--- identifier: guerindebouscal_mortbrute creator: Guérin de Bouscal, Guyon ; Georges Forestier. date: 1637 title: La Mort de Brute et de Porcie, ou La vengeance de la mort de César. Tragédie --- LA MORT DE BRUTE ET DE PORCIE, OU, LA VENGEANCE DE LA MORT DE CESAR. TRAGEDIE. A PARIS, Chez Tovssainct Qvinet, au Palais dans la petite salle, sous la montée de la Cour des Aydes. M. DC. XXXVII. AVEC PRIVILEGE DV ROY Édition critique établie par Yann Ombrouck dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2011-2012) # Introduction. DÉDICACE, À Monseigneur WYNANT SCHIMMEL. Mon ami bienveillant et dévoué, Je vous présente à l'improviste mon funeste, mais, pour bien dire, mon courageux Brutus, qui, avec son grand ami Cassius, ouvre les rideaux de cette tragédie : soyez assuré qu'il se montrera devant vos yeux avec plus de gloire, parce que Brutus exilé (pour rétablir la liberté de Rome et soutenir les âmes opprimées) non seulement hasarde sa propre vie, mais se sacrifie pour l'honneur à la fatalité. Prenez la courageuse Porcia en pleurs dans vos bras avec compassion, elle qui, étouffée par le désespoir, voue son corps au sombre tombeau. Protégez-la des mauvaises langues, qui portent envie à son bonheur, pour qu'elle puisse, après sa mort, fleurir comme une rose sous les chardons et les épines. Ainsi je reste envers Votre Éminence Dévoué et obligé *P. Zeeryp* [1] C'est par cette dédicace, placée entre la page de titre et la liste des personnages, que le lecteur néerlandais de 1653 pouvait commencer sa lecture d'une tragédie intitulée *De Dood van Brutus en Cassius*. [2] L'origine de cette tragédie, qui venait d'être jouée à Amsterdam, et dont il découvrait qu'elle avait été « mise en vers par *P. Zeeryp* » [3], lui échappait totalement, le nom même de l'auteur n'étant pas cité. Il ne pouvait se douter qu'elle était l'œuvre, près de vingt ans plus tôt, d'un Languedocien désormais retiré de la vie littéraire parisienne pour occuper les fonctions de premier consul de sa ville natale, loin, très loin d'Amsterdam. N'ayant pas la source exacte, il devait faire sans le contexte littéraire de la France du début des années 1630, dont les subtilités lui étaient très probablement étrangères. Le traducteur avait manifestement élaboré sa traduction à partir d'une édition caennaise sortie des presses d'Eléazar Mangeant un an plus tôt, édition à qui l'on doit ce titre écorché où « Cassie » remplace « Porcie », mais dont la qualité du texte n'est pas inférieure à celui de l'édition originale (parisienne) de 1637 : au contraire, quelques coquilles ont été corrigées au passage. En revanche, ni le prologue de la pièce, où l'auteur met en scène les grandes tragédies du temps et place son sujet à la suite d'une allusion à *La Mort de César* de Georges de Scudéry, ni les poèmes qui la suivent n'ont fait partie du voyage : l'édition caennaise de 1652 les a ignorés. Il faut croire que le traducteur, Pieter van Zeerijp, s'il avait un exemplaire de cette dernière entre les mains, n'avait pas beaucoup plus d'informations en lisant le nom de « MONSIEVR DE BOVCAL » sur la page de titre. Certes, le libraire et l'imprimeur avaient déjà collaboré, en 1650, à la publication d'une traduction de la tragédie de Scudéry, également jouée à Amsterdam, et mise en vers par un certain H. Verbiest. À cette réserve, l'on peut répondre que l'éditeur a pu puiser indistinctement, pour la pièce de Scudéry comme pour celle de Guérin de Bouscal, dans les tragédies publiées par les Mangeant de Caen. En effet, Jacques Mangeant, le père d'Eléazar, avait lui-même contrefait la pièce de Scudéry en 1638 et l'avait rééditée en 1646, ce qui laisse la possibilité d'un passage en Hollande pour une traduction en 1650. Il s'agirait dès lors moins d'une cohérence dans la publication de l'éditeur néerlandais que la trace d'une origine commune : Caen était en liaison maritime avec la Hollande. Ainsi, la lecture de la pièce de Guérin de Bouscal en fonction de celle de