**** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_eraste *date_1656 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_eraste Veux-tu que je te dise ? une atteinte secrète Ne laisse point mon âme en une bonne assiette : Oui, quoi qu'à mon amour tu puisses repartir, Il craint d'être la dupe, à ne te point mentir : Qu'en faveur d'un rival ta foi ne se corrompe, Ou du moins, qu'avec moi, toi-même on ne te trompe. Souvent d'un faux espoir un amant est nourri ; Le mieux reçu toujours n'est pas le plus chéri ; Et tout ce que d'ardeur font paraître les femmes Parfois n'est qu'un beau voile à couvrir d'autres flammes. Valère enfin, pour être un amant rebuté, Montre depuis un peu trop de tranquillité ; Et ce qu'à ces faveurs, dont tu crois l'apparence, Il témoigne de joie ou bien d'indifférence M'empoisonne à tous coups leurs plus charmants appas, Me donne ce chagrin que tu ne comprends pas ; Tient mon bonheur en doute, et me rend difficile Une entière croyance aux propos de Lucile. Je voudrais, pour trouver un tel destin plus doux, Y voir entrer un peu de son transport jaloux, Et sur ses déplaisirs et son impatience Mon âme prendrait lors une pleine assurance. Toi-même, penses-tu, qu'on puisse, comme il fait, Voir chérir un rival d'un esprit satisfait ? Et, si tu n'en crois rien, dis-moi, je t'en conjure, Si j'ai lieu de rêver dessus cette aventure. Lorsque par les rebuts une âme est détachée, Elle veut fuir l'objet dont elle fut touchée, Et ne rompt point sa chaîne avec si peu d'éclat, Qu'elle puisse rester en un paisible état : De ce qu'on a chéri la fatale présence Ne nous laisse jamais dedans l'indifférence ; Et, si de cette vue on n'accroît son dédain, Notre amour est bien près de nous rentrer au sein. Enfin, crois-moi, si bien qu'on éteigne une flamme, Un peu de jalousie occupe encore une âme, Et l'on ne saurait voir, sans en être piqué, Posséder par un autre un cœur qu'on a manqué. Voilà de tes discours. Comment ? Quoi ? Apprends-moi donc de grâce, Qui te fait me chercher. Ha ! chère Marinette, Ton discours de ton cœur est-il bien l'interprète ? Ne me déguise point un mystère fatal, Je ne t'en voudrai pas pour cela plus de mal : Au nom des Dieux, dis-moi si ta belle maîtresse N'abuse point mes vœux d'une fausse tendresse. Eh bien, n'en parlons plus, que venais-tu m'apprendre ? Vous m'avez dit que votre amour Était capable de tout faire, Il se couronnera lui-même dans ce jour, S'il peut avoir l'aveu d'un père. Faites parler les droits qu'on a dessus mon cœur ; Je vous en donne la licence : Et, si c'est en votre faveur, Je vous réponds de mon obéissance. Ah ! quel bonheur ! Ô toi, qui me l'as apporté Je te dois regarder comme une Déité. Faites parler les droits qu'on a dessus mon cœur ; Je vous en donne la licence : Et, si c'est en votre faveur, Je vous réponds de mon obéissance. Ha, cache-lui, de grâce, une peur passagère Où mon âme a cru voir quelque peu de lumière ; Ou, si tu la lui dis, ajoute que ma mort Est prête d'expier l'erreur de ce transport ; Que je vais à ses pieds, si j'ai pu lui déplaire, Sacrifier ma vie à sa juste colère. Au reste, je te dois beaucoup, et je prétends Reconnaître dans peu de la bonne manière Les soins d'une si noble et si belle courrière. Hé bien ? Où donc ? Ha, j'entends. Il est vrai, j'ai tardé trop longtemps À m'acquitter vers toi d'une telle promesse : Mais… Celle-ci peut-être aura de quoi Te plaire. Accepte-la pour celle que je dois. Quand puis-je rendre grâce à cet ange adorable ? Mais, s'il me rebutait, dois-je… Adieu, nous en saurons le succès dans ce jour. Valère vient à nous. Hé bien ? Seigneur Valère. En quel état l'amour ? Plus forts de jour en jour. Pour Lucile ? Certes, je l'avouerai, vous êtes le modèle D'une rare constance. Pour moi, je suis peu fait à cet amour austère, Qui dans les seuls regards trouve à se satisfaire, Et je ne forme point d'assez beaux sentiments, Pour souffrir constamment les mauvais traitements. Enfin, quand j'aime bien, j'aime fort que l'on m'aime. Lucile cependant… Vous êtes donc facile à contenter… Je puis croire pourtant, Sans trop de vanité, que je suis en sa grâce. Ne vous abusez point ; croyez-moi. Si j'osais vous montrer une preuve assurée Que son cœur… non ; votre âme en serait altérée. Vraiment, vous me poussez ; et contre mon envie Votre présomption veut que je l'humilie. Lisez. Vous connaissez la main ? Hé bien ? cet espoir si certain… Certes, il me surprend, et j'ignore, entre nous, Quel diable de mystère est caché là-dessous. Oui, je le vois paraître. Feignons, pour le jeter sur l'amour de son maître. La rigueur est extrême : Doucement, Mascarille. Vous nous fuyez bien vite ? Hé quoi ! vous fais-je peur ? Touche : nous n'avons plus sujet de jalousie ; Nous devenons amis, et mes feux que j'éteins Laissent la place libre à vos heureux desseins. Gros-René sait qu'ailleurs je me jette. J'ai su qu'en ses amours ton maître était trop bien ; Et je serais un fou de prétendre plus rien Aux étroites faveurs qu'il a de cette belle. Hé ! que dis-tu ? Vous en avez menti. Vous êtes un coquin. Et cette audace Mériterait cent coups de bâton sur la place. Ha ! Gros-René. Je démens un discours dont je n'ai que trop peur Tu penses fuir ? Quoi ! Lucile est la femme… Ha ! vous raillez ! infâme. Il est donc vrai ? Que dis-tu donc ? Assure, Ou si c'est chose vraie, ou si c'est imposture. Veux-tu dire ? voici, Sans marchander, de quoi te délier la langue. Tu mourras, ou je veux que la vérité pure S'exprime par ta bouche. Parle : mais prends bien garde à ce que tu vas faire ; À ma juste fureur rien ne te peut soustraire, Si tu mens d'un seul mot en ce que tu diras. Ce mariage est vrai ? Ôte-toi de mes yeux, maraud. Hé bien ! Las ! il ne l'est que trop, le bourreau détestable. Je vois trop d'apparence à tout ce qu'il a dit : Et ce qu'a fait Valère, en voyant cet écrit, Marque bien leur concert, et que c'est une baye Qui sert sans doute aux feux dont l'ingrate le paye. Oses-tu me parler, âme double, et traîtresse ? Va, sors de ma présence, et dis à ta maîtresse, Qu'avecque ses écrits elle me laisse en paix, Et que voilà l'état, infâme, que j'en fais. Encore rebuté ? L'ingrate ! recevoir avec tant de fierté Le prompt retour d'un cœur justement emporté ! Quoi ! le premier transport d'un amour qu'on abuse Sous tant de vraisemblance est indigne d'excuse ? Et ma plus vive ardeur en ce moment fatal Devait être insensible au bonheur d'un rival ? Tout autre n'eût pas fait même chose en ma place ? Et se fût moins laissé surprendre à tant d'audace ? De mes justes soupçons suis-je sorti trop tard ? Je n'ai point attendu de serments de sa part ; Et, lorsque tout le monde encor ne sait qu'en croire, Ce cœur impatient lui rend toute sa gloire, Il cherche à s'excuser, et le sien voit si peu Dans ce profond respect la grandeur de mon feu ? Loin d'assurer une âme, et lui fournir des armes, Contre ce qu'un rival lui veut donner d'alarmes, L'ingrate m'abandonne à mon jaloux transport, Et rejette de moi, message, écrit, abord ? Ha ! sans doute, un amour a peu de violence, Qu'est capable d'éteindre une si faible offense, Et ce dépit si prompt à s'armer de rigueur Découvre assez pour moi tout le fond de son cœur, Et de quel prix doit être à présent à mon âme Tout ce dont son caprice a pu flatter ma flamme. Non je ne prétends plus demeurer engagé Pour un cœur, où je vois le peu de part que j'ai ; Et, puisque l'on témoigne une froideur extrême À conserver les gens, je veux faire de même. Pour moi, sur toutes choses, un mépris me surprend ; Et, pour punir le sien par un autre aussi grand, Je veux mettre en mon cœur une nouvelle flamme. C'est fort bien raisonner. Ne te mets pas en peine. Non, non ; ne croyez pas, Madame, Que je revienne encor vous parler de ma flamme ; C'en est fait ; je me veux guérir, et connais bien Ce que de votre cœur a possédé le mien. Un courroux si constant pour l'ombre d'une offense M'a trop bien éclairé de votre indifférence, Et je dois vous montrer que les traits du mépris Sont sensibles surtout aux généreux esprits. Je l'avouerai, mes yeux observaient dans les vôtres Des charmes qu'ils n'ont point trouvés dans tous les autres, Et le ravissement où j'étais de mes fers Les aurait préférés à des sceptres offerts : Oui, mon amour pour vous, sans doute, était extrême, Je vivais tout en vous ; et, je l'avouerai même, Peut-être qu'après tout j'aurai, quoiqu'outragé, Assez de peine encore à m'en voir dégagé : Possible que, malgré la cure qu'elle essaie, Mon âme saignera longtemps de cette plaie, Et qu'affranchi d'un joug qui faisait tout mon bien, Il faudra se résoudre à n'aimer jamais rien. Mais, enfin, il n'importe ; et puisque votre haine Chasse un cœur tant de fois que l'amour vous ramène, C'est la dernière ici des importunités, Que vous aurez jamais de mes vœux rebutés. Hé bien, Madame, hé bien, ils seront satisfaits : Je romps avecque vous, et j'y romps pour jamais, Puisque vous le voulez ; que je perde la vie Lorsque de vous parler je reprendrai l'envie. Non, non, n'ayez pas peur Que je fausse parole ; eussé-je un faible cœur Jusques à n'en pouvoir effacer votre image, Croyez que vous n'aurez jamais cet avantage, De me voir revenir. Moi-même, de cent coups je percerais mon sein, Si j'avais jamais fait cette bassesse insigne, De vous revoir, après ce traitement indigne. Oui, oui ; n'en parlons plus : Et pour trancher ici tous propos superflus, Et vous donner, ingrate, une preuve certaine, Que je veux sans retour sortir de votre chaîne, Je ne veux rien garder, qui puisse retracer Ce que de mon esprit il me faut effacer. Voici votre portrait, il présente à la vue Cent charmes merveilleux dont vous êtes pourvue, Mais il cache sous eux cent défauts aussi grands, Et c'est un imposteur enfin que je vous rends. Il est à vous encor ce bracelet. Vous m'aimez d'une amour extrême, Éraste ; et de mon cœur voulez être éclairci : Si je n'aime Éraste de même, Au moins, aimé-je fort qu'Éraste m'aime ainsi. Voilà qui m'assurait à jamais de vos feux ? Et la main, et la lettre, ont menti toutes deux. Elle est de vous ? suffit : même fortune. Et, grâce au Ciel, c'est tout. Que sois-je exterminé, si je ne tiens parole. Adieu donc. Ha ! Lucile, Lucile, un cœur comme le mien Se fera regretter, et je le sais fort bien. Non, non, cherchez partout, vous n'en aurez jamais De si passionné pour vous, je vous promets. Je ne dis pas cela pour vous rendre attendrie ; J'aurais tort d'en former encore quelque envie, Mes plus ardents respects n'ont pu vous obliger, Vous avez voulu rompre ; il n'y faut plus songer : Mais personne après moi, quoi qu'on vous fasse entendre, N'aura jamais pour vous de passion si tendre. Quand on aime les gens, on peut de jalousie, Sur beaucoup d'apparence, avoir l'âme saisie : Mais alors qu'on les aime, on ne peut en effet Se résoudre à les perdre, et vous vous l'avez fait. On voit d'un œil plus doux une offense amoureuse. Non, Lucile, jamais vous ne m'avez aimé. Pourquoi ? Nous rompons ? Et vous voyez cela d'un esprit satisfait ? Comme moi ! Mais, cruelle, c'est vous qui l'avez bien voulu. Moi ! je vous ai cru là faire un plaisir extrême. Mais, si mon cœur encor revoulait sa prison ? Si, tout fâché qu'il est, il demandait pardon ?