--- identifier: boursault_motsalamode creator: Boursault, Edme. date: 1694 title: Les mots a la mode. , comédie. --- LES MOTS A LA MODE PETITE COMÉDIE Augmentée de quantité de Vers qui n'ont pas été dits sur le Théâtre. M. DC. LXXXXIV. # Extrait du Privilège du Roi. Par lettres patentes du Roi, données à Paris le vingt-neuvième jour de juillet 1693. Signé BOUCHER ; il est permis au sieur Boursault, de faire imprimer par tel libraire ou imprimeur qu'il voudra choisir, une pièce de sa composition intitulée Les Mots à la Mode, pendant le temps et espace de huit années, à compter du jour qu'elle sera achevée d'imprimer : avec défenses à tous libraires, imprimeurs et autres, d'imprimer, faire imprimer, vendre ni débiter ladite Comédie, sous quelque prétexte que ce soit, même 'impression étrangère sans le consentement dudit exposant ou de ses ayant cause, à peine de confiscation des exemplaires contrefaits, de trois mille livres d'amende, et de tous dépens, dommages et intérêts, ainsi qu'il est plus au long porté par lesdites lettres. Registré sur le livre de la communauté des libraires et imprimeurs de Paris, le 26 septembre 1693. Signé, P. AUBOUYN, Syndic. Et le dit sieur Boursault a cédé au sieur J. Guignard le droit qu'il a au présent privilège, suivant l'accord fait entre eux.À PARIS, Chez JEAN GUIGNARD, à l'entrée de la Grand' Salle du Palais, à L'Image Saint-Jean.Achevé d'imprimer le 15 septembre 1694. Représentée, pour la première fois le 19 août 1694 au Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain. À HAUT ET PUISSANT SEIGNEUR MESSIRE JACQUES LOMELLINI, ENVOYÉ EXTRAORDINAIRE, De la Sérénissime République de Gênes, auprès de Sa Majesté. # MONSIEUR,. Le plaisir que vous avez eu à voir représenter cette petite Comédie, m'en a fait un si grand, que j'ai cru ne me pouvoir mieux acquitter de la grâce dont je vous suis redevable, qu'en vous en demandant une nouvelle. C'est, MONSIEUR, d'avoir autant d'indulgence à sa lecture que vous en eûtes à sa représentation ; et de ne me pas dire comme ce Prince a qui l'Arioste dédia ses oeuvres : Dove, diavolo, hai radunato tante coionarie ? Pour mettre dans leur jour toutes les extravagances de la mode, et toute l'impertinence des faux nobles j'ai été contraint de faire tant de caractères ridicules, que le mien, peut-être, n'est pas celui qui l'aura été le moins. Je m'en console, puisque vous y avez, pris du plaisir ; et je mets au nombre de mes bonnes aventures celle d'avoir diverti quelques moments un aussi galant homme que Vous l'êtes, qui n'est étranger en aucun endroit qu'il aille, et qui fait la délicatesse de toutes les langues de l'Europe, comme s'il était ni dans toutes les Cours où il s'est trouvé. Celle de France où l'on peut dire que cette délicatesse règne plus souverainement que dans aucune autre, a été surprise de vous entendre parler son langage avec plus de politesse que beaucoup de ceux qui la composent : et sans les intérêts dont votre Sérénissime République se repose sur votre capacité, et que vous soutenez, avec autant de fidélité que d'intelligence, le Roi même, qui jamais ne se méprend, vous eut pris pour un de ses Sujets. Je ne sais, MONSIEUR, de quel oeil une personne qui arrange ses mots avec une fi grande justesse, en verra ici de si bizarrement placés : mais je sais bien que je ne puis faire plus de honte aux François qui corrompent la pureté de leur langue naturelle par des expressions non seulement forcées, mais odieuses, qu'en la leur faisant voir parfaitement épurée dans la bouche d'un homme a qui elle est étrangère. Un Ancien disait, que savoir dans sa perfection la langue de son pays n'était pas un grand sujet de louange, mais que l'ignorer était un grand sujet de blâme : S'il ne Vous eût point donné d'éloge de ce que dans les moments de votre loisir Vous faites des vers où brillent toutes les grâces de la langue Italienne, il n'eût pu s'empêcher de vous en donner beaucoup de la facilité que Vous auriez à en faire en toutes sortes de langues, si le ciel qui Vous a fait naître pour les grandes choses ne Vous faisait préférer celles qui sont utiles à celles qui ne sont qu'agréables. Il est vrai, MONSIEUR, que c'est aux Ambassades glorieuses, aux négociations importantes, en un mot, au bien de votre Sérénissime République qu'un homme de votre mérite se doit tout entier : avec d'aussi heureuses dispositions que celles que vous avez, il n'y a point d'obstacles que votre courage ne surmonte point de difficultés que vos lumières n'aplanissent ; point de rang où la Noblesse de votre naissance ne puisse aspirer ; point d'emploi que la grandeur de votre génie ne puisse remplir. Celui que vous avez, auprès de Louis Le Grand, et dont vous vous acquittez, avec une satisfaction égale de l'État qui Vous envoie, et de celui ou Vous êtes envoyé, justifie assez, qu'il n'est rien dont vous ne soyez capable ; et si votre République vous a fait honneur en vous confiant ses intérêts auprès d'un si grand Monarque, vous ne lui en faites pas moins, puisqu'il avoue lui-même qu'elle ne pouvait faire un choix plus judicieux. Je n'ose, MONSIEUR, après un aveu qui vous est si glorieux, prendre la liberté de vous donner aucune louange : une bouche si auguste impose silence à toutes les autres ; et s'il m'est permis d'ouvrir encore la mienne, ce ne doit être que pour vous marquer avec combien de respect je suis, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur. BOURSAULT. # AU LECTEUR. Un petit Livre intitulé, Les Mots à la Mode, que l'on vend chez Barbin, et qui a eu toute la réputation qu'il mérite, m'inspira la pensée de faire cette Comédie. Quelque débit que ce livre ait eu, je crus qu'il ne ferait pas tout l'effet que son Auteur s'était proposé, si l'on ne pesait un peu plus sur ceux qui se rendent ridicules par des façons de parler aussi extravagantes que les personnes qui ont l'impertinence de les inventer, et je ne doutai point que le théâtre étant un miroir plus grand que la boutique d'un libraire, ceux qui s'y verraient, ne s'aperçussent mieux de leurs défauts. Le succès a justifié ma pensée : le plaisir qu'on a pris, et qu'on prend encore tous les jours à voir cette bagatelle est une preuve que les portraits quoiqu'un peu outrés, y font ressemblants ; et qu'au moins les auditeurs y reconnaissent leurs voisins, si leur amour propre les empêche de s'y reconnaître eux-mêmes. Si cette pièce paraît un peu libre, ce n'est pas à moi qu'il s'en faut prendre; c'est aux libertés que l'on se donne, et qui vont si loin, qu'il semble qu'on se fasse un mérite de joindre l'effronterie au luxe par les noms odieux dont les femmes salissent leurs ajustements. Les vers que je mets dans la bouche du seul personnage raisonnable que j'y introduis, font assez connaître l'intention que j'ai eue ; et qu'en faisant rire, je cherche plus à corriger les moeurs qu'à les corrompre. Tout ce qu'on a prêché et tout ce qu'on a écrit contre le luxe des coiffures, effarouche et ne corrige point : la morale austère se fait moins aimer, qu'elle ne se fait craindre ; et qui veut qu'on profite de ses leçons, doit donner envie de les entendre. En un mot, il faut prendre l'âme par son faible, et tâcher de la conduire à la vertu par un chemin qui ne la rebute pas. Rien ne fait mieux revenir les gens du ridicule qu'ils ont, que de leur en faire dans autrui une peinture qui les divertisse : le plaisir qu'ils