--- identifier: grenaille_innocentmalheureux creator: Grenaille, François de ; Georges Forestier. date: 1639 title: L'Innocent malheureux ou La Mort de Crispe. Tragédie --- L'Innocent malheureux ou La Mort de Crispe Tragédie Par le Sieur de Grenaille. A PARIS ; Chez Jean Pasle', ruë Sainct Jacques, à la Pomme d'Or, proche Sainct Severin. M.DC.XXXIX. *AVEC PRIVILEGE DU ROY.* # Introduction. Fauste tombe amoureuse de Crispe, fils de Constantin et de sa première femme. Elle avoue son amour à son beau-fils, qui la repousse avec horreur; furieuse, elle l'accuse auprès de son mari d'avoir voulu la séduire. Constantin croit à la calomnie de sa femme et fait tuer son fils. Une fois Crispe mort, Fauste, bouleversée, avoue la vérité et veut mourir; Constantin pour venger l'innocence la fait tuer en la noyant dans un bain bouillant pour laver son crime. Tel est le sujet dont traite *L'Innocent Malheureux ou La Mort de Crispe*, tragédie en cinq actes de François de Grenaille, sieur de Chatounières. Cette pièce, qui est l'une des premières créations de François de Grenaille a été publiée en 1639, et elle est dédiée à Jean, vicomte de Pompadour. L'auteur, pour prévenir les éventuelles critiques, nous rappelle dans sa préface, qu'il débute, et que par conséquent on ne peut pas lui reprocher d'exceller en une matière dans laquelle il débute à travers la métaphore de l'envol impossible « sans avoir appris à marcher ». Bien que H. Lancaster [1], pense que cette pièce n'a pas été publiquement représentée, mais elle l'a pourtant été, puisque Grenaille souligne dans sa préface que la pièce fut représentée devant plusieurs cardinaux, et E. Forsyth précise que la pièce a été représentée en 1638 [2].  # La vie et l'œuvre de françois de grenaille. François de Grenaille naît à Uzerche, dans le Bas-Limousin, en 1616 et meurt en 1680 [3] à Puygrolier. Il est issu d'une famille de bonne bourgeoisie, il est élevé à Bordeaux et il est entré dans l'ordre de Saint-Benoît en cette ville : ses supérieurs l'envoient à Agen vers 1635 où il se livre à des travaux d'érudition. À 22 ans, il « jette le froc aux orties » parce que , dit-on, il était amoureux d'une nièce du vicomte de Jean de Pompadour, celui-là même à qui est dédiée la tragédie de *Crispe* mais cela semble peu vraisemblable [4]. Il arrive à Paris où il écrit de 1639 à 1645 une trentaine de volumes très divers comprenant des traductions, des pièces de théâtre, des essais moraux, historiques, critiques et romanesques. En 1639 *L'Innocent Malheureux ou la Mort de Crispe*, deux pièces latines à la gloire de Gustave Adolphe de Suède et du duc Bernard de Weimar. L'année suivante, il donnera cinq pièces [5] dont la plus connue est *La bibliothèque des dames.* En 1641, il traduit *Le sage résolu ou version des dialogues moraux de Pétrarque*; il écrit *Les plaisirs des dames* qu'il dédie à la reine d'Angleterre ; puis *Le sage résolu contre la Fortune.* En 1642, il livre *L'honnête garçon* qu'il dédie au Dauphin, et le *Nouveau recueil de lettres des dames tant anciennes que modernes.* En 1643, il traduit les *Entretiens de Pétrarque sur la bonne et mauvaise fortune…ou l'art de vivre heureux ; et publie Le mausolée cardinal ou éloge du cardinal de Richelieu*, et L*e théâtre de l'univers ou l'abrégé du monde* qu'il dédie au roi. L'an 1644, il traduit *Les caprices héroïques de Loredano*, qu'il dédie à Gaston d'Orléans. Enfin, sa dernière œuvre sera le *Noël pascal ou hymne sacro burlesque pour l'heureux avènement de Mgr de Tulle en son évêché.* Il publie aussi un ouvrage sur la mode, et le *Mercure portugais ou relation de la Révolution du Portugal*, mais nous n'avons pas les dates exactes de leur parution. Très vite les jugements négatifs des critiques à son égard l'ont amené à cesser d'écrire. Il se dirige alors vers la politique, à la fin de l'année 1643, il devient historiographe de Gaston d'Orléans, lieutenant général du royaume. Il jouit alors d'un grand crédit et lors de la Fronde, il est employé à des négociations près de diverses cours d'Europe ; il voyage beaucoup : il est député en Angleterre en 1642, trois fois à Rome, en 1648 dans les Pays-Bas. Le 13 février de cette année, il est envoyé à la Bastille et traduit devant le Parlement pour crime d'état, passible de la peine capitale et le 24 avril il est transféré à la Conciergerie par ordre de la Chambre des Tournelles. Il avait été trouvé en possession de « lettres de créance à ceux qui commandaient les armées du roi d'Espagne dans les Pays-Bas ». Il est emprisonné jusqu'au 19 février 1649, puis il est remis en liberté, faute de preuves. Guéri de la politique, il se retire dans son domaine de Puygrolier près d'Uzerche. François de Grenaille a joué un rôle considérable dans la vie littéraire de son époque, puisqu'il a été poète, historiographe et traducteur. Ses œuvres ont été appréciées, si l'on en juge par les multiples éditions qu'il y a eu de ses ouvrages, car au XVII*e* siècle, la réédition d'un ouvrage est la preuve de son succès. Et ce, même si la critique de l'époque ne lui a pourtant pas été favorable, et qu'elle n'a pas, selon G. Clément Simon, « ratifié l'engouement du public » [6] Nous pouvons rapporter ici quelques jugements des critiques contemporains de François de Grenaille, pour montrer la sévérité dont ils ont fait preuve envers lui. Samuel Sorbière considère que dans ses œuvres : « … les bonnes choses y étaient fort rares et ce qu'il y en avait de bonnes avaient déjà été dites si souvent que ce n'était pas grande gloire de les répéter. Le style était assez fade et qui faisait juger de l'auteur qu'il n'écrivait que pour écrire [7]. Guez de Balzac, lui reproche aussi son manque d'originalité, en lui déclarant un jour : « Qu'un livre ait quelque air de nouveauté, vous le contrefaites aussitôt. ».Quant à Goujet, il estime que le nom de Grenaille est: « fort peu révéré dans la République des lettres, et très décrédité sur le Parnasse [8] ». Enfin, Guéret dans sa *Guerre des Auteurs*, va jusqu'à s'offusquer de l'inscription que Grenaille a fait mettre en bas de son portrait [9] : « Franciscus de Grenaille, Dominus de Chateaunières, natus Uzerchii in Lemovicibus, Burdigalae tantum non mortuus, renatus Aginni, Parisiis immortalis. Aetatis anno 24. Aeterni regni 1640. Sic mortales immortales evadimus [10]. », car il estime que cette inscription est « un article qui n'a rien de la vérité ». # L'innocent malheureux ou la mort de crispe. ## Résumé de l'argument. ### Acte I. L'empereur Constantin se réjouit du succès des combats qu'il a livrés, et il est heureux de voir « sa maison en paix comme l'empire ». Mais Emile vient presque aussitôt avertir le roi d'une révolte organisée par l'un de ses sujets. Constantin sur l'avis d'Artaban, décide d'envoyer Crispe faire taire cette rébellion. De son côté, Hélène, la mère de Constantin, demande à Crispe de mener Fauste vers la Religion. Au même moment, Fauste de son côté, feint de s'intéresser aux amours de Procle, ami de Crispe, pour en fait en savoir d'avantage sur les amours de celui-ci. Fauste, dans une stance déchirante, avoue son amour pour Crispe. Hélène, la sœur jumelle de Crispe vient avertir Fauste du projet qu'on a d'envoyer Crispe en mission. Elles décident toutes deux de tout faire pour annuler cette charge. Adelaïde, l'amoureuse de Crispe, vient s'informer des raisons du futur départ de celui-ci. ### Acte II. Constantin donne l'épée du Général d'Armée à son fils, avec ordre de mourir ou de vaincre. Crispe la prend, et a hâte de montrer sa valeur. Fauste invoque diverses raisons pour empêcher le départ de Crispe, et finit par convaincre le père de celui-ci de renoncer à ce projet. La grand-mère de Crispe vient d'apprendre le départ de son petit-fils et en est affligé, quand Artaban vient arrêter Crispe qui était sur le point de partir. Crispe en est très irrité, mais respecte la décision de son père. Sa sœur Hélène et la princesse Adelaïde se réjouissent de cette nouvelle. Procle informe Fauste du désintérêt qu'éprouve Crispe pour les femmes. Adelaïde demande à Fauste de l'aider à gagner le cœur de Crispe, sans se douter que celle-ci est sa rivale. Et Crispe avoue à Procle qu'il a fini par céder à l'amour, et que c'est Adelaïde qui a fait prisonnier son coeur. ### Acte III. Fauste envoie Adelaïde chercher Crispe, et fait croire à celle-ci qu'elle veut lui parler en sa faveur. En réalité, Fauste veut déclarer à Crispe son amour qu'elle ne peut plus cacher. Fauste lui déclare sa flamme, et Crispe la rejette avec révolte et colère. Fauste pour se venger décide de causer sa mort. De son côté, Crispe décide de se retirer de la cour, il le déclare à son ami Procle sans lui en avouer la cause. Son ami insiste pour en connaître les raisons, Crispe lui répond alors que c'est « pour le bien de l'Estat et de la maison de son Pere ». Constantin, lui se réjouit avec Artaban de la soumission des rebelles, mais se fâche lorsque Procle l'informe du départ de son fils, car il pense que ce départ précipité cache une trahison. Fauste vient accuser Crispe auprès de Constantin du crime qu'elle seule a voulu commettre. ### Acte IV. Constantin décide de tuer Crispe pour venger l'honneur de sa femme, et Artaban tente sans succès de l'en dissuader. Qui plus est, Constantin confie à Artaban la mission d'exécuter ce crime. Artaban ne pense pas que Crispe soit coupable, mais il préfère « quitter la vertu que la cour ». Fauste continue à rendre détestable Crispe, en faisant croire à Adelaïde « que Crispe ne paye son feu que de mine et de froideur ». Hélène mère de Constantin s'excuse auprès de Fauste du prompt départ de Crispe, et lui demande d'adoucir Constantin. Fauste répond qu'elle le fera, et ne dit rien de la vérité. Emile questionne Constantin pour savoir s'il a changé de dessein. Mais il s'aperçoit que Constantin restera sur ses décisions. Hélène fille de l'empereur, raconte à son père la vision qu'elle a eue, sur la mort de son frère. Constantin ne lui dit quand même rien de son projet. Constantin, bien qu'il croie toujours son fils coupable, regrette d'avoir donné l'ordre de le tuer. Fauste vient avec Hélène mère de l'empereur pour intercéder en faveur de Crispe. Fauste en défendant l'innocence, couvre mieux son crime. Procle après avoir vu mourir son ami, décide d'en finir avec la vie, mais avant, il doit porter cette nouvelle à sa maîtresse, et pour lui faire deviner ce sinistre accident, il choisit un silence affecté. ### Acte V. Fauste semble s'affliger avec Hélène mère de son mari de la mort de Crispe, alors qu'en réalité, elle en est heureuse. Mais elle commence a éprouvé des remords du fait de son crime, même si elle garde encore le secret. Artaban vient rendre compte de son forfait à Constantin, le premier s'en repentit, le second en est heureux. Hélène mère de l'empereur, reproche à celui-ci, son crime, mais celui-ci lui répond que le seul coupable est Crispe. Constantin est stupéfait lorsque Fauste vient avouer son crime et ainsi innocenter Crispe. Sa fille, Hélène, demande vengeance pour son frère. Constantin ne peut refuser; c'est pourquoi il fait tuer sa femme. Ensuite, Procle fait le récit de la mort de Crispe, et en faisant cela, il attriste tout le monde. Hélène mère de l'empereur avait tout d'abord, elle aussi, demandé vengeance, mais ensuite par pitié, elle demande la grâce pour Fauste, et pendant qu'elle le fait, on porte la nouvelle de la mort de cette « Megere ». ## Les sources. Au XVII*e* siècle, il y'a eu un engouement à chercher des sujets du côté du mythe et de l'histoire, et surtout à puiser des sujets chez les anciens, car ceux-ci ayant fait l'épreuve du temps, semblent avoir donné la preuve de ce qu'ils sont donc dignes d'être copiés. D'ailleurs P. René Rapin écrit que « l'Histoire et la fable doivent nécessairement entrer dans la composition du sujet. En ce qui concerne notre pièce, « Au XVII*e* siècle, les métamorphoses du thème de Phèdre, si souvent évoquées en notre siècle, sont devenues inséparables de celle de l'histoire du malheureux fils de Constantin, Chrispe [11]. ». Grenaille ne coupe pas à cette mode, et se choisit de se fonde sur le mythe de Phèdre et l'histoire de Constantin pour composer l'intrigue de *La Mort de Crispe.* ### Le mythe. Nous ne parlerons ici que du mythe de Phèdre raconté par Sénèque dans son *Hippolyte*, puisque c'est celui qui est mentionné par notre auteur dans sa préface, et qui est reconnu comme présentant des similitudes avec notre sujet : La conformité de son sujet avec le mien, peut avoir produit en plusieurs endroits de la ressemblance en la forme. Quoy qu'il en soit, je ne l'ay pas voulu lire de nouveau en composant cette piece, et s'il y a quelques traits pareils, je suis bien aise d'estre disciple d'un si grand Maistre, et de suivre au moins de loin celuy que je voudrois approcher. Nous pouvons résumer l'œuvre de Sénèque en ces termes : Phèdre tombe amoureuse de son beau-fils Hippolyte. Elle profite de l'absence de Thésée, pour avouer cet amour. Hippolyte. Celui-ci qui n'aime que la chasse, la repousse avec colère, ce qui provoque une réaction furieuse de Phèdre, qui pour se venger laisse sa nourrice accuser Hippolyte d'un crime qu'elle seule a voulu commettre. Thésée croit à la calomnie et furieux, demande aux dieux d'exercer leur vengeance sur Hippolyte, qui est tué par un monstre. Après avoir su la mort d'Hippolyte, Phèdre décide de mourir mais avant elle avoue son crime à Thésée. Thésée comprend trop tard sa faute et la malédiction des dieux. ### L'Histoire. Dans le chapitre 9 de la Poétique, Aristote explique que l'action tragique doit se fonder sur des événements historiques parce que les faits paraissent au spectateur plus crédibles s'ils ont réellement eu lieu. Ceci est d'autant plus vrai, que comme nous le verrons plus loin le choix d'un sujet historique offre à Grenaille une garantie de « vraisemblance ». Grenaille explique dans sa préface, dans sa préface rappelle que c'est le respect du culte de l'empereur Constantin avait empêché la diffusion de ce drame familial : Ceux qui n'en ont osé parler de peur d'offencer la gloire du Protecteur de la foy, n'ont pas consideré que l'Histoire est un miroir que represente indifferemment les vices et les vertus, et que de couvrir les defauts pour mettre au jour les perfections, c'est plustost estre flatteur que tesmoin de l'antiquité. Bien que Grenaille ne le mentionne pas, « the main plot is taken chiefly from Caussin's Cour sainte, II, 48 [12] ». L'histoire nous apprend que Crispus, fils de l'Empereur Constantin et de Minervine, fut exécuté secrètement sur l'ordre de son père, alors remarié avec Fausta, que le même Constantin fit ensuite étouffer dans un bain. Tels sont les faits relatés dans *La Cour Sainte* par Nicolas Caussin [13], est plus enrichissante puisqu'elle offre une dimension morale à l'affaire, et comme nous le précise Caussin, toujours dans La Cour Sainte « la pire des attitudes est le silence, mais pour rompre le silence il faut proposer une interprétation. » [14]. La solution était selon Caussin d'« accepter que Constantin pût être l'auteur de crimes inexcusables mais en tentant de les justifier et même de les excuser à sa décharge [15]. ». Il était impensable d'imputer un tel crime au « défenseur de la foi », c'est pourquoi il a été utile de recourir au mythe de Phèdre, qui a l'avantage de faire endosser à la païenne l'entière responsabilité des événements advenus. Et si Constantin a quelque tort, il est excusable selon P. Caussin [16] car  : « Ce n'est pas de merveille qu'il ait eu les vices devant le Baptême, mais c'est le miracle du Christianisme de changer les lions en agneaux, les cloaques en fontaines, et les épines en roses et en tulipes ». ### Bilan. Grenaille nous précise qu'il a apporté des changements à l'histoire. Le travail du poète sur les sources relève donc, selon l'expression de G. Forestier, d'une « dialectique fidélité / invention ». #### Les emprunts. Grenaille explique dans sa préface que le sujet de Crispe a déjà été traité par un jésuite nommé Stephonius [17] : J'averty donc le Lecteur, qu'un Italien nommé Stephonius, à travaillé en Latin sur le sujet que je manie en François, et que la curiosité qui dés mon bas âge m'a porté à voir les Livres modernes aussi bien que la plupart des anciens, m'a fait lire autresfois, et estimer son ouvrage. De Stephonius, mais vraisemblablement aussi de Caussin, bien qu'il ne le mentionne pas, il a repris les noms des personnages, le lieu, etc., tout le décor historique, mais aussi la façon de faire mourir Fauste, meurtre sur lequel G. Forestier émet une hypothèse [18]. Quant à la ressemblance avec le mythe, la relation Crispe-Fauste-Constantin, semble reproduire avec exactitude la relation Hippolyte-Phèdre-Thésée, puisque la marâtre, le père et le fils y remplissent respectivement les mêmes fonctions. Mais Grenaille a été plus loin, il « a repris la structure de la Phèdre sénéquienne _ notamment l'aveu de Fauste à Crispe, et la violence aveugle de Constantin contre un fils que tout accuse (la calomnie de Fauste, et la manière suspecte dont il s'est brusquement exilé de la cour sans prendre congé [19]) ». Sa pièce est trop proche du mythe pour que l'on puisse croire à ses dires, selon lesquels il ne s'en serait pas directement inspiré. D'ailleurs Lancaster [20], ne manque pas de remarquer cet emprunt : « The well-known legend, dramatized by Euripides and Seneca, had reappered in French plays (...) in Grenaille's Innocent malheureux, where imitation of Seneca is added to the dramatization of another story. » #### Les ajouts. Grenaille nous explique dans la préface, que l'on peut ajouter des événements « dont les Historiens ne fassent pas de mention », mais à une condition : « Il suffit que ce qu'il ajoûte à la deposition des autres, ne les contredise point en la substance des choses, et soit plustost un enrichissement du fonds, qu'une Fable du tout hors d'œuvre. Quand il s'esloigne du vray, il doit suivre le vray semblable [21]. » Cette évocation montre selon D. Dalla Valle l'« autonomie du poète ». Elle rend compte de la démarche que suit le poète pour construire sa tragédie, « elle explique l'introduction de personnes et de constructions différentes par rapport à la source, pourvu qu'ils ne la modifient pas directement [22] ». Grenaille introduit deux histoires d'amour, celle de Crispe et d'Adelaïde suivante de Fauste, et celle d'Hélène et de Procle, l'ami de Crispe, et il s'en justifie ainsi : «  … si dans toute cette Tragedie j'ay meslé encore d'autres intrigues d'amour outre celles qui en font proprement le corps, ç'a esté pour adoucir la severité des evenemens funestes, et resjoüir un peu ceux que je dois faire pleurer. ». Grenaille, contrairement à la tradition, loin d'avoir présenté l'« Hippolyte » qu'est Crispe, comme un être n'ayant goût qu'à la chasse, il en fait un jeune homme amoureux même s'il le confesse avec quelque honte. Pour quelle raison ? Peut-être que le conflit entre l'amour et la chasteté semblait peu croyable au dix-septième siècle, et qu'on lui préférait le conflit entre la passion et la raison, le moral et l'immoral. C'est pourquoi notre Crispe est amoureux et que « tous les Hippolytes français qui suivront le Crispe de Grenaille, seront, eux aussi, amoureux : chez Gilbert, chez Bidar, chez Pradon et finalement chez Racine. » [23] ## Une tragédie classique ? ### Un sujet aristotélicien. Selon Aristote, le sujet tragique nécessite un conflit entre des « passions nobles », or quoi de plus noble que l'amour et la vengeance qui sont les moteurs de l'action dans notre pièce. Le sujet étant de caractère élevé, il doit y avoir de nobles personnages, or que présente *L'Innocent malheureux* ? Un empereur, une impératrice, des princes et des princesses. De plus, le tragique par excellence est suscité par une situation dans laquelle « c'est entre personnes amies que se produisent les événements tragiques (…) [24] ». Tous les principes aristotéliciens semblent réunis dans notre tragédie. ### La règle des unités. L'unité de temps est respectée puisque « tous les événements présentés peuvent vraisemblablement se produire en vingt-quatre heures [25] ». Quant au lieu, tout semble se dérouler au sein d'un même palais, comme le confirme Lancaster [26] : « the place seems to be confined to the imperial palace ». Mais Grenaille élargit le lieu à la ville de Rome. L'unité d'action, est elle, plus discutable, puisque Grenaille y a introduit deux épisodes : l'amour d'Hélène et de Procle, et l'amour de Crispe et Adélaïde, car en ce faisant, « there is no doubt about the fact they violate the unity of action and detract from the effectiveness of the play by introducting too many characters [27]. ». En effet, ces actions secondaire n'influent nullement sur l'action principale, et pourraient tout à fait être supprimées. ### La bienséance. Selon P. René Rapin, les bienséances sont de deux ordres : Le premier est celui de la convenance morale : c'est ce qu'on appelle les bienséances externes, qui visent à ne pas choquer le public (…). Le second ordre est celui de la cohérence interne des personnages mis en scène : c'est ce qu'on appelle les bienséances internes ; cette notion hérite de l'anthropologie et de la morale traditionnelles (celle d'Aristote et de Théophraste) qui fondent l'interprétation classique de la psychologie humaine Or, est-il cohérent ce soudain remords de Fauste ? Cela est peu vraisemblable, étant donné qu'elle a tout orchestré et s'est même réjouit à l'annonce de la mort de Crispe. Ou encore est-il bienséant que Crispe aime la suivante de Fauste ? Fauste elle-même s'en étonne : « Cet ingrat me prisoit moins que ma Confidente [28] » remarque cette incohérence. Il semble que la vraisemblance soit malmenée. ### La vraisemblance. La vraisemblance ordonne que l'action représentée soit conforme au comportement habituel des hommes, et ce, même si « le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable [29] ». Or, est-il, vraisemblable qu'une femme après avoir voulu trahir son mari, cherche à perdre son beau-fils parce qu'il n'a pas voulu lui céder, et que le père ordonne le meurtre de son propre fils. Car, si en effet, le sujet est similaire à celui de Sénèque, d'Euripide ou encore de Racine, chez ces divers auteurs, la culpabilité de Phèdre est plus ou moins atténuée par l'absence de Thésée et par la persécution des dieux (« C'est Vénus toute entière à sa proie attachée [30] »), qui fait que le combat de Phèdre est moins celui d'une femme contre l'amour que celui d'un être humain contre les Dieux. Mais Fauste, cette « nouvelle Phèdre » n'a pas ce poids des dieux comme prétexte, elle apparaît plus libre, et donc du même coup, plus coupable. Elle ne peut être ce personnage « ni tout à fait innocent ni tout à fait coupable ». Mais « la perfection esthétique de la violence exige des sujets proprement *extra*-ordinaires, qui ne peuvent s'accommoder du critère de vraisemblance tel du moins que l'entendent les théoriciens classiques français … [31]. » mACependant Corneille dans la préface de sa tragédie *Héraclius* nous dit ceci : Aristote … ne veut pas qu'on compose une tragédie d'un ennemi qui tue son ennemi, parce que, bien que cela soit fort vraisemblable, il n'excite dans l'âme des spectateurs ni pitié, ni crainte, qui sont les deux passions de la tragédie : mais il nous renvoie la choisir dans les événements extraordinaires qui se passent entre personnes proches, comme d'un père qui tue son fils …, ce qui n'étant jamais vraisemblable, doit avoir l'autorité de l'Histoire ou de l'opinion commune pour être cru, si bien qu'il n'est pas permis d'inventer un sujet de cette nature [32]. Qu'en conclure ? Si l'on considère le principe aristotélicien selon lequel c'est le « surgissement de violences au cœur des alliances » qu'il faut rechercher pour faire une belle tragédie, alors Grenaille n'a point fait de fautes. Car même s'il s'est éloigné du vraisemblable, il est dans le vrai, et comme conclut Corneille « … L'action étant vraie …, il ne faut plus s'informer si elle est vraisemblable [33] ». ## La passion. Cette « exemple terrible de la force des passions [34] » est ici le moteur de l'action tragique ### Les caractéristiques de cette passion. Cette passion apparaît tout d'abord comme une passion coupable. En effet, par le choix même de l'être aimé Fauste devient coupable. Sa passion est une faute, en ce qu'elle coïncide avec la transgression d'une loi morale (adultère et inceste), même si au regard de la loi, Fauste en aimant son beau-fils n'est pas incestueuse, puisqu'il n'y a pas de lien de famille, et par conséquent pas de lien de consanguinité qui les unisse. Mais subjectivement, elle se voit comme quelqu'un allant à l'encontre des lois morales. Cet interdit engendre un conflit moral permanent. Ce conflit est intériorisé et se traduit par les nombreuses stances. Les stances expriment son déchirement entre sa passion et son sentiment de culpabilité. Ce déchirement est, sans aucun doute, l'un des ressorts du tragique. Ce conflit intérieur se double d'un conflit extérieur, puisque l'amour de Fauste n'est pas payé de retour. Sa passion est vaine car non seulement Crispe ne l'aime pas, et qui plus est, il aime ailleurs. Il n'est sans doute pas anodin que Crispe avoue son amour pour Adelaïde à son ami Procle, au moment où celui-ci lui dit que Fauste doit lui parler de quelque dame, et cela deux scènes avant l'aveu de cette « mégère ». Fauste représente la femme rejetée, et c'est pour cela qu'elle va chercher à détruire l'union de Crispe et Adélaïde en faisant croire à celle-ci que Crispe ne l'aime pas, à travers ces deux vers : Au reste à ton amour il est impenetrable, et l'aimant tu ne peux qu'estre fort miserable [35]. Enfin, cette passion peut être décrite comme un rapport de force. Fauste l'amoureuse dédaignée est la femme de l'empereur, et se place donc du côté du pouvoir politique. À ce titre, elle tente de contraindre l'autre à l'aimer, car elle dispose du droit de vie ou de mort sur lui, c'est pourquoi elle lui objecte : « Si tu ne m'aimes pas garde toy de perir ». Mais cette menace est en réalité un aveu d'impuissance. Car si Fauste y recourt c'est parce que c'est la « seule carte » qu'il lui reste à jouer. Et paradoxalement, c'est Crispe qui se retrouve en position de supériorité sur Fauste bien qu'elle ait le pouvoir. ### Le comportement de Fauste. Son comportement est celui d'une femme déchirée. Il se caractérise par le recours aux stances qui « se présentent comme l'expression d'un moi souffrant, irrésolu, inquiet … [36]. ». Ce déchirement est d'autant plus perceptible que ces stances sont marquées par la présence de nombreuses figures. Le grand nombre de stances convoque une impression de plainte, d'élégie. Les vers cessent d'être discours pour tendre au chant. Nous commencerons par repérer dans à la première stance [37] la « figure macrostructurale [38] » qu'est l'opposition. Elle se manifeste à travers plusieurs antithèses : l'isotopie de la justice, de la raison ( « Droit », «  loy », « devoir », « Loix », « infidèle » / « sage », « raison », ) s'oppose à l'isotopie de l'amour (« Amour », « aimer », « aimable », « feu », « flame », « cherir », « amorce ») ; cette isotopie de l'amour s'oppose aussi à celle de la mort ( « oste la vie », « perir », « étouffer », « tüe »). L'opposition atteint son paroxysme à travers les oxymores (« Injuste Droict », « doux sang … barbare ») Le rejet de la femme amoureuse la rend capable d'une haine destructrice, en effet Fauste se sent obligée de « changer de flamme, et brûler de cholere et non plus de desir. ». Mais en dépit des apparences, les deux réactions ne sont pas contradictoires, car la haine dont Fauste fait preuve n'est que la forme du désespoir amoureux [39]. ## L'aveu. « Dans le théâtre classique, les grands monologues recèlent des voix exposant des thèmes et des motifs, souvent contradictoires (…) [40] » *L'Innocent malheureux* est une tragédie de l'aveu ? L'aveu est l'acte tragique, par excellence, car avec lui l'étape décisive est franchie. Un aveu dont le psychologie est ambiguë, puisqu'il comporte deux réactions opposées : d'une part le soulagement d'avoir enfin rompu le silence et qui permet à Fauste d'avoir un espoir, d'autre part, la conscience d'avoir aggravé sa passion en l'avouant à celui qui en est l'objet. Fauste est maîtresse de son destin tant qu'elle garde le silence, et ne l'est plus dès lors qu'elle parle. Tant qu'elle est seule à connaître son terrible secret, elle a le choix de vivre ou mourir. Mais après avoir parlé, après avoir rompu le silence, qui plus est à deux reprises puisqu'il y a eu l'aveu à Crispe, puis l'aveu à Constantin, elle ne peut plus que mourir. Les mots, en donnant forme à son crime, scellent son destin tragique. D'ailleurs avant même d'avoir avoué son crime, l'héroïne sait que la mort peut être une des conséquences de l'aveu, au vers 214, elle énonce le choix suivant : « Et Crispe se voyant aimé qu'il me tuë, ou qu'il m'aime [41]. ». *é*tant donné le résultat prévisible de l'aveu, la tentation de se taire est bien grande, Fauste, au début de sa première stance tente de s'en convaincre, et ordonne à son cœur de tenir « sa flamme couverte ». Mais à cette tentation du silence s'oppose la nécessité de l'aveu, car Fauste sent que l'amour qu'elle éprouve « doit l' étouffer s'il n'est produit au jour [42] ». Et jusqu'au moment de la confession, Fauste oscille entre le silence et l'aveu, c'est pourquoi l'aveu se fait de façon voilée au début, puis de plus en plus explicitement. Le dernier aveu, c'est-à-dire celui à Constantin, ne s'encombre plus d'hésitations, puisque Fauste a alors décidé de mourir. ## Les principaux personnages [43]. ### Fauste. Elle incarne la passion. Elle éprouve un amour déraisonnable, et presque adultère pour son beau-fils, Crispe, c'est pourquoi Hélène mère de Constantin la compare à Phèdre : Pour voir de grands malheurs ne cherchons pas les Fables, On peut trouver icy des Phèdres veritables [44]. Elle représente celle qui ne croit pas au « vrai Dieu », la Païenne. Elle intervient tout au long de la pièce, à tous les actes. Elle représente le pouvoir, c'est pourquoi Adélaïde et Procle comptent respectivement sur elle pour se voir heureux en amour. Elle est rancunière et sait utiliser la « stratégie des larmes ». C'est la « tentatrice-accusatrice [45] ». ### Crispe. Fils de Constantin et de Minervine. C'est le personnage éponyme, et donc le héros de la pièce, bien qu'il disparaisse au milieu de l'acte III, c'est-à-dire au milieu de la pièce. Il semble avoir l'emploi du jeune premier, parfait en tous points. Mais c'est à travers les dires des autres personnages qu'on le découvre, car du fait de son petit nombre d'apparitions sur scène, il se caractérise surtout par son absence, son silence qui facilitera d'ailleurs l'injustice dont il est victime. Il souffre de n'avoir encore accompli aucune grande action, et rêve d'en accomplir, mais il n'est pas pour autant le chaste Hippolyte qui n'a d'yeux que pour la châsse, il est ici amoureux d'Adélaïde. ### Constantin. Selon J. Truchet, « Le roi (ou l'empereur) est noble et juste, parle avec autorité, n'est pas forcément très subtil (…). Il est souvent père, et père déchiré (…). *à* ce type s'en oppose un autre : celui du tyran qui abuse de son pouvoir et professe l'arbitraire [46]. ». Quel est le type de l'empereur Constantin ? Il semble être tout à la fois. Il apparaît comme un personnage victime de l'ignorance dans laquelle il se trouve des vrais rapports entre son fils et sa seconde épouse, et de son emportement qui le pousse à condamner sans avoir eu soin d'informer son jugement. Il est tour à tour le père horrifié d'avoir un fils criminel, et le père aimant et accablé par la mort de son fils. ### Hélène. Elle est la mère de Constantin. Elle représente la religion, elle tente d'amener Fauste vers la religion, et au dernier acte, elle demande le pardon pour celle-ci. Et sera d'ailleurs la future sainte hélène [47]. # Le texte de la présente édition. L'édition de *L'Innocent malheureux ou La Mort de Crispe* sur laquelle nous avons travaillé a été exécutée en 1639 par Jean Paslé : In-4, 27f. non chiffrés.