--- identifier: aigueberre_polixene creator: Aigueberre Jean Dumas d’. date: (non title: Polixène. , tragédie --- POLIXÈNE TRAGÉDIE EN UN ACTE dans LES TROIS SPECTACLES M. DCC. XXIX. AVEC PERMISSION. # APPROBATION. J'ai lu par ordre de Monseigneur le Garde des Sceaux, les Trois Spectacles, Pièce nouvelle en trois actes ; dont j'ai crû que l'impression serait agréable au public. FAIT à Paris le 28 Juillet 1729. Signé, GALLYOT. # PRIVILEGE DU ROI. LOUIS, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : À nos amés et féaux Conseillers les Gens, tenant nos Cours de Parlements, Maîtres des Requêtes ordinaires de nôtre Hôtel, Grand Conseil, Prévôt de Paris, Baillifs, Sénéchaux, leurs Lieutenants Civils et autres nos Justiciers qu'il appartiendra, SALUT. Notre bien amé JEAN FRANÇOIS TABARIE, Libraire à Paris, Nous ayant, fait supplier de lui accorder nos Lettres de Permission pour l'impression des Trois Spectacles, Pièce nouvelle, en trois Actes, par le Sieur du Mas d'Aigueberre, offrant pour cet effet de le faire imprimer en bon papier à beaux caractères suivant la feuille imprimée, et attachée pour modèle sous le contre-scel des présentes. Nous lui avons permis et permettons par ces présentes, de faire imprimer ledit Livre ci-dessus spécifié en un ou plusieurs volumes, conjointement ou séparément, et autant de fois que bon lui semblera, de le vendre, faire vendre et débiter par tout notre Royaume, pendant le temps de trois années consécutives, à compter du jour de la date desdites présentes Faisons défenses à tous Libraires, Imprimeurs et autres Personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soient, d'en introduire d'impression étrangère dans aucun lieu de nôtre obéissance ; à la charge que ces présentes seront enregistrées tout au long sur le Registre de la Communauté des Libraires et Imprimeurs de Paris, dans trois mois de la date d'icelles ; que l'impression de ce Livre sera faite dans notre Royaume et non ailleurs, et que l'impétrant se conformera en tout aux Règlements de la Librairie, et notamment à celui du dix Avril 1725 et qu'avant que de l'exposer en vente, le Manuscrit ou Imprimé qui aura servi de copie à l'impression dudit Livre, sera remis au même état où l'Approbation y aura été donnée, ès mains de nôtre très-cher et féal Chevalier Garde des Sceaux de France, le Sieur Chauvelin ; et qu'il en fera ensuite remis deux exemplaires dans notre Bibliothèque Publique, un dans celle de nôtre Château du Louvre, et un dans celle de nôtre très cher et féal Chevalier Garde des Sceaux de France, le Sieur Chauvelin ; le tout à peine de nullité des présentes ; du contenu desquelles vous mandons et enjoignons de faire jouir l'Exposant ou ses ayants causes, pleinement et paisiblement, sans souffrir qu'il leur soit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons qu'à la copie desdites présentes, qui sera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit Livre, foi soit ajoutée comme à l'original. Commandons au premier nôtre Huissier ou Sergent, de faire pour l'exécution d'icelles, tous Actes requis et nécessaires, sans demander autre permission, et nonobstant clameur de Haro, Charte Normande, et Lettres à ce contraires : CAR tel est notre plaisir. Donné à Paris le onzième jour du mois d'Août, l'an de grâce mille sept cent vingt-neuf. Et de nôtre Règne le quatorzième. Par le Roi en son Conseil. Signé, DE SAINT HlLAIRE. Registre sur le Registre VII. de la Chambre Royale des Libraires et Imprimeurs de Paris, N°409. F°352. conformément aux anciens Règlements, confirmés par celui du 28 Février 1723. À Paris le 17 Août 1729. Signé, P. A. LEMERCIER, Syndic. À Paris, de l'imprimerie de P. PRAULT.