--- identifier: corneillet_mortdachille creator: Corneille, Thomas ; Georges Forestier. date: 1673 title: La Mort d'Achille. Tragédie --- La Mort d'Achille Tragédie Par T. CORNEILLE. Suivant la Copie imprimée A PARIS, CI ) I ) CL XXVI. Édition critique établie par Étienne Mahieux dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (2000) # Introduction. « Thomas Corneille / Poete Ecuier lun des quarante / de l'Academie françoise né à Rouen / decede aux Andelis le 8 decembre 1709 / agé de 84 ans (...) Thomas a dispute la Victoire à Moliere / Avec le Grand Corneille entrant dans la Carriere / Par ce rival illustre il n'est point effacé / Relevant de Lully la superbe Musique / Il s'égale à Quinault par sa veine Lyrique / Et par les dons du Coeur nul ne la surpassé » Comme il fut deux Corneille, il y a deux Dumas, Mais aucun d'eux n'est Pierre et tous deux sont Thomas. Cette épigramme de Henry Becque [1], qui se voulait très méchante envers les Alexandre Dumas père et fils, dit assez quelle piètre opinion la postérité a gardé de Thomas Corneille, et quelle part involontaire son aîné Pierre a pris dans cette disgrâce. Il est difficile d'être le cadet d'un grand homme ; et si cette fraternité a peut-être empêché Thomas Corneille de demeurer aussi longtemps et profondément dans l'oubli qu'un Campistron ou un Boyer, il n'en reste pas moins que depuis trois cents ans, on ne s'est guère souvenu de lui que comme d'un faire-valoir, afin de mettre en valeur le génie de l'auteur du *Cid*. Pourtant Thomas Corneille, fort célèbre en son temps, est l'auteur d'une œuvre considérable, par son volume (quarante-trois pièces de théâtre, deux lourds dictionnaires encyclopédiques, la grande part prise à la rédaction du *Mercure galant*, et des traductions), par sa diversité (la plupart des genres théâtraux y sont représentés), enfin par plusieurs réussites remarquables. Plusieurs de ses contemporains le considéraient comme l'un des meilleurs auteurs de son temps, le premier peut-être après Racine, et celui qu'il appelait lui-même « le Grand Corneille ». La lecture des éloges prononcés après sa disparition par Claude de Boze à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et par Antoine Houdar de la Motte à l'Académie Française, est assez éclairante : mesurés, concordants, ces éloges en acquièrent un certain poids. Les deux discours se font l'écho de l'aveu fait par Pierre Corneille d'une certaine jalousie envers certains travaux de son cadet [2]. Ce sont là des lettres de noblesse. Cependant, si trois des pièces de Thomas (*Le Comte d'Essex, Ariane*, deux de ses meilleures tragédies, et surtout *Le Festin de Pierre* que la Comédie-Française joua pendant près de deux siècles de préférence au *Dom Juan* de Molière dont elle est l'adaptation) ont été régulièrement reprises jusqu'au dix-neuvième siècle, si Voltaire l'admire, au point d'affirmer à son tour que *« si vous exceptez Racine, auquel il ne faut comparer personne, il était le seul de son temps qui fût digne d'être le premier au-dessous de son frère »* [3] , les commentateurs modernes, à la suite de Gustave Reynier [4] ou Antoine Adam [5], le considèrent généralement comme un auteur médiocre, représentatif tout au plus du niveau moyen du théâtre de son époque, lorsqu'ils ne raillent pas discrètement son *« sens aigu de l'opportunité »* [6]. De cet auteur à la réputation désormais peu flatteuse, *La Mort d'Achille* est l'une des pièces les moins considérées, au point d'être absente (ainsi que quelques autres) du dernier recueil en date du *Théâtre* (soi-disant) *Complet* de Thomas Corneille, daté de 1881. Créée en décembre 1673 par la troupe de Guénégaud, elle ne tint pas jusqu'à la dixième représentation. Nous ne disposons d'aucune réaction contemporaine – d'autant que les *Lettres* en vers de l'excellent Robinet ont disparu pour la période : l'absence de débat littéraire était, de toutes façons, le corollaire presque inévitable du « four » théâtral, et le modeste Thomas Corneille n'avait pas d'ennemis jurés qui pussent se réjouir hautement de ses échecs. *La Mort d'Achille* relate la dernière journée de la vie du fameux héros achéen, qui la perdit lors du siège de Troie, dans des circonstances que notre époque a oubliées : épris de la princesse troyenne Polixene [7], au point de négliger la foi donnée à sa captive Briseis, et l'amour que son propre fils Pyrrhus porte à la jeune fille, Achille décide de l'épouser afin d'assurer la paix entre les deux camps ; mais il est assassiné, juste avant la cérémonie, par le frère de la jeune fille, Pâris, qui refuse les conditions de la paix. La postérité immédiate semble avoir tenu la pièce dans le mépris le plus total : les frères Parfaict se contentent de ce seul et lapidaire commentaire : *« Cette Tragédie est si foible, pour ne rien dire de plus, du côté des personnages, & de la versification, que pour l'honneur de M. Corneille de Lisle, nous ne relevons point les défauts qui y sont en nombre. »* [8] Les seuls jugements détaillés dont nous disposons sur la pièce sont donc le fait de notre époque ; ils sont rares. La plupart des critiques délaissent *La Mort d'Achille* ou ne lui accordent que des mentions. Dans sa thèse sur Thomas Corneille, Gustave Reynier ne consacre pas de développement spécifique à *La Mort d'Achille*, qu'il déteste, y voyant *« peut-être la plus romanesque et la plus fausse de ses tragédies. »* [9] Henry Carrington Lancaster et David A. Collins sont les seuls auteurs à s'étendre quelque peu sur notre tragédie. Le premier [10] reconnaît des beautés à la pièce, mais qui ne sont pas rachetées par de graves défauts. Le second [11], peut-être le défenseur le plus audacieux de la pièce, y voit en substance *« a noble failure »* (un noble échec). Il est donc impossible, à qui se propose de présenter au lecteur contemporain une édition critique de *La Mort d'Achille*, de négliger cet opprobre quasi universel. *La Mort d'Achille* est-elle une bonne pièce ? Elle l'est sans aucun doute, *pour nous* ; nous la qualifierons cependant plus volontiers de « passionnante » que de « bonne », dans la mesure où son adéquation aux canons de la dramaturgie classique est douteuse : il ne s'agit pas en tous cas d'une « pièce bien faite ». Elle ne l'était aucunement, *pour son époque*, et il n'est pas impossible de comprendre pourquoi. Cet étrange décalage nous oblige à nous demander si Thomas Corneille avait conscience de l'étrangeté de son dessein, et si le cas échéant il en mesurait les conséquences possibles. Avons-nous affaire à une oeuvre visionnaire, ou à un coup de chance posthume ? A cette éternelle question des intentions de l'auteur, nous ne prétendons pas pouvoir répondre autrement que par le rêve ou l'hypothèse. Une pièce qui incite au rêve, et qui pousse à l'hypothèse, mérite en tous cas de ne pas demeurer au purgatoire. # Un auteur modeste. ## Esquisse biographique. Thomas Corneille est né le 20 août 1625 à Rouen, dans la maison familiale de la rue de la Pie. Son père, Pierre Corneille, était maître des eaux et forêts « en la vicomté de Rouen ». Pierre Corneille le fils (et futur dramaturge) était alors âgé de dix-neuf ans. Thomas fit ses études de rhétorique au collège des jésuites de Rouen. Il était jeune enfant lorsque son aîné obtint ses premiers succès, puis triompha avec le *Cid* (1636). L'émulation semble avoir joué un grand rôle dans sa propre vocation littéraire : il aurait composé, au collège, une tragédie en vers latins (qui, selon le discours de De Boze [12], aurait été alors représentée de préférence à celle que le directeur avait écrite). Un fait est sûr : en décembre 1641, il obtient le prix du Miroir d'Argent au concours des Palinods de Rouen, pour une ode en vers français (son frère Antoine en avait été lauréat à plusieurs reprises). Il ne quitta cependant le collège qu'en 1642 ou 1643, afin d'apprendre la physique et la logique. À la mort de son père, en 1640, son frère aîné, auteur déjà célèbre, fut désigné son tuteur et s'occupa de son éducation. Il lui apprit personnellement l'espagnol (langue commune à Rouen, et que lui-même possédait fort bien pour avoir imité plusieurs pièces de l'espagnol), et probablement les principes de la composition dramatique. Thomas suivit d'ailleurs l'exemple fraternel en obtenant sa licence en droit (mai 1646) avant de se lancer dans la carrière littéraire. Ce n'est cependant qu'après la représentation de sa première pièce, *Les Engagements du hasard* (1647), comédie « à l'espagnole » adaptée de Calderón, qui fut un succès, qu'il se fit recevoir avocat (septembre 1649) : il semble donc que le barreau ne l'ait guère tenté qu'afin de parfaire son éloquence, ou de se voir garantir une situation stable. Thomas se maria le 5 juillet 1650 avec Marguerite de Lampérière, son aînée de quatre ans, qui était la soeur de Marie, femme de Pierre Corneille. Le couple eut trois enfants : Mathieu (1657-1702), François, qui fut abbé, et Marthe, qui épousa en 1683 un riche compatriote rouennais. Tout en demeurant à Rouen jusqu'en 1662, date à partir de laquelle le duc de Guise loge à Paris les deux frères, dans l'ancien appartement de Tristan l'Hermite, Thomas est très introduit dans les salons parisiens — le succès de *Timocrate* (1656) en a fait un auteur de premier plan (Fouquet pensionnera les deux frères pour la même somme de 1000 livres chacun [13] ! ) ; l'influence de la préciosité sur son style est manifeste. Lors du passage à Rouen de la troupe de Molière en 1658, il fait à la jeune Mlle Du Parc l'hommage de vers enflammés (une passion partagée par son frère, et probablement toute littéraire, même si Thomas, trentenaire de belle prestance, faisait un soupirant plus crédible que son aîné). En 1664, un décret annule les lettres de noblesse conférées en Normandie pour les trente-quatre années précédentes. La famille Corneille, anoblie en 1637 en la personne du père de nos deux auteurs, afin de conférer un quartier de noblesse à l'auteur du *Cid*, est touchée par la mesure. Les deux frères n'auront de cesse que de récupérer leur titre, qui leur sera rendu définitivement en 1669. Molière raille dans l'*Ecole des femmes* les noms à rallonge adoptés par les roturiers et nobles de fraîche date sous les prétextes les plus vagues. Or comme le Gros-Pierre de Molière [14], Thomas se faisait appeler « M. Corneille de l'Isle », nom que ses contemporains emploient volontiers pour le désigner, alternativement avec « M. Corneille le Jeune ». On n'a donc pas manqué de reconnaître Thomas dans ce Gros-Pierre. Ne peut-on voir dans ce nom adopté, plutôt qu'une vanité de parvenu, la nécessité pour notre auteur de « se faire un nom » bien à lui ? Celui de Corneille était lourd à porter. Ses pièces, cependant, sont toujours imprimées sous le nom de Thomas Corneille. C'est peut-être en raison de ces soucis, qui succèdent à ceux du déménagement, que notre auteur reste plus de deux ans sans donner de pièce nouvelle. À cette exception près, sa veine semble infatigable. Il écrit généralement une à deux pièces par an de 1650 à 1682. *« Mon frère*, écrit Pierre Corneille à l'abbé de Pure en juillet 1658, *vous salue, et travaille avec assez de chagrin. Il ne donnera qu'une pièce cette année. »* [15] La facilité avec laquelle écrivait notre auteur, et notamment sa virtuosité dans la versification, a donné lieu à une anecdote, probablement apocryphe, rapportée par Voisenon dans les *Anecdotes littéraires* [16], selon laquelle les appartements des deux frères communiquaient par une trappe, que Pierre ouvrait parfois pour demander à son cadet de lui fournir une rime, ou quelques syllabes. L'important est que cette anecdote ait été tenue pour vraisemblable par les contemporains de notre prolifique auteur. La fin de sa carrière théâtrale cependant le voit travailler de plus en plus fréquemment en collaboration, généralement avec Donneau de Visé. Lorsqu'en 1677 Donneau, après une longue interruption, reprit la rédaction du *Mercure galant*, il y associa son ami Thomas Corneille, qui y collabora avec régularité pendant vingt-trois ans, fournissant probablement plusieurs dizaines de pages mensuelles. En 1681 Donneau et Thomas se constituent en société où ils sont associés à parts égales. Pierre Corneille mourut en 1684. Thomas fut alors élu à l'Académie Française, au fauteuil de son frère. Son discours de réception fit l'éloge du Roi, et de l'Académie, comme il était de coutume. Il se contenta de ces quelques mots faisant l'éloge de son prédécesseur : J'avoüe, Messieurs, que quand aprés tant d'épreuves, vous m'avez fait la grace de jetter les yeux sur moy, vous m'auriez mis en peril de me permettre la vanité la plus condamnable, si je ne m'estois assez fortement étudié pour n'oublier pas ce que je suis. Je me serois peut-estre flatté, qu'enfin vous m'auriez trouvé les qualitez que vous souhaitez dans des Academiciens dignes de ce nom, d'un goust exquis, d'une penetration entiere, parfaitement éclairez, en un mot tels que vous estes. Mais, Messieurs, l'honneur qu'il vous a plû de me faire, quelque grand qu'il soit, ne m'aveugle point. (...) Ce que mes défauts me défendoient d'esperer de vous, vous l'avez donné à la memoire d'un Homme que vous regardiez comme un des principaux ornemens de vostre Corps. L'estime particuliere que vous avez toûjours eüe pour luy, m'attire celle dont vous me donnez des marques si obligeantes. Sa perte vous a touchez, & pour le faire revivre parmy vous autant qu'il vous est possible, vous avez voulu me faire remplir sa place, ne doutant point que la qualité de Frere qui l'a fait plus d'une fois vous solliciter en ma faveur, ne l'eust engagé à m'inspirer les sentiments d'admiration qu'il avoit pour toute vostre illustre Compagnie. Ainsi, Messieurs, vous l'avez cherché en moy, & n'y pouvant trouver son merite, vous vous estes contentez d'y trouver son nom. Jamais une perte si considerable ne pouvoit estre plus imparfaitement reparée ; (...) Sa perte qui vous est sensible à tous, est si particuliere pour moy, que j'ay peine à soûtenir les tristes idées qu'elle me presente. [17] Probablement Thomas était-il d'accord avec Racine, qui s'empara du silence du récipiendaire pour rendre à son grand rival un hommage demeuré fameux, avant d'ajouter à l'adresse de Thomas : Vous auriez pû bien mieux que moy, Monsieur, lui rendre icy les justes honneurs qu'il merite, si vous n'eussiez peut-estre appréhendé avec raison, qu'en faisant l'éloge d'un Frere, avec qui vous avez d'ailleurs tant de conformité, il ne semblast que vous faisiez votre propre éloge. C'est cette conformité que nous avons tous eû en veuë, lors que tout d'une voix nous vous avons appellé pour remplir sa place ; persuadez que nous sommes que nous retrouverons en vous, non seulement son nom, son mesme esprit, son mesme enthousiasme, mais encore sa mesme modestie, sa mesme vertu, son mesme zele pour l'Académie. [18] Si l'on en croit ces deux textes, Thomas Corneille, pourtant fort réputé personnellement, semble reçu à l'Académie Française afin d'honorer la mémoire de son frère. Si la remarque n'a rien d'étonnant de sa part, elle est plus troublante sous la plume de Racine qui, sous couvert de lui rendre hommage, le décrit comme un double de son aîné. C'est donc peut-être de sa propre modestie, ainsi que de la raillerie de Boileau (*« Ah ! pauvre Thomas, tu n'es qu'un cadet de Normandie. »* [19]), que naît la comparaison systématique qui sera, lors des siècles suivants, fatale à la réputation de notre auteur. Toujours est-il que les espoirs que Racine plaçait dans le zèle du nouvel académicien ne furent pas déçus. Thomas Corneille fut fort assidu aux réunions, et rédigea à lui tout seul deux suppléments au *Dictionnaire* de l'Académie, qu'il s'agissait d'étoffer face aux développements encyclopédiques du dictionnaire de Furetière. Ce sont le *Dictionnaire des termes d'arts et de sciences* (1694) et le *Dictionnaire géographique et historique* (1708). Thomas publie également une réédition critique des *Remarques* de Vaugelas (1687) et rédige les *Observations de l'Académie Française* (1704) sur ces mêmes *Remarques*. Peu rigoureux sur le plan scientifique, ces travaux sont l'indice d'une curiosité qui, au même titre que les oeuvres de vulgarisation de Fontenelle, annonce l'esprit des Lumières. La tâche, qui lui demande d'accumuler beaucoup de documentation, est épuisante, surtout pour un septuagénaire. Elle détourne Thomas Corneille du théâtre (sa dernière tragédie, *Bradamante*, date de 1695), et l'épuise. En 1701 il est reçu à l'Académie des Médailles, future Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Il meurt, presque aveugle, le 8 décembre 1709, à l'âge vénérable (surtout pour l'époque) de quatre-vingt-quatre ans. Pierre et Thomas Corneille offrent un exemple d'affection fraternelle digne des contes les plus édifiants. Il semble que les deux foyers aient presque toujours vécu ensemble, partageant la même maison, ou logeant dans des maisons mitoyennes, au gré des déménagements entre Rouen et Paris. Deux rues les séparent à partir de 1681, mais il est probable que Thomas fut très présent auprès de son frère malade. *« Après plus de vingt-cinq ans de mariage*, affirme De Boze [20], *les deux frères n'avaient pas encore songé à faire le partage des biens de leurs femmes, et ce partage ne fut fait que par une nécessité indispensable, à la mort de Pierre Corneille. »* De même que Pierre avait favorisé les débuts de Thomas, lui enseignant son art et l'introduisant auprès des milieux cultivés, Thomas s'occupa activement de la carrière de son neveu Fontenelle (né en 1657 et qui devait vivre centenaire), fils de sa soeur Marthe. Il le fit collaborer à *Bellérophon* et fit campagne pour que l'auteur des *Entretiens sur la pluralité des mondes* fût reçu à l'Académie Française, où il l'accueillit lui-même en 1691. Ce sens aigu de la famille, ses longues amitiés avec Donneau de Visé ou Boursault, laissent deviner le caractère de Thomas Corneille, que tous ses contemporains décrivent comme un homme doux, modeste, incapable d'envie, et généreux. Sa politesse et son savoir lui valurent le beau surnom de « l'honnête homme ». ## L'œuvre théâtrale de Thomas Corneille. Thomas Corneille dramaturge s'est essayé à tous les genres : tragédie, comédie, pièces à machines, opéra — chacun de ces termes génériques recouvrant une réalité elle-même diverse. Il n'est pas impossible de présenter ces diverses facettes de son oeuvre de façon chronologique ; il n'est en effet parvenu que progressivement à cette diversité, et chaque période de sa carrière est dominée par une certaine veine. Cependant Thomas n'abandonna jamais réellement aucun des genres auxquels il s'était essayé ; c'est pourquoi il nous semble plus concluant d'aborder séparément les versants comiques et tragiques de son oeuvre, afin de donner une idée de la vaste palette de notre auteur. ### Les comédies. Après le succès des *Engagements du hasard*, Thomas Corneille choisit de persévérer dans le registre de la comédie « à l'espagnole » avec *Le Feint Astrologue* (1648), également imité de Calderón, *Don Bertrand de Cigarral* (1651), *L'Amour à la mode* (1651), puis la comédie héroïque des *Illustres Ennemis* (1654), et la comédie burlesque *Le Geôlier de soi-même* (1655), sujet qu'il traite en concurrence avec Scarron. Ces pièces sont caractéristiques de la fantaisie de la *comedia* espagnole, genre protéiforme dont les auteurs français (Scarron, d'Ouville, Boisrobert, Pierre Corneille lui-même avec *Le Menteur*) adaptent à cette époque les exemples les plus souriants. L'amour y est romanesque et passionné, et contrarié par toutes sortes d'incidents basés sur des déguisements et autres substitutions d'identité. Le sérieux parfois légèrement parodique des amants y cohabite avec la bouffonnerie des valets balourds et poltrons (les *graciosos*) qui, dans les variantes les plus burlesques du genre (et dont relève *Le Geôlier de soi-même*), volent franchement la vedette à leurs patrons. Thomas cependant paraît sensible à cette originalité espagnole du mélange des genres, condamné par la poétique française de la deuxième moitié du dix-septième siècle ; le *Geôlier* alterne des passages purement burlesques et des scènes pathétiques (et des personnages de rang élevé) relevant pour le moins de la tragi-comédie. *Le Berger extravagant* (1652) est une première tentative de Thomas pour varier les tons, puisqu'il s'agit d'une pastorale parodique inspirée du roman éponyme de Charles Sorel. À la suite du succès de *Timocrate*, Thomas Corneille se consacra en priorité à la tragédie, non sans écrire quatre comédies entre 1656 et 1672 : *Le Charme de la voix* (1657, peut-être déjà en chantier au moment de *Timocrate*), *Le Galant doublé* (1659), *Le Baron d'Albikrac* (1667) et *La Comtesse d'Orgueil* (1670). Mais après 1673, date de la mort de Molière (dont la rivalité n'est plus intimidante) et de l'échec de *La Mort d'Achille* (qui lui fait peut-être ressentir un besoin de renouvellement), sa veine comique revient, modifiée, au premier plan. *Don César d'Avalos* (1674) est une comédie à l'espagnole. Mais la mode en a passé (à l'exception de quelques succès inusables dont *Le Geôlier* ou le *Menteur* de Pierre Corneille) et Thomas Corneille, retenant la leçon du Molière des dernières années, propose alors des comédies à machines. *L'Inconnu* (1675) et *Le Triomphe des dames* (1676) qui compte un tournoi à pied parmi ses divertissements, donnent toute satisfaction à la veuve de Molière, Armande Béjart, qui lui commande *Le Festin de pierre* (1677), simple versification édulcorée du *Dom Juan* de Molière, destinée à permettre la reprise de cette pièce. Toujours dans les pas de Molière, Thomas cherche (et trouve) des sujets satiriques : *La Pierre philosophale* (1681) sur la mode de l'occultisme (il n'en reste, hélas ! que le livret), où l'on assiste à l'initiation d'un chevalier de la Rose-Croix, *L'Usurier* (1685, malheureusement perdu), *Les Dames vengées* (1695) qui décrit la chute d'un séducteur, et la fameuse *Devineresse* (1679) inspirée de l'affaire de la Voisin. Ce sont là des sujets parfois audacieux, et qui touchent à l'actualité, tout en lui permettant, dans le cas de *La Pierre philosophale* et de *La Devineresse*, d'avoir recours aux machines. ### Les tragédies : historique et évolution. L'année 1656 fut celle du coup d'éclat de Thomas Corneille : *Timocrate*. Le genre tragique avait marqué le pas depuis plusieurs années, en raison de la Fronde et de la retraite provisoire de Pierre Corneille. Pièce romanesque et haletante, peu soucieuse de vraisemblance, plus proche en fait de la tragi-comédie que de la tragédie, *Timocrate* présente en somme, même si l'intrigue en est issue d'un roman de La Calprenède, le versant tragique de la *comedia* espagnole, avec son accumulation de péripéties surprenantes basées sur les fausses identités et la toute-puissance des sentiments amoureux — le vaillant Timocrate, épris de la fille de son ennemie, la sert sous le nom de Cléomène contre sa propre armée, et va jusqu'à faire prisonnier un faux Timocrate ! On peut aussi y remarquer l'influence de la préciosité : le héros applique à ses actes les paradoxes que les amants précieux réservent à leurs paroles. Formellement, cependant, *Timocrate* est une pièce régulière, n'était que l'accumulation des péripéties cause le plus grand tort à la vraisemblance. Elle clôt une époque (celle du triomphe de la tragi-comédie) autant qu'elle en annonce une autre (celle du règne de la tragédie classique, qui conservera toutefois des éléments romanesques et précieux). *Timocrate* fut l'un des plus grands succès théâtraux du siècle sinon le plus grand, avec quatre-vingt représentations (sans compter une reprise immédiate au théâtre concurrent), et relança la vogue de la tragédie sur la scène française. La salle fut comble pendant six mois, le roi se déplaça jusqu'au théâtre du Marais pour assister à *Timocrate*, et Thomas Corneille lui fut présenté. Ce sont les comédiens qui, las de *Timocrate*, l'ôtèrent de l'affiche à la grande déception du public. Emu de l'accueil réservé à la pièce, Thomas n'en conclut pas à sa perfection. Si l'auteur *« voit quelque chose de flateur dans les acclamations qui en ont fait jusqu'icy tout l'éclat, il sçait qu'elles n'ont rien de durable, que l'injuste caprice du Siècle les rend souvent communes à toutes les nouveautez qui le surprennent, et qu'ainsi il en est peu que le temps puisse sauver de l'injurieux soupçon d'avoir esté plûtost données à de faux brillants qu'à de véritables beautez »*, écrit-il dans la dédicace de sa pièce [21]. Il délaissa cependant quelque peu la comédie, qui lui avait valu sa renommée, pour donner au théâtre, jusqu'au *Comte d'Essex* (1678), pas moins de quinze autres tragédies, dont les plus fameuses sont *La Mort de l'Empereur Commode* (1657), *Bérénice* (1658), *Stilicon* (1660), *Camma reine de Galatie* (1661), *La Mort d'Annibal* (1669) et bien sûr *Ariane* (1672). S'il faut chercher une rupture dans ce mouvement, c'est peut-être cependant de 1673 qu'il faut la dater, puisqu'entre *La Mort d'Achille* et *Essex*, Thomas n'écrivit aucune tragédie pure, mais au contraire revint à la comédie, et notamment à la comédie à machines. C'est *Essex* qui, esthétiquement, constitue l'exception dans cette nouvelle période. Le théâtre à grand spectacle triomphe alors tant auprès du public parisien que de la Cour, où il contribue à l'éclat du règne de Louis XIV. Thomas s'engagea dans cette voie tant sur le mode comique que sur le mode tragique. C'est ainsi que de la tragédie il passa à la tragédie lyrique : *Circé* (1675), tragédie à machines ornée de musique, brise le monopole de Lully sur la musique mais remporte un tel succès qu'on propose à son auteur de collaborer avec le compositeur italien pour *Psyché* (1678, d'après la pièce de Molière et Pierre Corneille) et *Bellérophon* (1679). Il écrira encore le livret de l'opéra de Charpentier, *Médée* (1693). Il faut enfin signaler une dernière tragédie, *Bradamante* (1695), sur un sujet héroïco-galant tiré de l'Arioste. On trouvera, à la page LIII, une chronologie exhaustive des œuvres de Thomas Corneille. ### Les tragédies : poétique. Les dix-sept tragédies et tragi-comédies (c'est la désignation officielle d'*Antiochus*) de Thomas Corneille constituent un corpus d'autant plus considérable qu'elles témoignent d'une certaine variété. La plupart des auteurs reprennent à leur propos (pour y souscrire ou s'y opposer) la classification opérée par Gustave Reynier selon trois sous-groupes : tragédies romanesques, cornéliennes, et raciniennes. Nous ne faillirons pas à la règle ; indépendamment de la validité des définitions, le défaut de classifications semblables est de dégager parfois artificiellement la tonalité dominante de telle ou telle oeuvre. Cependant, la proposition de M. Reynier a l'avantage de mettre en évidence les influences peu contestables qu'a subies Thomas Corneille. #### L'influence romanesque. On aura deviné que pour M. Reynier, *Timocrate* est le parangon des tragédies romanesques de Thomas Corneille. L'épithète n'est pas arbitraire : ainsi, *Bérénice*, qui n'a aucun rapport avec la reine de Césarée, est inspirée d'un épisode du fameux *Grand Cyrus*, le roman précieux de Mlle de Scudéry. Selon Gustave Reynier, l'influence du roman sur le théâtre de Thomas Corneille (qu'il associe en cela à Quinault et Boyer) est détestable et n'aboutit qu'à la confection de stéréotypes que l'on retrouve tels quels de pièce en pièce, de *Pyrrhus roi d'Epire* à *Antiochus*, de *Darius* à *Théodat*, de *Bradamante* à *Persée et Démétrius : « fictions invraisemblables, caractères de convention, discussions amoureuses, analyses poussées jusqu'au fin du fin* [22]. * »* Ces *« fictions invraisemblables »* reposent généralement sur la substitution d'identité : dans *Timocrate*, on l'a vu, le héros feint d'être son propre ennemi ; dans *Pyrrhus, roi d'Epire* l'intrigue repose sur une substitution d'enfants au berceau ; dans *Antiochus*, un portrait substitué fait croire à l'amour du héros pour une autre femme que celle qu'il aime en réalité. Quant aux *« caractères de convention »*, M. Reynier en dresse avec humour la nomenclature : l'amant qui met son pouvoir au pieds de sa maîtresse, la princesse n'ignorant rien de la carte du Tendre, mais qui ménage sa gloire, le seigneur ambitieux, pour lui-même ou pour ses enfants, et qui fait un traître commode. Enfin les péripéties s'articulent généralement autour de *« l'inévitable sédition »* qui vient précipiter le dénouement. Cette ironie n'est pas toujours justifiée. Si par exemple dans *Théodat* (1672) l'assassinat d'un faux Théodat dormant par le plus grand des hasards dans le lit du vrai peut prêter à sourire, il faut reconnaître cependant que l'on prend beaucoup de plaisir aux rebondissements mieux préparés de *Timocrate* (ce dont Reynier convient), et que les sentiments précieux qui exaspèrent Reynier ne sont pas contradictoires avec la finesse et la concision de certaines observations. « Tu la nommes beaucoup pour ne la point aimer, » fait simplement remarquer le roi Séleucus à son fils au cinquième acte d'Antiochus. #### L'influence cornélienne. Cette dénomination renvoie au frère aîné de Thomas, Pierre Corneille, que Reynier reconnaît surtout dans l'importance donnée à la politique et à la vérité historique (toujours reconstituée, bien entendu, pour satisfaire aux lois de la vraisemblance et de la bienséance), à la peinture des vertus les plus hautes, et au *« souffle puissant que l'on sent courir dans tout les chefs-d'oeuvre cornéliens »* [23]. Ces critères, qui relèvent nettement plus de l'appréciation intuitive que ceux par lesquels Reynier définissait les « tragédies romanesques », se réfèrent manifestement au « Grand Corneille » volontiers retenu par l'histoire littéraire, celui du *Cid*, d'*Horace*, de *Cinna* et de *Polyeucte*. Les pièces ainsi définies par Reynier sont *La Mort de l'Empereur Commode, Maximian, Laodice, La Mort d'Annibal* où reparaissent les personnages du *Nicomède* de Pierre Corneille, et bien entendu *Stilicon* et *Camma* dont les sujets avaient été proposés par Fouquet à Pierre Corneille, qui préféra traiter *OEdipe*, laissant les deux autres à son cadet. Or Pierre Corneille ne s'en est pas tenu toute sa vie à une esthétique intangible, et la proposition de Reynier n'est pas tenable si l'on considère l'ensemble de sa carrière. Sans même remonter jusqu'à *Clitandre* (1632), à côté de quoi les « tragédies romanesques » de Thomas semblent de statiques élégies, il est évident que *Pyrrhus, roi d'Epire*, tragédie indubitablement romanesque, s'inspire de l'*Héraclius* (1646) du frère aîné, romanesque si l'on veut, mais cornélien par définition. Reynier lui-même admet que l'inspiration cornélienne de Thomas n'exclut pas tout à fait les noms d'emprunts ni la sédition du cinquième acte, preuve que les deux catégories sont quelque peu poreuses l'une à l'autre. Cependant le choix de sujets à fortes implications politiques, et souvent romains, manifeste clairement chez Thomas Corneille le désir de mettre ses pas dans ceux de son aîné. La lecture de *Commode* prouve qu'il s'est montré, à l'occasion, un digne émule de son frère. Il y présente Commode, tyrannique empereur romain, que l'on qualifierait volontiers de paranoïaque si ce n'était commettre un anachronisme, opposé à deux jeunes filles qu'il songe successivement à épouser : la vertueuse Helvie, et l'ambitieuse Marcia. Une bonne part de la tension dramatique repose sur la peinture du caractère de Marcia : partagée entre son ambition de monter sur le trône, et ses sentiments envers sa soeur et le jeune Electus qui lui rend des devoirs, Marcia ne sait dans quel camp se ranger, ce dont dépend l'issue de la pièce. Plus ou moins sympathique au spectateur selon ses revirements, aussi ambiguë qu'un Horace, Marcia est un personnage passionnant. #### L'influence racinienne. Si tous les critiques sont d'accord pour ranger à part *Ariane* et *Le Comte d'Essex* (auxquels certains ajoutent *La Mort d'Achille*), ils contestent souvent l'épithète de « raciniennes » conférée par Gustave Reynier à ces deux pièces, préférant y voir des « tragédies de sentiments » (c'est l'expression de David A. Collins, *« tragedies of feeling »*). Pourtant l'influence de Racine semble indubitable. La plupart des tragédies de Thomas Corneille (y compris celles qui sont considérées comme « cornéliennes » ) réservent au sentiment amoureux une part importante. *Ariane* n'est pas plus une tragédie de sentiments qu'*Antiochus* ; c'est la modalité de l'expression de ces sentiments qui diffère. Alors qu'*Antiochus* relève de la tradition de la rhétorique précieuse, *Ariane* est manifestement influencée par la dramaturgie et l'écriture de Racine. Il est par ailleurs remarquable que cette influence est chez Thomas tardive, et postérieure aux premiers succès de Racine. *Ariane* s'inscrit visiblement dans le sillage de la *Bérénice* (1670) de Racine : le sujet est pathétique, l'intrigue chargée de peu d'incidents ; la pièce se distingue par un ton élégiaque justifié par l'action : il s'agit, dans les deux cas, d'une héroïne abandonnée par l'homme qu'elle aime. *Le Comte d'Essex* traite, à l'instar de *Phèdre*, d'un amour interdit (non plus par les liens du sang, mais par l'inégalité sociale) dont l'aveu est une honte ; l'intrigue est encore une fois fort simple. *« Ne serons-nous pas forcés de convenir que le seul disciple qu'ait eu Racine, au moins dans son temps, ç'a été justement le frère de Corneille ? »* se demande Gustave Reynier [24] pour qui *« il n'y a pas, dans tout notre théâtre classique, de personnage qui inspire, plus qu'Ariane, une pitié complète, absolue, sans mélange d'autre sentiment. »* [25] Il n'est pas même impossible que le sujet d'*Ariane* ait inspiré à Racine de traiter celui de *Phèdre*, qui en constitue la suite chronologique. Agenceur imaginatif d'intrigues romanesques, admirateur (comme le reste de son temps) de la noblesse des tragédies de son frère, Thomas Corneille n'était pas attendu sur les traces du jeune Racine, son cadet de près de quinze ans. N'a-t-il vraiment fait que suivre la mode ? La part des sentiments amoureux dans ses tragédies « romanesques » inciterait plutôt à croire qu'il a été sensible, chez Racine, à la force dramatique de l'expression des sentiments, mis en valeur par une dramaturgie qui leur est subordonnée – alors qu'il cherchait jusque-là à mettre en valeur la force de la passion en montrant ses interactions avec des événements inouïs ou tout du moins contraires. Le sommet et le cas-limite, chez Racine, de la soumission de l'intrigue aux passions, étant *Bérénice*, il n'est pas innocent que ce soit cette pièce qui ait définitivement convaincu Thomas Corneille, et inspiré *Ariane*. Les « tragédies raciniennes », preuve de cette conviction, n'alternent pas avec les autres veines tragiques de Thomas, à l'exception de *Théodat*, dont nous croyons volontiers avec M. Lancaster [26] que Thomas l'avait mis en chantier avant le succès d'*Ariane*, dont il ne semblait guère sûr. ### Vue d'ensemble rétrospective. Les règles normatives du classicisme étaient probablement trop fortes, et lui-même trop doux peut-être, pour que la diversité audacieuse des sujets traités par Thomas Corneille se retrouve dans le style de ses pièces, généralement pondéré et tendre. Cependant, à part sa poignée de « tragédies raciniennes » qui tendent à la simplicité, l'œuvre entière de Thomas Corneille, des premières comédies à l'espagnole aux grands spectacles des années 1670 et 1680, est parcourue par la tentation du fantasque, des péripéties imprévues ou fantastiques ; auteur classique, Thomas Corneille semble visité par le fantôme de la liberté du début du siècle. Ce n'est probablement pas par hasard qu'il se révèle un adepte enthousiaste du quiproquo tragique, jusque dans *Ariane* ou *Essex*. Si dans ces deux pièces la situation est purement épouvantable, le même procédé, dans *Antiochus* ou *Timocrate*, a des reflets souriants qui introduisent au sein même d'une œuvre une incertitude quant à son genre. Entre *Le Geôlier de soi-même* et *Timocrate*, deux tentatives d'un théâtre haletant aux couleurs variées, il n'y a jamais qu'un an de différence, et sans le personnage burlesque de Jodelet qui marque le *Geôlier* de son empreinte, peut-être trouverait-on les deux pièces plus cousines qu'elles ne le paraissent. Il n'est pas étonnant, face à cette diversité, que Collins l'ait qualifié de *protean dramatist*. Faut-il considérer pour autant avec M. Reynier [27] que son oeuvre souffre de la dispersion de ses efforts ? Cela ne nous semble pas évident : le talent propre de Thomas Corneille réside entre autres dans la virtuosité avec laquelle il s'est conformé, et parfois contraint, aux lois des genres qu'il abordait. Il faudrait regretter, bien au contraire, qu'un homme capable de réussites aussi diverses que *Le Geôlier de soi-même* et *Ariane* n'eût labouré qu'un seul sillon. On voudra bien nous pardonner ces longs développements ; l'oeuvre touffue de Thomas Corneille nous semble les mériter, et la question des règles et de la généricité n'est pas sans importance pour la présentation de *La Mort d'Achille*. # Création et réception de La Mort d'Achille. La création de *La Mort d'Achille* marque la rencontre d'un auteur et d'une troupe, rencontre qui se solda par un échec, mais ne fut pas sans lendemain. Chacun sait que Molière mourut, en février 1673, à l'issue de la quatrième représentation du *Malade Imaginaire*. La troupe du Palais-Royal, privée de son chef, et du meilleur de ses auteurs attitrés, privée bientôt de sa salle au bénéfice de Lully, était dans une situation délicate [28]. Après la fermeture annuelle des théâtres, quatre acteurs, dont Baron et La Thorillière, rejoignirent l'Hôtel de Bourgogne. Rosimont, le meilleur acteur du Théâtre du Marais, était venu remplacer Molière au pied levé afin que la saison pût s'achever correctement – le Marais, dont la situation n'était déjà pas florissante, se trouvait donc également gêné par contrecoup. Les deux troupes convoitant le théâtre du marquis de Sourdéac, que celui-ci se disposait à louer, le roi leur enjoignit de fusionner. Colbert se chargea de l'opération, et fit admettre les meilleurs éléments du théâtre du Marais dans l'ex-troupe du Palais-Royal. L'ordonnance du 23 juin 1673 alloua le théâtre de M. de Sourdéac à la nouvelle compagnie, que l'on prit l'habitude de désigner sous le nom de « troupe de Guénégaud ». Les représentations commencèrent en juillet par des reprises, principalement des comédies de Molière. Mais la troupe, devant assurer sa réputation par des créations prestigieuses, fit appel à Thomas Corneille. Celui-ci était encore auréolé du remarquable succès d'*Ariane*, que n'avait pas effacé l'échec de *Théodat* en novembre de la même année 1672. Il s'agissait de trouver un rival à Racine, dont les tragédies remplissaient l'Hôtel de Bourgogne, et Thomas Corneille était donc tout indiqué [29], bien que ses relations avec Molière semblent avoir été froides (Thomas n'avait jamais confié de pièce au Palais-Royal, et Molière, on l'a vu, lui avait réservé des piques). C'est peut-être Donneau de Visé qui mit en rapport les comédiens avec notre auteur, probablement ravi de quitter l'Hôtel de Bourgogne, dont l'auteur vedette était désormais Racine [30]. *« On ne peut s'empêcher de penser que Corneille s'efforçait avec une ardeur toute particulière de créer un chef-d'oeuvre avec* Achille * »*, remarque fort justement Collins [31]. *La Mort d'Achille* fut annoncée fort à l'avance, ce qui témoigne des grands espoirs qu'on y plaçait. Le *Mercure Galant* (tome VI, p. 248-250), dont le directeur Donneau de Visé était tout dévoué à son futur associé, rend compte de façon extrêmement élogieuse d'une lecture publique de la pièce. Le passage est court, nous le reproduisons ici [32]. On s'entretint de *la mort d'Achille*, de M. Corneille le jeune, que la Troupe de Guénégaud devoit bientôt représenter ; & quelques gens qui s'étoient trouvés à une lecture de ce grand ouvrage, où étoit M. le Duc de Richelieu, dirent qu'ils n'avoient jamais rien vû de si beau que cette Tragédie, & que ce Duc, qui s'y connoît parfaitement, avoit dit qu'elle surpasseroit son Ariane, dont vous sçavez que le succès a été très-grand, & même avec justice, puisque ce fameux Auteur n'a point d'autres partisans que son mérite. Après avoir parlé de cette Piéce, on s'entretint de la Troupe qui la devoit jouer, & l'on dit qu'elle réussissoit admirablement bien dans tout ce qu'elle représentoit, & que les grandes assemblées, qui depuis son établissement, avoient accompagné toutes ses représentations, en étoient une marque infaillible. Le 10 novembre, la troupe de Guénégaud créa *Le Comédien poète*, comédie de Montfleury et Thomas Corneille, dont le succès d'estime (dix-huit représentations) fut à la gloire du premier. Le vendredi 29 décembre, *La Mort d'Achille* fut donc représentée pour la première fois, avec une recette médiocre de 666 livres (si l'on en croit le registre de La Grange). La représentation suivante étant un dimanche, la recette s'éleva mécaniquement, pour retomber au dessous de 500 livres dès le mardi. Le dimanche suivant, la pièce fut