**** *creator_regnard *book_regnard_distrait *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_distrait *dist2_regnard_verse_comedy *id_LEANDRE *date_1697 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_leandre Je ne sais si l'absence, aux amants peu propice, Ne m'a point effacé de l'esprit de Clarice. On en trouve bien peu de ces coeurs généreux Qui, dans l'éloignement, sachent garder leurs feux : Un moment les éteint, ainsi qu'il les fit naître. Je suis plus que jamais dans une peine extrême. Si mon oncle fût mort, j'aurais, à mon retour, Disposé de mon coeur en faveur de l'amour. Mais je vois tout d'un coup mon attente trompée. Tu ne les trouves point ! Voilà comme tu fais ! Ce qu'on te voit chercher ne se trouve jamais. Je te dis qu'à l'instant ils étaient sur ma table. Quoi ! Que veux-tu donc dire ? Mais dis-moi donc, maraud... Ah ! Ah ! Je rêve, et j'ai certain ennui... Tout autre objet, Carlin, met mon coeur au supplice. Je veux bien l'avouer, je n'aime que Clarice. Ma famille prétend, attendu mes besoins, Que j'épouse Isabelle, et je feins quelques soins. Son bien me remettrait en fort bonne figure ; Mais je brûle, Carlin, d'une flamme trop pure. Biens, fortune, intérêts, gloire, sceptre, grandeur, Rien ne saurait bannir Clarice de mon coeur ; Je ressens de la voir la plus ardente envie... Quelle heure est-il ? Fort bien. Qui te l'a dit ? Mais connais-tu comment la chose est avenue, Et par quel accident ma botte s'est perdue ? Je l'avais ce matin en montant à cheval. J'allais m'offrir à vous, flatté de l'espérance D'adoucir les tourments de près d'un mois d'absence. Vous êtes à mes yeux plus belle que jamais ; Chaque jour, chaque instant augmente vos attraits ; À chaque instant aussi mon amoureuse flamme Croît comme vos appas... Un fauteuil à madame. Non, je n'aime que vous, adorable Isabelle. Et mes voeux les plus doux Sont de passer mes jours et mourir avec vous. Isabelle... A pour moi mille charmes ; L'amour prend dans ses yeux ses plus puissantes armes ; Isabelle est... À mes yeux un tableau De tout ce que le ciel fit jamais de plus beau. Quel sujet tout-à-coup vous a mise en colère, Madame ? Ce maraud a-t-il pu vous déplaire ? Moi ? Quoi ! Je pourrais exciter ce courroux ! Ah ! Maraud, qu'as-tu dit ? J'adore vos appas ; Et je veux que du ciel la vengeance et la foudre Me punisse à vos yeux, et me réduise en poudre, Si mon coeur, tout à vous, adore un autre objet. J'ai parlé d'Isabelle ? Eh ! Vous voulez, je crois, Éprouver mon amour, ou vous railler de moi. Moi, parler devant vous d'autre que de vous-même, Vous, qui m'occupez seule, et que seule aussi j'aime ! De ce cruel soupçon ma tendresse s'aigrit ; Vos yeux vous sont garants qu'il ne m'est pas possible Que pour quelque autre objet je devienne sensible. Ah ! Madame, à propos, vous avez quelque accès Auprès du rapporteur que j'ai dans mon procès. Écrivez-lui, de grâce, un mot pour mon affaire. Avec ces sentiments vous me rendez justice. Je m'offre à le servir pour avoir l'agrément. Monsieur, avec plaisir... Quel est cet homme-là ? Ah ! La scène, prend Clarice par le bras, croyant parler Au chevalier, et la tire à un des bouts du théâtre. Vos intérêts en tout m'ont toujours été chers ; J'étais fort serviteur de monsieur votre père, Et je vous veux servir de la bonne manière. Je crois que nous serions mieux de l'autre côté. Je suis, comme l'on sait, assez bien près du roi, Je veux vous faire avoir un régiment. À vous-même. Vous avez du service, un nom, de la valeur : Il faut vous distinguer dans un poste d'honneur. Ah ! Je vous fais excuse, Madame ; et maintenant je vois que je m'abuse. J'ai cru qu'au chevalier... Ah ! Monsieur, point du tout. Il n'est point de mon goût. Oui, j'aime la musique ; Mais, si vous voulez bien qu'en ami je m'explique, Votre air n'a point ce tour tendre, agréable, aisé, Et le chant, entre nous, m'en paraît trop usé. Vous chantiez à l'instant ; et ne parliez-vous pas De votre air ? J'ai donc tort en ce cas. Si je l'aime, grands dieux ! Ne m'interrogez point, et regardez ses yeux. Puisque vous désirez sitôt quitter ces lieux, Souffrez donc, s'il vous plaît, que je vous reconduise. Je veux jusque chez vous accompagner vos pas. J'ai, Carlin, en secret, un ordre à te prescrire ; Écoute... je ne sais ce que je voulais dire... Va chez mon horloger, et reviens au plus tôt. Prends de ce tabac... non, tu n'iras que tantôt. Souffrez ici sans peine Qu'à votre appartement, Madame, je vous mène. Vous êtes encor là ! Je vous croyais bien loin. Je cherchais votre soeur, et ma peine est extrême... Je cherche vainement, et ne vois point Clarice. Ah ! Mon pauvre Carlin, je suis au désespoir. Que je suis malheureux ! Contre moi tout conspire. J'avais dans ce moment cent choses à lui dire. Ne perdons point de temps ; sortons, suivons ses pas : Je ne suis plus à moi quand je ne la vois pas. D'où viens-tu ? Parle donc, réponds-moi. Je ne te vois jamais, quand j'ai besoin de toi. Il me l'a bien gardée. Voyons. Oh ! Je n'y pensais pas ; j'ai jeté l'un pour l'autre. Cours à l'appartement de l'aimable Clarice, Sache si pour la voir le moment est propice ; Peins-lui bien mon amour, et quel est mon chagrin D'avoir manqué tantôt à lui donner la main. Va vite, cours, reviens. Va donc, ne tarde pas. Je t'attends. Carlin, j'attends tout de ton zèle. Si Clarice venait à parler d'Isabelle, Dis-lui bien que mon coeur n'en fut jamais touché ; Par de plus nobles noeuds je me sens attaché. Isabelle est jolie ; au reste, peu capable De fixer le penchant d'un homme raisonnable. Malgré les faux dehors de sa simplicité, Elle est coquette au fond. Mais me parleras-tu toujours de cette montre ? Eh bien ! C'est un malheur. Fais-lui bien concevoir Qu'Isabelle sur moi n'eut jamais de pouvoir, Et que mon oncle en vain veut faire une alliance Dont mon amour murmure, et dont mon coeur s'offense. Oui, tu pourras lui dire. Avec impatience J'attendrai ton retour ; va, cours en diligence. Que les hommes sont fous d'empoisonner leurs jours Par des dégoûts cruels qu'ils ont dans leurs amours ! Je savoure à longs traits le poison qui me tue. Sans ce fâcheux dédit qui vient troubler ma joie, Je passerais des jours filés d'or et de soie. Au pouvoir de l'amour c'est en vain qu'on résiste. Que le ciel vous assiste. Ah ! Te voilà, Lisette ! Que ma joie est parfaite ! Jamais rien de plus beau ne s'offrit aux regards ; Les amours près de vous volent de toutes parts. Aux coups de vos beaux yeux qui pourrait se soustraire ? Et qu'on serait heureux si l'on pouvait vous plaire ! C'est une fausseté. Lisette, tu devrais, dans le soin qui t'anime, Lui faire prendre d'elle une plus juste estime : Tu gouvernes son coeur. Ah ! Maraud de Carlin, dans peu ton imprudence Recevra de ma main sa juste récompense. Vous cacher à ses yeux est chose assez facile, Mon cabinet pour vous doit être un sûr asile ; Entrez-y. Fiez-vous à mes soins. Qui, madame ? Eh ! Qui donc ? En mariage ? Ce dédit m'embarrasse et me tient en cervelle. Ah ! Madame, en ces lieux Quel bonheur tout nouveau vous présente à mes yeux ? Ces soupçons mal fondés me font trop d'injustice ; Et je n'aime que vous, adorable Clarice. Si dans mon cabinet vous vouliez bien écrire, Vous auriez plus tôt fait. Vous me ferez plaisir, Madame, assurément. Ah ! Je vois ma méprise. Carlin, tout est perdu ! J'ai fait une sottise. En plaçant là Clarice, en mon esprit distrait, Je n'ai pas réfléchi que dans le même endroit J'avais mis Isabelle. Le hasard, malgré moi, dans ce lieu vous assemble, Mon dessein n'était point de vous y mettre ensemble. Votre mère tantôt... Madame, vous saurez... Je n'ai pas réfléchi que... Le hasard... Moi, je me désespère. Allons de l'une et l'autre arrêter la colère. Peut-être elle pourra revenir en ces lieux. Et n'avez-vous jamais eu que ce père-là ? Que cette soeur, Monsieur, j'ai voulu dire. Chacun ne peut pas être aussi sage que vous : Tous les hommes, Monsieur, sont différemment fous ; Chacun a sa folie, et j'ai grâce à vous rendre De ne trouver en moi qu'un défaut à reprendre. On parle volontiers ; mais un homme d'esprit Doit donner rarement créance à ce qu'on dit. De louange et d'encens les hommes sont avares ; Ils font rarement grâce aux vertus les plus rares ; Au lieu qu'avec plaisir, d'une langue sans frein, De leurs traits médisants ils chargent le prochain. Je suis toujours en garde, et n'ai pas voulu croire Cent bruits semés de vous, fâcheux à votre gloire. Non. Non. Non, vous dis-je, monsieur ; et je ne vois personne Qui de ces vices-là seulement vous soupçonne : Mais on ne me dit pas de vous autant de bien Que je souhaiterais. On dit (je n'en crois rien) Qu'en discours vous prenez un peu trop de licence ; Qu'on ne peut se soustraire à votre médisance ; Que vous parlez toujours avant que de penser ; Que tout votre mérite est de chanter, danser ; Que, pour vous faire croire homme à bonne fortune, Vous passez en hiver les nuits au clair de lune, À souffler dans vos doigts, et prendre vos ébats Sur la porte d'Iris, qui ne vous connaît pas ; Que souvent vous prenez trop de vin de champagne, Et qu'il faut que toujours quelqu'un vous accompagne, Pour pouvoir vous montrer votre chemin la nuit, Et même quelquefois vous reporter au lit. Enfin, que sais-je, moi ? L'on charge ma mémoire De cent mauvais récits que je ne veux pas croire : Et tout homme prudent doit se garder toujours De donner trop crédit à de mauvais discours. J'ai bien un autre soin qui m'occupe et m'arrête. Tu