trouvent à s'en moquer, leur fait appréhender de donner le même plaisir à d'autres; et c'est un joug qui les arrête d'autant mieux, qu'il ne leur est imposé par personne. Je me flatte qu'il en sera ainsi des Mots à la Mode : ce qu'on sent de joie à voir jouer publiquement ceux qui les affectent deviendra un frein pour s'abstenir désormais de les redire ; et pour peu que le sexe ait encore de pudeur, il fera scrupule de la blesser par des termes dont il ne se peut servir sans faire soupçonner leur conduite. Le grand défaut de cette petite Comédie est que les auditeurs ne l'ont pas trouvée assez longue, ce qui m'a fait ajouter à l'impression plusieurs vers qui n'ont pas été dits sur le théâtre ; et qui, à ce que je crois, donneront une nouvelle satisfaction à ceux qui ont trouvé du plaisir à la voir représenter. # LES PERSONNAGES. – MONSIEUR JOSSE, Noble, auparavant orfèvre. – MADAME JOSSE, sa femme. – NANNETTE, fille de Monsieur et de Madame Josse. – BABET, fille de Monsieur et de Madame Josse. – MONSIEUR BRICE, Avocat, frère de Madame Josse. – MONSIEUR DU RUS, frère Noble, auparavant parfumeur. – MONSIEUR DE L'ORME, frère Noble, auparavant parfumeur. – MAROTE POUSSINEAU, fille d'un marchand. – MADAME BRICE, bouchère, mère de Madame Josse. – MONSIEUR GRIFFET, commissaire. – NICODEME, jardinier. – ADRIENNE, femme de Nicodème. – NICOLE, servante. – CHAMPAGNE, laquais. – DES ARCHERS.La scène est à Paris. # . ## SCÈNE PREMIÈRE. Monsieur Josse, Monsieur Griffet. MONSIEUR JOSSE. Je vous ai de ma femme appris la trahison ; Quoiqu'il puisse arriver, j'en veux avoir raison. Contre ce beau mémoire elle ne peut rien dire ; Et pour la condamner il suffit de le lire. MONSIEUR GRIFFET. Parlons sans passion. Êtes-vous bien certain Que ce Mémoire-là soit de sa propre main ? J'y trouve, comme vous, des endroits effroyables... MONSIEUR JOSSE. Si j'en suis bien certain ? Trop de « par tous les Diables ». Oui, Monsieur, il est d'elle. Avez-vous bien ouï ? Voilà cinq ou six fois que je vous dis que oui. En cherchant des papiers hier dans son armoire Dans un coin, à l'écart, j'aperçus ce Mémoire. Quoi qu'elle m'observât ses yeux furent déçus: Avec subtilité je mis la main dessus. Je cherchais un prétexte à me défaire d'elle : Et je l'ai bien trouvé, puisqu'elle est infidèle. MONSIEUR GRIFFET. J'ai reçu votre plainte, et je sais tout cela : Ne poussez point la chose, et tenez-vous en là. Vous donner cet avis c'est vous mal satisfaire ; Mais un sot par arrêt est difficile à faire. Si tous ceux qui le sont intentaient des procès Il faudrait leur créer un Tribunal exprès ; Encore est-il certain, à bien peser les choses, Qu'il ne pourrait suffire à juger tant de causes. Quoi ! Pour donner à rire à tout le genre humain, Comme fit ce Bourgeois du Faubourg Saint-Germain, Voulez-vous, en rendant votre femme si noire, Vous-même troubler l'eau que vous avez à boire ; Et quand vous serez sot, à la face de tous, Être encor trop heureux de la revoir chez vous ? Est-ce peu pour un sot de la douleur de l'être ? Quelle démangeaison de le vouloir paraître ! MONSIEUR JOSSE. Hé qui, de bonne soi, croyez-vous le moins sot, D'un sot qui l'est assez pour n'en dire aucun mot, Ou d'un qui se démène, et qui donne à connaître Qu'il fait tout ce qu'il peut pour s'empêcher de l'être ? Je veux, si je le suis, le dire à haute voix ; Et ne pas ressembler à tous ceux que je vois, Qui par un mercenaire et coupable silence Avec leurs substituts semblent d'intelligence. Vous avez, pour ma plainte, en quatre louis d'or ; Je prétends par la suite en user mieux encor : Je sais combien d'argent vous coûte votre office ; Et comment aujourd'hui s'exerce la Justice : On ne la connaît plus que par son attirail ; Et qui l'achète en gros, la revend en détail. N'importe ce qu'il coûte à venger cet outrage. MONSIEUR GRIFFET. Mais si, par cas fortuit, votre femme était sage ? MONSIEUR JOSSE. Après les actions dont vous êtes instruit, Il est vrai que le cas serait assez fortuit. Elle, sage ! MONSIEUR GRIFFET.         Je sais que dans le voisinage On ne s'est jamais plaint qu'elle ne fût point sage : Je demeure d'accord qu'elle a d'autres défauts : Elle s'en fait accroire, et prend des airs trop hauts. On la blâme, surtout, de ce qu'elle s'infecte De certains mots nouveaux que sans cesse elle affecte. Alexandre le Grand, l'exemple des Héros, Est appelé par elle Alexandre le Gros. Hier au soir elle-même, en parlant d'Allemagne ; Dit que le Gros Vizir s'allait mettre en campagne. On ne peut là-dessus lui faire ouvrir les yeux : C'est un mot favori qu'elle fourre en tous lieux : Mais de quelque façon qu'une femme s'exprime, C'est un entêtement, mais ce n'est pas un crime. MONSIEUR JOSSE. Aussi, suis-je chagrin, mon cher Monsieur Griffet, Moins de ce qu'elle dit que de ce qu'elle fait. Quoi que dans le quartier chacun se moque d'elle, Le vice du langage est une bagatelle ; Et quant au choix des mots, il m'est indifférent, Quel est le plus en vogue ou le Gros ou le Grand. Le cas dont il s'agit, est un cas plus énorme. MONSIEUR GRIFFET. Je reviens dans une heure avec un acte en forme. Adieu. MONSIEUR JOSSE.         Souvenez-vous d'arrêter prisonnier Un certain gros coquin qui sert de jardinier. J'ai mes raisons. MONSIEUR GRIFFET.         Suffit. C'est une affaire faite. ## SCÈNE II. MONSIEUR JOSSE, SEUL. Dans quel piège ma femme elle-même se jette ! Quelle imprudence aussi d'écrire mot pour mot Tout ce qu'elle dépense à faire un mari sot ! Ce que depuis six mois elle a fait de sottises En termes naturels dans ce journal font mises. La voici. Sa présence augmente mon courroux. ## SCÈNE III. Monsieur JOSSE, Madame JOSSE. MADAME JOSSE. Je viens vous avertir qu'il ne tiendra qu'à vous De donner dès ce soir des époux à vos filles. MONSIEUR JOSSE. Connaissez-vous leurs biens, leurs emplois, leurs familles ? MADAME JOSSE. Leurs familles ? Eh si ! Perdez-vous la raison ? Les voudrais-je souffrir s'ils n'étaient de maison ? Qui vous fait présumer en moi tant de faiblesse ? Famille est bourgeoisie, et Maison est noblesse. Je vous les garantis nobles ; c'est un grand point. MONSIEUR JOSSE. Vous les garantissez ? MADAME JOSSE.     Nobles. MONSIEUR JOSSE.         Je n'en veux point. Je veux d'honnêtes gens. Par exemple un Notaire, Un banquier, un marchand, un bonhomme d'affaire, Gens avides de bien, et sûrs d'en amasser ; Et non pas de ces gens faits pour en dépenser, Qui consumant leurs jours en des chimères vaines, Ont plus de créanciers qu'un an n'a de semaines. Entendez-vous, ma femme ? MADAME JOSSE.         Oui, mon mari, j'entends. Que dirait-on de pis chez de petites gens ? À moins d'être du « Peuple » on ne dit point « ma Femme », C'est une « Impolitesse » à faire rendre l'âme. Cela sent le bourgeois du plus méchant « aloi ». MONSIEUR JOSSE. Hé que suis-je de plus ? Parlons net. MADAME JOSSE.     Vous ? MONSIEUR JOSSE.         Oui, moi. Que, Diable, suis-je ? MADAME JOSSE.         Noble. Et ce qui plus me touche, C'est moi qui, malgré vous, ai voulu faire souche. Pour peu qu'on ait de « Goût » au rang où je me vois, On abdique aisément ce qu'on a de « Bourgeois ». Imitez-moi. MONSIEUR JOSSE.         