Scudéry, qui avait écrit une pièce engagée politiquement, dans une apologie de la monarchie condamnant sans appel Brutus, paraissait bien compromise : la distance (temporelle et spatiale) ainsi que la disparition du prologue devaient être des obstacles difficilement surmontables. [4] Certes, il y a dans ces hypothèses néerlandaises nombre d'incertitudes et, à coup sûr, des inexactitudes. L'acuité de la réception du théâtre français par les Néerlandais, dont on sait qu'ils produisaient avec passion de nombreuses contrefaçons au XVII*e* siècle, ne relève pas de notre domaine. Il est alors temps de quitter les hypothèses pour en venir à notre propos. Paradoxalement, l'édition critique que nous réalisons ne contredira pas foncièrement la lecture de la tragédie par Pieter van Zeerijp, là où nous aurions pu croire que le contexte dont nous ne sommes pas privé allait infléchir la lecture en un sens beaucoup moins flatteur pour le camp des républicains défaits en Macédoine. Après la mort de César, les conjurés avaient dû s'exiler pour finalement rencontrer les troupes des partisans de César, menées par les triumvirs Octave et Marc Antoine, à Philippes. C'est de cette bataille, acte de décès de la République romaine, dont il est question dans la pièce de Guérin de Bouscal. Dans le propos de Pieter van Zeerijp, les triumvirs et la cause qu'ils défendent (la vengeance de César) brillent par leur absence. Les figures du camp des « Libérateurs » ne voient dans leur caractérisation aucune ombre au tableau, comme si la condamnation morale devenait l'injustice de ces « mauvaises langues » dont Porcia, la femme de Brutus, serait victime sans l'intervention du spectateur. Brutus et Cassius y apparaissent réconciliés et leurs disputes de Sardes ne sont qu'un lointain souvenir. [5] Certes, dans la lecture que nous ferons, les personnages de Cassie et Porcie auront leur part de responsabilité. Pour autant, nous ne sommes pas sûr de pouvoir entamer la gloire de Brute. Il n'est pas, en tout cas, ce vil fourbe des ides de mars qui attire César au Sénat en le flattant, comme le mettra en scène Scudéry, confondant pour les besoins de la cause Brutus et Décimus Brutus. [6] La tragédie de Scudéry se voulait une apologie de la monarchie, dans un engagement politique déclaré par l'auteur dans son avis au lecteur. Cette dimension d'engagement semble bel et bien disparaître dans la pièce de Guérin de Bouscal. Dans ce même avis au lecteur de *La Mort de César*, Scudéry trouvait l'occasion d'exprimer un jugement personnel sur Brutus : Je sçay bien que Brutus a des Sectateurs, qui ne le trouveront pas bon, mais outre que j'escris souz une Monarchie et non pas dans une Republique, je confesse que je n'ay pas de ce Romain, les hauts sentiments qu'ils en ont : car s'il aimoit tant la liberté de sa Patrie, je trouve qu'il devoit mourir avec elle, apres la perte de la bataille de Pharsalle, sans attendre celle de Philippes. Il ne devoit point devenir le flateur de CÆSAR, pour s'en rendre apres l'assassin ; ou plutost le Parricide : et s'il aimoit tant la Philosophie, il devait finir sans luy dire des injures, et ne pas faire voir qu'il ne vouloit estre sage, que lors qu'il estoit heureux. Cette outrance ne saurait décrire le Brute de Guérin de Bouscal et ce n'est pas ce personnage qu'a lu et traduit Pieter van Zeerijp. Le Néerlandais aurait pu compter au rang de ces « Sectateurs » dont parle l'auteur de *La Mort de César*. Il répond sans le savoir à Scudéry, qui n'a plus qu'à rejoindre le camp des calomniateurs. Ainsi, plutôt que le personnage d'une suite, Brute est à considérer comme le personnage du premier volet d'une trilogie tragique où le héros vertueux rencontre la mort en se confrontant à son destin, tel Cléomène et Agis, ces deux figures que Guérin de Bouscal trouvera en poursuivant sa lecture de Plutarque. Bien évidemment, cette édition critique, car c'est un de ses rôles majeurs, sera le lieu où l'on retrouvera le contexte