À PARIS, Chez TABARIE, sur le Quai de Conti. # ACTEURS DE POLYXENE. – POLIXÈNE, fille de Priam Roi de Troie. – PYRRHUS, fils d'Achille Roi d'Epire. – AEGINE Confidente de Polixetie – THESSANDRE, Capitaine des Gardes de Pyrrhus.La scène est sur les débris de Troie. # POLIXÈNE TRAGÉDIE EN UN ACTE. ## SCÈNE PREMIÈRE. Polixène, AEgine. POLIXÈNE. Ciel ! À quels affronts m'avez vous destinée. De climats en climats en triomphe amenée, Je verrai mes tyrans à me nuire obstinés, Montrer la soeur d'Hector aux peuples étonnés ; Et pour comble d'horreurs esclave d'un barbare : Ô mort ! Viens m'affranchir des maux qu'on me prépare. AEGINE. Qu'entends-je juste ciel, et quels sont vos souhaits ! POLIXÈNE. Vous avez vu grands Dieux ! Les efforts que j'ai faits. Pour étouffer un feu dont l'horreur vous offense : D'un sexe malheureux ils passent la puissance. AEGINE. Ainsi donc votre cour trompant mon amitié De ses ennuis secrets me cache la moitié. POLIXÈNE. [1] Du coupable Pâris les flammes téméraires Viennent de renverser le trône de mes pères AEgine, c'était peu de toutes ces horreurs, Et j'ai dû d'un tel frère imiter les fureurs. AEGINE. [2] Et quel est cet amour dont le joug vous opprime. POLIXÈNE. Des amours le plus tendre et le moins légitime. Mais pourquoi t'en ferais-je un récit odieux ? AEgine, il me rendrait trop coupable à tes yeux ; Et tu dois redouter ma triste confidence. AEGINE. Non, non, rompez, Madame, un injuste silence, Nommez l'objet fatal d'un penchant malheureux. POLIXÈNE. Des Grecs, le plus barbare a surpris tous mes voeux. AEGINE. Dieux ! Serait-ce Pyrrhus ? POLIXÈNE.         AEgine, c'est lui-même ; Ce vainqueur ou plutôt, ce fier tyran, je l'aime. AEGINE. Se peut-il que l'amour ait soumis votre cour, Qu'aurait dû mieux défendre une juste douleur ? Hélas ! Lorsqu'à vos pieds je vis Troie abattue, Au comble des horreurs je vous crus parvenue Et je ne pensais pas que le Ciel en courroux Pût vous porter jamais de plus funestes coups, Que pour mieux signaler sa haine et sa vengeance, Il dût vous envier jusqu'à votre innocence. POLIXÈNE. Non, AEgine, jamais dans un cour on n'a vu Régner tant de tendresse avec tant de vertu. Ce ne sont plus les maux de ma Patrie en cendre Qui m'arrachent les pleurs que tu me vois répandre, Je pleure les horreurs d'un amour malheureux, Qui malgré mes efforts tyrannise mes voeux ; Et vainqueur quelquefois d'une vertu que j'aime Des combats qu'elle rend se venge sur moi-même En vain pour étouffer mes désirs insensés, Je retrace à mes yeux les maux qu'on m'a causés ; En vain à chaque instant une mère éplorée, Au nom d'une amitié toujours si révérée, Me presse de calmer des regrets superflus, Je sens mes maux s'accroître, et souffre d'autant plus, Que des tourments secrets, où mon amour m'expose, Je ne puis lui conter la véritable cause, Et qu'il me faut couvrir des malheurs d'Ilion Les pleurs que fait couler ma folle passion. Dieux cruels ! Est-ce assez persécuter