Ma femme, en un mot comme en mille, Votre sotte noblesse est comme votre style ; Et je ne m'accommode en aucune façon Ni de votre fierté ni de votre jargon. De nobles, comme moi, d'une fabrique neuve, Le nombre croit si fort qu'on dirait qu'il en pleuve : Il n'est point de manant, pourvu qu'il ait de quoi, Qui pour le même prix ne le soit comme moi. Trêve donc, s'il vous plaît, Mademoiselle Josse, Du ridicule orgueil qui vous rend si féroce. Est-il charge ni rang qui puisse me cacher Que mon père est orfèvre, et le vôtre boucher ? Voilà pour faire un jour de célèbres familles ! Je veux à leurs égaux associer vos filles. Faites-les moi venir ; et surtout pour leur bien Quand je leur parlerai ne vous mêlez de rien. MADAME JOSSE. « Hé quelqu'un » ! Mes Laquais, montrez-vous, je vous prie. MONSIEUR JOSSE. L'un s'appelle Champagne, et l'autre a nom la Brie. Est-il si malaisé de se souvenir d'eux ? MADAME JOSSE. [1] Fi ! C'est montrer par-là que l'on n'en a que deux ; Au lieu qu'en m'expliquant de manière incertaine Je parais en avoir une demi-douzaine. Qui voit-on aujourd'hui, distingué du commun Appeler de ses gens, qui ne dise, « hé quelqu'un » ? [2] Un air noble sied bien jusques aux bagatelles. Préparez-vous, Monsieur ; voici des Demoiselles, Qui savent les beaux mots comme leur alphabet. ## SCÈNE IV. Monsieur Josse, Madame Josse, Nannette, Babet. MONSIEUR JOSSE. Approchez-vous, Nannette ; et vous aussi, Babet. C'est moi qui vous demande. NANNETTE.         Hé, Monsieur ? Je vous prie, Donnez-nous à chacune un nom de Seigneurie : Je ne vois que vous seul de gens de qualité Prendre si peu de soin de sa postérité. Monsieur Coquerico, Marchand de Savonnettes > Devenu gentilhomme aussi bien que vous l'êtes, N'a pas un de ses fils qui n'ait un nom nouveau, Soit le nom de quelque arbre ou de quelque ruisseau : Pour faire ses enfants nobles, en bonne forme, L'un est Monsieur du Rus, l'autre Monsieur de l'Orme; Et comme le plus jeune a le dos tout courbé, Sûr qu'il n'est bon à rien il en fait un abbé. S'il avait comme vous une fille bien faite Lui ferait-il l'affront de l'appeler Nannette ? MONSIEUR JOSSE. Vous me citez, vraiment, un plaisant animal ! NANNETTE. Est-ce vous offenser, que citer votre égal, Monsieur ! MONSIEUR JOSSE.         Je vous ai dit, et vous le réitère, Que vous m'appelassiez simplement votre père ; À moins que votre mère en secret, et tout bas, Ne, vous ai fait savoir que je ne le suis pas, BABET. Les gens de qualité, dont elle a l'honneur d'être, Ont une extrême peine à ne pas le paraître : Quoi que le nom de père ait de beau, de touchant, Depuis un an ou deux cela « pue » le marchand Un chétif Avocat par un ordre sévère, Défend à ses enfants de l'appeler leur père. C'est une vérité qu'on peut vous garantir MONSIEUR JOSSE. J'en sais bien la raison : c'est de peur de mentir. Souvent un avocat donne toutes ses peines Aux affaires d'autrui, pendant qu'on fait les siennes. Mais je vous mande ici pour un autre entretien. Je veux vous marier. Vous ne répondez rien ! NANNETTE. Je n'ai de volonté que pour suivre la vôtre. BABET. Je me fais un devoir, de n'en avoir point d'autre. MONSIEUR JOSSE. Fort bien : j'aime à vous voir dans ces sentiments là. NANNETTE. Je dois à vos bontés beaucoup plus que cela. BABET. Vos ordres en tout temps me sont doux et faciles. MONSIEUR JOSSE. Puisqu'à mes volontés vous êtes si dociles, Vous aurez pour époux, dans huit jours au plus tard, Vous, Monsieur Poussineau, vous, Monsieur Rodillard. L'un est un bon Marchand à grand'porte cochère, Où l'étoffe par aulne est d'un écu plus chère ; Car aux gros magasins comme aux grands cabarets, L'apparence entre en compte au mémoire de frais. L'autre est un homme d'ordre, un banquier d'importance, Qui n'avait pour tout bien que mille écus d'avance ; Et qui par son mérite est devenu puissant À prêter pour six mois à quatorze pour cent. Enfin, gens sans reproche, et d'une bonne race. NANNETTE. Je vous baise les mains. BABET.         Et moi, je vous rends grâce. MONSIEUR JOSSE. Comment ? NANNETTE.         Je ne veux pas me marier sitôt. BABET. Ni moi non plus. MONSIEUR JOSSE.     Non ? BABET.     Non. MONSIEUR JOSSE.         Je le veux. Il le faut. NANNETTE. Votre prétention sur ce point sera vaine. Je ne puis. MONSIEUR JOSSE.         Craignez-vous de mourir dans la peine ? Votre mère à votre âge avait franchi ce pas : Elle n'en est pas morte ; et vous n'en mourrez pas. NANNETTE. Vous nous offrez des gens d'une agréable « allure ». BABET. Il nous faut des partis bien d'une autre « tournure ». NANNETTE. Puis-je prendre un époux à moins que de son chef. Il ne soit noble, riche, et d'un « gros relief » ? BABET. Pour moi, je n'en veux point, comme vous pouvez croire, S'il me fait « dérouter » du chemin de la gloire. NANNETTE. Je voudrais bien savoir si Monsieur Poussineau, Peut jamais, quoi qu'il fasse, être à notre « niveau » ? BABET. Et Monsieur Rodillard avec qui l'on m'assemble ; Ne fera-t-il pas beau nous « faufiler » ensemble ? NANNETTE. J'en sais qui sous nos lois sont prêts à se ranger, Fais comme une peinture et jolis à manger : Au lieu que les « amants » dont vous faites l'ébauche, Ont un esprit si « louche » ! Un entretien si « gauche » ! BABET. Quoique votre noblesse ait déjà près d'un mois, Il vous reste toujours des « vestiges » bourgeois. Je ne vois qu'à vous seul « ces petites manières ». MONSIEUR JOSSE. Hé bien ? N'est-il pas beau de voir trois grimacières, Qui sans le fade appas de vingt bizarres mots, Que font des étourdis et que disent des sots, Tant que dure le jour n'auraient rien à se dire ? Encor n'est ce pas là ce que l'on fait de pire. MADAME JOSSE. Hé, que fait-on, Monsieur ? MONSIEUR JOSSE.     Ce que l'on fait ? MADAME JOSSE.         Oui ; quoi ? MONSIEUR JOSSE. Ce que personne ici ne doit faire que moi. Mais je vais de ce pas y donner si bon ordre, Qu'il sera malaisé que nous puissions nous mordre. Serviteur. ## SCÈNE V. Madame Josse, Nannette, Babet. MADAME JOSSE.         Moquez-vous des menaces qu'il fait : Messieurs Coquerico sont bien mieux votre fait. Il ne s'est jamais vu d'égalité plus grande : Âge, rang... BABET.     Moi, banquière ! MADAME JOSSE.     Il est fou. NANNETTE.         Moi, Marchande. MADAME JOSSE. Il radote. ## SCÈNE VI. Monsieur Brice, Madame Josse, Nannette, Babet. MADAME JOSSE.         Ah, c'est vous ! Eh, mon frère, bonjour. MONSIEUR BRICE. Bonjour, ma soeur. MADAME JOSSE.         De quand êtes-vous de retour, Monsieur l'Avocat ? MONSIEUR BRICE.         D'hier à dix heures, je pense. MADAME JOSSE. Je vous veux un « gros » mal d'une si « grosse » absence. Depuis quinze « gros » jours ne m'avoir point écrit ! Vous qui passez partout pour un si « gros » esprit. À peine un « gros » Seigneur, que le rang autorise, Se serait-il permis cette « grosse » sottise. MONSIEUR BRICE. Quoi ! Ma soeur, votre erreur dure jusqu'à présent ! Laissez mourir en paix un mot agonisant. Hors chez quelques Laquais qu'il est en étalage, En aucun lieu du monde il n'est plus en usage. Laissez, encore un coup, mourir ce mot en paix. Me trouver l'esprit « gros », c'est le trouver épais. A moins qu'un « gros » Seigneur n'ait la taille fort grosse, Est-il expression plus bizarre et plus fausse ? Qui, Diable, a jamais dit depuis quinze « gros » jours ? Ceux qui risquent ces mots pour leur faire avoir cours Devraient être punis presque de même voie Que ceux qui font passer de la fausse monnaie ; « Gros » est un mot proscrit, ma soeur. MADAME JOSSE.         Avez-vous peur Que l'on ne sache pas que je suis votre soeur ? À qui plus justement voulez-vous qu'appartienne Le titre de Madame ? MONSIEUR BRICE.         