- 125. II p. Bibliothèque Nationale de France : Microfiche Yf 501. ## Description. (I) Page de titre : L'INNOCENT / MALHEUREUX, / OU LA MORT / DE CRISPE. / TRAGEDIE. / Par le Sieur de GRENAILLE, / fleuron du libraire /A PARIS, / Chez *Jean Pasle'*, ruë Sainct Jacques, à la Pomme / d'Or, proche Sainct Severin. / M. DC. XXXIX. / AVEC PRIVILEGE DU ROY. (II) EPISTRE. (III) PREFACE. (IV) PIECES LIMINAIRES : sonnet de P.L.P/ sonnet de De La Tour / sonnet de P.L.P / sonnet de Pisieux / sonnet de Grenaille, frère de l'autheur / sonnet de Vaudrichard. (V) LES ACTEURS. (VI) PRIVILEGE DU ROY. ## Établissement du texte. En règle générale nous avons conservé l'orthographe de l'édition originale, à quelques réserves près : * – nous avons modernisé les « ∫ » en « s ». * – nous avons distingué les voyelles « i » et « u » des consonnes « j » et « v », conformément à l'usage moderne. * – nous avons décomposé les voyelles nasales surmontées d'un tilde en un groupe voyelle-consonne. * – nous avons respecté la ponctuation d'origine, sauf lorsqu'elle nous paraissait évidemment erronée (cf. liste des rectifications). * – Nous avons corrigé quelques erreurs manifestes (cf. liste des rectifications). ## Corrections. Nous avons apporté les modifications suivantes au texte : p.4 : Grenalle -> Grenaille p.7 : pointicy -> point icy p.7 : applaudissement -> applaudissements p.12 : a mon avis -> à mon avis p.15 : il -> elle p.16 : Que l'innocence à de force -> Que l'innocence a de force p.20 : à travaillé -> a travaillé p.25 : camalitez -> calamitez p.28 : le pouvoir qu'à Crispe -> le pouvoir qu'a Crispe v.377 : à pû -> a pû v.383 : A te voir -> *à* te voir v.442 : A dessein -> *à* dessein v.635 : ces -> ses v.646 : qu'elle -> quelle v.956 : m'a froideur -> ma froideur v.1448 : viendoit -> viendroit Nous avons également rectifié la ponctuation dans les vers suivants :  ; -> .  _ vers 49, 102, 149, 216, 218, 256, 259, 262, 267, 269, 338, 348, 402, 433, 445, 517, 525, 565, 603, 605, 618, 621, 659, 661, 667, 704, 718, 785, 829, 831, 867, 1017, 1043, 1049, 1129, 1274, 1275, 1276, 1291, 1299, 1343, 1345, 1421, 1425, 1427, 1461.  , -> .  _ vers 147, 208, 255, 339, 341, 343, 344, 349, 350, 391, 401, 409, 429, 431, 561, 663, 719, 786, 865, 895, 1005, 1277, 1280, 1285, 1356.  : -> .  _ vers 624, 645, 1018, 1300, 1305.  ? -> .  _ vers 931, 1484. Enfin nous avons corrigé les erreurs de numérotation de l'acte II (IV -> V ; V -> VI), et la pagination du cahier C (p.17 à p. 24). ## Autres exemplaires consultés. B.N.F        Rés Yf 1420 Bibliothèque de l'Arsenal    4 BL 3613                     4 BL 3614                     Rf 6207 (1) Bibliothèque Mazarine        10918. (4) Tous les exemplaires sont identiques sauf l'exemplaire 10918 (4). L'exemplaire 10918 (4) de la bibliothèque Mazarine est différent car l'épître, la préface, les pièces liminaires, la présentation des acteurs et l'argument du premier acte n'y figurent pas. De plus à la page 88, le verbe « blesser » est remplacé par le verbe « meurtrir ». L'exemplaire Rf 6207 est identique aux autres exemplaires, à ceci près, qu'il y manque le cahier B, et que des corrections manuscrites y ont été apportées. # L'INNOCENT MALHEUREUX, OU LA MORT DE CRISPE. TRAGEDIE. ## A MONSEIGNEUR, MESSIRE JEAN VICOMTE DE POMPADOUR, BARON DE BRE', TREIGNAC, Sainct Circ, la Gane, etc. Lieutenant General pour le Roy au Gouvernement du haut et bas Lymosin, et Capitaine d'une Compagnie au Regiment des Gardes de sa Majesté. *Monseigneur*, *L'Innocent Malheureux* trouve du bonheur dans son infortune, en ce qu [48]'estant mort indignement, il resuscite glorieusement sous vôtre nom, et triomphe de la calomnie apres avoir rendu l'ame par son effort. Dans cette nouvelle vie qu'il reçoit, je ne pouvois luy choisir un plus noble Protecteur que celuy qui la luy donne, et qui n'ayant pas moins de perfections que Crispe, a d'ailleurs beaucoup plus de felicité, et peut par son honneur relever celuy de l'autre. La naissance, *Monseigneur*, vous a mis d'abord⁎ [49] dans une élevation, où la fortune ne peut mettre que de grands⁎ hommes ; mais vous avez d'ailleurs obtenu des charges qui nous font douter si vous estes plus illustre de [50] vous mesme, ou par la bienveillance du Roy. Mais nous sortons de ce doute, considerant qu'estant issu d'une des plus grandes maisons⁎ de Guyenne, et aussi bien élevé qu'aucun Seigneur de tout le Royaume, vous ne pouviez manquer d'estre avantagé aupres de *Louis le Juste* [51], qui honore particulierement de ses faveurs ceux qu'il trouve desja grands⁎ par bonheur [52] et par merite. Quand il n'y auroit que le souvenir de feu [53] Monseigneur vôtre pere, vous seriez tousjours grandement considerable à cét Estat, comme estant successeur de celuy qui l'a tousjours servy avec autant de zele que de succés; et qui parmy les troubles n'a jamais eu que de bons mouvemens pour la Couronne. La charge qu'il a si long temps exercée avec une prudence égale à sa generosité, et le Collier de l'Ordre que ses vertus luy avoient fait donner [54], aussi bien que l'estime du plus grand⁎ de tous les Princes, témoignent evidemment que la loüange particuliere que je luy donne, sera suivie d'un Panegyrique public. D'ailleurs, la consideration de Madame, que nôtre Cour regarde⁎ comme un des plus beaux Soleils qu'elle ait produit, et qui est alliée de Monseigneur le Chancelier, monstre que la Justice mesme n'auroit plus de credit⁎ dans le monde si vous n'y aviez de l'honneur et de l'employ. Outre cela, vos qualitez personnelles semblent capables de vous donner des avantages que les autres ne tirent ordinairement que de l'extraction, et nous font juger qu'estant si noble de deux costez, vous le serez encore autant de vous mesme. Cette force de jugement, qui en vôtre jeunesse vous fait imiter la sagesse des plus âgez, et qui vous fait [55] gouverner une Province en un temps où les autres peuvent à peine se gouverner soy-mesmes [56], nous fait voir [57] aisêment que la nature mesme vous a instruit, et que l'experience s'est d'elle-mesme offerte à vous, au lieu que [58] les autres sont en peine de l'acquerir. Le soin⁎ encore que vous avez eu de joindre les exercices de l'esprit avec ceux du corps, vous a mis dans une constitution ; qui fait que dans la paix et dans la guerre vous pouvez estre tousjours utile, et servir la France avec autant d'adresse que de valeur. Ce n'est pas mon seul [59] sentiment qui vous donne ces loüanges, c'est l'opinion generale de tout le monde, qui espere tant de vous, *Monseigneur*, que personne n'ose dire ce que vous estes, sçachant que ce n'est qu'une partie de ce que vous devez estre. Cependant la cognoissance que j'ay de vos rares qualitez, jointe à l'inclination que j'ay à vous reverer, m'a fait croire que vous recevriez de bon œil l'offre que je vous fais de la Mort du fils du plus grand⁎ Empereur de Rome [60], lequel dans toute sa grandeur vient rendre hommage à la vôtre. Outre ces raisons generales, j'en ay de particulieres de vous dedier cét ouvrage ; L'une est, que l'ayant conceu en un païs que [61] vôtre Charge vous rend sujet, je crois estre obligé à vous rendre des fruits de vôtre Province, et vous faire voir que si vous travaillez⁎ pour nôtre bien, nous travaillons⁎ pour vôtre gloire. J'ay encore voulu par là, vous témoigner le respect que mon pere et tous ceux de sa maison⁎ portent à la vôtre, et comme nous desirons vous estre doublement sujets, et par naissance, et par élection [62]. Souffrez [63], *Monseigneur*, cette hardiesse, comme estant plustost un effet du zele que de la temerité de celuy qui est,< Monseigneur, > Vostre tres-humble, et tres-obeïssant serviteur, Grenaille. ## OUVERTURE GENERALE à toute la piece, avec un discours sur les Poëmes Dramatiques [64] de ce temps. Un Autheur du siecle passé, parlant de la Poësie se plaignoit avec raison, de ce que les Muses [65] qui logeoient autrefois sur une double montagne, sembloient à peine ramper de son temps, et qu'au lieu d'animer les vers, elles estoient presque mortes. Nous pouvons dire que les Poëtes d'à present leur ont fait prendre un autre train, puis qu'ils les ont élevées sur le theatre où elles ont une veritable grandeur, au lieu que les monts ne leur en donnoient qu'une imaginaire. Tous les esprits qui ont un peu de genie l'employent d'abord à la Scene, les Odes et les Sonnets ne sont pas des pieces si communes que les Tragicomedies. Cela vient à mon avis du prix que la France donne aujourd'huy à cette sorte d'ouvrages, et de l'agréement de ce grand⁎ Ministre, qui se deschargeant du poids des affaires, prend quelquefois de nobles divertissemens en des sujets heroïques. Ceux qui sont capables de concevoir quelque chose de grand, aiment mieux consacrer leurs veilles au contentement de ce grand⁎ Heros, qu'aux loüanges de plusieurs autres personnes. On en peut encore apporter une autre raison, quoy qu'inferieure à celle-là, et c'est que les Acteurs qui representent les Poëmes Dramatiques, le font avec tant d'adresse et de splendeur, que chacun se persuade que c'est à eux qu'il appartient de donner la montre [66] aux belles choses, et que ce qui les occupe une fois, passe tousjours pour relevé. Aussi voyons nous qu'une profession qui a tousjours eu de la vogue, semble estre maintenant toute Royale [67], estant sous la protection de sa Majesté. Sa troupe est plus honorée de nôtre temps, que les anciens Comediens ne l'estoient sous les Empereurs, aussi répond elle par son action, et par le nombre des personnes qui la composent, à tout ce qu'on peut attendre d'elle pour le contentement des plus grands⁎ Princes aussi bien que de tout le peuple. Il faut avoüer neantmoins, que si tous les Autheurs ont les mesmes pretensions, ils n'ont pas tous les mesmes succés. C'est que [68] plusieurs veulent d'abord⁎ voler bien haut, sans avoir apris à marcher, d'où vient qu'ils s'abbaissent en s'élevant, et que pensant toucher le faiste⁎, ils tombent dans le precipice. Ils veulent faire un chef d'œuvre sans avoir fait aucun essay. Ils n'ont jamais sceu composer une Elegie, et ils croyent pouvoir hautement exprimer les regrets d'une Princesse malheureuse. Ils ne sçavent pas combien un Poëme a de parties, et ils songent aux cinq actes du plus difficile de tous. Ils n'ont pas d'enthouziasme [69] pour faire deux vers hardis, et ils croyent en avoir pour une piece de longue haleine. Ainsi donc ils ne courent pas dans la lice [70], mais plustost ils y choppent [71] à châque pas, ils n'ont pas de suffisance [72], mais ils ont de la vanité. Ils prennent de belles matieres, mais ils leur donnent une bien chetive forme. Un ancien disoit, qu'il valoit mieux estre blâmé de quelques gens, que d'estre loüé par d'autres; mais on peut dire qu'il y a de beaux sujets qui perdent leur Majesté, pource qu'ils sont traittez par de foibles plumes. Puis que je mets la mienne en ce nombre, sans parler d'aucune autre en particulier, on doit croire que je fais plustost ma censure, que celle de ceux que je reconnois pour mes Maistres. On doit loüer ma sincerité, et non pas m'accuser, ou d'orgueil, ou d'imprudence. On peut dire encore, que la difficulté qui se rencontre à bien faire une piece de Theatre, vient aussi-tost de la nature de l'objet, que de l'insuffisance de l'Autheur. Il est certain, que comme une Tragedie a divers visages, qui n'ont pourtant qu'une vision [73], il faut estre bien clairvoyant [74] pour luy donner toutes ses postures raisonnables. Ce beau corps comprend une infinité de beaux membres. Il embrasse le Politique pour faire tenir les conseils, et prendre de bonnes resolutions aux grands⁎ Monarques. La Morale y est employée pour esmouvoir les passions, et dispenser bien à propos l'esperance et le desespoir, l'amour et la haine. L'eloquence y regne pour produire tous les sentimens du cœur, et faire voir son ame dans ses paroles. La Logique y est necessaire pour ne faire jamais de mauvais raisonnemens sur un bon sujet, et employer plustost les termes dans leur sens que dans la rime. La connoissance de l'art Militaire s'y méle, par les duels ou les combats qui sont souvent les tristes evenemens, et qui causent ces belles intrigues qui sont suivies d'un admirable desnouëment. La Musique mesme est requise à un ouvrage qui consiste tout en nombres, qui est aussi bien fait pour l'oreille que pour le cœur, et qui doit ravir l'ame par l'oüie. Je ne parle point icy de l'Histoire, car tout le monde voit que pour prendre de beaux sujets il faut sçavoir de belles choses, et bien remarquer la substance et l'accessoire d'une action, pour bien reconnoistre les veritez qu'il faut suivre, et ce qu'on peut feindre⁎ dans un Poëme. Or pour donner tant de belles figures à un tableau, il faut qu'un Peintre soit bien expert, et qu'un Artisan ait ensemble du bon-heur⁎ et du sçavoir pour achever cét ouvrage. Outre que la nature luy doit avoir donné ce Caracthere qui a fait dire que les Orateurs se font par art, mais que les Poëtes naissent habiles, il faut encore que l'industrie [75] enrichisse la nature, et que la nature s'efforce de surpasser l'industrie. Un homme donc qui se mesle de faire de ces rares productions, doit estre pourveu de toute sorte d'avantages. Il doit estre sçavant sans estre ny superficiel, ny aussi trop speculatif. La Sagesse luy doit apprendre des secrets dont la Cour et le commerce des hommes luy doivent fournir des exemples. Il doit avoir l'imagination bonne, mais elle doit ceder à la bonté de son jugement. Pour son esprit, devant tousjours feindre⁎ en quelque façon il doit estre bien subtil et bien avisé; Au reste ses passions doivent estre si bien faites, qu'il les puisse émouvoir et appaiser à sa volonté, et sans changer de cœur les employer à divers usages. Il faut qu'il fasse le Roy et l'esclave, la Reyne et la suivante, le Juge et le criminel, l'accusateur et l'Apologiste, sans se troubler ou changer de personnage. De plus, il doit estre circonspect pour garder la justesse aussi bien aux circonstances, qu'au principal de toutes les choses. Il faut qu'il fasse taire à propos les Souverains pour laisser parler les sujets, qu'il donne du temps à l'aversion aussi bien qu'aux plus douces affections, et qu'il fasse disparoistre les Acteurs avec autant d'applaudissements qu'ils ont paru sur le Theatre. En un mot, il doit estre parfaict Courtisan, comme [76] parfaict Orateur, et il nous faut croire que ce qui a fait dire que la Poësie a quelque chose de Divin, c'est qu'il faut avoir une faveur presque surnaturelle pour en acquerir la perfection, et sembler moins homme que demy-Dieu. Ces fameux enthousiasmes qu'on nomme divines fureurs [77] monstrent assez que mon opinion est aussi bien fondée sur l'experience qu'appuyée sur la raison [78]. On peut recueillir de ce discours que plusieurs peuvent faire des Poëmes dramatiques, mais qu'il y a fort peu de gens qui les fassent dans la perfection qu'ils doivent avoir. Comme entre [79] les Poëtes Latins nous n'avons qu'un Seneque qui ait reüssi en matiere de Tragedies, et que Sophocle et Euripide sont les seuls des Grecs qui y ayent heureusement [80] travaillé, avoüons que la France n'est pas plus feconde aujourd'huy que l'Italie et la Grece. Tous ceux qui font des vers ne sont pas incomparables, et le nombre des Autheurs ne les rend pas tous excellents. Cette confusion ne mesle pas le merite et l'imperfection des uns et des autres. Nous en avons neantmoins quelques-uns qui ornent magnifiquement nôtre Theatre au lieu que [81] les autres en prennent leur ornement. Tant d'illustre Morts qu'ils font resusciter avec admiration, seroient bien aises s'ils revenoient au monde, d'avoir eu jadis du malheur pour donner sujet aux ouvrages de tant de bons esprits qui le representent. On ne sçait qu'admirer plustost où l'argument de leurs pieces, ou la beauté qu'ils luy donnent. On peut dire seulement que leur art est encore plus admirable que la matiere, et qu'il n'y a point de riche sujet qui ne tire du prix de la façon qu'ils luy donnent. Je ne veux point, pour gagner les bonnes graces de quelqu'un faire des comparaisons odieuses, ny desobliger tous les Autheurs pour en loüer un en particulier. Je crois neantmoins que les autres seront tous de mon advis, quand je diray que Mr *de la Calprenede*, pour estre venu des derniers ne laisse pas de tenir le premier rang. Ce n'est pas l'amour du pays qui me fait parler, c'est la verité que j'aime plus que tout le reste. Je sçais bien que nôtre Guyenne l'avoüe [82] pour son ornement, mais sa personne m'est plus considerable que sa naissance. Outre que parlant en faveur d'un homme que je n'ay jamais eu l'honneur de voir que dans ses écrits, on ne dira pas que je flatte celuy qui ne m'entend point estant maintenant bien éloigné de Paris, mais plustost que je donne au merite de ses œuvres ce que d'autres donneroient à la complaisance. Ce n'est pas que je n'honore la cause encore plus que l'effet, mais pour admirer l'effet à loisir, je veux un peu separer ses interests d'avecque [83] ceux de sa cause. Je diray encore par prevention, qu'on ne doit pas mettre toute la loüange de cét Autheur dans ses ouvrages, veu qu'ils en font la moindre partie. Ce qui fait la profession de plusieurs ne fait que ses divertissemens, et les chef-d'œuvres qui occupent toute leur vie se font lors qu'il se délasse. Sa naissance l'a trop eslevé pour luy permettre de tirer sa gloire d'un employ où les roturiers pretendent aussi bien que tous les Nobles. Pour estre Poëte comme les autres, il ne doit pas cesser d'estre par dessus le commun des hommes. Il est bien aise de nous ravir, mais non pas de quitter son rang. Il ne veut pas que sa plume soit si bonne que son épée, ny qu'une Couronne de laurier semble ennoblir un beau Tymbre. C'est pourtant un cas merveilleux que cette illustre negligence qu'il affecte produise tant de belles choses, et que ne voulant esgaler personne à faire des vers, il esgale tout le monde. Mais de ces reflexions generales venons maintenant aux particulieres, pour voir changer mon opinion en evidence. Nous avons veu diverses pieces de cét excellent Autheur, chacune desquelles nous sembleroit incomparable, si elle n'avoit sa semblable de mesme main. *La mort de Mithridate* qui fut l'essay d'un si bon esprit passe pour un chef-d'œuvre au jugement des habiles. L'Autheur a tort de luy vouloir ravir⁎ ses ornemens par une modestie recherchée, on l'estime suivant ce qu'elle est, et non pas suivant le cas qu'il en fait. On ne defere [84] pas à son opinion en ce qui le touche, pour ce qu'elle est injuste devant⁎ que de luy estre tant soit peu desavantageuse. Il suffit de dire que si cette piece n'estoit excellente elle n'auroit pas une approbation generale, et qu'elle n'eust jamais causé de si grandes émotions dans les ames des spectateurs, si elle n'eust esté le fruit d'un puissant genie. *La mort des enfans d'Herodes* ne cede point à la Mariane, quoy qu'on l'en nomme la Suite ; l'Autheur trouve dans son art les beautez que l'autre a rencontrées dans la matiere aussi bien que dans ses divines inventions, et pour n'avoir pas tant de femmes la Scene n'en est pas moins agreable. C'est là qu'on voit ces belles diversitez que causent les passions d'un fils jaloux de son pere, et d'un pere qui est jaloux de ses enfans. La tyrannie et la pitié, l'indulgence et la cruauté y sont meslées avec un si doux temperamment qu'on se réjoüit en s'affligeant⁎, et on pleure dans sa joye [85]. *La Jeanne d'Angleterre* est un sujet si meslé par les illustres occurrences, qu'on y remarque, que l'esprit en demeure perpetuellement surpris, bien qu'il prevoye d'abord⁎ tout ce qui doit arriver. Mais principalement on y voit de grands⁎ cœurs que les supplices rendent plus genereux, et qui ne sçavent non plus [86] ceder au malheur qu'à la force des ennemis. D'autre part on voit une Princesse qui apprehende de regner, pource qu'il luy faut faire mourir une autre Reyne, et qu'estant son ennemie elle ne peut d'ailleurs [87] resister aux mouvemens de l'affection que les merites de sa rivale luy donnent. J'ay oüy dire que l'Autheur fait un estat particulier de [88] cette piece, aussi est-elle une image de sa generosité, mais il faut avoüer que son jugement en ce point [89] est suivy de celuy de tous les autres. Je ne parleray point des autres pieces anciennes de sa façon [90] pour dire un mot des modernes, non pas que les premieres ayent perdu leur grace portant tousjours leur merite, mais c'est que les suivantes ajoustent la nouveauté aux autres attraits qu'elles ont. *Le Comte d'Essex* pour estre un sujet plus recent, ne laisse pas d'estre admirable. Sa grace neantmoins ne luy vient pas tant de sa nouveauté, comme des admirables intrigues qu'on voit dans toute cette Tragedie. Le pouvoir d'une Reyne s'y debat si bien contre son amour, que lors qu'elle est vaincuë, on la croit victorieuse. D'ailleurs les respects du Comte y couvrent si bien ses dédains, que ses fautes semblent estre vertueuses. Sa fin nous plaist toute tragique qu'elle est, pource qu'elle nous surprend aussi bien que luy, et qu'il meurt apres qu'on luy a donné la vie. Quoy que tout ce que j'ay dit jusques icy, soit plustost fondé sur la verité que ma simple opinion, j'ajoûteray neantmoins que l'*Edouard* estant la derniere piece de cét Autheur me semble la plus achevée. Nôtre Theatre n'a jamais paru plus parfaitement Royal qu'à cette occasion, ny plus triste sans causer de sinistres evenemens. Pour bien juger de cét ouvrage, il ne faut que le regarder⁎ en quatre faces, en son sujet et en sa disposition, en sa catastrophe et en sa representation. Je comprends [91] sous ces quatre chefs [92] limitez, des perfections veritablement infinies. Quand je ne dirois autre chose pour loüer la matiere de cette belle Tragedie, sinon qu'elle est prise de la vie d'un des plus grands⁎ Monarques que l'Angleterre ait jamais porté, je croirois assez persuader qu'elle est toute magnifique. Mais si l'on considere qu'outre la Majesté du sujet, les evenemens y sont tous extraordinaires, nous jugerons que celuy qui l'a choisi n'a pas eu moins de bonheur que de jugement. Cette Histoire semble un charme [93] qui nous ravit⁎, quand nous voyons un Roy qui devient esclave de sa sujette; un Pere qui confirme sa fille en ses bonnes resolutions en faisant semblant de l'en destourner; une Dame qui est soupçonnée d'estre cruelle envers son Roy, pource qu'elle est trop fidele à son honneur. En un mot, quand nous considerons un Prince doux et irrité, craintif et asseuré, qui menace de mort une femme à laquelle il se donne pur recompense. La disposition correspond à la beauté de l'invention, les passions ont de beaux commencemens, et de tres bonnes issuës. Un Roy consulte son honneur avant que [94] de suivre son amour, le devoir est plustost [95] regardé que l'inclination [96]. On met des empeschemens à la passion pour mieux faire paroistre sa resistance. Les finesses sont subtilement tramées, mais elles sont bien découvertes⁎, les Acteurs sont en aussi grande suspension [97] que les Spectateurs. Les parties de cét ouvrage sont si bien jointes l'une à l'autre, qu'elles font un divin accord, quoy qu'elles semblent estre contraires. Au reste, les personnages y parlent tousjours conformément à leur condition. Un Prince fait l'Amant⁎ et le souverain, le fils et l'independant. Une Reine fait la jalouse et la condescendante, la sincere et la fine, la douce et la furieuse. Un homme d'Estat obeït au Roy sans offencer son sang qu'il attaque, il fait le Pere et le Politique, le Conseiller et celuy qui dissuade. Une femme sollicitée de son honneur, respecte la personne d'un Roy dont elle méprife les affections. Elle se resout à mourir à la Couronne pour ne vivre qu'à son devoir, et conserve son thresor en voulant perdre sa vie. Par tout le langage est masle sans estre rude, et où il est doux il n'est jamais effeminé. Les saillies [98] neantmoins y surpassent les paroles, les mysteres ne se peuvent pas exprimer. La Catastrophe à mon avis, n'est pas moins agreable qu'elle est illustre. On y voit toutes les extremitez qu'ont les plus tragiques actions, et les plus doux démeslemens qu'on peut donner aux Comedies. Tant s'en faut qu'elle ensanglante le Theatre, qu'au contraire, il n'y a pas seulement un recit de sang ny de mort, et neantmoins on n'attend que quelque accident funeste⁎, lors qu'on n'en voit qu'un heureux. Un Roy fait condamner celle qu'il épouse apres, celle qu'il nommoit sa meurtriere et incontinent sa chere moitié. Il trouve de l'innocence où il soupçonnoit du crime, le poignard qui luy faisoit peur luy frappe doucement le cœur pour aimer plus ardemment une Chasteté invincible. Nous sortons donc de peine par cette agreable metamorphose, qui change les tourmens en plaisirs, et les aversions en nopces et en amour. Finissons ces reflexions par la decoration du Theatre, qui paroist d'autant plus beau dans cette piece qu'il n'est chargé que des personnages qui la composent. La substance mesme de l'action fait toutes les beautez de la Scene, et l'Autheur trouve en la forme de son ouvrage, ce que plusieurs autres cherchent en des idées estrangeres [99] de Perspective. Tout est majestueux en ces apparitions Royales, les entrées et les sorties