t'imagines bien que Clarice en courroux Se livre tout entière à ses transports jaloux, Et m'accable des noms d'ingrat et d'infidèle. D'une autre part aussi que peut dire Isabelle ? Mais sais-tu bien, maraud, qu'avec ta remontrance, Tu te feras chasser ? Ma manière est fort bonne, et n'en veux point changer. Je ne ressemble point aux hommes de notre âge, Qui masquent en tout temps leur coeur et leur visage. Mon défaut prétendu, mon peu d'attention, Fait la sincérité de mon intention. Je ne prépare point avec effronterie Dans le fond de mon coeur d'indigne menterie ; Je dis ce que je pense, et sans déguisement ; Je suis, sans réfléchir, mon premier mouvement ; Un esprit naturel me conduit et m'anime : Je suis un peu distrait, mais ce n'est pas un crime. Te tairas-tu, maraud ? ... Un cerveau faible, étroit, qui ne tient qu'une chose, Peut répondre en tout temps à ce qu'on lui propose ; Mais celui qui comprend toujours plus d'un objet Peut bien être excusé s'il est un peu distrait. C'est le moindre défaut qu'on puisse reprocher. Est-il juste, après tout, que l'on s'assujettisse À répondre à cent sots selon leur sot caprice ? Ce qu'on pense vaut mieux cent fois que leurs discours. J'irais de ma pensée interrompre le cours, Pour un jeune étourdi qui me rompt les oreilles De ses travaux fameux d'amour et de bouteilles ; Pour un plaisant qui vient de son bruit m'enivrer, Qui croit me faire rire, et qui me fait pleurer ; Pour un fastidieux qui n'a pour l'ordinaire, Ni le don de parler, ni l'esprit de se taire ! Carlin, remettant son justaucorps. Mais voyez, s'il vous plaît, quelle distraction ! Je crains pour mon amour quelque altération. La belle est en courroux ; toute mon innocence Ne me rassure pas, et je crains sa présence. Je serai satisfait, Si la lettre, Carlin, a l'effet que j'espère. En cette occasion, Carlin, je te veux croire. Va vite me chercher la table et l'écritoire. Je veux la rassurer de ses soupçons jaloux, Dissiper son erreur. Oui, charmante Clarice, Vous verrez que mon coeur, dépouillé d'artifice, Ne brûle que pour vous d'un véritable feu ; Et ma main, sur-le-champ, en va signer l'aveu. Comment ! Es-tu donc ivre ? Pour écrire un billet tu m'apportes un livre ! Eh ! Tais-toi, je te prie ; Ne me fatigue point par tes mauvais discours. Les valets sont fâcheux, et font tout à rebours. Quelque mauvais génie Des plumes que je prends vient empêcher l'effet. Tu peux avoir raison ; c'est contre ta coutume. Ma lettre est achevée... De mon esprit trop prompt c'est à moi de me plaindre. Il faut recommencer, le mal n'est pas bien grand. Je ne plains point, Carlin, la peine que je prends. Isabelle ? Ne me parle point d'elle. Fais trève à tes paroles. Cela peut être vrai pour de serviles âmes Qui trafiquent d'un coeur. J'ai fini. Je n'ai plus Qu'à cacheter ma lettre, et mettre le dessus. Tu deviens insolent. Tiens, porte de ce pas la lettre à son adresse. De ton zèle empressé j'attends tout dans ce jour, Et me remets sur toi du soin de mon amour. Ah ! Madame... à propos avez-vous lu ma lettre ? Un autre que Carlin en vos mains l'a remise ? Le maraud ! Je saurai châtier sa méprise ; Je le rouerai de coups ; le coquin tous les jours Lasse ma patience, et me fait de ces tours. Je le vois. Viens çà, traître ; aux dépens de ta vie Je veux tirer raison de cette perfidie. Tu mourras de ma main. Parle sans imposture. Qu'as-tu fait de ma lettre ? Et quel affreux démon Te pousse à me trahir d'une telle façon ? Et voilà pour ta mort l'arrêt tout prononcé. Quelle faute insensé ! Ne t'avais-je pas dit de la rendre à Clarice ? Mais le dessus écrit suffit pour te confondre. À ce témoin muet que pourras-tu répondre ? Pour lui faire sentir son peu de jugement, De grace prêtez-moi cette lettre un moment. Viens, tête sans cervelle, Lis avec moi, bourreau ; lis donc... « Pour Isabelle. » Ah ! De grâce, madame, Pardonnez mon erreur en faveur de ma flamme : Mon coeur n'a point de part au crime de ma main. Mais si vous avez lu le dedans de ma lettre, De ces soupçons cruels elle a dû vous remettre. C'est ce malheureux-là qui, pendant que j'écris, M'embarrasse l'esprit de ses impertinences. À mes distractions faites grâce, Madame ; Nul autre objet que vous ne règne dans mon âme. Je crois qu'à mes desirs vous n'êtes point contraire. Non, sans doute. N'as-tu point de sa part quelque lettre à me rendre ? Toi, Carlin, à l'instant prépare ce qu'il faut Pour aller voir mon oncle, et partir au plus tôt. Tu m'en fais souvenir, je l'avais oublié. **** *creator_regnard *book_regnard_distrait *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_distrait *dist2_regnard_verse_comedy *id_CLARICE *date_1697 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_clarice Chaque amant parle ainsi : mais souvent, de retour, Il oublie avec lui de ramener l'amour. Notre sexe autrefois changeait, c'était la mode ; Le premier en amour il prit cette méthode : Les hommes ont depuis trouvé cela si doux, Qu'ils sont dans ce grand art bien plus savants que nous. Madame, vous plaît-il de vous mettre à votre aise ? Nous n'avons qu'un fauteuil ici, ne vous déplaise, Et mon maître s'en sert, comme vous pouvez voir. Je te suis obligée, et ne veux point m'asseoir. Si je vous aimais moins, je serais plus tranquille. À m'alarmer toujours l'amour me rend habile. Je crains autant que j'aime ; et mes faibles appas Sur vos distractions ne me rassurent pas. J'appréhende en secret que quelque amour nouvelle... Qu'entends-je ? Justes dieux ! Ton maître est infidèle ; Son erreur me fait voir qu'il adore Isabelle. Je suis au désespoir ; et je sens dans mon coeur Mon amour outragé se changer en fureur. Si quelqu'un me déplaît en ce moment, c'est vous. Vous. Vous êtes un ingrat, un lâche, un infidèle : Suivez, servez, aimez, adorez Isabelle. Vous aimez Isabelle ; et de quelle assurance Prononcez-vous un nom dont mon amour s'offense ? Volontiers. Quels que soient vos discours pour me persuader, J'aime trop, pour ne pas toujours appréhender ; Mais ces distractions, qui vous sont naturelles, Me rassurent un peu de mes frayeurs mortelles. Je vous juge innocent, et crois que votre erreur Provient de votre esprit plus que de votre coeur. Mon oncle, sur ce point, nous prêtera les mains ; Il aime fort mon frère, et toute son envie Serait de voir un jour sa fortune établie : Pour lui-même à la cour il brigue un régiment. Mais dis-moi, seras-tu toujours fou, chevalier ? Cela se voit assez. Je me sens obligée à votre honnêteté. À moi ? D'accord. Il vous ressemble en cela davantage. Mais regardez-moi bien. Je m'en flatte en secret ; du moins il me le dit. Demeurez, et ne me suivez pas. Malgré votre dédit, je viens ici vous dire Que mon oncle à nos feux est tout prêt de souscrire. Mon coeur en est charmé ; mais je crains votre humeur, Et qu'une autre que moi ne règne en votre coeur. De votre rapporteur je reçois cette lettre : Vous pouvez de ses soins bientôt tout vous promettre. Je vous quitte un moment, et je monte là-haut Pour lui faire réponse, et reviens au plus tôt. Je craindrais de vous nuire. Puisque vous le voulez, j'en use librement. Je vais le supplier de vous faire justice, Et de continuer à vous rendre service. J'aurai fait en deux mots. Vous avez eu le temps, pour vous, tout à loisir, D'y pouvoir, sans témoins, remplir votre désir. Je ne veux rien savoir. Devant moi gardez-vous de paraître. De vos soins généreux je vous suis obligée : Mais, depuis un moment, mon âme est bien changée. Je ne veux plus me marier. J'ai pensé mûrement aux soins du mariage, Aux chagrins presque sûrs où son joug nous engage, À cette liberté que l'on perd sans retour : L'hymen est trop souvent un écueil pour l'amour. Je ne me sens point propre aux soins d'une famille ; Et, tout considéré, j'aime mieux rester fille. D'accord ; mais plus on voit de près le précipice, Plus nos sens étonnés frémissent du danger. Léandre est pris ailleurs ; et, pour le dégager, Votre application peut-être serait vaine. Quelle est votre querelle ? On connaît ton bon coeur, Et je sais qui t'oblige à parler de la sorte ; C'est l'amour de mon bien. Mon frère, cependant, tu veux te marier. Mon frère, cependant, tu veux te marier. Mon frère, cependant... Mais tu me dis aussi toujours la même chose. Pour faire une réponse aux termes d'un billet, Léandre a bien voulu m'ouvrir son cabinet, Où j'ai trouvé d'abord Isabelle enfermée. Et Lisette. Lisette, tu remets le calme dans mon âme ; Mon soupçon se dissipe, et fait place à ma flamme. Peut-être à tes discours j'ajoute trop de foi ; Mais Léandre aujourd'hui triomphe encor de moi. Que me veux-tu, mon frère ? Je prends comme je dois tes conseils là-dessus ; Mais l'avis ne vaut pas cinquante mille écus. J'espère qu'à la fin Mon oncle avec Léandre unira mon destin. De Léandre ? L'ai-je bien entendu ? Dois-je en croire mes yeux ? Mais je puis sur-le-champ m'éclaircir encor mieux. Lisons. « Pour Isabelle. » Ô ciel ! Je suis trahie. Je vois, je tiens, je sens toute sa perfidie. Mais je vois son valet. Approche, monstre affreux, Ministre impertinent d'un maître malheureux. À qui va cette lettre ? Est-ce pour Isabelle ? Avec ces vains détours penses-tu me tromper ? Voyons. Demeure là ; ne crois pas m'échapper. « Je suis au désespoir, Mademoiselle, que l'aventure du cabinet vous ait donné quelque soupçon de ma fidélité. » Viens çà, maraud ; réponds, parle. Que je lise, maraud ! Que veux-tu qu'il m'apprenne ? De ses déloyautés ne suis-je pas certaine ? J'ai peine, en le