Oh ! Qu'à cela ne tienne. C'est un titre abusif que tant de femmes ont, Qu'il ne fait plus d'honneur à celles qui le font. On traite également, tant on rend de justice, Et la femme d'un Duc et celle de son Suisse ; Et l'on distingue à peine en un même quartier, Celle d'un président de celle d'un huissier. Jadis un conseiller défendit à sa femme De souffrir que ses gens l'appelassent Madame ; Et le Clerc de son Clerc, moins scrupuleux que lui, Trouve bon que la sienne ait ce titre aujourd'hui. Cette contagion s'étend avec furie ? Particulièrement parmi la librairie : Auprès des Mathurins j'en connais un trio, Une Madame « in-douze », et deux « in-folio ». Mais les gens de bon goût distinguent les espèces. Hé bien, mariez-vous mes deux charmantes nièces ? NANNETTE. Vous ne pouviez choisir un plus heureux moment. Il nous vient ce matin à chacune un amant : Mais bien faits ! Mais d'un « goût » ! Et du rang dont nous sommes. ## SCÈNE VII. Champagne, Madame Josse, Monsieur Brice, Nannete, Babet. CHAMPAGNE. Madame, on vous demande. MADAME JOSSE.     Hé qui ? CHAMPAGNE.         Deux gentilshommes ; Leur père est parfumeur, et demeure ici près. BABET. Il semble que le ciel nous les envoie exprès, MONSIEUR BRICE. Les fils d'un parfumeur Gentilshommes ? Prodige ! MADAME JOSSE. Oui, mon frère, ils le sont. MONSIEUR BRICE.     Eux, ma soeur ? MADAME JOSSE, À SES FILLES.         Oui, vous dis-je, De l'éclat de vos yeux éblouis, pénétrés ; Ils ne sortiront pas comme ils seront entrés. Charmez les bien. À Monsieur Brice.         Et vous, respectez leur noblesse. Et qu'il ne vous échappe aucun mot qui la blesse. Qu'ils entrent. ## SCÈNE VIII. Monsieur du Rus, Monsieur de l'Orme, Madame Josse, Monsieur Brice, Nannette, Babet. MADAME JOSSE.     Hé « quelqu'un » ! Des fauteuils. MONSIEUR DU RUS.         Vos appas Qui font à tout venant mettre pavillon bas, Sûrs de tout conquérir aussitôt qu'ils se montrent, Font autant de captifs que de cours qu'ils rencontrent. Vers une autre beauté j'avais pris mon essor, Mais je change. MONSIEUR DE L’ORME.         Pour moi, mon cour est libre encor : Mais à voir tant d'appas pour peu qu'il persévère, J'appréhende bien fort qu'il ne le soit plus guère. NANNETTE. Quel plaisir de ranger sous l'amoureux lien De ces cours « isolés » qui ne tiennent à rien i Que ne puis-je causer votre première alarme ! MADAME JOSSE. « Isolés » ! Ah, Messieurs, le joli mot ! Il charme. Qui jamais avant elle, à l'âge où la voilà, Avec tant de justesse a placé ce mot-là? « Isolés » ! MONSIEUR DU RUS.         Franchement, « Isolés » me prend l'âme. MONSIEUR DE L’ORME. « Isolés » me ravit, me pénètre, m'enflamme. MONSIEUR DU RUS. Ce qui m'en plaît le plus, c'est qu'elle s'en sert bien. De ces cours « Isolés » qui ne tiennent à rien ! Quand de l'architecture on saurait la manoeuvre, On aurait de la peine à mieux le mettre en ouvre. Ce mot est d'un « bon sel », et d'un excellent « goût ». MADAME JOSSE. Il m'a fait oublier que vous êtes debout. Ces fauteuils sont ici pour nous mettre à notre aise. Hé « quelqu'un » ! Pour mon frère il ne faut qu'une chaise ; Il n'est pas noble. MONSIEUR BRICE.         Non ; dont je rends grâce au ciel. MONSIEUR DE L’ORME. Ouais ! Contre la noblesse il semble avoir du fiel. MONSIEUR BRICE. Point du tout ; je l'honore autant qu'on le peut faire : Il n'est dans un état rien de plus nécessaire : À le rendre tranquille elle applique son soin ; Mais je l'aime un peu vieille, et marquée au bon coin. MONSIEUR DU RUS. Fi ! Peut-on avouer qu'on aime la vieillesse ? Rien n'est plus décrépit que la vieille noblesse. Est-il un financier noble depuis un mois, Qui n'ait son dîné sûr chez Madame Guerbois ? [3] Et que de vieux barons pour le leur trouvent blanque Quand le gibier s'envole, ou que leur fusil manque ? Monsieur parle en bourgeois des plus « invétérés ». MADAME JOSSE. Les mots les plus « jolis » sont par lui censurés. Contre celui de « gros » il jette feux et flammes, MONSIEUR DE L’ORME. Tant pis : il se fera lapider par les Dames. C'est un des mots nouveaux qu'elles aiment le plus. MADAME JOSSE. Est-il rien de mieux dit que de « grosses » vertus ? Je suis de cette phrase inséparable amie. MONSIEUR BRICE. Vous avez contre vous toute l'Académie : Elle, qui dans la langue a le don d'exceller. MONSIEUR DU RUS. Moi, je lui soutiens, moi, qu'on ne peut mieux parler. Il est certains endroits où ce mot charme, enchante. Quelle Académie est-ce ? Est-ce celle où l'on chante ? MONSIEUR BRICE. Plaisante Académie, et dont on fait grand cas ! MONSIEUR DU RUS. [4] Est-ce celle, où l'on fait de si bons almanachs ? MONSIEUR BRICE. Ces gens, pour bien parler, n'ont pas l'air assez grave. MONSIEUR DU RUS. Est-ce l'Académie où l'on peint ? Où l'on grave ? Ces gens-là sont du monde, et parlent juste. MONSIEUR BRICE.         Non. MONSIEUR DE L’ORME. C'est donc l'Académie où l'on ne fait rien. MONSIEUR BRICE.         Bon ! Celle que je vous dis travaille plus que toutes. C'est-là que de la langue on décide les doutes : Là que l'on sert de règle à tous les gens d'esprit, Par ce que l'on prononce et ce que l'on écrit : L'ennemie, en un mot, des sottises nouvelles. ## SCÈNE IX. Champagne, Madame Josse, Monsieur de Rus, Monsieur de l'Orme, Monsieur Brice, Nannette, Babet. CHAMPAGNE. Marote Poussineau vient voir ces Demoiselles. MADAME JOSSE. Voyez pour quel sujet le sot nous interrompt : Dis qu'elles n'y sont pas. CHAMPAGNE.         J'ai dit qu'elles y sont, Je ne serai pas cru, si je dis le contraire. MADAME JOSSE. De ces sortes de gens tâchez à vous défaire. C'est vers la « bourgeoisie » un reste de penchant Que de souffrir ici la fille d'un marchand. Elle ne connaît pas, tant elle est animale, Combien entre elle et vous le rang met d'intervalle. Qu'elle entre. Ces Messieurs permettront bien cela. Pardon. ## SCÈNE X. Marote, Madame Josse, Monsieur de Rus, Monsieur de l'Orme, Monsieur Brice, Nannette, Babet. MAROTE.         Bonjour Nannette ; à la fin te voilà ! Je suis venue ici deux ou trois fois de suite ; Et toutes ces fois-là j'ai perdu ma visite. Comment te portes-tu ? J'en suis en peine. NANNETTE.         Bien. MAROTE. Je te vois du chagrin. Qu'as-tu ? NANNETTE.         Qu'aurais-je ? Rien. MAROTE. Parle-moi bonnement, et ne fais point la sotte. Qu'as tu ? Bonjour, Madame. MADAME JOSSE.         Ah, ah ! Bonjour, Marote, Bonjour. MAROTE.         