sont si regulieres, que nous n'estimerions pas la veuë d'un Prince s'il ne nous l'ostoit bien à propos, ny les beautez d'une Dame si elle ne nous les cachoit pour exciter nôtre desir par un si doux intervalle. Je n'ay garde [100] de toucher à ces unitéz qu'on affecte [101] tant, pource que l'Autheur estant Maistre en cét art, n'a eu garde de faillir [102] entre ce qu'il apprend aux autres par exemple et par precepte. L'unité d'action y est fort bien observée, puis que tout concourt à la fin [103] des amours du Roy, qui d'illicites qu'elles estoient au commencement deviennent en fin legitimes. Il n'y a point là d'Episodes [104] destachez, pour remplir un Theatre d'Acteurs inutiles, et qui ne paroissent une fois que pour ne paroistre plus. L'unité de lieu est bien estroitement gardée en un sujet dont l'Histoire se peut tout passer dans l'enceinte d'un Palais, et qui ne comprend en substance que des transports⁎ de haine et d'amour. Il n'y a point icy de combats affectez ; on n'y combat que cœur à cœur, et on y cache plus les armes qu'on ne les monstre [105]. La reigle des vingt et quatre heures ne peut pas estre choquée [106], où le jour naturel semble observé. Vous diriez que cette Histoire arrive toute à la fois en toutes ses circonstances, tant l'Autheur nous la represente agreablement sans nous lasser où nous faire trop attendre. Mais je ne veux pas discourir davantage sur un sujet si connu, les belles choses se produisent assez par le charactere de leur excellence. Ce que j'en ay dit est plustost un effet de mon zele que de ma temerité, et fait plustost voir mon admiration que les loüanges d'un autre. J'estime neantmoins que mon opinion sera approuvée, pource qu'elle est legitime, et que ceux qui y trouveront à redire ne me blasmeront que de n'avoir pas assez hautement parlé de ce qu'ils estiment autant que moy. On s'estonnera sans doute de ce que [107] pour donner ouverture à mon ouvrage, je louë ceux d'un autre Autheur, et mesle mes defauts avecque ses perfections. J'ay à respondre là dessus, que j'ay voulu mettre une belle teste à un chetif corps, et relever par la gloire d'autruy la bassesse de mon livre. Si [108] faut-il neantmoins dire quelque chose en faveur de mon Poëme, afin de faire agréer mes vers par un peu de Prose, et couvrir en quelque façon mes fautes en les avoüant solemnellement. *Crispe* donc va paroistre dans [109] la France apres tant d'illustres Morts que les vivans ont admirez ; son innocence est assez recommandable, mesme parmy [110] les pechez de l'art qui la represente. Cette Tragedie cede à [111] toutes les autres pour [112] la beauté de la forme, mais elle en esgale plusieurs pour la Majesté du sujet ; La Chasteté n'est pas moins venerable que l'amour, et les combats qu'un homme fait pour resister aux caresses [113] d'une femme, ne sont pas moins glorieux que ceux qui visent à fleschir sa cruauté. En un mot, la Vertu est tousjours plus prisable [114] que le vice. Or devant [115] que de parler plus avant de mon dessein⁎, il faut que j'estale mon sujet, et que je décrive briefvement l'Histoire qui luy sert de fonds pour mieux descouvrir ce que j'y ay adjousté de mon invention pour la rendre plus dramatique. Un ancien disoit fort bien, que souvent un homme qui prend deux femmes se marie mal une fois, pource qu'il fait une marastre⁎ aux premiers enfans s'il fait une mere aux autres. Constantin qui en vertu de ses heroïques actions fut surnommé Grand⁎ par un éloge encor trop petit eu égard à ses merites, quoy qu'il semblast joüir de toutes les prosperitez, se ressentit [116] neantmoins de ce malheur. Il se maria en premieres nopces à une Dame aussi habile que vertueuse, appellée Minervine, dont il eust deux jumeaux, Crispe et Helene, en qui la terre se pouvoit venter d'avoir produit deux Soleils, le Ciel n'en ayant qu'un seul. Les graces et les vertus sembloient croistre avec ces deux beaux rejettons [117] du sang Imperial, et ils ne pouvoient apparemment recevoir aucun déchet que par trop de perfection. Minervine estant decedée, Helene mere de Constantin éleva ses enfans dans le Christianisme aussi bien que dans toute sorte de gentillesse, et l'Empereur qui n'avoit encore que des desseins⁎ pour embrasser nôtre Religion [118], épousa une Payenne. C'estoit Fauste fille de Maximien, persecuteur de l'Eglise, dont l'autre devoit estre le protecteur. Femme à la verité aussi belle que la Venus [119] qu'elle adoroit, mais d'ailleurs plus impudique. Elle aimoit bien [120] au commencement Constantin comme son époux, mais elle commença de regarder⁎ son fils Crispe de meilleur œil, et ne se contentant pas d'estre sa marastre⁎, elle desiroit estre son amante⁎. Neantmoins comme elle cachoit subtilement son feu⁎ deshonneste sous la couleur d'une vraye affection de Mere, et que dans les divers transports⁎ de son cœur, elle fut long temps à s'emporter jusques à l'impudence manifeste, toute la Cour estoit fort satisfaite de ses inclinations envers Crispe, et Constantin luy sçavoit gré sans y penser dans son infidelité. Ses mauvais desseins⁎ passoient pour des effets d'un bon naturel, et Crispe mesme s'imaginant que les privautez de Fauste n'estoient pas dangereuses comme celles d'une estrangere, appelloit faveur des tesmoignages d'une fureur déreglée, et bienseance des exces de la deshonnesteté. Il changea bien d'avis quand Fauste changea de façons de faire, et que des poursuites d'amour qu'elle luy faisoit couvertemente elle vint aux evidentes. Ce Prince quoy qu'interdit des discours de cette megere⁎, trouve pourtant des paroles pour les blasmer, et de la force pour resister à ses violentes caresses. Elle le presse, il ne fleschit point, elle le prie, il la menace, elle l'adore, il la mesprise, elle enrage, il s'irrite, elle s'excuse pour l'accuser plus finement, il se retire de la Cour pour ne la pas rendre tout à fait inexcusable. Cette retraite du fils donna de violens soupçons au pere, et comme les Grand⁎ s'imaginent qu'ils vivent tousjours trop à l'opinion [121] de leurs heritiers, il appelle d'abord⁎ complot ce qui n'estoit que respect et zele pour son service. Là dessus Fauste qui n'avoit pû rendre Crispe coupable avec elle, vient l'accuser de tous ses mauvais desirs, et pource qu'elle n'avoit pû forcer la pudicité [122] de ce Prince, elle le charge d'avoir voulu attenter violemment sur [123] son honneur. Et comme elle estoit aussi dissimulée que malicieuse, joignant les pleurs à ses plaintes, et des suspensions à ses discours⁎ ; elle persuade à [124] ce pere trop credule, que l'innocence estoit attainte d'un tel crime, et que la malice [125] estoit innocente. Constantin sans examiner davantage une affaire qui tournoit à son deshonneur comme à celuy de son fils, et qui alloit mettre sa maison⁎ en desolation, et tout l'Empire en desordre, commande à son Confident de faire mourir celuy à qui il avoit donné la vie. Cét Agent fait tout ce qu'il peut pour n'avoir pas cette commission, ou en suspendre l'effet, mais il ne peut pas disposer à sa volonté des intentions de son Maistre, et comme il se voit menacé de perdre son credit⁎ si Crispe ne perd le jour [126], il s'en va pour executer l'ordre de l'Empereur avec autant de regret que de promptitude. Crispe le voyant arriver luy fait des caresses [127] sans songer au mal qu'il luy venoit faire, et dans un festin où ce Ministre l'invite, on luy sert des aprests [128] de mort parmy la joye du banquet. Un venin fort penetrant fait en un moment éclipser ce beau Soleil, sans que les assistans sçachent la cause d'un si malheureux effet ; on peut voir neantmoins dans la douceur que ses yeux gardent mesme dans l'agonie, que Crispe mourant l'innocence meurt. Les nouvelles en estant portées en Cour, elle devient plus triste et muette qu'une sombre solitude, et quoy qu'on justifie cette action violente par la volonté et puissance de l'Empereur, on ne laisse pas de la juger punissable. Les deux Helenes n'ont plus de vie apres le decés de Crispe. Constantin mesme regrette celuy qu'il croit encore coupable, et voudroit mourir à l'instant pour pouvoir le resusciter ! Que l'innocence a de force dans la foiblesse ! on peut calomnier la vertu pour un temps, mais apres ses calomniateurs deviennent ses Panegyristes. La Cour estant dans cette rumeur, Fauste vient la tirer de peine en s'y mettant volontairement, et soit que la verité soit tousjours plus forte que l'artifice et le mensonge, ou qu'en fin quelque spectre l'effraye et l'oblige à descharger⁎ l'innocent ; elle vient confesser son propre crime, et avoüer la vertu de Crispe. C'est là que l'Empereur blâme sa credulité, et qu'il la nomme folie. C'est maintenant qu'il se juge malheureux, voyant qu'ayant perdu son fils, il luy faut perdre sa femme. La peut-il excuser sans peché puis qu'elle est coupable, et qu'il n'a pas voulu garantir [129] Crispe de la mort qu'il n'avoit pas meritée ? Il commande qu'on la noye dans le bain pour laver un si noir forfait⁎, et prenant le deüil pour le decés de son fils, toute sa Cour se resjoüit de celuy de Fauste. Voila en peu de mots la substance de cette tragique action, qui montre où peut aller le soupçon d'un pere mal informé, et la fureur d'une Marastre⁎ desesperée. On peut voir cette histoire plus au long dans [130] les Autheurs qui ont escrit la vie de Constantin avec plus de sincerité que de complaisance. Ceux qui n'en ont osé parler de peur d'offencer la gloire du Protecteur de la foy⁎, n'ont pas consideré que l'Histoire est un miroir qui represente indifferemment les vices et les vertus, et que de couvrir les defauts pour mettre au jour les perfections, c'est plustost estre flatteur que tesmoin de l'antiquité. Outre qu'il faut considerer que Constantin n'avoit pas encore esté baptisé que par desir, quand il se laissa emporter à cette foiblesse, et apres tout, la justice et l'amour de la chasteté, semblent avoir part à sa faute aussi bien qu'une credulité un peu trop severe. Au reste, j'ay reduit cette suite d'evenemens dans les limites du Poëme Dramatique, et si on y trouve quelque occurrence nouvelle dont les Historiens ne fassent pas de mention, il faut regarder⁎ que c'est un Poëte qui fait cette narration, et c'est à tort qu'il doit feindre⁎ suivant son art, mesme dans les Tragedies, s'il les trouve toutes faites. Il suffit que ce qu'il ajoûte à la deposition des autres, ne les contredise point en la substance des choses, et soit plustost un enrichissement du fonds, qu'une Fable du tout [131] hors d'œuvre. Quand il s'esloigne du vray, il doit suivre le vray semblable [132]. Ainsi l'on trouvera dans cette piece quelques Episodes qui semblent d'abord⁎ un peu destachez, mais qui neantmoins ont beaucoup de liaison avec tout le corps, et se rapportent au sujet, si ce n'est pas de droit fil, pour le moins indirectement, pour rendre la Scene plus agreable et plus honneste tout ensemble [133]. Cette confidence entre Crispe et Procle est fort naturelle, puisque personne n'est sans amy ; et cette concurrence d'affections de Fauste et d'Adélaïde, causent de petits nœuds dont le desliement donne une peine au Lecteur [134], qu'il recherche en toutes les pieces de Theatre. Que si dans toute cette Tragedie j'ay meslé encore d'autres intrigues d'amour outre celles qui en font proprement le corps, ç'a esté pour adoucir la severité des evenemens funestes⁎, et resjoüir un peu ceux que je dois faire pleurer. Et puis Crispe pour estre innocent, et pour refuser les offres d'une affection illegitime, ne laisse pas de pouvoir estre amoureux raisonnablement ; comme il y a de vicieuses amours, il y a de vertueuses inclinations, et Dieu auroit fait grand tord à notre nature, de luy donner une passion qui la rendit tousjours criminelle. J'ay fait parler Helene en saincte sur le Theatre, pource qu'elle l'estoit en effet [135], et que ce n'est pas un peché de rendre une Poësie plus Chrestienne que profane. Je sçay bien qu'il ne faut pas mesler temerairement la Religion avecque la Comedie ; mais j'estime d'ailleurs que les Poëtes ne sont pas dispensez de la probité, et que les vers qui ont autresfois servy à declarer les plus grands mysteres des Payens, ne doivent pas estre employez de nos jours, à travailler seulement pour l'idolatrie de nos amours. On remarquera que j'ay fait dire à Constantin le secret de son dessein⁎ à son principal Ministre, quoy qu'on die communément qu'il le luy dissimula ; mais je l'ay fait à escient pour excuser la precipitation de ce jugement, qui estant un peu concerté semble estre plus raisonnable, et le subjet participant à la faute semble amoindrir celle du Maistre. Et puis tous les sages Princes ont eu des amis du cœur à qui ils proposoient leurs desseins⁎ aussi franchement qu'à eux-mesme, et souvent pour avoir esté trop secrets en particulier, les Grands⁎ se sont perdus en public. Si un bon Conseiller est necessaire à toute sorte de gens, il l'est bien davantage à ceux qui font les affaires de tout le monde, et qui ne sont eslevez par dessus les autres hommes que pour mieux pourvoir à leur bien. Pour quelques reigles particulieres qu'on suit aujourd'huy avec autant d'adresse que de raison, elles ne seront pas icy parfaitement observées, mais aussi ne les choqueray⁎-je pas manifestement. Le Theatre sur tout n'y est pas fort bien entendu, pource que j'ay plustost fait cette piece pour me donner du contentement, que pour luy donner des applaudissemens d'une representation magnifique. De sorte que si elle reçoit de l'approbation, c'est contre mon intention et mon esperance. Outre qu'ayant produit cét ouvrage à la campagne, où je ne voyois ny Poëtes ny Comedies, je ne pouvois pas faire un chef d'œuvre de Cour. L'unité de temps et de lieu semble icy plus reguliere, veu que toute l'Histoire se passe à Rome, et que la mort de Crispe arrivée prés de la Ville [136], est plustost racontée que mise en veuë [137] ; d'ailleurs, il n'y a rien parmy tant d'incidens divers, qui sans contrainte et sans eslargissement, n'ait pû se passer en vingt-quatre heures. La bien-seance [138] qui doit regner principalement en des Poëmes serieux, est suffisamment gardée presque en toutes les parties de celuy-cy; comme les douces passions n'y sont jamais molles ou dissoluës, les autres qui sont plus impetueuses ne sont jamais déreiglées que par mesure. Pour les pensées, j'ay creu qu'elles seroient assez belles, si elles estoient plus naturelles que recherchées, et si les pointes [139] venoient plustost de la promptitude que de la quintessence de mon esprit. Les paroles n'estant que les images de l'ame, tiendront moins de l'affetterie [140] que de la naïveté, et comme parlant François, je ne voudrois pas estre barbare [141], je ne veux pas aussi espuiser tous les secrets des Grammairiens pour faire de mauvais Poëmes. Outre que je ne suis pas né dans ces heureuses Provinces, qui font succer à leurs nourrissons le bien parler avec le laict ; j'estime que de pointiller sur des mots, c'est vouloir dire un peu trop agreablement, ne pouvant dire de bonnes choses. Ce n'est pas qu'il ne faille infiniment estimer ceux qui pour obliger⁎ la France, taschent de polir sa langue, mais je veux dire seulement que les Poëtes ne doivent pas moins regarder leur sujet que l'elocution. En fin j'avouë que cette piece venant de moy, ne peut pas estre sans une infinité de fautes, mais je défie le plus hardy Critique de l'art de m'y monstrer tant de défauts, que je n'en y reconoisse davantage. Ce n'est pas à dire que je croye pouvoir pecher impunément faisant des fautes par dessein⁎; mais c'est que la Poësie est si delicate, que j'estime qu'un bon Poëte est plus difficile à trouver qu'un bon Orateur, et neantmoins celuy qui a esté le vray exemplaire [142] de l'Eloquence, dit, que jamais homme n'a pü reüssir excellemment en sa profession. J'ay encore à dire là dessus, que les commencemens ne peuvent pas estre parfaits, on n'arrive pas au bout de la lice si tost qu'on entre dans la carriere [143], on ne peut pas faire des coups de Maistre sans avoir fait aucun essay. Ces Messieurs qui font aujourd'huy les miracles en matiere de Poësie, ont autresfois fait des pieces qui n'estoient pas extraordinaires, s'ils se surpassent maintenant, ils demeuroient autresfois au dessous d'eux-mesmes ; ils avoüent⁎ qu'ils ont esté jeunes devant que [144] d'arriver à une parfaite maturité. Ils sont donc trop equitables pour exiger de nous, que nous volions d'abord sans avoir jamais perdu terre, et que nous les esgalions absolument, ayant assez de peine à les imiter. Nous ne pouvons pas faire les chef-d'œuvres pour voir [145] seulement qu'ils en font, ny gagner en un mois des avantages qu'ils n'ont obtenus qu'apres des longues années. **L'Honneste Fille** encore qui voit le jour avec **L'Innocent Malheureux**, me peut servir d'excuse assez legitime, si j'ay eu plus de soin⁎ de representer les beautez d'une fille que d'un homme. J'avouë que cette Princesse a tellement occupé tout mon esprit, qu'à peine ay-je pû songer à ce Prince, et le bon-heur⁎ de celle-là, m'a esté plus considerable que le malheur de celuy-cy. En un mot, j'ay cru que Crispe ne seroit jamais mal venu estant en si bonne compagnie, et que son infortune l'avoit grandement obligé, de luy avoir fait changer la Cour de Rome à la nôtre. Et quand ce rencontre ne seroit pas un beau pretexte pour colorer mon dessein⁎, l'amour qu'à un pere pour ses enfans, quelques laids qu'ils soient, authorise tousjours le zele qu'il a de les faire voir en public. Cette Tragedie est une de mes premieres productions, je l'aime quoy que je ne l'estime pas, je la donne au Lecteur, non pas croyant avoir bien fait, mais pour luy promettre de faire mieux. Et certes, si l'approbation commune donne à mon ouvrage le merite qu'il n'a pas, j'espere donner à quelque autre la perfection qui manque à celuy-cy, et faire voir que ne pouvant esgaler personne, je puis me surpasser moy-mesme. Je connois⁎ bien que la longueur de cette Prose ennuyera les curieux autant que mes vers, mais puis que j'ay fait une faute pour me tesmoigner [146] publiquement defectueux, j'en veux faire une autre pour declarer ma sincerité. J'averty donc le Lecteur, qu'un Italien nommé Stephonius, a travaillé en Latin sur le sujet que je manie en François, et que la curiosité qui dés mon bas âge m'a porté à voir les Livres modernes aussi bien que la plupart des anciens, m'a fait lire autresfois, et estimer son ouvrage. Je puis dire neantmoins, que les notions qui m'en restent dans l'esprit sont si confuses, que je n'ay pû m'en servir distinctement, et que si nous nous sommes rencontrez, ou dans l'invention, ou dans la conduite, ç'a esté plustost à l'aventure que par dessein⁎. Et par là je puis respondre à ceux qui diroient que le sujet que je traitte estant de mauvais exemple, n'est pas bon pour le Theatre, car outre que la punition y suit le crime, suivant les reigles ; cette Tragedie a esté representée devant plusieurs Cardinaux, et en un païs où les crimes enormes semblent estre aussi communs qu'ils semblent rares ailleurs. L'*Hippolyte* de Seneque est pareillement un chef-d'œuvre sur lequel on peut tirer l'idée de toute sorte de beaux ouvrages tragiques, et la conformité de son sujet avec le mien, peut avoir produit en plusieurs endroits de la ressemblance en la forme. Quoy qu'il en soit, je ne l'ay pas voulu lire de nouveau en composant cette piece, et s'il y a quelques traits pareils, je suis bien aise d'estre disciple d'un si grand⁎ Maistre, et de suivre au moins de loin celuy que je voudrois approcher.En fin puis qu'il n'y a rien sous le Soleil que le monde n'ait jadis veu, il n'est pas defendu de dire de vieilles choses, de travailler de mesme façon sur mesme matiere, et de chercher quelque thresor dans les mines que d'autres nous ont descouvertes. Tant s'en faut que je me rebutte d'estre imitateur des grands⁎ hommes des autres siecles ; qu'au contraire, je suy volontiers l'exemple des modernes s'il est bon, et comme je mesprise le dire des ignorans, je feray tousjours estat de la censure des Doctes. Je finis cette Preface par le tiltre de mon Livre, et dis, que si j'appelle Crispe, **L'innocent malheureux**, ce n'est pas que je croye que ce soit estre malheureux que d'estre innocent, veu qu'il n'y a point de vray bonheur que dans l'innocence. Mais je veux dire seulement, que comme nous croyons que les bons sont bien souvent malheureux en cette vie pource que Dieu les y laisse souffrir pour leur donner ailleurs le comble des contentemens ; ainsi Crispe a du malheur en ce monde, veu qu'au lieu d'y recevoir les recompences de la vertu, il n'y reçoit apparemment que les châtimens du vice. Je prie le Lecteur de supporter la faute que je viens de faire en l'ennuyant par cette ouverture, et de se representer qu'il estoit autresfois permis aux mauvais Peintres, de monstrer par escrit leur dessein quand il ne pouvoit pas paroistre dans leur tableau. Ils disoient qu'ils avoient peint un homme quand on ne le sçavoit pas distinguer d'avec un bœuf ; On ne peut justement refuser à la peinture Parlante, un droit qu'on donnoit à la Muette. ## Preface A MONSIEUR DE GRENAILLE, Sur le sujet de son Innocent Malheureux, ou la mort de Crispe. SONNET. LIsant dans tes écrits la fâcheuse poursuite, Que Fauste fait souffrir [147] à ce Prince Innocent, Je crains bien que l'effort d'un charme si puissant N'ebranle la vertu de ton chaste Hippolyte. Mais d'autre part aussi voyant comme il evite Les infames attraits de cét amour pressant, Je suis ravy de voir qu'elle mesme ressent La beauté de son fils bien moins que son merite. Ton Livre fait des coups dont le contrepoison Rend aux esprits blessez soudain la guerison, Le remede prevaut au mal le plus extréme : Fauste avec ton langage eust pû faire broncher La mesme chasteté ; mais l'impudence mesme, Si Crispe eust dit tes vers n'eust sceu jamais pecher. P.L.P ## Au mesme. Sur le tiltre de son Innocent Malheureux. LE tiltre d'un si bel ouvrage Semble détruire tout le corps, Crispe trouvant son avantage A se voir mettre au rend des morts. Il est vray que l'amour infame De Fauste l'a mis au tombeau, Mais quand elle maudit sa flamme⁎, Elle nous le produit plus beau. Aujourd'huy sur nôtre Theatre Il revit avec tant d'honneur, Que la rigueur de sa Marastre⁎ Luy peut tenir lieu de bonheur. *De la Tour*. ## Au mesme. *Crispe* n'eust jamais cru guerir De ce mal, dont la calomnie S'attendoit à faire pourrir Ses os avec ignominie, Mais si le voit-on refleurir Par la force de ton Genie. Si tu promets de secourir Tous ceux dont la gloire ravie⁎, Indigne pourtant de perir Sentira le feu de l'envie ; Tout le monde voudra mourir Sur l'espoir d'une telle vie. P.L.P. ## Au mesme. *Grenaille*, cét ouvrage est beau Qui fait vivre dans le tombeau Un Prince que l'amour fit mourir par la haine ; Et Crispe ayant oüy tes vers, Quelque innocent qu'il soit, est aise de la peine Qui le fait renommer dedans tout l'Univers. Pisieux. ## Au mesme. Sur sa Tragedie dediée à Monseigneur le vicomte de *Pompadour.* STANCES. Quel des deux a le plus d'honneur ? Ou Crispe qui mourant triomphe de l'envie, Ou l'Autheur qui luy fait rencontrer son bonheur Parmy les malheurs de sa vie ? C'est ce Vicomte Genereux Qui doit en ce rencontre emporter l'avantage, Puis que Crispe et l'Autheur ne semblent estre heureux Que pour luy venir rendre hommage. Pour voir un si Divin Soleil, Crispe est fort satisfait de revoir la lumiere, Et Fauste asseurément, s'il luy monstroit son œil, Changeroit sa flamme⁎ premiere. Ce Seigneur a des qualitez Que Crispe mesme doit juger incomparables, Et si ce Prince avoit moins de calamitez, Nous les croirions tous deux semblables. Mais ils different doublement, Car si Crispe reçoit de l'honneur dans ce Livre, Ce vicomte au contraire en fait tout l'ornement, Permettant au Mort de revivre. A Uzerche ce I. Septembre 1639 . *Grenaille*, frere de l'Autheur. ## Au mesme. Cette Marastre⁎ dangereuse Reüssit mal dans son projet, Puis qu'elle se rend malheureuse Haïssant Crispe sans sujet [148]. Tant qu'elle choque⁎ l'innocence [149] Peut-elle avoir de la vertu ? C'est doncques une recompence Que de s'en voir bien combattu. D'avoir pû meriter sa haine, C'est estre au comble du bonheur, Veu qu'elle ne semble estre humaine Que pour faire perdre l'honneur. Son intime, *de Vaudrichard.* ## LES ACTEURS. – CONSTANTIN,Empereur. – FAUSTE,seconde femme de l'Empereur, Marastre⁎ de Crispe . – HELENE,mere de l'Empereur. – CHRISPE,fils de l'Empereur et de Minervine sa premiere femme. – HELENE,sœur jumelle de Crispe. – PROCLE,Prince de l'Empire, amy de Crispe, et amoureux de la jeune Helene. – ADELAÏDE,Princesse, confidente de l'Imperatrice, et amoureuse de Crispe. – ARTABAN,premier Ministre de l'Empereur. – EMILE,Gentilhomme Romain. – FLAVIE,suivante. – HYCARIE,suivante. La Scene est à Rome. ## Argument du premier Acte. ### Scene premiere. Constantin se réjoüit de l'heureuse fin de toutes ses entreprises, qui doit neantmoins estre un commencement de malheur pour sa maison⁎; la paix du dehors va causer la guerre audedans. ### Scene II. Emile vient donner avis [150] à l'Empereur, qu'un Prince de ses sujets s'est revolté contre luy. Il prend resolution de rompre ce qui ne veut pas plier. ### Scene III. Helene mere de Constantin, sçachant bien le pouvoir qu'a Crispe sur l'Esprit de l'Imperatrice, avertit ce Prince de complaire⁎ en tout à Fauste, afin de luy faire agréer les bons desseins⁎ que son espoux a conceus pour la Religion. ### Scene IV. L'imperatrice sous pretexte d'aider les amours [151] de Procle, s'informe de celles de Crispe, et charge ce confident de disposer son amy à correspondre aux affections de la plus grande Dame de l'Empire. ### Scene V. Elle avouë en secret ce qu'elle cachoit en public, et se veut persuader qu'un amour illegitime est raisonnable. ### Scene VI. La jeune Helene la vient avertir du dessein⁎ qu'on a pris d'éloigner Crispe par une Charge specieuse ; elles en prennent un autre d'empescher l'execution. ### Scene VII. Adelaïde s'informe du sujet de l'éloignement de Crispe, et maudit en suite son esperance qui ne l'a flattée que pour l'affliger⁎. L'INNOCENT MALHEUREUX, OU LA MORT DE CRISPE. ## ACTE I. ### Scene premiere. Constantin, Artaban CONSTANTIN. Ce repos me plaist bien qui vient de [152] mes travaux, Je n'ay plus d'ennemis, n'ayant plus de Rivaux ; J'ay dèstruit ces Tyrans⁎ qui pensoient tout destruire Et gagné tout d'un coup [153] la Victoire et l'Empire. Mais ce n'est qu'à ce bras que je dois cet honneur, La Fortune [154] n'a point de part à mon bon-heur⁎ ; Ce qu'on nomme Faveur, n'est que ma recompense, Et le Ciel seulement seconde ma vaillance. ARTABAN. Nul ne peut desirer plus de prosperitez, Mais vous en avez moins que vous n'en meritez ; De toutes neantmoins la plus considerable Est que cet heureux sort [155] n'a rien de variable ; Cette guerre nous cause [156] une eternelle Paix ; Et vainquant une fois, vous vainquez pour jamais [157]. Rome [158], et tous ses Estats mettent leur avantage Non plus à commander, mais à vous faire hommage [159]. D'ailleurs l'Imperatrice agit si prudemment, Que deux partis divers n'ont qu'un seul mouvement, Vos enfans de deux lits [160] la tiennent pour leur mere, Et dans leur difference, ils n'ont rien de contraire. Mais Crispe à son advis vous representant mieux, Comme il est le plus grand, est plus cher à ses yeux. CONSTANTIN. Aussi l'unique bien⁎que mon ame desire, C'est de voir ma maison⁎ en paix comme l'Empire, Un Prince peut tomber, quand le dernier Appuy Qui le doit soûtenir, s'éleve contre luy. Il arrive souvent qu'un double mariage S'il provient de l'amour, produit bien de la rage ; Et c'est un grand malheur quand on voit des parens, Qui se traitent bien moins en amis qu'en tyrans⁎. Mais Fauste aymant mon fils autant qu'il la revere, Constantin desormais ne peut qu'estre heureux pere ; Il ne peut au dehors craindre aucun Ennemy. Se voyant au dedans puissamment affermy [161]. Emile entre. ### Scene II. Constantin, Artaban, Emile CONSTANTIN. Emile que dis-tu ? EMILE.         