--- identifier: chabanon_eudoxie creator: Chabanon Michel Paul Guy de. date: (inc title: Eudoxie. , tragédie. --- EUDOXIE TRAGÉDIE M. DCC. LXIX. Avec Approbation, et Privilége du Roi. Par M. CHABANON, de l'Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres, et de l'Académie de Lyon. # .À PARIS, Chez La veuve, DUCHESNE. Libraire, rue Saint Jacques, au Temple du Goût. SANCTUS, Libraire, au Palais du Luxembourg. # ACTEURS. – EUDOXIE, femme de Maxime, veuve de Valentinien. – ÉLISE, suivante d'Eudoxie. – ARBATE. – ASPAR, général romain. – MAXIME, Empereur de Rome. – FLAVIUS. – ADONAL. – GONTHARIS. – LÉONCE. # ACTE I. ## SCÈNE PREMIÈRE. Eudoxie, Élise. ÉLISE. Princesse auguste et chère, aux larmes condamnée ! De Valentinien épouse infortunée ! Vous, que le sort n'a mise au faîte des grandeurs, Que pour remplir vos jours d'amertume et de pleurs. Sous le poids des revers, plaintive et gémissante, Goûtez du moins, goûtez, la douceur consolante De voir tous vos sujets, sur vos maux attendris, Pour vous, de la vertu solliciter le prix. À changer vos destins, Rome aujourd'hui conspire : Nous pleurons avec vous les maîtres de l'Empire, Nous pleurons votre fils aux fers abandonné : Ce fier tyran du Nord, contre nous déchaîné, Ce chef audacieux d'une horde guerrière, Qui ravage l'Empire et dépeuple la terre, [1] Genseric, dont le nom porte avec lui l'effroi, Brigand, que des brigands ont appelé leur Roi... EUDOXIE. Ah ! Ce monstre a causé les malheurs de ma vie : C'est lui, qui de mon fils tient l'enfance asservie ; C'est lui qui fit périr mon père et mon époux ; Ce que j'eus de plus cher est tombé sous ses coups : Son courroux à mon fils sera-t-il moins funeste ? Sauverez-vous, grand Dieu ! Ce triste et dernier reste D'un sang à qui l'Empire a dû ses souverains ? Ravirez-vous mon fils à d'homicides mains ? ÉLISE. Craignez-vous qu'un tyran n'accable sa misère ? EUDOXIE. Je crains tout de la main qui fit périr son père. ÉLISE. Dissipez cet effroi d'un coeur trop maternel, Et sans prévoir encore un destin si cruel, Attendez que du sort la rigueur se déclare : Arbate député vers le tyran barbare, Peut-être en ce moment a conclu le Traité Qui doit à votre fils rendre sa liberté. EUDOXIE. Je sais quel est Arbate, et je chéris son zèle, Chaque jour j'en reçois quelque marque nouvelle ; Et le Sénat aussi (je le dois avouer) Sur ses soins vigilants me force à le louer.... Je crains tout cependant ; et cette défiance L'emporte dans mon coeur sur la reconnaissance. ÉLISE. Comment ? EUDOXIE.         Ignores-tu quel est l'esprit des Cours ? L'intrigue s'y conduit par de sombres détours : Un voile d'équité couvre les injustices ; Le masque des vertus y pare tous les vices ; L'obscure trahison avec un front couvert feint de nous être utile alors qu'elle nous perd... ; Devant moi l'on chérit l'héritier de l'Empire ; On veut briser ses fers : mais si j'ose le dire, Ces desseins généreux pour être aisément crus, Supposent bien du zèle et de rares vertus : Chacun de ces mortels, qu'attendrit ma disgrâce ; Au défaut de mon fils, peut régner à sa place. Je ne t'en dis pas plus ; tu vois ce qui détruit Le calme passager de l'espoir qui me luit : Je crains l'ambition qui veille auprès du trône... [2] Et pour comble de maux, Maxime m'abandonne. Lui, de qui le courage aux combats redouté ; Le crédit à la Cour, la noble intégrité, Eussent seuls défendu la cause de ses Maîtres ; Et replacé mon fils au rang de ses ancêtres ; Il m'abandonne, il fuit, il s'éloigne de moi ; Lui, donc mon coeur jamais n'eut soupçonné la foi, ÉLISE. Mais, Madame, peut-être il ne sait pas encore.... EUDOXIE. Elise, que dis-tu ? Se peut-il qu'il ignore Que l'héritier du trône est tombé dans les fers ! Mon infortune, hélas ! a rempli l'Univers. On se fait un devoir d'y paraître sensible ; Et Maxime lui seul.... Non, il n'est pas possible, Non, te dis-je, il trahit mes plus chers intérêts. Hé ! pourquoi, renonçant à de nobles succès, A t-il abandonné l'armée, où sa présence, Du soldat ranimé fixait la confiance ? S'il ne combat pour eux, qu'il combatte pour moi.... Il était dans Messine en ces moments d'effroi, Où l'ordre redouté d'un vainqueur sanguinaire Dévouait à la mort mon époux et mon père. Quelle part a-t-il prise à mes justes douleurs ? Ai-je trouvé sa main prête à sécher mes pleurs ? A-t-il daigné me voir ?.... Ah ! Sans doute il oublie Qu'autrefois à son sort je fus près d'être unie ; Que l'instant qui brisa ce fortuné lien, Frappa d'un coup mortel et mon coeur et le sien ; Ces temps restent présents à ma triste pensée : Que pour lui la mémoire en demeure effacée ; Mais que son coeur au-moins affranchi de ses noeuds, Lorsqu'il cesse d' aimer, sache être généreux : C'est un devoir sacré dont rien ne le dispense ; Et.... ÉLISE.         Madame je vois Arbate qui s'avance. ## SCÈNE II. Eudoxie, Élise, Arbate. EUDOXIE. Hé bien ! M'apportez-vous ou la vie ou la mort ? Le Ciel qui, pour changer la rigueur de mon sort, Vous inspirait les soins d'un zèle secourable, Honore-t-il ces soins d'un regard favorable ? ARBATE. Madame, en vous servant j'eusse été trop heureux ; Mais le succès est loin de répondre à mes voeux. EUDOXIE. Rien n'a pu du tyran fléchir la barbarie. ARBATE. Par les prospérités son âme enorgueillie Abuse de ses droits en traitant avec nous : Tout ce qu'il nous propose est un affront pour vous. Votre fils malheureux, pour sortir d'esclavage, Doit du Trône à ses pieds offrir un humble hommage. Et recevoir des lois avant que d'en donner. EUDOXIE. Ciel ! ARBATE.         L'offre du Tyran va plus vous étonner. Nommé par le Sénat, Protecteur de l'Empire Pour confirmer ce titre où son orgueuil aspire, De votré main encore il recherche l'honneur. EUDOXIE. Ma main ! Lui ! Ce brigand ! Dieu puissant ! Ciel vengeur.... Ô Valentinien ! Ô mânes de mon père ! Quels affronts désormais manquent à ma misère ? Votre assassin lui-même ose briguer ma foi ! ARBATE. Le Sénat indigné d'une si dure loi, Rejette loin de lui cette offre injurieuse : Mais tandis qu'avec vous il plaint la honte affreuse, Où le malheur des temps vous réduit en ce joui ; Par une loi cruelle affligeant votre amour, Lui-même il va vous faire une injure aussi grande : Mais la nécessité le veut et le commande.... On va donner un Maître à l'Occident troublé. EUDOXIE. Ciel ! Mon fils, de ses droits sera donc dépouillé. ARBATE. En jouira-t-il plus si le droit de la guerre Soumet à des brigands le reste de la terre ? Si le Vandale admis au sein de ces remparts, S'assied insolemment au Trône des Césars ? Madame, consultez votre propre avantage, Consultez la raison, mère du vrai courage : C'est servir votre fils que sauver ses États ; Et pour les conserver, Rome a besoin d'un bras Dont le puissant abri garantisse sa tête, Et soutienne l'Égide au fort de la tempête. L'Occident aujourd'hui fait un dernier effort : Tout l'Empire est en proie à ces enfants du Nord, Qui, chassés de ses flancs, errants, et sans patrie, De climats en climats promènent leur furie. Ces tigres déchaînés, l'un de l'autre ennemis, Pour nous mieux accabler sont entre eux réunis. [3] Goths, Vandales, Alains, Sarmates et Gépides, [4] Des bords de l'Occident aux marais Méotides, Combattent tour à tour sur nos sanglants débris : La Gaule est sous le joug, la race de Clovis Fonde un nouvel Empire aux rives de la Seine : Les Goths nous ont ravi l'Espagne et l'Aquitaine : Le Saxon a franchi la limite des mers ; Aux Bretons étonnés il apporte des fers : L'Afrique a reconnu Genseric pour son maître ; Sous ce Roi triomphant Carthage va renaître : A sa libre fureur tous nos ports sont ouverts, Il tient sous ses drapeaux nos vastes champs couverts ; Ce nouvel Annibal est aux portes de Rome ; Né pour être un brigand il sait être un grand homme.... J'ignore quel sera le succès du combat Qui commet aujourd'hui les forces de l'État ; Mais vainqueurs eu vaincus, notre puissance expire, Si la voix du Sénat ne s'empresse d'élire Un souverain habile, un chef intelligent, Qui balance l'effort de ce Roi conquérant. EUDOXIE. Et quel est le héros que le Sénat désigne Pour occuper un rang.... dont Maxime est seul digne ; Maxime a mérité de nous donner des lois : Tout l'Occident est plein du bruit de ses exploits ; Il vengea dans Messine et César et mon père. ARBATE. Maxime est un héros, sa vertu nous est chère : « Mais de son bras, dit-on, la force et la valeur, Sont les dons d'un guerrier plus que d'un Empereur. L'art de bien gouverner est une autre science ; Elle est le fruit du temps et de l'expérience : Et pour tout dire enfin le glaive quelquefois, Coûte moins à porter que le sceptre des Rois. » D'ailleurs, las de servir notre gloire et la vôtre, Maxime a séparé son intérêt du nôtre ; Il a quitté l'Armée, il renonce aux combats : On ignore en quels lieux il a porté ses pas : Transfuge de nos Camps, il ne doit plus prétendre A gouverner l'État qu'il celle de défendre. EUDOXIE. Ah ! Voilà le malheur que j'avais tant prévu ! Maxime m'abandonne ; et mon fils est perdu. ARBATE. Madame, il ne l'est point : quel que soit son courage, Maxime n'a pas seul cet illustre avantage De pouvoir secourir l'innocent opprimé : De ce noble désir le Sénat animé Veille sur votre fils dans le choix qu'il va faire ; Sur ce choix important votre intérêt l'éclaire : Sa