perdu dans le voyage qui mène de Paris à la Hollande, contexte nécessaire à la légitimation de tout commentaire littéraire et auquel nous nous sommes attaché le plus soigneusement qu'il nous a été possible. Cela posé, nous sommes heureux de découvrir non sans surprise, dans ce que nous imaginons être les conditions dans lesquelles Pieter van Zeerijp a pris connaissance de cette tragédie, que la lecture d'un texte pour lui-même, qui conduit aisément aux égarements les plus malheureux, est ici possible. Que le lecteur ne craigne pas de s'y exposer ; s'il doute, qu'il nous lise. # Guérin de Bouscal et son œuvre. ## Guérin de Bouscal. ### Réflexions sur un état civil. Guérin de Bouscal est un auteur peu connu du début du XVII*e* siècle, originaire du Languedoc. Malheureusement, les éléments sont pauvres et parler de sa vie est une tâche difficile ; les efforts faits dans ce sens ont souvent mené à des inexactitudes. Il apparaît alors qu'on a longtemps malmené son état civil, mettant même en question le prénom de *Guyon* [7] ainsi que des dates fantaisistes [8], reposant sur une tradition qui manquait de sources fiables, quand elle songeait à en citer. Un dépouillement fin des archives du Tarn a notamment permis de mettre au jour cinq documents autographes et un acte de décès qui ne laissent guère de doute quant à leur pertinence. Notre auteur serait ainsi né protestant vers 1613 [9] et décédé catholique le 31 décembre 1675 à Réalmont. C'est là l'essentiel de ce que montrent les travaux de C. E. J. Caldicott, les plus complets en la matière, exposés dans l'introduction de son édition critique du *Gouvernement de Sanche Pansa*. Ce sont ces travaux, fruits d'un travail d'envergure, que nous suivrons. Mais nous nous permettrons une objection. En effet, il est un point sur lequel Edric Caldicott s'est senti forcé d'abdiquer : la détermination précise de la naissance de Guérin de Bouscal. Le trésor des archives de France ranime mieux que tout commentaire la vie des personnages du passé, mais l'enfance de Daniel Guérin a disparu avec les archives détruites lors de la prise de Réalmont, une des places-fortes du Languedoc protestant, par les troupes de Condé, en 1628. [10] Ce même amour des archives (appuyé sur une solide expérience généalogique) a guidé nos recherches. Dans un premier temps, l'explication historique donnée par Edric Caldicott justifie l'état du fonds des Archives Départementales du Tarn concernant Réalmont. En effet, dans ce premier temps, il apparaît que les registres les plus anciens sont ceux de la paroisse de Notre-Dame-du-Taur, ancien temple protestant confisqué par les catholiques en 1628 [11] ; ces registres commencent en 1632. Dans cette lecture, les registres de l'Église Réformée de Réalmont ne réapparaissent qu'en 1674. En commentant l'acte de sépulture de Guérin de Bouscal, Edric Caldicott écrit : Puisque le curé Teulier ne pouvait préciser l'âge exact de Daniel Guérin, il faut croire que l'acte de naissance ne se trouvait pas dans les registres de l'église catholique ; de plus, les registres des baptêmes, mariages et sépultures de l'Eglise Réformée de Réalmont, qui manquent maintenant pour la période 1617-74, avaient déjà disparu. [12] Quand on regarde ce fonds de plus près, on découvre un registre surprenant, qui semble avoir échappé à Edric Caldicott ou, du moins, n'a pas retenu son attention. Il faut en effet remonter une lacune de près de soixante ans pour trouver un registre de l'Église Réformée de Réalmont regroupant les baptêmes et les mariages de 1613 à 1617 [13]. Il n'est précédé ni suivi d'aucun registre et constitue un îlot avancé, épargné par l'histoire. L'acte de sépulture cité par Edric Caldicott fait mourir Guérin de Bouscal le 31 décembre 1675 à l'âge d'« environ soixante ans », et donne ainsi pour la naissance l'approximation suivante : vers 1615-1616. Le registre qui a attiré notre attention correspond ainsi parfaitement à cette approximation et laisse même la place