accompagnée des *« medecins »*, c'est à dire de *L'Amour médecin* de Molière, sans grand résultat. Le vendredi 12, *L'Amour médecin* fut remplacé par *George Dandin* et la recette remonta nettement, sans être exceptionnelle [33]. Selon La Grange, la dernière représentation eut lieu le 14 janvier 1674. On a tout lieu de croire que ce fut en fait le 16. Probablement les recettes avaient-elles encore baissé [34]. La pièce a donc connu huit ou neuf représentations au théâtre de Guénégaud. Une représentation exceptionnelle fut donnée à Saint-Germain le 20 janvier [35], et la carrière scénique de *La Mort d'Achille* s'arrêta là. La pièce fut imprimée assez vite : l'édition originale, parue chez Claude Barbin, date de 1674, avec un privilège en date du 13 ou du 15 mars (incertitude due aux pattes de mouche du registre des privilèges) [36]. Elle fut piratée par des libraires hollandais, reprise dans des recueils factices, et dans toutes les éditions collectives du théâtre de Thomas Corneille. On trouvera plus de détails à ce sujet dans la *Note sur la présente édition* de la page XLI. Ce relatif succès de librairie témoigne plus probablement de l'estime généralement accordée à Thomas Corneille que d'un revirement d'opinion du public : la pièce ne fut pas reprise, et l'éditeur de la première copie hollandaise songeait probablement dès le début à une diffusion en recueils. Il est notable, cependant, qu'au milieu des années 1670, le seul nom de Thomas Corneille suffisait à assurer un certain succès de librairie. L'auteur et les comédiens furent probablement d'accord ensemble pour se partager les responsabilités de l'échec, et demeurèrent bons amis : c'est à l'intention du théâtre Guénégaud, qui bénéficiait du savoir-faire en la matière des anciens comédiens du Marais et du Palais-Royal, et des splendides machines de la salle du marquis de Sourdéac [37], que Thomas Corneille se tourna vers les pièces à machine ; c'est ensemble qu'ils tentèrent de briser le monopole de Lully sur les spectacles musicaux avec *Circé* ; c'est à Thomas Corneille enfin qu'Armande Béjart fit l'honneur de commander la mise en vers de *Dom Juan*. C'est cependant à l'Hôtel de Bourgogne que Thomas confia sa tragédie (non lyrique) suivante, *Le Comte d'Essex*, qu'il n'écrivit que cinq ans après un échec qui semble avoir été douloureux ; mais il ne cessa pas pour autant sa collaboration avec la troupe de Guénégaud. Il est vrai que la troupe de Molière, contrairement aux affirmations de Donneau de Visé (voir plus haut), n'avait jamais brillé dans le genre tragique, et que le théâtre du Marais n'était plus, au moment de la fusion, celui qui avait vu la création du *Cid*. Les principales vedettes de la nouvelle troupe (Armande Béjart, La Grange, Rosimont) avaient obtenu leurs plus grands succès dans la haute comédie [38]. On ignore tout de la distribution de *La Mort d'Achille*, même si l'édition des oeuvres de Thomas Corneille dans la *Petite bibliothèque des théâtres*, publiée en 1786, soit plus de cent ans après les faits, prétend que le rôle d'Achille était tenu par un ancien garçon menuisier. Cette « précision » permet de rapporter une anecdote qui semble controuvée et a dû servir plus d'une fois [39] ; par ailleurs il ne semble pas qu'aucun des acteurs de la troupe de Guénégaud ait été menuisier. Malgré certaines suppositions tentantes, toute tentative de reconstitution de la distribution relève malheureusement du roman. # L'intrigue et ses sources. ## Petite digression sur la Guerre de Troie. L'action de *La Mort d'Achille*, inspirée de l'*Iliade* et des récits de Dictys de Crète et Darès de Phrygie, a pour cadre le siège de Troie par l'armée grecque ; il n'est peut-être pas inutile d'en rappeler les circonstances, auxquelles le texte fait de nombreuses allusions. Pâris, également appelé Alexandre, fils de Priam, roi de Troie en Phrygie (le nord-ouest de la Turquie actuelle), avait été abandonné dans la montagne par ses parents, après que sa mère Hécube eut fait un songe prédisant que le petit prince serait la cause du malheur de la cité. Sauvé par des bergers, élevé parmi eux, et devenu célèbre pour sa beauté, il fut choisi par les déesses Héra, Pallas et Aphrodite, afin de désigner la plus belle d'entre elles. Son choix se porta sur Aphrodite, qui lui avait promis l'amour de la plus belle femme du monde. Or la plus belle femme du monde était Hélène, fille de Tyndare et de Léda. Son père, embarrassé par l'afflux des soupirants, suivit le conseil d'Ulysse et fit jurer aux prétendants de sa fille de respecter son choix et de venir tous en aide, le cas échéant, à celui d'entre eux qui serait choisi. Ménélas, frère d'Agamemnon, épousa Hélène et devint roi de Sparte après Tyndare. Or Pâris, réconcilié entre-temps avec ses parents, enleva Hélène et l'emmena avec lui à Troie. Liés par leur serment, bien que certains s'en mordissent les doigts (à commencer par Ulysse qui simula la folie pour ne pas avoir à combattre), les anciens prétendants d'Hélène — c'est à dire, chacun amenant avec lui ses alliés, tous les princes de la Grèce, mirent le siège devant Troie, sous le commandement d'Agamemnon. Le siège dura dix ans. C'est au cours de la neuvième année que se situent les événements qui font le sujet de l'*Iliade* d'Homère : Le héros grec Achille, roi des Myrmidons, et Agamemnon se disputant une captive, Briséis, Achille furieux se retira dans sa tente et refusa de combattre : il était le seul des princes grecs à n'être pas lié par le serment fait à Tyndare. Sans l'aide de son bras vigoureux, les Grecs manquèrent d'être rejetés à la mer et Hector, le plus vaillant fils de Priam, tua Patrocle, le meilleur ami d'Achille. Alors la colère de ce dernier s'apaisa, ou plutôt changea d'objet et, revenant au combat, Achille tua Hector, dont il humilia le corps avant de le rendre aux Troyens, ému par une visite de la famille royale, ce qui est l'occasion d'une trêve. C'est ici que se termine *L'Iliade* et que commence notre pièce. Après la mort d'Achille, l'équilibre se fit à nouveau entre les deux camps, privé chacun du plus vaillant de ses guerriers. Ce n'est que par une ruse d'Ulysse, qui, après le feint départ de la flotte, dissimula des soldats grecs dans les flancs d'un cheval de bois que les Troyens prirent pour un présent des dieux, que la ville fut prise, et mise à sac avec cruauté. Le retour dans leurs foyers des héros grecs fait l'objet de légendes aussi inépuisables que le siège lui-même. ## Synopsis de La Mort d'Achille. ### Acte premier. 1. Pyrrhus, fils d'Achille, étant épris de Polixene, fille de Priam, Briseis, captive aimée de son père, lui assure qu'elle obtiendra le consentement d'Achille au mariage des deux jeunes gens, qui pourrait garantir une paix définitive que Troie, privée de son plus grand soutien depuis la mort d'Hector, est prête à accepter inconditionnellement. Briseis y trouverait elle-même de l'intérêt, car Achille lui a promis de lui rendre son trône à la fin du conflit. Elle a en outre de la sympathie pour Polixene et veut s'assurer du consentement de la jeune fille. 2. Polixene vient elle-même demander à Briseis de plaider pour la paix, dont l'établissement est urgent car la trêve doit expirer dans vingt-quatre heures. Elle garantit que Troie rendra Hélène sans que Paris ait son mot à dire. Briseis lui propose alors d'épouser Pyrrhus, qui rappelle à Polixene le temps où, captif des Troyens, il lui faisait la cour. Polixene l'assure que cette cour l'a touchée, mais la perspective d'épouser le fils du meurtrier de son frère la trouve réticente. Elle l'accepte cependant pourvu qu'il ne lui soit pas demandé d'en avoir l'initiative. 3. Briseis étant partie à la recherche d'Achille, Polixene tente de convaincre Pyrrhus de renoncer à elle, effrayée par une prophétie selon laquelle Achille serait son bourreau si elle se mariait, ce qui lui fait craindre la reprise des combats. Pyrrhus n'en veut rien croire et craint d'avoir perdu sa faveur. Elle l'assure alors de son amour avant de le quitter. ### Acte II. 1. Achille déclare à son confident Alcime qu'il veut obtenir la paix en épousant Polixene, dont il est lui-même tombé amoureux lorsqu'à ses genoux elle le priait de rendre le corps d'Hector. Alcime lui reproche alors l'infidélité dont il se rend coupable envers Briseis. Mais Achille compte acheter sa liberté en rendant sa couronne à Briseis. Après avoir rendu lui-même les honneurs funèbres à Hector, il ne craint pas la rancune des Troyens. Briseis s'approchant, il décide de garder ses intentions secrètes. 2. Briseis vient presser Achille, au nom de Polixene, de consentir à la paix. Proposant que Pyrrhus épouse la jeune fille, elle lui apprend leur amour réciproque. Achille lui assure que le « l'alliance d'Achille » sera « le sceau de la paix ». Briseis comprend que Polixene épousera Pyrrhus et se retire. 3. Achille se lamente d'être le rival de son fils, mais considère que ce dernier doit s'effacer respectueusement devant son père. Il craint cependant que, l'amour ne s'arrêtant pas au mérite, Pyrrhus ne soit aimé de Polixene. 4. Pyrrhus, auquel Briseis a fait part de l'accord supposé d'Achille, vient remercier son père, et augmente ses malheurs en lui assurant qu'il est aimé de Polixene. Achille n'a garde de dissiper le malentendu, et tâche seulement de modérer l'enthousiasme du jeune homme. 5. Accablé de malheurs, tenté de se sacrifier avec générosité, Achille décide cependant d'écouter son amour plutôt que la vertu, et d'aller sur le champ négocier avec Priam. ### Acte III. 1. Priam et Achille sont en train de négocier. Antilochus confie à Pyrrhus que selon la rumeur, la paix serait sur le point d'être signée, aux conditions que Paris rende Hélène, et que le sang d'Achille soit uni à celui de Priam, nouvelle formule ambiguë que Pyrrhus interprète dans un sens favorable. 2. Achille revenant de la négociation, Pyrrhus le comble de remerciements. Achille lui avoue alors que ce n'est pas lui qui épousera Polixene, mais sans préciser le nom de l'heureux élu. Pyrrhus prétend alors immoler ce dernier, quel qu'il soit. Achille lui reprochant son irrespect et son manque de mesure, il demande alors à mourir, faute de quoi il ne pourra s'empêcher de tuer son rival. Achille lui déclare alors que ce rival a son appui, et que Pyrrhus ne saurait le tuer sans le tuer, lui – déclaration à double sens qu'évidemment Pyrrhus ne peut comprendre. 3. Resté seul avec Pyrrhus, Antilochus se déclare surpris de la « rigueur » d'Achille, dont Pyrrhus lui-même maudit la « barbarie ». 4. Pyrrhus apprend à Briseis la funeste nouvelle, et soupçonne Agamemnon d'être le rival qu'on lui préfère. Briseis se déclare prête à convaincre Achille de relancer la guerre, mais Pyrrhus ne veut pas que Polixene ait à souffrir la reprise du conflit. Considérant qu'à part lui, chacun peut se féliciter du traité, il se prépare à une vengeance solitaire. 5. La mauvaise nouvelle ne surprend pas la sombre Polixene, qui se déclare criminelle. Après un léger malentendu, elle apprend à Briseis et Pyrrhus que c'est Achille lui-même qui a obtenu sa main. La consternation est à son comble. Briseis et Pyrrhus pressent alors Polixene, en sa qualité de nouvelle favorite d'Achille, d'aller demander la pitié de ce dernier. Polixene se déclare prête à mourir si celui-ci demeure inflexible. 6. Briseis se reproche d'avoir elle-même causé son malheur en présentant Polixene à Achille. Elle et Pyrrhus décident d'aller implorer l'aide des autres généraux grecs. ### Acte IV. 1. Alcime rapporte à Achille la faveur générale que rencontre le traité, à l'exception de Paris désespéré d'avoir à rendre Hélène. Si certains généraux grecs blâment Achille de n'avoir pas fait plutôt épouser Pyrrhus à Polixene, ils ne se réjouissent pas moins de la paix. Achille cependant est sujet au remords, et surtout aux reproches de Polixene. Il ne change pas d'intentions pour autant. 2. À Polixene, il fait valoir que son mérite devrait lui valoir une estime capable de se changer en amour. Polixene lui déclare son estime mais lui refuse tout espoir. Elle lui suggère d'augmenter sa gloire en montrant sa générosité. Elle plaide pour Pyrrhus, puis pour Briseis, mais Achille refuse de recevoir un conseil intéressé. Il prétend lui rendre sa liberté, mais lui donne en fait à choisir entre le mariage et le massacre des siens. Elle cède alors mais en appelle à la justice divine. 3. Achille tente d'empêcher Briseis de lui faire des reproches en lui rendant sa couronne et en lui offrant Pyrrhus pour escorte. Elle rejette ses offres et proclame son mépris du pouvoir. Achille marque alors de l'impatience. Briseis cependant, comprenant la souffrance d'Achille, lui propose son soutien moral pour se vaincre lui-même. Il veut briser là l'entretien ; elle le couvre alors de malédictions. N'y tenant plus, il la laisse seule. 4. Furieuse, Briseis songe à tuer Polixene, mais considérant qu'Achille est seul coupable, elle appelle une dernière fois la vengeance des dieux sur sa tête. Espérant toutefois gagner quelques jours, elle s'en va tenter une dernière ambassade auprès de Priam. ### Acte V. 1. Ilione achève de parer Polixene, attendue au temple par Achille pour la cérémonie nuptiale. La princesse troyenne songe confusément au suicide. 2. Pyrrhus vient présenter ses adieux à Polixene. Celle-ci le blâme de venir augmenter ses chagrins, et rappelle la prophétie qui la chagrinait (à l'acte I) et qui est en train de s'accomplir. Polixene demande à Pyrrhus de ne jamais chercher à la revoir. 3. Briseis vient rapporter l'échec de sa démarche. Eplorée, Polixene sort après quelques paroles confuses. 4. Briseis et Pyrrhus font assaut de plaintes. 5. Antilochus survient : Paris, dit-il, désespéré d'avoir à rendre Hélène, s'est rué dans le Temple. Achille est en danger. N'écoutant que son devoir filial, Pyrrhus vole au secours de son père. 6. Briseis prend conscience qu'elle ne veut pas véritablement la mort d'Achille. 7. Alcime vient annoncer à Briseis qu'Achille est mort sous les coups de Paris et que ses dernières pensées ont été pour rendre justice à Briseis et se repentir de ses trahisons. Briseis est déchirée par le remords. Son intention est de demander à Agamemnon la reprise des combats, puis de mettre fin à ses jours. Est-il besoin de préciser que Thomas Corneille respecte scrupuleusement les unités de temps et de lieu [40], ainsi que la liaison des scènes. L'unité d'action, la vraisemblance et la bienséance, quant à elles, feront l'objet d'une discussion dans les pages qui suivent. ## Sources antiques et anciennes : Homère, Dictys, Darès. Ni l'une ni l'autre des deux épopées homériques ne traitent véritablement de la mort d'Achille. Celle-ci est annoncée dans *L'Iliade* (XIX, v. 400 et suivants, et XXII, v. 350 et suivants, où elle est située devant une porte de la ville) et hante le héros, mais la question est laissée en suspens à la fin. Dans *L'Odyssée*, (début du chant XXIV) l'ombre d'Agamemnon évoque la mort d'Achille au combat, entouré de guerriers. Tout ceci est incompatible avec notre tragédie. Homère n'a donc fourni à Thomas Corneille que des détails, généralement destinés à exposer le passé immédiat des personnages, et qui ont l'avantage d'établir une complicité entre l'auteur et ses spectateurs ou lecteurs lettrés, qui ne manqueront pas d'y prendre garde. La source principale de *La Mort d'Achille* est constituée par les récits, en de nombreux points semblables, attribués à Dictys de Crète (*Histoire de la Guerre de Troie*) et Darès de Phrygie (*Histoire de la ruine de Troie*), censés être respectivement un compagnon du héros grec Idoménée et un prêtre troyen confident d'Hector [41]. Il s'agit de textes latins supposés reprendre des originaux grecs. Alors que de nombreuses sources antiques (Ovide dans les *Métamorphoses*, Euripide dans *Les Troyennes*, entre autres) rapportent que Polyxène fut sacrifiée aux mânes d'Achille lors du sac de Troie, ils sont seuls, semble-t-il, à se faire l'écho de l'amour d'Achille pour la princesse troyenne. Comme, au contraire de l'*Iliade*, leur narration se passe de l'intervention des dieux, ils furent longtemps considérés comme des documents historiques, opinion encore largement répandue au temps de Thomas Corneille puisque M. Achaintre, auteur au début du dix-neuvième siècle d'une traduction de Dictys, pose encore dans sa préface la question de la fiabilité du récit [42]. Cette opinion fait bien entendu sourire le lecteur moderne, notamment lorsqu'il constate que Darès, supposé Troyen, s'indigne perpétuellement de la lâcheté de ses compatriotes. Voici les faits que la lecture de Dictys proposait à Thomas Corneille : Dans le temple d'Apollon Thymbréen, situé en dehors des murailles de Troie, la reine Hécube et sa suite vont rendre des honneurs au dieu lors d'une trêve. Achille les y rencontre, voit Polyxène, et s'en éprend (III, 2). Il demande la main de la jeune princesse, qu'on veut bien lui accorder pourvu qu'il livre l'armée grecque, ce qu'il refuse (III, 3). Après les décès de Patrocle et d'Hector, la famille royale troyenne vient supplier Achille de leur rendre le corps du héros troyen (III, 20-23 [43]). Polyxène en particulier se jette à ses genoux. Emu aux larmes à la vue de la princesse, Achille invite la famille de Priam à sa table (III, 24) et Priam propose à Achille la main de sa fille (III, 27). Quelque temps plus tard, furieux d'être sans nouvelles de Priam, Achille fait égorger ses fils Troïle et Lycaon, faits prisonniers par l'armée grecque (IV, 9). Une nouvelle trêve ayant été conclue en l'honneur d'Apollon, le héraut troyen Idée et Achille ont une entrevue dans un bois sacré, pour discuter les termes du mariage entre Achille et Polyxène (IV, 10). Mais Pâris et son frère Déiphobe, survenant, tuent Achille par surprise (IV, 11). Le récit de Darès ne diverge de celui de Dictys que sur des points de détail : Hector est déjà mort lorsqu'Achille rencontre Polyxène au temple, précisément à l'occasion de l'anniversaire de la mort du prince troyen, et Achille la fait demander en mariage sur le champ, mais essuie un refus (ch. XXVII) ; Achille ayant tué Troïle au combat, après avoir longtemps cessé de combattre afin de plaire à Polyxène, les Troyens finissent par feindre de consentir à son mariage : c'est un piège et, parvenu dans le temple d'Apollon Thymbréen, Achille y est tué par Pâris (ch. XXXIV). On voit que Thomas Corneille n'a gardé de ces sources que l'essentiel : Achille, épris de Polyxène, est tué par Pâris dans un lieu sacré où il se proposait d'épouser la jeune fille. De Dictys, Thomas choisit également de conserver l'ambassade de la famille royale auprès d'Achille, mais il supprime la première rencontre entre Achille et Polyxène au temple d'Apollon. Supprimant également le meurtre de Troïle, il doit fournir une nouvelle motivation au geste de Pâris. Ovide, au livre XII des *Métamorphoses* (vers 580-628), rapporte également qu'Achille fut tué par Pâris, mais il justifie sa mort par une colère divine et non par son amour pour Polyxène. Les circonstances de l'événement rappellent par ailleurs les indices donnés par Homère. Le fait intéressant est qu'Apollon guide lui-même la flèche par laquelle Pâris tue Achille. Or dans la tragédie de Thomas Corneille, la mort d'Achille répond à l'appel lancé par Polixene à la justice divine, et surtout aux malédictions de Briseis – elle-même du moins en est persuadée (cf. V, 7, v. 1670-1671). Cette main invisible des Dieux est peut-être une réminiscence d'Ovide, mais il est impossible d'en apporter la preuve. On peut remarquer que ces sources antiques n'accordent de rôle ni à Briséis, ni à Pyrrhus. Ces deux personnages ne sont pas ignorés de Dictys (qui appelle Briséis de son véritable nom d'Hippodamie) ni de Darès (qui désigne Pyrrhus par son autre nom de Néoptolème), mais Briséis ne joue aucun rôle dans l'épisode de la mort d'Achille (elle ne fait même, dans l'ensemble du récit de Darès, que de la figuration) ; quant à Pyrrhus, il n'arrive au siège de Troie qu'après la mort de son père. Chez Darès, bien loin d'être épris de Polyxène, c'est lui qui la sacrifie aux mânes d'Achille (ch. XLIII). Thomas Corneille n'a donc pas puisé le rôle qu'il fait tenir à ces deux personnages dans ses sources antiques, mais bien plutôt dans le théâtre de ses contemporains. Si le choix du sujet relève d'une tradition antique, son traitement s'inscrit dans l'histoire du théâtre du XVII*e* siècle. ## Sources modernes : Hardy, Benserade, Racine... et Thomas Corneille. ### Les *Mort d'Achille* de Hardy et de Benserade. Deux auteurs du XVII*e* siècle s'étaient, avant Thomas Corneille, inspirés de Dictys et Darès pour composer des tragédies sur la mort d'Achille. Alexandre Hardy (1572 ? - 1632 ? ), l'un des fondateurs du théâtre français, a publié dans son *Théâtre* une tragédie intitulée *La Mort d'Achille* ou *Achille* (le texte imprimé propose les deux titres), probablement représentée en 1607. Isaac de Benserade (1613 ? - 1691), poète galant qui se consacra au théâtre dans sa jeunesse, écrivit en 1636 une autre tragédie, *La Mort d'Achille & la dispute de ses armes*. Hardy reprend ses sources à la lettre, suivant tantôt Dictys et tantôt Darès selon sa fantaisie. Bien loin de faire du mariage de Polyxène la condition de la paix, il montre le camp grec consterné par l'amour d'Achille pour Polyxène, une idée qu'il a trouvée chez Dictys, et la conspiration générale du camp troyen contre Achille — Polyxène est même invitée à feindre de tendres sentiments pour le héros grec, et Hardy compose une longue scène d'amour (III, 2) où Achille est dupé. Après que Pâris et Déiphobe ont assassiné Achille, le cinquième acte est consacré à une authentique bataille rangée entre Grecs et Troyens pour l'obtention de ses armes. Probablement bien oubliée en 1673, cette version ne semble pas avoir inspiré Thomas Corneille, sauf négativement : Hardy postule la haine des Troyens envers Achille, sans la faire dépendre de la mort de Troïle ; s'il a connu la pièce de Hardy, ce qui n'est pas sûr, Thomas a pu se sentir encouragé à abandonner cet épisode. La tragédie de Benserade, aussi archaïque dans sa construction que celle de Hardy (Achille meurt au quatrième acte, et le cinquième est constitué par la dispute de ses armes, cette fois entre Ulysse et Ajax fils de Télamon), s'en inspire en de nombreux points (l'intervention de l'ombre de Patrocle au premier acte, représentée chez Hardy et contée chez Benserade, par exemple). Mais il montre Priam et Polyxène aux genoux d'Achille, rétablit l'épisode de la mort de Troïle (IV, 1) et ajoute un élément de son cru : le rôle important confié à Briséis (qu'il nomme Briséide, autre forme du même surnom désignant Hippodamie, fille de Brisès). Présente tout au long du premier et du troisième acte, elle y témoigne successivement à Achille son inquiétude pour sa vie, et sa jalousie envers Polyxène, jalousie qu'elle décide de faire taire à l'issue d'une longue scène de reproches (située en III, 2, au centre de la pièce, là même où Hardy avait placé la scène entre Achille et Polyxène). On apprend à la fin du quatrième acte qu'elle s'est suicidée après avoir appris la mort d'Achille, projet qu'elle ne fait que formuler chez Thomas. Il est clair que c'est Benserade qui a suggéré à Thomas Corneille l'intervention de Briséis – et par là un aspect essentiel de sa pièce. ### La question de l'influence racinienne. La principale différence entre Thomas Corneille et ses devanciers tient à la conduite du sujet, débarrassé de la plupart de ses incidents (mort de Troïle, préparation du guet-apens, dispute du corps ou des armes du héros mort). Contrairement à Hardy et Benserade, notre auteur ne fait apparaître sur scène aucun membre de la famille royale troyenne autre que Polixene, ni aucun chef grec à l'exception d'Achille lui-même. Thomas a donc fort éloigné le sujet de la légende originelle, pour en faire une chaîne amoureuse à quatre personnages, héritée de la pastorale. Le personnel dramatique se limite à ces quatre personnages et leurs confidents : la tragédie naît des passions des héros, et non pas d'un obstacle extérieur. Ce n'est pas une conséquence automatique de la chaîne pastorale : le *Suréna* de Pierre Corneille en est un contre-exemple intéressant. Cette économie dans le choix des acteurs et la présence de Pyrrhus parmi les personnages principaux rappellent clairement l'*Andromaque* (1667) de Racine : de même qu'Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque, de même ici Briseis aime Achille qui aime Polixene qui aime Pyrrhus. La chaîne cependant se clôt différemment chez chacun des deux auteurs : alors qu'Andromaque aime Hector, qui est mort, et son fils, qui est menacé, le Pyrrhus de Thomas Corneille aime Polixene en retour. De plus on ne peut déceler aucune influence de Racine sur Thomas quant à la conduite de l'action. Il est donc clair que notre auteur n'a pas cherché à refaire *Andromaque*. Cependant la similitude des situations, et du personnel dramatique, montre qu'à nouveau, après le succès d'*Ariane*, Thomas Corneille a mis ses pas dans ceux de Racine à la recherche d'une tragédie galante débarrassée de l'influence romanesque. Par ailleurs, il semble redevable à son cadet de l'idée de faire de Pyrrhus le quatrième personnage de la chaîne amoureuse, au lieu d'Agamemnon, par exemple, qu'il cite dans son texte comme une sorte d'hypothèse de personnage, qui aurait pu prétendre à l'amour de Polixene (III, 4, v. 864) *ou* de Briseis (IV, 1, v. 1059-1060), ce qui eût donné lieu à une toute autre pièce. On ne peut exclure non plus que les remords de Briseis, qui a souhaité et obtenu la mort de son amant infidèle, ne soient inspirés de ceux d'Hermione (*Andromaque*, V, 3). Si l'on s'intéresse aux détails de l'action, la proposition qu'Achille fait à Briseis de lui rendre ses Etats en compensation de son abandon n'est pas sans rappeler le sujet de la *Bérénice* de Racine (1670). Enfin, la rivalité amoureuse d'un fils et de son père est au coeur de *Mithridate*, représenté au début même de l'année 1673, soit quelques mois avant que Thomas Corneille n'écrive *La Mort d'Achille*. De tous les éléments du sujet où l'influence de Racine se fait sentir, celui-ci est cependant le moins évident, malgré la séduction du rapprochement chronologique. Thomas Corneille en effet n'avait pas besoin de chercher chez un confrère ce qu'il pouvait trouver dans ses propres oeuvres. ### Auto-influence : *La Mort d'Achille* dans l'œuvre de Thomas Corneille. Il nous faut tout d'abord dire un mot de *Pyrrhus, roi d'Epire* (1663) : le héros en est bien, en effet, Pyrrhus fils d'Achille — même si Thomas fait tout pour le cacher. Outre que l'Epire est bien le royaume que la légende attribue à Pyrrhus, celui-ci est désigné comme le fils d'AEacidès — ce qui est l'un des surnoms homériques d'Achille : l'Eacide ou petit-fils d'Eaque. L'AEacidès de Thomas Corneille est censé être mort victime d'une sédition, alors que son fils était au berceau ! *Pyrrhus, roi d'Epire* est en fait un démarquage de l'*Héraclius* (1647) de Pierre Corneille, ainsi que du *Tyridate* (1648) de Boyer dont proviennent certains détails (le rôle du seigneur ambitieux, notamment) ; la toile de fond mythologique n'est ici qu'une façon pour Thomas de ne pas sembler avoir inventé son sujet de toutes pièces (audace inimaginable), bien que rien dans la légende de Pyrrhus n'évoque cette histoire d'enfants interchangés. Thomas va jusqu'à nommer la sœur de son Pyrrhus Déidamie (qui selon la chronique était le nom de sa mère [44]), et Neoptolemus le tyran usurpateur (alors que Néoptolème est un des noms de Pyrrhus ! ). Il est donc inutile de chercher à compléter les deux pièces l'une par l'autre. L'intrigue d'*Ariane*, qui était le précédent succès de notre auteur, comporte un élément commun avec celle de *La Mort d'Achille* : on y voit un héros fameux (Achille ou Thésée) quitter une femme auprès de laquelle il était engagé (Briseis ou Ariane) pour une autre (Polixene ou Phèdre). Notre auteur a donc manifestement continué d'explorer une voie thématique qu'il s'était ouverte avec *Ariane* ; on verra que *La Mort d'Achille* surenchérit dans cette direction. Enfin, *Antiochus* présentait déjà la rivalité d'un fils et de son père. Il est fort intéressant de comparer l'action de cette pièce avec celle de *La Mort d'Achille* : d'un postulat semblable, Thomas Corneille a tiré deux œuvres tout à la fois parallèles et fortement dissemblables. Antiochus, sachant qu'il aime la même femme (Stratonice) que son père Séleucus, se sacrifie par devoir filial, garde son amour secret, et sombre dans la mélancolie. Lorsqu'il vient à l'apprendre, Séleucus, considérant son âge avancé, se sacrifie à son tour en faveur de son fils. Quant à Stratonice, amoureuse d'Antiochus, elle est prête néanmoins à épouser Séleucus si la raison d'Etat l'exige. Chacun tenant à se sacrifier pour le bonheur des autres fait assaut de générosité, et Antiochus renchérit sur sa propre volonté de s'effacer, bien que plus personne ne s'oppose à son mariage avec Stratonice. La pièce, grave mais parfois souriante, et qui comporte des ressorts de comédie (un quiproquo basé sur une substitution de portraits fait croire à tout le monde qu'Antiochus soupire en fait pour sa cousine Arsinoé), est un drame de la générosité et de l'altruisme qui ne pouvait que bien finir : on ne s'étonnera pas que son auteur l'ait qualifiée de tragi-comédie. *La Mort d'Achille* en revanche voit son dénouement tragique amené par l'obstination égoïste d'Achille, qui décide de faire passer avant tout l'intérêt de sa passion, de sorte que la pièce, exactement à l'inverse d'*Antiochus*, est un drame de l'égoïsme. On peut également remarquer que les deux pièces reposent, en partie du moins, sur un quiproquo : à la substitution des portraits qui fait croire à l'amour d'Antiochus pour Arsinoé, répond l'ambiguïté d'Achille, qui décide de laisser croire à son fils qu'il va épouser Polixene. Même si l'on ne peut répondre des intentions de Thomas Corneille, la lecture des deux pièces en regard l'une de l'autre est suffisamment enrichissante pour que nous nous permettions d'y voir, *a posteriori*, une sorte de diptyque. ### Note sur les noms des confidents. Les noms des quatre personnages de confidents ne sont pas choisis au hasard par Thomas Corneille ; ils sont chargés d'une aura intertextuelle qui, dès le dix-septième siècle, a pu plaire aux spectateurs et aux lecteurs de la pièce, et qui renvoie aux sources de Thomas Corneille. **Alcime** et **Antilochus** sont des personnages de l'*Iliade*. Alcime est, au chant XXIV du poème d'Homère, présenté comme un compagnon d'Achille, « qu'il chérit entre tous les siens après Patrocle mort » (XXIV, v. 574). Déjà Benserade donnait à Achille un « escuyer » nommé Alcimède, nom probablement dû à la contamination entre le nom d'Alcime et celui d'Automédon, le cocher du héros. Antilochus, quant à lui, doit probablement être identifié avec Antiloque fils de Nestor, jeune et vaillant guerrier bien connu des lecteurs de l'*Iliade*. La forme latine de son nom, utilisée par Thomas Corneille, lui vient de Darès qui (ch. XXXIV) mentionne qu'il accompagnait Achille au temple d'Apollon et mourut à ses côtés. Deux anomalies cependant viennent perturber cette identification : jamais Thomas Corneille ne désigne Antilochus comme fils de Nestor, et surtout il vouvoie Pyrrhus qui le tutoie (cf. III, 3, v. 823 et 835) ; cet emploi des pronoms personnels, d'usage entre un héros et son confident, ne devrait pas l'être si l'on considère que Pyrrhus et Antilochus, tous deux fils de roi, sont de rang égal. Il est vrai que l'Oreste et le Pylade de Racine (*Andromaque*) n'en usent pas autrement. Le nom de la confidente de Polixene, **Ilione**, la bien nommée, signifie tout simplement « la Troyenne », Ilion étant l'autre nom de Troie. Enfin **Phenice** est un nom par excellence de confidente de tragédie ; on le trouve dans la *Sophonisbe* de Mairet et, plus proche de la rédaction de *La Mort d'Achille*, dans *Bérénice* de Racine... et justement dans *Antiochus* ! C'est par ailleurs un nom qui évoque celui de Phoenix, gouverneur d'Achille puis de Pyrrhus, évoqué dans l'*Iliade*, un des personnages d'*Andromaque*. # Les procédés du maintien de l'intérêt et l'unité d'action. ## La trêve, ou le compte à rebours. *La Mort d'Achille* ne présente pas une intrigue d'une grande complexité. La situation n'évolue qu'au gré des désillusions successives des personnages quant aux intentions d'Achille, jusqu'à la catastrophe finale. Thomas Corneille a donc pris ses dispositions pour que l'intérêt du spectateur ne faiblisse pas, en faisant tendre irrésistiblement la pièce vers la fin des vingt-quatre heures que les règles allouent à l'action – et que celle-ci n'épuise même pas, puisque, manifestement commencée au matin, elle se clôt avant la fin du jour. La limite temporelle fixée par les règles est soulignée par l'exposition : la trêve entre Grecs et Troyens doit expirer le lendemain (v. 154) ; ainsi donc l'action est placée sous la menace d'un compte à rebours : les personnages ont vingt-quatre heures pour assurer leur bonheur avant que la trêve n'expire. Ils ont donc intérêt à presser le mouvement, et les préparatifs du mariage d'Achille et de Polixene commencent dès l'acte III (v. 733). Un autre élément d'intérêt est apporté par le titre : annonçant la mort du personnage principal, il garantit au spectateur que la fin de la tragédie sera malheureuse, et suffit (le procédé n'est pas nouveau, mais il est efficace) à faire naître un début de crainte. Celle-ci redouble lorsque le spectateur prend connaissance des craintes de Polixene et surtout de la prophétie de Cassandre : il est bien connu que celle-ci, malgré l'incrédulité systématique qui accueillait ses pronostics, avait toujours raison. Ainsi, à la fin du premier acte, bien que tous les faits objectifs (sa bonne humeur, l'entente entre Pyrrhus et Polixene, le crédit de Briseis auprès de lui) laissent supposer une réaction favorable d'Achille, la certitude d'une catastrophe est déjà présente chez le spectateur (d'autant plus que celui-ci ne ressent aucune antipathie a priori envers Achille) : l'exploit mérite d'être relevé. La montée de la tension est ensuite assurée, indépendamment même de la conduite de l'action, par la rapidité croissante des actes. Si la pièce dans son ensemble est lente (vingt-cinq scènes seulement), le nombre de scènes de chaque acte croît régulièrement : trois dans le premier, cinq dans le second, six dans le troisième, sept dans le cinquième... et quatre seulement dans le quatrième, mais deux de ces scènes sont des confrontations d'importance entre Achille et les deux héroïnes : le paroxysme de la situation rend moins sensible le ralentissement du rythme. Ces procédés de suspension sont certes extérieurs à l'action elle-même ; on pourrait les comparer au montage haché et à la musique grinçante qui habillent les *thrillers* du cinéma contemporain, pour cacher souvent les insuffisances du cinéaste. Il n'empêche que Thomas Corneille en use avec une virtuosité certaine, et qu'à bon droit David A. Collins peut estimer que *« dans aucune autre pièce, Thomas Corneille n'a su si bien créer une atmosphère de tragédie latente »* [45] ## Quiproquo et ironie tragique. La pièce est basée sur un quiproquo créé par le silence d'Achille, et sur le dessillement progressif des autres personnages. Il est remarquable cependant que ce quiproquo n'entraîne aucune conséquence du point de vue de l'action ; son seul résultat est d'amener Briseis et Pyrrhus à se réjouir à tort, et le spectateur à se désoler en anticipant sur leur désillusion. Chaque exclamation de joie ou d'espoir de ces deux personnages est donc le lieu où se manifeste l'ironie tragique de Thomas Corneille. Mais cette dernière figure ne se limite pas aux conséquences du quiproquo central, et l'on peut y voir la figure dominante de la pièce. Les exemples en sont innombrables, et nettement moins spectaculaires pour la plupart que dans le cas du quiproquo. Il est possible de les distinguer selon la cause de l'effet ironique. Un premier cas est celui de l'ironie issue des données mêmes de la pièce : nous en avons vu un exemple avec les faux espoirs issus du quiproquo. Un autre effet de ce dernier est la lucidité du spectateur sur la fierté tirée par Briseis de son pouvoir sur Achille, lorsqu'elle s'attribue le mérite d'avoir attendri le héros grec sur le sort des Troyens : nous savons bien que le véritable mérite en revient à Polixene, et que Briseis, qui a présenté elle-même la jeune fille au grand Myrmidon, a été l'agent de sa propre ruine. Mais Briseis, elle, n'en sait rien, et une terrible ironie frappe chacune de ses manifestations de satisfaction. Achille lui-même se méprend sur la tendresse qu'il lit dans les yeux de Polixene (v. 434-438) : le bon naturel de la jeune fille la porte à considérer avec bienveillance le père de son prétendant ; nous le savons, mais Achille l'ignore et sa présomption même le rend touchant. L'ironie naît également des propos à double entente qu'Achille multiplie pour égarer Pyrrhus et Briseis sur ses intentions sans pouvoir être pris en flagrant délit de mensonge, et que Thomas crée avec une virtuosité étourdissante (cf. les vers 500-505 et notamment le vers 502, déclaration d'amour qu'Achille déguise en garantie d'impartialité ! ). On relève également ce genre de propos chez les autres personnages, mais ils prennent alors une valeur de prophétie involontaire (le plus bel exemple en étant attribué à Pyrrhus aux vers 605-608). Enfin, la connaissance de la mythologie grecque que Thomas Corneille a probablement attribuée au spectateur idéal est le vecteur principal de l'ironie. Peu de légendes sont aussi répandues que celle de la guerre de Troie, et le spectateur idéal sait pertinemment que les Grecs et les Troyens n'ont pas conclu de paix, que Cassandre a toujours raison, voire que Polyxène fut égorgée *par Pyrrhus* sur la tombe d'Achille. Ces réalités sont rappelés soit par des déclarations présomptueuses (sur la paix qui doit se conclure) soit par des prémonitions inconscientes (lorsqu'au début du cinquième acte Polixene compare son mariage à un sacrifice païen). Cet effet de familiarité n'était pas systématiquement recherché par les auteurs tragiques : Quinault, Boyer, ou Thomas lui-même, étaient fort habiles à monter en épingle les passages les plus reculés de la chronique, voire à inventer des sujets de toutes pièces en s'autorisant d'une ou deux citations. Il est donc clair que Thomas a voulu que le spectateur de *La Mort d'Achille* fût autant conscient qu'il était possible que l'agitation des personnages n'était que vanité et poursuite du vent. Le choix du quiproquo et l'ironie permanente dont sont frappées les actions et paroles des personnages sont tragiques en raison des autres éléments de la pièce : personnages nobles, style élevé, péril de mort pour le personnage dont le décès a été annoncé, évoqué pour chacun des trois autres, et latent pour tout le peuple troyen. Il frappe cependant l'ensemble de l'intrigue d'un caractère de dérision, qui flatte notre conception moderne de la tragédie (qui a été revisitée par le théâtre de l'absurde), mais peut paraître étrange en regard de la dramaturgie classique, pour laquelle la tragédie se caractérise essentiellement par les émotions (terreur et pitié) qu'elle procure aux spectateurs. Ce ton grinçant a pu induire un certain malaise face à la pièce ; il n'est pas interdit d'y voir un indice de la porosité potentielle des genres dans l'œuvre de Thomas Corneille. ## Le dénouement et l'unité d'action. Selon H. C. Lancaster, « l'unité d'action est violée par le fait que la mort d'Achille, qui est la péripétie principale, est déterminée par l'action de Paris, qui ne paraît pas. » [46] Et de suggérer les solutions que Thomas Corneille aurait pu trouver à ce problème. L'accusation est d'importance pour qui veut comprendre l'échec de la pièce. *La Mort d'Achille* respecte-t-elle l'unité d'action ? Formellement, oui. La motivation de Paris est suggérée dans l'exposition, bien que Polixene la considère comme négligeable (I, 2, v. 170-180), et rappelée au cours de la pièce (IV, 1, v. 1053-1056). Elle est le fruit d'un véritable effort, puisque Thomas a renoncé à celle que lui fournissait Dictys (chez qui Pâris tue Achille pour venger son frère Troïle), et constitue donc de façon indubitable l'un des fils unifiés par l'action. Si les autres personnages n'y attachent aucune importance, le spectateur n'est pas forcé de les suivre. Lorsque dans un roman policier, la solution est amenée par un indice tenu pour négligeable tout au long de l'intrigue, l'auteur est généralement félicité pour son art. Le cas, semble-t-il, est le même. Pourtant, la disproportion entre l'intrigue principale et le germe d'intrigue secondaire centré sur Pâris est telle qu'il faut bien admettre que, du point de vue de l'effet obtenu, l'action ne paraît pas unifiée. Si c'est là un trait de l'art de Thomas Corneille, et un trait ô combien audacieux, il faut reconnaître qu'il a manqué son but. Mais la passion de Paris pour Hélène n'est pas le seul moteur du dénouement. Polixene a proféré contre Achille (IV, 2, v. 1238-1248) des malédictions reprises par Briseis (IV, 3, v. 1366-1375 et IV, 4, v. 1409), qui les précise et demande aux dieux de lever l'invulnérabilité d'Achille. À l'acte suivant, Achille est percé par Paris au seul endroit où il était vulnérable : les dieux semblent avoir écouté Briseis. Celle-ci, du moins, s'en persuade, même si la question reste indécidable : la cause effective de la mort d'Achille (Paris) n'a rien de divin, et Thomas se refuse à sacrifier au merveilleux païen. *La Mort d'Achille* satisfait donc, longtemps avant que le genre ne devienne en vogue, à la définition donnée par Tzvetan Todorov de la littérature fantastique : nouveau cas d'audace de la part de Thomas Corneille. Mais encore une fois cette audace ne paie pas, puisqu'elle a caché au public, et à un esprit aussi grand que H.C. Lancaster, l'implication du dénouement par les données de l'intrigue principale. Or la structure du dénouement de *La Mort d'Achille* n'est pas un cas unique : c'est celle même de celui de la *Phèdre* de Racine : persuadé de la culpabilité d'un personnage (Achille ou Hippolyte), un autre (Briseis ou Thésée) demande aux dieux de le châtier, ce qui permet de justifier l'intervention d'un *deus ex machina* (Paris ou le monstre marin qui tue Hippolyte) ; le personnage imprécateur se ravise, mais il est trop tard : l'autre est mort. Il est frappant que le monstre marin, beaucoup plus invraisemblable que Paris dans une optique réaliste, et pur instrument de la vengeance des dieux, ne choque pas autant que l'intervention du prince troyen : c'est qu'il est protégé par la convention du merveilleux légendaire, tandis que Thomas Corneille s'est risqué à l'ambiguïté du fantastique. Dans notre effort pour valoriser le dénouement de *La Mort d'Achille*, nous n'omettrons pas cependant de souligner son incomplétude : on ignore, à la fin, ce qu'il adviendra de Pyrrhus. Il n'est pas impossible cependant, on le verra, que Thomas ait voulu que notre imagination, aidée par le souvenir d'*Andromaque*, supplée à cette imprécision. # Les personnages ; ou pourquoi la pièce ne pouvait réussir. ## L'échec dramaturgique des confidents. Prenant au rebours la hiérarchie dramatique des personnages, nous commencerons par passer rapidement sur le cas des quatre confidents. Ce sont, ni plus ni moins, les ombres des héros qu'ils accompagnent. Ne se permettant pas d'intervenir quand les personnages principaux conversent, ils ne s'adressent jamais qu'à ceux qu'on se voit forcé d'appeler leurs « maîtres », à l'exception d'Alcime (V, 7), mais c'est précisément parce que son maître est mort, et qu'en bon confident de tragédie [47] il vient annoncer son décès. Le théâtre de son temps, et notamment celui de Racine, offrait pourtant à Thomas Corneille de nombreux exemples de confidents à la personnalité marquée : Burrhus et Narcisse, dans *Britannicus*, sont d'authentiques conseillers politiques. Lui-même avait parfois su faire sortir à point les confidents de leurs rôles : dans *Pyrrhus, roi d'Epire*, le dénouement tient à un secret que Gelon, discret confident du tyran, avait su garder pour lui ; dans *Ariane* ou *La Mort de Commode*, il sait user du double statut de certains personnages, à la fois conseillers du roi et dotés d'intérêts personnels. Rien de tout cela dans *La Mort d'Achille*. Les confidents n'y ont à peu près aucun avis personnel : leur rôle consiste à donner des nouvelles à leur maître (Alcime en IV, 1), et à relancer les tirades de ces derniers. De façon caractéristique du goût de la fin du siècle, la pièce ne comporte aucun monologue : deux ou trois hémistiches prononcés par le confident, porteurs de quelque remarque de bon sens ou de quelque interrogation rhétorique, suffisent à articuler une succession de tirades. La conséquence en est que les confidents ouvrent à peine la bouche : Ilione n'a la parole que dans la seule première scène du cinquième acte, où elle prononce dix vers et demi. Phenice, qui doit attendre la scène 4 de l'acte IV pour prendre la parole, prononce en tout dix-neuf vers et demi. Antilochus lui-même, qui occupe pourtant à l'occasion la fonction de messager (V, 5), n'a que vingt-six vers en partage. Alcime, le mieux loti des quatre confidents, en prononce une centaine, dont il faut retrancher, pour comparer ce qui est comparable, les quarante-sept vers du récit de la mort d'Achille. Lors même que Thomas Corneille lui attribue un avis personnel, il n'a cependant pas l'occasion de l'exprimer puisqu'Achille le fait pour lui (II, 1, v. 389) ! La fonction des confidents se limite donc dans *La Mort d'Achille* à marquer par leur simple présence le rang élevé des personnages qu'ils accompagnent, à servir éventuellement de chaperon muet aux jeunes femmes [48], enfin à *« introduire de la souplesse »* en remplaçant les monologues par des dialogues purement formels [49]. Le seul personnage à se débarrasser momentanément de son ombre est Pyrrhus (V, 2-4) ; cette absence est remarquable et, n'étant pas justifiée, gêne. C'est que Thomas Corneille avait besoin d'un messager, et a délégué Antilochus à cette fonction. La création d'un neuvième personnage eût peut-être été justifiée, car nous avons peine à croire qu'en cette heure pénible entre toutes pour Pyrrhus (celle du mariage de Polixene), Antilochus ait jugé à propos de déambuler sans but précis — il n'était pas même au temple auprès d'Achille, puisque son témoignage est de seconde main (« On l'a vû *Paris*...si ce qu'on dit est vray » ) [50]. Il semble donc bien que Thomas Corneille ait purement et simplement négligé les quatre personnages de confidents – ce qui n'est pas sans engendrer une certaine monotonie. La comparaison avec *Andromaque* (qui n'est pourtant pas de ce point de vue la plus audacieuse des pièces de Racine) est à ce titre éclairante ; n'insistons pas. Nous pouvons en revanche remarquer que les quatre personnages principaux prononcent un nombre sensiblement équivalent de vers, bel effort d'équilibre. ## Polixene, princesse mélancolique. Polixene n'intervient que dans sept des vingt-cinq scènes de la pièce ; elle y prononce 395 vers, ce qui est beaucoup mais justifié par l'exposition de ses craintes, et son inexpérience diplomatique qui la pousse à trop s'avancer. Présente lors de l'exposition (ce qui permet de lui attirer la sympathie du public), elle ne paraît pas à l'acte II et ne revient qu'à la scène 5 de l'acte III, pour dissiper définitivement le quiproquo créé par Achille, et dont sa main est l'objet. L'intérêt se porte alors sur ses réactions à une situation qui confirmait ses craintes, et Polixene est plus fréquemment présente sur scène. Pour des raisons dramaturgiques évidentes, elle est absente du dénouement (qui suppose sa présence au temple). Polixene est le seul personnage de la pièce qui marque de l'attachement pour sa patrie ; attachement compréhensible puisque le sort de Troie est en jeu. La longue tirade (I, 2, v. 129-165) qu'elle prononce en entrant en scène la désigne avant tout comme une princesse soucieuse du bien de ses concitoyens, au point de tenir pour négligeables les sentiments de son frère (v. 174-180), qui sont (il est vrai) moins honnêtes que les siens. Mais Polixene est aussi une jeune fille amoureuse. Si elle ose en faire l'aveu devant Briseis (envers qui elle a autant de confiance que de sympathie, cf. les vers 133-135), elle tempère cependant ses propos en se référant à l'autorité paternelle, qui a autorisé cet amour (v. 189-196), et en imprimant à ses préoccupations une nette hiérarchie (v. 212-213) : sa patrie et sa famille avant tout ; c'est en eux qu'elle place sa « gloire » (v. 217, 1506, 1517) ; aussi ne peut-elle se résoudre à épouser Pyrrhus (v. 204). Restée seule avec ce dernier (I, 3), elle lui tient un tout autre langage : le conflit que se livrent en elle son coeur et son devoir n'est pas clos, ce que laissait entrevoir un trait de mauvaise foi (v. 214-217) qui semblerait casuistique si l'ensemble du dessin du personnage ne le proclamait ingénu. Si son attachement aux intérêts de sa famille est grand, son amour pour Pyrrhus, dont elle avoue plus nettement la spontanéité (v. 293-300), l'empêche d'avoir pour Achille de la haine. De ces sentiments délicats, Thomas Corneille est suffisamment satisfait comme auteur pour permettre à Polixene de l'être également comme personnage (v. 318 ! ), ce qui altère malheureusement la pudeur de la princesse troyenne. Un autre trait du caractère de Polixene est d'être craintive. La troisième scène du premier acte la montre craignant les conséquences d'un mariage avec Pyrrhus sans la moindre apparence de raison. Comme le fils d'Achille se plaint de ces « vaines terreurs » (v. 256), elle cite alors une prophétie funeste (v. 269-272) qui fait sourire le jeune homme. Selon la tradition (cf. par exemple *Horace*, I, 2 et V, 3), la prophétie reviendra à la fin, sous une forme condensée, (v. 1475-1476), justifier la jeune fille (qui ne croit pourtant pas si bien dire, cf. la note du vers 1476.) Cette timidité de Polixene permet à Thomas Corneille quelques belles pages (I, 3, v. 224-244 ; III, 5, v. 913-924), et lui permet surtout, de façon moins avouable, de « neutraliser » le personnage avec quelque justification : après être venue supplier Briséis, Polixene cesse toute initiative au cours de la pièce. Son rôle est d'être, ainsi que sa soeur prophétesse Cassandre, qu'elle est seule à croire, l'oiseau de malheur : ainsi, c'est elle qui apprend à Briseis et Pyrrhus la perfidie d'Achille (III, 5). En revanche, son absence sur scène tant que dure le quiproquo des actes II et III permet à Thomas Corneille de ne pas la montrer joyeuse, ni de lui faire perturber par ses craintes l'euphorie de Pyrrhus et Briseis (selon que l'on imagine qu'elle a été ou non abusée par le malentendu). Les autres personnages eux-mêmes (III, 1, v. 702-704) ignorent tout des réactions de la jeune fille. Le patriotisme de Polixene lui joue un tour lorsque, déléguée auprès d'Achille par Pyrrhus et Briseis au nom du pouvoir qu'elle a sur lui, le héros grec la met en demeure de choisir entre son mariage et le sac de Troie (IV, 2). Elle ne peut que céder à ce chantage, au terme d'une scène qui a également mis en valeur sa faible adresse politique, due à sa probable inexpérience. Elle ne veut en effet, pour convaincre Achille, considérer que l'intérêt de son interlocuteur, et celui de Briseis. C'est précisément pour cette raison qu'Achille, plus roué, lui fait avouer qu'elle parle pour elle-même et pour Pyrrhus. Les aveux qu'elle fait alors à Achille sans forfanterie la placent en position de faiblesse. Lorsqu'enfin Polixene se résout à se sacrifier en épousant Achille, elle se remet entre les mains des dieux (IV, 2, v. 1237-1248), non sans préfigurer ainsi les menaces plus claires encore de Briseis, et supporte l'épreuve avec fierté (V, 1, v.1422-1424) mais en jeune fille sensible : ses larmes coulent (v. 1252), et redoublent (v. 1444) lorsqu'elle subit l'épreuve de revoir Pyrrhus (V, 2). Elle donne aussitôt après un gage de dignité en demandant au jeune homme de ne plus la revoir (v. 1507-1512) ; la scène souffre cependant d'un excès de sentimentalité précieuse qui rejaillit sur la jeune fille. Celle-ci apparaît tout au long de la pièce comme une personne modeste et réservée, si l'on fait exception des violents propos rapportés par Achille (IV, 1, v. 1078-1084) où elle le tutoie soudain et exceptionnellement (cf. la note du vers 1084), et qu'elle semble vouloir démentir par sa modération lors de la scène suivante ; son amour pour Pyrrhus s'exprime constamment par des réticences (v. 330), des euphémismes (v. 1175) et des litotes (v. 195-196, 1158, etc.), et ce n'est pas par hasard qu'elle quitte la scène définitivement lorsque son émotion ne lui permet plus de tenir un discours ordonné (V, 3, v. 1560-1564). Elle se fait parfois audacieuse pour prêcher la modération, et se reproche de ne pas rougir lorsque les circonstances l'obligent à sortir de sa réserve (301, 930). Se voyant l'objet du conflit entre Pyrrhus et Achille, elle culpabilise (III, 5, v. 892-904). C'est là la timidité d'un « jeune coeur qui n'avoit rien aimé », comme elle se définit elle-même (v. 1160). Elle témoigne avec simplicité de sa peur de l'étreinte d'un homme qu'elle n'aime pas, étreinte qu'elle désigne par des périphrases (III, 5, v. 991-996) dues à son effroi autant qu'à son ignorance de jeune fille « à l'ancienne ». Ajoutons enfin que « la triste Polixene » (v. 886), vêtue de noir en raison du deuil de ses frères morts (v. 144), associée tout au long de la pièce au thème des larmes (cf. II, 2, v. 465), ajoute à sa timidité et à ses noires visions des idées morbides. Commençant par appeler la mort de la main de Briseis dont elle s'attend à être haïe (III, 5, v. 904 et v. 1020), elle développe ensuite des envies de suicide qui demeurent latentes, car elle assimile son mariage à la mort (cf. l'ensemble de la scène 1 de l'acte V, et V, 2, v. 1455-1456). Probablement le XVIIème siècle y voyait-il l'indice d'un tempérament mélancolique. Le nôtre considérera plutôt le caractère de Polixene comme le portrait, peint avec beaucoup de justesse, d'une adolescente. Cette finesse de touche fait d'elle, malgré son relatif effacement, le personnage à coup sûr le plus touchant de la pièce. ## Briseis, une femme orgueilleuse abandonnée. Les treize scènes (sur vingt-cinq) où paraît Briseis sont réparties tout au long des cinq actes de la pièce. « L'illustre Briseis » (v. 22) est donc le principal féminin principal et, comme on va le voir, le plus prestigieux par son caractère et son implication dans l'intrigue. On peut remarquer toutefois que ses interventions se concentrent sur la fin de la tragédie : des 419 vers qui lui sont attribués (ce qui fait d'elle le personnage principal en temps de parole), 239 sont situés à partir de la deuxième moitié de l'acte IV. Elle est le seul des personnages principaux à paraître au dénouement, dont ses réactions constituent l'élément pathétique dominant. Son statut de captive... captivante, prétexte possible à une accumulation de *concetti* dans le goût précieux, est en réalité fort peu exploité par le texte ; mais économie n'est pas pauvreté : les allusions qui y sont faites y gagnent un poids considérable. Le thème était inévitable lors de la présentation de Briseis par Pyrrhus (I, 1, v. 23-28) ; il ne revient véritablement que dans la bouche d'Achille, qui compte bien utiliser le statut de Briseis pour se dégager de ses serments : il le mentionne une première fois (II, 1, v. 395-396) avant d'en faire un instrument pour se débarrasser d'elle (IV, 3, v. 1289-1308). Briseis n'y fait allusion qu'en le renversant : elle voit dans son sort une continuité puisqu'elle règne (ou a régné) successivement sur ses Etats, puis sur Achille (I, 1, v. 61 ; IV, 4, v. 1391-1395). Ce nouveau règne suffit à sa gloire (I, 1, v. 60). Dès sa première réplique, qui ouvre la pièce, Briseis paraît en effet fort satisfaite de son influence sur Achille ; une confiance qui ne cessera pas (cf. II, 2, v. 445-448 et III, 4, v. 873-877) jusqu'à ce que l'amour d'Achille pour Polixene soit connu. Pourtant les faits qu'elle expose pour justifier cette confiance (I, 1, v. 5-20) sont sujets à une double interprétation dont elle ne se doute pas — Pyrrhus non plus, il est juste de le remarquer (cf. v. 21-22 ou I, 3, v. 250-251). Dès cet instant, et plus encore dès lors que le public est assuré des sentiments d'Achille (II, 1), la confiance de Briseis est le jouet d'un dispositif d'ironie tragique qui culmine lorsque, première victime du quiproquo, croyant encore avoir de l'influence sur Achille, elle répète son erreur inconsciente (I, 1, v. 13-14) en faisant de Polixene un portrait touchant (II, 2, v. 452-469), afin d'émouvoir celui qui n'est déjà que trop ému... Elle ne comprend son erreur et n'admet son orgueil, quoique sans difficultés, que lorsque Polixene fait cesser le malentendu (III, 5, et III, 6, v. 1037-1040) ; sa réaction est alors double. D'un côté elle cède sans vanité à Polixene le titre de favorite influente (v. 1011-1012), de l'autre, toujours confiante en ses charmes, elle prétend au même pouvoir sur Agamemnon (IV, 3, v. 1277-1280 ; V, 7, v. 1733-1735), qu'elle évoque notamment pour rendre Achille jaloux. À l'en croire, Ulysse même daigne l'écouter (I, 2, v. 209). L'orgueil de Briseis n'est pas vain, et s'accompagne de générosité. Elle n'hésite pas à mettre en jeu son pouvoir en faveur des personnes qui lui sont sympathiques : Pyrrhus, et plus encore Polixene. Elle sert véritablement d'entremetteuse entre les deux jeunes gens (I, 2) puis se fait leur ambassadrice auprès d'Achille (II, 2). Elle a pour la princesse troyenne une affection toute particulière, dont elle ne se cache nullement (I, 1, v. 64-66 ; I, 2, v. 165-166 ; II, 2, v. 481-484), de façon parfois même imprudente. Une solidarité entre vaincues est suggérée par le contexte comme étant cause de cette affection. Briseis a même fait le choix, si le cas devait se présenter, d'appuyer les voeux de Polixene plutôt que ceux de Pyrrhus (I, 1, v. 67-68). Lorsque la trahison d'Achille lui est connue, Briseis déçue donne libre cours à sa passion, en de longues tirades de lamentation (III, 5, v. 954-966 ; IV, 3, v. 1317-1343 ; V, 7, v. 1682-1688, etc.) ou d'imprécations (IV, 3, v. 1349-1375 où elle fait même taire Achille, dont c'est pourtant une spécialité, ou encore V, 4, v. 1585-1595) qui ne sont pas pour rien dans l'importance de son rôle dans la dernière partie de la pièce. La violence de ses sentiments se traduit par un passage au tutoiement (IV, 3, v. 1349), par un recours à la prétérition (v. 1353-1359) qui laisse imaginer ce qui demeure tu, par son mépris du pouvoir politique qu'Achille lui propose de recouvrer (IV, 3, v. 1275-1288 et IV, 4, v. 1391-1394) et par les funestes conséquences de sa jalousie. Au plus haut point de sa fureur, elle se propose en effet, l'espace d'un instant, de se débarrasser de cette Polixene qu'elle aime tant (IV, 4, v. 1401) et à qui elle ne tenait jusqu'ici nulle rigueur de la situation, avant que son bon naturel ne s'effraie. En revanche, les appels aux dieux qu'elle lance contre Achille (IV, 3, v. 1366-1374 et IV, 4, v. 1409), plus précis que ceux de Polixene, peuvent être considérés comme la cause de la mort du héros. Briseis elle-même, déjà prise de remords à l'annonce du danger couru par Achille (V, 6, v. 1619-1628), nouveau témoignage de son amour, se considère comme responsable de sa mort (V, 7, v. 1670-1678), ce qui détermine sa décision de se suicider (v. 1724), qui apparaît dictée par la logique et non par des fantasmes mélancoliques comparables à ceux de Polixene — Briseis ne songe d'ailleurs pas à mourir avant d'avoir vu Achille vengé. Ainsi, ses remords fournissent une preuve supplémentaire de sa force de caractère. ## Pyrrhus, sauvé par l'intertextualité. Pyrrhus est le personnage qui figure dans le plus grand nombre de scènes (quatorze sur vingt-cinq) ; 386 vers lui échoient en partage ; c'est relativement peu, cependant Pyrrhus ne donne pas l'impression d'un personnage effacé, justement peut-être parce qu'il demeure en scène, passif. Présent tout au long des actes I et III, apparaissant alors comme le protagoniste de la pièce, il est absent de l'acte IV, où l'intérêt se déplace sur les personnages féminins. Cette absence, on va le voir, lui est en quelque sorte fatale. Amoureux ardent (III, 2, v. 737-742), galant (I, 1, v. 74-83) et prompt à se désespérer (I, 3, v. 279-288), Pyrrhus paraît bouillant (III, 2, v. 769-779) mais il est encore peu glorieux du point de vue militaire, puisqu'il doit sa rencontre avec Polixene à une captivité chez les Troyens. Il témoigne bien ainsi de son jeune âge, qui répond à celui de Polixene, et apparaît entre tous les personnages comme celui qui témoigne le plus de l'influence de la préciosité ; de l'amant parfait et romanesque il a (du moins au début de la pièce) l'attitude, et les métaphores (cf. v. 75-76). Victime du quiproquo des actes II et III, Pyrrhus laisse éclater sa joie avec autant de volubilité (II, 4, v. 597-614 ; III, 1, v. 708-717) que plus tard son désespoir. Ce dernier le laisse finalement abattu, nouvelle preuve d'une jeunesse qui confine à l'immaturité. Apprenant qu'il a un rival, il profère des menaces sanglantes (III, 2, v. 769-779) sans trop savoir envers qui, et formule des conjectures quelque peu hâtives (III, 4, v. 863-871). Mais cette fureur plie devant la contrariété de son père (III, 2, v. 806-808), et n'est relancée qu'un instant (III, 3, où fidèle à sa légende Pyrrhus se montre féroce...en intentions) avant qu'il ne se perde en hésitations (les vers 857-860 contredisent les vers 878-888) pour finalement céder (III, 5, v. 967-976) et s'en remettre à Polixene (v. 997-1008) avant de disparaître pendant plus d'un acte ; si l'on peut supposer qu'il applique les conseils de Briseis (v. 1045-1046), rien ne nous en assure ; et nous ne le voyons pas chercher seulement une méthode plus douce de parvenir à ses fins — il ne semble pas concevoir d'alternative entre le parricide et l'immobilité. Le bouillant Pyrrhus paraît alors quelque peu fier-à-bras, et suffisamment pusillanime pour faire des reproches (III, 5, v. 905-912) à la malheureuse Polixene venue se confondre en excuses. On pourrait trouver là une occasion de douter de son amour. Son retour sur scène (V, 2-5) n'améliore guère son image. Importun à la jeune fille, qui ne le laisse pas ignorer (V, 2, v. 1442-1444), il décrète la légitimité de l'entrevue (v. 1445-1446) et ne songera pas un instant à quitter la scène, bien que Polixene lui répète sa douleur de le voir (v. 1509-1510), lui demande instamment de se retirer (v. 1519-1520) et en vienne à la supplication (v. 1532). Au demeurant Pyrrhus n'a aucune proposition à faire à la jeune fille et ne reste sur scène que pour se plaindre et se proposer de mourir. Briseis survenant, il entame avec elle une conversation qui finit par faire fuir une Polixene au discours troublé (v. 1560-1564). Mais ses plaintes ne cessent pas pour autant ; nous y apprenons qu'il partage le fantasme cauchemardesque de la jeune fille (v. 1567-1568). Pyrrhus semble aimer tellement à se plaindre que, venu faire ses adieux (puisqu'il se prépare à mourir, v. 1445-1452), il se lamente que Polixene le prenne au mot (v. 1509 et 1525-1531) ! Comme son père, il excelle à faire parler les autres : Polixene intervient plus que lui dans cette scène, et il obtient d'elle un nouvel aveu d'amour. Il est difficile à ce moment de se défendre d'une certaine antipathie pour Pyrrhus, qui apparaît au bout du compte comme un blanc-bec dénué de délicatesse. Comme jeune premier, Pyrrhus est une catastrophe. Faut-il voir là un échec de Thomas Corneille ? Le cas de Pyrrhus est aggravé par sa relative inutilité à l'action : il semble n'être là que pour se plaindre, et fournir à Achille une préoccupation supplémentaire. Une tragédie exclusivement centrée sur le triangle Achille-Briseis-Polixene pourrait reproduire sans trop de difficultés la conduite de l'action de *La Mort d'Achille*. On peut même s'étonner que notre auteur, qui a su donner à Briseis une implication dans l'action qu'elle n'avait pas chez Benserade (où son rôle était décoratif), soit tombé dans le même travers en introduisant Pyrrhus. On peut cependant donner de ce dernier personnage une lecture plus à l'honneur de son auteur, mais dont la légitimité n'est pas évidente. Il est remarquable que la dernière action de Pyrrhus soit de voler au secours de son père ; ce respect filial est d'un brave jeune homme, mais à nos yeux cet acte ultime rapproche Pyrrhus d'Achille aux dépens de Polixene. Il est remarquable que le catalogue commenté de la *Petite Bibliothèque des Théâtres* résume ainsi cette scène (de façon légèrement inexacte) : *« Pyrrhus* oublie son amour, *et ne songe plus qu'à déplorer la mort de son pere. »* [51] Cette phrase, qui relève de l'interprétation et contredit le vers 1649, décrit bien cependant l'ambiguïté symbolique de ce départ précipité de scène. Ce lien entre Achille et Pyrrhus est renforcé par une possible lecture ironique des serments multipliés par le jeune homme : serments de mourir (v. 1450-1452, 1525-1529, 1544-1548) et de ne jamais oublier Polixene (v. 1493-1494 — avec un reproche pour elle ! —, 1541-1542). Or quiconque a un vague souvenir d'*Andromaque* sait pertinemment que Pyrrhus s'en est tiré, et que sa vie sentimentale n'a pas pris fin devant les remparts d'Ilion ! Une objection forte à cet argument est le peu de souci que les auteurs du dix-septième siècle avaient d'être cohérents entre eux : sacrifiant à leur art aussi bien la fable que l'histoire, ils ne se souciaient même guère de ne pas se contredire eux-mêmes : concilier les données de *Pyrrhus, roi d'Epire* et de *La Mort d'Achille* relèverait de l'acrobatie. Cependant la renommée de la tragédie de Racine, et surtout son influence sur celle de Thomas Corneille, peuvent laisser supposer que ce dernier ait voulu que le public voie dans Pyrrhus le digne fils de son père : lui aussi aimera volontiers ses captives... ## Achille, ou le refus de la bienséance. Les apparitions d'Achille sont scrupuleusement ménagées par Thomas Corneille : absent du premier acte (afin que ses intentions excitent la curiosité) ainsi que du dernier (qui réclame sa présence au temple), il est présent sur scène tout au long du second (où des entretiens avec Briseis et Pyrrhus alternent avec les réflexions qu'il livre à Alcime), et dans les trois premières scènes (sur quatre) du quatrième. Il fait au troisième acte une seule apparition (scène 2), où il lève une part du quiproquo qu'il a déclenché. Au total, Achille se voit attribuer neuf scènes et 377 vers, ce qui est modeste. Mais il est à n'en pas douter le personnage principal : l'intrigue est suspendue à ses décisions, et en son absence les autres personnages s'interrogent sur ses intentions ou commentent ses actions. On peut dire en simplifiant exagérément les données qu'Achille est présent sur scène un acte sur deux, pour mieux laisser l'autre à son ombre. Lorsqu'il ne s'y trouve pas en personne, le spectre d'Achille hante la scène. Quelle que soit la valeur qu'ils accordent à la pièce, les commentateurs de *La Mort d'Achille* s'accordent pour rejeter le personnage. Ainsi Gustave Reynier se désole : *« On a souvent reproché à Racine d'avoir montré dans son* Iphigénie *un Achille trop doucereux : que dirait-on de l'Achille de notre poète, galant insupportable, très fat et très inconstant, qui paraît n'avoir d'autre souci que de passer sans cesse de la brune à la blonde et qui s'entend mieux que personne à se délivrer des femmes qui l'aiment trop ! La veille de sa mort, il est encore tout occupé à donner son congé à une vieille maîtresse, qui est Briséis, pour faire place à une nouvelle conquête, qui est Polyxène, fille de Priam ! Que devient l'*Iliade *en cette affaire ? »* [52] Certes notre Achille n'est pas celui d'Homère, mais il est assez proche de celui de Dictys (source que Reynier semble ignorer), dont la conduite est blâmée par ses alliés. Nous ne songerions pas cependant à le qualifier de « galant », attendu qu'il ne cherche guère à séduire Polixene, dont l'amour lui paraît dû (II, 1, v. 425-428). Si la première réplique qu'il lui adresse (IV, 2, v. 1097-1112) contient quelques compliments, elle témoigne aussi de l'espérance confiante d'un amour né de l'estime, et surtout elle vient après que le mariage a déjà été négocié ! Enfin l'emploi du temps d'Achille à la veille de sa mort ne saurait lui être reproché, car enfin il ignore qu'il va mourir ! Son inconstance, en revanche, n'est évidemment pas douteuse. David A. Collins [53] voit dans le personnage d'Achille une tentative de créer un héros cornélien (c'est à dire *« unfaltering, willful, uncompromising »*: assuré, volontaire, intransigeant) doté de passions raciniennes, tentative soldée par un échec : en définitive, Achille n'est « ni assez vicieux pour être un méchant de bonne foi, ni suffisamment admirable pour être un héros sympathique » (*« not evil enough to be a* bona fide *villain nor sufficiently admirable to be a sympathetic hero »*). Il note que chaque décision d'Achille semble relever d'une volonté de puissance, et que sa mort soulage le spectateur, ce qui est parfaitement exact. H.C. Lancaster, quant à lui, s'efforce de demeurer objectif et descriptif et remarque simplement qu'il est « un guerrier brutal et déterminé (...), prompt à accuser le Destin de ses propres erreurs » (*« a determined and brutal warrior (...) quick to blame Fate for his own errors » )*, pour regretter le peu d'importance accordée à son dilemme. Il nous semble que Collins remarque avec pertinence le caractère inclassable du personnage, mais qu'il le juge suivant des concepts ne permettant pas d'apprécier son originalité. Achille n'est manifestement pas un héros au sens cornélien du terme ; ses actions sont entièrement motivées par son égoïsme : il sacrifie au sien propre le bonheur des trois autres personnages. Il est même parfaitement loisible de le considérer comme absolument antipathique. Collins nous semble aveuglé, à ce stade, par le concept de *« villain »*, hérité du théâtre anglais élizabéthain ou jacobéen, mais inopérant vis-à-vis du théâtre français classique. Achille nous apparaît comme un personnage original et cohérent, mais inacceptable pour le public du XVIIème siècle, et donc éminemment condamnable pour une critique qui a intériorisé les règles du classicisme. ### Force physique et faiblesse morale : le héros paradoxal. Horace nous recommande de dépeindre Achille farouche, inexorable, violent, tel qu'il était, et tel qu'on dépeint son fils [54]. Achille livre lui-même au spectateur, dans la première scène du quatrième acte, le dessein général de son personnage tel que Thomas Corneille l'a conçu : Les Dieux m'ont fait un corps au fer impénétrable, Aucuns dards, aucuns traits ne le peuvent percer, Falloit-il que mon coeur fust facile à blesser, Et qu'à mes passions mon ame abandonnée, Par leurs moindres efforts fust toûjours entraisnée.    (v. 1090-1094) Achille physiquement invulnérable et moralement le plus fragile des hommes : quel personnage et quel sujet ! Sa valeur militaire n'est à aucun moment mise en doute : il est le principal soldat des Grecs, il a tué Hector, son double troyen, et sa mort rend l'espoir à la cité phrygienne. Achille entre sur scène tout auréolé de prestige, aux yeux des spectateurs comme aux yeux des autres personnages. Il est sans cesse question de sa « gloire » (vers 346, 426, 641, 654, 658, 834, 963, 1019, etc.), à laquelle, selon les autres personnages, s'opposent ses agissements présents. De fait, Achille, loin du courage, de la constance, et de la générosité attendus d'un héros tel que lui, se montre dès son entrée en scène infidèle, au point, tel un nouvel Hylas, ou plus encore peut-être un nouvel Alidor (cf. le vers 404 et la note 262), de s'ériger en théoricien de l'inconstance (v. 405-420), égoïste (v. 394)  d'autant plus que politiquement son dilemme est neutre : l'intérêt général n'est pas un élément de sa décision d'épouser lui-même Polixene – et face à Briseis d'une lâcheté étonnante (v. 441-444) qui le conduira à déclencher le quiproquo sur ses intentions. De cette lâcheté, la meilleure preuve est son silence face à ses victimes : fort disert pour commenter son sort ou dans ses interrogations, Achille est laconique en face des autres personnages. Près des deux tiers de son rôle (243 vers sur 377) sont concentrés dans le deuxième acte, où son désarroi éclate auprès de son confident Alcime. Il laisse ensuite parler les autres, qu'il n'interrompt que de quelques vers secs ou ambigus. L'acte II comporte en effet trois longues scènes délibératives, où son dialogue avec Alcime est en fait un monologue dissimulé, qui décrit longuement son dilemme moral : Achille n'est pas un personnage monolithique. Lorsqu'il se méprend en toute bonne foi sur les sentiments de Polixene (v. 433-440), lorsque malgré son refus des règles de la séduction il laisse échapper un soupir passionné à l'approche de la jeune fille (v. 1096), il est véritablement touchant, en tant qu'amant sincèrement passionné. Mais ses dilemmes le font pencher du mauvais côté, jusqu'à l'expression d'une cruauté authentique (v. 537). Pour le public du dix-septième siècle, c'en était trop. En effet, sommés de choisir leurs sujets dans l'Histoire ou la Fable, les auteurs tragiques de l'époque ne disposaient pas de plus de liberté dans la peinture de leurs personnages : ils étaient bornés par la vraisemblance et la bienséance. ### Un personnage qui choque la bienséance. La notion de bienséance est habituellement perçue comme se référant à un code de « bonne conduite » des auteurs, recommandant notamment d'éviter les sujets scabreux ou de ne pas présenter de meurtre sur la scène. Il s'agit en fait d'une notion bien plus générale, liée étroitement à la notion de vraisemblance. Car après tout, s'il est rare qu'une jeune fille du théâtre classique déclare sa flamme la première à l'élu de son cœur, ce dernier y est en revanche invité ; c'est même à cela qu'on le reconnaît. La même bienséance le défend à l'une, le demande à l'autre. La bienséance consiste à répondre au comportement attendu du personnage *tel qu'il a été introduit* : un prêtre païen (Mathan dans *Athalie*) pourra se montrer corrompu et hypocrite, puisqu'il défend une religion fausse, un prêtre de la Sainte Eglise (ou de l'Israël d'avant le Christ, comme Joad dans *Athalie*) sera fatalement vertueux. Ce sont pourtant deux prêtres : mais la typologie, stricte, n'ignore pas la finesse. Or les personnages historiques de la tragédie apportent avec eux sur scène toute une tradition les concernant, et qui leur tient lieu d'introduction [55]. Le personnage doit se montrer *semblable* à cette tradition, comme on dit d'un portrait qu'il est ressemblant. Lorsque Boileau, réclamant de la concision dans l'exposition, déclare préférer à la limite que le personnage : « déclinât son nom / Et dît : « Je suis Oreste, ou bien Agamemnon » [56], » il ne plaisante qu'à moitié : le spectateur est censé savoir, par exemple, qu'Oreste est audacieux, parricide, et promis à la folie. Or il se trouve qu'Achille est précisément le personnage qu'Horace a utilisé dans son *Art poétique* pour expliquer cette convenance obligatoire des mœurs du personnage de théâtre avec ce que la tradition enseigne de lui ; et qu'à sa suite, Racine (dans la première préface d'*Andromaque*) et Corneille (dans le *Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique*) ont traduit et repris l'exemple. Achille est donc le personnage par excellence dont il fallait respecter le caractère ainsi résumé : farouche, inexorable, violent, *iracundus, inexorabilis, acer*. Farouche, inexorable et violent, l'Achille de *Thomas Corneille* l'est sans aucun doute. Mais sa violence n'est pas la violence directe, physique, que l'on attend de lui : c'est une violence morale, assez perverse, qui entre en contradiction avec son image de grand guerrier. *« Qui peindrait Ulysse en grand guerrier, ou Achille en grand discoureur, ou Médée en femme fort soumise, s'exposerait à la risée publique »*, estime Pierre Corneille [57]. Son frère n'a pas fait un Achille discoureur (comme on a pu le reprocher à celui de Racine), mais un Achille lâche et pervers, ce qui est pire peut-être. Même en faisant abstraction de la convenance individuelle du caractère d'Achille, le personnage choque la bienséance la plus élémentaire. Achille est roi, mais un roi absolument dépourvu des vertus royales (équité, prudence, etc.). Il n'est bien entendu pas impossible de présenter sur la scène classique un roi qui ne soit pas vertueux ; mais les rois ne peuvent être méchants, quand bien même l'Histoire nous en assurerait, que s'ils sont illégitimes, comme le *Néron* de Britannicus. Fort soucieux lui-même de cette règle quinze ans avant *La Mort d'Achille*, Thomas Corneille ne s'était cru autorisé à présenter l'empereur Commode tel que l'Histoire nous l'a légué (c'est à dire monstrueux) qu'au prix d'un raisonnement démontrant à toute force son illégitimité, selon des critères anachroniques faisant intervenir la loi salique : C'est le sang de Faustine & non d'vn Empereur, Et par cent lâchetez l'abus de sa puissance Ne le conuainc que trop d'vne fausse naissance.    (*La Mort de Commode*, V, 6) Or Achille est un roi parfaitement légitime, et sa conduite sur scène en devient hautement scandaleuse : comment prétendre, sous le règne de Louis XIV, que l'on puisse être roi légitime et méchant homme ? Au bout du compte, Gustave Reynier regrettant l'Achille de l'*Iliade* réagit en spectateur du dix-septième siècle, même si Thomas Corneille pouvait se prévaloir d'une autre tradition, celle qui part des légendes sur la jeunesse d'Achille (qui se cacha parmi des jeunes filles pour fuir la guerre), se perpétue dans les récits de Dictys et Darès, et aboutit au formidablement insolent *Troïlus et Cressida* de Shakespeare. Malheureusement pour lui, cette tradition avait perdu droit de cité, en 1673 et pour longtemps. ### Thomas Corneille critique des valeurs héroïques ? Le sujet de *La Mort d'Achille* tel que nous l'avons exposé plus haut présente donc cette particularité d'être irrecevable pour le théâtre classique ; notre époque, qui reconnaît en Achille un personnage de légende, et dans les monarques des êtres faillibles, ne peut en revanche que le trouver légitime. Mais Thomas Corneille n'est pas de notre époque. S'agit-il de sa part d'une profonde maladresse heureusement réparée par le cours de l'histoire, ou d'une tentative délibérée de s'émanciper des valeurs héroïques qui imprègnent la tragédie classique ? Helen Harrison, dans un article centré sur *Ariane* [58], mais qui tient compte de *La Mort d'Achille*, estime que Thomas Corneille, dans ses tragédies des années 1670, a entrepris une démolition systématique de l'héroïsme traditionnel, et de la galanterie précieuse, qu'elle considère comme son pendant (le héros règne sur le monde, l'héroïne règne sur le héros, d'où son prestige — ce que le cas de Briseis vérifie assez bien). Sa démonstration tendant à faire d'Ariane elle-même un personnage antipathique, qui tyrannise Thésée par ses exigences fondées sur le mythe précieux de l'amour par reconnaissance, dépasse probablement les intentions de Thomas. Il n'en reste pas moins qu'avec Thésée, celui-ci a présenté un héros, à la valeur reconnue, mais dont le prestige est diminué par sa dette envers Ariane, et qui surtout la trahit en confiant les basses oeuvres à des tiers (Pirithoüs et OEnarus). *Ariane* fut acceptée, et triompha même, parce que la convenance historique de Thésée se prêtait à une telle insolence (le héros athénien est connu notamment pour sa carrière de séducteur, et sa trahison envers Ariane n'est pas un fait inventé par Thomas Corneille, contrairement à celle d'Achille envers son fils), et parce que le personnage central de la pièce, Ariane elle-même, concentrant sur sa personne tout le pathétique de la situation, fit verser des larmes justifiées à un public peu soucieux de Thésée. Avec *Achille*, Thomas s'attaquait frontalement à une statue qui offrait moins de failles ; il échoua. Il est douteux que l'on puisse observer chez Thomas une remise en question idéologique radicale (que Helen Harrison justifie de façon peu convaincante par la difficulté qu'il y aurait eu à vanter les héros de légende face au héros officiel qu'était Louis XIV) ; cependant, sa recherche, à la suite de Racine, de sujets permettant de dépeindre avec une vraisemblance nouvelle les faiblesses du coeur humain, l'a probablement amené à rejeter, très consciemment sans doute, les exigences d'exemplarité héroïque posées par l'esthétique de son époque. Il est logique que cet auteur persévérant de tragédies galantes (qu'elles soient plutôt romanesques ou plutôt raciniennes) ait voulu considérer les hommes plutôt que les héros, et remarquable qu'avec *La Mort d'Achille* il ait osé pousser cette audace dans ses dernières conséquences. # Une tragédie galante aux accents raciniens. Nous pensons avoir démontré plus haut ce que l'intrigue de *La Mort d'Achille* doit à l'influence de Racine. L'affinité de la pièce de Thomas Corneille avec les oeuvres de Racine nous semble aller plus loin encore, et justifier qu'on la place, avec *Ariane* et *Essex*, au rang des « tragédies raciniennes » de notre auteur, si l'on veut bien entendre par là, non pas le pastiche ou la soumission impersonnelle à l'oeuvre d'un autre, mais l'adoption de solutions dramaturgiques qui permettaient à Thomas de renouveler l'expression de ses préoccupations d'auteur. ## Inertie de l'élément politique : une tragédie galante. L'appréciation de Gustave Reynier, qui voit en *Achille « la plus romanesque et la plus fausse »* des tragédies de Thomas Corneille [59], et l'oppose à la réussite racinienne d'*Ariane*, est pour le moins surprenante. L'accusation de fausseté mérite au moins l'examen ; mais il est permis de se demander ce que Reynier a pu trouver de romanesque dans *La Mort d'Achille* qui nous semble au contraire, après la parenthèse de *Théodat*, renouer avec la veine racinienne de son auteur [60]. Non d'ailleurs que le romanesque soit fatalement un défaut ; mais nous pouvons nous passer de résoudre cette question. Nulle trace ici des éléments que Reynier reproche aux « tragédies romanesques » : aucun roi débonnaire, nulle apparence de sujet dévoué et prêt au sacrifice, pas l'ombre d'un traître ambitieux. Si la tragédie est galante, le discours des amants n'est pas débordé par la rhétorique précieuse (bien qu'elle y trouve sa place) : les douleurs de Briseis abandonnée ne sont pas sans fondement ; loin de ménager une gloire toute personnelle, Polixene est toute dévouée à sa patrie, sentiment fort naturel en temps de guerre ; que dire d'Achille, qui s'estime dispensé d'avoir à faire la cour à sa bien-aimée car ... pour le mériter *son coeur* le nom d'Achille est tout !    (II, 1, v. 428) La seule scène qui nous semble céder à la préciosité est la deuxième du cinquième acte, où Pyrrhus, venu faire ses adieux à Polyxène, lui tient un discours dont la cohérence est sacrifiée au pathétique, et dont l'absence d'enjeu ralentit le dénouement. Enfin les caractéristiques qui définissent l'action de la « tragédie romanesque » selon Reynier sont totalement absentes de *La Mort d'Achille*. Sans atteindre la simplicité extrême de la *Bérénice* de Racine, l'intrigue en est limpide : Achille impose son mariage à ses proches et à sa fiancée elle-même. Les espérances des autres personnages, relativement diverses, ne sont là que pour être contrariées. Qu'Achille les trompe un moment (ce qui, avec le dénouement, constitue la seule véritable péripétie au sens de Jacques Scherer [61]) est précisément ce qui les empêche de réagir quand il en est temps encore, et leurs ambassades sont sans effets. Où sont les déguisements, les substitutions d'identités, les batailles perdues ou gagnées, les séditions populaires du cinquième acte (à moins de considérer Paris comme une sédition populaire à lui tout seul), les révélations oedipiennes qui justifieraient l'épithète de « romanesque » ? Il ne fait aucun doute pourtant que Gustave Reynier ait lu la pièce : sa condamnation du personnage d'Achille (voir ci-dessus) le démontre. Qu'il n'ait pas su y voir un exemple de ces « tragédies raciniennes » qui sont ses préférées entre celles de Thomas Corneille n'en est que plus mystérieux. Si *La Mort d'Achille* n'est pas une tragédie romanesque, il s'agit sans contestation possible d'une tragédie galante : à la tragédie soumise aux intérêts d'Etat que prône son frère, Thomas préfère une esthétique où les sentiments amoureux occupent le premier plan. La politique est dans *La Mort d'Achille* un élément strictement inerte, qui dépend entièrement de l'économie des passions. Si à la fin de la pièce, le spectateur a la certitude que le conflit va reprendre, c'est que la mort d'Achille a bouleversé les rapports des deux camps : les Grecs tiennent un nouveau *casus belli* puisque le héros a péri sous les coups d'un Troyen, et les Troyens eux-mêmes recouvrent quelque espoir après la disparition de leur adversaire le plus dangereux (v. 1664). Mais ce bouleversement politique n'est que potentiel, presque sous-entendu, et postérieur à la fin de la pièce. Enfin son élément déclencheur a des causes purement passionnelles : la douleur de Paris, et la jalousie de Briseis, elle-même causée par l'amour d'Achille pour Polixene. On peut même considérer que l'amour, qui fait agir les quatre personnages principaux, les empêche de considérer que l'autre terme de l'accord (l'obligation pour les Troyens de rendre Hélène) n'est pas tenable, les aveugle sur la situation politique réelle, et les fait agir sans en tenir compte. Au cours de l'action elle-même, la situation politique n'évolue pas. Le premier acte nous apprend que le motif secondaire d'inimitié entre les deux camps est apaisé : après avoir vengé Patrocle, Achille a rendu les honneurs funèbres à Hector. Le deuxième acte, achevant l'exposition, confirme qu'Achille est favorable à la paix. Dès lors, la situation politique est bloquée : le dilemme d'Achille (épouser Polixene, ou la céder à Pyrrhus) présente deux issues également favorables à la conclusion d'un traité, puisque le mariage de Polixene avec un Grec du sang d'Achille est assuré. Le poids de la politique dans son choix est donc nul : le problème d'Achille est purement sentimental (et moral dans la mesure où il met en jeu sa fibre paternelle). Les actions des personnages *pourraient* avoir des conséquences politiques (mais la pièce infirme toujours cette possibilité [62]), la situation politique n'en a aucune sur leurs actions. Le seul personnage qui échappe à ce schéma est Polixene ; mais précisément Polixene, paralysée par la prophétie de Cassandre, n'agit pas, sauf lorsqu'elle tente (IV, 2) une ambassade auprès d'Achille, au succès de laquelle elle ne croit probablement guère (III, 5, v. 953 et, de façon moins marquée, v. 1015-1020). Le choix de la Guerre de Troie comme arrière-plan de la pièce n'est d'ailleurs pas innocent : c'est un conflit basé sur un rapt amoureux. Thomas Corneille présente un monde où la politique est la continuation de l'amour, par d'autres moyens. La valorisation de la grandeur *en soi* d'une dynastie ou d'un Etat est totalement étrangère à son propos – d'ailleurs Briseis, qui pourrait prétendre recouvrer le trône qui lui fut ôté, méprise absolument le pouvoir politique (IV, 4, v. 1391-1394) [63]. Peut-être cette idée est-elle romanesque (c'est elle qui sous-tend *Timocrate*) – mais elle n'est pas étrangère à Racine : l'ambassade confiée à Oreste dans *Andromaque* lui est un pur prétexte à la reconquête d'Hermione, et Pyrrhus, dans cette même pièce, se déclare prêt à relever la grandeur de Troie pour plaire à Andromaque (I, 4, v. 329-332) ! En effet, si toute tragédie galante n'est pas racinienne (tant s'en faut), les tragédies de Racine sont galantes à bien des égards, même si l'auteur de *Britannicus*, afin de pouvoir sérieusement prétendre se mesurer au grand Corneille, néglige moins l'élément politique que ne le fait Thomas, qui peine à montrer un monde gouverné par l'intimité des personnages. Il lui manque, pour rejoindre tout à fait Racine, d'avoir donné des conséquences politiques au dilemme d'Achille ; l'intuition de la soumission de la politique aux passions n'est exprimée dans *Achille* que de façon négative, en creux, sauf peut-être dans la renonciation de Briseis au pouvoir politique (v. 1391), qui constituerait, du point de vue de ses sujets, un acte de haute trahison digne du Pyrrhus d'*Andromaque*. En revanche, Thomas rejoint Racine en présentant des personnages dont l'égarement passionnel est la cause des malheurs : Achille valeureux mais inconstant et poussé par l'amour jusqu'à la cruauté, mais aussi Briseis, capable de souhaiter par jalousie la mort de ceux qu'elle chérit (Achille, Polixene), voire Polixene elle-même, qui fait bon marché des sentiments de son frère, provoquent leurs propres souffrances. ## De l'extrême joie à l'extrême malheur : une tragédie de la désillusion. Dans la préface de *Bérénice*, Racine proposait aux auteurs de tragédie un nouveau défi : faire *« quelque chose de rien »* [64]. Thomas Corneille semble avoir, sinon fait sien ce projet, du moins l'avoir placé à l'horizon de son propre travail, en écrivant *Ariane* et *La Mort d'Achille*. L'action de cette dernière pièce est en effet toute simple, et la matière en est tirée, à l'exemple de *Bérénice* mais aussi des plus anciennes tragédies françaises, jusqu'au *Pyrame et Thisbé* de Théophile de Viau, de l'expression des sentiments des personnages. ### Dramaturgie de la réjouissance et de la déploration. La première marque de cette dominante expressive se trouve dans les incipit des scènes, qui expriment généralement la réaction d'un personnage à la situation, réaction toujours violente, soit dans l'espoir, soit dans le désespoir. À l'exception des trois dernières scènes du troisième acte (encore que le cas de III, 5 soit ambigu), et de la toute dernière du cinquième acte, les deux premiers vers de chaque scène comportent toujours, soit une indication affective (c'est nous qui la soulignons, le cas échéant) : Ne vous étonnez point si *dans nostre infortune*...    (I, 2) *Helas* ! que luy demandez-vous ? *Tremblez, Prince, tremblez* au nom de Polixene...    (I, 3) Seigneur, de mon amour ne blâmez point l'audace S'il vient vous demander *une nouvelle grace.*    (II, 2) L'as-tu bien entenduë, & conçois tu ma peine...    (II, 3) Seigneur, Briseis vient de me faire sçavoir *L'appuy que vos bontez prestent à mon espoir...*    (II, 4) Ah, de tous les malheurs le dernier & le pire !    (II, 5) ...soit du moins un terme invitant l'interlocuteur à manifester sa joie ou sa peine : Prince, *n'en doutez point*, je l'obtiendray d'Achille.    (I, 1) *Ce triomphe* à tout autre eust esté difficile.    (II, 1) Et ainsi de suite. Fidèle à son ambiguïté permanente, Achille attaque la scène 2 de l'acte IV par un vers du même ordre, mais qui concerne les sentiments de Polixene et se refuse à les énoncer clairement : Madame, dans vos yeux je lis ce qui se passe... Il est remarquable, à l'intérieur même de cette recherche systématique d'expressivité, que les quatre premiers actes commencent tous par une manifestation de joie (automatiquement frappée d'ironie), et que seul le cinquième, à l'approche du dénouement, fasse exception. Ainsi l'expression des sentiments se trouve prise dans un mouvement, celui de la désillusion des protagonistes, qui donne à la pièce un mouvement tragique minimal (au sens où l'épuisement des espoirs dans *Bérénice* est tragique), avant que l'action ne s'achève dans le sang. L'intérieur des scènes répond évidemment à cette préparation systématique : craintes de Polixene, joie et désespoir de Pyrrhus, imprécations de Briseis culminent dans de véritables concours de lamentations (cf. III, 5, v. 980 et V, 4, v. 1577-1578). L'impuissance des personnages, condamnés à subir les initiatives d'Achille, fait de leurs lamentations, qui confinent parfois à l'élégie (chez la Briseis désabusée de l'acte IV ou dans les adieux des amants en V, 2) le ressort pathétique principal de *La Mort d'Achille*. ### Une écriture qui cherche son souffle. Pour qu'on pût raisonnablement comparer *Achille* aux pièces de Racine, il faudrait que le style de Thomas Corneille approchât de la force, dramatique ou élégiaque, de celui de l'auteur de *Bérénice*. Cela n'est pas raisonnablement possible, même si la *Mort d'Achille* est une preuve, parmi d'autres, de l'injustice faite à un auteur trop souvent accusé de galimatias (insulte passe-partout s'il en fut). Remarquons à son actif l'habileté des dialogues à double entente, que celle-ci soit volontaire ou non de la part des personnages ; en effet, si Achille excelle dans l'art de tromper son monde, c'est également un discours à double sens qui fait de Polixene la prophète inconsciente de son propre sort (V, 2, v. 1475-1478). Nous sommes ici aux antipodes de tout galimatias : car les différents sens possibles d'une même phrase sont dans chaque cas très clairs. La musicalité et la finesse rhétorique de certains vers permettent de décerner à leur auteur le titre de véritable poète dramatique : C'est le mesme, il est vray, mais les temps ont changé.    (v. 204) Aimez-moy toûjours, Prince, & ne me parlez plus.    (v. 1532) nous ravissent. Les mouvements intérieurs des personnages sont dépeints avec force (voir les fulgurances épiques des angoisses de Polixene), leurs rapports avec finesse : Thomas reprend à Racine le passage au tutoiement au paroxysme de la tension dramatique ; c'est ainsi que Briseis tutoie Achille à partir du vers 1349 (IV, 3), ce que ne se permet jamais la timide Polixene. Cependant il faut admettre que Thomas Corneille ne parvient pas, peut-être par souci de conserver à *La Mort d'Achille* la dignité de la tragédie et la rigueur dramatique, à égaler les vertigineux vers élégiaques de *Phèdre* ou de *Bérénice*. Aucun vers de *La Mort d'Achille* ne nous semble atteindre à la profondeur de *« Dieux ! que ne suis-je assise à l'ombre des forêts ! »* [65], parce que la forêt, motif concret et objet de fantasme, n'est pas nommable dans le digne et resserré vocabulaire de *La Mort d'Achille* (probablement plus restreint encore que celui de Racine, dont c'est pourtant un des titres de gloire), ou de *« Je demeurai longtemps errant dans Césarée »* [66] ou *« La fille de Minos et de Pasiphaé »* [67], parce que les noms propres sont chez Thomas Corneille les vecteurs de l'esquisse d'un contexte, et d'un effet de reconnaissance culturelle, mais non pas la clef musicale de la mémoire des personnages. Il est plus regrettable encore, car il s'agit d'un véritable défaut et non d'un manque d'attraits par comparaison, que Thomas Corneille, dans sa recherche d'un moyen terme entre la rhétorique implacable de son frère et la souplesse du dialogue racinien, ne parvienne pas à trouver à son écriture un souffle propre. Ses tirades, dans cette pièce où les répliques sont souvent fort longues, manquent de la construction rigoureuse, basée sur l'emploi du quatrain, de celles de l'auteur d'*Horace*. Thomas devait être conscient de ce défaut : on constate, au fil des éditions successives de la pièce, et particulièrement en 1692, un durcissement de la ponctuation destiné à renforcer la structure de nombreuses tirades ; mais il arrive à Thomas d'exagérer dans cette direction, et de tomber dans l'excès inverse : ainsi les vers 153-162 représentent deux phrases en 1676 (c'est assez peu) et six en 1692 (c'est trop) ! Les passages, en revanche, où le dialogue se presse, où les vers se coupent, ceux mêmes au sein de développements plus longs où les sentiments du locuteur se bousculent, n'ont pas la souplesse frémissante de la prosodie racinienne. En somme, Thomas Corneille se montre le digne disciple de Racine ; s'il le copie, c'est pour l'avoir intimement compris : tous deux cherchent l'homme derrière le personnage, la contradiction intime et non la vraisemblance égale à elle-même. Sa personnalité se révèle suffisamment d'ailleurs par la cohérence thématique de la pièce avec ses oeuvres précédentes : *Timocrate* (les amants ennemis), *Antiochus* (la rivalité père-fils), *Ariane* (la solitude de la femme abandonnée par un héros antipathique). Ne nous cachons point cependant qu'il n'a pas aussi bien réussi que son modèle à trouver à son propos une forme dramatique satisfaisante : bloquant la situation politique, il ne manque pas de valoriser la prééminence des passions, mais échoue à montrer leur rôle moteur autrement que par les vaines résolutions de Pyrrhus et Briseis, et *in fine* par le geste de Paris. Achille menace bien (IV, 2, v.1228-1230 — une autre menace est désamorcée, car son aboutissement est connu, en III, 5, v. 948-950) de reprendre le combat s'il ne peut épouser Polixene ; mais le spectateur n'a pas le moindre doute à ce sujet : Priam et Polixene céderont au chantage. L'échec public de la *Mort d'Achille*, à laquelle il ne manque peut-être que plus d'équilibre dramaturgique, ou l'intensité pathétique d'*Ariane*, rend plus sensible encore, peut-être, le coup de force que représente le théâtre racinien # Postérité et influence de La Mort d'Achille. ## Influence immédiate de *La Mort d'Achille*. Malgré son échec, il semble bien que *La Mort d'Achille* ait intéressé au moins certains confrères de Thomas Corneille, et Racine lui-même en tout premier lieu. Le monstre marin, appelé par les malédictions de Thésée, qui fait périr Hippolyte au cinquième acte de *Phèdre* (1677) n'est pas sans rappeler, on l'a vu, l'irruption de Paris qui tue Achille en réponse aux voeux de Briseis. Si par ailleurs l'usage du *deus ex machina* est plus explicite dans *Phèdre* que dans *Achille*, il s'appuie sur les circonstances légendaires de la mort d'Hippolyte. Mais dès l'année qui suivit la création de *La Mort d'Achille*, Racine s'empara à son tour de ce héros, qui est un des personnages principaux d'*Iphigénie*. Or il s'y trouve précisément l'objet de la jalousie de sa captive Eriphile (un nom qui paraît dans *Timocrate* ! ), et amoureux d'une autre femme (Iphigénie). Mais l'Achille de Racine ne heurte nullement la bienséance, puisqu'Iphigénie l'aime en retour et surtout que jamais il n'a témoigné d'amour pour Eriphile. Il est donc incomparablement plus sympathique, et plus acceptable pour les contemporains, que celui de Thomas Corneille ! La similitude des situations (soulignée par Antoine Adam [68]) ne permet pas de douter que Racine se soit inspiré de *La Mort d'Achille* et que, si Thomas Corneille lui devait beaucoup, il le lui a bien rendu. La même année, Pierre Corneille donnait sa dernière pièce, l'une des plus belles, *Suréna*, qui présente également une chaîne amoureuse à quatre personnages ; quoique l'intrigue et la conclusion de *Suréna* soient fort différentes de celles de *La Mort d'Achille* (puisque chez le grand Corneille c'est le pouvoir politique qui finit par triompher sur le héros galant), la fameuse scène d'adieux entre Suréna et Eurydice (I, 3) s'inspire très manifestement, dans sa première partie, des adieux de Pyrrhus à Polixene (V, 2) ; mais chez le vieux poète du *Cid*, la scène intervient au début de la pièce et constitue le noeud de l'intrigue, car les deux amants y décident de leur attitude face au danger qui les menace ; en outre les deux personnages y sont également prestigieux et sympathiques : la scène est nettement plus convaincante, et Thomas Corneille semble avoir ici préparé le brouillon de son aîné. Un cas plus curieux et plus pittoresque est celui de l'opéra (bien oublié) de Pascal Colasse, *Polixene et Pirrhus* (1706), dont le livret est dû à Jean-Louis-Ignace de La Serre (1662-1751). Celui-ci conte, en vers libres d'une divertissante platitude (« J'aurois aimé la vie/Si j'avois pû vivre pour vous » ), comment Pirrhus, contraint par le fantôme de son père à sacrifier sa captive Polixene, ne put s'y résoudre par amour pour la jeune fille. L'action est située en Thrace afin que Pyrrhus soit à son tour l'objet de la jalousie d'une princesse des environs, qui empêche la fuite des deux amants... avant de s'en repentir. Quelques apparitions divines s'avèrent nécessaires pour faire avancer l'action et utiliser la machinerie du théâtre, et finalement Polixene se suicide sur l'autel du sacrifice, comme l'Eriphile d'*Iphigénie*. Plusieurs éléments rappellent *La Mort d'Achille*, et par dessus tout l'idée d'un amour entre Pyrrhus et Polyxène, inventée de toutes pièces par Thomas Corneille pour les besoins de sa tragédie. Faut-il supposer que La Serre connaissait *La Mort d'Achille* ? Cela n'a rien d'impossible : Thomas Corneille était encore de ce monde, et les éditions de ses oeuvres complètes se multipliaient. Cela n'est pas sûr pour autant ; peut-être, soucieux de refaire *Iphigénie*, La Serre en est-il venu à la même solution que Thomas. La comparaison entre les deux textes, quoi qu'il en soit, est toute à la gloire de l'auteur de *Timocrate*. Il faut enfin signaler une « tragédie en musique » de Campistron, *Achile et Polixene* (1687), dont la musique était signée de Lully et du même Pascal Colasse. Le sujet de la mort d'Achille y est à nouveau traité, selon le récit de Dictys et Darès, mêlé à des éléments de l'*Iliade* (le conflit entre Agamemnon et Achille pour la possession de Briséis). L'influence de Thomas Corneille ne s'y fait guère sentir, moins en tous cas que celle de Benserade : Briséis apparaît, mais non pas Pyrrhus. Si Briséis y demande le secours des Dieux, c'est surtout pour Campistron prétexte à faire apparaître Junon sur une machine, ce qui est l'occasion de divertissements. Il s'agit donc probablement d'une initiative de l'auteur, à rattacher aux procédés habituels de la tragédie lyrique. Du point de vue littéraire, l'oeuvre se signale par une accumulation d'événements (morts de Patrocle, d'Hector, d'Achille, de Polixene), par l'invention curieuse de l'amour de Polixene pour Achille (qui l'amène à se suicider) et par quelques beaux vers, dont les ultimes plaintes de l'héroïne, qui terminent la pièce : Reçoy mon Sang aprés mes pleurs Achile ; c'est à toy que je me sacrifie ; .... Sans toy je déteste la vie, .... Ouy je le jure....helas....je frissonne....je meurs. ## Une oeuvre pour notre époque ? Les rares auteurs à avoir commenté *La Mort d'Achille* l'ont presque unanimement blâmée. Le silence assassin des frères Parfaict et les notations lapidaires de Gustave Reynier sont les expressions les plus fortes de cette réprobation. Sans prétendre évidemment que *La Mort d'Achille* soit un chef-d'oeuvre (l'action languit quelque peu entre le quiproquo qui, de sa préparation à sa résolution, remplit presque deux actes, et l'inflexibilité absolue d'Achille qui empêche ensuite la situation d'évoluer ; le dénouement comporte des incohérences ; le personnage de Pyrrhus est faible ; le style n'a pas la poésie du verbe racinien), il nous semble que cette pièce abonde en qualités, dont la caractéristique est parfois précisément de n'apparaître telles qu'à nos yeux modernes. Le personnage d'Achille, création puissante, nuancée et originale, et parfaitement consciente de la part de Thomas Corneille, puisqu'il prolonge manifestement le Thésée d'*Ariane*, peut valoir à son auteur l'admiration d'un temps qui n'attend plus d'un héros qu'il soit infaillible, ni d'un roi qu'il soit surhumain. Autant il pouvait sembler incompréhensible et monstrueux au public de 1673, et ce pour des raisons qui relèvent d'une idéologie qui n'est plus la nôtre, autant notre époque, qui connaît Hamlet, Mme de Merteuil, Raskolnikov, l'Ivanov de Tchekhov, le Lantier de *La Bête Humaine*, le Meursault de Camus, peut voir en lui un personnage passionnant, qui fait la force de la pièce qui repose sur ses épaules. Plus prosaïquement, en raison de l'allongement de l'espérance de vie, la rivalité d'un fils et d'un père encore jeune est une situation plus vraisemblable pour notre époque que pour celle de Thomas Corneille. Achille n'est pas un amant ridicule ; invulnérable et fils d'une déesse, il n'a pas les cheveux gris de Priam, ni du Séleucus d'*Antiochus* (que sa généreuse renonciation à l'amour garantissait contre une lecture comique). *La Mort d'Achille* est un texte bien étrange : une tragédie classique, d'une certaine rigueur et d'un métier appréciable, qui repose sur un personnage éminemment moderne. # Note sur la présente édition. L'édition originale de *La Mort d'Achille* existe-t-elle encore ? Malgré des recherches menées à Paris, Rouen, Lyon, Londres et Washington, il nous a été impossible de nous en procurer un exemplaire. Elle est absente de la bibliographie d'Alexandre Cioranescu. Selon C. J. Gossip [69], il n'en existe plus de copie, non plus que de celle de la pièce suivante de Thomas, *Don César d'Avalos*. En revanche, sa mention par Reynier et Lancaster nous incite à croire qu'il n'est pas impossible de la trouver. Son existence est avérée par un catalogue de la Bibliothèque Municipale de Lyon, datant du début du XIX*e* siècle, où elle figure à la date de 1673 (qui s'explique probablement par une faute de lecture du bibliothécaire). Malheureusement, elle est introuvable dans les collections actuelles. Il se peut qu'elle y figure encore, mais qui sait où ? À titre d'indice et de curiosité, signalons que l'édition des *Chefs d'oeuvres de T. Corneille*, par les soins de la Petite Bibliothèque des Théâtres (Paris, 1786), dans le catalogue commenté des oeuvres de Thomas Corneille qu'elle propose, prétend que l'édition originale fut publiée par Thomas Guillain et non Claude Barbin [70]. Il s'agit très probablement d'une erreur due au manque de documentation, voire d'un lapsus. Thomas, qui n'était guère fidèle à ses libraires, n'a jamais confié qu'une seule pièce à Thomas Guillain ; encore n'était-elle qu'à moitié de lui : c'est *Le Festin de Pierre*. Par ailleurs, toutes les autres sources s'accordent sur le nom de Barbin. Voici les éditions parues du vivant de Thomas Corneille auxquelles nous avons eu accès. Il s'agit soit d'éditions collectives du théâtre de Thomas Corneille, soit d'éditions comprises dans des recueils factices, et dont la diffusion séparée n'est pas avérée. Etendons-nous un instant sur celle qui nous a servi de référence. (1) — *« LA MORT / D'ACHILLE / TRAGEDIE, / Par T. CORNEILLE. / Vignette représentant un animal fouillant un nid d'insectes installé dans un arbre, avec la devise QVAERENDO / Suivant la Copie imprimée / A PARIS, / CI) I)* [71]*CLXXVI. »* (in-12°, 67 p.). Il s'agit d'une édition pirate hollandaise, attribuée par Reynier au libraire A. Wolfgang [72]. Elle se caractérise par la présence d'un frontispice représentant le trépas d'Achille, bizarrement vêtu à l'orientale, sous le regard d'une statue de Vénus. Le frontispice est signé « HP adt Brugge jnv. c⁎ fec. » [73]. Un exemplaire se trouve à la BnF dans un recueil factice intitulé *« LES / TRAGEDIES / ET / COMEDIES / de / Th. Corneille, / Reveues & corrigées, & augmentées / de diverses pieces nouvelles / V. PARTIE / Suivant la Copie imprimée / A PARIS, / CI) I) CLXXVIII »* (Smith-Lesouëf R-3557) ; il est inconsultable. Le même recueil factice, mais altéré par adjonction de copies éditées en 1690, et sans page de titre, se trouve à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, à la date de 1665 (correspondant au premier tome de cette édition de Tragédies et Comédies, qui s'est étalée sur treize ans) (OE e8° 426 *2-4* — INV. 740-742 RES.). Ce dernier recueil contient *Ariane* et *Circé* dans l'édition de 1690, *La Mort d'Achille, D. Cesar d'Avalos, L'Inconnu* et *Le Comte d'Essex*. Cette édition est paginée comme suit : 1 Frontispice 2 Page blanche 3 Page de titre 4 Acteurs 5 - 67 La Mort d'Achille, tragédie. La numérotation n'est imprimée qu'à partir de la page 6. Dans l'exemplaire de la BNF, que l'on a entr'ouvert sous mes yeux, les pages 1 et 2 sont inversées, de sorte que le frontispice fait face à la page de titre. Il s'agit manifestement d'une page hors-texte, mais dont la pagination tient compte. Les autres éditions de *La Mort d'Achille* sont : (2) — *« LA MORT / D'ACHILLE, / TRAGEDIE. » (70 p.), dans « POËMES / DRAMATIQUES / DE / T. CORNEILLE. / V. PARTIE. / Vignette représentant un pot de fleurs / A PARIS, / Chez GUILLAUME DE LUYNE, / Libraire Juré, au Palais, dans la Salle des / Merciers, sous la montée de la Cour des / Aydes, à la Justice. / M. DC. LXXXII. / AVEC PRIVILEGE DV ROY. »* (in-12°, 572 p.) (BnF. YF-2572) (3) — *« LA MORT / D'ACHILLE, / TRAGEDIE / PAR / T. CORNEILLE. / Vignette : à la sphère / Suivant la Copie imprimée / A PARIS. / M. DC. LXXXX. » (60 p.), que l'on trouve dans les recueils factices intitulés « LE / THEATRE / DE /T. CORNEILLE, / Reveu, corrigé, & augmenté / de diverses pieces nouvelles. / V. PARTIE. / Vignette représentant une floraison / Suivant la Copie imprimée, / A PARIS. / M. DC. LXXXXII. »* (in-12°, 479 p.) (BnF. 8-YF-1442 (BIS) et, au département Arts du Spectacle, Rf. 2.655 (V) ). Il s'agit d'une édition pirate ; la vignette « au globe » ou, comme l'appelle M. Reynier, « à la sphère », semble avoir été utilisée par au moins deux libraires distincts : Henry van Dunwaldt, à Anvers, à la fin du XVII*e* siècle (cf. l'édition originale d'*Achile et Polixene* de Campistron), et Henry Desbordes, à Amsterdam, au début du siècle suivant (cf. l'édition 5) puis les frères Châtelain (cf. l'édition 7). (4) — *« LA MORT / D'ACHILLE, / TRAGEDIE. » (70 p.), dans « POEMES / DRAMATIQUES / DE / T. CORNEILLE. / V. PARTIE. / Vignette représentant la justice / A PARIS, / Chez GUILLAUME DE LUYNE, Libraire / Juré, au Palais, dans la Salle des Merciers, / fous la montée de la Cour des Aydes, / à la Justice. / M. DC. LXXXXII / AVEC PRIVILEGE DU ROI. »* (in-12°, 598 p.) (BnF. YF-2577) (5) — *« LA MORT / D'ACHILLE, / TRAGEDIE. » (56 p. numérotées 371-426 et un hors-texte), dans « LE / THEATRE / DE / T. CORNEILLE. / Nouvelle Edition revûë, augmentée des Pieces / dont l'Avis au Lecteur fait mention, & / enrichie de tailles-douces. / IV. PARTIE. / Vignette : à la Sphère / A AMSTERDAM, / Chez HENRY DESBORDES, / dans le Kalver-Straat. / M. DCCI. / Avec Privilege des Etats de Holl. & Westf. »* (in-12°, 426 p.) (BnF. YF-2550). Cette édition reproduit en hors-texte le frontispice de l'édition 1, entre la liste des acteurs et la première page du texte, mais la signature ne s'y trouve pas. Il s'agit donc probablement d'une copie de la gravure originale. (6) — *« LA MORT / D'ACHILLE, / TRAGEDIE. » (64 p.), dans « POEMES / DRAMATIQUES / DE / T. CORNEILLE. / NOUVELLE EDITION, / revûë, corrigée, & augmentée. / CINQUIEME PARTIE. / Vignette : à l'Ecu de France / A PARIS, / Chez CHARLES OSMONT, ruë S. Jacques, / au coin de la ruë de la Parcheminerie, / à l'Ecu de France. / M. DCCVI. / AVEC PRIVILEGE DU ROI. »* (in-12°, 553 p.) (BnF. YF-2587) Cette édition, quoique officielle, est de médiocre qualité, et les leçons aberrantes y abondent. (7) — *« LA MORT / D'ACHILLE, / TRAGEDIE. » (56 p. numérotées 371-426 et un hors-texte), dans « LE / THEATRE / DE / T. CORNEILLE. / Nouvelle Edition revûë, augmentée des Pieces / dont l'Avis au Lecteur fait mention, & / enrichie de tailles-douces. / IV PARTIE. / Vignette : à la Sphère / A AMSTERDAM, / Chez les Freres CHATELAIN, / près de la Maison de Ville / M. DCCIX. / Avec Privilege des Etats de Holl & Westf »* (in-12°, 426 p.) (BnF. 8-YF-1341 (4) ) Le titre et la pagination de cette édition indiquent qu'il s'agit d'une nouvelle mouture de l'édition 5, dont elle reprend d'ailleurs certaines leçons caractéristiques, non sans s'inspirer en parallèle de l'édition 6. Gustave Reynier signale une édition lyonnaise (chez Bachelu et fils) datée de 1698. Nous n'en avons pas trouvé trace. Le texte ici présenté suit fidèlement celui de l'édition hollandaise de 1676, dont nous reproduisons la pagination entre crochets à la droite du texte. Son caractère pirate, occasion de quelques négligences, nous semble en effet compensé par la proximité qu'on peut lui supposer avec l'édition originale. Nous en avons scrupuleusement respecté l'orthographe, suffisamment moderne pour qu'un lecteur contemporain en goûte le charme sans difficultés. La distinction entre les i et les j, ainsi qu'entre les u et les v, y était déjà faite ; on n'y trouve (à l'exception du vers 815) aucune ligature à simplifier, mise à part celle de la conjonction « et » en « & », suffisamment familière pour que nous la laissions subsister. La ponctuation est également celle de l'édition de 1676. Elle peut dérouter en de rares occasions ; si les points /./ indiquaient peu ou prou la fin d'une phrase, il faut se souvenir qu'à l'époque, les différents signes de ponctuation /, / /;/ /:/ /./ étaient principalement l'indice d'une pause plus ou moins longue lors de la déclamation du texte, et non d'une rupture grammaticale. Il est par conséquent évident, s'agissant d'un texte de théâtre, destiné plus que tout autre à être déclamé, que la ponctuation de l'auteur doit être préservée, ou du moins ce qui s'en approche le plus, compte tenu des fautes probables des imprimeurs successifs. Les points d'interrogation et d'exclamation, quant à eux, ont également une valeur musicale : ainsi, le point d'interrogation sera utilisé pour indiquer que la voix doit monter, même lorsque la phrase qu'il conclut n'est pas à proprement parler interrogative. Une autre question qui mérite intérêt est celle des majuscules attribuées à certains substantifs, souvent de façon systématique malgré quelques hésitations et revirements (souvent accordée à « hymen » dans les premières éditions, la majuscule lui est refusée par la suite). Attribuer une majuscule à un mot, c'est demander à l'acteur de hausser la voix pour le prononcer. Un tel effet n'est pas exigé par les auteurs pour de pures raisons d'euphonie : le réseau des mots ainsi mis en valeur n'est pas sans enseignements sur les enjeux du texte, ou sur l'idéologie qui le sous-tend. Un cas intéressant dans *La Mort d'Achille* est celui du mot « Tente », généralement doté d'une majuscule, alors qu'il s'agit d'un objet en apparence bien modeste — mais non pas si l'on songe que la tente abrite un roi, et qu'elle devient un substitut, adapté à la situation, du palais royal, un lieu investi du prestige de son occupant, et qui est placé sous sa souveraineté personnelle : Achille marque sa volonté de paix en mettant sa tente à la disposition de Priam, et y mène les négociations ; devant les murailles de Troie, une tente a en quelque sorte le statut d'une ambassade. Les variantes purement orthographiques sont extrêmement nombreuses d'une édition à l'autre, en raison de la fluctuation de l'usage, et des efforts de modernisation de l'auteur. C'est pourquoi nous ne les avons pas signalées, dans le souci de conserver un texte lisible. Toutefois nous avons signalé en note, pour les raisons que nous venons d'évoquer, toutes les variantes concernant la ponctuation ou l'emploi des majuscules – ainsi, bien entendu, que celles qui sont de nature à modifier le sens du texte. Dans l'établissement de ces variantes, nous avons rejeté les leçons qui nous semblaient aberrantes, et nous avons accordé le même crédit aux éditions pirates qu'aux éditions « officielles », puisque après tout notre texte suit celui de la première copie hollandaise. C'est la date de l'édition qui présente la variante qui introduit celle-ci et permet son identification. Par exemple : * – 1682 : quelques        *signifie*        L'édition de 1682 porte « quelques » * – 1682, 1692 : bien,    *signifie*        Les éditions de 1682 et 1692 portent « bien, » * – 1701-09 : son        *signifie*        Toutes les éditions de 1701 à 1709 portent « son » Nous avons corrigé, en nous inspirant éventuellement des éditions postérieures, quelques « coquilles » manifestes, de ponctuation ou d'orthographe, dont voici la liste. Numéro vers | Date édition | Mention 36 | 1676 | là paix 42 | 1676 | Pyrrus 95 | 1676 | fust 101 | 1676 | n'est 177 | 1676 | toujours 245 | 1676 | propice. 265 | 1676 | qu'à 323 | 1676 | a 338 | 1676 | grand d'Achille 400 | 1676 | soupirs 440 | 1676 | ic y 513 | 1676 | mapeine 657 | 1676 | un 725 | 1676 | intérest 735 | 1676 | n'ait peu 776 | 1676 | ou 785 | 1676 | souvénir 870 | 1676 | avoir 871 | 1676 | perfere 901 | 1676 | complice. 927 | 1676 | soffrira 1040 | 1676 | perçent 1078 | 1676 | qu'elle 1100 | 1676 | qu'a 1111 | 1676 | souffriez 1184 | 1676 | à 1254 | 1676 | sont 1297 | 1676 | qu'elle 1307 | 1676 | Où 1312 | 1676 | saisons 1320 | 1676 | S'offre-encor 1346 | 1676 | Polixene ? 1391 | 1676 | Estats sans ponctuation 1424 | 1676 | a l'autel 1466 | 1676 | sôumis 1474 | 1676 | qu'à 1504 | 1676 | eust 1640 | 1676 | chércher Les termes dont le sens a varié depuis le XVII*e* siècle, et ceux qui sont désormais archaïques, font l'objet d'une explication dans les notes de bas de page. Les plus fréquents parmi eux sont regroupés dans le Lexique de la page, et précédés par un ⁎astérisque. Les définitions données sont suivies d'une mention signalant leur origine : * – (F) désigne le *Dictionnaire Universel* de Furetière. * – (R) désigne le *Dictionnaire françois* de Richelet * – (A) désigne le *Dictionnaire* de l'Académie Française Lorsque ces mêmes termes sont pris dans une acception actuellement courante et sans ambiguïté, nous ne le signalons pas. # LA MORT D'ACHILLE, TRAGEDIE. ## ACTEURS. [74]. – ACHILLE [75]. – PYRRHUS,Fils d'Achille. – POLIXENE [76],Fille de Priam, Roy de Troye. – BRISEIS [77],Princesse, Captive d'Achille. – PHENICE,Confidente de Briseis [78]. – ILIONE,Confidente de Polixene. – ALCIME [79], Confident d'Achille. – ANTILOCHUS [80],Confident de Pyrrhus. ## ACTE I [81]. ### SCENE PREMIERE. BRISEIS, PYRRHUS, ANTILOCHUS, PHENICE. BRISEIS. PRINCE, n'en doutez point, je l'obtiendray d'Achille. Pour vous auprés de luy tout me sera facile, Et quoy que mon amour vueille exiger du sien, Son coeur est trop à moy pour me refuser rien. [82] Vos yeux en sont témoins ; pour fléchir son courage⁎ [83] Envain le vieux Priam a tout mis en usage. [84] Envain ce triste⁎ Roy, pour le corps de son Fils, A joint les pleurs d'Hecube [85] à des presens exquis. Insensible à ces pleurs, trois fois d'une ame fiére⁎ Il a de tous les deux rejetté la priere, Et par tout ce que peut la plus vive douleur, Hecube ny Priam n'ont pû toucher son coeur. Si tost qu'à ses genoux j'ay fait voir Polixene, Que j'ay parlé pour elle, il a cedé sans peine, Et deux mots de ma bouche ont fait en un moment Ce que la terre entiére eust tenté vainement. J'ay proposé la trefve, & soudain avec joye Il a pour quelques jours laissé respirer Troye, Rendu le corps d'Hector [86], & luy mesme honoré Les cendres d'un Heros si justement pleuré. PYRRHUS. Aprés avoir forcé sa colére à se rendre, L'illustre Briseis a droit de tout prétendre⁎. Par cette majesté dont brillent ses appas⁎ Quels obstinez refus ne vaincroit-elle pas, Elle qui triomphant du destin qui la brave [87] A fait de son vainqueur [88] un glorieux esclave [89], Soûmis le fier⁎ Achille, & par un doux revers⁎, Trouvé l'art de régner au milieu de ses fers ? C'est en ce grand pouvoir, Madame, que j'espere. Que n'obtiendra-t'il point d'un Amant⁎ & d'un Pere ? Un mot en ma faveur⁎ couronne [90] mon amour, [91] Achille vous adore, il m'a donné le jour, Et sçait trop ce que peut un beau feu⁎ sur une ame Pour vouloir mettre obstacle au succez⁎ de ma flame⁎. La guerre n'a produit que trop d'affreux effets⁎, [92] Nous vous devons la trefve, accordez-nous la paix, Et pour faire cesser tous les sujets de haine, Obtenez que l'Hymen⁎ [93] m'unisse à Polixene. Priam qui pleure un Fils à ses larmes rendu [94], Le recouvrant en moy, n'aura plus rien perdu. BRISEIS. Malgré le sang d'Hector qu'Achille a deu répandre, Il se peut que Priam aime Pyrrhus pour Gendre [95], Qu'il consente à l'hymen⁎ qui flate⁎ vos souhaits, Mais ce n'est point assez pour nous donner la paix. Une trop rude guerre à vostre espoir s'oppose, [96] Il faut pour l'étouffer en suprimer la cause, Rendre, malgré Paris [97], Helene à Menelas. PYRRHUS. Pour appaiser les Grecs que ne fera-t'on pas ? Aprés la mort d'Hector que les Dieux ont soufferte, Troye enfin sans défence est seure de sa perte. Tandis que cette mort y fait régner l'effroy, Gagnez l'esprit d'Achille, & tout sera pour moy, [98] C'est de là que dépend le repos de ma vie. [99] Vôtre propre intérest à parler vous convie. Pour vous donner la main⁎, vous rendre vos Estats, [100] Vous sçavez qu'il attend la fin de nos combats, Et qu'il ne veut que voir la guerre terminée [101] Pour conclurre avec vous un heureux Hymenée⁎. [102] Faites vostre bonheur en asseurant le mien. BRISEIS. Achille pour ma gloire est un brillant soûtien, [103] Disposer de son coeur c'est estre plus que Reyne ; Mais pourrez vous toucher celuy de Polixene ? Il faut vous l'avoüer, si sa beauté vous plaist Ses larmes dans son sort m'ont fait prendre intérest⁎, [104] Je sens que ses malheurs attendrissent mon ame, [105] J'en partage l'atteinte, & malgré vostre flame⁎, Si le don de sa main⁎ contraignoit ses desirs, Je les écouterois plûtost que vos soûpirs ; [106] Songez ce qu'est un coeur qui s'arrache à soy-même. PYRRHUS. Je dirois trop peut estre en disant qu'elle m'aime, [107] Mais au moins si le sort ne m'avoit point trahy [108] Je pourrois me flater⁎ de n'estre pas hay. Dans l'un de nos combats pris par Hector son frere, [109] Je la vis, & la voir, fut aimer à luy plaire, [110] Puisqu'en moy sa beauté fit dés le premier jour D'un Prisonnier de guerre, un prisonnier [111] d'amour. [112] Vers elle en un moment, tous mes voeux se tournerent, [113] Mes timides⁎ regards d'abord⁎ s'en expliquerent, Et le trouble des siens avec soin consulté Ne me fit que trop voir que j'étois écouté. De ces muets témoins de mes flames⁎ secretes Cent soûpirs échapez furent les interpretes, [114] Tout leur fut favorable, & soit qu'à tant d'ardeur [115] De la belle Princesse on crust devoir le coeur, Soit que par mon hymen⁎ on se fist une joye De pouvoir prévenir les disgraces⁎ de Troye, Priam dont sans rançon j'obtins ma liberté [116] Me permit tout l'espoir dont je m'étois flaté⁎. Charmé⁎ de ce succez⁎ je viens trouver Achille. Quel revers⁎ ! mon espoir fut un bien inutile. Achille en ce moment tout saisy [117] de fureur⁎ Ne parloit que de sang, ne méditoit qu'horreur ; [118] Patrocle [119] avoit péry. Dans son impatience Troye entiére estoit deuë à sa juste vangeance. Hector fut le premier qu'il jura d'immoler, [120] J'adorois Polixene, & je n'osay parler. [121] Les effets⁎ ont remply⁎ cette funeste envie, [122] C'est peu qu'Achillle ait veu tomber Hector sans vie, [123] Trois fois, pour assouvir ses furieux⁎ transports⁎, Autour des murs de Troye il a traîné son corps, [124] Et si sa haine en vous n'eust point trouvé d'obstacles, Peut estre eussions-nous veu de plus sanglants spectacles. [125] L'étoufant pour vous plaire [126] il a par mille honneurs De ses emportements réparé les rigueurs, Et si bien modéré son humeur violente, Qu'à Priam depuis hier il a cedé sa Tente. C'est de là [127] qu'à toute heure il rend ce Roy témoin Que satisfaire Hector est son unique soin⁎, [128] Un vain tombeau [129] dressé pour apaiser son Ombre [130] De ces honneurs rendus vient d'augmenter le nombre. [131] Et pour un Ennemy, jamais tant d'amitié D'un Vainqueur adoucy ne fit voir la pitié. BRISEIS. Vous aurez pris ce temps pour revoir Polixene ? PYRRHUS. Je l'ay veuë, & n'ay pû luy parler de ma peine⁎, [132] Ses pleurs qui pour Hector coulent presque toûjours [133] Des larmes de la Reine accompagnent le cours ; Mais de ses tristes⁎ yeux la langueur [134], quoy qu'extrême, A semblé m'asseurer qu'elle est encor la mesme, Et malgré sa douleur [135] j'ay veu je ne sçay quoy Qui forçoit ses regards à s'expliquer pour moy. BRISEIS. Prince, s'il est ainsi, je n'ay plus rien à dire, [136] Achille sur ses voeux m'a donné plein empire⁎, Et pourveu que Priam réponde à nos souhaits, Je vay sur l'heure agir, soyez seur de la paix. Mon coeur comme le vostre est tout à Polixene, Et si... Mais quel sujet de nouveau me l'amene ? PYRRHUS. Madame, en ma faveur⁎ daignez luy protester... [137] BRISEIS. Voyez qu'elle s'avance, il la faut écouter. ### SCENE II. BRISEIS, PYRRHUS, POLIXENE, ANTILOCHUS, ILIONE, PHENICE. POLIXENE. NE vous étonnez point si dans nostre infortune J'ose encor me resoudre à vous estre importune. Il est, vous le sçavez, d'un coeur grand, genereux⁎, De se faire toûjours l'appuy des malheureux, Et ce que vos bontez m'ont obtenu d'Achille, M'ayant fait voir qu'en vous la vertu trouve azyle, Je viens offrir, Madame, à ces mesmes bontez Dequoy remplir⁎ l'éclat⁎ du sang dont vous sortez. Assez & trop long-temps une funeste guerre Par ses vastes horreurs desole cette terre. [138] Assez le vieux Priam a veu ses cheveux gris Dans ses derniers baisers teints du sang de ses Fils. A force de combats Troye en est épuisée, Il n'est mere à gêmir qui ne soit exposée ; [139] Chacun plaint sa disgrace⁎, & dans nos longs revers⁎ Ces lugubres habits [140] montrent ce que je pers. Dix Freres au tombeau m'ont demandé des larmes, Ce sont de ma douleur les ordinaires charmes⁎ ; [141] J'ay pleuré Lycaon [142], Antiphone [143], Mestor [144], Troile [145] ; je me tais du malheureux Hector, [146] Il doit estre appaisé par l'honneur qu'à sa cendre Aux pieds de nos remparts son Vainqueur vient de rendre ; [147] Nos yeux de cette pompe⁎ ont esté les témoins, L'éclat⁎ m'en surprend peu, c'est l'effets⁎ de vos soins. [148] Mais envain ces honneurs souffrent que je respire, [149] La fin m'en fait trembler, demain la trefve expire, Et pour peu que la guerre ait encor à durer [150] J'auray bientost Hecube & Priam à pleurer. Ils ne survivront point à la perte de Troye, [151] Au fer, au feu déja je la croy voir [152] en proye, [153] Hector estant sans vie elle n'a plus d'appuy, Luy seul en faisoit l'ame, elle estoit toute en luy, [154] Rien ne peut réparer une perte si grande, Tout périt sans la paix, & je vous la demande. Voyez [155] pour l'obtenir & d'Achille & de vous [156] La fille de Priam tomber à vos genoux, [157] Voyez-là [158] pour un Pere... BRISEIS.         