ma vies Peu satisfaits d'avoir embrasé ma Patrie, D'avoir forcé mes yeux tant de fois effrayés À pleurer tous les miens expirants à mes pieds, Jusqu'au fond de mon cour portant votre colère, Vous me faites aimer l'assassin de mon père ; Et lorsque je m'applique à vaincre mes transports, Vous protégez Pyrrhus contre tous mes remords, ## SCÈNE II. Pyrrhus, Polixène, Aegine. PYRRHUS. Quoi, Madame toujours les yeux baignés de larmes ? POLIXÈNE. Eh comment, juste ciel ! Puis-je voir sans alarmes Un vainqueur dont le bras encor ensanglanté M'a livrée aux horreurs de la captivité, L'orgueilleux destructeur du trône de mes pères > Le meurtrier enfin de mon Roi, de mes frères ; Et qui, pour couronner d'illustres attentats, À mes voux les plus doux refuse le trépas ! PYRRHUS. Ah ! Madame, cessez d'offrir à ma mémoire Les maux affreux que traîne après soi la victoire. Cessez de retracer à mes yeux pleins d'effroi Des malheurs où le sort eut plus de part que moi. L'horreur régnait dans Troie, et de flammes couverte Cette ville superbe approchait de sa perte ; Lorsque d'un feu vengeur les funèbres clartés, À mes regards surpris offrirent vos beautés : Aussitôt détestant le bonheur de mes armes, Aux soupirs des vaincus j'osai mêler mes larmes, Et d'un tendre remords le cour trop pénétré J'eus horreur des exploits qui m'avaient illustré. Pourquoi sans séparer d'une vaillance vaine, Ne montrait-on plutôt l'aimable Polixène ? Et soudain on eût vu tomber notre courroux ; Pyrrhus le plus barbare eût paru le plus doux. POLIXÈNE. Ciel ! Qu'entends-je ? Pyrrhus ; ce vainqueur sacrilège ! Pyrrhus ! Qui des autels bravant le privilège, De mon père à mes yeux a pu trancher les jours, Vient m'outrager encor par d'indignes amours ! D'un sang infortuné persécuteur funeste, II en voudrait en moi déshonorer le reste ! Et moi-même tranquille au récit de ses feux, J'ose encore sur lui lever mes tristes yeux ! D'une longue misère effet le plus terrible ! Se peut-il qu'aux affronts on devienne insensible ? Que je respire encor, tandis que l'on a pu Oser impunément douter de ma vertu ? Hélas ! Jusques à quand trop instruit de mes peines, Prétendez-vous, Seigneur, anéantir mes chaînes ? Eh quoi ? N'ai-je donc pas souffert assez de maux, Sans que vous m'exposiez à des tourments nouveaux ? Car enfin, cet aveu d'une odieuse flamme Met le comble aux douleurs qui déchirent mon âme ; Et si l'amour jamais avait su vous toucher, Cet amour vous eut dit qu'il faillait le cacher. PYRRHUS. Pour combattre l'amour dont l'aveu vous offense, Ah ! Je ne me suis fait que trop de violence s De mille feux cruels vainement consumé, Pyrrhus s'est plus contraint qu'il n'aurait présumé : Mais enfin de mon cour la fierté naturelle Commence à se lasser d'une gêne éternelle ; Ce cour est bien plus fait à mépriser la mort, Madame, qu'à combattre un amoureux transport. C'est assez prolonger ma vie, et mon supplice, Ordonnez que j'espère, ou bien, que je périsse. ## SCÈNE III. Pyrrhus, Polixène, Aegine, Thessandre. THESSANDRE. Ah ! Seigneur, apprenez les mortelles terreurs, Qu'un oracle fatal répand dans tous les cours : Vos soldats s'acquittant d'un devoir légitime, Aux fiers mânes d'Achille offraient une victime, Quand soudain à leurs yeux, prodige tout nouveau, Ce superbe guerrier fore du sein du tombeau, Tel il parut