voyant, à tenir ma colère. Vous voilà donc, Monsieur ! Cherchez-vous en ces lieux Que ma rivale encor se présente à mes yeux ? Oui, traître ! Ma rivale a su me la remettre : Je la tiens d'Isabelle ; et le cas qu'elle en fait Peut me venger assez de ton lâche forfait. Vous tâchez, inconstant, à me séduire en vain ; Mais je ne reçois point un grossier artifice. Ma curiosité m'en a fait lire assez ; Je n'en ai que trop lu. « Je suis au désespoir que l'aventure du cabinet vous ait pu donner quelque soupçon de ma fidélité. Votre rivale ne servira qu'à rendre votre triomphe plus parfait. Monsieur, par la présente, il vous plaira payer à damoiselle, en blanc, d'elle valeur reçue, et dieu sait la valeur. » Vois donc. « Oui, belle Clarice, je n'adore que vous, et fais tout mon bonheur de vous aimer le reste de ma vie. » Je respire. Ah ! Carlin, c'est une joie extrême De trouver innocent un coupable qu'on aime ; Et que, sans nul effort, on fait un prompt retour Des mouvements jaloux aux transports de l'amour ! Tu nous fais bien attendre. Dis-nous donc, si tu veux, cette action si noire. Une autre fois aussi je serai plus discrète. **** *creator_regnard *book_regnard_distrait *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_distrait *dist2_regnard_verse_comedy *id_ISABELLE *date_1697 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_isabelle J'ignorais qu'une fille, au mot de mariage, D'une prompte rougeur dût couvrir son visage. Je dois vous obéir ; et, quand je l'entendrai, Puisque vous le voulez, d'abord je rougirai. N'étaient-ils pas ainsi tous faits de votre temps ? Vous n'avez pas laissé d'en prendre un étant fille. On ne fait donc point mal à se faire enlever ? Je n'en demande point : Mais, s'il s'en rencontrait quelqu'un qui pût me plaire, Je pourrais l'accepter, ainsi qu'a fait ma mère. Ah ! Je sens, lorsque je vois un petit homme à peindre... Je sens là je ne sais quoi qui plaît ; Mais je ne saurais bien vous dire ce que c'est. Ah ! Si vous le voyiez, vous l'aimeriez vous-même. Il me dit tous les jours qu'il m'estime, qu'il m'aime ; Il pleure quand il veut. Tu sais comme il est fait, Lisette ; et tu nous peux en faire le portrait. Il est tout fait pour moi, l'on ne peut davantage. Je ne le verrai point, vous serez obéie ; Mes yeux trop curieux n'iront point le chercher : Mais lui, s'il me veut voir, puis-je l'en empêcher ? Vous êtes avec moi toujours prête à gronder. Je parais toute sotte alors qu'on me querelle, Et cela me maigrit. Il me semble pourtant que j'aurai peine à plaire, Et je n'ai pas les yeux si vifs qu'à l'ordinaire. Ma mère en est la cause, et ce qu'elle me dit Me brouille tout le teint, me sèche et m'enlaidit. Que ce serait bien fait ! Car enfin, en amour, Il faut, n'est-il pas vrai ? Que chacun ait son tour. Oh ! Je n'en sais pas tant. Je ne sais si ce que mon coeur sent Se peut nommer amour ; mais enfin je t'avoue Que j'ai quelque plaisir d'entendre qu'on le loue : Par un destin puissant, et des charmes secrets, Je me trouve attachée à tous ses intérêts ; Je rougis, je pâlis, quand il s'offre à ma vue : S'il me quitte, des yeux je le suis dans la rue ; Mais que te dis-je, hélas ! Mon coeur partout le suit : Ses manières, son air, occupent mon esprit ; Et souvent, quand je dors, d'agréables mensonges M'en présentent l'image au milieu de mes songes. Est-ce estime ? Est-ce amour ? Tu sais bien que ma mère est d'une humeur étrange ; Crois-tu que son esprit à ce parti se range ? Elle m'a défendu de voir le chevalier. Monsieur le chevalier... Vous êtes mal debout : voulez-vous vous asseoir ? Lisette, des fauteuils. Oh ! Monsieur, je sais bien... Paix donc ; ne lui dis rien, Lisette, qui le blesse. Elle est toujours grondeuse : Elle m'a depuis peu défendu de vous voir. En mari ! Mais, Monsieur, vous êtes chevalier : Ces gens-là ne sauraient, dit-on, se marier. Ah ! Monsieur, sauvez-vous. Sortez. Non, revenez. Elle approche, elle vient. ô ciel ! Ma joie en est extrême. Io amo, j'aime. Io amo, j'aime. Ah ! Contre-temps fâcheux ! N'as-tu pas ri, Lisette, à voir danser ma mère ? Laissons pour quelque temps passer ici l'orage. Léandre vient ; il faut nous ranger du passage. Écoutons un moment ; nous n'oserions sortir. De ses distractions il faut nous divertir ; Il ne manquera pas d'en faire ici paraître. Approchons-nous. Il ne m'aime pas trop, Lisette. Bon ! Votre coeur pour moi ne fut jamais touché ; Par de plus nobles noeuds vous êtes attaché : Je suis un peu jolie ; au reste peu capable De fixer le penchant d'un homme raisonnable : Malgré les faux dehors de ma simplicité, Je suis coquette au fond. Lisette, que dis-tu ? Quel parti prendre, ô ciel ! Je tremble, je frissonne. Sa brusque humeur sur nous pourrait bien éclater : Aidez-moi, s'il vous plaît, monsieur, à l'éviter. Volontiers. Mais que personne au moins Ne puisse nous y voir. Vous pouvez dans ce lieu tout à votre aise écrire, Et tant qu'il vous plaira ; pour moi je me retire. Je suis au désespoir. Vous êtes un traître. Croit-il que de mon coeur je sois embarrassée, Et que de l'engager on ait eu la pensée. Pour m'outrager encore, il a mis tant d'étude À m'offrir un billet pour Clarice dicté ! Mon parti sur ce point est fort facile à prendre. Je ne veux rien entendre. Vous savez son humeur. Ah ! Juste ciel ! Je tremble ; Elle peut revenir et nous trouver ensemble. Nous aurons de la peine à venir à bout d'elle. Tant mieux. Mais puisque enfin vous épousez Léandre, L'amitié, la raison m'obligent à vous rendre Un billet amoureux qu'il m'écrit. Le voici. De lui. De ce qui s'est passé je saurai vous instruire. Suivez-moi seulement, et demeurez en paix. Tenez, voilà la lettre, et le cas que j'en fais. Adieu. Ma mère... Écoutez-moi. Lorsque j'en donnerai, je serai plus secrète. **** *creator_regnard *book_regnard_distrait *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_distrait *dist2_regnard_verse_comedy *id_LECHEVALIER *date_1697 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lechevalier Bonjour, mon oncle. Ah ! Ah ! Lisette, te voilà ! Je ne veux de ma vie oublier celui-là. Oh ! Parbleu, si je ris, ce n'est pas sans sujet. Léandre, ce rêveur, cet homme si distrait, Vient d'arriver en poste ici couvert de crotte : Le bon est qu'en courant il a perdu sa botte, Et que, marchant toujours, enfin il s'est trouvé Une botte de moins quand il est arrivé. L'aventure est comique, ou je me donne au diable. Mais ce n'est rien encore ; et son valet m'a dit (Je le crois aisément) que le jour qu'il partit Pour aller voir mourir son oncle en Normandie, Il suivit le chemin qui mène en Picardie, Et ne s'aperçut point de sa distraction Que quand il découvrit les clochers de Noyon. Fussiez-vous descendu du lugubre Héraclite De père en fils, parbleu, vous rirez de ce trait. Vous faites le Caton ; riez donc tout-à-fait, Mon oncle ; allons gai, gai ; vous avez l'air sauvage. Si quelqu'un rit de moi, moi, je ris de bien d'autres. Vous condamnez mes airs, et je blâme les vôtres ; Et, dans ce beau conflit, ce que je trouve bon, C'est que nous prétendons avoir tous deux raison. Pour moi, je n'ai pas tort. Il faut bien que je rie De tout ce que je vois tous les jours dans la vie. Cette vieille qui va marchander des galants, Comme un autre ferait du drap chez les marchands ; Cidalise, qu'on sait avoir l'âme si bonne Qu'elle aime tout le monde et n'éconduit personne ; Lucinde, qui, pour rendre un adieu plus touchant, Jusque sur la frontière accompagne un amant, Ne sont pas des sujets qui doivent faire rire ? Parbleu, vous vous moquez. Il ne prêche pas mal. Passez au second point, Je suis déjà charmé. Que dis-tu de ma danse, Lisette ? Votre troisième point sera-t-il le plus fort ? Soyez bref en tout cas, car Lisette s'endort ; Moi, je bâille déjà. Mais que fais-je donc tant, Monsieur, ne vous déplaise, Pour trouver ma conduite à tel excès mauvaise ? J'aime, je bois, je joue ; et ne vois en cela Rien qui puisse attirer ces réprimandes-là. Je me lève fort tard, et je donne audience À tous mes créanciers. De là, je pars sans bruit, Quand le jour diminue et fait place à la nuit, Avec quelques amis, et nombre de bouteilles Que nous faisons porter pour adoucir nos veilles, Chez des femmes de bien dont l'honneur est entier, Et qui de leur vertu parfument le quartier. Là, nous perçons la nuit d'une ardeur sans égale ; Nous sortons au grand jour pour ôter tout scandale ; Et chacun, en bon ordre, aussi sage que moi, Sans bruit, au petit pas se retire chez soi. Cette vie innocente est-elle condamnée ? Ne faire qu'un repas dans toute une journée ! Un malade, entre nous, se conduirait-il mieux ? Voyez-le par vos yeux. Nous sommes cinq amis que la joie accompagne, Qui travaillons ce soir en bon vin de champagne. Vous serez le sixième, et vous paierez pour nous ; Car à cinq chevaliers, en nous cotisant tous, Et ramassant écus, livres, deniers, oboles, Nous n'avons encor pu faire que deux pistoles. À propos de folie, Savez-vous que dans peu, Monsieur, je me marie ? Comment gouvernes-tu cet objet de mes voeux ? S'apprête-t-elle à couronner mes feux ? C'est un petit bijou que toute sa personne, Que je veux mettre en oeuvre, et que j'affectionne : Elle est jeune, elle est riche ; et de la tête aux pieds, Vous en seriez charmé, si vous la connaissiez. Elle ne prétend pas ! Il faut que nous voyions Qui des deux doit avoir quelques prétentions. Elle ne prétend pas ! Parbleu, le mot me touche ; Je veux apprivoiser cet animal farouche. Nous allons voir ; suis-moi. Elle