Ah, c'en est trop, Princesse, [159] Une tendre pitié dans vos maux m'intéresse⁎, Et je les envisage avecque [160] tant d'effroy, Qu'en travaillant pour vous, je crois agir pour moy. Vous demandez la paix, j'y vay porter Achille, [161] Mais pour ne rendre pas ce projet inutile, Priam se répond-il⁎ que l'injuste Paris Vueille ceder l'objet⁎ [162] dont son coeur est épris ? [163] Point de salut pour Troye à moins de rendre Helene. POLIXENE. Paris a trop d'amour pour la ceder sans peine ; Mais aprés ce qu'à Troye ont cousté nos combats, L'intérest de Paris ne l'emportera pas. Si pour luy cette Helene a toûjours mesmes charmes⁎, [164] C'est peu pour tant de sang qu'il verse quelques larmes, Et de son desespoir nous craignons peu l'éclat⁎, Quand son malheur importe au salut de l'Estat [165]. BRISEIS. Cet obstacle levé, reglez la paix vous mesme, [166] Elle dépend de vous. POLIXENE.     De moy ? [167] BRISEIS.         Pyrrhus vous aime, [168] Agréez son hymen⁎ [169], la guerre est sans retour. PYRRHUS. [170]. Ah, Princesse, auriez-vous oublié mon amour, Cet amour dont mon ame heureusement charmée⁎... POLIXENE. Non, Prince, il me souvient que vous m'avez aimée, [171] Et qu'il m'eust esté doux, si le Ciel l'eust permis, Que l'Hymen⁎ [172] nous eust fait cesser d'estre ennemis. Le Roy Priam mon Pere approuva vostre flame⁎, Je vous dois cet aveu. Souffrez-le moy, Madame, [173] Un feu⁎ de qui la gloire a seule esté l'appuy Peut sans honte à vos yeux se déclarer pour luy. Ouy, Prince, de Priam vostre amour eut l'estime, [174] L'espoir qui l'alluma luy parut légitime, Et l'ordre qui m'en fit authoriser l'ardeur [175] N'eut rien qui fust contraire au panchant de mon coeur. De vos soins⁎ [176], de vos voeux [177] j'aimay le tendre hommage, [178] Mais quand je me souviens de ce triste⁎ avantage, Il me souvient aussi, malgré vos voeux receus, Qu'Achille est vostre Pere, & qu'Hector ne vit plus. PYRRHUS. Quoy, vous trouvez pour moy du crime en ma naissance ? à Briseis. Ah, Madame, de grace [179] embrassez ma défence, [180] Soûtenez un amour qui n'a jamais songé... POLIXENE. C'est le mesme, il est vray, mais les temps ont changé. [181] BRISEIS. Un scrupule pareil n'a rien qui m'inquiete, [182] Vous trouvez dans le Prince une vertu parfaite, [183] Et qui pour luy d'un Pere aima d'abord⁎ le choix, Voudra bien obeïr une seconde fois. Comme Ulysse [184] m'écoute, & peut nous estre utile, Je vay l'entretenir avant que voir Achille. Princesse, esperez-en les plus heureux effets⁎. POLIXENE. Madame, tous mes voeux se bornent à la paix. Sauvez Troye, il suffit de ce seul avantage, Ou si de cette paix on veut ma foy pour gage, Si mon hymen⁎ [185] en peut estre le seul lien, Faites-le proposer sans que j'en sçache rien, [186] C'est tout ce qu'à mon coeur ma gloire peut permettre. BRISEIS. Pour elle de mes soins il doit tout se promettre. Vous sçaurez si pour vous j'auray perdu mes pas. PYRRHUS. Allez, parlez, Madame, & ne m'oubliez pas. Pour obtenir qu'Achille à mes voeux soit propice, De mon timide⁎ espoir peignez-luy le suplice. Par tout ce que vos feux⁎ ont pour luy de plus doux, Priez, pressez. ### SCENE III. POLIXENE, PYRRHUS, ILIONE, ANTILOCHUS. POLIXENE.         *HÉLAS* ! que luy demandez-vous ? Tremblez, Prince, tremblez au nom de Polixene, [187] Laissez la ceder seule au destin qui l'entraîne, Et ne vous livrez point, sans l'avoir merité, Aux malheurs d'un Party que les Dieux ont quitté. Pour attirer sur moy leur plus rude colere, [188] Le crime est assez grand d'avoir Priam pour Pere, Ne le partagez point. Me vouloir épouser C'est empescher la paix que l'on va proposer. Quand d'abord⁎ mon hymen⁎ en dut [189] estre le gage La guerre n'avoit fait que son moindre ravage, [190] Sa fureur⁎ [191] estoit lente, & nous laissoit encor Et le jeune Troile, & [192] le vaillant Hector. Dans l'instant qu'un Traité semble un projet facile, Patrocle qui périt arme [193] contr'eux Achille, Et les faisant tomber sous l'effort de son bras, [194] Nous ramene l'horreur des plus sanglants combats. Vous y replongerez la déplorable Troye Si vostre amour encor à les finir s'employe ; Ma main⁎ est un present funeste à vous offrir, Et l'oser demander c'est chercher à périr. PYRRHUS. Pourquoy, lors que le Ciel nous voit d'un oeil propice, D'un si cruel augure écouter l'injustice ? Ces feux⁎ qui sur vostre ame ont eu quelque pouvoir [195] N'eurent jamais l'appuy d'un si riant espoir. Briseis dont pour vous l'amitié s'intéresse⁎, Pourra tout sur Achille, il l'aime avec tendresse. La trefve de ses soins⁎ est le premier effet⁎, La paix suivra sans doute, Hector est satisfait, Priam à nostre Hymen⁎ [196] consentira sans peine. Auray-je contre moi la seule Polixene, [197] Et mon amour est-il d'un prix si ravalé [198] Qu'à de vaines terreurs [199] il doive estre immolé ? POLIXENE. Prince, vueillent les Dieux que foible, & trop timide⁎, Mon coeur de nos malheurs injustement décide. Si j'en croy l'apparence ils sont prests à cesser, Tout nous promet l'hymen⁎ que vous voulez presser, [200] Briseis s'intéresse⁎ au feu⁎ qui vous anime, Achille est sans colere, & [201] Priam vous estime. Cependant malgré moy je vois de toutes parts De noirs fleuves de sang effrayer mes regards. [202] Vous sçavez de mon sort ce qu'a prédit Cassandre, [203] L'oeil farouche, égaré, [204] je croy toûjours l'entendre. A peine elle eut appris qu'on nous vouloit unir [205] Que sur ce triste⁎ hymen⁎ [206] penetrant⁎ l'avenir, Fuy Polixene, fuy l'impitoyable Achille, Me dit-elle, *tu prens un espoir inutile*, [207] Vouloir donner ta main⁎, [208]*c'est courir au tombeau*, [209] Achille est destiné pour estre ton bourreau. Jugez, Prince, jugez aprés cette menace Si mon coeur sans sujet se trouble, s'embarasse, Si de vaines frayeurs le rendent interdit. PYRRHUS. Peut-on craindre un malheur que Cassandre a prédit ? [210] Envain d'un si grand Art elle usurpe la gloire, Jamais on ne l'a cruë, & vous la voulez croire. [211] Non, ne m'opposez point que les Destins jaloux⁎ Combatent les bontez que j'attendois de vous. Dites, dites, plûtost, [212] que quoy qu'il ait pû faire, L'infortuné Pyrrhus n'a jamais sçeu vous plaire, Que ce parfait amour qu'il a fait éclater⁎ Du coeur qu'il attaquoit n'a pû rien mériter, Et que si de Priam la favorable estime Peut rendre auprés de vous son espoir légitime, Il prétendroit⁎ [213] en vain à rien plus [214], qu'à [215] jouïr De la foible douceur de vous voir obeïr. POLIXENE. Ah, Pyrrhus [216], est-ce ainsi que vous rendez justice Aux frayeurs dont pour vous j'éprouve le suplice ? Si la crainte m'expose aux plus rudes combats [217] Craint-on de voir périr ce que l'on n'aime pas ? Vous tenez de Priam l'empire⁎ de mon ame ; Mais quand il m'ordonna d'écouter vostre flame⁎, Je ne sçay si mon coeur [218] pour flater⁎ vostre espoir [219] N'avoit point en secret prévenu mon devoir, Et s'il m'eust pû souffrir sur un ordre contraire La mesme déference aux volontez d'un Pere. C'est vous faire assez voir ce qui me fait agir, [220] Je diray plus ; peut estre en devrois je rougir. Hector, l'appuy [221] de Troye, & l'effroy de la Grece [222] N'avoit que trop, helas, [223] mérité ma tendresse, [224] Je l'aimois, on le sçait. Il n'est plus cet Hector, J'en ay pleuré la perte, & je la pleure encor, [225] Dans les vives douleurs qu'elle adjouste à ma peine⁎, Je sçay qu'à son Vainqueur je dois toute ma haine, Et cependant, malgré [226] ce qu'il me fait souffrir, Quand à mes tristes⁎ yeux Achille vient s'offrir, Je me souviens plûtost qu'Achille est vostre Pere, Que je ne puis songer qu'il a tué mon Frere. L'Image⁎ [227] de son sang par ses mains répandu S'efface⁎ au souvenir de ce qui vous est deu. Point pour luy de fierté⁎ ? [228] quelques maux qu'il me coûte, Je le laisse approcher, je le vois, je l'écoute, Et Pyrrhus tient pour luy, quoy [229] qu'encor ennemis, Et ma haine enchaînée, & mon couroux soûmis. Pour vous garder ma foy triompher de moy mesme, Si ce n'est point aimer, dites-moy comme on aime. PYRRHUS. Ah, pardonnez, Madame [230], à l'erreur d'un Amant⁎ Qui se perd dans sa crainte, & s'alarme aisément. Cet Hymen⁎ [231] que poursuit ma juste impatience, N'a rien sans vôtre adveu⁎ qui flate⁎ ma constance, Et l'honneur d'estre à vous dont je me sens charmé⁎ [232] Toucheroit peu mon coeur si je n'étois aimé. POLIXENE. Vous ne l'estes que trop, mais j'ose le redire, Vous en soûpirerez ainsi que j'en soûpire. Poursuivez un Hymen⁎ [233] à vostre espoir si doux, Quoy qu'on fasse, les Dieux ne seront point pour nous, [234] Leur jalouse⁎ fureur⁎ [235] seroit mal établie [236] S'ils souffroient que nos coeurs... Prince, adieu, je m'oublie, [237] Dans l'invincible effroy des malheurs que j'attens, C'est redoubler mes maux que vous voir plus long-temps, [238] Plus je m'arréte icy, plus je deviens sensible. N'attendez rien pour moy qu'un sort affreux, terrible, [239] Et pour vous consoler, en [240] de si rudes coups⁎, Songez que si je meurs, je mourray toute à vous. < Fin du premier Acte. > ## ACTE II. ### SCENE PREMIERE. ACHILLE, ALCIME. ALCIME. CE triomphe à tout autre eust esté difficile. Le grand Achille seul pouvoit dompter Achille, Et l'heureux art de vaincre un si juste couroux Passe [241] tous les exploits qui font parler de vous. Flater vos Ennemis, leur ceder vostre Tente, Ordonner pour Hector une pompe⁎ éclatante⁎, Sont des effets⁎, Seigneur, si grands, si relevez, Qu'à vostre seul courage⁎ [242] ils estoient reservez. Chacun en a pour vous redoublé son estime. ACHILLE. C'est trop peu pour ma gloire, il faut plus faire, Alcime. Privez du grand Hector les Troyens sont défaits. Prest à vaincre, je veux leur demander la paix, Et pour leur épargner la honte de se rendre, Moy-mesme leur offrir ce qu'ils n'osent prétendre⁎. ALCIME. Ah, Seigneur, c'est icy, deux fois victorieux, Qu'Achille tout entier se découvre à mes yeux. Suivez la voix du Ciel qui veut conserver Troye, [243] Nos Grecs las de combatre en auront de la joye, [244] Déja depuis long-temps ils pressent leur retour. ACHILLE. Ils peuvent l'espérer sur la foy de l'amour, [245] Pour réparer les maux qu'il causa par Helene, Alcime, il m'a fait voir la jeune Polixene, Et c'est en l'épousant que je veux asseurer Les liens d'une paix qui doit toûjours durer. ALCIME. Vous aimez Polixene ? ACHILLE.         Ouy, je l'adore, Alcime, [246] L'amour que j'ay pour elle égale mon estime, Et de ma liberté l'entier engagement, [247] A ses premiers regards n'a coûté qu'un moment. Si tu sçavois l'état où d'abord⁎ je l'ay veuë ! La rencontre à mon coeur fut sans doute impréveuë, [248] Dans les plus fiers⁎ transports⁎ qu'exhaloit mon couroux Je la vis tout à coup pleurer à mes genoux. Resolu de braver tout l'éclat de ses charmes⁎, Je ne pus un moment résister à ses larmes, [249] Ma tremblante fureur⁎ s'en laissa desarmer, La haine m'animoit, je ne sceus plus qu'aimer, Et si j'en eusse crû ma passion extrême, A ses pieds devant tous j'aurois [250] prié moy-mesme. Ah, contre un Ennemy qui cause nos malheurs [251] Qu'un bel [252] objet⁎ [253] est fort quand il verse des pleurs ! [254] Le corps d'Hector rendu satisfit son envie. Que n'eus je le pouvoir de luy rendre la vie ! Au moins à ce defaut j'allay dans Troye exprés Honorer son tombeau de quelques vains regrets. Priam qui m'y receut en Roy digne de l'estre [255] Dans son propre Palais me fit traiter en Maistre. La pompe⁎ [256] dont au Camp pour Hector j'ay pris soin [257] Sembloit le convier d'en estre le témoin ; Dans ma Tente à mon tour je l'attiray sans peine, Et tout cela, pour estre auprés de Polixene, Pour joüir de sa veuë, & ne point m'arracher A l'unique plaisir qui me puisse toucher. ALCIME. L'amour peut tout, Seigneur, mais... ACHILLE.         Je t'entens [258] Alcime, Je quitte Briseis, tu vas m'en faire un crime. Il est vrai, Briseis m'aime avec tant d'ardeur Que ce coup⁎ impréveu luy percera⁎ le coeur, [259] Je conçois les ennuis⁎ dont je seray la cause, Je l'en plains, mais enfin je me dois quelque chose, Et je n'ay pas vaincu pour souffrir qu'à son choix Ma Captive ait l'orgueil de me faire des loix. Malgré tout le pouvoir que la guerre me donne, Qu'elle me laisse à moy, je lui rends sa Couronne. Un Trône, dont les droits, si je veux, me sont dûs [260] Est un prix assez grand pour des soûpirs perdus. ALCIME. Ayant aimé toûjours Patrocle avec tendresse [261] Vous cessez tout à coup d'aimer une Maîtresse [262]  ? L'exemple est peu commun, & l'on voit rarement Qu'un véritable Amy soit infidelle Amant⁎. [263] ACHILLE. L'Amour & l'amitié, n'ont [264] rien qui se ressemble, [265] C'est les connoistre⁎ mal que les confondre ensemble, [266] Leurs droits sont differents [267] en durée, en douceur, La raison cause l'une, & [268] l'autre vient du coeur ; Et comme la raison quand elle veut qu'on aime, Contente de son choix est toûjours elle mesme, On doit peu s'étonner que dans ses longs progrez Une forte amitié ne se rompe [269] jamais : [270] Mais, Alcime, le coeur s'engage par surprise, [271] Sans prendre son adveu⁎ l'amour le tyrannise, Et quand d'un bel Objet⁎ il se laisse charmer⁎, Il aime sans sçavoir qu'il a dessein d'aimer. Le panchant qui l'entraîne [272] en commençant de naitre [273] Est une aveugle ardeur dont il n'est pas le maître, Et comme elle est contrainte, il en voit le retour [274] Quand le temps fait languir [275] les forces de l'amour. ALCIME. Mais pour vous Polixene à vaincre est-elle aisée ? Soüillé du sang d'Hector... [276] ACHILLE.         Son Ombre est appaisée, Et le coup malheureux qui causa son trépas [277] Fut un crime du Sort, & non pas de mon bras. Polixene oubliant cette triste⁎ victoire, Ne voudra regarder que l'amas de ma gloire, [278] De son coeur tant d'éclat⁎ viendra sans peine à bout, Et pour le mériter le nom d'Achille est tout. [279] ALCIME. Ce nom est au dessus de tout ce qu'on peut dire, [280] Mais on peut n'aimer pas toûjours ce qu'on admire, Et le coeur fier⁎ de soy se rend moins aisément Aux vertus d'un Heros, qu'aux soûpirs d'un Amant⁎. ACHILLE. Du succez⁎ de mon feu⁎ je ne suis point en peine, [281] J'en ay trop consulté les yeux de Polixene, [282] Pour moy, quand je m'approche, ils ont tant de douceur, Que leur tranquillité [283] me répond⁎ de son coeur, [284] C'est un entier oubly de ce qu'on m'a veu faire, [285] Point de marques d'aigreur pour la mort de son Frere. Le triomphe secret de m'avoir adoucy Luy fait naistre... ALCIME.         Seigneur, Briseis vient icy. ACHILLE. Cache-luy mon secret, elle pourra l'apprendre Du bruit qui dans le Camp doit bien-tost s'en répandre, [286] Quand j'auray vû Priam, il faudra m'exposer A ce que sa douleur lui pourra faire oser. ### SCENE II. BRISEIS, ACHILLE, PHENICE, ALCIME. BRISEIS. SEIGNEUR, de mon amour ne blâmez point l'audace [287] S'il vient vous demander une nouvelle grace. Le vostre s'est pour moy tant de fois déclaré [288] Qu'il m'est de vos bontez un garand asseuré, Et sur leur noble excez je n'ay point eu de peine A me faire vers vous l'appuy de Polixene. Elle n'est point, Seigneur, digne de ses malheurs, Je l'ay veuë, & la viens [289] de quitter toute en pleurs. Troye aux fureurs⁎ des Grecs depuis dix ans en bute, Le Trône de son Pere à deux doigts de sa chute, Le reste de son sang tout prest d'être versé, Des plus rudes frayeurs tiennent son coeur pressé. La paix de tant de maux dissipant les menaces, Adouciroit l'aigreur de ses autres disgraces⁎. [290] Voyez pour l'obtenir qu'elle vous tend les bras, [291] Ulysse que j'ay veu ne s'en éloigne pas, Et lors qu'à la rigueur Patrocle vous convie, Assez de sang peut-estre a coulé pour sa vie. Achevez d'oublier cette funeste mort, Polixene vaut bien ce genereux⁎ effort. [292] La modeste douleur qui fait parler ses larmes Adjoûte à sa beauté de si sensibles charmes⁎, Que le coeur qui pour elle en la voyant s'émeut, Semble aller au devant de tout ce qu'elle veut, [293] Et si de ses ennuis⁎ la déplorable image⁎... ACHILLE. Madame, il ne faut point m'en dire davantage. Mon coeur las des malheurs que finira la paix [294] Avoit en sa faveur⁎ prévenu vos souhaits, Et j'allois proposer moy-mesme au Roy son Pere Ce que pour ce dessein j'ay jugé necessaire. De la Grece offencée... BRISEIS.         Il doit tout réparer, [295] Seigneur, & sçait de luy ce qu'on peut desirer, [296] Ainsi de son côté ne craignez point d'obstacle. Mais d'un triomphe entier donnez-nous le spectacle, Et ne dédaignez point d'appuyer un projet Où mon propre intérest vous peut servir d'objet. Par un secret instinct dont la force m'entraine, Ma tendresse prend part au sort de Polixene ; D'abord⁎ que je l'ay veuë elle a sceu me toucher, Et je sens que mon coeur ne s'en peut détacher, [297] Pour ne la perdre pas [298] demandez-la pour fille, [299] De son illustre sang par tout la gloire brille, [300] Et sa main⁎ pour Pyrrhus ne peut qu'estre d'un prix... ACHILLE. Quoy, vous [301] souhaiteriez qu'elle épousast mon Fils ? BRISEIS. Cet Hymen⁎ [302] qui rendra le calme à la Phrygie L'asseure d'une paix pour long-temps affermie, [303] Rien n'en rompra le cours s'il en serre les noeuds. ACHILLE. Ainsi que vos souhaits Polixene a mes voeux, Mais Pyrrhus les partage, & j'aurois lieu de craindre Que luy parler d'hymen⁎ ce ne fust le contraindre ; [304] Il est jeune ; à son âge on tremble à s'engager. BRISEIS. Vous n'avez rien pour luy, Seigneur, à ménager, [305] Tout l'amour dont jamais une ame fut capable... ACHILLE. Quoy, mon fils l'aime ? [306] BRISEIS.         Autant qu'il la connoit⁎ aimable, [307] Les traits⁎ que dans son coeur son merite a tracez L'ont si bien penetré... ACHILLE.         Madame, c'est assez, [308] Quand de Pyrrhus Amant⁎ l'intérest vous amene, Il suffit que je sçay ce que vaut Polixene. Pour asseurer sa gloire & remplir⁎ vos souhaits [309] J'auray soin que sa main⁎ soit le sceau de la paix, [310] Sans elle point d'accord, quelques offres qu'on fasse. BRISEIS. Vous refuseroit-on lors que vous faites grace ? Cet Hymen⁎ [311] aux Troyens asseure un sort si doux, Que Priam recevra... ACHILLE.         Je le croy comme vous, [312] Il voit pour luy la guerre en trop de maux fertile Pour oser dédaigner l'alliance d'Achille ; [313] Voyez Pyrrhus, Madame, & me laissez resver [314] A l'ouvrage important qu'il me faut achever. ### SCENE III. ACHILLE, ALCIME. ACHILLE. L'AS-TU bien entenduë, & conçois tu ma peine⁎, Alcime ? tout mon coeur se donne à Polixene, Et dans mon propre Fils, par un revers⁎ fatal, Prest à me rendre heureux, je découvre un Rival ? [315] Plein d'un feu⁎ dont sur moy le pouvoir est extrême, Je connois⁎ que Pyrrhus adore ce que j'aime, Et de mon triste⁎ sort telles sont les rigueurs, Que vivant par ma perte, il meurt si je ne meurs. [316] Ah, si des Dieux jaloux⁎ la severe injustice Destinoit à ma flâme⁎ un si cruel⁎ suplice, Que ne m'ont-ils, ces Dieux, qui vouloient me trahir, Donné quelque Rival que je pusse haïr ! Son Sang [317] auroit esté le prix de ma Victoire. [318] Que n'ose Agamemnon [319] m'en disputer la gloire ! [320] Ses Grecs pour ce triomphe armez tous contre moy, Me trouveroient un coeur incapable d'effroy ; Mais j'ay beau l'affermir, icy tout m'abandonne, [321] Au seul nom de Pyrrhus je fremis, je m'estonne⁎, Et malgré tout l'amour que j'en [322] sens redoubler, Dés que je vois un Fils je commence à trembler. Pourquoy cette foiblesse ? il doit tout à son Pere. Est-ce à moy d'étouffer une flâme⁎ si chere, [323] Et ⁎pretend-il ce Fils que ne luy devant rien J'achepte son repos par la perte du mien ? Non, non, s'il [324] doit souffrir, joüissons de sa peine⁎, [325] J'offence, en balançeant [326], l'aimable Polixene, Raison, pitié, tout cesse où brillent ses appas⁎, Et qui doute un moment ne la merite pas. C'en est fait, tout le veut, ne songeons qu'à luy plaire, [327] Faisons au nom d'Amant⁎ ceder celuy de Pere, [328] Quelque ennuy⁎ que Pyrrhus en puisse recevoir [329] Il a pour s'en guerir le temps & son devoir. ALCIME. L'amour peut sur Pyrrhus avoir pris quelque empire⁎ ? [330] Mais quoy que Briseis, Seigneur, vous ait pû dire, Peut-estre il n'aime pas avec assez d'excez Pour se faire un malheur de vostre heureux succez⁎, Et si-tost qu'il sçaura que cet amour vous gesne⁎, Son respect... ACHILLE.         Non, Alcime, il a veu Polixene, Et ce charme⁎ attirant qui gagne tous les coeurs, Ne sçauroit inspirer de legeres ardeurs, [331] J'en suis trop convaincu par mon experience, [332] N'en doute point, il l'aime avecque violence, [333] Et tout l'espoir qui s'offre à mon coeur alarmé, C'est que brûlant pour elle, il n'en soit point aimé. Je pouvois le sçavoir, mais mon inquietude Du malheur dont je tremble a craint la certitude, Et de cette frayeur vivement possedé, [334] De peur d'apprendre trop, je n'ay rien demandé. Vaines précautions ! qu'est-ce que je redoute ? Pyrrhus aimé ? non, non, il ne l'est point sans doute, [335] L'éclat⁎ seul qui pourroit faire estimer sa foy, Il le tient de l'honneur d'être sorty de moy ; D'aucun exploit fameux la gloire consommée [336] N'a fait en sa faveur⁎ parler la Renommée ; [337] Et la Cour de Priam ne le connoit encor, [338] Que sous le nom honteux de prisonnier [339] d'Hector, [340] L'affront d'estre vaincu luy fit voir Polixene ; [341] Mais de quel fol espoir veux-je flatte⁎ ma peine⁎ ? Quoy qu'à voir le merite un coeur trouve de [342] jour, [343] A-t'on d'autre raison pour aimer que l'amour, Et vers ce qui nous plaist toute l'ame entraisnée, Prend-elle ailleurs des loix que de la destinée [344] ? Ah, s'il faut que le Ciel de fureur⁎ animé M'appreste le tourment de voir Pyrrhus aimé, Quoy que j'aye à souffrir, au moins pour ma vangeance... ALCIME. Moderez ce transport⁎, le voicy qui s'advance. ### SCENE IV. ACHILLE, PYRRHUS, ALCIME. PYRRHUS. SEIGNEUR, Briseis vient de me faire sçavoir L'appuy que vos bontez prestent à mon espoir, Et la reconnoissance où mon devoir m'engage, En demande à mon zéle un si prompt témoignage, Que je la trahirois si mon empressement Pouvoit à l'expliquer differer un moment. Mais par où faire voir ce qu'elle est dans mon ame [345] Si vous n'y penetrez⁎ tout l'excez de ma flâme⁎ ? J'aime un Objet⁎, Seigneur, si digne d'estre aimé... ACHILLE. Je connois⁎ à quel point vous en estes charmé⁎, Et feray pour la paix, puis qu'elle vous est chere, Ce que l'on vous a dit que j'ay promis de faire. [346] Vous pouviez cependant regler mieux vostre coeur, Ne l'abandonner pas à cet excez d'ardeur. Sur le plus bel espoir, quelques projets qu'on fasse, Les choses quelquefois peuvent changer de face, Et vous vous exposez par trop d'attachement Aux plus fâcheux⁎ ennuis⁎ qu'ait à craindre un Amant⁎. PYRRHUS. En l'estat qu'est Priam, quel sujet de les craindre ? Quoi que vous demandiez, il n'a point à s'en plaindre, Et sçait trop contre luy ce que peut vostre bras, Pour voir ma main⁎ offerte, & ne l'accepter pas. [347] Mais quand de ses refus la juste défiance Tiendroit de mon amour le succez⁎ en balance, Comment voir Polixene, & sur mes volontez Conserver le pouvoir que vous me souhaitez ? Sans ce premier amour dont les sensibles charmes⁎ Contre elle en la voyant vous font de seures armes, Je ne sçay si vous-mesme admirant ses appas⁎, Auriez pû la connoistre, & ne soupirer pas. Une Majesté douce, un air incomparable Soustient si noblement... ACHILLE.         Elle est sans doute aimable, Mais... PYRRHUS.         Seigneur, quelle joye à mon coeur enflâmé⁎ Que vous rendiez justice au feu⁎ qui m'a charmé⁎ ! Jugez dans quel excez il doit aller pour elle [348] Quand son adveu⁎... ACHILLE.         La Grece attend tout de mon zéle, [349] Il faudra dans l'Accord garder ses intérests. PYRRHUS. A vous accorder tout les Troyens sont tous [350] prests, [351] Polixene me montre... ACHILLE.         Encor qu'intéressée, Elle peut de Priam ignorer la pensée. PYRRHUS. Non, Seigneur, croyez-en l'amour qu'elle a pour moy, Elle m'a descouvert ce que pense le Roy, [352] Son coeur qui de mon feu⁎ partage la tendresse... ACHILLE. Vous estes donc aimé ? PYRRHUS.         Cette belle Princesse [353] A qui par vostre adveu⁎ je me puis attacher, [354] N'a pû voir mon amour sans s'en laisser toucher, [355] C'est-là ce qui sur tout rend mon bon-heur extréme. ACHILLE. Allez, Prince, il suffit que je sçay [356] qu'on vous aime, [357] Je vay trouver Priam, & vous feray sçavoir Ce que Troye & les Dieux vous souffriront d'espoir. ### SCENE V. ACHILLE, ALCIME. ACHILLE. AH, de tous les malheurs le dernier & le pire ! [358] Je n'entendois que trop ce qu'il me vouloit dire, Et contre son amour toûjours forcé d'agir, Je cherchois les moyens d'avoir moins à rougir. Je voulois ignorer que Polixene aimée Fust de la mesme ardeur pour Pyrrhus enflamée⁎, Et demander sa main⁎ avant qu'on m'eust apris Que l'amour l'eust déjà destinée à mon Fils. Etoufe, étoufe, Achille, [359] une ardeur si funeste, [360] De ta raison seduite entens ce qui te reste. Le coeur de Polixene où tu veux aspirer, Est un bien que l'amour te défend d'esperer. N'en sois point le Tyran, ta gloire t'en convie, Pyrrhus te le demande, il y va de sa vie, Et Briseis en pleurs qui te garde sa foy, Attend pour les secher ce triomphe de toy. Songe à ces tendres feux⁎ [361] qui te parlent pour elle, [362] Ils ont trop mérité que tu luy sois fidelle. Veux-tu, sans aucun fruit pour ton coeur amoureux, Par un lâche intérest faire trois malheureux ? Encor si Polixene, à nul autre sensible, Te laissoit quelque espoir de la trouver flexible, [363] Mais elle aime, & l'amour dont tu crois trop l'appas⁎ [364] En déchirant son coeur [365] ne le gagnera pas. Aide-moy, cher Alcime, à vaincre ma foiblesse, [366] J'ay peine à bien vouloir ce que ma gloire presse, Et contre un ennemy qui me charme⁎ toûjours, Ma vertu chancelante a besoin de secours. ALCIME. Ce vous seroit sans doute une illustre victoire D'étoufer un amour que combat vostre gloire, [367] Mais quoy que ce triomphe excite vos souhaits, Vous voudrez foiblement, & ne vaincrez jamais. ACHILLE. O d'un Astre fatal trop cruelle influence ! Alcime, tout mon sort est plein de violence. Lors que de nos combats me disputant le prix, L'injuste Agamemnon m'enleva Briseis, Dans ma Tente enfermé tout brûlant de colere, J'eus beau voir la fortune aux Grecs par tout contraire, [368] Pour eux aucun secours ne me sembla permis, Et par cette retraite utile aux Ennemis, Laissant à leurs efforts nos escadrons en proye, Je fis plus pour Priam que tous les Dieux de Troye. Patrocle est mort, [369] quel sang n'a point coulé pour luy ! [370] Que de haine ! l'amour en triomphe aujourd'huy, Il m'arrache aux ⁎transpors qui pressoient ma vangeance, Et quand des traits⁎ si doux m'ont trouvé sans défence, Un Fils [371] dont ma pitié tremble à regler le sort, M'apprend que cet amour est l'Arrest [372] de sa mort. [373] Briseis qui m'en vient expliquer l'injustice, Le seconde, m'accable, & c'est là mon supplice. Je dois à tous les deux ce qu'ils veulent de moy, [374] La nature est pour l'un, l'autre a reçeu [375] ma foy. [376] Mais ces noeuds sont sans force, & ma victoire est vaine Si-tost que je commence à revoir Polixene. Mon coeur [377] qu'ont asservy des charmes⁎ si puissans [378] Se range tout à coup du party de mes sens, Et contre ces assauts mon courage⁎ inutile Ne trouve plus en moy ce fier⁎, ce fort Achille, Qui du sort des Troyens arbitre [379] glorieux, Maistrisoit la fortune, & tenoit teste aux Dieux. Cedons, puis qu'il le faut, [380] je suis lâche, infidelle, Mais pour y renoncer, Polixene est trop belle. Si je ne la puis voir favorable à mes voeux, [381] Au moins j'empescheray qu'un autre soit heureux, [382] Et peut-estre l'Hymen⁎ [383] en qui ma flâme⁎ espere, Luy fera de l'amour un devoir necessaire. Allons trouver Priam, & sans plus balancer, Demandons un accord [384] où je puis le forcer. < Fin du second Acte. > ## ACTE III. ### SCENE PREMIERE. PYRRHUS, ANTILOCHUS. ANTILOCHUS. OUY, Seigneur, le succez⁎ a suivy vostre attente, [385] Achille avec Priam est encor dans sa Tente, Il l'a seul en secret long temps entretenu, Et n'a rien demandé qu'il ne l'ait obtenu. Tout est d'accord entr'eux, & la Paix [386] est certaine. PYRRHUS. As-tu sceu quelle joye en montre Polixene ? Sa crainte combatoit l'espoir que j'avois pris, J'en croyois trop l'amour. [387] ANTILOCHUS.         Je n'en ay rien apris. Seulement la nouvelle est au Camp répanduë Qu'Helene à Menelas par l'accord [388] est renduë, [389] Et qu'au sang de Priam celuy d'Achille uny Etouffe pour toûjours... PYRRHUS.         O bon-heur infiny ! Enfin, Antilochus, contre toute apparence, Aprés de longs transports⁎ de haine & de vangeance, Aprés le corps d'Hector indignement traisné, [390] Je vois en un moment l'orage terminé. Prest à renverser tout, il calme sa furie, Achille est exorable, [391] on le prioit, il prie, Et de mon coeur charmé⁎ secondant les desirs, Il acquiert Polixene à mes brûlants soûpirs. Qui l'eust crû que mon feu⁎ fust si-tost sans obstacle ? ANTILOCHUS. Achille aime, & l'amour a produit ce miracle. Aux Manes de Patrocle il eust tout immolé, Plus de ressentiment, Briseis a parlé, Et ce que sur son ame il lui donne d'empire⁎ L'asservit, quoy qu'il vueille, à ce qu'elle desire. PYRRHUS. Rien ne pouvoit sans doute estre plus genereux⁎, [392] Je dois à Briseis ce qui me rend heureux, Elle seule appuyant les intérests de Troye... ### SCENE II. ACHILLE, PYRRHUS, ALCIME, ANTILOCHUS. PYRRHUS. AH, Seigneur, puis-je assez vous témoigner ma joye ? Pour reconnoistre mieux ce que je tiens de vous, Permettez que l'amour me jette à vos genoux. Cette paix que ma flâme⁎ avoit tant souhaitée, M'asseure un bien si cher... ACHILLE.         Nous l'avons arrétée, [393] Et ce soir Polixene, en presence du Roy, [394] Doit confirmer l'Accord par le don de sa foy. Au Temple d'Apollon déjà tout se prépare ; Mais quoy que pour la paix [395] vostre amour se déclare, Je crains qu'elle n'ait plus [396] dequoy vous contenter, Quand vous sçaurez le prix qu'il vous en doit coûter. PYRRHUS. Ah, [397] n'apprehendez point qu'il ait rien qui me gesne⁎, [398] Puis-je trop acheter la main⁎ de Polixene ? Quelques conditions qu'exigent les Troyens, J'y consens, Polixene est le plus grand des biens, Et puisque son Hymen⁎ [399] est le prix de ma flâme⁎, Accordons tout le reste, il touche peu mon ame. ACHILLE. Et c'est ce qui du Sort vous marque le couroux, [400] La main⁎ que vous voulez ne sçauroit estre à vous. PYRRHUS. Ne sçauroit estre à moy ? Dieux ! mais non, je m'abuse, Et d'un transport⁎ trop prompt ma passion s'accuse. Ne m'avez-vous pas dit que selon mes souhaits, L'hymen⁎ de Polixene affermissoit la paix ? [401] ACHILLE. Je vous le dis encor, l'hymen⁎ [402] de Polixene Fait naistre un heureux calme où régna trop de haine, [403] Mais lors qu'en se donnant sa main⁎ a ce pouvoir, C'est un autre que vous qui la doit recevoir. PYRRHUS. Un autre ! non, Seigneur, je vous dois mieux connoistre⁎, Vous voulez m'éprouver, voir tout mon feu⁎ paroistre. Souffririez-vous [404], helas, [405] que né pour commander, Le Fils du grand Achille eust l'affront de ceder, Qu'un insolent Rival luy ravist ce qu'il aime ; [406] Ou plûtost si toûjours vostre coeur est le mesme, Souffririez-vous qu'un Fils chery si tendrement, D'une eternelle rage éprouvast le tourment, Et qu'un sort effroyable assemblast pour ma peine⁎ Tous les maux qui du Ciel puissent marquer la haine ? Par ces tendres liens que le sang rend si doux, Par tout... ACHILLE.         Ma pitié, Prince, a combatu pour vous. Mais en vain mes chagrins⁎ m'ont fait juger des vostres, [407] Malgré vos intérests j'en ay dû prendre d'autres, Et doute qu'aisément on eust conclu la paix, Sans l'hymen⁎ [408] imprevû qui trompe vos souhaits. PYRRHUS. Qui trompe mes souhaits ? Seigneur, jamais Helene N'a causé tant de maux qu'en fera Polixene. Elle m'aime, & Priam se déclaroit pour moy, [409] Je n'examine point qui me vole sa foy, Quel Rival m'ose oster sa main⁎ presque donnée, Si c'est Agamemnon, Ajax [410], Idomenée [411] ; Mais soit Idomenée, Ajax, Agamemnon, Le coup⁎ m'arrache l'ame, on m'en fera raison. Ouy, pour le [412] prévenir, quoy qu'un lâche prétende⁎, Il n'est sang [413] chez les Grecs que mon bras ne répande, [414] Ma vangeance peut-estre y portera l'effroy. ACHILLE. Prince, vous oubliez que vous parlez à moy. [415] Quoy que pust vostre amour avoir de violence, Vous deviez par respect le contraindre au silence, De vos égaremens prendre un autre témoin. PYRRHUS. J'ay tort, & devant vous ma fureur⁎ va trop loin, [416] Mais pour me souvenir que vous m'avez fait naistre, Sçais-je assez qui je suis, & puis-je me connoistre⁎ ? Je cede à la raison que je dois écouter, [417] La joye à vos genoux m'a fait d'abord⁎ jetter, De l'ardeur de ma flâme⁎ elle estoit l'interprete, C'est pour elle à present que la douleur m'y jette. Faites grace aux transports⁎ d'un desespoir jaloux, [418] Et qui les doit, Seigneur, mieux excuser que vous ? Briseis sous ses loix tient vostre ame asservie. Quand par Agamemnon elle vous fut ravie, A quels sanglants effets⁎ vostre amour outragé N'osa-t'il pas porter l'ardeur d'estre vangé ? Ce que vous fit souffrir un feu⁎ si beau, si tendre, N'en dit que trop pour moy si vous voulez l'entendre, Et Briseis aimée estale en ma faveur⁎ Tout ce qui peut m'aider à fléchir vostre coeur. Le mien pour Polixene à tel point s'intéresse⁎, Que si... ACHILLE.         Vous souffrirez, Prince, je le confesse, [419] Le revers⁎ est fâcheux⁎, mais j'ay beau le sçavoir, Ce que vous demandez n'est pas en mon pouvoir, [420] Ce seroit vous flatte⁎ qu'en garder l'espérance. PYRRHUS. Et bien, Seigneur, ma vie est en vostre puissance, Vous pouvez me l'oster, commandez, je suis prest, [421] Mon respect sans murmure acceptera l'Arrest. [422] Pour qui voit tant de maux unis à le poursuivre, Ce n'en sçauroit estre un que de cesser de vivre ; Mais je vous le redis, à moins d'un prompt trépas, Mon Rival, quel qu'il soit, doit redouter mon bras. [423] Fust-il environné de tout ce que la Grece... ACHILLE. C'est en croire un peu trop la douleur qui vous presse, [424] Mais d'un amour trompé [425] je sçay quels sont les droits, Et veux bien en souffrir une seconde fois. Cependant apprenez que contre vostre audace J'appuyeray [426] hautement le Rival qu'on menace, Et que si vostre main s'appreste à le percer⁎, C'est par moy, par mon sang qu'il faudra commencer. ### SCENE III. PYRRHUS, ANTILOCHUS. PYRRHUS. NON, de tous les malheurs le plus épouventable, N'a jamais approché de celui qui m'accable. Tu vois, Antilochus, comme je suis traité, [427] C'est peu qu'à mon amour tout espoir soit osté, C'est peu que la nature [428] immolant ce que j'aime, En faveur⁎ d'un Rival se [429] trahisse elle-mesme, On veut qu'impunément je me laisse outrager, Et je suis criminel si j'ose me vanger. Conçois-tu quelque peine⁎ au delà du suplice Où [430] d'un pere endurcy m'expose l'injustice ? Parle, affoibly mes maux, & lors que je me rends, Convaincs-moy s'il se peut qu'il en est de plus grands. ANTILOCHUS. Achille me surprend, & j'eusse eu peine à croire Que de tant de rigueur il eust pû faire gloire. Se ranger contre vous du party d'un Rival ! PYRRHUS. C'est une barbarie à qui rien n'est égal. Plustost que se resoudre à me déchirer l'ame, C'est mon Pere, il devoit porter par tout la flame, Perdre, saccager Troye, & sur ses murs détruits [431] Elever un trophée [432] à mes tristes⁎ ennuis⁎. Au moins en poursuivant cette entiere Victoire, [433] Le sang de quelques Grecs auroit vangé ma gloire, Et dans ce prompt carnage où l'on n'épargne rien, [434] Mon Ennemy [435] peut-estre auroit payé du sien. Mais en vain à ma rage il [436] prétend⁎ se soustraire, [437] En vain contre le Fils il prend l'appuy du Pere, Rien n'échape aux fureurs⁎ d'un Amant⁎ qui perd tout, [438] Et qui veut se vanger en vient toûjours à bout. ### SCENE IV. BRISEIS, PYRRHUS, PHENICE, ANTILOCHUS. BRISEIS. ET bien, nostre retraite est enfin résoluë, [439] Achille a vû Priam, & la paix est concluë ? PYRRHUS. Oui, Madame, & l'horreur où je me vois réduit De cette affreuse paix est le funeste fruit. Tout s'arme pour me nuire, & je pers Polixene. BRISEIS. Quoy, Priam contre Achille en auroit crû sa haine ; [440] Et l'hommage du Fils n'auroit point effacé⁎ Le souvenir du sang que le Pere a versé ? PYRRHUS. J'ignore à qui je dois imputer ma disgrace, Mais enfin, plus d'espoir, un autre a pris ma place, [441] Achille à mon Rival consent à m'immoler, Et pour le bien public je m'en dois consoler. BRISEIS. Achille contre un Fils malgré moy l'authorise ? Il luy cede l'Objet⁎ dont vostre ame est éprise ? Et quel est ce Rival ? PYRRHUS.         On m'en a teu le nom, Mais en vain on me croit cacher Agamemnon, [442] Il vous aimoit, Madame, [443] & forcé de vous rendre Des traits⁎ de Polixene il n'a pû se défendre. Achille qui pour vous a triomphé de luy, A voulu contre moy se faire son appuy, [444] Et crû devoir par là calmer la haine ouverte, Qu'avoit semée entr'eux l'ennuy⁎ de vostre perte. C'est luy, qu'on me prefere, il n'en faut point douter, [445] BRISEIS. Envain Agamemnon prend droit de se flater⁎. Achille m'a promis, & plûtost que j'endure Ce que vos feux⁎ trompez feroient au mien [446] d'injure, Deust la guerre en fureur⁎ ne s'éteindre jamais, Il m'aime, soyez seur que je rompray la paix. Je sçay ce que je puis. PYRRHUS.         