voix, n'en doutez pas, nommant un Empereur, A votre fils aussi va nommer un vengeur. Pour moi, qui, distingué de la foule commune, Ai vu par vos bontés élever ma fortune, Si dans le poste utile où la faveur m'a mis, L'espoir de Vous servir pouvait m'être permis, Madame, disposez de mon obéissance, Elle est sans borne ainsi que ma reconnaissance ; Le pouvoir des bienfaits vous asservit ma foi, Et votre intérêt seul est ma règle et ma loi. ## SCÈNE III. Eudoxie, Élise. EUDOXIE. Il cherche à me flatter d'une espérance vaine, Mais mon timide amour ne le croit qu'avec peine. Maxime me ravit un espoir plus certain : Le sceptre qu'il dédaigne eût passé dans sa main ; Sa valeur l'eut acquis aux champs de la victoire : Sous son règne brillant quelle eût été ma gloire ! La sienne devenait un triomphe pour moi. Je voyais le Héros qui mérita ma foi, De nos peuples soumis recevoir les hommages ; Le Sénat en triomphe eût porté ses images, L'Empire eût retenti du bruit de ses succès : Mon âme intéressée à chérir ses bienfaits, Dans le bonheur d'un fils devenu son ouvrage, Eue trouvé des raisons de l'aimer davantage : Je n'ai plus à prévoir au-lieu de ces honneurs, Qu'un opprobre éternel et d'éternels malheurs. Maxime me trahit, m'outrage, m'assassine ; C'est lui qui de mon fils va causer la ruine : Je ne peux qu'à lui seul imputer ses revers, La honte qui le suit, et l'horreur de ses fers..... Tu blâmes dans mon coeur une alarme si vive : Tu voudrais ranimer dans mon âme craintive, Cet espoir d'un bonheur qui me fuit pour jamais : Mais à qui des humains me fier désormais ? De leurs fausses vertus j'ai trop cru l'apparence ; Le plus grand des mortels trompe ma confiance ; Maxime de son bras me dérobe l'appui ; Le reste des humains m'est suspect après lui : Nul autre sentiment n'entre plus dans mon âme. ## SCÈNE IV. Eudoxie, Élise, Aspar. ASPAR. [5] Aux destins de l'État applaudissez, Madame ; La victoire aujourd'hui nous donne un Empereur, Maxime est proclamé. EUDOXIE.     Maxime ! ASPAR.         Cet honneur Est le fruit de la gloire et le prix du courage : Le Vandale au Romain cède enfin l'avantage : Maxime a triomphé. EUDOXIE.         Lui !... Parlez... Eh comment ?... Quel prodige a causé ce grand événement ? Rome de son départ. est encor alarmée. ASPAR. Ce Héros en effet avait quitté l'Armée. Vos malheurs seuls, Madame, y ramènent ses pas, Et c'est pour votre fils qu'il vient d'armer son bras. EUDOXIE. Pour mon fils ! ASPAR.         Votre gloire est le soin qui l'anime, Rome ne doit qu'à vous le retour de Maxime ; Et ce retour a fait le salut de l'État. Les Romains fatigués (après un long combat Disputé vainement et pour nous trop funeste) [6] Fuyaient épouvantés vers les murs de Préneste ; L'ennemi furieux suivait de près leurs pas, Et se rassasiait du sang de nos soldats. Aux yeux de cette foule égarée et tremblante, Un héros tout-à-coup, s'avance et se présente, C'était Maxime : il vient pour être leur appui ; Le soldat étonné qui le croit loin de lui, Doute encore un moment, et transporté de joie, Croit voir un Dieu vengeur que le Ciel lui renvoie. Soudain la confiance anime les esprits ; Maxime les appelle, et tous sont réunis. L'ennemi qui suivait ces légions craintives, Parmi des champs de morts, errantes, fugitives, S'étonne de les voir sans désordre et sans bruit Obéir à la loi d'un chef qui les conduit ; Lui-même poursuivi, se trouble, s'épouvante, On a nommé Maxime, et la terreur augmente : A ce nom redouté vous les eussiez vus tous, Comme de vils troupeaux dispersés devant nous ; Expirer dans les champs témoins de leur victoire : Genseric qui le voit peut à peine le croire ; Il se croyait vainqueur, et lui-même est vaincu : Des siens abandonné, sous le nombre abattu, Il renonce aux efforts d'un courage inutile, Et jusques dans son camp va chercher un asile. Ainsi dans un moment la fortune a changé ; Notre affront se répare et l'État est vengé. EUDOXIE. Ô succès imprévu ! Triomphe que j'admire ! Maxime change seul les destins de l'Empire. ASPAR. L'Empire désormais va recevoir ses lois, Nos Chefs et nos soldats, d'une commune voix, Ont du nom de César honoré son courage ; Le Sénat, à leurs voeux ajoute son suffrage : Mais on veut que l'hymen vous unisse au vainqueur ; Et vous fasse avec lui partager sa grandeur. Ce noble engagement, Madame, doit vous plaire ; À votre fils, surtout, il devient nécessaire. Vous lui donnez un père en prenant un époux, Et le vengeur du trône est digne enfin de vous. EUDOXIE. Aux voeux de tout l'État, je me range sans peine, Maxime a mérité la grandeur Souveraine : La gloire et la vertu couronnent ce Héros, Qui pourrait résister à des titres si beaux ! ASPAR. Maxime dans ces murs va bientôt reparaître, C'est aux yeux du Sénat qui le va reconnaître. Que nos voeux réunis doivent le couronner. Madame, de ce pas je vais tout ordonner Pour les honneurs brillants que l'Hymen vous apprête Ce jour même en verra solenniser la fête. ## SCÈNE V. Eudoxie, Élise. EUDOXIE. Élise, conçois-tu ce soudain changement ? Conçois-tu mes transports et mon ravissement Quoi ! Lorsque déplorant ma triste destinée, J'ai cru du monde entier me voir abandonnée ; Lorsque au milieu du trouble et de l'obscurité, J'entrevoyais à peine une faible clarté. Tout change : du destin la faveur me seconde, Le jour le plus brillant chasse la nuit profonde, Et je sens triompher la nature et l'amour ! Il le faut avouer, si le Ciel en ce jour Eût permis à mes voeux une libre carrière, Je n'eusse osé former ce souhait téméraire, Ni prétendre à la fois à de il grands bienfaits ; Le retour de mon fils eût borné mes souhaits : Le Ciel à mon amour accorde davantage ; De ses félicités je vois l'heureux présage : Le bonheur de mon fils naîtra de mon bonheur. Ô Maxime ! Ô mon fils ! Noms sacrés pour mon coeur ! Les liens qu'entre vous forme mon hyménée Remplissent tous les voeux de mon âme étonnée. ÉLISE. Quelle était votre erreur ! vos soupçons aujourd'hui Outrageaient. le Héros qui devient votre appui ; Vous condamniez la main qui pour vous secourable... EUDOXIE. Ah ! Je l'ai soupçonné ! c'est moi qui suis coupable ; Et je dois réparer ce crime d'un moment Que ma raison déteste et que mon coeur dément. Allons ; et que l'éclat des plus brillantes fêtes Annonce le jour pur qui succède aux tempêtes. Célébrons le vengeur de ces tristes climats ; Que nos coeurs entraînés volent devant ses pas. Rome ! Monte aux honneurs que le Ciel te prépare ; Ta future grandeur dès ce jour se déclare ; À tes prospérités il ne manque plus rien ; Mais ton triomphe encor n'est pas égal au mien ! # ACTE II. ## SCÈNE PREMIÈRE. Maxime, Aspar. ASPAR. Que dites-vous Seigneur ? Que prétendez-vous faire ? Qui vous rend en ce jour à vous-même contraire. Jusqu'à désapprouver l'honneur d'un si beau choix. Et refuser l'Empire offert à vos exploits ? MAXIME. Hé ! qu'a donc ce refus qui doive te surprendre ? Instruit de mes destins n'as-tu pas dû l'attendre ? L'éclat du trône, Ami, pourrait-il me tenter, Quand par un nouveau crime il le faut acheter ? Qui ! Moi ! Souillé du sang qu'a versé ma furie Du trône et de l'autel profanateur impie ; J'ajouterais encor la fourbe à la fureur ? Je porterais mes voeux au lit de l'Empereur, Et je présenterais à sa veuve éplorée Cette main qu'un forfait a trop déshonorée, Cette main dont César a reçu le trépas ? Non, mon, coeur n'est point né pour des forfaits si bas C'est déjà trop, Ami, que Rome qui me loue Me rende des honneurs que mon coeur désavoue ; C'est trop, qu'autorisant un récit imposteur, Meurtrier de César, j'en sois cru le vengeur : Du moins, que d'un triomphe injuste, illégitime, L'innocente beauté ne soit point la victime : Abuser une amante et surprendre sa foi, C'est le crime d'un lâche ; il n'est pas fait pour moi. ASPAR. Ces sentiments, Seigneur, sont d'un coeur magnanime ; Mais le vôtre, sans doute, exagère son crime : On n'est point si coupable en vengeant son honneur : Ce motif vous excuse ; et l'affront d'une soeur, Dans ses droits les plus chers indignement blessée, Justifiait assez votre gloire offensée. Quoi ! César se portant au plus honteux excès Aurait de l'innocence insulté les attraits ; Et votre âme insensible à ce cruel outrage..... MAXIME. Vas, que sert d'affecter ce superbe langage ? À Valentinien quand j'ai ravi le jour, Mon outrage a servi de prétexte à l'amour ; Le bonheur d'un rival fut sa première offense : Le plaisir seul, Ami, que m'a fait la vengeance, Manifestait en moi ce sentiment profond ; On sent moins de plaisir à venger un affront.... Le crime consommé, j'eus horreur de moi-même : Tu vis ma honte, Aspar, tu vis trouble extrême ; Et ton zèle éclairé, prompt à me secourir, Sut cacher un forfait près de se découvrir : Trop heureux, si tes soins plus utiles encore M'eussent fait oublier ce forfait que j'abhorre ! Mais non ; de mon état je sens toute l'horreur : Mon juge et mes bourreaux sont au fond de mon coeur ; Leur fureur renaissante et jamais assouvie Marque par des tourments tous les jours de ma vie.... Tu sais pour me punir, tu sais ce que j'ai fait, J'ai fui ces lieux chéris où l'amour m'appelait : Renonçant aux honneurs que donne la victoire, J'ai tout abandonné, jusqu'au soin de ma gloire ; Et de mes sentiments condamnant les transports, J'ai couru m'enfermer seul.... avec mes remords. Les malheurs d'Eudoxie ont percé ma retraite : J'ai su que sa tendresse, alarmée, inquiète, Pleurait le sort d'un fils dans les fers opprimé. Mon courage, à ces mots, s'est senti ranimé : Insensible à mon sort, je n'ai vu que ses peines : Pour arracher son fils à de honteuses chaînes J'ai couru, j'ai volé ; l'amour seul m'a conduit.... Mais admire avec moi le sort qui me poursuit ; Son fatal ascendant me pousse dans l'abîme, Je combattais, Ami, pour réparer mon crime, Ma victoire m'expose à des crimes nouveaux : L'État assigne un prix à mes faibles travaux, Et j'obtiens à la fois Eudoxie et l'Empire. ASPAR. Ce choix est fait, Seigneur, vous devez y souscrire : Entrez dans les chemins qui pour vous sont ouverts ; Soutenez cet Empire et vengez l'Univers, Le remords vous retient ; mais gardez de le croire, S'il écarte du trône un coeur né pour la gloire : Cette honte du crime alors ne serait plus Qu'un sentiment stérile et funeste aux vertus : Vous vous devez aux voeux d'un peuple qui vous aime, Aux besoins de l'Empire, à la terre, à vous-même : Régnez, et que l'État par vos mains défendu, Retrouve en vous, Seigneur, plus qu'il n'avait perdu, MAXIME. Qu'à tes conseils, Ami, sans peine je me livre ! Que mon coeur prévenu se plairait à les suivre ! Mais Eudoxie ! ASPAR.         