… Ha ! vous ne pouvez pas trop tôt me l'accorder, Ni moi sur cette peur trop tôt le demander ; Consentez-y, Madame, une flamme si belle, Doit pour votre intérêt demeurer immortelle. Je le demande enfin : me l'accorderez-vous, Ce pardon obligeant ? Je prenais intérêt tantôt à tout ceci ; Mais enfin, comme Ascagne a pris sur lui l'affaire, Je ne veux plus en prendre, et je le laisse faire. Il saura pour tous vous mettre à la raison. Mais, vous ne songez pas en tenant ce langage, Qu'il reste encore ici des sujets de carnage : Voilà bien à tous deux notre amour couronné, Mais de son Mascarille, et de mon Gros-René, Par qui doit Marinette être ici possédée ? Il faut que par le sang l'affaire soit vidée. **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_albert *date_1656 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_albert Rentrez, Lucile, et me faites venir Le précepteur, je veux un peu l'entretenir, Et m'informer de lui qui me gouverne Ascagne, S'il sait point quel ennui depuis peu l'accompagne. En quel gouffre de soins et de perplexité Nous jette une action faite sans équité ! D'un enfant supposé par mon trop d'avarice Mon cœur depuis longtemps souffre bien le supplice, Et, quand je vois les maux où je me suis plongé, Je voudrais à ce bien n'avoir jamais songé. Tantôt je crains de voir, par la fourbe éventée, Ma famille en opprobre et misère jetée ; Tantôt, pour ce fils-là, qu'il me faut conserver, Je crains cent accidents qui peuvent arriver. S'il advient que dehors quelque affaire m'appelle, J'appréhende au retour cette triste nouvelle, Las ! vous ne savez pas ? vous l'a-t-on annoncé ? Votre fils a la fièvre, ou jambe, ou bras cassé. Enfin, à tous moments, sur quoi que je m'arrête, Cent sortes de chagrins me roulent par la tête. Ha ! Maître, j'ai voulu… Je meure, Si je savais cela. Mais, soit ; à la bonne heure. Maître, donc… Je veux poursuivre aussi ; Mais ne poursuivez point, vous, d'interrompre ainsi. Donc, encore une fois, Maître c'est la troisième, Mon fils me rend chagrin ; vous savez que je l'aime, Et que soigneusement je l'ai toujours nourri. Maître, en discourant ensemble, Ce jargon n'est pas fort nécessaire, me semble ; Je vous crois grand Latin, et grand Docteur juré ; Je m'en rapporte à ceux qui m'en ont assuré : Mais, dans un entretien qu'avec vous je destine, N'allez point déployer toute votre doctrine, Faire le pédagogue, et cent mots me cracher, Comme si vous étiez en chaire pour prêcher. Mon père, quoiqu'il eût la tête des meilleures, Ne m'a jamais rien fait apprendre que mes heures, Qui, depuis cinquante ans dites journellement, Ne sont encor pour moi que du haut Allemand. Laissez donc en repos votre science auguste, Et que votre langage à mon faible s'ajuste. À mon fils, l'hymen semble lui faire peur, Et, sur quelque parti que je sonde son cœur, Pour un pareil lien il est froid, et recule. Mon Dieu, Maître éternel, laissez là, je vous prie, Les Grecs, les Albanais, avec l'Esclavonie Et tous ces autres gens dont vous venez parler ; Eux et mon fils n'ont rien ensemble à démêler. Je ne sais si dans l'âme, Il ne sentirait point une secrète flamme. Quelque chose le trouble, ou je suis fort déçu, Et je l'aperçus hier, sans en être aperçu, Dans un recoin du bois où nul ne se retire. Comment aurait-il pu l'avoir dit, ce Virgile ? Puisque je suis certain que dans ce lieu tranquille Âme du monde enfin n'était lors que nous deux. Et moi, je vous dis, moi, que je n'ai pas besoin De terme plus choisi, d'auteur ni de témoin, Et qu'il suffit ici de mon seul témoignage. Homme, ou démon, veux-tu m'entendre sans conteste ? La peste Soit du causeur ! Je serai le diable qui t'emporte, Chien d'homme. Ô ! que je suis tenté d'étrange sorte De faire sur ce mufle une application ! Je veux que l'on m'écoute, Vous ai-je dit vingt fois, quand je parle. Vous ferez sagement. Tant mieux. Dieu vous en fasse la grâce. Ainsi soit-il. J'y vais. C'est assez dit. Je le crois. Suffit. Fort bien. Le traître ! Donc, bourreau détestable… Ma patience est bien… Je n'ai pas dit… J'enrage. Parbleu, tu te tairas ! Qui frappe ? Ho ! ho ! qui te peut amener ? Mascarille. Ha ! vraiment, tu prends beaucoup de peine ! De tout mon cœur, bonjour. Encor ? Ne m'as-tu pas donné le bonjour ? Eh bien, bonjour, te dis-je. Ha ! c'est un autre fait. Ton maître t'a chargé De me saluer ? Je lui suis obligé ; Va, que je lui souhaite une joie infinie. Hé bien ! quand il voudra je suis à son service. Hé ! quelle est-elle encor l'affaire qui l'oblige À me vouloir parler ? Ô ! Juste Ciel, je tremble ! Car enfin nous avons peu de commerce ensemble. Quelque tempête va renverser mes desseins, Et ce secret sans doute est celui que je crains. L'espoir de l'intérêt m'a fait quelque infidèle, Et voilà sur ma vie une tache éternelle ; Ma fourbe est découverte. Ô ! que la vérité Se peut cacher longtemps avec difficulté ! Et qu'il eût mieux valu pour moi, pour mon estime, Suivre les mouvements d'une peur légitime, Par qui je me suis vu tenté plus de vingt fois, De rendre à Polydore un bien que je lui dois, De prévenir l'éclat où ce coup-ci m'expose, Et faire qu'en douceur passât toute la chose. Mais hélas ! c'en est fait, il n'est plus de saison, Et ce bien par la fraude entré dans ma maison N'en sera point tiré, que dans cette sortie Il n'entraîne du mien la meilleure partie. Dieu ! Polydore vient ! La crainte me retient. Quel sera mon langage ? Il change de visage. Hélas ! oui. J'en dois rougir de honte, et de confusion. Dieu fait miséricorde au pécheur misérable. Il faut être Chrétien. Grâce, au nom de Dieu, grâce, ô Seigneur Polydore. Afin de l'obtenir je me jette à genoux. Prenez quelque pitié de ma triste aventure. Vous me fendez le cœur avec cette bonté. Pardon, encore un coup. J'ai de cette action une douleur extrême. J'ose vous convier qu'elle n'éclate point. Conservons mon honneur. Quant au bien qu'il faudra, vous-même en résoudrez. Ha ! quel homme de Dieu ! quel excès de douceur ! Que puissiez-vous avoir toutes choses prospères. Embrassons-nous en frères. J'en rends grâces au Ciel. Heu ? que parlez-vous là de faute, et de Lucile ? Ô ! Dieu, quelle méprise ! et qu'est-ce qu'il m'apprend ! Je rentre ici d'un trouble en un autre aussi grand : Dans ces divers transports je ne sais que répondre, Et, si je dis un mot, j'ai peur de me confondre. À rien : Remettons, je vous prie, à tantôt l'entretien : Un mal subit me prend, qui veut que je vous laisse. Plus je reviens du trouble où j'ai donné d'abord, Plus je me sens piqué de ce discours étrange, Sur qui ma peur prenait un si dangereux change ; Car Lucile soutient que c'est une chanson, Et m'a parlé d'un air à m'ôter tout soupçon. Ha ! monsieur, est-ce vous, de qui l'audace insigne Met en jeu mon honneur, et fait ce conte indigne ? Comment gendre, coquin ? Tu portes bien la mine De pousser les ressorts d'une telle machine, Et d'en avoir été le premier inventeur. Trouves-tu beau, dis-moi, de diffamer ma fille ? Et faire un tel scandale à toute une famille ? Que voudrais-je, sinon qu'il dît des vérités ? Si quelque intention le pressait pour Lucile, La recherche en pouvait être honnête et civile, Il fallait l'attaquer du côté du devoir, Il fallait de son père implorer le pouvoir, Et non pas recourir à cette lâche feinte, Qui porte à la pudeur une sensible atteinte. Non, traître, et n'y sera jamais. Et, s'il est constant, toi, que cela ne soit pas, Veux-tu te voir casser les jambes et les bras ? Bon, voilà l'autre encor digne maître D'un semblable valet. Ô ! les menteurs hardis ! Ils s'entendent tous deux comme larrons en foire. Et si le démenti par elle vous en reste ? Il faut voir cette affaire. Holà, Lucile, un mot. Que veux-tu que je dise ? une telle aventure Me met tout hors de moi. Va, coquin, scélérat, sa main vient sur ta joue De faire une action dont son père la loue. Et nonobstant cela qu'on me coupe une oreille, Si tu portes fort loin une audace pareille. Veux-tu deux de mes gens qui te bâtonneront ? Leurs bras peuvent du mien réparer l'impuissance. Je te dis que j'aurai raison de tout ceci. Connais-tu bien Grimpant le bourreau de la ville ? Et la potence mise au milieu du marché ? Tu verras achever par eux ta destinée. Ce sont eux qui dans peu me vengeront de toi. Et ces yeux te verront faire la capriole. Et, pour signe, ton front nous le fait assez voir. Ô ! le fourbe damnable ! Va, rends grâce à mes ans qui me font incapables De punir sur-le-champ l'affront que tu me fais ; Tu n'en perds que l'attente, et je te le promets. Hé bien ? les combattants ? on amène le nôtre. Avez-vous disposé le courage du vôtre ? Il l'ignore : Mais il pourra dans peu le lui faire savoir. Et c'est là justement ce combat singulier, Qui devait envers nous réparer votre offense, Et pour qui les Édits n'ont point fait de défense. Cet habit, cher Valère, Souffre mal les discours que vous lui pourriez faire. Allons lui faire en prendre un autre ; et cependant Vous saurez le détail de tout cet incident. Allons, ce compliment se fera bien chez nous, Et nous aurons loisir de nous en faire tous. Pour la troisième fois, allons-nous-en chez nous Poursuivre en liberté des entretiens si doux. **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_gros-rene *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_grosrene Pour moi, me soupçonner de quelque mauvais tour, Je dirai, n'en déplaise à monsieur votre amour, Que c'est injustement blesser ma prud'homie Et se connaître mal en physionomie. Les gens de mon minois ne sont point accusés D'être, grâces à Dieu, ni fourbes, ni rusés : Cet honneur qu'on nous fait, je ne le démens guères, Et suis homme fort rond de toutes les manières. Pour que l'on me trompât, cela se pourrait bien ; Le doute est mieux fondé ; pourtant je n'en crois rien. Je ne vois point encore, ou je suis une bête, Sur quoi vous avez pu prendre martel en tête. Lucile, à mon avis, vous montre assez d'amour, Elle vous voit, vous parle, à toute heure du jour, Et Valère après tout qui cause votre crainte Semble n'être à présent souffert que par contrainte. Peut-être que son cœur a changé de désirs Connaissant qu'il poussait d'inutiles soupirs. Pour moi, je ne sais point tant de philosophie ; Ce que voyent mes yeux, franchement je m'y fie, Et ne suis point de moi si mortel ennemi, Que je m'aille affliger sans sujet ni demi, Pourquoi subtiliser, et faire le capable À chercher des raisons pour être misérable ? Sur des soupçons en l'air je m'irais alarmer ? Laissons venir la fête avant que la chômer. Le chagrin me paraît une incommode chose ; Je n'en prends point pour moi, sans bonne et juste cause ; Et même à mes yeux cent sujets d'en avoir S'offrent le plus souvent, que je ne veux pas voir. Avec vous en amour je cours même fortune ; Celle que vous aurez me doit être commune ; La maîtresse ne peut abuser votre foi, À moins que la suivante en fasse autant pour moi : Mais j'en fuis la pensée avec un soin extrême. Je veux croire les gens, quand on me dit je t'aime ; Et ne vais point chercher, pour m'estimer heureux, Si Mascarille ou non, s'arrache les cheveux. Que tantôt Marinette endure qu'à son aise Jodelet par plaisir la caresse et la baise, Et que ce beau rival en rie ainsi qu'un fou, À son exemple aussi j'en rirai tout mon soûl ; Et l'on verra qui rit avec meilleure grâce. Mais je la vois qui passe. Ssst, Marinette. Ma foi, Demande, nous étions tout à l'heure sur toi. Il fallait en jurer. À moins que Valère se pende, Bagatelle ; son cœur ne s'assurera point. Il est jaloux jusques en un tel point. Moi jaloux ? Dieu m'en garde, et d'être assez badin Pour m'aller emmaigrir avec un tel chagrin ; Outre que de ton cœur ta foi me cautionne, L'opinion que j'ai de moi-même est trop bonne Pour croire auprès de moi que quelque autre te plût, Où diantre pourrais-tu trouver qui me valût ? Je vous le disais bien contre votre croyance, Je ne me trompe guère aux choses que je pense. La Matoise ! Ho ! que non ! Pauvre honteuse, prends, sans davantage attendre. Refuser ce qu'on donne, est bon à faire aux fous. Un hymen qu'on souhaite Entre gens comme nous est chose bientôt faite. Je te veux. Me veux-tu de même ? Touche ; il suffit. Adieu, mon Astre. Adieu, chère comète, arc-en-Ciel de mon âme. Le bon Dieu soit loué, nos affaires vont bien ; Albert n'est pas un homme à vous refuser rien. Je plains le pauvre hère, Sachant ce qui se passe. Il est fou le bon Sire, Où vient-il donc, pour lui, de voir le mot pour rire ? Son valet vient, je pense. Bonjour. Où tend Mascarille à cette heure ? Que fait-il ? revient-il ? va-t-il ? ou s'il demeure ? Sans doute : et je te cède aussi la Marinette. Monsieur. Hé bien ! Monsieur : Nous en tenons tous deux, si l'autre est véritable. M'oses-tu bien encor parler ? femelle inique ? Crocodile trompeur, de qui le cœur félon Est pire qu'un Satrape ou bien qu'un Lestrigon ? Va, va rendre réponse à ta bonne maîtresse, Et lui dis bien et beau que, malgré sa souplesse, Nous ne sommes plus sots, ni mon maître, ni moi, Et désormais qu'elle aille au Diable avecque toi. Jamais Ambassadeur ne fut moins écouté : À peine ai-je voulu lui porter la nouvelle Du moment d'entretien que vous souhaitiez d'elle, Qu'elle m'a répondu, tenant son quant-à-moi, Va, va ; je fais état de lui, comme de toi : Dis-lui qu'il se promène ; et sur ce beau langage, Pour suivre son chemin m'a tourné le visage : Et Marinette aussi, d'un dédaigneux museau, Lâchant un Laisse-nous, beau valet de carreau, M'a planté là comme elle, et mon sort et le vôtre N'ont rien à se pouvoir reprocher 1'un à l'autre. Et moi de même aussi : soyons tous deux fâchés, Et mettons notre amour au rang des vieux péchés : Il faut apprendre à vivre à ce sexe volage, Et lui faire sentir que l'on a du courage. Qui souffre ses mépris les veut bien recevoir. Si nous avions l'esprit de nous faire valoir, Les femmes n'auraient pas la parole si haute. Ô ! qu'elles nous sont bien fières par notre faute ! Je veux être pendu, si nous ne les verrions Sauter à notre cou plus que nous ne voudrions, Sans tous ces vils devoirs, dont la plupart des hommes Les gâtent tous les jours dans le siècle où nous sommes. Et moi, je ne veux plus m'embarrasser de femme ; À toutes je renonce, et crois, en bonne foi, Que vous feriez fort bien de faire comme moi. Car, voyez-vous ? la femme est, comme on dit, mon maître, Un certain animal difficile à connaître, Et de qui la nature est fort encline au mal : Et comme un animal est toujours animal, Et ne sera jamais qu'animal, quand sa vie Durerait cent mille ans ; aussi, sans repartie, La femme est toujours femme, et jamais ne sera Que femme, tant qu'entier le monde durera. D'où vient qu'un certain Grec dit, que sa tête passe Pour un sable mouvant : car, goûtez bien, de grâce, Ce raisonnement-ci, lequel est des plus forts : Ainsi que la tête est comme le chef du corps, Et que le corps sans chef est pire qu'une bête ; Si le chef n'est pas bien d'accord avec la tête, Que tout ne soit pas bien réglé par le compas, Nous voyons arriver de certains embarras ; La partie brutale alors veut prendre empire Dessus la sensitive, et l'on voit que 1'un tire À dia, l'autre à hurhaut ; 1'un demande du mou, L'autre du dur ; enfin tout va sans savoir où : Pour montrer qu'ici-bas, ainsi qu'on l'interprète, La tête d'une femme est comme la girouette Au haut d'une maison, qui tourne au premier vent. C'est pourquoi le cousin Aristote souvent La compare à la mer ; d'où vient qu'on dit qu'au monde On ne peut rien trouver de si stable que l'onde. Or, par comparaison ; car la comparaison Nous fait distinctement comprendre une raison ; Et nous aimons bien mieux, nous autres gens d'étude, Une comparaison qu'une similitude. Par comparaison donc, mon maître, s'il vous plaît, Comme on voit que la mer, quand l'orage s'accroît, Vient à se courroucer, le vent souffle, et ravage, Les flots contre les flots font un remue-ménage Horrible, et le vaisseau, malgré le Nautonier, Va tantôt à la cave, et tantôt au grenier ; Ainsi, quand une femme a sa tête fantasque, On voit une tempête en forme de bourrasque, Qui veut compétiter par de certains… propos ; Et lors un… certain vent, qui par… de certains flots, De… certaine façon, ainsi qu'un banc de sable… Quand… les femmes enfin ne valent pas le diable. Assez bien, Dieu merci : Mais je les vois, Monsieur, qui passent par ici. Tenez-vous ferme au moins. J'ai bien peur que ses yeux resserrent votre chaîne. Bon. Poussez. N'ayez pas le dernier. Vous triomphez. Retirez-vous, après cet effort de courage. Que faut-il davantage ? Ha ! le faible courage ! J'en suis gonflé de rage : Ne t'imagine pas que je me rende ainsi. Viens, viens, frotter ton nez auprès de ma colère. Oui ? tu le prends par là ? Tiens, tiens, sans y chercher tant de façon, voilà Ton beau galant de neige, avec ta nonpareille : Il n'aura plus l'honneur d'être sur mon oreille. Tiens encor ton couteau ; la pièce est riche et rare : Il te coûta six blancs lorsque tu m'en fis don. J'oubliais d'avant-hier ton morceau de fromage ; Tiens : Je voudrais pouvoir rejeter le potage Que tu me fis manger, pour n'avoir rien à toi. Et des tiennes tu sais ce que j'en saurai faire ? Pour couper tout chemin à nous rapatrier, Il faut rompre la paille ; une paille rompue Rend, entre gens d'honneur, une affaire conclue, Ne fais point les doux yeux : je veux être fâché. Romps ; voilà le moyen de ne s'en plus dédire : Romps ; tu ris, bonne bête ! La peste soit ton ris ; voilà tout mon courroux Déjà dulcifié : Qu'en dis-tu ? romprons-nous ? Ou ne romprons-nous pas ? Vois toi. Est-ce que tu consens que jamais je ne t'aime ? Ce que tu voudras, toi. Dis… Ni moi non plus. Ma foi, nous ferons mieux de quitter la grimace ; Touche, je te pardonne. Mon Dieu ! qu'à tes appas je suis acoquiné ! Cela ne serait pas honnête. Écoute, quand l'hymen aura joint nos deux peaux, Je prétends qu'on soit sourde à tous les Damoiseaux. Bien entendu, je veux une femme sévère : Ou je ferai beau bruit. **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_valere *date_1656 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_valere Hé bien ? Seigneur Éraste. En quel état vos feux ? Et mon amour plus fort. Pour elle. Et votre fermeté Doit être un rare exemple à la postérité. Il est très naturel, et j'en suis bien de même : Le plus parfait objet dont je serais charmé N'aurait pas mes tributs, n'en étant point aimé. Lucile dans son âme Rend tout ce que je veux qu'elle rende à ma flamme. Pas tant Que vous pourriez penser. Moi, je sais que j'y tiens une assez bonne place. Croyez-moi, Ne laissez point duper vos yeux à trop de Foi. Si je vous osais, moi, découvrir en secret… Mais, je vous fâcherais, et veux être discret. Ces mots sont doux. Oui, de Lucile. Adieu, Seigneur Éraste. Si vous êtes tous deux en quelque conférence, Où je vous fasse tort de mêler ma présence, Je me retirerai. Moi ? Et comment ? Ces protestations ne coûtent pas grand-chose, Alors qu'à leur effet un pareil si s'oppose : Mais vous seriez bien pris, si quelque événement Allait mettre à l'épreuve un si doux compliment. Et si c'était quelqu'une, où par votre secours Vous puissiez être utile au bonheur de mes jours ? Cette confession n'est pas fort obligeante. Mais cela n'étant pas ? Ainsi donc il ne faut rien prétendre, Ascagne, à des bontés que vous auriez pour nous, À moins que le Ciel fasse un grand miracle en vous. Bref, si vous n'êtes fille, adieu votre tendresse ; Il ne vous reste rien qui pour nous s'intéresse ? Je n'avais jamais vu ce scrupule jaloux ; Mais tout nouveau qu'il est, ce mouvement m'oblige, Et je vous fais ici tout l'aveu qu'il exige. Oui, sans fard. J'ai bientôt à vous dire un important mystère, Où l'effet de ces mots me sera nécessaire. Hé ! de quelle façon cela pourrait-il être ? Expliquez-vous, Ascagne, et croyez par avance Que votre heur est certain, s'il est en ma puissance. Non, non ; dites l'objet pour qui vous m'employez. Votre discours m'étonne ; Plût à Dieu que ma sœur… Et pourquoi ? J'ai besoin pour cela de l'aveu de quelque autre. Adieu ; j'en suis content. Que fais-je tous les jours qui soit si criminel ? En quoi mériter tant le courroux paternel ? D'où peut venir ce coup ? mon âme embarrassée Ne voit que Mascarille ou jeter sa pensée : Il ne sera pas homme à m'en faire un aveu ; Il faut user d'adresse, et me contraindre un peu Dans ce juste courroux. Mascarille, mon père Que je viens de trouver sait toute notre affaire. Oui. Je ne sais point sur qui ma conjoncture asseoir ; Mais enfin d'un succès cette affaire est suivie Dont j'ai tous les sujets d'avoir l'âme ravie. Il ne m'en a pas dit un mot qui fût fâcheux ; Il excuse ma faute, il approuve mes feux, Et je voudrais savoir qui peut être capable D'avoir pu rendre ainsi son esprit si traitable. Je ne puis t'exprimer l'aise que j'en reçois. Bon, bon, tu voudrais bien ici m'en donner d'une. Mais, là, sans te railler ? Et qu'il m'entraîne, moi, si tout présentement Tu n'en vas recevoir le juste payement. C'est la fidélité que tu m'avais promise ? Sans ma feinte, jamais tu n'eusses avoué Le trait que j'ai bien cru que tu m'avais joué. Traître, de qui la langue à causer trop habile D'un père contre moi vient d'échauffer la bile, Qui me perds tout à fait, il faut sans