--- identifier: dancourt_divertissementdesceaux creator: Dancourt Florent CARTON dit. date: 1705 title: Divertissement de sceaux. , comédie-ballet --- DIVERTISSEMENT DE SCEAUX COMÉDIE-BALLET M. DCC. V. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. De Mr DANCOURT À PARIS, chez Thomas GUILLLAIN, proche les Augustins, à la descente du Pont-Neuf, à l'image Saint Louis.Représentée pour la première fois le 13 Août 1705 au Château de Sceaux. [1] # ACTEURS. – MONSIEUR POISSON, père. – MONSIEUR SALLÉ. – MONSIEUR DU BOCAGE. – MONSIEUR FOMPRÉ. – MONSIEUR POISSON, fils. – MADEMOISELLE GODEFROY. – MADEMOISELLE SALLE. – MADEMOISELLE MIMY DANCOURT.La Scène est à Sceaux. Le Théâtre représente un des beaux endroits des Jardins de Sceaux. # . ## . Après l'Ouverture, Mademoiselle SALLE, conduisant une Troupe d'Acteurs et d'Actrices, en habit de Théâtre à la Française, chante les paroles suivantes. MADEMOISELLE SALLE. Ne portons pas Plus loin nos pas, Arrêtons-nous dans ces belles retraites : Les arbres des routes secrètes, Sans art avec ordre plantés ; Le cristal des eaux, la fraîcheur des herbes, Font assez voir que ces bois enchantés, Conduisent aux Palais superbes De quelques Divinités. MONSIEUR SALLE VÊTU EN DRUIDE. Dans ce séjour chéri des Dieux, Troupe aimable, qui vous attire ? N'est-ce qu'un désir curieux D'y voir les beautés qu'on admire ? MADEMOISELLE SALLE. Sage druide, apprenez-nous Quels sont les beaux lieux où nous sommes, Quelle Divinité par vous Reçoit ici l'encens et l'hommage des hommes. LE DRUIDE. [2] Bénissez le sort heureux Qui dans ce Palais vous amène ; Hâtez-vous d'offrir vos vœux À notre AUGUSTE SOUVERAINE. ENTRÉE. LE DRUIDE CONTINUE. C'est la Vertu qui tient ici sa Cour ; Mais ce n'est point cette Vertu sauvage Qui fuit l'innocent badinage Des jeux, des ris, et de l'amour : C'est la Vertu dans son bel âge, Qui dans cet aimable séjour, [3] Des doux plaisirs permet l'usage, Et qui sait les prendre à son tour. ENTRÉE. LE DRUIDE CONTINUE. Elle aime à sa suite [4] Que le vrai mérite Brille chaque jour. Minerve se plaint qu'on la quitte, Pour lui venir faire la cour ; Et de Vénus la Troupe favorite, Des Grâces l'élite, [5] Y retient la jeunesse et l'amour. MONSIEUR POISSON EN CRISPIN. [6] [7] Parbleu je suis ravi que cela soit comme vous le dites, et… Nous sommes aussi nous autres l'élite d'une Troupe favorite, non pas de Vénus, mais de Comus, et si peu que rien d'Apollon… Comédiens pour vous rendre service, Monsieur le Druide. Et puisque le hasard… nous conduit heureusement dans une Cour aussi charmante que celle-ci, auprès d'une Souveraine si agréablement vertueuse, nous vous prions de lui faire agréer que… nous ayons, s'il vous plaît, l'honneur de lui donner… un petit plat de notre métier. Je ne sais pas parler en musique comme vous… moi ; mais cela n'empêche pas que je me réjouisse quelquefois en parlant autrement, par exemple… je suis le Comique… et nous sommes tous camarades ; enfin c'est ce qui fait que comme nous n'avons point de maître, nous ne sommes pas toujours bien d'accord… Mais ce qu'il y a de constant… c'est que l'on s'accorde pour contribuer au plaisirs de l'AUGUSTE SOUVERAINE chez qui nous sommes, et dans l'objet que nous avons d'y réussir, nous sommes tous d'une docilité, d'une tranquillité