Hé quoi ! ne l'aimeriez-vous plus ? MAXIME. Ah ! Tu vois la douleur de mes sens éperdus : L'amour seul a causé les tourments de mon âme, Ma résistance encore et l'irrite et l'enflamme, Je sens à chaque instant accroître son ardeur.... L'amour et les remords, en moi tout est fureur.... Ah ! si je n'en croyais que l'ardeur qui m'inspire J'irais.... Eh ! malheureux ! que pourrais tu lui dire ? Que ton bras est souillé d'un parricide affreux ? Ô pensée accablante ! ô souvenir honteux, Qui seul fait mon malheur, m'arrache à ce que j'aime !.... Ami, pour me punir de ma fureur extrême, S'il ne fallait que voir passer en d'autres mains Cet éclat envié du rang des Souverains, Mon âme à cet effort justement résignée, Du trône sans regret se verrait éloignée : Mais perdre ce qu'on aime, et se voir séparé Du seul bien sur la terre, où l'on ait aspiré, D'un bien qui nous couta tant de soins et d'alarmes, Et qui seul, à la vie, eût fait trouver des charmes, Le perdre quand le Ciel daigne nous l'accorder : Au moment d'en jouir et de le posséder Le perdre, et se contraindre à prononcer soi-même L'arrêt qui nous condamne à ce malheur suprême : Vas, crois-moi, cher Aspar, cet effort peu connu Est le plus grand où puisse atteindre la vertu.... Il faut bien se résoudre à cet effort terrible. ASPAR. Vous y résoudre, ô Ciel ! Le croyez-vous possible ? MAXIME. Tout l'est, Ami ; je sais que ce cruel effort À mes sens déchirés peut apporter la mort ; Mais mon honneur encor m'est plus cher que ma vie, ASPAR. Ainsi l'État en vain couronnait Eudoxie, Vous détournez le cours de ses justes bienfaits, Et vous la punissez de vos propres forfaits. MAXIME. Que dis tu, cher Aspar ? Je me punis plus qu'elle.... Pour remplir mon dessein j'ai besoin de ton zélé, Il faut que ton adresse invente des raisons Qui puissent d'un refus lui cacher les affronts. Dis lui que je sais trop quelle douleur la presse, Pour vouloir en des jours de deuil et de tristesse Allier de l'hymen la pompe et les festins Aux sentiments d'un coeur noyé dans les chagrins. Dis-lui que de son fils je prends en main la cause ; Qu'à défendre ses jours mon-bras qui se dispose, Jusqu'au dernier moment lui servira d'appui ; Que je ne cesserai de combattre pour lui, Qu'après avoir forcé ses vainqueurs à se rendre. Dis, qu'à son rang, Ami, je ne veux point prétendre ; Qu'à le lui rendre un jour je borne mes souhaits ; Dis lui.... que je l'adore.... et la fuis pour jamais. ASPAR. Eh-quoi !... MAXIME.         Vas, dis-je, et. crains que ma bouche infidèle Pour des ordres nouveaux ici ne ce rappelle. ## SCÈNE II. MAXIME. En est-ce assez ? Mon coeur de soi-même ennemi, D'un forfait ignoré s'est-il assez puni ?.... Ainsi seul artisan de ma peine cruelle, C'est moi qui me condamne à vivre éloigné d'elle ! C'est moi, dont la main brise un aussi beau lien, Et déchire à la fois et mon coeur et le sien !.... Quand son père autrefois, par un arrêt sévère, À nos feux innocents se déclarait contraire, Combien nous détestions cette rigueur du sort Qui rompait de nos coeurs le mutuel accord ! Moi-même de son sort aujourd'hui rendu maître J'éteins l'espoir heureux qui venait de renaître, Et du bandeau sacré je dépouille son front.... Que dis-je ?.... Moi ! Lui faire un si cruel affront... Hé ! Pourquoi lui ravir un honneur légitime ? Faut-il de mes fureurs qu'elle soit la victime ? Ah ! du Sénat plutôt remplissons le dessein ! Couronnons ses appas et que l'hymen enfin.... Où vais je ? En quels forfaits l'amour encor m'égare ! Hé quoi ! Jusques au bout furieux et barbare Veux-tu l'envelopper dans ton affreux destin ? Malheureux ! Songe au sang qu'a répandu ta main.... Ah ! d'horreur à ces mots mon âme est interdite.... Portons, portons ailleurs le trouble qui m'agite, En ces funestes lieux qui peut me retenir ? Fuyons.... c'est elle ! ô Dieu ! Que vais-je devenir ? ## SCÈNE III. Maxime, Eudoxie. EUDOXIE, AVEC TRANSPORT. Enfin, je vous revois, et libre de contrainte, Des divers sentiments dont mon âme est atteinte, Je puis devant vos yeux faire éclater l'ardeur, Maxime ! De l'État généreux défenseur : Je sais ce que je dois à ce noble courage Qui du sort des combats a fixé l'avantage : Je sais quel intérêt arma votre vertu, Pour mon fils malheureux vous avez combattu : Rome qui s'applaudit d'une gloire nouvelle, La doit à vos succès ; et.... je vous dois plus qu'elle Vous connaissez assez mes sentiments secrets Pour juger à quel point je chéris vos bienfaits. Ah Maxime ! quel jour ! quels moments pleins de gloire. Deviez-vous le penser, aurais-je pu le croire, Lorsque privé de vous et perdant tout espoir, Mon coeur, en soupirant, s'immolait au devoir, Que ce jour ranimant et ma flamme et la vôtre, Nous ferait un devoir d'être unis l'un à l'autre ! Les Décrets du Sénat n'ont point réglé mon choix ; Non, mon âme obéit à de plus douces lois ; Je cède à ce penchant que l'estime a fait naître, Le premier que mon âme ait appris à connaître, Qui, combattu longtemps, a fait notre malheur, Que le Ciel voit enfin avec moins de rigueur, Qu'il daigne couronner par des noeuds pleins de charmes, Maxime ! vous qui seul pouviez tarir ; mes larmes, Ce coeur tendre et fidèle à vous seul réservé Après tant de tourments est assez éprouvé. MAXIME, BAS. Où suis je juste Ciel ! que mon âme est émue !.... Je souhaite et je crains de rencontrer sa vue.... Haut. Eudoxie... Ah ! Grand Dieu ! Je ne puis lui parler. EUDOXIE. De vos yeux attendris je vois des pleurs couler, Étonnés, interdits et tremblants l'un et l'autre... Maxime, je ressens un trouble égal au vôtre.... Mais dissipons enfin et la crainte et les pleurs, Ce jour va réparer des siècles de douleurs, Le noeud qu'avait brisé la rigueur paternelle, Se rejoint pour former une chaîne éternelle. L'État vient de commettre à vos soins généreux, Du plus illustre sang le reste malheureux : Le Sénat, de mon fils, vous a nommé le père ; Faites, le sort du fils ainsi que de la mère : Tous deux vous sont soumis, et de vous aujourd'hui L'une attend son bonheur, et l'autre son appui. MAXIME, BAS. Ah ! c'en est trop enfin, ma résistance est vaine Haut. Ô de mes sentiments unique Souveraine ! Toi, par qui j'ai connu l'amour et ses fureurs ! Est-il vrai que le Ciel t'ait rendue à mes pleurs ? Est-il vrai qu'aujourd'hui sa clémence rassemble Deux coeurs qu'il avait faits pour être unis ensemble ? Suis-je enfin ton époux ! Ah ! Maxime, crois-moi, Ne sera point indigne et du trône et de toi : Je ne trahirai point un espoir qui te flatte, Je veux par ton bonheur que ma justice éclate ; Et dans le rang suprême où je viens de monter Ma gloire la plus belle est de te mériter. Ton fils... si tu savais combien il m'intéresse ! Tombe sur moi du Ciel la fureur vengeresse !.... EUDOXIE. Que fais-tu ? Près de moi te faut-il des serments ? L'amour et la vertu ce sont-là tes garants : Ces titres seuls ont pu t'obtenir ma tendresse, Mon coeur les en croit plus qu'une vaine promesse. MAXIME. Oui, tu dois les en croire... Allons, que dans ce jour Tout annonce ma gloire ainsi que mon amour ! Qu'à l'Univers entier mon bonheur se déclare ! Gardes ! Allez, courez, volez, et qu'on prépare La pompe de l'hymen aujourd'hui projeté, Qui va mettre le sceptre aux mains de la beauté... L'excès de mon bonheur me transporte et m'enivre, Et c'est de ce moment que je commence à vivre. ## SCÈNE IV. Maxime, Eudoxie, Flavius. FLAVUS. Madame, un envoyé de ce Roi conquérant, Dont le nom seul encor alarme l'Occident, Arrive ici chargé des ordres de son Maître ; Au Sénat assemblé nous l'avons fait paraître, Désormais moins terrible en ses vastes projets, Ce Roi parle d'hymen, et propose la paix, Il s'éloigne. MAXIME. Quoi ! ce monstre cruel parle ici d'hyménée ; Quelle est donc la victime aux affronts destinée, Qui se verrait unie à ce tigre inhumain ! EUDOXIE. C'est à moi qu'un brigand fait proposer sa main. MAXIME. Vous ! grand Dieu. EUDOXIE.         