jadis aux yeux de votre armée, Quand d'un juste courroux sa grande âme enflammée, Et d'un affront sanglant voulant tirer raison, Il osa menacer l'injuste Agamemnon. Il s'avance, et portant dans les cours l'épouvante : « Peuple ingrat ( leur dit-il d'une voix menaçante ) Oses-tu présumer que mes mânes sacrés Par le sang le plus vil puissent être honorés ? Pour payer mes travaux d'une digne hécatombe, II faut que Polixène expire sur ma tombe. » Il prononce ces mots l'oil fier, étincelant, Et fixe ses regards sur tout le camp tremblant : Cependant tous les Grecs que ce prodige entraîne D'une commune voix condamnent Polixène Déjà de mille cris ils remplissent les Cieux ; Pour eux l'arrêt d'Achile est un arrêt des Dieux : Seigneur, et si j'en crois l'ardeur qui les anime, Ils vont bientôt ici demander leur victime. POLIXÈNE, À PART. Dieux ! Je respire enfin, et votre inimitié À force de rigueur me tient lieu de pitié. PYRRHUS. Eh ! Quel crime a commis, ô Ciel ! cette Princesse, Pour l'immoler aux cris d'une ombre vengeresse ? Si son frère abusant d'une perfide paix, [3] Dans le sang de mon père osa tremper ses traits, À d'inhumaines lois Polixène asservie, Des forfaits de Pâris doit-elle être punie ? Elle dont les vertus... mais c'est trop écouter Un bruit injurieux que je dois rejeter : L'effroi qu'inspire encore la cendre de mon père, Sans doute aura produit cette ombre imaginaire. Qui ne sait que le peuple ami du merveilleux, Se plaît à consacrer mille bruits fabuleux ? Que souvent il croit voir renverser la nature, Lorsqu'on n'offre à ses yeux qu'une vaine imposture, Et qu'en ses visions pleine d'obscurité Rien ne doit étonner que sa crédulité. Toutefois prévenant de plus rudes alarmes, À mes Thessaliens fais prendre ici les armes. Et fais-les souvenir en leur dictant mes lois, Que c'est servir les Dieux que d'obéir aux Rois. ## SCÈNE IV. Pyrrhus, Polixène, Aegine. PYRRHUS. Hé bien, je pourrai donc par d'illustres services Réparer désormais toutes mes injustices, [4] Effacer d'Ilion le triste souvenir, Et vous ôter enfin le droit de me haïr : Malgré l'arrêt fatal qu'en ces lieux on publie, Je pourrai vous contraindre à me devoir la vie, Briguer, en vous servant, un honneur immortel, Et me montrer vaillant, sans être criminel ? POLIXÈNE. Dites plutôt, Seigneur, qu'une éternelle honte Serait le juste prix du feu qui vous surmonte ; Dites que pour sauver des jours trop malheureux, Vous auriez à combattre et la Grèce, et les Dieux ; Qu'il vous faudrait bientôt de cent peuples perfides Voir tourner contre vous les armes homicides, De vos propres soldats éprouver les fureurs, Et remplir ces climats de nouvelles horreurs. PYRRHUS. Et ce sont ces horreurs, et ces mêmes alarmes ; Qui loin de m'arrêter, ont pour moi tant de charmes ; Pour engager les Dieux à seconder mes coups, Eh ! Ne suffit-il pas qu'on combatte pour vous ? Pour leur faire approuver l'audace qui m'inspire, Osez avec Pyrrhus partager son empire ; Venez aux yeux des Grecs réunis contre moi, Me jurer dans le temple une éternelle foi Et je cours, au mépris de leur fureur jalouse, Contre un père irrité protéger une épouse, Défendre contre lui les droits des immortels, Et forcer les tombeaux de céder aux autels. POLIXÈNE. Que j'épouse Pyrrhus ? L'assassin de mon père ? Que de tous ses forfaits ma