On me reçoit ici bien froidement ! D'où vient donc que Babet ne me dit rien ? Vraiment On me chasse ; et l'on veut que je m'en aperçoive. BABET. Comment donc voulez-vous, dites, qu'on vous reçoive ? MAROTE. Comment ? Il semble ici qu'on me voie à regret. MADAME JOSSE. Apporter pour Marote un petit tabouret. Car je ne pense pas que votre orgueil vous porte [5] À vous « équipoler » aux gens de notre sorte : Il faut selon les rangs de la distinction ; Et l'on nomme cela subordination. MAROTE. Je veux un fauteuil, moi, s'il faut que je le dise ; Non pour avoir l'honneur d'être un peu mieux assise ; Mais sachant où je fuis, pour m'épargner l'affront De l'être un peu plus mal que les autres ne sont. NANNETTE. Que le monde aujourd'hui se rend peu de justice ! Et qu'aux petites gens l'audace est un sot vice ! Vous imaginez-vous qu'ici, non plus qu'ailleurs, Vous ayez un fauteuil où seront ces messieurs, Eux qui vont à la gloire avec tant de vitesse ; Et qui, de compte fait, ont un mois de noblesse ? Il faut de la raison et de l'ordre partout. MAROTE. Ces Messieurs, où je suis, devraient être debout. Une belle noblesse et de source bien pure, Que celle qu'on débite à la manufacture ! MADAME JOSSE. Vous vous êtes, ma fille, exposée à cela, En vous encanaillant de cette guenon-là. Marote Poussineau ! Ce nom seul est atroce. MAROTE. Marote Poussineau vaut bien Madame Josse. Cet orgueil avec moi ne lui sied-il pas bien ? Elle de qui le père est le boucher du mien ; Et qui plus d'une fois eût fermé sa boutique S'il n'eût eu le bonheur d'avoir notre pratique ? Je m'en vais le changer, sans y perdre un moment. ## SCÈNE XI. Madame Josse, Monsieur du Rus, Monsieur de l'Orme, Nannette, Monsieur Brice, Babet. MONSIEUR DE L’ORME. Vous l'avez repoussée, et vigoureusement. Je ne sais rien de mieux pour vous en bien défaire. MADAME JOSSE. Remettons-nous. Hé bien, Messieurs, qu'allez-vous faire ? Car rien n'est plus honteux, dans ces temps divisés, Que de voir la noblesse avoir les bras croisés : Il faut, pour son honneur, qu'elle soit occupée. Prenez-vous une charge où de robe ou d'épée. MONSIEUR DU RUS. D'épée. On sent bien mieux l'homme de qualité. [6] Partout Mars sur Thémis l'a toujours emporté. Chez tous les gens d'épée aujourd'hui c'est la mode De passer sur le ventre à tous les gens du code. [7] Ce n'est pas au Palais que croissent les lauriers. BABET. Que vous ferez tous deux de « jolis » officiers ! NANNETTE. Si l'on en croit le bruit que fait la renommée, De « jolis » officiers ornent bien une armée. MONSIEUR DU RUS. Quand ils ont à leur tête un « joli » général : [8] Il n'est pour les « grivois » point de plaisir égal : Et ce qui rend la France en tous lieux formidable En « jolis » généraux elle est inépuisable. Ce que nous en avons sont des gens accomplis. MADAME JOSSE. [9] [10] Ceux que nous n'avons plus étaient bien plus « jolis ». Quoique pour en juger mon esprit soit trop mince, Feu Monsieur de Turenne, et feu Monsieur le Prince, L'un pour temporiser et lasser l'Allemand ; L'autre pour foudroyer Espagnol et Flamand ; Ont été, selon moi, les deux plus « jolis » hommes Que la France ait produit dans le siècle où nous sommes. MONSIEUR BRICE. Et vous ne voulez pas que les gens soient piqués Contre des mots si sots et si mal appliqués ! Est-il dans l'Univers encore un Capitaine Tel que Monsieur le Prince, et Monsieur de Turenne ? Quels noms ont plus de gloire, et sont mieux établis ? Et des gens d'un tel poids vous paraissent « jolis » ! Qui jamais, dites-moi, fut assez ridicule Pour traiter de « jolis » Hector, Achille, Hercule ? Vous nommez deux héros qui les effacent tous : Il faut quand on en parle en parler à genoux ; Et ceux qu'en pareil cas ces jolis termes tentent Sont du moins aussi fous que ceux qui les inventent. On ne dit point non plus de « jolis » officiers. « Jolis » ne convient point à de vaillants guerriers : Il faut que l'épithète exprime ce qu'on nomme : Dire un « joli garçon » n'est pas dire un brave homme ; Et le mot de « joli » n'a jamais été fait Qu'en faveur d'un enfant, et d'un colifichet. MONSIEUR DE L’ORME. J'entrevois les raisons de Monsieur votre frère : « Joli » ne lui plaît pas, parce qu'il ne l'est guère. Voilà ce qui l'oblige à s'expliquer ainsi. MADAME JOSSE. Ha ! Que mal-à-propos ma mère vient ici ! ## SCÈNE XII. Madame Brice, Madame Josse, Monsieur du Rus, Monsieur de l'Orme, Monsieur Brice, Nannette, Babet. MADAME JOSSE. Quel sujet vous amène en ce lieu, toute seule ? MADAME BRICE. Je devrais y venir vous souffleter la gueule. Vous avez par vos soins fait si bien et si beau, Que nous ne servons plus chez Monsieur Poussineau. Sa fille... MADAME JOSSE.         Savez-vous qu'elle est assez brutale Pour oser sottement se croire notre égale ? De la désabuser on s'est donné le soin. MONSIEUR DU RUS. Franchement, l'insolence allait un peu trop loin. MADAME BRICE. Mêlez-vous, s'il vous plaît, de ce qui vous regarde. NANNETTE. Ces messieurs sont d'un rang... MADAME BRICE.         Vous, taisez-vous, Guimbarde. Il vous appartient bien de dire vos raisons, Et de mettre le nez dans ce que nous disons. Qui demande un avis aussi sot que le vôtre ? MONSIEUR BRICE. Eh ! De grâce, ma mère, abstenez-vous... MADAME BRICE.         À l'autre Qui pour être boucher ayant trop peu d'esprit Voulut être Avocat pour nous faire dépit ; Et de qui chaque jour la principale affaire Est d'endosser sa housse, écouter, et se taire. Faites-moi le plaisir de me laisser en paix : On vous y laisse bien tous les jours au Palais. BABET. Ciel ! Que les vieilles gens ont un esprit revêche ! MADAME BRICE. Entendez-vous jaser la petite pimbêche ? Voyez : Ne faut-il pas qu'elle s'en mêle aussi ? [11] Les vieilles gens ! La masque, oser parler ainsi ! Je t'apprendrai, friponne, à me morguer en face. Vieille ! MONSIEUR DE L’ORME.         Madame Brice, il faut lui faire grâce. Vos attraits par ce mot ne font pas effacés ! Vous êtes encor jeune; on le voit bien. MADAME BRICE.         Assez, [12] Pour voir votre noblesse un jour aller au peautre ; Et vous, redevenir parfumeurs l'un et l'autre. Mon gendre est une bête, et votre père un fou De chercher à monter pour se casser le cou. Suffit d'être enrôlé dans la Gentilhommaille [13] Pour être convaincu de n'avoir pas la maille : Et de tous les états où l'on est malheureux, [14] Le plus insupportable est d'être noble et gueux. Ajoutez à cela quelle sera la fièvre D'un noble parfumeur, d'un gentilhomme orfèvre, Si le Roi les oblige à marcher dans un an, [15] Comme l'autre noblesse, à quelque arrière-ban ? Les braves gens ! MONSIEUR BRICE.         Ma mère, il vaut mieux qu'on se taise... MADAME BRICE. Jour de Dieu ! Je prétends quereller à mon aise. C'est à vous à vous taire, imbécile Orateur. MONSIEUR DU RUS. Adieu. Madame Brice est de mauvaise humeur. MADAME JOSSE. Elle rêve. Eh, Messieurs ! Supposez qu'elle dorme. NANNETTE. Restez, Monsieur du Rus. BABET.         Restez, Monsieur de l'Orme. MONSIEUR DE L’ORME. Nous prendrons notre temps pour revoir tant d'appas Que la mère éternelle un matin n'y soit pas. MADAME JOSSE. Votre façon d'agir, ma mère, est effroyable. Ils sont sortis. . MADAME BRICE.         Tant mieux : Qu'ils s'en aillent au Diable. J'aurai la joie au moins de gronder en repos. ## SCÈNE XIII. Monsieur Josse, Madame Josse, Madame Brice, Monsieur Brice, Monsieur Griffet, Nannette, Babet. MONSIEUR JOSSE. Ha, ha ! Je vous rencontre ici tout à propos. Je viens de vous chercher pour une belle affaire. MADAME BRICE. Comment donc ? Qu'est-ce ? MONSIEUR JOSSE.         Entrez, Monsieur le Commissaire. MADAME JOSSE. Un Commissaire ici ! Pourquoi faire ? MONSIEUR JOSSE.         Attendez. Vous saurez assez tôt ce que vous demandez. Je veux auparavant, sans nulle incertitude, Informer vos parents de votre turpitude. Autrefois, par l'hymen l'un à l'autre conjoints, Votre fille m'aimait ; je ne l'aimais pas moins : J'étais jeune : un mari toujours jeune est aimable ; Mais enfin... MADAME BRICE.     Enfin, quoi ? MONSIEUR JOSSE.         J'ai vieilli : c'est le Diable ; Et ma femme au plaisir immolant le devoir, À ses petits besoins a pris foin de pourvoir. C'est tout dire. MADAME JOSSE.         