Cet affront ne m'a point étonnée, C'est l'effet du malheur qui suit ma destinée ; Le Ciel ainsi sur moi déployait sa rigueur, Et la honte est toujours attachée au malheur. J'ai rejeté la main d'un tyran sanguinaire, Quelques dons qu'a mon fils sa faveur voulût faire ; Et, pour fuir son hymen aussi bien que ses dons, Je trouvais, dans mon coeur, d'assez fortes raisons, Je tremble toutefois qu'un refus nécessaire N'offense son orgueil, n'irrite sa colère, Ne fasse sur mon fils retomber sa fureur. MAXIME. Non, non, sur ses destins rassurez votre coeur. L'amour veille au salut d'une tête si chère, L'amour, de ce trésor est le Dieu tutélaire : Venez, par notre hymen confirmant mon espoir ; Me donner sur ses jours un plus juste pouvoir : Venez, mes soins pour lui, mon amitié sincère Égaleront l'amour que je sens pour sa mère. # ACTE III. ## SCÈNE PREMIÈRE. Gontharis, Adonal. ADONAL. C'en est donc fait, Seigneur ? ces utiles projets, Ces projets d'un hymen qui cimentait la paix, Qui liait deux États par un noeud politique, Et faisait un César du vainqueur de l'Afrique ; Ces projets si flatteurs sont à jamais détruits ! De nos desseins, Maxime a recueilli les fruits ; Heureux par nos malheurs, le Trône est sa conquête : Le bandeau des Césars dont il couvre sa tête Est devenu le prix des maux qu'il nous a faits : Ce peuple enorgueilli par de brillants succès, Sous un maître nouveau qu'il aime et qu'il honore, Redevient plus terrible et nous menace encore : Qui vous retient ici ? Maxime est aux Autels : Serez-vous le témoin de ces noeuds solennels Et des jeux insultants qu'ici l'hymen apprête. GONTHARIS. Oui, je serai témoin de cette horrible fête, Je veux par ma présence en troubler les douceurs : Crois-moi, l'hymen ici coûtera bien des pleurs : Cet hymen, Adonal, n'a rien que d'effroyable : [7] [8] Le jour qui voit former sa chaîne peu durable, Peut devenir un jour de désolation, Signalé par le meurtre et la destruction. Vas, ce n'est plus dans Rome et tranquille et soumise Qu'il faut que d'un Traité la faveur introduise De l'Occident calmé le pacificateur : Je veux dans ces remparts l'introduire en vainqueur, Par le fer et la flamme osons les lui soumettre, Faisons tomber ces murs avant qu'il y pénètre : Qu'il y marche au milieu des débris et des morts... Un souvenir, Ami, réveille mes transports ; Alaric, Attila, ces fléaux de l'Empire, Ont triomphé de Rome et n'ont pu la détruire, Leur courroux passager n'a duré qu'un moment : Laissons de nos fureurs un plus long monument : Dans ces murs embrasés et tombants en ruine, Qu'un vainqueur assouvi sur la cendre domine ; Et qu'au bruit de nos coups, cent peuples accourus Cherchent Rome en ces lieux et ne la trouvent plus. Tel est le grand dessein où mon esprit s'applique, Tel est le but secret où tend ma politique.... L'Impératrice vient, sors, Ami, laisse-nous.... A son coeur étonné portons les premiers coups. ## SCÈNE II. Eudoxie, Gontharis. EUDOXIE. En me voyant, Seigneur, vous concevez sans peine Quel est, auprès de vous, le sujet qui m'amène ; Ce jour même un grand Prince a recherché ma foi : Sensible à cet honneur, autant que je le dois, Si je romps le Traité qu'il cherchait à conclure, Je dois de mon refus justifier l'injure, Ou plutôt, d'une offense, écartant les soupçons, Faire à Genseric même, approuver mes raisons. Le Décret du Sénat (où mon coeur dut souscrire) Liait ma main, Seigneur, au don de cet empire : En couronnant Maxime on l'a fait mon époux : Le Sénat alarmé voyait d'un oeil jaloux L'Empire assujetti, rendre un honteux hommage Au Roi, qui des Césars déchira l'héritage. Notre orgueil jusques-là, ne s'est point abattu, Et le malheur, en nous, n'éteint point la vertu. Faut-il vous faire encor un aveu plus sincère ? Tremblante au souvenir d'un époux et d'un père, J'aurais pensé leur faire un outrage nouveau En acceptant la main qui les mit au tombeau. Voilà de mes refus la cause véritable : Aux yeux de Genseric innocente ou coupable, J'ose encor pour mon fils réclamer ses bontés : Qu'il soit libre, Seigneur, sur la foi des traités ; Et que ce jour heureux soit un jour de clémence, Marqué par les bienfaits et non par la vengeance. GONTHARIS. J'admire, avec quel art, et de quelles raisons, Madame, vous cherchez à voiler nos affronts : Mais pour nous rendre enfin vos refus moins sensibles, Il falloir y trouver des raisons plus plausibles : En effet, l'Empereur dont vous plaignez le sort, Des coups de Genseric n'a point reçu la mort ; Le Roi n'a point commis ce meurtre.... qu'il abhorre : Et quant à votre père il est vivant encore. EUDOXIE. Mon père ! GONTHARIS.         Oui, revenez d'une fatale erreur : Léonce préservé d'un destin plein d'horreur, Après de longs tourments voit encor la lumière. EUDOXIE. Quoi ! Le Ciel a veillé sur les jours de mon père ! Il vit... quel coup du sort... quel prodige étonnant ?... GONTHARIS. Aux portes de Messine on l'a trouvé mourant : Nos soins ont accueilli sa vieillesse débile ; Les tentes du Vandale ont été son asile. Le Roi, que de sa mort ici vous accusez, Le Roi même sur lui, sur ses jours épuisés, Prodiguant les secours d'une main bienfaisante, Ranima de ses sens la chaleur défaillante. EUDOXIE. Ô surprise ! Ô transports ! Ah Seigneur ! Quel retour Peut d'un si grand bienfait acquitter mon amour ? Mon père ! Quand pourrai-je, hélas, en sa présence... GONTHARIS. Vous l'allez voir, Madame ; il vient dans l'espérance D'un hymen, dont lui-même approuva le dessein. Il n'a pas cru blesser l'honneur du nom Romain, S'il alliait au sang de qui vous tenez l'être, Le sang du plus grand Roi que le Nord ait vu naître ; Et pour dire encor plus, la première des lois, La nécessité même a décidé son choix. Pour sauver votre fils du sort qui le menace.... EUDOXIE. Que dites vous ? Mon fils ! Ah ! J'implore sa grâce. De mes justes refus voudrait-on le punir ? GONTHARIS. Vous demandez sa grâce ! Il fallait l'obtenir En suivant à l'Autel un Roi dont la puissance Eut aidé sa faiblesse et guidé son enfance ; C'est vous qui le livrez au sort qui le poursuit.... Frémissez du malheur qu'un refus a produit ; Un Roi qui sait user de ses droits légitimes N'épargne pas toujours le sang de ses victimes ; Je sais que l'infortune est le crime du sort, Mais ce crime souvent peut conduire à la mort. EUDOXIE. Qu'osez-vous dire, ô Ciel ! quel transport vous égare ? Se pourrait-il qu'il fût un coeur assez barbare.... GONTHARIS. Oui, Madame, il en est : craignez de l'éprouver.... Il n'est plus désormais qu'un moyen de sauver Le reste précieux d'un sang cher à l'Empire : Ce moyen est cruel ; et je tremble à le dire : Peut-être votre coeur ne le soutiendra pas. EUDOXIE. Parlez ; dussé-je ouïr l'arrêt de mon trépas : GONTHARIS. Pour sauver votre fils.... il faut venger son père. EUDOXIE. Venger son père ! Dieu ! Quel est donc ce mystère ? GONTHARIS. L'instant n'est pas venu qui le doit éclaircir : Sur ce secret pourtant gardez de vous ouvrir ; Ce mystère exécrable est la honte du Trône, Votre fils est perdu si quelqu'un le soupçonne. ## SCÈNE III. EUDOXIE, SEULE. Quel est donc ce discours ! mon esprit agité N'en saurait pénétrer l'horrible obscurité.... César n'est point tombé sous les coups du Vandale ! Ceux à qui j'imputais cette perte fatale, Tout prêts d'en révéler le criminel auteur, Eux-même à le punir excitent ma douleur ! On craint de m'éclairer sur le nom du coupable ! Un voile couvre encor ce mystère effroyable ! Mon père cependant voit la clarté des Cieux ; C'est du fond du tombeau qu'il paraît à mes yeux. Et quand mon âme encore à la surprise en proie S'abandonne aux transports de la plus douce joie, J'entends l'arrêt de mort qui condamne mon fils : Que de coups imprévus à la fois réunis ! Que de biens ! que de maux ce jour seul sait éclore ! Dans ce chaos affreux où je m'égare encore, De la crainte à l'espoir je vois flotter mon sort. Et trouve au même instant et la vie et la mort.... Toutefois, au milieu des maux que j'envisage, Quelque espoir reste encore à mon faible courage : L'époux qui m'est uni doit calmer mon effroi ; Maxime est mon appui, le Ciel sera pour moi. Aux vertus d'un héros il doit être propice : Allons ; qu'auprès de lui ma peine s'adoucisse, Confions-lui mes pleurs, ma joie et mon tourment. Elle veut sortir. ## SCÈNE IV. Eudoxie, Élise. ÉLISE. Votre père, Madame, arrive en ce moment. EUDOXIE. Mon père ! ÉLISE.         Hélas ! L'état où le Ciel vous l'envoie Peut, à peine, à vos sens permettre quelque joie. Son amour imprudent va lui coûter le jour. EUDOXIE. Quoi ! ÉLISE.         L'effort qu'il a fait pour hâter son retour En rouvrant sa blessure.... EUDOXIE.         En ce péril extrême Courons le secourir.... Dieu ! Le voici lui-même. ## SCÈNE V. Eudoxie, Élise, Léonce, soutenu par deux suivants. EUDOXIE, COURANT À LUI. Mon père ! En quel état vous offrez-vous à moi ? LÉONCE. Mon sort est assez doux puisque je te revois. Ta présence me rend ma douleur moins sensible, La mort auparavant m'eût semblé trop horrible. Il s'assied. Ma fille les moments sont chers et précieux, Je voudrais te parler, qu'on nous laisse en ces lieux. Tout le monde sort. Sur le motif pressant qui m'amène à ta vue, L'Ambassadeur, déjà, doit t'avoir prévenue, Mon amour, pour un fils te vient solliciter : Je sens, pour obéir, ce qu'il doit t'en coûter ; Je sens que cet hymen dont ta raison murmure.... EUDOXIE. Mon père, cet hymen ne peut plus se conclure. Il n'est plus temps. LÉONCE.         