Ah, [447] c'en est trop, Madame, [448] Tant de sang à verser fait horreur à ma flame⁎. Quoy qu'Achille pour vous fasse moins qu'il ne peut, Ne troublons point la paix, Polixene la veut, [449] Vostre bon-heur dépend de laisser tout tranquille, [450] Par là vous l'épousez ce trop injuste Achille, Et pour mes intérests la raison ne veut pas Qu'un plus long different vous oste à vos Estats. [451] Allez, Madame, allez prendre le nom de Reyne, [452] J'auray soin de vanger la triste⁎ Polixene, Et mon lasche Rival à ses pieds immolé, Peut-estre me rendra le bien qu'il m'a volé. ### SCENE V. BRISEIS, PYRRHUS, POLIXENE, PHENICE, ILIONE, ANTILOCHUS. BRISEIS. QUE me dit-on, Princesse ? on trahit vostre flame⁎, [453] Achille qui me trompe aide à vous percer⁎ l'ame ? Priam à son party contre Pyrrhus est joint ? POLIXENE. Madame, [454] ces malheurs ne me surprennent point. [455] Si du Ciel contre moy la rigueur se déploye, Je n'attendois pas moins, c'est le destin de Troye. Victime d'une paix qu'on m'a fait demander, Priam resout ma mort, c'est à moy de ceder, [456] Heureuse en m'immolant pour calmer la tempeste, Si l'éclat⁎ n'en tomboit que sur ma seule teste, [457] Mais ma raison se perd quand de si rudes coups⁎ Desesperant Pyrrhus, rejallissent [458] sur vous, Et le crime odieux dont je me vois complice, [459] Par ce que je vous dois m'est le dernier suplice, [460] Punissez-en l'audace, elle est dure à souffrir, Mon sang peut l'expier, & je viens vous l'offrir. PYRRHUS. Ainsi, Madame, ainsi vous estes resoluë D'accepter un Arrest qui vous pert & me tuë ? Si mon coeur est un bien que l'amour vous rend cher, Songez-vous ce que c'est que de vous l'arracher ? Songez-vous ce que c'est que de forcer le vostre A changer de tendresse, à [461] vivre pour un autre, Et voyez-vous ces maux avec si peu d'effroy, Que vous n'ayez pitié ny de vous ny de moy ? POLIXENE. J'en fremis, je l'avouë, & mon ame estonnée⁎, [462] A mille morts par là se trouve condamnée, [463] Mais dés que j'ose voir vos malheurs & les miens, J'entens les cris affreux que poussent les Troyens, [464] La nature me fait une image⁎ sanglante [465] Et de Priam sans vie [466] & d'Hecube mourante. Je voy, sans respecter, [467] âge, sexe, ny rang, Les Grecs presser le meurtre [468] & nager dans le sang, Et la flame par tout avide à se répandre, Devorer nos Palais [469] & laisser Troye en cendre. [470] Quand par là mon repos se pourroit acheter, Vaudroit-il les horreurs qu'il auroit sçû couster ? BRISEIS. Esperons mieux du Ciel, [471] quelque dure disgrace⁎ Dont vostre amour timide⁎ ait reçû la menace, Il ne souffrira point qu'un accord inhumain, Vous ostant à Pyrrhus, luy vole vostre main⁎. Suspendez vos ennuys⁎ ; l'ordre qui les fait naistre... POLIXENE. J'ay sans doute à rougir de les laisser paroistre, [472] Vous me donnez l'exemple, & moins d'accablement Auroit deu suivre en moy la perte d'un Amant⁎. Vôtre fiére vertu qu'aucun revers⁎ n'étonne [473] Me reproche le trouble où mon coeur s'abandonne, [474] Un peu d'effort sur vous luy fait tout surmonter, C'est beaucoup, je voudrois la pouvoir imiter, Et soûtenir le coup⁎ d'une ame aussi tranquille [475] Que je vous voy souffrir l'inconstance d'Achille. BRISEIS. Achille est inconstant ? PYRRHUS.         Madame, Achille... Ah, Dieux ? [476] BRISEIS. Sur cet affreux revers⁎ je n'ose ouvrir les yeux. Se pourroit-il qu'Achille eust souffert qu'en son ame... POLIXENE. Et quoy, de ce barbare ignorez-vous la flame⁎, Et qu'il veut que ma main⁎, assassinant Pyrrhus, [477] Soit le prix des honneurs qu'Hector en a receus ? Envain Hecube en pleurs, envain le Roy mon Pere A refusé [478] la Soeur au meurtrier du Frere ; Envain d'une autre flame⁎ ils se sont fait l'appuy, [479] Point de paix, point d'accord si je ne suis à luy. Perdant, renversant Troye [480] il nous fera ⁎connoistre Qu'Achille supliant a pû parler en Maistre, Et qu'un dernier assaut donné de toutes parts, Si-tost qu'il s'armera, le met sur nos remparts, Nous cédons à la force. Et qui peut s'en defendre ? BRISEIS. Son amour devant tous s'est fait cent fois entendre. Qui l'auroit pû penser ? aprés [481] tant de serments, Tant de soins⁎, de devoirs, d'ardeurs, d'empressements, Achille, cét [482] Achille [483] à qui toute son ame Sembloit un prix trop bas pour bien payer ma flame⁎, Me quitte, m'abandonne, & violant sa foy, Porte ailleurs ce qu'envain je croyois tout à moy. [484] Ah, Prince, à ce malheur toute ma raison cede, [485] Il a trop de témoins pour souffrir du remede, [486] Puisque contre sa gloire Achille a fait ce pas, Sa fierté⁎ m'est connuë, il ne changera pas, Et je dois préparer mon ame infortunée Aux éternels ennuys⁎ où je suis condamnée. PYRRHUS. Enfin, à [487] ma disgrace⁎ il ne manque plus rien, [488] Au moins dans les grands maux la vangeance est un bien, [489] Et tant que cet espoir a soulagé ma flame⁎ [490] J'ay moins senty le coup⁎ qui va m'arracher l'ame. Par un fatal surcroist de malheurs inoüis, [491] Prest à verser du sang [492] j'entens le nom de Fils, Et vois avec horreur que ma juste colére, Pour percer⁎ mon Rival, [493] doit s'armer contre un Pere. Ah, Madame, vous perdre est-ce un mal si leger, Qu'il faille le souffrir, & ne vous point vanger. POLIXENE. Vous en avez sujet, plaignez-vous l'un & l'autre, [494] L'aigreur de mon destin se répand sur le vostre, Pour vous perdre, le Ciel semble n'épargner rien, Mais enfin vos malheurs approchent-ils du mien ? Si la douleur du coup⁎ vous les fait croire extrémes, Au moins vous demeurez absolus sur vous-mesmes, Et la rigueur du sort n'asservit point vos coeurs A la nécessité de se donner ailleurs : [495] Mais quand d'un feu⁎ qui plaist la douceur combatuë Cede à l'affreuse loy d'un devoir qui nous tuë, Qu'on n'éteint un amour dont on estoit charmé⁎ Que pour en voir un autre à sa place allumé, Des plus cruels⁎ tourmens tout ce qu'on se figure [496] N'est de ce dur revers⁎ qu'une foible peinture. J'en tremble, & ma vertu qui craint mon desespoir N'ose m'abandonner à ce qu'elle ose voir, [497] Elle n'offre à mes yeux qu'une confuse image⁎ De l'abysme étonnant⁎ des maux qu'elle envisage, Et si déja pour moy c'est plus que le trépas, Quand je connoistray tout, que ne sera-ce pas ? PYRRHUS. Ah, tâchez, s'il se peut, de ne le point connoistre, [498] Voyez [499] de grace [500] Achille, il se rendra peut-estre, [501] Si vous luy peignez bien à quel destin affreux L'amour qu'il a pour vous livre trois malheureux. Déja depuis long-temps dites-luy que vostre ame Par l'adveu⁎ de Priam se doit toute à ma flame⁎, Et qu'envain il prétend⁎ que le tiltre d'Espoux Asseure à ses desirs ce qui n'est plus à vous. Enfin, faites pour moy tout ce qu'il se peut faire, [502] Réveillez dans son coeur la tendresse de Pere [503], Montrez-luy le respect où [504] j'ay toûjours vescu, [505] Et ne le quittez point que vous n'ayez vaincu. [506] BRISEIS. Quelque peu que j'espere, allez, pressez, [507] Madame, [508] Essayez ce que peut la pitié sur son ame. La fortune bientost s'est changée entre nous, Vous attendiez de moy ce que j'attens de vous. Vueille le pur amour qui m'avoit trop flatée⁎, Qu'avec plus de succez⁎ vous soyez écoutée. POLIXENE. Sur l'ordre de l'Hymen⁎ [509] qui fait tous nos malheurs, C'est de loin seulement qu'Achille a veu mes pleurs, [510] Contre un coeur genereux⁎ ce sont de fortes armes, [511] J'en vay faire l'épreuve, & si mes foibles charmes⁎ Font toûjours qu'à sa gloire il m'ose préferer, J'auray pour vous du [512] sang prest à tout réparer. ### SCENE VI. BRISEIS, PYRRHUS, PHENICE, ANTILOCHUS. PYRRHUS. DE quelle dureté doit-il estre capable Si pour vous, si pour elle il est inexorable ? Attaqué par ses pleurs [513] pourra-t'il résister ? BRISEIS. Prince, ne cherchons point tous deux à nous flater⁎. [514] Trop de soins⁎ empressez d'obliger & de plaire Ont précédé l'éclat⁎ qu'Achille vient de faire, Pour avoir droit encor de nous persuader, [515] Que rien puisse jamais le contraindre à ceder. Ah, que le fort amour dans un coeur noble & tendre, Pour peu qu'on se déguise, est facile à surprendre ! Ce couroux où sans peine on le vit renoncer, Ce vain tombeau d'Hector qu'il fit soudain dresser, Ces honneurs qu'à sa cendre il alla rendre à Troye, Sa Tente offerte au Roy, ses soins⁎ pour luy, sa joye ; Qui ne s'y fust trompée ? Il me devoit sa foy, On m'avoit fait parler, j'expliquois tout pour moy, [516] Tant de marques d'amour me rendoient fiere⁎ & vaine. Cependant tout estoit pour plaire à Polixene, Et telle est de mon sort la funeste rigueur Que j'ay poussé les traits⁎qui me percent⁎ le coeur. Appuyant Polixene, & lui montrant ses larmes [517] Je l'ay livré moy-mesme au pouvoir de ses charmes⁎. Quel desespoir pour moy ! mais ne négligeons rien, Prince, vostre intérest se trouve joint au mien, [518] Pour empescher l'Hymen⁎ [519] qui fait nostre supplice, Voyez Agamemnon, j'iray trouver Ulisse, [520] Quelque paix qu'à Priam Achille ait pû jurer, S'ils sont tous deux pour nous, nous pouvons esperer. < Fin du troisiéme Acte. > ## ACTE IV. ### SCENE PREMIERE. ACHILLE, ALCIME. ALCIME. SEIGNEUR, jamais Traité ne causa tant de joye, [521] Nous entendons du Camp les cris qu'en pousse Troye, Où chacun à l'envy [522] d'un bien si précieux Court au pied des Autels rendre graces aux Dieux. [523] Paris, le seul Paris se plaint, se desespere, Helene à son amour a toûjours droit de plaire, Et la paix n'offre rien qui le puisse toucher [524] Quand il perd malgré luy ce qu'il a de plus cher. ACHILLE. Et nos Grecs ? ALCIME.         Diomede [525], Ulysse, Idomenée [526] En faveur⁎ de Pyrrhus blâment vôtre Hymenée⁎, [527] Mais sans y mettre obstacle ; [528] Agamemnon charmé⁎ De nouveau s'abandonne à l'espoir d'estre aimé, Et croyant qu'à ses voeux Briseis est acquise, Il aime en ce projet ce qui le favorise. Tout est calme par tout. ACHILLE.         Alcime, quel bonheur Si ce calme empeschoit le trouble de mon coeur ! Il a beau se livrer aux charmes⁎ qui l'attirent, [529] Briseis & Pyrrhus tour à tour le déchirent, Et de leurs feux⁎ trahis le remords accablant Est un bourreau secret qu'il ne voit qu'en tremblant. Quand l'amour malgré nous l'emporte sur la gloire, Qu'un grand coeur est géné d'une telle victoire, Et qu'il est malaisé que ce honteux appas⁎ Luy couste une foiblesse, & qu'il n'en souffre pas ! C'est peu que mon chagrin⁎ me fasse voir sans cesse, [530] Que j'assassine un Fils, accable une Maîtresse, Polixene [531] elle mesme, à qui j'immole tout [532] Met ma flame⁎ en desordre, & ma constance à bout. [533] A toute heure, [534] en tous lieux, [535] je l'entens qui s'écrie, [536] *Songe* [537]*songe* [538]*Tyran* [539]*quelle est ta barbarie*, [540] Abusant du pouvoir qu'on te donne sur moy, Tu m'arraches un coeur qui ne peut estre à toy. Tant que Pyrrhus vivra, quoy que tu te proposes, Ce coeur sera le prix des maux que tu luy causes, Et mon dernier soupir, pour flater⁎ son ennuy⁎, *Sera pour toy d'horreur, & de pitié pour luy.* [541] ALCIME. Si de ses voeux contraints vous vous faites un crime, Il est, il est, Seigneur, encor temps... ACHILLE.         Non, Alcime ; [542] J'ay beau voir quels malheurs en peuvent arriver, J'adore Polixene, & ne puis m'en priver. C'est mon destin. J'en [543] suis le decret immuable. Les Dieux m'ont fait un corps au fer impénétrable, Aucuns dards [544], aucuns traits⁎ ne le peuvent percer⁎, [545] Falloit-il que mon coeur fust facile à blesser, Et qu'à mes passions mon ame abandonnée, Par leurs moindres efforts fust toûjours entraisnée. ALCIME. Elle peut s'apprester à de nouveaux combats, [546] Polixene paroist, Seigneur. ACHILLE.         Qu'elle a d'appas⁎ ! [547] ### SCENE II. ACHILLE, POLIXENE, ALCIME, ILIONE. ACHILLE. *Madame*, dans vos yeux je lis ce qui se passe, [548] D'Achille trop à vous l'amour vous embarasse, Et vostre coeur gêné⁎ de l'adveu que j'ay fait [549] Ne peut en ma faveur⁎ obeïr qu'à regret. Je luy voudrois sans doute [550] épargner ce supplice, Mais daignez vous connoistre⁎, & me rendez justice. [551] Tout ce qui fut jamais d'engageant & de doux, [552] Tout ce qui peut charmer⁎, le Ciel l'a mis en vous. J'ay des yeux, c'est assez pour n'aimer qu'à vous plaire. D'un si noble dessein rien ne me peut distraire, [553] J'y mettray tous mes soins, & si vostre froideur S'obstine de mes voeux à combatre l'ardeur, Tant de respect suivra le beau feu⁎ qui m'anime, Que vous croirez au moins me devoir vostre estime, Et peut-estre à la fin souffrirez-vous qu'un jour Cette estime enhardie aille jusqu'à l'amour. POLIXENE. De l'Univers entier l'estime vous est deuë, Seigneur, & quand de vous la mienne est attenduë, Vos bontez m'en ont fait un si pressant devoir, Que vous la refuser n'est pas en mon pouvoir. Mais je vous l'avoüeray, [554] quelque rang où m'éleve Cet Hymen⁎ [555] dont l'accord joint la paix à la trefve, Je n'y sçaurois penser que mes sens étonnez⁎ [556] Ne rejettent l'honneur que vous me destinez. [557] Je ne vous diray point que vostre main⁎ offerte D'Hector tombé sous vous me reproche la perte, [558] Mon Pere & mon Pays ont des droits absolus, Ils parlent, c'est assez, je ne m'en souviens plus ; [559] Mais puis-je également oster de ma memoire Qu'en demandant ma main⁎ vous soüillez vostre gloire ? Je sçay que Briseis a receu vostre foy, [560] Je luy dois les bontez que vous eustes pour moy, Et sur elle avec vous porter un coup⁎ si rude [561] C'est à la trahison joindre l'ingratitude. Montrez ce qu'est Achille, & songez que sur vous L'Univers qui s'étonne⁎ [562] ouvre ses yeux jaloux⁎. Ne luy donnez pas lieu de dire, à vostre honte, Que le Vainqueur d'Hector souffre qu'on le surmonte, Et que toute la gloire où je le voy monté, [563] N'a pû le derober à l'infidélité. Le triomphe est facheux⁎, il est dur, difficile, Je le croy, [564] mais enfin il est digne d'Achille, Et le nom de Heros à vos vertus acquis, Des efforts qu'il éxige est un assez haut prix. ACHILLE. Le conseil paroist beau, genereux⁎, magnanime, Mais, Madame, je voy quel intérest l'anime. Ce soin⁎ de satisfaire à l'Univers jaloux⁎, Bien qu'expliqué pour moy, ne regarde que vous. Vostre coeur qui ne peut me souffrir infidelle, Appuyant Briseis, court où l'amour l'appelle, Et ne me peint ses feux⁎ injustement deceus, Qu'afin de se pouvoir conserver à Pyrrhus. POLIXENE. Pyrrhus, je le confesse, avoit dequoy me plaire, Vous en avez trop sceu pour vouloir vous le taire. Si le Ciel nous eust veus d'un oeil moins rigoureux, Mon bonheur dépendoit de voir Pyrrhus heureux. Priam qui m'ordonna de répondre à sa flame⁎ [565] Me fit prendre plaisir à régner sur son ame, [566] Patrocle estoit vivant, & l'espoir de la paix Par une douce amorce engageoit mes souhaits. De ses voeux empressez l'hommage trop sensible Méritoit que mon coeur ne fust pas infléxible, [567] Et faut-il s'étonner s'il s'en trouva charmé⁎ ? C'étoit un jeune coeur qui n'avoit rien aimé, [568] La conqueste pouvoit en estre plus facile, [569] Pyrrhus le valoit bien, il estoit fils [570] d'Achille, [571] D'un Pere si fameux les exploits éclatants⁎ Répondoient⁎ de sa gloire, & prévenoient le temps. Je ne sçay si l'amour doit passer pour un crime [572] Quand l'honneur, le devoir, le [573] rendent légitime, [574] Aux volontez d'un Pere ils ont sceu m'attacher, [575] Le defaut n'est pas grand pour me le reprocher. ACHILLE. Mais vous l'aimez encor [576] ce Pyrrhus, & vostre ame Malgré mes voeux offerts est sensible à sa flame⁎. [577] POLIXENE. Quand ce soûpir, helas ! n'en seroit pas l'adveu, Un moment suffit-il pour éteindre un beau feu⁎, Et pourrois-je si-tost, malgré vostre espérance, Vous répondre⁎ pour luy de mon indifference ? Je puis avoir trop creu le panchant de mon coeur, Mais des soins⁎ de Pyrrhus quand j'ay chery l'ardeur, Je ne prévoyois pas que trop prompt à vous rendre [578] Vous deussiez condamner l'amour qu'il m'a fait prendre, Que vous pussiez vouloir en combatre l'appas⁎, [579] Et peut-estre, Seigneur, ne le voudrez vous pas. Vous vous reprocherez la barbare injustice De séparer deux coeurs que tout veut qu'on unisse, Deux coeurs du mesme feu⁎ dés long-temps enflamez⁎, Et que l'amour exprés l'un pour l'autre a formez. Vous vous reprocherez de vouloir... ACHILLE.         Non, Madame, [580] Si j'avois de Pyrrhus authorisé la flame⁎ [581] Je me reprocherois la barbare rigueur De m'estre fait pour luy l'ennemy de mon coeur. Il ne sçauroit souffrir, ce coeur qui vous adore, Que vous ayez aimé, que vous aimiez encore, [582] Cette image⁎ le tuë, & vous croyez envain Qu'il céde à mon Rival le don de vostre main⁎. POLIXENE. Et bien, Seigneur, & bien, j'oublieray que je l'aime, [583] Ne faites rien pour luy, faites tout pour vous-mesme. Je ne demande plus que vos chagrins⁎ jaloux Luy souffrent un amour à ses desirs trop doux, [584] Un autre de ce crime auroit voulu l'absoudre, Vous voulez qu'il l'expie, il faudra l'y resoudre. Mais enfin vos serments, le don de vôtre foy, Tout est pour Briseis, vous la voyez en moy. Sauvez-la des ennuys⁎ dont je tremble pour elle, [585] Sauvez-vous de l'affront d'estre lâche, infidelle. Vostre seul intérest fait naistre mes refus, C'en est fait, pour jamais je renonce à Pyrrhus, [586] Qu'il parte avecque vous. Eloignez l'un de l'autre, Il plaindra son amour étouffé par le vôtre. [587] Pour moy, qui de mon coeur essayeray [588] d'obtenir Qu'il immole à ma gloire un si doux souvenir, Je me contenteray de l'innocente [589] joye De voir régner Priam sur les restes de Troye. ACHILLE. N'écouter mon amour que pour le dédaigner, Madame [590] ce n'est pas le moyen de regner. Vous gardez trop longtemps un espoir inutile, [591] Plus de Trône pour vous qu'en épousant Achille, [592] Resolvez, le destin est assez glorieux. POLIXENE. Faites donc, inhumain, faites plus que les Dieux. Jusqu'icy [593] quelque sort dont la rigueur me brave, Ils n'ont pû me forcer à prendre un coeur d'esclave, Et c'est un juste orgueil que ce coeur va trahir, Si quand vous commandez, il me laisse obeïr. ACHILLE. De cet illustre orgueil donnez un fier⁎ exemple, Qu'il éclate⁎. Ce soir j'ay promis d'estre au Temple, [594] J'y seray. Si ma main⁎ est pour vous sans appas⁎, Madame, vous pouvez ne vous y rendre pas. Je n'iray point sur vous dans ma juste colere Mandier lâchement l'authorité d'un Pere, Un coeur tel que le vostre a droit de tout oser. Cependant de mon bras je pourray disposer, Et quand sur vos remparts le carnage & la flame Aux dernieres horreurs exposeront vôtre ame, Vous n'aurez pas sujet [595] dans vos cris superflus [596] De m'imputer des maux que vous aurez voulus. POLIXENE. Non, cruel, vos fureurs⁎ n'auront pas l'avantage De me rendre témoin de cet affreux carnage, [597] C'est assez qu'aujourd'huy je le puis racheter [598] Par le dur sacrifice où [599] je vay m'apprester. Pour épargner à Troye un destin si funeste, J'iray porter ma main⁎, [600] les Dieux feront le reste. Ils sçavent que mon coeur mille fois déchiré Paye en larmes de sang tout ce qu'elle [601] a pleuré, [602] Que s'il ne s'agissoit de prévenir sa cheute, Cent morts me seroient moins que ce que j'execute, [603] Qu'auprés de ce tourment tout supplice est leger ; S'ils ont de la justice ils voudront y songer, [604] Ils se repentiront d'avoir pû se resoudre A vous laisser sur moy lancer plus que leur foudre, Et vangeant Briseis, apprendront aux ingrats [605] Que c'est pour mieux punir qu'ils retiennent leur bras. Joüissez à ce prix de mon cruel⁎ martyre. A Briseis qui paroist. Madame, je m'éloigne, & n'ay rien à vous dire. Nous n'aurons pas si-tost la fin de nos malheurs, [606] Tout s'arme contre nous, voyez-le par mes pleurs. ### SCENE III. ACHILLE, BRISEIS, PHENICE, ALCIME. BRISEIS. *Enfin*, il [607] se peut donc qu'Achille me trahisse, [608] Que son coeur sans remords succombe à l'injustice, Et qu'un nouvel amour écouté d'aujourd'huy [609] Triomphe du pouvoir qu'il me donna sur luy. [610] Ce honteux changement, encor qu'inexcusable, En tout autre du moins m'auroit paru croyable, [611] La froideur, le dégoust, & l'oubly des serments Ne sont que trop communs aux vulgaires Amants. Mais qu'une ame élevée au dessus d'elle-mesme, Qu'Achille se resolve à trahir ce qu'il aime, Qu'il s'ose montrer foible, ingrat, lâche, sans foy, Qu'il renonce à l'honneur, c'est un monstre [612] pour moy. ACHILLE. Madame, avec plaisir je garde en ma memoire, [613] Que je vous ay promis d'asseurer vostre gloire, [614] Je vous tiendray parole, & pour vous couronner [615] Pyrrhus dans vos Estats ira vous remener. Il a l'ordre, daignez accepter sa conduite. BRISEIS. Pyrrhus a l'ordre ! helas, [616] où me vois-je réduite ! [617] L'amour le veut, il faut vous défaire de nous, [618] Vous fuyez des témoins trop à craindre pour vous, [619] Vous fuyez des regards dont le sanglant reproche Troubleroit le bonheur que vous voyez si proche. Pour me sauver du coup⁎ qui doit m'assassiner, N'avez-vous, inhumain, qu'un trône à me donner ? [620] Si ce charme⁎ eust trouvé le foible de mon ame [621] J'aurois d'Agamemnon favorisé la flame⁎, [622] Ravie à vostre espoir, seure de mon repos, Je n'avois qu'à parler, j'étois Reyne d'Argos. Il n'eust point comme vous, pour me donner ce tiltre, Attendu que la guerre en eust esté l'arbitre [623]. Il n'eust point, pour m'oser soûmettre ses Estats, Attendu comme vous la fin de vos combats. J'ay d'Achille amoureux préféré la promesse A l'honneur asseuré de régner sur la Grece, [624] Son coeur m'a plus esté qu'un Diadême offert, J'ay tout fait pour luy plaire, & c'est luy qui me perd. ACHILLE. Madame, il seroit bon...épargnez-moy [625] de grace, [626] Le tiltre de Vainqueur peut donner de l'audace, [627] Et je serois faché que de trop durs adieux... BRISEIS. L'ordre presse, j'entens, il faut quitter ces lieux, [628] Sans rien éxaminer sur tout ce qui m'arrive, C'est à moy d'obeïr, je suis vostre Captive, [629] Quoy que le nom me blesse, il m'est encor plus doux De l'entendre de moy, que de l'oüir de vous ; Mais je puis dire au moins, quelle qu'en soit la honte, Quand de cette Captive [630] on fait si peu de compte, Qu'elle a veu mille fois son Vainqueur à ses pieds Tenir pour la toucher ses voeux humiliez, Et lui sacrifiant sa fierté⁎ naturelle, Baiser avec respect les fers qu'il prenoit d'elle. Aprés tant de devoirs, si son coeur aujourd'huy Trouve qu'une Captive est indigne de luy, Si le nom que j'en eus à m'oublier l'engage, L'étois-je moins alors, [631] la suis-je davantage, [632] Ou cet Achille, heureux quand il se soûmettoit, Parce qu'il est perfide, est-il plus qu'il n'étoit ? ACHILLE. Vous le sçavez peut-estre, Achille est fier⁎, Madame, Et quoy qu'il ait voulu devoir à vostre flame⁎, Dans l'inquiet soucy qui trouble sa raison [633] Des reproches si durs ne sont pas de saison. Si de quelques ennuys⁎ je suis pour vous la cause, L'amour qui m'y contraint me coûte quelque chose, Et c'est trop hazarder [634] aprés ce que j'ay fait, Qu'irriter un amour qui n'est pas satisfait. BRISEIS. Et c'est, ingrat, c'est-là ma plus sensible peine⁎. Je lis dans vostre coeur le remords qui vous gêne⁎, Vous souffrez. Briseis [635] que vous voulez bannir [636] S'offre encor malgré vous à vostre souvenir. Malgré vous de Pyrrhus l'accablante disgrace⁎ D'un suplice éternel vous porte la menace, [637] Et quel fruit se promet vôtre esprit aveuglé D'une Amante⁎ trahie, & d'un Fils immolé ? Je l'avouë avec vous, Polixene a des charmes⁎, [638] C'est moy qui contre moy vous ay presté des armes, [639] C'est moy qui luy faisant embrasser vos genoux [640] Ay demandé la mort que je reçois de vous. J'ay commencé, j'acheve, & mon amour extrême Ne veut dans ce qu'il fait regarder que vous mesme. Vostre raison surprise applaudit à vos sens, Polixene vous plaist, voyez-la, j'y consents, [641] Par les soins⁎ les plus doux, par le plus tendre hommage [642] Tâchez de l'engager comme elle vous engage, [643] Méritez que pour vous son coeur soit enflamé⁎, Et rendez-vous heureux si vous estes aimé. Sans espoir, sans repos, errante, infortunée, J'iray loin de vos yeux pleurer ma destinée, Heureuse dans ce triste⁎ & déplorable sort [644] Qu'au moins vôtre bonheur soit le prix de ma mort ; [645] Mais qu'un aveugle amour qui vous trahit vous-mesme, Vous donne à qui vous hait, vous ôte à qui vous aime, Qu'Achille malheureux réduise Briseis... ACHILLE. Madame, c'est assez, le dessein en est pris, [646] Contre un coeur résolu la résistance est vaine, [647] Heureux ou malheureux, j'épouse Polixene : [648] Si sa haine a pour moy des revers⁎ éclatans⁎, [649] Vous plaindrez mes malheurs quand il en sera temps. BRISEIS. Va, fay gloire des noms de parjure & de traistre, [650] Ingrat, [651] pour esperer j'ay trop deu te connoistre⁎, [652] Et sçavoir que ton coeur, aprés ta lâcheté [653] N'en voudroit consulter que sa seule fierté⁎. Aussi je rougirois si pour toucher ton ame A ses entiers transports⁎ j'abandonnois ma flame⁎, Si je te faisois voir dans quel gouffre d'ennuis⁎ Me plonge le malheur où mes jours sont réduits. Non, ne présume point que je m'abaisse à dire [654] Que j'ay peu mérité les maux dont je soûpire, Que le parfait amour qui m'engage [655] ta foy... Helas, [656] crois-tu qu'une autre en ait autant pour toy ? [657] Crois-tu qu'une tendresse aussi pure & solide Soit... J'entens tes regards, c'est trop pour un perfide, [658] De tes serments faussez ton coeur est satisfait, La trahison te plaist, je te perds sans regret. Cours presser un Hymen⁎ [659] dont je suis la victime, Il suffit que les Dieux soient ennemis du crime. ACHILLE. Madame... BRISEIS.         Envain sur toy l'on voudroit attenter, Tu le crois, mais enfin, crains de te trop flater⁎. Ces Dieux [660] dont le pouvoir t'a fait invulnérable [661] Ne te protégent pas pour te rendre coupable, [662] Ils conduiront le dard quand il sera lancé, Et trouveront par où tu peux estre percé⁎ ; [663] Confus, desespéré, tu verras Polyxene [664], Quand ton sang coulera, triompher de ta peine⁎, [665] L'image⁎ de Pyrrhus heureux par ton trépas... Achille sort. ### SCENE IV. BRISEIS, PHENICE. BRISEIS. TU me quittes [666] cruel, & ne m'écoutes pas, [667] Mes reproches pour toy sont un trop dur supplice, [668] Tu ne les peux souffrir, [669] tu ne peux... Ah, Phenice, [670] Il est temps qu'avec toy ma douleur mette au jour Toute l'horreur des maux où m'abysme l'amour. Je sens ce coup⁎ affreux... Mais quand il me déchire Le sentirois-je assez si je pouvois le dire ? Pour mieux voir de ces maux le déplorable excez [671] Peins-toy les plus beaux feux⁎ dont on brûla jamais, [672] Peins-toy d'un long espoir, quand l'amour est extrême... PHENICE. Eh, Madame, tâchez de vous rendre à vous mesme. Achille traistre, ingrat, ne vaut pas aujourd'huy Le moindre des soûpirs que vous perdez pour luy. Ne songez qu'à régner, [673] il est doux de reprendre Un Trône dont le sort vous avoit fait descendre, [674] De vos Estats perdus... BRISEIS.         Tu me parles d'Estats. [675] Des plus vastes grandeurs joins les plus doux appas⁎, [676] Rends-moy du monde entier la conqueste facile, En être Reyne, [677] est moins que régner sur Achille. Il avoit tout mon coeur, tu ne l'as que trop sceu, [678] S'il s'est donné cent fois, cent fois il l'a receu, [679] Cent fois il m'a juré que Briseis aimée... Ah, suivons la fureur⁎ dont je suis animée, [680] Vangeons-nous d'un ingrat qui m'ose dédaigner, [681] Une juste douleur ne doit rien épargner, Pour le faire souffrir immolons Polixene. Pourquoy sur ce projet laisser trembler ma haine ? N'a-t'elle pas causé tous mes malheurs ? helas ! [682] Pour les avoir causez [683] elle n'en joüit pas. Si je souffre beaucoup, plus malheureuse encore Il faut qu'elle se livre au Tyran qu'elle abhorre. Puisque le mesme coup⁎ nous frape toutes deux, C'est contre Achille seul qu'il faut tourner mes voeux. Qu'il périsse ; le Ciel nous doit cette vangeance. PHENICE. Si de vos feux⁎ trahis son sang lavoit l'offence, Voyant à vos desirs son trépas accordé, Vous vous repentiriez d'avoir trop demandé. [684] BRISEIS. Non, à quelque retour que la pitié m'appelle, J'aime mieux le voir mort que le voir infidelle, [685] Ce seul soulagement peut flater⁎ mon espoir. Mais allons de Priam essayer le pouvoir. Le temps presse, malgré la parole donnée [686] Tâchons à [687] reculer ce funeste Hymenée⁎. [688] Ma douleur chez les Grecs trouvera du secours [689] Si je puis de Priam obtenir quelques jours. [690] < Fin du quatriéme Acte. > ## ACTE V. ### SCENE PREMIERE. POLIXENE, ILIONE. POLIXENE. LAISSE, laisse ces soins [691], je m'en trouve gênée⁎, [692] La victime, Ilione, est assez bien ornée, Et quand il faut offrir sa gorge au coup mortel, On peut en cet estat la conduire à l'autel. Si Briseis pouvoit... ILIONE.         J'y voy peu d'espérance. Priam plaint de ces [693] maux la dure violence, Il plaint le triste⁎ sort de Pyrrhus & de vous, Il soûpire, & voudroit vous faire grace à tous, [694] Mais dans cet instant mesme Alcime vient luy dire Qu'Achille à vostre Hymen⁎ [695] avec ardeur aspire, Qu'il marche vers le Temple, où quittant nos ramparts, Le Peuple [696] impatient accourt de toutes parts. POLIXENE. Allons donc de ma mort luy donner le spectacle. ILIONE. Briseis presse encor Priam d'y mettre obstacle, [697] Mais, Madame, il s'agit de tout le sang Troyen, Nous n'avons plus d'Hector, elle n'obtiendra rien. POLIXENE. O paix, funeste paix, qui sans m'ôter la vie [698] De mille & mille morts rends ma peine⁎ suivie ! Falloit-il que le sang que tu dois conserver [699] Me coûtast le repos dont tu me vas priver ! Heureux ceux dont le fer mettant fin à leur peine⁎... ### SCENE II. POLIXENE, PYRRHUS, ILIONE. POLIXENE. AH, Prince, quel sujet en ce lieu vous amene ? Sera-ce, en m'accablant un charme⁎ à vos douleurs [700] Que le triste⁎ plaisir de joüir de mes pleurs ? PYRRHUS. Vous pouvez l'accorder [701] , Madame, à mon envie, Puisque c'est le dernier que j'auray de ma vie. Ulysse, Ajax, Nestor [702], contre Achille employez, Sans l'avoir pû fléchir [703] ont esté renvoyez, [704] Il vous épouse, [705] & moy, le desespoir dans l'ame, Plein des vives ardeurs de la plus tendre flame⁎, Trop foible pour les maux que je vois à souffrir [706] Je viens auprés de vous les accroistre, & mourir. [707] POLIXENE. Quoy que l'ordre en soit dur, lorsqu'on m'attend au Temple, Je vous le donnerois, Prince, par mon exemple, Si Troye [708] à qui ma main⁎ preste quelque secours [709] Ne me défendoit pas d'attenter sur mes jours. [710] Je dois à mon Païs cette mourante vie [711] Que l'horreur de mon sort m'aura bientost ravie. Vos feux⁎ ont eu pour moy de trop flateurs⁎ appas⁎ [712] Pour souffrir vostre perte, & n'y succomber pas, [713] Ma tendresse pour vous si long-temps écoutée... PYRRHUS. Peut-estre mon amour l'avoit bien méritée. [714] Au moins puis-je jurer que jamais tant d'ardeur Pour un charmant⁎ Objet⁎ n'a régné dans un coeur, [715] Que le mien tout à vous [716] sans que rien le partage, Vous a de tous mes voeux soûmis le pur hommage, [717] Qu'en vous donnant sur luy ce pouvoir absolu... Que de bonheur, helas, [718] si le Ciel l'eust voulu, [719] S'il eust pû consentir qu'en se faisant connoistre L'amour de nos destins fust demeuré le maistre ! Flateuse⁎ illusion qui viens m'embarasser ! Achille vous épouse, il n'y faut plus penser. POLIXENE. Vous blâmiez les frayeurs que vous me voyiez prendre, [720] Voila, Prince, voila ce qu'a prédit Cassandre, [721] Préparer mon Hymen⁎ [722], c'est m'ouvrir le tombeau, Je vay porter ma teste, Achille est mon bourreau. [723] Si l'oracle [724] est cruel, au moins il vous éclaire A voir qu'à cet Hymen⁎ [725] je ne survivray guere [726], Et que si de vostre ame il fait l'accablement [727] Vous n'aurez pas long-temps à souffrir ce tourment. PYRRHUS. Mais Achille aura sceu triompher de ma flame⁎. Ne fust-ce qu'un moment, y songez-vous, Madame ? [728] Ce moment de souffrance est un amas de maux [729] Tels que mesme aux enfers il n'en est point d'égaux. De la douceur d'aimer n'ay-je pris l'habitude Que pour estre l'objet d'un supplice si rude, Et falloit-il qu'ayant à m'oster vostre foy [730] On me fist espérer que vous seriez à moy ? POLIXENE. Et bien, Prince, oubliez que vous m'avez aimée, Que le peu que je vaux tint vostre ame charmée⁎. Armez-vous contre moy d'un coeur indifferent. PYRRHUS. Ah, de tous mes malheurs c'est icy le plus grand, [731] Vous oublier ! Je voy vostre injustice extrême, Madame, vous prendrez ce conseil pour vous même, Et Pyrrhus effacé⁎ [732] malgré de si beaux feux⁎ [733] Verra bientost Achille en estat d'estre heureux. POLIXENE. Si j'entens mon devoir, c'est ce qu'il me demande, [734] A ses barbares loix il veut que je me rende, Et qu'aux voeux d'un Espoux un Amant⁎ immolé Se taise dans mon coeur quand Priam a parlé. Mais ce coeur se révolte, & ma vertu complice Des tendres mouvements qui vous rendent justice, Laisse à l'amour sur luy [735] malgré ce fier⁎ devoir, Conserver pour Pyrrhus ce qu'il eut de pouvoir, [736] Les traits⁎ en sont presents sans cesse à ma mémoire. L'adveu sans doute est fort, il peut blesser ma gloire, [737] Mais je puis m'échaper [738] à plus que je ne dois [739] Quand je vous parle enfin pour la derniere fois. PYRRHUS. Pour la derniére fois ? POLIXENE.         Ouy, Prince, vostre veuë [740] Par l'ennuy⁎ de vous perdre [741] & m'accable [742] & me tuë, Et pour joüir au moins de quelque ombre de paix [743] Il faut que je consente à ne vous voir jamais. [744] C'est n'immoler pas peu ; quel qu'en soit le suplice [745] Faites, si vous m'aimez, le mesme sacrifice, Et content de sçavoir que jusqu'au dernier jour Le dedans déchiré vangera vostre amour, Souffrez que le dehors [746] pour appaiser ma gloire [747] Cache ce que du mien je vous permets de croire. Adieu, Prince. En l'estat où le Ciel [748] nous a mis, Un plus long entretien ne peut m'estre permis. Je lis dans vos regards la douleur où vous estes, [749] Leur trouble m'en fait voir les atteintes secretes, [750] Et n'a déja que trop dequoy vous accabler [751] Sans que ma veuë encor cherche à le redoubler. PYRRHUS. Qu'il redouble, [752] aussi-bien sans espoir pour ma flame⁎, Plus de repos pour moy, frapez, [753] frapez, Madame, Sur ce coeur affligé portez les derniers coups⁎, [754] Plus ils seront mortels, plus ils me seront doux. Je vivois pour vous seule, & si l'ordre barbare... Helas ! encor un coup faut-il qu'on nous separe ? Que l'on ne m'ait permis que des voeux superflus ? POLIXENE. Aimez-moy toûjours, Prince, & ne me parlez plus. PYRRHUS. Adieu, Madame, il faut [755] en vous cachant ma rage [756] Vous donner de ma flame⁎ un dernier témoignage ; [757] Aprés tant de malheurs, puisse le Ciel sur vous Verser à pleines mains ce qu'il a de plus doux. C'est l'unique souhait que l'on m'entendra faire. Régnez, vivez heureuse, & s'il est nécessaire Que vostre coeur s'arrache aux traits⁎ qu'il a receus, Je me rends, oubliez le malheureux Pyrrhus. Pour moy, qui veux au feu⁎ dont j'ay l'ame asservie, [758] Donner tous les momens qui me restent de vie, Je vous ⁎répons d'un coeur ferme à vous adorer [759] Tant que sous mes ennuis⁎ il me faille expirer, [760] Et si les Dieux touchez de mon amour extréme, [761] Au de là [762] du tombeau peuvent souffrir que j'aime, [763] Ce coeur encor à vous, quoy qu'il m'en ait coûté, [764] Ne cherchera jamais d'autre felicité. ### SCENE III. BRISEIS, POLIXENE, PYRRHUS, PHENICE, ILIONE. BRISEIS. JE n'ay rien gagné, Prince, & Troye est la plus forte, [765] Contre les droits du Sang son intérest l'emporte, [766] Envain de ma douleur Priam a veu l'éclat⁎, [767] Il doit ce sacrifice au besoin de l'Estat, [768] Rien n'est à consulter lors qu'Achille menace. PYRRHUS. Quoy, Priam sans pitié consent à ma disgrace⁎, Et je vois approcher l'épouvantable instant... Madame. POLIXENE.         Cachez-moy le destin qui m'attend, Je m'y pers. Quelques maux où vous soyez plongée, [769] Si je les ay causez, vous êtes bien vangée. Madame, je ne sçay si vous le concevez. [770] Mais les mortels ennuis⁎ qui me sont réservez, Pyrrhus qui de mon coeur contre Achille dispose... Pyrrhus... J'en dis trop, Prince, & vous en estes cause. [771] Vous [772] pour qui malgré moy je m'arreste en ce lieu, Oubliez-le, de grace, & pour jamais, adieu. ### SCENE IV. PYRRHUS, BRISEIS, PHENICE. PYRRHUS. ENFIN, Madame, il faut renoncer à la vie, [773] C'en est fait, à mes voeux Polixene est ravie, Et dans les bras d'un autre, un sort plein de rigueur, [774] Met l'Objet⁎ adorable à qui je dois mon coeur. Vous m'aviez asseuré qu'en faisant rendre Helene [775] Vous feriez à ma flame⁎ accorder Polixene, [776] Helene des Troyens suit l'ordre rigoureux, On la rend, & pourtant je ne suis pas heureux. BRISEIS. De vostre amour trompé jettez sur moy l'injure, [777] Joignez-en le reproche aux peines⁎ que j'endure, [778] Mon coeur qui se vantoit d'un absolu pouvoir [779] Ne vous peut consoler que par son desespoir. [780] Voyez, dans le revers⁎ qui nous perd l'un & l'autre, De combien mon malheur est plus grand que le vostre. Pour appuy de vos feux⁎ vous n'avez eu jamais Que l'espoir chancelant d'une incertaine paix, [781] La colere d'Achille implacable en sa haine, Aprés Patrocle mort [782] vous ostoit Polixene, [783] Et quand elle vous perd, quels que soient vos malheurs, Du moins, Prince, du moins [784] vous luy coûtez des pleurs. Mais aprés un espoir qui n'eut rien à combatre [785] La main qui m'élevoit s'intéresse⁎ à m'abatre, Et je ne pers Achille en ce funeste jour Que parce qu'il luy plaist de trahir mon amour. Sa seule dureté de mon trépas ordonne, [786] On ne me l'oste point, c'est luy seul qui se donne, Et qui sans estre aimé ne cherche contre moy Que l'indigne douceur de me manquer de foy. Ah, c'est peu que sa [787] mort pour vanger cette injure, [788] Inventons, s'il se peut, quelque peine⁎ plus dure, Qui lente à le punir [789] ait toûjours le pouvoir... [790] ### SCENE V. BRISEIS, PYRRHUS, PHENICE, ANTILOCHUS. ANTILOCHUS. SEIGNEUR, la paix a mis Paris au desespoir. [791] Achille avec les Siens [792] au Temple entroit à peine, Qu'on l'a veu [793], prévenant Priam & Polixene, Escorté de Troyens, sans respect pour les Dieux, S'y lancer tout à coup en Amant⁎ furieux⁎. Si ce qu'on dit est vray, l'ardeur qui les engage S'augmentant par le sang les pousse à tant de rage, Que pour peu que le Ciel tarde à le secourir, Achille est en danger luy mesme de périr. BRISEIS. De périr ! PYRRHUS.     Dieux ! Achille... BRISEIS.         Il y va de sa vie. [794] PYRRHUS. Adieu, Madame. BRISEIS.         Allez où l'honneur vous convie, [795] Achille est en péril, courez l'en garantir. ### SCENE VI. BRISEIS, PHENICE. PHENICE. VOILA comme l'amour ne se peut démentir. Son crime tout à l'heure armoit vostre colere [796] Jusqu'à trouver sa mort une peine⁎ légére, [797] Et vostre impatience implore du secours [798] Dés le moindre péril qui menace ses jours. BRISEIS. Que veux-tu ? si [799] mon coeur accablé de l'offence N'a rien veu de plus doux pour moy que la vangeance, De deux maux à souffrir pires que le trépas [800] On préfere toûjours celuy qu'on ne sent pas. Ainsi sa trahison m'a fait vouloir sa perte ; Mais lorsqu'à mes regards l'image⁎ en est offerte, Que je voy le coup prest, tu dois peu t'étonner Si ce que j'ay voulu commence à me gêner⁎. Malgré ce qu'il a fait, je [801] suis toûjours la mesme, Et ne le haïssant que parce que je l'aime, Quand mon amour obtient ce qui le va trahir, J'ay bientost oublié que je le dois haïr. La pitié seule alors me paroist légitime, [802] Je voy le châtiment, & ne vois plus le crime, Et craignant son trépas, je songe seulement Qu'on me donne à trembler pour les jours d'un Amant⁎. [803] PHENICE. Mais d'où vient que Paris vous est si redoutable ? Que craindre pour Achille ? il est invulnérable, Et par un privilege & noble & glorieux... BRISEIS. Je ne m'asseure point sur ce qu'ont fait les Dieux, [804] Paris suit contre Achille une fureur⁎ extréme, Et pour craindre sa perte [805] il suffit que je l'aime. ### SCENE VII. BRISEIS, ALCIME, PHENICE. BRISEIS. PYRRHUS est-il au Temple, & le Ciel adoucy... ALCIME. J'ay rencontré Pyrrhus à trente pas d'icy. Sur le bruit du tumulte [806] il couroit vers Achille ; Mais les Dieux ont rendu son secours inutile, Et tandis que pressé du plus sensible ennuy⁎, Il est d'Agamemnon allé chercher l'appuy, Il a voulu qu'icy je vinsse vous apprendre Les malheurs que sur nous le Ciel vient de répandre, [807] Achille qu'on croyoit estre au dessus du Sort, Achille... BRISEIS.     Et bien [808] Achille ? ALCIME.     Il est mort. BRISEIS.         Il est mort ? ALCIME. Polixene déja vers le Temple conduite, Avec Priam son Pere a pris soudain la fuite, [809] Il la remene à Troye, où tristes⁎ & confus S'ils gardent quelque espoir, il n'est plus qu'en Pyrrhus ; [810] Mais quoy qu'il soit allé, pour servir Polixene, Suspendre de nos Chefs la fureur⁎ trop certaine, Pour empescher les maux qu'elle me fait prévoir, Je doute que Pyrrhus ait assez de pouvoir. BRISEIS. Non, tu me fais, Alcime, un rapport incroyable, [811] Achille vit encor, Achille invulnerable N'a pû se voir sujet à la fureur⁎ du Sort. ALCIME. Cependant d'un Mortel il a receu la mort. Un seul endroit au fer pouvoit donner passage, Paris l'a découvert, ce coup est son ouvrage. Si-tost que le perfide a veu son sang couler, *C'est assez*, a-t'il dit, *j'ay sceu me l'immoler*, [812] Cet Ennemy d'Helene à mon amour ravie *Ne peut perdre de sang qu'il ne perde la vie*, [813] C'est l'ordre du Destin. Puisqu'Achille n'est plus, *Les Grecs doivent trembler, Troye aura le dessus*, [814] Allons de cette mort luy porter la nouvelle. Ils se sont retirez, & la douleur mortelle Où d'Achille expirant le malheur nous a mis, Les a [815] quand ils ont fuy [816] laissez sans ennemis. BRISEIS. Il est donc vray qu'Achille ait [817] pû perdre la vie ? Et bien [818] barbare [819], enfin ta rage est assouvie, [820] Les Dieux n'en ont que trop écouté le transport⁎, Triomphe, il t'est permis de joüir de sa mort. Trouves-y les douceurs dont tu t'osois répondre⁎, [821] Brave un ingrat mourant, sois fiere⁎ à [822] le confondre, [823] Et songe, aprés un bien si cher à tes souhaits [824] Quel sera ton bonheur à ne le voir jamais. Dieux, suis-je encor moy-mesme ? Achille est mort ! Phenice, Aurois-tu crû le Ciel capable d'injustice ? Souffrir qu'Achille... PHENICE.         Il meurt, & sa mort vous abat, Mais songez-vous qu'Achille estoit parjure, ingrat ? Que tout à Polixene, il n'aspiroit qu'à suivre Ce que l'amour pour elle... BRISEIS.         