Qu'une de vos Provinces [162] D'un de vos Lieutenans a fait un de ses Princes, Sur le bord du Danube un peuple revolté, Veut opposer sa force à vôtre Majesté ? Il arme puissamment pour attaquer l'Empire. CONSTANTIN. Il me faut travailler [163] mesme quand je respire ; Je m'ennuyois [164] déja de me voir en repos, La peine et la sueur me rendent plud dispos, Ce peuple soulevé ne desire combatre, Que pour avoir l'honneur que je songe à l'abatre, Je me vay disposer à domter son orgueil, Et sa vaine [165] grandeur sera son vray cercueil. ARTABAN. Vostre fils doit gagner cette belle Couronne. CONSTANTIN. Assemblez le Conseil [166] avant que j'en ordonne. ### Scene III. *Helene*, mere de l'Empereur. *Crispe* HELENE. C'est un objet bien rare à mes yeux de te voir. CRISPE. Je choque⁎ mon desir autant que mon devoir, Je m'accuse, Madame, entendant vôtre plainte ; Mais je ne peche point agissant par contrainte : Car Fauste me retient si long temps pres de soy [167], Qu'il ne m'en reste plus ny pour vous ny pour moy. HELENE. Je t'excuse en effet, et ne me plains pas d'elle, C'est la Foy⁎ seulement qui la trouve rebelle ; Son esprit, et son corps sont parfaits à ce point, Que s'ils pouvoient changer, ils ne le seroient point. Mais ces excellens dons ne sont que dommageables, Si la Religion ne les rend venerables; Tasche doncques, mon fils, de luy gagner le cœur, Afin que par tes soins⁎ Dieu mesme en soit vainqueur. Tu luy dois témoigner de la reconnoissance, Et ne luy peux donner que cette recompense. T'aimant comme elle fait, elle aura mesmes vœux, Et voudra recevoir la Foy⁎, si tu le veux. Croy que ton accortise [168] aura beaucoup de force ; Qui resiste à l'effort, par fois cede à l'amorce⁎. Suis avecque grand soin⁎ ses moindres sentimens, Et qu'en tout ses humeurs reglent tes mouvemens ; Il te la faut gagner par de si bons offices [169], Qu'en fin tous tes advis soient toutes ses delices⁎. CRISPE. Il le faut avoüer, elle m'oblige⁎ tant, Qu'à peine l'Empereur en sçauroit faire autant ; Elle n'est pas marastre⁎, elle m'est plus que Mere, Tout son plaisir consiste à me pouvoir complaire⁎; Mais je puis bien aussi l'obliger⁎ à mon tour, En luy donnant la Foy⁎ pour prix de son amour. Je vois un naturel si haut⁎ et si sensible, Que de tous les grands biens il paroist susceptible ; Et l'on peut bien juger par ses affections, Que la mesme vertu forme ses passions. HELENE. L'Empereur agira puissamment envers elle, Son pouvoir neantmoins a besoin de ton zele ; Puis donc que [170] nous avons mesme dessein⁎ que luy, Pour l'achever bien tost, commençons aujourd'huy. ### Scene IV. Fauste, Flavie, Procle FAUSTE. Procle, ne te feins⁎ point ; c'est de la jeune Helene Que ton ame reçoit et sa joye, et sa peine : N'en fais pas un secret, tout le monde le dit ; Ton cœur a de l'amour, mais j'ay bien du credit⁎ ; Et secondant tes vœux, j'entreprendray l'affaire, Si comme tu cheris je te connois [171] sincere. PROCLE. Madame, dés qu'on sent l'ardeur d'un si grand feu⁎, Pour bien couvert⁎ qu'il soit, il paroist quelque peu, j'ay caché jusqu'icy le transport⁎ de mon ame, Apprehendant qu'il eust moins d'effet, que de blâme ; Mais je ne crains plus rien ayant un tel secours, Et tousjours vous verrez mon cœur dans mes discours⁎. FAUSTE. Descouvre⁎ [172] moy si Crispe aime quelque Princesse, Et si faisant le froid, il n'a point de Maistresse ? Il n'est pas sans amour, ayant tant de beauté, Ny toy sans le sçavoir dedans [173] la privauté [174]. PROCLE. Je sçay bien ses desirs ; mais toutefois, Madame, Dans une belle humeur, il est du tout sans flame : Ouy son ame est sans feu⁎ quand Mars [175] ne l'esmeut pas ; Et Venus luy déplaist, bien qu'il ait ses appas⁎. Tous ses ressentimens⁎ ne sont que pour vous mesme, Je l'honore, dit-il, bien plus qu'elle ne m'aime ; Que mon pere est heureux possedant un objet, Qui derechef [176] luy rend tout le monde sujet ! Puis que dans tous mes biens sa grandeur s'interesse, Il faut que tous mes vœux soient pour cette Princesse ; Il m'entretient ainsi de vos perfections, Qui font tous ses respects, et ses affections. FAUSTE. Ce discours⁎ me plaist bien, et ce Prince m'oblige⁎, Mais croy qu'en m'obligeant⁎, neantmoins il m'afflige⁎; Son Amour me seroit plus cher que son respect, L'un me soulageroit, où l'autre m'est suspect, Ces grands abaissemens qu'on voit en des personnes, Couvrent plus seurement les desirs des Couronnes ; Le veritable hommage est rendu par le cœur, S'il a moins d'apparence, il a plus de douceur. PROCLE. Madame, il vous cherit comme sa propre mere. FAUSTE. Je voudrois qu'il m'aimât à l'esgal de son pere. PROCLE. Madame, asseurez vous qu'il ne luy peut ceder, Qu'au seul droict qu'un espoux a de vous posseder. FAUSTE. Je prise⁎ son amour qui m'est si desirable, Mais quand il est plus franc, il est plus agreable ; Qu'il soit moins serieux conversant avec moy, Et si j'ay du pouvoir, je luy fais cette loy⁎. Qu'il ne regarde pas l'esclat d'un Diadéme, Voyant le feu⁎ d'un cœur qui l'adore, et qui l'aime ; Quel danger trouve-t'il dans la proximité, D'avoir moins de reserve, et plus de liberté ? PROCLE. Si vous ne voyez pas son ame toute nuë, C'est que sa passion cede à sa retenuë. FAUSTE. Cette vertu visible a beaucoup de pouvoir, Mais n'a jamais de droit qui s'oppose au devoir. Au reste va t'en dire à ce Prince adorable⁎, Qu'il est autant aimé comme il peut estre aimable⁎; Ajouste de ma part qu'une Dame aujourd'huy Dans un bon entretien m'a fort parlé de luy ; Qu'elle est de noble sang autant que je puis l'estre, Qu'on voit la Beauté mesme, en la voyant parestre, Que la Vaillance en fin doit ceder à l'Amour, La peine est pour le Camp, le plaisir pour la Cour. PROCLE. C'est vôtre Confidente, on a fort parlé d'elle. FAUSTE. Non ; mais je vois par là qu'elle m'est infidele⁎ ; Ayme-t'elle si haut⁎ ? PROCLE.         Vous sçavez son secret. FAUSTE. Puis qu'elle me le cache, il doit estre indiscret [177] ; Celle dont je parlois est de meilleure race [178], Elle a bien moins d'orgueil, mais elle a plus de grace ; S'il la pouvoit aymer, il me feroit plaisir, Car mes vœux sont de voir accomplir son desir. PROCLE. Madame, si son cœur mes discours⁎ ne rejette [179], Vous serez obeïe, et l'autre satisfaite. Procle se retire. FAUSTE. Flavie, tu sçais bien où visoit ce discours⁎ [180], Spurine adorant Crispe implore mon secours, Va la donc avertir, sans parler d'autre chose ; Que j'agis puissamment, et qu'elle se repose. Flavie se retire. ### Scene V. FAUSTE *seule*. Qui pourroit croire que c'est moy Que la perfection de Crispe desespere ? J'aime plus ce Fils que son Pere ? Le Droict me le defend, l'Amour m'en fait la loy⁎, Injuste Droict, suis-je blasmable D'aimer plus en effet l'objet le plus aimable⁎ ? La Nature ne le veut pas ; C'est elle neantmoins qui m'en donne l'envie ; Elle m'oste, et me rend la vie, Me faisant trop aymer et craindre ses appas⁎; Doux sang que tu sembles barbare⁎, Nous unissant tous deux d'un nœud [181] qui nous separe ! Crispe, que n'es-tu plustost né ? Ou pourquoy naissois-tu pour m'empescher de vivre ? Je te dois fuir, je te dois suivre ; Si l'un m'est defendu, l'autre m'est ordonné ; Donc si mon feu⁎ te semble infame, Accuse tes beautez aussi bien [182] que ma flame ; Taschons pourtant de le cherir Non pas comme un époux, mais comme son image ; S'il est beau, je dois estre sage, Et pour vouloir aimer, faut-il vouloir perir ? D'ailleurs, l'Image estant plus belle, Dois-je avoir, ô mes yeux, un moindre amour pour elle ? Fauste est marastre⁎ seulement, Elle peut donc l'aimer autrement qu'une mere, S'il est la moitié de son Pere, En l'aimant, je cheris mon époux doublement ; Quoy donc ? luy seray-je infidele⁎, Si pour le mieux aimer, je redouble mon zele ? Mais c'est trahir un Empereur, Pour servir un Tyran⁎ qui n'est qu'abominable ; Au pere pourray-je estre aymable⁎, Et le fils me peut-il cherir que [183] dans l'horreur ? Mon cœur tien ta flamme⁎ couverte⁎, Voulant en gagner deux, je ferois double perte. C'est le Conseil de la raison, Mais mon aveuglement n'en peut pas voir la force ; Le devoir m'est moins que l'amorce⁎; Et cherissant mon mal je hais ma guerison : J'ay de l'amour, j'ay de la honte [184], L'une me fait rougir, mais l'autre me surmonte [185]. Tous les Dieux pour m'encourager Sans offenser les Loix, font de ces alliances [186]; Loin de toutes ces differences Frere et sœur, mere et fils s'espousent sans danger. Pour moy je n'ayme pas de frere, Et ne poursuis qu'un fils dont je ne suis pas mere. Quel remede [187] aura cet Amour Si je n'en puis parler, et ne puis pas m'en taire ? Il m'empesche d'estre sincere, Et me doit étouffer s'il n'est produit au jour ; Que Crispe l'apprenne luy mesme, Et se voyant aimé qu'il me tuë, ou qu'il m'aime [188]. ### Scene VI. *Fauste, Helene* fille de l'Empereur. HELENE. Madame, l'Empereur éloigne de nos yeux, Ce Prince qui faisoit et sa gloire, et nos voeux. FAUSTE. Est-il disgracié [189] ? HELENE.         Sa grande renommée L'a fait choisir d'abord⁎ pour conduire l'armée. FAUSTE. Je crains beaucoup pour luy ; le sort⁎ est dangereux, Mais souvent aux plus grands⁎ il est plus malheureux ; Et Crispe le veut-il ? HELENE.         Comme il aime la gloire, Il fuit tous les plaisirs pour suivre la victoire. FAUSTE. On croit vaincre souvent que [190] l'on se voit vaincu, Et par fois les plus forts n'ont pas le plus vescu ; Si Crispe est genereux [191], la mort porte des armes, Qui n'espargnent non plus [192], la valeur que les charmes; Donc pour l'en preserver il le faut retenir ; On recherche un malheur qu'on tarde à prevenir [193]. HELENE. L'Empereur là dessus n'escoute point sa mere ; Madame, c'est en vain qu'elle a fait sa priere [194] ; Mais vous estant son cœur, et reglant ses desirs, De grace conformez [195] son ordre à nos plaisirs. FAUSTE. Je m'y veux employer, l'affaire est importante, Et mon ressentiment⁎ la fait juger pressante. ### Scene VII. Artaban, Adelaïde ADELAÏDE. Je sçay que l'Empereur vous a dit son dessein⁎; Il ne s'esclorra pas s'il n'est que dans mon sein⁎. Est-il vray que son fils doit quitter sa presence, Et qu'un si doux sujet sort par la violence ? Ce Prince a-t'il peché pour estre ainsi banny, Et n'a-t'il de renom que pour estre terny ? ARTABAN. C'est pour mieux l'honorer que l'Empereur l'envoye ; Vous faites vos douleurs de ce qui fait sa joye. Un Grand⁎ doit souhaiter de prendre ses esbats [196], Moins dedans une Cour, que parmy [197] les Combats ; Choquant⁎ l'amour d'un fils pour aider son courage, Un pere si vaillant se monstre aussi fort sage. ADELAÏDE. Mais que sera la Cour sans un si beau Soleil, Et qu'y peut-on plus voir s'il nous cache son œil ? Ce Prince estoit le Dieu des Seigneurs et des Dames [198], Et d'éloigner son corps, c'est leur ravir⁎ leurs ames. ARTABAN. La mollesse n'est pas bonne pour un Vainqueur, Qui ne doit trouver rien de doux que la rigueur, Madame, il vaut bien mieux n'estre aimé de personne, Que de gagner un cœur, et perdre une Couronne. ADELAÏDE. Il a vaincu tousjours quand il a combatu. ARTABAN. Ces autres bons succés excitent sa vertu. ADELAÏDE. Il peut perdre du sang faisant un grand carnage. ARTABAN. Le mal qui vous fait peur augmente son courage. ADELAÏDE. Trop de cœur [199] quelquefois nous fait perdre le jour. ARTABAN. Souvent on perd l'honneur, quand on a trop d'amour. ADELAÏDE. Il doit doncques partir ? ARTABAN.         L'affaire est resoluë, L'Empereur veut qu'il vainque. ADELAÏDE.         Et je crains qu'on le tuë. N'est-il point de moyen, Monsieur, de l'empescher ? ARTABAN. Esperez [200] mieux de luy puis qu'il vous est si cher ; Quel droit peut revoquer cette belle ordonnance Que la Justice a faite avecque la Puissance ? ADELAÏDE. Si j'avois du credit⁎ j'en suspendrois l'effet. ARTABAN. Cette faveur rendroit Crispe mal satisfait. ADELAÏDE. Chacun est bien content qu'on ait soin⁎ de sa vie. ARTABAN. La vaillance resiste à cette lasche envie. Mettez vôtre repos à plaire à l'Empereur. Artaban se retire. ADELAÏDE *seule.*. Le funeste⁎ repos qui me met en fureur ! Que j'avois tort d'aimer un sujet trop aimable⁎, Qui m'afflige⁎ plustost qu'il ne m'est favorable [201] ? Je le perds en effet sans l'avoir possedé ; Et tout mon bien⁎ consiste à l'avoir regardé [202]. Qu'on tombe bien souvent pensant toucher le faiste⁎, Et qu'un grand calme attire une grande tempeste ! Allons le salüer pour mon dernier devoir, Mes yeux voyez-le encor, ne le devant plus voir. Fin du premier Acte. ## Argument du second Acte. ### Scene premiere. *Constantin* donne l'épée de General d'Armée à son fils, avec ordre de mourir ou de vaincre ; Crispe la prend, et témoigne que ses resolutions ont prevenu les desirs de son pere. ### Scene II. Fauste se plaint à Constantin de ce qu'éloignant Crispe de la Cour il esbranle l'appuy de l'Empire, et empesche ce jeune Prince d'aller aux occasions d'honneur, pour avoir plus de loisir de l'aimer. ### Scene III. Crispe croyant estre sur son depart, afflige⁎ autant sa grand'mere Helene en luy disant Adieu, qu'il se réjoüit de sa nouvelle charge. ### Scene IV. Ils changent tous deux de ressentiment⁎, lors qu'Artaban vient arrester Crispe au poinct [203] qu'il avoit ordre de marcher. Crispe s'en irrite sans pecher contre le respect. ### Scene V. La jeune Helene et la Princesse Adelaïde, se conjouïssent sur cet arrest, qu'elles estiment heureux, et qui sera la cause des infortunes de Crispe. ### Scene VI. Fauste aprend de Procle que Crispe n'aime que les armes, et ne haït que les plaisirs. ### Scene VII. Adelaïde vient implorer le secours de Fauste pour gagner le cœur de Crispe, ne prenant pas garde qu'elle prie sa Rivale de luy ceder. ### Scene VIII. Crispe avoüe en fin qu'il cede à l'amour ce qu'il avoit dissimulé, et que de Conquerant il devient serviteur d'une Princesse. ## ACTE II. ### Scene premiere. Constantin tenant l'espée pour la donner à son fils. Crispe, Deux Gardes de l'Empereur. CONSTANTIN. SOuviens-toy bien, mon fils, des exploits de ton pere ; Constantin a bien fait, mais Crispe doit mieux faire ; Tu dois estre Empereur me devant succeder, Et si j'acquiers du bien tu le dois posseder ; Mais je veux que suivant les traces de ma vie, Tu merites l'Empire en dépit de l'envie : Car un grade d'honneur qu'on n'a pas merité, Est plustost un affront qu'un poinct de dignité. N'apporte pas ta teste, ou porte une Couronne, Pour l'avoir sans faillir, hazarde ta personne ; Prens cette épée en main, cet acier tout-puissant ; Pour avoir son esclat doit estre rougissant ; Les Barbares [204] ont fait une esmeute nouvelle, Va faire voir ta force où la Gloire t'appelle. CRISPE. Pour faire vaillamment il me faut commencer A suivre un Conquerant qu'on ne peut devancer; Mais je n'ay point de peine à prodiguer ma vie, Si c'est mon vray bon-heur⁎, comme c'est mon envie. La Cour ne m'est plus rien quand je songe aux combats : Et je crains seulement qu'on ne me choque⁎ pas; Il m'ennuie à present de tenir cette épée, Car je la vois briller, l'aimant mieux voir trempée. Crispe se retire, et Fauste entre d'un autre costé ### Scene II. Constantin, Fauste, Flavie suivante. FAUSTE. Vous perdez donc un fils pour gagner de l'honneur ? Un malheur recherché vous ravit⁎ ce bon-heur⁎ ? Mes enfans sont petits, les travaux de la guerre Vous élevant au ciel, vous courbent vers la terre ; Et si Crispe nous vient à manquer aujourd'huy, L'Empire est en danger de faillir [205] avec luy ; N'ayant point d'ennemis vous allumez [206] des guerres ? Et dans la paix de l'air excitez des tonnerres ? CONSTANTIN. Ne vous offensez pas qu'il subisse une Loy Qui luy sera tousjours commune avecque moy ? Vivra-t'il dans la paix ? j'ay vécu dans la peine, Pour m'asseoir sur le thrône on m'a mis à la géne : Ma vie pour le moins estoit d'aussi grand prix, Le prisez⁎-vous, Madame, avecque mon mespris ? FAUSTE. Monseigneur n'a non plus de Rival que [207] de Maistre, Et Crispe prés de [208] vous ne me semble rien estre ; Toutefois si le Ciel vous eust fait Empereur, Vous causant beaucoup plus de plaisir que d'horreur, J'eusse mieux aimé voir couronner vôtre teste Dans la tranquillité que parmy la tempeste, Ainsi donc les Tyrans⁎ estans tous abbatus, Tout le monde adorant ou craignant vos Vertus, Laissez Crispe à la Cour. CONSTANTIN.         Pour aimer les alarmes⁎, Il faut haïr, Madame, un lieu si plein de charmes; La Cour peut ramollir la plus mâle vigueur, Vous l'aimez Courtisan, et je l'aime Vainqueur. Et puis quiconque veut se garder de surprise, Doit mesme dans la paix faire quelque entreprise [209] : Sans avoir d'ennemis, on doit porter le fer [210], Ou l'on peut se voir vaincre, ayant pû triompher. Mais je viens maintenant d'aprendre des nouvelles, Qu'un Prince assujetty s'est fait chef des rebelles ; Puis donc qu'il se soûleve, il le faut abaisser ; Ma douceur l'aigrissant, mon fils le doit forcer. FAUSTE. Vous avez d'autres chefs pour conduire l'armée. CONSTANTIN. Mais Crispe doit luy seul faire sa renommée. FAUSTE. Je frissonne d'horreur à vous l'oüir [211] nommer. CONSTANTIN. S'il se fait tant cherir, qu'il se fasse estimer FAUSTE. Il est assez prisé⁎, tout le monde l'adore. CONSTANTIN. Et cette charge aussi fait voir que je l'honore. FAUSTE. Mais s'il meurt à la guerre ? CONSTANTIN.         Il mourra dans l'honneur. FAUSTE. Vous serez malheureux. CONSTANTIN.         Il aura du bonheur. FAUSTE. Dans toute sa Faveur je crains quelque disgrace [212], Si quelqu'autre ne va commander en [213] sa place. CONSTANTIN. Tout le mal que je crains, c'est qu'estant à la Cour Il soûmette à la fin sa grandeur à l'Amour. FAUSTE. Il n'en est pas touché. CONSTANTIN.         Ne le peut-il pas estre ? FAUSTE. Il n'a point de Maistresse [214]. CONSTANTIN.         Elle n'est pas à naistre. FAUSTE. Il n'en aime pas une. CONSTANTIN.         Au moins est-il aimé. FAUSTE. Et quel seroit le cœur qui n'en seroit charmé ! Mais encor, Monseigneur, le nom de son Amante⁎ ? CONSTANTIN. Elle est de vostre Cour. FAUSTE.         Oüy, c'est ma Confidente ; Elle a de grands desseins⁎, mais ce discours⁎ à part, Crispe me fait beaucoup souffrir par son depart ; Qu'on prenne mes enfans, que le vôtre demeure, Ma vie finira s'il arrive qu'il meure. Voyez comme mes yeux prevenant ses malheurs, Quoy qu'il ne souffre rien, jettent desja des pleurs ; Et ne serois-je pas du tout inconsolable, Si parmy nos bonheurs il estoit miserable ? Si je l'estime tant, c'est qu'estant pres de nous En voyant vôtre fils, je croy voir mon espoux. CONSTANTIN. Contre ma volonté, je le donne à vos larmes ; Qu'il vive pres de vous éloigné des alarmes⁎. Ayez soin⁎ neantmoins qu'il garde sa vigueur, Et que d'autre que vous ne possede son cœur. FAUSTE. En cela comme en tout je vous seray fidele, Vôtre précaution s'accordant à mon zele, Ma Confidente mesme, et remarquez ce poinct, Sans voir choquer⁎ son feu⁎, ne le cherira point. FAUSTE *seule à costé.*. Mon cœur estoit pressé, mais je sens qu'il respire, Dans ma joye pourtant je rencontre un martyre, La guerre pour ce Prince a perdu son ardeur, Mais je crains d'autre part qu'il ait trop de froideur. O Mars ! si ta Venus a pû t'estre agreable, Et si pour la cherir tu t'és rendu traitrable [215] ; Change en flammes d'amour le feu de sa fureur, Et qu'il aime l'amorce⁎ et haïsse l'horreur [216]. ### Scene III. *Helene* mere de l'Empereur. *Crispe, Emile* HELENE. Puis qu'en fin mon Amour doit ceder à ta gloire, Puisses-tu me quittant rencontrer la Victoire ! *à* te voir seulement on voudra t'obéïr, Il faut ne s'aimer pas pour te pouvoir haïr, Tant de belles Vertus et des attraits si rares Changeront en douceur l'humeur de ces Barbares [217]. CRISPE. Ce n'est pas mon dessein⁎ non plus que mon desir, Recherchant du travail [218], de trouver du plaisir ; Qu'ils se defendent bien, je n'aime de conqueste Que celle que j'obtiens au peril de ma teste. Adieu [219] Madame, HELENE.     Adieu. ### Scene IV. Helene mere de Constantin. Crispe, Artaban ARTABAN.         Seigneur, ne partez pas; La Cour arreste en fin vos desseins⁎ et vos pas. L'Empereur a changé sa premiere Ordonnance [220]. CRISPE. C'est doncques sans effet que j'ay de la puissance ? On me donne une charge afin de me l'oster, On me dit que je marche expres pour m'arrester ; Qui commande l'armée ? est-il homme de marque ? Je suis fils d'Empereur quand il seroit Monarque ; Un pere a tout pouvoir sur ce qui m'appartient, Mais non pas pour m'oster l'honneur qu'un autre obtient. ARTABAN. L'Imperatrice mesme a rompu l'entreprise [221]. CRISPE. Cette opposition doit estre une surprise. ARTABAN. Elle ne vous retient qu'afin qu'estant icy Vous viviez sans danger comme elle sans soucy. CRISPE. Un illustre danger m'est tousjours souhaitable, Comme un plaisir honteux ne m'est qu'abominable, Elle ne devroit pas acheter son bonheur Au prix de mon tourment [222] et de mon deshonneur. ARTABAN. L'Empereur resistoit d'abord à sa poursuite [223]. CRISPE. Et pour la rompre en fin, je veux partir plus viste. ARTABAN. Mais ses larmes apres l'ont si fort combatu, Que la foiblesse en fin emporte [224] la vertu. CRISPE. Un Prince ne doit pas se soûmettre à sa femme, Ny pour la trop priser⁎ mettre un fils dans le blâme, On dira que c'est moy qui charmé de la Cour Ne sçaurois sans mourir, vivre ailleurs un seul jour ; Mon renom souffrira cette honteuse tache, Si j'estois genereux [225] je passeray pour lasche ; Bien loin d'estre un grand Chef je seray Courtisan, Et l'Amour sans l'honneur sera mon partisan ; Je vay tout de ce pas obtenir ma dépesche, Car il n'est pas seant qu'une femme l'empesche. HELENE. Croy [226] que l'Imperatrice agit pour t'obliger⁎, Et la desobligeant tu nous vas affliger⁎, Reconnois en ce poinct [227] l'amour qu'elle te porte. CRISPE. Qui me voudroit haïr m'aimeroit de la sorte, Sa grandeur va [228] tousjours sur ses contentemens, Pourquoy n'auray-je pas les mesmes sentimens. HELENE. Un pere ne doit pas trouver un fils rebelle. CRISPE. Je ne dois pas aussi n'obeïr que pour elle. ARTABAN. Un honneur qu'on differe est encore asseuré. CRISPE. On nous éprouve [229] encor quand il est differé. HELENE. Mon fils, tu dois priser⁎ l'amour d'une marastre⁎. CRISPE. Cet amour est trompeur puis qu'il est idolâtre [230]. ### Scene V. *Helene* fille de l'Empereur. *Adelaïde* HELENE. Il ne s'en ira pas, appaisons nos douleurs, La joye seulement [231] doit avoir de nos pleurs. Elle l'a retenu. ADELAÏDE.         Que j'admire son zele, Et que j'ay peine [232] à croire une douce nouvelle ? HELENE. Elle le voit tousjours, et le veut tousjours voir, Et n'a que pour luy seul de cœur ny [233] de pouvoir ; En outre elle parloit de quelque mariage *à* dessein [234] d'arrester par l'amour son courage. ADELAÏDE. He Dieux ! quelle Princesse auroit assez d'appas⁎ Pour pouvoir arrester [235] son cœur comme ses pas ? HELENE. L'Imperatrice seule a pouvoir de luy plaire. ADELAÏDE. Mais il veut une femme, et Fauste n'est que mere. HELENE. Elle doit luy choisir celle qu'il doit aimer ; Sondez [236] bien ses secrets pour nous en informer. Helene se retire. ADELAÏDE *seule.*. Et c'est là mon malheur d'estre sa Confidente, Car ce nom me defend d'estre sa concurrente ; Si je cheris ce Prince elle me peut haïr, Croyant que mon amour ne tend qu'à la trahir. Mais aussi n'aimer pas celuy qui me possede ? Il faut que pour ce poinct [237] ma Princesse me cede, Ou [238] qu'elle m'abandonne, et que j'aye un seul bien⁎; C'est d'estre toute à Crispe et [239] de n'estre plus rien. Et puis, elle ne peut s'opposer à ma flamme⁎, Qu'elle soit sa marastre⁎, et je seray sa femme ; Elle m'assistera bien loin de m'empescher, Et m'en fera cherir, puis qu'elle le tient cher. Qui pourroit-elle aider mieux que sa Confidente ? En me desobligeant seroit-elle obligeante⁎ ? J'estime que son cœur ne fait rien que pour moy, Et qu'elle veut donner son beau Fils à ma Foy⁎. ### Scene VI. Fauste, Procle, Flavie FAUSTE. Son cœur n'aime donc rien que l'horreur des alarmes⁎ ! Et met toute sa joye à rejetter les charmes ? L'estrange naturel qui fait ses déplaisirs⁎ De toutes ces douceurs qui font tous les desirs. PROCLE. S'il peut s'en rencontrer une qui vous égale, Madame, il est content d'aimer vôtre Rivale, Mais vous n'en ayant point, et n'en pouvant avoir, Comment peut-il aimer ce qu'il ne peut pas voir ? FAUSTE. Ces doux ressentimens⁎, au moins comme je pense, Viennent bien moins de luy que de ta complaisance, Tu penses m'abuser par ce bel entretien, Et pour gagner mon cœur tu me donnes le sien, Mais Procle, à mon humeur, croy que la flatterie Tient moins lieu de plaisir que de supercherie. PROCLE. Madame, vous pourrez connoistre par effet [240] Que mon discours⁎ est vray comme il vous satisfait, Procle s'abuseroit en trompant sa Princesse, Car sa perte soudain puniroit sa finesse, On surprend des Esprits indignes de respect, Je vous honore trop pour vous estre suspect ; Vous possedez ce fils beaucoup plus que son pere. FAUSTE. Il n'aura doncques pas de peine à me complaire⁎ ; Que [241] si j'ay du pouvoir autant que tu m'as dit, Et que sa volonté s'accorde à mon credit⁎, Je luy veux faire aimer la merveille du monde, Qui ne cede à pas une, et n'a point de seconde, Dans la Cour où je suis on voit briller son œil, Les astres sont autour, c'est l'unique soleil, Je luy diray bien plus. Pour te parler d'Helene, Ce qui lie ton cœur, tient le sien à la chaine, Elle t'aime si fort depuis mon entretien Qu'elle n'a point de vœu, Procle, qui ne soit tien. PROCLE. Crispe se reconnoit obligé dans moy mesme, Madame, ayant receu cette faveur extreme. Je m'en vay publier⁎ l'effect d'une bonté Qui n'a rien de pareil sinon vôtre beauté. Procle se retire. ### Scene VII. Fauste, Adelaïde, Flavie ADELAÏDE. Madame, je ne puis plus cacher un mystere, Et vous me disant tout, je ne vous dois rien taire ; Pour vous estre inconnu mon feu⁎ n'est pas honteux, Mais c'est qu'allant bien haut⁎ l'effet [242] en est douteux [243]. FAUSTE. Le feu⁎ s'éleve fort en quel lieu qu'on le voye [244],    505 Parle pour voir changer toutes tes pleurs [245] en joye : Va-t'en sçavoir, Flavie, où Crispe est si long-temps. Flavie se retire. ADELAÏDE. J'ayme un grand⁎ de la Cour. FAUSTE.         Tes vœux seront contens [246] Dy moy ses qualitez. ADELAÏDE.         Il est incomparable, Madame, il est vaillant plus qu'il n'est agreable. FAUSTE. Son nom ? ADELAÏDE.         Ses qualitez vous le font bien sçavoir, On ne voit rien de grand que lors qu'on le peut voir. FAUSTE. C'est doncques l'Empereur. ADELAÏDE.         Pour si haut⁎ que j'aspire, Mes vœux sont au dessous du faiste⁎ de l'Empire. FAUSTE. C'est Crispe à mon advis. ADELAÏDE.         