discourir Que tu meures. Et si tous ces discours ne sont que des sornettes ? Nous verrons. Mais, Lucile… Monsieur, il est aisé de vous faire paraître Qu'il dit vrai. Quel serait notre but de vous en faire accroire ? Je crains… Pardon, charmant objet, un valet a parlé, Et j'ai vu malgré moi notre hymen révélé. On sait tout, adorable Lucile, Et vouloir déguiser est un soin inutile. C'est un bien qui me doit faire mille jaloux ; Mais j'impute bien moins ce bonheur de ma flamme, À l'ardeur de vos feux, qu'aux bontés de votre âme. Je sais que vous avez sujet de vous fâcher ; Que c'était un secret que vous vouliez cacher, Et j'ai de mes transports forcé la violence, À ne point violer votre expresse défense : Mais… C'en est fait son courroux ne peut être adouci. Hé bien ! ce beau succès que tu devais produire… Non, non ; ta fuite est superflue : Si tu meurs, je prétends que ce soit à ma vue. Suis-moi, traître, suis-moi ; mon amour en furie Te fera voir si c'est matière à raillerie. Je n'ai jamais trouvé de jour plus ennuyeux : Le soleil semble s'être oublié dans les Cieux ; Et jusqu'au lit qui doit recevoir sa lumière, Je vois rester encore une telle carrière, Que je crois que jamais il ne l'achèvera, Et que de sa lenteur mon âme enragera. Ne me fais point ici de contes superflus. Quand j'y devrais trouver cent embûches mortelles, Je sens de son courroux des gênes trop cruelles, Et je veux l'adoucir, ou terminer mon sort. C'est un point résolu. Fort bien. Et comment ? Ce mal te passera, prends du jus de réglisse. Oh ! qu'ils ne seront pas si méchants qu'ils le disent ! Et quelque belle ardeur que ses feux lui produisent, Éraste n'aura pas si bon marché de nous. Je vous suis obligé, Monsieur de la Rapière. C'est trop de complaisance. Monsieur de la Rapière, un homme de la sorte Doit être regretté, mais quant à votre escorte, Je vous rends grâce. Et moi, pour vous montrer combien je l'appréhende : Je lui veux, s'il me cherche, offrir ce qu'il demande : Et par toute la ville aller présentement, Sans être accompagné que de lui seulement. Que regardes-tu là ? Nous renfermer ! faquin ; Tu m'oses proposer un acte de coquin ! Sus, sans plus de discours, résous-toi de me suivre. Je m'en vais t'assommer de coups, si je t'entends. Ascagne vient ici ; laissons-le ; il faut attendre Quel parti de lui-même il résoudra de prendre. Cependant avec moi viens prendre à la maison Pour nous frotter. Chien de poltron ! Ce sentiment, mon père, Est d'un homme de cœur ; et je vous en révère. J'ai dû vous offenser, et je suis criminel D'avoir fait tout ceci sans l'aveu paternel ; Mais, à quelque dépit que ma faute vous porte, La nature toujours se montre la plus forte, Et votre honneur fait bien, quand il ne veut pas voir Que le transport d'Éraste ait de quoi m'émouvoir. Moi ! le fuir ! Dieu m'en garde. Et qui donc pourrait-ce être ? Ascagne ? Lui, qui de me servir m'avait donné sa foi ! Et Lucile, mon père, a d'un cœur endurci !… Ha ! c'est une impudence à me mettre en fureur : Elle a donc perdu sens, foi, conscience, honneur ? Oui, oui, me voilà prêt, puisqu'on m'y veut forcer ; Et, si j'ai pu trouver sujet de balancer, Un reste de respect en pouvait être cause, Et non pas la valeur du bras que l'on m'oppose. Mais c'est trop me pousser, ce respect est à bout ; À toute extrémité mon esprit se résout, Et l'on fait voir un trait de perfidie étrange, Dont il faut hautement que mon amour se venge. Non pas que cet amour prétende encore à vous ; Tout son feu se résout en ardeur de courroux, Et quand j'aurai rendu votre honte publique, Votre coupable hymen n'aura rien qui me pique. Allez, ce procédé, Lucile, est odieux : À peine en puis-je croire au rapport de mes yeux ; C'est de toute pudeur se montrer ennemie : Et vous devriez mourir d'une telle infamie. Il ne le fera pas, Quand il joindrait au sien encor vingt autres bras. Je le plains de défendre une sœur criminelle : Mais, puisque son erreur me veut faire querelle, Nous le satisferons, et vous, mon brave, aussi. C'est bien fait : la prudence est toujours de saison : Mais… Lui ? Sus donc que maintenant il me le fasse voir. Se moque-t-on de moi ? je casserai la tête À quelqu'un des rieurs. Enfin, voyons l'effet. Non, quand toute la terre après sa perfidie, Et les traits effrontés… Non, non ; je ne veux pas songer à m'en défendre ; Et, si cette aventure a lieu de me surprendre, La surprise me flatte, et je me sens saisir De merveille à la fois, d'amour, et de plaisir, Se peut-il que ces yeux ?… Vous, Lucile, pardon, si mon âme abusée… **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_lucile *date_1656 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_lucile C'en est fait ; c'est ainsi que je me puis venger : Et, si cette action a de quoi l'affliger, C'est toute la douceur que mon cœur s'y propose. Mon frère, vous voyez une métamorphose. Je veux chérir Valère après tant de fierté, Et mes vœux maintenant tournent de son côté. La vôtre me surprend avec plus de sujet : De vos soins autrefois Valère était l'objet ; Je vous ai vu pour lui m'accuser de caprice, D'aveugle cruauté, d'orgueil, et d'injustice, Et, quand je veux l'aimer, mon dessein vous déplaît, Et je vous vois parler contre son intérêt. Si ce n'est que cela, j'aurai soin de ma gloire ; Et je sais pour son cœur tout ce que j'en dois croire : Il s'explique à mes yeux intelligiblement. Ainsi, découvrez-lui, sans peur, mon sentiment : Ou, si vous refusez de le faire, ma bouche Lui va faire savoir que son ardeur me touche. Quoi ? mon frère, à ces mots vous restez interdit ! Mon frère, c'est assez ; Je ne sais point pour qui vous vous intéressez ; Mais, de grâce, cessons ce discours, je vous prie, Et me laissez un peu dans quelque rêverie. Un cœur ne pèse rien alors que l'on l'affronte ; Il court à sa vengeance, et saisit promptement Tout ce qu'il croit servir à son ressentiment. Le traître ! faire voir cette insolence extrême ! Rien ne s'est pu passer dont il faille être en peine, Puisque rien ne le doit défendre de ma haine. Quoi ! tu voudrais chercher hors de sa lâcheté La secrète raison de cette indignité ! Cet écrit malheureux dont mon âme s'accuse Peut-il à son transport souffrir la moindre excuse ? Hé bien, bien ; qu'il s'en vante, et rie à nos dépens ; Il n'aura pas sujet d'en triompher longtemps ; Et je lui ferai voir qu'en une âme bien faite Le mépris suit de près la faveur qu'on rejette. Que tu dis de folies ! Et choisis mal ton temps pour de telles saillies ! Enfin je suis touchée au cœur sensiblement, Et, si jamais celui de ce perfide amant Par un coup de bonheur, dont j'aurais tort, je pense, De vouloir à présent concevoir l'espérance (Car le Ciel a trop pris plaisir à m'affliger, Pour me donner celui de me pouvoir venger), Quand, dis-je, par un sort à mes désirs propice, Il reviendrait m'offrir sa vie en sacrifice, Détester à mes pieds l'action d'aujourd'hui, Je te défends surtout de me parler pour lui. Au contraire, je veux que ton zèle s'exprime À me bien mettre aux yeux la grandeur de son crime, Et même, si mon cœur était pour lui tenté De descendre jamais à quelque lâcheté, Que ton affection me soit alors sévère, Et tienne comme il faut la main à ma colère. Que me vient donc conter ce coquin assuré ? Sachons un peu, Monsieur, quelle belle saillie Fait ce conte galant qu'aujourd'hui l'on publie. Notre hymen ? Quoi ! l'ardeur de mes feux vous a fait mon Époux ? Est-il une imposture égale à celle-là ? Vous l'osez soutenir en ma présence même, Et pensez m'obtenir par ce beau stratagème ? Ô ! le plaisant amant ! dont la galante ardeur Veut blesser mon honneur au défaut de mon cœur, Et que mon père ému de l'éclat d'un sot conte, Paie avec mon hymen qui me couvre de honte. Quand tout contribuerait à votre passion, Mon père, les destins, mon inclination, On me verrait combattre, en ma juste colère Mon inclination, les destins, et mon père ; Perdre même le jour avant que de m'unir À qui par ce moyen aurait cru m'obtenir. Allez ; et si mon sexe, avec bienséance, Se pouvait emporter à quelque violence, Je vous apprendrais bien à me traiter ainsi. Quoi ! vous pouvez ouïr ces discours effrontés ! Et vous ne dites mot à ces indignités ! Et quoi donc confesser ? Et que s'est-il passé, monstre d'effronterie, Entre ton maître et moi ? C'est trop souffrir, mon père, un impudent valet. Ne me soupçonne pas d'être faible à ce point. Vous pouvez faire aux miens la grâce tout entière, Monsieur, et m'épargner encor cette dernière. Tant mieux ; c'est m'obliger. Ce serait bien en vain. Soit ; n'en parlons donc plus. Et moi, pour vous suivre au dessein de tout rendre, Voilà le diamant que vous m'aviez fait prendre. Et cette agate à vous qu'on fit mettre en cachet. Vous m'assuriez par là d'agréer mon service ? C'est une fausseté digne de ce supplice. J'ignore le destin de mon amour ardente, Et jusqu'à quand je souffrirai : Mais je sais, ô beauté charmante, Que toujours je vous aimerai. J'aurais regret d'en épargner aucune. Enfin, voilà le reste. Me confonde le Ciel, si la mienne est frivole. Adieu donc. Éraste, Éraste, un cœur fait comme est fait le vôtre Se peut facilement réparer par un autre. Quand on aime les gens, on les traite autrement ; On fait de leur personne un meilleur jugement. La plus pure jalousie est plus respectueuse. Non votre cœur, Éraste, était mal enflammé. Eh ! je crois que cela faiblement vous soucie : Peut-être en serait-il beaucoup mieux pour ma vie, Si je… mais laissons là ces discours superflus : Je ne dis point quels sont mes pensers là-dessus. Par la raison que nous rompons ensemble, Et que cela n'est plus de saison ce me semble. Oui vraiment ? quoi ? n'en est-ce pas fait ? Comme vous. Sans doute c'est faiblesse, De faire voir aux gens que leur perte nous blesse. Moi ! point du tout ; c'est vous qui l'avez résolu. Point, vous avez voulu vous contenter vous-même. Non, non, n'en faites rien, ma faiblesse est trop grande, J'aurais peur d'accorder trop tôt votre demande. Remenez-moi chez nous. Un semblable discours me pourrait affliger, Si je n'avais en main qui m'en saura venger. Voici venir Ascagne, il aura l'avantage De vous faire changer bien vite de langage, Et sans beaucoup d'effort. L'oubli de cette injure est une chose aisée. **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_marinette *date_1656 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_marinette Oh, oh. Que fais-tu là ? Vous êtes aussi là ! Monsieur, depuis une heure Vous m'avez fait trotter comme un Basque, je meure. Pour vous chercher j'ai fait dix mille pas, Et vous promets, ma foi… Que vous n'êtes pas Au temple, au cours, chez vous, ni dans la grande place. Quelqu'un, en vérité, Qui pour vous n'a pas trop mauvaise volonté. Ma maîtresse en un mot. Hé, hé, d'où vous vient donc ce plaisant mouvement ? Elle ne fait pas voir assez son