ne prétend pas ! Ah ! Vous pouvez lui dire Que nous sommes instruits comme il faut se conduire ; Et nous savons la règle établie en tel cas. Je la trouve admirable ; elle ne prétend pas ! J'y penserai, mon oncle. Adieu. Toi, fine mouche, Va conter mon amour à l'objet qui me touche. Une affaire à présent m'empêche de le voir : Je vais tâter du vin dont nous ferons ce soir Une ample effusion ; et cependant, la belle, Accepte ce baiser de moi pour Isabelle. J'adore ta maîtresse, et je sens que je t'aime Aussi par contre-coup. Hé ! Bonjour, mon ami. Quelle heureuse rencontre ! Quoi ! Ma soeur, te voilà ? Je t'en sais fort bon gré. Viens-tu par inventaire, Du coeur de ton amant te porter héritière ? C'est un charmant objet qu'un nouvel héritier ; Et le noir est pour moi la couleur favorite : Un amant en grand deuil a toujours son mérite ; Et quand comme Carlin on serait mal formé, Du moment qu'on hérite, on est sûr d'être aimé. Tu te fâches, mon cher ! Il faut que je t'embrasse. L'oncle a donc fait la chose enfin de bonne grâce ? As-tu trouvé le coffre à ton gré copieux ? Ses écus, ses louis étaient-ils neufs ou vieux ? Le bonhomme est donc mort ! J'en ai bien du regret. Je te le veux chanter ; j'en ai fait la musique, Et les vers, dont chacun vaut un poème épique. "Je me console au cabaret "Des rigueurs d'une Iris qui rit de ma tendresse ; "Là mon amour expire, et Bacchus en secret "Succède aux droits de ma maîtresse. "Là mon amour expire... "Et Bacchus en secret "Succède, succède... Ce bémol est-il fin, et va-t-il droit au coeur ? "Succède... Qu'en dis-tu ? "Succède aux droits de ma maîtresse. " Que vous semble, Monsieur, et de l'air et des vers ? J'ai de ma part aussi quelque chose à te dire. Il nous faut divertir... Ton maître au moins n'est pas trop sage. Ma soeur, un régiment ! Cet homme-là, ma soeur, t'aime à perdre l'esprit. Je crois bien que vos voeux tendent au mariage : Ma soeur en vaut la peine ; elle est belle, elle est sage. Comment donc, point du tout ? Cette grâce, cet air... Cependant vous l'aimez ? Et qui vous parle ici de vers et de musique ? Cet amant-là, ma soeur, est tout-à-fait comique. Non vraiment. Je vous entretenais ici de votre flamme ; Et voulais pour ma soeur faire expliquer votre âme, Savoir si vous l'aimez. Vous avez le goût bon. Si je n'étais son frère, Près d'elle on me verrait pousser bien loin l'affaire ; Mais je suis pris ailleurs. Près d'un objet vainqueur Je fais à petit bruit mon chemin en douceur. J'ai jusqu'ici conduit mon affaire en silence ; J'abhorre le fracas, le bruit, la turbulence ; Et je vais pour chercher cet objet de mes feux. Vous êtes trop honnête, il n'en est pas besoin. Vous ne vous trompez pas, c'est une autre elle-même. Mais si jamais, Monsieur, vous êtes son époux, Dans vos distractions défiez-vous de vous. Une femme suffit, tenez-vous à la vôtre ; N'allez pas, par méprise, en conter à quelque autre. Ma soeur n'est pas ingrate ; et, sans égard aux frais, Elle vous le rendrait avec les intérêts. Adieu, Monsieur. Je suis tout à votre service. Nous autres gens de cour, Nous savons abréger le chemin de l'amour. Voudrais-tu donc me voir, en amoureux novice, De l'amour à ses pieds apprendre l'exercice, Pousser de gros soupirs, serrer le bout des doigts ? Je ne fais point, morbleu, l'amour comme un bourgeois ; Je vais tout droit au coeur. Le croiriez-vous, la belle ? Depuis dix ans et plus je cherche une cruelle, Et je n'en trouve point, tant je suis malheureux ! J'ai bien bu cette nuit ; et, sans fanfaronnades, À votre intention j'ai vidé cent rasades. Mon feu, qui dans le vin s'éteint le plus souvent, Reprend vigueur pour vous, et s'irrite en buvant. Il fait, parbleu, bien chaud. Point de fauteuil, de grâce. Un fauteuil m'embarrasse. Un homme là-dedans est tout enveloppé ; Je ne me trouve bien que dans un canapé. Fais-m'en approcher un pour m'étendre à mon aise. Lisette est en courroux. çà, changeons de discours. Comment suis-je avec vous ? M'adorez-vous toujours ? Cette maman encor fait-elle la hargneuse ? C'est un vrai porc-épic. De me voir ? Elle a tort. Sans me faire valoir, Je prétends vous combler d'une gloire parfaite ; Car ce n'est qu'en mari que mon coeur vous souhaite. Quel abus ! Nous faisons tous les jours alliance Avec tout ce qu'on voit de femmes dans la France. Laissez, laissez-moi seul affronter la tempête. C'est fort bien dit. En cette occasion j'admire ton esprit. J'ai par bonheur été deux ans en Italie. Un grand homme disait que s'il parlait aux dieux, Ce serait espagnol ; italien aux femmes ; L'amour par son accent se glisse dans leurs âmes : À des hommes, français ; et suisse à des chevaux. Das dich der donder schalcq. Or je vous disais donc tantôt que l'adjectif Devait être d'accord avec le substantif. Isabella bella, c'est vous, belle Isabelle. Amante fedele, c'est moi, l'amant fidèle ; Qui veut toute sa vie adorer vos appas. Il faut les accorder en genre, en nombre, en cas. Ayez pour la grammaire un peu de révérence. Il faut présentement passer au verbe actif ; Car moi, dans mes leçons, je suis expéditif. Nous allons commencer par le verbe amo , j'aime. Ne le voulez-vous pas ? Conjuguez avec moi, pour bien prendre l'accent. Io amo, j'aime. Vous ne le dites pas du ton que je demande. Vous me pardonnez bien si je la réprimande. Il faut plus tendrement prononcer ce mot-là : Io amo, j'aime. Le charmant naturel, Madame, que voilà ! Aux dispositions qu'elle m'a fait paraître, Elle en saura bientôt trois fois plus que son maître. Je suis charmé. Voyons si d'un ton naturel Vous pourrez aussi bien dire le pluriel. J'ai trop bien commencé pour ne pas achever. Il est vrai, j'en conviens ; Cela n'empêche pas que, dans quelques familles, Je ne montre parfois l'italien aux filles. Ah ! Point d'emportement. Madame, doucement ; N'allez pas, devant moi, gronder mes écolières. Je veux que nous dansions ensemble une courante. Ah ! Mon oncle, parbleu ! Je vous trouve à propos Pour vous laver la tête, et vous dire en deux mots... Se peut-il qu'à votre âge Vous n'ayez pas encor les airs d'un homme sage ? Si j'en faisais autant, je passerais chez vous Pour un franc étourdi. Là, là, répondez-nous. Mais, mais, mais ! Je m'étais introduit tantôt chez Isabelle, Que j'aime à la fureur, et qui m'aime encor plus ; J'y passais pour un autre ; et Monsieur, là-dessus, Est venu brusquement gâter tout le mystère, Et m'a mal à propos fait connaître à la mère. Parlez ; n'est-il pas vrai ? Eh ! Ventrebleu, C'est un étrange cas. Faut-il que la jeunesse Apprenne maintenant à vivre à la vieillesse, Et qu'on trouve des gens, avec des cheveux gris, Plus étourdis cent fois que nos jeunes marquis ? Je n'y connais plus rien. Dans le siècle où nous sommes, Il faut fuir dans les bois, et renoncer aux hommes. Ma soeur ? Vous vous moquez. Quelle injustice, ô ciel ! On me vole, on me pille. Cela n'est point dans l'ordre ; et l'on sait qu'une fille, Pour enrichir un frère, en faire un gros seigneur, Doit renoncer au monde. Oui, le diable m'emporte. Veux-tu que sur ce point je m'explique en bon frère ? Tu sais bien qu'entre-nous nous parlons assez net. Un hymen, quel qu'il soit, n'est point du tout ton fait. Te voilà faite au tour, nul soin ne te travaille ; Et le premier enfant te gâterait la taille. Crois-moi, le mariage est un triste métier. Le devoir d'une femme engage à mille choses ; On trouve mainte épine où l'on cherchait des roses : Le plaisir de l'hymen est terrestre et grossier. Parlons à coeur ouvert, et confessons la dette. Je suis un peu coquet, tu n'es pas mal coquette : Notre mère l'était, dit-on, en son vivant ; Nous chassons tous de race, et le mal n'est pas grand. Si quelque amant venait frapper ta fantaisie, Tu pourrais avec lui faire quelque folie. Tu vas te récrier, Mon frère, cependant, tu veux te marier. Que diable ! Tu réponds toujours la même prose. Bon ! Bon ! Il faut la prévenir. Comment ! Un rendez-vous ? Que dis-tu ? Prends bien garde ; C'est ma soeur. Isabelle ! Ah ! Petite rusée ! Avant le mariage on me fait de ces tours ! L'augure est vraiment bon pour nos futurs amours ! Eh bien ? Écoute donc, ma soeur. Mets-toi dans un couvent, tu ne saurais mieux faire. Voilà ce que me vaut ta légère cervelle. Le maudit instrument qu'une langue femelle ! De ses soupçons jaloux pourquoi la guéris-tu ? C'est Léandre ; tant mieux, j'ai deux mots à lui dire. Un sort heureux, Monsieur, vous présente à mes yeux. Je sais que vous voulez devenir mon beau-frère ; C'est fort bien fait à vous : ma soeur a de quoi plaire ; Elle est riche en vertus ; pour en argent comptant, Je crois, sans la flatter, qu'elle ne l'est pas tant. Quand mon père mourut, il nous laissa, pour vivre, Ses dettes à payer, et sa manière à suivre : C'est, comme vous voyez, peu de bien que cela. Comment ? Je sais votre naissance et votre probité, Et je suis fort content de vous par ce côté. Vous n'avez qu'un défaut qui partout vous décèle ; Dans le fond cependant c'est une bagatelle ; Mais je serais content de vous en voir défait. Vous êtes accusé d'être un peu trop distrait ; Et tout le monde dit que cette léthargie Fait insulte au bon sens, et vise à la folie. Ce que je vous en dis n'est que par amitié ; Et je vous trouve, moi, trop sage de moitié. On ne m'entend jamais censurer ni médire, Et je ne dis ici que ce que j'entends dire. Que peut-on, s'il vous plaît, Monsieur, dire de moi ? On n'insultera pas ma naissance, je crois. Nul dans l'univers ne peut dire, je gage, Que dans