Ce beau nom me blessant Fait voir le mal caché que mon ame ressent. FAUSTE. Tu devois donc plustost [247] me declarer ta peine. ADELAÏDE. Je pensois l'étouffer la croyant estre vaine, Mais mon feu⁎ s'augmentant jusqu'à l'extremité Peut-il estre excessif et sembler limité ? Ce Prince ne dépend que de vôtre puissance, Vous faites son amour comme mon esperance ; Donc si vous desirez voir mon esprit guery, Donnez-moy pour Amant⁎ ce noble Favory. FAUSTE. Mes effets [248] ont déja prevenu [249] ta demande. ADELAÏDE. La faveur qu'on avance est tousjours la plus grande. FAUSTE. J'acheveray bien-tost ce que j'ay commencé, Et ton feu⁎ par ta foy⁎ sera recompencé ; Souviens-toy seulement que dans la confidence Tu dois cacher ta flamme⁎ et monstrer ta prudence, Presque toute la Cour a connu ton secret, L'Amour pour s'asseurer [250] doit paroître discret. ADELAÏDE. Bien qu'il soit malaisé, Madame, qu'une Amante⁎ Toute aveugle qu'elle est puisse estre fort prudente ; Je tascheray pourtant de contraindre mes feux⁎ Pour conformer [251] tousjours mes desirs à vos vœux. FAUSTE. Maintenant pour pouvoir mieux avancer l'affaire ; Je fais mes interests de ce qui t'a pû plaire, Et je vais travailler à [252] gagner cét Amant⁎ Comme si ton supplice estoit mon vray tourment. ADELAÏDE. Peut-on assez priser⁎ une telle Princesse ? FAUSTE. L'effet [253] t'étonnera [254] bien plus que la promesse. ### Scene VIII. Crispe, Procle CRISPE. Procle, tu m'aymes bien, mais tu cheris ma sœur, C'est aussi mon dessein⁎ de t'en voir possesseur ; Adelaïde aussi me semble si parfaite, Qu'il me faut dans ma force avoüer ma défaite ; Je ne semblois haïr que les contentemens, Mais enfin je me vois au nombre des Amans. PROCLE. Il n'est point de grandeur ny de beauté si rare Qui me puisse toucher si je vous la compare ; Et dans le beau dessein⁎ que j'ay de vous servir, Rien ne m'agrée ailleurs, bien loin de me ravir. Je ne crois pas pourtant que mon amour vous blesse⁎ Quand vous prisant⁎ sur tout, j'honore une Maistresse ; Il est vray qu'ayant veu qu'elle est de vôtre sang, Un Prince peut à peine aspirer à son rang ; Mais si mon cœur l'obtient de vous pour recompence, Je l'aymeray tousjours moins que vostre alliance [255]: Et quoy que cét Hymen nous rende bien-heureux, C'est pour vous seulement qu'elle aura tous mes vœux. Fauste au surplus vous doit parler de quelque Dame. CRISPE. Son discours⁎ me plaira s'il s'accorde à ma flamme⁎ ; Mais hors d'un seul objet [256] je n'en sçaurois plus voir, Et ce n'est mon humeur non plus que moin devoir. PROCLE. Cette Marastre⁎ agit pour vous avec grand zele. CRISPE. Souvent plus il est grand plus il est infidele⁎: Mais pour voir les effets de tant de beaux desirs, Et changer à la fin [257] tous nos feux⁎ en plaisirs ; Va-t'en voir ma Princesse, et sans te mettre en peine [258], Croy [259] que me la gagnant tu gagneras Helene. Fin du second acte. ## Argument du troisiesme Acte. ### Scene premiere. Fauste fait appeller Crispe pour luy declarer un dessein⁎ qu'elle veut et ne peut cacher : Adelaïde sert à ce Ministere, et s'interesse pour [260] Fauste, croyant que Fauste ne s'interesse que pour elle. ### Scene II. Fauste ouvre son cœur à Crispe par des termes couverts⁎, et puis dans une impudence manifeste, ses poursuites neantmoins ne reçoivent que des rebuts, enfin elle s'excuse pour accuser l'innocent. ### Scene III. Fauste voyant son amour desesperé le convertit tout en haine, et se resout à perdre⁎ dans la paix ce foudre de guerre qu'elle [261] avoit fait retenir. ### Scene IV. Crispe resout avec Procle sa retraite de la Cour sans en donner de cause apparente que sa manifeste melancolie, il y joint le bien de l'Estat et de la maison⁎ de son Pere. ### Scene V. Constantin se rejoüit avec Artaban de la nouvelle qu'il a receuë de la cessation des troubles, et des sousmissions des rebelles. ### Scene VI. Procle rendant raison de la retraite de Crispe, l'Empereur entre en soupçon quand l'autre l'en veut delivrer. ### Scene VII. Fauste accuse en effet Crispe du crime qu'elle seule a voulu commettre, et fait semblant d'appaiser l'Empereur afin de l'aigrir davantage contre son fils. ## ACTE III. ### Scene premiere. Fauste, Adelaïde FAUSTE. VA dire à ton Amant⁎ que je luy veux parler, C'est pour te l'acquerir, et pour me consoler. Adelaïde se retire. Si mon Espoux sçavoit les desseins⁎ de mon ame, Le tiendroit-il pour fils, me tiendroit-il pour femme ? N'importe ; je ne puis resister à ces feux⁎, Et laissant mon devoir il faut suivre mes vœux. Mais déja la rougeur me monte sur la face, Pour gracieux qu'il soit j'en crains quelque disgrace [262] : Il me doit rebutter, ne le ferois-je pas S'il avoit mon Amour, si j'avois ses appas⁎ ? Il faut tout hazarder, mon mal est trop sensible Pour ne me porter pas à tenter l'impossible ; Crispe voyant l'excés de ma calamité [263] Ne s'étonnera pas de cette extremité. Crispe entre Icy. ### Scene II. Fauste, Crispe FAUSTE. Beau Crispe dont l'honneur et la grace est [264] extréme, Cher Prince qui n'as point d'ennemy qui ne t'aime ; Je t'ay fait appeller voulant t'ouvrir [265] un cœur Lequel vainquant par tout, te tient pour son vainqueur, Crispe fait maintenant tous les vœux d'une Dame, Qui fait avecque moy méme corps et méme ame [266], Elle m'égale en tout, si tu veux l'honorer, Ou plustost la cherir, je te veux adorer [267]. CRISPE. Vous ne pretendez-pas à ce conte que j'aime, Madame, s'il n'est rien de si grand que vous-méme. FAUSTE. Je ne me picque pas qu'elle usurpe mes droits, Afin de meriter de vivre sous tes loix. CRISPE. Si vous luy permettez de vous estre semblable, Vous seule neantmoins me semblez adorable⁎. FAUSTE. Quelque autre, à ce qu'on dit, t'oste ta liberté ? CRISPE. Mon cœur est bien attaint, mais non pas arresté ; Je mesure mon feu⁎ pour des sujets que j'aime, Mais mon zele envers vous paroist toujours extréme. FAUSTE. Fay-le moy doncques voir dans son extremité. CRISPE. Mon respect n'en peut voir qu'un effet limité. FAUSTE. Quitte ce vain respect pour contenter ma flamme⁎. CRISPE. Il me souvient toujours de qui vous estes femme. FAUSTE. Crispe n'est pas mon fils si l'autre est mon époux ; Fay donc ce que je dy pour faire comme nous ? CRISPE. Quoy ? FAUSTE.         Fay voir à mon cœur que ta flamme⁎ est extréme Aimant ce bel objet qui semble estre moy-méme. CRISPE. C'est contraindre mon cœur que de luy faire aimer Un objet hors de vous qu'il ne peut estimer, Si je suis tout à vous pourrois-je estre à quelque autre, Ou bien pretendez-vous que je ne sois plus vôtre ? Je sçay qu'Adelaïde a quantité d'attraits, Et je resiste mieux aux armes qu'à ses traits ; Mais si je la cheris c'est comme une Maistresse, Et vous comme ma Mere, et comme ma Princesse. FAUSTE. Je n'entens-pas parler de cette autre beauté, Mais plustost de…Mon cœur n'a plus de liberté. CRISPE. Vous avez tout pouvoir bannissez [268] toute crainte. FAUSTE. Te faisant ce discours⁎ tu fairas quelque plainte. CRISPE. Je ne puis m'irriter de vos contentemens, C'est vôtre déplaisir⁎ qui fait tous mes tourmens. FAUSTE. Adelaïde au prix [269], quoy que ma Confidente, Méme à ton jugement ne sera que suivante ; Enfin c'est le party le plus grand⁎ de ma Cour ; Qui voyant tes respects recherche ton amour ; Mais ton cœur estant pris je ne te l'ose dire. CRISPE. Vous me pouvez toujours parler avec empire [270]. FAUSTE. Tu le peux deviner à me voir seulement. CRISPE. Madame, j'ay besoin d'un autre truchement [271]. FAUSTE. Je crains de t'offenser te faisant une grace, Il faut que mon époux te cede un peu sa place. CRISPE. Au lieu de luy ravir⁎ le premier de ses droits, S'il estoit mon sujet je le luy cederois ; Madame, je ne puis entendre ce langage, Ne m'avantagez-pas à son desavantage. FAUSTE. Ne pense pas aussi que mon intention Soit de voir l'Empereur dans la sujettion ; S'il faut perdre l'honneur il faut que l'on me prive, Et c'est moy seulement qui veux estre captive [272]. Enfin m'aimes-tu bien ? CRISPE.         Tout autant que je peux, Si c'est moins que je dois, n'en blâmez pas mes vœux. FAUSTE. Donne m'en une marque aussi douce que belle. CRISPE. Dites quelle vous peut estre la plus fidele. Si vous me commandez d'affronter le trépas, La vie m'est à charge avec tous ses appas⁎; J'immole à vos plaisirs toute ma renommée, J'aime mieux vous servir que commander l'armée : Voulez-vous que jamais Crispe ne soit qu'à vous, Et que pour vous servir j'abhorre d'estre époux ? FAUSTE. Ce n'est pas mon desir de contraindre tes flammes⁎, Si tu sers librement la plus grande⁎ des Dames ; Et sans prendre autrement le nom de son époux, Je voudrois qu'en effet tu luy fusses plus doux. CRISPE. L'Empereur seul a droit sur ce bonheur supréme, Et le nom et l'effet doit estre pour un méme. FAUSTE. Qu'il en garde le nom, et fais m'en voir l'effet. CRISPE. Ce plaisir pretendu me rend mal satisfait. FAUSTE. Tu ne me promettois que pour tromper ma flamme⁎. CRISPE. Je promettois en fils, vous demandez en femme. FAUSTE. Crispe n'est pas mon fils. CRISPE.         Constantin m'a produit. FAUSTE. Et je pretens par là provigner [273] ce beau fruit. CRISPE. Quoy ? priser⁎ tant le fils pour mépriser le Pere ? FAUSTE. C'est pour te plaire en tout, que je veux luy déplaire. CRISPE. Madame, avec l'honneur vous perdez la raison. FAUSTE. Les sentimens d'honneur ne sont pas de saison. J'ay caché si long-temps que je ne puis plus taire Ce que tu croy forfait⁎, et qui n'est que Mystere [274]. CRISPE. Mais les plus inhumains ont d'autres sentimens ! FAUSTE. C'est qu'ils n'ont jamais veu ces beaux lineamens [275]. CRISPE. Vous voulez m'éprouver. FAUSTE.         Voy ce cœur que tu brûles ! Il n'est que trop sincere, approche, tu recules ! CRISPE. Les Cieux peuvent-ils voir et souffrir ce dessein⁎ ! FAUSTE. Ils peuvent bien souffrir ce Tyran⁎ [276] dans mon sein⁎. CRISPE. Dieu vangeur vous entend. FAUSTE.         Les Dieux [277] sont mes exemples, Les suivant je ne peux meriter que des Temples [278]. Jupiter n'a-t'il pas pour épouse Junon [279] ? En elle femme et sœur ne font qu'un méme nom. Apres cela tu crois que je serois infame, Si Crispe me nommoit sa Marastre⁎ et sa femme, Au contraire, je croy que si c'est mon bonheur, Comme on n'en peut douter, c'est mon plus grand honneur. Enfin les animaux ont-ils quelque avantage Qu'on puisse nous ôter sans nous faire un outrage ? CRISPE. Certes vôtre sagesse est sans comparaison Puisque les animaux fondent vôtre raison ; Si vos Dieux estoient vrais, on verroit la tempeste Pour vous guerir le cœur vous écraser la teste ; Mais vous n'avez de Dieux sinon ceux qui sont faux, Et qui loin de punir approuvent vos defaux. C'est Crispe qu'à bon droit Dieu juge abominable, Ayant permis ainsi qu'il vous parût aimable⁎. Ciel ! tu m'as fait du bien pour me faire du mal, Tu me favorisois pour m'estre plus fatal ; Je vois dans cét amour que tu m'avois en haine, Puis-je rien esperer si ma grace est ma peine ? Foudroye maintenant ces deux chefs malheureux, Que ton feu maintenant vienne esteindre ces feux⁎; Oüy je suis criminel d'avoir causé sa flamme⁎, Et ce corps doit perir qui brûle ainsi son ame. FAUSTE. Croy que si mon époux me sembloit aussi beau Je ne t'aimerois pas. CRISPE.         Si suis-je son tableau. FAUSTE. Mais il est moins parfait. CRISPE.         Vostre poursuite est vaine, Cét amour ne peut rien meriter que ma haine ; Je vous dois resister si je suis si parfait, Et ma vertu ne peut approuver ce forfait⁎. FAUSTE. Prince par ces genoux que tu vois que j'adore, Modere un peu l'excés du feu⁎ qui me devore ; Ou bien si ta froideur étouffe ton amour, Sans prendre de mon feu⁎ fais moy perdre le jour. CRISPE. Demander un tel crime avec de telles larmes ! Et pour perdre l'honneur employer tant de charmes ! FAUSTE. Tu méprises mes vœux ? CRISPE.         Les peut-on estimer ? FAUSTE. Tu peux donc me haïr ? CRISPE.         Mais vous peut-on aimer ? FAUSTE. Tu t'en repentiras. CRISPE.         Jamais [280] la repentance Ne peut suivre que ceux qui commettent l'offence. FAUSTE. Si tu ne m'aimes pas garde toy [281] de perir. CRISPE. Et si vous m'aimez plus [282] gardez vous de mourir. FAUSTE. Cruel⁎ ! tu ne veux pas appointer [283] ma requeste. CRISPE. Sans doute l'Empereur la doit trouver honneste. Crispe se retire, et Fauste fait semblant de le suivre. FAUSTE *à genoux.*. Je me rends au devoir confessant que j'ay tort, Et vois que mon amour a merité ma mort. Prince pardonne moy, j'aurois eu moins de flamme⁎ Si ton corps eust semblé moins parfait à mon ame ; Je prise⁎ ta vertu si je plain mon malheur, Mon plaisir pretendu [284] fait ma vraye douleur ; Ce crime apparemment passe pour execrable, Mais trop d'affection le peut rendre excusable ; Le forfait⁎ est fort beau quand on semble pecher Pour tenir un sujet trop aimable⁎ trop cher. ### Scene III. FAUSTE *seule.*. Donc [285] l'aimant je n'ay pû meriter que sa haine ? Et je me vois en peine Pour avoir eu dessein⁎ de luy faire plaisir ? Si devant alleger il afflige⁎ mon ame, Je dois changer de flamme, Et brûler de cholere et non plus de desir. Cét ingrat [286] me prisoit moins que ma Confidente, Est-elle plus puissante [287] ? Ou bien peut-estre elle a de plus charmans appas⁎ ? Qu'il la nomme Venus aussi bien que sa Reine, Je suis leur souveraine, Et qui ne m'aime point ne me merite pas. Un rebut ! faut-il pas [288] pour cette grande offence Une grande vangeance ? Oüy, si Crispe jadis m'a fait mourir d'amour, Je veux que maintenant que je suis inhumaine Il meure par ma haine, Et que perdant ma grace il perde aussi le jour. Mais ; s'il est vertueux le punir d'un supplice [289] Qui n'est que pour [290] le vice ? Il me faut regarder⁎ que ce fascheux refus Vient de trop de respect non de manque de zele, Et que s'il m'est rebelle, C'est que m'obeïssant il se verroit confus. Cesse de l'excuser raison trop importune, Car il perd sa fortune [291] Perdant l'occasion d'un si rare bienfait, Comme devant⁎ pour luy ma flamme⁎ estoit extréme Ma haine est tout de méme, Et je pretends [292] perir ou le perdre⁎ en effet. Je te plain neantmoins, Prince jadis aimable⁎ Toujours incomparable, Si tu te recognois [293] je te veux pardonner ; Mais en cas que toujours ta rigueur persevere Je me rendray severe, La fureur et l'amour me semblant l'ordonner. Tu ne m'as donc déplû que pour plaire à ton Pere, Et tu le devois faire ; Et moy pour me vanger d'un si mortel affront [294], Je pretends que celuy qui t'a donné la vie Te l'oste par envie [295], Et tout mon deshonneur s'en ira sur ton front. ### Scene IV. Crispe, Procle PROCLE. Vous retirer, Monsieur, sans le dire à personne ? Ce projet vous rendra suspect à la Couronne. CRISPE. Je voudrois avoir fait icy moins de discours⁎, Je ne maudirois pas aujourd'huy mes amours. PROCLE. Vôtre amour n'a jamais esté que fort prospere. CRISPE. Pour l'avoir trop esté, Procle, il me desespere ; Mais, adieu, cher Amy. PROCLE.         Quoy me celez⁎ vous rien ? CRISPE. Je te cache le mal pour te dire le bien. PROCLE. C'est n'aimer qu'à demy. CRISPE.         Tu dois lire en mon ame ; Mais de te dire tout je ne le puis sans blâme. PROCLE. Vostre desir s'oppose aux vœux de l'Empereur. CRISPE. Bien loin de m'agréer sa Cour m'est en horreur. PROCLE. Fauste s'offencera, puisque son entremise [296] A fait rompre tantost une méme entreprise. CRISPE. Elle ne m'arrestoit que pour ses interests, Et pour eux, Procle, aussi, croy que je disparais. Avertis l'Empereur que son fils se retire Pour l'heur [297] de sa maison⁎, comme de son Empire. PROCLE. Donc vous me delaissez ? non, Monsieur, je vous suis, Car comme à vos douceurs j'ay part à [298] vos ennuis. CRISPE. Tu sçais que sans amy mon cœur ne sçauroit vivre. PROCLE. Ce m'est plus que mourir que de ne vous pas suivre. CRISPE. Pour rendre neantmoins ce voyage asseuré, Tu dois suivre la Cour quand je la quitteray. ### Scene V. Constantin, Artaban CONSTANTIN. Les troubles ont cessé, mais ils peuvent renaistre, Ce peuple m'est sujet, mais n'aime pas son Maistre. Il me sert par caprice, et prend la liberté De ne suivre mes loix que par sa volonté. Nonobstant [299] ses sermens il peut m'estre infidele⁎ ; Et la mort seulement convertit un rebelle. Pour dompter l'Allemagne avec tous ses mutins [300], Si mon credit⁎est vain, employons les destins. Faisons mourir tous ceux qui choquent⁎ mon Empire, Méprisant ma douceur qu'ils éprouvent mon ire, Et qu'en voyant leurs Chefs condamnez au trépas, Qu'on apprenne que c'est de ne m'obeïr pas. ARTABAN. Où la clemence est foible, il faut estre severe, Il faut que tout perisse, ou bien qu'on vous revere ; Mais regnant par amour on acquiert plus d'honneur, Le Maistre et le sujet y trouvant leur bonheur. Envoyez quelque Prince en ces lieux qu'on peut craindre, Il regira les cœurs, ou les pourra contraindre, Et sans toucher au sang qu'il vous faut épargner En se faisant bien craindre, il vous faira regner. CONSTANTIN. Cette charge [301] est pour Crispe, il doit tenir ma place Tous en doivent attendre, ou la mort, ou la grace Procle entre. ### Scene VI. Constantin, Procle, Artaban PROCLE. Grand⁎ Prince, vôtre fils vient de se retirer. CONSTANTIN. Mais contre mon dessein⁎ on l'a fait demeurer. PROCLE. C'est depuis deux momens [302]. CONSTANTIN.         Sans le dire à personne ? Leve moy les soupçons que son depart me donne. PROCLE. Il le fait, m'a-t'il dit, avec grande raison, Pour le bien de l'Estat et de vôtre Maison⁎. CONSTANTIN. Ce depart me plairoit, mais il semble une fuite, Et dans ma seureté j'en dois craindre la suite. PROCLE. Il vous est trop acquis [303] pour vous estre suspect. CONSTANTIN. Procle, s'il a du zele, il n'a point de respect. PROCLE. L'effet vous en plairoit, dit-il, sçachant la cause. CONSTANTIN. C'estoit donc son devoir d'en dire quelque chose. PROCLE. Vous le sçaurez toujours [304]. CONSTANTIN.         Mais il est à propos De bien-tost le sçavoir pour avoir du repos [305] : A-t'il rien dit à Fauste. PROCLE.         Il a craint sa poursuite, Et pour ne la pas voir il est party plus viste. Elle sçait son depart et non pas son secret, Car s'il estoit sa joye, elle a bien du regret. CONSTANTIN. Connoissant tant son cœur tu sçais toute l'affaire, Puis qu'il le faut sçavoir n'en fais pas un Mystere [306]. PROCLE. Grand⁎ Prince, je n'ay pû luy faire ouvrir le sein⁎, Il me faut comme à vous deviner son dessein⁎. CONSTANTIN. Si je vois arriver du mal de sa retraite, Je puis bien le punir et m'en prendre à sa teste ; Pour m'esclaircir du tout suis-le dés aujourd'huy, Ne viens plus à la Cour où reviens avec luy. Procle se retire. ARTABAN. On ne sçauroit jamais avoir trop d'affeurance, Et tel se voit trompé qui vit sans défiance. CONSTANTIN. Sonde si dans la Ville on a sceu son projet, Et s'il est mécontent, quel en est le sujet. ARTABAN. Je vay tout de ce pas en sçavoir des nouvelles. CONSTANTIN. Mon fils s'en iroit-il soûlever nos rebelles ? Bien loin de me defendre il s'en va m'attaquer ! Mais il est trop bien né pour me vouloir chocquer⁎. Fauste vous aviez tort d'arrester son courage ; C'est qu'aimant son époux elle aime son image ; Mais qu'ay-je à craindre enfin ? suis-je pas Empereur ? Un fils me feroit-il redouter sa fureur ? L'Imperatrice entre. ### Scene VII. *Constantin, Fauste* faisant semblant de pleurer. CONSTANTIN. D'où vient que ces beaux yeux qui font mon allegresse, De riants qu'ils estoient, sont couverts de tristesse ? FAUSTE. C'est pour vous, Monseigneur, que découlent ses pleurs, Si j'avois moins d'amour, j'aurois moins de malheurs ; Toujours dans vôtre honneur mon bonheur s'interesse, Et de le voir chocqué⁎, c'est le mal qui me blesse⁎. CONSTANTIN. Si vous le découvriez [307] je le pourrois guerir. FAUSTE. Mais vous ne pourriez pas l'entendre sans mourir, Vôtre fils, ha ! ce mot m'arreste et me fait taire. CONSTANTIN. Mon fils s'est retiré, n'est-ce pas le mystere ? Faut-il vous offencer, qu'il fasse à son plaisir, Et suivant son devoir il suive son desir. J'avois mesme dessein⁎, mais vous l'avez fait rompre, Quoy qu'il ait le cœur, la Cour l'eust pû corrompre. Dans cét illustre feu⁎ que l'on voit dans ses yeux, On reconnoit son Pere avec tous ses ayeux ; Mais estant trop aimé, comme il est trop aimable⁎, L'honneste alloit ceder son cœur à l'agreable ; Ne vous picquez donc pas s'il aime son honneur, Et faites vos plaisirs de son propre bon-heur⁎. FAUSTE. Son sejour [308] me touchoit bien plus que sa retraite, Je deplore à present qu'il ne l'ait plustost faite ; Mais, vôtre fils à par [309]t, Grand⁎ Prince, mon regret Ne se peut découvrir, ny demeurer secret. CONSTANTIN. Madame, en me parlant vous parlez à vous mesme, FAUSTE. Et je me tais, Seigneur, pource que je vous aime, Je ne puis à present vous nommer mon époux, Depuis qu'un scelerat offence un nom si doux ; Et je veux à present vous estre si fidele, Que mesme ma vertu vous semble criminelle, C'est d'un grand⁎ de la Cour que je pleure l'erreur, Non y participant, mais en ayant horreur. CONSTANTIN. Peut-on bien dans ma Cour faire de si grands crimes ? FAUSTE. Les Grands⁎ croyent par fois les rendre legitimes. CONSTANTIN. Parlez plus franchement. FAUSTE.         Grand⁎ Prince, je le veux Si vôtre sentiment est conforme à mes vœux ; Faites grace à celuy que vous sçaurez coupable. CONSTANTIN. J'y consens si son crime au moins en est capable. FAUSTE. Pour vous confesser tout, c'est bien un grand delit Que de vous offencer jusques sur vôtre lit ; On m'a sollicitée à vous estre infidele⁎, Je serois sans honneur si j'eusse esté sans zele ; Mais j'ay dit constamment nonobstant cét effort, Que je souffrirois moins cét affront que la mort, Je vous en donne avis. CONSTANTIN.         Vous m'offencez, Madame, Luy vouloir pardonner, c'est n'estre pas ma femme ; Je jure par le Dieu que je sers de nouveau, Qu'il mourra ce jourd'huy si je n'entre au tombeau ; Ha ! que c'est estre doux à des humeurs sauvages, On flatte leurs excés en flattant leurs courages ; C'est un monstre inhumain qui conçoit de ces feux⁎, Mais s'ils luy semblent doux, ils luy seront affreux : Et quiconque voudra differer son supplice, Y participera comme estant son complice. Vouloir fouler mon lit ? le lit de l'Empereur ? C'est moins un trait d'amour que d'extréme fureur ; Et ne pretend-on pas m'oster le Diadéme, Puis qu'on me veut ravir⁎ la moitié de moy-mesme ? Je cede volontiers mon thrône et mon pouvoir, Car je prise⁎ bien plus l'honneur de vous avoir. L'affaire est importante à nous comme à l'Empire, Pour oster tout le mal, Madame, il faut tout dire : Le nom, la qualité de ce grand criminel, Pour qui punir c'est peu qu'un supplice eternel ? FAUSTE. Oserez-vous l'oüir si je vous l'ose dire, Ou punir un méchant sans souffrir un martyre ? CONSTANTIN. Je sçay que la justice est aveugle en effet, Mais sans voir la personne, elle voit le forfait⁎. FAUSTE. Si l'Empire est taché de son ignominie ? CONSTANTIN. Mon Empire ne peut voir sa gloire ternie. S'il estoit de mon sang, ce que je ne croy pas, Je l'épancherois tout, je couperois mon bras. FAUSTE. C'est Crispe. CONSTANTIN.         C'est ! C'est Crispe ! O funeste⁎ nouvelle ? Cieux ? suis-je trop credule, ou m'est-elle infidele⁎ ? De ma femme aujourd'huy mon fils veut estre époux ; Que ne suis-je donc mort ? que ne l'étouffez-vous ? Un si grand criminel est exempt de supplice ? Ce Dieu qu'on croit si juste a si peu de justice ? Oüy, c'est Crispe en effet, car ce n'est pas mon fils, Ou le Ciel a puny la faute que je fis ; Quand pour produire un fils qui meritast l'Empire, J'engendray seulement un sujet à son ire. Ou plustost en voyant ces signes apparens, Je dois croire en effet qu'il est fils des Tyrans⁎ ; S'il est mien, je me vois dans quelque horrible offence, Puis qu'un monstre inhumain en a pris sa naissance. Dieux ! que vous ay-je fait ! l'ay-je doncques produit ! Enfer ouvre ton sein⁎, brûle l'arbre et le fruit. FAUSTE. Grand⁎ Prince, je ne puis supporter cét orage, Qui rend des yeux si doux approchans de la rage ; S'il est vray que ce Prince ait commis ce forfait⁎, Mon refus a puny tout le mal qu'il a fait, Comme en vôtre faveur j'aymois son avantage, Je luy parlois d'amour pour quelque mariage ; Il m'a dit là-dessus que seule il m'honoroit, Et s'il aimoit ailleurs que son cœur m'adoroit : J'ay pris pour compliment ce trait de fantaisie, Croyant dans m'a froideur qu'il fut sans frenesie, Mais il m'a répondu qu'il seroit comme vous, Et n'estant pas mon fils qu'il vouloit m'estre époux ; Mon rebut [310] échauffoit sa premiere poursuite, Et je n'ay pû sauver mon honneur qu'à la fuite. J'ay debattu long temps si je vous le dirois, Pendant que du plaisir que je vous causerois, De me voir en effet épouse legitime, Il naistroit du regret de voir d'ailleurs son crime ; Apres tout redoutant un semblable attentat, Et prisant mon honneur plus que tout vôtre Estat, J'ay creu que je devois pour n'estre pas surprise, Vous découvrir icy toute son entreprise. Je croy qu'il se repent d'un forfait⁎ plein d'horreur, Sa raison ayant moins agy que sa fureur ; S'éloignant de la Cour il s'est puny luy-mesme, Quoy qu'il vous ait fait tort, si faut-il que je l'aime ; Ne le poursuivez pas jusqu'à l'extremité, Il n'a pas fait de mal, bien qu'il l'ait souhaitté, C'est le crime d'un fils, donc punissez-le en pere, Et laissez l'impuny si vous me voulez plaire. CONSTANTIN. Vous avez trop d'amour pour ceux qu'il faut haïr, Luy puis-je pardonner s'il a pû me trahir ? Sans que ce discours⁎ vient d'un excés d'indulgence, Je vous croirois d'abord de son intelligence ; Apres un tel affront appaiser mon courroux ! D'estre rude en ce poinct c'est encore estre doux ; Tu mourras, tu mourras, traistre, fils parricide, Je te seray cruel⁎, puis que tu m'es perfide. Fin du troisième Acte. ## Argument du quatriesme Acte. ### Scene premiere. Artaban tâche de détourner Constantin de la resolution qu'il a prise de vanger l'honneur de sa femme par la mort de son fils, mais en fin la jalousie l'emporte sur l'amour de pere. ### Scene II. Artaban déplore le credit⁎ qu'il a, puis qu'il n'est dans la faveur que pour estre dans le crime. Il aime neantmoins mieux quitter la vertu que la Cour. ### Scene III. Fauste continuë à rendre odieux celuy qu'elle n'a pû faire consentir à son amour detestable, et asseure Adelaïde que Crispe ne paye son feu⁎ que de mine et de froideur. ### Scene IV. Helene mere de Constantin, vient excuser Crispe envers Fauste sur la promptitude de son depart, et la prie d'adoucir le pere pour sauver le fils, elle promet de s'y employer pour mieux tromper les uns et les autres. ### Scene V. Emile vient sonder si l'Empereur a changé de resolution, et n'en rapporte que la premiere réponse. ### Scene VI. Helene fille de l'Empereur, luy vient raconter une forme de vision qu'elle a euë sur la mort de son frere ; Constantin luy dissimule ce qui en est, avec autant de regret que de constance. ### Scene VII. Il a de la haïne et de l'amour pour son fils innocent, qu'il croit neantmoins coupable. ### Scene VIII. Fauste vient interceder pour Crispe, avec Helene mere de l'Empereur, et en defendant l'innocence couvre mieux sa malice. ### Scene IX. Procle ayant veu mourir son amy, se resout de ne plus vivre, que pour en porter les nouvelles à sa Maistresse, et vanger une si injuste mort. ### Scene X. Il annonce cette funeste⁎ avanture [311] par un silence affecté. ## ACTE IV. ### Scene premiere. Constantin, Artaban CONSTANTIN. Artaban, c'est conclu, mais puis qu'il doit mourir, Quels moyens prendrons-nous pour le faire perir ? ARTABAN. Grand⁎ Prince, il ne faut pas avancer [312] la vangeance, Souvent elle ne suit que de trop prés l'offence. CONSTANTIN. Peut-on sans faire un crime excuser ce forfait⁎ ? ARTABAN. Non ; mais il faut devant⁎ s'informer bien du fait. CONSTANTIN. Puis-je douter jamais de la foy⁎ de ma femme ? ARTABAN. Croyez-vous qu'un bon fils ait une mauvaise ame ! CONSTANTIN. S'il n'a pas fait de mal le peut-elle accuser ? ARTABAN. Combien qu'elle l'accuse, il se peut excuser. CONSTANTIN. Je ne le veux pas voir. ARTABAN.         De punir un coupable Sans l'oüir, ce n'est pas estre Juge équitable. CONSTANTIN. L'oüir ! je ne veux plus le voir qu'il ne soit mort [313]. ARTABAN. Mais le pouvez vous voir mourir si c'est à tort. CONSTANTIN. A tort ! ayant voulu soüiller ainsi ma couche ? ARTABAN. Pour le sçavoir il faut l'entendre de sa bouche. CONSTANTIN. Pourroit-il avoüer devant moy ce forfait⁎ ? ARTABAN. Peut-il avoir esté si coupable en effet ! CONSTANTIN. Fauste l'a trop aimé pour le rendre coupable ? ARTABAN. Les marastres⁎ toujours ont le cœur variable. CONSTANTIN. Son depart prouve assez qu'il se croit criminel. ARTABAN. Son sejour a monstré qu'il ne peut estre tel. CONSTANTIN. Tu t'entens [314] avec luy. ARTABAN.         Je defends l'innocence. CONSTANTIN. Il est donc innocent ? ARTABAN.         Pour le moins [315] je le pense. CONSTANTIN. Quels [316] seront les meschans [317], si de fouler mon lit C'est un trait d'innocence et non pas un delit ! ARTABAN. Je l'appelle innocent, pource que [318] la justice Ne l'a pas jusqu'icy convaincu d'aucun vice. CONSTANTIN. Et j'entens, Artaban, que sans autre respect Il soit bien-tost puny, pource qu'il m'est suspect. ARTABAN. Quand il auroit failly, sa faute est pardonnable, Un crime sans effet est toujours reparable. CONSTANTIN. C'est un mal que sa mort peut seulement guerir ; ARTABAN. Si vous estes son pere il ne doit pas perir : CONSTANTIN. S'il ne vit pas en fils, pourquoy vivrois-je en pere ? ARTABAN. Il vous peut agréer s'il vous a pû deplaire. CONSTANTIN. Pour me plaire, Artaban, il me faut contenter ; Or mon plaisir sera de le voir tourmenter. ARTABAN. C'est la raison qui parle ; écoutez la nature, Vous voulez dans ce fils vous mettre à la torture ; Et puis son deshonneur rejaillira sur vous. CONSTANTIN. Pourveu qu'il souffre bien tous ses maux me sont doux, Je n'ay jamais produit un fils si detestable ; S'il estoit mon image, il me seroit semblable ; Ainsi le deshonneur ne peut estre qu'à luy. ARTABAN. Mais enfin s'il perit, vous perdez vôtre apuy ; Vous vous perdez vous mesme en le pensant détruire ; Et vous en prenez moins à Crispe qu'à l'Empire. CONSTANTIN. Tu nommes mon apuy qui me veut renverser ? Qui ne voit mes plaisirs que pour les traverser [319] ? Il est meilleur pour moy de voir punir ma race [320], Que si dedans mon lit un fils prenoit ma place ; Et j'ayme beaucoup mieux détruire mon Estat, Que de le laisser vivre apres cét attentat ; Ce n'est rien de regner si l'on regne sans gloire, Et qu'on dure long temps pour flétrir sa memoire. ARTABAN. Ce coup⁎ diffamera par tout vôtre maison⁎. CONSTANTIN. Mais on dira par tout que je suy la raison. ARTABAN. Les attraits d'un beau-fils nuiront à vôtre femme. CONSTANTIN. Luy seul courant danger encourra tout le blâme. ARTABAN. S'il est le seul coupable, on ne le croira pas. CONSTANTIN. Il faudra bien le croire ayant veu son trépas. Ce discours⁎ semble trop retarder son supplice ; Si tu ne le poursuis je te croiray complice. ARTABAN. Ce mot encore, Sire, on se peut repentir. CONSTANTIN. Non pas de m'avoir plû, mais de me repartir. Je t'ay dit mon secret, sois moy doncques fidelle, Et montre toy plustost trop zelé que rebelle. ### Scene II. ARTABAN *seul.