main soit le salaire ? Ah ! J'aurais cru du moins en ce jour plein d'effroi, Qu'on m'aurait épargné l'affront que je reçois. PYRRHUS. Gardez-donc cette main, ce cour inexorable, Aux yeux de tous les Grecs j'en serai plus coupable > Mais ma flamme pour vous n'éclatera que mieux. Adieu. Je vais combattre en dépit de vos voeux. Je vais, plein du courroux, où vous livrez mon âme Me venger sur les Grecs du mépris de ma flamme : Ce qu'Hector n'a pu faire, il faut que vos appas L'exécutent sans peine aux yeux de nos soldats : II faut que réparant les effets de ma rage, De dix ans, en un jour, je détruise l'ouvrage. Venez me voir, Madame, en ma juste fureur Faire du camp des Grecs un théâtre d'horreur, De vos lâches tyrans vous immoler la vie, Et de la même main qui vous aura servie, Sur leurs corps tout sanglants me frapper à mon tour, Et satisfaire ainsi ma gloire et mon amour, POLIXÈNE. Ah ! Si tu veux m'offrir cette cruelle image, Barbare, pour la voir, prête-moi ton courage ; Car enfin du trépas, où tu voles pour moi, [5] Je sens que je frémis mille fois plus que toi : Mais que dis-je ? Où m'entraîne une ardeur insensée ; Ô Dieux ! En ce moment m'auriez-vous délaissée ? De honte et de douleur tous mes sens sont saisis : Je rappelle en tremblant mes timides esprits. Je vous quitte, Seigneur, et fuis votre présence» PYRRHUS. Non. Vous romprez plutôt un barbare silence. Ô Ciel ! Tant de regrets, une si vive ardeur Auraient-ils su fléchir enfin votre rigueur ? Ah ! Si d'un tel espoir j'osais goûter les charmes... Vous ne répondez rien ! Je vois couler vos larmes ! POLIXÈNE. Oui, je pleure d'avoir, d'un instant trop vécu, Puisqu'il flétrit ma gloire, et souille ma vertu : Mais ne t'applaudis point d'une gloire trop vaine, Tu ne la dois qu'aux Dieux dont j'éprouve la haine ; Aux Dieux, dont le courroux fatal à ma maison, Pour te livrer mon cour, égara ma raison ; Jusqu'au dernier soupir dans le fond de mon âme, J'espérais renfermer une odieuse flamme ; Mais les Dieux obstinés à poursuivre mon sort, Avaient juré, sans doute, et ma honte et ma mort ; En vain à leurs arrêts je voudrais me soustraire, Sur l'un et l'autre point il faut les satisfaire, Je viens de déclarer mes coupables amours, II me reste à subir le trépas où je cours. Rappelant fur l'autel tout le soin de ma gloire, Qu'offense un fol amour honteux à ma mémoire : II me reste à percer ce cour, ce lâche cour, Qui vient de me flétrir par une indigne ardeur, Et que j'avais déjà condamné la première, Avant qu'on entendit l'ombre de votre père. PYRRHUS. Non, vous ne mourrez point ; mais, est-ce à moi grands Dieux, Que s'adresse un aveu qui charme tous mes voux ? Ah ! Pourquoi, si la haine à la pitié fit place, M'apprenez-vous si tard la fin de ma disgrâce ? Pourquoi, si vous daignez approuver mon ardeur, Me cachiez-vous, cruelle, un si rare bonheur ? Mais quel étrange amour ! Qu'il ressemble à la haine ! Vous aimez, et pourtant une mort inhumaine Est le fatal objet que vous me préférez, Et l'unique faveur qu'ici vous implorez. Ô Dieux ! Et qui pourrait dans ma juste furie Me ravir le seul bien qui m'attache à la vie ? Ce n'est plus désormais une ingrate beauté, Qu'un malheureux amant, haï, persécuté, Veut pourtant protéger en dépit d'elle-même, C'est une amante en pleurs, que j'adore, qui m'aime, Qui par