l'occasion je manque de courage. Peut-on m'accuser d'être fourbe, flatteur, Fat, insolent, ingrat, suffisant, imposteur ? Adieu, Carlin, adieu. Eh bien ! La mère encor fait-elle le lutin ? Pourrons-nous nous soustraire à son brusque chagrin ? Que ce soin ne vous fasse aucune impression : Je vous prends en ces lieux sous ma protection. N'êtes-vous pas ma femme ? Et pour hâter les choses, J'ai dressé le contrat moi-même avec les clauses, Dont mon oncle est porteur. Avant d'accorder tout à mon juste transport, Je veux sur son esprit faire un dernier effort, Me jeter à ses pieds, lui dire mes alarmes, Crier, gémir, pleurer ; car j'ai le don des larmes. Lisette m'appuiera. Malgré son noir chagrin, Nous la flatterons tant, qu'il faudra bien enfin Qu'elle me cède un bien dont mon amour est digne. Eh bien ! Ma chère soeur, quel soin ici t'amène ? Et quelle intention est maintenant la tienne ? As-tu pris ton parti ? Quel rôle fais-je ici ? Un rival odieux aurait pu vous écrire ? Bonsoir, ma soeur. Il faut aller, madame, Faire un dernier effort pour couronner ma flamme. Le dessein en est pris ; je ne vous quitte point Que je ne sois enfin satisfait sur ce point. Je prétends, malgré vous, devenir votre gendre : Vous ne sauriez mieux faire ; et, pour vous en défendre, Vous avez beau pester, crier, tempêter... Là, là... doucement. Un peu de naturel. Moi, je m'inscris en faux contre ce qu'il peut faire. Passons les qualités. Cela ne rendra pas le contrat moins valide. C'est Carlin. Dans peu je me propose De l'être encore plus : si je vaux quelque chose, C'est par là que je vaux, et par ma belle humeur. J'ai, si vous la grondez, un menuet tout prêt. Allons, embrassez-vous, vous ne sauriez mieux faire ; Vous serez belles-soeurs. Mais, surtout, gardez-vous De prendre à l'avenir le même rendez-vous. **** *creator_regnard *book_regnard_distrait *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_distrait *dist2_regnard_verse_comedy *id_VALERE *date_1697 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_valere Quoi ! Toujours opposée à toute une famille ? Vous ne voulez point marier votre fille ? Quand on vous en parle, on vous met en courroux. Vous ne prendrez point des sentiments plus doux ? Fort bien ! Non, oui, non : beau discours ! Vos répliques Me paraissent, pour moi, tout à fait laconiques. Mais, pour mieux raisonner avec vous là-dessus, Et pour rendre un moment le discours plus diffus, Dites-moi, s'il vous plaît, la véritable cause Qui vous fait rejeter les partis qu'on propose. Ce fameux partisan, par exemple, pourquoi... ? Ah ! Ah ! Nouvelle est la maxime. Et ce jeune marquis, cet homme d'importance ? Vous ne lui pouvez pas reprocher sa naissance : Il a les airs de cour, parle haut, chante, rit ; Il est bien fait ; il a du coeur et de l'esprit. Fort bien ! La réponse est honnête ; Et vous avez toujours quelque défaite prête. Il s'offre deux partis, vous les chassez tous deux : Le premier est trop riche, et le second trop gueux. Dans vos brusques humeurs je ne puis vous comprendre. Comment prétendez-vous que soit fait votre gendre ? Cet homme à rencontrer sera très difficile ; Et, si vous le trouvez, je vous tiens fort habile. Vous nous en faites voir un rare et beau portrait : Et si vous ne voulez de gendre qu'ainsi fait, Quoique Isabelle soit et riche et de famille, Elle court grand hasard de vivre et mourir fille. Léandre ! Je croyois, à parler aussi sans artifice, Qu'il avait quelque goût pour ma nièce Clarice. Mais m'assurerez-vous que Léandre, en son coeur, Malgré votre dédit, n'ait point une autre ardeur ; Et que, d'une autre part, votre fille Isabelle À vos intentions n'ait pas un coeur rebelle ? Il faut que sur ce point nous la fassions parler ; Son coeur s'expliquera sans rien dissimuler. N'allez pas la gronder, Ni par votre air sévère ici l'intimider. Elle rit. Bon, tant mieux ; j'en tire un bon augure. Je veux plus doucement la sonder sur ce point. Voulez-vous un mari ? Avec elle agissons sans aigreur. çà, dites-moi, quelqu'un vous tiendrait-il au coeur ? Allons, parlez-nous sans rien craindre. Eh bien donc ? Mais, c'est le chevalier. S'il n'a pas le bonheur de vous plaire, Songez qu'il m'appartient. C'est un jeune homme à faire. Il a de la valeur ; il est bien à la cour. Il sera très riche quelque jour : Il peut lui convenir de bien, d'esprit, et d'âge. L'amour du chevalier pourrait être innocente. Si vous vouliez pourtant écouter quelque avis... Je le sais ; mais... Mais, Madame, entre nous, il est de la raison... Mais, Monsieur, entre nous, quand de votre façon, Vous aurez, s'il se peut encor, garçon ou fille, Je n'irai point chez vous régler votre famille : De vos enfants alors vous pourrez disposer Tout à votre plaisir, sans que j'aille y gloser. Allons vite, rentrez : faites ce qu'on ordonne. J'avais dessein de faire une double alliance ; Mais ce dédit fâcheux étourdit ma prudence. Léandre a pour Clarice un penchant dans le coeur ; Et si pour Isabelle il a feint quelque ardeur, C'était pour obéir à la voix importune D'un oncle fort âgé, dont dépend sa fortune. Le temps et la raison la changeront peut-être ; Et mon neveu pourra... mais je le vois paraître. Vous, n'aurez-vous jamais celui d'un homme sage ? Faudra-t-il qu'en tous lieux vos airs extravagants, Vos ris immodérés, donnent à rire aux gens ? Eh bien ! Votre satire S'exerce-t-elle assez ? D'un trait envenimé Toujours l'honneur du sexe est par vous entamé. Celles dont vous vantez mille faveurs reçues, De vos jours bien souvent vous ne les avez vues. Sur ce cruel défaut ne changerez-vous point ? Vous vous faites honneur d'être un franc libertin ; Vous mettez votre gloire à tenir bien du vin ; Et lorsque, tout fumant d'une vineuse haleine, Sur vos pieds chancelants vous vous tenez à peine, Sur un théâtre alors vous venez vous montrer : Là parmi vos pareils on vous voit folâtrer ; Vous allez vous baiser comme des demoiselles ; Et, pour vous faire voir jusque sur les chandelles, Poussant l'un, heurtant l'autre, et comptant vos exploits, Plus haut que les acteurs vous élevez la voix ; Et tout Paris, témoin de vos traits de folie, Rit plus cent fois de vous que de la comédie. Moi, votre train de vie Cent fois bien autrement et me lasse et m'ennuie ; Et je serai contraint de faire à votre soeur Le bien que je voulais faire en votre faveur. Votre père en mourant, ainsi que votre mère, Vous laissèrent de bien une somme légère ; Et, pour vous établir le reste de vos jours, Vous devez de moi seul attendre du secours. Mais n'êtes-vous pas fou ?... Je la connais : mais vous, connaissez-vous sa mère ? Elle ne prétend pas songer à cette affaire. Hé ! Doucement de grâce ; Ralentissez un peu cette amoureuse audace. À vous voir, on vous croit partir pour un assaut. Et chez les gens ainsi s'en va-t-on de plein saut ? Je n'épargnerai rien pour la rendre capable De prendre à votre amour un parti convenable. Vous, cependant, tâchez, avec des airs plus doux, À mériter le choix qu'on peut faire de vous. Ah ! Je suis, mon neveu, ravi de vous trouver. Madame, vous voyez, sans trop de complaisance, Un gentilhomme ici d'assez belle espérance ; Et s'il pouvait vous plaire, il serait trop heureux. Il a su se produire, Et n'a pas eu besoin de moi pour s'introduire. Lui ? C'est le chevalier. C'est trop pousser la chose ; allons, retirez-vous. Et vous, pour éviter de vous mettre en courroux, Dans votre appartement rentrez, je vous en prie. Mon imprudence est haute ; Mais je veux sur-le-champ réparer cette faute. Je m'en vais la rejoindre, et tâcher de calmer Son esprit violent, prompt à se gendarmer. Plaît-il ? Comment ! D'où vous peut donc venir un si prompt changement ? Je sais bien que l'hymen peut avoir ses dégoûts ; Chaque état a les siens, et nous les sentons tous. Cependant vous vouliez de moi ce bon office. Calmez-vous ; je prétends y réussir sans peine. Léandre sent pour vous une sincère ardeur : Je pourrais bien ici répondre de son coeur ; Et ce n'est qu'un devoir de pure obéissance Qui retient jusqu'ici son esprit en balance. Le début est nouveau. J'ai tort ; mais... D'accord, mon cher neveu ; Mais je réparerai ma faute. Je veux vous marier, et votre soeur aussi. Pourquoi donc ce souci ? Je prétends lui donner cinquante mille écus, Vous réservant, à vous, de mon bien le surplus ; Et je veux aujourd'hui terminer cette affaire. Avec empressement, Monsieur, je viens vous dire Que mon plaisir serait de pouvoir, en ce jour, Au gré de vos souhaits contenter votre amour. Je donne volontiers les mains à cette affaire. Mais il faut du dédit encor vous délier, Et procurer de plus l'hymen du chevalier. Nous nous trouvons toujours dans une peine extrême. J'ai déjà dans ma poche un contrat. Mais, crois-tu... J'entends venir quelqu'un. C'est Madame Grognac. Calmez ce courroux. Il ne répond point trop aux offres que vous faites. Et qui lui fait danser quelquefois la courante. Mon neveu ne craint point la disgrâce cruelle D'un pareil testament. S'il épouse Isabelle, Je lui donne à présent mon bien après ma mort. En faveur de l'amour faites, vous, cet effort. Signez donc ce papier... une plume, Lisette. D'accord. Vous, pour le prix d'une juste tendresse, Soyez heureux, Monsieur ; je vous donne ma nièce. Il ne faut pas ici plus longtemps vous séduire ; Et vous me permettrez maintenant de vous dire Que ce faux testament, Madame, n'est qu'un jeu Inventé par Carlin pour tirer votre aveu. De bonne grâce, Puisque tout est signé, que la chose se fasse. Pour