*. Quel credit⁎ qui n'est bon que pour faire du mal ? Et m'est avantageux pour m'estre plus fatal ! Je pers la probité si Crispe perd la vie, Et s'il vit, je subis ou la haïne, ou l'enuie ; Toutefois il vaut mieux perir, Que de perdre d'un coup [321] doublement l'innocence, Et si le Prince doit mourir Il faut que par sa mort le subjet le devance. Mais d'ailleurs je ne puis que me desesperer ; Car ma mort du trépas ne le peut delivrer, Et de causer deux morts n'en devant causer qu'une ; C'est vouloir l'obliger⁎ par un autre infortune ; Luy seul donc souffrira la mort, Mon mal ne luy pouvant estre que dommageable ; Et combien qu'il n'ait point de tort, Les Grands⁎ n'en trouvant point peuvent faire un coupable. Cher Prince, excuse moy si tu meurs de poison, C'est contre mon desir comme contre raison, Mais si tu dois perir veux-tu que je perisse ? Oüy, je desirerois recevoir ton supplice ; Mais si ton pere ne veut pas Que d'autre que son fils de ton mal se ressente ; Et s'il ordonne ton trépas, Ma main obéïssant mon ame est innocente. ### Scene III. Fauste, Adelaïde FAUSTE. Il est vray qu'il a tort de s'éloigner ainsi, S'il en a du plaisir j'en ay bien du soucy. En cas qu'on me l'eust dit, j'eusse empesché sa fuite, Mais il s'en est allé sans témoins et sans suite, Qui le gagne le perd, je l'obligeois⁎ assez, Son cœur reconnoit mal tant de bienfaits passez ; Au reste à ton amour il est impenetrable [322], Et l'aimant tu ne peux qu'estre fort miserable. Comme je luy parlois d'agréer ton ardeur, Il ne m'a témoigné que beaucoup de froideur ; Et pour t'oster enfin tout sujet d'esperance, Ayant sceu ton dessein⁎ il sort de ta presence. ADELAÏDE. Justes Cieux ! pôuvez-vous brûler ainsi mon cœur, Si moy n'estant qu'amour, Crispe n'est que rigueur ? FAUSTE. Croyrois-tu qu'il rejette un amour legitime, Pour en aimer ailleurs une autre dans le crime ? Il poursuit une Dame inégale à son rang, Et qu'il ne peut cherir qu'il ne choque⁎ le sang ; Cette nouvelle donc qui n'est que trop certaine, Te doit laisser pour luy moins d'amour que de haïne. ADELAÏDE. Ah ! qu'elle a de bonheur, quoy qu'il soit defendu. FAUSTE. Soit-il bonheur ou non, c'est ce qui l'a perdu. ADELAÏDE. Perdu ! vous devinez quelque étrange infortune : Le nom de cette Dame. FAUSTE.         Ah ! ce mot m'importune, Comme il ne peut l'aimer que par un grand forfait⁎, Je ne puis t'en parler que dans un mesme effet ; Tu l'apprendras pourtant plustost que tu ne penses, Et perdras tous tes vœux perdant tes esperances. Helene entre. ### Scene IV. *Fauste, Helene* mere de l'Empereur. HELENE. Crispe s'est mal conduit en partant de ce lieu, Sans nous en avertir, et sans vous dire adieu ; La prudence n'est pas vertu de la jeunesse, Sa promptitude agit plustost que son adresse, Madame, s'il vous semble estre peu circonspect [323], Que son depart pourtant ne vous soit plus suspect ; Je sçay qu'il vous cherit autant qu'il vous honore, Et pour vous seulement la Cour luy plaist encore. FAUSTE. Sa presence m'estant un agreable objet, Son absence m'afflige⁎ à tres-juste sujet ; Ne croyez pas pourtant que son depart m'offence, Son plaisir m'est encor plus cher que sa presence ; C'est plustost l'Empereur qui s'en est irrité, Et nomme trahison une legereté. Comme j'ayme ce Prince en quel lieu [324] qu'il puisse estre, Jusqu'au poinct que luy seul a pû le reconnaistre. J'ay tâché par douceur d'appaiser son courroux, Mais je l'aigrissois plus le voulant rendre doux ; S'il ne revient bien-tost, je crain pour sa personne ; Prenez en bonne part, lavis que je vous donne. HELENE. Ce Prince est trop bien né pour couver dans le sein⁎, Parmy tant de bonté quelque mauvais dessein⁎; Je n'ay pas pû sçavoir ce qui peut luy deplaire, Mais il estoit en peine aussi bien qu'en colere. FAUSTE. Je ne vois pas au moins qu'on l'ait desobligé. HELENE. C'est de trop de plaisir qu'il est donc affligé⁎. FAUSTE. J'estime apres avoir bien pesé cette affaire, Que pour sauver le fils, il faut gagner le pere. HELENE. Aydez-nous donc, Madame, à sauver un sujet Dont les respects vous ont toujours eu pour objet. FAUSTE. Quoy qu'en se retirant il m'ait bien affligée⁎, Au poinct que j'attendois d'en estre soulagée ; Je veux l'aider, Madame, et tiens à grand bienfait De pouvoir l'obligeant⁎ vous servir en effet. HELENE. Ainsi vôtre clemence à nulle autre seconde, Gagnant un seul sujet gagnera tout le monde. ### Scene V. Constantin, Emile CONSTANTIN. Artaban tarde trop à faire un si bon coup⁎, Qui me doit affliger⁎ et réjoüir beaucoup. EMILE. Il m'a dit que dé-ja l'affaire est avancée, Et qu'il peut l'achever comme elle est commencée ; Selon que vous voudrez, ou la vie, ou la mort. CONSTANTIN. Les dés sont trop avant pour faire un autre sort⁎. Emile se retire. Je me coupe le bras, mais un bras qui m'est traistre, Qui m'est rival au lit, veut estre ailleurs mon Maistre ; Je me crain neantmoins que Crispe s'en doutant, Tournera contre nous les pieges qu'on luy tend ? Un Grand⁎ ne doit rien craindre ; Artaban m'est fidelle, Et Dieu hait comme moy cette ame criminelle. Helene entre. ### Scene VI. Constantin, Helene sa fille. HELENE. Seigneur, à qui je dois et l'honneur et le jour, Et qui joignez si bien la grandeur à l'amour ; Ne vous estonnez pas si parmy [325] vôtre joye, Vous voyez maintenant qu'en [326] mes pleurs je me noye. CONSTANTIN. J'approuve tes sanglots, sçachant que ta douleur Prend sa source d'amour, non de quelque malheur, Tu regrettes ton frere, et tu blâmes sa retraite, HELENE. Je crain quelque accident qui luy pend sur la teste. CONSTANTIN. Quel malheur ? de quel lieu luy pourroit-il venir ? HELENE. Le present luy rit bien, mais je crain l'avenir. CONSTANTIN. Ma fille, as-tu bien sceu le mal qu'on luy veut faire ? HELENE. Non ; mais le cœur me dit qu'on m'en fait un mystere. CONSTANTIN. Comment ? HELENE.         Mon frere, helas, estant party d'icy, J'ay cherché du repos pour charmer mon soucy ; Lors il m'a semblé voir Minervine ma mere, Qui m'a dit ; tu ne dois jamais plus voir ton frere, Un cœur qui l'adoroit recherchera sa mort, Pour avoir trop bien fait, il aura tout le tort. Sortant de ce repos je me trouve à la géne, Crispe estoit tant aimé, qui peut l'avoir en haine ? Vous l'avez estimé moins encor que chery, Fauste en faisoit son Dieu comme son favory ; S'il meurt donc ce sera par la main d'un barbare⁎ ; Mais il conserveroit une vie si rare, Et quelque fier qu'il soit, s'il n'est plus qu'inhumain, Mon frere est trop charmant pour mourir de sa main. J'adoucissois ainsi ma premiere tristesse Mais plus je l'affoiblis, et plus elle me presse, M'avertissant fort bien qu'il faut moins s'asseurer Lors que la seureté semble tousjours durer, J'ay crû que je devois en avertir un pere, Qui cherissant la sœur doit plus cherir le frere : Détournez, Monseigneur, un si malheureux sort⁎ ; Crispe ne peut mourir qu'on ne vous mette à mort, Vous perdrez avec luy l'heritier de l'Empire, Vôtre mere et sa sœur vont perir s'il expire ; Fauste qui ne vivoit qu'en voyant ses apas, Ne pourra le voir mort sans souffrir le trépas. CONSTANTIN. Je l'aimois plus que tous ; s'il meurt à cette heure ; Ma fille, ne crains pas que de long temps il meure, Il est vray que j'avois quelque aigreur contre luy, Mais il m'a plainement satisfait ce jourd'huy. J'ay pour luy de l'amour, si j'estois en colere, Et Crispe desormais ne me sçauroit déplaire. HELENE. Je m'en vay publier⁎ ma joye et son bonheur, En dépit de l'enuie il vivra dans l'honneur. ### Scene VII. CONSTANTIN *seul.*. Qui peut trahir son cœur ? j'ay pour luy de la haine, Mais j'ay bien de la peine A soûtenir d'ailleurs les assauts de l'amour ; Sans perir je ne puis perdre ainsi mon image, Et si Crispe m'outrage Il me semble pourtant estre digne du jour. Je voudrois qu'Artaban eut une autre ordonnance Pour user de clemence ; Ou je seray Tyran⁎ si j'estois Empereur ! Mon fils m'ayant haï pour cherir mes delices⁎, Peut-on voir des supplices Qui ne semblent trop doux pour punir sa fureur ? Pauvre sœur je te plains, et connois⁎ que ta mere T'avertit du mystere ; Mais pesant bien aussi l'horreur de son forfait⁎, Elle ne juge pas qu'il puisse estre excusable, Ny son époux blâmable, Si comme il l'a produit il le perd en effet. Crispe, je sens pourtant que songeant à ta peine Mon ame est à la géne ; Ah ! qu'il est bon pour moy que tu souffres du mal, Sans que ton Juge soit témoin de ta souffrance, Car mesme en ton absence Je sens que ton destin me doit estre fatal. Pour conserver pourtant les droits de la justice, Il faut que tout perisse. Fauste et Helene entrent. ### Scene VIII. Constantin, Fauste, Helene mere de l'Empereur. FAUSTE. Si vôtre fils, grand⁎ Prince, a failly contre vous, Soyez pere envers luy si vous m'estes époux ; J'aime mieux son salut que voir vôtre vengeance, Et s'il est affligé⁎ je suis sans allegeance ; HELENE. Un Prince qui ravit les cœurs comme les yeux, Ne vit pas dans la Cour long temps sans envieux ; Il n'est point de vertu que l'on ne calomnie, Ce qu'on peut asseurer contre luy, je le nie ; Et crois asseurément que son plus grand forfait⁎, C'est d'estre trop aimable⁎ et d'avoir trop bien fait. FAUSTE. Et quoy qu'il ait peché, vous estes tousjours pere, Que l'amour envers luy vainque vôtre colere ; En fin pour m'obliger⁎ d'un bienfait eternel, Donnez à mes desirs ce noble Criminel. CONSTANTIN. Il n'aura plus de mal. FAUSTE.         O clemence infinie, Qui doit punir l'offence, et la laisse impunie ! ### Scene IX. PROCLE *seul, estant de retour du lieu où Crispe est mort.*. Quel de ces deux malheurs, Procle, dois-tu choisir ! Voyant ton amy mort tu ne sçaurois plus vivre ; D'ailleurs ne vivre pas, c'est contre le desir De celuy qui mourant t'empescha de le suivre ; Crispe ne voulut point quand il souffrit la mort Que j'eusse ma part de sa peine, Je veux doncques faire un effort Pour n'avoir pas ma vie en haine. Mais las ! Crispe estant mort quel plaisir puis-je avoir ? Comme je l'ay perdu, je perdray mon Helene, Et je vis neantmoins seulement pour la voir, Et d'abord⁎ la voyant je la dois mettre en peine ; Ne vaut-il donc pas mieux que je meure à l'instant Pour la garantir d'un supplice, Que si pour estre trop constant Je la tuois par un service ? Toutefois de perir sans luy conter la mort De celuy qui m'en fit une expresse ordonnance, Ce seroit sans sujet me mettre dans le tort, Et tromper mon amour comme son esperance : Il faut donc maintenant que je l'aille trouver Pour l'affliger⁎ quoy que je l'aime, Et puis je pretens achever Mon malheur avec elle mesme. Mais helas ! que je crains que mes premiers propos Ne l'obligent soudain à perdre la parole ! Ne vaudroit-il pas mieux la laisser en repos, Que de l'aller blesser⁎ [327] par un discours⁎ frivole ? Il faut dissimuler un si cruel⁎ trespas ; Pour insensiblement le dire, Et que Procle n'agissant pas, Elle se cause son martyre. ### Scene X. *Helene*fille de l'Empereur. *Procle.Hycarie*suivante. HELENE. Procle m'estoit connu, mais je le méconnoy, Ses joyes sont ailleurs, et ses pleurs sont pour moy. PROCLE. Si Procle est affligé⁎, vous causez sa tristesse. HELENE. Si [328] faisois-je devant⁎ toute son allegresse. PROCLE. Mais depuis quelque temps le sort⁎ est bien changé. HELENE. A quelque autre party, Procle, s'est-il rangé ! PROCLE. Je suis trop honoré de vous faire service, Mais vôtre frere et vous m'estes un grand supplice. HELENE. Crispe que t'a-t'il fait ? PROCLE.         Ne m'en demandez rien. HELENE. Qui peut avoir rompu cét intime lien [329] ? Vous n'aviez en deux corps qu'un seul cœur, et qu'une ame ? PROCLE. Pour bon amy qu'il fust, il est du tout sans flamme [330]. HELENE. Quelque grand accident vous a donc separez. CRISPE. Et nous separera lors que vous le sçaurez, Car je pretens [331] mourir. HELENE.         Mais que fait-il encore ? PROCLE. Il ne vous aime plus, personne ne l'honore. HELENE. Je sçay bien que mon cœur ne l'a pas offencé ; Si mon pere s'aigrit son courroux est passé. PROCLE. Il ne vous sçauroit voir. HELENE.         Et moy je passionne, De voir Crispe plustost que toute autre personne. PROCLE. Vous ne le verrez plus qu'avecque déplaisir⁎. HELENE. Quelque mal que j'attende, au moins j'ay ce desir. PROCLE. Je ne puis en parler qu'avecque violence, Et vous le pourriez voir dedans la complaisance ? Il ne peut retourner ny s'en ressouvenir, Il faudroit le porter pour le faire venir. HELENE. Je croy qu'il est blessé. PROCLE.         Son corps est sans blessure, Crispe n'a point de mal, c'est Procle qui l'endure. HYCARIE [332]. Il s'en est fuy peut estre ? PROCLE.         Il est allé bien loin. HELENE. Tu montres que ton cœur en eust bien peu de soin⁎. PROCLE. Peu de soin⁎; ha ! Dieu sçait si mon cœur le deplore. HELENE. Fais-moy donc tout sçavoir, tu sçais que je t'adore. PROCLE. Enfin Crispe. HELENE.     Poursuis. PROCLE.         Il me faudroit mourir. HELENE. Si je te fais du mal, je puis bien t'en guerir. PROCLE. Crispe, Madame ; il faut encore des larmes, Crispe n'a plus icy de grandeurs ny de charmes. Vous lirez maintenant le reste dans mes yeux, Qui sans autre discours⁎ vous en parleront mieux. HELENE. Je prevois un malheur à voir ta contenance, Et mon songe sans doute, aura trop de creance, Procle, mon frere est mort ? PROCLE.         Vous mesme l'avez dit, Car pour vous l'annoncer j'estois trop interdit. HELENE. Crispe mon frere est mort, ce beau corps est sans ame ! Dieux ! il me faut perir, c'est trop peu que je pâme ; Nous nâquimes tous deux à mesme poinct de temps, De mourir avec luy, c'est le bien⁎ que j'attens. PROCLE. Il me faut soûtenir cette belle Princesse, Accablé que je suis du regret qui me presse. HYCARIE. Ceux qui sont les plus grands⁎, ont les plus grands malheurs, Et s'ils ont des plaisirs, ils ont plus de douleurs. PROCLE. Madame, vous mourez, au contraire il faut vivre, Car Crispe vous defend comme à moy de le suivre. HYCARIE. Vôtre decés n'est pas pour le resusciter, Et si c'est un Grand⁎ mort, il le faut regretter. Qu'il est vray que l'amour de deux n'en fait qu'un mesme ? Quoy que Crispe soit mort, je croy qu'il est moins blesme. HELENE *se relevant.*. Ton cœur me le celoit me pensant obliger⁎ ? PROCLE. Je differois tousjours à vous tant affliger⁎. HELENE. Affliger⁎; c'en est fait, Helene n'a de vie Que pour voir dans ce jour qu'elle luy soit ravie⁎. Et comment est-il mort ? PROCLE.         Par l'effet du poison. HELENE. Il n'eust sceu redouter que quelque trahison. Que dira l'Empereur, mais que dira sa femme ? Sont-ils pas pour mourir si l'autre a rendu l'ame ? Helene aussi ma mere ; ha ! ce seul souvenir M'empesche de parler et de me soûtenir. Fin du quatriesme Acte. ## Argument du cinquiesme Acte. ### Scene premiere. Fauste semble s'affliger⁎ avec Helene mere de son mary, sur le sujet de la mort de Crispe, et neantmoins s'en réjoüit en effet. ### Scene II. La conscience pourtant l'oblige à regretter celuy qu'elle haïssoit, et à le justifier en s'accusant elle mesme. ### Scene III. Elle dissimule cependant à sa confidente, le vray sujet de ses transports⁎. ### Scene IV. Artaban rendant conte de sa commission, semble s'en repentir quand son maistre en est bien content. ### Scene V. Helene mere de l'Empereur, vient se plaindre à luy d'une mort dont il est le seul autheur ; il accuse son fils au lieu de s'en affliger⁎. ### Scene VI. Il suspend son jugement entre l'incertitude et la verité, ne pouvant croire ce qu'il voit quand Fauste vient descharger⁎ Crispe, en se chargeant⁎ volontairement du crime qu'elle luy avoit imposé. ### Scene VII. Helene sa fille augmente sa colere contre sa femme, demandant le corps de son frere, et la vengeance de sa mort, ce qu'il ne peut refuser, c'est pourquoy il condamne la criminelle qui avoit fait condamner l'innocent. ### Scene VIII. Procle cause presque trois morts differentes, en racontant la mort de Crispe aux Princesses Helene et Adelaïde. ### Scene IX. Helene mere de l'Empereur, qui suivant la raison demandoit vengeance contre Fauste, suivant la pitié vient requerir sa grace. Mais on porte la nouvelle de la mort de cette Megere⁎, quand l'autre demandoit la vie pour elle. ## ACTE V. ### Scene premiere. *Fauste, Helene* mere de l'Empereur. FAUSTE. Oui, Madame, sa mort me semble déplorable, Mais sa faute autrement sembloit irreparable. HELENE. Madame, en l'offençant vous m'offencez aussi, L'excusiez-vous devant⁎ pour l'accuser ainsi ? FAUSTE. Mon cœur parle bien moins que l'interest du pere. HELENE. Croyez qu'il n'en a point, Madame, en cette affaire. FAUSTE. Quoy qu'il en soit, Madame, au moins son fils est mort. HELENE. Cela n'est que trop vray, mais c'est toujours à tort. FAUSTE. L'Empereur se craignoit de quelque intelligence ; Il l'étouffe avec luy, c'est un trait de prudence. HELENE. L'Empereur n'ayant point minuté ce forfait⁎, L'on ne peut sans peché le charger [333] de l'effet. FAUSTE. Si ne s'émeut-il pas de voir Crispe sans vie. HELENE. Si verrez-vous pourtant sa mort bien poursuivie : Et le Ciel est menteur s'il ne met pas à mort Ceux qui firent mourir sa joye et mon support. FAUSTE. Je voudrois de ma part aider à la vengeance, Et mes douleurs pourroient trouver de l'allegeance ; Mais je n'ay pas le cœur. HELENE.         De vanger l'Innocent ? FAUSTE. Celuy qui veut couvrir un forfait⁎, y consent. HELENE. Vôtre cœur n'a donc plus pour luy que de la haïne ? FAUSTE. Trop d'amour envers luy m'a failly mettre en peine. Puis qu'il pretendoit estre autant que l'Empereur, Quel cœur pourroit aimer cét excés de fureur ? Madame, avec raison je regrette sa perte, Mais ne l'excusez point sa faute est découverte ; Et puis il ne faut pas en matiere d'Estat, Employer son credit⁎ pour un tel attentat. HELENE. Il n'est plus d'innocent si mon fils est coupable, Fauste, Helene, en un mot, chacun est execrable. Cher Prince tu peux voir si tu devois cherir Ces yeux qui sans pleurer t'ont regardé perir ! Mais son sang neantmoins vous fera voir, Madame, Que du forfait⁎ qu'on dit, quelque autre en a le blâme. Helene se retire. ### Scene II. FAUSTE *seule.*. Donc le sang de ce mort m'apprendra mon devoir ? Invisible qu'il est, il me semble le voir, Qui me dit par reproche ; ha ! marastre⁎ infidelle, Tu ne seras plus mere estant si criminelle ; Je vois encor briller ses yeux, Combien que le trespas les ait rendus fort sombres, Et qui semblent blâmer les Cieux, De me pouvoir souffrir ailleurs qu'entre les ombres. Pardonne-moy, cher Crispe, au moins apres ta mort Mon amour immortel me fait voir que j'ay tort ; Je devois [334] moins t'aimer ou t'estre moins severe, Et ne te perdre⁎ pas, si tu m'avois peu plaire ; Ta vertu causa tes tourmens, Et dans tout son bonheur, Fauste fut malheureuse, T'ostant tous les contentemens Afin de contenter sa fureur [335] amoureuse. Si j'ay causé sa mort ne dois-je pas mourir ? Et le puis-je survivre ayant pû le cherir ? L'Innocent a souffert le supplice du crime, Mais je dois l'endurant le rendre legitime ; Et je ne sçaurois plus rien voir, Ayant eu tant d'amour ensemble et tant de haine, Et tout le monde doit sçavoir Que si j'ay fait le mal, j'en porte bien la peine. Mourons donc maintenant puis que c'est la raison, Vangeons par le poignard ce qu'a fait le poison, Allons jusqu'aux Enfers satisfaire à son ombre, Les Furies [336] y sont, et je seray du nombre ; Que peuvent-elles avoir fait Qui ne semble estre doux l'opposant à ma rage ? Et peut-on commettre un forfait⁎, Qui prés du mien ne soit plustost vertu qu'outrage. Mais ne devant plus vivre, il ne faut pas mourir, Le mal subsiste encor, et je le dois guerir ; Comme j'ay cy-devant⁎ chargé [337] son innocence, Je la dois décharger⁎ suivant ma conscience ; Crispe, je m'en vay t'excuser, Et par mesme moyen me rendre inexcusable ! Mon époux, j'ay pû t'abuser, Tu ne peux doncques pas m'estre qu'impitoyable ? Adelaïde entre. ### Scene III. Fauste, Adelaïde ADELAÏDE. Vos regrets maintenant ont un plus grand effort, Vous ressentez du mal d'ailleurs que de la mort. FAUSTE. Je ne m'en émeu pas ayant sceu la nouvelle, Me doutant que ce fust quelque bruit infidele⁎ ; Maintenant que je voy la verité du fait Je ne puis plus me feindre⁎. ADELAÏDE.         On le voit en effet. A quoy visent pourtant ces pleurs et ce courage ? Ce sont moins des regrets que des transports⁎ de rage ? FAUSTE. Il faut suivre mon Crispe, et mourir comme luy. ADELAÏDE. C'est vouloir doublement le meurtrir aujourd'huy : Puis que vous ne faisiez avec luy qu'un cœur mesme ? FAUSTE. Mon decés fera voir qu'encore mort je l'aime. ADELAÏDE. Il faut vivre et vanger cét enorme forfait⁎. FAUSTE. Je m'en vay découvrir l'unique autheur du fait. ### Scene V. Constantin, Artaban CONSTANTIN. L'affaire a reüssi suivant mon esperance. ARTABAN. Si crains-je bien l'effet d'une telle ordonnance. CONSTANTIN. Un Empereur ne peut craindre d'autre pouvoir. ARTABAN. Je dois craindre toujours de choquer⁎ mon devoir. CONSTANTIN. N'est-ce pas ton devoir de rendre obeïssance [338] A celuy qui peut tout. ARTABAN.         Hors de ma conscience. CONSTANTIN. La conscience veut qu'on suive la raison. ARTABAN. La raison defendoit de donner ce poison. CONSTANTIN. Mon fils devoit souffrir pour me tirer de peine. ARTABAN. L'innocent devoit-il estre mis à la géne ? CONSTANTIN. L'innocent, prevenu d'un horrible forfait⁎ ? ARTABAN. S'il vous parust coupable, il fut chaste en effet. CONSTANTIN. Tu l'excuses encor avec ton eloquence ! ARTABAN. Je parle moins pour luy que sa propre innocence. CONSTANTIN. Tu pretens m'irriter m'en discourant [339] ainsi. ARTABAN. Ceux qui l'ont veu mourir vous le diront aussi. CONSTANTIN. Sa mort devoit toujours ressembler à sa vie. ARTABAN. Il est mort dans l'honneur, s'il est mort par envie. CONSTANTIN. Il est mort dans l'honneur m'ayant fait cét affront ? ARTABAN. L'innocence toujours a paru sur son front. CONSTANTIN. L'impudence par fois prend le nom d'innocence. ARTABAN. Jamais tant de douceur ne viendroit d'impudence. Il a toujours nié ce crime. CONSTANTIN.         On l'a prouvé. ARTABAN. Mais vous ne voyez pas s'il n'est que controuvé [340]. CONSTANTIN. L'accusateur est grand⁎. ARTABAN.         Et fait un grand coupable. CONSTANTIN. Fauste estoit hors de blâme. ARTABAN.         Et l'autre irreprochable. CONSTANTIN. Si Dieu l'eust veu sans crime, eust-il permis sa mort ? ARTABAN. Les Dieux permettent bien qu'on leur face du tort ? CONSTANTIN. Qu'a-t'-il dit en mourant ? ARTABAN.         Qu'il n'estoit pas coupable D'une horreur dont un Monstre à peine estoit capable. CONSTANTIN. Il devoit ainsi dire au lieu de s'en aller. ARTABAN. La Cour reconnoistra qu'il le devoit celer⁎. CONSTANTIN. Cependant il est mort sans qu'on le reconnaisse [341]. ARTABAN. Le Soleil a ses rais sans qu'il nous apparaisse. CONSTANTIN. Mais il ne tarde pas à luire dans les Cieux. ARTABAN. Et possible ce mort dessillera vos yeux. CONSTANTIN. Qu'il dessille les siens qui n'ont plus de lumiere ? Je cede neantmoins à ma flamme⁎ premiere ; J'aime encore mon fils, et bien qu'il m'ait picqué, J'ay du regret pour luy de ce qu'il m'a choqué⁎ ; Je pleure pour sa mort combien qu'elle soit juste, Et mesme criminel, Crispe me semble auguste ; Resistons neantmoins à ces lasches douleurs, La justice est sans yeux, qu'elle soit donc sans pleurs. Helene entre. ### Scene V. Constantin, Helene sa mere. HELENE. Et vous vivez encor, le Prince estant sans ame ? CONSTANTIN. Qu'ay-je fait pour mourir qui soit digne de blâme ? HELENE. Qu'avoit fait vôtre fils ? CONSTANTIN.         Il avoit bien du tort, Puis que son pere mesme a procuré [342] sa mort. HELENE. Quel tort pouvoit avoir un fils plein d'innocence ? CONSTANTIN. De l'appeler ainsi, c'est doubler son offence. HELENE. Et quelle est cette offence ? CONSTANTIN.         Elle est noire à ce poinct, Que son enormité fait qu'on n'en parle point. HELENE. Vôtre cœur peut-il rien celer⁎ à vôtre mere ? CONSTANTIN. Ce fils ne tenoit plus Constantin pour son pere. HELENE. Il vous honoroit tant. CONSTANTIN.         Oüy pour me mépriser. HELENE. Il estoit tout [343] à Fauste. CONSTANTIN.         Oüy pour la courtiser. HELENE. Pouvez-vous accuser une si pure flamme⁎ ? CONSTANTIN. L'innocent souhaittoit d'estre époux de ma femme. HELENE. Quels en sont les témoins ? CONSTANTIN.         Ceux qui le sçavent bien. Et qui por l'excuser n'en disent pourtant rien. HELENE. Fauste ne dira pas que Crispe soit coupable. CONSTANTIN. Ny qu'un si prompt depart ne le rende blâmable. HELENE. Les objets le cherchoient, il en trouvoit ailleurs. CONSTANTIN. Il n'en rencontroit pas peut estre de meilleurs. HELENE. Pour voir de grands malheurs ne cherchons pas les Fables, On peut trouver icy des Phedres veritables. CONSTANTIN. Possible on l'a chargé des attentats d'autruy, Quel autre eut osé faire un tel crime que luy ? HELENE. Fauste dans son amour pour se tirer de peine, A fait voir à ce coup⁎ sa prudence et sa haine ; Je voy bien que son zele estoit pernicieux, Elle le cherissoit pour le rendre odieux. CONSTANTIN. Il ne faut pas blamer ma femme en ma presence. HELENE. Fauste aussi n'y doit pas accuser l'innocence. Fauste entre. ### Scene VI. Constantin, Fauste, Artaban, Helene mere. FAUSTE. Je demande justice, et pour vous et pour moy. CONSTANTIN. Devant⁎ qu'en voir l'effet il faut sçavoir pourquoy. FAUSTE. Il faut icy vanger la mort de l'innocence. CONSTANTIN. Il n'est mort d'aujourd'huy qu'un Monstre d'impudence ! FAUSTE. Apres que Crispe est mort il faut faire perir Cét esprit qui l'aimoit pour le faire mourir. CONSTANTIN. Il faut s'en prendre à moy. FAUSTE.         Vous estes excusable, S'il est mort innocent, c'est moy qui suis coupable. C'est moy qui l'accusay du crime que je fis, Voulant un autre époux, je vous ostay ce fils. CONSTANTIN. Rappellez vos esprits ; une forte pensée De la mort de mon fils l'a renduë insensée. FAUSTE. Non, je n'ay pas perdu l'usage de raison, Mais j'ay perdant ce fils perdu vôtre maison⁎. CONSTANTIN. Vos discours⁎ en deux temps n'ont pas de ressemblance. FAUSTE. Je dis la verité n'ayant plus d'impudence. Je le sollicitay, mais il me resista, Et l'amour me quittant la fureur m'emporta. Lors je vins l'accuser pour colorer mon crime, Croyant qu'estant couvert⁎ il seroit legitime ; J'ay fait ce que j'ay pû pour cacher mes excés, Mais je meurs mille fois ayant sceu son decés. Il m'oste le repos aussi bien que la vie, De jour comme de nuit je m'en vois poursuivie. Ne l'apperçoit-on pas qui d'un regard affreux, Vient m'arracher le cœur et me pocher les yeux ? S'il n'estoit que douceur, il n'est plus que vengeance, Aussi ne suis-je plus un objet de clemence : Acheve donc, cher Prince ; hé ! tu ne le veux pas, Mais pour mieux me punir retardes mon trépas ! CONSTANTIN. O Manie [344] ! ARTABAN.     O fureur ! FAUSTE.         Si Crispe est debonnaire [345], Il me faut irriter la fureur de son Pere, Elle s'adresse à Constantin. j'ay mis ton fils à mort, fais moy doncques mourir, L'innocent n'estant plus, ne dois-je pas perir ? CONSTANTIN. Comme elle aimoit mon fils elle le pretend suivre, Et pour le suivre ailleurs, elle ne veut plus vivre : C'est pourquoy n'ayant point d'autre cause de mort, Pour se faire coupable elle fait un effort. Je vous estime trop pour vous croire sincere, Sous ce mal apparent vous *couvrez* un mystere : Ce discours⁎ n'est qu'opprobre et que temerité. FAUSTE. Qu'il soit tel, je le veux, mais c'est la verité ; Je cherissois ton fils, non pas comme une mere, Mais comme une marastre⁎ [346], ou comme une Megere⁎; Je le veux suivre ailleurs, mais c'est moins par amour, Qu'en effet me voyant estre indigne du jour. CONSTANTIN. Artaban dois-je croire à ce rapport [347] infame ? ARTABAN. C'estoit une marastre⁎. CONSTANTIN.         Oüy, mais c'estoit ma femme. Elle avoit le cœur bon. ARTABAN.         Et le Prince estoit beau. CONSTANTIN. Mais quoy, pour le cherir l'avoir mis au tombeau ? HELENE *mere*. Vivez apres avoir veu perir vôtre image, Ce sont là de beaux fruits d'un second mariage ; Il vous ravit⁎ un fils digne d'estre Empereur, Pour ne vous engendrer que des sujets d'horreur. FAUSTE. Dedans [348] vôtre equité vous vous rendez coupable, D'aviser [349] seulement si je suis excusable : Vous redoublez encor le crime que j'ay fait, Quand vous me laissez vivre ayant veu mon forfait⁎. ### Scene VII. Constantin, Fauste, Helene mere. Helene fille. Artaban HELENE *fille.*. Vous voyez, Monseigneur, dans l'effet de mon songe, Que c'est la verité qu'on appelloit mensonge ; Mon frere toutefois n'est mort que par moitié, Achevez donc sa mort par haine ou par pitié : C'est pour me voir vivante en ce lieu que je pleure, Je nâquis avec luy pour mourir à mesme heure ; La nature eust grand tort de nous unir tous deux, Si je vis malheureuse, et s'il est mort heureux ; Je vous declare encor que s'il fut dans l'offence, Sa sœur pareillement n'est plus dans l'innocence ; Mais avant que perir, que j'embrasse son corps, Pour me voir avec luy mettre au nombre des morts. HELENE *mere de l'Empereur.