Imposteur ! L'impudence est extrême. ## SCÈNE XIV. Nicole, Monsieur Josse, Madame Josse, Monsieur Brice, Monsieur Griffet, Nannette, Babet. NICOLE. Vite, à l'aide, au secours du pauvre Nicodème : Si vous ne vous hâtez c'est fait du jardinier. MADAME JOSSE. Comment ? NICOLE. [16]         Des pousse-culs l'arrêtent prisonnier. Comme il est fort et raide, et qu'il sait battre et mordre, [17] Il leur donne à tretous bien du fil à retordre : Il en viendrait à bout s'il avait de l'appui. Le voici qu'on amène, et sa femme avec lui. ## SCÈNE XV. Nicodème, Adrienne, Monsieur Josse, Madame Josse, Madame Brice, Monsieur Brice, Monsieur Griffet, Nannette, Babet, Nicole. MONSIEUR JOSSE. Approche gros Coquin. NICODEME.         C'est fort bien dit. Peut-être Que j'en dirais autant si j'étais votre maître. MONSIEUR BRICE. Je ne sais que penser de tout ce que je vois. NANNETTE. Plus ce désordre augmente et moins je le conçois. MONSIEUR JOSSE. Fripon ! NICODEME.         Mordié nenni. Tout chétifs que je sommes J'avons été cinq ans à de vrais gentilshommes: À telle enseigne, ardé, qu'ils n'avions pas un sou, Et qu'ils me tapotiont tout leur diantre de faou ; Il ne s'est jamais vu de noblesse meilleure. Ce n'était pardié pas comme celle d'astheure. MADAME JOSSE. Vous le méritez bien, Monsieur Josse. MONSIEUR JOSSE.         Tout doux. Je sais ce qui se passe entre-eux, quelque autre et vous. MADAME JOSSE. Hé, que se passe-t-il qui ne soit à ma gloire ? MONSIEUR JOSSE. Monsieur le Commissaire apportez son mémoire. C'est trop avoir d'égard pour son manque de foi ; Ne la ménagez plus. Parlez. MONSIEUR GRIFFET.         De par le Roi. Dites-moi, sans mensonge, et sans être interdite, Si vous reconnaissez ce mémoire ? MONSIEUR JOSSE.         Elle hésite. Plus elle a de chagrin, plus je suis réjoui. MADAME JOSSE. Oui, Monsieur, ce mémoire est de moi. MONSIEUR JOSSE.     De vous ? MADAME JOSSE.         Oui. Je ne sais ce que c'est que dire une imposture. MONSIEUR JOSSE. Il s'agit maintenant d'en faire la lecture. Vous allez, j'en suis sûr, être scandalisez. MADAME JOSSE. De quoi ? MONSIEUR JOSSE.         Prêtez l'oreille : et vous, Monsieur, lisez. MONSIEUR GRIFFET, LIT. « Mémoire de la Défense que j'ai faite en galanteries ». MONSIEUR JOSSE. Voyons par quel endroit ce mémoire débute. MONSIEUR GRIFFET. « Premièrement », vingt francs pour une « Culbute »... MADAME BRICE. Pour une « Culbute » ! Oh bon Dieu ! Qu'est-ce là? MONSIEUR JOSSE. Bon ; ce n'est rien : le reste est bien pis que cela. Poursuivez seulement, Monsieur le Commissaire. MONSIEUR GRIFFET. Pour une « Culbute » avec un « Mousquetaire ». MONSIEUR BRICE. Avec un « Mousquetaire » ! En effet, c'est bien pis. Malheureuse ! Est-ce là ce qu'on t'avait appris ? Faire un si grand affront à la race des Brices ! MONSIEUR JOSSE. Monsieur, de pareils coups laissent des cicatrices... NICODEME, BAS. La peste ! Un « Mousquetaire » est assez bien choisi. MONSIEUR GRIFFET. Plus, pour un « Boute-en-train », et pour un « Tâtez-y », Huit cents francs ! MONSIEUR JOSSE.         Dites-moi, vous, à qui je me fie, Qu'est-ce qu'en bon français « Tâtez-y » signifie ? MADAME BRICE. Que signifierait-il que ce qu'on entend bien ? MONSIEUR BRICE. Qu'avez-vous à répondre à cela, ma soeur ? MADAME JOSSE.         Rien. C'est un extravagant, qui de Paris à Rome Aurait peine à trouver son égal. MADAME BRICE.         Le pauvre homme ! Il est bien malaisé qu'il ait l'esprit serein Quand il sait qu'à sa femme il faut un « Boute-en-train ». MONSIEUR GRIFFET. « Plus » pour la « Jardinière », et pour des « Engageantes » Dont mes filles et moi nous fumes bien contentes ; Trois cents livres. MONSIEUR JOSSE.         Voilà ce qui m'outre le plus. Donner à ses enfants des leçons là-dessus ! À quoi lui servais-tu? ADRIENNE.     Qui ? Moi, Monsieur? MONSIEUR JOSSE.         Oui, Chienne. MADAME BRICE. Je te tordrai le cou, suborneuse. NICODEME.         Adrienne, Dis-moi, [18] Dis-moi, sans barguigner ce que c'est que cela ? [19] Et quelle manigance on débagoule-là. Parle. ADRIENNE.     Moi, Nicodème ? NICODEME. [20]         Oui, palsandié, dégoise. ADRIENNE. Est-ce ma faute, à moi, si Madame l'emboise ? Quand on a bon renom cela vaut mieux que tout. Je sommes, comme on dit, plus couché que debout. Tenez, je ne fais rien, comme sait Nicodème, Que ce que je vourois qu'on me fît à moi-même, J'allons tête levée, et je ne craindons rien ; Dieu marci. NICODEME.         Pour cela, je sommes gens de bien : Et j'avons de l'honneur, malgré la médisance, Plus qu'il ne nous en faut pour notre suffisance. J'ignorons ce que c'est que de faire faux-bon : Ce n'est pas comme vous et Madame. MADAME JOSSE.         Ah, fripon ! Tu ne t'amuses pas à voler des vétilles. MONSIEUR GRIFFET. « Plus » pour des « papillons », des « guêpes », des « chenilles », Huit cens écus. MONSIEUR JOSSE.         Maraud, qui fais l'homme de bien, Te voilà si confus que tu ne dis plus rien ! Tu ne présumais pas que l'on sut ton négoce. Vendre des « papillons » une somme si grosse ! Je prétends qu'aujourd'hui cet argent soit rendu. MONSIEUR GRIFFET. Ou qu'il soit dans trois jours bien et dûment pendu. Pour un vol domestique on ne fait pas long gîte. MADAME BRICE. On ne peut d'un voleur se défaire trop vite. Pendez, pendez. MONSIEUR JOSSE.         Crois-moi, de peur d'être étranglé, Rends-moi ce que ta femme et toi m'avez volé : Voilà neuf cens écus marqués en deux articles. ADRIENNE. Volé ! Nous ? NICODEME. [21]         Testedié, boutez mieux vos bésicles. Quand je suis échauffé, je sois pis qu'un Satan. Si je ne vous agrée, il faut dire va-t-en. Avec un peu d'esprit jamais on ne demeure ; Et, sans reproche à Dieu, j'en eus d'assez bonne heure, J'apprenais de Musa le Singulariter, Quand je me dépétri de notre Magister : Il me brisi, mordié, quasiment une côte, Parce que, disi-t-il par ma chienne de faute, Notre âne avec sa bouche un soir avait failli À démettre la gueule à Monsieur le Bailli. Sans cet accident-là qui vint troubler la fête, [22] Moi, la bourrique et lui je n'étions qu'une tête. Je n'avons pas toujours mangé notre pain sec. MONSIEUR JOSSE. Jamais aucun fripon n'a manqué par le bec. Ne crois pas m'éblouir par de tels artifices. Ta femme, pour ses bons et louables services, A reçu trois cens francs. Toi pour des « papillons », [23] Et je ne sais combien de pareils guenillons, Huit cents écus. ADRIENNE.         Eh si ! Si je n'étais honnête, Je vous dirais, Monsieur, que vous êtes bien bête ; [24] Bien nigaud, bien butor, bien badaud de Paris: Mais Nicodème et moi je sommes bien appris ; Et je ne disons rien qui chagrine parsonne. C'est une bride à viau que Madame vous donne Que tous les « papillons » qu'elle vous boute-là : Elle dépense mieux son argent que cela : Fraîche comme un gardon, droite comme une parche, Bon, vrament, c'est bien là les bêtes qu'elle charche ! Les femmes de Paris en savont bien plus long. MONSIEUR BRICE. Vous m'impatientez, ma soeur. Répondez-donc. Tout parle en sa faveur, et tout vous est contraire. MONSIEUR GRIFFET. Plus, quatre louis d'or pour un « Laisse-tout-faire ». MONSIEUR JOSSE. Cela n'est point obscur et chacun l'entend bien : Quand on laisse tout faire on ne réserve rien. Mettez-vous en ma place. Est-ce à tort que je gronde ? MADAME BRICE. Que ne l'ai-je étouffée en la mettant au monde ! Je n'aurais pas l'affront de voir ce que je vois. MADAME JOSSE. Je ris de vous voir tous déchaînés contre moi. Vous me charmez. MADAME BRICE.         