sentiment ? Quel garant est-ce encor que votre amour demande ? Que lui faut-il ? Comment ? De Valère ? Ha ! vraiment la pensée est bien belle ! Elle peut seulement naître en votre cervelle ! Je vous croyais du sens, et jusqu'à ce moment ; J'avais de votre esprit quelque bon sentiment, Mais, à ce que je vois, je m'étais fort trompée. Ta tête de ce mal est-elle aussi frappée ? En effet, tu dis bien, voilà comme il faut être, Jamais de ces soupçons qu'un jaloux fait paraître ; Tout le fruit qu'on en cueille est de se mettre mal, Et d'avancer par là les desseins d'un rival : Au mérite souvent de qui l'éclat vous blesse, Vos chagrins font ouvrir les yeux d'une maîtresse ; Et j'en sais tel qui doit son destin le plus doux Aux soins trop inquiets de son rival jaloux. Enfin, quoi qu'il en soit, témoigner de l'ombrage C'est jouer en amour un mauvais personnage, Et se rendre après tout misérable à crédit : Cela, Seigneur Éraste, en passant vous soit dit. Vous mériteriez bien que l'on vous fît attendre : Qu'afin de vous punir je vous tinsse caché, Le grand secret pourquoi je vous ai tant cherché. Tenez, voyez ce mot, et sortez hors de doute. Lisez-le donc tout haut ; personne ici n'écoute. Si je lui rapportais vos faiblesses d'esprit, Elle désavouerait bientôt un tel écrit. Ne parlons point de mort, ce n'en est pas le temps. À propos ; savez-vous où je vous ai cherché Tantôt encore ? Tout proche du marché, Où vous savez. Là, dans cette boutique Où dès le mois passé votre cœur magnifique Me promit, de sa grâce, une bague. Ce que j'en ai dit, n'est pas que je vous presse. Monsieur, vous vous moquez, j'aurais honte à la prendre. Ce sera pour garder quelque chose de vous. Travaillez à vous rendre un père favorable. Alors comme alors, Pour vous on emploiera toutes sortes d'efforts, D'une façon ou d'autre il faut qu'elle soit vôtre ; Faites votre pouvoir, et nous ferons le nôtre. Et nous, que dirons-nous aussi de notre amour ? Tu ne m'en parles point. Avec plaisir. Adieu, Gros-René mon désir. Adieu, beau tison de ma flamme. Je viens vous avertir que tantôt sur le soir Ma maîtresse au jardin vous permet de la voir. Gros-René, dis-moi donc, quelle mouche le pique. Ma pauvre Marinette, es-tu bien éveillée ? De quel démon est donc leur âme travaillée ? Quoi, faire un tel accueil à nos soins obligeants ! Ô ! que ceci chez nous va surprendre les gens ! La résolution, Madame, est assez prompte. Vous m'en voyez encor toute hors de moi-même ; Et, quoique là-dessus je rumine sans fin, L'aventure me passe et j'y perds mon latin. Car enfin, aux transports d'une bonne nouvelle, Jamais cœur ne s'ouvrit d'une façon plus belle : De l'écrit obligeant le sien tout transporté Ne me donnait pas moins que de la déité ; Et cependant jamais, à cet autre message, Fille ne fut traitée avec tant d'outrage. Je ne sais, pour causer de si grands changements, Ce qui s'est pu passer entre ces courts moments. En effet ; je comprends que vous avez raison, Et que cette querelle est pure trahison. Nous en tenons, Madame ; et puis prêtons l'oreille Aux bons chiens de pendards qui nous chantent merveille, Qui pour nous accrocher feignant tant de langueur ; Laissons à leurs beaux mots fondre notre rigueur, Rendons-nous à leurs vœux, trop faibles que nous sommes. Foin de notre sottise, et peste soit des hommes. Au moins, en pareil cas, est-ce un bonheur bien doux, Quand on sait qu'on n'a point d'avantage sur vous. Marinette eut bon nez, quoi qu'on en puisse dire, De ne permettre rien un soir qu'on voulait rire. Quelque autre, sous espoir de matrimonion, Aurait ouvert l'oreille à la tentation ; Mais moi, nescio vos. Vraiment, n'ayez point peur, et laissez faire à nous ; J'ai pour le moins autant de colère que vous ; Et je serais plutôt fille toute ma vie, Que mon gros traître aussi me redonnât envie. S'il vient… Je l'aperçois encor ; mais ne vous rendez point. Il vient à nous. Fort bien. Ferme. Tenez bon jusqu'au bout. Voilà qui va des mieux. Allons, ôtez-vous de ses yeux. Qu'attendez-vous encor ? Ô ! La lâche personne ! J'en rougis de dépit. Et ne pense pas, toi, trouver ta dupe aussi. Tu nous prends pour un autre ; et tu n'as pas affaire À ma sotte maîtresse. Ardez le beau museau ! Pour nous donner envie encore de sa peau : Moi, j'aurais de l'amour pour ta chienne de face ! Moi, je te chercherais ! ma foi, l'on t'en fricasse Des filles comme nous. Et toi, pour te montrer que tu m'es à mépris, Voilà ton demi-cent d'épingles de Paris, Que tu me donnas hier avec tant de fanfare. Tiens tes ciseaux, avec ta chaîne de laiton. Je n'ai point maintenant de tes lettres sur moi ; Mais j'en ferai du feu jusques à la dernière. Prends garde à ne venir jamais me reprier. Ne me lorgne point, toi ; j'ai l'esprit trop touché. Oui, car tu me fais rire. Vois. Vois toi-même. Moi ? ce que tu voudras. Je ne dirai rien. Ni moi. Et moi je te fais grâce. Que Marinette est sotte après son Gros-René ! Aux yeux de tous ? Et tu crois que de toi je ferais mon galant ? Un mari, passe encor ; tel qu'il est, on le prend ; On n'y va pas chercher tant de cérémonie : Mais il faut qu'un galant soit fait à faire envie. Va, va, petit mari : ne crains rien de ma foi : Les douceurs ne feront que blanchir contre moi : Et je te dirai tout. Taisez-vous, as de pique. **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_polydore *date_1656 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_polydore S'être ainsi marié sans qu'on en ait su rien ! Puisse cette action se terminer à bien : Je ne sais qu'en attendre, et je crains fort du père Et la grande richesse, et la juste colère. Mais je l'aperçois seul. Je tremble à l'aborder. Par où lui débuter ! Son âme est toute émue. Je vois, seigneur Albert, au trouble de vos yeux Que vous savez déjà qui m'amène en ces lieux. La nouvelle a droit de vous surprendre, Et je n'eusse pas cru ce que je viens d'apprendre. Je trouve condamnable une telle action, Et je ne prétends point excuser le coupable. C'est ce qui doit par vous être considéré. Il est très assuré. Eh ! c'est moi qui de vous présentement l'implore. Je dois en cet état être plutôt que vous. Je suis le suppliant dans une telle injure. Vous me rendez confus de tant d'humilité. Hélas ! pardon, vous-même. Et moi, j'en suis touché de même au dernier point. Hélas, Seigneur Albert, je ne veux autre chose. Hé ! oui, je m'y dispose. Je ne veux de vos biens que ce que vous voudrez : De tous ces intérêts je vous ferai le maître, Et je suis trop content si vous le pouvez être. Quelle douceur, vous-même, après un tel malheur ! Le bon Dieu vous maintienne. J'y consens de grand cœur, et me réjouis fort Que tout soit terminé par un heureux accord. Il ne vous faut rien feindre, Votre ressentiment me donnait lieu de craindre ; Et Lucile tombée en faute avec mon fils, Comme on vous voit puissant, et de biens, et d'amis… Soit ; ne commençons point un discours inutile : Je veux bien que mon fils y trempe grandement, Même, si cela fait à votre allégement, J'avouerai qu'à lui seul en est toute la faute ; Que votre fille avait une vertu trop haute, Pour avoir jamais fait ce pas contre l'honneur, Sans l'incitation d'un méchant suborneur ; Que le traître a séduit sa pudeur innocente, Et de votre conduite ainsi détruit l'attente ; Puisque la chose est faite, et que selon mes vœux, Un esprit de douceur nous met d'accord tous deux, Ne ramentevons rien, et réparons l'offense Par la solennité d'une heureuse alliance. À quoi pensez-vous là, Seigneur Albert ? Je lis dedans son âme, et vois ce qui le presse. À quoi que sa raison l'eût déjà disposé, Son déplaisir n'est pas encor tout apaisé. L'image de l'affront lui revient, et sa fuite Tâche à me déguiser le trouble qui l'agite. Je prends part à sa honte, et son deuil m'attendrit. Il faut qu'un peu de temps remette son esprit : La douleur trop contrainte aisément le redouble. Voici mon jeune fou d'où nous vient tout ce trouble. Enfin, le beau mignon, vos bons déportements Troubleront les vieux jours d'un père à tous moments : Tous les jours vous ferez de nouvelles merveilles ; Et nous n'aurons jamais autres choses aux oreilles. Je suis un étrange homme, et d'une humeur terrible, D'accuser un enfant si sage et si paisible. Las ! il vit comme un saint, et dedans la maison Du matin jusqu'au soir il est en oraison. Dire qu'il pervertit l'ordre de la nature, Et fait du jour la nuit, ô ! la grande imposture ! Qu'il n'a considéré père, ni parenté En vingt occasions, horrible fausseté ! Que de fraîche mémoire, un furtif hyménée À la fille d'Albert a joint sa destinée, Sans craindre de la suite un désordre puissant, On le prend pour un autre, et le pauvre innocent Ne sait pas seulement ce que je veux lui dire ! Ha ! chien, que j'ai reçu du ciel pour mon martyre, Te croiras-tu toujours ? et ne pourrai-je pas, Te voir être une fois sage avant mon trépas ? Approchez-vous, ma fille, un tel nom m'est permis ; Et j'ai su le secret que cachaient ces habits. Vous avez fait un trait qui, dans sa hardiesse Fait briller tant d'esprit et tant de gentillesse, Que je vous en excuse, et tiens mon fils heureux, Quand il saura l'objet de ses soins amoureux. Vous valez tout un monde ; et c'est moi qui l'assure. Mais le voici : prenons plaisir de l'aventure. Allez faire venir tous vos gens promptement. Valère, il s'apprête un combat, Où toute ta valeur te sera nécessaire. Tu vas avoir en tête un puissant adversaire. Non, non ; en cet endroit Je le pousse moi-même à faire ce qu'il doit. On me faisait tantôt redouter sa menace ; Mais les choses depuis ont bien changé de face ; Et, sans le pouvoir fuir, d'un ennemi plus fort Tu vas être attaqué. Ascagne. Oui ; tu le vas voir paraître. Oui, c'est lui qui prétend avoir affaire à toi ; Et qui veut, dans le champ où l'honneur vous appelle, Qu'un combat seul à seul vide votre querelle. Enfin d'une imposture ils te rendent coupable, Dont le ressentiment m'a paru raisonnable ; Si bien qu'Albert et moi sommes tombés d'accord, Que tu satisferais Ascagne sur ce tort. Mais aux yeux d'un chacun, et sans nulles remises, Dans les formalités en pareil cas requises. Lucile épouse Éraste, et te condamne aussi : Et, pour convaincre mieux tes discours d'injustice, Veut qu'à tes propres yeux cet hymen s'accomplisse. Ne t'y trompe pas : tu ne sais pas encore Quel étrange garçon est Ascagne. Oui, mon fils, c'est assez rire de ta fureur, Et je vois qu'il est temps de te tirer d'erreur. Celle à qui par serment ton âme est attachée, Sous l'habit que tu vois à tes yeux est cachée ; Un intérêt de bien dès ses plus jeunes ans Fit ce déguisement qui trompe tant de gens ; Et depuis peu l'amour en a su faire un autre, Qui t'abusa, joignant leur famille à la nôtre. Ne va point regarder à tout le monde aux yeux : Je te fais maintenant un discours sérieux : Oui, c'est elle, en un mot, dont