*. Donc pour avoir suivy les humeurs d'une femme Tout couvert de Laurier, on vous couvre de blâme ? Rappellez maintenant un Prince si parfait, Et le resuscitez, s'il est mort en effet. Les deux Helenes se retirent brusquement. CONSTANTIN. Ce seroit mon desir, s'il n'estoit impossible, Et nous le reverrions sans qu'il est invisible ; Il fléchit le genoüil. Ah mon fils ! voy ton pere en peine de ta mort, Et que s'il en est cause, un autre en a le tort. Ma haine a moins agy qu'un zele de justice, J'aimois mieux te voir mort que soupçonné d'un vice. J'ay failly neantmoins ne considerant pas, ue ton défaut estoit d'avoir eu trop d'appas⁎. Que ne m'est-il permis de t'embrasser encore ! Mes vœux sont indiscrets [350], il faut que l'on t'adore. Je t'immole aujourd'huy, celle qui t'accusa, Et trompe [351] son espoir comme elle m'abusa : Il parle à Fauste. Megere⁎ tu pensois en t'accusant toy-mesme, Excuser finement une malice extréme. Tu mourras neantmoins, et loin de t'estre doux, Je seray ton bourreau si je fus ton époux : Meschante pour cela tu rompis le voyage D'un fils que tu voulois reserver à ta rage ? Prens, prens tous tes enfans pour perir avec toy, Crispe témoigne assez qu'ils ne sont pas à moy. Il parle tout bas à Artaban, et luy donne charge de noyer Fauste dans le bain et ajouste. Tu fis mourir celuy qui n'estoit pas coupable, Lave donc cette erreur dans un sang execrable. ARTABAN. Ce dernier coup⁎ perdra du tout [352] vôtre maison⁎. CONSTANTIN. Je la veux voir perir puis que c'est la raison. ARTABAN. Vous consolez vos maux par de grandes miseres. FAUSTE. Pour punir un tel crime on fait trop de mysteres [353]. CONSTANTIN. Sa peine tarde trop. FAUSTE.         Il est vray qu'il est lent, Tout supplice m'est doux, bien qu'il soit violent. ### Scene VIII. *Helene* fille de l'Empereur. *Adelaïde, Procle* HELENE. Maintenant que nos yeux ont épuisé nos larmes, Dy nous comment mourut ce vainqueur loin des armes. PROCLE. Vous me faites mourir me demandant sa mort ; Pour vous faire plaisir je vay faire un effort. Vous avez bien apris qu'elle fut sa retraite, Et quoy qu'on la blâmast qu'elle estoit fort honneste ; Quoy qu'il fut bien content d'avoir quitté la Cour, Il maudissoit souvent le plaisir et l'amour ; Je croyois que son cœur vous trouvoit inhumaine, Et que vôtre froideur avoit causé sa haine ; Il parle à Adelaïde en ce vers. Mais pour dire le vray, je ne le pûs sçavoir, Car sa langue en ce poinct cedoit à son devoir : Il se plaignoit pourtant, et disoit à chaque heure, Si je suis tant aimé, faut-il pas que je meure ? Lors je luy repartois, si l'on vous aime tant, Au lieu de mourir triste, il faut vivre content. Artaban là-dessus vint au nom de son pere, Et pour mieux le surprendre il taschoit de luy plaire : J'estois ravy de voir, qu'encore l'Empereur Eust pour luy de l'amour ayant eu de l'aigreur ; Cét Agent luy disoit que Fauste estoit sans ame, Et s'il ne revenoit qu'elle iroit sous la lame. Le Prince à ce discours⁎ n'avoit plus de couleur, Mais on nommoit amour un effet de douleur. Ce traistre confident sur le soir le convie Pour luy donner la mort dans l'aprest de la vie. On parle en ce festin de plaisir et d'honneur, Et le Prince au dehors est remply de bonheur ; Mais il a son malheur ay dedans de luy-mesme, Son visage de vif à l'instant devient blesme. Il chancelle. HELENE.     Je meurs. PROCLE.         Il tombe renversé, Et sans sembler malade, il paroist trespassé. Artaban s'en estonne au moins en apparence, Nous prenons mille fois et perdons esperance ; On s'oppose à son mal pour empescher sa mort, Mais nous voyons nos soins⁎ trompez par son effort. ADELAÏDE. Se souvint-il de nous devant⁎ que rendre l'ame ? Je fais la curieuse, et je sens que je pâme. PROCLE. Je m'escrie en pleurant, Crispe vous me laissez ! Et puis-je vivre icy si vous y trépassez ? A ces mots s'éveillant, il ouvre la paupiere, Et n'a pas peur de moy comme de la lumiere. Et puis se relevant d'une masle vigueur, S'il s'en va perdre l'ame [354], il semble prendre cœur ; On croit voir un Soleil regardant son visage, Le mal l'affoiblissant augmente son courage ; Et puis d'une voix forte, et d'un tres-doux accent, Que tous sçachent, dit-il, que je meurs innocent. Mon trépas neantmoins aura bien sa vengeance, Et mort je feray voir si je vis dans l'offence. Là-dessus il m'embrasse, et me baisant deux fois ; C'est pour toy, me dit-il, que j'ay repris la voix ; Mourant dans ton amy tu dois pourtant survivre, Ma mort estant injuste il la faudra poursuivre, Je ne t'en diray pas toutefois le secret, Ay-je esté si méchant si je suis si discret  [355] ? Aime toujours ma sœur, honore ma Maistresse. ADELAÏDE. Que ce doux souvenir me cause de tristesse. PROCLE. Apres de tels propos ses yeux s'abbaissent fort, Nous le croyons vivant et nous le voyons mort ; Il me parle de vous, quand la douleur le presse, Dans ses convulsions encore il me caresse, Il se meurt de foiblesse, et je me meurs d'ennuy [356], Voyant que par son ordre il faut vivre apres luy ; Je pers à tout le moins la voix dessus sa bouche, Il semble un homme encor, mais je semble une souche. Il expire à la fin, je ne puis respirer, Et ne peux plus agir pouvant tout endurer. On croit que mesme mal me cause mesme peine, Mais pour mon plus grand mal cette creance est vaine. On le leve aussi-tost, on le fait visiter, L'autheur de sa mort tasche à le resusciter ; Mais enfin il est mort, en un moment la terre Perd en luy son Soleil et son foudre de guerre [357]; Je voulois conserver ses restes precieux, Et perdre la lumiere [358] ayant fermé ses yeux ; Mais suivant mon amour comme son ordonnance, Il parle à Helene. Je suis venu vous voir et haster sa vengeance ; Et puis que son vouloir est conforme à mes vœux, Madame, recevez mes larmes et mes feux⁎. Je n'aimois que luy seul, je n'aimeray qu'Helene, Il passoit pour mon Prince, et vous serez ma Reine. HELENE. Oüy, Procle, je me rends à ce doux compliment, Et sans qu'il faut mourir nous vivrions doucement. ADELAÏDE. Allons nous informer si Fauste est étouffée, Mon amour de sa mort doit dresser son trophée. ### Scene IX, et derniere. Constantin, Helene mere. Artaban Emile, Procle CONSTANTIN. C'est en vain, c'est en vain qu'on la pretend sauver, Ce forfait⁎ est trop noir, ce bain le doit laver. EMILE. Vos enfans crient-là, nous n'aurons plus de mere. ARTABAN. Qui veüille à ses enfans choisir un autre Pere. Helene entre. HELENE *mere.*. C'est contre mon desir que je demande un don, Mais la Foy⁎ nous aprend qu'il faut faire pardon [359] ; Fauste pour elle mesme est vrayment punissable, Trois innocens pourtant la rendent excusable ; Ils sont foibles encor, ne la leur ostez pas, Ou vous les tuez tous pour venger un trépas. CONSTANTIN. Pardonner ! si mon fils avec tant d'innocence Plus que les scelerats éprouva [360] ma vengeance ! Vous ne l'aimez donc plus, ou ce n'est qu'à demy, Si vous pleurez sa mort plaignant son ennemy. HELENE *mere.*. Le sang m'enseigne l'un, et le Ciel m'aprend l'autre. CONSTANTIN. Mon sentiment pourtant n'est pas conforme au vôtre. HELENE *mere.*. Mais la mettant à mort vous estes pour mourir, Et perdant tout son sang Constantin va perir. CONSTANTIN. C'est un sang corrompu que j'épanche à cette heure, J'ay bien perdu devant⁎ le bon sans que j'en meure ? HELENE *à costé.*. Dedans [361] la probité son mal ne me plaist pas, Mais j'ay bien de la peine à pleurer son trépas. CONSTANTIN. Qui peut sans m'offencer defendre une Megere⁎ ? Qui de pere m'a fait un Tyran⁎ sanguinaire ? Artaban entre. ARTABAN. On vient de l'étouffer. CONSTANTIN.         Quel excés de malheur ? Où je me fais du mal pour calmer ma douleur ; Je peris par moitié sans pourtant rendre l'ame, Je vis ayant veu morts et mon fils et ma femme, Je suis au moins content qu'apres un tel effet, Si je suis affligé⁎ mon fils soit satisfait ? Et que si l'innocent est mort par ma puissance, Le forfait⁎ bien puny vange ainsi l'innocence. Procle entre. PROCLE. On a porté le corps de Crispe. CONSTANTIN.         Le devoir Aussi bien que l'amour nous oblige à le voir, Estant mort méprisé qu'il vive dans la gloire, Et que dans sa défaite il trouve sa victoire. FIN. ## PRIVILEGE DU ROY. *LOUIS PAR LA GRACE DE DIEU Roy de France et de Navarre*, A nos amez et feaux Conseillers, les Genstenans nos Cours de Parlement de Paris, Tholoze, Bordeaux, Roüen, Grenoble, Dijon, Aix, Rennes, Preuost de Paris, Baillifs, Senerchaux, et autres nos Justiciers et Officiers qu'il appartientdra, Salut. Nostre bien amé *François de Grenaille*, nous a tres-humblement fait remonstrer qu'il desireroit donner au public un liure qu'il a composé, intitulé *l'Innocent Malheureux, ou la Mort de Crispe* et iceluy faire imprimer, s'il nous plaisoit luy octroyer nos Lettres à ce necessaires. A ces causes, desirant fauoriser l'exposant, Nous luy auons permis et octroyé, et de nostre grace speciale, permettons et octroyons par ces presentes, de faire imprimer ledit livre en tels characteres, et en tels volumes, et par tel Imprimeur que bon luy femblera, durant le temps et espace de cinq ans, à compter du jour et datte que ledit Livre sera achevé d'imprimer. Luy donnons en outre pouvoir de ceder et transporter le present Privilège à qui il advisera. Faisant tres-expresses inhibitions et defenses à tous Imprimeurs et Libraires de ce Royaume, et autres personnes de quelque qualité et condition qu'elles soient, autre que celuy qui aura droict dudit Exposant de faire imprimer ledit Livre en aucun lieu de nostre obeïsance durant ledit temps sans le consentement dudit de Grenaille, ou de celuy qui aura droict de luy, sous pretexte d'augmentation, correction, ou changement, en quelque sorte et maniere que ce soit, ny mesme d'en extraire aucunes pieces, ou d'en contrefaire le tiltre et frontispice, à peine de [362] quinze cens livre d'amende, et de confiscation des Exemplaires contrefaits, et de tous despens, dommages et interests. *Voulons* en outre qu'en faisant mettre au commencement ou à la fin du Livre ces presentes, ou un bref extraict d'icelles, qu'elles soient tenuës pour deuëment signifiées, et que foy y soit adjoustée, à la charge de mettre deux Exemplaires dudit Livre en nostre Bibliotheque publique, et un dans celle de nostre tres-cher et feal le sieur *Seguier* Chevalier, Chancelier de France. Si *vous mandons*, et tres expressement enjoignons faire joüir dudit Privilege ledit Exposant, ou celuy qui aura droict de luy, cessant ou faisant cesser tous troubles et empeschemens au contraire : Car tel est nostre plaisir. *Donne*' à Paris le trentiesme jour de Septembre, l'an de grace mil six cens trente-neuf, et de nostre Regne le trentiesme. Par le Roy en son Conseil, De Gyves. Ledit sieur de Grenaille a cedé et transporté tous les droicts à luy accordez par sa Majesté dans ce present Privilege, à Jean Paslé Imprimeur et Libraire en l'Université de Paris, pour en joüir par ledit Paslé durant le temps porté par iceluy, et ce suivant la convention faite entr'eux.< Achevé d’imprimer pour la premiere fois, le 22.Novembre 1639. > # Lexique.Abord (d') : n.m.Dès l'abord, tout de suite.Épître, préface (quatre occurences), v. 218, 1252Adorable : adj.Digne d'être adoré.V. 139« Qui mérite le plus profond des respects. » (Furetière).V. 598Affliger qq'n : v.t.Faire endurer une peine, un chagrin à qq'n.Préface, argument 1, v. 116, 274, argument 2, 424, 736, 1114, 1130, 1135, 1142, 1228, 1262, 1275, 1330, 1331, argument 5, 1718Aimable : adj.Digne d'être aimé.V. 140, 166, 193, 273, 694, 732, 763, 875, 1234Alarmes : n.f.pl.« Emotions causées par les ennemis. » (Cayrou).V. 325, 366, 465Amant : n.m.Homme qui éprouve des sentiments amoureux pour une femme, qu'ils soient ou non réciproques.Préface, v. 524, 539, 571Amante : n.f.Femme attachée à un homme par des sentiments passionnés qu'ils soient ou non réciproques.Préface, v. 353, 533Amorce : n.f.« Se dit figurément en Morale des appâts qui attirent et persuadent l'esprit. » (Furetière).V. 68, 199, 380Appas : n.m.pl.Terme poétique qui désigne, les charmes puissants, les grands attraits.V. 106, 170, 443, 580, 648, 741, 1582Barbare : adj.Cruel, impitoyable.V. 171Adj. substantivé. Quelqu'un de cruel, d'inhumain.V. 1175Bien : n.m.Bonheur.V. 23, 276, 455, 1318Blesser : v.t.Frapper, toucher profondément.V. 553, 864, 1268Celer : v.t.Couvrir, cacher.V. 781, 1458, 1479Choquer : v.t.Offenser, déplaire.Préface, Au mesme de Vaudrichard, v. 50, 245, 300, 372, 807, 854, 864, 1094, 1430, 1466Complaire : v.t.« Se rendre agréable à quelqu'un en déférant à ses volontés et à ses sentiments. » (Furetière).Argument 1, v. 76, 486Connaître : v.t. Reconnaître.Préface, v. 1211Coup : n.m.Heurt, atteinte violente, acte frappant et imprévuV. 1041, 1141, 1496, 1597Couvert (e) : adj.Dissimulé, caché.V. 94, 195, argument 3, v. 1520Crédit : n.m.Influence, considération.Épître, Préface, v. 90, 267, 488, 806, Argument 4, 1053, 1366Cruel : adj.Barbare, inhumain.V. 984, 1269« Qui ne répond pas bien aux cajoleries qu'on lui fait. » (Furetière).V. 721Décharger : v.t.Retirer une accusation que l'on a auparavant faite à qq'n.Préface, argument 5, v. 1408Découvrir : v.t.Révéler, montrer.Préface, v. 99Délices : n.f.pl.Plaisir extrême.V. 72, 1208Déplaisir : n.mProfonde douleur, désespoir.V. 467, 624, 1293Dessein : n.m.Projet.Préface (huit occurrences), argument 1, v. 85, 235, 387, 551, argument 3, 675, 735, 822, 842, 871, 1088Devant : adv.Avant, auparavant.Préface, v. 760, 990, 1276, 1342, 1407, 1502, 1639Discours : n.mConversation, entretien, action de s'exprimer.Préface, v. 98, 115, 155, 157, 355, 480, 562, 622, 777, 979, 1047, 1268, 1310, 1515, 1541, 1625Faîte : n.m.Partie la plus élevée de qqch. Gloire.Préface, v. 277, 514Feu : n.m.« Se dit poétiquement pour signifier la passion de l'amour. » (Dictionnaire du français classique).Préface, v. 93, 105, 132, 177, 372, 503, 505, 519, 528, 535, 568, 575, 601, 700, 710, 712, 873, 909, argument 4, 1682Feindre : v.t.Faire croire une chose fausse, faire semblant.Préface (trois occurrences), v. 87, 1418Flamme : n.f.Vive ardeur, passion.Au mesme stances, v. 195, 457, 530, 562, 605, 609, 653, 661, 701, 725, 737, 760, 1284, 1464, 1483Forfait : n.m.Crime détestable, violation d'un devoir.Préface, v. 670, 708, 731, 926, 949, 969, 989, 1001, 1101, 1213, 1233, 1349, 1358, 1372, 1403, 1425, 1437, 1558, 1690, 1720Foi : n.f.Croyance en Dieu, religion.Préface, v. 56, 66, 78, 1694Mariage, fidélité à un engagement.V. 464, 528Parole donnée, serment.V. 991Funeste : adj.« Il se dit parfois de la mort même, et éveille alors l'idée d'une mort affreuse, d'un meurtre. » (Dictionnaire du français classique).Préface (deux occurrences), argument 4Qui cause une grande tristesse.V. 272, 931Grand : adj.Qui l'emporte par sa naissance, sa fortune, son influence.Épître, Préface, v. 220, 627, 654, 821, 841, 881, 893, 947, 987, 1225, 1321, 1326, 1451Adj.substantivé. Qui a le rang le plus élevé, noble.Préface, v. 243, 508, 889, 892, 1068, 1151Haut : adj.« Il se dit aussi en mal, en parlant des choses excessives, extravagantes. » (Dictionnaire du français classique).V. 149, 504Excellent, noble, qui a de l'élévation, du mérite.V. 79, 513Heur : n.m.Chance.Préface (deux occurrences), v. 6, 298, 792Infidèle : adj.En qui on ne peut pas avoir foi.V. 148, 566, 803, 932Inconstant.V. 189, 899Qui n'est pas conforme à la vérité.V. 1416Loi : n.f.Ordre, commandement.V. 130, 164Maison : n.f.Race, famille.Épître (deux occurences), Préface, argument 1, v. 24, argument 3, 792, 826, 1041, 1514, 1597Marâtre : n.f.Belle mèrePréface (deux occurrences), Au mesme de la Tour, Au mesme de Vaudrichard, v. 75, 185, 433, 458, 565, 682, 1004, 1375, 1544, 1548Mégère : n.f.Emprunt au nom propre mythologique de la furie, qui a pour but de semer la discorde parmi les hommes. Il signifie femme acariâtre.Préface, argument 5, v. 1544, 1587, 1711Obliger : v.t.Faire le plaisir de qqn.Préface, V. 73, 77, 115, 116, 423, 462, 1064, 1081, 1138, 1237, 1329Perdre : v.t.Faire périr.Argument 3, V. 762, 1384Priser : v.t.Estimer.V. 127, 316, 414, 433, 541, 665, 727, 918Publier : v.t.Répandre une nouvelle.V. 499, 1197Ravir : v.t.Enlever violemment de force.Préface (deux occurrences), Au mesme P.L.P., v. 256, 304, 635, 916, 1332, 1553Regarder : v.t.Considérer, tenir compte de.Préface (quatre occurrences), v. 753Ressentiment : n.m.Sentiment de douleur.V. 107, 234, argument 2, 473Sein : n.m.Cœur, poitrine.V. 236, 676, 841, 946, 1125Soin : n.m.Souci, préoccupation.Préface (deux occurrences), v. 269, 367, 1302, 1303Sort : n.m.Destin, destinée.V. 219, 1146, 1185, 1277TransportViolente émotion de l'âme qui met l'être hors de lui-même.Préface (deux occurrences), v. 95, 1420Tyran : n.m.Qui agit de façon cruelle et violente.V. 30, 192, 676Opresseur de la liberté.V. 1207, 1712N.m.pl. Personnes qui tentent d'usurper le pouvoir.V. 3, 323, 942 # Annexe : extrait de *La Cour sainte*. Nicolas CAUSSIN S.J., *La Cour Sainte. Tome second : le prelat, le cavalier, l'homme d'estat, la dame*, Paris, Sebastien Chappelet, 1640, p. 521-535 (privilège de 1627) **LE CAVALIER**. Constantin Les vices et passions de Constantin devant le Baptesme, avec la mort de Crispus et de Fausta. **SECTION VII.** Je ne veux point representer icy un Constantin en pourfil, comme a fait Eusebe, pour cacher les defauts, et mettre seulement au jour les beautez. Ce n'est pas de merveille qu'il ait eu les vices devant le Baptesme, mais c'est le miracle du Christianisme de changer les lyons en agneaux, les cloaques en fontaines, et les espines en roses et en tulipes. Les glaces de l'hyver font la beauté du printemps, les tenebres contribuent au lustre de la lumiere; et jamais le Soleil n'est plus beau qu'apres son eclipse. Aussi la grace qui est la blancheur de la lumiere eternelle, se fait voir avec plus de triomphes aux ames où elle a dompté plus d'iniquitez. Il est certain que ceste humeur guerriere de Constantin portoit des vanitez, des ambitions, de jalousies, et quelque sorte d'esprit sanguinaire, qui avoit esté grandement fomenté par la nourriture qu'il avoit prise au Palais de Diocletian. Voicy un prodigieux accident arrivé en sa maison par une precipitation mal digerée, qui est la mort de son pauvre fils Crispus, empoisonné par le commandement du pere sur une meschante et malheureuse calomnie qui luy fut suscitée par sa belle mere. Veritablement ma plume fremit de l'horreur qu'elle a de toucher ceste histoire; et je sçay que plusieurs Grecs flatteurs, ou l'ont passée sous silence, ou l'ont voulu déguiser en faveur de Constantin: mais le sainct Martyr Artemius l'avoua franchement devant Julien l'Apostat, qui luy reprochoit, ne voulant pas nier un fait qui estoit assez notoire, mais se contentant de l'adoucir par les circonstances intervenuës. Le Cardinal Baronius se fasche contre Eusebe qui n'en a rien dit, comme si c'estoit chose estrange qu'un homme qui escrivoit à un fils la vie de son pere en forme de Panegyrique, ne chargeast pas son escrit de crimes et de fureurs qu'on taschoit alors d'estouffer par toutes voyes. Les Grands ont les sentiments trop chatoüilleux à semblables histoires, et ressemblent ordinairement cét animal qui porte son fiel en l'oreille. Ils ne peuvent oüyr une histoire veritable de ce qui les touche, sans se picquer; il faut quelquefois qu'ils apprennent leur vie dans les bruits du peuble: où les uns prennent licentieusement la liberté de tout dire, puisque les autres ont pris la liberté de tout faire. On ne se peut taire dés ce temps-là des vices de Constantin: mais comme apres avoir fait mourir son fils Crispus, il y ajousta la mort de sa femme Fausta qui avoit suscité la calomnie contre l'innocent, on affigea ce distique aux portes de son Palais, qu'on a depuis attribué au Consul Ablavius: Saturni aurea sœcla quis requirat ? *Sunt hœc gemmea, sed Neroniana*. C'estoit une allusion à l'humeur de Constantin, qui aimoit fort les perles et pierreries, et à ce qui s'estoit passé au fait de Crispus et de Fausta, dont la substance est telle: Ne cherchons plus le siecle d'or de Saturne. En voicy un tout de perles, mais c'est le siecle de Neron. Disons le plus probablement que nous pourrons ce qui arriva en cette affaire. Nous avons desja touché comme Constantin sortant encores de son adolescence, fut marié en premieres nopces à Minervine; dequoy les escrits de son temps l'ont loüé comme un Prince fort chaste, qui pour éviter les voluptez vagabondes et illicites, se lia si promptement à un legitime mariage, et prit deslors un Minervine. esprit de mary. Il est aisé à croire que cette Minervine qu'il espousa, avoit pris le nom de Minerve, à cause de la sagesse, des graces et des beautez que ces grandes perfections d'esprit et de corps trainent tousjours en queuë quelque sort qui ne permet pas qu'elles durent long-temps: mais qu'elles vivent la vie des roses, qui se font au soir un tombeau de l'escarlatte dont elles s'estoient fait au matin un berceau. La pauvre Princesse eclypsa bien tost apres qu'elle eut donné d'un seul enfantement, qui fut son premier et son dernier, deux enfants jumeaux à Constantin, c'est à sçavoir, un fils nommé Crispus: et une fille, qui du nom de sa grande Mere fut appellée Helene, et mariée depuis à Julien l'Apostat. Ce Crispus estoit bien le Prince le plus accomply qui fust de son aage: car il sucça premierement la pieté avec le laict, ayant pour sa premiere maistresse du Christianisme la tres-glorieuse Saincte Helene. De là comme on le fit estudier aux bonnes lettres, il rencontra pour maistre ce grand homme de Lactance Firmien, l'un des plus faconds et des plus anciens Autheurs de la Chrestienté: lequel estant Precepteur des Cesars, vivoit neantmoins en une telle pauvreté, qu'il avoit fort estroitement les necessitez de sa vie. Crispus ayant cultivé son esprit par lettres, s'addonna fort courageusement à l'exercice des armes, où il monstroit bien du genie et de la dexterité de son pere; mais il avoit encore plus de grace et de douceur: car les histoires font foy qu'il estoit tres-beau de visage, plein d'attraits et de ravissemens, qui avoient d'autant plus d'impression sur les esprits, qu'ils estoient entez dans une modestie singuliere, et une bonté si naturelle, qu'on ne la pouvoit voir de prés sans l'aymer. O Dieu quelle furie que l'amour deshonneste, et comme elle l'amour troubla la maison de Constantin ! Si les Seigneurs et les Dames, qui donnent entrée à des affections et à des pensées illicites, consideroient bien les amertumes qui suivent ceste passion, ils s'arracheroient plustost le cœur avec les ongles que de le soüiller de telles ordures. Ce n'est pas sans cause que le sage Aristophon a écrit, que l'Amour avoit esté banny du Ciel comme un trouble manifeste, et perturbateur du repos des Divinitez: c'est la verité qu'où ceste passion met le pied, elle en bannit l'innocence et la tranquillité, qui sont les deux plus precieuses perles de la vie: et s'il y avoit des mauvaises amours au Ciel, il n'y auroit plus de felicitez. Heureuse la vie qui n'a point d'yeux pour ces beautez charnelles, et qui est toute yeux pour se garder sur tout au commencement des surprises ! La miserable Fausta femme de Constantin, fille de Maximian, qui avoit eu une mauvaise nourriture en la maison de son pere, et estoit d'une humeur fort libertine, jusques à sindiquer les devotions de son mary, et quereller nostre Religion qu'elle ne voulut jamais gouster, avoit dans ce desordre de grandes dispositions pour prendre sinistrement l'amour que la beauté de Crispus luy pouvoit facilement donner. Ce visage divin estant tous jours en objet aux yeux lascifs de l' Imperatrice, alluma tant de feu dans ses veines, qu'il falut un autre feu pour l'esteindre. Les enfants qu'elle avoit de son mary ne luy estoient rien en comparaison de Crispus: Crispus estoit en son cœur, Crispus en sa pensée; Crispus en ses discours; où elle avoit encore quelque retenuë, de peur d'éventer sa passion ? Si est-ce qu'elle ne se pouvoir tenir de dire, que *Crispus estoit l'idée des parfaits, et le fils incomparable, dont la valeur et la vertu vivroient autant que le monde*. On s' estonnoit comme une belle mere avoit tant de bonnes volontez pour le fils de son mary, toutesfois comme elle avoit vescu jusques icy dans les termes de l'honneur, on interpretoit que toutes ces affections estoient sinceres et innocentes. Crispus qui ne pensoit pas alors à se deffendre en un combat qui n'estoit que courtoisie, prenoit toutes ces caresses comme des témoignages d'une tres pure amitié, luy rendant reciproquement beaucoup de respect, dequoy elle monstroit se fascher, desirant qu'il traictast avec elle d'une façon plus libre: dar l'amour l'avoit desja dépouillée de la majesté. Sainct Augustin a dit heureusement, que qui veut bien punir un esprit déreglé, il le faut laisser entre ses mains, pour servir à soy-mesme d'eschaffaut et de bourreau. L'infortunée Fausta, qui avoit déja donné trop d'entrée au peché, experimentoit des accez de glace et de feu, des desirs, des frayeurs, des hardiesses, des remords. Sa conscience la querelloit au fonds de son cœur, et ne cessoit de luy remonstrer l'enormité de cette faute: quand à force d'impudence elle pensoit avoir estouffé ces petites estincelles de bonté que Dieu va semant dans les esprits les plus abandonnez, elle ne sçavoit par où entamer ce pernicieux dessein. Crispus luy sembloit trop chaste, ceste Religion Chres- tienne le faisoit à son advis trop austere, son esprit estoit encore trop mol, et non capable d'une forte meschanceté, et quand bien il consentiroit, où trouver des complices fidelles, et des occasions, et de la liberté pour contenter un infame desir ? La peine qui suit ordinairement les crimes, la rigueur d'un Constantin jaloux de son lict, l'infamie et les phantosmes des supplices venans à fondre sur sa pensée, luy faisoient bien voir de l'abysime et de l'esfroy; mais la passion bondissoit à l'aveugle par dessus toutes considerations; de sorte qu'espiant un jour sa commodité, elle aborda le jeune Prince avec des paroles qui sentoient assez sa femme perduë: mais luy qui ne la vouloit pas mettre d'abord en confusion, relevoit bien modestement, ce qu'elle avoit dit, l'interpretoit au plus loing de sa pensée. Elle qui ne vouloit plus paroistre comme une Lucrece, estant marrie qu'on donnoit un sens trop chaste à tout ce qu'elle avoit dit à mauvais dessein, s'explique si clairement, que le sage Crispus ne pouvant plus supporter cét esprit effronté, luy dit d'une parole rude et seiche, *que si elle persistoit en ceste infame volonté, il en advertiroit l'Empereur*: et là dessus s'envole comme un éclair, et s'escarte, la laissant dans un grand desespoir, et une rage qui ne se peut assez exprimer. Tout son amour pour lors se tourne en une rage diabolique, qui luy suggere des fureurs et noires pensées, se determinant de traitter comme la femme de Putiphar, celuy qui l'avoit traitée comme Joseph. Elle se sert de toutes les armes de la douleur, qui luy estoient pour lors naturelles, ne cessant journellement de pleurer et souspirer devant son tres-cher mary, comme si elle se fust affligée pour l'horreur du peché d'autruy. Encore avoit elle tant d'artifices, qu'elle feignoit cacher ses larmes, et estouffer ses souspirs pour rendre la feinte plus dangereuse par un pretexte de modestie. L'Empereur la voyant en cét estat, luy demanda la cause de sa tristesse: elle respond: *Qu'il est plus expedient à sa Maiesté de l'ignorer*. Luy s'opiniastre davantage à sçavoir ce qu'elle feignoit de celer, la pressant et la questionnant pour tirer une calomnie, aussi fort qu'on eust fait pour une bonne verité. En fin elle declare avec beaucoup de feintes horreurs, et des paroles cruellement modestes: *Que son fils Crispus avoit voulu entreprendre sur l'honneur de son lict, mais Dieu mercy que sa foy inviolable la mettoit à l'abry de tels dangers. Qu'elle ne demandoit autre satisfaction de ce miserable qui s'en estoit fuy, que les remords de sa mauvaise conscience*. Constantin luy recommandant le silence, entre en une noire et profonde colere, se figurant que la retraite de son fils estoit une marque de son crime: il se delibere de le faire promptement mourir; et pour cét effet appellant un de ses serviteurs des plus affidez et des plus determinez aux executions, apres l'avoir obligé sous de grands serments et execrations au secret, illuy donne commandement exprés de joindre son fils Crispus au plustost, de traitter accortement avec luy sans l'effarer, ny luy donner le moindre ombrage, et ne manquer pas de le servir à son premier repas d'un poison bien preparé pour l'envoyer en l'autre monde. Celuy-cy effrayé d'un si horrible commandement, demande à l'Empereur; *S'il avoit bien resolu ceste affaire, pour trait ter un fils d'un si grand merite, en la façon: Oüy, dit-il, j'y ay pensé ? il faut necessairement qu'il meure: car je vous apprens, sans qu'il soit besoin de vous informer davantage, qu'apres l'attentat qu'il a conçeu, sa