Comment ? Ma fille expliquez-vous ? EUDOXIE. Mes destins sont fixés : Maxime est mon époux. LÉONCE. Maxime !.... Ciel !.... Où suis-je ? Et que viens-je d'entendre. Maxime !.... Quoi ! L'écrit que l'on a dû vous rendre, Cet écrit redoutable où ma triste amitié Déposait un secret à moi seul confié ; Cet écrit qui contient les destins de l'Empire.... EUDOXIE. Quel écrit ? quel secret ? que prétendez-vous dire ? LÉONCE. Natalis en vos mains ne l'a point apporté. EUDOXIE. Natalis à mes yeux ne s'est point présenté. LÉONCE. Ah ! le sort nous trahit ! tout est sçu du Vandale : EUDOXIE. Hé ! que renferme donc cette lettre fatale ? LÉONCE. Des crimes.... que ma bouche a peine à révéler. EUDOXIE. Quel intérêt nouveau vous force à les celer ? LÉONCE. Un intérêt plus cher que celui de ma vie.... Ô fille infortunée ! Ô ma chère Eudoxie ! En quels maux t'a conduite une funeste erreur ?.... Mais, parle ; en te voyant, qu'a dit l'Ambassadeur ? Que résout sur ton fils un tyran sanguinaire ? EUDOXIE. Pour le sauver, dit il, je dois venger son père. LÉONCE. Hé bien ! hésitez-vous à remplir cette loi ? EUDOXIE. Hé ! Comment le venger ? LÉONCE.         Ma fille, écoutez-moi. Je suis loin de penser qu'une vertu si pure, Méconnaisse jamais la voix de la nature ; Mais pour vous rendre encor ses devoirs plus sacrés, Jurez entre mes mains que vous les remplirez. EUDOXIE. Moi ! Que je jure ! Ô Ciel ! Où tend donc ce mystère ? Vous faut-il des garants de l'amour d'une mère ? Mon coeur a-t-il besoin du secours des serments ? LÉONCE. Ma fille, dans l'horreur de ces tristes moments, Prends pitié des soupirs et des larmes d'un père, A qui tes mains bientôt fermeront la paupière. EUDOXIE. Je ne résiste plus ; parlez, qu'ordonnez-vous ? LÉONCE. Jure-moi par ton fils, de venger ton époux. EUDOXIE. AVEC EFFROI. Je le jure. LÉONCE.         Il suffit ; je meurs moins misérable. EUDOXIE. Mon père, éclaircissez ce mystère effroyable. LÉONCE. Ah ! Sauras trop tôt le destin qui t'attend. EUDOXIE. Avant de le savoir je meurs à chaque instant... Ce n'est point Genseric dont la rage exécrable.... LÉONCE. Non ; le coup est parti d'une main plus coupable. EUDOXIE. Achevez. LÉONCE.     Je ne puis. EUDOXIE.         Vous me faites trembler. LÉONCE APRÈS UN MOMENT DE SILENCE. Maxime est l'assassin que tu dois immoler. EUDOXIE. Maxime ! LÉONCE.         De César il a tranché la vie. EUDOXIE. Non ; il n'est pas besoin que je le justifie ; Le rapport qui l'accuse est indigne de foi ; Sa vertu le dément : c'est elle que j'en crois. LÉONCE. Vas, ne t'aveugles point, son crime est véritable. César, en expirant m'a nommé le coupable. EUDOXIE. César ! LÉONCE.         C'est dans mes bras que ton époux est mort. Oui, dans ce jour de sang, où la rigueur du sort D'un Peuple infortuné préparait la ruine, Quand le Vandale altier triomphait dans Messine. J'allais à l'Empereur porter un faible appui ; Je courais le sauver ou périr avec lui. Ses Gardes avoient fui, pressés par l'épouvante. J'entre... Dieu ! quel spectacle à mes yeux se présente ! César atteint d'un fer qui lui perçoit le flanc, Étendu sur le marbre et baigné dans son sang ; Je m'avance en tremblant, il me voit, il m'appelle, « Instruisez de mon sort une épouse fidèle, Dit-il, Maxime... hélas ! Je l'ai trop épargné, Votre Empereur par lui vient d'être assassiné ; Qu'Eudoxie à ma cendre immole le perfide. » EUDOXIE TOMBANT DANS UN FAUTEUIL. Je me meurs. LÉONCE.         Seul instruit de ce grand parricide, Quand l'ombre de la mort allait couvrir mes yeux, Je voulus m'acquitter d'un devoir précieux ; J'osai pou t'informer de cet affreux mystère, Hasarder en secret un écrit nécessaire. Le Ciel n'a pas voulu seconder mes projets ; L'ennemi vigilant a surpris nos secrets ; Il demande aujourd'hui le sang d'une victime ; Pour couronner ton fils, il faut perdre Maxime... Tu ne peux balancer ; la nature et l'honneur Ont tracé tes devoirs dans le fond de ton coeur ; Tu ne peux y manquer sans trahir la nature, Sans immoler ton fils, sans te rendre parjure. EUDOXIE APRÈS UN LONG SILENCE. Que deviens-je, Grand Dieu ! Quel coup affreux du sort Me livre à des tourments plus cruels que la mort ! De quelle erreur, ô Ciel ! Je me vois détrompée ! Et quel jour odieux l'a soudain dissipée ! Maxime... Non, mon coeur trop prompt à s'abuser Sur un simple récit ne doit point l'accuser. LÉONCE. Mes discours pourraient-ils te laisser quelque ombrage ? À ton père expirant ferais-tu cet outrage ? Crois-tu que du mensonge empruntant les couleurs Sa cruauté se fasse un jeu de tes malheurs ? Ma fille, les tourments qu'il ressent de tes peines De sa sincérité sont des marques certaines. EUDOXIE. Mon père, pardonnez ; mon coeur trop agité Repousse avec effroi l'affreuse vérité : Je voudrais m'aveugler sur mon malheur extrême, Et..... ## SCÈNE VI. Léonce, Eudoxie, Aspar. ASPAR.         Venez, paraissez, montez au rang suprême ; partagez d'un époux le triomphe éclatant : Madame, ainsi que lui, le trône vous attend. EUDOXIE À PART. Ciel ! Où fuir, où cacher ma douleur et ma honte ? LÉONCE SE LEVANT. Tes malheurs sont affreux : que l'amour les surmonte... Renferme dans ton sein ces horribles secrets. Voyons l'Ambassadeur : éclairons de plus près Le parti qu'aujourd'hui sa politique embrasse : Mais pour sauver ton fils du coup qui le menace. S'il faut sacrifier tes plus chers sentiments, Souviens-toi de ton père et songe à tes serments. Il sort. EUDOXIE. Je songe à terminer un destin trop funeste. La mort est mon espoir : c'est le seul qui me reste. ## SCÈNE VII. Eudoxie, Maxime. MAXIME. Venez, belle Eudoxie, on n'attend plus que vous. EUDOXIE. Où suis-je ! Ô terre ! Ô cieux ! Duyons, dérobons-nous... MAXIME. Quel trouble vous saisit ; quelle terreur soudaine Précipite vos pas ? EUDOXIE.         Dieu ! Témoin de ma peine ! Pourrai-je lui cacher le sujet de mes pleurs ?..... Long silence. Maxime, jouissez des suprêmes honneurs..... Jouissez de la gloire où ce jour vous appelle... Je n'en troublerai point la pompe solennelle. Mes yeux ne verront point vos nouvelles grandeurs : Tant d'éclat convient mal à mes vives douleurs... Vous qui portez vos pas au trône de l'Empire, Songez en y montant.... Ô Dieu ! Qu'allais-je dire ? Mon funeste secret m'échappait malgré moi. MAXIME. Madame, d'où naît donc le trouble où je vous vois ? EUDOXIE. Seigneur... mon père ici... MAXIME.         Lui, que viens-je d'entendre ? EUDOXIE. J'avais donné trop tôt des larmes à sa cendre. MAXIME. Eh bien ! Léonce vit, et vous versez des pleurs, EUDOXIE. Sa présence n'a pu dissiper mes douleurs. MAXIME. Comment ? EUDOXIE.         Mon père touche à son heure dernière ; Ma présence à ses maux devient trop nécessaire. Mon coeur à ce devoir s'empresse d'obéir.... Eh ! que n'est-ce le seul quí me reste à remplir. ## SCÈNE VIII. MAXIME. Que dit-elle ? Quelle est cette sombre tristesse Qui règne en ses discours, et glace sa tendresse ? De quel air, elle m'a confié son malheur ? Est-ce ainsi que l'amour fait parler la douleur ? Quelle douleur enfin ! elle retrouve un père Dont elle avait pleuré.... quel rayon de lumière. M'éclaire tout-à-coup... Son père... Dieu vengeur ! Il était dans Messine alors que ma fureur.... Ah ! détournons plutôt ce soupçon effroyable.... Devant elle, grand Dieu ! Je paraîtrais coupable ? Elle ne me verrait que comme un furieux Teint du sang d'un époux qui fut cher à ses yeux. Si j'osais le penser... ah ! la mort la plus prompte Finirait mes douleurs et préviendrait ma honte.... Dans ce doute cruel qui pourra m'éclairer ? A son père expirant je n'ose me montrer : S'il est vrai que son oeil ait pénétré l'abîme... Tu trembles, tu rougis, ô malheureux Maxime ! De crainte et de remords ton coeur est tourmenté, C'est le prix des forfaits, et tu l'as mérité.... C'est trop souffrir pourtant des tourments incroyables ; Saisissons pour la voir des moments favorables. Si ma honte est connue ; expirons à ses piés, Et laissons en mourant mes forfaits expiés. # ACTE IV. ## SCÈNE PREMIÈRE. Eudoxie, Élise. ÉLISE. Ah ! Madame, formez de plus justes desseins ! Ne désespérez point de vos tristes destins ! Attendez tout du Ciel quand sa justice éclate. EUDOXIE. De quel espoir, hélas ! Veux-tu que je me flatte ; Et qui peut adoucir la rigueur de mon sort ? Maxime est criminel, et j'ai juré sa mort. ÉLISE. Vos malheurs sont affreux et mon coeur les déplore ; Mais il vous reste un fils, vous êtes mère encore. EUDOXIE. Je le suis, et ce titre ajoute à tous mes maux. Mon fils languit esclave au milieu des bourreaux. La tombe à chaque instant sous ses pas est ouverte : Genseric d'un coup d'oeil peut ordonner sa perte : C'est en vain que l'amour consulté par mon coeur Avait cru dans ce jour lui donner un vengeur : Élise, j'ai cru voir la brillante journée Où parmi là victoire et les chants d'hyménée, Mon fils dans ses États en triomphe amené, Recevrait les leçons d'un Héros couronné : L'exemple des vertus eut instruit son enfance : Qu'est devenue, hélas ! cette douce espérance ? Pour donner à mon fils un plus heureux destin, Irai je de son père implorer l'assassin...... L'assassin ! de ce nom faut-il que je l'appelle !..... Ô tourment de mes jours ! honte affreuse et cruelle !.. Non ; ce forfait étonne et confond ma