l'adresse subtile La nuit reçut ta foi sous le nom de Lucile, Et qui par ce ressort qu'on ne comprenait pas, A semé parmi vous un si grand embarras. Mais puisqu'Ascagne ici fait place à Dorothée, Il faut voir de vos feux toute imposture ôtée, Et qu'un nœud plus sacré donne force au premier. Un tel événement rend tes esprits confus ; Mais en vain tu voudrais balancer là-dessus. **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_frosine *date_1656 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_frosine Ascagne, je suis fille à secret, Dieu merci. Nous serions au logis beaucoup moins sûrement : Ici de tous côtés on découvre aisément, Et nous pouvons parler avec toute assurance. Ouais ! ceci doit donc être un important secret. Ha ! c'est me faire outrage ! Feindre à s'ouvrir à moi ! dont vous avez connu Dans tous vos intérêts l'esprit si retenu. Moi nourrie avec vous ! et qui tiens sous silence Des choses qui vous sont de si grande importance ! Qui sais… En bonne foi, ce point sur quoi vous me pressez, Est une affaire aussi qui m'embarrasse assez : Le fond de cette intrigue est pour moi lettre close ; Et ma mère ne put m'éclaircir mieux la chose. Quand il mourut ce fils l'objet de tant d'amour, Au destin de qui même, avant qu'il vînt au jour, Le testament d'un oncle abondant en richesses, D'un soin particulier avait fait des largesses, Et que sa mère fit un secret de sa mort, De son époux absent redoutant le transport, S'il voyait chez un autre aller tout l'héritage Dont sa maison tirait un si grand avantage, Quand, dis-je, pour cacher un tel événement, La supposition fut de son sentiment, Et qu'on vous prit chez nous où vous étiez nourrie, Votre mère d'accord de cette tromperie Qui remplaçait ce fils à sa garde commis, En faveur des présents le secret fut promis, Albert ne l'a point su de nous ; et pour sa femme, L'ayant plus de douze ans conservé dans son âme, Comme le mal fut prompt dont on la vit mourir, Son trépas imprévu ne put rien découvrir. Mais, cependant, je vois qu'il garde intelligence Avec celle de qui vous tenez la naissance. J'ai su, qu'en secret même, il lui faisait du bien ; Et peut-être cela ne se fait pas pour rien. D'autre part, il vous veut porter au mariage ; Et, comme il le prétend, c'est un mauvais langage : Je ne sais s'il saurait la supposition Sans le déguisement ; mais la digression Tout insensiblement pourrait trop loin s'étendre : Revenons au secret que je brûle d'apprendre. Vous aimez ? Et quoi ? Ha ! vous aviez raison, L'objet de votre amour, lui dont à la maison Votre imposture enlève un puissant héritage, Et qui de votre sexe ayant le moindre ombrage, Verrait incontinent ce bien lui retourner, C'est encore un plus grand sujet de s'étonner. Ô ! Dieux ! sa femme ! Ha ! certes celui-là l'emporte, et vient à bout De toute ma raison. Encore ! Ho ! poussez ; je le quitte, et ne raisonne plus, Tant mes sens coup sur coup se trouvent confondus. À ces Énigmes-là je ne puis rien comprendre. Peste ! les grands talents que votre esprit possède ! Dirait-on qu'elle y touche, avec sa mine froide ? Cependant, vous avez été bien vite ici ; Car je veux que la chose ait d'abord réussi, Ne jugez-vous pas bien, à regarder l'issue, Qu'elle ne peut longtemps éviter d'être sue ? Il croit trouver en vous l'assistance d'un frère. L'aventure est fâcheuse. Je trouve que c'est là raisonné comme il faut : Mais ces réflexions devaient venir plus tôt. Qui vous a jusqu'ici caché cette lumière ? Il ne fallait pas être une grande sorcière, Pour voir, dès le moment de vos desseins pour lui, Tout ce que votre esprit ne voit que d'aujourd'hui : L'action le disait ; et dès que je l'ai sue, Je n'en ai prévu guère une meilleure issue. Ce doit être à vous-même, en prenant votre place, À me donner conseil dessus cette disgrâce : Car je suis maintenant vous, et vous êtes moi ; Conseillez-moi, Frosine, au point où je me vois. Quel remède trouver ? dites, je vous en prie. Non vraiment, tout de bon ; votre ennui m'est sensible, Et pour vous en tirer je ferais mon possible. Mais, que puis-je après tout ? je vois fort peu de jour À tourner cette affaire au gré de votre amour. Ha ! pour cela toujours il est assez bonne heure ; La mort est un remède à trouver quand on veut, Et l'on s'en doit servir le plus tard que l'on peut. Savez-vous ma pensée ? il faut que j'aille voir La… mais Éraste vient qui pourrait nous distraire, Nous pourrons en marchant parler de cette affaire ; Allons, retirons-nous. Vous en saurez assez le détail ; laissez faire : Ces sortes d'incidents ne sont pour l'ordinaire Que redits trop de fois de moment en moment. Suffit que vous sachiez, qu'après ce testament Qui voulait un garçon pour tenir sa promesse, De la femme d'Albert la dernière grossesse N'accoucha que de vous, et que lui dessous main Ayant depuis longtemps concerté son dessein, Fit son fils de celui d'Ignès la bouquetière, Qui vous donna pour sienne à nourrir à ma mère. La mort ayant ravi ce petit innocent Quelque dix mois après, Albert étant absent, La crainte d'un Époux, et l'amour maternelle, Firent l'événement d'une ruse nouvelle. Sa femme en secret lors se rendit son vrai sang ; Vous devîntes celui qui tenait votre rang, Et la mort de ce fils mis dans votre famille, Se couvrit pour Albert de celle de sa fille. Voilà de votre sort un mystère éclairci Que votre feinte mère a caché jusqu'ici. Elle en dit des raisons, et peut en avoir d'autres, Par qui ses intérêts n'étaient pas tous les vôtres. Enfin cette visite où j'espérais si peu, Plus qu'on ne pouvait croire, a servi votre feu. Cette Ignès vous relâche ; et par votre autre affaire L'éclat de son secret devenu nécessaire, Nous en avons nous deux votre père informé : Un billet de sa femme a le tout confirmé, Et poussant plus avant encore notre pointe, Quelque peu de fortune à notre adresse jointe, Aux intérêts d'Albert, de Polydore après, Nous avons ajusté si bien les intérêts, Si doucement à lui déplié ces mystères, Pour n'effaroucher pas d'abord trop les affaires, Enfin, pour dire tout, mené si prudemment Son esprit pas à pas à l'accommodement, Qu'autant que votre père il montre de tendresse À confirmer les nœuds qui font votre allégresse. Au reste, le bonhomme est en humeur de rire, Et pour son fils encor nous défend de rien dire. **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_ascagne *date_1656 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_ascagne Mais, pour un tel discours, sommes-nous bien ici ? Prenons garde qu'aucun ne nous vienne surprendre, Ou que de quelque endroit on ne nous puisse entendre. Hélas ! que j'ai de peine à rompre mon silence ! Trop, puisque je le fie à vous-même à regret, Et que si je pouvais le cacher davantage, Vous ne le sauriez point. Oui, vous savez la secrète raison Qui cache aux yeux de tous mon sexe et ma maison : Vous savez que dans celle où passa mon bas âge Je suis, pour y pouvoir retenir l'héritage Que relâchait ailleurs le jeune Ascagne mort, Dont mon déguisement fait revivre le sort, Et c'est aussi pourquoi ma bouche se dispense À vous ouvrir mon cœur avec plus d'assurance. Mais avant que passer, Frosine à ce discours, Éclaircissez un doute où je tombe toujours. Se pourrait-il qu'Albert ne sût rien du mystère Qui masque ainsi mon sexe et l'a rendu mon père ? Sachez donc que l'amour ne sait point s'abuser ; Que mon sexe à ses yeux n'a pu se déguiser, Et que ses traits subtils, sous l'habit que je porte, Ont su trouver le cœur d'une fille peu forte : J'aime enfin. Frosine, doucement ; N'entrez pas tout à fait dedans l'étonnement : Il n'est pas temps encore : et ce cœur qui soupire A bien pour vous surprendre autre chose à vous dire. J'aime Valère. J'ai de quoi toutefois surprendre plus votre âme : Je suis sa femme. Oui, sa femme. Ce n'est pas encor tout. Je la suis, dis-je, sans qu'il le pense, Ni qu'il ait de mon sort la moindre connaissance. Je vais vous l'expliquer, si vous voulez m'entendre. Valère dans les fers de ma sœur arrêtée Me semblait un amant digne d'être écouté, Et je ne pouvais voir qu'on rebutât sa flamme, Sans qu'un peu d'intérêt touchât pour lui mon âme. Je voulais que Lucile aimât son entretien, Je blâmais ses rigueurs, et les blâmai si bien, Que moi-même j'entrai, sans pouvoir m'en défendre, Dans tous les sentiments qu'elle ne pouvait prendre. C'était en lui parlant moi qu'il persuadait, Je me laissais gagner aux soupirs qu'il perdait, Et ses vœux rejetés de l'objet qui l'enflamme Étaient, comme vainqueurs, reçus dedans mon âme. Ainsi mon cœur, Frosine, un peu trop faible, hélas ! Se rendit à des soins qu'on ne lui rendait pas, Par un coup réfléchi reçut une blessure, Et paya pour un autre avec beaucoup d'usure. Enfin, ma chère, enfin, l'amour que j'eus pour lui Se voulut expliquer, mais sous le nom d'autrui : Dans ma bouche, une nuit, cet amant trop aimable Crut rencontrer Lucile à ses vœux favorable, Et je sus ménager si bien cet entretien, Que du déguisement il ne reconnut rien. Sous ce voile trompeur qui flattait sa pensée, Je lui dis que pour lui mon âme était blessée ; Mais que, voyant mon père en d'autres sentiments, Je devais une feinte à ses commandements ; Qu'ainsi de notre amour nous ferions un mystère, Dont la nuit seulement serait dépositaire, Et qu'entre nous de jour, de peur de rien gâter, Tout entretien secret se devait éviter ; Qu'il me verrait alors la même indifférence, Qu'avant que nous eussions aucune intelligence, Et que de son côté, de même que du mien, Geste, parole, écrit, ne m'en dît jamais rien. Enfin, sans m'arrêter sur toute l'industrie Dont j'ai conduit le fil de cette tromperie, J'ai poussé jusqu'au bout un projet si hardi, Et me suis assuré l'Époux que je vous dis. Quand l'amour est bien fort, rien ne peut l'arrêter ; Ses projets seulement vont à se contenter, Et, pourvu qu'il arrive au but qu'il se propose, Il croit que tout le reste après est peu de chose. Mais, enfin, aujourd'hui je me découvre à vous, Afin que vos conseils… Mais voici cet Époux. Non, non ; vous pouvez bien, Puisque vous le faisiez, rompre notre entretien. Vous-même. Je disais que Valère Aurait, si j'étais fille, un peu trop su me plaire ; Et que, si je faisais tous les vœux de son cœur, Je ne tarderais guère à faire son bonheur. Point du tout ; je vous dis que régnant dans votre âme Je voudrais de bon cœur couronner votre flamme. Je pourrais assez mal répondre à votre attente. Hé ! quoi ! vous voudriez, Valère, injustement, Qu'étant fille, et mon cœur vous aimant tendrement, Je m'allasse engager avec une promesse De servir vos ardeurs pour quelque autre maîtresse. Un si pénible effort pour moi m'est interdit. Ce que je vous ai dit Je l'ai dit comme fille, et vous le devez prendre Tout de même. J'ai l'esprit délicat plus qu'on ne peut penser, Et le moindre scrupule a de quoi m'offenser Quand