Ah, que ne peut-il vivre, [825] Quoy qu'une autre à mes yeux triomphast de sa foy, Je le verrois du moins, ce seroit tout pour moy, [826] Le remords de ma perte & de son injustice Peut-estre luy feroit partager mon supplice, [827] Il souffriroit peut-estre en me voyant souffrir. N'a-t'il rien dit, Alcime, & l'as-tu veu mourir ? ALCIME. A peine il a du coup senty la rude atteinte [828] Qu'il tombe, & d'un regard qui fait naistre la crainte [829] Reprochant à Paris son indigne attentat, [830] *Il faut ceder*, dit-il, *au destin* [831]*qui m'abat*, Je meurs ; du lâche coup dont la rigueur m'entraîne, *L'infamie estoit deuë au Ravisseur d'Helene* : [832] Il s'arreste à ces mots, & voyant les Troyens Le laisser par leur fuite entre les bras des Siens ; S'étant tourné vers moy ; *le* [833]*Ciel est juste, Alcime*, *Tu le vois*, m'a-t'il dit, *ma mort punit mon crime*, *Et vange Briseis de l'affront qu'à sa foy* [834] Par l'hymen⁎ qui me perd, je faisois malgré moy. *Dy luy que d'un mépris si dur* [835]*si peu croyable* [836] Plus que ma volonté le Destin est coupable, *Et qu'à l'ordre absolu qui me l'a fait trahir* [837] *Un fatal Ascendant* [838]*m'a forcé d'obeïr.* *Dy luy qu'en la quittant, plein pour elle d'estime*, Mon coeur de ses ennuis⁎... BRISEIS.         N'acheve point, Alcime, Et pour m'accabler moins, cache moy qu'en mourant Achille ait plaint l'amour que son malheur me rend, [839] C'est enfoncer le trait où je sens la blessûre. Dy moy, dy moy plûtost qu'il fut lâche, parjure, Et que de ma Rivale indignement charmé⁎ [840] Il meurt du seul regret de n'estre point aimé. Dieux ! pour comble de maux, quand tout me desespere, Faut-il que ses remords desarment ma colere, Et qu'au triste⁎ moment qu'Achille perd le jour [841] Achille repentant mérite mon amour ? Non, il n'est que trop vray, ma frayeur estoit vaine, [842] Achille n'auroit point épousé Polixene, [843] Prest à donner sa main⁎ il eust veu Briseis, [844] Sa flame⁎ rallumée eust plaint mes feux⁎ trahis, Et dans son coeur géné sa gloire eust fait renaistre Tous les traits⁎ que son crime avoit fait disparoistre, [845] C'est trop, [846] delivrons-nous de ce cruel⁎ ennuy⁎, [847] Puisqu'il est mort fidelle, il faut mourir pour luy. Mais avant que mon bras vange ce que je pleure, Paris en est la cause, il faut que Paris meure, Et que par mille horreurs, & la flame & le fer, [848] De ce lâche Assassin me fassent triompher. Je verray lors [849] mon sang couler avecque joye [850] Si je le puis verser sur les cendres de Troye. Allons, Phenice, allons, [851] en de pareils malheurs C'est mal user du temps que le perdre à des pleurs. Pressons Agamemnon de servir ma colere, [852] S'il le faut ébloüir [853], consentons qu'il espére, [854] Ma mort aura vers luy dequoy me dégager, Quand s'armant pour Achille, il m'aura sceu vanger. < FIN. 1682, 1692, 1706 : Fin du cinquième & dernier Acte. 1701, 1709 : Fin du quatriéme Tome. [Sous-entendu : du Théâtre de Thomas Corneille. La Mort d’Achille arrive en effet en dernière position dans ce volume.] > # Lexique.Abord (d').« Incontinant, aussi tôt, la prémiere fois » (R)V. 78, 207, 233, 365, 483, 788Adveu.« Protection, ordre ou consentement donné. » (F) Le sens habituel est également présent dans le texte.V. 322, 414, 614, 623, 1002Amant, amante.« Celuy qui aime d'une passion violente & amoureuse. » (F). Le mot est adjectif mais souvent employé absolument, comme le prouve la forme de la définition.V. 30, 319, 404, 432, 501, 542, 596, 847, 932, 1324, 1499, 1600, 1628Appas.Au XVII*e* siècle, le mot se confond avec « appât ». « Se dit figurément en choses morales de ce qui sert à attraper les hommes (...). Cette femme est pleine de charmes & d'*appasts*. » (F)V. 23, 539, 607, 651, 1071, 1096, 1179, 1223, 1392, 1459Chagrin.« Inquietude, ennuy, melancolie. » (F) Le sens est très fort.V. 765, 1073, 1195Charmant, charme, charmer.Dans son emploi galant, le sens du mot est alors en train de s'affaiblir : il désigne évidemment, selon le sens moderne, les appas de Polixene.V. 146, 177, 369, 466, 683, 1018, 1042, 1065, 1325La plupart du temps demeure l'idée d'opération magique, et « charmé » signifie alors « envoûté ». Sens propre : « Puissance magique par laquelle avec l'aide du Demon les Sorciers font des choses merveilleuses, au dessus des forces, ou contre l'ordre de la nature. » (F.)V. 185, 323, 415, 551, 588, 605, 612, 655, 715, 987, 1059, 1104, 1159, 1277, 1464, 1490, 1711« Apaiser, enchanter. Sa voix peut charmer les douleurs. *Voi.Poe.* Le vin charme les chagrins. » (R)V. 89, 1443Connoistre.Outre ses emplois modernes, ce verbe a de nombreux sens très voisins : savoir.V. 588« Voir, juger, considérer » (R).V. 498, 518, 753, 1102« Avoir dans l'esprit l'idée, l'image d'une chose, d'une personne. » (A)V. 406, 786Les nuances sont parfois quasiment indécidables.Voir la note du vers 1350.Coup.« Se dit figurément de ces afflictions impreveuës qui sont comme des traits qui nous percent le coeur. » (F). Thomas Corneille ne s'éloigne cependant jamais du sens concret, et file souvent la métaphore.V. 335, 392, 776, 899, 937, 970, 981, 1129, 1275, 1381, 1407, 1527Courage.« Ardeur, vivacité, fureur de l'ame qui fait entreprendre des choses hardies, sans crainte des perils. » (F)« Une vertu qui éleve l'ame, & la porte à mépriser les perils, quand il y a des occasions d'exercer sa vaillance, ou à souffrir les douleurs, quand il y a lieu de monstrer sa constance & sa fermeté. » (F)V. 344 et 685Le terme est peut-être synonyme de « coeur », comme il était fréquent encore au début du siècle.V. 5Cruel.« Se dit encore des choses douloureuses. » (F)V. 522, 989, 1723On peut hésiter entre ce sens et le sens habituel compliqué par un hypallage.V. 1249Disgrace.« Malheur, accident. » (F)V. 86, 143, 458, 925, 967, 1321, 1554Éclat.« Splendeur. Brillant, lustre. » (R)V. 898.« Bruit, fracas. Cela fait un grand *éclat* dans le monde. » (R)V. 179, 283, 1026, 1163, 1222, 1551.« Gloire, splendeur, magnificence. » (A)V. 136, 152, 342, 427, 563, 1347.Effacer.« Obscurcir, faire perdre l'éclat de quelque chose par un plus grand brillant. Le Soleil qui monte sur l'horizon *efface* tous les astres. » (F)V. 312, 855, 1495Effet.« Ce qui est produit, ce qui resulte de l'operation des causes agissantes » (F) ; résultat.V. 35, 97, 152, 211, 251, 343, 795Empire.« Se dit figurément en Morale, de la domination, du pouvoir qu'on a sur quelque chose. » (F)V. 122, 293, 545, 721Enflamer.Voir Feu.V. 634, 1183, 1335Ennui / ennuy.« Chagrin, fâcherie que donne quelque discours, ou quelque accident desplaisant, ou trop long. » (F) Le sens dans le texte est très fort, de même que celui de *chagrin, peine* ou *gesner*.V. 393, 469, 543, 596, 840, 870, 929, 966, 1083, 1201, 1313, 1355, 1510, 1544, 1560, 1639, 1706, 1723E(s)tonner.« Causer à l'ame de l'émotion, soit par surprise, soit par admiration, soit par crainte. » (F). « Epouvanter, surprendre d'une certaine maniere qui touche. » (R). Le sens moderne est également très présent dans le texte, généralement dans des tournures interrogatives ou négatives.V. 530, 913, 994, 1119, 1132Fâcheux.« Qui donne de la fascherie, de la peine & de la difficulté. » (F) *Fascherie* : « Colere, chagrin, déplaisir. » (F)V. 596, 803, 1137Faveur (en).« En consideration, à l'advantage. » (F)V. 31, 127, 472, 566, 799, 826, 1058, 1100Feu, flame.Il s'agit bien entendu des feux de l'amour.V. 33, 34, 66, 81, 189, 191, 223, 247, 261, 294, 433, 517, 522, 534, 586, 611, 612, 621, 645, 693, 717, 729, 741, 754, 789, 797, 874, 878, 889, 942, 947, 958, 969, 985, 1003, 1067, 1076, 1109, 1147, 1153, 1170, 1172, 1183, 1186, 1278, 1310, 1354, 1410, 1450, 1459, 1481, 1495, 1525, 1534, 1541, 1570, 1579, 1720Fier, fiére, fierté.Sens premier du mot *fier* : « altier » (F).V. 686.« Quelquefois on le dit en mauvaise part : comme, C'est un esprit *fier*, intraittable. » (F.)V. 9, 27, 313, 367, 964, 1503, 1674.Signifie aussi « orgueilleux » (F).V. 431, 1037, 1221, 1301, 1309, 1352.De nombreux vers semblent jouer sur la polysémie du terme, et sur l'incertitude de la nuance (péjorative ou appréciative).Flat(t) er, flateur, flateuse.« Deguiser une verité qui seroit desagrable à celuy qui y est interessé, luy donner meilleure opinion d'une chose qu'il n'en doit avoir. » (F)« Se dit figurément en choses spirituelles. *Flatter* sa douleur, c'est-à-dire, l'adoucir par quelques reflexions morales. *Flatter* son amour, c'est-à-dire, Se donner de belles esperances » (F) à tort ou à raison.Les deux sens sont assez poreux l'un à l'autre.V. 43, 72, 88, 295, 322, 570, 805, 872, 1013, 1024, 1083, 1368, 1415, 1459, 1471Fureur, furieux.La fureur est un « emportement violent causé par un dereglement d'esprit & de la raison » (F).V. 91 et 99.« Colere (...) violente & demesurée » (F), sans valeur pathologique.V. 329, 371, 784, 847, 1233, 1633, 1650, 1655.Nuance parfois incertaine.V. 453, 575, 1398, 1600.Sens figuré de « violence », à propos de la guerre.V. 235 et 875Gêner / gesner.« Donner la gesne, la question. (...) signifie plus communément, Tourmenter le corps ou l'esprit. » (F)V. 549, 737, 1099, 1318, 1421, 1620Genereux.« Qui a l'ame grande & noble, & qui prefere l'honneur à tout autre interest. (...) Brave, vaillant, courageux. (...) Liberal. » (F)V. 131, 464, 723, 1017, 1141Hymen, hymenée.« Signifie poëtiquement, le mariage. » (F). L'emploi des termes *hymen, main*, et autres équivalents, accompagnés d'un complément du nom, sous-entend fréquemment l'implication d'un des interlocuteurs dans le mariage en question. « Rechercher l'hymen de Polixene » ne signifie pas « chercher un époux à Polixene » mais bien « vouloir épouser Polixene. » Seulement, la personne impliquée peut demeurer floue, et c'est cette ambiguïté qui fonde les discours à double entente d'Achille.V. 38, 43, 58, 85, 183, 188, 215, 233, 253, 260, 268, 321, 327, 489, 494, 507, 693, 741, 748, 749, 768, 1015, 1045, 1058, 1118, 1365, 1418, 1430, 1475, 1478, 1700Image.« Se dit encore des peintures qu'on se forme soy-même dans son esprit. » (F)V. 311, 469, 917, 993, 1191, 1375, 1618Intéresser, intérest.« Se dit aussi de la part qu'on prend en quelque chose. » (F) ; il ne s'agit pas d'une simple curiosité.V. 64, 166, 249, 261, 801, 1586Jaloux.Nous avons doté ce terme d'un astérisque lorsqu'il s'applique à des êtres cosmogoniques : les dieux, les destins, l'Univers... « Dans l'Escriture sainte Dieu s'appelle, *Le Dieu jaloux*, Pour faire entendre aux hommes qu'il ne veut pas qu'on adore, qu'on serve d'autres que luy. » (A) Ce ne saurait être le sens ici ; il s'agit en fait du sens le plus courant : « Envieux, concurrent » (F). L'expression signifie, proprement, que les dieux (et autres) sont jaloux du bonheur des mortels, hyperbole qui sert à magnifier les sentiments des personnages, mais aussi à introduire une couleur de paganisme antique.V. 279, 329, 521, 1132, 1143Main.*Donner la main* : « Promettre la foy de mariage » (F). D'où l'emploi de « main » pour signifier « mariage », par extension.V. 55, 67, 243, 271, 487, 504, 600, 738, 744, 751, 773, 928, 943, 1121, 1126, 1192, 1223, 1238, 1455, 1719Voir l'expression demeurée vivante « demander la main de quelqu'un ».V. 635.Voir aussi Hymen.Objet« Se dit aussi poëtiquement des belles personnes qui donnent de l'amour. » (F)V. 172, 376, 415, 587, 862, 1464, 1568Peine.« Douleur, tourment. » (F). Le vers 829 montre bien que le sens est ici très fort : il s'agit vraiment d'une torture insoutenable.V. 114, 305, 513, 537, 570, 761, 829, 1317, 1374, 1438, 1441, 1574, 1594, 1610Penetrer.« Concevoir, aprofondir » (R) ; le terme est ici employé notamment à propos de Cassandre, et signifie plus exactement « deviner ».V. 268, 586Percer.« C'est blesser de telle force avec une lance, ou une épée que le coup pénétre dans le corps. » (R) S'emploie aussi dans un sens galant.V. 392, 819, 890, 974, 1040, 1091, 1372Pompe« Despense magnifique qu'on fait pour rendre quelque action plus recommandable, plus solemnelle, & plus éclatante. » (F)V. 151, 342, 383Prétendre« Aspirer à quelque chose. » (F) sans nuance négative. Le verbe se construit transitivement (voir Haase, *Syntaxe française...*, § 59, p. 136).V. 22, 287, 350, 777, 845, 1003Remplir.« On dit aussi, *Remplir l'attente, remplir les esperances du public*, pour dire, Respondre par ses actions, par sa conduite à ce que le public avoit attendu, avoit esperé. » (A)V. 97, 136, 503Répondre.« Etre caution. Assurer. » (R)V. 171, 436, 1164, 1174, 1673Revers.« Renversement de fortune » (F), favorable ou défavorable.V. 27, 90, 143, 515, 803, 933, 940, 990, 1347, 1577Soin.« Souci » (F).V. 108 et 1143.« Attache particuliere qu'on a auprés d'un maistre, ou d'une maistresse, pour les servir, ou leur plaire (...) ; assiduitez. » (F)V. 197, 251, 956, 1025, 1034, 1176, 1333.Le sens moderne (« diligence qu'on apporte à faire reüssir une chose » selon Furetière) est aussi présent dans le texte.Succez.« Reüssite, issuë d'une affaire » (F), favorable ou défavorable. L'emploi du terme sans autre précision peut sous-entendre cependant le caractère favorable.V. 34, 89, 433, 548, 602, 697, 1014Timide.« Foible, peureux, qui craint tout. » (F) Nous dirions *timoré*. Le sens moderne est compris dans celui-là.V. 78, 222, 257, 926.Traits.Armes de jet.V. 1091.« Se dit figurément & poëtiquement des regards, & des blessures qu'ils font dans les coeurs, quand ils y inspirent de l'amour. » (F) De façon générale, Thomas Corneille semble utiliser « traits » pour désigner tout ce qui peut toucher le coeur du personnage, et non pas seulement les regards.V. 499, 674, 866, 1040, 1540, 1722Peut-être une allusion aux traits (flèches) que lance Cupidon archer.V. 1505Transport.« Se dit aussi figurément en choses morales, du trouble ou de l'agitation de l'ame par la violence des passions » (F) ; évidemment, sur une scène de théâtre, le transport ne reste pas silencieux.V. 99, 367, 578, 710, 746, 791, 1354, 1671Triste.« Affligé par quelque perte ou accident qui luy est arrivé ; ou qui est d'un temperament sombre & melancolique » ; « se dit figurément en choses spirituelles & morales » (F) : déplorable. Le sens est souvent fort.V. 7, 117, 198, 268, 308, 425, 519, 840, 886, 1339, 1427, 1444, 1647, 1715 # Chronologie des oeuvres de Thomas Corneille.< Les articles de C.J. Gossip cités dans la bibliographie sont nos sources principales, > ainsi, pour les oeuvres non théâtrales, que la thèse de M. Reynier. 1641    Poésie sans titre couronnée au concours des Palinods de Rouen 1647    *Les Engagements du hasard*, comédie 1648    *Le Feint astrologue*, comédie 1651    *Don Bertrand de Cigarral*, comédie 1651    *L'Amour à la mode*, comédie 1652    *Le Berger extravagant*, comédie 1654    *Les Illustres ennemis*, comédie 1655    *Le Geôlier de soy-mesme, ou Jodelet Prince*, comédie 1656    *Timocrate*, tragédie (80 représentations) 1657    *Le Charme de la voix*, comédie 1657    *La Mort de l'empereur Commode*, tragédie 1658    *Bérénice*, tragédie 1658    *Darius*, tragédie 1659    *Le Galant doublé*, comédie 1660    *Stilicon*, tragédie 1661    *Camma, reine de Galatie*, tragédie 1662    *Maximian*, tragédie 1663    *Persée et Démétrius*, tragédie 1663    *Pyrrhus, roi d'Epire*, tragédie 1666    *Antiochus*, tragi-comédie 1667    *Le Baron d'Albikrac*, comédie 1668    *Laodice*, tragédie 1669    Traduction des *Métamorphoses* d'Ovide (première partie) (1669-1672) 1669    *La Mort d'Annibal, tragédie* 1670    *La Comtesse d'Orgueil*, comédie 1670    Traduction de quelques pièces d'Ovide (*Héroïdes* et *Amours*), d'une ode d'Horace et d'une scène du *Pastor Fido*. 1672    *Ariane*, tragédie 1672    *Théodat*, tragédie 1673    *Le Comédien poète*, comédie (en collaboration avec Montfleury) 1673    *La Mort d'Achille*, tragédie 1674    *Don César d'Avalos*, comédie 1675    *Circé*, tragédie lyrique, jouée au théâtre de Guénégaud malgré le monopole de Lully 1675    *L'Inconnu*, comédie mêlée de spectacle (en collaboration avec De Visé) 1676    *Le Triomphe des dames*, comédie à machines (avec De Visé) (seul le livret est imprimé) 1677    T.C. commence à travailler au Mercure Galant. 1677    *Le Festin de pierre*, comédie, d'après le *Dom Juan* de Molière 1678    *Le Comte d'Essex*, tragédie 1678    *Psyché*, opéra (musique de Lully), à l'Académie de Musique cette fois 1679    *Bellérophon*, opéra (avec Fontenelle et Boileau, musique de Lully) 1679    *La Devineresse*, comédie en prose mêlée de spectacle (avec De Visé) 1681    *La Pierre philosophale*, comédie à machines (avec De Visé) (seul le livret est imprimé) 1682    *Le Deuil*, comédie (avec Hauteroche) 1683    *Orion*, tragédie lyrique refusée par la Comédie-Française, et perdue 1685    Discours de réception à l'Académie Française 1685    *L'Usurier*, comédie en prose (avec De Visé) (non imprimée) 1686    *Le Baron des Fondrières*, comédie (non imprimée, une seule représentation) 1687    Édition commentée des *Remarques* de Vaugelas 1691    Discours de réception de Fontenelle à l'Académie 1693    *Médée*, opéra (musique de Charpentier) 1694    *Dictionnaire des Termes d'Arts et de Sciences* 1695    *Les Dames vengées*, comédie en prose (avec De Visé) 1695    *Bradamante*, tragédie 1697    Traduction des *Métamorphoses* d'Ovide (dernière partie) 1697    Dernier volume de l'*Histoire de la Monarchie Française sous le règne de Louis le Grand*, commencée par M. de Rieucourt ( ? ). 1702    *Quatrains moraux* pour accompagner la traduction des *Fables* d'Esope et de Philelphe par M. de Bellegarde. 1704    *Observations de l'Académie Française* sur les Remarques de Vaugelas, rédigées par T.C. 1708    *Dictionnaire Géographique et Historique.* La part exacte prise par Thomas Corneille dans plusieurs pièces écrites en collaboration est débattue. C.J. Gossip se désintéresse notamment du *Deuil* et des *Dames vengées*, alors que H.C. Lancaster, dans son édition du *Mémoire* de Mahelot, attribue à Thomas Corneille une part dans la *Dame Invisible* de Hauteroche (1684), reprise de *L'Esprit Folet* de d'Ouville, qui échoua. Cette supposition, que M. Lancaster n'étaye pas, n'est à ma connaissance reprise nulle part. # Bibliographie. ## Oeuvres des XVII*e* et XVIII*e* siècles. Nous n'indiquons pas ici les oeuvres de Corneille, Racine et Molière, qui sont consultables partout. Nous citons l'intitulé complet des éditions d'époque consultées.< >POLIXENE / ET / PIRRHUS, / TRAGEDIE ; / REPRESENTEE POUR LA PREMIERE FOIS / PAR L'ACADEMIE ROYALE / DE MUSIQUE, / Le Jeudy vingt-uniéme jour d'Octobre 1706. / Vignette aux armes de France soutenues par deux anges / A PARIS, / Chez CHRISTOPHE BALLARD, seul Imprimeur du Roy / pour la Musique, ruë S. Jean de Beauvais, au Mont-Parnasse. / M. DCCVI. / Avec Privilege de Sa Majesté. / LE PRIX EST DE TRENTE SOLS. La Mort d'Achille & la dispute de ses armes TyridateLe Fils Supposé ACHILE / ET / POLIXENE, / TRAGEDIE / EN / MUSIQUE, / Vignette : à la Sphère / Imprimée a Paris, & on les Vend / A ANVERS, / chez HENRY van DUNWALDT, Li- / braire au Marché aux Oeufs, aux / trois Moines. 1688. ANTIOCHUS, / TRAGI-COMEDIE. / PAR / T. CORNEILLE. / Suivant la Copie imprimée / A PARIS. / M. DC. LXXXXI. » (60 p.) dans « LE / THEATRE / DE / T. CORNEILLE, / Reveu, corrigé, & augmenté / de diverses pieces nouvelles. / IV. PARTIE. / Suivant la Copie imprimée, / A PARIS. / M. DC. LXXXXII. Ariane, tragédieThéâtre du XVII*e* siècle Le Comte d'EssexThéâtre complet de Th. CorneillePyrrhusLa Mort d'Achille LA MORT / DE / L'EMPEREVR / COMMODE, / TRAGEDIE. / Vignette représentant un pot de fleurs / Imprimé à ROVEN, Et se vend / A PARIS, / Chez / AVGVSTIN COVRBE', au Palais, en la / Gallerie des Merciers, à la Palme. / Et / GVILLAVME DE LVYNE, Libraire Iuré, / dans la mesme Gallerie, / à la Iustice. / M. DC. LIX. / AVEC PRIVILEGE DV ROY. PYRRHVS / ROY D'EPIRE. / TRAGEDIE. / Par T. CORNEILLE. / Vignette : une floraison surmontant une tête de chérubin / A ROVEN, & se vend / A PARIS, / Chez GABRIEL QVINET, au Palais, / dans la Gallerie des Prisonniers, / à l'Ange Gabriel. / M. DC. LXV. / AVEC PRIVILEGE DV ROY. Timocrate, tragédie AchilleLa Mort d'AchilleLE / THEATRE / D'ALEXANDRE / HARDY, PARISIEN. / TOME SECOND. / Dedié à Monseigneur le Duc d'Aluyn. / Vignette représentant la Gorgone encombrée de divers accessoires allégoriques / A PARIS. / Chez IACQUES QUESNEL, ruë S.Iacques, / aux Colombes, prés S. Benoist. / M. DC. XXXII. / Auec Priuilege du Roy. Le Gardien de soy-mesmeLe Geôlier de soy-mesme ## Documents d'époque et éditions curieuses.Histoire de l'Académie Royale des inscriptions et belles-lettresÉlogeÉloges des Académiciens morts, depuis le renouvellement de l'Académie Discours prononcez à l'Académie Françoise le 2. Ianvier 1685 Discours prononcez dans l'Académie Françoise, Le Samedy huitiéme Février M D C C X. A la reception de monsieur Houdart de la Motte Chef-d'oeuvres de T. CorneilleArianeLe Comte d'Essex Extraict Des Receptes Et des affaires de La Comédie Depuis Pasques de L'année**1659**apartenant au Sr. De La Grange L'un des Comediens du RoyNote sur la Grange et son registre Le Mémoire de Mahelot, Laurent et d'autres décorateurs de l'Hôtel de Bourgogne et de la Comédie-Française au XVII*e* siècle Bolaeana ou bons mots de M. Boileau, avec les poésies de Sanlecque, & c. ## Sources anciennes.Histoire de la Guerre de TroieHistoire de la Ruine de Troie Iliade L'Odyssée ## Bibliographies, dictionnaires et usuels.Dictionnaire critique et documentaire des peintres sculpteurs dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays par un groupe d'écrivains spécialistes français et étrangersBeduschi-Burchard Dictionnaire de la musique en France aux XVII*e* et XVIII*e* siècles Bibliographie de la littérature française du dix-septième siècleGénéralités ; A-C Le Dictionnaire de l'Académie Françoise, dédié au Roy Dictionnaire universel Syntaxe française du XVIIe siècle Nouvelle biographie générale Dictionnaire de l'Antiquité, mythologie, littérature, civilisation Bibliographie d'histoire littéraire française Biographie universelle ancienne et moderne Dictionnaire François, contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise, &c. ## Ouvrages généraux.Mythologie grecque et romaine Introduction à la littérature fantastique ## Sur le théâtre du XVII*e* siècle.Histoire de la littérature française au XVII*e* siècleL'Apogée du Siècle. La Fontaine. Racine. La Rochefoucauld. Mme de Sévigné Les Trois discours sur le poème dramatique Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique ; Discours de la tragédie et des moyens de la traiter selon le vraisemblable ou le nécessaire ; Discours des trois unités, d'action, de jour, et de lieuOeuvres Complètes Mythologie et mythe dans le théâtre français (1650-1676) La Tragédie de l'âge classique (1553-1770) Introduction à l'analyse des textes classiques, éléments de rhétorique et de poétique du XVII*e* siècle IntroductionLire RacineOEuvres Complètes A History of french dramatic literature in the seventeenth century Esquisse d'une histoire de la tragédie française Histoire illustrée de la littérature française Répertoire analytique des documents contemporains d'information et de critique concernant le théâtre à Paris sous Louis XIV, 1659-1715 Les Comédiens français du XVIIe siècle — dictionnaire biographique La Tragédie Histoire du Théâtre françois, depuis son origine jusqu'à présent, avec la vie des plus célébres Poëtes Dramatiques, un Catalogue exact de leurs Piéces, & des Notes Historiques & Critiques La Dramaturgie classique en France*re* ## Sur Thomas Corneille. ### Livres.French tragic drama in the sixteenth and seventeenth centuries Thomas Corneille protean dramatist Studies in french-classical tragedy Thomas Corneille sa vie et son théâtre Commentaires sur CorneilleLes Oeuvres Complètes de Voltaire ### Articles.Studi Francesi Revue d'Histoire Littéraire de la France ArianeAustralian Journal of French Studies Revue de la Société d'Histoire du Théâtre ## Petit supplément indicatif.The Role of love in the tragedies of Thomas CorneilleAriane, EssexLa Mort d'AchilleDissertation Abstracts International ------- [1] Citée par Louis Jouvet, *Réflexions du comédien*, Librairie Théâtrale, 1952, p. 87. [2] Cf. Houdar de la Motte, dans *Discours prononcez dans l'Académie Françoise, Le Samedy huitiéme Février M D C C X*, p. 15 et De Boze, *Eloges des Académiciens morts...*, p. 163. [3] Voltaire, *Commentaires sur Corneille*, The Voltaire Foundation, p. 979. [4] Voir Reynier, *Thomas Corneille sa vie et son théâtre*, p. 332 : « *On peut dire qu'il a réalisé l'idéal moyen de son siècle »*. [5] Voir Adam, *Histoire de la Littérature française au XVIIe siècle*, tome IV, p. 250 : « *Si l'on veut connaître les caractères de la tragédie entre 1660 et 1677, si l'on veut se représenter le niveau moyen des oeuvres alors jouées, on lira les pièces de Thomas Corneille. »* [6] Voir Jacques Truchet dans *Théâtre du XVIIème siècle*, t. II, textes choisis, présentés et annotés par Jacques Scherer et Jacques Truchet, bibliothèque de la Pléiade, NRF/Gallimard, 1986, p. 1503. [7] Nous utilisons l'orthographe « Polixene » lorsqu'il s'agit spécifiquement du personnage de Thomas Corneille, et l'orthographe moderne habituelle dans les autres cas. De même pour « Briseis » et « Briséis », « Paris » et « Pâris », etc. [8] Parfaict, *Histoire du Théâtre françois*, t. 11, p. 346 (96 de la réédition par Slatkine Reprints, tome III). [9] Reynier, *op. cit.*, p. 114-115. [10] Voir Lancaster, *A history of French Dramatic Literature..., part IV*, vol. I, p. 146-148. [11] Voir Collins, *Thomas Corneille protean dramatist*, p. 157-161. [12] Voir De Boze, *op. cit.*, p. 160 et suivantes. [13] Voir Reynier, *op. cit.*, p. 28. Cette égalité sera rompue lorsque Thomas recevra 1000 livres annuelles du roi, de 1664 à 1666, contre 2000 à Pierre (*ibid.*, p. 38). [14] Cf. *L'Ecole des Femmes*, I, 1, v. 179-182. [15] Voir Collins, *Thomas Corneille protean dramatist*, p. 17. [16] *Ibid.*, p. 177. [17] *Discours prononcez à l'Académie Françoise le 2. Ianvier 1685*, p. 9-11. [18] *Ibid.*, p. 32. [19] Voir le *Bolaeana*, Lhonoré, 1742, p. 130. [20] Voir De Boze, *op. cit.*, p. 169. [21] Voir *Timocrate*, éd. Yves Giraud, Droz, p. 53. [22] Reynier, *Thomas Corneille sa vie et son théâtre*, p. 117. [23] Reynier, *op. cit.*, p. 161-162. [24] Reynier, *op. cit.*, p. 170. [25] Reynier, *op. cit.*, p. 189. [26] Voir Lancaster, *A History of french dramatic literature in the seventeenth century, part III*, vol. II, p. 602. [27] Cf. sa conclusion : Reynier, *op. cit.*, p. 321-332. [28] Voir Parfaict, *Histoire du Théâtre françois*, t. 11, p. 285 et suiv. (80 et suiv. de la réédition). [29] Voir Lancaster, *A History of french dramatic literature..., part IV*, vol. I, p. 146. [30] Voir Reynier, *op. cit.*, p. 45. [31] Collins, *op. cit.*, p. 158 : « *One cannot help feeling that Corneille was striving with special ardor to create a masterpiece in* Achille. * »* [32] D'après Parfaict, *op. cit.*, p. 346-347 (96 de la réédition). [33] Les recettes brutes étaient plus élevées que celles des reprises qui constituaient l'ordinaire de la troupe, et l'étude de leur évolution doit tenir compte de l'augmentation automatique de la recette le dimanche ; mais La Grange, qui note le montant de chaque part de recette, nous permet de déterminer que le manque de rentabilité du spectacle fut fatal à *La Mort d'Achille*. À titre d'exemple, une représentation de *La Comtesse d'Escarbagnas* et de *L'Ecole des Maris* n'ayant rapporté que 275 livres à la troupe, se traduit par une part de 9 livres pour chacun. En revanche, les 455 livres de la représentation du 2 janvier de *La Mort d'Achille* ne rapportent à chacun que 3 livres, somme au dessous de laquelle la part individuelle ne descend jamais, si faible que soit la recette et qui constitue probablement le minimum garanti aux comédiens. Une part de 3 livres correspond donc probablement à un lourd déficit ; or sur huit représentations comptées par La Grange, trois aboutissent à des parts de 3 livres. D'où vient cette moindre rentabilité ? Elle indique probablement de lourds frais correspondant à un spectacle assez luxueux, bien que la pièce n'appelle pas l'usage de machines. Il fallait tout d'abord rémunérer l'auteur ; peut-être la troupe a-t-elle fait appel à des figurants en nombre pour représenter la suite des personnages ; enfin le décor de la pièce, située dans le camp grec, ne pouvait être figuré par un palais à volonté. On peut supposer l'emploi d'une toile de fond, peut-être originale, représentant les murailles de Troie et le camp grec. Il se peut enfin, pour la première tragédie nouvelle représentée par la troupe, que les costumes aient été neufs. [34] Voir Lancaster, *op. cit.*, page 146, note 2, qui s'appuie sur le Registre Guénégaud. [35] Voir Pierre Mélèse, *Répertoire analytique...*, p. 157. [36] Voir C. J. Gossip, « Vers une chronologie des pièces de Thomas Corneille », *Revue d'Histoire Littéraire de la France*, n° 6, 1974, p. 1048. [37] Voir Parfaict, *Histoire du Théâtre françois*, t. 11, p. 285 et suiv. (80 et suiv. de la réédition) [38] Sur La Grange, voir Sylvie Chevalley, *Note sur la Grange et son registre*, publié à la suite du fac-simile du registre, Genève, Minkoff, 1972. Sur Armande Béjart, voir Parfaict, *op. cit.*, p. 320 (89 de la réédition). Sur Rosimont, voir Mongrédien et Robert, *Les comédiens français du XVIIe siècle — Dictionnaire biographique*, p. 188 et 308. [39] Cf. *Chef-d'oeuvres* sic *de T. Corneille*, Paris, 1786, p. 58-59. [40] Lancaster (*op. cit.*, p. 148) remarque que « le lieu est circonscrit au camp grec devant Troie, dans lequel Polixene, grâce à la trêve, peut se rendre quand il lui plaît » (*« the place is limited to the Greek camp before Troy, to which, thanks to the truce, Polyxena is able to come when she pleases »*), ce qui n'est pas tout à fait exact puisque, lorsque la pièce commence, une partie au moins de la famille royale troyenne s'est installée dans la tente d'Achille (cf. les vers 106 et 385-388). Il ne s'agit pas d'une facilité de la part de Thomas Corneille, qui peut s'autoriser du chant XXIV de l'*Iliade*. [41] Darès, prêtre d'Héphaestos et père du héraut Idée, est mentionné au début du chant V de l'*Iliade*. Au lieu de déduire que l'auteur du récit de Darès s'était inspiré de l'*Iliade*, on en a conclu à l'existence réelle du personnage de fiction, et à son influence sur Homère ! Sur ce genre de « parasitage » de la réalité par la fiction, et de raisonnements qui se mordent la queue, *cf.* Umberto Eco, *Six promenades dans les bois du roman et d'ailleurs*, Paris, Grasset, 1996. [42] Voir N.L. Achaintre (trad.), *Histoire de la guerre de Troie* par Dictys de Crète, Paris, Brunot-Labbé, 1813. [43] Homère relate une scène semblable au chant XXIV de l'*Iliade*, mais Priam s'y rend seul dans la tente d'Achille. [44] Voir Commelin, *Mythologie grecque et romaine*, Classiques Garnier, 1960, p. 385. [45] Collins, *op. cit.*, p. 158 : *« In no other play did Thomas Corneille create so well a mood of latent tragedy. »* [46] Lancaster, *A History of French dramatic literature...*, p. 161 : *« the unity of action is violated by the fact that Achille's death, which is the main event, is determined by the action of Paris, who does not appear. »* [47] Voir Scherer, *La Dramaturgie Classique en France*, p. 46. [48] Voir Scherer, *op. cit.*, p. 44. [49] Scherer, *op. cit.*, p. 43. [50] Antilochus n'accompagne pas non plus Pyrrhus en II, 4 ; mais après tout Alcime est là et ne dit rien, puisque le dialogue entre Achille et son fils fait toute la scène. Il n'est donc pas même interdit d'imaginer une négligence de l'imprimeur, reprise dans les éditions ultérieures. [51] Voir *Chef-d'oeuvres de T. Corneille*, p. 58. [52] Reynier, *op. cit.*, p. 146. [53] Voir Collins, *op. cit.*, p. 160. [54] Racine, *Première préface d'*Andromaque. [55] Cf. Pierre Corneille, *Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique*, Bibliothèque de la Pléiade, p. 129-132. [56] Boileau, *Art Poétique*, chant III. [57] Pierre Corneille, *op. cit.*, p. 132. [58] Voir Helen Harrison, « A tragedy of gratitude », *Australian Journal of French Studies*, XXXIV/2, 1997. [59] Voir Reynier, *op. cit.*, p. 114-115. [60] Collins, d'ailleurs, rend compte de la *Mort d'Achille* parmi les *« tragedies of feeling »* qui correspondent chez lui aux « tragédies raciniennes » de Reynier. Lancaster (*op. cit.*, p. 147) et Geoffrey Brereton (*French tragic drama...*, p. 224 et 237) reconnaissent l'influence de Racine sur *La Mort d'Achille*. [61] Voir Scherer, *op. cit.*, p. 83 et suiv. [62] Onpeut considérer avec Collins (*op. cit.*, p. 158) que « le destin de Troie dépend d'Achille » (*« the fate of Troy depends on Achilles »*) et se trouve en jeu tout au long de la pièce. Il n'est certes jamais impossible qu'un retournement de situation intervienne. Mais il est remarquable que malgré les velléités de Pyrrhus (qui sont d'ailleurs plutôt de nature à déclencher un conflit interne au camp grec) et les ambassades de Briseis (systématiquement vouées à l'échec), il ne passe justement *rien*. Seul Achille a le *pouvoir* de peser sur la situation politique ; Pyrrhus et Briseis n'en ont que l'illusion. Le *pouvoir* d'Achille reflète une *possibilité* dramaturgique actualisée dans la diégèse ; l'impuissance de Pyrrhus et Briseis, une possibilité écartée par l'auteur. [63] Est-ce là ce que veut dire Collins lorsqu'il affirme (*op. cit.*, p. 183-184) que « Thomas Corneille concevait le tragique comme la pleine conscience de la futilité » (*« Thomas Corneille conceived of the tragic as the full consciousness of futility »* ) ? [64] Racine, *Bérénice*, éd. Marc Escola, GF-Flammarion, 1997, p. 49. [65] Racine, *Phèdre*, I, 3, v. 176 [66] Racine, *Bérénice*, I, 4, v. 235 [67] Racine, *Phèdre*, I, 1, v. 36 [68] Voir Adam, *op. cit.*, p. 253 et 363. Lancaster (*op. cit.*, p. 89) voit plutôt chez Racine une filiation directe avec Benserade. La proximité des dates nous fait pencher pour l'opinion d'A. Adam. [69] Voir Gossip, « Vers une chronologie des pièces de Thomas Corneille », *Revue d'Histoire Littéraire de la France*, n° 6, 1974, p. 1038-1058. [70] Voir l'ouvrage en question, p. 57. [71] Ce que nos moyens typographiques nous contraignent à représenter par une parenthèse est en fait un C à l'envers. L'ensemble imite assez grossièrement les lettres « MD ». La conservatrice de la Réserve de la BNF. nous a assuré n'avoir jamais observé ailleurs cette étrange façon de noter les chiffres romains. [72] Voir Reynier, *Thomas Corneille sa vie et son théâtre*, p. 374. [73] Il s'agit bien entendu d'une transcription approximative, compte tenu de nos moyens typographiques. Pour l'identification du dessinateur, cf. Bénézit, *Dictionnaire critique et documentaire...*, t. II, p. 881. On n'échappe malheureusement pas à l'embarras du choix. [74] Le lieu de l'action n'est pas mentionné, mais il s'agit très probablement du camp grec devant Troie. Voir également le vers 107 et la note 126. [75] Rappelons qu'Achille était fils du roi Pélée, lui-même fils d'Eaque (d'où le surnom d'Eacide parfois donné au héros), et de la déesse Thétis. *« A sa naissance, Thétis, sa mère, l'avait plongé dans l'eau du Styx, et l'avait rendu invulnérable, excepté au talon par où elle le tenait. (...) On a observé, avec raison, que la fable qui suppose Achille invulnérable n'était pas reçue du temps d'Homère »* précise M. Commelin (*Mythologie grecque et romaine*, p. 365-369). L'endroit où Achille peut être percé est occulté par Thomas Corneille, probablement comme trop prosaïque ; le frontispice des éditions hollandaises de *La Mort d'Achille*, reproduit ci-dessus, montre le héros blessé au flanc ; quant à Hardy et Benserade, ils ignorent la question. Voir également la note du vers 1605. [76] Sur les légendes contradictoires dont Polyxène est l'héroïne, voir Commelin, *op. cit.*, p. 394-395. [77] Hippodamie, surnommée Briséis (fille de Brisès), princesse captive et aimée d'Achille, lui fut un temps enlevée par Agamemnon (voir les vers 664 et suivants). Thomas Corneille en fait un rapt galant, ce qu'il n'est pas dans l'*Iliade*. [78] L'orthographe du nom de Briseis varie selon les éditions, et parfois même au sein d'une même édition. Nous nous en tenons, comme pour tous les personnages, à celle, cohérente, de l'édition de 1676. Bien évidemment le nom se prononce en trois syllabes, « Bri-sé-is ». [79] Compagnon d'Achille, « qu'il chérit entre tous les siens après Patrocle mort » (*Iliade*, XXIV, v. 574). [80] Antiloque (en latin Antilochus) est le fils du vieux roi grec Nestor. *« Dans* L'Iliade, *Homère le présente comme un combattant valeureux du côté des Grecs dans la guerre de Troie.* L'Aethiopide *raconte qu'il fut tué en défendant son père contre Memnon. »* (Howatson, *Dictionnaire de l'Antiquité*, p. 60). Sur Alcime et Antilochus, voir aussi l'Introduction, p. XXII [81] 1690 : ACTE PREMIER. [82] « **Rien** ne conserve plus au XVIIe siècle son acception primitive de *chose* et est devenu déjà un mot si négatif qu'il peut se rencontrer çà et là avec un verbe sans la particule *ne* ». (Haase, *Syntaxe française...*, § 51, p. 108). Ce vers est pourtant incompréhensible si l'on n'admet pas que « rien » signifie « quelque chose, quoi que ce soit ». Si l'on rajoutait la particule que Haase suppose sous-entendue, en effet, on voit que le sens deviendrait : « Son coeur est trop à moi pour qu'il ne me refuse rien », c'est à dire « il m'aime tellement qu'il doit bien me refuser quelque chose ! ». [83] *Courage* : « Ardeur, vivacité, fureur de l'ame qui fait entreprendre des choses hardies, sans crainte des perils. » (F). Ici *fureur* signifie « passion qui nous fait agir avec de grands emportements » (F). [84] 1682 : usage, [85] Hécube, l'une des femmes de Priam, eut avec lui cinquante enfants – les plus connus parmi les héros troyens, à l'exception d'Enée. [86] Hector, fils de Priam et d'Hécube, *« le plus fort et le plus vaillant des Troyens (...). Les oracles avaient prédit que l'empire de Priam ne pourrait être détruit tant que vivrait le courageux Hector »* (Commelin, *op. cit.*, p. 390). Il fut tué par Achille. [87] 1692-1709 : brave, [88] 1701, 1709 : Vainqueur [89] 1692-1709 : Esclave [90] *Couronner* : Ici, « recompenser la vertu par des marques d'honneur » (F). Il ne s'agit pas d'une métaphore. [91] 1692-1709 : amour. [92] 1692-1709 : effets. [93] 1690-1709 : hymen [94] Comprendre que le corps d'Hector a été rendu à sa famille, et que Priam peut honorer de larmes la dépouille de son fils. [95] « Pour » signifie ici « comme » (cf. Haase, *op. cit.*, § 134, p. 363). Comprendre : « La perspective d'avoir comme gendre Pyrrhus fait plaisir à Priam ». [96] 1692-1709 : s'oppose. [97] Sur Pâris, Hélène et Ménélas, voir l'Introduction, p. XV. [98] 1692-1709 : moy. [99] En 1676, ce vers est imprimé en léger retrait. Nous y voyons une maladresse typographique plus que l'indication d'un nouveau paragraphe, qui serait en contradiction avec la ponctuation. [100] Cette soumission absolue de la politique à l'amour (Briseis est, après tout, une esclave de guerre ! ) indique bien le caractère galant de *La Mort d'Achille*. [101] 1692-1709 : terminée, [102] 1692-1709 : hymenée. [103] 1692-1709 : soûtien. [104] 1692-1709 : interest. [105] 1692-1709 : ame. [106] 1692-1709 : soûpirs. [107] 1692-1709 : m'aime ; [108] 1692, 1701, 1709 : trahy, [109] Cet épisode est entièrement de l'invention de Thomas Corneille : toutes les sources légendaires s'accordent à dire que Pyrrhus ne fut appelé à Troie qu'après la mort de son père. [110] 1690 : plaire. [111] 1701, 1709 : Prisonnier [112] Nouvelle occurrence d'un thème galant, déjà présent dans la *Franciade* de Ronsard et le *Tyr et Sidon* de Jean de Schelandre, qui fait momentanément de Pyrrhus un double inversé de Briseis (la femme captive est maîtresse de son geôlier, l'homme captif l'est doublement), et suggère les potentialités romanesques du sujet, dont Thomas Corneille s'est manifestement écarté consciemment. [113] 1692-1709 : tournerent. [114] 1692, 1706 : interpretes ; [115] *Ardeur* : le sens premier du mot est « grande chaleur » (F). Il estdonc parfaitement cohérent avec l'emploi de *feu, flamme*, etc., pour désigner l'amour. [116] 1692-1709 : liberté, [117] *Saisy* : « Se dit aussi des maladies qui attaquent un homme, qui le tourmentent, soit dans le corps, soit dans l'esprit » (F). [118] 1701, 1709 : horreur, [119] *« Patrocle, fils de Ménoetius, roi des Locriens, (...) trouva un asile à la cour de Pélée, qui le fit élever par Chiron avec son fils Achille ; de là cette amitié si tendre et si constante entre les deux héros. Sous les murs de Troie, Patrocle (...) repousse les Troyens, mais il tombe fatalement sous les coups d'Hector favorisé par Apollon »* (Commelin, *op. cit.