vie est incompatible avec la mienne*. L'autre pensa qu'il y avoit quelque conjuration toute formée sur la vie et sur le sceptre du pere: voila pourquoy il haste le coup; et comme il estoit desja assez familier au pauvre Crispus, il l'aborde avec de grands complimens d'honneur et de courtoisie, feignant le vouloir resjouïr, d'autant qu'il le voyoit alors en une assez mauvaise humeur pour ce qui s'estoit passé avec Fausta, Couvrant tant qu'il pouvoit sa pensée pour couvrir l'honneur de ceste mauvaise belle-mere. On dresse là dessus un malheureux banquet à l'innocent qui fut le dernier de sa vie, le venin luy ayant esté traistreusement servy au lieu ou moins il attendoit ceste perfidie. Veritablement ceste mort, de quelque costé qu'on la regarde, est grandement pitoyable. Les tragedies qui la pleurent avec tant d'appareil comme celle de nostre Stephanius, ont bien de l'émotion: mais prenant seulement la chose dans la simple naïveté du fait, elle donne de la compassion aux cœur les plus endurcis. Un jeune Prince, le plus parfait qui fust alors dans tout le monde, beau comme Absalon, vaillant comme un Alexandre, innocent comme Joseph, enlevé lors qu'il estoit aux portes de l'Empire qui l'attendoit, et ravy par une mort si affreuse et si perfide, et assassiné par le commandement de son pere, qui le fait mourir comme un incestueux, sans le vouloir ouïr, ny luy donner permission de se justifier, ny loisir de se cognoistre, ny un seul moment de temps pour se preparer à la mort, qu'on donne aux plus grands criminels. On l'enveloppe sourdement dans le dernier malheur pour fermer sa bouche à son innocence, et ouvrir celle de la calomnie, pour abbayer encore contre ses cendres. La genereuse ame qui estoit tousjours preparee à ce passage par les loix du Christianisme qu'elle avoit si devotement embrassé, sortit de son corps chaste pour aller à la Couronne des eslus, laissant apres soy des regrets incomparables. Helas que ne fait une mauvaise amour: que ne fait une calomnie ! que ne fait un soupçon ! que ne fait une colere sans frein, et une parole sans queuë ! ô Grands, ne ferez-vous jamais les apprentissages de la sagesse dans les maux d'autruy ! Aussi-tost que ceste nouvelle fut venuë à la Cour, la meschante Fausta vit bien que c'estoit un effect de sa perfidie, et se representant vivement devant les yeux ce pauvre Prince qu'elle avoit auparavant tant aymé, pour lors indignement massacré en une beauté, en un âge, ou meurent les plus deplorables, et en une bonté qui eust donné de la compassion aux tygres et aux lyons; toute sa passion et sa haine change en une douleur enragée, qui la fait crier et hurler aux pieds de son mary, confessant qu'elle avoit tué le chaste Crispus par sa detestable calomnie: que c'estoit elle qui l'avoit sollicité au mal; mais qu'elle avoit trouvé un Joseph doüé d'une chasteté invincible, qui avoit detesté son peché autant qu'il estoit detestable; de- quoy picquée de colere, et craignant d'estre prevenuë, elle avoit precedé ceste funeste accusation, et partant qu'elle estoit indigne de vivre apres avoir tué le plus innocent Prince du monde, et tâché le propre pere de son sang. Constantin estonné pardessus tout ce qui se peut dire d'un si prodigieux accident, n'avoit ny réplique, ny sentiment d'homme, tant le transport, l'avoit ravy en soymesme. Et quand il vit sa saincte mere Helene, laquelle avoit nourry si tendrement le pauvre Crispus, qui le pleuroit avec des larmes inconsolables, et demandoit au pere pour le moins le corps de son petit fils, pour le laver des eaux de sa teste, et l'ensevelir de ses mains, disant que la meschante beste avoit tué son Joseph; il fut percé au vif d'une compassion meslée de fureur. Puis ceste pauvre sœur du deffunct, qui sembloit n'estre autre chose que l'ombre de son frere, venant encore à fondre toute en pleur aupres de sa grande mere, ce spectacle alluma davantage de passion de l'Empereur; et pensant que Fausta meritoit bien la mort estant convaincuë d'une telle meschanceté par sa propre confession, il l'a fit entrer dans le baing, et sur l'heure la fit estouffer de la vapeur, qui estoit un supplice dont on se servoit quelquefois pour faire mourir les personnes de qualité. Voila les issuës des funestes amours de Fausta, pour apprendre à toutes les Dames, que ces passions qui commencent par des complaisances, des chatoüillemens et delices, finissent bien souvent par des horribles tragedies. Cependant la maison de Constantin demeura long temps plongée dans un morne silence: et comme tout cecy avoit esté fort secret, on ne sçavoit que penser en public de la mort de Crispus et de Fausta: ce qui donna occasion à plusieurs de contester qu'ils estoient morts pour quelque conjuration. On ne peut pas icy excuser Constantin d'une grande colere, d'une precipitation, et d'une procedure trop sanguinaire, mais pour le moins fit-il mourir Crispus sous une fausse creance d'impureté, qu'il estimoit devoir estre vengée, et Fausta par raison de justice. Voila pourquoy ce peché, quoy qu'il ait bien du mal-heur, n'a pas encore la meschanceté determinée du peché de David, en la mort d'Urie, pource que l'un operoit avec une manifeste cognoissance de son crime, et l'autre y alloit avec beaucoup d'ignorance et de sentiment de justice. Si est-ce que Constantin apres ces executions eut de tres-grands remords, qui l'acheminerent en fin tout à fait à la profession du Christianisme. # Bibliographie. ## Œuvres théoriques.*Aristote*Poétique *Corneille*Discours de la tragédie et des moyens de la traiter selon le vraisemblable ou le nécessaire ## Instruments de travail.*Dubois, Lagane**Lerond*Dictionnaire du Français classique *Furetière*Dictionnaire universel *Richelet*Dictionnaire françois ## Sur les sources.*Bénichou.*L'écrivain et ses travaux *Caussin*La Cour Sainte *Dalla Valle*Horizons européens dans la littérature française. *Delmas*Histoire et mythologie dans la tragédie française du XVIIe siècle*e* *Gauthier*Le triomphe de la croix. ## Sur Grenaille (ouvrages qui en font mention).*Bayle*Dictionnaire de Bayle. *Clément Simon*François de Grenaille, sieur de Châteaunières, notice biographique et bibliographique *Goujet*Bibliothèque françoise ou histoire de la littérature françoise *Guéret*Guerre des auteurs *Hoefer*Biographie générale depuis les temps reculés jusqu'à nos jours*r* Lachèvre.Recueils collectifs de poésie *Parfaict*Histoire du théâtre françois *Sorbière*Sorberiana ## Sur la littérature et le théâtre du XVII*e* siècle. ### Études.*Auerbach*Le culte des passions, essais sur le XVII*e* siècle français *Bénichou*Morales du Grand Siècle *Bury*Le classicisme *Delmas*Mythologie et mythe dans le théâtre français *Delmas*La Tragédie de l'âge classique *Forestier*Introduction à l'analyse des textes classiques *Forestier*Essai de génétique théâtrale. Corneille à l'œuvre *Forsyth*La Tragédie française de Jodelle à Corneille (1553-1640). Le thème de la vengeance *Hilgar*La mode des stances dans la tragédie française *Kibedi Varga*Critique et création littéraire en France *Lancaster*A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century *Larthomas*Le Langage dramatique, sa nature et ses procédés *Morel*La Tragédie *Scherer* *Truchet*La Tragédie classique *Ubersfeld*Lire le théâtre ### Articles. ## Édition moderne de L'Innocent malheureux.*Dalla Valle*Le Tragedie francesi su CrispoL'Innocent malheureuxLa Mort de Chrispe ------- [1] . *A History of French Dramatic Literature in the XVIIth century*, PUF, 1929-1945. [2] .La tragédie française de Jodelle à Corneille (1553-1640). [3] Nous pouvons signaler une erreur manifeste dans le *Grand Dictionnaire Historique de Moréri*, (éd. de 1759), qui situe sa mort en 1640, alors qu'il avait 24 ans. L'erreur peut venir de l'inscription portée sur le portrait de Grenaille, selon laquelle il dit être devenu immortel à Paris à l'âge de 24 ans. [4] G. Clément-Simon note qu'en 1639, le vicomte de Pompadour n'avait alors que 16 ans, étant né en 1623, et de ce fait il n'avait pas de nièces ayant alors « l'âge d'être courtisées », *Notice biographique et bibliographique de François de Grenaille, sieur de Chateaunières*  parue dans le Bulletin de la Société … de Corrèze, 1895, p. 330-386. [5] .Les cinq pièces parues en 1640 sont : La place Royale ou la statue dressée à Louis le Juste ; *L'honnête fille ; L'honnête mariage ; L'honnête veuve ; La bibliothèque des dames.* [6] .G. Clément Simon, *François de Grenaille, sieur de Chateaunières. Notice biographique et bibliographique*, in Bulletin de la Société de Corrèze, 1895, p. 330-386. [7] . Sorbière, Samuel-Joseph, *Sorberiana ou les bons mots de M. Sorbière*, p. 125. [8] .Goujet, *Bibliothèque françoise ou histoire de la littérature françoise*, t VII. [9] .Nous avons placé cette photographie en annexe 1. [10] .Trad. « François de Grenaille, sieur de Chatounières, né à Uzerche dans le Limousin, il n'est pas tout à fait mort à Bordeaux, a repris naissance à Agen, est devenu immortel à Paris. ». Nous avons placé ce portrait à l'annexe 1. [11] Delmas, *Histoire et mythologie dans la tragédie française du XVII*e* siècle*, p. 167. in Centre méridional des rencontres sur le XVII*e* siècle. [12] *Op. cit*., part.II, vol. 1, p. 191 [13] Nicolas Caussin, *La Cour Sainte*. Tome second : le prelat, le cavalier, l'homme d'estat, la dame. Section VII. Nous avons placé ce texte en annexe. [14] *Ibid.* [15] Article de G. Forestier, *Op.  cit.* [16] *La Cour Sainte, op. cit.* [17] Il a écrit un *Crispus*, en 1601. [18] Article, *op. cit.*, p. 9 : « Ce châtiment, sur lequel s'accordent presque toutes les versions de l'histoire (ce qui ne signifie pas qu'il est historique), a peut être une signification symbolique : on punit en la plongeant dans une eau excessivement chauffée celle qui a révélé, par sa folie érotique, qu'elle avait le sang excessivement échauffé. » [19] Article, *op. cit.* [20] *Op. cit*., p. 192. [21] Nous pouvons voir dans cette recherche du vraisemblable, un clin d'œil à la Poétique d'Aristote. [22] « Le mythe de Phèdre et l'histoire de Fauste : superposition et mélange », in *Horizons européens dans la littérature française, op. cit.*, p. 127-137. [23] D. Dalla Valle, *Le mythe de Phèdre, op. cit.*, p. 134. [24] Aristote, *Poétique* (1453 b) [25] Préface de Grenaille. [26] *Op. cit.* [27] *Op. cit*., part II, vol 1, p. 191. [28] V. 739. [29]  Boileau, Art Poétique. [30] Racine, *Phèdre.* [31] *Forestier* Georges, *Essai de génétique théâtrale. Corneille à l'œuvre*, Klincksieck, 1996, p. 285. [32] *Héraclius*, Au Lecteur, OC II, p. 357. [33] *Ibid.* [34] Avis de l'auteur des *Mémoires d'un homme de qualité*, Abbé Prévost. [35] IV, 3. [36] *Introduction à l'analyse des textes classique*, G. Forestier, p. 76. [37] I, 5. [38] Ce terme est emprunté à *La stylistique*, de G. Molinié. [39] C'est le cas dans certaines pièces de Racine, telles *Andromaque* où Hermione ordonne le meurtre de Pyrrhus, ou encore *Phèdre*, l'héroïne *c*ause la perte d'Hippolyte. [40] Anne Ubersfeld, *Lire le théâtre*, t. III, le dialogue de théâtre. [41] V. 214. [42] V. 212. [43] Voir tableau de la descendance de Constantin en annexe n°3. [44] V. 1491-1492. [45] Paul Bénichou, *L'écrivain et ses travaux*. [46] J. Truchet, *La tragédie classique en France*, « Pour une typologie des personnages », p. 70. [47] Elle a découvert la Sainte-Croix à Jérusalem. Elle fit construire l'église du Saint-Sépulcre. [48] *En ce que* : parce que. [49] Les astérisques renvoient au glossaire. [50] *De* : par. [51] Il s'agit de Louis XIII, roi de France. [52] *Bonheur* : heureux sort, et non pas le sens de « joie ». [53] *Feu* : défunt. [54] Le verbe *donner* est biffé et corrigé par le verbe *obtenir* dans l'exemplaire Rf 6207. [55] Le passage *« qui vous fait »* est biffé dans l'exemplaire Rf 6207. [56] *Soy-mesmes* : eux-mêmes. Contrairement au français moderne où la forme *soi* ne peut renvoyer qu'à un sujet indéterminé singulier, la forme renvoie ici à un sujet pluriel. [57] La périphrase verbale *faire voir* et biffée et corrigée par le verbe *monstrer*. [58] *Au lieu que* : alors que. [59] *Seul* : seulement. [60] Il est ici question de l'empereur Constantin le Grand. [61] Emploi de *que* en relatif adverbial. Il signifie ici *où.* [62] *Election* : choix que l'on fait. [63] *Souffrir* : tolérer. [64] *Poëmes dramatiques* : pièces de théâtre. [65] *Les Muses* : « déesses des champs et des montagnes, font don aux hommes de l'inspiration poétique ainsi que de la connaissance ». (Alain Rey, *Dictionnaire historique de la langue française*). Voir annexe n°4. [66] *Donner la montre à* : servir de modèle à suivre. [67] Grenaille explique ici l'origine de la nomination de la « troupe royale ». [68] *Que* : parce que. [69] *Enthouziasme* : inspiration divine. [70] *Lice* : endroit clos destiné aux courses. [71] *Chopper* : le verbe signifie « trébucher » au sens propre, et « se tromper grossièrement » au sens figuré. Ici les deux sens sont ici convoqués. [72] *Suffisance* : habileté, aptitude pour quelque emploi. [73] *Vision* : représentation mentale d'une réalité. [74] *Clairvoyant* : perspicace. [75] *Industrie* : habileté, ingéniosité. [76] *Comme* : autant que. [77] Le terme fait allusion à la fureur d'Apollon. [78] L'auteur dessine l'image du poète-génie, et pour ce-faire Grenaille recourt à une métaphore filée, doublée de la figure dérivative (demy-Dieu, divin, divines).Le caractère divin du poète explique la superiorité de la poésie sur les autres productions  [79] *Entre* : parmi. [80] *Heureusement* : avec succès. [81] *Au lieu que* : alors que. [82] *Avoüer qq'n pour son ornemment* : reconnaître qq'n comme étant son ornement. [83] *Avecque* : forme commode au poète au poète ayant « quelque soin de satisfaire l'oreille ». (Vaugelas, *Rem. s. l. Lang.fr.*, 1647). [84] *Deferer* : adhérer. [85] Ces termes à priori antithétiques renvoient à un principe aristotélicien selon lequel « la crainte et la pitié » sont nécessaires à la « katharsis », c'est-à-dire la purgation des passions. (Aristote, *Poétique*.). [86] *Non plus* : pas plus. [87] *D'ailleurs* : par contre. [88] *Faire un estat particulier de* : faire un cas particulier de. [89] *En ce point* : sur ce point. [90] De sa f*açon* : de son cru. [91] *Comprendre* : englober, embrasser en un tout. [92] *Chefs* : points. [93] *Charme* : puissance magique. [94] *Avant que* : avant. [95] *Plustost* : plus. [96] *Inclination* : passion (il s'oppose ici à *devoir*). [97] *Etre en suspension* : être dans l'attente, l'incertitude. [98] *Saillies* : actions, mouvements soudains. [99] *Estrangeres* : qui n'ont aucun rapport. [100] *N'avoir garde de* : s'abstenir. [101] *Affecter* : aimer. [102] *Faillir* : faire une erreur, se tromper. [103] **à* la fin* : dans le but. [104] *Episode* : action accessoire rattachée à l'action principale. [105] Grenaille nous informe ici que la tragédie qui va suivre sera une tragédie de la passion. [106] *Choquée* : non respectée. [107] *De ce que* : du fait que. [108] *Si* : conjonction de coordination qui réunit deux propositions de sens opposés. [109] *Dans* : en. [110] *Parmy* : au milieu. [111] *Ceder à* : être inférieur à. [112]  *Pour* : en ce qui concerne. [113] *Caresses* : avances. [114] *Prisable* : estimable. [115] *Devant* : avant. [116] .*Se ressentir* : éprouver douloureusement. [117] *Rejettons* : enfants. [118] *Religion* : le terme désigne ici la religion catholique, apostolique et romaine. [119] *Vénus* : déesse de l'amour et de la beauté. On raconte qu'elle était si irrésistible qu'elle ôtait l'esprit même aux sages. Voir annexe 5. [120] *Bien* : vraiment. [121] *Opinion* : réputation. [122] .*Pudicité* : chasteté. [123] *Sur* : à. [124] *Persuader à* : persuader. [125] *Malice* : méchanceté, inclination à nuire. [126] Perdre le jour : mourir. [127] *Caresses* : amabilités, égards. [128] *Aprests* : nourriture. [129] *Garantir qqn de* : mettre qqn à l'abri de, préserver qqn. [130] *Dans* : chez. [131] *Du tout* : entièrement. [132] *Vraisemblable* : Qui correspond apparemment à l'idée qu'on se fait du réel. [133] *Tout ensemble* : à la fois. [134] Il nous rappelle de l'importance de l'intrigue (nœud) au théâtre. [135] En effet, on attribue à la mère de Constantin la découverte de la Croix du Christ. [136] Le substantif *Ville* écrit avec une majuscule renvoie toujours à Rome. [137] *Mise en veüe* : mise en scène. [138] *Bien-seance* : Qui est conforme à la logique interne des choses. [139] *Pointe* : « Pensée qui surprend par quelque subtilité d'imagination ». (Cayrou). [140] *Affetterie* : affectation. [141] *Barbare* : Celui dont on n'entend pas le langage, qui use mal de la langue. [142] *Exemplaire* : modèle. [143] Carriere : le mot désigne un espace à parcourir, puis de manière plus abstraite la voie où l'on s'engage dans la vie. Ici l'auteur semle jouer sur la polysémie de ce substantif. (Alain Rey, *Dictionnaire historique de la langue française*). [144] *Devant que* : avant que. [145] *Pour voir* : pour bien comprendre. [146] *Tesmoigner* : déclarer, reconnaître. [147] *Souffrir* : endurer. [148] *Sujet* : raison. [149] Elle choque tant l'innocence. [150] *Donner avis* : informer. [151] Au pluriel, le féminin est unanimement adopté pour le terme *amours*, c'est pourquoi il est repris par le pronom démonstratif féminin pluriel *celles*. [152] *Venir de* : résulter. [153] *Tout d'un coup* : du premier coup, d'emblée. [154] *Fortune* : Divinité qui distribue les biens et les maux suivant son caprice. Voir annexe n°6. [155] Le mot « sort » désigne ici la « situation », il n'a pas ici de sème de chance car Constantin estime que c'est son mérite qui lui donne droit à ce « sort ». [156] Le verbe *causer* a ici un sens mélioratif, contrairement au français-moderne, il signifie *procurer*. [157] *Pour jamais* : pour toujours, à jamais. [158] Rome était la capitale d'un empire immense, c'est pourquoi elle avait des *é*tats. [159] *Faire hommage* : rendre hommage. [160] *Lits* : mariages. [161] .*Affermy* : rendu inébranlable. [162] *Provinces* : *é*tats. [163] *Travailler* : faire qqch qui donne de la peine. [164] *S'ennuyer* : s'impatienter. [165] *Vaine* : qui n'existe qu'en apparence, qui est trompeuse. [166] *Conseil* : assemblée de notables personnes ou officiers pour délibérer sur les affaires publiques. [167] Contrairement au F-M, le pronom personnel complément *Soy* renvoie ici à un sujet déterminé animé, il est paraphrasable par par le pronom personnel sujet *elle.* [168] *Accortise* : complaisance. [169] *Offices* : devoirs de la vie humaine. [170] *Puis donc que* : Donc, puisque. [171] *Connois* : sais. [172] *Descouvrir* : révéler. [173] *Dedans* : dans. [174] *Privauté* : grande familiarité. [175] *Mars* : dieu de la guerre. Voir annexe n°7. [176] *Derechef* : de nouveau, d'où ici le sens de « doublement ». [177] *Indiscret* : irréfléchi, immodéré. [178] *Race* : lignée. [179] La tournure qui consiste à faire précéder le verbe du complément d'objet n'est pas encore jugée archaïque au début du XVII*e*siècle, mais elle le sera par la suite. [180] En structure affirmative, l'inversion est fréquente lorsque le complément circonstanciel ou l'adverbe se trouvent placés en tête de proposition. [181] ll s'agit ici du saint nœud, c'est-à-diredu mariage. [182] *Aussi bien* : mais aussi [183] Omission de la particule négative « ne » dans cette négation restrictive bi-tensive « ne …que ». [184] Nous pouvons noter aux vers 201 et 202, un chiasme, qui du fait de sa symétrie et de sa structure close, en miroir, exprime l'enfermement, et doublé de l'anaphore du syntagme verbale « j'ay de », cet enfermement semble proche de la folie. [185] *Surmonter  qqn*: vaincre, triompher des efforts de qqn. [186] Alliances : unions qui se se font par le biais d'un mariage. [187] *Remede* : Qui sert à se garantir de toutes les choses fâcheuses et incommodes. [188] La construction de ce vers évoque celui qu'écrira plus tard Racine à l'acte II, scène 5 de *Phèdre* : « Se serait avec vous retrouvée, ou perdue. ». [189] *Disgracié* : banni de la Cour. [190] *Que* : la conjonction sert à lier deux propositions de sens opposés. [191] *Genereux* : vaillant. [192] *Non plus* : pas plus. [193] *Prevenir* : empêcher de se produire. [194] *Priere* : demande. [195] *Conformer* : mettre en accord. [196] *Prendre ses esbats* : se divertir. [197] *Parmy* : au milieu de. [198] Cette périphrase désignant Crispe, relève du langage galant, voire précieux. [199] *Coeur* : courage. [200] *Esperer* : attendre. [201] *Favorable* : qui attire la faveur. [202] Le thème de la vue associée à la naissance de l'amour est récurrent dans la tragédie du XVII*e* siècle, la Phèdre de Racine déclarera : *« Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue* ; / *Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue. ».* [203] *Poinct* : moment. [204] L'Histoire avait appelé « Barbares » les Goths, Huns, Francs, etc., qui du III*e* au IV*e* s de notre ère, envahirent l'Empire Romain. [205] *Faillir* : tomber, décliner. [206] *Allumer des guerres* : exciter, créer des guerres. [207] *Non plusde … que* : pas plus de … que. [208] *Prés de vous* : comparé à vous. [209] *Entreprise* : « résolution hardie de faire quelque chose » (Furetière). [210] Métonymie désignant une épée (la matière est ici prise pour l'objet). [211] *Oüir* : entendre. [212] *Disgrace* : infortune, malheur. [213] *En* : à. [214] *Maistresse* : femme qui est aimée de qq'n. [215] Dans un récit, on raconte que Mars a été l'amant de Vénus et qu'ils ont été dénoncés par Phébus, à Vulcain, le mari outragé de l'infidèle. Voir annexe n°8. [216] Le substantif « horreur » fait ici référence à la guerre. [217] Voir note 144. [218] *Travail* : entreprise périlleuse. [219] *Adieu* : au revoir. [220] *Ordonnance* : décision émanant d'un supérieur. [221] *Entreprise* : dessein formé. [222] *Tourment* : supplice. [223] *Poursuite* : attitude insistante en vue d'obtenir qqch. [224] *Emporter* : vaincre. [225] *Genereux* : Qui a l'âme grande et noble et qui préfère l'honneur à tout autre intérêt. [226] *Croy* : sois sûr. [227] *En ce poinct* : en cet agissement. [228] *Va* : a pour but. [229] **é*prouver* : tester, faire subir une épreuve. [230] *Idolâtre* : qui voue un culte à qq'n. [231] *Seulement* : seule. [232] *Avoir peine à* : avoir du mal à. [233] Ny : et (dans une structure négative). [234] *A dessein* : dans le but. [235] *Arrester* : fixer, empêcher de bouger. [236] *Sonder* : essayer de découvrir. [237] *Pour ce poinct* : sur ce point. [238] L'adverbe *ou* est remplacé par l'adverbe *oüi* dans l'exemplaire Rf 6207. [239] *Et* : ou. [240] *Par effet* : à travers les actes. [241] *Que* : et. [242] *Effet* : réalisation. [243] *Douteux* : incertain. [244] *En quel lieu qu'on le voye* : quel que soit l'endroit dans lequel on le voit. [245] Le mot « pleurs » est ici au féminin, à en jugé par l'accord de l'adjectif « toutes », mais Vaugelas signale dans ses Remarques que le mot peut être de « commun genre » jusqu'au milieu du siècle [246] *Contens* : exaucés. [247] *Plustost* : plus tôt [248] *Effets* actes. [249] *Prevenir* : devancer. [250] *S'asseurer* : être sûr. [251] *Conformer* : rendre conforme. [252] *Travailler à qqch* : participer à son exécution. [253] *Effet* : résultat. [254] **é*tonner* : Causer une violente émotion. [255] *Alliance* : amitié. [256] Le substantif « objet » désigne ici Adelaïde. [257] **à* la fin* : enfin. [258] *Se mettre en peine* : s'inquiéter. [259] *Croy* : sois sûr, assuré. [260] *S'interesser pour* : Prendre parti pour. [261] Notre exemplaire utilise ici, le pronom personnel *il*, qui est biffé et corrigé par le pronom personnel *elle* dans l'exemplaire Rf 6207. Nous optons pour la forme du féminin. [262] *Disgrace* : perte de la faveur de qq'n. [263] *Calamité* : trouble, infortune. [264] Le verbe s'accorde ici avec le sujet le plus proche, en F-M, on aurait attendu la forme pluriel « sont ». [265] *Ouvrir* : dévoiler. [266] Il se crée ici une connivence entre le spectateur et Fauste, au détriment de Crispe, qui ne comprend pas ce double langage dans lequel Fauste feint de parler d'une autre mais en réalité ne parle que d'elle-même. [267] Fauste joue sur la polysémie du verbe *adorer*, qui exprime à la fois le fait de révérer quelqu'un et d'aimer d'amour une personne. [268] *Bannir* : éloigner. [269] *Au prix* : en comparaison. [270] *Empire* : pouvoir, autorité. [271] *Truchement* : signe qui permet un déchiffrement. [272] *Captive* : prisonnière d'amour. [273] Il s'emploie en agriculture, pour désiner l'action d'accroître une semence. [274] *Mystere* : chose obscure, inexplicable pour la raison humaine. [275] *Lineamens* : traits. [276] Le tyran est ici l'amour. [277] Le mot est au pluriel car Fauste fait allusion aux douze dieux de l'Olympe, selon les païens (Jupiter, Neptune, Pluton, Vesta, Junon, Mars, Minerve, Apollon, Vénus, Mercure, Diane, et Vulcain). [278] Edifice consacré au culte d'un Dieu. [279] En effet, Jupiter et Junon étaient frère et sœur. Voir annexe n°9. [280] L'adverbe est ici utilisé dans un sens positif, pour indique une action à venir, une éventualité. [281] Se garder : prendre garde de. [282] *Plus* : désormais. [283] *Appointer* : accepter une requête. [284] *Pretendu* : espéré. [285] *Donc* : puisque. [286] *Ingrat* : celui qui n'a point de reconnaissance des bienfaits qu'il a reçu. [287] *Puissante* : qui a un grand effet sur qq'n. [288] « Faut-il pas » : « Ne faut-il pas ». [289] *Supplice* : châtiment. [290] *Pour* : à cause de. [291] *Fortune* : bonheur, élévation. [292] *Pretendre* : avoir l'intention de. [293] *Se recognoistre* : avouer une erreur commise et s'en repentir. [294] *Affront* : échec humiliant. [295] *Envie* : jalousie. [296] *Entremise* : intervention dans une affaire. [297] *Heur* : bonheur. [298] *Avoir part à* : s'intéresser à. [299] *Nonobstant* : malgré. [300] *Mutins* : révoltés. [301] *Charge* : mission. [302] *Depuis deux momens* : depuis peu. [303] *Acquis* : dévoué. [304] *Toujours* : quoi qu'il arrive. [305] *Repos* : quiétude. [306] *Mystere* : secret. [307] *Découvrir* : révéler. [308] *Sejour* : fait de demeurer à un endroit, présence. [309] **à* part* : mis à part. [310] *Rebut* : refus. [311] *Avanture* : accident. [312] *Avancer* : faire de façon prématurée. [313] « qu'il ne soit mort » : si ce n'est mort. [314] *S'entendre avec qq'n* : être complice de qq'n. [315] *Pour le moins* : du moins. [316] *Quels* : qui. [317] *Meschans* : êtres mauvais. [318] *Pource que* : parce que. [319] *Traverser* : empêcher de faire qqch en sucitant des obstacles. [320] *Race* : famille, descendance. [321] *D'un coup* : d'un seul coup. [322] *Impenetrable* : sourd, désintéressé. [323] *Circonspect* : réfléchi. [324] *En quel lieu* : quelque soit le lieu. [325] *Parmy* : au sein de. [326] *En* : dans. [327] Le verbe *blesser* est remplacé par *meurtrir* dans l'exemplaire 10918*(27)*. [328] *Si* : pourtant. [329] *Lien* : relation. [330] Le mot « flamme » est ici une métaphore pour la vie. [331] *Pretendre* : vouloir. [332] Le prénom *Hycarie* est biffé et corrigé par le prénom *Helene* dans l'exemplaire Rf 6207. [333] *Charger* : accuser. [334] « Je devois » : j'aurais dû. [335] *Fureur* : folie furieuse. [336] *Furies* : Divinités infernales chargées d'exécuter sur les coupables la sentence des juges. Elles doivent leur nom à la fureur qu'elles inspirent. Voir annaxe n°10. [337] *Chargé* : accusé. [338] *Rendre obeïssance* : obéir. [339] *Discourir* : parler. [340] *Controuvé* : se dit d'un fait erroné, allégué pour tromper. [341] *Reconnaitre qq'n* : admettre l'absence de culpabilité de qq'n. [342] *Procurer* : s'occuper de. [343] *Tout* : entièrement. [344] *Manie* : folie, fureur. [345] *Debonnaire* : vertueux. [346] Le substantif « marastre » mis ici en comparaison avec le substantif « mere » montre qu'il est ici dans un emploi péjoratif. [347] *Rapport* : récit. [348] *Dedans* : dans. [349] *Aviser* : reconnaître. [350] *Indiscrets* : insensés. [351] *Tromper* : déjouer. [352] *Du tout* : entièrement, tout à fait. [353] La proposition *on fait trop de mysteres* est biffée et corrigée par la proposition *on vous voit debonnaires* dans l'exemplaire Rf 6207. [354] *Perdre l'ame* : mourir. [355] *Discret* : qui discerne ce qui est à propos, en fait d'actes ou de paroles. [356] *Ennuy* : tourment insupportable, violent désespoir. [357] *Foudre de guerre* : grand guerrier. [358] *Perdre la lumiere* est métaphore pour dire « mourir ». [359] *Faire pardon* : pardonner [360] **é*prouver* : subir. [361] *Dedans* : du point de vue. [362] **à* peine de* : sous peine de.