d'esprit… enfin, expliquez-lui cela, s'il vous plaît, Monsieur le Druide, et n'oubliez pas de parler surtout du zèle et du respectueux attachement que nous avons tous, et de bien marquer… là… combien nous nous estimons heureux de trouver la moindre petite occasion de tâcher de nous rendre dignes de l'honneur de sa bienveillance et de sa protection. Allons, Messieurs, Mesdemoiselles, achevez, s'il vous plaît, votre façon de prologue, et nous commencerons notre Comédie. MADEMOISELLE SALLE. Que les Grecs soient glorieux, [8] D'avoir chez eux le Parnasse, Cet aimable coteau parmi nous tient sa place, Et nous élève au-dessus d'eux. Ici la moindre fontaine Vaut tout l'eau d'Hypocrène. LE DRUIDE. Depuis le jour qu'Apollon [9] Quitta le sacré vallon, Sur ces coteaux il réside ; [10] Et la Muse qui dans ses lieux Seule au lieu des neufs Sœurs préside, [11] N'est point une Piéride, Elle est du sang de nos Dieux. MADEMOISELLE SALLE. Aux bords de la Seine Une Souveraine Gagne tous les cœurs, Ses charmes vainqueurs Triomphent sans peine. En portant son aimable chaîne, On ressent mille douceurs. [12] De Paphos la Reine À son char entraîne Moins d'Adorateurs. MADEMOISELLE SALLE CONTINUE. [13] L'île de Cythère À Vénus si chère Cède à ses beaux lieux ; Tout charme les yeux, Tout est fait pour plaire. La Déesse qu'on y révère Est l'objet qui plaît le mieux. Hé ! Se peut-il faire Qu'on ne les préfère Au séjour des Dieux ? Ce Divertissement finit par l'Entrée précédente, que l'on répète, après laquelle on représente une Comédie ; ensuite de quoi Monsieur et Mademoiselle Sallé chantent les paroles suivantes, qui précèdent un Bal. MONSIEUR SALLE. Si cette Cour charmante Est contente Des soins que nous avons pris, Le succès passe notre attente, Est-il un plus digne de prix ? Que la troupe diligente Des plaisirs, des Jeux, des Ris, Vienne dans ces lieux chéris, Finir cette fête galante. Si cette Cour charmante Est contente Des soins que nous avons pris, Le succès passe notre attente, Est-il un plus digne de prix ? ENTRÉE. MADEMOISELLE SALLE. De ce séjour aimable Je crains de m'éloigner, On ne voit point ailleurs régner Des plaisirs la troupe agréable. Ici les jours Sembleraient trop courts, Si quand l'œil du monde Dans le sein de l'Onde Va finir son cours, Sa sœur qui le chasse, Et qui prend sa place, N'offrait à d'innocents désirs Les plus doux loisirs : Et souvent l'Aurore Nous surprend encore Parmi les plaisirs. De ce séjour aimable Je crains de m'éloigner, On ne voit point ailleurs régner Des plaisirs la troupe agréable. ENTRÉE. Branle pour danser en rond, après lequel le Bal commence. Qui s'ennuie Dans la vie, N'a ni bon sens, ni raison, Suivre en tout sa fantaisie, Vivre sans soins, sans envie, Ô, l'heureuse opinion ! Qui s'ennuie Dans la vie, N'a ni bon sens, ni raison. C'est là la Philosophie, Qui jadis fut si chérie [14] Des disciples de Zénon. Qui s'ennuie Dans la vie, N'a ni bon sens, ni raison. Elle est depuis moins suivie, Cela dépend du génie, Heureux, quiconque l'a bon ! Qui s'ennuie Dans la vie, N'a ni bon sens, ni raison. Dès qu'elle nous est ravie, Du retour je me défie. [15] Qui deux fois vit l'Achéron ? Qui s'ennuie Dans la vie, N'a ni bon sens, ni raison. [16] Quoi que la Mythologie Du fils d'Alcmène publie, Des sombres bords revient-on ? Qui