apporter la paix et calmer votre esprit, Je m'oblige pour vous à payer le dédit, Et je donne de plus cette somme à ma nièce. Rentrons, et sur-le-champ terminons cette affaire. **** *creator_regnard *book_regnard_distrait *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_distrait *dist2_regnard_verse_comedy *id_LISETTE *date_1697 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lisette Eh bien, Lisette ! Est-ce fait ? Me voilà. Quoi ! Ce n'est que pour cela ? Vous avez bonne voix. Quel bruit ! À vous entendre, J'ai cru qu'à la maison le feu venait de prendre. Oh ! Vous grondez sans cesse. Elle est, Madame, à sa toilette. Vous parlez bien à l'aise, avec votre censure. Il m'a fallu trois fois réformer sa coiffure. Nous avons toutes deux enragé tout le jour Contre un maudit crochet qui prenait mal son tour. Je vais vous l'amener. Son maître tous les jours vient pourtant l'exercer : Mais que peut-on apprendre en trois ans ? Elle a bien aujourd'hui l'esprit atrabilaire. Nous attendons encore un maître italien, Qui doit venir tantôt. C'est du soir au matin un éternel contrôle. Voilà ce qui s'appelle un ris d'après nature. Quel heureux naturel ! La même chose un jour pourra nous arriver. Elle est bien votre fille, et vous ressemble bien. Vous m'avez ordonné le silence. Bon ! Courage ! Oh ! Je le sais bien, moi : c'est l'amour qui murmure. C'est un petit jeune homme à quatre pieds de terre, Homme de qualité, qui revient de la guerre ; Qu'on voit toujours sautant, dansant, gesticulant ; Qui vous parle en sifflant, et qui siffle en parlant ; Se peigne, chante, rit, se promène, s'agite ; Qui décide toujours pour son propre mérite ; Qui près du sexe encor vit assez sans façon : Vous avez dit son nom. La Madame Grognac a l'humeur hérissonne ; Et je ne vois pas, moi, son esprit se porter À l'hymen que tantôt vous vouliez contracter. La mère d'Isabelle est un diable en procès ; Je crains que notre amour n'ait un mauvais succès. Faites-nous, s'il vous plaît, la grâce de nous dire Le sujet si plaisant qui vous excite à rire. De ces distractions il est assez capable. Il a pris le plus long pour faire sa visite. Vous dansez tout-à-fait en cadence. Oui ; mais en récompense, Vous donnez peu d'argent. Vous êtes trop réglé. Heureux le cabaret, Monsieur, qui vous attend ! Vous voilà cinq seigneurs bien en argent comptant ! Monsieur... L'apprivoiser ! Monsieur ? Vous perdrez votre temps, Et vous prendrez plutôt la lune avec les dents. Modérez les transports de vos convulsions. Je ne me charge point de vos commissions : Donnez-les à quelque autre, ou faites-les vous-même. Monsieur, retirez-vous ; Vous pourriez me blesser ; je crains les contre-coups. Quel amant ! Pour raison importante il diffère D'aller voir sa maîtresse : et quelle est cette affaire ? Il va tâter du vin ! Ma foi, les jeunes gens, À ne rien déguiser, aiment bien en ce temps ? Heu ! Les femmes, déjà si souvent attrapées, Seront-elles encor par les hommes dupées ? Aimera-t-on toujours ces petits vilains-là ? Maudit soit le premier qui nous ensorcela ! Mais à bon chat bon rat ; et ce n'est pas merveille, Si les femmes souvent leur rendent la pareille. Avec plaisir, Carlin, je te vois dans ces lieux. Eh bien ! Ton maître enfin a-t-il trouvé sa botte ? Je sais tout. Je crois Qu'il n'y retourna pas une seconde fois. Ton récit est charmant. Mais, raillerie à part, Dis-moi, qu'avez-vous fait depuis votre départ ? Un bénéfice, toi ? Explique-toi donc mieux. Vous êtes arrivés sans doute un peu trop tard, Et quelque autre avant vous... Il aurait peut-être En faveur de quelqu'un déshérité ton maître ? Il a déclaré, se voyant sur sa fin, Quelque enfant provenu d'un hymen clandestin ? Parle donc, si tu veux. Le trait est vraiment noir, et ne peut se souffrir. Votre course n'a pas produit grand avantage. Sans avoir donc rien fait, vous voilà de retour ! Je vous applaudis fort. Mais comment va l'amour ? Ton maître aime toujours ? Mais, s'il aime Clarice ensemble et ma maîtresse, Que puis-je faire, moi, pour servir sa tendresse ? Les épousera-t-il toutes deux ? Si Léandre ressent une tendresse extrême Pour Clarice, Isabelle est prise ailleurs de même, Et pour le chevalier son coeur s'est découvert. De tes soins empressés nous attendrons l'effet. Je me porte là là : mais toi ? Bon ! C'est des postillons l'ordinaire aventure. Jusqu'au revoir. Adieu, courrier malencontreux. Grâce au ciel, à la fin vous quittez la toilette ; Votre mère aujourd'hui doit être satisfaite. De notre diligence on peut se prévaloir ; Il n'est encore, au plus, que sept heures du soir. Elle enrage à vous voir si grande et si bien faite. La loi devrait contraindre une mère coquette, Quand la beauté la quitte, ainsi que les amants, Et qu'elle a fait sa charge environ cinquante ans, D'abjurer la tendresse, et d'avoir la prudence De faire recevoir sa fille en survivance. Oui, la chanson le dit. Dites-moi, je vous prie, Si pour le chevalier votre âme est attendrie. Est-ce estime ? Est-ce amour ? Mais encor ? C'est ce que vous voudrez ; Mais enfin c'est un mal dont vous ne guérirez Qu'avec un récipé d'un hymen salutaire, Et je veux m'employer à finir cette affaire. Le chevalier, tout franc, est bien mieux votre fait. Léandre a de l'esprit, mais il est trop distrait. Il vous faut un mari d'une humeur plus fringante, Léger dans ses propos, qui toujours danse ou chante ; Qui vole incessamment de plaisirs en plaisirs, Laissant vivre sa femme au gré de ses désirs, S'embarrassant fort peu si ce qu'elle dépense Vient d'un autre ou de lui. C'est cette nonchalance Qui nourrit la concorde, et fait que dans Paris Les femmes, plus qu'ailleurs, adorent leurs maris. Sans se voir, on ne peut pourtant se marier. Ne vous alarmez point : nous trouverons peut-être Quelque moyen heureux que l'amour fera naître, Qui pourra tout d'un coup nous tirer d'embarras. Un sort heureux déjà conduit ici ses pas. Allons donc, soyez sage. Comme vous débutez ! Je le crois bien, Monsieur, vous êtes dangereux ! La manière est plaisante. Vous voulez nous montrer votre tête naissante ; Ce regain de cheveux est encor bon à voir. Tenez-vous sur vos pieds, Monsieur, ne vous déplaise. J'enrage quand je vois des gens qu'à tout moment Il faudrait étayer comme un vieux bâtiment, Couchés dans des fauteuils, barrer une ruelle. Et mort non de ma vie ! Une bonne escabelle ; Soyez dans le respect. Nos pères autrefois Ne s'en portaient que mieux sur des meubles de bois. Bon ! Bon ! Il faut apprendre à vivre à la jeunesse. Ah ! Madame Grognac ! Où nous cacherons-nous ? Ne vous y jouez pas. Il me vient dans la tête Un dessein qui pourra nous tirer d'embarras. Elle sait votre nom, mais ne vous connaît pas : Nous attendons un maître en langue italienne ; Faites ce maître-là, pour nous tirer de peine. Ne le voit-on pas bien ? C'est, comme on vous a dit, ce maître italien Qui vient montrer sa langue. Ah ! Juste ciel, quels mots ! Elle a pour vos leçons l'esprit obéissant. Que le diable t'emporte ! Mais quelle étourderie ! Pour éviter le bruit, j'avais trouvé moyen De le faire passer pour maître italien ; Et vous êtes venu... Voilà, je vous l'avoue, une fâcheuse affaire. Comment donc ! Vous riez, et vous ne craignez pas La foudre toute prête à tomber en éclats ! Je le veux. Demeurons sans nous faire connaître. Écoutons. La curiosité Vous pourra coûter cher, aux sentiments qu'il montre. Voilà donc mon paquet, et vous le vôtre aussi. Lui dirai-je, à la fin, que vous êtes ici ? C'est pendant trop de temps nous cacher à sa vue ; Et je veux l'attaquer. Monsieur, si par hasard Vous vouliez bien sur nous jeter quelque regard. Vous voulez bien, Monsieur, me permettre à mon tour, De vous féliciter sur votre heureux retour ? Monsieur, par charité... Sommes-nous donc déjà des objets de pitié ? De tout ce qu'on me dit vous êtes de moitié. Tournez les yeux sur nous. Et ma maîtresse aussi. Oui, quelqu'un me l'a dit. Cette Lisette-là lui tourne mal l'esprit ; C'est une babillarde, en intrigues habile, Et qui pourrait montrer, en un besoin, en ville. Votre panégyrique a pour nous des appas. Quel peintre ! Par ma foi, vous ne nous flattez pas. J'entends venir quelqu'un. Ah ! Ciel ! Quel embarras ! C'est Madame Grognac qui revient sur ses pas. Votre mère en personne. Sortons, sortons, Madame ; il faut quitter la place. Tu nous as fait le tour ; mais vingt coups de bâton, Dans peu, Monsieur Carlin, nous en feront raison. Bonjour, Monsieur. Depuis votre maudit jargon, La Madame Grognac est pire qu'un dragon ; Et je viens vous chercher ici pour vous apprendre Qu'elle veut dès ce soir finir avec Léandre. Elle m'a commandé de lui faire venir un notaire. Ah ! Vous voilà, Madame ? Eh ! Dites-moi, de grâce, Au cabinet encor venez-vous prendre place ? Quelque nouvel amant, en dépit des jaloux, Vous donne-t-il ici quelque autre rendez-vous ? Votre soeur ! Peste, quelle égrillarde ! Ici mal à propos votre esprit se gendarme ; Le mal est donc bien grand pour faire un tel vacarme ! Ne vous souvient-il plus du maître italien, Et de cette courante à contre-coeur ? Eh bien ! Pour éviter le retour de la dame, Qui pestait contre nous, et jurait dans son âme, Nous avons fait retraite au cabinet, sans bruit : Clarice est arrivée en ce même réduit Pour écrire une lettre ; et voilà le mystère. L'une écrit une lettre, et l'autre fuit sa mère. Et toutes deux d'abord s'en vont chez un garçon : C'est prendre son parti. L'asile est vraiment bon ! Comment ! De ma maîtresse effleurer la