il s'agit d'aimer ; enfin je suis sincère ; Je ne m'engage point à vous servir, Valère, Si vous ne m'assurez au moins absolument, Que vous gardez pour moi le même sentiment ; Que pareille chaleur d'amitié vous transporte, Et que, si j'étais fille, une flamme plus forte N'outragerait point celle où je vivrais pour vous. Mais sans fard ? S'il est vrai, désormais Vos intérêts seront les miens, je vous promets. Et j'ai quelque secret de même à vous ouvrir, Où votre cœur pour moi se pourra découvrir. C'est que j'ai de l'amour qui n'oserait paraître, Et vous pourriez avoir sur l'objet de mes vœux Un empire à pouvoir rendre mon sort heureux. Vous promettez ici plus que vous ne croyez. Il n'est pas encor temps ; mais c'est une personne Qui vous touche de près. Ce n'est pas la saison De m'expliquer, vous dis-je. Pour raison. Vous saurez mon secret, quand je saurai le vôtre. Ayez-le donc ; et lors nous expliquant nos vœux, Nous verrons qui tiendra mieux parole des deux. Et moi content, Valère. Que dites-vous ? ma sœur ; comment ! courir au change ! Cette inégalité me semble trop étrange. Je le quitte, ma sœur, pour embrasser le vôtre : Je sais qu'il est rangé dessous les lois d'un autre, Et ce serait un trait honteux à vos appas, Si vous le rappeliez et qu'il ne revînt pas. Ha ! ma sœur, si sur vous je puis avoir crédit, Si vous êtes sensible aux prières d'un frère, Quittez un tel dessein, et n'ôtez point Valère Aux vœux d'un jeune objet dont l'intérêt m'est cher, Et qui sur ma parole a droit de vous toucher. La pauvre infortunée aime avec violence ; À moi seul de ses feux elle fait confidence, Et je vois dans son cœur de tendres mouvements À dompter la fierté des plus durs sentiments. Oui, vous auriez pitié de l'état de son âme, Connaissant de quel coup vous menacez sa flamme, Et je ressens si bien la douleur qu'elle aura, Que je suis assuré, ma sœur, qu'elle en mourra, Si vous lui dérobez l'amant qui peut lui plaire. Éraste est un parti qui doit vous satisfaire ; Et des feux mutuels… Allez, cruelle sœur, vous me désespérez, Si vous effectuez vos desseins déclarés. Ah ! ma chère Frosine, Le sort absolument a conclu la ruine : Cette affaire, venue au point où la voilà N'est pas assurément pour en demeurer là ; Il faut qu'elle passe outre ; et Lucile, et Valère, Surpris des nouveautés d'un semblable mystère Voudront chercher un jour dans ces obscurités, Par qui tous mes projets se verront avortés. Car, enfin, soit qu'Albert ait part au stratagème, Ou qu'avec tout le monde on l'ait trompé lui-même ; S'il arrive une fois que mon sort éclairci Mette ailleurs tout le bien dont le sien a grossi, Jugez s'il aura lieu de souffrir ma présence : Son intérêt détruit me laisse à ma naissance ; C'est fait de sa tendresse, et, quelque sentiment Où pour ma fourbe alors pût être mon amant, Voudra-t-il avouer pour épouse une fille Qu'il verra sans appui de biens et de famille ? Que dois-je faire enfin ? mon trouble est sans pareil : Mettez-vous en ma place, et me donnez conseil. Hélas ! ne traitez point ceci de raillerie ; C'est prendre peu de part à mes cuisants ennuis, Que de rire, et de voir les termes où j'en suis. Si rien ne peut m'aider, il faut donc que je meure. Non, non, Frosine, non ; si vos conseils propices Ne conduisent mon sort parmi ces précipices, Je m'abandonne toute aux traits du désespoir. Est-il bien vrai, Frosine ? et ne rêvé-je point ? De grâce, contez-moi bien tout de point en point. Ha ! Frosine, la joie où vous m'acheminez !… Et que ne dois-je point à vos soins fortunés ! Vous obéir sera mon premier compliment. Non, non, je ne suis pas si méchant qu'on me fait : Et, dans cette aventure où chacun m'intéresse, Vous allez voir plutôt éclater ma faiblesse, Connaître que le Ciel qui dispose de nous Ne me fit pas un cœur pour tenir contre vous, Et qu'il vous réservait, pour victoire facile, De finir le destin du frère de Lucile. Oui, bien loin de vanter le pouvoir de mon bras, Ascagne va par vous recevoir le trépas : Mais il veut bien mourir, si sa mort nécessaire Peut avoir maintenant de quoi vous satisfaire, En vous donnant pour femme en présence de tous Celle qui justement ne peut être qu'à vous. Ah ! souffrez que je die, Valère, que le cœur qui vous est engagé D'aucun crime envers vous ne peut être chargé : Sa flamme est toujours pure, et sa constance extrême ; Et j'en prends à témoin votre père lui-même. **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_mascarille *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_mascarille Non, je ne trouve point d'état plus malheureux, Que d'avoir un patron jeune et fort amoureux. Bonjour. Non, je ne reviens pas ; car je n'ai pas été : Je ne vais pas aussi ; car je suis arrêté : Et ne demeure point ; car, tout de ce pas même, Je prétends m'en aller. Ha ! monsieur, Serviteur. Je ne crois pas cela de votre courtoisie. Plût à Dieu ! Passons sur ce point-là ; notre rivalité N'est pas pour en venir à grande extrémité : Mais, est-ce un coup bien sûr que votre Seigneurie Soit désenamourée, ou si c'est raillerie ? Certes, vous me plaisez avec cette nouvelle ; Outre qu'en nos projets je vous craignais un peu, Vous tirez sagement votre épingle du jeu. Oui, vous avez bien fait de quitter une place Où l'on vous caressait pour la seule grimace ; Et mille fois, sachant tout ce qui se passait, J'ai plaint le faux espoir dont on vous repaissait. On offense un brave homme alors que l'on l'abuse. Mais, d'où, diantre, après tout, avez-vous su la ruse ? Car cet engagement mutuel de leur foi N'eut, pour témoins, la nuit, que deux autres et moi ; Et l'on croit jusqu'ici la chaîne fort secrète Qui rend de nos amants la flamme satisfaite. Je dis que je suis interdit : Et ne sais pas, Monsieur, qui peut vous avoir dit, Que, sous ce faux semblant qui trompe tout le monde, En vous trompant aussi, leur ardeur sans seconde D'un secret mariage a serré le lien. Monsieur, je le veux bien. D'accord. Vous avez tout pouvoir. Nenni. Non, Monsieur, je raillais. Non, je ne raillais point. Non pas, Je ne dis pas cela. Hélas ! Je ne dis rien, de peur de mal parler. C'est ce qu'il vous plaira : je ne suis pas ici Pour vous rien contester. Elle ira faire encor quelque sotte harangue. Hé, de grâce, plutôt, si vous le trouvez bon, Donnez-moi vitement quelques coups de bâton, Et me laissez tirer mes chausses sans murmure. Hélas ! je la dirai : Mais, peut-être, Monsieur, que je vous fâcherai. J'y consens, rompez-moi les jambes et les bras ; Faites-moi pis encor, tuez-moi si j'impose En tout ce que j'ai dit ici la moindre chose. Ma langue, en cet endroit, A fait un pas de clerc dont elle s'aperçoit : Mais, enfin, cette affaire est comme vous la dites ; Et c'est après cinq jours de nocturnes visites, Tandis que vous serviez à mieux couvrir leur jeu, Que depuis avant-hier ils sont joints de ce nœud ; Et Lucile depuis fait encor moins paraître La violente amour qu'elle porte à mon maître, Et veut absolument que tout ce qu'il verra, Et qu'en votre faveur son cœur témoignera, Il l'impute à l'effet d'une haute prudence, Qui veut de leurs secrets ôter la connaissance. Si, malgré mes serments, vous doutez de ma foi, Gros-René peut venir une nuit avec moi ; Et je lui ferai voir étant en sentinelle Que nous avons dans l'ombre un libre accès chez elle. Et de grand cœur ; C'est ce que je demande. Le Ciel parfois seconde un dessein téméraire, Et l'on sort comme on peut d'une méchante affaire. Pour moi, qu'une imprudence a trop fait discourir, Le remède plus prompt où j'ai su recourir, C'est de pousser ma pointe, et dire en diligence À notre vieux patron toute la manigance. Son fils qui m'embarrasse est un évaporé : L'autre, diable, disant ce que j'ai déclaré, Gare une irruption sur notre friperie : Au moins, avant qu'on puisse échauffer sa furie, Quelque chose de bon nous pourra succéder, Et les vieillards entre eux se pourront accorder. C'est ce qu'on va tenter ; et de la part du nôtre, Sans perdre un seul moment, je m'en vais trouver l'autre. Amis. Je viens, Monsieur, pour vous donner Le bonjour. La réplique est soudaine. Quel homme brusque ! Vous n'avez pas ouï, Monsieur. Oui. Oui ; mais je viens encore Vous saluer au nom du Seigneur Polydore. Oui. Cet homme est ennemi de la cérémonie. Je n'ai pas achevé, Monsieur, son compliment : Il voudrait vous prier d'une chose instamment. Attendez, et souffrez qu'en deux mots je finisse. Il souhaite un moment pour vous entretenir D'une affaire importante, et doit ici venir. Un grand secret, vous dis-je, Qu'il vient de découvrir en ce même moment, Et qui, sans doute, importe à tous deux grandement. Voilà mon Ambassade. Il la sait ? D'où, diantre, a-t-il pu la savoir ? Et que me diriez-vous, Monsieur, si c'était moi Qui vous eût procuré cette heureuse fortune ? C'est moi, vous dis-je, moi dont le patron le sait, Et qui vous ai produit ce favorable effet. Que le diable m'emporte, Si je fais raillerie, et s'il n'est de la sorte. Ha ! monsieur, qu'est-ceci ? je défends la surprise. Tout beau ; mon âme, pour mourir, N'est pas en bon état. Daignez, je vous conjure, Attendre le succès qu'aura cette aventure. J'ai de fortes raisons qui m'ont fait révéler Un hymen que vous-même aviez peine à celer ; C'était un coup d'État, et vous verrez l'issue Condamner la fureur que vous avez conçue. De quoi vous fâchez-vous ? pourvu que vos souhaits Se trouvent par mes soins pleinement satisfaits, Et voient mettre à fin la contrainte où vous êtes ? Toujours serez-vous lors à temps pour me tuer. Mais enfin mes projets pourront s'effectuer. Dieu fera pour les siens, et content dans la suite Vous me remercierez de ma rare conduite. Halte ; son père sort. Seigneur Albert, prenez un ton un peu plus doux, Et contre votre gendre ayez moins de courroux. Je ne vois ici rien à vous mettre en fureur. Le voilà prêt de faire en tout vos volontés. Quoi ! Lucile n'est pas sous des liens secrets À mon Maître ? Tout doux : et s'il est vrai que ce soit chose faite, Voulez-vous l'approuver cette chaîne secrète ? D'homme d'honneur, il est ainsi que je le dis. Mais venons à la preuve, et sans nous quereller : Faites sortir Lucile et la laissez parler. Elle n'en fera rien, Monsieur, je vous proteste, Promettez à leurs vœux votre consentement, Et je veux m'exposer au plus dur châtiment, Si de sa propre bouche elle ne vous confesse, Et la foi qui l'engage, et l'ardeur qui la presse. Allez ; tout ira bien. Ne craignez rien. Seigneur Albert, au moins, silence. Enfin, Madame, Toute chose conspire au bonheur de votre âme, Et Monsieur votre père averti de vos feux, Vous laisse votre Époux, et confirme vos vœux ; Pourvu que bannissant toutes craintes frivoles, Deux mots de votre aveu confirment nos paroles. Bon, me voilà déjà d'un beau titre honoré. Hé bien, oui, c'est moi ; le grand mal que voilà ! Laissez-moi lui