, que l'on trouve chez eux ! Allons, c'est trop souffrir les Chagrins qu'on nous forge, Tirons-nous de ce Bois, et de ce Coupe-gorge ; Puisque entre Humains, ainsi, vous vivez en vrais Loups, Traîtres, vous ne m'aurez de ma vie, avec vous. Lui ! de semblables Tours, il ne craint point l'éclat, Il a permission d'être franc Scélérat ; Et loin qu'à son Crédit nuise cette Aventure, On l'en verra, demain, en meilleure posture. Non, je veux m'y tenir. Quelque sensible Tort qu'un tel Arrêt me fasse, Je me garderai bien de vouloir qu'on le casse : On y voit trop à plein le bon Droit maltraité, Et je veux qu'il demeure à la Postérité, Comme une Marque insigne, un fameux Témoignage, De la méchanceté des Hommes de notre Âge. Ce sont vingt mille Francs qu'il m'en pourra coûter, Mais, pour vingt mille Francs, j'aurai droit de pester Contre l'Iniquité de la Nature Humaine, Et de nourrir, pour elle, une immortelle Haine. Mais, enfin, vos Soins sont superflus : Que pouvez-vous, Monsieur, me dire là-dessus ? Aurez-vous bien le front de me vouloir, en face, Excuser les horreurs de tout ce qui se passe ? Je sais que vous parlez, Monsieur, le mieux du Monde, En beaux Raisonnements, vous abondez toujours, Mais vous perdez le Temps, et tous vos beaux Discours. La Raison, pour mon Bien, veut que je me retire, Je n'ai point, sur ma langue, un assez grand empire ; De ce que je dirais, je ne répondrais pas, Et je me jetterais cent Choses sur les Bras. Laissez-moi, sans dispute, attendre Célimène. Il faut qu'elle consente au Dessein qui m'amène ; Je vais voir si son Cœur a de l'amour pour moi, Et c'est ce moment-ci, qui doit m'en faire foi. Non, de trop de souci, je me sens l'Âme émue, Allez-vous-en la voir, et me laissez enfin, Dans ce petit Coin sombre, avec mon noir Chagrin. Oui, Monsieur a raison ; Madame, il faut choisir, Et sa demande, ici, s'accorde à mon désir ; Pareille ardeur me presse, et même soin m'amène, Mon Amour veut du vôtre, une marque certaine. Les Choses ne sont plus pour traîner en longueur, Et voici le moment d'expliquer votre Coeur. Je ne veux point, Monsieur, jaloux, ou non jaloux, Partager de son Cœur, rien du tout avec vous. Si du moindre Penchant elle est pour vous capable… Je jure, hautement, de ne la voir jamais. Madame, vous pouvez vous expliquer sans crainte. Vous n'avez qu'à trancher, et choisir de nous deux. Quoi ! votre Âme balance, et paraît incertaine ! Et moi, je le demande ; C'est son éclat, surtout, qu'ici j'ose exiger, Et je ne prétends point vous voir rien ménager. Conserver tout le Monde, est votre grande étude, Mais plus d'amusement, et plus d'incertitude ; Il faut vous expliquer, nettement, là-dessus, Ou bien, pour un Arrêt, je prends votre refus : Je saurai, de ma part, expliquer ce silence, Et me tiendrai pour dit, tout le mal que j'en pense. Tous vos Détours, ici, seront mal secondés. Il ne faut que poursuivre à garder le Silence. Et moi, je vous entends, si vous ne parlez pas. Laissez-moi, Madame, je vous prie, Vider mes intérêts, moi-même, là-dessus, Et ne vous chargez point de ces Soins superflus. Mon Coeur a beau vous voir prendre, ici, sa querelle, Il n'est point en état de payer ce grand zèle ; Et ce n'est pas à vous, que je pourrai songer, Si, par un autre Choix, je cherche à me venger. Hé bien, je me suis tu, malgré ce que je vois, Et j'ai laissé parler tout le Monde, avant moi. Ai-je pris sur moi-même, un assez long Empire, Et puis-je maintenant... Hé le puis-je, Traîtresse, Puis-je, ainsi, triompher de toute ma tendresse ? Et quoique avec ardeur, je veuille vous haïr, Trouvé-je un Cœur, en moi, tout prêt à m'obéir ? Vous voyez ce que peut une indigne Tendresse, Et je vous fais tous deux témoins de ma faiblesse. Mais, à vous dire vrai, ce n'est pas encor, tout, Et vous allez me voir la pousser jusqu'au bout, Montrer que c'est à tort, que Sages on nous nomme, Et que, dans tous les Cœurs, il est toujours de l'Homme. Oui, je veux bien, Perfide, oublier vos Forfaits, J'en saurai, dans mon Âme, excuser tous les traits, Et me les couvrirai du nom d'une Faiblesse, Où le Vice du Temps, porte votre Jeunesse ; Pourvu que votre Coeur veuille donner les mains Au Dessein que j'ai fait de fuir tous les Humains, Et que, dans mon Désert, où j'ai fait voeu de vivre, Vous soyez, sans tarder, résolue à me suivre. C'est par là, seulement, que, dans tous les Esprits, Vous pouvez réparer le mal de vos Écrits ; Et qu'après cet éclat, qu'un noble Coeur abhorre, Il peut m'être permis de vous aimer encore. Et s'il faut qu'à mes feux votre Flamme réponde, Que vous doit importer tout le reste du Monde ? Vos Désirs, avec moi, ne sont-ils pas contents ? Non, mon Cœur, à présent, vous déteste, Et ce refus, lui seul, fait plus que tout le reste : Puisque vous n'êtes point, en des Liens si doux, Pour trouver tout en moi, comme moi tout en vous, Allez, je vous refuse, et ce sensible Outrage, De vos indignes Fers, pour jamais me dégage. Madame, cent Vertus ornent votre Beauté, Et je n'ai vu, qu'en vous, de la sincérité : De vous, depuis longtemps, je fais un cas extrême, Mais laissez-moi, toujours, vous estimer de même : Et souffrez que mon Coeur, dans ses troubles divers, Ne se présente point à l'honneur de vos Fers ; Je m'en sens trop indigne, et commence à connaître, Que le Ciel, pour ce Nœud, ne m'avait point fait naître ; Que ce serait, pour vous, un Hommage trop bas, Que le rebut d'un Coeur qui ne vous valait pas : Et qu'enfin… Puissiez-vous, pour goûter de vrais contentements, L'un pour l'autre, à jamais, garder ces Sentiments. Trahi de toutes parts, accablé d'Injustices, Je vais sortir d'un Gouffre où triomphent les Vices ; Et chercher sur la Terre, un endroit écarté, Où d'être Homme d'honneur, on ait la liberté. **** *creator_moliere *book_moliere_misanthrope *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_misanthrope *dist2_moliere_verse_comedy *id_philinte *date_1666 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_philinte Qu'est-ce donc ? qu'avez-vous ? Mais, encor, dites-moi, quelle bizarrerie... Mais on entend les Gens, au moins, sans se fâcher. Dans vos brusques chagrins, je ne puis vous comprendre ; Et quoique amis, enfin, je suis tout des premiers... Je suis, donc, bien coupable, Alceste, à votre compte ? Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable ; Et je vous supplierai d'avoir pour agréable, Que je me fasse un peu, grâce sur votre Arrêt, Et ne me pende pas, pour cela, s'il vous plaît. Mais, sérieusement, que voulez-vous qu'on fasse ? Lorsqu'un Homme vous vient embrasser avec joie, Il faut bien le payer de la même monnaie, Répondre, comme on peut, à ses empressements, Et rendre offre pour offre, et serments pour serments. Mais quand on est du Monde, il faut bien que l'on rende Quelques Dehors civils, que l'Usage demande. Il est bien des endroits, où la pleine Franchise Deviendrait ridicule, et serait peu permise ; Et, parfois, n'en déplaise à votre austère Honneur, Il est bon de cacher ce qu'on a dans le cœur. Serait-il à propos, et de la Bienséance, De dire à mille Gens tout ce que d'eux, on pense ? Et quand on a quelqu'un qu'on hait, ou qui déplaît, Lui doit-on déclarer la chose comme elle est ? Quoi ! vous iriez dire à la vieille Émilie, Qu'à son âge, il sied mal de faire la jolie ? Et que le blanc qu'elle a, scandalise chacun ? À Dorilas, qu'il est trop importun : Et qu'il n'est à la Cour, oreille qu'il ne lasse, À conter sa bravoure, et l'éclat de sa Race ? Vous vous moquez. Ce chagrin Philosophe est un peu trop sauvage, Je ris des noirs accès où je vous envisage ; Et crois voir, en nous deux, sous mêmes soins nourris, Ces deux Frères que peint L'École des Maris, Dont... Non, tout de bon, quittez toutes ces incartades, Le Monde, par vos soins ne se changera pas ; Et puisque la Franchise a, pour vous, tant d'appas, Je vous dirai tout franc, que cette maladie, Partout où vous allez, donne la Comédie, Et qu'un si grand courroux contre les Mœurs du Temps, Vous tourne en Ridicule auprès de bien des Gens. Vous voulez un grand mal à la Nature Humaine ! Tous les pauvres Mortels, sans nulle exception, Seront enveloppés dans cette aversion ? Encore en est-il bien, dans le Siècle où nous sommes… Mon Dieu, des Mœurs du Temps, mettons-nous moins en peine, Et faisons un peu grâce à la Nature Humaine ; Ne l'examinons point dans la grande rigueur, Et voyons ses défauts, avec quelque douceur. Il faut, parmi le Monde, une Vertu traitable, À force de Sagesse on peut être blâmable, La parfaite Raison fuit toute extrémité, Et veut que l'on soit sage avec sobriété. Cette grande raideur des Vertus des vieux Âges, Heurte trop notre Siècle, et les communs Usages, Elle veut aux Mortels trop de perfection, Il faut fléchir au Temps, sans obstination ; Et c'est une folie, à nulle autre seconde, De vouloir se mêler de corriger le Monde. J'observe, comme vous, cent choses, tous les jours, Qui pourraient mieux aller, prenant un autre cours : Mais quoique à chaque pas, je puisse voir paraître, En courroux, comme vous, on ne me voit point être ; Je prends, tout doucement, les Hommes comme ils sont ; J'accoutume mon Âme à souffrir ce qu'ils font ; Et je crois qu'à la Cour, de même qu'à la Ville, Mon Flegme est Philosophe, autant que votre Bile. Oui, je vois ces Défauts dont votre âme murmure, Comme Vices unis à l'Humaine Nature ; Et mon esprit, enfin, n'est pas plus offensé, De voir un Homme fourbe, injuste, intéressé, Que de voir des Vautours affamés de carnage, Des Singes malfaisants, et des Loups pleins de rage. Ma foi, vous ferez bien de garder le silence ; Contre votre Partie, éclatez un peu moins, Et donnez au Procès, une part de vos soins. Mais qui voulez-vous donc, qui, pour vous, sollicite ? Aucun Juge, par vous, ne sera visité ? J'en demeure d'accord ; mais la Brigue est fâcheuse, Et… Ne vous y fiez pas. Votre Partie est forte, Et peut, par sa Cabale, entraîner… Vous vous tromperez. Mais… Mais, enfin… Quel Homme ! On se rirait de vous, Alceste, tout de bon, Si l'on vous entendait parler de la façon. Mais cette Rectitude, Que vous voulez, en tout, avec exactitude, Cette pleine Droiture où vous vous renfermez, La trouvez-vous ici, dans ce que vous aimez ? Je m'étonne, pour moi, qu'étant, comme il le semble, Vous et le Genre Humain, si fort brouillés ensemble, Malgré tout ce qui peut vous le rendre odieux, Vous ayez pris, chez lui, ce qui charme vos yeux ; Et ce qui me surprend, encore, davantage, C'est cet étrange Choix où votre Coeur s'engage. La sincère Éliante a du penchant pour vous, La prude Arsinoé vous voit d'un oeil fort doux : Cependant, à leurs voeux, votre âme se refuse, Tandis qu'en ses liens Célimène l'amuse, De qui l'humeur coquette, et l'esprit médisant, Semble si fort donner dans les Moeurs d'à présent. D'où vient que leur portant une haine mortelle, Vous pouvez bien souffrir ce qu'en tient cette Belle ? Ne sont-ce plus Défauts dans un Objet si doux ? Ne les voyez-vous pas ? ou les excusez-vous ? Si vous faites cela, vous ne ferez pas peu. Vous croyez être, donc, aimé d'elle ? Mais si son amitié, pour vous, se fait paraître, D'où vient que vos Rivaux vous causent de l'ennui ? Pour moi, si je n'avais qu'à former des désirs, Sa Cousine Eliante aurait tous mes soupirs, Son Cœur, qui vous estime, est solide, et sincère ; Et ce Choix plus conforme, était mieux votre affaire. Je crains fort pour vos Feux ; et l'espoir où vous êtes, Pourrait… Je suis déjà charmé de ce petit morceau. Ah ! qu'en termes galants, ces choses-là sont mises ! La chute en est jolie, amoureuse, admirable. Je n'ai jamais ouï de Vers si bien tournés. Non, je ne flatte point. Eh ! Messieurs, c'en est trop, laissez cela, de grâce. Hé bien, vous le voyez ; pour être trop sincère, Vous voilà sur les bras, une fâcheuse Affaire ; Et j'ai bien vu qu'Oronte, afin d'être flatté… Mais… C'est trop… Si je… Mais quoi… Mais… On outrage… Vous vous moquez de moi, je ne vous quitte pas. On fait assez de cas de son Oncle Damis ; Qu'en dites-vous, Madame ? Je le trouve honnête Homme, et d'un air assez sage. Mais pourquoi, pour ces Gens, un intérêt si grand, Vous, qui condamneriez, ce qu'en eux on reprend ? Mais il est véritable, aussi, que votre Esprit Se gendarme, toujours, contre tout ce qu'on dit ; Et que, par un chagrin, que lui-même il avoue, Il ne saurait souffrir qu'on blâme, ni qu'on loue. C'est d'Oronte, et de Vous, la ridicule Affaire. Oronte, et lui, se sont tantôt bravés, Sur certains petits Vers, qu'il n'a pas approuvés ; Et l'on veut assoupir la chose, en sa naissance. Mais il faut suivre l'Ordre, allons, disposez-vous… Mais d'un plus doux Esprit… Vous devez faire voir des Sentiments traitables ; Allons, venez. Allons vous faire voir. Non, l'on n'a point vu d'Âme à manier, si dure, Ni d'Accommodement plus pénible à conclure ; En vain, de tous côtés, on l'a voulu tourner, Hors de son Sentiment, on n'a pu l'entraîner ; Et, jamais, Différend si bizarre, je pense, N'avait de ces Messieurs, occupé la prudence. Non, Messieurs, disait-il, je ne me dédis point, Et tomberai d'accord de tout, hors de ce Point. De quoi s'offense-t-il ? et que veut-il me dire ? Y va-t-il de sa gloire, à ne pas bien écrire ? Que lui fait mon avis, qu'il a pris de travers ? On peut être honnête Homme, et faire mal des Vers ; Ce n'est point à l'Honneur, que touchent ces matières, Je le tiens galant Homme en toutes les manières, Homme de Qualité, de Mérite et de Coeur, Tout ce qu'il vous plaira, mais fort méchant Auteur. Je louerai, si l'on veut, son Train, et sa Dépense, Son adresse, à Cheval, aux Armes, à la Danse ; Mais, pour louer ses Vers, je suis son Serviteur ; Et lorsque d'en mieux faire, on n'a pas le bonheur, On ne doit, de Rimer, avoir aucune envie, Qu'on n'y soit condamné, sur peine de la Vie. Enfin, toute la Grâce, et l'Accommodement, Où s'est, avec effort, plié son Sentiment, C'est de dire, croyant adoucir bien son style, Monsieur, je suis fâché d'être si difficile ; Et, pour l'amour de vous, je voudrais, de bon coeur, Avoir trouvé, tantôt, votre Sonnet meilleur ; Et dans une Embrassade, on leur a, pour conclure, Fait vite envelopper toute la Procédure. Pour moi, plus je le vois, plus, surtout, je m'étonne De cette Passion où son Coeur s'abandonne : De l'humeur dont le Ciel a voulu le former, Je ne sais pas comment il s'avise d'aimer ; Et je sais moins, encor, comment votre Cousine Peut être la Personne où son Penchant l'incline. Mais, croyez-vous qu'on l'aime, aux choses qu'on peut voir ? Je crois que notre Ami, près de cette Cousine, Trouvera des chagrins plus qu'il ne s'imagine ; Et s'il avait mon Coeur, à dire vérité, Il tournerait ses voeux tout d'un autre côté ; Et par un choix plus juste, on le verrait, Madame, Profiter des bontés que lui montre votre Âme. Et moi, de mon côté, je ne m'oppose pas, Madame, à ces bontés qu'ont, pour lui, vos Appas ; Et lui-même, s'il veut, il peut bien vous instruire De ce que, là-dessus, j'ai pris soin de lui dire. Mais si, par un Hymen, qui les joindrait eux deux, Vous étiez hors d'état de recevoir ses voeux, Tous les miens tenteraient la faveur éclatante, Qu'avec tant de bonté, votre Âme lui présente ; Heureux si, quand son Coeur s'y pourra dérober, Elle pouvait sur moi, Madame, retomber. Non, Madame, Et je vous parle, ici, du meilleur de mon Âme ; J'attends l'occasion de m'offrir hautement, Et de tous mes souhaits, j'en presse le moment. Peut-être, est-ce un Soupçon conçu légèrement, Et votre esprit jaloux, prend, parfois des Chimères… Une Lettre peut bien tromper par l'apparence, Et n'est pas, quelquefois si coupable, qu'on pense. Mais, quel que soit ce Coup, faut-il qu'il vous oblige… Je trouve un peu bien prompt, le Dessein où vous êtes, Et tout le mal n'est pas si grand que vous le faites : Ce que votre Partie ose vous imputer, N'a point eu le crédit de vous faire arrêter ; On voit son faux Rapport, lui-même, se détruire, Et c'est une Action qui pourrait bien lui nuire. Enfin, il est constant qu'on n'a point trop donné Au Bruit que, contre vous, sa Malice a tourné : De ce côté, déjà, vous n'avez rien à craindre : Et pour votre Procès, dont vous pouvez vous plaindre, Il vous est, en Justice, aisé d'y revenir, Et contre cet Arrêt… Mais, enfin… Non, je tombe d'accord de tout ce qu'il vous plaît, Tout marche par Cabale, et par pur Intérêt ; Ce n'est plus que la Ruse aujourd'hui, qui l'emporte, Et les Hommes devraient être faits d'autre sorte. Mais est-ce une Raison, que leur peu d'Équité, Pour vouloir se tirer de leur Société ? Tous ces Défauts humains nous donnent, dans la Vie, Des Moyens d'exercer notre Philosophie, C'est le plus bel Emploi que trouve la Vertu ; Et si, de Probité, tout était revêtu, Si tous les Coeurs étaient, francs, justes, et dociles, La plupart des Vertus nous seraient inutiles, Puisqu'on en met l'usage à pouvoir, sans ennui, Supporter dans nos Droits, l'Injustice d'Autrui : Et de même qu'un Cœur, d'une Vertu profonde… Montons chez Eliante, attendant sa venue. C'est une Compagnie étrange, pour attendre, Et je vais obliger Eliante à descendre. Ah ! Cet honneur, Madame, est toute mon envie, Et j'y sacrifierais et mon Sang, et ma Vie. Allons, Madame, allons employer toute chose, Pour rompre le Dessein que son Coeur se propose. **** *creator_moliere *book_moliere_misanthrope *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_misanthrope *dist2_moliere_verse_comedy *id_oronte *date_1666 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_oronte J'ai su là-bas que, pour quelques Emplettes Éliante est sortie, et Célimène aussi : Mais, comme l'on m'a dit que vous étiez ici, J'ai monté, pour vous dire, et d'un coeur véritable, Que j'ai conçu pour vous, une estime incroyable ; Et que, depuis longtemps, cette estime m'a mis Dans un ardent désir d'être de vos Amis. Oui, mon Coeur, au Mérite aime à rendre justice, Et je brûle qu'un noeud d'Amitié nous unisse : Je crois qu'un Ami chaud, et de ma Qualité, N'est pas, assurément, pour être rejeté. C'est à vous, s'il vous plaît, que ce discours s'adresse. À vous. Trouvez-vous qu'il vous blesse ? L'estime où je vous tiens ne doit point vous surprendre, Et de tout l'Univers, vous la pouvez prétendre. L'État n'a rien qui ne soit au-dessous Du Mérite éclatant que l'on découvre en vous. Oui, de ma part, je vous tiens préférable A tout ce que j'y vois de plus considérable. Sois-je du Ciel écrasé, si je mens ; Et pour vous confirmer ici, mes Sentiments, Souffrez qu'à coeur ouvert, Monsieur, je vous embrasse, Et qu'en votre Amitié, je vous demande place. Touchez-là, s'il vous plaît, Vous me la promettez Votre Amitié ? Quoi ? vous y résistez ? Parbleu, c'est là-dessus, parler en Homme sage, Et je vous en estime, encore, davantage : Souffrons, donc, que le Temps forme des noeuds si doux. Mais, cependant, je m'offre entièrement à vous ; S'il faut faire à la Cour, pour vous, quelque ouverture, On sait, qu'auprès du Roi, je fais quelque Figure, Il m'écoute, et dans tout, il en use, ma foi, Le plus honnêtement du Monde, avecque moi. Enfin, je suis à vous, de toutes les manières ; Et, comme votre Esprit a de grandes lumières, Je viens, pour commencer, entre nous, ce beau noeud, Vous montrer un Sonnet, que j'ai fait depuis peu, Et savoir s'il est bon qu'au Public je l'expose. Pourquoi ? C'est ce que je demande, et j'aurais lieu de plainte, Si m'exposant à vous, pour me parler sans feinte, Vous alliez me trahir, et me déguiser rien. Sonnet... C'est un Sonnet. L'Espoir… C'est une Dame, Qui, de quelque espérance, avait flatté ma flamme. L'Espoir… Ce ne sont point de ces grands Vers pompeux, Mais de petits Vers doux, tendres, et langoureux. L'Espoir… Je ne sais si le style Pourra vous en paraître assez net, et facile ; Et si, du choix des Mots, vous vous contenterez. Au reste, vous saurez, Que je n'ai demeuré qu'un quart d'heure à le faire. L'Espoir, il est vrai, nous soulage, Et nous berce un temps, notre ennui ; Mais, Philis, le triste avantage, Lorsque rien ne marche après lui ! Vous eûtes de la Complaisance, Mais vous en deviez moins avoir ; Et ne vous pas mettre en dépense, Pour ne me donner que l'Espoir. S'il faut qu'une attente éternelle Pousse à bout, l'ardeur de mon zèle, Le Trépas sera mon recours. Vos soins ne m'en peuvent distraire ; Belle Philis, on désespère, Alors qu'on espère toujours. Vous me flattez, et vous croyez, peut-être… Mais, pour vous, vous savez quel est notre Traité ; Parlez-moi, je vous prie, avec sincérité. Est-ce que vous voulez me déclarer, par là, Que j'ai tort de vouloir… Est-ce qu'à mon Sonnet, vous trouvez à redire ? Est-ce que j'écris mal ? et leur ressemblerais-je ? Voilà qui va fort bien, et je crois vous entendre. Mais ne puis-je savoir ce que dans mon Sonnet… Et moi, je vous soutiens que mes Vers sont fort bons. Il me suffit de voir que d'autres en font cas. Croyez-vous, donc, avoir tant d'Esprit en partage ? Je me passerai bien que vous les approuviez. Je voudrais bien, pour voir, que de votre manière ; Vous en composassiez sur la même Matière. Vous me parlez bien ferme, et cette suffisance… Mais, mon petit Monsieur, prenez-le un peu moins haut. Ah ! j'ai tort, je l'avoue, et je quitte la place ; Je suis votre Valet, Monsieur, de tout mon coeur. Oui, c'est à vous, de voir, si par des Noeuds si doux, Madame, vous voulez m'attacher tout à vous : Il me faut de votre Âme, une pleine assurance, Un Amant, là-dessus, n'aime point qu'on balance : Si l'ardeur de mes Feux a pu vous émouvoir, Vous ne devez point feindre à me le faire voir ; Et la preuve, après tout, que je vous en demande, C'est de ne plus souffrir qu'Alceste vous prétende, De le sacrifier, Madame, à mon Amour, Et, de chez vous, enfin, le bannir dès ce jour. Madame, il ne faut point ces éclaircissements, Il s'agit de savoir quels sont vos Sentiments : Choisissez, s'il vous plaît, de garder l'un, ou l'autre, Ma résolution n'attend rien que la vôtre. Je ne veux point, Monsieur, d'une Flamme importune, Troubler, aucunement, votre bonne Fortune. Si votre Amour, au mien, lui semble préférable… Je jure de n'y rien prétendre désormais. Madame, c'est à vous de parler sans contrainte. Vous n'avez qu'à nous dire où s'attachent vos voeux. Quoi ! sur un pareil Choix, vous semblez être en peine ! Non, non, un franc Aveu n'a rien que j'appréhende, J'y consens pour ma part. Je vous sais fort bon gré, Monsieur, de ce courroux, Et je lui dis, ici, même chose que vous. Madame, c'est en vain que vous vous défendez. Il faut, il faut parler, et lâcher la Balance. Je ne veux qu'un seul Mot, pour finir nos débats. Quoi ! de cette façon je vois qu'on me déchire, Après tout ce qu'à moi, je vous ai vu m'écrire : Et votre Coeur paré de beaux Semblants d'Amour, À tout le Genre Humain se promet tour à tour ! Allez, j'étais trop Dupe, et je vais ne plus l'être. Vous me faites un Bien, me faisant vous connaître ; J'y profite d'un Cœur, qu'ainsi vous me rendez, Et trouve ma vengeance, en ce que vous perdez. Monsieur, je ne fais plus d'obstacle à votre flamme, Et vous pouvez conclure Affaire avec Madame. **** *creator_moliere *book_moliere_misanthrope *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_misanthrope *dist2_moliere_verse_comedy *id_celimene *date_1666 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_celimene C'est pour me quereller, donc, à ce que je vois, Que vous avez voulu me ramener chez moi ? Des Amants que je fais, me rendez-vous coupable ? Puis-je empêcher les Gens, de me trouver aimable ? Et lorsque, pour me voir, ils font de doux efforts, Dois-je prendre un Bâton, pour les mettre dehors ? Qu'injustement, de lui, vous prenez de l'ombrage ! Ne savez-vous pas bien, pourquoi je le ménage ? Et que, dans mon Procès, ainsi qu'il m'a promis, Il peut intéresser tout ce qu'il a d'Amis. Mais, de tout l'Univers vous devenez jaloux. C'est ce qui doit rasseoir votre Âme effarouchée, Puisque ma Complaisance est sur tous épanchée : Et vous auriez plus lieu de vous en offenser, Si vous me la voyiez, sur un seul, ramasser. Le bonheur de savoir que vous êtes aimé. Je pense qu'ayant pris le soin de vous le dire, Un aveu de la sorte, a de quoi vous suffire. Certes, pour un Amant, la Fleurette est mignonne, Et vous me traitez, là, de gentille Personne. Hé bien, pour vous ôter d'un semblable souci, De tout ce que j'ai dit, je me dédis ici : Et rien ne saurait plus vous tromper, que vous-même ; Soyez content. Il est vrai, votre ardeur est, pour moi, sans seconde. En effet, la Méthode en est toute nouvelle, Car vous aimez les Gens, pour leur faire querelle ; Ce n'est qu'en Mots fâcheux, qu'éclate votre ardeur, Et l'on n'a vu jamais, un Amour si grondeur. Qu'est-ce ? Hé bien, faites monter. Voulez-vous, qu'avec lui, je me fasse une Affaire ? C'est un Homme à jamais ne me le pardonner, S'il savait que sa vue eût pu m'importuner. Mon Dieu ! de ses Pareils, la Bienveillance importe, Et ce sont de ces Gens qui, je ne sais comment, Ont gagné, dans la Cour, de parler hautement. Dans tous les Entretiens, on les voit s'introduire ; Ils ne sauraient servir, mais ils peuvent vous nuire ; Et jamais, quelque appui qu'on puisse avoir d'ailleurs, On ne doit se brouiller avec ces grands Brailleurs. Où courez-vous ? Demeurez. Demeurez. Je le veux. Je le veux, je le veux. Hé bien ! allez, sortez, il vous est tout loisible. Oui, des Sièges pour tous. Vous n'êtes pas sorti ? Taisez-vous. Vous perdez le sens. Ah ! Vous vous moquez, je pense. Dans le Monde, à vrai dire, il se barbouille fort ; Partout, il porte un Air qui saute aux yeux, d'abord ; Et lorsqu'on le revoit, après un peu d'absence, On le retrouve, encor, plus plein d'extravagance. C'est un Parleur étrange, et qui trouve, toujours, L'Art de ne vous rien dire, avec de grands Discours. Dans les Propos qu'il tient, on ne voit jamais goutte, Et ce n'est que du Bruit, que tout ce qu'on écoute. C'est, de la Tête aux Pieds, un Homme tout Mystère, Qui vous jette, en passant, un coup d'oeil égaré, Et, sans aucune Affaire, est toujours affairé. Tout ce qu'il vous débite en grimaces, abonde ; À force de façons, il assomme le Monde ; Sans cesse il a, tout bas, pour rompre l'Entretien, Un Secret à vous dire, et ce Secret n'est rien ; De la moindre Vétille, il fait une Merveille, Et, jusques au Bonjour, il dit tout à l'oreille. Ô l'ennuyeux Conteur ! Jamais, on ne le voit sortir du Grand Seigneur ; Dans le brillant Commerce, il se mêle, sans cesse, Et ne cite jamais, que Duc, Prince, ou Princesse. La Qualité l'entête, et tous ses Entretiens Ne sont que de Chevaux, d'Équipage, et de Chiens ; Il tutoie, en parlant, ceux du plus haut Étage, Et le nom de Monsieur, est, chez lui, hors d'usage. Le pauvre Esprit de Femme ! et le sec entretien ! Lorsqu'elle vient me voir, je souffre le Martyre, Il faut suer, sans cesse, à chercher que lui dire ; Et la stérilité de son Expression, Fait mourir, à tous coups, la Conversation. En vain, pour attaquer son stupide silence, De tous les Lieux communs, vous prenez l'assistance ; Le beau Temps, et la Pluie, et le Froid et le Chaud, Sont des Fonds qu'avec elle, on épuise bientôt. Cependant, sa visite, assez insupportable, Traîne en une longueur, encore, épouvantable ; Et l'on demande l'heure, et l'on bâille vingt fois, Qu'elle grouille aussi peu qu'une Pièce de Bois. Ah ! quel orgueil extrême ! C'est un Homme gonflé de l'amour de soi-même ; Son Mérite, jamais, n'est content de la Cour, Contre elle, il fait métier de pester chaque jour ; Et l'on ne donne Emploi, Charge ni Bénéfice, Qu'à tout ce qu'il se croit, on ne fasse injustice. Que de son Cuisinier, il s'est fait un Mérite, Et que c'est à sa Table, à qui l'on rend Visite. Oui, mais je voudrais bien qu'il ne s'y servît pas, C'est un fort méchant Plat, que sa sotte Personne, Et qui gâte, à mon goût, tous les Repas qu'il donne. Il est de mes Amis. Oui, mais il veut avoir trop d'Esprit, dont j'enrage ; Il est guindé sans cesse ; et dans tous ses propos, On voit qu'il se travaille à dire de bons Mots. Depuis que dans la tête, il s'est mis d'être habile, Rien ne touche son goût, tant il est difficile ; Il veut voir des Défauts à tout ce qu'on écrit, Et pense que louer, n'est pas d'un bel Esprit. Que c'est être Savant, que trouver à redire ; Qu'il n'appartient qu'aux Sots, d'admirer, et de rire ; Et qu'en n'approuvant rien des Ouvrages du Temps, Il se met au-dessus de tous les autres Gens. Aux Conversations, même il trouve à reprendre, Ce sont Propos trop bas, pour y daigner descendre ; Et, les deux bras croisés, du haut de son Esprit, Il regarde en pitié, tout ce que chacun dit. Et ne faut-il pas bien que Monsieur contredise ? À la commune voix, veut-on qu'il se réduise, Et qu'il ne fasse pas éclater, en tous lieux, L'Esprit contrariant, qu'il a reçu des Cieux ? Le Sentiment d'autrui, n'est jamais, pour lui plaire, Il prend, toujours, en main, l'opinion contraire ; Et penserait paraître un Homme du commun, Si l'on voyait qu'il fût de l'avis de quelqu'un. L'honneur de contredire, a, pour lui, tant de charmes, Qu'il prend, contre lui-même, assez souvent, les armes ; Et ses vrais Sentiments sont combattus par lui, Aussitôt qu'il les voit dans la bouche d'Autrui. Mais… Enfin, s'il faut qu'à vous, s'en rapportent les Coeurs, On doit, pour bien aimer, renoncer aux Douceurs ; Et du parfait Amour, mettre l'Honneur suprême, À bien injurier les Personnes qu'on aime. Brisons là, ce discours, Et dans la Galerie, allons faire deux tours. Quoi ! vous vous en allez, Messieurs ? C'est pour rire, je crois. Allez voir ce que c'est, Ou bien, faites-le entrer. Comment ? Allez vite paraître Où vous devez. Encore ici ? Je viens d'ouïr entrer un Carrosse là-bas, Savez-vous qui c'est ? Que me veut cette Femme ? De quoi s'avise-t-elle ? et qui la fait venir ? Oui, oui, franche Grimace, Dans l'Âme, elle est du Monde, et ses soins tentent tout, Pour accrocher quelqu'un, sans en venir à bout. Elle ne saurait voir, qu'avec un oeil d'envie, Les Amants déclarés, dont une autre est suivie ; Et son triste Mérite, abandonné de tous, Contre le Siècle aveugle, est toujours en courroux. Elle tâche à couvrir d'un faux Voile de Prude, Ce que, chez elle, on voit d'affreuse Solitude ; Et pour sauver l'honneur de ses faibles Appas, Elle attache du Crime, au Pouvoir qu'ils n'ont pas. Cependant, un Amant plairait fort à la Dame, Et même, pour Alceste, elle a tendresse d'Âme ; Ce qu'il me rend de soins, outrage ses Attraits, Elle veut que ce soit un Vol que je lui fais ; Et son jaloux dépit, qu'avec peine, elle cache, En tous endroits, sous main, contre moi se détache. Enfin, je n'ai rien vu de si sot, à mon gré, Elle est impertinente au suprême Degré ; Et… Ah ! quel heureux Sort, en ce Lieu vous amène ? Madame, sans mentir, j'étais de vous, en peine. Ah ! mon Dieu, que je suis contente de vous voir ! Voulons-nous nous asseoir ? Madame, j'ai beaucoup de grâces à vous rendre, Un tel avis m'oblige, et loin de le mal prendre, J'en prétends reconnaître, à l'instant, la faveur, Pour un avis, aussi, qui touche votre Honneur : Et, comme je vous vois vous montrer mon Amie, En m'apprenant les bruits que de moi l'on publie, Je veux suivre, à mon tour, un exemple si doux, En vous avertissant, de ce qu'on dit de vous. En un Lieu, l'autre jour, où je faisais visite, Je trouvai quelques Gens, d'un très rare mérite, Qui parlant des vrais Soins d'une Âme qui vit bien, Firent tomber, sur vous, Madame, l'entretien. Là, votre Pruderie, et vos éclats de zèle, Ne furent pas cités comme un fort bon Modèle : Cette affectation d'un grave Extérieur, Vos Discours éternels de Sagesse, et d'Honneur, Vos mines, et vos cris, aux Ombres d'indécence, Que d'un Mot ambigu, peut avoir l'Innocence ; Cette hauteur d'Estime où vous êtes de vous, Et ces yeux de pitié, que vous jetez sur tous ; Vos fréquentes Leçons, et vos aigres Censures, Sur des choses qui sont innocentes, et pures ; Tout cela, si je puis vous parler franchement, Madame, fut blâmé, d'un commun Sentiment. À quoi bon, disaient-ils, cette Mine modeste, Et ce sage Dehors, que dément tout le reste ? Elle est, à bien prier, exacte au dernier point, Mais elle bat ses Gens, et ne les paye point, Dans tous les Lieux dévots, elle étale un grand Zèle, Mais elle met du blanc, et veut paraître belle ; Elle fait des Tableaux couvrir les Nudités, Mais elle a de l'amour pour les Réalités. Pour moi, contre chacun, je pris votre défense, Et leur assurai fort, que c'était Médisance ; Mais tous les Sentiments combattirent le mien, Et leur conclusion fut que vous feriez bien, De prendre moins de soin des Actions des autres, Et de vous mettre, un peu, plus en peine des vôtres. Qu'on doit se regarder soi-même, un fort long temps, Avant que de songer à condamner les Gens ; Qu'il faut mettre le poids d'une Vie exemplaire, Dans les Corrections qu'aux autres, on veut faire ; Et qu'encor, vaut-il mieux s'en remettre, au besoin, À ceux à qui le Ciel en a commis le Soin. Madame, je vous crois, aussi, trop raisonnable, Pour ne pas prendre bien, cet avis profitable, Et pour l'attribuer qu'aux mouvements secrets, D'un zèle qui m'attache à tous vos intérêts. Au contraire, Madame, et si l'on était sage, Ces avis mutuels seraient mis en usage ; On détruirait, par là, traitant de bonne foi, Ce grand aveuglement, où chacun est pour soi. Il ne tiendra qu'à vous, qu'avec le même zèle, Nous ne continuions cet office fidèle ; Et ne prenions grand soin de nous dire, entre nous, Ce que nous entendrons, vous de moi, moi de vous. Madame, on peut, je crois, louer, et blâmer tout, Et chacun a raison, suivant l'âge, et le goût : Il est une Saison pour la Galanterie, Il en est une, aussi, propre à la Pruderie ; On peut, par Politique, en prendre le parti, Quand de nos jeunes ans, l'éclat est amorti ; Cela sert à couvrir de fâcheuses disgrâces. Je ne dis pas, qu'un jour, je ne suive vos traces, L'âge amènera tout, et ce n'est pas le temps, Madame, comme on sait, d'être Prude à vingt ans. Et moi, je ne sais pas, Madame, aussi pourquoi, On vous voit, en tous Lieux, vous déchaîner sur moi ? Faut-il de vos chagrins, sans cesse, à moi vous prendre ? Et puis-je mais des Soins qu'on ne va pas vous rendre ? Si ma Personne, aux Gens, inspire de l'amour, Et si l'on continue à m'offrir, chaque jour, Des vœux que votre Cœur peut souhaiter qu'on m'ôte, Je n'y saurais que faire, et ce n'est pas ma faute ; Vous avez le Champ libre, et je n'empêche pas, Que pour les attirer, vous n'ayez des Appas. Ayez-en, donc, Madame, et voyons cette Affaire, Par ce rare Secret, efforcez-vous de plaire : Et sans… Autant qu'il vous plaira, vous pouvez arrêter, Madame, et là-dessus, rien ne doit vous hâter : Mais, sans vous fatiguer de ma cérémonie, Je m'en vais vous donner meilleure Compagnie ; Et Monsieur, qu'à propos, le Hasard fait venir, Remplira mieux ma place à vous entretenir. Alceste, il faut que j'aille écrire un mot de Lettre, Que, sans me faire tort, je ne saurais remettre ; Soyez avec Madame, elle aura la bonté D'excuser, aisément, mon incivilité. Ouais, quel est donc, le trouble, où je vous vois paraître ? Et que me veulent dire, et ces Soupirs poussés, Et ces sombres Regards que, sur moi, vous lancez ? Voilà, certainement, des Douceurs que j'admire. D'où vient, donc, je vous prie, un tel Emportement ? Avez-vous, dites-moi, perdu le Jugement ? De quelle Trahison pouvez-vous, donc, vous plaindre ? Voilà, donc, le Sujet qui vous trouble l'Esprit ? Et par quelle Raison faut-il que j'en rougisse ? Pourquoi désavouer un Billet de ma main ? Vous êtes, sans mentir, un grand Extravagant. Oronte ! Qui vous dit que la Lettre est pour lui ? Mais, si c'est une Femme à qui va ce Billet, En quoi vous blesse-t-il ? et qu'a-t-il de coupable ? Il ne me plaît pas, moi. Je vous trouve plaisant, d'user d'un tel Empire, Et de me dire, au nez, ce que vous m'osez dire. Non, je n'en veux rien faire ; et, dans cette occurrence, Tout ce que vous croirez, m'est de peu d'importance. Non, il est pour Oronte, et je veux qu'on le croie, Je reçois tous ses Soins, avec beaucoup de joie, J'admire ce qu'il dit, j'estime ce qu'il est ; Et je tombe d'accord de tout ce qu'il vous plaît. Faites, prenez Parti, que rien ne vous arrête, Et ne me rompez pas, davantage, la tête. Allez, vous êtes fou, dans vos Transports jaloux, Et ne méritez pas l'amour qu'on a pour vous. Je voudrais bien savoir, qui pourrait me contraindre À descendre, pour vous, aux Bassesses de feindre : Et pourquoi, si mon Coeur penchait d'autre côté, Je ne le dirais pas avec sincérité ? Quoi ! de mes Sentiments l'obligeante Assurance, Contre tous vos Soupçons, ne prend pas ma défense ? Auprès d'un tel Garant, sont-ils de quelque poids ? N'est-ce pas m'outrager, que d'écouter leur voix ? Et puisque notre Coeur fait un effort extrême, Lorsqu'il peut se résoudre à confesser qu'il aime ; Puisque l'Honneur du Sexe, Ennemi de nos Feux, S'oppose fortement à de pareils Aveux ; L'Amant qui voit, pour lui, franchir un tel obstacle, Doit-il, impunément, douter de cet Oracle, Et n'est-il pas coupable, en ne s'assurant pas, À ce qu'on ne dit point qu'après de grands combats ? Allez, de tels Soupçons méritent ma colère, Et vous ne valez pas que l'on vous considère : Je suis Sotte, et veux mal à ma Simplicité, De conserver, encor, pour vous, quelque bonté ; Je devrais, autre part, attacher mon Estime, Et vous faire un sujet de Plainte légitime. Non, vous ne m'aimez point, comme il faut que l'on aime. C'est me vouloir du Bien d'une étrange manière ! Me préserve le Ciel que vous ayez matière… Voici Monsieur Du Bois, plaisamment figuré. Que peut envelopper ceci ? Ne vous emportez pas, Et courez démêler un pareil Embarras. Mais quel sujet si grand, contre lui, vous irrite, Vous, à qui j'ai tant vu parler de son Mérite ? Mon Dieu ! que cette Instance est là, hors de Saison : Et que vous témoignez, tous deux, peu de Raison ! Je sais prendre Parti sur cette Préférence, Et ce n'est pas mon Cœur, maintenant, qui balance : Il n'est point suspendu, sans doute, entre vous deux, Et rien n'est si tôt fait, que le choix de nos voeux. Mais je souffre, à vrai dire, une gêne trop forte, À prononcer en face, un aveu de la sorte : Je trouve que ces Mots, qui sont désobligeants, Ne se doivent point dire en présence des Gens : Qu'un Cœur, de son Penchant, donne assez de lumière, Sans qu'on nous fasse aller, jusqu'à rompre en visière : Et qu'il suffit, enfin, que de plus doux Témoins Instruisent un Amant du malheur de ses Soins. Que vous me fatiguez avec un tel Caprice ! Ce que vous demandez, a-t-il de la justice : Et ne vous dis-je pas quel Motif me retient ? J'en vais prendre pour Juge, Éliante qui vient. Je me vois, ma Cousine, ici persécutée Par des Gens dont l'humeur y paraît concertée. Ils veulent l'un, et l'autre, avec même chaleur, Que je prononce, entre eux, le Choix que fait mon Cœur : Et que, par un Arrêt qu'en Face il me faut rendre, Je défende à l'un d'eux tous les Soins qu'il peut prendre. Dites-moi si, jamais, cela se fait ainsi. Oui, vous pouvez tout dire, Vous en êtes en droit, lorsque vous vous plaindrez, Et de me reprocher tout ce que vous voudrez. J'ai tort, je le confesse, et mon Âme confuse Ne cherche à vous payer, d'aucune vaine excuse : J'ai des autres, ici, méprisé le courroux, Mais je tombe d'accord de mon Crime envers vous. Votre ressentiment, sans doute, est raisonnable, Je sais combien je dois vous paraître coupable, Que toute Chose dit, que j'ai pu vous trahir, Et, qu'enfin, vous avez sujet de me haïr. Faites-le, j'y consens. Moi, renoncer au Monde, avant que de vieillir ! Et dans votre Désert aller m'ensevelir ! La Solitude effraye une Âme de vingt ans ; Je ne sens point la mienne assez grande, assez forte, Pour me résoudre à prendre un Dessein de la sorte. Si le Don de ma main peut contenter vos voeux, Je pourrai me résoudre à serrer de tels Nœuds : Et l'Hymen… **** *creator_moliere *book_moliere_misanthrope *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_misanthrope *dist2_moliere_verse_comedy *id_eliante *date_1666 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_eliante Voici les deux Marquis, qui montent avec nous ; Vous l'est-on venu dire ? Ce Début n'est pas mal ; et contre le Prochain, La Conversation prend un assez bon train. Il prend soin d'y servir des Mets fort délicats. L'Amour, pour l'ordinaire, est peu fait à ces Lois, Et l'on voit les Amants vanter, toujours, leur Choix : Jamais, leur Passion n'y voit rien de blâmable, Et dans l'Objet aimé, tout leur devient aimable ; Ils comptent les Défauts pour des Perfections, Et savent y donner de favorables Noms. La Pâle, est aux Jasmins, en blancheur, comparable ; La Noire, à faire peur, une Brune adorable ; La Maigre, a de la taille, et de la liberté ; La Grasse, est, dans son Port, pleine de Majesté ; La Malpropre, sur soi, de peu d'Attraits chargée, Est mise sous le nom de Beauté négligée ; La Géante, paraît une Déesse aux yeux ; La Naine, un Abrégé des Merveilles des Cieux ; L'Orgueilleuse, a le Coeur digne d'une Couronne ; La Fourbe, a de l'Esprit ; la Sotte, est toute bonne ; La Trop Grande Parleuse, est d'agréable Humeur ; Et la Muette, garde une honnête Pudeur. C'est ainsi, qu'un Amant, dont l'ardeur est extrême, Aime, jusqu'aux Défauts des Personnes qu'il aime. Dans ses façons d'agir, il est fort singulier, Mais j'en fais, je l'avoue, un cas particulier ; Et la sincérité dont son Âme se pique, A quelque chose, en soi, de noble, et d'héroïque ; C'est une Vertu rare, au Siècle d'aujourd'hui, Et je la voudrais voir, partout, comme chez lui. Cela fait assez voir que l'Amour, dans les Coeurs, N'est pas, toujours, produit par un rapport d'humeurs ; Et toutes ces raisons de douces Sympathies, Dans cet Exemple-ci, se trouvent démenties. C'est un Point qu'il n'est pas fort aisé de savoir. Comment pouvoir juger s'il est vrai qu'elle l'aime ? Son Coeur, de ce qu'il sent, n'est pas bien sûr lui-même ; Il aime, quelquefois, sans qu'il le sache bien, Et croit aimer, aussi, parfois, qu'il n'en est rien. Pour moi, je n'en fais point de façons, et je crois Qu'on doit, sur de tels Points, être de bonne foi : Je ne m'oppose point à toute sa tendresse ; Au contraire, mon Coeur, pour elle, s'intéresse ; Et si c'était qu'à moi, la chose pût tenir, Moi-même, à ce qu'il aime, on me verrait l'unir. Mais, si dans un tel Choix, comme tout se peut faire, Son Amour éprouvait quelque Destin contraire, S'il fallait que d'un autre, on couronnât les Feux, Je pourrais me résoudre à recevoir ses voeux ; Et le refus souffert, en pareille occurrence, Ne m'y ferait trouver aucune répugnance. Vous vous divertissez, Philinte. Qu'est-ce, donc ? qu'avez-vous qui vous puisse émouvoir ? Que votre Esprit, un peu, tâche à se rappeler ! Mais, encor, qui vous peut… Avez-vous, pour le croire, un juste fondement ? Vous devez modérer vos transports, et l'outrage… Moi, vous venger ! Comment ? Je compatis, sans doute, à ce que vous souffrez, Et ne méprise point le Coeur que vous m'offrez : Mais, peut-être, le Mal n'est pas si grand qu'on pense, Et vous pourrez quitter ce Désir de Vengeance. Lorsque l'Injure part d'un Objet plein d'Appas, On fait force Desseins, qu'on n'exécute pas : On a beau voir, pour rompre, une Raison puissante, Une Coupable aimée, est, bientôt, innocente ; Tout le mal qu'on lui veut, se dissipe aisément, Et l'on sait ce que c'est, qu'un Courroux d'un Amant. N'allez point, là-dessus, me consulter ici ; Peut-être, y pourriez-vous être mal adressée, Et je suis pour les Gens qui disent leur pensée. Vous pouvez suivre cette pensée, Ma Main, de se donner, n'est pas embarrassée ; Et voilà votre Ami, sans trop m'inquiéter, Qui, si je l'en priais, la pourrait accepter. **** *creator_moliere *book_moliere_misanthrope *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_misanthrope *dist2_moliere_verse_comedy *id_arsinoe *date_1666 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_arsinoe Je viens, pour quelque avis que j'ai cru vous devoir. Leur départ ne pouvait, plus à propos, se faire. Il n'est pas nécessaire, Madame ; l'Amitié doit surtout éclater Aux choses, qui le plus, nous peuvent importer ; Et comme il n'en est point de plus grande importance, Que celles de l'Honneur et de la Bienséance, Je viens, par un avis qui touche votre Honneur, Témoigner l'amitié que, pour vous, a mon Cœur. Hier, j'étais chez des Gens, de Vertu singulière, Où, sur vous, du Discours, on tourna la matière ; Et là, votre Conduite, avec ses grands éclats, Madame, eut le malheur, qu'on ne la loua pas. Cette foule de Gens, dont vous souffrez visite, Votre Galanterie, et les bruits qu'elle excite, Trouvèrent des Censeurs plus qu'il n'aurait fallu, Et bien plus rigoureux que je n'eusse voulu. Vous pouvez bien penser quel Parti je sus prendre ; Je fis ce que je pus, pour vous pouvoir défendre, Je vous excusai fort sur votre intention, Et voulus, de votre Âme, être la Caution. Mais vous savez qu'il est des Choses dans la vie, Qu'on ne peut excuser, quoique on en ait envie ; Et je me vis contrainte à demeurer d'accord, Que l'air dont vous viviez, vous faisait un peu tort. Qu'il prenait, dans le Monde, une méchante face, Qu'il n'est conte fâcheux que partout on n'en fasse ; Et que, si vous vouliez, tous vos déportements Pourraient moins donner prise aux mauvais jugements. Non que j'y croie, au fonds, l'Honnêteté blessée, Me préserve le Ciel d'en avoir la pensée ; Mais aux ombres du Crime, on prête aisément foi, Et ce n'est pas assez, de bien vivre pour soi. Madame, je vous crois l'Âme trop raisonnable, Pour ne pas prendre bien, cet avis profitable ; Et pour l'attribuer qu'aux mouvements secrets D'un zèle qui m'attache à tous vos intérêts. À quoi, qu'en reprenant, on soit assujettie, Je ne m'attendais pas à cette repartie, Madame, et je vois bien, par ce qu'elle a d'aigreur, Que mon sincère avis vous a blessée au cœur. Ah ! Madame, de vous, je ne puis rien entendre ; C'est en moi que l'on peut trouver fort à reprendre. Certes, vous vous targuez d'un bien faible Avantage, Et vous faites sonner, terriblement, votre Âge : Ce que, de plus que vous, on en pourrait avoir, N'est pas un si grand cas, pour s'en tant prévaloir ; Et je ne sais pourquoi, votre Âme, ainsi, s'emporte, Madame, à me pousser de cette étrange sorte ? Hélas ! et croyez-vous que l'on se mette en peine De ce nombre d'Amants dont vous faites la vaine : Et qu'il ne nous soit pas fort aisé de juger, À quel prix, aujourd'hui, l'on peut les engager ? Pensez-vous faire croire, à voir comme tout roule, Que votre seul Mérite attire cette foule ? Qu'ils ne brûlent, pour vous, que d'un honnête amour, Et que, pour vos Vertus, ils vous font tous la Cour ? On ne s'aveugle point par de vaines défaites, Le Monde n'est point Dupe, et j'en vois qui sont faites À pouvoir inspirer de tendres Sentiments, Qui, chez elles, pourtant, ne fixent point d'Amants ; Et de là, nous pouvons tirer des conséquences Qu'on n'acquiert point leurs Cœurs, sans de grandes avances ; Qu'aucun, pour nos beaux yeux, n'est notre Soupirant, Et qu'il faut acheter tous les Soins qu'on nous rend. Ne vous enflez, donc, point d'une si grande gloire, Pour les petits Brillants d'une faible Victoire ; Et corrigez, un peu, l'orgueil de vos Appas, De traiter pour cela, les Gens de haut en bas. Si nos yeux enviaient les Conquêtes des vôtres, Je pense qu'on pourrait faire comme les autres, Ne se point ménager, et vous faire bien voir Que l'on a des Amants, quand on en veut avoir. Brisons, Madame, un pareil Entretien, Il pousserait trop loin votre Esprit, et le mien : Et j'aurais pris, déjà, le congé qu'il faut prendre, Si mon Carrosse, encor, ne m'obligeait d'attendre. Vous voyez, elle veut que je vous entretienne, Attendant, un moment, que mon Carrosse vienne ; Et jamais tous ses soins ne pouvaient m'offrir rien, Qui me fût plus charmant, qu'un pareil Entretien. En vérité, les Gens d'un Mérite sublime, Entraînent de chacun, et l'amour, et l'estime ; Et le vôtre, sans doute, a des Charmes secrets, Qui font entrer mon Coeur dans tous vos intérêts. Je voudrais que la Cour, par un regard propice, À ce que vous valez, rendît plus de justice : Vous avez à vous plaindre, et je suis en courroux, Quand je vois, chaque jour, qu'on ne fait rien pour vous. Tous ceux, sur qui la Cour jette des yeux propices, N'ont pas, toujours, rendu de ces fameux Services ; Il faut l'Occasion, ainsi que le Pouvoir : Et le Mérite, enfin, que vous nous faites voir, Devrait… Un Mérite éclatant se déterre lui-même ; Du vôtre, en bien des Lieux, on fait un cas extrême ; Et vous saurez, de moi, qu'en deux fort bons endroits, Vous fûtes hier, loué par des Gens d'un grand poids. Pour moi, je voudrais bien, que pour vous montrer mieux, Une Charge, à la Cour, vous pût frapper les yeux : Pour peu que d'y songer vous nous fassiez les mines, On peut, pour vous servir, remuer des Machines, Et j'ai des Gens en main, que j'emploierai pour vous, Qui vous feront, à tout, un Chemin assez doux. Laissons, puisqu'il vous plaît, ce Chapitre de Cour, Mais il faut que mon Coeur vous plaigne en votre amour ; Et pour vous découvrir, là-dessus, mes pensées, Je souhaiterais fort vos ardeurs mieux placées : Vous méritez, sans doute, un Sort beaucoup plus doux, Et celle qui vous charme, est indigne de vous. Oui, mais ma Conscience est blessée en effet, De souffrir, plus longtemps, le tort que l'on vous fait : L'état où je vous vois, afflige trop mon Âme, Et je vous donne avis, qu'on trahit votre flamme. Oui, toute mon Amie, elle est, et je la nomme Indigne d'asservir le Coeur d'un galant Homme. Et le sien n'a, pour vous, que de feintes douceurs. Si vous ne voulez pas être désabusé, Il faut ne vous rien dire, il est assez aisé. Hé bien, c'est assez dit ; et, sur cette matière, Vous allez recevoir une pleine lumière. Oui, je veux que de tout, vos yeux vous fassent foi, Donnez-moi, seulement, la main jusque chez moi. Là, je vous ferai voir une preuve fidèle De l'infidélité du Coeur de votre Belle ; Et si, pour d'autres yeux, le vôtre peut brûler, On pourra vous offrir de quoi vous consoler. Madame, vous serez surprise de ma vue, Mais ce sont ces Messieurs qui causent ma venue ; Tous deux ils m'ont trouvée, et se sont plaints à moi, D'un Trait, à qui mon Coeur ne saurait prêter foi. J'ai du fond de votre Âme, une trop Haute Estime, Pour vous croire, jamais, capable d'un tel Crime, Mes yeux ont démenti leurs Témoins les plus forts : Et l'Amitié passant sur de petits Discords, J'ai bien voulu, chez vous, leur faire compagnie, Pour vous voir vous laver de cette Calomnie. Certes, voilà le Trait du Monde le plus noir, Je ne m'en saurais taire, et me sens émouvoir. Voit-on des Procédés qui soient pareils aux vôtres ? Je ne prends point de part aux intérêts des autres : Mais, Monsieur, que, chez vous, fixait votre Bonheur, Un Homme, comme lui, de Mérite et d'Honneur, Et qui vous chérissait avec idolâtrie, Devait-il... Hé ! Croyez-vous, Monsieur, qu'on ait cette pensée, Et que, de vous avoir, on soit tant empressée ? Je vous trouve un Esprit bien plein de vanité, Si, de cette créance, il peut s'être flatté : Le Rebut de Madame, est une Marchandise, Dont on aurait grand tort d'être si fort éprise. Détrompez-vous, de grâce, et portez-le moins haut : Ce ne sont pas des Gens, comme moi, qu'il vous faut ; Vous ferez bien, encor, de soupirer pour elle, Et je brûle de voir, une Union si belle. **** *creator_moliere *book_moliere_misanthrope *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_misanthrope *dist2_moliere_verse_comedy *id_acaste *date_1666 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_acaste Parbleu, s'il faut parler de Gens extravagants, Je viens d'en essuyer un des plus fatigants ; Damon, le Raisonneur, qui m'a, ne vous déplaise, Une heure, au grand Soleil, tenu hors de ma Chaise. Et Géralde, Madame ? Que vous semble d'Adraste ? Dieu me damne, voilà son Portrait véritable. De Grâces, et d'Attraits, je vois qu'elle est pourvue ; Mais les Défauts qu'elle a, ne frappent point ma vue. À moins de voir Madame en être importunée, Rien ne m'appelle, ailleurs, de toute la journée. Parbleu, je ne vois pas, lorsque je m'examine, Où prendre aucun sujet d'avoir l'Âme chagrine. J'ai du bien, je suis jeune, et sors d'une Maison Qui se peut dire Noble, avec quelque raison ; Et je crois, par le Rang que me donne ma Race, Qu'il est fort peu d'Emplois, dont je ne sois en passe. Pour le Coeur, dont, sur tout, nous devons faire cas, On sait, sans vanité, que je n'en manque pas ; Et l'on m'a vu pousser, dans le Monde, une Affaire, D'une assez vigoureuse, et gaillarde manière. Pour de l'Esprit, j'en ai, sans doute, et du bon goût, À juger sans Étude, et raisonner de tout ; À faire aux Nouveautés, dont je suis idolâtre, Figure de Savant, sur les Bancs du Théâtre ; Y décider en Chef, et faire du Fracas À tous les beaux Endroits qui méritent des Has. Je suis assez adroit, j'ai bon air, bonne mine, Les Dents belles, surtout, et la taille fort fine. Quant à se mettre bien, je crois, sans me flatter, Qu'on serait mal venu de me le disputer. Je me vois dans l'Estime autant qu'on y puisse être, Fort aimé du beau Sexe, et bien auprès du Maître : Je crois, qu'avec cela, mon cher Marquis, je crois, Qu'on peut, par tout Pays, être content de soi. Moi ? parbleu, je ne suis de taille, ni d'humeur, À pouvoir, d'une Belle, essuyer la froideur. C'est aux Gens mal tournés, aux Mérites vulgaires, À brûler, constamment, pour des Beautés sévères ; À languir à leurs pieds, et souffrir leurs rigueurs, À chercher le secours des soupirs, et des pleurs, Et tâcher, par des soins d'une très longue suite, D'obtenir ce qu'on nie à leur peu de mérite. Mais les Gens de mon air, Marquis, ne sont pas faits, Pour aimer à crédit, et faire tous les frais. Quelque rare que soit le mérite des Belles, Je pense, Dieu merci, qu'on vaut son prix, comme elles ; Que pour se faire honneur d'un Coeur comme le mien, Ce n'est pas la raison qu'il ne leur coûte rien. Et qu'au moins, à tout mettre en de justes Balances, Il faut, qu'à frais communs, se fassent les avances. J'ai quelque lieu, Marquis, de le penser ainsi. Il est vrai, je me flatte, et m'aveugle, en effet. Je me flatte. Je m'aveugle. Je m'abuse, te dis-je. Non, je suis maltraité. Je n'ai que des rebuts. Je suis le Misérable, et toi le Fortuné, On a, pour ma Personne, une aversion grande ; Et quelqu'un de ces jours, il faut que je me pende. Ah ! parbleu, tu me plais, avec un tel langage ; Et du bon de mon coeur, à cela je m'engage. Mais chut. Pour Prude consommée, en tous Lieux elle passe ; Et l'ardeur de son zèle… Madame, nous venons tous deux, sans vous déplaire, Éclaircir, avec vous, une petite Affaire. Oui, Madame, voyons, d'un Esprit adouci, Comment vous vous prendrez à soutenir ceci ? Cette Lettre, par vous, est écrite à Clitandre ? Messieurs, ces Traits, pour vous, n'ont point d'obscurité, Et je ne doute pas que sa civilité, À connaître sa main, n'ait trop su vous instruire : Mais ceci vaut, assez, la peine de le lire. Vous êtes un étrange Homme, de condamner mon enjouement, et de me reprocher que je n'ai jamais tant de joie, que lorsque je ne suis pas avec vous. Il n'y a rien de plus injuste ; et si vous ne venez bien vite, me demander pardon de cette Offense, je ne vous la pardonnerai de ma vie. Notre grand Flandrin de Vicomte... Il devrait être ici. Notre grand Flandrin de Vicomte, par qui vous commencez vos plaintes, est un Homme qui ne saurait me revenir ; et depuis que je l'ai vu, troisquarts d'heure durant, cracher dans un Puits, pour faire des Ronds, je n'ai pu jamais, prendre bonne opinion de lui. Pour le petit Marquis... C'est moi-même, Messieurs, sans nulle vanité. Pour le petit Marquis, qui me tint hier, longtemps, la main, je trouve qu'il n'y a rien de si mince que toute sa Personne ; et ce sont de ces Mérites qui n'ont que la Cape et l'Épée. Pour l'Homme aux Rubans verts... À vous le Dé, Monsieur. Pour l'Homme aux Rubans verts, il me divertit quelquefois, avec ses brusqueries, et son chagrin bourru ; mais il est cent moments, où je le trouve le plus fâcheux du Monde. Et pour l'Homme à la Veste... Voici votre Paquet. Et pour l'Homme à la Veste, qui s'est jeté dans le bel Esprit, et veut être Auteur malgré tout le Monde, je ne puis me donner la peine d'écouter ce qu'il dit ; et sa Prose me fatigue autant que ses Vers. Mettez-vous, donc, en tête, que je ne me divertis pas toujours si bien que vous pensez ; que je vous trouve à dire plus que je ne voudrais, dans toutes les Parties où l'on m'entraîne ; et que c'est un merveilleux assaisonnement aux Plaisirs qu'on goûte, que la présence des Gens qu'on aime. J'aurais de quoi vous dire, et belle est la Matière, Mais je ne vous tiens pas digne de ma colère ; Et je vous ferai voir, que les petits Marquis Ont, pour se consoler, des Coeurs du plus haut prix. **** *creator_moliere *book_moliere_misanthrope *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_misanthrope *dist2_moliere_verse_comedy *id_clitandre *date_1666 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_clitandre Parbleu, je viens du Louvre, où Cléonte, au Levé, Madame, a bien paru, Ridicule achevé. N'a-t-il point quelque Ami qui pût, sur ses Manières, D'un charitable Avis, lui prêter les lumières ? Timante encor, Madame, est un bon Caractère ! On dit qu'avec Bélise, il est du dernier Bien. Mais le jeune Cléon, chez qui vont, aujourd'hui, Nos plus honnêtes Gens, que dites-vous de lui ? Pour bien peindre les Gens, vous êtes admirable ! Pourquoi s'en prendre à nous ? Si ce qu'on dit, vous blesse, Il faut que le reproche, à Madame, s'adresse. Pour moi, je ne sais pas ; mais j'avouerai, tout haut, Que j'ai cru, jusqu'ici, Madame sans Défaut. Moi, pourvu que je puisse être au petit Couché, Je n'ai point d'autre Affaire, où je sois attaché. Cher Marquis, je te vois l'Âme bien satisfaite, Toute chose t'égaye, et rien ne t'inquiète. En bonne foi, crois-tu, sans t'éblouir les yeux, Avoir de grands sujets de paraître joyeux ? Oui, mais trouvant ailleurs, des Conquêtes faciles, Pourquoi pousser ici des soupirs inutiles ? Tu penses donc, Marquis, être fort bien ici ? Crois-moi, détache-toi de cette erreur extrême ; Tu te flattes, mon Cher, et t'aveugles toi-même. Mais, qui te fait juger ton bonheur si parfait ? Sur quoi fonder tes Conjectures ? En as-tu des preuves qui soient sûres ? Est-ce que de ses voeux, Célimène t'a fait quelques secrets aveux ? Réponds-moi, je te prie. Laissons la raillerie, Et me dis quel espoir on peut t'avoir donné ? Ô çà, veux-tu, Marquis, pour ajuster nos voeux, Que nous tombions d'accord d'une chose, tous deux ? Que qui pourra montrer une marque certaine, D'avoir meilleure part au Coeur de Célimène, L'autre ici, fera place au Vainqueur prétendu, Et le délivrera d'un Rival assidu ? L'Amour retient nos pas. Non. Fort à propos, Messieurs, vous vous trouvez ici, Et vous êtes mêlés dans cette Affaire, aussi. Vous avez, pour Acaste, écrit ce Billet tendre ? Me voici maintenant, moi. Votre Clitandre, dont vous me parlez, et qui fait tant le Doucereux, est le dernier des Hommes pour qui j'aurais de l'amitié. Il est extravagant de se persuader qu'on l'aime ; et vous l'êtes, de croire qu'on ne vous aime pas. Changez pour être raisonnable, vos Sentiments contre les siens ; et voyez-moi le plus que vous pourrez, pour m'aider à porter le chagrin d'en être obsédée... D'un fort beau Caractère, on voit là, le Modèle, Madame, et vous savez comment cela s'appelle ? Il suffit, nous allons l'un, et l'autre, en tous Lieux, Montrer, de votre Cœur, le Portrait glorieux. **** *creator_moliere *book_moliere_misanthrope *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_misanthrope *dist2_moliere_verse_comedy *id_basque *date_1666 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_basque Acaste est là-bas. Voici Clitandre, encor, Madame. Monsieur, un Homme est là, qui voudrait vous parler, Pour Affaire, dit-il, qu'on ne peut reculer. Il porte une Jaquette, à grand'Basques plissées, Avec du Dor dessus. Arsinoé, Madame, Monte ici, pour vous voir. Éliante, là-bas, est à l'entretenir. **** *creator_moliere *book_moliere_misanthrope *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_misanthrope *dist2_moliere_verse_comedy *id_garde *date_1666 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_garde Monsieur, j'ai deux Mots à vous dire. Messieurs les Maréchaux, dont j'ai commandement, Vous mandent de venir les trouver promptement, Monsieur. Vous-même. **** *creator_moliere *book_moliere_misanthrope *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_misanthrope *dist2_moliere_verse_comedy *id_dubois *date_1666 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_dubois Monsieur… Voici bien des mystères. Nous sommes mal, Monsieur, dans nos Affaires. Parlerai-je haut ? N'est-il point là, quelqu'un… Monsieur, il faut faire retraite. Il faut, d'ici, déloger sans Trompette. Je vous dis qu'il faut quitter ce Lieu. Il faut partir, Monsieur, sans dire adieu. Par la Raison, Monsieur, qu'il faut plier Bagage. Monsieur, un Homme noir, et d'habit, et de mine, Est venu nous laisser, jusque dans la Cuisine, Un Papier griffonné d'une telle façon, Qu'il faudrait, pour le lire, être pis que Démon. C'est de votre Procès, je n'en fais aucun doute, Mais le Diable d'Enfer, je crois, n'y verrait goutte. C'est pour vous dire, ici, Monsieur, qu'une heure ensuite, Un Homme, qui souvent vous vient rendre visite, Est venu vous chercher avec empressement ; Et ne vous trouvant pas, m'a chargé, doucement, Sachant que je vous sers avec beaucoup de zèle, De vous dire… Attendez, comme est-ce qu'il s'appelle ? C'est un de vos Amis, enfin, cela suffit. Il m'a dit que, d'ici, votre Péril vous chasse, Et que, d'être arrêté, le Sort vous y menace. Non, il m'a demandé de l'Encre, et du Papier ; Et vous a fait un Mot, où vous pourrez, je pense, Du fonds de ce mystère, avoir la connaissance. Ma foi, je l'ai, Monsieur, laissé sur votre Table. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_pourceaugnac *date_1669 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_pourceaugnac Hé bien, quoi ? qu'est-ce ? qu'y a-t-il ? Au diantre soit la sotte Ville, et les sottes Gens qui y sont : ne pouvoir faire un pas sans trouver des Nigauds qui vous regardent, et se mettent à rire ! Eh, Messieurs les Badauds, faites vos affaires, et laissez passer les Personnes sans leur rire au nez. Je me donne au Diable, si je ne baille un coup de poing au premier que je verrai rire. Voilà un Homme raisonnable celui-là. Fort bien. Oui. Suis-je tortu, ou bossu ? C'est bien dit. Cela est vrai. Oui, Gentilhomme Limosin. Qui a étudié en Droit. Sans doute. Assurément. Monsieur, je vous suis infiniment obligé. Je suis votre serviteur. C'est trop de grâce que vous me faites. Je vous suis obligé. Ce m'est beaucoup d'honneur. Je suis votre serviteur. Ah, ah. Ah, ah. Ah, ah. Ah, ah. Ah, ah. Ah, ah. Je vous ai beaucoup d'obligation. Je le crois. Je n'en doute point. J'en suis persuadé. C'est ma pensée. C'est fort bien fait : Pour moi j'ai voulu me mettre à la mode de la Cour pour la Campagne. C'est ce que m'a dit mon Tailleur ; l'habit est propre et riche, et il fera du bruit ici. Il faudra bien aller faire ma Cour. Je le crois. Non, j'allais en chercher un. Monsieur, je suis votre serviteur. Pardonnez-moi. Ma foi, je ne sais qui il est. C'est moi qui l'ai reçu, Monsieur. Si fait. Je ne le connais point. Excusez-moi. Je ne sais ce que c'est. Petit-Jean ? Le Cimetière des Arènes ? Excusez-moi, je me le remets. Diable emporte, si je m'en souviens. Mon Frère le Consul ? Il se porte le mieux du monde. Mon cousin l'Assesseur ? Toujours gai et gaillard. Je n'ai point d'Oncle. Non, rien qu'une Tante. Elle est morte depuis six mois. Nous avons aussi mon Neveu le Chanoine, qui a pensé mourir de la petite vérole. Le connaissez-vous aussi ? Pas des plus grands. Eh oui. Oui. Justement. De Saint-Etienne. Il dit toute la Parenté. À ce que je vois, vous avez demeuré longtemps dans notre Ville ? Vous étiez donc là quand mon Cousin l'Élu, fit tenir son Enfant à Monsieur notre Gouverneur ? Cela fut galant. C'était un Repas bien troussé. Vous vîtes donc aussi la querelle que j'eus avec ce Gentilhomme Périgordin ? Parbleu il trouva à qui parler. Il me donna un soufflet, mais je lui dis bien son fait. Je n'ai garde de… Ce serait vous… Je les ai laissées avec mon Valet où je suis descendu. Non : je lui ai défendu de bouger, à moins que j'y fusse moi-même, de peur de quelque fourberie. Ce Pays-ci est un peu sujet à caution. Voilà une connaissance où je ne m'attendais point. C'est son Maître d'Hôtel, et il faut que ce soit un Homme de qualité. Mon Dieu, il ne me faut point tant de cérémonies, et je ne viens pas ici pour incommoder. Non, s'il vous plaît, je n'entends pas que vous fassiez de dépense, et que vous envoyiez rien acheter pour moi. Je vous demande de ne me traiter qu'en Ami. Vous vous moquez, et c'est trop de grâce que vous me faites. Je suis votre serviteur. Il ne faut point tant de façons, vous dis-je, et je suis Homme à me contenter de l'ordinaire. Voilà, pour un jeune Homme, des Domestiques bien lugubres ! Votre très humble valet. Que veut dire cela ? Oui, et bois encore mieux. Oui, quand j'ai bien soupé. Quelquefois. De la nature des songes. Quelle diable de conversation est-ce là ? Ma foi, je ne comprends rien à toutes ces questions, et je veux plutôt boire un coup. Quel grand raisonnement faut-il pour manger un morceau ? Messieurs, il y a une heure que je vous écoute. Est-ce que nous jouons ici une Comédie ? Qu'est-ce que tout ceci ? et que voulez-vous dire avec votre galimatias et vos sottises ? Avec qui m'a-t-on mis ici ? Laissons cela, et sortons d'ici. Qu'est-ce donc que toute cette affaire ? et que me voulez-vous ? Me guérir. Parbleu je ne suis pas malade. Je vous dis que je me porte bien. Si vous êtes Médecins, je n'ai que faire de vous ; et je me moque de la Médecine. Mon Père et ma Mère n'ont jamais voulu de remèdes, et ils sont morts tous deux sans l'assistance des Médecins. Que Diable est-ce là ? Les Gens de ce Pays-ci sont-ils insensés ? Je n'ai jamais rien vu de tel, et je n'y comprends rien du tout. Comment ? Je n'ai que faire de cela. Ah, que de bruit. Ah. Allez-vous-en au Diable. Piglialo su, piglialo su, Signor Monsù. Que diable est-ce là ? Ah ! Tout ce que je vois, me semble Lavement. Vous ne savez pas ce qui m'est arrivé dans ce Logis à la porte duquel vous m'avez conduit ? Je pensais y être régalé comme il faut. Je vous laisse entre les mains de Monsieur. Des Médecins habillés de noir. Dans une chaise. Tâter le pouls. Comme ainsi soit. Il est fou. Deux gros joufflus. Grands chapeaux. Buon dì, buon dì.Six Pantalons. Ta, ra, ta, ta : Ta, ra, ta, ta. Allegramente Monsù Pourceaugnac. Apothicaire. Lavement. Prenez, Monsieur, prenez, prenez. Il est bénin, bénin, bénin. C'est pour déterger, pour déterger, déterger. Piglialo su, Signor Monsù, piglialo, piglialo, piglialo su. Jamais je n'ai été si soûl de sottises. Cela veut dire que cet Homme-là, avec ses grandes embrassades, est un Fourbe qui m'a mis dans une Maison pour se moquer de moi, et me faire une pièce. Sans doute, ils étaient une douzaine de Possédés après mes chausses ; et j'ai eu toutes les peines du monde à m'échapper de leurs pattes. Ne sens-je point le Lavement ? Voyez, je vous prie. J'ai l'odorat et l'imagination tout rempli de cela, et il me semble toujours que je vois une douzaine de Lavements qui me couchent en joue. Enseignez-moi, de grâce, le Logis de Monsieur Oronte ; je suis bien aise d'y aller tout à l'heure. Oui, je viens l'épouser. Oui. De quelle façon donc ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Mais encore ? Je vous prie de me dire ce qu'il y a là-dessous. De grâce. Est-ce que vous n'êtes pas de mes Amis ? Vous devez donc ne me rien cacher. Afin de vous obliger à m'ouvrir votre cœur, voilà une petite Bague que je vous prie de garder pour l'amour de moi. L'on me veut donc prendre pour dupe ? Je suis votre serviteur, je ne me veux point mettre sur la tête un chapeau comme celui-là, et l'on aime à aller le front levé dans la Famille des Pourceaugnac. Ce Vieillard-là ? Bonjour, Monsieur, bonjour. Vous êtes Monsieur Oronte, n'est-ce pas ? Et moi, Monsieur de Pourceaugnac. Croyez-vous, Monsieur Oronte, que les Limosins soient des sots ? Vous imaginez-vous, Monsieur Oronte, qu'un Homme comme moi soit si affamé de Femme ? Tu-dieu, quelle Galante ! Comme elle prend feu d'abord ! Ho, ho, quelle égrillarde ! Vertu de ma vie ! Comme nous lui plaisons ! Elle voudrait bien me tenir. Mon Dieu, notre Beau-père prétendu, ne vous fatiguez point tant ; on n'a pas envie de vous enlever votre Fille, et vos grimaces n'attraperont rien. Vous êtes-vous mis dans la tête que Léonard de Pourceaugnac soit un Homme à acheter Chat en poche ? Et qu'il n'ait pas là-dedans quelque morceau de judiciaire pour se conduire, pour se faire informer de l'histoire du Monde, et voir en se mariant, si son honneur a bien toutes ses sûretés ? C'est une pièce que l'on m'a faite, et je n'ai aucun mal. Le Médecin en a menti ; je suis Gentilhomme, et je le veux voir l'épée à la main. Quelles dettes ? Quel Marchand Flamand ? quels Créanciers ? quelle Sentence obtenue contre moi ? Qu'est-ce que veut cette Femme-là ? Que Diable est-ce ci ? Voilà une étrange effrontée ! Moi, je suis votre Mari ? Je ne connais rien à tout ceci. Encore ! Il est aussi vrai l'un que l'autre. Voilà deux impudentes carognes ! Diantre soit des petits Fils de Putains. Au secours, au secours, où fuirai-je ? je n'en puis plus. Ah je suis assommé. Quelle peine ! Quelle maudite Ville ! Assassiné de tous côtés ! Oui. Il pleut en ce Pays des Femmes et des Lavements. Deux carognes de baragouineuses me sont venues accuser de les avoir épousées toutes deux, et me menacent de la justice. Oui : Mais quand il y aurait Information, Ajournement, Décret, et Jugement obtenu par surprise, Défaut et Contumace, j'ai la voie de Conflit de Juridiction, pour temporiser et venir aux Moyens de nullité qui seront dans les Procédures. Moi, point du tout, je suis Gentilhomme. Point, ce n'est que le sens commun qui me fait juger que je serai toujours reçu à mes Faits justificatifs, et qu'on ne me saurait condamner sur une simple accusation, sans un récolement et confrontation avec mes Parties. Ces mots-là me viennent sans que je les sache. Ce sont quelques mots que j'ai retenus en lisant les Romans. Pour vous montrer que je n'entends rien du tout à la Chicane, je vous prie de me mener chez quelque Avocat pour consulter mon Affaire. Qu'importe comme ils parlent, pourvu qu'ils me disent ce que je veux savoir. Voilà qui m'étonne, qu'en ce Pays-ci les formes de la Justice ne soient point observées. Voilà une Justice bien injuste. Mais quand on est innocent ? Qu'est-ce que les Limosins leur ont fait ? Ce n'est pas tant la peur de la mort qui me fait fuir, que de ce qu'il est fâcheux à un Gentilhomme d'être pendu, et qu'une preuve comme celle-là ferait tort à nos Titres de Noblesse. Laissez-moi faire, j'ai vu les Personnes du bel air ; tout ce qu'il y a, c'est que j'ai un peu de barbe. Allons donc, mon Carrosse ; où est-ce qu'est mon Carrosse ? Mon Dieu, qu'on est misérable, d'avoir des Gens comme cela ! Est-ce qu'on me fera attendre toute la journée sur le pavé, et qu'on ne me fera point venir mon Carrosse ? Holà ! ho, Cocher, petit Laquais. Ah petit fripon, que de coups de fouet je vous ferai donner tantôt ! Petit Laquais, petit Laquais ; où est-ce donc qu'est ce petit Laquais ? ce petit Laquais ne se trouvera-t-il point ? ne me fera-t-on point venir ce petit Laquais ? est-ce que je n'ai point un petit Laquais dans le monde ? Que deviendrai-je cependant ? J'attends mes Gens, Messieurs. Doucement, Messieurs. Je vous rends grâce. Je n'ai pas de curiosité. Tout beau. Ah c'en est trop, et ces sortes d'ordures-là ne se disent point à une Femme de ma condition. Au secours, à la force. Je vous suis bien obligée, Monsieur, de m'avoir délivrée de ces insolents. Ce n'est pas moi, je vous assure. Je ne sais pas. Pour rien. Eh, Monsieur, de grâce. Hélas ! Ils m'ont reconnu. Ah maudite Ville ! Mais… Ah ! Adieu. Voilà le seul honnête Homme que j'ai trouvé en cette Ville. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_oronte *date_1669 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_oronte Oui, je l'attends de Limoges, et il devrait être arrivé. Comment donc ? Il a quelque mal ? Et quel mal, s'il vous plaît ? Est-ce quelque mal… Je n'ai garde, si cela est, de faire le Mariage. À la bonne heure. J'y consens. Je le veux bien. Je me porte bien. Prenez qui vous voudrez, mais ce ne sera pas moi. Voyez un peu la belle raison. Quoi, Monsieur ? Dites-moi, Monsieur, ce que vous voulez. Soit. Qu'y a-t-il, Monsieur ? Oui, je le connais. C'est un Homme comme les autres. Oui. Oui. Mais pourquoi cela ? Mais encore, pourquoi ? Hé bien. Ce Monsieur de Pourceaugnac doit beaucoup à dix ou douze Marchands ? Hon, hon, il a remis là à payer ses Créanciers ? L'avis n'est pas mauvais. Je vous donne le bonjour. Votre très humble valet. Serviteur, Monsieur, serviteur. Oui. À la bonne heure. Croyez-vous, Monsieur de Pourceaugnac, que les Parisiens soient des bêtes ? Vous imaginez-vous, Monsieur de Pourceaugnac, qu'une Fille comme la mienne soit si affamée de Mari ? Doucement, ma Fille, doucement. Je voudrais bien savoir, Monsieur de Pourceaugnac, par quelle raison vous venez… Ah, ma Fille, ôtez-vous de là, vous dis-je. Je voudrais bien, dis-je, savoir par quelle raison, s'il vous plaît, vous avez la hardiesse de… Encore, qu'est-ce à dire cela ? Non : rentrez là -dedans. Rentrez, vous dis-je. Je ne veux pas, moi ; et si tu ne rentres tout à l'heure, je… Ma Fille est une sotte, qui ne sait pas les choses. Tu ne veux pas te retirer ? Jamais ; et tu n'es pas pour lui. Si je te l'ai promis, je te le dépromets. Je vous en empêcherai bien tous deux, je vous assure. Voyez un peu quel vertigo lui prend. Toutes les vôtres n'auront pas grand effet. Je ne sais pas ce que cela veut dire : mais vous êtes-vous mis dans la tête, qu'un Homme de soixante et trois ans ait si peu de cervelle, et considère si peu sa fille, que de la marier avec un Homme qui a ce que vous savez, et qui a été mis chez un Médecin pour être pansé ? Le Médecin me l'a dit lui-même. Je sais ce que j'en dois croire, et vous ne m'abuserez pas là-dessus, non plus que sur les dettes que vous avez assignées sur le Mariage de ma Fille. La feinte ici est inutile, et j'ai vu le Marchand Flamand, qui, avec les autres Créanciers, a obtenu depuis huit mois Sentence contre vous. Vous savez bien ce que je veux dire. Oh, Oh. Je ne saurais m'empêcher de pleurer. Allez, vous êtes un méchant Homme. Quel diable d'Homme est-ce ci ? Allez, vous ferez bien de le faire punir, et il mérite d'être pendu. Qu'est-ce ? quel malheur me présages-tu ? Il m'enlève ma Fille ! Allons vite à la Justice. Des Archers après eux. Ah infâme que tu es ! Taisez-vous ! Vous êtes une impertinente, et je sais mieux que vous ce qui en est. Taisez-vous, vous dis-je ? vous êtes une sotte. Je vous suis, Seigneur Éraste, infiniment obligé. Arrêtez, Seigneur Éraste ; votre procédé me touche l'âme, et je vous donne ma Fille en mariage. Et je veux, moi, tout à l'heure, que tu prennes le Seigneur Éraste. Çà, la main. Je te donnerai sur les oreilles. C'est à elle à m'obéir, et je sais me montrer le Maître. C'est un sortilège qu'il lui a donné, et vous verrez qu'elle changera de sentiment avant qu'il soit peu. Donnez-moi votre main. Allons. Ah que de bruit. Çà, votre main, vous dis-je. Ah, ah, ah. Je vous suis beaucoup obligé, et j'augmente de dix mille écus le Mariage de ma Fille. Allons, qu'on fasse venir le Notaire pour dresser le Contrat. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_julie *date_1669 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_julie Mon Dieu, Éraste, gardons d'être surpris ; je tremble qu'on ne nous voie ensemble ; et tout serait perdu, après la défense que l'on m'a faite. Aie aussi l'œil au guet, Nérine, et prends bien garde qu'il ne vienne personne. Avez-vous imaginé pour notre affaire quelque chose de favorable ? et croyez-vous, Éraste, pouvoir venir à bout de détourner ce fâcheux Mariage que mon Père s'est mis en tête ? Ah séparons-nous vite. Mon Dieu, Nérine, que tu es sotte, de nous donner de ces frayeurs ! S'il ne tient qu'à cela, les choses iront à merveille. Je déclarerai à mon Père mes véritables sentiments. Je le menacerais de me jeter dans un Convent. Que voulez-vous que je vous dise ? Oui. Mais quoi ? Mon Dieu, Éraste, contentez-vous de ce que je fais maintenant, et n'allez point tenter sur l'avenir les résolutions de mon cœur : ne fatiguez point mon devoir par les propositions d'une fâcheuse extrémité dont peut-être n'aurons-nous pas besoin ; et s'il y faut venir, souffrez au moins que j'y sois entraînée par la suite des choses. On vient de me dire, mon Père, que Monsieur de Pourceaugnac est arrivé. Ah le voilà sans doute, et mon cœur me le dit. Qu'il est bien fait ! qu'il a bon air ! et que je suis contente d'avoir un tel Époux ! Souffrez que je l'embrasse, et que je lui témoigne… Que je suis aise de vous voir ! et que je brûle d'impatience… Ne voulez-vous pas que je caresse l'Époux que vous m'avez choisi ? Laissez-moi le regarder. Je veux demeurer là, s'il vous plaît. Hé bien, je rentre. Quand est-ce donc que vous me marierez avec Monsieur ? Je le veux avoir, moi, puisque vous me l'avez promis. Vous avez beau faire, nous serons mariés ensemble en dépit de tout le monde. Hé bien ! oui, j'ai conçu de l'amour pour lui, et je l'ai voulu suivre, puisque mon Père me l'avait choisi pour Époux. Quoi que vous me disiez, c'est un fort honnête Homme ; et tous les crimes dont on l'accuse, sont faussetés épouvantables. Ce sont sans doute des pièces qu'on lui fait, et c'est peut-être lui qui a trouvé cet artifice pour vous en dégoûter. Oui, vous. Je ne veux point d'autre Mari que Monsieur de Pourceaugnac. Non, je n'en ferai rien. Je ne… **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_nerine *date_1669 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_nerine Reposez-vous sur moi, et dites hardiment ce que vous avez à vous dire. Par ma foi, voilà votre Père ! Non, non, non, ne bougez, je m'étais trompée. Assurément.Votre Père se moque-t-il de vouloir vous anger de son Avocat de Limoges, Monsieur de Pourceaugnac, qu'il n'a vu de sa vie, et qui vient par le Coche vous enlever à notre barbe ? Faut-il que trois ou quatre mille écus de plus, sur la parole de votre Oncle, lui fassent rejeter un Amant qui vous agrée ? Et une Personne comme vous, est-elle faite pour un Limosin ? S'il a envie de se marier, que ne prend-il une Limosine, et ne laisse-t-il en repos les Chrétiens ? Le seul nom de Monsieur de Pourceaugnac m'a mis dans une colère effroyable.J'enrage de Monsieur de Pourceaugnac.Quand il n'y aurait que ce nom-là, Monsieur de Pourceaugnac, j'y brûlerai mes Livres, ou je romprai ce Mariage, et vous ne serez point Madame de Pourceaugnac.Pourceaugnac ! cela se peut-il souffrir ? Non, Pourceaugnac est une chose que je ne saurais supporter, et nous lui jouerons tant de pièces, nous lui ferons tant de niches sur niches, que nous renverrons à Limoges Monsieur de Pourceaugnac. Madame, voilà un Illustre, votre affaire ne pouvait être mise en de meilleures mains, et c'est le Héros de notre Siècle pour les exploits dont il s'agit : Un Homme qui vingt fois en sa vie pour servir ses Amis, a généreusement affronté les Galères ; qui au péril de ses bras et de ses épaules, sait mettre noblement à fin les aventures les plus difficiles ; et qui, tel que vous le voyez, est exilé de son Pays pour je ne sais combien d'actions honorables qu'il a généreusement entreprises. Ce sont petites bagatelles qui ne valent pas qu'on en parle, et vos éloges me font rougir. Ah comme il est bâti ! Ah je n'en pis plus, je sis toute essoflée. Ah finfaron, tu m'as bien fait courir, tu ne m'écaperas mie. Justice, justice ; je boute empeschement au Mariage. Chés mon Mery, Monsieur, et je veux faire pindre che bon pindar-là. Oui, Medeme, et je sis sa Femme. Je n'entains mie che baragoin-là. Sa Femme ? Je vous dis que chest my, encore in coup, qui le sis. Il y a quetre ans qu'il m'a éposée. J'ay des gairents de tout ce que je dy. No Ville en est témoin. Tout Chin-Quentin a assisté à no Noce. Il gn'y a rien de plus chertain. Est-che que tu me démaintiras, méchaint Homme ? Bayez un peu l'insolence. Quoy, tu ne te souviens mie de chette pauvre ainfain, no petite Madelaine, que tu m'as laichée pour gaige de ta foy ? Venez, Madelaine, me n'ainfain, venez-ves-en ichy faire honte à vo père de l'inpudainche qu'il a. Ne rougis-tu mie de dire ches mots-là, et d'estre insainsible aux cairesses de chette pauvre ainfain ? Tu ne te sauveras mie de mes pates ; et en dépit de tes dains ; je feray bien voir que je sis ta Femme, et je te feray pindre. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_lucette *date_1669 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_lucette Ah ! tu es assy, et à la fy yeu te trobi aprés abé fait tant de passés. Podes-tu, scélérat, podes-tu sousteni ma bisto ? Que te boli, infame ! Tu fas semblan de nou me pas connouysse, et nou rougisses pas, impudent que tu sios, nou rougisses pas de me beyre ? Nou sabi pas, Moussur, saquos bous dont m'an dit que bouillo espousa la Fillo ; may yeu bous declari que yeu soun sa Fenno, et que ya set ans, Moussur, qu'en passan à Pezenas el auguet l'adresse dambé sas mignardisos, commo sap tapla fayre, de me gaigna lou cor, et m'oubligel pra quel mouyen à ly douna la ma per l'espousa. Lou trayté me quitel trés ans aprés, sul preteste de qualques affayres que l'apelabon dins soun Païs, et despey noun ly resçauput quaso de noubelo ; may dins lou tens qui soungeabi lou mens, m'an dounat abist, que begnio dins aquesto Bilo, per se remarida danbé un autro joüena Fillo, que sous Parens ly an proucurado, sensse saupré res de sou prumié mariatge.Yeu ay tout quitat en diligensso, et me souy rendu dodins aqueste Loc lou pu leu qu'ay pouscut, per m'oupousa en aquel criminel mariatge, et confondre as elys de tout le mounde lou plus méchant des Hommes. Impudent, n'as pas honte de m'injuria, alloc d'estre confus day reproches secrets que ta conssiensso te deu fayre ? Infame, gausos-tu dire lou contrari ? He tu sabes be, per ma penno, que n'es que trop bertat ; et plaguesso al Cel qu'aco nou fougesso pas, et que m'auquesso layssado dins l'estat d'innoussenço et dins la tranquillitat oun moun amo bibio daban que tous charmes et tas trounpariés oun m'en benguesson malhurousomen fayre sourty ; yeu nou serio pas reduito à fayré lou tristé perssounatgé qu'yeu fave presentomen ; à beyre un Marit cruel mespresa touto l'ardou qu'yeu ay per el, et me laissa sensse cap de pietat abandounado à las mourtéles doulous que yeu ressenty de sas perfidos acciûs. Et que boulés-bous dire, ambe bostre empachomen, et bostro pendarié ? Quaquel Homo es bostre Marit ? Aquo es faus, aquos yeu que soun sa Fenno ; et se deû estre pendut, aquo sera yeu que lou faray penda. Yeu bous disy que yeu soun sa Fenno. Oy. Et yeu bous sousteni yeu, qu'aquos yeu. Et yeu set ans y a que m'a preso per Fenno. Tout mon Païs lo sap. Tout Pézenas a bist nostre mariatge. Nou y a res de tan beritable. Gausos-tu dire lou contrari, valisquos ? Quaign'inpudensso ! Et coussy, miserable, nou te soubenes plus de la pauro Françon, et del paure Jeanet, que soun lous fruits de nostre mariatge ? Beny Françon, beny, Jeanet, beny, toustou, beny, toustoune, beny fayre beyre à un Payre dénaturat la duretat qu'el a per nautres. Coussy, trayte, tu nou sios pas dins la darnière confusiu, de ressaupre à tal tous Enfants, et de ferma l'aureillo à la tendresso paternello ? Tu nou m'escaperas pas, infame, yeu te boly seguy per tout, et te reproucha ton crime jusquos à tant que me sio beniado, et que t'ayo fayt penia, couqui, te boli fayré penia. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_eraste *date_1669 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_eraste Je regarde de tous côtés, et je n'aperçois rien. Au moins y travaillons-nous fortement ; et déjà nous avons préparé un bon nombre de Batteries pour renverser ce dessein ridicule. Oui, belle Julie, nous avons dressé pour cela quantité de Machines, et nous ne feignons point de mettre tout en usage, sur la permission que vous m'avez donnée.Ne nous demandez point tous les ressorts que nous ferons jouer, vous en aurez le divertissement ; et comme aux Comédies, il est bon de vous laisser le plaisir de la surprise, et de ne vous avertir point de tout ce qu'on vous fera voir, c'est assez de vous dire que nous avons en main divers stratagèmes tous prêts à produire dans l'occasion, et que l'ingénieuse Nérine et l'adroit Sbrigani entreprennent l'affaire. Voici notre subtil Napolitain, qui nous dira des nouvelles. Nous dis-tu vrai ? Au moins, Madame, souvenez-vous de votre Rôle ; et pour mieux couvrir notre jeu, feignez, comme on vous a dit, d'être la plus contente du monde des résolutions de votre Père. Mais, belle Julie, si toutes nos Machines venaient à ne pas réussir ? Et si contre vos sentiments il s'obstinait à son dessein ? Mais si malgré tout cela il voulait vous forcer à ce Mariage ? Ce que je veux que vous me disiez ? Ce qu'on dit quand on aime bien. Que rien ne pourra vous contraindre, et que malgré tous les efforts d'un Père, vous me promettez d'être à moi. Eh bien… Ah qu'est-ce ci ! que vois-je ! Quelle heureuse rencontre ! Monsieur de Pourceaugnac ! que je suis ravi de vous voir ! Comment ? il semble que vous ayez peine à me reconnaître ? Est-il possible que cinq ou six années m'aient ôté de votre mémoire ? et que vous ne reconnaissiez pas le meilleur Ami de toute la Famille des Pourceaugnac ? Il n'y a pas un Pourceaugnac à Limoges que je ne connaisse depuis le plus grand jusques au plus petit ; je ne fréquentais qu'eux dans le temps que j'y étais, et j'avais l'honneur de vous voir presque tous les jours. Vous ne vous remettez point mon visage ? Vous ne vous ressouvenez pas que j'ai eu le bonheur de boire avec vous je ne sais combien de fois ? Comment appelez-vous ce Traiteur de Limoges qui fait si bonne chère ? Le voilà.Nous allions le plus souvent ensemble chez lui nous réjouir. Comment est-ce que vous nommez à Limoges ce Lieu où l'on se promène ? Justement ; c'est où je passais de si douces heures à jouir de votre agréable Conversation. Vous ne vous remettez pas tout cela ? Embrassez-moi donc, je vous prie, et resserrons les nœuds de notre ancienne amitié. Dites-moi un peu des nouvelles de toute la Parenté : Comment se porte Monsieur votre… là… qui est si honnête Homme ? Oui. Certes j'en suis ravi. Et celui qui est de si bonne humeur ? là… Monsieur votre… ? Justement. Ma foi, j'en ai beaucoup de joie. Et Monsieur votre Oncle ? le… Vous aviez pourtant en ce temps-là… C'est ce que je voulais dire, Madame votre Tante ; comment se porte-t-elle ? Hélas la pauvre Femme ! elle était si bonne personne. Quel dommage ç'aurait été ! Vraiment si je le connais ! Un grand Garçon bien fait. Non, mais de taille bien prise. Qui est votre Neveu… Fils de votre Frère et de votre Sœur… Chanoine de l'Église de… comment l'appelez-vous ? Le voilà, je ne connais autre. Deux ans entiers. Vraiment oui, j'y fus convié des premiers. Très galant. Sans doute. Oui. Ah, ah. Assurément. Au reste, je ne prétends pas que vous preniez d'autre Logis que le mien. Vous moquez-vous ? Je ne souffrirai point du tout que mon meilleur Ami soit autre part que dans ma Maison. Non : le Diable m'emporte, vous logerez chez moi. Où sont vos hardes ? Envoyons-les quérir par quelqu'un. On voit les Gens d'esprit en tout. Oui, je serai bien aise de donner quelques ordres, et vous n'avez qu'à revenir à cette Maison-là. Je vous attends avec impatience. Ma foi, Monsieur de Pourceaugnac, nous vous en donnerons de toutes les façons ; les choses sont préparées, et je n'ai qu'à frapper. Je crois, Monsieur, que vous êtes le Médecin à qui l'on est venu parler de ma part. Et Monsieur le Médecin est-il à la Maison ? Non, ne bougez : j'attendrai qu'il ait fait ; c'est pour lui mettre entre les mains certain Parent que nous avons, dont on lui a parlé, et qui se trouve attaqué de quelque folie, que nous serions bien aises qu'il pût guérir avant que de le marier. Il fait fort bien ; un Malade ne doit point vouloir guérir, que la Faculté n'y consente. C'est une grande consolation pour un Défunt. En effet, il n'est rien tel que de sortir promptement d'affaire. Vous avez raison. Il est bon d'avoir des Amis comme cela. Voilà des soins fort obligeants. C'est moi, Monsieur, qui vous ai envoyé parler ces jours passés pour un Parent un peu troublé d'esprit, que je veux vous donner chez vous, afin de le guérir avec plus de commodité, et qu'il soit vu de moins de monde. Le voici. Une petite affaire m'est survenue, qui m'oblige à vous quitter ; mais voilà une Personne entre les mains de qui je vous laisse, qui aura soin pour moi de vous traiter du mieux qu'il lui sera possible. Voilà toujours six Pistoles d'avance, en attendant ce que j'ai promis. Mon Dieu, laissez faire, ce n'est pas pour ce que vous pensez. C'est ce que je veux faire. Je vous recommande surtout de ne le point laisser sortir de vos mains, car parfois il veut s'échapper. Je vous prie de m'excuser, de l'incivilité que je commets. Je voudrais bien le voir en cet équipage. Oui. Fort bien. Cela va le mieux du monde. Allons, vous viendrez malgré vous, et je veux vous remettre entre les mains de votre Père. Tenez, Monsieur, voilà votre Fille que j'ai tirée de force d'entre les mains de l'Homme avec qui elle s'enfuyait ; non pas pour l'amour d'elle, mais pour votre seule considération : car après l'action qu'elle a faite, je dois la mépriser, et me guérir absolument de l'amour que j'avais pour elle. Comment ? me traiter de la sorte, après toutes les marques d'amitié que je vous ai données ! Je ne vous blâme point de vous être soumise aux volontés de Monsieur votre Père ; il est sage et judicieux dans les choses qu'il fait, et je ne me plains point de lui de m'avoir rejeté pour un autre. S'il a manqué à la parole qu'il m'avait donnée, il a ses raisons pour cela. On lui a fait croire que cet autre est plus riche que moi de quatre ou cinq mille écus ; et quatre ou cinq mille écus est un denier considérable, et qui vaut bien la peine qu'un Homme manque à sa parole : Mais oublier en un moment toute l'ardeur que je vous ai montrée, vous laisser d'abord enflammer d'amour pour un nouveau venu, et le suivre honteusement sans le consentement de Monsieur votre Père, après les crimes qu'on lui impute, c'est une chose condamnée de tout le monde, et dont mon cœur ne peut vous faire d'assez sanglants reproches. Moi, je serais capable de cela ! Non, non, ne vous imaginez pas que j'aie aucune envie de détourner ce Mariage, et que ce soit ma passion qui m'ait forcé à courir après vous. Je vous l'ai déjà dit, ce n'est que la seule considération que j'ai pour Monsieur votre Père, et je n'ai pu souffrir qu'un honnête Homme comme lui fût exposé à la honte de tous les bruits qui pourraient suivre une action comme la vôtre. Adieu, Monsieur, j'avais toutes les ardeurs du monde d'entrer dans votre Alliance ; j'ai fait tout ce que j'ai pu pour obtenir un tel honneur, mais j'ai été malheureux, et vous ne m'avez pas jugé digne de cette grâce. Cela n'empêchera pas que je ne conserve pour vous les sentiments d'estime et de vénération où votre Personne m'oblige ; et si je n'ai pu être votre Gendre, au moins serai-je éternellement votre Serviteur. Non, non, Monsieur, ne lui faites point de violence, je vous en prie. Ne voyez-vous pas l'amour qu'elle a pour cet Homme-là ? Et voulez-vous que je possède un Corps, dont un autre possédera le cœur ? Ne croyez pas que ce soit pour l'amour de vous que je vous donne la main ; ce n'est que de Monsieur votre Père dont je suis amoureux, et c'est lui que j'épouse. En attendant qu'il vienne, nous pouvons jouir du divertissement de la Saison, et faire entrer les Masques que le bruit des Noces de Monsieur de Pourceaugnac a attirés ici de tous les endroits de la Ville. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_sbrigani *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_sbrigani Monsieur, votre Homme arrive, je l'ai vu à trois lieues d'ici, où a couché le Coche ; et dans la Cuisine où il est descendu pour déjeuner, je l'ai étudié une bonne grosse demie heure, et je le sais déjà par cœur. Pour sa figure, je ne veux point vous en parler, vous verrez de quel air la Nature l'a dessinée, et si l'ajustement qui l'accompagne y répond comme il faut : mais pour son Esprit, je vous avertis par avance qu'il est des plus épais qui se fassent ; que nous trouvons en lui une matière tout à fait disposée pour ce que nous voulons, et qu'il est Homme enfin à donner dans tous les panneaux qu'on lui présentera. Oui, si je me connais en Gens. Je suis confus des louanges dont vous m'honorez, et je pourrais vous en donner avec plus de justice sur les merveilles de votre vie ; et principalement sur la gloire que vous acquîtes, lorsqu'avec tant d'honnêteté vous pipâtes au jeu, pour douze mille écus, ce jeune Seigneur étranger que l'on mena chez vous ; lorsque vous fîtes galamment ce faux Contrat qui ruina toute une Famille ; lorsque avec tant de grandeur d'âme vous sûtes nier le dépôt qu'on vous avait confié ; et que si généreusement on vous vit prêter votre témoignage à faire pendre ces deux Personnes qui ne l'avaient pas mérité. Je veux bien épargner votre modestie ; laissons cela ; et pour commencer notre affaire, allons vite joindre notre Provincial, tandis que de votre côté vous nous tiendrez prêts au besoin les autres Acteurs de la Comédie. Ma foi, voici notre Homme, songeons à nous. Qu'est-ce que c'est, Messieurs ? que veut dire cela ? à qui en avez-vous ? faut-il se moquer ainsi des honnêtes Étrangers qui arrivent ici ? Quel procédé est le vôtre ? et qu'avez-vous à rire ? Monsieur a-t-il quelque chose de ridicule en soi ? Est-il autrement que les autres ? Apprenez à connaître les Gens. Monsieur est d'une mine à respecter. Personne de condition. Homme d'esprit. Il vous fait trop d'honneur, de venir dans votre Ville. Monsieur n'est point une Personne à faire rire. Et quiconque rira de lui, aura affaire à moi. Je suis fâché, Monsieur, de voir recevoir de la sorte une Personne comme vous, et je vous demande pardon pour la Ville. Je vous ai vu ce matin, Monsieur, avec le Coche, lorsque vous avez déjeuné ; et la grâce avec laquelle vous mangiez votre pain, m'a fait naître d'abord de l'amitié pour vous : Et comme je sais que vous n'êtes jamais venu en ce Pays, et que vous y êtes tout neuf, je suis bien aise de vous avoir trouvé pour vous offrir mon service à cette arrivée, et vous aider à vous conduire parmi ce Peuple, qui n'a pas parfois pour les honnêtes Gens toute la considération qu'il faudrait. Je vous l'ai déjà dit ; du moment que je vous ai vu, je me suis senti pour vous de l'inclination. Votre physionomie m'a plu. J'y ai vu quelque chose d'honnête. Quelque chose d'aimable. De gracieux. De doux. De majestueux. De franc. Et de cordial. Je vous assure que je suis tout à vous. C'est du fond du cœur que je parle. Si j'avais l'honneur d'être connu de vous, vous sauriez que je suis un Homme tout à fait sincère. Ennemi de la fourberie. Et qui n'est pas capable de déguiser ses sentiments. Vous regardez mon habit qui n'est pas fait comme les autres ; mais je suis originaire de Naples, à votre service, et j'ai voulu conserver un peu et la manière de s'habiller, et la sincérité de mon Pays. Ma foi, cela vous va mieux qu'à tous nos Courtisans. Sans doute. N'irez-vous pas au Louvre ? Le Roi sera ravi de vous voir. Avez-vous arrêté un Logis ? Je serai bien aise d'être avec vous pour cela, et je connais tout ce Pays-ci. Il y a cent choses comme cela qui passent de la tête. Voilà un Homme qui vous aime fort. Il vous connaît plus que vous ne croyez. Puisqu'il le veut obstinément, je vous conseille d'accepter l'offre. C'est prudemment avisé. Je vais accompagner Monsieur, et le ramènerai où vous voudrez. Nous sommes à vous tout à l'heure. Il a la mine d'être honnête Homme. C'est être bien ennemi de soi-même, que de fuir des remèdes aussi salutaires que les vôtres. Vous l'auriez guéri haut la main. Cependant voilà cinquante Pistoles bien acquises, qu'il vous fait perdre. Vous avez raison, vos remèdes étaient un coup sûr, et c'est de l'argent qu'il vous vole. Chez le bon Homme Oronte, assurément, dont il vient épouser la Fille, et qui ne sachant rien de l'infirmité de son Gendre futur, voudra peut-être se hâter de conclure le Mariage. Vous ne ferez point mal. C'est fort bien dit à vous ; et si vous m'en croyez, vous ne souffrirez point qu'il se marie, que vous ne l'ayez pansé tout votre soûl. Je vais de mon côté dresser une autre batterie, et le Beau-père est aussi dupe que le Gendre. Montsir, avec le Vostre permissione, je suisse un Trancher Marchant Flamane, qui voudrait bienne vous temandair un petit nouvel. Mettez le vostre chapeau sur le teste, Montsir, si ve plaist. Moi le dire rien, Montsir, si vous le mettre pas le chapeau sur le teste. Fous connaistre point en sti File un certe Montsir Oronte ? Et quel Homme est-ile, Montsir, si ve plaist ? Je vous temande, Montsir, s'il est un Homme riche qui a du bienne ? Mais riche beaucoup grandement, Montsir ? J'en suis aise beaucoup, Montsir. L'est, Montsir, pour un petit raisonne de conséquence pour nous. L'est, Montsir, que sti Montsir Oronte donne son Fille en mariage à un certe Montsir de Pourcegnac. Et sti Montsir de Pourcegnac, Montsir, l'est un Homme que doivre beaucoup grandement à dix ou douze Marchanne Flamane qui estre venu ici. Oui, Montsir ; et depuis huite mois, nous avoir obtenir un petit Santence contre lui, et lui à remettre à payer tou ce Créanciers de sti Mariage que sti Montsir Oronte donne pour son Fille. Oui, Montsir, et avec un grant dévotion nous tous attendre sti Mariage. Je remercie, Montsir, de la faveur grande. Je le suis, Montsir, obliger plus que beaucoup du bon nouvel que Montsir m'avoir donné. Cela ne va pas mal ; quittons notre ajustement de Flamand, pour songer à d'autres machines ; et tâchons de semer tant de soupçons et de division entre le Beau-père et le Gendre, que cela rompe le Mariage prétendu. Tous deux également sont propres à gober les hameçons qu'on leur veut tendre ; et entre nous autres Fourbes de la première Classe, nous ne faisons que nous jouer, lorsque nous trouvons un Gibier aussi facile que celui-là. Qu'est-ce, Monsieur, qu'avez-vous ? Comment ? Non vraiment, qu'est-ce que c'est ? Hé bien ? Qu'est-ce que tout cela veut dire ? Cela est-il possible ? Voyez un peu, les mines sont bien trompeuses ! Je l'aurais cru le plus affectionné de vos Amis. Voilà un de mes étonnements, comme il est possible qu'il y ait des Fourbes comme cela dans le Monde. Eh il y a quelque petite chose qui approche de cela. Voilà une méchanceté bien grande ! et les Hommes sont bien traîtres et scélérats ! Ah, ah, vous êtes donc de complexion amoureuse, et vous avez ouï parler que ce Monsieur Oronte a une Fille… L'é… L'épouser ? En mariage ? Ah c'est une autre chose, et je vous demande pardon. Rien. Rien, vous dis-je ; j'ai un peu parlé trop vite. Non, cela n'est pas nécessaire. Point, je vous prie de m'en dispenser. Si fait, on ne peut pas l'être davantage. C'est une chose où il y va de l'intérêt du prochain. Laissez-moi consulter un peu si je le puis faire en conscience. C'est un Homme qui cherche son bien, qui tâche de pourvoir sa Fille le plus avantageusement qu'il est possible ; et il ne faut nuire à personne. Ce sont des choses qui sont connues à la vérité, mais j'irai les découvrir à un Homme qui les ignore, et il est défendu de scandaliser son prochain. Cela est vrai ; mais d'autre part voilà un Étranger qu'on veut surprendre, et qui de bonne foi vient se marier avec une Fille qu'il ne connaît pas, et qu'il n'a jamais vue ; un Gentilhomme plein de franchise, pour qui je me sens de l'inclination, qui me fait l'honneur de me tenir pour son Ami, prend confiance en moi, et me donne une Bague à garder pour l'amour de lui. Oui, je trouve que je puis vous dire les choses sans blesser ma conscience ; mais tâchons de vous les dire le plus doucement qu'il nous sera possible, et d'épargner les Gens le plus que nous pourrons. De vous dire que cette Fille-là mène une vie déshonnête, cela serait un peu trop fort ; cherchons pour nous expliquer, quelques termes plus doux. Le mot de Galante aussi n'est pas assez ; celui de Coquette achevée, me semble propre à ce que nous voulons, et je m'en puis servir, pour vous dire honnêtement ce qu'elle est. Peut-être dans le fond n'y a-t-il pas tant de mal que tout le monde croit ; et puis il y a des Gens, après tout, qui se mettent au-dessus de ces sortes de choses, et qui ne croient pas que leur honneur dépende… Voilà le Père. Oui, je me retire. Je conduis de l'œil toutes choses, et tout ceci ne va pas mal. Nous fatiguerons tant notre Provincial, qu'il faudra, ma foi, qu'il déguerpisse. Qu'est-ce, Monsieur, est-il encore arrivé quelque chose ? Comment donc ? Voilà une méchante affaire, et la justice en ce Pays-ci est rigoureuse en diable contre cette sorte de crime. Voilà en parler dans tous les termes ; et l'on voit bien, Monsieur, que vous êtes du métier. Il faut bien pour parler ainsi, que vous ayez étudié la Pratique. En voilà du plus fin encore. Il me semble que le sens commun d'un Gentilhomme peut bien aller à concevoir ce qui est du droit et de l'ordre de la Justice ; mais non pas à savoir les vrais termes de la Chicane. Ah fort bien. Je le veux, et vais vous conduire chez deux Hommes fort habiles ; mais j'ai auparavant à vous avertir de n'être point surpris de leur manière de parler ; ils ont contracté du Barreau certaine habitude de Déclamation, qui fait que l'on dirait qu'ils chantent, et vous prendrez pour Musique tout ce qu'ils vous diront. Oui, les choses s'acheminent où nous voulons : Et comme ses lumières sont fort petites, et son sens le plus borné du monde, je lui ai fait prendre une frayeur si grande de la sévérité de la Justice de ce Pays, et des apprêts qu'on faisait déjà pour sa mort, qu'il veut prendre la fuite ; et pour se dérober avec plus de facilité aux Gens que je lui ai dit qu'on avait mis pour l'arrêter aux Portes de la Ville, il s'est résolu à se déguiser, et le déguisement qu'il a pris est l'habit d'une Femme. Songez de votre part à achever la Comédie ; et tandis que je jouerai mes Scènes avec lui, allez-vous-en… Vous entendez bien ? Et lorsque je l'aurai mis où je veux… Et quand le Père aura été averti par moi… Voici notre Demoiselle, allez vite, qu'il ne nous voie ensemble. Pour moi, je ne crois pas qu'en cet état on puisse jamais vous connaître, et vous avez la mine comme cela, d'une Femme de condition. Oui, je vous l'ai déjà dit, ils commencent ici par faire pendre un Homme, et puis ils lui font son Procès. Elle est sévère comme tous les Diables, particulièrement sur ces sortes de crimes. N'importe, ils ne s'enquêtent point de cela ; et puis ils ont en cette Ville une haine effroyable pour les Gens de votre Pays, et ils ne sont point plus ravis que de voir pendre un Limosin. Ce sont des brutaux, ennemis de la gentillesse et du mérite des autres Villes. Pour moi, je vous avoue que je suis pour vous dans une peur épouvantable ; et je ne me consolerais de ma vie, si vous veniez à être pendu. Vous avez raison, on vous contesterait après cela le Titre d'Écuyer. Au reste, étudiez-vous, quand je vous mènerai par la main, à bien marcher comme une Femme, et prendre le langage et toutes les manières d'une Personne de qualité. Votre barbe n'est rien, et il y a des Femmes qui en ont autant que vous. Çà, voyons un peu comme vous ferez. Bon. Fort bien. Voilà qui va à merveille : mais je remarque une chose, cette Coiffe est un peu trop déliée, j'en vais quérir une un peu plus épaisse, pour vous mieux cacher le visage, en cas de quelque rencontre. Attendez-moi là. Je suis à vous dans un moment ; vous n'avez qu'à vous promener. Ah Ciel ! que veut dire cela ? Eh ! Monsieur, pour l'amour de moi : vous savez que nous sommes Amis il y a longtemps ; je vous conjure de ne le point mener en prison. Vous êtes Homme d'accommodement ; n'y a-t-il pas moyen d'ajuster cela avec quelques Pistoles ? Il faut lui donner de l'argent pour vous laisser aller ; Faites vite. Tenez, Monsieur. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix. Mon Dieu attendez. Dépêchez, donnez-lui-en encore autant. Dépêchez-vous, vous dis-je, et ne perdez point de temps : Vous auriez un grand plaisir, quand vous seriez pendu. Tenez, Monsieur. Je vous prie donc d'en avoir un grand soin. Ne perdez point de temps ; je vous aime tant, que je voudrais que vous fussiez déjà bien loin. Que le Ciel te conduise ! Par ma foi, voilà une grande dupe. Mais voici… Ah ! quelle étrange aventure ! quelle fâcheuse nouvelle pour un Père ! Pauvre Oronte, que je te plains ! Que diras-tu ? et de quelle façon pourras-tu supporter cette douleur mortelle ? Ah ! Monsieur, ce perfide de Limosin, ce traître de Monsieur de Pourceaugnac vous enlève votre Fille. Oui ; elle en est devenue si folle, qu'elle vous quitte pour le suivre ; et l'on dit qu'il a un Caractère pour se faire aimer de toutes les Femmes. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_medecin1 *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_medecin1 Le Malade est un sot, d'autant plus que dans la maladie dont il est attaqué, ce n'est pas la tête, selon Galien, mais la rate, qui lui doit faire mal. Bon, c'est signe que le dedans se dégage. Je l'irai visiter dans deux ou trois jours ; mais s'il mourait avant ce temps-là, ne manquez pas de m'en donner avis, car il n'est pas de la civilité, qu'un Médecin visite un Mort. Ce n'est pas ma faute ; je lui donne des remèdes, que ne guérit-il ? Combien a-t-il été saigné de fois ? Quinze fois saigné ? Et il ne guérit point ? C'est signe que la maladie n'est pas dans le sang. Nous le ferons purger autant de fois, pour voir si elle n'est pas dans les humeurs ; et si rien ne nous réussit, nous l'enverrons aux Bains. Oui, Monsieur, j'ai déjà disposé tout, et promets d'en avoir tous les soins imaginables. La conjoncture est tout à fait heureuse, et j'ai ici un Ancien de mes Amis avec lequel je serai bien aise de consulter sa maladie. Le devoir de ma Profession m'y oblige, et c'est assez que vous me chargiez de ce soin. Oui, je vous assure que je traiterai Monsieur méthodiquement, et dans toutes les régularités de notre Art. Un tel Emploi ne me donne que de la joie. Ne vous mettez pas en peine. Ce m'est beaucoup d'honneur, Monsieur, d'être choisi pour vous rendre service. Voici un habile Homme, mon Confrère, avec lequel je vais consulter la manière dont nous vous traiterons. Allons, des sièges. Allons, Monsieur, prenez votre place, Monsieur. Mangez-vous bien, Monsieur ? Tant pis ; cette grande appétition du froid et de l'humide, est une indication de la chaleur et sécheresse qui est au dedans.Dormez-vous fort ? Faites-vous des songes ? De quelle nature sont-ils ? Vos déjections, comment sont-elles ? Un peu de patience, nous allons raisonner sur votre affaire devant vous, et nous le ferons en Français, pour être plus intelligibles. Comme ainsi soit qu'on ne puisse guérir une maladie, qu'on ne la connaisse parfaitement, et qu'on ne la puisse parfaitement connaître, sans en bien établir l'idée particulière et la véritable espèce, par ses signes diagnostiques et prognostiques ; vous me permettrez, Monsieur notre Ancien, d'entrer en considération de la maladie dont il s'agit, avant que de toucher à la thérapeutique et aux remèdes qu'il nous conviendra faire pour la parfaite curation d'icelle.Je dis donc, Monsieur, avec votre permission, que notre Malade ici présent, est malheureusement attaqué, affecté, possédé, travaillé de cette sorte de folie que nous nommons fort bien, mélancolie hypocondriaque, espèce de folie très fâcheuse, et qui ne demande pas moins qu'un Esculape comme vous, consommé dans notre Art ; vous, dis-je, qui avez blanchi, comme on dit, sous le harnois, et auquel il en a tant passé par les mains de toutes les façons.Je l'appelle mélancolie hypocondriaque, pour la distinguer des deux autres ; car le célèbre Galien établit doctement à son ordinaire trois espèces de cette maladie, que nous nommons mélancolie, ainsi appelée non seulement par les Latins, mais encore par les Grecs ; ce qui est bien à remarquer pour notre affaire : La première, qui vient du propre vice du cerveau ; la seconde, qui vient de tout le sang, fait et rendu atrabilaire ; la troisième, appelée hypocondriaque, qui est la nôtre, laquelle procède du vice de quelque partie du bas-ventre, et de la région inférieure, mais particulièrement de la rate, dont la chaleur et l'inflammation porte au cerveau de notre Malade beaucoup de fuligines épaisses et crasses, dont la vapeur noire et maligne cause dépravation aux fonctions de la faculté princesse, et fait la maladie dont par notre raisonnement il est manifestement atteint et convaincu.Qu'ainsi ne soit, pour diagnostique incontestable de ce que je dis, vous n'avez qu'à considérer ce grand sérieux que vous voyez ; cette tristesse accompagnée de crainte et de défiance, signes pathognomoniques et individuels de cette maladie, si bien marquée chez le Divin vieillard Hippocrate ; cette physionomie, ces yeux rouges et hagards, cette grande barbe, cette habitude du corps, menue, grêle, noire et velue, lesquels signes le dénotent très affecté de cette maladie, procédante du vice des hypocondres ; laquelle maladie par laps de temps naturalisée, envieillie, habituée, et ayant pris droit de bourgeoisie chez lui, pourrait bien dégénérer, ou en manie, ou en phtisie, ou en apoplexie, ou même en fine frénésie et fureur.Tout ceci supposé, puisqu'une maladie bien connue est à demi guérie, car ignoti nulla est curatio morbi, il ne vous sera pas difficile de convenir des remèdes que nous devons faire à Monsieur.Premièrement, pour remédier à cette pléthore obturante, et à cette cacochymie luxuriante par tout le corps, je suis d'avis qu'il soit phlébotomisé libéralement ; c'est-à-dire que les saignées soient fréquentes et plantureuses : En premier lieu de la basilique, puis de la céphalique, et même si le mal est opiniâtre, de lui ouvrir la veine du front, et que l'ouverture soit large, afin que le gros sang puisse sortir ; et en même temps, de le purger, désopiler, et évacuer par purgatifs propres et convenables ; c'est-à-dire par cholagogues, mélanogogues, et cætera ; et comme la véritable source de tout le mal est ou une humeur crasse et féculente, ou une vapeur noire et grossière qui obscurcit, infecte et salit les esprits animaux, il est à propos ensuite qu'il prenne un bain d'eau pure et nette, avec force petit-lait clair, pour purifier par l'eau la féculence de l'humeur crasse, et éclaircir par le lait clair la noirceur de cette vapeur ; mais avant toute chose, je trouve qu'il est bon de le réjouir par agréables Conversations, Chants et Instruments de Musique, à quoi il n'y a pas d'inconvénient de joindre des Danseurs, afin que leurs mouvements, disposition et agilité puissent exciter et réveiller la paresse de ses esprits engourdis, qui occasionne l'épaisseur de son sang, d'où procède la maladie.Voilà les remèdes que j'imagine, auxquels pourront être ajoutés beaucoup d'autres meilleurs par Monsieur notre Maître et Ancien, suivant l'expérience, jugement, lumière et suffisance qu'il s'est acquise dans notre Art.Dixi. Non, Monsieur, nous ne jouons point. Bon, dire des injures. Voilà un diagnostique qui nous manquait pour la confirmation de son mal, et ceci pourrait bien tourner en manie. Autre diagnostique : La sputation fréquente. Autre encore : L'inquiétude de changer de place. Vous guérir, selon l'ordre qui nous a été donné. Oui. Mauvais signe, lorsqu'un Malade ne sent pas son mal. Nous savons mieux que vous comment vous vous portez, et nous sommes Médecins, qui voyons clair dans votre constitution. Hon, hon ; voici un Homme plus fou que nous ne pensons. Je ne m'étonne pas s'ils ont engendré un Fils qui est insensé. Allons, procédons à la curation, et par la douceur exhilarante de l'harmonie, adoucissons, lénifions, et accroissons l'aigreur de ses esprits, que je vois prêts à s'enflammer. Il a forcé tous les obstacles que j'avais mis ; et s'est dérobé aux remèdes que je commençais de lui faire. Marque d'un cerveau démonté, et d'une raison dépravée, que de ne vouloir pas guérir. Sans doute, quand il y aurait eu complication de douze maladies. Moi, je n'entends point les perdre, et prétends le guérir en dépit qu'il en ait. Il est lié et engagé à mes remèdes, et je veux le faire saisir où je le trouverai, comme Déserteur de la Médecine, et Infracteur de mes Ordonnances. Où puis-je en avoir des nouvelles ? Je vais lui parler tout à l'heure. Il est hypothéqué à mes Consultations ; et un Malade ne se moquera pas d'un Médecin. Laissez-moi faire. Vous avez, Monsieur, un certain Monsieur de Pourceaugnac, qui doit épouser votre Fille. Aussi l'est-il, et il s'en est fui de chez moi, après y avoir été mis ; mais je vous défends de la part de la Médecine, de procéder au mariage que vous avez conclu, que je ne l'aie dûment préparé pour cela, et mis en état de procréer des Enfants bien conditionnés et de corps et d'esprit. Votre prétendu Gendre a été constitué mon Malade : Sa Maladie qu'on m'a donné à guérir, est un meuble qui m'appartient, et que je compte entre mes effets ; et je vous déclare que je ne prétends point qu'il se marie, qu'au préalable il n'ait satisfait à la Médecine, et subi les remèdes que je lui ai ordonnés. Oui. Ne vous en mettez pas en peine. Les Médecins sont obligés au secret : Il suffit que je vous ordonne, à vous et à votre Fille, de ne point célébrer, sans mon consentement, vos Noces avec lui, sur peine d'encourir la disgrâce de la Faculté, et d'être accablés de toutes les Maladies qu'il nous plaira. On me l'a mis entre les mains, et il est obligé d'être mon malade. Il a beau fuir, je le ferai condamner par Arrêt à se faire guérir par moi. Oui, il faut qu'il crève, ou que je le guérisse. Et si je ne le trouve, je m'en prendrai à vous, et je vous guérirai au lieu de lui. Il n'importe, il me faut un Malade, et je prendrai qui je pourrai. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_medecin2 *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_medecin2 À Dieu ne plaise, Monsieur, qu'il me tombe en pensée d'ajouter rien à ce que vous venez de dire : vous avez si bien discouru sur tous les signes, les symptômes et les causes de la maladie de Monsieur ; le raisonnement que vous en avez fait est si docte et si beau, qu'il est impossible qu'il ne soit pas fou, et mélancolique hypocondriaque ; et quand il ne le serait pas, il faudrait qu'il le devînt, pour la beauté des choses que vous avez dites, et la justesse du raisonnement que vous avez fait. Oui, Monsieur, vous avez dépeint fort graphiquement, graphice depinxisti, tout ce qui appartient à cette maladie ; il ne se peut rien de plus doctement, sagement, ingénieusement conçu, pensé, imaginé, que ce que vous avez prononcé au sujet de ce mal, soit pour la diagnose, ou la prognose, ou la thérapie ; et il ne me reste rien ici, que de féliciter Monsieur, d'être tombé entre vos mains, et de lui dire qu'il est trop heureux d'être fou, pour éprouver l'efficace et la douceur des remèdes que vous avez si judicieusement proposés : Je les approuve tous, manibus et pedibus descendo in tuam sententiam.Tout ce que j'y voudrais, c'est de faire les saignées et les purgations en nombre impair, Numero Deus impari gaudet : de prendre le lait clair avant le bain ; de lui composer un fronteau où il entre du sel ; le sel est symbole de la sagesse : de faire blanchir les murailles de sa chambre, pour dissiper les ténèbres de ses esprits, album est disgregativum visus, et de lui donner tout à l'heure un petit Lavement, pour servir de prélude et d'introduction à ces judicieux remèdes, dont s'il a à guérir, il doit recevoir du soulagement. Fasse le Ciel que ces remèdes, Monsieur, qui sont les vôtres, réussissent au Malade selon notre intention. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_apothicaire *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_apothicaire Non, Monsieur, ce n'est pas moi qui suis le Médecin ; à moi n'appartient pas cet honneur, et je ne suis qu'Apothicaire, Apothicaire indigne, pour vous servir. Oui, il est là embarrassé à expédier quelques Malades, et je vais lui dire que vous êtes ici. Je sais ce que c'est, je sais ce que c'est, et j'étais avec lui quand on lui a parlé de cette affaire. Ma foi, ma foi, vous ne pouviez pas vous adresser à un Médecin plus habile ; c'est un Homme qui sait la Médecine à fond, comme je sais ma Croix-de-Pardieu ; et qui, quand on devrait crever, ne démordrait pas d'un iota des règles des Anciens. Oui, il suit toujours le grand chemin, le grand chemin, et ne va point chercher midi à quatorze heures ; et pour tout l'or du monde, il ne voudrait pas avoir guéri une Personne avec d'autres remèdes que ceux que la Faculté permet. Ce n'est pas parce que nous sommes grands Amis, que j'en parle ; mais il y a plaisir, il y a plaisir d'être son Malade ; et j'aimerais mieux mourir de ses remèdes, que de guérir de ceux d'un autre : car quoi qui puisse arriver, on est assuré que les choses sont toujours dans l'ordre ; et quand on meurt sous sa conduite, vos Héritiers n'ont rien à vous reprocher. Assurément ; on est bien aise au moins d'être mort méthodiquement. Au reste, il n'est pas de ces Médecins qui marchandent les maladies ; c'est un Homme expéditif, expéditif, qui aime à dépêcher ses Malades ; et quand on a à mourir, cela se fait avec lui le plus vite du monde. Cela est vrai, à quoi bon tant barguigner et tant tourner autour du pot ? il faut savoir vitement le court ou le long d'une maladie. Voilà déjà trois de mes Enfants dont il m'a fait l'honneur de conduire la maladie, qui sont morts en moins de quatre jours, et qui entre les mains d'un autre, auraient langui plus de trois mois. Sans doute. Il ne me reste plus que deux Enfants dont il prend soin comme des siens ; il les traite et gouverne à sa fantaisie, sans que je me mêle de rien ; et le plus souvent, quand je reviens de la Ville, je suis tout étonné que je les trouve saignés ou purgés par son ordre. Le voici, le voici, le voici qui vient. Voilà le fin cela, voilà le fin de la Médecine. Monsieur, voici un petit remède, un petit remède, qu'il vous faut prendre, s'il vous plaît, s'il vous plaît. Il a été ordonné, Monsieur, il a été ordonné. Prenez-le, Monsieur, prenez-le : il ne vous fera point de mal, il ne vous fera point de mal. C'est un petit Clystère, un petit Clystère, bénin, bénin ; il est bénin, bénin : là, prenez, prenez, prenez, Monsieur ; c'est pour déterger, pour déterger, déterger… **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_paysan *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_paysan Monsieur, il n'en peut plus, et il dit qu'il sent dans la tête les plus grandes douleurs du monde. Quoi que c'en soit, Monsieur, il a toujours avec cela son cours de ventre depuis six mois. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_paysanne *date_1669 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_paysanne Mon Père, Monsieur, est toujours malade de plus en plus. Quinze, Monsieur, depuis vingt jours. Oui. Non, Monsieur. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_musicien1 *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_musicien1 Altro non è la pazzia Che malinconia. Il malato Non è disperato, Se vol pigliar un poco d'allegria Altro non è la pazzia Che malinconia. Lors que pour rire on s'assemble, Les plus sages, ce me semble, Sont ceux qui sont les plus fous. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_musicien2 *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_musicien2 Sù, cantate, ballate, ridete ; E se far meglio volete, Quando sentite il deliro vicino, Pigliate del vino, E qualche volta un po po di tabac Alegramente, Monsu Pourceaugnac. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_avocat1 *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_avocat1 La polygamie est un cas, Est un cas pendable. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_avocat2 *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_avocat2 Votre fait Est clair et net ; Et tout le droit Sur cet endroit Conclut tout droit. Si vous consultez nos Auteurs, Législateurs et Glossateurs, Justinian, Papinian, Ulpian et Tribonian, Fernand, Rebuffe, Jean Imole, Paul, Castre, Julian, Barthole, Jason, Alciat et Cujas, Ce grand Homme si capable ; La Polygamie est un cas Est un cas pendable. Tous les Peuples policés, Et bien sensés ; Les Français, Anglais, Hollandais, Danois, Suédois, Polonais, Portugais, Espagnols, Flamands, Italiens, Allemands, Sur ce fait tiennent loi semblable, Et l'affaire est sans embarras ; La polygamie est un cas, Est un cas pendable. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_suisse1 *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_suisse1 Allons, dépêchons, Camerade, li faut allair tous deux nous à la Crève pour regarter un peu chousticier sti Monsiu de Porcegnac qui l'a esté contané par Ortonnance à l'être pendu par son cou. Li faut nous loër un fenestre pour foir sti Choustice. Li disent que l'on fait téjà planter un grand potence tout neuve pour li accrocher sti Porcegnac. Oui, de li foir gambiller les pieds en haut tevant tout le monde. Sti diable li vouloir trois Femmes à li tout seul ; li est bien assez t'une. Que faire fous là tout seul ? Fous, Mameselle, fouloir finir réchouir fous à la Crève ? Nous faire foir à fous un petit pendement pien choli. Li est là un petit teton qui l'est drole. Mon foy, moi couchair pien avec fous. Moy ne vouloir pas laisser. Moi li vouloir, moi. Moi ne faire rien. Toi l'avoir menti. Toi l'avoir menty toi-même. Parti pon, toi ne l'afoir point. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_suisse2 *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_suisse2 Ly sira, ma foi, un grand plaisir, d'y regarter pendre sti Limosin. Li est un plaisant drole, oui ; li disent que c'être marié trois foye. Ah pon chour, Mameselle. Li est belle, par mon foi. L'est un Gentilhomme Limossin qui sera pendu chantiment, à un grand potence. Laisse, toi, l'est moi qui le veut couchair avec elle. Parti pon aussi, toi ne l'afoir point encore. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_exempt *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_exempt Qu'est-ce ? quelle violence est-ce là ? et que voulez-vous faire à Madame ? Allons, que l'on sorte de là, si vous ne voulez que je vous mette en prison. Ouais, voilà un visage qui ressemble bien à celui que l'on m'a dépeint. Ah, ah ! qu'est-ce que je veux dire ? Pourquoi donc dites-vous cela ? Voilà un discours qui marque quelque chose, et je vous arrête prisonnier. Non, non : à votre mine, et à vos discours, il faut que vous soyez ce Monsieur de Pourceaugnac que nous cherchons, qui se soit déguisé de la sorte ; et vous viendrez en prison tout à l'heure. Oui, oui, c'est de quoi je suis ravi. Non ; il m'est impossible. Retirez-vous un peu. Combien y a-t-il ? Non, mon ordre est trop exprès. Il faut donc que je m'enfuie avec lui, car il n'y aurait point ici de sûreté pour moi. Laissez-le-moi conduire, et ne bougez d'ici. Je vous promets de ne le point quitter, que je ne l'aie mis en lieu de sûreté. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_musiciens *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_musiciens Ne songeons qu'à nous réjouir, La grande affaire est le plaisir. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_egyptienne *date_1669 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_egyptienne Sortez, sortez de ces lieux, Soucis, chagrins et tristesse, Venez, venez, ris et jeux, Plaisirs, amour et tendresse. Ne songeons qu'à nous réjouir, La grande affaire est le plaisir. À me suivre tous ici, Votre ardeur est non commune, Et vous êtes en souci De votre bonne fortune : Soyez toujours amoureux, C'est le moyen d'être heureux. La Gloire, Les sceptres qui font tant d'envie. Il n'est point, sans l'amour, de plaisir dans la vie. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_egyptien *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_egyptien Aimons jusques au trépas, La raison nous y convie : Hélas ! si l'on n'aimait pas, Que serait-ce de la vie ? Ah ! perdons plutôt le jour, Que de perdre notre amour. Les Biens, Les Grandeurs, Tout n'est rien, si l'amour n'y mêle ses ardeurs. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_enfants *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_enfants Mon Papa, mon Papa, mon Papa. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_voix1 *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_voix1 Répands, charmante nuit, répands sur tous les yeux, De tes pavots la douce violence, Et ne laisse veiller en ces aimables lieux Que les cœurs que l'Amour soumet à sa puissance. Tes ombres et ton silence Plus beau que le plus beau jour, Offrent de doux moments à soupirer d'amour. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_voix2 *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_voix2 Que soupirer d'amour Est une douce chose, Quand rien à nos voeux ne s'oppose ! À d'aimables penchants notre cœur nous dispose, Mais on a des Tyrans à qui l'on doit le jour : Que soupirer d'amour Est une douce chose, Quand rien à nos vœux ne s'oppose ! **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_voix3 *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_voix3 Tout ce qu'à nos vœux on oppose, Contre un parfait amour ne gagne jamais rien ; Et pour vaincre toute chose, Il ne faut que s'aimer bien. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_jeanet *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_jeanet Ah mon Papa, mon Papa, mon Papa. **** *creator_moliere *book_moliere_monsieurpourceaugnac *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_monsieurpourceaugnac *dist2_moliere_prose_comedy *id_choeur *date_1669 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_choeur Sus, sus, chantons tous ensemble, Dansons, sautons, jouons-nous. Ne songeons qu'à nous réjouir, La grande affaire est le plaisir. **** *creator_moliere *book_moliere_precieusesridicules *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_precieusesridicules *dist2_moliere_prose_comedy *id_lagrange *date_1659 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_lagrange Quoi ? Eh bien ! À votre avis, avons-nous sujet de l'être tous deux ? Pour moi je vous avoue que j'en suis tout scandalisé. A-t-on jamais vu, dites-moi, deux Pecques Provinciales faire plus les renchéries que celles-là, et deux hommes traités avec plus de mépris que nous ? à peine ont-elles pu se résoudre à nous faire donner des sièges. Je n'ai jamais vu tant parler à l'oreille qu'elles ont fait entre elles, tant bâiller ; tant se frotter les yeux, et demander tant de fois quelle heure est-il ; ont-elles répondu que oui et non, à tout ce que nous avons pu leur dire ? Et ne m'avouerez-vous pas enfin que quand nous aurions été les dernières personnes du monde, on ne pouvait nous faire pis qu'elles ont fait ? Sans doute je l'y prends, et de telle façon que je veux me venger de cette impertinence. Je connais ce qui nous a fait mépriser. L'air précieux n'a pas seulement infecté Paris, il s'est aussi répandu dans les provinces et nos Donzelles ridicules en ont humé leur bonne part. En un mot c'est un ambigu de Précieuse et de Coquette que leur personne ; je vois ce qu'il faut être, pour en être bien reçu, et si vous m'en croyez, nous leur jouerons tous deux une pièce, qui leur fera voir leur sottise, et pourra leur apprendre à connaître un peu mieux leur monde. J'ai un certain valet nommé Mascarille, qui passe au sentiment de beaucoup de gens pour une manière de bel esprit, car il n'y a rien à meilleur marché que le bel esprit maintenant. C'est un extravagant, qui s'est mis dans la tête de vouloir faire l'homme de condition. Il se pique ordinairement de galanterie, et de vers, et dédaigne les autres valets jusqu'à les appeler brutaux. Ce que j'en prétends faire ! il faut… mais sortons d'ici auparavant. C'est une chose que vous pourrez mieux apprendre d'elles, que de nous. Tout ce que nous pouvons vous dire, c'est que nous vous rendons grâce de la faveur que vous nous avez faite, et demeurons vos très humbles serviteurs. Ah, ah, Coquins, que faites-vous ici ? il y a trois heures que nous vous cherchons. C'est bien à vous, infâme que vous êtes, à vouloir faire l'homme d'importance. Ma foi, marauds, vous ne vous rirez pas de nous, je vous promets. Entrez, vous autres. Oui, nos laquais, et cela n'est ni beau, ni honnête, de nous les débaucher, comme vous faites. Mais ils n'auront pas l'avantage de se servir de nos habits, pour vous donner dans la vue, et si vous les voulez aimer, ce sera, ma foi, pour leurs beaux yeux. Vite qu'on les dépouille sur-le-champ. C'est trop que de nous supplanter, et de nous supplanter avec nos propres habits. Qu'on emporte toutes ces hardes, dépêchez. Maintenant, mes Dames, en l'état qu'ils sont, vous pouvez continuer vos amours avec eux, tant qu'il vous plaira, nous vous laissons toute sorte de liberté pour cela, et nous vous protestons, Monsieur, et moi, que nous n'en serons aucunement jaloux. **** *creator_moliere *book_moliere_precieusesridicules *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_precieusesridicules *dist2_moliere_prose_comedy *id_ducroisy *date_1659 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_ducroisy Seigneur la Grange. Regardez-moi un peu sans rire. Que dites-vous de notre visite ? en êtes-vous fort satisfait ? Pas tout à fait à dire vrai. Il me semble que vous prenez la chose fort à cœur. Et comment encore ? Et bien qu'en prétendez-vous faire ? Voilà qui vous apprendra à vous connaître. Comment, mes Dames, nous endurerons que nos laquais soient mieux reçus que nous ? qu'ils viennent vous faire l'amour à nos dépens, et vous donnent le Bal ? Ha ha, coquins, vous avez l'audace d'aller sur nos brisées. Vous irez chercher autre part de quoi vous rendre agréables aux yeux de vos belles, je vous en assure. Vite qu'on leur ôte jusqu'à la moindre chose. **** *creator_moliere *book_moliere_precieusesridicules *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_precieusesridicules *dist2_moliere_prose_comedy *id_gorgibus *date_1659 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_gorgibus Et bien vous avez vu ma nièce, et ma fille, les affaires iront-elles bien ? Quel est le résultat de cette visite ? Ouais il semble qu'ils sortent mal satisfaits d'ici, d'où pourrait venir leur mécontentement ? Il faut savoir un peu ce que c'est. Holà. Où sont vos Maîtresses ? Que font-elles ? C'est trop pommadé. Dites-leur qu'elles descendent. Ces pendardes-là avec leur pommade ont je pense envie de me ruiner. Je ne vois partout que blancs d'œufs, lait virginal, et mille autres brimborions que je ne connais point. Elles ont usé, depuis que nous sommes ici, le lard d'une douzaine de cochons, pour le moins ; et quatre valets vivraient tous les jours des pieds de mouton qu'elles emploient. Il est bien nécessaire vraiment, de faire tant de dépense pour vous graisser le museau. Dites-moi un peu ce que vous avez fait à ces messieurs, que je les vois sortir avec tant de froideur ? vous avais-je pas commandé de les recevoir comme des personnes, que je voulais vous donner pour maris ? Et qu'y trouvez-vous à redire ? Et par où veux-tu donc qu'ils débutent, par le concubinage ? n'est-ce pas un procédé, dont vous avez sujet de vous louer toutes deux, aussi bien que moi ? Est-il rien de plus obligeant que cela ? et ce lien sacré où ils aspirent n'est-il pas un témoignage de l'honnêteté de leurs intentions ? Je n'ai que faire, ni d'air, ni de chanson. Je te dis que le mariage est une chose sainte et sacrée, et que c'est faire en honnêtes gens que de débuter par là. Que me vient conter celle-ci ? Quel diable de jargon entends-je ici ? voici bien du haut style. Je pense qu'elles sont folles toutes deux, et je ne puis rien comprendre à ce baragouin. Cathos et vous Magdelon... Comment ces noms étranges ? Ne sont-ce pas vos noms de Baptême ? Écoutez ; il n'y a qu'un mot qui serve. Je n'entends point que vous ayez d'autres noms, que ceux, qui vous ont été donnés par vos parrains et marraines, et pour ces messieurs dont il est question je connais leurs familles et leurs biens, et je veux résolument que vous vous disposiez à les recevoir pour maris. Je me lasse de vous avoir sur les bras, et la garde de deux filles est une charge un peu trop pesante, pour un homme de mon âge. Il n'en faut point douter elles sont achevées. Encore un coup, je n'entends rien à toutes ces balivernes, je veux être maître absolu, et pour trancher toutes sortes de discours, ou vous serez mariées toutes deux, avant qu'il soit peu, ou, ma foi, vous serez religieuses, j'en fais un bon serment. Ah coquines, que vous êtes, vous nous mettez dans de beaux draps blancs, à ce que je vois, et je viens d'apprendre de belles affaires vraiment, de ces Messieurs, qui sortent. Oui c'est une pièce sanglante ; mais qui est un effet de votre impertinence, infâmes. Ils se sont ressentis du traitement que vous leur avez fait, et cependant, malheureux que je suis, il faut que je boive l'affront. Oui, oui, je vous vais contenter, et voici la monnaie, dont je vous veux payer. Et vous, pendardes, je ne sais qui me tient que je ne vous en fasse autant, nous allons servir de fable, et de risée à tout le monde, et voilà ce que vous vous êtes attiré par vos extravagances. Allez vous cacher, vilaines, allez vous cacher pour jamais. Et vous, qui êtes cause de leur folie, sottes billevesées, pernicieux amusements des esprits oisifs, Romans, Vers, Chansons, Sonnets et Sonnettes, puissiez‑vous être à tous les Diables. **** *creator_moliere *book_moliere_precieusesridicules *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_precieusesridicules *dist2_moliere_prose_comedy *id_magdelon *date_1659 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_magdelon Et quelle estime, mon père, voulez-vous que nous fassions du procédé irrégulier de ces gens-là ? La belle galanterie que la leur ! quoi, débuter d'abord par le mariage ? Ah mon père, ce que vous dites là est du dernier bourgeois. Cela me fait honte de vous ouïr parler de la sorte, et vous devriez un peu vous faire apprendre le bel air des choses. Mon Dieu, que si tout le monde vous ressemblait un Roman serait bientôt fini : la belle chose, que ce serait, si d'abord Cyrus épousait Mandane, et qu'Aronce de plain-pied fût marié à Clélie. Mon père, voilà ma cousine, qui vous dira, aussi bien que moi, que le mariage ne doit jamais arriver, qu'après les autres aventures. Il faut qu'un amant, pour être agréable, sache débiter les beaux sentiments ; pousser le doux, le tendre, et le passionné, et que sa recherche soit dans les formes. Premièrement il doit voir au Temple, ou à la promenade, ou dans quelque cérémonie publique la personne dont il devient amoureux ; ou bien être conduit fatalement chez elle, par un parent, ou un ami, et sortir de là tout rêveur et mélancolique. Il cache, un temps, sa passion à l'objet aimé, et cependant lui rend plusieurs visites, où l'on ne manque jamais de mettre sur le tapis une question galante, qui exerce les esprits de l'assemblée. Le jour de la déclaration arrive, qui se doit faire ordinairement dans une allée de quelque jardin, tandis que la compagnie s'est un peu éloignée : et cette déclaration est suivie d'un prompt courroux, qui paraît à notre rougeur, et qui pour un temps bannit l'amant de notre présence. Ensuite il trouve un moyen de nous apaiser ; de nous accoutumer insensiblement au discours de sa passion, et de tirer de nous cet aveu qui fait tant de peine. Après cela viennent les aventures ; les rivaux qui se jettent à la traverse d'une inclination établie, les persécutions des pères, les jalousies conçues sur de fausses apparences, les plaintes, les désespoirs, les enlèvements, et ce qui s'ensuit. Voilà comme les choses se traitent dans les belles manières, et ce sont des règles, dont en bonne galanterie on ne saurait se dispenser ; mais en venir de but en blanc à l'union conjugale ! ne faire l'amour qu'en faisant le contrat du mariage, et prendre justement le Roman par la queue ! Encore un coup mon père, il ne se peut rien de plus Marchand que ce procédé, et j'ai mal au cœur de la seule vision que cela me fait. Eh de grâce, mon père, défaites-vous de ces noms étranges, et nous appelez autrement. Mon Dieu, que vous êtes vulgaire ! pour moi un de mes étonnements, c'est que vous ayez pu faire une fille si spirituelle que moi. A-t-on jamais parlé dans le beau style de Cathos ni de Magdelon ? et ne m'avouerez-vous pas que ce serait assez d'un de ces noms, pour décrier le plus beau Roman du monde ? Souffrez que nous prenions un peu haleine parmi le beau monde de Paris, où nous ne faisons que d'arriver. Laissez-nous faire à loisir le tissu de notre Roman, et n'en pressez point tant la conclusion. Que veux-tu, ma chère, j'en suis en confusion pour lui. J'ai peine à me persuader que je puisse être véritablement sa fille, et je crois que quelque aventure, un jour, me viendra développer une naissance plus illustre. Apprenez, sotte, à vous énoncer moins vulgairement. Dites : voilà un nécessaire qui demande, si vous êtes en commodité d'être visibles. L'impertinente ! le moyen de souffrir cela ! et qui est-il, le maître de ce laquais ? Ah ma chère ! un Marquis, oui, allez dire qu'on nous peut voir. C'est sans doute un bel esprit, qui aura ouï parler de nous. Il faut le recevoir dans cette salle basse, plutôt qu'en notre chambre : ajustons un peu nos cheveux au moins, et soutenons notre réputation. Vite venez nous tendre ici dedans le conseiller des grâces. Si vous poursuivez le mérite, ce n'est pas sur nos terres que vous devez chasser. Votre complaisance pousse, un peu trop avant, la libéralité de ces louanges, et nous n'avons garde, ma cousine et moi, de donner de notre sérieux dans le doux de votre flatterie. Holà, Almanzor. Vite, voiturez-nous ici les commodités de la conversation. Ma chère, c'est le caractère enjoué. Ne craignez rien, nos yeux n'ont point de mauvais desseins, et votre cœur peut dormir en assurance sur leur prud'homie. Hélas ! qu'en pourrions-nous dire ? Il faudrait être l'antipode de la raison, pour ne pas confesser que Paris est le grand Bureau des merveilles, le centre du bon goût, du bel esprit et de la galanterie. Il est vrai que la Chaise est un retranchement merveilleux contre les insultes de la boue, et du mauvais temps. Hélas nous ne sommes pas encore connues ; mais nous sommes en passe de l'être, et nous avons une amie particulière, qui nous a promis d'amener ici tous ces Messieurs du Recueil des Pièces Choisies. Eh ! mon Dieu, nous vous serons obligées de la dernière obligation, si vous nous faites cette amitié : car enfin il faut avoir la connaissance de tous ces Messieurs-là, si l'on veut être du beau monde. Ce sont ceux qui donnent le branle à la réputation dans Paris ; et vous savez qu'il y en a tel, dont il ne faut que la seule fréquentation, pour vous donner bruit de connaisseuse, quand il n'y aurait rien autre chose que cela. Mais pour moi ce que je considère particulièrement, c'est que, par le moyen de ces visites spirituelles, on est instruite de cent choses, qu'il faut savoir de nécessité, et qui sont de l'essence d'un bel esprit. On apprend par là, chaque jour, les petites nouvelles galantes ; les jolis commerces de Prose, et de Vers. On sait à point nommé, un tel a composé la plus jolie pièce du monde, sur un tel sujet ; Une telle a fait des paroles sur un tel air ; celui-ci a fait un Madrigal sur une jouissance ; celui-là a composé des Stances sur une infidélité ; Monsieur un tel écrivit hier au soir un Sixain à Mademoiselle une telle, dont elle lui a envoyé la réponse ce matin sur les huit heures ; un tel Auteur a fait un tel dessein ; celui-là en est à la troisième partie de son Roman ; cet autre met ses ouvrages sous la Presse : c'est là ce qui vous fait valoir dans les compagnies ; et si l'on ignore ces choses, je ne donnerais pas un clou de tout l'esprit qu'on peut avoir. Je vous avoue, que je suis furieusement pour les Portraits ; je ne vois rien de si galant que cela. Les Madrigaux sont agréables, quand ils sont bien tournés. Ah ! certes, cela sera du dernier beau, j'en retiens un exemplaire au moins, si vous le faites imprimer. Je m'imagine que le plaisir est grand de se voir imprimé. Nous y sommes de toutes nos oreilles. Il en est éloigné de plus de deux mille lieues. Oui, je trouve ce oh, oh, admirable. Sans doute, et j'aimerais mieux avoir fait ce oh, oh, qu'un Poème épique. Eh, je ne l'ai pas tout à fait mauvais. Il ne se peut rien de mieux. Il faut avouer que cela a un tour spirituel, et galant. Assurément, ma chère. Il y a de la chromatique-là dedans. C'est là savoir le fin des choses, le grand fin, le fin du fin. Tout est merveilleux, je vous assure ; je suis enthousiasmée de l'air, et des paroles. La Nature vous a traité en vraie mère passionnée, et vous en êtes l'enfant gâté. Nous avons été jusqu'ici, dans un jeûne effroyable de divertissements. Cela n'est pas de refus. Ne m'en parlez point, c'est un admirable lieu que Paris ; il s'y passe cent choses tous les jours, qu'on ignore dans les Provinces, quelque spirituelle qu'on puisse être. Eh, il pourrait être quelque chose de ce que vous dites. Furieusement bien. C'est Perdrigeon tout pur. Ils ont tout à fait bon air. Il faut avouer que je n'ai jamais vu porter si haut l'élégance de l'ajustement. Ils sentent terriblement bon. Elle est tout à fait de qualité ; le sublime en est touché délicieusement. Je vous assure, que nous sympathisons vous et moi, j'ai une délicatesse furieuse pour tout ce que je porte ; et jusqu'à mes chaussettes, je ne puis rien souffrir qui ne soit de la bonne ouvrière. Il a un tour admirable dans l'esprit. Qui ? Faites entrer vitement. Ma toute Bonne, nous commençons d'être connues, voilà le beau monde qui prend le chemin de nous venir voir. C'est pousser vos civilités jusqu'aux derniers confins de la flatterie. Allons, petit garçon, faut-il toujours vous répéter les choses ? voyez-vous pas qu'il faut le surcroît d'un fauteuil ? Je les aime aussi : mais je veux que l'Esprit assaisonne la bravoure. Oui, je sens quelque chose. Il n'est pas nécessaire, nous le croyons, sans y regarder. Nous ne saurions sortir aujourd'hui. Pour cela nous y consentons ; mais il faut donc quelque surcroît de compagnie. Almanzor, dites aux gens de Monsieur, qu'ils aillent quérir des Violons, et nous faites venir ces Messieurs, et ces Dames d'ici près, pour peupler la solitude de notre bal. Que tout ce qu'il dit est naturel ! il tourne les choses le plus agréablement du monde. Et du galant, et du bien tourné. Voici nos amies, qui viennent. Mon Dieu, mes chères, nous vous demandons pardon. Ces Messieurs ont eu fantaisie de nous donner les âmes des pieds, et nous vous avons envoyé quérir pour remplir les vides de notre assemblée. Il a tout à fait la taille élégante. Que veut donc dire ceci ? Endurer un affront comme celui-là, en notre présence ? Quelle est donc cette audace, de venir nous troubler de la sorte, dans notre maison ? Vos laquais ? Ô ciel, quelle insolence ! Je crève de dépit. Ah ! mon père, c'est une pièce sanglante, qu'ils nous ont faite. Ah, je jure, que nous en serons vengées, ou que je mourrai en la peine. Et vous, marauds, osez-vous vous tenir ici, après votre insolence ? **** *creator_moliere *book_moliere_precieusesridicules *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_precieusesridicules *dist2_moliere_prose_comedy *id_cathos *date_1659 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_cathos Le moyen, mon oncle, qu'une fille un peu raisonnable se pût accommoder de leur personne ? En effet, mon oncle, ma cousine donne dans le vrai de la chose. Le moyen de bien recevoir des gens qui sont tout à fait incongrus en galanterie ? je m'en vais gager qu'ils n'ont jamais vu la carte de tendre, et que billets-doux, petits soins, billets galants, et jolis vers, sont des terres inconnues pour eux. Ne voyez-vous pas que toute leur personne marque cela, et qu'ils n'ont point cet air qui donne d'abord bonne opinion des gens ? venir en visite amoureuse avec une jambe toute unie ; un chapeau désarmé de plumes ; une tête irrégulière en cheveux et un habit qui souffre une indigence de rubans ! mon Dieu, quels amants sont-ce là ! quelle frugalité d'ajustement, et quelle sécheresse de conversation ! on n'y dure point, on n'y tient pas. J'ai remarqué encore que leurs rabats ne sont pas de la bonne faiseuse, et qu'il s'en faut plus d'un grand demi-pied, que leurs hauts-de-chausses, ne soient assez larges. Il est vrai, mon oncle, qu'une oreille un peu délicate pâtit furieusement à entendre prononcer ces mots-là, et le nom de Polixène, que ma cousine a choisi, et celui d'Aminte, que je me suis donné, ont une grâce, dont il faut que vous demeuriez d'accord. Pour moi, mon oncle, tout ce que je vous puis dire c'est que je trouve le mariage une chose tout à fait choquante. Comment est-ce qu'on peut souffrir la pensée de coucher contre un homme vraiment nu ? Mon Dieu, ma chère, que ton père a la forme enfoncée dans la matière ! que son intelligence est épaisse, et qu'il fait sombre dans son âme ! Je le croirais bien oui, il y a toutes les apparences du monde, et pour moi, quand je me regarde aussi… Assurément, ma chère. Apportez-nous le miroir, ignorante que vous êtes. Et gardez-vous bien d'en salir la glace, par la communication de votre image. Pour voir chez nous le mérite, il a fallu, que vous l'y ayez amené. Ma chère, il faudrait faire donner des sièges. Que craignez-vous ? Je vois bien que c'est un Amilcar. Mais de grâce, Monsieur, ne soyez pas inexorable à ce fauteuil qui vous tend les bras il y a un quart d'heure, contentez un peu l'envie qu'il a de vous embrasser. C'est une vérité incontestable. Et certains autres, qu'on nous a nommés aussi, pour être les arbitres souverains des belles choses. En effet je trouve que c'est renchérir sur le ridicule, qu'une personne se pique d'esprit, et ne sache pas jusqu'au moindre petit Quatrain qui se fait chaque jour ; et pour moi j'aurais toutes les hontes du monde, s'il fallait qu'on vînt à me demander, si j'aurais vu quelque chose de nouveau, que je n'aurais pas vu. Pour moi j'aime terriblement les Énigmes. L'Impromptu est justement la pierre de touche de l'esprit. Ah mon Dieu ! voilà qui est poussé dans le dernier galant. Ah, mon Dieu, que dites-vous ! ce sont là de ces sortes de choses qui ne se peuvent payer. Tout à fait bien. Vous avez appris la Musique ? Et comment donc cela se peut-il ? Ah que voilà un air qui est passionné ! Est-ce qu'on n'en meurt point ? Je n'ai encore rien vu de cette force-là. À rien du tout. C'est assez, puisque nous sommes instruites, nous ferons notre devoir de nous écrier comme il faut sur tout ce qu'on dira. Hé, à quels Comédiens la donnerez-vous ? En effet, il y a manière de faire sentir aux Auditeurs les beautés d'un Ouvrage, et les choses ne valent que ce qu'on les fait valoir. Tout à fait. Je n'ai jamais respiré une odeur mieux conditionnée. Effroyablement belles. Qu'est-ce donc ? qu'avez-vous ? Il faut avouer qu'il dit les choses d'une manière particulière. Vous avez plus de peur que de mal, et votre cœur crie avant qu'on l'écorche. Le connaissez-vous ? Le voici. Cette journée doit être marquée dans notre Almanach, comme une journée bienheureuse. Pour moi j'ai un furieux tendre pour les hommes d'épée. Il est vrai que la cicatrice est grande. Nous ne doutons point de ce que vous êtes. Il est vrai, qu'il fait une furieuse dépense en esprit. Eh je vous en conjure de toute la dévotion de mon cœur. Que nous ayons quelque chose qu'on ait fait pour nous. Allons donc, mes chères, prenez place. Et a la mine de danser proprement. Quoi, vous laisser battre de la sorte ! Ah quelle confusion ! **** *creator_moliere *book_moliere_precieusesridicules *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_precieusesridicules *dist2_moliere_prose_comedy *id_marotte *date_1659 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_marotte Que désirez-vous Monsieur ? Dans leur cabinet. De la pommade pour les lèvres. Voilà un laquais, qui demande, si vous êtes au logis, et dit que son maître vous veut venir voir. Dame, je n'entends point le Latin, et je n'ai pas appris, comme vous, la Filofie dans le Grand Cyre. Il me l'a nommé le Marquis de Mascarille. Par ma foi, je ne sais point quelle bête c'est là, il faut parler Chrétien, si vous voulez, que je vous entende. Monsieur, voilà mes maîtresses, qui vont venir tout à l'heure. Les voici. Madame, on demande à vous voir. Le Vicomte de Jodelet. Oui, Monsieur. **** *creator_moliere *book_moliere_precieusesridicules *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_precieusesridicules *dist2_moliere_prose_comedy *id_almanzor *date_1659 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_almanzor Madame. Oui, Monsieur, ils sont ici. **** *creator_moliere *book_moliere_precieusesridicules *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_precieusesridicules *dist2_moliere_prose_comedy *id_mascarille *date_1659 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_mascarille Holà, porteurs, holà. Là, là, là, là, là, là. Je pense que ces marauds-là ont dessein de me briser, à force de heurter contre les murailles, et les pavés. Je le crois bien. Voudriez-vous, faquins, que j'exposasse l'embonpoint de mes plumes aux inclémences de la saison pluvieuse ? et que j'allasse imprimer mes souliers en boue ? Allez ôtez votre chaise d'ici. Hem ? Comment, coquin, demander de l'argent à une personne de ma qualité ? Ah, ah, ah, je vous apprendrai à vous connaître. Ces canailles-là s'osent jouer à moi. Quoi ? Il est raisonnable. Oui-da, tu parles comme il faut, toi ; mais l'autre est un coquin, qui ne sait ce qu'il dit. Tiens, es-tu content ? Doucement, tiens, voilà pour le soufflet. On obtient tout de moi, quand on s'y prend de la bonne façon. Allez, venez me reprendre tantôt, pour aller au Louvre au petit coucher. Qu'elles ne se pressent point, je suis ici posté commodément, pour attendre. Mesdames, vous serez surprises, sans doute, de l'audace de ma visite ; mais votre réputation vous attire cette méchante affaire, et le mérite a, pour moi, des charmes si puissants, que je cours, partout, après lui. Ah je m'inscris en faux contre vos paroles. La Renommé accuse juste, en contant ce que vous valez, et vous allez faire pic, repic et capot, tout ce qu'il y a de galant dans Paris. Mais au moins, y a-t-il sûreté ici pour moi ? Quelque vol de mon cœur, quelque assassinat de ma franchise. Je vois ici des yeux qui ont la mine d'être de fort mauvais garçons, de faire insulte aux libertés, et de traiter une âme de Turc à More. Comment diable, d'abord qu'on les approche, ils se mettent sur leur garde meurtrière ? Ah ! par ma foi je m'en défie, et je m'en vais gagner au pied, ou je veux caution bourgeoise, qu'ils ne me feront point de mal. Et bien, Mesdames, que dites-vous de Paris ? Pour moi, je tiens que hors de Paris, il n'y a point de salut pour les honnêtes gens. Il y fait un peu crotté, mais nous avons la Chaise. Vous recevez beaucoup de visites ? Quel bel Esprit est des vôtres ? C'est moi qui ferai votre affaire mieux que personne ; ils me rendent tous visite, et je puis dire que je ne me lève jamais, sans une demi-douzaine de beaux Esprits. Il est vrai qu'il est honteux de n'avoir pas des premiers tout ce qui se fait ; mais ne vous mettez pas en peine, je veux établir chez vous une Académie de beaux Esprits, et je vous promets, qu'il ne se fera pas un bout de Vers dans Paris, que vous ne sachiez par cœur avant tous les autres. Pour moi, tel que vous me voyez, je m'en escrime un peu quand je veux, et vous verrez courir de ma façon dans les belles Ruelles de Paris, deux cents Chansons, autant de Sonnets, quatre cents Épigrammes, et plus de mille Madrigaux, sans compter les Énigmes et les Portraits. Les Portraits sont difficiles, et demandent un esprit profond. Vous en verrez de ma manière, qui ne vous déplairont pas. Cela exerce l'esprit, et j'en ai fait quatre encore ce matin, que je vous donnerai à deviner. C'est mon talent particulier, et je travaille à mettre en Madrigaux toute l'Histoire Romaine. Je vous en promets à chacune un, et des mieux reliés. Cela est au-dessous de ma condition ; mais je le fais seulement pour donner à gagner aux Libraires, qui me persécutent. Sans doute ; mais à propos, il faut que je vous die un Impromptu que je fis hier chez une Duchesse de mes amies que je fus visiter ; car je suis diablement fort sur les Impromptus. Écoutez donc. Oh, oh, je n'y prenais pas garde, Tandis que sans songer à mal, je vous regarde. Votre œil en tapinois me dérobe mon cœur, Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur. Tout ce que je fais a l'air Cavalier, cela ne sent point le Pédant. Avez-vous remarqué ce commencement, oh, oh ? voilà qui est extraordinaire, oh, oh. Comme un homme qui s'avise tout d'un coup oh, oh. La surprise, oh, oh . Il semble que cela ne soit rien. Tudieu, vous avez le goût bon. Mais n'admirez-vous pas aussi, je n'y prenais pas garde ? je n'y prenais pas garde, je ne m'apercevais pas de cela, façon de parler naturelle, Je n'y prenais pas garde. Tandis que sans songer à mal. Tandis qu'innocemment, sans malice, comme un pauvre mouton, je vous regarde ; c'est-à-dire je m'amuse à vous considérer, je vous observe, je vous contemple. Votre œil en tapinois… Que vous semble de ce mot, Tapinois, n'est-il pas bien choisi ? Tapinois, en cachette, il semble que ce soit un chat qui vienne de prendre une souris. Tapinois. Me dérobe mon cœur, me l'emporte, me le ravit. Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur. Ne diriez-vous pas que c'est un homme qui crie et court après un voleur pour le faire arrêter, au voleur, au voleur, au voleur, au voleur. Je veux vous dire l'air que j'ai fait dessus. Moi ? point du tout. Les gens de qualité savent tout, sans avoir jamais rien appris. Écoutez si vous trouverez l'air à votre goût : hem, hem, la, la, la, la, la. La brutalité de la saison a furieusement outragé la délicatesse de ma voix ; mais il n'importe, c'est à la Cavalière. Oh, oh, je n'y prenais pas .... Ne trouvez-vous pas la pensée bien exprimée dans le chant ? au voleur... Et puis comme si l'on criait bien fort, au, au, au, au, au, au, voleur ; et tout d'un coup comme une personne essoufflée, au voleur. Tout ce que je fais me vient naturellement, c'est sans étude. À quoi donc passez-vous le temps ? Je m'offre à vous mener l'un de ces jours à la Comédie, si vous voulez, aussi bien on en doit jouer une nouvelle, que je serai bien aise, que nous voyions ensemble. Mais je vous demande d'applaudir, comme il faut, quand nous serons là. Car je me suis engagé de faire valoir la Pièce, et l'Auteur m'en est venu prier encore ce matin. C'est la coutume ici, qu'à nous autres gens de condition, les Auteurs viennent lire leurs Pièces nouvelles, pour nous engager à les trouver belles, et leur donner de la réputation, et je vous laisse à penser, si quand nous disons quelque chose le parterre ose nous contredire. Pour moi, j'y suis fort exact ; et quand j'ai promis à quelque Poète, je crie toujours, voilà qui est beau, devant que les chandelles soient allumées. Je ne sais si je me trompe ; mais vous avez toute la mine d'avoir fait quelque Comédie. Ah, ma foi, il faudra que nous la voyions. Entre nous, j'en ai composé une que je veux faire représenter. Belle demande ! aux grands Comédiens. Il n'y a qu'eux qui soient capables de faire valoir les choses ; les autres sont des Ignorants, qui récitent comme l'on parle, ils ne savent pas faire ronfler les Vers et s'arrêter au bel endroit ; le moyen de connaître où est le beau Vers, si le Comédien ne s'y arrête et ne vous avertit par là, qu'il faut faire le brouhaha. Que vous semble de ma petite-oie ? la trouvez-vous congruante à l'habit ? Le ruban est bien choisi. Que dites-vous de mes canons ? Je puis me vanter au moins qu'ils ont un grand quartier plus que tous ceux qu'on fait. Attachez un peu sur ces gants la réflexion de votre odorat. Et celle-là ? Vous ne me dites rien de mes plumes, comment les trouvez-vous ? Savez-vous que le brin me coûte un Louis d'or ? Pour moi j'ai cette manie, de vouloir donner généralement sur tout ce qu'il y a de plus beau. Ahi, ahi, ahi, doucement ; Dieu me damne, Mesdames, c'est fort mal en user ; j'ai à me plaindre de votre procédé ; cela n'est pas honnête. Quoi, toutes deux contre mon cœur, en même temps ? m'attaquer à droit et à gauche ? ah c'est contre le droit des gens, la partie n'est pas égale, et je m'en vais crier au meurtre. Comment diable ! il est écorché depuis la tête jusqu'aux pieds. Le Vicomte de Jodelet ? C'est mon meilleur Ami. Il y a quelque temps que nous ne nous sommes vus, et je suis ravi de cette aventure. Ah Vicomte ! Que je suis aise de te rencontrer ! Baise-moi donc encore un peu, je te prie. Mesdames, agréez que je vous présente ce Gentilhomme-ci. Sur ma parole, il est digne d'être connu de vous. Ne vous étonnez pas de voir le Vicomte de la sorte, il ne fait que sortir d'une maladie qui lui a rendu le visage pâle, comme vous le voyez. Savez-vous, Mesdames, que vous voyez dans le Vicomte un des vaillants hommes du siècle ? C'est un brave à trois poils. Il est vrai que nous nous sommes vus tous deux dans l'occasion. Oui, mais non pas si chaud qu'ici. Hay, hay, hay. Il est vrai ; mais vous étiez pourtant dans l'emploi avant que j'y fusse, et je me souviens que je n'étais que petit Officier encore, que vous commandiez deux mille Chevaux. C'est ce qui fait que je veux pendre l'épée au croc. Te souvient-il, Vicomte, de cette demi-lune, que nous emportâmes sur les ennemis au siège d'Arras ? Je pense que tu as raison. Donnez-moi un peu votre main, et tâtez celui-ci : là, justement au derrière de la tête. Y êtes-vous ? C'est un coup de mousquet que je reçus la dernière campagne que j'ai faite. Je vais vous montrer une furieuse plaie. Ce sont des marques honorables, qui font voir ce qu'on est. Vicomte, as-tu là ton Carrosse ? Nous mènerions promener ces Dames hors des Portes, et leur donnerions un cadeau. Ayons donc les violons pour danser. Holà Champagne, Picard, Bourguignon, Casquaret, Basque, la Verdure, Lorrain, Provençal, la Violette. Au diable soient tous les Laquais. Je ne pense pas qu'il y ait Gentilhomme en France plus mal servi que moi. Ces canailles me laissent toujours seul. Vicomte, que dis-tu de ces yeux ? Moi, je dis, que nos libertés auront peine à sortir d'ici les braies nettes. Au moins, pour moi, je reçois d'étranges secousses, et mon cœur ne tient plus qu'à un filet. Pour vous montrer que je suis véritable, je veux faire un impromptu là-dessus. Que Diable est cela ? je fais toujours bien le premier vers : mais j'ai peine à faire les autres. Ma foi, ceci est un peu trop pressé, je vous ferai un impromptu à loisir, que vous trouverez le plus beau du monde. Vicomte dis-moi un peu, y a-t-il longtemps, que tu n'as vu la Comtesse ? Sais-tu bien que le Duc m'est venu voir ce matin, et m'a voulu mener à la campagne, courir un Cerf, avec lui ? Ce n'est ici qu'un Bal à la hâte ; mais l'un de ces jours nous vous en donnerons un dans les formes. Les Violons sont-ils venus ? La, la, la, la, la, la, la, la. Ma franchise va danser la courante aussi bien que mes pieds. En cadence, Violons, en cadence. Oh quels ignorants ! il n'y a pas moyen de danser avec eux. Le Diable vous emporte, ne sauriez-vous jouer en mesure ? La, la, la, la, la, la, la, la ? Ferme, ô Violons de village. Ahy, ahy, ahy, vous ne m'aviez pas dit que les coups en seraient aussi. Mon Dieu, je n'ai pas voulu faire semblant de rien : car je suis violent, et je me serais emporté. Ce n'est rien, ne laissons pas d'achever. Nous nous connaissons il y a longtemps, et entre amis on ne va pas se piquer, pour si peu de chose. Voilà le Marquisat et la Vicomté à bas. Ô fortune, quelle est ton inconstance ! Demandez à Monsieur le Vicomte. Traiter comme cela un Marquis ? Voilà ce que c'est que du monde, la moindre disgrâce nous fait mépriser de ceux qui nous chérissaient. Allons, camarade, allons chercher fortune autre part ; je vois bien qu'on n'aime ici, que la vaine apparence, et qu'on n y considère point la vertu toute nue. **** *creator_moliere *book_moliere_precieusesridicules *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_precieusesridicules *dist2_moliere_prose_comedy *id_jodelet *date_1659 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_jodelet Ah Marquis ! Que j'ai de joie de te voir ici ! Il est juste de venir vous rendre ce qu'on vous doit, et vos attraits exigent leurs droits seigneuriaux sur toutes sortes de personnes. Ce sont fruits des veilles de la Cour, et des fatigues de la guerre. Vous ne m'en devez rien, Marquis, et nous savons ce que vous savez faire aussi. Et dans des lieux où il faisait fort chaud. Notre connaissance s'est faite à l'armée, et la première fois que nous nous vîmes, il commandait un Régiment de Cavalerie sur les Galères de Malte. La Guerre est une belle chose : mais ma foi, la Cour récompense bien mal aujourd'hui les gens de service comme nous. Que veux-tu dire avec ta demi-lune ? c'était bien une lune toute entière. Il m'en doit bien souvenir, ma foi : j'y fus blessé à la jambe d'un coup de grenade, dont je porte encore les marques. Tâtez un peu, de grâce, vous sentirez quelque coup, c'était là. Voici un autre coup qui me perça de part en part à l'attaque de Gravelines. Pourquoi ? Ma foi c'est bien avisé. Mais toi-même, Marquis, que t'en semble ? J'aurais envie d'en faire autant : mais je me trouve un peu incommodé de la veine Poétique, pour la quantité des saignées que j'y ai faites ces jours passés. Il a de l'esprit comme un Démon. Il y a plus de trois semaines que je ne lui ai rendu visite. Holà, ne pressez pas si fort la cadence, je ne fais que sortir de maladie. Ahy, ahy, ahy. C'est une gageure. Adieu notre braverie. Demandez à Monsieur le Marquis. **** *creator_moliere *book_moliere_precieusesridicules *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_precieusesridicules *dist2_moliere_prose_comedy *id_porteur1 *date_1659 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_porteur1 Dame, c'est que la porte est étroite. Vous avez voulu aussi, que nous soyons entrés jusqu'ici. Çà, payez-nous vitement. Je dis, que je veux avoir de l'argent, tout à l'heure. Vite donc. Non, je ne suis pas content, vous avez donné un soufflet à mon camarade, et... **** *creator_moliere *book_moliere_precieusesridicules *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_precieusesridicules *dist2_moliere_prose_comedy *id_porteur2 *date_1659 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_porteur2 Payez-nous donc, s'il vous plaît, monsieur. Je dis, monsieur, que vous nous donniez de l'argent, s'il vous plaît. Est-ce ainsi, qu'on paie les pauvres gens ? et votre qualité nous donne-t-elle à dîner ? **** *creator_moliere *book_moliere_precieusesridicules *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_precieusesridicules *dist2_moliere_prose_comedy *id_lucile *date_1659 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_lucile Vous nous avez obligées, sans doute. **** *creator_moliere *book_moliere_precieusesridicules *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_precieusesridicules *dist2_moliere_prose_comedy *id_violons *date_1659 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_violons Qu'est-ce donc que ceci ? qui nous payera, nous autres ? Qui est-ce qui nous donnera de l'argent ? Monsieur nous entendons que vous nous contentiez à leur défaut, pour ce que nous avons joué ici. **** *creator_moliere *book_moliere_princessedelide *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_princessedelide *dist2_moliere_verse_comedy *id_princesse-elide *date_1664 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_princesseelide Et pensez-vous, Seigneur, puisqu'il me faut parler, Qu'il eût en ce péril de quoi tant m'ébranler ? Que l'Arc, et que le Dard, pour moi si pleins de charmes, Ne soient entre mes mains que d'inutiles armes ? Et que je fasse, enfin, mes plus fréquents emplois De parcourir nos monts, nos plaines et nos bois, Pour n'oser en chassant concevoir l'espérance De suffire moi seule à ma propre défense ? Certes avec le temps j'aurais bien profité De ces soins assidus dont je fais vanité S'il fallait que mon bras, dans une telle quête, Ne pût pas triompher d'une chétive bête ; Du moins si pour prétendre à de sensibles coups Le commun de mon sexe est trop mal avec vous, D'un étage plus haut accordez-moi la gloire, Et me faites tous deux cette grâce de croire, Seigneurs, que quel que fût le Sanglier d'aujourd'hui, J'en ai mis bas, sans vous, de plus méchants que lui. Hé bien, soit, je vois que votre envie Est de persuader que je vous dois la vie ; J'y consens ; oui sans vous c'était fait de mes jours, Je rends de tout mon cœur grâce à ce grand secours, Et je vais de ce pas au Prince pour lui dire Les bontés que pour moi votre amour vous inspire. Oui j'aime à demeurer dans ces paisibles lieux, On n'y découvre rien qui n'enchante les yeux, Et de tous nos Palais la savante structure Cède aux simples beautés qu'y forme la nature : Ces Arbres, ces Rochers, cette Eau, ces Gazons frais Ont pour moi des appas à ne lasser jamais. Quel droit ont-ils chacun d'y vouloir ma présence ? Et que dois-je après tout à leur magnificence ? Ce sont soins que produit l'ardeur de m'acquérir, Et mon cœur est le prix qu'ils veulent tous courir : Mais quelque espoir qui flatte un projet de la sorte, Je me tromperai fort si pas un d'eux l'emporte. Pouvez-vous bien toutes deux, étant ce que vous êtes, prononcer ces paroles ; et ne devez-vous pas rougir d'appuyer une passion qui n'est qu'erreur, que faiblesse et qu'emportement, et dont tous les désordres ont tant de répugnance avec la gloire de notre sexe. J'en prétends soutenir l'honneur jusqu'au dernier moment de ma vie : Et ne veux point du tout me commettre à ces gens qui sont les esclaves auprès de nous, pour devenir un jour nos Tyrans : Toutes ces larmes, tous ces soupirs, tous ces hommages, tous ces respects sont des embûches qu'on tend à notre cœur, et qui souvent l'engagent à commettre des lâchetés. Pour moi quand je regarde certains exemples, et les bassesses épouvantables où cette passion ravale les personnes sur qui elle étend sa puissance : Je sens tout mon cœur qui s'émeut : et je ne puis souffrir qu'une âme qui fait profession d'un peu de fierté, ne trouve pas une honte horrible à de telles faiblesses. Arrêtez, n'achevez pas ce souhait étrange, j'ai une horreur trop invincible pour ces sortes d'abaissements, et si jamais j'étais capable d'y descendre, je serais personne sans doute à ne me le point pardonner. Non, non je brave tous ses traits, et le grand pouvoir qu'on lui donne n'est rien qu'une chimère, qu'une excuse des faibles cœurs qui le font invincible pour autoriser leur faiblesse. Les croyances publiques sont toujours mêlées d'erreur : Les Dieux ne sont point faits comme se les fait le vulgaire, et c'est leur manquer de respect que de leur attribuer les faiblesses des hommes. Voilà votre parti fortifié d'un grand défenseur. Ô Ciel ! que prétend-il faire en me les amenant ? Aurait-il résolu ma perte, et voudrait-il bien me forcer au choix de quelqu'un d'eux ? Seigneur, je vous demande la licence de prévenir par deux paroles, la déclaration des pensées que vous pouvez avoir. Il y a deux vérités, Seigneur, aussi constantes l'une que l'autre, et dont je puis vous assurer également : l'Une que vous avez un absolu pouvoir sur moi, et que vous ne sauriez m'ordonner rien où je ne réponde aussitôt par une obéissance aveugle. L'autre que je regarde l'Hyménée ainsi que le trépas, et qu'il m'est impossible de forcer cette aversion naturelle : Me donner un Mari, et me donner la mort c'est une même chose ; mais votre volonté va la première, et mon obéissance m'est bien plus chère que ma vie : Après cela parlez, Seigneur, prononcez librement ce que vous voulez. D'où sort cette fierté où l'on ne s'attendait point ? Princesses, que dites-vous de ce jeune Prince ? Avez-vous remarqué de quel ton il l'a pris ? Ne trouvez-vous pas qu'il y aurait plaisir d'abaisser son orgueil, et de soumettre un peu ce cœur qui tranche tant du brave ? Je vous avoue que cela m'a donné de l'émotion, et que je souhaiterais fort de trouver les moyens de châtier cette hauteur. Je n'avais pas beaucoup d'envie de me trouver à cette Course ; mais j'y veux aller exprès, et employer toute chose pour lui donner de l'amour. Ah ! n'appréhendez rien, je vous prie, allons, je vous réponds de moi. Le voici qui s'entretient avec Moron ; nous saurons un peu de quoi il lui parle : Ne rompons point encore leur entretien, et prenons cette route pour revenir à leur rencontre. Tu as donc familiarité, Moron, avec le Prince d'Ithaque ? D'où vient qu'il n'est pas venu jusqu'ici, et qu'il a pris cette autre route quand il m'a vue ? Étais-tu tantôt au compliment qu'il m'a fait ? Pour moi je le confesse, Moron, cette fuite m'a choquée, et j'ai toutes les envies du monde de l'engager pour rabattre un peu son orgueil. Comment ? Mais encore, ne t'a-t-il point parlé de moi ? Il ne t'a rien dit de ma voix, et de ma danse ? Certes ce mépris est choquant, et je ne puis souffrir cette hauteur étrange de ne rien estimer. Il n'y a rien que je ne fasse, pour le soumettre comme il faut. Le voilà. De grâce, Moron, va le faire aviser que je suis ici, et l'oblige à me venir aborder. Vous êtes bien solitaire, Seigneur, et c'est une humeur bien extraordinaire que la vôtre, de renoncer ainsi à notre sexe, et de fuir à votre âge cette galanterie, dont se piquent tous vos pareils. Il y a grande différence, et ce qui sied bien à un sexe, ne sied pas bien à l'autre. Il est beau qu'une femme soit insensible, et conserve son cœur exempt des flammes de l'amour ; mais ce qui est vertu en elle, devient un crime dans un homme. Et comme la beauté est le partage de notre sexe, vous ne sauriez ne nous point aimer, sans nous dérober les hommages qui nous sont dus, et commettre une offense dont nous