vertu ! J'entends venir quelqu'un. Adieu, je me retire. Dans son petit cerveau Pense-t-il que l'on soit bien tenté de sa peau, Et de la tienne aussi ? Sors d'ici, malheureux : Va-t'en porter ailleurs ton cartel amoureux. Détalons. Gagneras-tu la porte ? Sortiras-tu d'ici, postillon de malheur ? Il est enfin parti, malgré son éloquence. Mais d'un autre côté le chevalier s'avance. Tout est bien avancé, Puisque déjà par vous le contrat est dressé ; Et l'aveu de la mère est une bagatelle. Bon ! Bon ! Plus on la flatte, et plus elle égratigne ; C'est un esprit rétif, et qu'on ne réduit pas. Mais je vois votre soeur tourner ici ses pas. Voilà tout ce qu'il faut. Il ne faut point ici tant faire l'étonnée ; C'est vous qui nous montrez à choisir un mari. Quand votre époux, jadis grand-gruyer de Berri, Voulut vous enlever, vous le laissâtes faire : Votre fille est encor plus sage que sa mère. **** *creator_regnard *book_regnard_distrait *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_distrait *dist2_regnard_verse_comedy *id_CARLIN *date_1697 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_carlin Fraîchement débarqué, je parAis à tes yeux, Et mes cheveux encor sont sous la papillote. Et qui diable déjà t'a conté de ses tours ? Il m'en fait bien d'autres tous les jours. Hier encore, en mangeant un oeuf sur son assiette, Il prit, sans y songer, son doigt pour sa mouillette, Et se mordit, morbleu, jusques au sang. Sortant d'une maison, l'autre jour, par bévue, Pour son carrosse il prit celui qui dans la rue Se trouva le premier. Le cocher touche, et croit Qu'il mène son vrai maître à son logis tout droit. Léandre arrive, il monte, il va, rien ne l'arrête ; Il entre en une chambre où la toilette est prête, Où la dame du lieu, qui ne s'endormait pas, Attendait son époux couchée entre deux draps. Il croit être en sa chambre ; et, d'un air de franchise, Assez diligemment il se met en chemise, Prend la robe de chambre et le bonnet de nuit ; Et bientôt il allait se mettre dans le lit, Lorsque l'époux arrive. Il tempête, il s'emporte, Le veut faire sortir, mais non pas par la porte ; Quand mon maître étonné se sauva de ce lieu Tout en robe de chambre, ainsi qu'il plut à Dieu. Mais un moment plus tard, pour t'achever mon conte, Le maître du logis en avait pour son compte. Nous venons, mon enfant, de courre un bénéfice. Pour te rendre service. Mais nos soins empressés ne nous ont rien valu ; Et le diable a sur nous jeté son dévolu. Ah ! Lisette, j'enrage. Notre espoir dans le port vient de faire naufrage. Nous croyions hériter, du côté maternel, D'un oncle... ah ciel ! Quel oncle ! Il est oncle éternel. Nous attendions en paix que son âme à toute heure Passât de cette vie en une autre meilleure ; Nous le laissions mourir à sa commodité ; Quand, un beau jour enfin, le ciel, par charité, A fait tomber sur lui deux ou trois pleurésies, Qu'escortaient en chemin nombre d'apoplexies. Nous partons aussitôt, faisant partout flores , Sûrs de trouver déjà le bonhomme ad patres . Mais fol et vain espoir ! Vermisseaux que nous sommes ! Comme le ciel se rit des vains projets des hommes ! Écoute la noirceur de ce maudit vieillard. Non. Point. Non. Il ne fit jamais d'enfants, par avarice. Le vieillard, par malice, Malgré nos voeux ardents n'a pas voulu mourir. Par trois fois de ma main il a pris l'émétique, Et je n'en donnais pas une dose modique ; J'y mettais double charge, afin que par mes soins Le pauvre agonisant en languît un peu moins : Mais par trois fois, le sort, injuste, inexorable, N'a point donné les mains à ce soin charitable ; Et le bonhomme enfin, à quatre-vingt-neuf ans, Malgré sa fièvre lente et ses redoublements, Sa fluxion, son rhume, et ses apoplexies, Son crachement de sang, et ses trois pleurésies, Sa goutte, sa gravelle, et son prochain convoi Déjà tout préparé, se porte mieux que moi. Nous en avons été pour les frais du voyage : Mais nous avons laissé Poitevin tout exprès Pour prendre sur les lieux nos petits intérêts. Il doit de temps en temps nous donner des nouvelles ; Et nous nous conduirons par ses avis fidèles. Cela n'est pas croyable. Je le vois pour Clarice amoureux comme un diable, C'est-à-dire beaucoup ; mais comme il est distrait, Son esprit se promène encor sur quelque objet. Le dédit que son oncle a fait pour Isabelle Partage son amour, et le tient en cervelle. Je sais que ta maîtresse a de naissants appas, Et surtout de grands biens, que Clarice n'a pas ; Mais mon maître est fidèle, et son âme est pétrie De la plus fine fleur de la galanterie : Il ne ressemble pas à quantité d'amants ; C'est un homme, morbleu, tout plein de sentiments. Pourquoi non ? Il le fera fort bien dans sa distraction. C'est un homme étonnant et rare en son espèce : Il rêve fort à rien, il s'égare sans cesse ; Il cherche, il trouve, il brouille, il regarde sans voir ; Quand on lui parle blanc, soudain il répond noir ; Il vous dit non pour oui, pour oui non ; il appelle Une femme, Monsieur ; et moi, Mademoiselle ; Prend souvent l'un pour l'autre ; il va sans savoir où. On dit qu'il est distrait ; mais moi, je le tiens fou : D'ailleurs fort honnête homme, à ses devoirs austère, Exact et bon ami, généreux, doux, sincère, Aimant, comme j'ai dit, sa maîtresse en héros : Il est et sage et fou ; voilà l'homme en deux mots. Tant mieux. Il nous faudra travailler de concert Pour détourner le coup de ce dédit funeste ; Et l'amour avec nous achèvera le reste. Soit. Adieu donc. Mon maître est dans son cabinet ; Il m'attend. J'ai voulu, comme le cas me touche, Apprendre, en arrivant, ta santé par ta bouche. Coussi, coussi. En très bonne santé j'arriverais ici, Si je n'étais porteur d'une large écorchure. Mon grand mal est celui que m'ont fait tes beaux yeux ; Mon coeur est plus navré de ton humeur sévère. Cette friponne-là serait bien mon affaire. Mais mon maître paraît, il tourne ici ses pas. Il rêve, il parle seul, et ne m'aperçoit pas. Me mettant face à face, il me verra peut-être. Léandre heurte Carlin sans s'en apercevoir. Je serais bien à plaindre, aimant comme je fais, Qu'un autre profitât du fruit de ses attraits. Plus je ressens d'amour, plus j'ai d'inquiétude. Je ne puis demeurer dans cette incertitude ; Je veux entrer chez elle, et sans perdre de temps. Carlin, va me chercher mon épée et mes gants. J'y cours, et je reviens, Monsieur, à l'heure même. Je ne trouve, Monsieur, ni les gants ni l'épée. Mais j'ai cherché partout, ou je me donne au diable. Il faut donc qu'un lutin soit venu les cacher. Ah ! Ah ! Le tour est bon, et j'avais beau chercher. Dormez-vous ? Veillez-vous ? Fi donc ! Arrêtez-vous, Monsieur ; voulez-vous rire ? Il en tient un peu là. Sa présence d'esprit À chaque instant du jour me charme et me ravit. Ah ! La belle équipée ! Hé ! Sont-ce là vos gants ? Est-ce là votre épée ? Ah ! Ah ! Ce ne sera pas là le dernier d'aujourd'hui. Il est six heures et demie. Comment, qui me l'a dit ? Palsambleu, c'est l'horloge. Il perd ma foi l'esprit. Riez, c'est fort bien fait, le trait est sans égal. Mais, à propos de botte, un sort doux et propice Tout à souhait ici vous amène Clarice. Mettez, de grace, un frein à votre vertigo, Et n'allez pas ici faire de quiproquo. Isabelle ! Clarice. Clarice. Clarice. Eh bien ! Ne voilà pas ? J'aurai fait tout le mal. Ne jurez pas, monsieur ; vous êtes trop distrait. Il faudrait, par ma foi, qu'il eût perdu l'esprit. À propos, est là fort nécessaire. Je suis sa caution, il n'a point de malice. Mais le dédit pourrait traverser vos desseins. Tout à propos ici le voilà qui se montre. C'est le chevalier. Comment ! Comme Carlin ! Sachez que, sans reproche, Votre comparaison est odieuse, et cloche. Chacun vaut bien son prix. Carlin, dans certains cas, Pour certains chevaliers ne se donnerait pas. Nous n'y prenons pas garde ; et toujours, avec joie, Nous recevons l'argent tel que Dieu nous l'envoie. L'air vient fort au sujet. Au cabaret, c'est là mourir au champ d'honneur. Mais je dis que dans cet air si doux Bacchus est plus habile à succéder que nous. Que diantre ! Est-ce pour rire ? Ce serait de milice un nouveau supplément : Et, si chaque famille armait une coquette, Cette troupe, je crois, serait bientôt complète. Vous donnez une main pour l'autre par méprise. Il est vrai. Le beau secret, ma foi ! N'étant plus en ce lieu, vous ne sauriez la voir. Et quand vous la voyez, c'est cent fois pis encore. Il aurait bien besoin de deux grains d'ellébore. Il était moins distrait hier qu'il n'est aujourd'hui : Cela croît tous les jours. Je me gâte avec lui. On m'a toujours bien dit qu'il fallait dans la vie Fuir autant qu'on pouvait mauvaise compagnie : Mais je l'aime, et je sais qu'un coeur qui n'est point faux Doit aimer ses amis avec tous leurs défauts. J'exécute votre ordre avec zèle, ou je meure. Vous avez oublié que, depuis un quart d'heure, De dix commissions il vous plut me charger. J'ai vu le rapporteur, le tailleur, l'horloger ; Et voilà votre montre enfin raccommodée : Elle sonne à présent. Vous m'avez commandé de même d'acheter De bon tabac d'Espagne ; en voilà pour goûter. C'est du meilleur qu'on puisse jamais prendre, Dont on frauda les droits en revenant de Flandre. Quel horrible tabac ! Tu veux m'empoisonner. La montre ! Ah ! Voilà bien pour la faire sonner ! Quelle distraction, Monsieur, est donc la vôtre ? Ne vous voilà pas mal ! La montre cette fois Va revoir l'horloger tout au moins pour six mois. La montre est tout en pièces. Vous devriez, Monsieur, exercer