L'infâme ! Et toi, tu m'assassines. MONSIEUR GRIFFET. « Plus », pour une « effrontée », et pour deux « gourgandines », Quinze louis. MADAME BRICE.         Comment ? Tu connais ces gens-là ! [25] Des « gourgandines » ! Ciel ! Quelle Peste voilà ! Il n'est pas sur la terre une plus méchante âme. Le dangereux bétail qu'une pareille femme ! MONSIEUR GRIFFET. « Plus » pour une « innocente », onze louis. MONSIEUR JOSSE.         Viens ça. NICOLE. Qui ? MONSIEUR JOSSE.     Toi. NICOLE.         Moi ? Je ne sais ce que c'est que tout çà. J'ai toujours vu Madame une bonne vivante. MONSIEUR JOSSE, À MONSIEUR GRIFFET. La preuve de son crime est assez convaincante. On lui dira le reste en temps et lieu. Suffit. MONSIEUR GRIFFET, À MADAME JOSSE. Qu'avez-vous à répondre à tout ce que j'ai dit ? MADAME JOSSE. Que mes filles, Monsieur, ont dur elles les pièces, Que contient ce mémoire espèces par espèces. De me justifier je leur laisse le soin. Défendez mon honneur. MONSIEUR JOSSE.         Je crois qu'il est bien loin. NANNETTE. Ce qui dans cet écrit vous paraît des injures, Sont des noms que l'on donne aux nouvelles parures. Une robe de chambre étalée amplement, Qui n'a point de ceinture, et va nonchalamment, Par certain air d'enfant qu'elle donne au visage Est nommée « innocente », et c'est du bel usage. Ce manteau de ma soeur si bien épanoui, En est une. MONSIEUR JOSSE.     Cela est une « innocente » ? BABET.         Oui. Sont-ce là des sujets pour vous mettre en colère ? NANNETTE. Voilà la « culbute », et là le « Mousquetaire ». BABET. Un beau noeud de brillants dont le sein est saisi, S'appelle un « Boute-en-train », ou bien un « Tâtez-y » Et les habiles gens en étymologie, Trouvent que ces deux mots ont beaucoup d'énergie. NANNETTE. Une longue cornette, ainsi qu'on nous en voit, D'une dentelle fine, et d'environ un doigt, Est une « Jardinière » : et ces manches galantes Laissant voir de beaux bras ont le nom d'« engageantes ». BABET. Ce qu'on nomme aujourd'hui « guêpes » et « papillons », Ce sont les diamants du bout de nos poinçons ; Qui remuant toujours, et jetant mille flammes, Paraissent voltiger dans les cheveux des Dames. NANNETTE. L'homme le plus grossier et l'esprit le plus lourd Sait qu'un « Laisse-tout-faire » est un tablier fort court : J'en porte un par hasard qui sans aucune glose, Exprime de soi-même ingénument la chose. BABET. La coiffure en arrière, et que l'on fait exprès Pour laisser de l'oreille entrevoir les attraits, Sentant la jeune folle, et la tête éventée, Est ce que par le monde on appelle « effrontée ». NANNETTE. Enfin, la « gourgandine » est un riche Corset, Entrouvert par devant à l'aide d'un lacet : Et comme il rend la taille et moins belle et moins fine, On a cru lui devoir le nom de « gourgandine ». Vous avez pris l'alarme avec trop de chaleur. MONSIEUR JOSSE. À ce compte, mon mal n'était donc qu'une peur, Et mon front avait tort de croire son cas sale ? MADAME JOSSE. Comment prétendez-vous réparer ce scandale ? Après un tel éclat je n'ai plus d'yeux pour vous, Et je vais tout permettre à mon juste courroux. Qui voulait me punir mérite un sort semblable. NICODEME. Le moins qu'il puisse faire est amende honorable, Tête-nue, en chemise, avec la torche au poing: Madame fera bien de n'en démordre point. Vartidié ! Ce n'est pas une faute légère Que de prendre l'honneur à ceux qui n'en ont guère. ADRIENNE. Je ne prétends pas, moi, qu'il soit quitte pour rien, D'avoir, ou peu s'en faut, fait une brèche au mien. On ne peut de l'honneur se montrer trop friande ; Et ce qu'il m'en a pris je veux qu'il me le rende. MONSIEUR GRIFFET. Je vous l'avais bien dit d'aller moins vite. MADAME BRICE.         Et quoi. Vous l'accusez à tort de vous manquer de foi ! Cette brutalité n'est point du tout permise : Et dussai-je y manger jusques à ma chemise, Il ne sera point dit que je souffre cela. MONSIEUR JOSSE. Que pouvais-je penser de ce mémoire-là ? « Tâtez-y », « Boute-en-train », « Culbute », « Engageantes »; Tout cela pour le front sont des armes parlantes ; Et je sens que le mien me démange toujours. Voilà de vilains noms pour de si beaux atours. MONSIEUR BRICE. Il a raison. MADAME JOSSE.     Lui ? MONSIEUR BRICE.         Lui. N'est-ce pas une honte De voir de la pudeur faire si peu de conte ? Donnez, puisqu'il vous plaît d'avoir ces ornements, De plus honnêtes noms à vos ajustements. Tous ces termes impurs, ces équivoques sales, [26] [27] Sont de droit naturel du Pont-neuf, ou des Halles. Qui de les inventer s'ose mettre en devoir, Sait plus d'obscénités qu'il n'est beau d'en savoir : Rien n'est plus odieux qu'une femme immodeste ; Et qui risque ces mots, risque aisément le reste. Les cours bien situés font posés, retenus..... MADAME BRICE. Franchement, ces mots-là sont un peu saugrenus. J'ai sué de frayeur de son « Laisse-tout-faire », Et de la « Culbute » avec un « Mousquetaire », En un mot, ce jargon n'est point édifiant. MONSIEUR JOSSE. Monsieur le Commissaire, en vous remerciant : [28] Vous et vos Grippechairs vous pouvez disparaître, Puisque je ne suis pas ce que je croyais être. MONSIEUR GRIFFET. Comment ? N'est-ce pas vous qui m'avez employé ?... MONSIEUR JOSSE. Si j'eusse été cocu je vous aurais payé. De tout ce que j'ai fait vous êtes le complice. MONSIEUR GRIFFET. Moi ? MADAME JOSSE.         Vous. Si l'on faisait une exacte Police On ne souffrirait point tous ces vilains mots-là, [29] [30] Non plus que la Bassette et le Jeu du Hocca ; Et l'on condamnerait à mille écus d'amende L'impudent lapidaire, et l'impure marchande, À qui l'on entend dire avec un front d'airain Un « Tâtez-y », Monsieur ; Madame, un « Boute-en-train »; « Gourgandine » à bon prix ; « Culbute » nouvelle. Quel abus! MONSIEUR GRIFFET.         Mon devoir en d'autres lieux m'appelle : Payez-moi, je vous prie, ou bientôt un exploit... MONSIEUR BRICE. Satisfaites Monsieur, et qu'il s'en aille. MONSIEUR JOSSE.         Soit. J'en suis quitte à bon compte, et la peine est petite. NICODEME. Oh palsandié nonfait, vous n'en êtes pas quitte. Si l'honneur de Madame a fait queuque faux pas, J'avons notre cas net, si le sien ne l'est pas. La femme de cheuz-nous n'est point une « Engageante ». MONSIEUR JOSSE. Au lieu de vingt écus je t'en donnerai trente. C'est payer son honneur et le tien grassement. NICODEME, À ADRIENNE. Est-ce assez ? ADRIENNE.         Eh oui-da, c'est bien honnêtement. Les femmes d'aujourd'hui faisont bien voir aux hommes Que l'honneur n'est pas cher dans le temps où je sommes. Dix écus pour le mien c'est un prix assez haut. NICODEME. Je crois, comme tu dis, que c'est tout ce qu'il vaut. Boutez-là votre main : je vous pardonne. Eh qu'est-ce ? Pour des mots de travers faut-il bouder sans cesse ? MONSIEUR BRICE. Je me charge du soin de les rapatrier. MADAME JOSSE. Et l'affront qu'il m'a fait se peut-il oublier ? MONSIEUR JOSSE. Si me croire timbré c'est vous faire une offense, En faisant le péché, j'en ai fait pénitence : J'ai souffert comme un Diable. Eh, bon Dieu! Comment font Tant de gens que je vois qui savent qu'ils le sont, Et qui de ce malheur n'étant tristes ni mornes, Vivent dans un plein calme à l'abri de leurs cornes ? La patience est belle en de semblables cas : Mais c'est un don du ciel, qu'il ne m'accorde pas. Nommez, si vous voulez, mon imprudence extrême, J'aime mieux avoir tort que vous l'ayez vous-même ; Et le risque est moins grand, pour tout dire en un mot, D'être imprudent cent fois, que d'être une fois sot. MADAME JOSSE. L'êtes-vous ? MONSIEUR JOSSE.         