*, p. 369-370). Achille, dont l'amitié pour Patrocle est légendaire autant qu'ambiguë, vengea ensuite la mort de Patrocle en tuant Hector. [120] 1692-1709 : d'immoler. [121] Comme dans *Mithridate* de Racine (I, 1), l'amour du fils est légitimé par son antériorité sur celui du père – puisqu'Achille a rencontré Polixene après la mort d'Hector. [122] 1692-1709 : envie. [123] 1692-1709 : vie ; [124] Ces faits proviennent de l'*Iliade* (livres XXII et XXIV). Remarquons qu'Homère ne dit pas exactement qu'Achille a traîné trois fois Hector autour de Troie, version fort répandue, mais qu'il l'a d'abord traîné autour de Troie, puis trois fois autour de la tombe de Patrocle. [125] 1690 : spectacles, [126] 1692-1706 : plaire, [127] Y a-t-il un sens figuré ? Ces deux vers permettent en tous cas d'écarter l'hypothèse que le décor représente la tente d'Achille. [128] 1690 : soin ; / 1692-1709 : soin. [129] *Vain tombeau* : « cenotaphe » (F). L'usage de cette expression, qui se retrouve au vers 1032, suggère que ces efforts sont vains (cf. v. 380). [130] *Ombre* : « signifie aussi l'ame d'un mort. (...) Les Chrestiens appellent *esprits*, ce que les Payens appelloient des *ombres*, quand ils croyent que leurs parents reviennent, & leur apparoissent. » (F). Le mot participe donc de la couleur antique, ici et au vers 422. [131] 1682, 1692-1709 : nombre , [132] 1682, 1692-1709 : peine. [133] 1692-1709 : toujours, [134] *Langueur* : « se dit aussi en Morale des tristesses, des afflictions, ou des passions violentes qui nous privent de joye, ou de santé. » (F) [135] 1690 : douleur, [136] 1692-1709 : dire. [137] *Protester* : « Promettre, assûrer fortement quelque chose. » (F) Nous disons encore : « protester de son innocence ». [138] Ces deux vers sont une citation quasiment exacte et assez audacieuse... du *Geôlier de soy-mesme*, où l'infante Isabelle déclare, dans une situation sérieuse et proche de celle de *La Mort d'Achille* (puisqu'il s'agit également de garantir la paix par un mariage) : « Assez & trop long-temps une funeste guerre / Par de longues horreurs desole cette terre... (V, 3, 1577-1578) ». On peut préférer la version de *La Mort d'Achille*, qui élimine une disgrâcieuse répétition. [139] 1706 : exposée, [140] Polixene porte des habits de deuil. [141] 1692-1709 : charmes. [142] Fils de Priam cité par Dictys (IV, 9) comme ayant été supplicié par Achille en même temps que Troïle. [143] Fils de Priam, cité à la fin de l'*Iliade* (XXIV, 50) comme encore vivant. [144] Fils de Priam (cf. *Iliade*, XXIV, 257) [145] Troïle (en grec Troilos, en latin Troilus) est l'un des plus célèbres fils de Priam, en raison notamment de sa romance à la *Roméo et Juliette* avec Cressida ou Chryséis, fille du devin Calchas au service des Grecs, qui fait le sujet du *Troïlus et Cressida* de Shakespeare (Cf. Howatson, *op. cit.*, p. 1023). L'édition de 1690 et celle de 1701 orthographient ce nom « Troïle ». Même remarque que *supra* pour Briseis (voir note du tableau des acteurs). [146] 1692-1709 : Hector. Les sources de Thomas Corneille sont divergentes sur la chronologie des événements, que chaque auteur adapte à ses besoins. Selon Dictys, Achille venait tout juste de faire égorger Lycaon et Troïle. Selon Homère (*Iliade*, XXIV, v. 250 et suivants), ils sont morts bien auparavant – c'est la seule mention de Troïle dans les poèmes homériques. Thomas, ayant choisi de ne pas faire du meurtre de Troïle la cause de la mort d'Achille, suggère qu'il a péri aux côtés d'Hector (cf. vers 235-239). Polixene a, quoi qu'il en soit, de nombreux frères à pleurer. [147] 1690 : rendre. [148] 1706 : soins ; [149] 1682, 1692-1701, 1709 : respire. [150] 1692-1709 : durer, [151] 1692-1709 : Troye. [152] « Lorsqu'un verbe à un mode personnel en précédait un autre à l'infinitif sans préposition, l'ancienne langue considérait les deux verbes comme une seule expression et plaçait le pronom devant le premier. Cet emploi est général au XVIIe siècle. » (Haase, *op. cit.*, § 154, p. 417). [153] 1692-1709 : proye. [154] 1692-1709 : luy. [155] 1701, 1709 : Voyez, [156] 1692-1709 : vous, [157] 1692-1709 : genoux. Souvenir probable de « la veuve d'Hector pleurante à vos genoux » (Racine, *Andromaque*, III, 4, v. 860). [158] Sic dans toutes les éditions. Soit il s'agit d'une coquille tenace pour « Voyez-la », soit d'une expression à comparer avec l'étymologie de « Voilà ». [159] 1692-1709 : Princesse. [160] Ce doublet de « avec », commode à la versification, est alors en voie de disparition : il n'apparaît que quatre fois dans la pièce. [161] 1692-1709 : Achille ; [162] 1682, 1692-1709 : l'Objet [163] 1690 : épris ; [164] « On omettait généralement l'article devant **même**, qu'il marquât ou non l'*identité* » (Haase, *op. cit.*, § 28, p. 54). [165] Fatale erreur d'appréciation... [166] 1690 : mesme. [167] 1690 : moy ! [168] 1692-1709 : aime ; [169] 1682 : Hymen(.) Sous-entendu : ...avec vous. Cet usage du terme *hymen* (ou de ses équivalents : main, mariage, etc.) est fréquent. Nous invitons donc le lecteur à être attentif. Cf. notre lexique. [170] 1692 : PIRRHUS. Par la suite cette édition hésite quant à l'orthographe de ce prénom. Nous ne le signlerons plus. [171] 1682 : aimée [172] 1692-1709 : l'hymen [173] 1692-1709 : Madame. [174] 1692-1709 : l'estime. [175] 1692-1709 : l'ardeur, [176] *Soins* : ici, « assiduitez » (F) [177] 1692-1709 : voeux, [178] 1692-1709 : hommage ; [179] 1692-1709 : grace, [180] 1692-1709 : défence. [181] Faut-il voir un souvenir de ce vers dans ces paroles d'Agamemnon (Racine, *Iphigénie*, II, 2, v. 555-556) : « Ma fille, je vous vois toujours des mêmes yeux. / Mais les temps sont changés... ?  » [182] 1692-1709 : m'inquiete. [183] 1692-1709 : parfaite ; [184] « Ulysse, fils de Laërte, roi d'Ithaque, prince rusé et aventurier au long cours, un des chefs du camp grec, mentionné à plusieurs reprises dans la pièce, où cependant il ne paraît pas. Il est, comme Agamemnon, Priam et Pâris, l'un des personnages « potentiels » qui gravitent autour de l'action. Si l'absence de Pâris sur scène est contestée, notamment, par H. C. Lancaster, celle d'Ulysse, Priam et d'Agamemnon répond fort justement à l'inefficacité des ambassades que les personnages sympathiques tentent auprès d'eux (v. 210, 1046, 1416). Voir aussi p. XX-XXI au sujet d'Agamemnon. [185] 1682 : Hymen [186] 1692-1709 : rien. [187] 1692-1709 : Polixene. [188] 1682, 1692-1709 : colere [189] 1690 : dût probablement fautif [190] 1692-1709 : ravage ; [191] *Fureur*: ici, voir Furetière : « se dit aussi des orages. (...) La fureur d'une populace esmeuë est espouvantable. » [192] 1706 : Troile & [193] *Armer* : « Donner un sujet de s'armer » (F), ici et au vers 1609 [194] Cf. le vers 148 et la note. [195] 1692-1709 : pouvoir, [196] 1692-1709 : hymen [197] 1690 : Polixene ? [198] 1692-1709 : ravalé, *Ravaler* : « Ramender, diminuer de prix. » (F) [199] 1706 : terreurs, [200] 1682, 1692-1709 : presser ; [201] 1701-1709 : colere & [202] 1682 : regards, peu satisfaisant [203] 1692-1709 : Cassandre. *« Cassandre, fille de Priam et d'Hécube, fut aimée d'Apollon qui lui accorda le don de prophétie. Ensuite le dieu s'en repentit, et, ne pouvant lui ôter le don de prédire, décrédita ses prédictions, et la fit passer pour folle. Ses pronostics, ses avertissements ne firent que la rendre odieuse »* (Commelin, *op. cit.*, p. 397). Pyrrhus s'associe bienentendu ici à cette incrédulité générale (cf. le goguenard vers 276) mais Polixene fait exception, en raison de son caractère, et afin de justifier l'introduction de la prophétie. [204] L'apposition se rapporte évidemment à Cassandre. [205] 1692-1709 : unir, [206] 1682 : Hymen [207] 1692-1709 : *inutile.* [208] 1682 : *main* [209] 1692, 1701, 1709 : *tombeau.* [210] 1682 : prédit, 1706 : predit ! [211] 1701, 1709 : croire ? [212] 1690 : dites plûtôt, [213] 1690 : prétendoit [214] Comprendre : « rien de plus ». [215] 1682, 1692-1709 : plus qu'à En 1682 toutefois un espace semble prêt à accueillir la virgule. [216] 1706 : Ah Pyrrhus [217] 1692-1709 : combats, [218] 1692-1709 : coeur, [219] 1692-1709 : espoir, [220] 1692-1709 : agir. [221] 1690 : Hector l'appuy [222] 1692-1709 : Grece, [223] 1692, 1706 : helas ; [224] 1692-1709 : tendresse ; [225] 1692-1709 : encor. [226] 1692-1709 : cependant malgré [227] 1690-1709 : L'image [228] 1682, 1692-1709 : fierté ; [229] 1690 : lui quoy [230] *Madame* était le terme respectueux qui convenait pour s'adresser aux jeunes filles bien nées. [231] 1692-1709 : hymen, [232] 1692-1709 : charmé, [233] 1692-1709 : hymen [234] 1692-1709 : nous. [235] *Fureur*: ici, « la colere, lorsqu'elle est violente et demesurée. (...) On attribuë à Dieu la *fureur*. » (F) [236] 1692-1709 : établie, [237] 1682, 1692-1709 : m'oublie. [238] 1692-1709 : long-temps ; [239] 1690 : terrible [240] 1692-1709 : consoler en [241] *Passe* : dépasse. [242] Autre sens de *courage* (cf. v. 5 et la note) : « une vertu qui éleve l'ame, & la porte à mépriser les perils, quand il y a des occasions d'exercer sa vaillance, ou à souffrir les douleurs, quand il y a lieu de monstrer sa constance & sa fermeté. » (F) [243] 1692-1709 : Troye ; [244] 1692-1709 : joye. [245] 1692-1709 : l'amour. [246] 1692-1709 : Alcime. [247] 1692-1709 : engagement *Engagement* : « Alienation pour un cetain temps. Les biens du domeine ne se possedent point en pleine proprieté, ce ne sont que des *engagements*. (...) signifie figurément, Attache, liaison, obligation. » (F). [248] 1692-1709 : impreveuë. [249] 1692-1709 : larmes. [250] 1690 : j'eusse [251] 1692-1709 : malheurs, [252] 1706 : tel [253] 1682, 1692-1701, 1709 : Objet [254] Il y a là un écho du sadisme par anticipation de Néron (Racine, *Britannicus*, II, 2, v. 386-394). [255] 1692-1709 : l'estre, [256] 1692-1709 : pompe, [257] 1692-1709 : soin, [258] 1701, 1709 : t'entens, [259] 1690-1709 : coeur. [260] 1692-1709 : dûs, [261] 1692-1709 : tendresse, [262] *Maîtresse* : « On le dit particulierement d'une fille qu'on recherche en mariage. … & generalement de toute personne à qui on fait l'amour » (F), c'est à dire à qui on fait la cour, bien entendu. [263] Dans l'*Examen* (1660) de *La Place Royalle* (1633), Pierre Corneille parle ainsi de son personnage principal : *« Alidor est sans doute trop bon amy pour estre si mauuais amant. »* L'amitié d'Achille et de Patrocle est une donnée de la légende, que Thomas ne fait que mentionner. Mais ce premier paradoxe présentant le personnage (avant celui des vers 1090-1092) est peut-être un souvenir de *La Place Royalle*. [264] 1682, 1692-1709 : l'amitié n'ont [265] 1692-1709 : ressemble. [266] 1692, 1709 : ensemble. [267] 1690 : différens, [268] 1706 : l'une & [269] 1690 : trompe probablement fautif car inattendu, et dans une édition pirate, mais pas impossible. [270] 1692-1709 : jamais. [271] 1692-1709 : surprise. [272] 1692-1706 : l'entraine, [273] 1692, 1709 : naître. / 1701 : naître ; ou naître : / 1706 : naître, Il s'agit dans les deux premiers cas d'une ponctuation rythmique : probablement le pauvre Achille pousse-t-il un gros soupir amoureux. En 1706, Achille est plus maître de lui... [274] *Retour* « se dit aussi de ce qui commence à deperir, à s'user, à diminuer de valeur. (...) en ce sens se dit digurément en choses morales. (...) Une femme qui a 40 ans est sur le *retour*. » (F). Comprendre : « Comme cette ardeur est involontaire, il la voit s'affaiblir avec le temps ». [275] *Languir*, ici au sens propre : s'affaiblir des suites d'une lente maladie. [276] 1706 : d'Hector. [277] 1692-1709 : trépas, [278] 1692-1709 : gloire. [279] Argument digne de la *Belle Hélène* d'Offenbach : *« J'en ai dit assez je pense en disant mon nom / Le roi barbu qui s'avance, bu qui s'avance, bu qui s'avance, c'est Agamemnon, Aga, Agamemnon ! »* [280] 1692-1709 : dire ; [281] 1692-1709 : peine ; [282] 1690-1709 : Polixene. [283] *Tranquillité* : « Repos, calme, manque d'agitation » (F). *Tranquille* : « Paisible, calme, sans aucune émotion. » (A). On voit que le terme est inapproprié à désigner une grande passion ; on peut y voir un indice de la présomption d'Achille, surtout si on rapporte le terme au « trouble » décelé par Pyrrhus au vers 79. [284] 1690-1709 : coeur. [285] 1692-1709 : faire ; [286] 1692-1709 : répandre. [287] 1692-1709 : l'audace, [288] 1692-1709 : declaré, [289] « En ancien français le pronom précédait également l'infinitif prépositionnel. A partir du XVIe siècle l'ordre de mots actuel entre dans l'usage, et l'ancien, sauf quelques rares exceptions, ne survit au XVIIe siècle qu'avec *venir de*, très usité à cette époque. » (Haase, *op. cit.*, § 154, p. 419). [290] 1706 : disgraces, [291] 1692-1709 : bras. [292] 1690 : effort, [293] 1692-1709 : veut ; [294] 1692-1709 : paix, [295] 1682, 1692-1709 : préparer, [296] 1692-1709 : desirer. [297] 1682-1709 : détacher. [298] « Lorsqu'un pronom personnel construit avec *ne pas* est préposé à l'infinitif, on place les mots dans l'ordre suivant : 1° *ne*, 2° le pronom, 3° l'infinitif, 4° *pas* » (Haase, *op. cit.*, § 156, p. 426). [299] 1692-1709 : Fille. [300] 1690 : brille. [301] 1690 : Quoy vous [302] 1692-1709 : hymen [303] 1692-1709 : affermie. [304] 1692-1701, 1709 : contraindre. 1706 : contraindre, [305] 1692, 1709 : ménager. [306] 1706 : l'aime ; Coquille pour « l'aime ? » probablement [307] 1692-1709 : aimable. [308] 1692-1709 : assez. [309] 1692-1709 : souhaits, [310] 1692-1709 : paix. [311] 1692-1709 : hymen. [312] 1690-1709 : vous. [313] 1692-1701, 1709 : Achille. 1706 : Achille, [314] *Resver* : « Appliquer serieusement son esprit à raisonner sur quelque chose, à trouver quelque moyen, quelque invention. » (F). [315] 1692-1709 : Rival. [316] Comprendre : Pyrrhus trouve sa raison de vivre dans l'amour de Polixene, ce qui fait ma perte (puisque je l'aime aussi). Si j'échappe à mon triste sort (en épousant Polixene), il est perdu à son tour. [317] 1692-1701, 1709 : sang [318] 1706 : Victoire, [319] Agamemnon, roi d'Argos et de Mycènes, et frère de Ménélas, était le commandant en chef de l'armée grecque. Seul Achille, qui n'était pas tenu par le serment fait à Tyndare de veiller sur l'honneur de sa fille Hélène, osait contester ses ordres. [320] 1690 : gloire ? [321] 1690-1709 : m'abandonne. [322] 1692-1709 : je [323] 1690 : chére ? [324] 1706 : non s'il [325] 1692-1709 : peine. L'authentique sadisme exprimé par ce vers a sans doute influencé la chute de la pièce. [326] Cette orthographe, maintenue en 1682 et en 1692, semble recevable : la cédille est redondante avec le e, mais est justifiée par la présence du a. Pour la même raison nous gardons « reçeu » au vers 680. En revanche, au vers 1040, la forme « perçent », répétée en 1682 mais sans doute par négligence, est injustifiable et nous l'avons considérée comme une coquille. *Balancer* : « Se dit figurément de l'examen qu'on fait dans son esprit des raisons qui le tiennent en suspens, & qui le font incliner de part et d'autre. » (F). Egalement présent au vers 695. [327] 1692-1709 : plaire. [328] 1692-1709 : Pere. [329] 1692-1709 : recevoir, [330] 1682, 1692-1701, 1709 : empire ; [331] 1690-1709 : ardeurs. [332] 1692-1709 : experience. [333] Ce raisonnement audacieux relève de la préciosité. [334] *Possedé*: « *Posseder une personne*, pour dire, Avoir beaucoup de crédit, d'authorité sur son esprit. » (A) Littéralement, on ne s'appartient plus. [335] 1692-1709 : doute. [336] 1701, 1709 : consommée, *Consommer* : « Achever, finir, terminer », et donc, pour la gloire, acquérir définitivement. [337] 1682, 1692, 1706 : Renommée, [338] 1690, 1706 : encor [339] 1692-1709 : Prisonnier [340] 1690-1709 : d'Hector. [341] 1692-1709 : Polixene. [342] 1690 : du. [343] Comprendre : « Quelle que soit l'illumination que le mérite de la personne aimée apporte à un coeur ». [344] 1692-1709 : Destinée [345] 1690-1709 : ame, [346] Le discours est flou au carré : car si Briseis a rapporté les mots exacts d'Achille à Pyrrhus – ce dont Achille ne peut être sûr –, ceux-ci étaient déjà flous ! (cf. v. 500-505) [347] Pyrrhus n'est pas très regardant sur les moyens : faut-il voir là un indice permettant de le rapprocher de son père (cf. v. 695-696) [348] 1692-1709 : elle, [349] 1692-1709 : zéle. [350] 1692-1709 : tout « **Tout** renforçant l'idée exprimée par l'attribut et construit soit avec un adjectif, soit avec un substantif, était adjectif dans l'ancienne langue et l'est encore au XVIIe siècle dans toutes les constructions où la langue actuelle en fait un adverbe. » (Haase, § 46, p. 99) ; il s'accorde par conséquent en genre et en nombre avec le substantif. La correction, à partir de 1692, témoigne de la distinction qui s'opère alors l'adjectif et l'adverbe. [351] 1701-09 : prests. [352] 1682 : Roy ; 1692-1709 : Roy. [353] 1692-1709 : Princesse, [354] 1706 : attacher. Il peut s'agir d'une ponctuation rythmique destinée à faire languir Achille. [355] 1692-1709 : toucher. [356] « Au XVIIe siècle l'indicatif figure souvent après *il suffit.* » (Haase, *op. cit.*, § 79, p. 186). Ici, le mode indicatif insiste sur l'actualisation : la condition est effectivement remplie. [357] 1692-1709 : aime. [358] Nouvelle citation, après les vers 137-138, d'un passage relativement sérieux du *Geôlier de soy-mesme* (II, 3, v. 525). « O de tous les malheurs le dernier & le pire ! » s'y exclame le personnage du Roi de Naples. Cette double autocitation est étonnante : on attendrait plus vraisemblablement des références à des tragédies, par exemple *Antiochus* ou *Commode*. Faut-il voir là la marque d'un certain laisser-aller de Thomas Corneille ? Il s'agit probablement d'une réminiscence involontaire, s'agissant d'une formule « bien frappée » et pratiquement indépendante de la situation qu'elle exprime. [359] 1690 : Achille : [360] 1692-1709 : funeste. [361] Il s'agit des feux de Briseis pour Achille, dont celui-ci devrait concevoir de la reconnaissance. [362] 1692-1709 : elle. [363] 1692-1709 : flexible ; [364] 1692-1701, 1709 : l'appas, Comprendre qu'Achille a tort de se fier aux délices que l'amour lui fait miroiter (un fameux « appât » ), car ses prétentions déchireront le coeur de Polixene sans le lui gagner ; ces délices sont donc illusoires. [365] 1692-1709 : coeur, [366] 1692-1709 : foiblesse. [367] 1692-1709 : gloire ; [368] 1692-1709 : contraire ; [369] 1692-1709 : mort ; [370] Tout le début de cette tirade est un résumé de l'*Iliade*. [371] 1692-1709 : Fils, [372] 1692-1709 : l'arrest [373] L'amour d'Achille pour Polixene, qui s'appuie sur le pouvoir royal et paternel (d'où la métaphore juridique), désespère Pyrrhus, qui ne pense pas pouvoir survivre à son malheur. [374] 1692-1709 : moy. [375] Voir le vers 538 et la note. [376] 1692-1709 : foy ; [377] 1692-1709 : coeur, [378] 1692-1709 : puissans, [379] 1682, 1692-1709 : Arbitre [380] 1692-1709 : faut ; [381] 1706 : voeux ; [382] 1690 : heureux ; [383] 1701-09 : l'hymen [384] 1692-1709 : Accord [385] 1692-1709 : attente. [386] 1682, 1692-1709 : paix [387] 1692-1709 : l'amour ? [388] 1692-1709 : l'Accord [389] 1682 : renduë [390] La préposition à valeur temporelle « après » se construit généralement, comme au vers précédent, avec un substantif d'action ; l'action est ici représentée par le participe passé épithète. [391] 1692-1709 : exorable ; [392] 1692-1709 : genereux. [393] 1682-1690, 1701 : arrétée. [394] Priam (seul désigné dans le texte par le titre de roi). [395] 1690 : Paix [396] 1682, 1692-1709 : peu [397] 1690 : Ah ! [398] 1692 : gesne. [399] 1692, 1709 : hymen [400] 1692-1709 : courroux. [401] 1706 : paix ! [402] 1682, 1692 : l'Hymen [403] 1692-1709 : haine ; [404] 1690 : Souffrirez-vous [405] 1692-1709 : helas ! [406] 1692-1709 : aime ? [407] 1690 : vôtres. [408] 1682 : l'Hymen [409] 1692-1709 : moy. [410] L'armée grecque comptait deux princes de ce nom : le brutal Ajax fils d'Oïlée, qui viola Cassandre après la prise de Troie, et le valeureux Ajax fils de Télamon, grand ami d'Achille, et qui est l'un des personnages principaux de la pièce de Benserade. C'est probablement de ce dernier qu'il s'agit ici. [411] 1706 : Idomenée ? Idoménée, roi de Crète, l'un des princes grecs qui assiégeaient Troie. [412] 1690 : pour m'en [413] « *De* est régulièrement omis quand un sujet se trouve postposé à son verbe et est déterminé par une proposition relative. » (Haase, *op. cit.*, § 116, p. 302) [414] 1692-1709 : répande. [415] « Selon l'ancien usage, très courant encore au XVIe siècle, on trouve au XVIIe la forme tonique du pronom avec **à** au lieu du datif atone sans qu'il y ait intention de l'accentuer. Cet emploi est fréquent, surtout avec les verbes *parler* et *attacher*. » (Haase, *op. cit.*, § 11, p. 26) [416] 1692-1709 : loin ; [417] 1682, 1692-1709 : écouter ; [418] 1692-1709 : jaloux ; [419] 1690 : confesse. [420] 1692-1709 : pouvoir. [421] 1692-1709 : prest. [422] 1692-1709 : l'arrest. [423] 1701 : bras, [424] 1692-1709 : presse ; [425] L'édition de 1676 porte exactement « trõpé », unique cas de ligature de la voyelle nasale, que nous avons simplifié. [426] Le mot se prononce en trois syllabes, à la façon moderne. Cf. l'orthographe de l'édition de 1690 : « appuiray ». [427] 1692, 1709 : traité. [428] 1706-09 : Nature [429] 1690 : me [430] « Ce n'est que récemment qu'on a restreint l'emploi de **où** se rapportant aux choses. Au XVIIe siècle, il n'équivaut pas seulement à un *relatif* construit avec *dans*, mais aussi à un *relatif* construit avec *à* dans le sens d'un datif (Haase, *op. cit.*, § 38, p. 77). » [431] 1690 : détruits, [432] 1692-1709 : Trophée. [433] 1690 : victoire, [434] 1682 : rien [435] 1682 : ennemy [436] L'antécédent du pronom est « ennemy ». [437] 1692-1709 : soustraire ; [438] 1682 : tout [439] 1692-1709 : resoluë ? [440] 1690-1709 : haine, [441] 1692-1709 : place. [442] 1690-1709 : Agamemnon. [443] 1682 : aimoit Madame, [444] 1692-1709 : appuy. Peut-être fautif [445] 1692-1709 : douter. Dans les premières éditions, la virgule finale indique que Briseis interrompt Pyrrhus. À partir de 1692, le jeune homme n'a plus rien à ajouter. [446] 1682, 1701, 1709 : aux miens [447] 1690 : Ah ! [448] 1692-1709 : Madame. [449] 1690-1709 : veut. [450] 1692-1709 : tranquille. [451] 1706 : Estats, [452] 1692-1709 : Reine. [453] 1692-1709 : flame. [454] 1706 : Madame ; [455] 1690 : point, [456] 1690 : céder : [457] 1690-1709 : tête ; [458] 1682, 1701-09 : Pyrrhus rejallissent [459] 1682 : complice [460] 1692-1709 : supplice. [461] 1682 : tendresse à [462] 1692-1709 : estonnée [463] 1692-1709 : condamnée ; [464] 1692-1709 : Troyens. [465] 1692-1709 : sanglante, [466] 1692-1709 : vie, [467] La virgule manque en 1692 mais sa place semble prévue : il s'agit d'une coquille, probablement. À partir de 1701, elle est clairement supprimée. [468] 1692-1709 : meurtre, [469] 1692-1709 : Palais, en 1701 et 1709 figure un point, coquille pour la virgule. [470] Les angoisses de Polixene rappellent les souvenirs de l'Andromaque de Racine (*Andromaque*, III, 8, v. 995-1004) [471] 1692, 1709 : Ciel ; [472] 1692-1709 : paroistre. [473] 1692-1709 : n'étonne, [474] 1690 : s'abandonne ; 1692-1709 : s'abandonne. [475] 1692-1709 : tranquille, [476] 1682, 1692-1709 : Dieux ! [477] Il y a là un jeu de mots manifeste sur le double sens de « main » (« mariage » et... « main » ). [478] Accord du verbe avec le dernier des sujets juxtaposés, par latinisme. [479] 1706 : l'appui. [480] 1692-1709 : Troye, [481] 1692-1709 : Aprés [482] Cette orthographe se souvient sans doute de l'ancienne forme « cest ». [483] 1682, 1692-1709 : Achille, [484] 1692-1709 : moy ! [485] 1692-1709 : cede. [486] 1701-09 : remede. [487] 1692-1701, 1709 : Enfin à [488] 1692, 1706 : rien coquille probable pour « rien. » 1701, 1709 : rien. [489] 1690 : bien ; [490] 1692, 1709 : flame, [491] Ce vers est imprimé en très léger retrait dans l'édition de 1676, mais c'est probablement en raison de la hauteur excessive du J initial du vers précédent. [492] 1690 : Sang [493] 1690 : Rival [494] 1692-1709 : l'autre. [495] 1692-1709 : ailleurs ; [496] 1692-1709 : figure, [497] 1692-1709 : voir. [498] 1692-1709 : connoistre. [499] 1692-1709 : Voyez, [500] 1692-1709 : de grace, [501] 1682 : peut-estre [502] 1692-1701, 1709 : faire. 1706 : faire coquille probable pour « faire. » [503] Mis pour « la tendresse d'un Pere ». L'article indéfini est plus facilement omis au XVII*e* siècle que de nos jours, surtout lorsqu'il s'agit de noms abstraits. Or ici le sens est abstrait, car il s'agit de la paternité en général, et de la tendresse paternelle. Cf. Haase, *op. cit.*, § 57, p. 120-124. [504] Cf. le vers 830 et la note 429. [505] 1706 : vêcu [506] Ici, « que » (conjonction de subordination) a le sens de « sans que » [507] 1690 : allez pressez, [508] 1692-1709 : Madame. [509] 1692-1709 : l'hymen [510] 1692-1709 : pleurs. [511] 1692-1709 : armes ; [512] 1690 : un [513] 1690 : pleurs, [514] 1690, 1701, 1709 : flater, [515] 1682, 1692-1709 : persuader [516] 1682, 1692-1709 : moy. [517] 1690-1701, 1709 : larmes, 1706 : larmes ; [518] 1692-1709 : mien. [519] 1692-1709 : l'hymen [520] 1692-1709 : Ulysse. [521] 1692-1709 : joye. [522] *A l'envy* : « A qui mieux mieux. » (F) [523] 1692-1701, 1709 : Dieux, La fin du vers manque en 1706. [524] 1692-1709 : toucher, [525] *« Diomède, fils de Tydée, et petit-fils d'Enée, roi de Calydon, fut élevé à l'école du centaure Chiron avec plusieurs héros de la Grèce. Il commanda les Etoliens au siège de Troie, et se distingua par tant de belles actions, qu'on le considéra comme le plus brave de l'armée, après Achille et Ajax, fils de Télamon »* (Commelin, *op. cit.*, p. 381). Dans *l'Iliade*, sa valeur va en effet jusqu'à blesser des dieux. [526] 1692-1709 : Idomenée, [527] 1692-1709 : hymenée, [528] 1692-1709 : obstacle. [529] 1692, 1706 : l'attirent ; [530] 1692-1709 : cesse [531] 1682, 1692-1709 : Polixene, [532] 1692-1709 : tout, [533] Déjà ! [534] 1690 : heure [535] 1690 : lieux [536] 1706 : s'écrie. C'est à dire depuis...le temps de l'entracte. Il est vite las. [537] 1690, 1692-1709 : *Songe*, [538] 1692-1709 : *songe*, [539] 1692-1709 : *Tyran*, [540] 1692-1709 : *barbarie.* [541] Curieusement, cette prosopopée utilise la seconde personne du singulier, alors que Polixene vouvoie Achille à la scène suivante. Peut-être est-ce l'indice d'un moment de fureur, suivi d'une tentative de Polixene pour se reprendre. Ou peut-être Achille reconstruit-il ce qu'il a entendu. [542] 1692-1709 : Alcime. [543] 1692-1709 : destin ; j'en [544] *Dard* : « Sorte de trait de bois dur qui est ferré au bout & propre à être lancé. » (R). On retrouve le mot au vers 1371 [545] 1692-1709 : percer. [546] 1692-1709 : combats. [547] 1706 : d'appas. [548] 1692-1709 : passe. [549] 1682, 1692-1709 : fait, La manière est aussi assez gênante ! [550] 1692-1709 : Je voudrois luy pouvoir [551] « Lorsque deux impératifs étaient coordonnés par *et, ou, mais*, le pronom précédait le second. » (Haase, *op. cit.*, § 154, p. 417) [552] 1706 : doux ; [553] 1690 : distraire. [554] 1692, 1709 : l'avouëray ; [555] 1692, 1709 : hymen [556] 1690 : étonnez, [557] La proposition subordonnée introduite par la conjonction « que » a une valeur temporelle. [558] 1690 : perte : 1692-1709 : perte. [559] 1692-1709 : plus. [560] 1692-1701, 1709 : foy ; 1706 : foy ? coquille probable pour « foy ; » [561] 1690 : rude, [562] 1682, 1692-1709 : s'étonne, [563] 1682 : monté [564] 1692-1709 : croy ; [565] 1692-1709 : flame, [566] 1692-1709 : ame. [567] 1692-1709 : inflexible ; [568] 1692-1709 : aimé. [569] 1692-1709 : facile ; [570] 1692-1709 : Fils [571] 1692-1709 : d'Achille. [572] 1692-1709 : crime, [573] 1682, 1692, 1706-09 : devoir le [574] 1692-1709 : legitime. [575] 1692-1709 : m'attacher ; [576] 1692-1709 : encor, [577] 1692, 1706 : flame ? 1709 : flame ! le point d'exclamation est imprimé à l'envers... [578] 1682, 1692, 1706-09 : rendre, [579] 1692-1709 : l'appas ; [580] 1692-1709 : Madame. [581] 1692-1709 : flame, [582] 1692-1709 : encore. La prétention d'Achille relèverait, pour les penseurs modernes, du totalitarisme ! [583] 1692-1709 : l'aime. [584] 1692-1709 : doux. [585] 1692-1709 : elle. [586] 1692-1709 : Pyrrhus ; [587] 1706 : vôtre, [588] 1690 : essaye. La leçon des autres éditions est très acceptable si l'on prononce « es-sai-rai » (cf. v. 818 et la note) [589] *Innocente* : « Qui est net de pechez, exempt de crime. (...) Se dit aussi des choses inanimées, de ce qui n'est point nuisible. » (F) [590] 1682-1709 : Madame, [591] 1692-1709 : inutile. [592] 1692-1709 : Achille ; [593] 1692-1709 : Jusqu'icy, [594] 1690 : Temple. [595] 1692-1709 : sujet, [596] 1692-1709 : superflus, [597] 1692-1709 : carnage. [598] « C'est assez » se construit comme « il suffit ». Cf. le vers 626 et la note 355. [599] Cf. le vers 830 et la note 429. [600] Nouveau jeu de mots sur le double sens de « main » : l'image est quasiment concrète, les mêmes mots seraient employés si Polixene allait se faire couper la main sur l'autel. [601] L'antécédent du pronom « elle » est « Troye », au vers 1237, et non pas « main » au vers 1238. La syntaxe est bancale. [602] 1692-1709 : pleuré ; [603] 1692-1709 : j'execute ; [604] 1692-1709 : songer. [605] 1690 : ingrats, [606] 1690 : malheurs. [607] 1692-1709 : Enfin il [608] 1692-1701 : trahisse ? [609] 1692-1709 : d'aujourd'huy, [610] 1692-1709 : luy ? [611] 1692-1709 : croyable. [612] *Monstre* : « Prodige qui est contre l'ordre de la nature » (F) [613] 1682, 1692-1709 : memoire [614] 1690 : gloire ; 1692-1709 : gloire. [615] 1701, 1709 : couronner. [616] 1692-1709 : Helas ! [617] 1692-1709 : reduite ? [618] 1692, 1709 : nous. [619] 1692, 1709 : vous. [620] Toute cette situation vient de *Bérénice*, de Racine. [621] 1692-1709 : ame, [622] 1692-1709 : flame. [623] C'est oublier un peu vite qu'Agamemnon était marié (à Clytemnestre). La polygamie manifeste de certains héros grecs est quelque peu à l'étroit dans les bienséances classiques. Si l'inconstance fait partie du caractère traditionnel d'un Thésée (cf. *Phèdre* de Racine et l'*Ariane* de notre auteur), les cas d'Agamemnon ou d'Achille sont moins faciles à régler. [624] 1692-1709 : Grece. [625] 1692, 1706-09 : Epargnez-moy, [626] 1692-1709 : grace. [627] Achille rappelle à Briseis qu'il est son vainqueur, et qu'il dispose de sa vie et de sa fortune. C'est du chantage. [628] 1692-1709 : lieux. Briseïs comprend à demi-mot et évite ainsi à Achille de tomber dans la muflerie que lui prêtait Benserade (III, 2, v. 813-814) : « Que voulez-vous, jalouze ! ha que mal à propos / Je pris cette importune au siege de Lesbos...  » [629] 1692-1709 : captive. [630] 1690 : captive [631] 1692-1709 : alors ? [632] 1692-1709 : davantage ? [633] 1692-1709 : raison, [634] 1692, 1709 : hazarder, *Hazarder* : « Risquer, mettre au hasard », *i.e.* « Peril, danger. » (F) [635] 1709 : souffrez, Briseis [636] 1690 : bannir, [637] Il s'agit bien entendu d'un supplice tout terrestre, même si le vers peut admettre une lecture chrétienne. [638] 1692-1709 : charmes. [639] 1692-1709 : armes. [640] 1701, 1709 : genoux, [641] 1692-1709 : consens. [642] 1692, 1706 : hommage, 1701, 1709 : hommage. Coquille pour « hommage, » [643] 1692-1709 : engage. [644] 1692-1709 : sort, [645] 1692-1709 : mort. [646] 1692-1709 : pris. [647] 1692-1709 : vaine ; [648] 1682 : Polixene ; 1692-1709 : Polixene. [649] 1706 : éclatans ; [650] 1701, 1709 : traistre. [651] 1692-1709 : Ingrat ; [652] 1701 : connoistre ; Comprendre sans doute : « J'aurais trop dû te connaître », c'est-à-dire « j'aurais dû mieux te connaître, et ne pas espérer. » Une autre hypothèse est cependant possible : selon (A), « on dit encore, *Connoistre quelqu'un*, pour dire, Avoir consideration pour luy. » Le sens serait alors « Ingrat, j'espérais parce que je t'estimais trop. » [653] 1682, 1692-1709 : lâcheté, [654] 1690 : dire, [655] 1682, 1692-1709 : m'engagea [656] 1692-1709 : Helas ! [657] 1682 : toy, [658] 1692, 1706 : perfide. [659] 1692-1709 : hymen [660] 1692-1709 : Dieux, [661] 1692-1709 : invulnerable, [662] 1692-1709 : coupable. [663] 1692-1709 : percé. [664] Sic. (1676-1690). Nous conservons, à titre de témoignage, cette orthographe qui anticipe sur l'usage moderne. [665] 1692-1709 : peine. [666] 1692-1709 : quittes, [667] 1692-1709 : pas. [668] 1692, 1706 : supplice ; [669] 1692-1709 : souffrir ; [670] 1692-1709 : Phenice ! [671] 1692-1709 : excez, [672] 1682, 1692-1709 : jamais. [673] 1692-1709 : regner ; [674] 1692-1709 : descendre. [675] 1692-1709 : d'Estats ! [676] 1692-1709 : appas. [677] Exemple de virgule rythmique, qui crée un effet de suspension et d'insistance, voire propose un soupir à l'actrice. [678] 1692-1709 : sceu. [679] 1692-1709 : receu. [680] 1692-1709 : animée. [681] 1692-1709 : dédaigner. [682] 1692-1709 : Helas ! [683] 1692-1709 : causez, [684] Phenice est perspicace. [685] 1692, 1706-09 : infidelle. [686] 1692-1709 : donnée, [687] 1692-1709 : de « Les verbes *tâcher, essayer, s'efforcer*, se construisent aujourd'hui généralement avec *de* devant un infinitif, tandis qu'ils s'employaient très souvent avec **à** au XVIIe siècle. Th. Corneille (II, 151) préfère *tâcher* **de** » (Haase, *op. cit.*, § 124, p. 330). La référence renvoie aux *Remarques* sur Vaugelas. Thomas n'en est manifestement venu à cette doctrine que bien après avoir écrit *La Mort d'Achille*, mais il s'est alors, on le voit, montré soucieux de la correction de ses pièces. [688] 1692-1709 : hymenée. [689] 1690-1709 : secours, [690] La conscience que le spectateur peut avoir de la règle de l'unité de temps emplit ce vers d'ironie tragique. [691] Ilione aide Polixene à sa toilette. [692] 1692-1709 : genée. [693] 1682, 1692-1709 : ses [694] 1692-1709 : tous ; [695] 1692-1709 : hymen [696] 1690 : peuple [697] 1692-1709 : obstacle ; [698] 1682, 1692-1709 : vie, En 1682, il est imprimé « vie. », coquille manifeste pour « vie, ». [699] 1692-1709 : conserver, [700] 1692-1709 : douleurs, [701] L'antécédent du pronom complément est « plaisir » et non « charme ». [702] Nestor, roi de Pylos, père d'Antilochus, fort âgé au moment du siège de Troie, était écouté pour sa sagesse. [703] 1692-1709 : fléchir, [704] 1692-1709 : renvoyez. [705] 1692-1709 : épouse ; [706] 1692-1709 : souffrir, [707] Cf. Pierre Corneille, *Suréna*, I, 3, v. 249-256 et notre introduction, p. XXXIX, pour une étude des rapports entre *Achille* et *Suréna*. [708] 1692-1709 : Troye, [709] 1692-1709 : secours, [710] 1682 : jours, [711] 1692-1709 : vie, [712] 1692, 1709 : appas, [713] 1692-1709 : pas. Cf. *Suréna*, v. 257-260 [714] 1682 : méritée, [715] 1692-1709 : coeur ; [716] 1692-1709 : vous, [717] 1692-1709 : hommage ; [718] 1692-1709 : helas ! [719] 1692-1709 : voulu ! [720] 1692-1709 : prendre. [721] 1692-1709 : Cassandre. [722] 1692-1709 : hymen [723] L'écho des vers 271-272 est lointain mais réel. Le retour, au dénouement, des prophéties exprimées au premier acte, est traditionnel. Le caractère imprévu de leur signification (l'époux putatif de Polixene a changé depuis le premier acte) l'est aussi. Il a cependant ici une valeur ironique : Polixene ne se mariera pas – mais le public lettré sait pertinemment qu'elle sera, plus tard, égorgée (et selon la tradition, par Pyrrhus ! ) sur le tombeau d'Achille. [724] 1692, 1709 : l'Oracle [725] 1692-1709 : hymen [726] Pour la raison indiquée par la note du vers 1476, ce vers manifeste une ironie tragique, perceptible uniquement cependant par le public lettré. [727] 1692-1709 : accablement, [728] Selon que l'on considère la ponctuation du vers précédent comme rythmique ou sémantique, le sens de la phrase change considérablement. Si le point est rythmique, Pyrrhus se désole : « Achille aura sû triompher de ma flamme, ne fût-ce qu'un moment... ». Si le point est syntaxique, il fait à Polixene des reproches assez durs : « Achille aura sû triompher de ma flamme. Y songez-vous, ne fût-ce que brièvement ? » La reprise de « moment » au vers 1483 incite tout de même à préférer l'hypothèse rythmique, et en tous cas le sens le moins rude. [729] 1692-1709 : maux, [730] 1692-1709 : foy, [731] 1692-1709 : grand. [732] 1692-1709 : effacé, [733] 1692-1709 : feux, [734] 1692, 1709 : demande. [735] 1692-1701, 1709 : luy, 1706 : luy ; coquille probable pour « luy, » [736] 1692-1709 : pouvoir. [737] 1692-1709 : gloire ; [738] *S'échaper* (ici) : « S'oublier, s'emporter, s'égarer. » (F) [739] 1690-1709 : dois, [740] 1692-1709 : veuë, [741] 1692-1709 : perdre, [742] 1692-1709 : m'accable, [743] 1692-1709 : paix, [744] Cf. *Suréna*, v. 239-240. [745] 1692-1709 : supplice, [746] 1692-1709 : dehors, [747] 1692-1709 : gloire, [748] 1690 : ciel [749] 1692-1709 : estes ; [750] 1692-1709 : secrettes. Assez étonnant. [751] 1692-1709 : accabler, [752] 1692-1709 : redouble ; [753] 1692-1709 : moy. Frapez, [754] 1692-1709 : coups ; [755] 1692-1709 : faut, [756] 1692, 1709 : rage, [757] 1690 : témoignage ? 1692-1709 : témoignage. [758] 1690 : asservie [759] 1692-1709 : adorer, [760] 1692-1709 : expirer ; [761] 1682, 1692-1709 : extréme [762] Orthographe attestée dans (A) [763] 1690 : j'aime [764] 1690 : coûté [765] 1692-1709 : forte. [766] 1692-1709 : l'emporte. [767] 1690-1709 : l'éclat ; [768] 1692-1709 : l'Estat ; [769] « On emploie souvent, jusque dans le XVIIIe siècle, à la place du *que* de la langue actuelle, **dont, où**, ainsi qu'un **relatif accompagné d'une préposition** pour rappeler un substantif ou un pronom régis par une préposition (...) dans les propositions concessives construites avec *quelque*  » (Haase, *op. cit.*, § 36, p. 72). Haase allègue un exemple de Bossuet : *« Apprenons à ne perdre jamais l'espérance, dans quelque abîme de maux où nous soyons plongés. »* De cet exemple qui nous est commode, nous pouvons déduire que la construction de Thomas est particulièrement elliptique. Cf. aussi la note 429 au vers 830. [770] 1690 : concevez ; [771] 1692, 1706 : cause, [772] 1692-1709 : Vous, [773] 1692-1709 : vie. [774] 1692-1709 : rigueur [775] 1692-1709 : Helene, [776] 1692-1709 : Polixene. [777] 1692-1709 : l'injure ; *Injure* : « Parole qu'on dit pour offenser quelqu'un, en luy reprochant quelque defaut, ou quelque vice vray ou faux. » (F). Ce « vray ou faux » est important pour le sens de ce vers. [778] 1692-1709 : j'endure. [779] 1692-1709 : pouvoir, [780] 1701, 1709 : desespoir, [781] 1692-1709 : paix. [782] 1692-1706 : mort, [783] 1706 : Polixene ; [784] 1692-1709 : moins, [785] 1690-1709 : combattre, [786] 1692-1709 : ordonne ; [787] 1701, 1709 : la [788] 1692, 1706-09 : injure. [789] 1692, 1706-09 : punir, [790] 1706 : pouvoir. Sans doute fautif [791] Il serait intéressant de voir quelles scènes se terminent sur un vers impair. [792] 1690 : siens [793] Cf. le vers 1120 et la note 556 [794] L'invulnérabilité ne compte pas, ni pour Briseis, qui a demandé qu'elle soit levée, ni pour les autres, ce qui est plus étonnant. [795] 1706 : convie. [796] 1692-1709 : colere, [797] 1692-1709 : légere ; [798] 1692-1709 : secours, [799] 1692-1709 : Si [800] 1692-1709 : trépas, [801] 1692-1709 : fait je [802] 1692-1709 : legitime. [803] De même le Thésée de Racine regrettera d'avoir demandé le châtiment d'Hippolyte, pour une raison plus solide. [804] 1692-1709 : Dieux. La préposition « sur » était polysémique au XVII*e* siècle (cf. Haase, *op. cit.*, § 128, p. 351-352). Ici, le sens est « Je ne suis pas rassurée par (ni sûre de) ce qu'ont fait les dieux. » [805] 1692-1709 : perte, [806] Comprendre « attiré par le bruit du tumulte » (cf. Haase, *op. cit.*, § 128, p. 351-352) [807] 1682, 1692-1709 : répandre. [808] 1692, 1706-09 : bien, [809] 1692-1701, 1709 : fuite ; 1706 : fuite ? Coquille probable pour « fuite ; » [810] 1692-1706 : Pyrrhus. [811] 1692-1709 : incroyable. [812] 1692-1709 : *l'immoler.* [813] Cf. le vers 1008 et la note 505 [814] 1692-1709 : *dessus.* Cette prédiction hasardeuse est une nouvelle marque d'ironie tragique. [815] 1682, 1692-1709 : a, [816] 1682, 1692-1709 : fuy, [817] 1692, 1706-09 : a [818] 1692-1709 : bien, [819] Briseis s'adresse à elle-même. [820] 1692-1709 : assouvie. [821] 1692, 1709 : répondre. [822] « *A* marquant un rapport de cause ne s'emploie plus aujourd'hui avec la même liberté qu'au XVIIe siècle, où cette préposition servait souvent à indiquer le motif dirigeant une action ou déterminant un jugement. » (Haase, *op. cit.*, § 123, p. 324) [823] 1690 : confondre ; [824] 1692-1709 : souhaits, [825] 1692-1709 : vivre ! [826] 1692-1709 : moy. [827] 1692-1709 : supplice ; [828] 1692-1709 : atteinte, [829] 1692-1709 : crainte, [830] 1692-1709 : attentat ; 1706 : attentat ? Coquille probable pour « attentat ; » [831] 1692-1709 : *Destin* [832] 1692-1709 : *d'Helene.* [833] 1692-1709 : *Le* [834] 1692-1709 : *foy*, [835] 1692-1709 : *dur*, [836] 1692-1709 : *croyable*, [837] 1692-1709 : *trahir*, [838] *Ascendant* : « Terme d'Astrologie. C'est l'horoscope, ou le signe du Zodiaque qui monte sur l'horison au point de la naissance de quelcun. » (F). Nous tombons dans l'astrologie. [839] 1692-1709 : rend. [840] 1692-1709 : charmé, [841] « L'adverbe **que** (...) remplaçait le pronom relatif construit avec une préposition. Le français moderne, se servant plutôt de *où*, emploie beaucoup moins ce pronom adverbial, bien qu'il subsiste dans des expressions comme : *au temps que, dans le temps que, au moment que* ; le langage populaire en use encore largement » (Haase, *op. cit.*, § 36, p. 71). La langue littéraire aussi, par archaïsme, cf. Aragon : « Ma vie en vérité commence / Le jour que je t'ai rencontrée... » (*Le Roman inachevé*) [842] 1692-1709 : vaine. [843] 1692-1709 : Polixene. [844] 1692-1709 : Briséis ; [845] 1682, 1692-1709 : disparoistre. [846] 1692-1709 : trop ; [847] 1692-1709 : ennuy. [848] 1692-1709 : fer [849] 1692-1709 : tout [850] 1692-1709 : joye, [851] 1692, 1706 : allons ; [852] 1692-1709 : colere ; [853] *Ebloüir* : « Empescher l'action de la veuë (...) Tromper, surprendre l'esprit & les sens par de fausses raisons, de fausses lumieres. » (F) [854] 1682, 1692-1709 : espére. [855] 1682, 1692, 1706 : *Fin du cinquième & dernier Acte.* 1701, 1709 : *Fin du quatriéme Tome.* Sous-entendu : du *Théâtre* de Thomas Corneille. *La Mort d'Achille* arrive en effet en dernière position dans ce volume.