devons toutes nous ressentir. Ce n'est pas une raison, Seigneur, et sans vouloir aimer, on est toujours bien aise d'être aimée. Et la raison ? Si bien donc, que pour fuir l'ingratitude, vous aimeriez qui vous aimerait ? Telle personne vous aimerait, peut-être que votre cœur… A-t-on jamais rien vu de tel ! Cet orgueil me confond, et j'ai un tel dépit, que je ne me sens pas. C'est avoir une insensibilité bien grande, que de parler comme vous faites. Je donnerais volontiers tout ce que j'ai au monde, pour avoir l'avantage d'en triompher. Ne pourrais-tu, Moron, me servir dans un tel dessein ? Parle-lui de moi dans tes entretiens, vante-lui adroitement ma personne, et les avantages de ma naissance, et tâche d'ébranler ses sentiments, par la douceur de quelque espoir. Je te permets de dire tout ce que tu voudras, pour tâcher à me l'engager. C'est une chose qui me tient au cœur, je souhaite ardemment qu'il m'aime. Enfin tu peux tout espérer de moi, si tu trouves moyen d'enflammer pour moi son cœur. Ah ! ce serait lors que je prendrais plaisir à triompher pleinement de sa vanité, à punir son mépris par mes froideurs, et exercer sur lui toutes les cruautés que je pourrais imaginer. Ah ! Moron, il faut faire en sorte qu'il se rende. Si faut-il pourtant tenter toute chose, et éprouver si son âme est entièrement insensible. Allons, je veux lui parler, et suivre une pensée qui vient de me venir. Prince, comme jusques ici nous avons fait paraître une conformité de sentiments, et que le Ciel a semblé mettre en nous mêmes attachements pour notre liberté, et même aversion pour l'Amour ; je suis bien aise de vous ouvrir mon cœur, et de vous faire confidence d'un changement dont vous serez surpris. J'ai toujours regardé l'Hymen comme une chose affreuse, et j'avais fait serment d'abandonner plutôt la vie, que de me résoudre jamais à perdre cette liberté pour qui j'avais des tendresses si grandes : mais, enfin, un moment a dissipé toutes ces résolutions, le mérite d'un Prince m'a frappé aujourd'hui les yeux, et mon âme tout d'un coup (comme par un miracle) est devenue sensible aux traits de cette passion que j'avais toujours méprisée. J'ai trouvé d'abord des raisons pour autoriser ce changement, et je puis l'appuyer de la volonté de répondre aux ardentes sollicitations d'un Père, et aux vœux de tout un État ; mais, à vous dire vrai, je suis en peine du jugement que vous ferez de moi, et je voudrais savoir si vous condamnerez ou non le dessein que j'ai de me donner un Époux. Qui croyez-vous, à votre avis, que je veuille choisir ? Devinez pour voir, et nommez quelqu'un ? Mais, encore, pour qui souhaiteriez-vous que je me déclarasse ? Eh bien Prince, je veux bien vous la découvrir : je suis sûre que vous allez approuver mon choix, et pour ne vous point tenir en suspens davantage, le Prince de Messène est celui de qui le mérite s'est attiré mes vœux. Mon invention a réussi, Moron, le voilà qui se trouble. Ne trouvez-vous pas que j'ai raison, et que ce Prince a tout le mérite qu'on peut avoir ? D'où vient, Prince, que vous ne dites mot, et semblez interdit ? Ah ! Moron, je n'en puis plus, et ce coup que je n'attendais pas, triomphe absolument de toute ma fermeté. Ah ! ce m'est un dépit à me désespérer, qu'une autre ait l'avantage de soumettre ce cœur que je voulais soumettre. Princesse, j'ai à vous prier d'une chose qu'il faut absolument que vous m'accordiez : Le Prince d'Ithaque vous aime, et veut vous demander au prince mon Père. Oui. Il vient de m'en assurer lui-même, et m'a demandé mon suffrage pour vous obtenir, mais je vous conjure de rejeter cette proposition, et de ne point prêter l'oreille à tout ce qu'il pourra vous dire. Non, Aglante, je vous le demande, faites-moi ce plaisir, je vous prie, et trouvez bon que n'ayant pu avoir l'avantage de le soumettre, je lui dérobe la joie de vous obtenir. Non, non, il n'aura pas la joie de me braver entièrement. Comment ? Il vous a dit qu'il tenait cela de ma bouche ? C'est un étourdi, et vous êtes un peu trop crédule, Prince, d'ajouter foi si promptement à ce qu'il vous a dit ; une pareille nouvelle mériterait bien, ce me semble, qu'on en doutât un peu de temps, et c'est tout ce que vous pourriez faire de la croire, si je vous l'avais dite moi-même. De grâce, Prince, brisons-là ce discours, et si vous voulez m'obliger, souffrez que je puisse jouir de deux moments de solitude. Ah ! qu'en cette aventure, le Ciel me traite avec une rigueur étrange ! Au moins, Princesse, souvenez-vous de la prière que je vous ai faite ? Non, je ne puis souffrir qu'il soit heureux avec une autre, et si la chose était, je crois que j'en mourrais de déplaisir. Moi, je l'aime ? Ô Ciel ! je l'aime ? Avez-vous l'insolence de prononcer ces paroles, sortez de ma vue, impudent, et ne vous présentez jamais devant moi. Retirez-vous d'ici, vous dis-je, ou je vous en ferai retirer d'une autre manière. De quelle émotion inconnue sens-je mon cœur atteint ! et quelle inquiétude secrète est venue troubler tout d'un coup la tranquillité de mon âme ? Ne serait-ce point aussi, ce qu'on vient de me dire, et sans en rien savoir, n'aimerais-je point ce jeune Prince ? Ah ! si cela était je serais personne à me désespérer : mais il est impossible que cela soit, et je vois bien que je ne puis pas l'aimer. Quoi ? je serais capable de cette lâcheté. J'ai vu toute la Terre à mes pieds, avec la plus grande insensibilité du monde. Les respects, les hommages et les soumissions n'ont jamais pu toucher mon âme, et la fierté et le dédain en auraient triomphé. J'ai méprisé tous ceux qui m'ont aimée, et j'aimerais le seul qui me méprise ? Non, non, je sais bien que je ne l'aime pas. Il n'y a pas de raison à cela : Mais si ce n'est pas de l'amour que ce que je sens maintenant, qu'est-ce donc que ce peut être ? et d'où vient ce poison qui me court par toutes les veines, et ne me laisse point en repos avec moi-même ? Sors de mon cœur, qui que tu sois, ennemi qui te caches, attaque-moi visiblement, et deviens à mes yeux la plus affreuse bête de tous nos bois, afin que mon dard et mes flèches me puissent défaire de toi. Ô vous, admirables personnes, qui par la douceur de vos chants avez l'art d'adoucir les plus fâcheuses inquiétudes, approchez-vous d'ici de grâce, et tâchez de charmer avec votre Musique le chagrin où je suis. Ô Ciel ! que vois-je ici ? Seigneur, je me jette à vos pieds pour vous demander une grâce. Vous m'avez toujours témoigné une tendresse extrême, et je crois vous devoir bien plus par les bontés que vous m'avez fait voir, que par le jour que vous m'avez donné : Mais si jamais pour moi vous avez eu de l'amitié, je vous en demande aujourd'hui la plus sensible preuve que vous me puissiez accorder ; c'est de n'écouter point, Seigneur, la demande de ce Prince, et ne pas souffrir que la Princesse Aglante soit unie avec lui. Par la raison, que je hais ce Prince, et que je veux, si je puis, traverser ses desseins. Oui, et de tout mon cœur, je vous l'avoue. Il m'a méprisée. Il ne m'a pas trouvée assez bien faite pour m'adresser ses vœux. N'importe. Il me devait aimer comme les autres, et me laisser, au moins, la gloire de le refuser : Sa déclaration me fait un affront, et ce m'est une honte sensible, qu'à mes yeux, et au milieu de votre Cour il a recherché une autre que moi. J'en prends, Seigneur, à me venger de son mépris, et comme je sais bien qu'il aime Aglante avec beaucoup d'ardeur, je veux empêcher, s'il vous plaît, qu'il ne soit heureux avec elle. Oui, Seigneur, sans doute, et s'il obtient ce qu'il demande, vous me verrez expirer à vos yeux. Moi, Seigneur ? Je l'aime, dites-vous ? et vous m'imputez cette lâcheté. Ô Ciel ! quelle est mon infortune ! Puis-je bien sans mourir, entendre ces paroles, et faut-il que je sois si malheureuse qu'on me soupçonne de l'aimer. Ah ! si c'était un autre que vous, Seigneur, qui me tînt ce discours, je ne sais pas ce que je ne ferais point. Ah ! Seigneur, vous me donnez la vie. Vous vous moquez, Seigneur, et ce n'est pas ce qu'il demande. Non, non, Prince, je ne vous sais pas mauvais gré de m'avoir abusée, et tout ce que vous m'avez dit, je l'aime bien mieux une feinte, que non pas une vérité. Seigneur, je ne sais pas encore ce que je veux : donnez-moi le temps d'y songer, je vous prie, et m'épargnez un peu la confusion où je suis. **** *creator_moliere *book_moliere_princessedelide *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_princessedelide *dist2_moliere_verse_comedy *id_aglante *date_1664 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_aglante Je chéris comme vous ces retraites tranquilles Où l'on se vient sauver de l'embarras des Villes ; De mille objets charmants ces lieux sont embellis ; Et ce qui doit surprendre, est qu'aux portes d'Élis La douce passion de fuir la multitude Rencontre une si belle, et vaste solitude : Mais à vous dire vrai dans ces jours éclatants Vos retraites ici me semblent hors de temps, Et c'est fort maltraiter l'appareil magnifique Que chaque Prince a fait pour la Fête publique : Ce spectacle pompeux de la Course des Chars Devrait bien mériter l'honneur de vos regards. Pour moi je tiens que cette passion est la plus agréable affaire de la vie, qu'il est nécessaire d'aimer pour vivre heureusement, et que tous les plaisirs sont fades s'il ne s'y mêle un peu d'amour. Prenez garde ; Madame, l'Amour sait se venger des mépris que l'on fait de lui, et peut-être… Viens, approche Moron, viens nous aider à défendre l'Amour contre les sentiments de la Princesse. Il est vrai que cela est un peu fier. Le Prince d'Ithaque, Madame ? Mais, Madame, s'il était vrai que ce Prince m'aimât effectivement, pourquoi n'ayant aucun dessein de vous engager, ne voudriez-vous pas souffrir… Madame, il faut vous obéir, mais je croirais que la conquête d'un tel cœur ne serait pas une victoire à dédaigner. Je vous l'ai dit déjà, Madame, il faut vous obéir. **** *creator_moliere *book_moliere_princessedelide *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_princessedelide *dist2_moliere_verse_comedy *id_cynthie *date_1664 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_cynthie Jusques à quand ce cœur veut-il s'effaroucher Des innocents desseins qu'on a de le toucher ? Et regarde les soins que pour vous on se donne, Comme autant d'attentats contre votre personne ? Je sais qu'en défendant le parti de l'Amour On s'expose chez vous à faire mal sa cour : Mais ce que par le sang j'ai l'honneur de vous être S'oppose aux duretés que vous faites paraître, Et je ne puis nourrir d'un flatteur entretien Vos résolutions de n'aimer jamais rien. Est-il rien de plus beau que l'innocente flamme Qu'un mérite éclatant allume dans une âme ? Et serait-ce un bonheur de respirer le jour Si d'entre les mortels on bannissait l'Amour ? Non, non, tous les plaisirs se goûtent à le suivre, Et vivre sans aimer n'est pas proprement vivre. Eh ! Madame, il est de certaines faiblesses qui ne sont point honteuses, et qu'il est beau même d'avoir dans les plus hauts degrés de gloire. J'espère que vous changerez un jour de pensée, et s'il plaît au Ciel nous verrons votre cœur avant qu'il soit peu… Mais enfin toute la terre reconnaît sa puissance, et vous voyez que les Dieux même sont assujettis à son empire : On nous fait voir que Jupiter n'a pas aimé pour une fois ; et que Diane même dont vous affectez tant l'exemple n'a pas rougi de pousser des soupirs d'amour. Quoi ? Moron se mêle d'aimer ? Et de vouloir être aimé ? Sans doute, on aurait tort… Comme vous êtes accoutumée à ne jamais recevoir que des hommages et des adorations de tout le monde, un compliment pareil au sien doit vous surprendre à la vérité. Prenez garde, Madame, l'entreprise est périlleuse, et lorsqu'on veut donner de l'amour, on court risque d'en recevoir. Il est vrai, Madame, que ce jeune Prince a fait voir une adresse non commune, et que l'air dont il a paru a été quelque chose de surprenant. Il sort vainqueur de cette Course, mais je doute fort qu'il en sorte avec le même cœur qu'il y a porté : Car enfin, vous lui avez tiré des traits dont il est difficile de se défendre, et sans parler de tout le reste, la grâce de votre danse, et la douceur de votre voix ont eu des charmes aujourd'hui à toucher les plus insensibles. **** *creator_moliere *book_moliere_princessedelide *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_princessedelide *dist2_moliere_verse_comedy *id_philis *date_1664 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_philis Seigneur, la Déesse Vénus vient d'annoncer partout le changement du cœur de la Princesse : Tous les Pasteurs et toutes les Bergères en témoignent leur joie par des danses et des chansons, et si ce n'est point un spectacle que vous méprisiez, vous allez voir l'allégresse publique se répandre jusques ici. **** *creator_moliere *book_moliere_princessedelide *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_princessedelide *dist2_moliere_verse_comedy *id_iphitas *date_1664 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_iphitas Ma Fille tu as tort de prendre de telles alarmes, et je me plains de toi, qui peux mettre dans ta pensée que je sois assez mauvais Père pour vouloir faire violence à tes sentiments, et me servir tyranniquement de la puissance que le Ciel me donne sur toi. Je souhaite à la vérité que ton cœur puisse aimer quelqu'un : Tous mes vœux seraient satisfaits si cela pouvait arriver, et je n'ai proposé les Fêtes et les Jeux que je fais célébrer ici ; qu'afin d'y pouvoir attirer tout ce que la Grèce a d'illustre ; et que parmi cette noble jeunesse tu puisses enfin rencontrer où arrêter tes yeux et déterminer tes pensées. Je ne demande dis-je, au Ciel autre bonheur que celui de te voir un Époux. J'ai pour obtenir cette grâce fait encore ce matin un sacrifice à Vénus ; et si je sais bien expliquer le langage des Dieux, elle m'a promis un miracle ; mais quoi qu'il en soit je veux en user avec toi en Père qui chérit sa Fille : Si tu trouves où attacher tes vœux, ton choix sera le mien, et je ne considérerai ni intérêts d'État, ni avantage d'Alliance. Si ton cœur demeure insensible, je n'entreprendrai point de le forcer : Mais au moins sois complaisante aux civilités qu'on te rend, et ne m'oblige point à faire les excuses de ta froideur : Traite ces Princes avec l'estime que tu leur dois, reçois avec reconnaissance les témoignages de leur zèle, et viens voir cette Course où leur adresse va paraître. Ah ! Prince, que je devrai de grâces à ce stratagème amoureux, s'il faut qu'il ait trouvé le secret de toucher son cœur. Prince, n'entrons point dans ces compliments, je trouve en vous de quoi remplir tous les souhaits d'un Père, et si vous avez le cœur de ma fille, il ne vous manque rien. Oui, l'honneur de votre alliance m'est d'un prix très considérable, et je souscris aisément de tous mes suffrages à la demande que vous me faites. Et par quelle raison, ma Fille, voudrais-tu t'opposer à cette union ? Tu le hais, ma Fille ? Et que t'a-t-il fait ? Et comment ? Et quelle offense te fait cela ? Tu ne veux accepter personne ! Mais quel intérêt dois-tu prendre à lui ? Cela te tient donc bien au cœur ? Va, va ma Fille, avoue franchement la chose. Le mérite de ce Prince t'a fait ouvrir les yeux, et tu l'aimes, enfin, quoi que tu puisses dire. Oui, tu l'aimes. Eh bien ? oui, tu ne l'aimes pas. Tu le hais, j'y consens, et je veux bien pour te contenter qu'il n'épouse pas la Princesse Aglante. Mais afin d'empêcher qu'il ne puisse être jamais à Elle, il faut que tu le prennes pour toi. Si bien donc, ma Fille, que tu veux bien accepter ce Prince pour Époux ? Vous jugez, Prince, ce que cela veut dire, et vous vous pouvez fonder là-dessus. Viens, Moron, c'est ici un jour de paix, et je te remets en grâce avec la Princesse. Je crains bien, Princes, que le choix de ma Fille ne soit pas en votre faveur ; mais voilà deux Princesses qui peuvent bien vous consoler de ce petit malheur. **** *creator_moliere *book_moliere_princessedelide *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_princessedelide *dist2_moliere_verse_comedy *id_euryale *date_1664 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_euryale Explique, explique Arbate, avec toute licence Ces soupirs, ces regards, et ce morne silence : Je te permets ici de dire que l'Amour M'a rangé sous ses lois, et me brave à son tour : Et je consens encor que tu me fasses honte Des faiblesses d'un cœur qui souffre qu'on le dompte. Si de l'Amour un temps j'ai bravé la puissance, Hélas ! mon cher Arbate, il en prend bien vengeance ! Et sachant dans quels maux mon cœur s'est abîmé, Toi-même, tu voudrais qu'il n'eût jamais aimé : Car enfin vois le sort où mon Astre me guide, J'aime, j'aime ardemment la Princesse d'Élide, Et tu sais quel orgueil sous des traits si charmants Arme contre l'Amour ses jeunes sentiments ; Et comment elle fuit en cette illustre Fête Cette foule d'amants qui briguent sa conquête. Ah ! Qu'il est bien peu vrai que ce qu'on doit aimer Aussitôt qu'on le voit prend droit de nous charmer, Et qu'un premier coup d'œil allume en nous les flammes Où le Ciel en naissant a destiné nos âmes. À mon retour d'Argos je passai dans ces lieux, Et ce passage offrit la Princesse à mes yeux ; Je vis tous les appas dont elle est revêtue Mais de l'œil dont on voit une belle Statue : Leur brillante jeunesse observée à loisir Ne porta dans mon âme aucun secret désir, Et d'Ithaque en repos je revis le rivage Sans m'en être en deux ans rappelé nulle Image : Un bruit vient cependant à répandre à ma Cour Le célèbre mépris qu'elle fait de l'Amour ; On publie en tous lieux que son âme hautaine Garde pour l'Hyménée une invincible haine, Et qu'un Arc à la main, sur l'épaule un Carquois, Comme une autre Diane elle hante les bois, N'aime rien que la Chasse, et de toute la Grèce Fait soupirer en vain l'héroïque jeunesse. Admire nos esprits, et la fatalité, Ce que n'avait point fait sa vue et sa beauté, Le bruit de ses fiertés en mon âme fit naître Un transport inconnu, dont je ne fus point maître ; Ce dédain si fameux eut des charmes secrets À me faire avec soin rappeler tous ses traits, Et mon esprit jetant de nouveaux yeux sur elle M'en refit une image et si noble, et si belle ; Me peignit tant de gloire, et de telles douceurs À pouvoir triompher de toutes ses froideurs, Que mon cœur aux brillants d'une telle victoire Vit de sa liberté s'évanouir la gloire ; Contre une telle amorce il eut beau s'indigner, Sa douceur sur mes sens prit tel droit de régner, Qu'entraîné par l'effort d'une occulte puissance J'ai d'Ithaque en ces lieux fait voile en diligence, Et je couvre un effet de mes vœux enflammés Du désir de paraître à ses Jeux renommés, Où l'illustre Iphitas, Père de la Princesse, Assemble la plupart des Princes de la Grèce. Et que ferai-je, Arbate, en déclarant ma peine, Qu'attirer les dédains de cette âme hautaine ? Et me jeter au rang de ces Princes soumis Que le titre d'amants lui peint en ennemis ? Tu vois les Souverains de Messène et de Pyle Lui faire de leurs cœurs un hommage inutile, Et de l'éclat pompeux des plus hautes vertus En appuyer en vain les respects assidus : Ce rebut de leurs soins, sous un triste silence, Retient de mon amour toute la violence ; Je me tiens condamné dans ces Rivaux fameux, Et je lis mon arrêt au mépris qu'on fait d'eux. J'aime à te voir presser cet aveu de ma flamme, Combattant mes raisons tu chatouilles mon âme, Et par ce que j'ai dit je voulais pressentir Si de ce que j'ai fait tu pourrais m'applaudir : Car, enfin, puisqu'il faut t'en faire confidence, On doit à la Princesse expliquer mon silence, Et peut-être au moment que je t'en parle ici Le secret de mon cœur, Arbate, est éclairci. Cette Chasse, où pour fuir la foule qui l'adore, Tu sais qu'elle est allée au lever de l'Aurore, Est le temps que Moron pour déclarer mon feu, A pris… Ce choix t'étonne un peu ; Par son titre de fou tu crois le bien connaître, Mais sache qu'il l'est moins qu'il ne le veut paraître, Et que malgré l'emploi qu'il exerce aujourd'hui Il a plus de bon sens que tel qui rit de lui : La Princesse se plaît à ses bouffonneries, Il s'en est fait aimer par cent plaisanteries, Et peut dans cet accès dire et persuader Ce que d'autres que lui n'oseraient hasarder ; Je le vois propre, enfin, à ce que j'en souhaite, Il a pour moi, dit-il, une amitié parfaite, Et veut (dans mes États ayant reçu le jour) Contre tous mes Rivaux appuyer mon amour : Quelque argent mis en main pour soutenir ce zèle… Je pense ouïr sa voix ? C'est lui-même, où court-il avec un tel effroi ? Qu'as-tu ? Qu'est-ce ? Dis-nous donc ce que c'est ? Tu parlais d'exercice pénible. Qu'est-ce ? Fort bien… En effet ton trépas fâcherait tes amis ; Mais si de ta frayeur ton esprit est remis Puis-je te demander si du feu qui me brûle… Non, ce n'est plus, Moron, ce que je veux ; Garde-toi de rien dire, et me laisse un peu faire, J'ai résolu de prendre un chemin tout contraire ; Je vois trop que son cœur s'obstine à dédaigner Tous ces profonds respects qui pensent la gagner, Et le Dieu qui m'engage à soupirer pour elle M'inspire pour la vaincre une adresse nouvelle : Oui, c'est lui d'où me vient ce soudain mouvement, Et j'en attends de lui l'heureux événement. Tu le vas voir, allons, et garde le silence. Pour moi, Madame, je n'y vais point du tout avec cette pensée : Comme j'ai fait toute ma vie profession de ne rien aimer, tous les soins que je prends ne vont point où tendent les autres : Je n'ai aucune prétention sur votre cœur, et le seul honneur de la Course est tout l'avantage où j'aspire. Ah ! Moron, je te l'avoue, j'ai été enchanté, et jamais tant de charmes n'ont frappé tout ensemble mes yeux et mes oreilles. Elle est adorable en tout temps, il est vrai : mais ce moment l'a emporté sur tous les autres, et des grâces nouvelles ont redoublé l'éclat de ses beautés. Jamais son visage ne s'est paré de plus vives couleurs, ni ses yeux ne se sont armés de traits plus vifs et plus perçants. La douceur de sa voix a voulu se faire paraître dans un air tout charmant qu'elle a daigné chanter, et les sons merveilleux qu'elle formait passaient jusqu'au fond de mon âme, et tenaient tous mes sens dans un ravissement à ne pouvoir en revenir. Elle a fait éclater ensuite une disposition toute divine, et ses pieds amoureux sur l'émail d'un tendre gazon traçaient d'aimables caractères qui m'enlevaient hors de moi-même, et m'attachaient par des nœuds invincibles aux doux et justes mouvements dont tout son corps suivait les mouvements de l'harmonie. Enfin jamais âme n'a eu de plus puissantes émotions que la mienne, et j'ai pensé plus de vingt fois oublier ma résolution pour me jeter à ses pieds, et lui faire un aveu sincère de l'ardeur que je sens pour elle. Cette humeur, Madame, n'est pas si extraordinaire qu'on n'en trouvât des exemples sans aller loin d'ici, et vous ne sauriez condamner la résolution que j'ai prise de n'aimer jamais rien, sans condamner aussi vos sentiments. Je ne vois pas, Madame, que celles qui ne veulent point aimer, doivent prendre aucun intérêt à ces sortes d'offenses. Pour moi je ne suis pas de même, et dans le dessein où je suis, de ne rien aimer, je serais fâché d'être aimé. C'est qu'on a obligation à ceux qui nous aiment, et que je serais fâché d'être ingrat. Moi ? Madame, point du tout. Je dis bien que je serais fâché d'être ingrat : mais je me résoudrais plutôt de l'être, que d'aimer. Non ! Madame, rien n'est capable de toucher mon cœur, ma liberté est la seule maîtresse à qui je consacre mes vœux, et quand le Ciel emploierait ses soins à composer une beauté parfaite, quand il emploierait en elle tous les dons les plus merveilleux, et du corps et de l'âme. Enfin quand il exposerait à mes yeux un miracle d'esprit, d'adresse, et de beauté, et que cette personne m'aimerait avec toutes les tendresses imaginables, je vous l'avoue franchement, je ne l'aimerais pas. Ah ! Moron, je n'en puis plus, et je me suis fait des efforts étranges. Le Ciel ne m'a pas fait d'une autre humeur : mais, Madame, j'interromps votre promenade, et mon respect doit m'avertir que vous aimez la solitude. Vous pourriez faire un tel choix, Madame, que je l'approuverais sans doute. Si j'étais dans votre cœur je pourrais vous le dire : mais comme je n'y suis pas, je n'ai garde de vous répondre. J'aurais trop peur de me tromper. Je sais bien à vous dire vrai, pour qui je le souhaiterais : mais avant que de m'expliquer, je dois savoir votre pensée. Ô Ciel ! Je le suis, à la vérité, et j'admire, Madame, comme le Ciel a pu former deux âmes aussi semblables en tout que les nôtres : deux âmes en qui l'on ait vu une plus grande conformité de sentiments, qui aient fait éclater dans le même temps une résolution à braver les traits de l'Amour, et qui dans le même moment aient fait paraître une égale facilité à perdre le nom d'insensibles : Car enfin, Madame, puisque votre exemple m'autorise, je ne feindrai point de vous dire, que l'Amour aujourd'hui s'est rendu maître de mon cœur, et qu'une des Princesses, vos Cousines, l'aimable et belle Aglante, a renversé d'un coup d'œil tous les projets de ma fierté. Je suis ravi, Madame, que, par cette égalité de défaite, nous n'ayons rien à nous reprocher l'un et l'autre ; et je ne doute point, que comme je vous loue infiniment de votre choix, vous n'approuviez aussi le mien. Il faut que ce miracle éclate aux yeux de tout le monde, et nous ne devons point différer à nous rendre tous deux contents. Pour moi, Madame, je vous sollicite de vos suffrages, pour obtenir celle que je souhaite, et vous trouverez bon que j'aille de ce pas en faire la demande au Prince votre Père. Quelque chose, Seigneur, que l'on vienne de vous en dire, je n'ose encore, pour moi, me flatter de ce doux espoir : mais enfin si ce n'est pas à moi trop de témérité, que d'oser aspirer à l'honneur de votre alliance, si ma personne, et mes États… Pardonnez-moi, Madame, si je suis assez téméraire pour cela, et je prends à témoin le Prince votre Père si ce n'est pas vous que j'ai demandée. C'est trop vous tenir dans l'erreur, il faut lever le masque, et dussiez-vous vous en prévaloir contre moi, découvrir à vos yeux les véritables sentiments de mon cœur. Je n'ai jamais aimé que vous, et jamais je n'aimerai que vous. C'est vous, Madame, qui m'avez enlevé cette qualité d'insensible que j'avais toujours affectée, et tout ce que j'ai pu vous dire, n'a été qu'une feinte qu'un mouvement secret m'a inspirée, et que je n'ai suivie qu'avec toutes les violences imaginables. Il fallait qu'elle cessât bientôt, sans doute, et je m'étonne seulement qu'elle ait pu durer la moitié d'un jour ; car enfin je mourais, je brûlais dans l'âme quand je vous déguisais mes sentiments, et jamais cœur n'a souffert une contrainte égale à la mienne. Que si cette feinte, Madame, a quelque chose qui vous offense, je suis tout prêt de mourir pour vous en venger : Vous n'avez qu'à parler, et ma main sur-le-champ fera gloire d'exécuter l'Arrêt que vous prononcerez. Je l'attendrai tant qu'il vous plaira, Madame, cet Arrêt de ma destinée, et s'il me condamne à la mort, je le suivrai sans murmure. **** *creator_moliere *book_moliere_princessedelide *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_princessedelide *dist2_moliere_verse_comedy *id_aristomene *date_1664 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_aristomene Reprochez-vous, Madame, à nos justes alarmes, Ce péril dont tous deux avons sauvé vos charmes, J'aurais pensé pour moi qu'abattre sous nos coups Ce Sanglier qui portait sa fureur jusqu'à vous, Était une aventure (ignorant votre Chasse) Dont à nos bons destins nous dussions rendre grâce : Mais à cette froideur je connais clairement Que je dois concevoir un autre sentiment, Et quereller du sort la fatale puissance Qui me fait avoir part à ce qui vous offense. Pour moi, Madame, vous êtes le seul prix que je me propose partout : C'est vous que je crois disputer dans ces combats d'adresse, et je n'aspire maintenant à remporter l'honneur de cette Course, que pour obtenir un degré de gloire qui m'approche de votre cœur. Madame, je viens à vos pieds rendre grâce à l'Amour de mes heureux destins, et vous témoigner avec mes transports, le ressentiment où je suis, des bontés surprenantes dont vous daignez favoriser le plus soumis de vos captifs. Le Prince d'Ithaque, Madame, vient de m'assurer tout à l'heure, que votre cœur avait eu la bonté de s'expliquer en ma faveur, sur ce célèbre choix qu'attend toute la Grèce. Oui, Madame. Madame, si j'ai été trop prompt à me persuader… Seigneur, nous savons prendre notre parti, et si ces aimables Princesses n'ont point trop de mépris pour les cœurs qu'on a rebutés ; nous pouvons revenir par elles, à l'honneur de votre alliance. **** *creator_moliere *book_moliere_princessedelide *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_princessedelide *dist2_moliere_verse_comedy *id_theocle *date_1664 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_theocle Pour moi je tiens, Madame, à sensible bonheur L'action où pour vous a volé tout mon cœur, Et ne puis consentir, malgré votre murmure, À quereller le sort d'une telle aventure : D'un objet odieux je sais que tout déplaît ; Mais dût votre courroux être plus grand qu'il n'est, C'est extrême plaisir, quand l'amour est extrême, De pouvoir d'un péril affranchir ce qu'on aime. Mais, Madame… Tout le monde va faire des efforts pour emporter le prix de cette Course ; mais à vous dire vrai j'ai peu d'ardeur pour la victoire, puisque ce n'est pas votre cœur qu'on y doit disputer. **** *creator_moliere *book_moliere_princessedelide *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_princessedelide *dist2_moliere_verse_comedy *id_arbate *date_1664 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_arbate Ce silence rêveur dont la sombre habitude Vous fait à tous moments chercher la solitude, Ces longs soupirs que laisse échapper votre cœur, Et ces fixes regards si chargés de langueur, Disent beaucoup sans doute à des gens de mon âge ; Et je pense, Seigneur, entendre ce langage : Mais sans votre congé de peur de trop risquer, Je n'ose m'enhardir jusques à l'expliquer. Moi vous blâmer, Seigneur, des tendres mouvements, Où je vois qu'aujourd'hui penchent vos sentiments ; Le chagrin des vieux jours ne peut aigrir mon âme Contre les doux transports de l'amoureuse flamme, Et bien que mon sort touche à ses derniers Soleils, Je dirai que l'Amour sied bien à vos pareils : Que ce tribut qu'on rend aux traits d'un beau visage De la beauté d'une âme est un clair témoignage, Et qu'il est malaisé que sans être amoureux Un jeune Prince soit et grand et généreux : C'est une qualité que j'aime en un Monarque, La tendresse de cœur est une grande marque, Et je crois que d'un Prince on peut tout présumer Dès qu'on voit que son âme est capable d'aimer. Oui cette passion de toutes la plus belle Traîne dans un esprit cent vertus après elle, Aux nobles actions elle pousse les cœurs, Et tous les grands Héros ont senti ses ardeurs ; Devant mes yeux, Seigneur, a passé votre enfance, Et j'ai de vos vertus vu fleurir l'espérance ; Mes regards observaient en vous des qualités Où je reconnaissais le sang dont vous sortez ; J'y découvrais un fonds d'esprit et de lumière, Je vous trouvais bien fait, l'air grand, et l'âme fière ; Votre cœur, votre adresse éclataient chaque jour : Mais je m'inquiétais de ne voir point d'amour, Et puisque les langueurs d'une plaie invincible Nous montrent que votre âme à ses traits est sensible, Je triomphe, et mon cœur d'allégresse rempli Vous regarde à présent comme un Prince accompli. Mais à quoi bon, Seigneur, les soins que vous prenez ? Et pourquoi ce secret où vous vous obstinez ? Vous aimez, dites-vous, cette illustre Princesse, Et venez à ses yeux signaler votre adresse, Et nuls empressements, paroles, ni soupirs Ne l'ont instruite encor de vos brûlants désirs. Pour moi je n'entends rien à cette politique Qui ne veut point souffrir que votre cœur s'explique, Et je ne sais quel fruit peut prétendre un amour Qui fuit tous les moyens de se produire au jour. Et c'est dans ce mépris, et dans cette humeur fière Que votre âme à ses vœux doit voir plus de lumière, Puisque le sort vous donne à conquérir un cœur Que défend seulement une jeune froideur, Et qui n'impose point à l'ardeur qui vous presse De quelque attachement l'invincible tendresse : Un cœur préoccupé résiste puissamment ; Mais quand une âme est libre, on la force aisément, Et toute la fierté de son indifférence N'a rien dont ne triomphe un peu de patience. Ne lui cachez donc plus le pouvoir de ses yeux, Faites de votre flamme un éclat glorieux, Et bien loin de trembler de l'exemple des autres, Du rebut de leurs vœux enflez l'espoir des vôtres : Peut-être pour toucher ses sévères appas, Aurez-vous des secrets que ces Princes n'ont pas ; Et si de ses fiertés l'impérieux caprice Ne vous fait éprouver un destin plus propice, Au moins est-ce un bonheur en ces extrémités Que de voir avec soi ses Rivaux rebutés. Moron, Seigneur. Et tu l'as de pied ferme attendu ? Fuir devant un Sanglier ayant de quoi l'abattre, Ce trait, Moron, n'est pas généreux… Mais par quelques exploits, si l'on ne s'éternise… Je vous vois tout pensif, Seigneur, de ses dédains ; Mais ils n'ont rien qui doive empêcher vos desseins, Son heure doit venir, et c'est à vous possible Qu'est réservé l'honneur de la rendre sensible. Peut-on savoir, Seigneur, par où votre espérance… ? Seigneur, voici la Princesse qui s'est un peu éloignée de sa suite. **** *creator_moliere *book_moliere_princessedelide *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_princessedelide *dist2_moliere_verse_comedy *id_moron *date_1664 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_moron Au secours ! sauvez-moi de la bête cruelle ! À moi, de grâce, à moi ! Où pourrai-je éviter ce Sanglier redoutable ? Grands Dieux ! préservez-moi de sa dent effroyable ! Je vous promets, pourvu qu'il ne m'attrape pas, Quatre livres d'encens, et deux veaux des plus gras. Ha ! je suis mort ! Je vous croyais la bête Dont à me diffamer j'ai vu la gueule prête, Seigneur, et je ne puis revenir de ma peur. Ô ! que la Princesse est d'une étrange humeur ! Et qu'à suivre la Chasse et ses extravagances Il nous faut essuyer de sottes complaisances ! Quel Diable de plaisir trouvent tous les Chasseurs De se voir exposés à mille et mille peurs, Encore si c'était qu'on ne fût qu'à la Chasse Des Lièvres, des Lapins, et des jeunes Daims, passe ; Ce sont des animaux d'un naturel fort doux, Et qui prennent toujours la fuite devant nous : Mais aller attaquer de ces bêtes vilaines Qui n'ont aucun respect pour les faces humaines, Et qui courent les gens qui les veulent courir, C'est un sot passe-temps que je ne puis souffrir. Le pénible exercice Où de notre Princesse a volé le caprice !… J'en aurais bien juré qu'elle aurait fait le tour, Et la Course des Chars se faisant en ce jour, Il fallait affecter ce contretemps de Chasse Pour mépriser ses jeux avec meilleure grâce, Et faire voir… Mais chut, achevons mon récit, Et reprenons le fil de ce que j'avais dit. Qu'ai-je dit ? Ah ! oui, succombant donc à ce travail horrible ; Car en Chasseur fameux j'étais enharnaché, Et dès le point du jour je m'étais découché : Je me suis écarté de tous en galant homme Et trouvant un lieu propre à dormir d'un bon somme J'essayais ma posture, et m'ajustant bientôt, Prenais déjà mon ton pour ronfler comme il faut Lorsqu'un murmure affreux m'a fait lever la vue, Et j'ai d'un vieux buisson de la forêt touffue Vu sortir un Sanglier d'une énorme grandeur Pour… Ce n'est rien, n'ayez point de frayeur ! Mais laissez-moi passer entre vous deux pour cause, Je serai mieux en main pour vous conter la chose : J'ai donc vu ce Sanglier, qui par nos gens chassé Avait d'un air affreux tout son poil hérissé ; Ces deux yeux flamboyants ne lançaient que menace, Et sa gueule faisait une laide grimace, Qui parmi de l'écume à qui l'osait presser Montrait de certains crocs… Je vous laisse à penser ! À ce terrible aspect j'ai ramassé mes armes ; Mais le faux animal sans en prendre d'alarmes Est venu droit à moi, qui ne lui disais mot. Quelque sot, J'ai jeté tout par terre, et couru comme quatre. J'y consens, Il n'est pas généreux, mais il est de bon sens. Je suis votre valet, et j'aime mieux qu'on dise, C'est ici qu'en fuyant sans se faire prier Moron sauva ses jours des fureurs d'un Sanglier, Que si l'on y disait, voilà l'illustre place Où le brave Moron, d'une héroïque audace, Affrontant d'un Sanglier l'impétueux effort, Par un coup de ses dents vit terminer son sort. Oui, j'aime mieux, n'en déplaise à la gloire, Vivre au monde deux jours que mille ans dans l'histoire. Il ne faut point, Seigneur, que je vous dissimule, Je n'ai rien fait encore, et n'ai point rencontré De temps pour lui parler qui fût selon mon gré : L'office de bouffon a des prérogatives ; Mais souvent on rabat nos libres tentatives : Le discours de vos feux est un peu délicat, Et c'est chez la Princesse une affaire d'État ; Vous savez de quel titre elle se glorifie, Et qu'elle a dans la tête une Philosophie Qui déclare la guerre au conjugal lien, Et vous traite l'Amour de déité de rien : Pour n'effaroucher point son humeur de tigresse Il me faut manier la chose avec adresse ; Car on doit regarder comme l'on parle aux grands, Et vous êtes parfois d'assez fâcheuses gens. Laissez-moi doucement conduire cette trame, Je me sens là pour vous un zèle tout de flamme, Vous êtes né mon Prince, et quelques autres nœuds Pourraient contribuer au bien que je vous veux : Ma mère dans son temps passait pour assez belle, Et naturellement n'était pas fort cruelle ; Feu votre Père alors, ce Prince généreux, Sur la galanterie était fort dangereux, Et je sais qu'Elpenor, qu'on appelait mon Père, À cause qu'il était le mari de ma Mère, Contait pour grand honneur aux Pasteurs d'aujourd'hui Que le Prince autrefois était venu chez lui, Et que durant ce temps il avait l'avantage De se voir salué de tous ceux du village : Baste, quoi qu'il en soit je veux par mes travaux… Mais voici la Princesse, et deux de vos Rivaux. Heu ! a-t-on jamais vu de plus farouche esprit ? De ce vilain Sanglier l'heureux trépas l'aigrit : Ô comme volontiers j'aurais d'un beau salaire Récompensé tantôt qui m'en eût su défaire ! Il faut qu'avant la course elle apprenne vos feux Et je… Ma foi, Madame, je crois qu'après mon exemple il n'y a plus rien à dire, et qu'il ne faut plus mettre en doute le pouvoir de l'Amour. J'ai bravé ses armes assez longtemps, et fait de mon drôle comme un autre ; mais enfin ma fierté a baissé l'oreille, et vous avez une traîtresse qui m'a rendu plus doux qu'un Agneau : Après cela, on ne doit plus faire aucun scrupule d'aimer, et puisque j'ai bien passé par là, il peut bien y en passer d'autres. Fort bien. Et pourquoi non ? Est-ce qu'on n'est pas assez bien fait pour cela ? Je pense que ce visage est assez passable, et que pour le bel air, Dieu merci, nous ne le cédons à personne. Ah ! quelle brave botte il vient là de lui porter ! Donnez-vous-en bien de garde, Seigneur, si vous m'en voulez croire : Vous avez trouvé la meilleure invention du monde, et je me trompe fort si elle ne vous réussit. Les femmes sont des animaux d'un naturel bizarre, nous les gâtons par nos douceurs, et je crois toutdebon que nous les verrions nous courir, sans tous ces respects, et ces soumissions où les hommes les acoquinent. Demeurez ferme, au moins, dans le chemin que vous avez pris : Je m'en vais voir ce qu'elle me dira : cependant promenez-vous ici dans ces petites routes sans faire aucun semblant d'avoir envie de la joindre, et si vous l'abordez, demeurez avec elle le moins qu'il vous sera possible. Ah ! Madame il y a longtemps que nous nous connaissons. C'est un homme bizarre qui ne se plaît qu'à entretenir ses pensées. Oui, Madame, j'y étais, et je l'ai trouvé un peu impertinent, n'en déplaise à Sa Principauté. Ma foi, Madame, vous ne feriez pas mal, il le mériterait bien : mais à vous dire vrai, je doute fort que vous y puissiez réussir. Comment ! c'est le plus orgueilleux petit vilain que vous ayez jamais vu. Il lui semble qu'il n'y a personne au monde qui le mérite, et que la terre n'est pas digne de le porter. Lui ? non. Pas le moindre mot. Il n'estime et n'aime que lui. Nous n'avons point de marbre dans nos montagnes qui soit plus dur, et plus insensible que lui. Voyez-vous comme il passe, sans prendre garde à vous ? Seigneur, je vous donne avis que tout va bien : la Princesse souhaite que vous l'abordiez : mais songez bien à continuer votre rôle, et de peur de l'oublier ne soyez pas longtemps avec elle. Peste soit du petit brutal, j'aurais bien envie de lui bailler un coup de poing. Bon courage, Seigneur, voilà qui va le mieux du monde. Il ne vous en doit rien, Madame, en dureté de cœur. Je le crois ! Vous savez bien, Madame, que je suis tout à votre service. Laissez-moi faire. Il est bien fait ? oui, ce petit pendard-là ; Il a bon air, bonne physionomie, et je crois qu'il serait assez le fait d'une jeune Princesse. Il n'y a rien qui ne se puisse faire ; mais, Madame s'il venait à vous aimer, que feriez-vous s'il vous plaît ? Il ne se rendra jamais. Non, il n'en fera rien, je le connais, ma peine serait inutile. Bon, Madame. Courage, Seigneur. Il en tient. Ne vous défaites pas. Remettez-vous, et songez à répondre. Ah digne ! ah brave cœur ! Il est vrai que le coup est surprenant, et j'avais cru d'abord, que votre stratagème avait fait son effet. Mais, Madame, s'il vous aimait vous n'en voudriez point, et cependant vous ne voulez pas qu'il soit à une autre : C'est faire justement comme le chien du Jardinier. Ma foi, Madame, avouons la dette, vous voudriez qu'il fût à vous, et dans toutes vos actions il est aisé de voir que vous aimez un peu ce jeune Prince. Madame… Ma foi son cœur en a sa provision, et… Oui, Seigneur, ce n'est point raillerie, j'en suis ce qu'on appelle disgracié. Il m'a fallu tirer mes chausses au plus vite, et jamais vous n'avez vu un emportement plus brusque que le sien. Seigneur, je serai meilleur Courtisan une autre fois, et je me garderai bien de dire ce que je pense. **** *creator_moliere *book_moliere_princessedelide *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_princessedelide *dist2_moliere_verse_comedy *id_lycas *date_1664 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_lycas Madame, le Prince votre Père vient vous trouver ici, et conduit avec lui les Princes de Pyle, et d'Ithaque, et celui de Messène. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_jupiter *date_1671 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_jupiter Ma Fille, sois-lui moins sévère. Tu tiens de sa Psyché le destin en tes mains, La Parque au moindre mot va suivre ta colère, Parle, et laisse-toi vaincre aux tendresses de Mère, Ou redoute un courroux que moi-même je crains. Veux-tu donner le monde en proie À la haine, au désordre, à la confusion, Et d'un Dieu d'union, D'un Dieu de douceurs et de joie, Faire un Dieu d'amertume et de division ? Considère ce que nous sommes, Et si les passions doivent nous dominer, Plus la vengeance a de quoi plaire aux Hommes, Plus il sied bien aux Dieux de pardonner. Hé bien, je la fais immortelle, Afin d'y rendre tout égal. Venez, Amants, venez aux Cieux Achever un si grand et si digne Hyménée ; Viens-y, belle Psyché, changer de Destinée, Viens prendre place aux rang des Dieux. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_venus *date_1671 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_venus Cessez, cessez pour moi tous vos chants d'allégresse : De si rares honneurs ne m'appartiennent pas, Et l'hommage qu'ici votre bonté m'adresse Doit être réservé pour de plus doux appas. C'est une trop vieille méthode De me venir faire sa Cour ; Toutes les choses ont leur tour, Et Vénus n'est plus à la mode. Il est d'autres attraits naissants Où l'on va porter ses encens ; Psyché, Psyché la Belle, aujourd'hui tient ma place ; Déjà tout l'univers s'empresse à l'adorer, Et c'est trop que dans ma disgrâce Je trouve encor quelqu'un qui me daigne honorer. On ne balance point entre nos deux mérites, À quitter mon parti tout s'est licencié, Et du nombreux amas de Grâces favorites, Dont je traînais partout les soins et l'amitié, Il ne m'en est resté que deux des plus petites, Qui m'accompagnent par pitié. Souffrez que ces Demeures sombres Prêtent leur solitude aux troubles de mon cœur, Et me laissez parmi leurs ombres Cacher ma honte et ma douleur. Parlez, mais si vos soins aspirent à me plaire, Laissez tous vos conseils pour une autre saison, Et ne parlez de ma colère, Que pour dire que j'ai raison. C'était là, c'était là la plus sensible offense Que ma divinité pût jamais recevoir ; Mais j'en aurai la vengeance, Si les Dieux ont du pouvoir. Et c'est là la raison de ce courroux extrême. Plus mon rang a d'éclat, plus l'affront est sanglant, Et si je n'étais pas dans ce degré suprême, Le dépit de mon cœur serait moins violent. Moi, la Fille du Dieu qui lance le Tonnerre, Mère du Dieu qui fait aimer ; Moi, les plus doux souhaits du Ciel et de la Terre, Et qui ne suis venue au jour que pour charmer ; Moi, qui par tout ce qui respire Ai vu de tant de vœux encenser mes Autels, Et qui de la Beauté, par des droits immortels, Ai tenu de tout temps le souverain Empire ; Moi, dont les yeux ont mis deux grandes Déités Au point de me céder le prix de la plus belle, Je me vois ma victoire et mes droits disputés Par une chétive Mortelle ! Le ridicule excès d'un fol entêtement Va jusqu'à m'opposer une petite Fille ! Sur ses traits et les miens j'essuierai constamment Un téméraire jugement ! Et du haut des cieux où je brille, J'entendrai prononcer aux Mortels prévenus : Elle est plus belle que Vénus ! Ah ! que de ces trois mots la rigueur insolente Venge bien Junon et Pallas, Et console leurs cœurs de la gloire éclatante Que la fameuse Pomme acquit à mes appas ! Je les vois s'applaudir de mon inquiétude, Affecter à toute heure un ris malicieux, Et, d'un fixe regard, chercher avec étude Ma confusion dans mes yeux. Leur triomphante joie, au fort d'un tel outrage, Semble me venir dire, insultant mon courroux, Vante, vante, Vénus, les traits de ton visage, Au jugement d'un seul tu l'emportas sur nous, Mais, par le jugement de tous Une simple Mortelle a sur toi l'avantage. Ah ! ce coup-là m'achève, il me perce le cœur, Je n'en puis plus souffrir les rigueurs sans égales, Et c'est trop de surcroît à ma vive douleur, Que le plaisir de mes Rivales. Mon Fils, si j'eus jamais sur toi quelque crédit, Et si jamais je te fus chère, Si tu portes un cœur à sentir le dépit Qui trouble le cœur d'une mère, Qui si tendrement te chérit ; Emploie, emploie ici l'effort de ta puissance À soutenir mes intérêts, Et fais à Psyché par tes traits Sentir les traits de ma vengeance. Pour rendre son cœur malheureux, Prends celui de tes traits le plus propre à me plaire, Le plus empoisonné de ceux Que tu lances dans ta colère, Du plus bas, du plus vil, du plus affreux Mortel, Fais que jusqu'à la rage elle soit enflammée, Et qu'elle ait à souffrir le supplice cruel D'aimer, et n'être point aimée. Va, ne résiste point aux souhaits de ta Mère, N'applique tes raisonnements Qu'à chercher les plus prompts moments De faire un sacrifice à ma gloire outragée. Pars, pour toute réponse à mes empressements, Et ne me revois point que je ne sois vengée. Orgueilleuse Psyché, vous m'osez donc attendre, Après m'avoir sur Terre enlevé mes honneurs, Après que vos traits suborneurs Ont reçu les encens qu'aux miens seuls on doit rendre ? J'ai vu mes Temples désertés, J'ai vu tous les Mortels séduits par vos beautés Idolâtrer en vous la beauté souveraine, Vous offrir des respects jusqu'alors inconnus, Et ne se mettre pas en peine S'il était une autre Vénus : Et je vous vois encor l'audace De n'en pas redouter les justes châtiments, Et de me regarder en face, Comme si c'était peu que mes ressentiments. Il fallait vous en mieux défendre, Ces respects, ces encens se devaient refuser, Et pour les mieux désabuser, Il fallait à leurs yeux vous-même me les rendre. Vous avez aimé cette erreur Pour qui vous ne deviez avoir que de l'horreur ; Vous avez bien fait plus, votre humeur arrogante Sur le mépris de mille Rois Jusques aux Cieux a porté de son choix L'ambition extravagante. Votre insolence est sans seconde ; Dédaigner tous les Rois du Monde, N'est-ce pas aspirer aux Dieux ? Psyché, vous deviez mieux connaître Qui vous étiez, et quel était ce Dieu. Tout votre cœur s'en est laissé charmer, Et vous l'avez aimé dès qu'il vous a dit, J'aime. Oui, c'est mon Fils, mais un Fils qui m'irrite, Un Fils qui me rend mal ce qu'il sait me devoir, Un Fils qui fait qu'on m'abandonne, Et qui pour mieux flatter ses indignes amours, Depuis que vous l'aimez, ne blesse plus personne Qui vienne à mes Autels implorer mon secours. Vous m'en avez fait un rebelle, On m'en verra vengée, et hautement, sur vous, Et je vous apprendrai s'il faut qu'une Mortelle Souffre qu'un Dieu soupire à ses genoux. Suivez-moi, vous verrez par votre expérience À quelle folle confiance Vous portait cette ambition ; Venez, et préparez autant de patience, Qu'on vous voit de présomption. La menace est respectueuse, Et d'un enfant qui fait le révolté La colère présomptueuse… L'impétuosité s'en devrait retenir, Et vous pourriez vous souvenir Que vous me devez la naissance. Comment l'avez-vous défendue, Cette gloire dont vous parlez ? Comment me l'avez-vous rendue ? Et quand vous avez vu mes Autels désolés, Mes Temples violés, Mes honneurs ravalés, Si vous avez pris part à tant d'ignominie, Comment en a-t-on vu punie Psyché qui me les a volés ? Je vous ai commandé de la rendre charmée Du plus vil de tous les Mortels, Qui ne daignât répondre à son âme enflammée Que par des rebuts éternels, Par les mépris les plus cruels, Et vous-même l'avez aimée ! Vous avez contre moi séduit des Immortels, C'est pour vous qu'à mes yeux les Zéphyrs l'ont cachée, Qu'Apollon même suborné Par un oracle adroitement tourné Me l'avait si bien arrachée, Que si sa curiosité Par une aveugle défiance Ne l'eût rendue à ma vengeance, Elle échappait à mon cœur irrité. Voyez l'état où votre amour l'a mise, Votre Psyché : son âme va partir, Voyez, et si la vôtre en est encore éprise, Recevez son dernier soupir. Menacez, bravez-moi, cependant qu'elle expire : Tant d'insolence vous sied bien, Et je dois endurer, quoi qu'il vous plaise dire, Moi qui sans vos traits ne puis rien. Quelque amour que Psyché vous donne, De ses malheurs par moi n'attendez pas la fin : Si le Destin me l'abandonne, Je l'abandonne à son Destin. Ne m'importunez plus, et dans cette infortune Laissez-la sans Vénus triompher, ou périr. 1945 Cette douleur n'est pas commune, Qui force un Immortel à souhaiter la mort. Je vous l'avoue, il me touche le cœur, Votre amour, il désarme, il fléchit ma rigueur : Votre Psyché reverra la lumière. Oui, vous la reverrez dans sa beauté première : Mais de vos vœux reconnaissants Je veux la déférence entière. Je veux qu'un vrai respect laisse à mon amitié Vous choisir une autre Moitié. Je pardonne à ce Fils rebelle ; Mais voulez-vous qu'il me soit reproché Qu'une misérable Mortelle, L'objet de mon courroux, l'orgueilleuse Psyché, Sous ombre qu'elle est un peu belle, Par un Hymen dont je rougis, Souille mon alliance, et le lit de mon Fils ? Je n'ai plus de mépris, ni de haine pour elle, Et l'admets à l'honneur de ce nœud conjugal. Psyché, reprenez la lumière, Pour ne la reperdre jamais, Jupiter a fait votre paix, Et je quitte cette humeur fière Qui s'opposait à vos souhaits. Jupiter vous fait grâce, et ma colère cesse. Vivez, Vénus l'ordonne ; aimez, elle y consent. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_amour *date_1671 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_amour Dans le monde on n'entend que plaintes de l'Amour, On m'impute partout mille fautes commises, Et vous ne croiriez point le mal et les sottises Que l'on dit de moi chaque jour. Si pour servir votre colère… Allez mourir, Rivaux d'un Dieu jaloux, Dont vous méritez le courroux, Pour avoir eu le cœur sensible aux mêmes charmes. Et toi, forge, Vulcain, mille brillants attraits Pour orner un Palais, Où l'Amour de Psyché veut essuyer les larmes, Et lui rendre les armes. Aussi ne veux-je pas qu'on puisse me connaître, Je ne veux à Psyché découvrir que mon cœur, Rien que les beaux transports de cette vive ardeur Que ses doux charmes y font naître ; Et pour en exprimer l'amoureuse langueur, Et cacher ce que je puis être Aux yeux qui m'imposent des lois, J'ai pris la forme que tu vois. J'ai résolu, mon cher Zéphire, De demeurer ainsi toujours, Et l'on ne peut le trouver à redire À l'aîné de tous les Amours. Il est temps de sortir de cette longue enfance Qui fatigue ma patience, Il est temps désormais que je devienne grand. Ce changement sans doute irritera ma Mère. Laissons cela, Zéphire, et me dis si tes yeux Ne trouvent pas Psyché la plus belle du Monde ? Est-il rien sur la terre, est-il rien dans les Cieux, Qui puisse lui ravir le titre glorieux De beauté sans seconde ? Mais je la vois, mon cher Zéphire, Qui demeure surprise à l'éclat de ces lieux. Le voilà ce Serpent, ce Monstre impitoyable, Qu'un Oracle étonnant pour vous a préparé, Et qui n'est pas peut-être à tel point effroyable Que vous vous l'êtes figuré. Quel besoin de secours au milieu d'un Empire, Où tout ce qui respire N'attend que vos regards pour en prendre la loi, Où vous n'avez à craindre autre Monstre que moi ? Vous avez eu, Psyché, l'âme toujours si dure, Qu'il ne faut pas vous étonner, Si pour en réparer l'injure L'Amour en ce moment se paye avec usure De ceux qu'elle a dû lui donner. Ce moment est venu qu'il faut que votre bouche Exhale des soupirs si longtemps retenus, Et qu'en vous arrachant à cette humeur farouche, Un amas de transports aussi doux qu'inconnus Aussi sensiblement tout à la fois vous touche, Qu'ils ont dû vous toucher durant tant de beaux jours Dont cette âme insensible a profané le cours. En souffrez-vous un rude châtiment ? C'est lui choisir sa peine légitime, Et se faire justice en ce glorieux jour D'un manquement d'amour, par un excès d'amour. Croyez, belle Psyché, croyez ce qu'ils vous disent, Ces yeux, qui ne sont point jaloux, Qu'à l'envi les vôtres m'instruisent De tout ce qui se passe en vous. Croyez-en ce cœur qui soupire, Et qui, tant que le vôtre y voudra repartir, Vous dira bien plus d'un soupir Que cent regards ne peuvent dire. C'est le langage le plus doux, C'est le plus fort, c'est le plus sûr de tous. J'ai dans ce doux climat un souverain empire, Comme vous l'avez sur mon cœur : L'Amour m'est favorable, et c'est en sa faveur Qu'à mes ordres Æole a soumis le Zéphire. C'est l'Amour qui pour voir mes feux récompensés Lui-même a dicté cet Oracle, Par qui vos beaux jours menacés D'une foule d'Amants se sont débarrassés, Et qui m'a délivré de l'éternel obstacle De tant de soupirs empressés, Qui ne méritaient pas de vous être adressés. Ne me demandez point quelle est cette Province, Ni le nom de son Prince, Vous le saurez quand il en sera temps : Je veux vous acquérir, mais c'est par mes services, Par des soins assidus, et par des vœux constants, Par les amoureux sacrifices De tout ce que je suis, De tout ce que je puis, Sans que l'éclat du rang pour moi vous sollicite, Sans que de mon pouvoir je me fasse un mérite, Et bien que Souverain dans cet heureux séjour, Je ne vous veux, Psyché, devoir qu'à mon amour. Venez en admirer avec moi les merveilles, Princesse, et préparez vos yeux et vos oreilles À ce qu'il a d'enchantements. Vous y verrez des Bois et des Prairies Contester sur leurs agréments Avec l'Or et les Pierreries, Vous n'entendrez que des concerts charmants, De cent Beautés vous y serez servie, Qui vous adoreront sans vous porter envie, Et brigueront à tous moments D'une âme soumise et ravie L'honneur de vos commandements. Vous ne me donnez pas, Psyché, toute votre âme : Ce tendre souvenir d'un Père et de deux Sœurs Me vole une part des douceurs Que je veux toutes pour ma flamme. N'ayez d'yeux que pour moi, qui n'en ai que pour vous, Ne songez qu'à m'aimer, ne songez qu'à me plaire, Et quand de tels soucis osent vous en distraire… Je le suis, ma Psyché, de toute la Nature. Les rayons du Soleil vous baisent trop souvent, Vos cheveux souffrent trop les caresses du Vent, Dès qu'il les flatte, j'en murmure : L'air même que vous respirez Avec trop de plaisir passe par votre bouche, Votre habit de trop près vous touche, Et sitôt que vous soupirez, Je ne sais quoi qui m'effarouche Craint parmi vos soupirs des soupirs égarés. Mais vous voulez vos sœurs, allez, partez, Zéphire, Psyché le veut, je ne l'en puis dédire. Quand vous leur ferez voir ce bienheureux séjour, De ses trésors faites-leur cent largesses, Prodiguez-leur caresses sur caressses, Et du sang, s'il se peut, épuisez les tendresses, Pour vous rendre toute à l'Amour. Je n'y mêlerai point d'importune présence, Mais ne leur faites pas de si longs entretiens ; Vous ne sauriez pour eux avoir de complaisance, Que vous ne dérobiez aux miens. Allons voir cependant ces Jardins, ce Palais, Où vous ne verrez rien que votre éclat n'efface. Et vous, petits Amours, et vous jeunes Zéphyrs, Qui pour âmes n'avez que de tendres soupirs, Montrez tous à l'envi ce qu'à voir ma Princesse Vous avez senti d'allégresse. Enfin vous êtes seule, et je puis vous redire, Sans avoir pour témoins vos importunes Sœurs, Ce que des yeux si beaux ont pris sur moi d'empire, Et quel excès ont les douceurs Qu'une sincère ardeur inspire Sitôt qu'elle assemble deux cœurs. Je puis vous expliquer de mon âme ravie Les amoureux empressements, Et vous jurer qu'à vous seule asservie Elle n'a pour objet de ses ravissements, Que de voir cette ardeur de même ardeur suivie Ne concevoir plus d'autre envie Que de régler mes vœux sur vos désirs, Et de ce qui vous plaît faire tous mes plaisirs. Mais d'où vient qu'un triste nuage Semble offusquer l'éclat de ces beaux yeux ? Vous manque-t-il quelque chose en ces lieux ? Des vœux qu'on vous y rend dédaignez-vous l'hommage ? Qu'est-ce donc, et d'où vient mon malheur ? J'entends moins de soupirs d'amour que de douleur, Je vois de votre teint les roses amorties Marquer un déplaisir secret, Vos Sœurs à peine sont parties Que vous soupirez de regret ! Ah, Psyché, de deux cœurs quand l'ardeur est la même, Ont-ils des soupirs différents ? Et quand on aime bien, et qu'on voit ce qu'on aime, Peut-on songer à des Parents ? Est-ce l'absence d'un Rival, Et d'un Rival aimé qui fait qu'on me néglige ? Et ne craignez-vous point qu'à mon tour je m'irrite, Que vous connaissiez mal quel est votre mérite, Ou feigniez de ne pas savoir Quel est sur moi votre absolu pouvoir ? Ah si vous en doutez, soyez désabusée, Parlez. Prenez en ma faveur de meilleurs sentiments, L'expérience en est aisée, Parlez, tout se tient prêt à vos commandements. Si pour m'en croire il vous faut des serments, J'en jure vos beaux yeux, ces maîtres de mon âme, Ces divins auteurs de ma flamme, Et si ce n'est assez d'en jurer vos beaux yeux, J'en jure par le Styx, comme jurent les Dieux. Psyché, que venez-vous de dire ? Je l'ai juré, je n'en suis plus le maître, Mais vous ne savez pas ce que vous demandez. Laissez-moi mon secret, si je me fais connaître, Je vous perds, et vous me perdez. Le seul remède est de vous en dédire. Vous pouvez tout, et je suis tout à vous ; Mais si nos feux vous semblent doux, Ne mettez point d'obstacle à leur charmante suite, Ne me forcez point à la fuite : C'est le moindre malheur qui nous puisse arriver D'un souhait qui vous a séduite. Le voulez-vous ? Si vous saviez, Psyché, la cruelle aventure Que par là vous vous attirez… Pensez-y bien, je puis encor me taire. Hé bien, je suis le Dieu le plus puissant des Dieux, Absolu sur la terre, absolu dans les Cieux, Dans les eaux, dans les airs mon pouvoir est suprême, En un mot je suis l'Amour même, Qui de mes propres traits m'étais blessé pour vous, Et sans la violence, hélas ! que vous me faites, Et qui vient de changer mon amour en courroux, Vous m'alliez avoir pour Époux. Vos volontés sont satisfaites, Vous avez su qui vous aimiez, Vous connaissez l'Amant que vous charmiez, Psyché, voyez où vous en êtes. Vous me forcez vous-même à vous quitter, Vous me forcez vous-même à vous ôter Tout l'effet de votre victoire : Peut-être vos beaux yeux ne me reverront plus, Ce Palais, ces Jardins, avec moi disparus Vont faire évanouir votre naissante gloire ; Vous n'avez pas voulu m'en croire, Et pour tout fruit de ce doute éclairci, Le Destin sous qui le Ciel tremble, Plus fort que mon amour, que tous les Dieux ensemble, Vous va montrer sa haine, et me chasse d'ici. Votre péril, Psyché, dissipe ma colère, Ou plutôt de mes feux l'ardeur n'a point cessé, Et bien qu'au dernier point vous m'ayez su déplaire, Je ne me suis intéressé Que contre celle de ma Mère. J'ai vu tous vos travaux, j'ai suivi vos malheurs, Mes soupirs ont partout accompagné vos pleurs ; Tournez les yeux vers moi, je suis encor le même. Quoi ? je dis et redis tout haut que je vous aime, Et vous ne dites point, Psyché, que vous m'aimez ! Est-ce que pour jamais vos beaux yeux sont fermés ? Qu'à jamais la clarté leur vient d'être ravie ? Ô mort, devais-tu prendre un dard si criminel, Et sans aucun respect pour mon Être éternel Attenter à ma propre vie ? Combien de fois, ingrate Déité, Ai-je grossi ton noir Empire, Par les mépris et par la cruauté D'une orgueilleuse ou farouche beauté ? Combien même, s'il le faut dire, T'ai-je immolé de fidèles Amants À force de ravissements ? Va, je ne blesserai plus d'âmes, Je ne percerai plus de cœurs, Qu'avec des dards trempés aux divines liqueurs Qui nourrissent du Ciel les immortelles flammes, Et n'en lancerai plus que pour faire à tes yeux Autant d'Amants, autant de Dieux. Et vous, impitoyable Mère, Qui la forcez à m'arracher Tout ce que j'avais de plus cher, Craignez à votre tour l'effet de ma colère. Vous me voulez faire la loi, Vous qu'on voit si souvent la recevoir de moi ! Vous qui portez un cœur sensible comme un autre, Vous enviez au mien les délices du vôtre ! Mais dans ce même cœur j'enfoncerai des coups, Qui ne seront suivis que de chagrins jaloux ; Je vous accablerai de honteuses surprises, Et choisirai partout à vos vœux les plus doux Des Adonis et des Anchises, Qui n'auront que haine pour vous. Je ne suis plus enfant, et je l'ai trop été, Et ma colère est juste autant qu'impétueuse. Et vous pourriez n'oublier pas Que vous avez un cœur et des appas Qui relèvent de ma puissance : Que mon arc de la vôtre est l'unique soutien, Que sans mes traits elle n'est rien, Et que si les cœurs les plus braves En triomphe par vous se sont laissé traîner, Vous n'avez jamais fait d'Esclaves Que ceux qu'il m'a plu d'enchaîner. Ne me vantez donc plus ces droits de la naissance Qui tyrannisent mes désirs ; Et si vous ne voulez perdre mille soupirs, Songez en me voyant à la reconnaissance, Vous qui tenez de ma puissance Et votre gloire et vos plaisirs. Vous ne pouvez que trop, Déesse impitoyable, Le Destin l'abandonne à tout votre courroux : Mais soyez moins inexorable Aux prières, aux pleurs d'un Fils à vos genoux. Ce doit vous être un spectacle assez doux, De voir d'un œil Psyché mourante, Et de l'autre ce Fils d'une voix suppliante Ne vouloir plus tenir son bonheur que de vous. Rendez-moi ma Psyché, rendez-lui tous ses charmes, Rendez-la, Déesse, à mes larmes, Rendez à mon amour, rendez à ma douleur Le charme de mes yeux, et le choix de mon cœur. Hélas ! si je vous importune, Je ne le ferais pas, si je pouvais mourir. Voyez par son excès si mon amour est fort. Ne lui ferez-vous grâce aucune ? Que je vous vais partout faire donner d'encens ! Et moi, je ne veux plus de grâce, Je reprends toute mon audace, Je veux Psyché, je veux sa foi, Je veux qu'elle revive et revive pour moi, Et tiens indifférent que votre haine lasse, En faveur d'une autre se passe. Jupiter qui paraît va juger entre nous De mes emportements, et de votre courroux. Vous à qui seul tout est possible, Père des Dieux, Souverain des mortels, Fléchissez la rigueur d'une Mère inflexible Qui sans moi n'aurait point d'Autels. J'ai pleuré, j'ai prié, je soupire, menace, Et perds menaces et soupirs ; Elle ne veut pas voir que de mes déplaisirs Dépend du Monde entier l'heureuse, ou triste face, Et que si Psyché perd le jour, Si Psyché n'est à moi, je ne suis plus l'Amour. Oui, je romprai mon arc, je briserai mes flèches, J'éteindrai jusqu'à mon flambeau, Je laisserai languir la Nature au tombeau ; Ou si je daigne aux cœurs faire encor quelques brèches, Avec ces pointes d'or qui me font obéir Je vous blesserai tous là-haut pour des Mortelles, Et ne décocherai sur elles Que des traits émoussés qui forcent à haïr, Et qui ne font que des rebelles, Des ingrates, et des cruelles. Par quelle tyrannique loi Tiendrai-je à vous servir mes armes toujours prêtes, Et vous ferai-je à tous conquêtes sur conquêtes, Si vous me défendez d'en faire une pour moi ? Je vous possède enfin, délices de mon âme ! **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_aegiale *date_1671 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_aegiale Nous ne savons, Déesse, comment faire, Dans ce chagrin qu'on voit vous accabler : Notre respect veut se taire, Notre zèle veut parler. Voilà comme l'on fait, c'est le style des Hommes, Ils sont impertinents dans leurs comparaisons. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_phaene *date_1671 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_phaene Vous avez plus que nous de clartés, de sagesse, Pour juger ce qui peut être digne de vous : Mais pour moi, j'aurais cru qu'une grande Déesse Devrait moins se mettre en courroux. Ils ne sauraient louer, dans le Siècle où nous sommes, Qu'ils n'outragent les plus grands noms. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_psyche *date_1671 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_psyche Du sujet qui les tient si rêveurs parmi nous Je ne me croyais pas la cause, Et j'aurais cru toute autre chose En les voyant parler à vous. Le choix que vous m'offrez, Princes, montre à mes yeux De quoi remplir les vœux de l'âme la plus fière, Et vous me le parez tous deux d'une manière, Qu'on ne peut rien offrir qui soit plus précieux. Vos feux, votre amitié, votre vertu suprême, Tout me relève en vous l'offre de votre foi, Et j'y vois un mérite à s'opposer lui-même À ce que vous voulez de moi. Ce n'est pas à mon cœur qu'il faut que je défère Pour entrer sous de tels liens ; Ma main, pour se donner, attend l'ordre d'un Père, Et mes Sœurs ont des droits qui vont devant les miens. Mais si l'on me rendait sur mes vœux absolue, Vous y pourriez avoir trop de part à la fois, Et toute mon estime entre vous suspendue Ne pourrait sur aucun laisser tomber mon choix. À l'ardeur de votre poursuite Je répondrais assez de mes vœux les plus doux ; Mais c'est parmi tant de mérite Trop que deux cœurs pour moi, trop peu qu'un cœur pour vous. De mes plus doux souhaits j'aurais l'âme gênée À l'effort de votre amitié, Et j'y vois l'un de vous prendre une Destinée À me faire trop de pitié. Oui, Princes, à tous ceux dont l'amour suit le vôtre, Je vous préférerais tous deux avec ardeur ; Mais je n'aurais jamais le cœur De pouvoir préférer l'un de vous deux à l'autre. À celui que je choisirais, Ma tendresse ferait un trop grand sacrifice, Et je m'imputerais à barbare injustice Le tort qu'à l'autre je ferais. Oui, tous deux vous brillez de trop de grandeur d'âme, Pour en faire aucun malheureux, Et vous devez chercher dans l'amoureuse flamme Le moyen d'être heureux tous deux. Si votre cœur me considère Assez pour me souffrir de disposer de vous, J'ai deux Sœurs capables de plaire, Qui peuvent bien vous faire un destin assez doux, Et l'amitié me rend leur personne assez chère, Pour vous souhaiter leurs Époux. J'ai cru pour vous, mes Sœurs, une gloire assez grande, Si la possession d'un mérite si haut… Qu'as-tu ? Quoi ? De ce trouble si grand que faut-il que j'attende ? Hélas ! que pour le Roi tu me donnes à craindre ! C'est pour louer le Ciel, et me voir hors d'effroi, De savoir que je n'aie à craindre que pour moi. Mais apprends-moi, Lycas, le sujet qui te touche. Allons savoir sur quoi l'on craint tant ma faiblesse. De vos larmes, Seigneur, la source m'est bien chère ; Mais c'est trop aux bontés que vous avez pour moi, Que de laisser régner les tendresses de Père Jusque dans les yeux d'un grand Roi. Ce qu'on vous voit ici donner à la Nature Au rang que vous tenez, Seigneur, fait trop d'injure, Et j'en dois refuser les touchantes faveurs : Laissez moins sur votre sagesse Prendre d'empire à vos douleurs, Et cessez d'honorer mon destin par des pleurs, Qui dans le cœur d'un Roi montrent de la faiblesse. Je ne mérite pas cette grande douleur : Opposez, opposez un peu de résistance Aux droits qu'elle prend sur un cœur Dont mille événements ont marqué la puissance. Quoi, faut-il que pour moi vous renonciez, Seigneur, À cette Royale constance, Dont vous avez fait voir dans les coups du malheur Une fameuse expérience ? Seigneur, une douceur ici vous est offerte : Votre hymen a reçu plus d'un présent des Dieux, Et par une faveur ouverte Ils ne vous ôtent rien en m'ôtant à vos yeux, Dont ils n'aient pris le soin de réparer la perte. Il vous reste de quoi consoler vos douleurs, Et cette loi du Ciel que vous nommez cruelle Dans les deux Princesses mes Sœurs, Laisse à l'amitié paternelle Où placer toutes ses douceurs. Vous savez mieux que moi qu'aux volontés des Dieux, Seigneur, il faut régler les nôtres, Et je ne puis vous dire en ces tristes Adieux Que ce que beaucoup mieux vous pouvez dire aux autres. Ces Dieux sont maîtres souverains Des présents qu'ils daignent nous faire ; Ils ne les laissent dans nos mains Qu'autant de temps qu'il peut leur plaire. Lorsqu'ils viennent les retirer, On n'a nul droit de murmurer Des grâces que leur main ne veut plus nous étendre ; Seigneur, je suis un don qu'ils ont fait à vos vœux, Et quand par cet Arrêt ils veulent me reprendre, Ils ne vous ôtent rien que vous ne teniez d'eux, Et c'est sans murmurer que vous devez me rendre. Seigneur, redoutez la colère De ces Dieux contre qui vous osez éclater. Ah, Seigneur, je tremble des crimes Que je vous fais commettre, et je dois me haïr… Ah, de grâce, Seigneur, épargnez ma faiblesse, J'ai besoin de constance en l'état où je suis : Ne fortifiez point l'excès de mes ennuis Des larmes de votre tendresse. Seuls ils sont assez forts, et c'est trop pour mon cœur De mon destin et de votre douleur. Suivez le Roi, mes Sœurs, vous essuierez ses larmes, Vous adoucirez ses douleurs, Et vous l'accableriez d'alarmes, Si vous vous exposiez encore à mes malheurs. Conservez-lui ce qui lui reste, Le Serpent que j'attends peut vous être funeste, Vous envelopper dans mon sort, Et me porter en vous une seconde mort. Le Ciel m'a seule condamnée À son haleine empoisonnée, Rien ne saurait me secourir, Et je n'ai pas besoin d'exemple pour mourir. C'est vous perdre inutilement. Que peut-on se promettre après un tel Oracle ? Ma Sœur, écoutez mieux la voix de la Nature, Qui vous appelle auprès du Roi. Vous m'aimez trop, le devoir en murmure, Vous en savez l'indispensable loi, Un Père vous doit être encor plus cher que moi. Rendez-vous toutes deux l'appui de sa vieillesse, Vous lui devez chacune un Gendre, et des Neveux, Mille Rois à l'envi vous gardent leur tendresse, Mille Rois à l'envi vous offriront leurs vœux : L'Oracle me veut seule, et seule aussi je veux Mourir, si je puis, sans faiblesse, Ou ne vous avoir pas pour témoins toutes deux De ce que malgré moi la Nature m'en laisse. Non, mais enfin c'est me gêner, Peut-être du Ciel redoubler la colère. Adieu. C'est un espoir, ma Sœur, et des souhaits, Qu'aucun des Dieux ne remplira jamais. Enfin, seule, et toute à moi-même, Je puis envisager cet affreux changement, Qui du haut d'une gloire extrême Me précipite au monument. Cette gloire était sans seconde, L'éclat s'en répandait jusqu'aux deux bouts du Monde, Tout ce qu'il a de Rois semblaient faits pour m'aimer : Tous leurs Sujets me prenant pour Déesse Commençaient à m'accoutumer Aux encens qu'ils m'offraient sans cesse ; Leurs soupirs me suivaient sans qu'il m'en coutât rien, Mon âme restait libre en captivant tant d'âmes, Et j'étais parmi tant de flammes Reine de tous les cœurs, et maîtresse du mien. Ô Ciel ! m'auriez-vous fait un crime De cette insensibilité ? Déployez-vous sur moi tant de sévérité, Pour n'avoir à leurs vœux rendu que de l'estime ? Si vous m'imposiez cette loi, Qu'il fallût faire un choix pour ne pas vous déplaire, Puisque je ne pouvais le faire, Que ne le faisiez-vous pour moi ? Que ne m'inspiriez-vous ce qu'inspire à tant d'autres Le mérite, l'amour, et… Mais que vois-je ici ? Puis-je vous écouter quand j'ai chassé deux Sœurs ? Princes, contre le Ciel pensez-vous me défendre ? Vous livrer au Serpent qu'ici je dois attendre, Ce n'est qu'un désespoir qui sied mal aux grands cœurs, Et mourir alors que je meurs, C'est accabler une âme tendre Qui n'a que trop de ses douleurs. Voulez-vous qu'il vous serve en faveur d'une ingrate Que tous ses traits n'ont pu toucher ? Qu'il dompte sa vengeance au moment qu'elle éclate, Et vous aide à m'en arracher ? Quand même vous m'auriez servie, Quand vous m'auriez rendu la vie, Quel fruit espérez-vous de qui ne peut aimer ? Vivez, Princes, vivez, et de ma Destinée Ne songez plus à rompre, ou partager la loi : Je crois vous l'avoir dit, le Ciel ne veut que moi, Le Ciel m'a seule condamnée. Je pense ouïr déjà les mortels sifflements De son Ministre qui s'approche, Ma frayeur me le peint, me l'offre à tous moments, Et maîtresse qu'elle est de tous mes sentiments, Elle me le figure au haut de cette Roche, J'en tombe de faiblesse, et mon cœur abattu Ne soutient plus qu'à peine un reste de vertu. Adieu, Princes, fuyez, qu'il ne vous empoisonne. Portez-les à d'autres moi-mêmes, Princes, portez-les à mes Sœurs Ces devoirs, ces ardeurs extrêmes Dont pour moi sont remplis vos cœurs. Vivez pour elles quand je meurs, Plaignez de mon Destin les funestes rigueurs, Sans leur donner en vous de nouvelles matières : Ce sont mes volontés dernières, Et l'on a reçu de tout temps Pour souveraines lois les ordres des Mourants. Encore un coup, Princes, vivez pour elles, Tant que vous m'aimerez vous devez m'obéir ; Ne me réduisez pas à vouloir vous haïr, Et vous regarder en rebelles, À force de m'être fidèles. Allez, laissez-moi seule expirer en ce lieu, Où je n'ai plus de voix que pour vous dire Adieu. Mais je sens qu'on m'enlève, et l'air m'ouvre une route D'où vous n'entendrez plus cette mourante voix. Adieu, Princes, Adieu pour la dernière fois, Voyez si de mon sort vous pouvez être en doute. Où suis-je ? et dans un lieu que je croyais barbare, Quelle savante main a bâti ce Palais, Que l'Art, que la Nature pare De l'assemblage le plus rare Que l'œil puisse admirer jamais ? Tout rit, tout brille, tout éclate, Dans ces Jardins, dans ces Appartements, Dont les pompeux ameublements N'ont rien qui n'enchante et ne flatte ; Et de quelque côté que tournent mes frayeurs, Je ne vois sous mes pas que de l'or, ou des fleurs. Le Ciel aurait-il fait cet amas de merveilles Pour la demeure d'un Serpent ? Et lorsque par leur vue il amuse et suspend De mon Destin jaloux les rigueurs sans pareilles, Veut-il montrer qu'il s'en repent ? Non, non, c'est de sa haine, en cruautés féconde, Le plus noir, le plus rude trait, Qui par une rigueur nouvelle et sans seconde N'étale ce choix qu'elle a fait De ce qu'a de plus beau le monde, Qu'afin que je le quitte avec plus de regret. Que mon espoir est ridicule, S'il croit par là soulager mes douleurs ! Tout autant de moments que ma mort se recule, Sont autant de nouveaux malheurs ; Plus elle tarde, et plus de fois je meurs. Ne me fais plus languir, viens prendre ta victime, Monstre qui dois me déchirer ; Veux-tu que je te cherche, et faut-il que j'anime Tes fureurs à me dévorer ? Si le Ciel veut ma mort, si ma vie est un crime, De ce peu qui m'en reste ose enfin t'emparer, Je suis lasse de murmurer Contre un châtiment légitime, Je suis lasse de soupirer : Viens, que j'achève d'expirer. Vous, Seigneur, vous seriez ce Monstre dont l'Oracle A menacé mes tristes jours, Vous qui semblez plutôt un Dieu qui par Miracle Daigne venir lui-même à mon secours ! Qu'un Monstre tel que vous inspire peu de crainte ! Et que s'il a quelque poison, Une âme aurait peu de raison De hasarder la moindre plainte, Contre une favorable atteinte Dont tout le cœur craindrait la guérison ! À peine je vous vois, que mes frayeurs cessées Laissent évanouir l'image du trépas, Et que je sens couler dans mes veines glacées Un je ne sais quel feu que je ne connais pas. J'ai senti de l'estime, et de la complaisance, De l'amitié, de la reconnaissance, De la compassion les chagrins innocents M'en ont fait sentir la puissance, Mais je n'ai point encor senti ce que je sens. Je ne sais ce que c'est, mais je sais qu'il me charme, Que je n'en conçois point d'alarme ; Plus j'ai les yeux sur vous, plus je m'en sens charmer : Tout ce que j'ai senti n'agissait point de même, Et je dirais que je vous aime, Seigneur, si je savais ce que c'est que d'aimer. Ne les détournez point, ces yeux qui m'empoisonnent, Ces yeux tendres, ces yeux perçants, mais amoureux ; Qui semblent partager le trouble qu'ils me donnent. Hélas ! plus ils sont dangereux, Plus je me plais à m'attacher sur eux. Par quel ordre du Ciel que je ne puis comprendre Vous dis-je plus que je ne dois, Moi de qui la pudeur devrait du moins attendre Que vous m'expliquassiez le trouble où je vous vois ? Vous soupirez, Seigneur, ainsi que je soupire, Vos sens comme les miens paraissent interdits, C'est à moi de m'en taire, à vous de me le dire, Et cependant c'est moi qui vous le dis. N'aimer point, c'est donc un grand crime ! C'est punir assez doucement. Que n'ai-je été plus tôt punie ! J'y mets le bonheur de ma vie, Je devrais en rougir, ou le dire plus bas, Mais le supplice a trop d'appas : Permettez que tout haut je le die et redie, Je le dirais cent fois et n'en rougirais pas. Ce n'est point moi qui parle, et de votre présence L'empire surprenant, l'aimable violence, Dès que je veux parler, s'empare de ma voix. C'est en vain qu'en secret ma pudeur s'en offense, Que le Sexe et la bienséance Osent me faire d'autres lois ; Vos yeux, de ma réponse eux-mêmes font le choix, Et ma bouche asservie à leur toute-puissance Ne me consulte plus sur ce que je me dois. L'intelligence en était due À nos cœurs, pour les rendre également contents : J'ai soupiré, vous m'avez entendue ; Vous soupirez, je vous entends. Mais ne me laissez plus en doute, Seigneur, et dites-moi si par la même route Après moi le Zéphire ici vous a rendu Pour me dire ce que j'écoute. Quand j'y suis arrivée, étiez-vous attendu ? Et quand vous lui parlez, êtes-vous entendu ? Mes volontés suivent les vôtres, Je n'en saurais plus avoir d'autres ; Mais votre Oracle enfin vient de me séparer De deux Sœurs, et du Roi mon Père, Que mon trépas imaginaire Réduit tous trois à me pleurer. Pour dissiper l'erreur dont leur âme accablée De mortels déplaisirs se voit pour moi comblée, Souffrez que mes Sœurs soient témoins Et de ma gloire et de vos soins. Prêtez-leur comme à moi les ailes du Zéphire, Qui leur puissent de votre Empire Ainsi qu'à moi faciliter l'accès ; Faites-leur voir en quels lieux je respire, Faites-leur de ma perte admirer le succès. Des tendresses du sang peut-on être jaloux ? Votre amour me fait une grâce Dont je n'abuserai jamais. Je viens vous dire Adieu, mon Amant vous renvoie, Et ne saurait plus endurer Que vous lui retranchiez un moment de la joie Qu'il prend de se voir seul à me considérer. Dans un simple regard, dans la moindre parole, Son amour trouve des douceurs, Qu'en faveur du sang je lui vole, Quand je les partage à des Sœurs. Que m'importe ? j'en suis aimée, Plus il me voit, plus je lui plais, Il n'est point de plaisirs dont l'âme soit charmée Qui ne préviennent mes souhaits, Et je vois mal de quoi la vôtre est alarmée, Quand tout me sert dans ce Palais. Ma sœur, vous me faites trembler. Juste Ciel ! pourrais-je être assez infortunée… N'achevez pas, ce serait m'accabler. Que je sens à mon tour de cruelles alarmes ! Adieu, mes Sœurs, finissons l'entretien, J'aime et je crains qu'on ne s'impatiente. Partez, et demain si je puis Vous me verrez, ou plus contente, Ou dans l'accablement des plus mortels ennuis. Ne l'inquiétez point, ma Sœur, de vos soupçons, Et quand vous lui peindrez un si charmant Empire… Non, Seigneur. Ce n'est point là ce qui m'afflige. Dans un cœur tout à vous que vous pénétrez mal ! Je vous aime, Seigneur, et mon amour s'irrite De l'indigne soupçon que vous avez formé : Vous ne connaissez pas quel est votre mérite, Si vous craignez de n'être pas aimé. Je vous aime, et depuis que j'ai vu la lumière, Je me suis montrée assez fière, Pour dédaigner les vœux de plus d'un Roi : Et s'il vous faut ouvrir mon âme toute entière, Je n'ai trouvé que vous qui fût digne de moi. Cependant j'ai quelque tristesse Qu'en vain je voudrais vous cacher, Un noir chagrin se mêle à toute ma tendresse Dont je ne la puis détacher. Ne m'en demandez point la cause, Peut-être la sachant, voudrez-vous m'en punir, Et si j'ose aspirer encore à quelque chose, Je suis sûre du moins de ne point l'obtenir. J'aurai l'affront de me voir refusée. J'ose craindre un peu moins après cette assurance. Seigneur, je vois ici la pompe et l'abondance, Je vous adore, et vous m'aimez, Mon cœur en est ravi, mes sens en sont charmés ; Mais parmi ce bonheur suprême J'ai le malheur de ne savoir qui j'aime. Dissipez cet aveuglement, Et faites-moi connaître un si parfait Amant. C'est là sur vous mon souverain empire ? Seigneur, vous voulez m'éprouver, Mais je sais ce que j'en dois croire. De grâce, apprenez-moi tout l'excès de ma gloire, Et ne me cachez plus pour quel illustre choix J'ai rejeté les vœux de tant de Rois. Souffrez que je vous en conjure. Seigneur, vous me désespérez. Faites-vous des serments pour n'y point satisfaire ? Cruel Destin ! funeste inquiétude ! Fatale curiosité ! Qu'avez-vous fait, affreuse Solitude, De toute ma félicité ? J'aimais un Dieu, j'en étais adorée, Mon bonheur redoublait de moment en moment, Et je me vois seule, éplorée, Au milieu d'un Désert, où pour accablement, Et confuse, et désespérée, Je sens croître l'amour, quand j'ai perdu l'Amant. Le souvenir m'en charme et m'empoisonne, Sa douceur tyrannise un cœur infortuné Qu'aux plus cuisants chagrins ma flamme a condamné. Ô Ciel ! quand l'Amour m'abandonne, Pourquoi me laisse-t-il l'amour qu'il m'a donné ? Source de tous les biens inépuisable et pure, Maître des Hommes et des Dieux, Cher Auteur des maux que j'endure, Êtes-vous pour jamais disparu de mes yeux ? Je vous en ai banni moi-même, Dans un excès d'amour, dans un bonheur extrême, D'un indigne soupçon mon cœur s'est alarmé ; Cœur ingrat, tu n'avais qu'un feu mal allumé, Et l'on ne peut vouloir du moment que l'on aime, Que ce que veut l'Objet aimé. Mourons, c'est le parti qui seul me reste à suivre, Après la perte que je fais. Pour qui, grands Dieux, voudrais-je vivre, Et pour qui former des souhaits ? Fleuve, de qui les eaux baignent ces tristes sables, Ensevelis mon crime dans tes flots, Et pour finir des maux si déplorables, Laisse-moi dans ton lit assurer mon repos. J'attends ses Fureurs vengeresses. Qu'auront-elles pour moi qui ne me soit trop doux ? Qui cherche le trépas, ne craint Dieux, ni Déesses, Et peut braver tout leur courroux. Si de quelques Mortels on m'a vue adorée, Est-ce un crime pour moi d'avoir eu des appas, Dont leur âme inconsidérée Laissait charmer des yeux qui ne vous voyaient pas ? Je suis ce que le Ciel m'a faite, Je n'ai que les beautés qu'il m'a voulu prêter : Si les vœux qu'on m'offrait vous ont mal satisfaite, Pour forcer tous les cœurs à vous les reporter, Vous n'aviez qu'à vous présenter, Qu'à ne leur cacher plus cette beauté parfaite, Qui pour les rendre à leur devoir, Pour se faire adorer, n'a qu'à se faire voir. Si l'Amour pour eux tous m'avait endurci l'âme, Et me réservait toute à lui, En puis-je être coupable, et faut-il qu'aujourd'hui Pour prix d'une si belle flamme, Vous vouliez m'accabler d'un éternel ennui ? Et m'en a-t-il donné ni le temps, ni le lieu, Lui qui de tout mon cœur d'abord s'est rendu maître ? Pouvais-je n'aimer pas le Dieu qui fait aimer, Et qui me parlait pour lui-même ? C'est votre Fils, vous savez son pouvoir, Vous en connaissez le mérite. Effroyables replis des ondes infernales, Noirs Palais où Mégère et ses Sœurs font leur Cour, Éternels ennemis du Jour, Parmi vos Ixions, et parmi vos Tantales, Parmi tant de tourments qui n'ont point d'intervalles, Est-il dans votre affreux séjour Quelques peines qui soient égales Aux travaux où Vénus condamne mon amour ? Elle n'en peut être assouvie, Et depuis qu'à ses lois je me trouve asservie, Depuis qu'elle me livre à ses ressentiments, Il m'a fallu dans ces cruels moments Plus d'une âme, et plus d'une vie, Pour remplir ses commandements. Je souffrirais tout avec joie, Si, parmi les rigueurs que sa haine déploie, Mes yeux pouvaient revoir, ne fût-ce qu'un moment, Ce cher, cet adorable Amant : Je n'ose le nommer ; ma bouche criminelle D'avoir trop exigé de lui, S'en est rendue indigne, et dans ce dur ennui La souffrance la plus mortelle Dont m'accable à toute heure un renaissant trépas, Est celle de ne le voir pas. Si son courroux durait encore, Jamais aucun malheur n'approcherait du mien : Mais s'il avait pitié d'une âme qui l'adore, Quoi qu'il fallût souffrir, je ne souffrirais rien. Oui, Destins, s'il calmait cette juste colère, Tous mes malheurs seraient finis : Pour me rendre insensible aux fureurs de la Mer, Il ne faut qu'un regard d'un Fils. Je n'en veux plus douter, il partage ma peine, Il voit ce que je souffre, et souffre comme moi, Tout ce que j'endure le gêne, Lui-même il s'en impose une amoureuse loi : En dépit de Vénus, en dépit de mon crime, C'est lui qui me soutient, c'est lui qui me ranime, Au milieu des périls où l'on me fait courir : Il garde la tendresse où son feu le convie, Et prend soin de me rendre une nouvelle vie, Chaque fois qu'il me faut mourir. Mais que me veulent ces deux Ombres Qu'à travers le faux jour de ces Demeures sombres J'entrevois s'avancer vers moi ? Cléomène, Agénor, est-ce vous que je vois ? Qui vous a ravi la lumière ? Puis-je avoir des larmes de reste Après qu'on a porté les miens au dernier point ? Unissons nos soupirs dans un sort si funeste, Les soupirs ne s'épuisent point. Mais vous soupireriez, Princes, pour une ingrate, Vous n'avez point voulu survivre à mes malheurs, Et quelque douleur qui m'abatte, Ce n'est point pour vous que je meurs. Vous pouviez mériter, Princes, toute mon âme, Si vous n'eussiez été Rivaux. Ces qualités incomparables Qui de l'un et de l'autre accompagnaient les vœux, Vous rendaient tous deux trop aimables, Pour mépriser aucun des deux. Ne vous donne-t-il point le loisir de me dire Quel est ici votre séjour ? Que je les plains ! Pauvres Amants ! leur amour dure encore, Tous morts qu'ils sont l'un et l'autre m'adore, Moi dont la dureté reçut si mal leurs vœux : Tu n'en fais pas ainsi, toi qui seul m'as ravie, Amant, que j'aime encor cent fois plus que ma vie, Et qui brises de si beaux nœuds. Ne me fuis plus, et souffre que j'espère Que tu pourras un jour rabaisser l'œil sur moi, Qu'à force de souffrir j'aurai de quoi te plaire, De quoi me rengager ta foi. Mais ce que j'ai souffert m'a trop défigurée, Pour rappeler un tel espoir ; L'œil abattu, triste, désespérée, Languissante et décolorée, De quoi puis-je me prévaloir, Si par quelque miracle impossible à prévoir, Ma beauté qui t'a plu ne se voit réparée ? Je porte ici de quoi la réparer, Ce trésor de beauté divine Qu'en mes mains pour Vénus a remis Proserpine, Enferme des appas dont je puis m'emparer, Et l'éclat en doit être extrême, Puisque Vénus la beauté même Les demande pour se parer. En dérober un peu serait-ce un si grand crime ? Pour plaire aux yeux d'un Dieu qui s'est fait mon Amant, Pour regagner son cœur, et finir mon tourment, Tout n'est-il pas trop légitime ? Ouvrons. Quelles vapeurs m'offusquent le cerveau, Et que vois-je sortir de cette Boîte ouverte ? Amour, si ta pitié ne s'oppose à ma perte, Pour ne revivre plus, je descends au tombeau. C'est donc vous, ô grande Déesse, Qui redonnez la vie à ce cœur innocent ! Je vous revois enfin, cher objet de ma flamme ! **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_le-roi *date_1671 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_leroi Ah ! ma Fille, à ces pleurs laisse mes yeux ouverts, Mon deuil est raisonnable, encor qu'il soit extrême, Et lorsque pour toujours on perd ce que je perds, La Sagesse, crois-moi, peut pleurer elle-même. En vain l'orgueil du Diadème Veut qu'on soit insensible à ces cruels revers, En vain de la Raison les secours sont offerts, Pour vouloir d'un œil sec voir mourir ce qu'on aime : L'effort en est barbare aux yeux de l'Univers, Et c'est brutalité plus que vertu suprême. Je ne veux point dans cette adversité Parer mon cœur d'insensibilité, Et cacher l'ennui qui me touche ; Je renonce à la vanité De cette dureté farouche, Que l'on appelle fermeté ; Et de quelque façon qu'on nomme Cette vive douleur dont je ressens les coups, Je veux bien l'étaler, ma Fille, aux yeux de tous, Et dans le cœur d'un Roi montrer le cœur d'un Homme. La constance est facile en mille occasions. Toutes les révolutions Où nous peut exposer la Fortune inhumaine, La perte des grandeurs, les persécutions, Le poison de l'Envie, et les traits de la Haine, N'ont rien que ne puissent sans peine Braver les résolutions D'une âme où la Raison est un peu souveraine : Mais ce qui porte des rigueurs À faire succomber les cœurs Sous le poids des douleurs amères, Ce sont, ce sont les rudes traits De ces fatalités sévères, Qui nous enlèvent pour jamais Les Personnes qui nous sont chères. La Raison contre de tels coups N'offre point d'armes secourables, Et voilà des Dieux en courroux Les foudres les plus redoutables Qui se puissent lancer sur nous. Ah, de mes maux soulagement frivole ! Rien, rien ne s'offre à moi qui de toi me console ; C'est sur mes déplaisirs que j'ai les yeux ouverts, Et dans un destin si funeste Je regarde ce que je perds, Et ne vois point ce qui me reste. Ah, cherche un meilleur fondement Aux consolations que ton cœur me présente, Et de la fausseté de ce raisonnement Ne fais point un accablement À cette douleur si cuisante, Dont je souffre ici le tourment. Crois-tu là me donner une raison puissante, Pour ne me plaindre point de cet Arrêt des Cieux ? Et dans le procédé des Dieux Dont tu veux que je me contente, Une rigueur assassinante Ne paraît-elle pas aux yeux ? Vois l'état où ces Dieux me forcent à te rendre, Et l'autre où te reçut mon cœur infortuné : Tu connaîtras par là qu'ils me viennent reprendre Bien plus que ce qu'ils m'ont donné. Je reçus d'eux en toi, ma Fille, Un présent que mon cœur ne leur demandait pas ; J'y trouvais alors peu d'appas, Et leur en vis sans joie accroître ma famille. Mais mon cœur ainsi que mes yeux S'est fait de ce présent une douce habitude : J'ai mis quinze ans de soins, de veilles, et d'étude, À me le rendre précieux, Je l'ai paré de l'aimable richesse De mille brillantes vertus, En lui j'ai renfermé par des soins assidus Tous les plus beaux trésors que fournit la Sagesse, À lui j'ai de mon âme attaché la tendresse, J'en ai fait de ce cœur le charme et l'allégresse, La consolation de mes sens abattus, Le doux espoir de ma vieillesse. Ils m'ôtent tout cela, ces Dieux, Et tu veux que je n'aie aucun sujet de plainte Sur cet affreux Arrêt dont je souffre l'atteinte ? Ah ! leur pouvoir se joue avec trop de rigueur Des tendresses de notre cœur : Pour m'ôter leur présent, leur fallait-il attendre Que j'en eusse fait tout mon bien ? Ou plutôt, s'ils avaient dessein de le reprendre, N'eût-il pas été mieux de ne me donner rien ? Après ce coup que peuvent-ils me faire ? Ils m'ont mis en état de ne rien redouter. Ah, qu'ils souffrent du moins mes plaintes légitimes, Ce m'est assez d'effort que de leur obéir, Ce doit leur être assez que mon cœur t'abandonne Au barbare respect qu'il faut qu'on ait pour eux, Sans prétendre gêner la douleur que me donne L'épouvantable Arrêt d'un Sort si rigoureux. Mon juste désespoir ne saurait se contraindre, Je veux, je veux garder ma douleur à jamais, Je veux sentir toujours la perte que je fais, De la rigueur du Ciel je veux toujours me plaindre, Je veux jusqu'au trépas incessamment pleurer Ce que tout l'Univers ne peut me réparer. Oui, je dois t'épargner mon deuil inconsolable. Voici l'instant fatal de m'arracher de toi : Mais comment prononcer ce mot épouvantable ? Il le faut toutefois, le Ciel m'en fait la loi, Une rigueur inévitable M'oblige à te laisser en ce funeste lieu. Adieu : je vais… Adieu. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_aglaure *date_1671 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_aglaure Il est des maux, ma Sœur, que le silence aigrit, Laissons, laissons parler mon chagrin et le vôtre, Et de nos cœurs l'un à l'autre Exhalons le cuisant dépit : Nous nous voyons Sœurs d'infortune, Et la vôtre et la mienne ont un si grand rapport, Que nous pouvons mêler toutes les deux en une, Et dans notre juste transport, Murmurer à plainte commune Des cruautés de notre sort. Quelle fatalité secrète, Ma Sœur, soumet tout l'Univers Aux attraits de notre Cadette, Et de tant de Princes divers Qu'en ces lieux la Fortune jette, N'en présente aucun à nos fers ? Quoi, voir de toutes parts, pour lui rendre les armes, Les cœurs se précipiter, Et passer devant nos charmes, Sans s'y vouloir arrêter ? Quel sort ont nos yeux en partage, Et qu'est-ce qu'ils ont fait aux Dieux, De ne jouir d'aucun hommage, Parmi tous ces tributs de soupirs glorieux, Dont le superbe avantage Fait triompher d'autres yeux ? Est-il pour nous, ma Sœur, de plus rude disgrâce, Que de voir tous les cœurs mépriser nos appas, Et l'heureuse Psyché jouir avec audace D'une foule d'Amants attachés à ses pas ? Pour moi j'en suis souvent jusqu'à verser des larmes ; Tout plaisir, tout repos, par là m'est arraché Contre un pareil malheur ma constance est sans armes, Toujours à ce chagrin mon esprit attaché Me tient devant les yeux la honte de nos charmes, Et le triomphe de Psyché. La nuit il m'en repasse une idée éternelle Qui sur toute chose prévaut ; Rien ne me peut chasser cette image cruelle Et dès qu'un doux sommeil me vient délivrer d'elle, Dans mon esprit aussitôt Quelque songe la rappelle, Qui me réveille en sursaut. Mais encor, raisonnons un peu sur cette affaire. Quels charmes si puissants en elle sont épars, Et par où, dites-moi, du grand secret de plaire, L'honneur est-il acquis à ses moindres regards ? Que voit-on dans sa personne, Pour inspirer tant d'ardeurs ? Quel droit de beauté lui donne L'Empire de tous les cœurs ? Elle a quelques attraits, quelque éclat de jeunesse, On en tombe d'accord, je n'en disconviens pas ; Mais lui cède-t-on fort pour quelque peu d'aînesse, Et se voit-on sans appas ? Est-on d'une figure à faire qu'on se raille ? N'a-t-on point quelques traits, et quelques agréments, Quelque teint, quelques yeux, quelque air, et quelque taille À pouvoir dans nos fers jeter quelques Amants ? Ma Sœur, faites-moi la grâce De me parler franchement : Suis-je faite d'un air, à votre jugement, Que mon mérite au sien doive céder la place, Et dans quelque ajustement Trouvez-vous qu'elle m'efface ? Vous, ma Sœur, vous avez, sans nul déguisement, Tout ce qui peut causer une amoureuse flamme ; Vos moindres actions brillent d'un agrément Dont je me sens toucher l'âme ; Et je serais votre Amant, Si j'étais autre que Femme. Toutes les Dames d'une voix Trouvent ses attraits peu de chose, Et du nombre d'Amants qu'elle tient sous ses lois, Ma Sœur, j'ai découvert la cause. Sur un plus fort appui ma croyance se fonde, Et le charme qu'elle a pour attirer les cœurs, C'est un air en tout temps désarmé de rigueurs, Des regards caressants que la bouche seconde, Un souris chargé de douceurs Qui tend les bras à tout le monde, Et ne vous promet que faveurs. Notre gloire n'est plus aujourd'hui conservée, Et l'on n'est plus au temps de ces nobles fiertés, Qui par un digne essai d'illustres cruautés, Voulaient voir d'un Amant la constance éprouvée. De tout ce noble orgueil qui nous seyait si bien, On est bien descendu dans le Siècle où nous sommes, Et l'on en est réduite à n'espérer plus rien, À moins que l'on se jette à la tête des Hommes. J'approuve la pensée, et nous avons matière D'en faire l'épreuve première Aux deux Princes qui sont les derniers arrivés. Ils sont charmants, ma Sœur, et leur personne entière Me… Les avez-vous observés ? Je trouve qu'on pourrait rechercher leur tendresse, Sans se faire déshonneur. Les voici tous deux, et j'admire Leur air et leur ajustement. D'où vient, Princes, d'où vient que vous fuyez ainsi ? Prenez-vous l'épouvante, en nous voyant paraître ? Tous ces lieux n'ont-ils rien d'agréable pour vous, Si vous ne les voyez ornés de sa présence ? Ce serait trop à nous, que de nous informer Du secret que ces mots nous peuvent enfermer. C'est une nouveauté sans doute assez bizarre, Que deux Rivaux si bien unis. Parmi l'éclat du sang, vos yeux n'ont-ils vu qu'elle À pouvoir mériter vos feux ? En vérité, je plains les fâcheux embarras Où je vois que vos cœurs se mettent ; Vous aimez un Objet dont les riants appas Mêleront des chagrins à l'espoir qu'ils vous jettent, Et son cœur ne vous tiendra pas Tout ce que ses yeux vous promettent. Un clair discernement de ce que vous valez Nous fait plaindre le Sort où cet amour vous guide, Et vous pouvez trouver tous deux, si vous voulez, Avec autant d'attraits, une âme plus solide. Préparez vos attraits à recevoir ici Le triomphe nouveau d'une illustre conquête. N'ayant ni beauté, ni naissance À pouvoir mériter leur amour et leurs soins, Ils nous favorisent au moins De l'honneur de la confidence. Il me semble, sans nul courroux, Qu'avant que de vous en défendre, Princes, vous deviez bien attendre Qu'on se fût expliqué sur vous. Nous croyez-vous un cœur si facile et si tendre ? Et lorsqu'on parle ici de vous donner à nous, Savez-vous si l'on veut vous prendre ? Si ton ordre n'est pas jusqu'à nous étendu, Dis-nous quel grand malheur nous couvre ta tristesse. Mais vous, que sentez-vous, ma Sœur ? Moi, je sens quelque chose au mien Qui ressemble assez à la joie. Allons, le Destin nous envoie Un mal que nous pouvons regarder comme un bien. Ne nous enviez pas ce cruel avantage De confondre nos pleurs avec vos déplaisirs, De mêler nos soupirs à vos derniers soupirs ; D'une tendre amitié souffrez ce dernier gage. Un Oracle jamais n'est sans obscurité, On l'entend d'autant moins que mieux on croit l'entendre, Et peut-être après tout n'en devez-vous attendre Que gloire, et que félicité. Laissez-nous voir, ma Soeur, par une digne issue, Cette frayeur mortelle heureusement déçue, Ou mourir du moins avec vous, Si le Ciel à nos voeux ne se montre plus doux. Partager vos malheurs, c'est vous importuner. Vous le voulez, et nous partons. Daigne ce même Ciel plus juste et moins sévère, Vous envoyer le sort que nous vous souhaitons, Et que notre amitié sincère En dépit de l'Oracle et malgré vous espère. Je n'en puis plus, ma Sœur, j'ai vu trop de merveilles, L'avenir aura peine à les bien concevoir, Le Soleil qui voit tout, et qui nous fait tout voir, N'en a vu jamais de pareilles. Elles me chagrinent l'esprit, Et ce brillant Palais, ce pompeux équipage, Font un odieux étalage Qui m'accable de honte autant que de dépit. Que la Fortune indignement nous traite, Et que sa largesse indiscrète Prodigue aveuglément, épuise, unit d'efforts, Pour faire de tant de trésors Le partage d'une Cadette ! Non, ma Sœur, il n'est point de Reines, Qui dans leur propre État parlent en Souveraines, Comme Psyché parle en ces lieux. On l'y voit obéie avec exactitude, Et de ses volontés une amoureuse étude Les cherche jusque dans ses yeux. Mille beautés s'empressent autour d'elle, Et semblent dire à nos regards jaloux, Quels que soient nos attraits, elle est encore plus belle, Et nous qui la servons, le sommes plus que vous. Elle prononce, on exécute, Aucun ne s'en défend, aucun ne s'en rebute : Flore qui s'attache à ses pas Répand à pleines mains autour de sa personne Ce qu'elle a de plus doux appas, Zéphire vole aux ordres qu'elle donne, Et son Amante et lui s'en laissant trop charmer, Quittent pour la servir les soins de s'entr'aimer. C'était peu que dans notre Cour Tant de cœurs à l'envi nous l'eussent préférée, Ce n'était pas assez que de nuit et de jour D'une foule d'Amants elle y fût adorée : Quand nous nous consolions de la voir au tombeau Par l'ordre imprévu d'un Oracle, Elle a voulu de son destin nouveau Faire en notre présence éclater le miracle, Et choisi nos yeux pour témoins De ce qu'au fond du cœur nous souhaitions le moins. N'en parlons plus, ma Sœur, nous en mourrions d'ennui, Songeons plutôt à la vengeance, Et trouvons le moyen de rompre entre elle et lui Cette adorable intelligence. La voici. J'ai des coups tous prêts à lui porter, Qu'elle aura peine d'éviter. La jalousie est assez fine, Et ces délicats sentiments Méritent bien qu'on s'imagine Que celui qui pour vous a ces empressements, Passe le commun des Amants. Je vous en parle ainsi faute de le connaître. Vous ignorez son nom, et ceux dont il tient l'être, Nos esprits en sont alarmés : Je le tiens un grand Prince, et d'un pouvoir suprême Bien au-delà du Diadème, Ses trésors sous vos pas confusément semés Ont de quoi faire honte à l'abondance même, Vous l'aimez autant qu'il vous aime, Il vous charme, et vous le charmez ; Votre félicité, ma Sœur, serait extrême, Si vous saviez qui vous aimez. Qu'importe qu'ici tout vous serve, Si toujours cet Amant vous cache ce qu'il est ? Nous ne nous alarmons que pour votre intérêt. En vain tout vous y rit, en vain tout vous y plaît, Le véritable amour ne fait point de réserve, Et qui s'obstine à se cacher, Sent quelque chose en soi qu'on lui peut reprocher. Si cet Amant devient volage, Car souvent en amour le change est assez doux, Et j'ose le dire entre nous, Pour grand que soit l'éclat dont brille ce visage, Il en peut être ailleurs d'aussi belles que vous. Si, dis-je, un autre objet sous d'autres lois l'engage, Si dans l'état où je vous vois, Seule en ses mains et sans défense, Il va jusqu'à la violence, Sur qui vous vengera le Roi Ou de ce changement, ou de cette insolence ? Je n'ai plus qu'un mot à vous dire. Ce prince qui vous aime, et qui commande aux Vents, Qui nous donne pour char les ailes du Zéphire, Et de nouveaux plaisirs vous comble à tous moments, Quand il rompt à vos yeux l'ordre de la Nature, Peut-être à tant d'amour mêle un peu d'imposture, Peut-être ce Palais n'est qu'un enchantement, Et ces lambris dorés, ces amas de richesses Dont il achète vos tendresses, Dès qu'il sera lassé de souffrir vos caresses, Disparaîtront en un moment. Vous savez comme nous ce que peuvent les charmes. Notre amitié ne veut que votre bien. Nous allons dire au Roi quelle nouvelle gloire, Quel excès de bonheur le Ciel répand sur vous. Nous savons toutes deux ce qu'il faut taire, ou dire, Et n'avons pas besoin sur ce point de leçons. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_cidippe *date_1671 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_cidippe Ah, ma Sœur, c'est une aventure À faire perdre la raison, Et tous les maux de la Nature, Ne sont rien en comparaison. Ma Sœur, voilà mon martyre, Dans vos discours je me vois, Et vous venez là de dire Tout ce qui se passe en moi. Qui, vous, ma Sœur ? nullement. Hier à la Chasse, près d'elle, Je vous regardai longtemps, Et sans vous donner d'encens, Vous me parûtes plus belle. Mais moi, dites, ma Sœur, sans me vouloir flatter, Sont-ce des visions que je me mets en tête, Quand je me crois taillée à pouvoir mériter La gloire de quelque conquête ? D'où vient donc qu'on la voit l'emporter sur nous deux, Qu'à ses premiers regards les cœurs rendent les armes, Et que d'aucun tribut de soupirs et de vœux On ne fait honneur à nos charmes ? Pour moi je la devine, et l'on doit présumer Qu'il faut que là-dessous soit caché du mystère : Ce secret de tout enflammer N'est point de la Nature un effet ordinaire ; L'Art de la Thessalie entre dans cette affaire, Et quelque main a su sans doute lui former Un charme pour se faire aimer. Oui, voilà le secret de l'affaire, et je vois Que vous le prenez mieux que moi. C'est pour nous attacher à trop de bienséance, Qu'aucun Amant, ma Sœur, à nous ne veut venir, Et nous voulons trop soutenir L'honneur de notre Sexe, et de notre naissance. Les Sommes maintenant aiment ce qui leur rit, L'espoir, plus que l'Amour, est ce qui les attire, Et c'est par là que Psyché nous ravit Tous les Amants qu'on voit sous son empire. Suivons, suivons l'exemple, ajustons-nous au temps, Abaissons-nous, ma Sœur, à faire des avances, Et ne ménageons plus de tristes bienséances Qui nous ôtent les fruits du plus beau de nos ans. Ah, ma Sœur, ils sont faits tous deux d'une manière, Que mon âme… Ce sont deux Princes achevés. Je trouve que sans honte une belle Princesse Leur pourrait donner son cœur. Ils ne démentent nullement Tout ce que nous venons de dire. Quelque chose de bien pressant Vous doit à la chercher pousser tous deux sans doute. Sans aller plus avant, Princes, cela veut dire, Que vous aimez Psyché tous deux. Est-ce que dans ces lieux il n'est qu'elle de belle, Et n'y trouvez-vous point à séparer vos vœux ? L'espoir qui vous appelle au rang de ses Amants Trouvera du mécompte aux douceurs qu'elle étale ; Et c'est pour essuyer de très fâcheux moments, Que les soudains retours de son âme inégale. Par un choix plus doux de moitié Vous pouvez de l'Amour sauver votre amitié, Et l'on voit en vous deux un mérite si rare, Qu'un tendre avis veut bien prévenir par pitié Ce que votre cœur se prépare. Il faut que le pouvoir de Psyché… La voici. Venez jouir, ma Sœur, de ce qu'on vous apprête. Ces Princes ont tous deux si bien senti vos coups, Qu'à vous le découvrir leur bouche se dispose. Je pense que l'on a d'assez hauts sentiments Pour refuser un cœur qu'il faut qu'on sollicite, Et qu'on ne veut devoir qu'à son propre mérite La conquête de ses Amants. Ma Sœur, que sentez-vous à ce soudain malheur Où nous voyons Psyché par les Destins plongée ? À ne vous point mentir, je sens que dans mon cœur Je n'en suis pas trop affligée. C'est en votre faveur espérer un miracle, Ou vous accompagner jusques au monument. J'ose dire un peu plus, ma Sœur, c'est vous déplaire. J'entre dans tous vos sentiments, J'ai les mêmes chagrins, et dans ces lieux charmants Tout ce qui vous déplaît me blesse ; Tout ce que vous prenez pour un mortel affront Comme vous m'accable et me laisse L'amertume dans l'âme, et la rougeur au front. Elle a des Dieux à son service, Elle aura bientôt des Autels ; Et nous ne commandons qu'à de chétifs Mortels, De qui l'audace et le caprice Contre nous à toute heure en secret révoltés, Opposent à nos volontés Ou le murmure, ou l'artifice. Ce qui le plus me désespère, C'est cet Amant parfait et si digne de plaire, Qui se captive sous ses lois. Quand nous pourrions choisir entre tous les Monarques, En est-il un de tant de Rois Qui porte de si nobles marques ? Se voir du bien par-delà ses souhaits, N'est souvent qu'un bonheur qui fait des misérables : Il n'est ni train pompeux, ni superbes Palais, Qui n'ouvrent quelque porte à des maux incurables ; Mais avoir un Amant d'un mérite achevé, Et s'en voir chèrement aimée ; C'est un bonheur si haut, si relevé, Que sa grandeur ne peut être exprimée. Que sait-on si déjà les nœuds de l'Hyménée… Nous allons lui conter d'un changement si doux La surprenante et merveilleuse histoire. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_cleomene *date_1671 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_cleomene On nous faisait croire qu'ici La Princesse Psyché, Madame, pourrait être. Le motif est assez puissant, Puisque notre fortune enfin en dépend toute. Nous ne prétendons point en faire de mystère ; Aussi bien malgré nous paraîtrait-il au jour, Et le secret ne dure guère, Madame, quand c'est de l'amour. Il est vrai que la chose est rare, Mais non pas impossible à deux parfaits Amis. Est-ce que l'on consulte au moment qu'on s'enflamme ? Choisit-on qui l'on veut aimer ? Et pour donner toute son âme, Regarde-t-on quel droit on a de nous charmer ? Cet avis généreux fait pour nous éclater Des bontés qui nous touchent l'âme ; Mais le Ciel nous réduit à ce malheur, Madame, De ne pouvoir en profiter. L'aveu qu'il nous faut faire à vos divins appas, Est sans doute, Madame, un aveu téméraire ; Mais tant de cœurs près du trépas, Sont par de tels aveux forcés à vous déplaire, Que vous êtes réduite à ne les punir pas Des foudres de votre colère. Vous voyez en nous deux Amis, Qu'un doux rapport d'humeurs sut joindre dès l'enfance Et ces tendres liens se sont vus affermis Par cent combats d'estime et de reconnaissance. Du Destin ennemi les assauts rigoureux, Les mépris de la mort, et l'aspect des supplices, Par d'illustres éclats de mutuels offices Ont de notre amitié signalé les beaux nœuds : Mais à quelques essais qu'elle se soit trouvée, Son grand triomphe est en ce jour, Et rien ne fait tant voir sa constance éprouvée, Que de se conserver au milieu de l'Amour. Oui, malgré tant d'appas, son illustre constance Aux Lois qu'elle nous fait a soumis tous nos vœux ; Elle vient d'une douce et pleine déférence Remettre à votre choix le succès de nos feux, Et pour donner un poids à notre concurrence, Qui des raisons d'État entraîne la balance Sur le choix de l'un de nous deux, Cette même amitié s'offre sans répugnance D'unir nos deux États au sort du plus heureux. Un cœur dont l'amour est extrême Peut-il bien consentir, hélas, D'être donné par ce qu'il aime ? Sur nos deux cœurs, Madame, à vos divins appas Nous donnons un pouvoir suprême, Disposez-en pour le trépas, Mais pour une autre que vous-même Ayez cette bonté de n'en disposer pas. Deux Amis, deux Rivaux, dont l'unique souci Est d'exposer leurs jours pour conserver les vôtres. Ce n'est point par l'espoir d'un si charmant salaire Que nous nous sentons animer, Nous ne cherchons qu'à satisfaire Aux devoirs d'un amour qui n'ose présumer Que jamais, quoi qu'il puisse faire, Il soit capable de vous plaire, Et digne de vous enflammer. Vivez, belle Princesse, et vivez pour un autre : Nous le verrons d'un œil jaloux, Nous en mourrons, mais d'un trépas plus doux Que s'il nous fallait voir le vôtre. Et si nous ne mourons en vous sauvant le jour, Quelque amour qu'à nos yeux vous préfériez au nôtre, Nous voulons bien mourir de douleur et d'amour. Laissez-nous opposer au lâche Ravisseur, À qui le Sacrilège indignement vous livre, Un amour qu'a le Ciel choisi pour défenseur De la seule beauté pour qui nous voulons vivre. Si nous n'osons prétendre à sa possession, Du moins en son péril permettez-nous de suivre L'ardeur et les devoirs de notre passion. Princesse… Allons-y chercher ceux de ne lui point survivre. La plus juste douleur, qui d'un beau désespoir Nous eût pu fournir la matière, Cette pompe funèbre, où du sort le plus noir Vous attendiez la rigueur la plus fière, L'injustice la plus entière. Heureusement déçus au sens de votre Oracle, Nous en avons ici reconnu le miracle, Et su que le Serpent prêt à vous dévorer Était le Dieu qui fait qu'on aime, Et qui tout Dieu qu'il est, vous adorant lui-même, Ne pouvait endurer Qu'un Mortel comme nous osât vous adorer. L'avons-nous mérité, nous dont toute la flamme N'a fait que vous lasser du récit de nos maux ? Dans des Bois toujours verts, où d'amour on respire, Aussitôt qu'on est mort d'amour. D'amour on y revit, d'amour on y soupire, Sous les plus douces lois de son heureux Empire, Et l'éternelle nuit n'ose en chasser le jour, Que lui-même il attire Sur nos fantômes qu'il inspire, Et dont aux Enfers même il se fait une Cour. Vous êtes seule à plaindre. Mais nous demeurons trop à vous entretenir, Adieu, puissions-nous vivre en votre souvenir, Puissiez-vous, et bientôt, n'avoir plus rien à craindre, Puisse, et bientôt, l'Amour vous enlever aux Cieux, Vous y mettre à côté des Dieux, Et rallumant un feu qui ne se puisse éteindre, Affranchir à jamais l'éclat de vos beaux yeux D'augmenter le jour en ces lieux. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_agenor *date_1671 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_agenor Ces lieux peuvent avoir des charmes assez doux ; Mais nous cherchons Psyché dans notre impatience. Tous deux soumis à son empire Nous allons de concert lui découvrir nos feux. Sans qu'on ait le pouvoir d'élire, On suit, dans une telle ardeur Quelque chose qui nous attire, Et lorsque l'Amour touche un cœur, On n'a point de raisons à dire. votre illustre pitié veut en vain nous distraire D'un amour dont tous deux nous redoutons l'effet ; Ce que notre amitié, Madame, n'a pas fait, Il n'est rien qui le puisse faire. Oui, de ces deux États, Madame, Que sous votre heureux choix nous nous offrons d'unir, Nous voulons faire à notre flamme Un secours pour vous obtenir. Ce que pour ce bonheur, près du Roi votre Père Nous nous sacrifions tous deux, N'a rien de difficile à nos cœurs amoureux, Et c'est au plus heureux faire un don nécessaire D'un pouvoir dont le malheureux, Madame, n'aura plus affaire. Aux Princesses, Madame, on ferait trop d'outrage, Et c'est pour leurs attraits un indigne partage, Que les restes d'une autre ardeur ; Il faut d'un premier feu la pureté fidèle, Pour aspirer à cet honneur Où votre bonté nous appelle, Et chacune mérite un cœur Qui n'ait soupiré que pour elle. Un Serpent n'est pas invincible ; Cadmus qui n'aimait rien défit celui de Mars, Nous aimons, et l'Amour sait rendre tout possible Au cœur qui suit ses étendards, À la main dont lui-même il conduit tous les dards. Rien ne s'offre à nos yeux encor qui les étonne, Et quand vous vous peignez un si proche trépas, Si la force vous abandonne, Nous avons des cœurs et des bras Que l'espoir n'abandonne pas. Peut-être qu'un Rival a dicté cet Oracle, Que l'or a fait parler celui qui l'a rendu : Ce ne serait pas un miracle, Que pour un Dieu muet un Homme eût répondu, Et dans tous les Climats on n'a que trop d'exemples Qu'il est ainsi qu'ailleurs des méchants dans les temples. Nous la perdons de vue, allons tous deux chercher Sur le faîte de ce Rocher, Prince, les moyens de la suivre. Sur ce même Rocher, où le Ciel en courroux Vous promettait au lieu d'Époux Un Serpent dont soudain vous seriez dévorée, Nous tenions la main préparée À repousser sa rage, ou mourir avec vous. Vous le savez, Princesse, et lorsqu'à notre vue Par le milieu des airs vous êtes disparue, Du haut de ce Rocher pour suivre vos beautés, Ou plutôt pour goûter cette amoureuse joie D'offrir pour vous au Monstre une première proie, D'amour et de douleur l'un et l'autre emportés, Nous nous sommes précipités. Pour prix de vous avoir suivie, Nous jouissons ici d'un trépas assez doux : Qu'avions-nous affaire de vie, Si nous ne pouvions être à vous ? Nous revoyons ici vos charmes Qu'aucun des deux là -haut n'aurait revus jamais, Heureux si nous voyons la moindre de vos larmes Honorer des malheurs que vous nous avez faits. Vous avez pu sans être injuste, ni cruelle, Nous refuser un cœur réservé pour un Dieu. Mais revoyez Vénus : le Destin nous rappelle, Et nous force à vous dire Adieu. Vos envieuses Sœurs après nous descendues1775 Pour vous perdre se sont perdues, Et l'une et l'autre tour à tour, Pour le prix d'un conseil qui leur coûte la vie, À côté d'Ixion, à côté de Titye, Souffre tantôt la roue, et tantôt le Vautour. L'Amour, par les Zéphyrs s'est fait prompte justice De leur envenimée et jalouse malice : Ces Ministres ailés de son juste courroux, Sous couleur de les rendre encore auprès de vous, Ont plongé l'une et l'autre au fond d'un précipice, Où le spectacle affreux de leurs corps déchirés N'étale que le moindre et le premier supplice De ces conseils dont l'artifice Fait les maux dont vous soupirez. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_zephire *date_1671 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_zephire Oui, je me suis galamment acquitté De la commission que vous m'avez donnée, Et du haut du Rocher je l'ai, cette beauté, Par le milieu des airs doucement amenée Dans ce beau Palais enchanté, Où vous pouvez en liberté Disposer de sa Destinée : Mais vous me surprenez par ce grand changement Qu'en votre personne vous faites ; Cette taille, ces traits, et cet ajustement, Cachent tout à fait qui vous êtes, Et je donne aux plus fins à pouvoir en ce jour Vous reconnaître pour l'Amour. En tout vous êtes un grand Maître, C'est ici que je le connais. Sous des déguisements de diverse nature On a vu les Dieux amoureux Chercher à soulager cette douce blessure Que reçoivent les coeurs de vos traits pleins de feux : Mais en bon sens vous l'emportez sur eux, Et voila la bonne figure Pour avoir un succès heureux, Prêt de l'aimable Sexe où l'on porte ses voeux. Oui, de ces formes-là l'assistance est bien forte, Et sans parler ni de rang, ni d'esprit, Qui peut trouver moyen d'être fait de la sorte, Ne soupir guère à crédit. Fort bien, vous ne pouvez mieux faire, Et vous entrez dans un mystère Qui ne demande rien d'enfant. Je prévois là-dessus quelque peu de colère. Bien que les disputes des ans Ne doivent point régner parmi des Immortelles, Votre Mère Vénus est de l'humeur des belles Qui n'aiment point de grands enfants. Mais où je la trouve outragée, C'est dans le procédé que l'on vous voit tenir, Et c'est l'avoir étrangement vengée, Que d'aimer la Beauté qu'elle voulait punir. Cette haine où ses voeux prétendent que répondent La puissance d'un Fils que redoutent les Dieux… Vous pouvez vous montrer pour finir son martyre, Lui découvrir son destin glorieux, Et vous dire entre vous tout ce que peuvent dire Les soupirs, la bouche, et les yeux. En Confident discret je sais ce qu'il faut faire Pour ne pas interrompre un amoureux mystère. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_lycas *date_1671 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lycas Ah, Madame ! Le Roi… Vous demande. Vous ne le saurez que trop tôt. Ne craignez que pour vous, c'est vous que l'on doit plaindre. Souffrez que j'obéisse à qui m'envoie ici, Madame, et qu'on vous laisse apprendre de sa bouche Ce qui peut m'affliger ainsi. Hélas ! ce grand malheur dans la Cour répandu, Voyez-le vous-même, Princesse, Dans l'Oracle qu'au Roi les Destins ont rendu. Voici ses propres mots, que la douleur, Madame, A gravés au fond de mon âme : Que l'on ne pense nullement À vouloir de Psyché conclure l'Hyménée ; Mais qu'au sommet d'un Mont elle soit promptement En pompe funèbre menée, Et que de tous abandonnée, Pour époux elle attende en ces lieux constamment Un Monstre dont on a la vue empoisonnée, Un Serpent qui répand son venin en tous lieux, Et trouble dans sa rage et la Terre et les Cieux. Après un Arrêt si sévère, Je vous quitte, et vous laisse à juger entre vous, Si par de plus cruels et plus sensibles coups Tous les Dieux nous pouvaient expliquer leur colère. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_dieu-fleuve *date_1671 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dieufleuve Ton trépas souillerait mes ondes, Psyché, le Ciel te le défend, Et peut-être qu'après des douleurs si profondes Un autre sort t'attend. Fuis plutôt de Vénus l'implacable colère : Je la vois qui te cherche et qui te veut punir, L'amour du Fils a fait la haine de la Mère, Fuis, je saurai la retenir. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_apollon *date_1671 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_apollon Unissons-nous, Troupe immortelle ; Le Dieu d'Amour devient heureux amant, Et Vénus a repris sa douceur naturelle En faveur d'un Fils si charmant : Il va goûter en paix, après un long tourment, Une félicité qui doit être éternelle. Le Dieu qui nous engage À lui faire la Cour, Défend qu'on soit trop sage. Les plaisirs ont leur tour, C'est leur plus doux usage, Que de finir les soins du Jour. La Nuit est le partage Des Jeux, et de l'Amour. Ce serait grand dommage Qu'en ce charmant Séjour On eût un cœur sauvage. Les Plaisirs ont leur tour, C'est leur plus doux usage, Que de finir les soins du Jour. La Nuit est le partage Des Jeux, et de l'Amour. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_muses *date_1671 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_muses Gardez-vous, Beautés sévères, Les Amours font trop d'affaires, Craignez toujours de vous laisser charmer : Quand il faut que l'on soupire, Tout le mal n'est pas de s'enflammer ; Le martyre De le dire, Coûte plus cent fois que d'aimer. On ne peut aimer sans peines, Il est peu de douces chaînes, À tout moment on se sent alarmer ; Quand il faut que l'on soupire, Tout le mal n'est pas de s'enflammer ; Le martyre De le dire, Coûte plus cent fois que d'aimer. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_bacchus *date_1671 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_bacchus Si quelquefois, Suivant nos douces Lois, La raison se perd et s'oublie, Ce que le Vin nous cause de folie Commence et finit en un jour ; Mais quand un cœur est enivré d'Amour, Souvent c'est pour toute la vie. Admirons le jus de la Treille : Qu'il est puissant ! qu'il a d'attraits ! Il sert aux douceurs de la Paix, Et dans la Guerre il fait merveille : Mais surtout pour les Amours, Le vin est d'un grand secours. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_mome *date_1671 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_mome Je cherche à médire ! Sur la terre et dans les Cieux ; Je soumets à ma Satire Les plus grands des Dieux. Il n'est dans l'Univers que l'Amour qui m'étonne ; Il est le seul que j'épargne aujourd'hui ; Il n'appartient qu'à lui De n'épargner personne. Folâtrons, divertissons-nous, Raillons, nous ne saurions mieux faire, La raillerie est nécessaire Dans les Jeux les plus doux. Sans la douceur que l'on goûte à médire, On trouve peu de plaisirs sans ennui ; Rien n'est si plaisant que de rire, Quand on rit aux dépens d'autrui. Plaisantons, ne pardonnons rien, Rions, rien n'est plus à la mode, On court péril d'être incommode, En disant trop de bien. Sans la douceur que l'on goûte à médire, On trouve peu de plaisirs sans ennui ; Rien n'est si plaisant que de rire, Quand on rit aux dépens d'autrui. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_mars *date_1671 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_mars Laissons en paix toute la Terre, Cherchons de doux amusements ; Parmi les Jeux les plus charmants, Mêlons l'image de la Guerre. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_choeur *date_1671 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_choeur Chantons les plaisirs charmants Des heureux Amants, Que tout le Ciel s'empresse À leur faire sa cour, Célébrons ce beau Jour Par mille doux chants d'allégresse, Célébrons ce beau jour Par mille doux chants pleins d'amour. Chantons les plaisirs charmants Des heureux Amants. Répondez-nous, Trompettes, Timbales et tambours : Accordez-vous toujours Avec le doux son des Musettes, Accordez-vous toujours Avec le doux chant des Amours. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_choeur-des-divinites *date_1671 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_choeurdesdivinites Nous goûtons une Paix profonde ; Les plus doux Jeux sont ici-bas ; On doit ce repos plein d'appâts Au plus grand ROI du Monde. Descendez, Mère des Amours, Venez nous donner de beaux jours. Est-on sage Dans le bel âge, Est-on sage De n'aimer pas ? Que sans cesse L'on se presse De goûter les plaisirs ici-bas : La sagesse De la Jeunesse, C'est de savoir jouir de ses appas. L'Amour charme Ceux qu'il désarme ; L'Amour charme, Cédons-lui tous. Notre peine Serait vaine De vouloir résister à ses coups : Quelque chaîne Qu'un Amant prenne, La liberté n'a rien qui soit si doux. Nous goûtons une Paix profonde ; Les plus doux Jeux sont ici-bas ; On doit ce repos plein d'appâts Au plus grand ROI du Monde. Descendez, Mère des Amours, Venez nous donner de beaux jours. Célébrons ce grand jour ; Célébrons tous une Fête si belle : Que nos Chants en tous lieux en portent la nouvelle, Qu'ils fassent retentir le céleste séjour : Chantons, répétons, tour à tour, Qu'il n'est point d'Âme si cruelle Qui tôt ou tard ne se rende à l'Amour. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_flore *date_1671 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_flore Ce n'est plus le temps de la Guerre ; Le plus puissant des Rois Interrompt ses Exploits Pour donner la Paix à la Terre. Descendez, Mère des Amours, Venez nous donner de beaux jours. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_vertumne *date_1671 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_vertumne Rendez-vous, Beautés cruelles, Soupirez à votre tour. Un bel Objet toujours sévère Ne se fait jamais bien aimer. Souffrons tous qu'Amour nous blesse ; Languissons, puisqu'il le faut. Un bel Objet toujours sévère Ne se fait jamais bien aimer. **** *creator_moliere *book_moliere_psyche *style_verse *genre_show *dist1_moliere_verse_show_psyche *dist2_moliere_verse_show *id_palaemon *date_1671 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_palaemon Voici la Reine des Belles, Qui vient inspirer l'amour. C'est la beauté qui commence de plaire, Mais la douceur achève de charmer. C'est la beauté qui commence de plaire, Mais la douceur achève de charmer. Que sert un cœur sans tendresse ? Est-il un plus grand défaut ? C'est la beauté qui commence de plaire, Mais la douceur achève de charmer. **** *creator_moliere *book_moliere_sganarelle *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_sganarelle *dist2_moliere_verse_comedy *id_gorgibus *date_1660 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_gorgibus Que marmottez-vous là petite impertinente ? Vous prétendez choquer ce que j'ai résolu, Je n'aurai pas sur vous un pouvoir absolu, Et par sottes raisons votre jeune cervelle Voudrait régler ici la raison paternelle ? Qui de nous deux à l'autre a droit de faire loi, À votre avis qui mieux, ou de vous, ou de moi Ô sotte, peut juger ce qui vous est utile ? Par la corbleu, gardez d'échauffer trop ma bile, Vous pourriez éprouver sans beaucoup de longueur Si mon bras sait encor montrer quelque vigueur. Votre plus court sera, Madame la mutine, D'accepter sans façons l'époux qu'on vous destine. J'ignore, dites‑vous, de quelle humeur il est, Et dois auparavant consulter s'il vous plaît. Informé du grand bien qui lui tombe en partage, Dois-je prendre le soin d'en savoir davantage, Et cet époux ayant vingt mille bons Ducats, Pour être aimé de vous doit-il manquer d'appas ? Allez tel qu'il puisse être, avec cette somme, Je vous suis caution qu'il est très honnête homme. Eh bien hélas ! que veut dire ceci, Voyez le bel hélas ! qu'elle nous donne ici. Hé ! que si la colère une fois me transporte, Je vous ferai chanter hélas ! de belle sorte. Voilà, voilà, le fruit de ces empressements Qu'on vous voit nuit et jour à lire vos Romans, De quolibets d'amour votre tête est remplie, Et vous parlez de Dieu, bien moins que de Clélie. Jetez‑moi dans le feu tous ces méchants écrits Qui gâtent tous les jours tant de jeunes esprits, Lisez‑moi comme il faut, au lieu de ces sornettes Les quatrains de Pibrac, et les doctes Tablettes Du Conseiller Matthieu, ouvrage de valeur Et plein de beaux dictons à réciter par cœur. La Guide des pécheurs est encore un bon livre ; C'est là qu'en peu de temps on apprend à bien vivre, Et si vous n'aviez lu que ces Moralités, Vous sauriez un peu mieux suivre mes volontés. Lui fût-elle engagée encore davantage, Un autre est survenu dont le bien l'en dégage. Lélie est fort bien fait ; mais apprends qu'il n'est rien Qui ne doive céder au soin d'avoir du bien, Que l'or donne aux plus laids certain charme pour plaire, Et que sans lui le reste est une triste affaire. Valère, je crois bien, n'est pas de toi chéri ; Mais s'il ne l'est amant, il le sera mari. Plus que l'on ne le croit, ce nom d'époux engage Et l'amour est souvent un fruit du mariage. Mais suis-je pas bien fat de vouloir raisonner, Où de droit absolu j'ai pouvoir d'ordonner ? Trêve donc je vous prie à vos impertinences, Que je n'entende plus vos sottes doléances : Ce gendre doit venir vous visiter ce soir, Manquez un peu, manquez, à le bien recevoir, Si je ne vous lui vois faire fort bon visage Je vous… je ne veux pas en dire davantage. Ah ! voilà qui me plaît de parler de la sorte, Parbleu, si grande joie à l'heure me transporte, Que mes jambes sur l'heure en cabrioleraient Si nous n'étions point vus de gens qui s'en riraient. Approche-toi de moi, viens çà que je t'embrasse : Une belle action n'a pas mauvaise grace, Un père, quand il veut peut sa fille baiser, Sans que l'on ait sujet de s'en scandaliser. Va, le contentement de te voir si bien née Me fera rajeunir de dix fois une année. Monsieur, que je revois en ces lieux de retour, Brûlant des mêmes feux, et dont l'ardente amour Verra que vous croyez la promesse accomplie Qui vous donna l'espoir de l'hymen de Célie, Très humble Serviteur à Votre Seigneurie. Oui, Monsieur, c'est ainsi que je fais mon devoir, Ma fille en suit les lois. Est-ce répondre en fille à mes commandements ? Tu te démens bien tôt de tes bons sentiments, Pour Valère tantôt… mais j'aperçois son père, Il vient assurément pour conclure l'affaire. Qui vous amène ici, seigneur Villebrequin ? Brisons là, si sans votre congé, Valère votre fils ailleurs s'est engagé, Je ne vous puis celer que ma fille Célie, Dès longtemps par moi-même est promise à Lélie, Et que riche en vertus son retour aujourd'hui M'empêche d'agréer un autre Époux que lui. Allons choisir le jour pour se donner la foi. **** *creator_moliere *book_moliere_sganarelle *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_sganarelle *dist2_moliere_verse_comedy *id_celie *date_1660 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_celie Ah ! n'espérez jamais que mon cœur y consente. Hélas ! Quoi vous prétendez donc mon père, que j'oublie La constante amitié que je dois à Lélie ? J'aurais tort si sans vous je disposais de moi ; Mais vous‑même à ses vœux engageâtes ma foi. Peux-tu me conseiller de commettre un forfait, D'abandonner Lélie, et prendre ce mal-fait ? Ah ! ne m'accable point par ce triste présage, Vois attentivement les traits de ce visage, Ils jurent à mon cœur d'éternelles ardeurs, Je veux croire après tout qu'ils ne sont pas menteurs, Et comme c'est celui que l'art y représente Il conserve à mes feux une amitié constante. Et cependant il faut… ah ! soutiens-moi. Quoi, Lélie a paru tout à l'heure à mes yeux, Qui pourrait me cacher son retour en ces lieux ? Celui qui maintenant devers vous est venu Et qui vous a parlé, d'où vous est-il connu ? Quel trouble agite ainsi votre âme ? D'où vous peuvent venir ces douleurs non communes ? Comment ? Celui qui maintenant… Ah ! j'avais bien jugé que ce secret retour Ne pouvait me couvrir que quelque lâche tour, Et j'ai tremblé d'abord, en le voyant paraître, Par un pressentiment de ce qui devait être. Est-il rien de plus noir que ta lâche action, Et peut-on lui trouver une punition ? Dois-tu ne te pas croire indigne de la vie, Après t'être souillé de cette perfidie ? Ô Ciel ! est-il possible ? Ah ! traître, scélérat, âme double et sans foi. Non, non, l'Enfer n'a point de gêne Qui ne soit pour ton crime une trop douce peine. Avoir ainsi traité Et la même innocence, et la même bonté. Un cœur, qui jamais n'a fait la moindre chose A mérité l'affront où ton mépris l'expose ? Qui bien loin… Mais c'est trop, et ce cœur Ne saurait y songer sans mourir de douleur. Mais ne t'abuse pas jusqu'à te figurer Qu'à des plaintes sans fruit j'en veuille demeurer, Mon cœur pour se venger sait ce qu'il te faut faire, Et j'y cours de ce pas, rien ne m'en peut distraire. Oui, je veux bien subir une si juste Loi Mon père, disposez de mes vœux et de moi, Faites quand vous voudrez signer cette hyménée, À suivre mon devoir je suis déterminée, Je prétends gourmander mes propres sentiments Et me soumettre en tout à vos commandements. Et lorsque tu sauras Par quel motif j'agis tu m'en estimeras. Apprends donc que Lélie, A pu blesser mon cœur par une perfidie, Qu'il était en ces lieux sans… Quoi me parler encore, avez-vous cette audace ? Oui traître j'y veux vivre, et mon plus grand désir Ce serait que ton cœur en eût du déplaisir. Quoi tu fais le surpris, et demandes ton crime ? Tourne, tourne les yeux sans me faire répondre. Cet objet suffit pour te confondre. Il t'en doit dire assez Cet objet, dont tes yeux nous paraissent blessés. Ah ! cesse devant moi, Traître, de ce discours l'insolence cruelle. Oui oui, mon choix est tel qu'on n'y peut rien reprendre. Ah ! qu'ici si tu sais bien traître, dissimuler. Parle, parle à lui-même, il pourra t'éclaircir. La déclaration est assez ingénue. Allez, ne croyez pas que l'on en ait envie. Tu vois si c'est mensonge, et j'en suis fort ravie. C'est moi qui du portrait ai causé l'aventure, Et je l'ai laissé choir en cette pâmoison Qui m'a fait par vos soins remettre à la maison. Ah ! Dieux ! s'il est ainsi, qu'est-ce donc que j'ai fait ? Je dois de mon courroux appréhender l'effet : Oui, vous croyant sans foi, j'ai pris pour ma vengeance Le malheureux secours de mon obéissance ; Et depuis un moment mon cœur vient d'accepter Un hymen que toujours j'eus lieu de rebuter, J'ai promis à mon père, et ce qui me désole… Mais je le vois venir. Mon devoir m'intéresse, Mon père, à dégager vers lui votre promesse. **** *creator_moliere *book_moliere_sganarelle *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_sganarelle *dist2_moliere_verse_comedy *id_lelie *date_1660 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_lelie Hé bien, parle. Ce grand empressement n'est point digne de blâme, De l'hymen de Célie, on alarme mon âme ; Tu sais que je l'adore, et je veux être instruit Avant tout autre soin de ce funeste bruit. Je ne saurais manger. Tais-toi, je te l'ordonne. J'ai de l'inquiétude et non pas de la faim. Laisse-moi m'informer de l'objet de mes vœux, Et sans m'importuner, va manger si tu veux. Non non, à trop de peur mon âme s'abandonne, Le père m'a promis et la fille a fait voir Des preuves d'un amour qui soutient mon espoir. Dieux ! qu'aperçois-je ici ? Et si c'est mon portrait, que dois-je croire aussi ? Ce gage ne peut sans alarmer ma foi, Être sorti des mains qui le tenaient de moi. Me trompai-je ? Je ne m'abuse point, c'est mon portrait lui-même. Ma surprise est extrême. Je le veux accoster. Puis-je… hé ! de grâce un mot. Puis-je obtenir de vous, de savoir l'aventure, Qui fait dedans vos mains trouver cette peinture ? Retirez‑moi de peine et dites d'où vous vient… Quoi, celle, dites-vous dont vous tenez ce gage… Son mari ? Ah ! que viens-je d'entendre ? L'on me l'avait bien dit, et que c'était de tous L'homme le plus mal fait qu'elle avait pour époux. Ah ! quand mille serments de ta bouche infidèle Ne m'auraient pas promis une flamme éternelle, Le seul mépris d'un choix si bas et si honteux Devait bien soutenir l'intérêt de mes feux, Ingrate, et quelque bien… mais le sensible outrage Se mêlant aux travaux d'un assez long voyage, Me donne tout à coup un choc si violent, Que mon cœur devient faible, et mon corps chancelant. C'est un mal qui m'a pris assez subitement. Pour un moment ou deux, j'accepte cette grâce. Non non, je vous rends grâce autant qu'on puisse rendre, De l'obligeant secours que vous m'avez prêté. Ah ! mon âme s'émeut et cet objet m'inspire… Mais je dois condamner cet injuste transport, Et n'imputer mes maux qu'aux rigueurs de mon sort. Envions seulement le bonheur de sa flamme. Oh ! trop heureux d'avoir une si belle femme. Avant que pour jamais je m'éloigne de vous ; Je veux vous reprocher au moins en cette place… Il est vrai qu'elle est grande et votre choix est tel Qu'à vous rien reprocher je serais criminel, Vivez, vivez contente et bravez ma mémoire Avec le digne Époux qui vous comble de gloire. Qui rend donc contre moi ce courroux légitime ? Ah ! je vois… Mais pour vous obliger bien plutôt à rougir. À qui donc en veut-on ? Pourquoi ces armes-là ? Hay ? Oui, je connais par là que vous êtes coupable De l'infidélité la plus inexcusable, Qui jamais d'un amant puisse outrager la foi. Puisqu'un pareil discours émeut votre colère, Je dois de votre cœur me montrer satisfait, Et l'applaudir ici du beau choix qu'il a fait. Allez, vous faites bien de le vouloir défendre. D'où vous naît cette plainte ? et quel chagrin brutal… Un semblable soupçon est bas et ridicule, Allez, dessus ce point n'ayez aucun scrupule, Je sais qu'elle est à vous, et bien loin de brûler… Quoi me soupçonnez-vous d'avoir une pensée De qui son âme ait lieu de se croire offensée ? De cette lâcheté voulez-vous me noircir ? Que me veut‑on conter ? Que l'infidèle a pu me quitter pour un autre : Et que lorsque sur le bruit de son Hymen fatal, J'accours tout transporté d'un amour sans égal, Dont l'ardeur résistait à se croire oubliée, Mon abord en ces lieux la trouve mariée. À lui. Oui-dà. C'est lui-même aujourd'hui. Dans un grand trouble d'âme, Tantôt de mon portrait je vous ai vu saisi. Vous m'avez dit aussi, Que celle aux mains de qui vous aviez pris ce gage, Était liée à vous des nœuds du mariage. Il me tiendra parole. Monsieur, vous me voyez en ces lieux de retour, Brûlant des mêmes feux, et mon ardente amour Verra comme je crois la promesse accomplie Qui me donna l'espoir de l'hymen de Célie. Quoi ? Monsieur, est-ce ainsi qu'on trahit mon espoir ? Et cette juste envie, D'un bonheur éternel va couronner ma vie. **** *creator_moliere *book_moliere_sganarelle *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_sganarelle *dist2_moliere_verse_comedy *id_grosrene *date_1660 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_grosrene Enfin nous y voici ; mais Monsieur, si je l'ose, Je voudrais vous prier de me dire une chose. Avez-vous le diable dans le corps Pour ne pas succomber à de pareils efforts ? Depuis huit jours entiers avec vos longues traites Nous sommes à piquer de chiennes de mazettes, De qui le train maudit nous a tant secoués, Que je m'en sens pour moi tous les membres roués, Sans préjudice encor d'un accident bien pire, Qui m'afflige un endroit que je ne veux pas dire ; Cependant arrivé, vous sortez bien et beau, Sans prendre de repos, ni manger un morceau. Oui, mais un bon repas vous serait nécessaire Pour s'aller éclaircir, Monsieur, de cette affaire, Et votre cœur sans doute en deviendrait plus fort Pour pouvoir résister aux attaques du sort. J'en juge par moi-même, et la moindre disgrâce, Lorsque je suis à jeun, me saisit, me terrasse ; Mais quand j'ai bien mangé, mon âme est ferme à tout, Et les plus grands revers n'en viendraient pas à bout. Croyez-moi, bourrez-vous et sans réserve aucune, Contre les coups que peut vous porter la fortune, Et pour fermer chez vous l'entrée à la douleur, De vingt verres de vin entourez votre cœur. Si ferai bien, je meure. Votre dîner pourtant serait prêt tout à l'heure. Ah ! quel ordre inhumain. Et moi j'ai de la faim, et de l'inquiétude De voir qu'un sot amour fait toute votre étude. Je ne réplique point à ce qu'un Maître ordonne. **** *creator_moliere *book_moliere_sganarelle *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_sganarelle *dist2_moliere_verse_comedy *id_sganarelle *date_1660 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_sganarelle Qu'est-ce donc ? me voilà. Quoi ce n'est que cela, Je croyais tout perdu de crier de la sorte ; Mais approchons pourtant. Madame êtes-vous morte ? Hays, elle ne dit mot. Elle est froide partout, et je ne sais qu'en dire, Approchons‑nous pour voir si sa bouche respire. Ma foi je ne sais pas ; mais j'y trouve encor moi Quelque signe de vie. Il faut se dépêcher de l'aller secourir, Certes elle aurait tort de se laisser mourir, Aller en l'autre monde est très grande sottise Tant que dans celui-ci l'on peut -être de mise. On la croyait morte et ce n'était rien, Il n'en faut plus qu'autant, elle se porte bien. Mais j'aperçois ma femme. Que considère-t-elle avec attention, Ce portrait, mon honneur, ne nous dit rien de bon, D'un fort vilain soupçon je me sens l'âme émue. Quoi peste le baiser? Ah ! j'en tiens. Ah ! mâtine, Nous vous y surprenons en faute contre nous, Et diffamant l'honneur de votre cher époux : Donc à votre calcul, ô ma trop digne femme ! Monsieur, tout bien compté, ne vaut pas bien Madame ? Et de par Belzébuth qui vous puisse emporter, Quel plus rare parti pourriez-vous souhaiter ? Peut-on trouver en moi quelque chose à redire ? Cette taille, ce port, que tout le monde admire, Ce visage si propre à donner de l'amour, Pour qui mille beautés soupirent nuit et jour ; Bref en tout et partout ma personne charmante, N'est donc pas un morceau dont vous soyez contente, Et pour rassasier votre appétit gourmand, Il faut à son Mari le ragoût d'un galant. À d'autres je vous prie, La chose est avérée, et je tiens dans mes mains Un bon certificat du mal dont je me plains. Je songe à te rompre le cou. Que ne puis-je, aussi bien que je tiens la copie, Tenir l'original. Pour rien mamie, Doux objet de mes vœux j'ai grand tort de crier, Et mon front de vos dons vous doit remercier. Le voilà le beau-fils, le mignon de couchette, Le malheureux tison de ta flamme secrète, Le drôle avec lequel… Avec lequel, te dis-je… et j'en crève d'ennuis. Tu ne m'entends que trop Madame la carogne, Sganarelle est un nom qu'on ne me dira plus, Et l'on va m'appeler Seigneur Corneillius : J'en suis pour mon honneur ; mais à toi qui me l'ôtes, Je t'en ferai du moins pour un bras ou deux côtes. Et tu m'oses jouer de ces diables de tours? Ah ! cela ne vaut pas la peine de se plaindre, D'un panache de Cerf sur le front me pourvoir, Hélas ! voilà vraiment un beau venez-y-voir. Eh ! la bonne effrontée, à voir ce fier maintien Ne la croirait-on pas une femme de bien? Oui, tu crois m'échapper, je l'aurai malgré toi. Nous l'avons, et je puis voir à l'aise la trogne Du malheureux pendard qui cause ma vergogne. Il ne m'est point connu. Ah ! pauvre Sganarelle, à quelle destinée Ta réputation est-elle condamnée, Faut… Faut-il que désormais à deux doigts on te montre, Qu'on te mette en chansons, et qu'en toute rencontre, On te rejette au nez le scandaleux affront Qu'une femme mal née imprime sur ton front ? Ah ! truande, as-tu bien le courage De m'avoir fait cocu dans la fleur de mon âge ? Et femme d'un mari qui peut passer pour beau, Faut-il qu'un Marmouset, un maudit Étourneau… Cet homme est curieux. À qui donc en a-t-il. Que me veut-il conter ? D'où lui vient ce désir ? mais je m'avise ici… Ah ! ma foi me voilà de son trouble éclairci, Sa surprise à présent n'étonne plus mon âme, C'est mon homme, ou plutôt c'est celui de ma femme. Nous savons Dieu merci le souci qui vous tient, Ce portrait qui vous fâche est votre ressemblance, Il était en des mains de votre connaissance, Et ce n'est pas un fait qui soit secret pour nous Que les douces ardeurs de la Dame et de vous : Je ne sais pas si j'ai dans sa galanterie L'honneur d'être connu de votre Seigneurie ; Mais faites-moi celui de cesser désormais Un amour qu'un mari peut trouver fort mauvais, Et songez que les nœuds du sacré mariage… Est ma femme, et je suis son mari. Oui, son mari, vous dis-je, et mari très marri, Vous en savez la cause et je m'en vais l'apprendre Sur l'heure à ses parents. C'est-à-dire qu'il faut toucher au doigt la chose. On ne peut pas mieux dire, en effet, il est bon D'aller tout doucement. Peut-être sans raison, Me suis-je en tête mis ces visions cornues, Et les sueurs au front m'en sont trop tôt venues. Par ce portrait enfin dont je suis alarmé, Mon déshonneur n'est pas tout à fait confirmé, Tâchons donc par nos soins… Ah ! que vois-je, je meure, Il n'est plus question de portrait à cette heure, Voici ma foi la chose en propre original. La masque encore après lui fait civilité. Il m'aperçoit, voyons ce qu'il me pourra dire. Ce n'est point s'expliquer en termes ambigus, Cet étrange propos me rend aussi confus Que s'il m'était venu des cornes à la tête. Allez, ce procédé n'est point du tout honnête. Oh ! trop heureux, d'avoir une si belle femme, Malheureux bien plutôt de l'avoir cette infâme, Dont le coupable feu trop bien vérifié, Sans respect ni demi nous a cocufié ; Mais je le laisse aller après un tel indice Et demeure les bras croisés comme un Jocrisse. Ah ! je devais du moins lui jeter son chapeau, Lui ruer quelque pierre, ou crotter son manteau, Et sur lui hautement pour contenter ma rage Faire au larron d'honneur crier le voisinage. Hélas ! ce n'est pas moi qui le connais Madame, C'est ma femme. Ne me condamnez point d'un deuil hors de saison, Et laissez-moi pousser des soupirs à foison. Si je suis affligé, ce n'est pas pour des prunes, Et je le donnerais à bien d'autre qu'à moi De se voir sans chagrin au point où je me vois. Des maris malheureux, vous voyez le modèle, On dérobe l'honneur au pauvre Sganarelle ; Mais c'est peu que l'honneur dans mon affliction, L'on me dérobe encor la réputation. Ce Damoiseau, parlant par révérence Me fait cocu Madame, avec toute licence ; Et j'ai su par mes yeux avérer aujourd'hui Le commerce secret de ma femme et de lui. Oui, oui, me déshonore, Il adore ma femme, et ma femme l'adore. Vous prenez ma défense avec trop de bonté, Tout le monde n'a pas la même charité Et plusieurs qui tantôt ont appris mon martyre, Bien loin d'y prendre part, n'en ont rien fait que rire. Il est trop vrai pour moi. La bonne âme. Que voilà bien parler ! Hay. Il est vrai. Ne vous fâchez point tant ma très chère Madame, Mon mal vous touche trop et vous me percez l'âme. Que le Ciel la préserve à jamais de danger. Voyez quelle bonté de vouloir me venger : En effet, son courroux qu'excite ma disgrâce, M'enseigne hautement ce qu'il faut que je fasse, Et l'on ne doit jamais souffrir sans dire mot De semblables affronts à moins qu'être un vrai sot. Courons donc le chercher ce pendard qui m'affronte, Montrons notre courage à venger notre honte. Vous apprendrez, Maroufle, à rire à nos dépens, Et sans aucun respect faire cocus les gens. Doucement s'il vous plaît cet homme a bien la mine D'avoir le sang bouillant et l'âme un peu mutine, Il pourrait bien, mettant affront dessus affront Charger de bois mon dos, comme il a fait mon front. Je hais de tout mon cœur les Esprits colériques, Et porte grand amour aux hommes pacifiques : Je ne suis point battant de peur d'être battu Et l'humeur débonnaire est ma grande vertu. Mais mon honneur me dit que d'une telle offense Il faut absolument que je prenne vengeance. Ma foi laissons-le dire autant qu'il lui plaira, Au diantre qui pourtant rien du tout en fera : Quand j'aurai fait le brave, et qu'un fer pour ma peine M'aura d'un vilain coup transpercé la bedaine, Que par la ville ira le bruit de mon trépas, Dites-moi, mon honneur, en serez-vous plus gras ? La Bière est un séjour par trop mélancolique Et trop malsain pour ceux qui craignent la colique, Et quant à moi je trouve, ayant tout compassé, Qu'il vaut mieux être encor Cocu que Trépassé : Quel mal cela fait-il ? la jambe en devient-elle Plus tortue après tout, et la taille moins belle ? Peste soit qui premier trouva l'invention De s'affliger l'esprit de cette vision, Et d'attacher l'honneur de l'homme le plus sage Aux choses que peut faire une femme volage ; Puisqu'on tient à bon droit tout crime personnel, Que fait là notre honneur pour être criminel ? Des actions d'autrui l'on nous donne le blâme. Si nos femmes sans nous ont un commerce infâme, Il faut que tout le mal tombe sur notre dos, Elles font la sottise, et nous sommes les sots : C'est un vilain abus, et les gens de Police Nous devraient bien régler une telle injustice. N'avons-nous pas assez des autres accidents, Qui nous viennent happer en dépit de nos dents ? Les querelles, procès, faim, soif, et maladie, Troublent-ils pas assez le repos de la vie, Sans s'aller de surcroît aviser sottement, De se faire un chagrin qui n'a nul fondement ? Moquons-nous de cela, méprisons les alarmes, Et mettons sous nos pieds les soupirs et les larmes ; Si ma femme a failli, qu'elle pleure bien fort. Mais pourquoi moi pleurer puisque je n'ai point tort ? En tout cas ce qui peut m'ôter ma fâcherie, C'est que je ne suis pas seul de ma Confrérie, Voir cajoler sa femme et n'en témoigner rien Se pratique aujourd'hui par force gens de bien : N'allons donc point chercher à faire une querelle Pour un affront qui n'est que pure bagatelle. L'on m'appellera sot de ne me venger pas ; Mais je le serais fort de courir au trépas. Je me sens là, pourtant remuer une bile Qui veut me conseiller quelque action virile : Oui le courroux me prend, c'est trop être poltron, Je veux résolument me venger du Larron : Déjà pour commencer dans l'ardeur qui m'enflamme, Je vais dire partout qu'il couche avec ma femme. Guerre, guerre mortelle, à ce larron d'honneur, Qui sans miséricorde a souillé notre honneur. Ma colère à présent est en état d'agir, Dessus ses grands chevaux est monté mon courage, Et si je le rencontre on verra du carnage : Oui j'ai juré sa mort, rien ne peut m'empêcher, Où je le trouverai, je le veux dépêcher, Au beau milieu du cœur il faut que je lui donne… Je n'en veux à personne. C'est un habillement Que j'ai pris pour la pluie. Ah ! quel contentement J'aurais à le tuer, prenons-en le courage. Je ne parle pas. Ah ! poltron dont j'enrage, Lâche, vrai cœur de poule. Que n'ai-je un peu de cœur. Sganarelle, tu vois qu'elle prend ta querelle, Courage mon enfant, sois un peu vigoureux, Là, hardi, tâche à faire un effort généreux, En le tuant, tandis qu'il tourne le derrière. Sans doute elle fait bien de défendre mes droits : Cette action Monsieur, n'est point selon les lois, J'ai raison de m'en plaindre et si je n'étais sage, On verrait arriver un étrange carnage. Suffit, vous savez bien où le bois me fait mal ; Mais votre conscience et le soin de votre âme Vous devraient mettre aux yeux que ma femme est ma femme, Et vouloir à ma barbe en faire votre bien, Que ce n'est pas du tout agir en bon Chrétien. Vous me défendez mieux que je ne saurais faire, Et du biais qu'il faut vous prenez cette affaire. L'on ne demandait pas carogne ta venue, Tu la viens quereller lorsqu'elle me défend, Et tu trembles de peur qu'on t'ôte ton galant. Moi, j'ai dit que c'était à ma femme Que j'étais marié. Il est vrai, le voilà. Sans doute, et je l'avais de ses mains arraché, Et n'eusse pas sans lui découvert son péché. Prendrons-nous tout ceci pour de l'argent comptant ? Mon front l'a sur mon âme eu bien chaude pourtant. Hé ! mutuellement croyons-nous gens de bien, Je risque plus du mien que tu ne fais du tien : Accepte sans façon le marché qu'on propose. A-t-on mieux cru jamais être cocu que moi ? Vous croyez qu'en ce fait la plus forte apparence Peut jeter dans l'esprit une fausse créance : De cet exemple-ci, ressouvenez-vous bien, Et quand vous verriez tout, ne croyez jamais rien. **** *creator_moliere *book_moliere_sganarelle *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_sganarelle *dist2_moliere_verse_comedy *id_femme-sganarelle *date_1660 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_femmesganarelle Ah ! qu'est-ce que je vois ? Mon mari dans ses bras… mais je m'en vais descendre, Il me trahit sans doute, et je veux le surprendre. Il s'est subitement éloigné de ces lieux, Et sa fuite a trompé mon désir curieux. Mais de sa trahison je ne fais plus de doute, Et le peu que j'ai vu me la découvre toute. Je ne m'étonne plus de l'étrange froideur Dont je le vois répondre à ma pudique ardeur, Il réserve l'ingrat ses caresses à d'autres, Et nourrit leurs plaisirs par le jeûne des nôtres. Voilà de nos maris, le procédé commun, Ce qui leur est permis, leur devient importun. Dans les commencements ce sont toutes merveilles, Ils témoignent pour nous des ardeurs non pareilles ; Mais les traîtres bientôt se lassent de nos feux, Et portent autre part ce qu'ils doivent chez eux. Ah ! que j'ai de dépit, que la loi n'autorise, À changer de mari comme on fait de chemise : Cela serait commode, et j'en sais tel ici Qui comme moi ma foi le voudrait bien aussi. Mais quel est ce bijou que le sort me présente ? L'émail en est fort beau, la gravure charmante, Ouvrons. Ô Ciel ! c'est miniature,     Et voilà d'un bel homme une vive peinture. Jamais rien de plus beau ne s'offrit à ma vue. Le travail plus que l'or s'en doit encor priser. Hon que cela sent bon. Avouons qu'on doit être ravie Quand d'un homme ainsi fait on se peut voir servie, Et que s'il en contait avec attention, Le penchant serait grand à la tentation. Ah ! que n'ai-je un mari d'une aussi bonne mine, Au lieu de mon pelé, de mon rustre… J'entends à demi-mot où va la raillerie, Tu crois par ce moyen… Mon courroux n'a déjà que trop de violence, Sans le charger encor d'une nouvelle offense ; Écoute, ne crois pas retenir mon bijou, Et songe un peu… Pourquoi ? Avec lequel, poursuis ? Que me veut donc conter par là ce maître ivrogne ? Et tu m'oses tenir de semblables discours ? Et quels diables de tours, parle donc sans rien feindre. Donc après m'avoir fait la plus sensible offense Qui puisse d'une femme exciter la vengeance, Tu prends d'un feint courroux le vain amusement, Pour prévenir l'effet de mon ressentiment ? D'un pareil procédé l'insolence est nouvelle, Celui qui fait l'offense est celui qui querelle. Va, poursuis ton chemin, cajole tes Maîtresses, Adresse-leur tes vœux et fais-leur des caresses ; Mais rends-moi mon portrait, sans te jouer de moi. Malgré moi mon perfide… hélas ! quel mal vous presse ? Je vous vois prêt Monsieur à tomber en faiblesse. Je crains ici, pour vous l'évanouissement, Entrez dans cette salle en attendant qu'il passe. C'est par trop vous hâter Monsieur, et votre mal, Si vous sortez si tôt pourra bien vous reprendre. Je ne suis point d'humeur à vouloir contre vous Faire éclater Madame, un esprit trop jaloux ; Mais je ne suis point dupe, et vois ce qui se passe : Il est de certains feux de fort mauvaise grâce, Et votre âme devrait prendre un meilleur emploi, Que de séduire un cœur qui doit n'être qu'à moi. Que me viens-tu conter par ta plainte importune ? Je l'avais sous mes pieds rencontré par fortune, Et même quand après ton injuste courroux J'ai fait dans sa faiblesse entrer Monsieur chez nous, Je n'ai pas reconnu les traits de sa peinture. Ma crainte toutefois n'est pas trop dissipée Et doux que soit le mal, je crains d'être trompée. Soit, mais gare le bois si j'apprends quelque chose. **** *creator_moliere *book_moliere_sganarelle *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_sganarelle *dist2_moliere_verse_comedy *id_villebrequin *date_1660 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_villebrequin Un secret important, que j'ai su ce matin, Qui rompt absolument ma parole donnée. Mon fils, dont votre fille acceptait l'hyménée, Sous des liens cachés trompant les yeux de tous, Vit depuis quatre mois avec Lise en Époux, Et comme des parents le bien et la naissance M'ôtent tout le pouvoir d'en casser l'alliance, Je vous viens… Un tel choix me plaît fort. **** *creator_moliere *book_moliere_sganarelle *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_sganarelle *dist2_moliere_verse_comedy *id_suivante *date_1660 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_suivante Quoi refuser Madame, avec cette rigueur, Ce que tant d'autres gens voudraient de tout leur cœur ? À des offres d'hymen répondre par des larmes Et tarder tant à dire un oui si plein de charmes ? Hélas ! que ne veut-on aussi me marier, Ce ne serait pas moi qui se ferait prier, Et loin qu'un pareil oui me donnât de la peine Croyez que j'en dirais bien vite une douzaine. Le précepteur qui fait répéter la leçon À votre jeune frère, a fort bonne raison, Lorsque nous discourant des choses de la terre, Il dit que la femelle est ainsi que le lierre, Qui croît beau tant qu'à l'arbre il se tient bien serré Et ne profite point s'il en est séparé. Il n'est rien de plus vrai, ma très chère maîtresse, Et je l'éprouve en moi chétive pécheresse. Le bon Dieu fasse paix à mon pauvre Martin, Mais j'avais, lui vivant, le teint d'un Chérubin, L'embonpoint merveilleux, l'œil gai, l'âme contente, Et je suis maintenant ma commère dolente. Pendant cet heureux temps, passé comme un éclair, Je me couchais sans feu dans le fort de l'Hiver, Sécher même les draps me semblait ridicule, Et je tremble à présent dedans la Canicule. Enfin, il n'est rien tel, Madame, croyez-moi, Un mari sert beaucoup la nuit auprès de soi, Ne fût-ce que pour l'heur d'avoir qui vous salue D'un Dieu vous soit en aide alors qu'on éternue. Votre Lélie aussi n'est ma foi qu'une bête, Puisque si hors de temps son voyage l'arrête, Et la grande longueur de son éloignement Me le fait soupçonner de quelque changement. Il est vrai que ces traits marquent un digne amant, Et que vous avez lieu de l'aimer tendrement. Madame, D'où vous pourrait venir… ah ! bons Dieux elle pâme. Hé ! vite, holà, quelqu'un. Ma maîtresse se meurt. Je vais faire venir Quelqu'un pour l'emporter, veuillez la soutenir. Ce changement m'étonne. Cela pourrait bien être. Mais il vient à nous. Ma foi je ne sais pas. Quand on verra finir ce galimatias, Déjà depuis longtemps je tâche à le comprendre, Et si plus je l'écoute, et moins je puis l'entendre ; Je vois bien à la fin que je m'en dois mêler. Répondez-moi par ordre et me laissez parler. Vous, qu'est-ce qu'à son cœur peut reprocher le vôtre ? Mariée, à qui donc ? Comment à lui ? Qui vous l'a dit ? Est-il vrai ? Vous voyez que sans moi vous y seriez encore, Et vous aviez besoin de mon peu d'Ellébore. **** *creator_moliere *book_moliere_sganarelle *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_sganarelle *dist2_moliere_verse_comedy *id_le-parent *date_1660 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_leparent D'un mari sur ce point j'approuve le souci ; Mais c'est prendre la chèvre un peu bien vite aussi, Et tout ce que de vous je viens d'ouïr contre elle, Ne conclut point, Parent, qu'elle soit criminelle ; C'est un point délicat et de pareils forfaits, Sans les bien avérer ne s'imputent jamais. Le trop de promptitude à l'erreur nous expose. Qui sait comme en ses mains ce portrait est venu, Et si l'homme après tout lui peut être connu. Informez-vous-en donc, et si c'est ce qu'on pense, Nous serons les premiers à punir son offense. **** *creator_moliere *book_moliere_sicilien *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_sicilien *dist2_moliere_prose_comedy *id_adraste *date_1667 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_adraste Est-ce toi, Hali ? Aussi ne crois-je pas qu'on puisse voir Personne qui sente, dans son cœur, la peine que je sens : car, enfin, ce n'est rien d'avoir à combattre l'indifférence, ou les rigueurs d'une Beauté qu'on aime ; on a, toujours, au moins, le plaisir de la Plainte, et la liberté des Soupirs. Mais ne pouvoir trouver aucune occasion de parler à ce qu'on adore ; ne pouvoir savoir d'une Belle, si l'amour qu'inspirent ses yeux, est pour lui plaire, ou lui déplaire ; c'est la plus fâcheuse, à mon gré, de toutes les inquiétudes ; et c'est où me réduit l'incommode Jaloux, qui veille, avec tant de souci, sur ma charmante Grecque, et ne fait pas un pas sans la traîner à ses côtés. Il est vrai qu'elle, et moi, souvent, nous nous sommes parlé des yeux : Mais comment reconnaître que chacun, de notre côté, nous ayons, comme il faut, expliqué ce langage ? Et que sais-je, après tout, si elle entend bien tout ce que mes regards lui disent ? Et si les siens me disent ce que je crois, parfois, entendre ? As-tu là tes Musiciens ? Fais-les approcher. Je veux, jusques au jour, les faire, ici, chanter ; et voir si leur Musique n'obligera point cette Belle à paraître à quelque Fenêtre. Ce qu'ils jugeront de meilleur. Non, ce n'est pas ce qu'il me faut. Que diantre veux-tu dire avec ton beau Bécarre ? Non, je veux quelque chose de tendre et de passionné ; quelque chose qui m'entretienne dans une douce rêverie. J'y consens. Voyons ce que c'est. Place-toi contre ce Logis, afin qu'au moindre bruit que l'on fera dedans, je fasse cacher les lumières. Qu'on se retire vite, et qu'on éteigne les Flambeaux. Hali ? N'entends-tu plus rien ? Quoi ! tous nos efforts ne pourront obtenir que je parle un moment à cette aimable Grecque ? Et ce jaloux maudit, ce traître de Sicilien, me fermera, toujours, tout accès auprès d'elle ? Si faut-il bien, pourtant, trouver quelque moyen, quelque invention, quelque ruse, pour attraper notre Brutal ; j'y suis trop engagé, pour en avoir le démenti ; et quand j'y devrais employer... Oui, fais, mais sans faire de bruit ; je ne m'éloigne pas de toi. Plût au Ciel, que ce fût la charmante Isidore ! Je n'entends remuer Personne. Hali ? Hali ? Où, donc, te caches-tu ? Non, Personne ne bouge. Quoi ! tous nos soins seront, donc, inutiles ? et, toujours, ce fâcheux Jaloux se moquera de nos desseins ? Je voudrais, seulement, que par quelque moyen, par un Billet, par quelque Bouche, elle fût avertie des sentiments qu'on a pour elle, et savoir les siens là-dessus. Après on peut trouver facilement, les moyens... Ne te mets point en peine, j'ai trouvé, par hasard, tout ce que je voulais : et je vais jouir du bonheur de voir, chez elle, cette Belle. Je me suis rencontré chez le Peintre Damon, qui m'a dit, qu'aujourd'hui, il venait faire le Portrait de cette adorable Personne : et comme il est, depuis longtemps, de mes plus intimes Amis, il a voulu servir mes feux, et m'envoie à sa place, avec un petit mot de Lettre, pour me faire accepter. Tu sais que, de tout temps, je me suis plu à la Peinture, et que, parfois, je manie le Pinceau, contre la coutume de France, qui ne veut pas qu'un Gentilhomme sache rien faire : ainsi, j'aurai la liberté de voir cette Belle à mon aise. Mais je ne doute pas que mon Jaloux fâcheux ne soit, toujours, présent, et n'empêche tous les propos que nous pourrions avoir ensemble : et, pour te dire vrai, j'ai, par le moyen d'une jeune Esclave, un Stratagème, pour tirer cette belle Grecque des mains de son Jaloux, si je puis obtenir d'elle, qu'elle y consente. Tout de ce pas, et j'ai, déjà, préparé toutes choses. Je ne veux point perdre de temps. Holà. Il me tarde que je ne goûte le plaisir de la voir. J'y cherche le seigneur Don Pèdre. Il prendra, s'il lui plaît, la peine de lire cette Lettre. Toute mon ambition est de rendre service aux Gens de nom, et de mérite. C'est la manière de France. Il n'y a Personne, sans doute, qui ne tînt à beaucoup de gloire, de toucher à un tel Ouvrage. Je n'ai pas grande habileté ; mais le Sujet, ici, ne fournit que trop de lui-même, et il y a moyen de faire quelque chose de beau sur un Original fait comme celui-là. Le Peintre n'y en voit aucun ; et tout ce qu'il souhaite, est d'en pouvoir représenter les grâces aux yeux de tout le Monde, aussi grandes qu'il les peut voir. Le Ciel, qui fit l'Original, nous ôte le moyen d'en faire un Portrait qui puisse flatter. Allons, apportez tout. Ici. Voici le Lieu le plus avantageux, et qui reçoit le mieux les vues favorables de la Lumière que nous cherchons. Oui. Levez-vous un peu, s'il vous plaît ; un peu plus de ce côté-là ; le Corps tourné ainsi ; la tête un peu levée, afin que la beauté du cou paraisse. Ceci un peu plus découvert. Bon. Là, un peu davantage ; encore tant soit peu. Voilà qui va le mieux du Monde, et vous vous tenez à merveilles. Comme cela, s'il vous plaît. Le tout dépend des attitudes qu'on donne aux Personnes qu'on peint. Un peu plus de ce côté ; vos yeux, toujours, tournés vers moi, je vous en prie ; vos regards attachés aux miens. Il serait malaisé qu'on demandât cela du vôtre ; et vous avez des traits à qui fort peu d'autres ressemblent. Qu'ils ont de douceurs, et de charmes ! et qu'on court de risque à les peindre ! J'ai lu, je ne sais où, qu'Apelle peignit, autrefois, une Maîtresse d'Alexandre ; et qu'il en devint, la peignant, si éperdument amoureux, qu'il fut près d'en perdre la vie : de sorte qu'Alexandre, par générosité, lui céda l'Objet de ses vœux. Je pourrais faire, ici, ce qu'Apelle fit autrefois ; mais vous ne feriez pas, peut-être, ce que fit Alexandre. On ne se trompe guère à ces sortes de choses ; et vous avez l'Esprit trop éclairé, pour ne pas voir de quelle source partent les choses qu'on vous dit. Oui, quand Alexandre serait ici, et que ce serait votre Amant, je ne pourrais m'empêcher de vous dire, que je n'ai rien vu de si beau que ce que je vois maintenant, et que... Ah ! point du tout, j'ai, toujours, de coutume de parler quand je peins ; et il est besoin, dans ces choses, d'un peu de conversation, pour réveiller l'Esprit, et tenir les Visages dans la gaieté nécessaire aux Personnes que l'on veut peindre. Elle a les yeux bleus. Oui, charmante Isidore, mes regards vous le disent depuis plus de deux mois, et vous les avez entendus : Je vous aime plus que tout ce que l'on peut aimer, et je n'ai point d'autre pensée, d'autre but, d'autre passion, que d'être à vous toute ma vie. Mais vous persuadé-je, jusqu'à vous inspirer quelque peu de bonté pour moi ? En aurez-vous assez pour consentir, belle Isidore, au dessein que je vous ai dit ? Qu'attendez-vous pour cela ? Ah ! quand on aime bien, on se résout bientôt. Mais, consentez-vous, dites-moi, que ce soit dès ce moment même ? Non, il n'est rien qui puisse effacer de mon cœur les tendres témoignages... Je regardais ce petit trou qu'elle a au côté du menton : et je croyais, d'abord, que ce fût une tache. Mais c'est assez pour aujourd'hui, nous finirons une autre fois. Non, ne regardez rien encore ; faites serrer cela, je vous prie. Et vous, je vous conjure de ne vous relâcher point : et de garder un Esprit gai, pour le dessein que j'ai d'achever notre Ouvrage. Les Français excellent toujours, dans toutes les choses qu'ils font ; et quand nous nous mêlons d'être jaloux, nous le sommes vingt fois plus qu'un Sicilien. L'Infâme, croit avoir trouvé, chez vous, un assuré refuge : mais vous êtes trop raisonnable, pour blâmer mon ressentiment. Laissez-moi, je vous prie, la traiter comme elle mérite. La grandeur d'une telle offense, n'est pas dans l'importance des choses que l'on fait. Elle est à transgresser les ordres qu'on nous donne ; et sur de pareilles matières, ce qui n'est qu'une bagatelle, devient fort criminel, lorsqu'il est défendu. Hé quoi ! vous prenez son parti, vous qui êtes si délicat sur ces sortes de choses ! Il ne m'est pas permis, à ces conditions, de vous rien refuser ; je ferai ce que vous voudrez. Oui, je vous le promets, que, pour l'amour de vous, je m'en vais, avec elle, vivre le mieux du monde. Je vous donne ma parole, Seigneur Don Pèdre, qu'à votre considération je m'en vais la traiter du mieux qu'il me sera possible. **** *creator_moliere *book_moliere_sicilien *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_sicilien *dist2_moliere_prose_comedy *id_dom-pedre *date_1667 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dompedre Il y a quelque temps que j'entends chanter à ma Porte ; et, sans doute, cela ne se fait pas pour rien. Il faut que, dans l'obscurité, je tâche à découvrir quelles Gens ce peuvent être. Qui va là ? Holà, Francisque, Dominique, Simon, Martin, Pierre, Thomas, Georges, Charles, Barthélemy ; allons, promptement, mon Épée, ma Rondache, ma Hallebarde, mes Pistolets, mes Mousquetons, mes Fusils ; vite, dépêchez ; allons, tue, point de quartier. J'ai une Affaire qui m'oblige à sortir à l'heure qu'il est. Oui ; mais je suis bien aise de vous voir, toujours, avec moi. Il n'est pas mal de s'assurer, un peu, contre les soins des Surveillants ; et cette nuit, encore, on est venu chanter sous nos fenêtres. C'était pour vous que cela se faisait ? Vous savez qui était celui qui donnait cette Sérénade ? Obligée ! Vous trouvez, donc, bon qu'on vous aime ? Et vous voulez du bien à tous ceux qui prennent ce soin ? C'est dire fort net ses pensées. Mais si vous prenez, vous, du plaisir, à vous voir aimée ; savez-vous bien, moi qui vous aime, que je n'y en prends nullement ? Chacun aime à sa guise, et ce n'est pas là ma méthode. Je serai fort ravi qu'on ne vous trouve point si belle ; et vous m'obligerez, de n'affecter point tant de la paraître à d'autres yeux. Oui, jaloux de ces choses-là ; mais jaloux comme un Tigre, et, si vous voulez, comme un Diable. Mon amour vous veut toute à moi ; sa délicatesse s'offense d'un sourire, d'un regard qu'on vous peut arracher ; et tous les soins qu'on me voit prendre, ne sont que pour fermer tout accès aux Galants, et m'assurer la possession d'un cœur dont je ne puis souffrir qu'on me vole la moindre chose. Si bien, donc, que si quelqu'un vous en contait, il vous trouverait disposée à recevoir ses vœux ? Vous reconnaissez peu ce que vous me devez : et il me semble qu'une Esclave que l'on a affranchie, et dont on veut faire sa Femme... Mais tout cela ne part que d'un excès d'amour. Vous êtes, aujourd'hui, dans une humeur désobligeante ; et je pardonne ces paroles au chagrin où vous pouvez être, de vous être levée matin. Trêve aux cérémonies, que voulez-vous ? Avec la permission de la Signore, passez un peu de ce côté. Je n'ai rien à donner. Savez-vous, mes Drôles, Que cette Chanson Sent, pour vos épaules, Les coups de bâton ? Chiribirida ouch alla, Mi ti non comprara, Ma ti bastonara, Si, si, non andara, Andara, andara, O ti bastonara. Oh ! oh ! quels Égrillards ! Allons, rentrons ici, j'ai changé de pensée, et puis le temps se couvre un peu. Ah ! Fourbe, que je vous y trouve. Oui, oui, je la lui garde. Comment, Coquin... Si je prends... Laisse-moi faire, je t'attraperai sans courir. Que cherchez-vous, Cavalier, dans cette maison ? Vous l'avez devant vous. Je vous envoie, au lieu de moi, pour le Portrait que vous savez, ce Gentilhomme Français, qui, comme curieux d'obliger les honnêtes Gens, a bien voulu prendre ce soin, sur la proposition que je lui en ai faite. Il est, sans contredit, le premier Homme du Monde pour ces sortes d'Ouvrages ; et j'ai cru que je ne pouvais rendre un service plus agréable, que de vous l'envoyer, dans le dessein que vous avez d'avoir un Portrait achevé, de la Personne que vous aimez. Gardez-vous bien, surtout, de lui parler d'aucune récompense : car c'est un Homme qui