vos largesses, Et m'en faire présent... J'obéis, et reviens sur mes pas. Oui, l'on le dit. Cette Lisette-là lui tourne mal l'esprit ; C'est une babillarde, en intrigues habile, Et qui, dans un besoin, pourrait montrer en ville. J'ai fait ce que vos feux attendoient de mon zèle, Et j'amène Clarice. Ce petit joufflu-là montre avoir de l'esprit. Vos feux sont en bon train. Je vous vois bientôt prêts à vous donner la main : Le ciel jusques au bout nous garde de disgrâce ! Dans votre cabinet, Monsieur, j'entends du bruit. Que veut dire cela ? N'est-ce point un esprit Qui lutine Clarice ? Isabelle ! Ah ! J'enrage. Nous allons bientôt voir arriver du carnage. Êtes-vous fou, Monsieur ? Mais qu'est-ce que je vois ! Quelle prospérité ! Pour une, en voilà trois. Je tombe de mon haut. L'erreur est pardonnable ; il ne faut point tant rire. Monsieur de la musique, Redites-nous encor ce petit air bacchique. Vous avez fort bien fait de lui river son clou. C'est bien à faire à lui de vous appeler fou ; Et vous deviez encor lui mieux laver la tête. Vous avez tort. Faut-il que chaque instant du jour Votre distraction nous fasse quelque tour ? Vous avez de l'esprit et de la politesse ; Vous raisonnez parfois comme un sage de Grèce ; Et d'autres fois aussi vos faits et vos raisons Vous font croire échappé des petites-maisons. Monsieur, en conscience, Je ne veux point du tout ici vous corriger. Ce n'est pas un grand mal. Pour être bel-esprit, Il faut avec mépris écouter ce qu'on dit, Rêver dans un fauteuil, répondre en coq-à-l'ânes, Et voir tous les mortels ainsi que des profanes. Au suprême degré vous avez ce défaut, Et bien d'autres encor. Je vous excuse aussi. Mais permettez, de grâce, Que je remette ici chaque chose en sa place, Il n'est pas encor temps que je m'aille coucher. Je vous dirai, Monsieur, pour sortir d'embarras, Comme ordinairement j'en use en pareil cas. Il faudrait qu'une lettre, écrite d'un beau style, Pût vous rendre près d'elle un accès plus facile. Mandez-lui que tantôt ce que vous avez fait N'est qu'un coup d'étourdi. Une lettre, Monsieur, remet bien une affaire ; Et trois ou quatre mots, en hâte barbouillés, Font souvent embrasser des amants bien brouillés. Je vais, je cours, je vole, et je reviens à vous. Tenez, monsieur, voilà... Ah ! Vous avez raison. On hurle avec les loups ; Et je serai bientôt aussi distrait que vous. Votre absence d'esprit est une maladie Qui se gagne aisément. Pour écrire, à ce coup, j'apporte toute chose. Donne-moi promptement. Voyons de votre prose. Si pour vous d'Apollon les trésors sont ouverts, Vous pouvez même aussi vous escrimer en vers, En sonnet, en ballade, en ode, en élégie. Le sexe aime les vers. Je le crois bien, Monsieur ; car voilà le cornet, Et dans le poudrier vous trempiez votre plume. L'écriture est un art bien utile aux amants ! Petits soins, rendez-vous, doux raccommodements, Promesse d'épouser, plainte, douceur, rupture, Tout cela se trafique avec l'écriture. Si le papier qui sert aux amoureux billets Coûtait comme celui qu'on emploie au palais, Cette ferme en un an produirait plus de rente Que le papier timbré ne peut rendre en quarante. Ah ! Perdez-vous l'esprit ? Vous versez à grands flots l'encre sur votre écrit. Quelle est donc, s'il vous plaît, cette façon de peindre ? Le bel écrit, ma foi, pour un traité de paix ! On croira qu'un démon en a formé les traits ; Les experts écrivains s'y donneront au diable : Je tiens dès à présent la lettre indéchiffrable. C'est très bien fait. Mais moi, je plains fort Isabelle. Oui, monsieur. Soit. Quand d'une cruelle on veut toucher le coeur, C'est un style éloquent qu'un billet au porteur, Qui vaut mieux qu'un discours rempli de fariboles. Si vous vous en serviez... Quand une belle voit, comme par supplément, Quatre doigts de papier plié bien proprement Hors du corps de la lettre, et qu'avant sa lecture, (Car c'est toujours par là que l'on fait l'ouverture) On voit du coin de l'oeil sur ce petit papier... « Monsieur, par la présente, il vous plaira payer Deux mille écus comptant, aussitôt lettre vue, À damoiselle, en blanc, d'elle valeur reçue... » Et Dieu sait la valeur ! Un discours aussi rond Fait taire l'éloquence et l'art de Cicéron. Aujourd'hui bien des femmes Se mêlent du trafic. Le ciel en soit loué ! Me voilà hors de crise. Je tremblais de vous voir faire quelque méprise. Vous avez plus d'esprit que je ne l'eusse cru ; Et j'attendais encore un trait de votre crû. Ce n'est que par tendresse. Pour vous servir plus vite en cette conjoncture, Je m'en vais emprunter les ailes de mercure. Allons nous acquitter de notre honnête emploi ; Remettons deux amants... mais qu'est-ce que je vois ? « Pour Isabelle. » Oh diable ! Aurais-je la berlue ? Quelque nuage épais m'obscurcit-il la vue ? Mais non, j'ai, grâce au ciel, encore deux bons yeux. Monsieur, monsieur... il est déjà loin de ces lieux. Il me semble pourtant que, selon tout indice, Le billet que je tiens doit aller à Clarice. Mais le nom d'Isabelle est peint sur ce papier. Ne me jouerait-il point un tour de son métier ? Il peut se faire aussi qu'il instruise Isabelle De l'état de son coeur, et qu'il rompe avec elle, Lui donne en peu de mots son congé par écrit. Oui, voilà ce que c'est, et le coeur me le dit. Ah ! Qu'un maître est heureux quand un valet habile A la conception et légère et facile ! Il peut se fourvoyer sans rien appréhender ; Et de tels serviteurs sont nés pour commander. Je ne dis pas cela. Je ne l'ai pas trop rude. Le traître a fait le coup, je m'en suis bien douté. Madame, écoutez-moi... Mais, de grâce, un seul mot. On ne traita jamais un courrier de la sorte. Vous saurez... Mais tu perds le respect ; je suis ambassadeur. Madame, c'est pour elle, et ce n'est pas pour elle. Miséricorde ! Cette lettre est pour nous la pomme de discorde. Ouf, hai ! Je n'en puis plus ; vous serrez le sifflet. Mais du moins, jusqu'au bout lisez donc le billet. Si mon maître est ingrat, puis-je mais de cela ? Mais il vient ; vous pouvez l'étrangler : le voilà. Ne parlons pas trop haut, de peur de le distraire. Ah ! Monsieur, doucement, Grâce ; je n'ai point fait encor mon testament. Non, je n'ai jamais vu de pièce d'écriture Faire tant de procès. Moi, Monsieur, vous trahir ! Je vous sers avec zèle ; Je l'ai mise avec soin dans les mains d'Isabelle. Quelle faute, ai-je fait ? Oui, vous avez raison de vous faire justice. À Clarice, Monsieur ? Je veux être pendu, Si je me ressouviens de l'avoir entendu. Bon ! C'est où je l'attends. Pouf ! Il faut l'avouer, vous avez, à mon gré, La présence d'esprit au suprême degré. Lis donc, bourreau, lis donc. Je réponds pour mon maître : il n'a point de malice ; Et s'il n'était point fou, je veux dire distrait, Ce serait, je vous jure, un garçon tout parfait. Mon dieu, recommencez. En changeant le dessus, nous changeons bien la thèse. Vous avez le bras bon, soit dit par parenthèse. Fi donc, madame, fi ! Vous moquez-vous de moi ? Cela n'est point écrit. Ah ! Par ma foi, Votre méprise ici me paraît fort étrange. Quoi ! Vos billets d'amour sont des lettres de change ? Vous aurez bientôt fait votre paix à ce prix. J'ai diablement d'esprit ; on écrit mes sentences. Vous trouvez maintenant les termes plus coulants ; Et vous ne venez plus pour étrangler les gens. C'est une vérité ; le plaisir qu'il reçoit Fait qu'il ne vous croit pas où souvent il vous voit. Voici monsieur votre oncle. À vos voeux tout conspire. Il me vient dans l'esprit un petit stratagème. La vieille ne songeait, dans votre engagement, Qu'au bien qu'on vous devait laisser par testament. L'on peut dresser quelque machine, Faire jouer sous main quelque secrète mine... Bon, tant mieux. La mère ne sait point que je suis en ces lieux ; Elle ne m'a point vu ; je puis aisément dire Ce que pour vous servir mon adresse m'inspire. Laissez-moi, l'affaire est dans le sac. Je vais tout préparer pour que la mine joue ; Et vous, ne manquez pas de pousser à la roue. Place, place au courrier qui vient à toute bride. Ah ! Monsieur, vous voilà. Quelle fatalité ? Votre oncle ici m'envoie... ouf ! Je suis éreinté ! ... Pour vous dire... attendez... Non ; depuis qu'il est mort le défunt n'écrit plus. Ah ! Monsieur, vos ris sont superflus ; De vos pleurs bien plutôt lâchez ici la bonde, En apprenant le coup le plus fatal du monde, Et qui fera trembler les pâles héritiers Jusque dans l'avenir de nos neveux derniers. La volonté de l'homme est bien ambulatoire ! À grand'peine au bonhomme aviez-vous dit adieu, Qu'il a fait appeler le notaire du lieu ; Et n'écoutant alors qu'un aveugle caprice, Bien informé d'ailleurs que vous aimiez Clarice, Et que vous deveniez réfractaire à ses lois, Refusant d'épouser celle dont il fit choix ; Sans avoir, en mourant, égard à ma prière, Il a testamenté tout d'une autre manière ; Et l'avare défunt, descendant au cercueil, Ne vous a pas laissé de quoi porter le deuil. Ô cruelle disgrâce ! Nous voilà pour jamais réduits à la besace. Hélas ! Qu'aurait-il fait ? Le dénouement est bien prêt à se faire. Ma foi, je le croyais. Mais, puisqu'il n'en est rien, Le ciel en soit loué ! Vous paierez le dédit, parbleu. Laissez votre oncle en paix. Quel diantre de langage ! Vous devez cette nuit faire un autre voyage ; Vous n'y songez donc plus ? Vous êtes marié. Ah ciel ! Un jour de noce oublier une femme ! Cette erreur me paraît un peu digne de blâme ; Pour le lendemain, passe ; et j'en vois aujourd'hui Qui voudraient bien pouvoir l'oublier comme lui.