parler. Eh ! Madame, de grâce, À quoi bon maintenant toute cette grimace ? Quelle est votre pensée ? et quel bourru transport Contre vos propres vœux vous fait raidir si fort ? Si monsieur votre père était homme farouche, Passe : mais il permet que la raison le touche, Et lui-même m'a dit qu'une confession Vous va tout obtenir de son affection. Vous sentez, je crois bien, quelque petite honte À faire un libre aveu de l'amour qui vous dompte : Mais s'il vous a fait perdre un peu de liberté, Par un bon mariage on voit tout rajusté ; Et, quoi que l'on reproche au feu qui vous consomme, Le mal n'est pas si grand que de tuer un homme. On sait que la chair est fragile quelquefois, Et qu'une fille enfin n'est ni caillou ni bois. Vous n'avez pas été sans doute la première, Et vous ne serez pas, que je crois, la dernière. Madame, je vous jure Que déjà vous devriez avoir tout confessé. Quoi ? Ce qui s'est passé Entre mon maître et vous ; la belle raillerie ! Vous devez, que je crois, En savoir un peu plus de nouvelles que moi, Et pour vous cette nuit fut trop douce, pour croire Que vous puissiez si vite en perdre la mémoire. Je crois qu'elle me vient de donner un soufflet : Et, nonobstant cela, qu'un diable en cet instant M'emporte, si j'ai dit rien que de très constant. Voulez-vous deux témoins qui me justifieront ? Leur rapport doit au mien donner toute créance. Je vous dis que Lucile agit par honte ainsi. Connaissez-vous Ormin ce gros Notaire habile ? Et Simon le Tailleur jadis si recherché ? Vous verrez confirmer par eux cet hyménée. Ce sont eux qu'ils ont pris pour témoins de leur foi. Et ces yeux les ont vus s'entre-donner parole. Et, pour signe, Lucile avait un voile noir. Oh ! l'obstiné vieillard ! J'entends à demi-mot ce que vous voulez dire ; Tout s'arme contre moi ; pour moi de tous côtés Je vois coups de bâton, et gibets apprêtés : Aussi, pour être en paix dans ce désordre extrême, Je me vais d'un rocher précipiter moi-même, Si, dans le désespoir dont mon cœur est outré, Je puis en rencontrer d'assez haut à mon gré. Adieu, Monsieur. Je ne saurais mourir quand je suis regardé, Et mon trépas ainsi se verrait retardé. Malheureux Mascarille ! à quels maux aujourd'hui Te vois-tu condamné pour le péché d'autrui ? Dès que l'obscurité régnera dans la ville, Je me veux introduire au logis de Lucile : Va vite de ce pas préparer pour tantôt, Et la lanterne sourde, et les armes qu'il faut. Quand il m'a dit ces mots, il m'a semblé d'entendre, Va vitement chercher un licou pour te pendre. Venez çà, mon patron, car, dans l'étonnement Où m'a jeté d'abord un tel commandement, Je n'ai pas eu le temps de vous pouvoir répondre ; Mais je vous veux ici parler, et vous confondre : Défendez-vous donc bien, et raisonnons sans bruit. Vous voulez, dites-vous, aller voir cette nuit Lucile ? Oui, Mascarille. Et que pensez-vous faire ? Une action d'amant qui se veut satisfaire, Une action d'un homme à fort petit cerveau, Que d'aller sans besoin risquer ainsi sa peau ; Mais tu sais quel motif à ce dessein m'appelle : Lucile est irritée. Eh bien, tant pis pour elle, Mais l'amour veut que j'aille apaiser son esprit. Mais l'amour est un sot qui ne sait ce qu'il dit : Nous garantira-t-il, cet amour, je vous prie, D'un rival, ou d'un père, ou d'un frère en furie ? Penses-tu qu'aucun d'eux songe à nous faire mal ? Oui vraiment, je le pense, et surtout, ce rival. Mascarille, en tout cas, l'espoir où je me fonde, Nous irons bien armés, et si quelqu'un nous gronde, Nous nous chamaillerons. Oui ; voilà justement Ce que votre valet ne prétend nullement : Moi chamailler ! bon Dieu ! suis-je un Roland ? mon Maître, Ou quelque Ferragu ? c'est fort mal me connaître, Quand je viens à songer, moi qui me suis si cher, Qu'il ne faut que deux doigts d'un misérable fer Dans le corps, pour vous mettre un humain dans la bière, Je suis scandalisé d'une étrange manière. Mais tu seras armé de pied en cap. Tant pis, J'en serai moins léger à gagner le taillis : Et de plus, il n'est point d'armure si bien jointe Où ne puisse glisser une vilaine pointe. Oh ! tu seras ainsi tenu pour un poltron. Soit : pourvu que toujours je branle le menton : À table comptez-moi, si vous voulez, pour quatre ; Mais comptez-moi pour rien, s'il s'agit de se battre : Enfin, si l'autre monde a des charmes poux vous, Pour moi, je trouve l'air de celui-ci fort doux : Je n'ai pas grande faim de mort ni de blessure, Et vous ferez le sot tout seul, je vous assure. Et cet empressement pour s'en aller dans l'ombre, Pêcher vite à tâtons quelque sinistre encombre… Vous voyez que Lucile entière en ses rebuts… J'approuve ce transport ; Mais le mal est, Monsieur, qu'il faudra s'introduire En cachette. Et j'ai peur de vous nuire. Une toux me tourmente à mourir, Dont le bruit importun vous fera découvrir : De moment en moment… Vous voyez le supplice. Je ne crois pas, Monsieur, qu'il se veuille passer. Je serais ravi moi de ne vous point laisser ; Mais j'aurais un regret mortel, si j'étais cause Qu'il fût à mon cher maître arrivé quelque chose. Moi, je ne suis pour rien dans tout cet embarras. Qu'ai-je fait ? pour me voir rouer jambes et bras ? Suis-je donc gardien, pour employer ce style, De la Virginité des filles de la ville ? Sur la tentation ai-je quelque crédit ? Et puis-je mais, chétif, si le cœur leur en dit ? Acceptez-les, Monsieur. Quoi ! Monsieur, vous voulez tenter Dieu ! quelle audace ! Las ! vous voyez tous deux comme l'on vous menace, Combien de tous côtés… C'est qu'il sent le bâton du côté que voilà. Enfin, si maintenant ma prudence en est crue, Ne nous obstinons point à rester dans la rue : Allons nous renfermer. Eh ! Monsieur, mon cher maître, il est si doux de vivre ! On ne meurt qu'une fois, et c'est pour si longtemps ! Je n'ai nulle démangeaison. Que maudit soit l'amour, et les filles maudites, Qui veulent en tâter, puis font les chattemites. Les disgrâces souvent sont du Ciel révélées : J'ai songé cette nuit de perles défilées, Et d'œufs cassés, Monsieur, un tel songe m'abat. Et personne, Monsieur, qui se veuille bouger Pour retenir des gens qui se vont égorger ! Pour moi je le veux bien ; mais, au moins, s'il arrive Qu'un funeste accident de votre fils vous prive, Ne m'en accusez point. Père dénaturé ! Point de moyen d'accord ? C'est un brave homme ; il sait que les cœurs généreux Ne mettent point les gens en compromis pour eux. Nenni, nenni, mon sang dans mon corps sied trop bien : Qu'il l'épouse en repos, cela ne me fait rien. De l'humeur que je sais la chère Marinette, L'hymen ne ferme pas la porte à la fleurette. Tu crois te marier pour toi tout seul, compère ? Eh ! mon Dieu, tu feras Comme les autres font : et tu t'adouciras. Ces gens avant l'hymen si fâcheux et critiques Dégénèrent souvent en maris pacifiques. Oh ! Las ! fine pratique ! Un mari confident !… **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_metaphraste *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_metaphraste Mandatum tuum curo diligenter. Maître est dit a Magister, C'est comme qui dirait trois fois plus grand. Poursuivez. Il est vrai : Filio non potest praeferri Nisi filius. Soit. Peut-être a-t-il l'humeur du frère de Marc Tulle, Dont avec Atticus le même fait sermon, Et comme aussi les Grecs disent Atanaton… Hé bien, donc ? votre fils ? Dans un lieu reculé du bois, voulez-vous dire ; Un endroit écarté, Latine, secessus ; Virgile l'a dit : Est in secessu locus… Virgile est nommé là comme un auteur fameux D'un terme plus choisi que le mot que vous dites, Et non comme témoin de ce que hier vous vîtes. Il faut choisir pourtant les mots mis en usage Par les meilleurs auteurs : tu, vivendo, bonos, Comme on dit, scribendo, sequare peritos. Quintilien en fait le précepte. Et dit là-dessus doctement Un mot, que vous serez bien aise assurément D'entendre. Mais qui cause, Seigneur, votre inflammation ? Que voulez-vous de moi ? Ha ! sans doute, Vous serez satisfait, s'il ne tient qu'à cela. Je me tais. Me voilà Tout prêt de vous ouïr. Que je trépasse, Si je dis plus mot. Vous n'accuserez point mon caquet désormais. Parlez quand vous voudrez. Et n'appréhendez plus l'interruption nôtre. Je suis exact plus qu'aucun autre. J'ai promis que je ne dirais rien. Dès à présent je suis muet. Parlez : courage ; au moins, je vous donne audience ; Vous ne vous plaindrez pas de mon peu de silence, Je ne desserre pas la bouche seulement. Mais, de grâce, achevez vitement ; Depuis longtemps j'écoute, il est bien raisonnable Que je parle à mon tour. Hé ! bon Dieu ! voulez-vous que j'écoute à jamais ? Partageons le parler, au moins, ou je m'en vais. Quoi ! voulez-vous poursuivre ? Ce n'est pas encor fait ? per Jovem, je suis ivre. Encor ! bon Dieu ! que de discours ! Rien n'est-il suffisant d'en arrêter le cours ? Derechef ? ô ! l'étrange torture ! Hé ! laissez-moi parler un peu, je vous conjure ; Un sot qui ne dit mot ne se distingue pas D'un savant qui se tait. D'où vient fort à propos cette Sentence expresse D'un Philosophe, parle, afin qu'on te connaisse. Doncques, si de parler le pouvoir m'est ôté, Pour moi, j'aime autant perdre aussi l'humanité, Et changer mon Essence en celle d'une bête. Me voilà pour huit jours avec un mal de tête. Ô ! que les grands parleurs sont par moi détestés. Mais quoi ! si les savants ne sont point écoutés, Si l'on veut que toujours ils aient la bouche close, Il faut donc renverser l'ordre de chaque chose ; Que les poules dans peu dévorent les renards ; Que les jeunes enfants remontrent aux vieillards ; Qu'à poursuivre les loups les agnelets s'ébattent ; Qu'un fou fasse les lois ; que les femmes combattent ; Que par les criminels les juges soient jugés : Et par les écoliers les maîtres fustigés ; Que le malade au sain présente le remède ; Que le lièvre craintif… miséricorde ! à l'aide ! **** *creator_moliere *book_moliere_depitamoureux *style_verse *genre_comedy *dist1_moliere_verse_comedy_depitamoureux *dist2_moliere_verse_comedy *id_la-rapiere *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_larapiere Monsieur, de bonne part je viens d'être informé, Qu'Éraste est contre vous fortement animé ; Et qu'Albert parle aussi de faire pour sa fille Rouer jambes et bras à votre Mascarille. S'il vous faisait besoin, mon bras est tout à vous. Vous savez de tout temps que je suis un bon frère. J'ai deux amis aussi que je vous puis donner, Qui contre tous venants sont gens à dégainer, Et sur qui vous pourrez prendre toute assurance. Le petit Gille encore eût pu nous assister, Sans le triste accident qui vient de nous l'ôter. Monsieur, le grand dommage ! et l'homme de service ! Vous avez su le tour que lui fit la Justice ? Il mourut en César, et lui cassant les os Le bourreau ne lui put faire lâcher deux mots. Soit ; mais soyez averti Qu'il vous cherche, et vous peut faire un mauvais parti.