s'en offenserait, et qui ne fait les choses que pour la gloire, et pour la réputation. Seigneur Français, c'est une grande grâce que vous me voulez faire ; et je vous suis fort obligé. Je vais faire venir la Personne dont il s'agit. Voici un Gentilhomme que Damon nous envoie, qui se veut bien donner la peine de vous peindre. Holà, Seigneur Français, cette façon de saluer n'est point d'usage en ce Pays. La manière de France est bonne pour vos Femmes ; mais pour les nôtres, elle est, un peu, trop familière. Finissons cela, de grâce, laissons les compliments, et songeons au Portrait. Il y a bien de la peine à vous mettre ; ne sauriez-vous vous tenir comme il faut ? Fort bien. Le nez me semble, un peu trop gros. Seigneur Français, vous ne devriez pas, ce me semble, parler ; cela vous détourne de votre Ouvrage. Que veut cet Homme-là ? Et qui laisse monter les Gens, sans nous en venir avertir ? Non, Seigneur. Souhaitez-vous quelque chose de moi ? Nous voilà assez loin. Assassiner, c'est le plus court chemin. Quel est votre ennemi ? Voilà mon sentiment, et je vous baise les mains. Je vous laisse aller, sans vous reconduire : mais entre Cavaliers, cette liberté est permise. Oui ; mais ils ont cela de mauvais, qu'ils s'émancipent un peu trop, et s'attachent, en étourdis, à conter des fleurettes à tout ce qu'ils rencontrent. Oui, mais, s'ils plaisent aux Dames, ils déplaisent fort aux Messieurs ; et l'on n'est point bien aise de voir sur sa moustache, cajoler, hardiment, sa Femme, ou sa Maîtresse. Entrez là-dedans, avec elle, et n'appréhendez rien. Hé quoi ! Seigneur, c'est vous ? Tant de jalousie pour un Français ! Je pensais qu'il n'y eût que nous qui en fussions capables. Ah ! de grâce, arrêtez ; l'offense est trop petite, pour un courroux si grand. De la façon qu'elle a parlé, tout ce qu'elle en a fait a été sans dessein ; et je vous prie, enfin, de vous remettre bien ensemble. Oui, je prends son parti ; et si vous voulez m'obliger, vous oublierez votre colère, et vous vous réconcilierez tous deux. C'est une grâce que je vous demande : et je la recevrai comme un essai de l'amitié que je veux qui soit entre nous. Holà, venez ; Vous n'avez qu'à me suivre, et j'ai fait votre paix. Vous ne pouviez, jamais, mieux tomber que chez moi. La voici qui s'en va venir ; et son âme, je vous assure, a paru toute réjouie, lorsque je lui ai dit que j'avais raccommodé tout. Puisque vous m'avez bien voulu donner votre ressentiment, trouvez bon qu'en ce lieu je vous fasse toucher dans la main l'un de l'autre, et que tous deux je vous conjure de vivre, pour l'amour de moi, dans une parfaite union. Vous m'obligez sensiblement, et j'en garderai la mémoire. C'est trop de grâce que vous me faites : Il est bon de pacifier et d'adoucir, toujours, les choses. Holà, Isidore, venez. Comment ! que veut dire cela ? Don Pèdre souffrira cette injure mortelle ! Non, non, j'ai trop de cœur, et je vais demander l'appui de la justice, pour pousser le Perfide à bout. C'est ici le Logis d'un Sénateur. Holà ? Je viens me plaindre à vous d'un affront qu'on m'a fait. Un traître de Français m'a joué une Pièce. Il m'a enlevé une Fille que j'avais affranchie. Vous voyez si c'est une injure qui se doive souffrir. Je vous demande l'appui de la Justice contre cette action. Comment ! de quoi parlez-vous là ? Je vous parle de mon Affaire. La peste soit du Fou, avec sa Mascarade. **** *creator_moliere *book_moliere_sicilien *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_sicilien *dist2_moliere_prose_comedy *id_isidore *date_1667 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_isidore Je ne sais pas quel plaisir vous prenez à me réveiller si matin ; cela s'ajuste assez mal, ce me semble, au dessein que vous avez pris de me faire peindre aujourd'hui ; et ce n'est guère pour avoir le teint frais, et les yeux brillants, que se lever ainsi dès la pointe du jour. Mais l'Affaire que vous avez, eût bien pu se passer, je crois, de ma présence ; et vous pouviez, sans vous incommoder, me laisser goûter les douceurs du Sommeil du matin. Il est vrai, la Musique en était admirable. Je le veux croire ainsi, puisque vous me le dites. Non pas ; mais, qui que ce puisse être, je lui suis obligée. Sans doute, puisqu'il cherche à me divertir. Fort bon ; cela n'est jamais qu'obligeant. Assurément. À quoi bon de dissimuler ? Quelque mine qu'on fasse, on est, toujours, bien aise d'être aimée : ces hommages à nos appas, ne sont, jamais, pour nous déplaire. Quoi qu'on en puisse dire, la grande ambition des Femmes est, croyez-moi, d'inspirer de l'amour. Tous les soins qu'elles prennent, ne sont que pour cela ; et l'on n'en voit point de si fière, qui ne s'applaudisse, en son cœur des Conquêtes que font ses yeux. Je ne sais pas pourquoi cela ; et si j'aimais quelqu'un, je n'aurais point de plus grand plaisir, que de le voir aimé de tout le Monde. Y a-t-il rien qui marque, davantage, la beauté du choix que l'on fait ? et n'est-ce pas pour s'applaudir, que ce que nous aimons, soit trouvé fort aimable ? Quoi ! jaloux de ces choses-là ? Certes, voulez-vous que je dise ? Vous prenez un mauvais parti ; et la possession d'un cœur est fort mal assurée, lorsqu'on prétend le retenir par force. Pour moi, je vous l'avoue, si j'étais Galant d'une femme qui fût au pouvoir de quelqu'un, je mettrais toute mon étude à rendre ce quelqu'un jaloux, et l'obliger à veiller, nuit, et jour, celle que je voudrais gagner. C'est un admirable moyen d'avancer ses affaires : et l'on ne tarde guères, à profiter du chagrin, et de la colère que donne à l'esprit d'une Femme, la contrainte, et la servitude. Je ne vous dis rien là-dessus. Mais les Femmes, enfin, n'aiment pas qu'on les gêne ; et c'est beaucoup risquer, que de leur montrer des soupçons, et de les tenir renfermées. Quelle obligation vous ai-je, si vous changez mon Esclavage en un autre beaucoup plus rude ? Si vous ne me laissez jouir d'aucune liberté, et me fatiguez, comme on voit, d'une garde continuelle ? Si c'est votre façon d'aimer, je vous prie de me haïr. C'est une chose à voir, et cela nous divertira. Faites-les-nous venir. Je reçois cet honneur avec beaucoup de joie ; l'aventure me surprend fort ; et, pour dire le vrai, je ne m'attendais pas d'avoir un Peintre si illustre. L'Original est peu de chose, mais l'adresse du Peintre en saura couvrir les défauts. Si votre Pinceau flatte autant que votre Langue, vous allez me faire un Portrait qui ne me ressemblera pas. Le Ciel, quoi que vous en disiez, ne... Où voulez-vous que je me place ? Suis-je bien ainsi ? Ce sont, ici, des choses toutes neuves pour moi ; et c'est à Monsieur à me mettre de la façon qu'il veut. Je ne suis pas comme ces Femmes qui veulent, en se faisant peindre, des Portraits qui ne sont point elles, et ne sont point satisfaites du peintre, s'il ne les fait, toujours, plus belles que le jour. Il faudrait, pour les contenter, ne faire qu'un Portrait pour toutes ; car, toutes, demandent les mêmes choses ; un teint tout de Lis et de Roses, un nez bien fait, une petite bouche, et de grands yeux vifs, bien fendus ; et, surtout, le visage pas plus gros que le poing, l'eussent-elles d'un pied de large. Pour moi, je vous demande un Portrait qui soit moi, et qui n'oblige point à demander qui c'est. Tout cela sent la Nation ; et, toujours, Messieurs les Français ont un fonds de Galanterie qui se répand partout. Je ne sais si vous dites vrai, mais vous persuadez. Je ne crains que d'en trop avoir. Je ne puis, encore, vous le dire. À me résoudre. Hé bien, allez, oui, j'y consens. Lorsqu'on est, une fois, résolu sur la chose, s'arrête-t-on sur le temps ? Je conserverai, pour cela, toute la gaieté qu'il faut. Qu'en dites-vous ? Ce Gentilhomme me paraît le plus civil du Monde ; et l'on doit demeurer d'accord, que les Français ont quelque chose, en eux, de poli, de galant, que n'ont point les autres Nations. C'est qu'ils savent qu'on plaît aux Dames par ces choses. Ce qu'ils en font, n'est que par jeu. **** *creator_moliere *book_moliere_sicilien *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_sicilien *dist2_moliere_prose_comedy *id_climene *date_1667 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_climene Ah ! Seigneur Cavalier, sauvez-moi, s'il vous plaît, des mains d'un Mari furieux dont je suis poursuivie. Sa jalousie est incroyable, et passe dans ses mouvements tout ce qu'on peut imaginer. Il va jusques à vouloir que je sois, toujours, voilée ; et pour m'avoir trouvée le visage un peu découvert, il a mis l'épée à la main, et m'a réduite à me jeter chez vous, pour vous demander votre appui contre son injustice. Mais je le vois paraître. De grâce, Seigneur Cavalier, sauvez-moi de sa fureur. Je vous suis obligée plus qu'on ne saurait croire : mais je m'en vais prendre mon Voile ; je n'ai garde, sans lui, de paraître à ses yeux. Ce que cela veut dire ? Qu'un Jaloux est un Monstre haï de tout le Monde ; et qu'il n'y a Personne qui ne soit ravi de lui nuire, n'y eût-il point d'autre intérêt : Que toutes les Serrures et les Verrous du Monde, ne retiennent point les Personnes ; et que c'est le cœur qu'il faut arrêter par la douceur et par la complaisance : Qu'Isidore est entre les mains du Cavalier qu'elle aime, et que vous êtes pris pour Dupe. **** *creator_moliere *book_moliere_sicilien *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_sicilien *dist2_moliere_prose_comedy *id_hali *date_1667 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_hali Chut… N'avancez pas davantage, et demeurez dans cet endroit, jusqu'à ce que je vous appelle. Il fait noir comme dans un Four ; Le Ciel s'est habillé, ce soir, en Scaramouche ; et je ne vois pas une Étoile qui montre le bout de son nez. Sotte condition que celle d'un Esclave ! de ne vivre jamais pour soi, et d'être, toujours, tout entier aux passions d'un Maître ! de n'être réglé que par ses humeurs, et de se voir réduit à faire ses propres affaires de tous les soucis qu'il peut prendre ! Le mien me fait, ici, épouser ses inquiétudes ; et parce qu'il est Amoureux, il faut que nuit, et jour, je n'aie aucun repos. Mais voici des Flambeaux, et, sans doute, c'est lui. Et qui pourrait-ce être que moi ? À ces heures de nuit, hors vous, et moi, Monsieur, je ne crois pas que Personne s'avise de courir, maintenant, les Rues. Mais il est, en Amour, plusieurs façons de se parler ; et il me semble, à moi, que vos yeux, et les siens, depuis près de deux mois, se sont dit bien des choses. Il faut chercher quelque moyen de se parler d'autre manière. Oui. Les voici. Que chanteront-ils ? Il faut qu'ils chantent un Trio qu'ils me chantèrent l'autre jour. Ah ! Monsieur, c'est du beau Bécarre. Monsieur, je tiens pour le Bécarre : Vous savez que je m'y connais. Le Bécarre me charme : Hors du Bécarre, point de salut en Harmonie. Écoutez un peu ce Trio. Je vois bien que vous êtes pour le Bémol : mais il y a moyen de nous contenter l'un l'autre. Il faut qu'ils vous chantent une certaine Scène d'une petite Comédie que je leur ai vu essayer. Ce sont deux Bergers amoureux, tous remplis de langueur, qui sur Bémol, viennent, séparément, faire leurs Plaintes dans un Bois ; puis se découvrent l'un à l'autre, la cruauté de leurs Maîtresses ; et, là-dessus, vient un Berger joyeux, avec un Bécarre admirable, qui se moque de leur faiblesse. Voici, tout juste, un Lieu propre à servir de Scène ; et voilà deux Flambeaux pour éclairer la Comédie. Monsieur, je viens d'ouïr quelque bruit au-dedans. Quoi ? Non. Je voudrais, de bon cœur, que le diable l'eût emporté, pour la fatigue qu'il nous donne ; le Fâcheux, le Bourreau qu'il est. Ah ! si nous le tenions ici, que je prendrais de joie à venger sur son dos, tous les pas inutiles que sa jalousie nous fait faire ! Monsieur, je ne sais pas ce que cela veut dire. Mais la Porte est ouverte ; et, si vous le voulez, j'entrerai doucement, pour découvrir d'où cela vient. Ami. Monsieur. Ces Gens sont-ils sortis ? S'ils viennent, ils seront frottés. Non, le courroux du Point d'Honneur me prend ; Il ne sera pas dit qu'on triomphe de mon adresse ; ma qualité de Fourbe s'indigne de tous ces obstacles ; et je prétends faire éclater les talents que j'ai eus du Ciel. Laissez-moi faire seulement ; j'en essayerai tant de toutes les manières, que quelque chose, enfin, nous pourra réussir. Allons, le jour paraît ; je vais chercher mes Gens, et venir attendre, en ce Lieu, que notre Jaloux sorte. Signor (avec la permission de la Signore), je vous dirai (avec la permission de la Signore) que je viens vous trouver (avec la permission de la Signore) pour vous prier (avec la permission de la Signore) de vouloir bien (avec la permission de la Signore)... Signor, je suis un Virtuose. Ce n'est pas ce que je demande. Mais comme je me mêle un peu de Musique, et de Danse, j'ai instruit quelques Esclaves qui voudraient bien trouver un Maître qui se plût à ces choses ; et comme je sais que vous êtes une Personne considérable, je voudrais vous prier de les voir, et de les entendre, pour les acheter, s'ils vous plaisent, ou pour leur enseigner quelqu'un de vos Amis qui voulût s'en accommoder. Chala bala... Voici une Chanson nouvelle, qui est du temps. Écoutez bien. Chala bala. D'un Cœur ardent en tous lieux, Un Amant suit une Belle ; Mais d'un Jaloux odieux, La vigilance éternelle, Fait qu'il ne peut que des yeux S'entretenir avec elle. Est-il peine plus cruelle Pour un Cœur bien amoureux ? Chiribirida ouch alla, Starbon Turca, Non aver danara Ti voler comprara, Mi servir a ti, Se pagar per mi, Far bona accina, Mi levar matina, Far boler caldara, Parlara, parlara, Ti voler comprara. C'est un supplice à tous coups, Sous qui cet Amant expire : Mais si d'un œil un peu doux, La Belle voit son martyre, Et consent qu'aux yeux de tous, Pour ses attraits il soupire, Il pourrait, bientôt, se rire De tous les soins du Jaloux. Chiribirida ouch alla, Starbon Turca, Non aver danara Ti voler comprara, Mi servir a ti, Se pagar per mi, Far bona accina, Mi levar matina, Far boler caldara, Parlara, parlara, Ti voler comprara. Hé bien oui, mon Maître l'adore ; il n'a point de plus grand désir que de lui montrer son amour ; et si elle y consent, il la prendra pour Femme. Nous l'aurons, malgré vous. Nous l'aurons, dis-je, en dépit de vos dents. Vous avez beau faire la garde, j'en ai juré, elle sera à nous. C'est nous qui vous attraperons ; elle sera notre Femme, la chose est résolue ; il faut que j'y périsse, ou que j'en vienne à bout. Monsieur, j'ai, déjà, fait quelque petite tentative, mais je... Laissez-moi faire, je veux vous faire un peu de jour à la pouvoir entretenir. Il ne sera pas dit que je ne serve de rien dans cette Affaire-là. Quand allez-vous ? Je vais, de mon côté, me préparer aussi. J'entre, ici, librement ; mais, entre Cavaliers, telle liberté est permise. Seigneur, suis-je connu de vous ? Je suis Don Gilles d'Avalos ; et l'histoire d'Espagne vous doit avoir instruit de mon mérite. Oui, un conseil sur un Fait d'honneur : Je sais qu'en ces matières il est malaisé de trouver un Cavalier plus consommé que vous ; mais je vous demande pour grâce, que nous nous tirions à l'écart. Seigneur, j'ai reçu un Soufflet : Vous savez ce qu'est un soufflet, lorsqu'il se donne, à main ouverte, sur le beau milieu de la joue. J'ai ce Soufflet fort sur le cœur ; et je suis dans l'incertitude, si pour me venger de l'affront, je dois me battre avec mon Homme ; ou bien, le faire assassiner. Parlons bas, s'il vous plaît. Seigneur, quand vous aurez reçu quelque Soufflet, je suis Homme aussi de conseil, et je pourrai vous rendre la pareille. **** *creator_moliere *book_moliere_sicilien *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_sicilien *dist2_moliere_prose_comedy *id_le-senateur *date_1667 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lesenateur Serviteur, Seigneur Don Pèdre. Que vous venez à propos ! J'ai fait une Mascarade la plus belle du Monde. Vous n'avez, dans votre vie, jamais rien vu de si beau. Ce sont Gens vêtus en Maures, qui dansent admirablement. Des Habits merveilleux, et qui sont faits exprès. Je veux que vous voyiez cela ; on la va répéter pour en donner le divertissement au Peuple. Je parle de ma Mascarade. Je ne veux point, aujourd'hui, d'autres affaires que de plaisir. Allons, Messieurs, venez ; voyons si cela ira bien. Diantre soit le Fâcheux, avec son Affaire. **** *creator_moliere *book_moliere_sicilien *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_sicilien *dist2_moliere_prose_comedy *id_musiciens *date_1667 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_musiciens Si du triste récit de mon inquiétude, Je trouble le repos de votre Solitude, Rochers, ne soyez point fâchés ; Quand vous saurez l'excès de mes peines secrètes, Tout rochers que vous êtes, Vous en serez touchés. Les Oiseaux réjouis, dès que le jour s'avance, Recommencent leurs chants dans ces vastes Forêts ; Et moi j'y recommence Mes soupirs languissants, et mes tristes regrets. Ah ! mon cher Philène. Ah ! mon cher Tirsis. Que je sens de peine ! Que j'ai de soucis ! Toujours sourde à mes vœux est l'ingrate Climène. Cloris n'a point, pour moi, de regards adoucis. Ô Loi trop inhumaine ! Amour, si tu ne peux les contraindre d'aimer, Pourquoi leur laisses-tu le pouvoir de charmer ? Pauvres amants, quelle erreur D'adorer des inhumaines ? Jamais les Âmes bien saines Ne se payent de rigueur ; Et les Faveurs sont les chaînes Qui doivent lier un Cœur. On voit cent Belles ici, Auprès de qui je m'empresse ; À leur vouer ma tendresse, Je mets mon plus doux souci ; Mais, lorsque l'on est Tigresse, Ma foi, je suis Tigre aussi. Heureux, hélas ! qui peut aimer ainsi. **** *creator_moliere *book_moliere_tartuffe *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_tartuffe *dist2_moliere_verse_comedy *id_madame-pernelle *date_1664 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madamepernelle Allons, Flipote, allons ; que d'eux je me délivre. Laissez, ma Bru, laissez ; ne venez pas plus loin ; Ce sont toutes façons, dont je n'ai pas besoin. C'est que je ne puis voir tout ce ménage-ci, Et que de me complaire, on ne prend nul souci. Oui, je sors de chez vous fort mal édifiée ; Dans toutes mes leçons, j'y suis contrariée ; On n'y respecte rien ; chacun y parle haut, Et c'est, tout justement, la cour du Roi Pétaut. Vous êtes, Mamie, une Fille Suivante Un peu trop forte en gueule, et fort impertinente : Vous vous mêlez sur tout de dire votre avis. Vous êtes un sot en trois lettres, mon Fils ; C'est moi qui vous le dis, qui suis votre Grand-Mère ; Et j'ai prédit cent fois à mon Fils, votre Père, Que vous preniez tout l'air d'un méchant Garnement, Et ne lui donneriez jamais que du tourment. Mon Dieu, sa Sœur, vous faites la discrète, Et vous n'y touchez pas, tant vous semblez doucette : Mais il n'est, comme on dit, pire eau, que l'eau qui dort, Et vous menez sous chape, un train que je hais fort. Ma Bru, qu'il ne vous en déplaise, Votre conduite en tout, est tout à fait mauvaise : Vous devriez leur mettre un bon exemple aux yeux, Et leur défunte Mère en usait beaucoup mieux. Vous êtes dépensière, et cet état me blesse, Que vous alliez vêtue ainsi qu'une Princesse. Quiconque à son mari veut plaire seulement, Ma Bru, n'a pas besoin de tant d'ajustement. Pour vous, Monsieur son Frère, Je vous estime fort, vous aime, et vous révère : Mais enfin, si j'étais de mon Fils son Époux, Je vous prierais bien fort, de n'entrer point chez nous. Sans cesse vous prêchez des Maximes de vivre, Qui par d'honnêtes Gens ne se doivent point suivre : Je vous parle un peu franc, mais c'est là mon humeur, Et je ne mâche point ce que j'ai sur le cœur. C'est un Homme de bien, qu'il faut que l'on écoute ; Et je ne puis souffrir, sans me mettre en courroux, De le voir querellé par un Fou comme vous. Et tout ce qu'il contrôle, est fort bien contrôlé. C'est au chemin du Ciel qu'il prétend vous conduire ; Et mon Fils, à l'aimer, vous devrait tous induire. Hé, merci de ma vie il en irait bien mieux, Si tout se gouvernait par ses ordres pieux. Voyez la langue ! J'ignore ce qu'au fond le Serviteur peut être ; Mais pour Homme de bien, je garantis le Maître. Vous ne lui voulez mal, et ne le rebutez, Qu'à cause qu'il vous dit à tous vos vérités. C'est contre le Péché que son cœur se courrouce, Et l'intérêt du Ciel est tout ce qui le pousse. Taisez-vous, et songez aux choses que vous dites. Ce n'est pas lui tout seul qui blâme ces visites ; Tout ce tracas qui suit les Gens que vous hantez, Ces Carrosses sans cesse à la Porte plantés, Et de tant de Laquais le bruyant assemblage, Font un éclat fâcheux dans tout le voisinage. Je veux croire qu'au fond il ne se passe rien ; Mais enfin on en parle, et cela n'est pas bien. Tous ces raisonnements ne font rien à l'affaire : On sait qu'Orante mène une vie exemplaire ; Tous ses soins vont au Ciel, et j'ai su par des Gens, Qu'elle condamne fort le train qui vient céans. Voilà les contes bleus qu'il vous faut, pour vous plaire. Ma Bru, l'on est, chez vous, contrainte de se taire ; Car Madame, à jaser, tient le dé tout le jour : Mais enfin, je prétends discourir à mon tour. Je vous dis que mon Fils n'a rien fait de plus sage, Qu'en recueillant chez soi ce dévot Personnage ; Que le Ciel au besoin l'a céans envoyé, Pour redresser à tous votre esprit fourvoyé ; Que pour votre salut vous le devez entendre, Et qu'il ne reprend rien, qui ne soit à reprendre. Ces Visites, ces Bals, ces Conversations, Sont, du malin Esprit, toutes inventions. Là, jamais on n'entend de pieuses paroles, Ce sont propos oisifs, chansons, et fariboles ; Bien souvent le Prochain en a sa bonne part, Et l'on y sait médire, et du tiers, et du quart. Enfin les Gens sensés ont leurs têtes troublées, De la confusion de telles assemblées : Mille caquets divers s'y font en moins de rien ; Et comme l'autre jour un Docteur dit fort bien, C'est véritablement la Tour de Babylone, Car chacun y babille, et tout du long de l'aune ; Et pour conter l'Histoire où ce point l'engagea... Voilà-t-il pas Monsieur qui ricane déjà ? Allez chercher vos Fous qui vous donnent à rire ; Et sans… Adieu, ma Bru, je ne veux plus rien dire. Sachez que pour céans j'en rabats de moitié, Et qu'il fera beau temps, quand j'y mettrai le pied. Allons, vous ; vous rêvez, et bayez aux Corneilles ; Jour de Dieu, je saurai vous frotter les oreilles ; Marchons, gaupe, marchons. Qu'est-ce ? J'apprends ici de terribles mystères. Mon Fils, je ne puis du tout croire Qu'il ait voulu commettre une action si noire. Les Gens de bien sont enviés toujours. Que chez vous on vit d'étrange sorte, Et qu'on ne sait que trop la haine qu'on lui porte. Je vous l'ai dit cent fois, quand vous étiez petit. La Vertu, dans le Monde, est toujours poursuivie ; Les Envieux mourront, mais non jamais l'Envie. On vous aura forgé cent sots contes de lui. Des Esprits médisants, la malice est extrême. Les langues ont toujours du venin à répandre ; Et rien n'est, ici-bas, qui s'en puisse défendre. Mon Dieu, le plus souvent, l'apparence déçoit. Il ne faut pas toujours juger sur ce qu'on voit. Aux faux soupçons la Nature est sujette ; Et c'est souvent à mal, que le bien s'interprète. Il est besoin, Pour accuser les gens, d'avoir de justes causes, Et vous deviez attendre à vous voir sûr des choses. Enfin d'un trop pur zèle on voit son âme éprise, Et je ne puis du tout me mettre dans l'esprit, Qu'il ait voulu tenter les choses que l'on dit. Je suis toute ébaubie, et je tombe des nues. Maintenant je respire. **** *creator_moliere *book_moliere_tartuffe *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_tartuffe *dist2_moliere_verse_comedy *id_orgon *date_1664 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_orgon Ah, mon Frère, bonjour. Dorine, mon Beau-frère, attendez, je vous prie. Vous voulez bien souffrir, pour m'ôter de souci, Que je m'informe un peu des nouvelles d'ici. Tout s'est-il, ces deux jours, passé de bonne sorte ? Qu'est-ce qu'on fait céans ? comme est-ce qu'on s'y porte ? Et Tartuffe ? Le pauvre Homme ! Et Tartuffe ? Le pauvre Homme ! Et Tartuffe ? Le pauvre Homme ! Et Tartuffe ? Le pauvre Homme ! Halte-là, mon Beau-frère, Vous ne connaissez pas celui dont vous parlez. Mon Frère, vous seriez charmé de le connaître, Et vos ravissements ne prendraient point de fin. C'est un Homme… qui… ha… un Homme… un Homme enfin. Qui suit bien ses leçons, goûte une paix profonde, Et comme du fumier, regarde tout le monde. Oui, je deviens tout autre avec son entretien, Il m'enseigne à n'avoir affection pour rien ; De toutes amitiés il détache mon âme ; Et je verrais mourir Frère, Enfants, Mère, et Femme, Que je m'en soucierais autant que de cela. Ha, si vous aviez vu comme j'en fis rencontre, Vous auriez pris pour lui l'amitié que je montre. Chaque jour à l'Église il venait d'un air doux, Tout vis-à-vis de moi, se mettre à deux genoux. Il attirait les yeux de l'assemblée entière, Par l'ardeur dont au Ciel il poussait sa prière : Il faisait des soupirs, de grands élancements, Et baisait humblement la terre à tous moments ; Et lorsque je sortais, il me devançait vite, Pour m'aller à la Porte offrir de l'Eau bénite. Instruit par son Garçon, qui dans tout l'imitait, Et de son indigence, et de ce qu'il était, Je lui faisais des dons ; mais avec modestie, Il me voulait toujours en rendre une partie. C'est trop, me disait-il, c'est trop de la moitié, Je ne mérite pas de vous faire pitié : Et quand je refusais de le vouloir reprendre, Aux Pauvres, à mes yeux, il allait le répandre. Enfin le Ciel, chez moi, me le fit retirer, Et depuis ce temps-là, tout semble y prospérer. Je vois qu'il reprend tout, et qu'à ma Femme même, Il prend pour mon honneur un intérêt extrême ; Il m'avertit des Gens qui lui font les yeux doux, Et plus que moi, six fois, il s'en montre jaloux. Mais vous ne croiriez point jusqu'où monte son zèle ; Il s'impute à péché la moindre bagatelle, Un rien presque suffit pour le scandaliser, Jusque-là qu'il se vint l'autre jour accuser D'avoir pris une Puce en faisant sa prière, Et de l'avoir tuée avec trop de colère. Mon Frère, ce discours sent le libertinage. Vous en êtes un peu dans votre âme entiché ; Et comme je vous l'ai plus de dix fois prêché, Vous vous attirerez quelque méchante affaire. Oui, vous êtes, sans doute, un Docteur qu'on révère ; Tout le savoir du Monde est chez vous retiré, Vous êtes le seul Sage, et le seul éclairé, Un Oracle, un Caton, dans le Siècle où nous sommes, Et près de vous ce sont des Sots, que tous les Hommes. Monsieur mon cher Beau-frère, avez-vous tout dit ? Je suis votre valet. Oui. Il est vrai. Je ne sais. Peut-être. Je ne dis pas cela. Selon. Le Ciel en soit loué. Tout ce qu'il vous plaira. De faire Ce que le Ciel voudra. Adieu. Mariane. Approchez. J'ai de quoi Vous parler en secret. Je vois Si quelqu'un n'est point là, qui pourrait nous entendre ; Car ce petit endroit est propre pour surprendre. Or sus, nous voilà bien. J'ai, Mariane, en vous, Reconnu, de tout temps, un esprit assez doux ; Et de tout temps aussi vous m'avez été chère. C'est fort bien dit, ma Fille ; et pour le mériter, Vous devez n'avoir soin que de me contenter. Fort bien. Que dites-vous de Tartuffe notre Hôte ? Vous. Voyez bien comme vous répondrez. C'est parler sagement. Dites-moi donc, ma Fille, Qu'en toute sa Personne un haut mérite brille, Qu'il touche votre cœur, et qu'il vous serait doux De le voir, par mon choix, devenir votre Époux. Eh ? Qu'est-ce ? Quoi ? Comment ? Tartuffe. Mais je veux que cela soit une vérité ; Et c'est assez pour vous, que je l'aie arrêté. Oui, je prétends, ma Fille, Unir, par votre hymen, Tartuffe à ma Famille. Il sera votre Époux, j'ai résolu cela ; Et comme sur vos vœux je… Que faites-vous là ? La curiosité qui vous presse, est bien forte, Mamie, à nous venir écouter de la sorte. Quoi donc, la chose est-elle incroyable ? Je sais bien le moyen de vous le faire croire. Je conte justement ce qu'on verra dans peu. Ce que je dis, ma Fille, n'est point jeu. Je vous dis… À la fin, mon courroux… Écoutez. Vous avez pris céans certaines privautés Qui ne me plaisent point ; je vous le dis, Mamie. Taisez-vous. S'il n'a rien, Sachez que c'est par là, qu'il faut qu'on le révère. Sa misère est sans doute une honnête misère. Au-dessus des grandeurs elle doit l'élever, Puisque enfin de son bien il s'est laissé priver Par son trop peu de soin des choses temporelles, Et sa puissante attache aux choses éternelles. Mais mon secours pourra lui donner les moyens De sortir d'embarras, et rentrer dans ses biens. Ce sont Fiefs qu'à bon titre au Pays on renomme ; Et tel que l'on le voit, il est bien Gentilhomme. Je vous dis qu'il me faut apprendre d'elle à vivre. Ne nous amusons point, ma Fille, à ces chansons ; Je sais ce qu'il vous faut, et je suis votre Père. J'avais donné pour vous ma parole à Valère ; Mais outre qu'à jouer on dit qu'il est enclin, Je le soupçonne encor d'être un peu libertin ; Je ne remarque point qu'il hante les églises. Je ne demande pas votre avis là-dessus. Enfin, avec le Ciel, l'autre est le mieux du monde, Et c'est une richesse à nulle autre seconde. Cet hymen, de tous biens, comblera vos désirs. Il sera tout confit en douceurs, et plaisirs. Ensemble vous vivrez, dans vos ardeurs fidèles, Comme deux vrais Enfants, comme deux Tourterelles. À nul fâcheux débat jamais vous n'en viendrez, Et vous ferez de lui tout ce que vous voudrez. Ouais, quels discours ! Cessez de m'interrompre, et songez à vous taire, Sans mettre votre nez où vous n'avez que faire. C'est prendre trop de soin ; taisez-vous, s'il vous plaît. Je ne veux pas qu'on m'aime. Ah ! Vous ne vous tairez point ? Te tairas-tu, Serpent, dont les traits effrontés... Oui, ma bile s'échauffe à toutes ces fadaises, Et, tout résolument, je veux que tu te taises. Pense, si tu le veux ; mais applique tes soins À ne m'en point parler, ou… suffit. Comme sage, J'ai pesé mûrement toutes choses. Sans être Damoiseau, Tartuffe est fait de sorte… Que quand tu n'aurais même aucune sympathie Pour tous les autres dons… Donc, de ce que je dis, on ne fera nul cas ? Qu'est-ce que tu fais donc ? Fort bien. Pour châtier son insolence extrême, Il faut que je lui donne un revers de ma main. Ma Fille, vous devez approuver mon dessein... Croire que le Mari… que j'ai su vous élire... Que ne te parles-tu ? Encore un petit mot. Certes, je t'y guettais. Enfin, ma Fille, il faut payer d'obéissance, Et montrer, pour mon choix, entière déférence. Vous avez là, ma Fille, une peste avec vous, Avec qui, sans péché, je ne saurais plus vivre. Je me sens hors d'état maintenant de poursuivre, Ses discours insolents m'ont mis l'esprit en feu, Et je vais prendre l'air, pour me rasseoir un peu. Ce que je viens d'entendre, ô Ciel ! est-il croyable ? Ah ! traître, oses-tu bien, par cette fausseté, Vouloir de sa vertu ternir la pureté ? Tais-toi, peste maudite. Mon Frère, c'en est trop. Ton cœur ne se rend point, Traître. Tais-toi, pendard. Mon Frère, eh ! levez-vous, de grâce. Infâme. Tais-toi. Si tu dis un seul mot, je te romprai les bras. Ingrat. Hélas ! vous moquez-vous ? Coquin, vois sa bonté. Paix. Paix, dis-je. Je sais bien quel motif, à l'attaquer, t'oblige. Vous le haïssez tous, et je vois aujourd'hui, Femme, Enfants, et Valets, déchaînés contre lui. On met impudemment toute chose en usage, Pour ôter de chez moi ce dévot Personnage : Mais plus on fait d'effort afin de l'en bannir, Plus j'en veux employer à l'y mieux retenir ; Et je vais me hâter de lui donner ma Fille, Pour confondre l'orgueil de toute ma Famille. Oui, traître ; et dès ce soir, pour vous faire enrager. Ah ! je vous brave tous, et vous ferai connaître, Qu'il faut qu'on m'obéisse, et que je suis le Maître. Allons, qu'on se rétracte, et qu'à l'instant, fripon, On se jette à ses pieds, pour demander pardon. Ah ! tu résistes, gueux, et lui dis des injures ? Un bâton, un bâton. Ne me retenez pas. Sus, que de ma Maison on sorte de ce pas, Et que d'y revenir, on n'ait jamais l'audace. Vite, quittons la place. Je te prive, pendard, de ma succession, Et te donne, de plus, ma malédiction. Offenser de la sorte une sainte Personne ! Hélas ! Coquin. Je me repens que ma main t'ait fait grâce, Et ne t'ait pas d'abord assommé sur la place. Remettez-vous, mon Frère, et ne vous fâchez pas. Comment ? Vous moquez-vous ? Qu'importe ; Voyez-vous que mon cœur les écoute ? Non, mon Frère, jamais. Non, non. Non, vous demeurerez, il y va de ma vie. Ah ! Non, en dépit de tous, vous la fréquenterez. Faire enrager le monde, est ma plus grande joie, Et je veux qu'à toute heure avec elle on vous voie. Ce n'est pas tout encor ; pour les mieux braver tous, Je ne veux point avoir d'autre héritier que vous ; Et je vais de ce pas, en fort bonne manière, Vous faire de mon bien, donation entière. Un bon et franc Ami, que pour Gendre je prends, M'est bien plus cher que Fils, que Femme, et que Parents. N'accepterez-vous pas ce que je vous propose ? Le pauvre Homme ! Allons vite en dresser un Écrit, Et que puisse l'Envie en crever de dépit. Ha, je me réjouis de vous voir assemblés. Je porte, en ce Contrat, de quoi vous faire rire, Et vous savez déjà ce que cela veut dire. Allons, ferme, mon cœur, point de faiblesse humaine. Ah ! voilà justement de mes Religieuses, Lorsqu'un Père combat leurs flammes amoureuses. Debout. Plus votre cœur répugne à l'accepter, Plus ce sera pour vous, matière à mériter. Mortifiez vos sens avec ce Mariage, Et ne me rompez pas la tête davantage. Taisez-vous, vous. Parlez à votre écot, Je vous défends, tout net, d'oser dire un seul mot. Mon Frère, vos conseils sont les meilleurs du monde, Ils sont bien raisonnés, et j'en fais un grand cas ; Mais vous trouverez bon que je n'en use pas. Je suis votre Valet, et crois les apparences. Pour mon fripon de Fils, je sais vos complaisances, Et vous avez eu peur de le désavouer Du trait qu'à ce pauvre Homme il a voulu jouer. Vous étiez trop tranquille enfin, pour être crue, Et vous auriez paru d'autre manière émue. Enfin je sais l'affaire, et ne prends point le change. Voir ? Chansons. Contes en l'air. En ce cas, je dirais que… Je ne dirais rien, Car cela ne se peut. Soit je vous prends au mot. Nous verrons votre adresse Et comment vous pourrez remplir cette promesse. Comment ? Pourquoi sous cette Table ? Je confesse qu'ici ma complaisance est grande ; Mais de votre entreprise, il vous faut voir sortir. Voilà, je vous l'avoue, un abominable Homme ! Je n'en puis revenir, et tout ceci m'assomme. Non, rien de plus méchant n'est sorti de l'Enfer. Tout doux, vous suivez trop votre amoureuse envie, Et vous ne devez pas vous tant passionner. Ah, ah, l'Homme de bien, vous m'en voulez donner ! Comme aux tentations s'abandonne votre âme ! Vous épousiez ma Fille, et convoitiez ma Femme ! J'ai douté fort longtemps, que ce fût tout de bon, Et je croyais toujours qu'on changerait de ton : Mais c'est assez avant pousser le témoignage, Je m'y tiens, et n'en veux pour moi pas davantage. Allons, point de bruit, je vous prie ; Dénichons de céans, et sans cérémonie. Ces discours ne sont plus de saison, Il faut, tout sur-le-champ, sortir de la Maison. Ma foi, je suis confus, et n'ai pas lieu de rire. Je vois ma faute, aux choses qu'il me dit, Et la donation m'embarrasse l'esprit. Oui, c'est une affaire faite ; Mais j'ai quelque autre chose encor qui m'inquiète. Vous saurez tout : mais voyons au plus tôt, Si certaine Cassette est encore là-haut. Las ! que sais-je ? Cette Cassette-là me trouble entièrement. Plus que le reste encore, elle me désespère. C'est un dépôt qu'Argas, cet Ami que je plains, Lui-même, en grand secret, m'a mis entre les mains. Pour cela, dans sa fuite, il me voulut élire ; Et ce sont des papiers, à ce qu'il m'a pu dire, Où sa vie, et ses biens, se trouvent attachés. Ce fut par un motif de Cas de Conscience. J'allai droit à mon Traître en faire confidence, Et son raisonnement me vint persuader De lui donner plutôt la Cassette à garder ; Afin que pour nier, en cas de quelque enquête, J'eusse d'un faux-fuyant, la faveur toute prête, Par où ma conscience eût pleine sûreté À faire des serments contre la vérité. Quoi ! sous un beau semblant de ferveur si touchante, Cacher un cœur si double, une âme si méchante ? Et moi qui l'ai reçu gueusant, et n'ayant rien... C'en est fait, je renonce à tous les Gens de bien. J'en aurai désormais une horreur effroyable, Et m'en vais devenir, pour eux, pire qu'un Diable. Oui, mon Fils, et j'en sens des douleurs nonpareilles. Ce sont des nouveautés dont mes yeux sont témoins, Et vous voyez le prix dont sont payés mes soins. Je recueille, avec zèle, un Homme en sa misère, Je le loge, et le tiens comme mon propre Frère ; De bienfaits, chaque jour, il est par moi chargé, Je lui donne ma Fille, et tout le bien que j'ai ; Et dans le même temps, le Perfide, l'Infâme, Tente le noir dessein de suborner ma Femme ; Et non content encor de ces lâches essais, Il m'ose menacer de mes propres bienfaits, Et veut, à ma ruine, user des avantages Dont le viennent d'armer mes bontés trop peu sages ; Me chasser de mes biens où je l'ai transféré, Et me réduire au point d'où je l'ai retiré. Comment ? Que voulez-vous donc dire avec votre discours, Ma Mère ? Qu'a cette haine à faire avec ce qu'on vous dit ? Mais que fait ce discours aux choses d'aujourd'hui ? Je vous ai dit déjà, que j'ai vu tout moi-même. Vous me feriez damner, ma Mère. Je vous dis, Que j'ai vu de mes yeux, un crime si hardi. C'est tenir un propos de sens bien dépourvu ! Je l'ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vu, Ce qu'on appelle vu : Faut-il vous le rebattre Aux oreilles cent fois, et crier comme quatre ? J'enrage. Je dois interpréter à charitable soin, Le désir d'embrasser ma Femme ? Hé, diantre, le moyen de m'en assurer mieux ? Je devais donc, ma Mère, attendre qu'à mes yeux Il eût… Vous me feriez dire quelque sottise. Allez. Je ne sais pas, si vous n'étiez ma Mère, Ce que je vous dirais, tant je suis en colère. Il est vrai, mais qu'y faire ? À l'orgueil de ce Traître, De mes ressentiments je n'ai pas été maître. Que veut cet Homme ? Allez tôt le savoir ; Je suis bien en état que l'on me vienne voir. Pour nous raccommoder, il vient ici, peut-être. Quels sentiments aurai-je à lui faire paraître ? Ce doux début s'accorde avec mon jugement, Et présage déjà quelque accommodement. Monsieur, j'ai grande honte, et demande pardon, D'être sans vous connaître, ou savoir votre nom. Quoi ! vous êtes ici… Moi, sortir de céans ? Mais… Et que peut-on de pis, que d'ordonner aux Gens De sortir de chez eux ? Du meilleur de mon cœur, je donnerais sur l'heure Les cent plus beaux Louis de ce qui me demeure, Et pouvoir à plaisir, sur ce mufle asséner Le plus grand coup de poing qui se puisse donner. Puisse-t-il te confondre, et celui qui t'envoie ! Hé bien, vous le voyez, ma Mère, si j'ai droit ; Et vous pouvez juger du reste, par l'Exploit. Ses trahisons enfin, vous sont-elles connues ? Taisez-vous ; c'est le mot qu'il vous faut toujours dire. L'Homme est, je vous l'avoue, un méchant Animal ! Las ! que ne dois-je point à vos soins obligeants ? Pour vous en rendre grâce, il faut un autre temps ; Et je demande au Ciel, de m'être assez propice, Pour reconnaître un jour ce généreux service. Adieu, prenez le soin vous autres… Traître, tu me gardais ce trait pour le dernier. C'est le coup, Scélérat, par où tu m'expédies, Et voilà couronner toutes tes perfidies. Mais t'es-tu souvenu que ma main charitable, Ingrat, t'a retiré d'un état misérable ? Hé bien, te voilà, Traître… Oui, c'est bien dit ; allons à ses pieds, avec joie, Nous louer des bontés que son cœur nous déploie : Puis acquittés un peu de ce premier devoir, Aux justes soins d'un autre, il nous faudra pourvoir ; Et par un doux hymen, couronner en Valère, La flamme d'un Amant généreux, et sincère. **** *creator_moliere *book_moliere_tartuffe *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_tartuffe *dist2_moliere_verse_comedy *id_elmire *date_1664 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_elmire Vous marchez d'un tel pas, qu'on a peine à vous suivre. De ce que l'on vous doit, envers vous on s'acquitte. Mais, ma Mère, d'où vient que vous sortez si vite ? Mais, ma Mère… Vous êtes bien heureux, de n'être point venu Au discours qu'à la Porte elle nous a tenu. Mais j'ai vu mon Mari ; comme il ne m'a point vue, Je veux aller là-haut attendre sa venue. Je suis fort obligée à ce souhait pieux : Mais prenons une Chaise, afin d'être un peu mieux. Fort bien ; et cette fièvre a bientôt quitté prise. Votre zèle pour moi s'est trop inquiété. C'est pousser bien avant la charité Chrétienne ; Et je vous dois beaucoup, pour toutes ces bontés. J'ai voulu vous parler en secret, d'une affaire, Et suis bien aise, ici qu'aucun ne nous éclaire. Pour moi, ce que je veux, c'est un mot d'entretien, Où tout votre cœur s'ouvre, et ne me cache rien. Je le prends bien aussi, Et crois que mon salut vous donne ce souci. Ouf, vous me serrez trop. Que fait là votre main ? Ah ! de grâce, laissez, je suis fort chatouilleuse. Il est vrai. Mais parlons un peu de notre affaire. On tient que mon Mari veut dégager sa foi, Et vous donner sa Fille ; Est-il vrai, dites-moi ? C'est que vous n'aimez rien des choses de la Terre. Pour moi, je crois qu'au Ciel tendent tous vos soupirs, Et que rien, ici-bas, n'arrête vos désirs. La déclaration est tout à fait galante : Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante. Vous deviez, ce me semble, armer mieux votre sein, Et raisonner un peu sur un pareil dessein. Un Dévot comme vous, et que partout on nomme… Je vous écoute dire, et votre Rhétorique, En termes assez forts, à mon âme s'explique. N'appréhendez-vous point, que je ne sois d'humeur À dire à mon Mari cette galante ardeur ? Et que le prompt avis d'un amour de la sorte, Ne pût bien altérer l'amitié qu'il vous porte ? D'autres prendraient cela d'autre façon, peut-être ; Mais ma discrétion se veut faire paraître. Je ne redirai point l'affaire à mon Époux ; Mais je veux en revanche une chose de vous. C'est de presser tout franc, et sans nulle chicane, L'union de Valère avecque Mariane ; De renoncer vous-même à l'injuste pouvoir Qui veut du bien d'un autre enrichir votre espoir ; Et... Non, Damis, il suffit qu'il se rende plus sage, Et tâche à mériter la grâce où je m'engage. Puisque je l'ai promis, ne m'en dédites pas. Ce n'est point mon humeur de faire des éclats ; Une Femme se rit de sottises pareilles, Et jamais d'un Mari n'en trouble les oreilles. Damis… Oui, je tiens que jamais, de tous ces vains propos, On ne doit d'un Mari traverser le repos ; Que ce n'est point de là que l'honneur peut dépendre, Et qu'il suffit, pour nous, de savoir nous défendre. Ce sont mes sentiments ; et vous n'auriez rien dit, Damis, si j'avais eu sur vous quelque crédit. À voir ce que je vois, je ne sais plus que dire, Et votre aveuglement fait que je vous admire. C'est être bien coiffé, bien prévenu de lui, Que de nous démentir sur le fait d'aujourd'hui. Est-ce qu'au simple aveu d'un amoureux transport, Il faut que notre honneur se gendarme si fort ? Et ne peut-on répondre à tout ce qui le touche, Que le feu dans les yeux, et l'injure à la bouche ? Pour moi, de tels propos, je me ris simplement, Et l'éclat, là-dessus, ne me plaît nullement. J'aime qu'avec douceur nous nous montrions sages, Et ne suis point, du tout, pour ces Prudes sauvages, Dont l'honneur est armé de griffes, et de dents, Et veut, au moindre mot, dévisager les Gens. Me préserve le Ciel d'une telle sagesse ! Je veux une Vertu qui ne soit point diablesse, Et crois que d'un refus, la discrète froideur, N'en est pas moins puissante à rebuter un cœur. J'admire, encore un coup, cette faiblesse étrange. Mais que me répondrait votre incrédulité, Si je vous faisais voir qu'on vous dit vérité ? Oui. Mais quoi ! si je trouvais manière De vous le faire voir avec pleine lumière ? Quel homme ! Au moins répondez-moi. Je ne vous parle pas de nous ajouter foi : Mais supposons ici, que d'un lieu qu'on peut prendre, On vous fît clairement tout voir, et tout entendre, Que diriez-vous alors de votre Homme de bien ? L'erreur trop longtemps dure, Et c'est trop condamner ma bouche d'imposture. Il faut que par plaisir, et sans aller plus loin, De tout ce qu'on vous dit, je vous fasse témoin. Faites-le-moi venir. Non, on est aisément dupé par ce qu'on aime, Et l'amour-propre, engage à se tromper soi-même. Faites-le-moi descendre ; et vous, retirez-vous. Approchons cette Table, et vous mettez dessous. Vous bien cacher, est un point nécessaire. Ah ! mon Dieu, laissez faire, J'ai mon dessein en tête, et vous en jugerez. Mettez-vous là, vous dis-je ; et quand vous y serez, Gardez qu'on ne vous voie, et qu'on ne vous entende. Vous n'aurez, que je crois, rien à me repartir. Au moins, je vais toucher une étrange matière, Ne vous scandalisez en aucune manière. Quoi que je puisse dire, il doit m'être permis, Et c'est pour vous convaincre, ainsi que j'ai promis. Je vais par des douceurs, puisque j'y suis réduite, Faire poser le masque à cette âme hypocrite, Flatter, de son amour, les désirs effrontés, Et donner un champ libre à ses témérités. Comme c'est pour vous seul, et pour mieux le confondre, Que mon âme à ses vœux va feindre de répondre, J'aurai lieu de cesser dès que vous vous rendrez, Et les choses n'iront que jusqu'où vous voudrez. C'est à vous d'arrêter son ardeur insensée, Quand vous croirez l'affaire assez avant poussée ; D'épargner votre Femme, et de ne m'exposer Qu'à ce qu'il vous faudra pour vous désabuser. Ce sont vos intérêts, vous en serez le maître, Et… L'on vient, tenez-vous, et gardez de paraître. Oui, l'on a des secrets à vous y révéler : Mais tirez cette Porte avant qu'on vous les dise, Et regardez partout, de crainte de surprise : Une affaire pareille à celle de tantôt, N'est pas assurément ici ce qu'il nous faut. Jamais il ne s'est vu de surprise de même, Damis m'a fait, pour vous, une frayeur extrême, Et vous avez bien vu que j'ai fait mes efforts Pour rompre son dessein, et calmer ses transports. Mon trouble, il est bien vrai, m'a si fort possédée, Que de le démentir je n'ai point eu l'idée : Mais par là, grâce au Ciel, tout a bien mieux été, Et les choses en sont dans plus de sûreté. L'estime où l'on vous tient, a dissipé l'orage, Et mon Mari, de vous, ne peut prendre d'ombrage. Pour mieux braver l'éclat des mauvais jugements, Il veut que nous soyons ensemble à tous moments ; Et c'est par où je puis, sans peur d'être blâmée, Me trouver ici seule avec vous enfermée, Et ce qui m'autorise à vous ouvrir un cœur Un peu trop prompt, peut-être, à souffrir votre ardeur. Ah ! si d'un tel refus vous êtes en courroux, Que le cœur d'une Femme est mal connu de vous ! Et que vous savez peu ce qu'il veut faire entendre, Lorsque si faiblement on le voit se défendre ! Toujours notre pudeur combat, dans ces moments, Ce qu'on peut nous donner de tendres sentiments. Quelque raison qu'on trouve à l'amour qui nous dompte, On trouve à l'avouer, toujours un peu de honte ; On s'en défend d'abord ; mais de l'air qu'on s'y prend, On fait connaître assez que notre cœur se rend ; Qu'à nos vœux, par honneur, notre bouche s'oppose, Et que de tels refus promettent toute chose. C'est vous faire, sans doute, un assez libre aveu, Et sur notre pudeur me ménager bien peu : Mais puisque la parole enfin en est lâchée, À retenir Damis, me serais-je attachée ? Aurais-je, je vous prie, avec tant de douceur, Écouté tout au long l'offre de votre cœur ? Aurais-je pris la chose ainsi qu'on m'a vu faire, Si l'offre de ce cœur n'eût eu de quoi me plaire ? Et lorsque j'ai voulu moi-même vous forcer À refuser l'hymen qu'on venait d'annoncer, Qu'est-ce que cette instance a dû vous faire entendre, Que l'intérêt qu'en vous on s'avise de prendre, Et l'ennui qu'on aurait que ce nœud qu'on résout, Vînt partager du moins un cœur que l'on veut tout ? Quoi ! vous voulez aller avec cette vitesse, Et d'un cœur, tout d'abord, épuiser la tendresse ? On se tue à vous faire un aveu des plus doux, Cependant ce n'est pas encore assez pour vous ; Et l'on ne peut aller jusqu'à vous satisfaire, Qu'aux dernières faveurs on ne pousse l'affaire ? Mon Dieu, que votre amour, en vrai Tyran agit ! Et qu'en un trouble étrange il me jette l'esprit ! Que sur les cœurs il prend un furieux empire ! Et qu'avec violence il veut ce qu'il désire ! Quoi ! de votre poursuite, on ne peut se parer, Et vous ne donnez pas le temps de respirer ? Sied-il bien de tenir une rigueur si grande ? De vouloir sans quartier, les choses qu'on demande ? Et d'abuser ainsi, par vos efforts pressants, Du faible que pour vous, vous voyez qu'ont les Gens ? Mais comment consentir à ce que vous voulez, Sans offenser le Ciel, dont toujours vous parlez ? Mais des Arrêts du Ciel on nous fait tant de peur. Oui, je suis au supplice. C'est un rhume obstiné, sans doute, et je vois bien Que tous les jus du Monde, ici, ne feront rien. Oui, plus qu'on ne peut dire. Enfin je vois qu'il faut se résoudre à céder, Qu'il faut que je consente à vous tout accorder ; Et qu'à moins de cela, je ne dois point prétendre Qu'on puisse être content, et qu'on veuille se rendre. Sans doute, il est fâcheux d'en venir jusque-là, Et c'est bien malgré moi, que je franchis cela : Mais puisque l'on s'obstine à m'y vouloir réduire, Puisqu'on ne veut point croire à tout ce qu'on peut dire, Et qu'on veut des témoins qui soient plus convaincants, Il faut bien s'y résoudre, et contenter les Gens. Si ce consentement porte en soi quelque offense, Tant pis pour qui me force à cette violence ; La faute assurément n'en doit pas être à moi. Ouvrez un peu la Porte, et voyez, je vous prie, Si mon Mari n'est point dans cette Galerie. Il n'importe, sortez, je vous prie, un moment, Et partout, là dehors, voyez exactement. Quoi ! vous sortez sitôt ? Vous vous moquez des Gens. Rentrez sous le Tapis, il n'est pas encor temps ; Attendez jusqu'au bout, pour voir les choses sûres, Et ne vous fiez point aux simples conjectures. Mon Dieu, l'on ne doit point croire trop de léger ; Laissez-vous bien convaincre, avant que de vous rendre, Et ne vous hâtez point, de peur de vous méprendre. C'est contre mon humeur, que j'ai fait tout ceci ; Mais on m'a mise au point de vous traiter ainsi. Quel est donc ce langage, et qu'est-ce qu'il veut dire ? Comment ? La donation… Et quoi ? Pour moi, je ne crois pas cette instance possible, Et son ingratitude est ici trop visible. Si j'avais su qu'en main il a de telles armes, Je n'aurais pas donné matière à tant d'alarmes, Et mes… Allez faire éclater l'audace de l'Ingrat. Ce procédé détruit la vertu du Contrat ; Et sa déloyauté va paraître trop noire, Pour souffrir qu'il en ait le succès qu'on veut croire. L'Imposteur ! Favorable succès ! **** *creator_moliere *book_moliere_tartuffe *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_tartuffe *dist2_moliere_verse_comedy *id_damis *date_1664 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_damis Mais… Votre Monsieur Tartuffe est Bienheureux sans doute… Quoi ! je souffrirai, moi, qu'un Cagot de Critique, Vienne usurper céans un pouvoir tyrannique ? Et que nous ne puissions à rien nous divertir, Si ce beau Monsieur-là n'y daigne consentir ? Non, voyez-vous, ma Mère, il n'est Père, ni rien, Qui me puisse obliger à lui vouloir du bien. Je trahirais mon cœur, de parler d'autre sorte ; Sur ses façons de faire, à tous coups je m'emporte ; J'en prévois une suite, et qu'avec ce Pied plat Il faudra que j'en vienne à quelque grand éclat. De l'hymen de ma Sœur, touchez-lui quelque chose. J'ai soupçon que Tartuffe à son effet s'oppose ; Qu'il oblige mon Père à des détours si grands, Et vous n'ignorez pas quel intérêt j'y prends. Si même ardeur enflamme, et ma Sœur, et Valère, La Sœur de cet Ami, vous le savez, m'est chère : Et s'il fallait… Que la Foudre, sur l'heure, achève mes destins ; Qu'on me traite partout, du plus grand des Faquins, S'il est aucun respect, ni pouvoir, qui m'arrête, Et si je ne fais pas quelque coup de ma tête. Il faut que de ce Fat j'arrête les complots, Et qu'à l'oreille, un peu, je lui dise deux mots. Je puis être présent à tout cet entretien. Je ne lui dirai rien. Non, je veux voir, sans me mettre en courroux. Non, Madame, non, ceci doit se répandre. J'étais en cet endroit, d'où j'ai pu tout entendre ; Et la bonté du Ciel m'y semble avoir conduit, Pour confondre l'orgueil d'un Traître qui me nuit ; Pour m'ouvrir une voie à prendre la vengeance De son hypocrisie, et de son insolence ; À détromper mon Père, et lui mettre en plein jour, L'âme d'un Scélérat qui vous parle d'amour. Vous avez vos raisons pour en user ainsi ; Et pour faire autrement, j'ai les miennes aussi. Le vouloir épargner, est une raillerie, Et l'insolent orgueil de sa Cagoterie, N'a triomphé que trop de mon juste courroux, Et que trop excité de désordre chez nous. Le Fourbe, trop longtemps, a gouverné mon Père, Et desservi mes feux avec ceux de Valère. Il faut que du Perfide il soit désabusé, Et le Ciel, pour cela, m'offre un moyen aisé. De cette occasion, je lui suis redevable ; Et pour la négliger, elle est trop favorable. Ce serait mériter qu'il me la vînt ravir, Que de l'avoir en main, et ne m'en pas servir. Non, s'il vous plaît, il faut que je me croie. Mon âme est maintenant au comble de sa joie ; Et vos discours en vain prétendent m'obliger À quitter le plaisir de me pouvoir venger. Sans aller plus avant, je vais vider d'affaire ; Et voici justement de quoi me satisfaire. Nous allons régaler, mon Père, votre abord, D'un incident tout frais, qui vous surprendra fort. Vous êtes bien payé de toutes vos caresses ; Et Monsieur, d'un beau prix, reconnaît vos tendresses. Son grand zèle, pour vous, vient de se déclarer. Il ne va pas à moins qu'à vous déshonorer ; Et je l'ai surpris, là, qui faisait à Madame L'injurieux aveu d'une coupable flamme. Elle est d'une humeur douce, et son cœur trop discret Voulait, à toute force, en garder le secret : Mais je ne puis flatter une telle impudence, Et crois que vous la taire, est vous faire une offense. Quoi ! la feinte douceur de cette âme hypocrite Vous fera démentir… Quoi ! ses discours vous séduiront au point... Il peut... J'enrage ! Quoi, je passe… Donc... Quoi, je... À recevoir sa main, on pense l'obliger ? Qui, moi ? de ce coquin, qui par ses impostures… Oui, je sortirai, mais… Quoi ! mon Père, est-il vrai qu'un Coquin vous menace ? Qu'il n'est point de bienfait qu'en son âme il n'efface ; Et que son lâche orgueil, trop digne de courroux, Se fait, de vos bontés, des armes contre vous ? Laissez-moi, je lui veux couper les deux oreilles. Contre son insolence, on ne doit point gauchir. C'est à moi, tout d'un coup, de vous en affranchir ; Et pour sortir d'affaire, il faut que je l'assomme. Quoi ! son effronterie irait jusqu'à ce point ? Certes, cette impudence est grande, et je l'admire. Vous pourriez bien ici, sur votre noir jupon, Monsieur l'Huissier à Verge, attirer le bâton. À cette audace étrange, J'ai peine à me tenir, et la main me démange. Comme du Ciel, l'Infâme, impudemment se joue ! **** *creator_moliere *book_moliere_tartuffe *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_tartuffe *dist2_moliere_verse_comedy *id_mariane *date_1664 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_mariane Je crois… Mon Père. Que cherchez-vous ? Je suis fort redevable à cet amour de Père. C'est où je mets aussi ma gloire la plus haute. Qui, moi ? Hélas ! j'en dirai, moi, tout ce que vous voudrez. Eh ? laît-il ? Me suis-je méprise ? Qui voulez-vous, mon Père, que je dise, Qui me touche le cœur, et qu'il me serait doux De voir, par votre choix, devenir mon Époux ? Il n'en est rien, mon Père, je vous jure : Pourquoi me faire dire une telle imposture ? Quoi ! vous voulez, mon Père... Contre un Père absolu, que veux-tu que je fasse ? Quoi ? Un Père, je l'avoue, a sur nous tant d'empire, Que je n'ai jamais eu la force de rien dire. Ah ! qu'envers mon amour, ton injustice est grande, Dorine ! Me dois-tu faire cette demande ? T'ai-je pas là-dessus ouvert cent fois mon cœur ? Et sais-tu pas, pour lui, jusqu'où va mon ardeur ? Tu me fais un grand tort, Dorine, d'en douter, Et mes vrais sentiments ont su trop éclater. Oui, d'une ardeur extrême. Je le crois. Assurément. De me donner la mort, si l'on me violente. Mon Dieu, de quelle humeur, Dorine, tu te rends ! Tu ne compatis point aux déplaisirs des Gens. Mais que veux-tu ? si j'ai de la timidité. Mais n'en gardé-je pas pour les feux de Valère ? Et n'est-ce pas à lui de m'obtenir d'un Père ? Mais par un haut refus, et d'éclatants mépris, Ferai-je, dans mon choix, voir un cœur trop épris ? Sortirai-je pour lui, quelque éclat dont il brille, De la pudeur du Sexe, et du devoir de Fille ? Et veux-tu que mes feux par le monde étalés… Mon Dieu… Ha, cesse, je te prie, un semblable discours, Et contre cet hymen ouvre-moi du secours. C'en est fait, je me rends, et suis prête à tout faire. Ah ! tu me fais mourir. De tes conseils, plutôt, songe à me secourir. Eh, Dorine, de grâce… Ma pauvre Fille ! Si mes vœux déclarés… Tu sais qu'à toi toujours je me suis confiée. Fais-moi… Hé bien, puisque mon sort ne saurait t'émouvoir, Laisse-moi désormais toute à mon désespoir. C'est de lui que mon cœur empruntera de l'aide, Et je sais, de mes maux, l'infaillible remède. Vois-tu, si l'on m'expose à ce cruel martyre, Je te le dis, Dorine, il faudra que j'expire. Quoi ? Il est certain Que mon Père s'est mis en tête ce dessein. A changé de visée. La chose vient par lui de m'être proposée. Oui, sérieusement ; Il s'est, pour cet hymen, déclaré hautement. Je ne sais. Non. Que me conseillez-vous ? Vous me le conseillez ? Tout de bon ? Hé bien, c'est un conseil, Monsieur, que je reçois. Pas plus qu'à le donner en a souffert votre âme. Et moi, je le suivrai, pour vous faire plaisir. Ne parlons point de cela, je vous prie. Vous m'avez dit tout franc, que je dois accepter Celui que, pour Époux, on me veut présenter : Et je déclare, moi, que je prétends le faire, Puisque vous m'en donnez le conseil salutaire. Il est vrai, c'est bien dit. Hélas ! permis à vous d'avoir cette pensée. Ah ! je n'en doute point ; et les ardeurs qu'excite Le mérite… La perte n'est pas grande, et de ce changement Vous vous consolerez assez facilement. Ce sentiment, sans doute, est noble, et relevé. Au contraire, pour moi, c'est ce que je souhaite ; Et je voudrais déjà que la chose fût faite. Oui. Fort bien. Oui. À mon exemple, soit. Tant mieux. À la bonne heure. Quoi ? Moi ! vous rêvez. Adieu, Monsieur. Il souffre à me voir, ma présence le chasse ; Et je ferai bien mieux, de lui quitter la place. Laisse. Non, non, Dorine, en vain tu veux me retenir. Qu'est-ce que tu veux faire ? N'as-tu pas vu la chose, et comme il m'a traitée ? Pourquoi donc me donner un semblable conseil ? De quoi sert tout cela ? Mais vous, n'êtes-vous pas l'Homme le plus ingrat... Dis-nous donc quels ressorts il faut mettre en usage. Je ne vous réponds pas des volontés d'un Père ; Mais je ne serai point à d'autre qu'à Valère. Mon père, au nom du Ciel, qui connaît ma douleur, Et par tout ce qui peut émouvoir votre cœur, Relâchez-vous un peu des droits de la naissance, Et dispensez mes vœux de cette obéissance. Ne me réduisez point, par cette dure Loi, Jusqu'à me plaindre au Ciel de ce que je vous dois : Et cette vie, hélas ! que vous m'avez donnée, Ne me la rendez pas, mon Père, infortunée. Si contre un doux espoir que j'avais pu former, Vous me défendez d'être à ce que j'ose aimer ; Au moins, par vos bontés, qu'à vos genoux j'implore, Sauvez-moi du tourment d'être à ce que j'abhorre ; Et ne me portez point à quelque désespoir, En vous servant, sur moi, de tout votre pouvoir. Vos tendresses pour lui, ne me font point de peine ; Faites-les éclater, donnez-lui votre bien ; Et si ce n'est assez, joignez-y tout le mien, J'y consens de bon cœur, et je vous l'abandonne. Mais au moins n'allez pas jusques à ma personne, Et souffrez qu'un Couvent, dans les austérités, Use les tristes jours que le Ciel m'a comptés. Vous avez de ceci, grande gloire à prétendre, Et cet emploi pour vous, est fort honnête à prendre. Qui l'aurait osé dire ? **** *creator_moliere *book_moliere_tartuffe *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_tartuffe *dist2_moliere_verse_comedy *id_valere *date_1664 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_valere On vient de débiter, Madame, une nouvelle, Que je ne savais pas, et qui sans doute est belle. Que vous épousez Tartuffe. Votre Père, Madame… Quoi, sérieusement ? Et quel est le dessein où votre âme s'arrête, Madame ? La réponse est honnête. Vous ne savez ? Non ? Je vous conseille, moi, de prendre cet Époux. Oui. Sans doute. Le choix est glorieux, et vaut bien qu'on l'écoute. Vous n'aurez pas grand-peine à le suivre, je crois. Moi, je vous l'ai donné pour vous plaire, Madame. C'est donc ainsi qu'on aime ? Et c'était tromperie, Quand vous… Ne vous excusez point sur mes intentions. Vous aviez pris déjà vos résolutions ; Et vous vous saisissez d'un prétexte frivole, Pour vous autoriser à manquer de parole. Sans doute, et votre cœur N'a jamais eu pour moi de véritable ardeur. Oui, oui, permis à moi ; mais mon âme offensée Vous préviendra, peut-être, en un pareil dessein ; Et je sais où porter, et mes vœux, et ma main. Mon Dieu, laissons là le mérite ; J'en ai fort peu, sans doute, et vous en faites foi : Mais j'espère aux bontés qu'une autre aura pour moi ; Et j'en sais de qui l'âme, à ma retraite ouverte, Consentira sans honte à réparer ma perte. J'y ferai mon possible, et vous le pouvez croire. Un cœur qui nous oublie, engage notre gloire. Il faut à l'oublier, mettre aussi tous nos soins. Si l'on n'en vient à bout, on le doit feindre au moins ; Et cette lâcheté jamais ne se pardonne, De montrer de l'amour pour qui nous abandonne. Fort bien, et d'un chacun il doit être approuvé. Hé quoi ! vous voudriez qu'à jamais, dans mon âme, Je gardasse pour vous les ardeurs de ma flamme ? Et vous visse, à mes yeux, passer en d'autres bras, Sans mettre ailleurs un cœur dont vous ne voulez pas ? Vous le voudriez ? C'est assez m'insulter, Madame, et de ce pas je vais vous contenter. Souvenez-vous au moins, que c'est vous-même Qui contraignez mon cœur à cet effort extrême. Et que le dessein que mon âme conçoit, N'est rien qu'à votre exemple. Suffit ; vous allez être à point nommé servie. Vous me voyez, c'est pour toute ma vie. Euh ? Ne m'appelez-vous pas ? Hé bien, je poursuis donc mes pas. Adieu, Madame. Hé, que veux-tu, Dorine ? Non, non, le dépit me domine. Ne me détourne point de ce qu'elle a voulu. Non, vois-tu, c'est un point résolu. Je vois bien que ma vue est pour elle un supplice ; Et sans doute, il vaut mieux que je l'en affranchisse. Mais quel est ton dessein ? N'as-tu pas entendu comme elle m'a parlé ? Pourquoi m'en demander sur un sujet pareil ? À quoi bon ma main ? Mais ne faites donc point les choses avec peine, Et regardez un peu les Gens sans nulle haine. Ho çà, n'ai-je pas lieu de me plaindre de vous ? Et pour n'en point mentir, n'êtes-vous pas méchante, De vous plaire à me dire une chose affligeante ? Quelques efforts que nous préparions tous, Ma plus grande espérance, à vrai dire, est en vous. Que vous me comblez d'aise ! Et quoi que puisse oser... Enfin... Avec regret, Monsieur, je viens vous affliger ; Mais je m'y vois contraint par le pressant danger. Un Ami qui m'est joint d'une amitié fort tendre, Et qui sait l'intérêt qu'en vous j'ai lieu de prendre, A violé pour moi, par un pas délicat, Le secret que l'on doit aux affaires d'État, Et me vient d'envoyer un avis dont la suite Vous réduit au parti d'une soudaine fuite. Le Fourbe, qui longtemps a pu vous imposer, Depuis une heure, au Prince a su vous accuser, Et remettre en ses mains, dans les traits qu'il vous jette, D'un Criminel d'État, l'importante Cassette, Dont au mépris, dit-il, du devoir d'un Sujet, Vous avez conservé le coupable secret. J'ignore le détail du crime qu'on vous donne, Mais un Ordre est donné contre votre personne ; Et lui-même est chargé, pour mieux l'exécuter, D'accompagner celui qui vous doit arrêter. Le moindre amusement vous peut être fatal. J'ai, pour vous emmener, mon Carrosse à la Porte, Avec mille Louis qu'ici je vous apporte. Ne perdons point de temps, le trait est foudroyant, Et ce sont de ces coups que l'on pare en fuyant. À vous mettre en lieu sûr, je m'offre pour conduite, Et veux accompagner, jusqu'au bout, votre fuite. **** *creator_moliere *book_moliere_tartuffe *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_tartuffe *dist2_moliere_verse_comedy *id_cleante *date_1664 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_cleante Mais, Madame, après tout… Hé, voulez-vous, Madame, empêcher qu'on ne cause ? Ce serait dans la vie une fâcheuse chose, Si pour les sots discours où l'on peut être mis, Il fallait renoncer à ses meilleurs Amis : Et quand même on pourrait se résoudre à le faire, Croiriez-vous obliger tout le monde à se taire ? Contre la Médisance il n'est point de rempart ; À tous les sots caquets n'ayons donc nul égard ; Efforçons-nous de vivre avec toute innocence, Et laissons aux Causeurs une pleine licence. Je n'y veux point aller, De peur qu'elle ne vînt encor me quereller ; Que cette bonne Femme... Comme elle s'est pour rien contre nous échauffée ! Et que de son Tartuffe elle paraît coiffée ! Moi, je l'attends ici pour moins d'amusement, Et je vais lui donner le bonjour seulement. Je sortais, et j'ai joie à vous voir de retour : La Campagne, à présent, n'est pas beaucoup fleurie. À votre nez, mon Frère, elle se rit de vous ; Et sans avoir dessein de vous mettre en courroux, Je vous dirai tout franc, que c'est avec justice. A-t-on jamais parlé d'un semblable caprice ? Et se peut-il qu'un Homme ait un charme aujourd'hui À vous faire oublier toutes choses pour lui ? Qu'après avoir chez vous réparé sa misère, Vous en veniez au point… Je ne le connais pas, puisque vous le voulez : Mais enfin, pour savoir quel Homme ce peut être... Les sentiments humains, mon Frère, que voilà ! Parbleu, vous êtes fou, mon Frère, que je crois. Avec de tels discours vous moquez-vous de moi ? Et que prétendez-vous que tout ce badinage… Voilà de vos pareils le discours ordinaire. Ils veulent que chacun soit aveugle comme eux. C'est être libertin, que d'avoir de bons yeux ; Et qui n'adore pas de vaines simagrées, N'a ni respect, ni foi, pour les choses sacrées. Allez, tous vos discours ne me font point de peur ; Je sais comme je parle, et le Ciel voit mon cœur. De tous vos Façonniers on n'est point les Esclaves, Il est de faux Dévots, ainsi que de faux Braves : Et comme on ne voit pas qu'où l'honneur les conduit, Les vrais Braves soient ceux qui font beaucoup de bruit ; Les bons et vrais Dévots qu'on doit suivre à la trace, Ne sont pas ceux aussi qui font tant de grimace. Hé quoi ! vous ne ferez nulle distinction Entre l'Hypocrisie, et la Dévotion ? Vous les voulez traiter d'un semblable langage, Et rendre même honneur au masque qu'au visage ? Égaler l'artifice, à la sincérité ; Confondre l'apparence, avec la vérité ; Estimer le Fantôme, autant que la Personne ; Et la fausse monnaie, à l'égal de la bonne ? Les Hommes, la plupart, sont étrangement faits ! Dans la juste nature on ne les voit jamais. La raison a pour eux des bornes trop petites. En chaque caractère ils passent ses limites, Et la plus noble chose, ils la gâtent souvent, Pour la vouloir outrer, et pousser trop avant. Que cela vous soit dit en passant, mon Beau-frère. Je ne suis point, mon Frère, un Docteur révéré, Et le Savoir, chez moi, n'est pas tout retiré. Mais en un mot je sais, pour toute ma science, Du faux, avec le vrai, faire la différence : Et comme je ne vois nul genre de Héros Qui soient plus à priser que les parfaits Dévots ; Aucune chose au Monde, et plus noble, et plus belle, Que la sainte ferveur d'un véritable zèle ; Aussi ne vois-je rien qui soit plus odieux, Que le dehors plâtré d'un zèle spécieux ; Que ces francs Charlatans, que ces Dévots de Place, De qui la sacrilège et trompeuse grimace Abuse impunément, et se joue à leur gré, De ce qu'ont les Mortels de plus saint, et sacré. Ces Gens, qui par une âme à l'intérêt soumise, Font de Dévotion métier et marchandise, Et veulent acheter crédit, et dignités, À prix de faux clins d'yeux, et d'élans affectés. Ces Gens, dis-je, qu'on voit d'une ardeur non commune, Par le chemin du Ciel courir à leur fortune ; Qui brûlants, et priants, demandent chaque jour, Et prêchent la retraite au milieu de la Cour : Qui savent ajuster leur zèle avec leurs vices, Sont prompts, vindicatifs, sans foi, pleins d'artifices, Et pour perdre quelqu'un, couvrent insolemment, De l'intérêt du Ciel, leur fier ressentiment ; D'autant plus dangereux dans leur âpre colère, Qu'ils prennent contre nous des armes qu'on révère, Et que leur passion dont on leur sait bon gré, Veut nous assassiner avec un fer sacré. De ce faux caractère, on en voit trop paraître ; Mais les Dévots de cœur sont aisés à connaître. Notre Siècle, mon Frère, en expose à nos yeux, Qui peuvent nous servir d'exemples glorieux. Regardez Ariston, regardez Périandre, Oronte, Alcidamas, Polydore, Clitandre : Ce titre par aucun ne leur est débattu, Ce ne sont point du tout Fanfarons de vertu, On ne voit point en eux ce faste insupportable, Et leur Dévotion est humaine, est traitable. Ils ne censurent point toutes nos actions, Ils trouvent trop d'orgueil dans ces corrections, Et laissant la fierté des paroles aux autres, C'est par leurs actions, qu'ils reprennent les nôtres. L'apparence du mal a chez eux peu d'appui, Et leur âme est portée à juger bien d'autrui ; Point de cabale en eux, point d'intrigues à suivre ; On les voit pour tous soins, se mêler de bien vivre. Jamais contre un Pécheur ils n'ont d'acharnement. Ils attachent leur haine au Péché seulement, Et ne veulent point prendre, avec un zèle extrême, Les intérêts du Ciel, plus qu'il ne veut lui-même. Voilà mes Gens, voilà comme il en faut user, Voilà l'exemple enfin qu'il se faut proposer. Votre Homme, à dire vrai, n'est pas de ce modèle, C'est de fort bonne foi que vous vantez son zèle, Mais par un faux éclat je vous crois ébloui. Oui. De grâce, un mot, mon Frère, Laissons là ce discours. Vous savez que Valère, Pour être votre Gendre, a parole de vous. Vous aviez pris jour pour un lien si doux. Pourquoi donc en différer la fête ? Auriez-vous autre pensée en tête ? Vous voulez manquer à votre foi ? Nul obstacle, je crois, Ne vous peut empêcher d'accomplir vos promesses. Pour dire un mot, faut-il tant de finesses ? Valère, sur ce point, me fait vous visiter. Mais que lui reporter ? Mais il est nécessaire De savoir vos desseins. Quels sont-ils donc ? Mais parlons tout de bon. Valère a votre foi. La tiendrez-vous, ou non ? Pour son amour, je crains une disgrâce, Et je dois l'avertir de tout ce qui se passe. Oui, tout le monde en parle, et vous m'en pouvez croire. L'éclat que fait ce bruit, n'est point à votre gloire ; Et je vous ai trouvé, Monsieur, fort à propos, Pour vous en dire net ma pensée en deux mots. Je n'examine point à fond ce qu'on expose, Je passe là-dessus, et prends au pis la chose. Supposons que Damis n'en ait pas bien usé, Et que ce soit à tort qu'on vous ait accusé : N'est-il pas d'un Chrétien, de pardonner l'offense, Et d'éteindre en son cœur tout désir de vengeance ? Et devez-vous souffrir, pour votre démêlé, Que du Logis d'un Père, un Fils soit exilé ? Je vous le dis encore, et parle avec franchise ; Il n'est petit, ni grand, qui ne s'en scandalise ; Et si vous m'en croyez, vous pacifierez tout, Et ne pousserez point les affaires à bout. Sacrifiez à Dieu toute votre colère, Et remettez le Fils en grâce avec le père. Vous nous payez ici d'excuses colorées, Et toutes vos raisons, Monsieur, sont trop tirées. Des intérêts du Ciel, pourquoi vous chargez-vous ? Pour punir le coupable, a-t-il besoin de nous ? Laissez-lui, laissez-lui le soin de ses vengeances, Ne songez qu'au pardon qu'il prescrit des offenses ; Et ne regardez point aux jugements humains, Quand vous suivez du Ciel les ordres souverains. Quoi ! le faible intérêt de ce qu'on pourra croire, D'une bonne action, empêchera la gloire ? Non, non, faisons toujours ce que le Ciel prescrit, Et d'aucun autre soin ne nous brouillons l'esprit. Et vous ordonne-t-il, Monsieur, d'ouvrir l'oreille À ce qu'un pur caprice à son Père conseille ? Et d'accepter le don qui vous est fait d'un bien Où le droit vous oblige à ne prétendre rien. Hé, Monsieur, n'ayez point ces délicates craintes, Qui d'un juste héritier peuvent causer les plaintes. Souffrez, sans vous vouloir embarrasser de rien, Qu'il soit, à ses périls, possesseur de son bien ; Et songez qu'il vaut mieux encor qu'il en mésuse, Que si de l'en frustrer, il faut qu'on vous accuse. J'admire seulement que, sans confusion, Vous en ayez souffert la proposition : Car enfin, le vrai zèle a-t-il quelque maxime Qui montre à dépouiller l'héritier légitime ? Et s'il faut que le Ciel dans votre cœur ait mis Un invincible obstacle à vivre avec Damis, Ne vaudrait-il pas mieux, qu'en Personne discrète, Vous fissiez de céans une honnête retraite, Que de souffrir ainsi, contre toute raison, Qu'on en chasse, pour vous, le Fils de la Maison ? Croyez-moi, c'est donner de votre prud'homie, Monsieur… Ah ! Si par quelque conseil, vous souffrez qu'on réponde... Où voulez-vous courir ? Il me semble Que l'on doit commencer par consulter ensemble, Les choses qu'on peut faire en cet événement. Cette Cassette est donc un important mystère ? Pourquoi donc les avoir en d'autres mains lâchés ? Vous voilà mal, au moins si j'en crois l'apparence, Et la donation, et cette confidence, Sont, à vous en parler selon mon sentiment, Des démarches, par vous, faites légèrement. On peut vous mener loin avec de pareils gages, Et cet Homme, sur vous, ayant ces avantages, Le pousser est encor grande imprudence à vous, Et vous deviez chercher quelque biais plus doux. Hé bien, ne voilà pas de vos emportements ! Vous ne gardez en rien les doux tempéraments. Dans la droite raison, jamais n'entre la vôtre ; Et toujours, d'un excès, vous vous jetez dans l'autre. Vous voyez votre erreur, et vous avez connu, Que par un zèle feint vous étiez prévenu : Mais pour vous corriger, quelle raison demande Que vous alliez passer dans une erreur plus grande, Et qu'avecque le cœur d'un perfide Vaurien, Vous confondiez les cœurs de tous les Gens de bien ? Quoi ! parce qu'un fripon vous dupe avec audace, Sous le pompeux éclat d'une austère grimace, Vous voulez que partout on soit fait comme lui, Et qu'aucun vrai Dévot ne se trouve aujourd'hui ? Laissez aux Libertins ces sottes conséquences, Démêlez la Vertu d'avec ses apparences, Ne hasardez jamais votre estime trop tôt, Et soyez, pour cela, dans le milieu qu'il faut. Gardez-vous, s'il se peut, d'honorer l'Imposture : Mais au vrai zèle aussi n'allez pas faire injure ; Et s'il vous faut tomber dans une extrémité, Péchez plutôt encor de cet autre côté. Voilà, tout justement, parler en vrai jeune Homme. Modérez, s'il vous plaît, ces transports éclatants ; Nous vivons sous un règne, et sommes dans un temps, Où, par la violence, on fait mal ses affaires. Nous perdons des moments, en bagatelles pures, Qu'il faudrait employer à prendre des mesures. Aux menaces du Fourbe, on doit ne dormir point. Ne vous y fiez pas, il aura des ressorts, Pour donner, contre vous, raison à ses efforts ; Et sur moins que cela, le poids d'une Cabale Embarrasse les Gens dans un fâcheux Dédale. Je vous le dis encore, armé de ce qu'il a, Vous ne deviez jamais le pousser jusque-là. Je voudrais de bon cœur, qu'on pût entre vous deux, De quelque ombre de paix, raccommoder les nœuds. Il vous faut voir Ce que c'est que cet Homme, et ce qu'il peut vouloir. Votre ressentiment ne doit point éclater, Et s'il parle d'accord, il le faut écouter. Laissez, ne gâtons rien. Finissons tout cela, Monsieur, c'en est assez ; Donnez tôt ce papier, de grâce, et nous laissez. Allons voir quel conseil on doit vous faire élire. Voilà ses droits armés, et c'est par où le Traître, De vos biens qu'il prétend, cherche à se rendre maître. Allez tôt ; Nous songerons, mon Frère, à faire ce qu'il faut. La modération est grande, je l'avoue. Mais s'il est si parfait que vous le déclarez, Ce zèle qui vous pousse, et dont vous vous parez ; D'où vient que pour paraître, il s'avise d'attendre, Qu'à poursuivre sa Femme, il ait su vous surprendre ? Et que vous ne songez à l'aller dénoncer, Que lorsque son honneur l'oblige à vous chasser ? Je ne vous parle point, pour devoir en distraire, Du don de tout son bien qu'il venait de vous faire : Mais le voulant traiter en coupable aujourd'hui, Pourquoi consentiez-vous à rien prendre de lui ? Ah ! mon Frère, arrêtez, Et ne descendez point à des indignités. À son mauvais destin laissez un misérable, Et ne vous joignez point au remords qui l'accable. Souhaitez bien plutôt, que son cœur, en ce jour, Au sein de la Vertu fasse un heureux retour ; Qu'il corrige sa vie, en détestant son vice, Et puisse du grand Prince adoucir la justice ; Tandis qu'à sa bonté vous irez à genoux, Rendre ce que demande un traitement si doux. **** *creator_moliere *book_moliere_tartuffe *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_tartuffe *dist2_moliere_verse_comedy *id_tartuffe *date_1664 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_tartuffe Laurent, serrez ma Haire, avec ma Discipline, Et priez que toujours le Ciel vous illumine. Si l'on vient pour me voir, je vais aux Prisonniers, Des aumônes que j'ai, partager les deniers. Que voulez-vous ? Ah ! mon Dieu, je vous prie, Avant que de parler, prenez-moi ce mouchoir. Couvrez ce Sein, que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées. Mettez dans vos discours un peu de modestie, Ou je vais, sur-le-champ, vous quitter la partie. Hélas ! très volontiers. Viendra-t-elle bientôt ? Que le Ciel à jamais, par sa toute bonté, Et de l'âme, et du corps, vous donne la santé ; Et bénisse vos jours autant que le désire Le plus humble de ceux que son amour inspire. Comment, de votre mal, vous sentez-vous remise ? Mes prières n'ont pas le mérite qu'il faut Pour avoir attiré cette grâce d'En haut : Mais je n'ai fait au Ciel nulle dévote instance Qui n'ait eu pour objet votre convalescence. On ne peut trop chérir votre chère santé ; Et pour la rétablir, j'aurais donné la mienne. Je fais bien moins pour vous, que vous ne méritez. J'en suis ravi de même ; et sans doute il m'est doux, Madame, de me voir, seul à seul, avec vous. C'est une occasion qu'au Ciel j'ai demandée, Sans que, jusqu'à cette heure, il me l'ait accordée. Et je ne veux aussi, pour grâce singulière, Que montrer à vos yeux mon âme toute entière ; Et vous faire serment, que les bruits que j'ai faits, Des visites qu'ici reçoivent vos attraits, Ne sont pas, envers vous, l'effet d'aucune haine, Mais plutôt d'un transport de zèle qui m'entraîne, Et d'un pur mouvement… Oui, Madame, sans doute ; et ma ferveur est telle... C'est par excès de zèle. De vous faire aucun mal, je n'eus jamais dessein, Et j'aurais bien plutôt… Je tâte votre habit, l'étoffe en est moelleuse. Mon Dieu, que de ce Point l'ouvrage est merveilleux ! On travaille aujourd'hui, d'un air miraculeux ; Jamais, en toute chose, on n'a vu si bien faire. Il m'en a dit deux mots : mais, Madame, à vrai dire, Ce n'est pas le bonheur après quoi je soupire ; Et je vois autre part les merveilleux attraits De la félicité qui fait tous mes souhaits. Mon sein n'enferme pas un cœur qui soit de pierre. L'amour qui nous attache aux Beautés éternelles, N'étouffe pas en nous l'amour des temporelles. Nos sens facilement peuvent être charmés Des ouvrages parfaits que le Ciel a formés. Ses attraits réfléchis brillent dans vos pareilles : Mais il étale en vous ses plus rares merveilles. Il a sur votre face épanché des beautés, Dont les yeux sont surpris, et les cœurs transportés ; Et je n'ai pu vous voir, parfaite Créature, Sans admirer en vous l'Auteur de la Nature, Et d'une ardente amour sentir mon cœur atteint, Au plus beau des Portraits où lui-même il s'est peint. D'abord j'appréhendai que cette ardeur secrète Ne fût du noir Esprit une surprise adroite ; Et même à fuir vos yeux, mon cœur se résolut, Vous croyant un obstacle à faire mon salut. Mais enfin je connus, ô Beauté toute aimable, Que cette passion peut n'être point coupable ; Que je puis l'ajuster avecque la pudeur, Et c'est ce qui m'y fait abandonner mon cœur. Ce m'est, je le confesse, une audace bien grande, Que d'oser, de ce cœur, vous adresser l'offrande ; Mais j'attends, en mes vœux, tout de votre bonté, Et rien des vains efforts de mon infirmité. En vous est mon espoir, mon bien, ma quiétude : De vous dépend ma peine, ou ma béatitude ; Et je vais être enfin, par votre seul Arrêt, Heureux, si vous voulez ; malheureux, s'il vous plaît. Ah ! pour être Dévot, je n'en suis pas moins homme ; Et lorsqu'on vient à voir vos célestes appas, Un cœur se laisse prendre, et ne raisonne pas. Je sais qu'un tel discours de moi paraît étrange ; Mais, Madame, après tout, je ne suis pas un Ange ; Et si vous condamnez l'aveu que je vous fais, Vous devez vous en prendre à vos charmants attraits. Dès que j'en vis briller la splendeur plus qu'humaine, De mon intérieur vous fûtes souveraine. De vos regards divins, l'ineffable douceur, Força la résistance où s'obstinait mon cœur ; Elle surmonta tout, jeûnes, prières, larmes, Et tourna tous mes vœux du côté de vos charmes. Mes yeux, et mes soupirs, vous l'ont dit mille fois ; Et pour mieux m'expliquer, j'emploie ici la voix. Que si vous contemplez, d'une âme un peu bénigne, Les tribulations de votre Esclave indigne ; S'il faut que vos bontés veuillent me consoler, Et jusqu'à mon néant daignent se ravaler, J'aurai toujours pour vous, ô suave merveille, Une dévotion à nulle autre pareille. Votre honneur, avec moi, ne court point de hasard ; Et n'a nulle disgrâce à craindre de ma part. Tous ces Galants de Cour, dont les Femmes sont folles, Sont bruyants dans leurs faits, et vains dans leurs paroles. De leurs progrès sans cesse on les voit se targuer ; Ils n'ont point de faveurs, qu'ils n'aillent divulguer ; Et leur langue indiscrète, en qui l'on se confie, Déshonore l'Autel où leur cœur sacrifie : Mais les Gens comme nous, brûlent d'un feu discret, Avec qui pour toujours on est sûr du secret. Le soin que nous prenons de notre renommée, Répond de toute chose à la Personne aimée ; Et c'est en nous qu'on trouve, acceptant notre cœur, De l'amour sans scandale, et du plaisir sans peur. Je sais que vous avez trop de bénignité, Et que vous ferez grâce à ma témérité ; Que vous m'excuserez sur l'humaine faiblesse Des violents transports d'un amour qui vous blesse ; Et considérerez, en regardant votre air, Que l'on n'est pas aveugle, et qu'un Homme est de chair. Oui, mon Frère, je suis un méchant, un coupable, Un malheureux Pécheur, tout plein d'iniquité, Le plus grand scélérat qui jamais ait été. Chaque instant de ma vie est chargé de souillures, Elle n'est qu'un amas de crimes, et d'ordures ; Et je vois que le Ciel, pour ma punition, Me veut mortifier en cette occasion. De quelque grand forfait qu'on me puisse reprendre, Je n'ai garde d'avoir l'orgueil de m'en défendre. Croyez ce qu'on vous dit, armez votre courroux, Et comme un Criminel, chassez-moi de chez vous. Je ne saurais avoir tant de honte en partage, Que je n'en aie encor mérité davantage. Ah ! laissez-le parler, vous l'accusez à tort, Et vous ferez bien mieux de croire à son rapport. Pourquoi, sur un tel fait, m'être si favorable ? Savez-vous, après tout, de quoi je suis capable ? Vous fiez-vous, mon Frère, à mon extérieur ? Et pour tout ce qu'on voit, me croyez-vous meilleur ? Non, non, vous vous laissez tromper à l'apparence, Et je ne suis rien moins, hélas ! que ce qu'on pense. Tout le monde me prend pour un Homme de bien ; Mais la vérité pure, est, que je ne vaux rien. Oui, mon cher Fils, parlez, traitez-moi de perfide, D'infâme, de perdu, de voleur, d'homicide. Accablez-moi de noms encor plus détestés. Je n'y contredis point, je les ai mérités, Et j'en veux à genoux souffrir l'ignominie, Comme une honte due aux crimes de ma vie. Mon Frère, au nom de Dieu, ne vous emportez pas. J'aimerais mieux souffrir la peine la plus dure, Qu'il eût reçu pour moi la moindre égratignure. Laissez-le en paix. S'il faut à deux genoux Vous demander sa grâce… Ô Ciel ! pardonne-lui la douleur qu'il me donne. Si vous pouviez savoir avec quel déplaisir Je vois qu'envers mon Frère, on tâche à me noircir... Le seul penser de cette ingratitude Fait souffrir à mon âme un supplice si rude... L'horreur que j'en conçois… J'ai le cœur si serré, Que je ne puis parler, et crois que j'en mourrai. Rompons, rompons le cours de ces fâcheux débats. Je regarde céans quels grands troubles j'apporte, Et crois qu'il est besoin, mon Frère, que j'en sorte. On m'y hait, et je vois Qu'on cherche à vous donner des soupçons de ma foi. On ne manquera pas de poursuivre, sans doute ; Et ces mêmes rapports, qu'ici vous rejetez, Peut-être, une autre fois, seront-ils écoutés. Ah ! mon Frère, une Femme Aisément, d'un Mari, peut bien surprendre l'âme. Laissez-moi vite, en m'éloignant d'ici, Leur ôter tout sujet de m'attaquer ainsi. Hé bien, il faudra donc que je me mortifie. Pourtant, si vous vouliez… Soit, n'en parlons plus. Mais je sais comme il faut en user là-dessus. L'honneur est délicat, et l'amitié m'engage À prévenir les bruits, et les sujets d'ombrage. Je fuirai votre Épouse, et vous ne me verrez… La volonté du Ciel soit faite en toute chose. Hélas ! je le voudrais, quant à moi, de bon cœur ; Je ne garde pour lui, Monsieur, aucune aigreur, Je lui pardonne tout, de rien je ne le blâme, Et voudrais le servir du meilleur de mon âme : Mais l'intérêt du Ciel n'y saurait consentir ; Et s'il rentre céans, c'est à moi d'en sortir. Après son action qui n'eut jamais d'égale, Le commerce, entre nous, porterait du scandale : Dieu sait ce que d'abord tout le monde en croirait ; À pure politique, on me l'imputerait ; Et l'on dirait partout, que me sentant coupable, Je feins, pour qui m'accuse, un zèle charitable ; Que mon cœur l'appréhende, et veut le ménager, Pour le pouvoir, sous main, au silence engager. Je vous ai déjà dit que mon cœur lui pardonne, Et c'est faire, Monsieur, ce que le Ciel ordonne : Mais après le scandale, et l'affront d'aujourd'hui, Le Ciel n'ordonne pas que je vive avec lui. Ceux qui me connaîtront, n'auront pas la pensée Que ce soit un effet d'une âme intéressée. Tous les biens de ce monde ont pour moi peu d'appas, De leur éclat trompeur je ne m'éblouis pas ; Et si je me résous à recevoir du Père Cette donation qu'il a voulu me faire, Ce n'est à dire vrai, que parce que je crains Que tout ce bien ne tombe en de méchantes mains ; Qu'il ne trouve des Gens, qui l'ayant en partage, En fassent, dans le Monde, un criminel usage ; Et ne s'en servent pas, ainsi que j'ai dessein, Pour la gloire du Ciel, et le bien du Prochain. Il est, Monsieur, trois heures et demie ; Certain devoir pieux me demande là-haut, Et vous m'excuserez, de vous quitter sitôt. On m'a dit qu'en ce lieu vous me vouliez parler. Ce langage, à comprendre, est assez difficile, Madame, et vous parliez tantôt d'un autre style. C'est sans doute, Madame, une douceur extrême, Que d'entendre ces mots d'une bouche qu'on aime ; Leur miel, dans tous mes sens, fait couler à longs traits Une suavité qu'on ne goûta jamais. Le bonheur de vous plaire, est ma suprême étude, Et mon cœur, de vos vœux, fait sa béatitude ; Mais ce cœur vous demande ici la liberté, D'oser douter un peu de sa félicité. Je puis croire ces mots un artifice honnête, Pour m'obliger à rompre un hymen qui s'apprête ; Et s'il faut librement m'expliquer avec vous, Je ne me fierai point à des propos si doux, Qu'un peu de vos faveurs, après quoi je soupire, Ne vienne m'assurer tout ce qu'ils m'ont pu dire, Et planter dans mon âme une constante foi Des charmantes bontés que vous avez pour moi. Moins on mérite un bien, moins on l'ose espérer ; Nos vœux, sur des discours, ont peine à s'assurer ; On soupçonne aisément un sort tout plein de gloire, Et l'on veut en jouir, avant que de le croire. Pour moi, qui crois si peu mériter vos bontés, Je doute du bonheur de mes témérités ; Et je ne croirai rien, que vous n'ayez, Madame, Par des réalités, su convaincre ma flamme. Mais si d'un œil bénin vous voyez mes hommages, Pourquoi m'en refuser d'assurés témoignages ? Si ce n'est que le Ciel qu'à mes vœux on oppose, Lever un tel obstacle, est à moi peu de chose, Et cela ne doit pas retenir votre cœur. Je puis vous dissiper ces craintes ridicules, Madame, et je sais l'art de lever les scrupules. Le Ciel défend, de vrai, certains contentements ; Mais on trouve avec lui des accommodements. Selon divers besoins, il est une Science, D'étendre les liens de notre conscience, Et de rectifier le mal de l'action Avec la pureté de notre intention. De ces secrets, Madame, on saura vous instruire ; Vous n'avez seulement qu'à vous laisser conduire. Contentez mon désir, et n'ayez point d'effroi, Je vous réponds de tout, et prends le mal sur moi. Vous toussez fort, Madame. Vous plaît-il un morceau de ce jus de Réglisse ? Cela, certe, est fâcheux. Enfin votre scrupule est facile à détruire, Vous êtes assurée ici d'un plein secret, Et le mal n'est jamais que dans l'éclat qu'on fait. Le scandale du monde, est ce qui fait l'offense ; Et ce n'est pas pécher, que pécher en silence. Oui, Madame, on s'en charge, et la chose de soi… Qu'est-il besoin pour lui, du soin que vous prenez ? C'est un Homme, entre nous, à mener par le nez. De tous nos entretiens, il est pour faire gloire, Et je l'ai mis au point de voir tout, sans rien croire. Tout conspire, Madame, à mon contentement : J'ai visité, de l'œil, tout cet appartement, Personne ne s'y trouve, et mon âme ravie… Quoi ! vous croyez… Mon dessein… C'est à vous d'en sortir, vous qui parlez en Maître. La Maison m'appartient, je le ferai connaître, Et vous montrerai bien qu'en vain on a recours, Pour me chercher querelle, à ces lâches détours ; Qu'on n'est pas où l'on pense, en me faisant injure ; Que j'ai de quoi confondre, et punir l'imposture, Venger le Ciel qu'on blesse, et faire repentir Ceux qui parlent ici de me faire sortir. Tout beau, Monsieur, tout beau, ne courez point si vite, Vous n'irez pas fort loin, pour trouver votre gîte, Et de la part du Prince, on vous fait prisonnier. Vos injures n'ont rien à me pouvoir aigrir, Et je suis, pour le Ciel, appris à tout souffrir. Tous vos emportements ne sauraient m'émouvoir, Et je ne songe à rien, qu'à faire mon devoir. Un emploi ne saurait être que glorieux, Quand il part du pouvoir qui m'envoie en ces lieux. Oui, je sais quels secours j'en ai pu recevoir ; Mais l'intérêt du Prince est mon premier devoir ! De ce devoir sacré, la juste violence Étouffe dans mon cœur toute reconnaissance ; Et je sacrifierais à de si puissants nœuds, Ami, Femme, Parents, et moi-même avec eux. Délivrez-moi, Monsieur, de la criaillerie, Et daignez accomplir votre Ordre, je vous prie. Qui, moi, Monsieur ? Pourquoi donc la Prison ? **** *creator_moliere *book_moliere_tartuffe *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_tartuffe *dist2_moliere_verse_comedy *id_dorine *date_1664 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_dorine Si… S'il le faut écouter, et croire à ses Maximes, On ne peut faire rien, qu'on ne fasse des crimes, Car il contrôle tout, ce Critique zélé. Certes, c'est une chose aussi qui scandalise, De voir qu'un Inconnu céans s'impatronise ; Qu'un Gueux qui, quand il vint, n'avait pas de souliers, Et dont l'habit entier valait bien six deniers, En vienne jusque-là, que de se méconnaître, De contrarier tout, et de faire le Maître. Il passe pour un Saint dans votre fantaisie ; Tout son fait, croyez-moi, n'est rien qu'hypocrisie. À lui, non plus qu'à son Laurent, Je ne me fierais, moi, que sur un bon Garant. Oui ; mais pourquoi surtout, depuis un certain temps, Ne saurait-il souffrir qu'aucun hante céans ? En quoi blesse le Ciel une visite honnête, Pour en faire un vacarme à nous rompre la tête ? Veut-on que là-dessus je m'explique entre nous ? Je crois que de Madame il est, ma foi, jaloux. Daphné notre Voisine, et son petit Époux, Ne seraient-ils point ceux qui parlent mal de nous ? Ceux de qui la conduite offre le plus à rire, Sont toujours sur autrui les premiers à médire ; Ils ne manquent jamais de saisir promptement L'apparente lueur du moindre attachement, D'en semer la nouvelle avec beaucoup de joie, Et d'y donner le tour qu'ils veulent qu'on y croie. Des actions d'autrui, teintes de leurs couleurs, Ils pensent dans le Monde autoriser les leurs, Et sous le faux espoir de quelque ressemblance, Aux intrigues qu'ils ont, donner de l'innocence, Ou faire ailleurs tomber quelques traits partagés De ce blâme public dont ils sont trop chargés. L'exemple est admirable, et cette Dame est bonne : Il est vrai qu'elle vit en austère Personne ; Mais l'âge, dans son âme, a mis ce zèle ardent, Et l'on sait qu'elle est Prude, à son corps défendant, Tant qu'elle a pu des Cœurs attirer les hommages, Elle a fort bien joui de tous ses avantages : Mais voyant de ses yeux tous les brillants baisser, Au Monde, qui la quitte, elle veut renoncer ; Et du voile pompeux d'une haute sagesse, De ses attraits usés, déguiser la faiblesse. Ce sont là les retours des Coquettes du temps. Il leur est dur de voir déserter les Galants. Dans un tel abandon, leur sombre inquiétude Ne voit d'autre recours que le métier de Prude ; Et la sévérité de ces Femmes de bien, Censure toute chose, et ne pardonne à rien ; Hautement, d'un chacun, elles blâment la vie, Non point par charité, mais par un trait d'envie Qui ne saurait souffrir qu'une autre ait les plaisirs, Dont le penchant de l'âge a sevré leurs désirs. Ah ! certes, c'est dommage, Qu'elle ne vous ouît tenir un tel langage ; Elle vous dirait bien qu'elle vous trouve bon, Et qu'elle n'est point d'âge à lui donner ce nom. Oh vraiment, tout cela n'est rien au prix du Fils ; Et si vous l'aviez vu, vous diriez, c'est bien pis. Nos troubles l'avaient mis sur le pied d'Homme sage, Et pour servir son Prince, il montra du courage : Mais il est devenu comme un Homme hébété, Depuis que de Tartuffe on le voit entêté. Il l'appelle son Frère, et l'aime dans son âme Cent fois plus qu'il ne fait Mère, Fils, Fille, et Femme. C'est de tous ses secrets l'unique Confident, Et de ses actions le Directeur prudent. Il le choie, il l'embrasse ; et pour une Maîtresse, On ne saurait, je pense, avoir plus de tendresse. À table, au plus haut bout, il veut qu'il soit assis, Avec joie il l'y voit manger autant que six ; Les bons morceaux de tout, il fait qu'on les lui cède ; Et s'il vient à roter, il lui dit, Dieu vous aide. Enfin il en est fou ; c'est sont tout, son Héros ; Il l'admire à tous coups, le cite à tout propos ; Ses moindres actions lui semblent des miracles, Et tous les mots qu'il dit, sont pour lui des Oracles. Lui qui connaît sa dupe, et qui veut en jouir, Par cent dehors fardés, a l'art de l'éblouir ; Son Cagotisme en tire à toute heure des sommes, Et prend droit de gloser sur tous tant que nous sommes. Il n'est pas jusqu'au Fat, qui lui sert de Garçon, Qui ne se mêle aussi de nous faire leçon. Il vient nous sermonner avec des yeux farouches, Et jeter nos Rubans, notre Rouge, et nos Mouches. Le traître, l'autre jour, nous rompit de ses mains, Un Mouchoir qu'il trouva dans une Fleur des Saints ; Disant que nous mêlions, par un crime effroyable, Avec la Sainteté, les parures du Diable. Il entre. Madame eut, avant-hier, la fièvre jusqu'au soir, Avec un mal de tête étrange à concevoir. Tartuffe ? Il se porte à merveille, Gros, et gras, le teint frais, et la bouche vermeille. Le soir elle eut un grand dégoût, Et ne put au Souper toucher à rien du tout, Tant sa douleur de tête était encor cruelle. Il soupa, lui tout seul, devant elle, Et fort dévotement il mangea deux Perdrix, Avec une moitié de Gigot en hachis. La nuit se passa toute entière, Sans qu'elle pût fermer un moment la paupière ; Des chaleurs l'empêchaient de pouvoir sommeiller, Et jusqu'au jour, près d'elle, il nous fallut veiller. Pressé d'un sommeil agréable, Il passa dans sa Chambre, au sortir de la Table ; Et dans son Lit bien chaud, il se mit tout soudain, Où sans trouble il dormit jusques au lendemain. À la fin, par nos raisons gagnée, Elle se résolut à souffrir la saignée, Et le soulagement suivit tout aussitôt. Il reprit courage comme il faut ; Et contre tous les maux fortifiant son âme, Pour réparer le sang qu'avait perdu Madame, But à son déjeuner, quatre grands coups de Vin. Tous deux se portent bien enfin ; Et je vais à Madame annoncer par avance, La part que vous prenez à sa convalescence. Vraiment, je ne sais pas si c'est un bruit qui part De quelque conjecture, ou d'un coup de hasard ; Mais de ce mariage on m'a dit la nouvelle, Et j'ai traité cela de pure bagatelle. À tel point, Que vous-même, Monsieur, je ne vous en crois point. Oui, oui, vous nous contez une plaisante Histoire. Chansons. Allez, ne croyez point à Monsieur votre Père, Il raille. Non, vous avez beau faire, On ne vous croira point. Hé bien on vous croit donc, et c'est tant pis pour vous. Quoi ! se peut-il, Monsieur, qu'avec l'air d'Homme sage, Et cette large barbe au milieu du visage, Vous soyez assez fou pour vouloir… Parlons sans nous fâcher, Monsieur, je vous supplie. Vous moquez-vous des Gens, d'avoir fait ce complot ? Votre Fille n'est point l'affaire d'un Bigot. Il a d'autres emplois auxquels il faut qu'il pense ; t puis, que vous apporte une telle alliance ? À quel sujet aller, avec tout votre bien, Choisir un Gendre gueux… Oui, c'est lui qui le dit ; et cette vanité, Monsieur, ne sied pas bien avec la Piété. Qui d'une sainte vie embrasse l'innocence, Ne doit point tant prôner son nom, et sa naissance ; Et l'humble procédé de la Dévotion, Souffre mal les éclats de cette ambition. À quoi bon cet orgueil… Mais ce discours vous blesse, Parlons de sa Personne, et laissons sa Noblesse. Ferez-vous possesseur, sans quelque peu d'ennui, D'une Fille comme elle, un Homme comme lui ? Et ne devez-vous pas songer aux bienséances, Et de cette union prévoir les conséquences ? Sachez que d'une Fille on risque la vertu, Lorsque dans son hymen son goût est combattu ; Que le dessein d'y vivre en honnête Personne, Dépend des qualités du Mari qu'on lui donne ; Et que ceux dont partout on montre au doigt le front, Font leurs Femmes souvent, ce qu'on voit qu'elles sont. Il est bien difficile enfin d'être fidèle À de certains Maris faits d'un certain modèle ; Et qui donne à sa Fille un Homme qu'elle hait, Est responsable au Ciel des fautes qu'elle fait. Songez à quels périls votre dessein vous livre. Vous n'en feriez que mieux, de suivre mes leçons. Voulez-vous qu'il y coure à vos heures précises, Comme ceux qui n'y vont que pour être aperçus ? Elle ? Elle n'en fera qu'un Sot, je vous assure. Je dis qu'il en a l'encolure, Et que son ascendant, Monsieur, l'emportera Sur toute la vertu que votre Fille aura. Je n'en parle, Monsieur, que pour votre intérêt. Si l'on ne vous aimait… Et je veux vous aimer, Monsieur, malgré vous-même. Votre honneur m'est cher, et je ne puis souffrir Qu'aux brocards d'un chacun vous alliez vous offrir. C'est une conscience, Que de vous laisser faire une telle alliance. Ah ! vous êtes Dévot, et vous vous emportez ? Soit. Mais ne disant mot, je n'en pense pas moins. J'enrage De ne pouvoir parler. Oui, c'est un beau museau. La voilà bien lotie. Si j'étais en sa place, un Homme assurément Ne m'épouserait pas de force, impunément ; Et je lui ferais voir bientôt, après la fête, Qu'une Femme a toujours une vengeance prête. De quoi vous plaignez-vous ? je ne vous parle pas. Je me parle à moi-même. Je n'ai rien à me dire. Il ne me plaît pas, moi. Quelque sotte, ma foi. Je me moquerais fort, de prendre un tel Époux. Avez-vous donc perdu, dites-moi, la parole ? Et faut-il qu'en ceci je fasse votre rôle ? Souffrir qu'on vous propose un projet insensé, Sans que du moindre mot vous l'ayez repoussé ! Ce qu'il faut pour parer une telle menace. Lui dire qu'un cœur n'aime point par autrui ; Que vous vous mariez pour vous, non pas pour lui ; Qu'étant celle pour qui se fait toute l'affaire, C'est à vous, non à lui, que le Mari doit plaire ; Et que si son Tartuffe est pour lui si charmant, Il le peut épouser, sans nul empêchement. Mais raisonnons. Valère a fait pour vous des pas ; L'aimez-vous, je vous prie, ou ne l'aimez-vous pas ? Que sais-je si le cœur a parlé par la bouche, Et si c'est tout de bon que cet Amant vous touche ? Enfin, vous l'aimez donc ? Et selon l'apparence, il vous aime de même ? Et tous deux brûlez également De vous voir mariés ensemble ? Sur cette autre union, quelle est donc votre attente ? Fort bien. C'est un recours où je ne songeais pas ; Vous n'avez qu'à mourir, pour sortir d'embarras, Le remède sans doute est merveilleux. J'enrage, Lorsque j'entends tenir ces sortes de langage. Je ne compatis point à qui dit des sornettes, Et dans l'occasion mollit comme vous faites. Mais l'amour dans un cœur veut de la fermeté. Mais quoi ! si votre Père est un Bourru fieffé, Qui s'est de son Tartuffe entièrement coiffé, Et manque à l'union qu'il avait arrêtée, La faute à votre Amant doit-elle être imputée ? Non, non, je ne veux rien. Je vois que vous voulez Être à Monsieur Tartuffe ; et j'aurais, quand j'y pense, Tort de vous détourner d'une telle alliance. Quelle raison aurais-je à combattre vos vœux ? Le Parti, de soi-même, est fort avantageux. Monsieur Tartuffe ! oh, oh, n'est-ce rien qu'on propose ? Certes, Monsieur Tartuffe, à bien prendre la chose, N'est pas un Homme, non, qui se mouche du pied, Et ce n'est pas peu d'heur, que d'être sa Moitié. Tout le monde déjà de gloire le couronne, Il est Noble chez lui, bien fait de sa Personne, Il a l'oreille rouge, et le teint bien fleuri ; Vous vivrez trop contente avec un tel Mari. Quelle allégresse aurez-vous dans votre âme, Quand d'un Époux si beau vous vous verrez la Femme ! Non, il faut qu'une Fille obéisse à son Père, Voulût-il lui donner un Singe pour Époux. Votre sort est fort beau, de quoi vous plaignez-vous ? Vous irez par le Coche en sa petite Ville, Qu'en Oncles, et Cousins, vous trouverez fertile ; Et vous vous plairez fort à les entretenir. D'abord chez le beau Monde on vous fera venir. Vous irez visiter, pour votre bienvenue, Madame la Baillive, et Madame l'Élue, Qui d'un Siège pliant vous feront honorer. Là, dans le Carnaval, vous pourrez espérer Le Bal, et la Grand'Bande, à savoir, deux Musettes, Et, parfois, Fagotin, et les Marionnettes. Si pourtant votre Époux… Je suis votre Servante. Il faut, pour vous punir, que cette affaire passe. Non. Point, Tartuffe est votre Homme, et vous en tâterez. Non ; vous serez, ma foi, Tartuffiée. Hé, là, là, revenez ; je quitte mon courroux. Il faut, nonobstant tout, avoir pitié de vous. Ne vous tourmentez point, on peut adroitement Empêcher… Mais voici Valère votre Amant. Voyons ce qui pourra de ceci réussir. Pour moi, je pense Que vous perdez l'esprit, par cette extravagance ; Et je vous ai laissé tout du long quereller, Pour voir où tout cela pourrait enfin aller. Holà, Seigneur Valère. Venez ici. Arrêtez. Ah. À l'autre. Où courez-vous ? Il faut revenir. Encor ? Diantre soit fait de vous, si je le veux. Cessez ce badinage, et venez çà tous deux. Vous bien remettre ensemble, et vous tirer d'affaire. Êtes-vous fou, d'avoir un pareil démêlé ? Êtes-vous folle, vous, de vous être emportée ? Sottise des deux parts. Elle n'a d'autre soin, Que de se conserver à vous, j'en suis témoin. Il n'aime que vous seule, et n'a point d'autre envie Que d'être votre Époux ; j'en réponds sur ma vie. Vous êtes fous tous deux. Çà, la main l'un, et l'autre. Allons, vous. Ah ! çà, la vôtre. Mon Dieu, vite, avancez. Vous vous aimez tous deux plus que vous ne pensez. À vous dire le vrai, les Amants sont bien fous ! Pour une autre saison, laissons tout ce débat, Et songeons à parer ce fâcheux Mariage. Nous en ferons agir de toutes les façons. Votre père se moque, et ce sont des chansons. Mais, pour vous, il vaut mieux qu'à son extravagance, D'un doux consentement vous prêtiez l'apparence, Afin qu'en cas d'alarme, il vous soit plus aisé De tirer en longueur cet hymen proposé. En attrapant du temps, à tout on remédie. Tantôt vous payerez de quelque maladie, Qui viendra tout à coup, et voudra des délais. Tantôt vous payerez de présages mauvais ; Vous aurez fait d'un Mort la rencontre fâcheuse, Cassé quelque Miroir, ou songé d'eau bourbeuse. Enfin le bon de tout, c'est qu'à d'autres qu'à lui, On ne vous peut lier, que vous ne disiez oui. Mais pour mieux réussir, il est bon, ce me semble, Qu'on ne vous trouve point tous deux parlant ensemble. Sortez, et sans tarder, employez vos Amis Pour vous faire tenir ce qu'on vous a promis. Nous allons réveiller les efforts de son Frère, Et dans notre Parti jeter la Belle-Mère. Adieu. Ah ! jamais les Amants ne sont las de jaser. Sortez, vous dis-je. Quel caquet est le vôtre ! Tirez de cette part ; et vous, tirez de l'autre. De grâce, modérez un tel emportement, Votre père n'a fait qu'en parler simplement : On n'exécute pas tout ce qui se propose ; Et le chemin est long, du projet à la chose. Ha, tout doux ; envers lui, comme envers votre Père, Laissez agir les soins de votre Belle-Mère. Sur l'esprit de Tartuffe, elle a quelque crédit ; Il se rend complaisant à tout ce qu'elle dit, Et pourrait bien avoir douceur de cœur pour elle. Plût à Dieu qu'il fût vrai ! la chose serait belle. Enfin votre intérêt l'oblige à le mander ; Sur l'hymen qui vous trouble, elle veut le sonder, Savoir ses sentiments, et lui faire connaître Quels fâcheux démêlés il pourra faire naître ; S'il faut qu'à ce dessein il prête quelque espoir. Son Valet dit qu'il prie, et je n'ai pu le voir : Mais ce Valet m'a dit qu'il s'en allait descendre. Sortez donc, je vous prie, et me laissez l'attendre. Point, il faut qu'ils soient seuls. Vous vous moquez ; on sait vos transports ordinaires, Et c'est le vrai moyen de gâter les affaires. Sortez. Que vous êtes fâcheux ! Il vient, retirez-vous. Que d'affectation, et de forfanterie ! Vous dire... Comment ? Vous êtes donc bien tendre à la tentation ; Et la Chair, sur vos sens, fait grande impression ? Certes, je ne sais pas quelle chaleur vous monte : Mais à convoiter, moi, je ne suis point si prompte ; Et je vous verrais nu du haut jusques en bas, Que toute votre peau ne me tenterait pas. Non, non, c'est moi qui vais vous laisser en repos, Et je n'ai seulement qu'à vous dire deux mots. Madame va venir dans cette Salle basse, Et d'un mot d'entretien vous demande la grâce. Comme il se radoucit ! Ma foi, je suis toujours pour ce que j'en ai dit. Je l'entends, ce me semble. Oui, c'est elle en personne, et je vous laisse ensemble. De grâce, avec nous, employez-vous pour elle, Monsieur, son âme souffre une douleur mortelle ; Et l'accord que son Père a conclu pour ce soir, La fait, à tous moments, entrer en désespoir. Il va venir ; joignons nos efforts, je vous prie, Et tâchons d'ébranler de force, ou d'industrie, Ce malheureux dessein qui nous a tous troublés. Mais quoi... Son esprit est rusé, Et peut-être, à surprendre, il sera malaisé. Le pauvre Homme ! Juste retour, Monsieur, des choses d'ici-bas. Vous ne vouliez point croire, et l'on ne vous croit pas. Il est en compagnie, Et je doute qu'il puisse, à présent, voir quelqu'un. Votre nom ? C'est un Homme qui vient, avec douce manière, De la part de Monsieur Tartuffe, pour affaire, Dont vous serez, dit-il, bien aise. Ce Monsieur Loyal porte un air bien déloyal ! Avec un si bon dos, ma foi, Monsieur Loyal, Quelques coups de bâton ne vous siéraient pas mal. Vous vous plaignez à tort, à tort vous le blâmez, Et ses pieux desseins, par là, sont confirmés. Dans l'amour du Prochain, sa vertu se consomme, Il sait que très souvent les biens corrompent l'Homme ; Et par charité pure, il veut vous enlever Tout ce qui vous peut faire obstacle à vous sauver. Comme il sait, de traîtresse manière, Se faire un beau manteau de tout ce qu'on révère ! Que le Ciel soit loué ! **** *creator_moliere *book_moliere_tartuffe *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_tartuffe *dist2_moliere_verse_comedy *id_loyal *date_1664 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_loyal Bonjour, ma chère Sœur. Faites, je vous supplie, Que je parle à Monsieur. Je ne suis pas pour être, en ces lieux, importun. Mon abord n'aura rien, je crois, qui lui déplaise, Et je viens pour un fait dont il sera bien aise. Dites-lui seulement que je viens De la part de Monsieur Tartuffe, pour son bien. Salut, Monsieur. Le Ciel perde qui vous veut nuire, Et vous soit favorable autant que je désire. Toute votre Maison m'a toujours été chère, Et j'étais serviteur de Monsieur votre Père. Je m'appelle Loyal, natif de Normandie, Et suis Huissier à Verge, en dépit de l'Envie. J'ai depuis quarante ans, grâce au Ciel, le bonheur D'en exercer la Charge avec beaucoup d'honneur ; Et je vous viens, Monsieur, avec votre licence, Signifier l'Exploit de certaine Ordonnance. Monsieur, sans passion, Ce n'est rien seulement qu'une Sommation, Un ordre de vider d'ici, vous, et les vôtres, Mettre vos meubles hors, et faire place à d'autres, Sans délai, ni remise, ainsi que besoin est... Oui, Monsieur, s'il vous plaît. La Maison à présent, comme savez de reste, Au bon Monsieur Tartuffe appartient sans conteste. De vos biens désormais il est Maître, et Seigneur, En vertu d'un Contrat duquel je suis Porteur. Il est en bonne forme, et l'on n'y peut rien dire. Monsieur, je ne dois point avoir affaire à vous ; C'est à Monsieur, il est, et raisonnable, et doux, Et d'un Homme de bien il sait trop bien l'office, Pour se vouloir du tout opposer à Justice. Oui, Monsieur, je sais que pour un million Vous ne voudriez pas faire rébellion ; Et que vous souffrirez en honnête Personne, Que j'exécute ici les ordres qu'on me donne. Faites que votre Fils se taise, ou se retire, Monsieur ; j'aurais regret d'être obligé d'écrire, Et de vous voir couché dans mon Procès-verbal. Pour tous les Gens de bien, j'ai de grandes tendresses, Et ne me suis voulu, Monsieur, charger des Pièces, Que pour vous obliger, et vous faire plaisir ; Que pour ôter, par là, le moyen d'en choisir, Qui n'ayant pas pour vous le zèle qui me pousse, Auraient pu procéder d'une façon moins douce. On vous donne du temps, Et jusques à demain, je ferai surséance À l'exécution, Monsieur, de l'Ordonnance. Je viendrai seulement passer ici la nuit, Avec dix de mes Gens, sans scandale, et sans bruit. Pour la forme, il faudra, s'il vous plaît, qu'on m'apporte, Avant que se coucher, les clefs de votre Porte. J'aurai soin de ne pas troubler votre repos, Et de ne rien souffrir qui ne soit à propos. Mais demain du matin, il vous faut être habile À vider de céans jusqu'au moindre ustensile. Mes Gens vous aideront ; et je les ai pris forts, Pour vous faire service à tout mettre dehors. On n'en peut pas user mieux que je fais, je pense ; Et comme je vous traite avec grande indulgence, Je vous conjure aussi, Monsieur, d'en user bien, Et qu'au dû de ma Charge on ne me trouble en rien. On pourrait bien punir ces paroles infâmes, Mamie, et l'on décrète aussi contre les Femmes. Jusqu'au revoir. Le Ciel vous tienne tous en joie. **** *creator_moliere *book_moliere_tartuffe *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_tartuffe *dist2_moliere_verse_comedy *id_exempt *date_1664 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_exempt Oui, c'est trop demeurer, sans doute, à l'accomplir. Votre bouche à propos m'invite à le remplir ; Et pour l'exécuter, suivez-moi tout à l'heure Dans la Prison qu'on doit vous donner pour demeure. Oui, vous. Ce n'est pas vous à qui j'en veux rendre raison. Remettez-vous, Monsieur, d'une alarme si chaude. Nous vivons sous un Prince ennemi de la fraude, Un Prince dont les yeux se font jour dans les cœurs, Et que ne peut tromper tout l'art des Imposteurs. D'un fin discernement, sa grande âme pourvue, Sur les choses toujours jette une droite vue, Chez elle jamais rien ne surprend trop d'accès, Et sa ferme raison ne tombe en nul excès. Il donne aux Gens de bien une gloire immortelle, Mais sans aveuglement il fait briller ce zèle, Et l'amour pour les vrais, ne ferme point son cœur À tout ce que les faux doivent donner d'horreur. Celui-ci n'était pas pour le pouvoir surprendre, Et de pièges plus fins on le voit se défendre. D'abord il a percé, par ses vives clartés, Des replis de son cœur, toutes les lâchetés. Venant vous accuser, il s'est trahi lui-même, Et par un juste trait de l'équité suprême, S'est découvert au Prince un Fourbe renommé, Dont sous un autre nom il était informé ; Et c'est un long détail d'actions toutes noires, Dont on pourrait former des Volumes d'Histoires. Ce Monarque, en un mot, a vers vous détesté Sa lâche ingratitude, et sa déloyauté ; À ses autres horreurs, il a joint cette suite, Et ne m'a, jusqu'ici, soumis à sa conduite, Que pour voir l'impudence aller jusques au bout, Et vous faire, par lui, faire raison de tout. Oui, de tous vos papiers, dont il se dit le maître, Il veut qu'entre vos mains, je dépouille le Traître. D'un souverain pouvoir il brise les liens Du Contrat qui lui fait un don de tous vos biens, Et vous pardonne enfin cette offense secrète Où vous a, d'un Ami, fait tomber la retraite ; Et c'est le prix qu'il donne au zèle qu'autrefois On vous vit témoigner, en appuyant ses droits ; Pour montrer que son cœur sait, quand moins on y pense, D'une bonne action verser la récompense ; Que jamais le mérite, avec lui, ne perd rien, Et que mieux que du mal, il se souvient du bien.