S'il est vrai ce qu'on me fait connaître Non, je ne le suis pas, mais je croyais bien l'être : Et sur une apparence égale à celle-ci, Bien d'autres en ma place auraient cru l'être aussi. Puisqu'il faut se soumettre à ce que veut la mode, Et que la plus suivie est d'être époux commode ; Oublions toute chose. Y consentez-vous? MADAME JOSSE.         Non. Je ne veux plus vous voir. MADAME BRICE. [31]         Moi, je le veux, Guenon, Ce serait un ménage assez beau que le vôtre, Le mâle d'un côté, la femelle de l'autre ! Il faut qu'à son époux, de peur d'avoir du bruit. Une femme obéisse en tout temps, jour et nuit. Ce n'est point à la poule à tant lever la crête. ADRIENNE. À tout ce qu'il lui plaît le mien me trouve prête. Demandez-lui plutôt si je mens. NICODEME.         Pardié non Parmi bien du méchant elle a cela de bon, Que lorsqu'il faut m'aider à de certains ouvrages [32] Elle court, tête-dié, comme des arrérages, Veux-je boire deux coups, elle en veut boire trois ; Aussi, vivons-je heureux comme de petits Rois. La paix est d'un logis la pièce la plus bonne. MONSIEUR BRICE. Profitez des leçons qu'un jardinier vous donne. À vivre bien ensemble appliquez votre soin. Votre sotte querelle est allée assez loin. Surtout, qu'il ne vous sorte aucun mot de la bouche Dont l'oreille s'indigne, et l'honneur s'effarouche. Portez des diamants, des dentelles, de l'or, Et, si faire se peut, plus de richesse encor ; Mais évitez les mots dont les moeurs sont blessées, Et qui mènent l'esprit à de sales pensées. Chez tous les gens d'honneur ces mots sont interdits. MADAME JOSSE. Je voudrais bien savoir quels vilains mots je dis. MONSIEUR BRICE. Lisez votre mémoire ; on ne voit rien de pire, Lisez. MADAME JOSSE.         Hé bien, mon frère, il ne faut plus les dire ; J'ai cru de nos bijoux pouvoir mettre les noms, Sans attirer sur moi de si cruels affronts. S'ils rendent ma conduite ou douteuse, ou suspecte, J'y renonce à jamais, loin que je les affecte. Je n'ai pas eu dessein de le mettre en courroux. NANNETTE. Si vous y renoncez, j'en fais autant que vous. BABET. Pour les dire jamais, j'ai trop peur qu'on me gronde. MONSIEUR JOSSE. Fort bien. Nous voilà tous les plus contents du monde. À ses filles. Je ne suis pas ingrat à qui me fait plaisir : Choisissez des époux selon votre désir. MADAME BRICE. Allons nous ébaudir, et dîner tous ensemble. NICODEME, AUX AUDITEURS. Et vous, allez souper, Messieurs, si bon vous semble. Comme en chemin faisant vous trouvez quelquefois D'impertinents parleurs et de nobles bourgeois, Envoyez-les ici voir comme on accommode La Noblesse en détrempe, et les Mots à la Mode. ------- [1] Fi : Particule qui sert à faire une exclamation pour témoigner le mépris, la haine, l'aversion qu'on a pour quelque personne ou quelque chose. F [2] Bagatelle : Chose de peu de prix et peu nécessaire. FC [3] Blanque : Espèce de Loterie, ou jeu de hasard où l'on achète certains nombre de billets, dans lesquels il y en a quelqu'un noir, ou marqué de quelque meuble, qui est à l'étalage, on ne profite. Sil n'y en a pas on perd son argent. On dit figurément, qu'on a trouvé blanque en quelque lieu, quand on y trouve pas ce qu'on cherchait. F [4] Almanach : Calendrier qui contient tous les jours de l'année, les fêtes, les lunaisons, etc. Faire des almanachs, faire des pronostics. L [5] Equipoler : Être de pareil prix qu'une autre chose à quoi l'on se rapporte. F [6] Thémis : déesse de la justice chez les grecs, fille d'Uranus ou de Titan, et nourrice d'Apollon. [7] Palais : Palais de justice, notion englobant tous les métiers de justoce. [8] Grivois : Au XVIIème siècle ; soldat de certaines troupes étrangères au service d la France, et par extension soldat. L [9] Turenne, H. de la Tour d'Auvergne, vicomte de 1611-1675 : Ce grand capitaine a gagné a gagné autant ou même plus de batailles décisives, et il a réparé plus de graves échecs : c'était le premier tacticien de l'Europe. Né dans la religion protestante, il fut converti au catholicisme par Bossuet. B [10] Condé, Louis II, Prince de 1621-1687 : Nommé général en chef à 22 ans, Il défit entièrement à Rocroiy les espagnols bine supérieurs en nombre et redoutables alors par leur infanterie. L'année suivante il battis les allemands à Fribourg. (...) Ce général dut son succès à son élan irrésistible et d'heureuses inspirations, mais ne ménageait pas le sang de ses soldats. B [11] Masque : Terme familier d'injure dont on se sert quelquefois pour qualifier une jeune fille, une femme, et lui reprocher sa laideur ou sa malice. L [12] Peautre : La gouvernail d'un vaisseau. (...) On dit proverbialement à des importuns qu'on veut chasser loin de soi : allez au peautre. [13] Maille : Ce mot signifie quelquefois une monnaie de peu de valeur. T [14] Gueux : Indigent, qui est réduit à mendier. FC [15] Arrière-ban : Anciennement, ban et arrière-ban, ou, simplement, arrière-ban, convocation que faisait le roi de sa noblesse, tant vassaux qu'arrière-vassaux, pour aller à la guerre ; le corps de la noblesse ainsi convoqué. L [16] Pousse-cul : terme odieux dont on qualifie les Recors assistants du sergent des Sergents, et autres qui servent à mettre et à pousser les gens en prison. F [17] Tretous : Vieux mot. Tous. Th. [18] Barguigner : se dit figurément en choses spirituelles des irrésolutions d'esprit, quand un homme a du mal à se résoudre, à donner quelque parole, à conclure une affaire, à se défaire de quelque engagement. F [19] Débagouler : Vomir dégueuler. Ce mot n'est en usage que parmi le peuple, où on le dit plus souvent au figuré ; et il signifie alors Dire indiscrètement tout ce qu'on sait. F [20] Dégoiser : Se dit figurément et dans le style burlesque de ceux qui parlent trop, et mal à propos. [21] Besicles : On ne se sert de ce mot que dans le style burlesque. Il signifie des lunettes appliquées au deux yeux. F [22] Bourriquet : voir Bourrique. Méchante bête de voiture. Il se dit particulièrement des ânes et des ânesses ; et ensuite des méchants chevaux. F [23] Guenillons : Vieux lambeaux de linge ou d'étoffe. F [24] Butor : Gros oiseau, espèce de héron fainéant et poltron. On dit figurément d'un homme stupide et maladroit que c'est un butor. F [25] Gourgandine : Terme très familier. Femme de mauvaise vie, coureuse. Sorte d'habit de femme à la mode en 1694, qui consistait en un corset ouvert par devant et laissant voir la chemise. L [26] Pont-Neuf : Plus vieux pont de Paris, situé au bout de l'île de la Cité. [27] Halles : Lieu de commerce ouvert qui se trouvait au nord du Pont-Neuf, le nom est resté pour le quartier. [28] Grippechairs : terme péjoratif pour recors, sergents et autres archers. [29] Hocca : Jeu qui vient de Catalogne. Il est composé de trente points marqués de suite sur une table et il se jour avec trente petites boules, dans chacun desquels on enferme un billet de parchemin où il y a un chiffre. Quand on joue, on remue ces boules dans un sac, on en tire une dont on fait sortir de billet, qu'on déplie aux yeux de tout le monde, pour voir ce qu'on perd, ou ce qu'on gagne. F [30] Bassette : Jeu de cartes assez semblable au lansquenet. L [31] Guenon : On appelle aussi guenon, une femme vieille, ou laide, quand on lui veut dire quelque injure. Il est bas. F [32] Arrérages : Ce qui est échu d'un revenu, d'une rente, d'une redevance. L