raison... Quelquefois je voudrais me faire illusion : Rappelant du passé la longue expérience, Contre un récit suspect j'arme ma défiance, Je cherche des raisons de le croire innocent ; Mais cette vaine erreur ne dure qu'un instant : Il est trop vrai, Maxime a mérité ma haine ; Il a commis le crime, et j'en porte la peine. Dieu ! Témoin des tourments.... que je n'ose exprimer, Qu'il est dur de haïr ce qu'on voudrait aimer ? ## SCÈNE II. Eudoxie, Élise, Gontharis. GONTHARIS. Je quitte votre père, et notre intelligence De votre époux, Madame, a réglé la vengeance. Ce coeur faible et nourri dans le sein de la paix Est peu propre sans doute à punir des forfaits. Je sens que ce devoir l'étonne et l'intimide : Mais Dieu, dont la justice au sort des Rois préside Dieu qui punit le meurtre et confond la fureur, Aide votre faiblesse et vous offre un vengeur. De l'Occident soumis le vainqueur et l'arbitre Peut-être a quelques droits pour prétendre à ce titre. Et votre fils du moins de ses fers racheté Peut obtenir au Roi l'honneur d'être écouté. De Rome cette nuit l'accès nous est facile ; Arbate qui commande aux portes de la Ville, À vos ordres, dit-on, ne peut rien refuser : Sur cet avis utile on peut tout disposer. Livrez nous cette nuit la porte de Préneste, C'en est assez, Madame, et je réponds du reste. Reposez-vous sur nous, et laissez à nos mains Le soin triste et cruel de remplir vos desseins ; Au bras qui va frapper présentez la victime : Couronnez votre fils en punissant Maxime. EUDOXIE. Ministre d'un tyran ! que me proposez-vous ? Moi ! que j'ose livrer le sang de mon époux ?... Allez... Loin que cette offre ait de quoi me séduire, J'ai peine à contenir l'horreur qu'elle m'inspire..... Lorsqu'il faudra laver là honte de l'État, Je trouverai, Seigneur, des vengeurs au Sénat ; A servir mon courroux les lois seront fidèles ; GONTHARIS. Hé ! Que peuvent les lois quand la force est contre elles ? Maxime tout-puissant sera seul obéi... Le crime fur le trône est-il jamais puni ?... Mais qui peut vous porter à conserver sa tête ? Est ce un indigne hymen dont le noeud vous arrête ? Hé ! Quel est donc ce noeud que le crime a formé ? Quelle loi permis ? Quel Dieu confirmé ? Le Ciel est-il garant d'un serment qui l'offense ? A-t-il pu réunir le crime et l'innocence ? Avez-vous en un mot devant ce Dieu jaloux Fait serment d'adorer l'assassin d'un époux ? EUDOXIE, APRÈS UN MOMENT DE TROUBLE. Seigneur, à mes tourments n'ajoutez point encore !... Si du Roi généreux que ma douleur implore Mes malheurs ont fléchi la longue inimitié ; S'il jette sur mon sort un regard de pitié ; Pour gage des faveurs que vous m'osez promettre, Qu'il me laisse en esclave à son joug me soumettre, Et d'un fils malheureux partager les destins : Du poids des mêmes fers je chargerai mes mains ; Et sa captive alors bénissant sa clémence... GONTHARIS. Non, Madame, perdez cette vaine espérance, Il faut de votre fils déterminer le sort, Il ne lui reste plus que le trône ou la mort. Choisissez. EUDOXIE.     Lui périr ! GONTHARIS.         Telle est la loi suprême ; L'intérêt le commande, et Maxime lui-même, Avide de grandeurs et jaloux de son rang, Maxime... est prêt, Madame, à nous payer son sang. EUDOXIE. Maxime commettrait une action si noire ! Vous me trompez, Seigneur, et je ne puis vous croire. GONTHARIS. Hé ! Qu'à donc ce discours qui vous puisse étonner ? A son ambition jalouse de régner Est-il quelque moyen qui semble illégitime ? Doit-il donc s'arrêter sur le chemin du crime ? Après tant de forfaits pour le trône commis, Il va par un forfait s'en assurer le prix. EUDOXIE, BAS APRÈS UN MOMENT DE RÉFLEXIONS. Je ne sais que penser : tout m'étonne, m'accable.... Mon coeur a peine encore à le juger coupable.... Oui, mon coeur que j'en crois suffit pour déposer Contre tant de témoins ardents à l'accuser.... Haut. Je ne pénètre point les projets de Maxime ; Mais quoi que sa fureur tente d'illégitime, Mon coeur en ses forfaits ne sait point l'imiter ; Ses jours me sont unis, je les veux respecter. GONTHARIS. Ainsi vous condamnez votre fils au supplice. EUDOXIE. Non, le Roi ne saurait ordonner qu'il périsse ; Ce Roi que vous peignez si grand, si généreux, Ne trafiquera point du sang des malheureux ; Voudrait-il se charger d'une haine étrangère, Et mériter le nom d'assassin mercenaire ? GONTHARIS. Je vous l'ai déjà dit, l'intérêt a parlé ; A ce Dieu tout-puissant votre fils immolé..... EUDOXIE. Cruel ! Et vous osez faire entendre à sa mère Cet arrêt rigoureux, cet arrêt sanguinaire ! Hé bien ! Ministre affreux des fureurs d'un tyran ! Des malheurs de la terre exécrable artisan ! Ferme l'oreille aux cris de l'amour qui t'implore ; Apaise dans le sang la soif qui te dévore. Mais ne crois pas en paix suivre tes attentats ; Au camp de Genseric j'accompagne tes pas : Le tyran moins que toi sera cruel peut-être, Peut-être dans son sein la pitié pourra naître. S'il résiste à mes pleurs, s'il immole mon fils, Des noeuds les plus étroits serrés et réunis, La mort m'épargnera les tourments de sa perte ; Je mourrai dans ses bras et de son sang couverte. ## SCÈNE III. Les mêmes, Léonce, Arbate. LÉONCE. Ma fille, Arbate ici vient attendre tes lois ; Et moi-même je viens pour la dernière fois Du destin de ton fils recevoir l'assurance. EUDOXIE. Mon fils, ô ciel ! LÉONCE.         Déjà l'instant fatal avance. Où ton père au tombeau rejoindra ton époux : Du trépas qui m'attend je soutiendrai les coups, Si je meurs assuré de notre intelligence ; Si je puis à César annoncer sa vengeance, Lui dire que ton coeur, de remords combattu, A punir un coupable est enfin résolu ; Que livré par tes mains cette nuit il expire ; Que cette nuit ton fils va monter à l'Empire : Parle, commande ; Arbate à tout va s'engager. EUDOXIE. Mon père ! en quels malheurs voulez-vous me plonger ? Est-ce à vous d'irriter la peine que j'endure ? De verser le poison au fond de ma blessure ? LÉONCE. Est-ce donc l'irriter qu'implorer ton amour Pour le salut d'un fils qui va perdre le jour ? EUDOXIE. Hé ! Faut-il que pour lui mon père me supplie ? Dois-je donc moins que vous prendre soin de sa vie ? Mais.... au prix d'un forfait il le faut secourir. LÉONCE. C'est un forfait plus grand de le laisser périr. Prends de Maxime au-moins l'exemple qu'il faut suivre ; Sa fière ambition de ton fils se délivre. Quoi ! Sa rage poursuit les restes de ton sang, Et ta faiblesse craint de lui percer le flanc ! Non, ordonne plutôt une juste vengeance. EUDOXIE. Mon père, cet effort n'est pas en ma puissance. LÉONCE. Hé bien ! pour l'obtenir je tombe à tes genoux ; Pourrais-tu refuser... EUDOXIE.         Que me demandez-vous ? LÉONCE. D'obéir à la loi du serment qui te lie. EUDOXIE. Ce serment est affreux. LÉONCE.         Le Ciel le justifie. EUDOXIE. Un serment à Maxime engage aussi ma foi. LÉONCE. Non ; cet engagement est indigne de toi. L'erreur pour le former abusa ta franchise ; La raison le condamne, et mon pouvoir le brise. Ma fille ! Seul objet de ma vive douleur, De mes derniers moments n'augmente point l'horreur ; Ne hâte point ma mort. EUDOXIE.         Ah ! Ce mot seul l'emporte. LÉONCE. Ton coeur s'est attendri. EUDOXIE.         J'en mourrai... mais n'importe... Aux ordres de mon père, Arbate, obéissez. LÉONCE. Ma fille ! GONTHARIS.     Vos malheurs sont finis. EUDOXIE.         C'est assez. GONTHARIS. Pour confirmer la foi que le Roi vous engage, De ce Traité, Madame, il vous faut un otage, Et bientôt par mes soins il vous sera livré ; D'avance jouissez d'un bonheur assuré. Le triomphe d'un fils est votre heureux ouvrage ; Il sort avec Arbate. ## SCÈNE IV. Léonce, Eudoxie. LÉONCE. Ma fille, je dois tout à ton noble courage, Et bénis ton amour en louant ta vertu. EUDOXIE. Mon père, épargnez-vous un discours superflu. Vos ordres rigoureux ont demandé ma vie ; Eh bien ! soyez content, je vous la sacrifie. Veillez à tout du-moins pour ces moments affreux, LÉONCE. Oui, je vais te servir. Il sort. ## SCÈNE V. EUDOXIE, APRÈS UN LONG SILENCE.         Ô Justice des Cieux... C'en est donc fait enfin ! Jai condamné Maxime.. Cet arrêt, je le sens, dans ma bouche est un crime ; Ce n'était pas à moi d'ordonner son trépas. Mais, que vois-je ? Lui-même il porte ici ses pas. Fuyons, courons cacher le trouble qui me presse. ## SCÈNE VI. Eudoxie, Maxime. MAXIME. MADAME, où courez vous ? Pourquoi me fuir sans cesse ? Quel que soit le sujet qui cause vos douleurs, Votre époux ne peut-il prendre part à vos pleurs ? Vous ne répondez point... un silence farouche Étouffe vos sanglots, et vous ferme la bouche ?... De grâce éclaircissez l'état où je vous vois, Madame, confiez vos douleurs à ma foi. EUDOXIE. C'est vous qui demandez ce qui cause ma peine Vous Maxime ! MAXIME.         Ai-je pu mériter votre haine ? Et si près du moment qui vit former nos noeuds... EUDOXIE. Quel moment ! MAXIME.     Quoi ! parlez. EUDOXIE.         Ah ! sortons de ces lieux. MAXIME L’ARRÊTANT. Non ; vous voulez en vain éviter ma présence ; Il est temps à la fin de rompre le silence : Mon coeur de cet état ne soutient plus l'horreur : Expliquez des chagrins qui.... EUDOXIE.         Vous-même, Seigneur, Aucun soin en secret ne trouble-t-il votre ame ? Ne me cachez-vous rien ? MAXIME.         