mes soins enfin, se laissant désarmer, Des périls de Pyrrhus a paru s'alarmer. C'est mon bien, c'est le prix de l'amour le plus tendre, Qu'aux, dépens de mes jours je brûle de défendre. ## SCÈNE V. Pyrrhus, Polixène, Aegine, Thessandre. THESSANDRE. Tous les Grecs enhardis par la Religion, Demandent Polixène avec émotion •> Calchas, des immortels le Ministre suprême, Près du tombeau d'Achille a dressé l'Autel même ; Leur haine à cet objet semble se rallumer, Et dans leurs cris, Seigneur, ils osent vous nommer , Ils osent accuser votre cour magnanime De vouloir à leurs coups dérober leur victime. PYRRHUS. Ce n'est qu'avec regret que je quitte ces lieux, Madame, mais bientôt content, victorieux, Je reviens, ( car j'en crois ma valeur et mou zèle, ) D'un destin plus heureux vous porter la nouvelle, Et de tous mes bienfaits, sans vouloir abuser De votre sort, du mien vous laisser disposer. ## SCÈNE VI. Polixène, Aegine. POLIXÈNE. Pour moi de mon destin je ne suis point en peine, Je sais trop en ces lieux que ma perte est certaine, Que bientôt grâce au Ciel qui condamne mes jours, Je recevrai le prix de mes folles amours : En vain Pyrrhus s'apprête à signaler sa rage, À travers les soldats m'ouvrant un prompt passage, Je saurai, malgré lui, saisir le fer mortel, Et le teindre à ses yeux d'un sang trop criminel. S'il ose s'applaudir d'une indigne victoire, Je ne jouira pas longtemps de cette gloire, Et peut-être en ce jour serait il plus heureux, S'il eût jusques au bout pu douter de mes feux. Cependant attentive aux ordres que je laisse : AEgine, garde-toi de suivre ta Princesse, Et si ma mère ici se présente à tes yeux, Prends soin de lui cacher ce mystère odieux ; Les Dieux me sont témoins, que parmi tant d'alarmes, Je ne redoute ici que son trouble et ses larmes. AEGINE. Ciel ! Que me dites-vous ? Vous courez au trépas ! Et vous me défendez d'accompagner vos pas ! POLIXÈNE. Si ton cour, à ma gloire, en effet s'intéresse, Tu dois te rendre, AEgine, au désir qui me presse, Mais arrête ces pleurs qui pourraient me trahir, Et songe seulement que tu dois obéir. ## SCÈNE VII. AEGINE. Ah ! dussai-je éprouver le plus rude supplice, Vous vous flattez en vain qu'à vos lois j'obéisse : Allons trouver Pyrrhus, courons lui découvrir Un projet qu'il ignore, et qui me fait frémir. ## SCÈNE VIII. Pyrrhus, Aegine, Thessandre. PYRRHUS, DU FOND DU THÉÂTRE. Je l'avais bien prévu que ma seule présence D'un peuple audacieux confondrait l'insolence ; Mais quoi ? Je ne vois point Polixène en ces lieux. POLIXÈNE. Sait-elle que Pyrrhus satisfait, glorieux... AEGINE. Ah ! Seigneur, en ces lieux quelle erreur vous arrête Lorsqu'à subir la mort Polixène s'apprête ; Qu'elle vient de sortir dans le fatal dessein De hâter elle-même un arrêt inhumain. PYRRHUS. Ô Dieux ! Dans ce dessein Polixène est sortie ! Ah ! Vous me répondrez d'une si chère vie, Vous, qui chargés du soin de veiller sur ses jours... ## SCÈNE IX. Pyrrhus, Polixène, AEgine, Thessandre, Soldats. POLIXÈNE, AUX SOLDATS QUI L’EMPÊCHENT DE SORTIR. Barbares est-ce assez ? M'envierez-vous toujours Les douceurs d'une mort trop longtemps attendue ? Mais quoi ; Pyrrhus encor vient s'offrir à ma vue ! À part. Ô Dieux ! Trop inhumains, ou trop lents à punir, Ou rendez-moi ma gloire, ou laissez-moi mourir. PYRRHUS. Madame, dissipez vos