s'ennuie Dans la vie, N'a ni bon sens, ni raison. Comme la rose fleurie, En peu de temps est flétrie, Ainsi nos beaux jours s'en vont. Qui s'ennuie Dans la vie, N'a ni bon sens, ni raison. Puisque sitôt elle est finie, Aux plaisirs tout nous convie, Sans craindre prenons-en donc. Qui s'ennuie Dans la vie, N'a ni bon sens, ni raison. ------- [1] La Musique est du Sieur GILLIERS. [2] Vertu : Déesse du Paganisme. Les Romains bâtirent un temple de la Vertu, et un temple de l'Honneur ; mais il fallait passer par le temple de la Vertu pour parvenir à celui de l'Honneur. Ils entendaient par cet ordre, que le vrai chemin de l'honneur est d'être vertueux. On peignait la Vertu en femme grave et modeste, avec un port et un air qui inspirait de la vénération. Lucien la représente triste, affligée, maltraitée de la Fortune, en sorte même qu'il lui étoit défendu de se montrer à la Cour de Jupiter. T [3] Minerve : Nom propre d'une Déesse de l'Antiquité païenne. On la nommait aussi Pallas, et en Grèce Athéné. Minerve était fille de Jupiter ; elle était sortie de son cerveau. Hésiode dit pourtant que Métis, première femme de Jupiter, l'avait conçue, mais Jupiter enferma Métis dans son sein lorsqu'elle était sur le point de mettre Minerve au monde, qui sortit ensuite de son cerveau. Minerve était la Déesse des beaux arts. T [4] Vénus : Fausse Divinité des Païens, les poètes ont feint qu'elle est la mère des Grâces et des Amours. C'était la Déesse de la beauté et de la volupté. On remarquait dans le visage, et dans la posture de Vénus une beauté molle, et une langueur passionnée. [5] Comus : Dieu de la joie, des festins, des danses nocturnes. T [6] Grâce : Dans le langage des poètes et des païens, divinité fabuleuse. Il y en avait trois qu'on peignait toutes nues, et qu'on feignait être de la suite de Vénus ; on les nommait Aglaïa, Thalie et Euphrosyne ; elles étaient filles de Jupiter, compagnes de Mercure.T [7] Apollon : Nom propre d'un Dieu, Fils de Jupiter et de Latone. Son nom est Grec, et vient selon Platon de ce qu'il darde ses rayons. T [8] Parnasse : Mont de la Phocide consacré à Apollon et aux Muses, qui est la source des fontaines Castalide, Hippocrène et Aganippe, tant célébrées par les poètes. T [9] Sacré vallon : Poétiquement. Le sacré vallon, le vallon situé entre les deux croupes du Parnasse, et qui, selon la Fable, était le séjour des Muses. L [10] Muse : Divinité fabuleuse des païens, qu'ils croyaient présider aux arts et aux sciences. T [11] Piéride : Nom que l'on donnait aux Muses, parce que l'on croyait qu'elles habitaient le Mont Piérius en Thessalie. [12] Paphos : Autre nom de Vénus. On l'a appelée Déesse de Paphos, de Cythère et d'Amathonte, à cause qu'elle était adorée particulièrement en ces lieux-là, et dans les bois d'Idalie. T [13] Cythère : C'était autrefois le nom d'une île du Péloponèse, vis-à-vis de Crète. On la nomme aujourd'hui Cérigo, Sophiano. Hésiode dit que Vénus ayant été produite de l'écume de la mer fut portée d'abord à cette île sur une conque marine. T [14] Zénon : Nom de philosophes grecs : Zénon d'Elée de la secte des Eléates et Zénon le fondateur du stoïcisme. [15] Achéron : Terme de mythologie. Fleuve des enfers. Les poètes le prennent pour l'enfer ou pour la mort. L [16] Alcmène : Mère d'Hercule. L