Que dites-vous, Madame ? D'où peut naître un soupçon que je ne conçois pas. EUDOXIE. Le sort entre vos mains a remis nos États, César est au tombeau, son fils dans l'esclavage ; Vous, à qui tous leurs droits sont échus en partage, Jouissez-vous en paix de ce rang glorieux, Qu'un destin il cruel leur ravit à tous deux ? MAXIME. Madame, à ce discours je devais peu m'attendre ; Ce reproche secret se fait assez entendre ; Mais mon ambition ne l'a point mérité. Peu jaloux de ce rang qui me fut présenté, Je n'ai point recherché ce superbe avantage, Ni du fils des Césars disputé l'héritage : J'ai voulu refuser et son sceptre et ses droits, Lorsqu'on me les offrait pour la première fois, EUDOXIE. Vous auriez de mon fils respecté la misère !... Mais vous ne parlez point des malheurs de son père. MAXIME. Son père ! je le plains... c'est tout ce que je peux. EUDOXIE. Vous ! Vous plaignez son sort ? MAXIME.     Madame... EUDOXIE.         Ah malheureux ! MAXIME. Expliquez-vous ? EUDOXIE.         Faut-il en dire davantage ? Tu n'entends que trop bien ce funeste langage. MAXIME. Comment ! que dites-vous ? EUDOXIE.         Le trouble de tes sens. Répond à mes discours. MAXIME BAS.         Dieu ! Quels affreux moments. EUDOXIE. Le remords te trahit.... il décelé ton crime. MAXIME. Mon crime ! EUDOXIE.         Qu'as-tu fait, ô malheureux Maxime ! Quelle main a versé le sang de mon époux ? MAXIME. Ah ! frappez le coupable, il tombe à vos genoux. EUDOXIE APRÈS UN LONG SILENCE. Toi coupable, grand Dieu ! Toi, que j'aimais, perfide ! Toi, mon époux enfin, souillé d'un parricide ! MAXIME. Oui, les plus grands forfaits sont rassemblés en moi ; J'ai tué ton époux, et j'ai surpris ta foi. Mon téméraire amour à tes mains innocentes Vient par un noeud sacré d'unir mes mains sanglantes. Je n'ai point respecté tes vertueux appas ; J'ai fait de ta beauté le prix des attentats. Frappe, n'épargne point un traître qui s'abhorre, D'autant plus malheureux qu'il t'outrage... et t'adore ; Mais en me punissant, connais du moins mon coeur ; L'excès de mes remords surpasse ma fureur. Ton époux, envers moi, cependant fut coupable. EUDOXIE. Que dis-tu ? MAXIME.         De ma soeur l'outrage irréparable ... EUDOXIE. Ta soeur ! Parle... achève. MAXIME.         Oui, j'en atteste le Ciel ; J'ai lavé dans le sang l'affront le plus cruel ; Et l'honneur... et l'amour m'ont rendu parricide. EUDOXIE. Barbare ! Eh ! S'il est-vrai que ta rage homicide Ait trouvé ce prétexte à commettre un forfait : Ton courroux désormais n'est-il pas satisfait ? A tes nouveaux forfaits cherche donc une excuse : Pourquoi contre mon fils ... MAXIME.         Moi ! Quelle erreur t'abuse ! Quoi ! Tu pourrais penser... mais je ne m'en plains pas, Tu dois me soupçonner de tous les attentats..., Vas... Loin que sur ton fils j'ose rien entreprendre, Plut au Ciel que de moi son destin pût dépendre, J'espérerais bientôt expier envers toi Le crime trop affreux d'avoir trompé ta foi : Ce crime fait horreur... mais vois quelle puissance Combattait de mes voeux la vaine résistance. L'État a résolu l'hymen que je fuyais ; On m'a fait une loi d'adorer tes attraits. Cette loi, tes malheurs, le désir qui m'anime De remettre en ses droits l'héritier légitime, Ont fait illusion à mon coeur amoureux ; Ces prétextes couvraient la honte de mes feux. Toi-même en me laissant connaître ta tendresse, Tu pris soin de servir d'excuse à ma faiblesse. Eh ! Quel amant jamais, sûr d'être aimé de toi, Aurait fui son bonheur et refusé ta foi ! Mon crime est découvert, que mon trépas l'expie. Il lui présente un poignard. Qu'aux mânes de César ton bras me sacrifie. Mais en portant sur moi ces légitimes coups, Souviens-toi que je suis moi-même ton époux. Puisse ma mort du moins par tes coups assurée Des larmes d'une amante être encore honorée. EUDOXIE BAS. Où suis-je ? Juste Ciel ! Et qu'est-ce que j'entends ? Quel invincible charme a suspendu mes sens ? Quoi ! La pitié succède au courroux qui m'anime ! J'oublie en le voyant mes serments et son crime... Soutenez ma faiblesse, ô puissance des Cieux ! Mânes de mon époux, offrez-vous à mes yeux ! Ô mon fils ! Quand la mort te presse et t'environne, Est-ce au prix dé ton sang que ma pitié pardonne ? MAXIME. Qu'ordonnes-tu du sort d'un Prince malheureux ? EUDOXIE. Quel que soit ton destin le mien est trop affreux. MAXIME. Le crime d'un moment est-il irréparable ! EUDOXIE. Ce crime devant moi t'a rendu trop coupable. MAXIME. Nos jours furent unis par les noeuds les plus saints. EUDOXIE. Toi, mon époux ! Ô Ciel ! Il est mort par tes mains... J'outrage en t'écoutant l'honneur et la nature ; Chaque instant où tu vis est un nouveau parjure. Maxime.... fuis cruel.... respecte mes ennuis, Mes craintes, mes remords et le trouble où je suis. Laisse-moi.... dans l'horreur du destin qui me lie... ## SCÈNE VII. Eudoxie, Maxime, Aspar. ASPAR. L'État est en péril, et Rome est investie, Seigneur, MAXIME.     Qu'entends-je ? EUDOXIE.     Ah Dieu ! ASPAR.         Déjà de toutes parts L'appareil des combats ceint ces tristes remparts. Le peuple tremble au nom d'un conquérant barbare. MAXIME. Allez, et qu'à combative ici tout se prépare. Qu'autour de ces remparts à l'insulte exposés, Des Soldats vigilants soient par-tout disposés : Qu'on fasse cette nuit une garde fidèle, Aspar, veillez à tout ; redoublez votre zèle.... Adieu, Madame, adieu, vos destins vont changer ; Vous voulez mon trépas ; je saurai vous venger. Il sort. EUDOXIE. Voyons l'Ambassadeur ; dégageons ma promesse, Et prévenons les maux que causait ma faiblesse. # ACTE V. ## SCÈNE PREMIÈRE. Il est nuit. EUDOXIE, SEULE. Où vais-je, malheureuse ! Incertaine, égarée, J'erre dans ce Palais à moi seule livrée : L'effroi qui me poursuit précipite mes pas !.... Mon père est descendu dans la nuit du trépas !.... L'image de sa mort à mes sens est présente : J'entends les faibles sons de sa voix expirante ; Sa dernière parole est l'arrêt de ma mort.... Élise ne vient point... Quand saurai-je mon sort ? Fléchirai-je le coeur du tyran qui m'opprime ? Sauverai-je à la fois et mon fils et Maxime ?... La nuit a ramené le calme en ce Palais, Voici l'instant fatal marqué pour les forfaits.... Je tremble, je frissonne. ## SCÈNE II. Eudoxie, Élise. EUDOXIE.         Ah ! que viens-tu m'apprendre ; Que dit l'Ambassadeur ? A-t-il daigné t'entendre ? De son coeur inflexible as-tu trouvé l'accès ? ÉLISE. Madame, il n'est plus temps de changer vos projets. EUDOXIE. Quoi ! ÉLISE.         Votre repentir devient trop inutile. EUDOXIE. Comment ! ÉLISE.         L'Ambassadeur est sorti de la ville ; Je n'ai pu lui parler ; les otages promis Déjà dans ces remparts viennent d'être conduits ? Ce Romain qui vous sert, Arbate, dont le zèle Promit par un serment de vous être fidèle.... EUDOXIE. De ce serment affreux je dégage sa foi ; Vas, cette obéissance est crime envers moi, Je révoque les lois que lui donna mon père, C'est à moi d'ordonner. ÉLISE.         Eh ! Que voulez-vous faire ? Prétendez-vous livrer votre fils à la mort ? EUDOXIE. Mon fils ! ÉLISE.         Ignorez-vous quel doit être son sort ? Il n'est plus désormais nul espoir qui vous flatte : L'Ambassadeur encore, en présence d'Arbate, A confirmé tantôt cet arrêt trop fatal : Dès que l'on aura fait entendre le signal, La porte doit s'ouvrir, ou bien le fer barbare... EUDOXIE. Ainsi, de tous côtés ma perte se prépare ! Du sang ou de l'hymen je vais trahir les lois, Et des forfaits enfin je n'ai plus que le choix.... De Maxime envers moi, je sais quelle est l'offense : Mais mon père a trop cru la trompeuse apparence, Maxime sur mon fils n'étend point sa fureur, Ce coupable dessein n'entre point dans son coeur ; Consumé des remords dont il est la victime.... ÉLISE. Que faites-vous, Madame ? Excusez-vous son crime ? EUDOXIE. Je ne veux l'excuser, hélas ! Ni le punir. ÉLISE. Si vous tardez encore.... EUDOXIE.         Ah ! Ciel ! Que devenir ?... Allons nous présenter à ce tyran barbare. ÉLISE. Qui ! Genseric ? EUDOXIE.     J'y cours. ÉLISE.         Quel transport vous égare ? Eh quoi, Madame ! Seule ! En ces affreux moments ! Au milieu de la nuit et dans l'horreur des Camps ! Hé ! Pensez-vous enfin que vos pleurs amollissent.... EUDOXIE. Élise, de quel bruit ces voûtes retentissent !... Tout mon sang s'est glacé. ÉLISE.         Le silence, la paix Règnent encor, Madame, au fond de ce palais. EUDOXIE. Ma frayeur ne se peint que d'horribles images, Je crois voir accourir tous ces monstres sauvages, Je les vois s'avancer le poignard à la main.... Maxime ! fuis ! échappe à ce cruel destin.... Élise, apprenons lui le complot qui s'apprête, Au fer des assassins cours dérober sa tête : Que tout s'arme ces lieux pour défendre ses jours, Moi-même, s'il le faut, volant à son secours.... On entend du bruit. Que dis-je ? Il n'est plus temps, hélas ! de le défendre, On ouvre, c'est sa mort qu'on vient ici m'apprendre. ## SCÈNE III. Eudoxie, Élise, Maxime, soldats. MAXIME. Jouissez d'un bonheur trop longtemps attendu. L'héritier de l'Empire à vos voeux est rendu. EUDOXIE. Qui ! Mon fils ! MAXIME.     Il est libre. EUDOXIE.         