mortelles alarmes ; Je triomphe, et tout cède au pouvoir de vos charmes, Unis contre vos jours par un fatal accord Cent peuples furieux demandaient votre mort, J'ai paru : d'un arrêt dicté par l'artifice Aux yeux de tout le Camp j'ai demandé justice, Et les lâches, soudain, tremblants, irrésolus, Ont douté de l'Oracle à l'aspect de Pyrrhus. Et moi qu'anime alors une cause si belle, Brûlant plus que jamais de vous marquer mon zèle, Même aux yeux de Calchas vainement courroucé Je renverse à ses pieds l'Autel qu'il a dressé. Ainsi prompt à confondre un Ministre profane, Le Ciel vous justifie. POLIXÈNE. Elle se frappe.         Et moi je me condamne. PYRRHUS. Ciel ! POLIXÈNE.         Seigneur, mon destin aurait été trop doux ; Si Polixène eût pu ne vivre que pour vous ; Si des Dieux divisés la colère inhumaine, Entre nos deux Maisons n'eût semé trop de haine, Mais tels sont de ces Dieux les arrêts absolus, Que pour sauver ma gloire, il faut perdre Pyrrhus. Toutefois j'ose ici vous faire une prière ; De ma mère, daignez adoucir la misère ; Que Pyrrhus condamnant ses barbares exploits Des vaincus à son tour veuille écouter la voix, Que de tant de Héros la mère infortunée, À marcher sur vos pas ne soit point condamnée. Daignez la délivrer de ses tristes liens, Et défendez ses jours, sans regretter les miens. On l'emporte. ## SCÈNE DERNIÈRE. Pyrrhus, Thessandre. PYRRHUS. Ah ! Ne présumez pas que je tarde à vous suivre, Au sort le plus affreux que je puis le survivre : Perçons ce triste cour, en proie à ses fureurs, Et par un prompt trépas prévenons mille horreurs. THESSANDRE. Où vous entraîne, ô Ciel ! La douleur qui vous presse, Vivez pour commander à l'Epire, à la Grèce. PYRRHUS. À la Grèce ! Ah ! Plutôt vivons pour la punir, Renversons son Empire avant que de mourir. Tremblez Peuples cruels, Pyrrhus respire encore, Ah ! Je me vengerai d'un peuple que j'abhorre, Vous n'aurez pas en vain défié mon courroux : Polixène n'est plus ; elle vivrait sans vous. Mais vous allez sentir la fureur qui m'inspire, Qui vous a su venger, saura bien vous détruire. Vos forfaits avec vous rompent tous mes liens, Et les amis d'Hector sont devenus les miens : [6] Venez vous joindre à moi, cruelles Euménides, Des Grecs contre les Grecs armez les mains perfides ; Que ces lâches vainqueurs altérés de leur sang, De leurs barbares mains se déchirent le flanc ; Que vos flambeaux brûlants échauffant le carnage, Les fassent tous périr sur cet affreux rivage ; Et puissent les Troyens, détruisant nos travaux [7] Rebâtir Ilion sur les débris d'Argos. ------- [1] Flamme : sens métaphorique de passion amoureuse ; celle qu'il eut envers Hélène. [2] Joug : pièce de bois posé usuellement sur les cous de boeufs et qui sert à composer un attelage tirant une charrue. Métaphoriquement, émotion insupportable causant peine et souffrance. [3] Trait : Flèche. Achille est mort d'une flèche envoyé dans son talon. [4] Ilion : autre nom de Troie. [5] Quelques personnes n'ayant pas approuvé ces deux vers l'auteur les a changé de cette manière. N'obéir qu'à ma flamme, et plein d'un feu si beau, De l'Hymen sur sa tombe allumer le flambeau. [6] Euménides : nom donné aux Furies par antiphrase. B [7] Argos : ville de l'ancienne Grèce (...) était célèbre autrefois pour ses chevaux et par un beau temple de Junon. B