Ô Ciel ! Puis je le croire ? MAXIME. Son retour glorieux n'est dû qu'à la victoire. EUDOXIE. Mon fils est libre, ô jour ! Ô moment fortuné ! Bas à Elise. Révoque promptement l'ordre que j'ai donné. Haut. Mon fils !... Quel coup du sort en ces lieux le ramène ? MAXIME. Mon bras victorieux vient de briser sa chaîne ; Au Camp de Genseric j'ai porté la terreur, La nuit, de nos soldats secondait la valeur ; Les Vandales surpris, sans force et sans défense, A peine ont devant nous fait quelque résistance ; Le fer de tous côtés nous frayait un chemin : Mais tandis qu'affamé de sang et de butin Le soldat effréné se livrait au carnage, Mon bras vers votre fils s'est ouvert un passage ; Aux lieux qui le cachaient c'est moi qui l'ai cherché, Des mains des ennemis mes mains l'ont arraché ; Sa liberté devient le prix de mon courage : Qu'il règne ! Désormais la gloire est son partage, La mort sera le mien ; et je vous laisse après Le soin de mesurer mon crime et mes bienfaits. EUDOXIE. Ton crime est effacé, ce bienfait le répare, Vas, mon coeur envers toi ne sera point barbare, En faveur de mon fils il doit te pardonner ; Punirais-je la main qui le veut couronner... Mais d'où vient que mon fils tarde encor à paraître ? Mon coeur de ses transports est à peine le maître : Loin de mes tristes yeux qui le peut arrêter ? MAXIME. À vos regards charmés j'allais le présenter, Lorsqu'aux portes de Rome où j'arrivais à peine, Dans l'ombre de la nuit une rumeur soudaine, Quelques cris échappés ont percé jusqu'à moi ; Ce bruit nous a d'abord inspiré quelque effroi, Et mes soins vigilants soudain ont fait conduire Dans un fort écarté l'héritier de l'Empire : Le bruit est dissipé, tout est calme à présent, Votre fils va se rendre à votre empressement. EUDOXIE. Au-devant de ses pas je volerai moi-même. ## SCÈNE IV. Les mêmes et Aspar. EUDOXIE. Où courez-vous Aspar ? D'où naît ce trouble extrême ? ASPAR. Tout est perdu, Seigneur, et nous sommes trahis. MAXIME. Que dites-vous ? EUDOXIE.     Qu'entends-je ! ah Ciel ! ASPAR.         Les ennemis Sont maîtres de la Ville : un tyran plein de rage Y commande le meurtre, et presse le carnage. Tandis que vous sauviez l'héritier des Césars, La trahison, Seigneur, veillait dans ces remparts. La porte de Préneste, aux Vandales livrée, Leur assurait dans Rome une facile entrée. EUDOXIE, BAS. Qu'ai-je fait, malheureuse ! ............................. Madame, quelque temps suspendez vos alarmes, Attendez tout encor du succès de nos armes. Il sort. EUDOXIE. Vas, cours, mais en sauvant l'État par ta valeur, D'un complot criminel punis aussi l'auteur. ## SCÈNE V. EUDOXIE. Hé bien ! En est-ce assez ! Le Ciel toujours contraire A-t-il assez sur moi déployé sa colère ? Mon sort est-il rempli !.... quelle invincible loi Aux malheurs que je fuis, m'entraîne malgré moi ! Tous ceux que je craignais, cet instant les rassemble, Et Maxime et mon fils vont expirer ensemble.... Barbare Genseric ! monstre qui me trahis ! Voilà donc les secours que tu m'avais promis ! C'est ainsi qu'à mon fils remettant son Empire.... Que dis-je ! en ce moment, mon fils sans doute expire. Maxime son appui, Maxime mon époux Subit le même sort, et meurt des mêmes coups... Arrête, Genseric ! Monstre farouche ! Arrête..... À tes coups mérités je viens offrir ma tête.... Dieu ! j'entends retentir dans ces murs désolés, Les cris des malheureux par le fer immolés ; Ma trahison les perd ; c'est par moi qu'ils succombent Les maux de tout l'État sur moi seule retombent. Ah ! que ne peut mon sang.... ## SCÈNE VI. Eudoxie, Élise. ÉLISE, DU FOND DU THÉÂTRE.         Dieu puissant ! Sauvez-nous. Dieu ! Laissez par nos pleurs fléchir votre courroux. EUDOXIE. Eh bien ! C'en est donc fait ! ÉLISE.         Ah ! Je respire à peine... Madame, désormais votre perte est certaine. EUDOXIE. Vas, ce n'est pas pour moi que je crains le trépas.... Dis, que devient mon fils ? Que fait Maxime ? ÉLISE.         Hélas ! La mort est à présent leur unique partage, Nos, maux ne laissent plus de ressource au courage. EUDOXIE. Eh ? voilà donc quel est le prix de mes fureurs ? ÉLISE. Qui peut de cette nuit décrire les horreurs ? Rome, par Alaric autrefois asservie, Et du tyran des Huns éprouvant la furie, N'eut point à déplorer des désastres si grands. Rome tombe à jamais sous le fer des tyrans, Tout ressent du vainqueur les fureurs inhumaines ; Le Pontife Romain est traîné dans les chaînes ; Des Prêtres tous sanglants, les membres déchirés Souillent les saints autels de leur culte honorés, Des temples, des palais, le funeste incendie Éclaire les horreurs dont la ville est remplie ; On ne voit que des pleurs, on n'entend que des cris, On marche dans le sang et parmi les débris. Sous un tyran barbare aujourd'hui tout expire ; Ce jour est le dernier de Rome et de l'Empire. EUDOXIE. Hé ! C'est moi, juste Dieu, qui cause tant de maux ! Ô toi, qui m'as liée à tes affreux complots, Ministre d'un brigand qui commande le crime, Viens immoler ici ta dernière victime : J'ai mérité la mort, et je l'attends de toi. Maxime mourant paraît. Que vois-je c'en est fait, tout est fini pour moi. ## SCÈNE DERNIÈRE. Les memes, Maxime mourant. EUDOXIE. Maxime, cher époux ! MAXIME.         Ô ma chère Eudoxie ! Mon crime était affreux, et mon trépas l'expie... Heureux ! Lorsque je meurs, que mon dernier secours D'un fils que tu chéris ait assuré les jours. Mon bras loin de ces murs vient d'assurer sa fuite ; Il vivra... Près de toi que ce bienfait m'acquitte, Et fais grâce aux forfaits d'un époux malheureux. EUDOXIE. Tes forfaits ? Ah ! Les miens sont cent fois plus affreux. C'est moi qui t'ai trahi ; c'est moi, dont la furie Au fer des assassins vient de livrer ta vie. Oui, des brigands du Nord je sers la cruauté, Ils ont commis le crime, et moi, je l'ai dicté. La perte de l'État, la tienne, est mon ouvrage. MAXIME. Qu'entends-je, ô Cieux ! EUDOXIE.         Mon fils, libre par ton courage, Doit le trône et la vie à tes heureux succès ; Et j'ai, par ton trépas, acquitté ces bienfaits ! C'est le comble du crime et de la barbarie. Ah ! punis tant d'audace et tant de perfidie, Avant que d'expirer arrache moi le jour. MAXIME. Moi, te punir !... Je plains nos noeuds et notre amours ; Le sort fut envers nous inhumain et barbare ; Un forfait nous unit, un forfait nous sépare. Le crime, présidait à nos affreux liens. EUDOXIE. Le crime de ta mort surpasse tous les tiens. Que ce moment l'expie ; et que la mort rassemble Deux coeurs infortunés qui n'ont pu vivre ensemble. Maxime, cher objet d'amour et de douleur ! Je dus te consacrer mes jours remplis d'horreur, Maxime, c'est à toi que je les sacrifie. Elle se tue. MAXIME. Arrête ! Que fais-tu ? EUDOXIE.         Ton amante est punie. C'en est fait, je me meurs... Dieu ! Veillez sur mon fils. Cher époux ! Viens... approche.... et mourons réunis. ------- [1] Genséric : roi des Vandales, de 428 à 477, était le 2ème fils de Godégisile et succéda à Gunderic, son frère. Il passa d'Espagne en Afrique, l'an 429, à la sollicitation du gouverneur romain de ce pays. (...) Genséric s'empara de Carthage en 429, y établit le siège de son royaume et força l'empereur à lui accorder la paix et à le raconnaître le maître de l'Afrique. Quelque temps après, l'empereur Valentinien ayant été tué par Pétrone Maxime, Eudoxie, sa veuve, appela Genseric en Italie pour venger sa mort. Genséric accourut aussitôt, prit Rome (455), la pilla pendant 14 jours et emporta des trésors immenses, dévasta ensuite le Péloponèse, l'Epire, la Dalmatie, L'Istrie, prit Nicopolis, et emmena Eudoxie en captivité. B [2] Maxime Pétrone : empereur d'ocident, renversa du trône en 455 Valentinien III qui avait insulté sa femme, et contraignit la veuve de ce prince, Eudoxie, à l'accepter pour époux. Celle-ci, pour se venger, appela en Italie Genséric, roi des Vandales, et lui livra ROme. Maxime ne songea qu'à fuir, et le peuple indigné le lapida (455). B [3] Goths, Vandales, Alains, Sarmates et Gépides sont des tributs Germaines ayant envahi l'empire romain. [4] Moétide : auj. Mer d'Azov, golfe qui terminait au nord le Pont-Euxin, communiquait avec cette mer par le Bosphore Cimmérien. B [5] Aspar : général et patrice de l'empire d'Orient, Alain ou Goth de naissance, fut envoyé en Italie par Valentinien contre le rebelle Jean, qu'il réduisit (435). Six ans après, il fut battu par Genséic, roi des Vandales. (...) B [6] Préneste est une ville d'Italie à 37 Km à l'est de Rome. [7] Alaric : roi des Wisigoths (382-412), s'unit d'abord au romains pour repousser une invasion des Huns (394) ; puis vint fondre sur l'empire d'Orient après la mort de Théodose le Grand (395), devasta les provinces au sud du Danube, et menaça Constantinople. Repousé sur Stilicon, il se jeta sur l'empire d'Occident et obtint une partie des Gaules. Assiegea trois fois Rome et la pilla en 410. Mort en 412. B [8] Attila : roi des Huns, le fléau de Dieu, installé en Pannonie, commença à ravager l'empire d'Orient puis traversa la Gemranie et entre en Gaule en 451, à la tête d'une armée de 500 000 hommes, pénétra jusqu'à Orléans et jusqu'à Paris sauvée par Sainte-Geneviève. Il fut repoussé par le généra Aetius, le roi franc Mérovée, et le roi Goths Théodoric. Il passa en Italie, ruina Aquilée et plusieurs villes et marcha sur Rome. Mais le pape Saint Léon, étant allé au devant d elui, l'arrêta tout à coup par son éloquenc eet sa majesté. Après avoir exigé un tribut de Valentinien III, Attila consentit à ne pas pousser plus loin ses conquêtes, et retourna en Pannonie. Il mourut en 453.