à une marge d'erreur. C'est ainsi que nous avons trouvé l'acte de baptême sur le site des Archives en ligne du département du Tarn. Nous avons alors pu découvrir des informations qui coïncidaient avec ce que nous cherchions. Par souci de rigueur et pour pouvoir retranscrire mot à mot ce document, nous avons demandé de l'aide pour le déchiffrage à Philippe Corbière, un bénévole qui a réalisé des relevés dans les cantons de Vabre, Alban, Montredon, Villefranche et Réalmont, dont un relevé du registre qui nous intéresse. Ce généalogiste aguerri, que nous remercions, a ainsi pu nous donner une lecture des plus précises de l'acte : Le 22 janvier Guy fils de M° Jean Guerin notaire, parrain noble Guyon de Gavarret sieur de St Léon, marraine Judith Guerin fille dudit M° Jean et imposé nom Guyon À l'époque, le baptême suit toujours de quelques jours (voire de quelques heures) la naissance. Ainsi ce Guyon Guerin est-il né en janvier 1617 à Réalmont de Jean, notaire. Outre le fait que M. Caldicott donne pour père de notre auteur Jean Guérin, notaire de Réalmont, on remarque que la date coïncide quasi-parfaitement avec l'approximation de l'acte de sépulture de Guérin de Bouscal et, en tout cas, mieux qu'une estimation de sa naissance aux environs de 1613. Par ailleurs, sur la période 1613-1617, nous n'avons pas trouvé de Daniel qui puisse correspondre. C'est pourquoi nous sommes portés à croire qu'il s'agit là du baptême de notre auteur. Quand Edric Caldicott évoque la « période 1617-74 », l'année de 1617 pourrait laisser penser qu'il connaît l'existence de ce registre. L'a-t-il examiné ? Quand bien même, l'écriture difficile de ces trois lignes, noyées au milieu d'autres lignes non moins difficiles à lire, nous fait dire qu'il n'a pas vu cet acte. Les implications sont à deux niveaux : l'âge et le prénom. Premièrement, une naissance en janvier 1617 implique que la publication de la première pièce de Guérin de Bouscal se serait faite alors que l'auteur avait dix-sept ans (1634). Il n'est pas invraisemblable qu'un versificateur doué ait pu écrire une pièce à cet âge. S'il faut donner des exemples, on pensera à Jean de Rotrou, Philippe Quinault et, plus tard, Lagrange-Chancel. Il est même séduisant d'imaginer que *La Doranise*, tragi-comédie pastorale « en vers, en cinq actes et en trois naufrages » [14], ait été l'œuvre d'un adolescent. Quant à notre pièce, la seconde de Guérin de Bouscal, elle est publiée alors qu'il devait avoir vingt ans. Que le privilège de *La Mort de Brute et de Porcie* cite le prénom de *Guyon*, loin d'être le signe d'une erreur ponctuelle, est ainsi tout simplement la mention normale du prénom originel. À la lecture de Caldicott, il est malheureux de constater que la question du prénom est traitée incidemment, bien qu'elle soit une préoccupation importante chez ce chercheur pour qui Guérin de Bouscal se prénomme Daniel [15]. S'il est fait référence à de nombreux documents dont l'accès difficile ne nous a pas permis de procéder à toutes les vérifications que nous aurions voulu faire, nous notons qu'il n'y a qu'un seul document cité expressément par Caldicott où Guérin de Bouscal est prénommé Daniel. Il s'agit d'un extrait des délibérations consulaires du 20 octobre 1651. [16] Même sur l'acte de sépulture que cite le chercheur, acte qui ne fait guère de doute puisqu'il précise la haute charge du défunt, Guérin de Bouscal est désigné de cette manière : « msr. françois daniel de Guerin, Lieutenant de Réalmont » [17]. Non seulement le prénom Daniel n'en sort pas nettement renforcé mais une complication apparaît avec ce nouveau prénom, devant Daniel : François. Certes, une maladresse de la part du rédacteur n'aurait rien d'exceptionnel, en particulier à cette époque. Nous entrevoyons une cause non négligeable pour expliquer cette difficulté à produire des documents donnant le prénom Daniel : Fier et ombrageux, conseiller du Roi, lieutenant du Roi en la prévôté, élu premier consul de Réalmont en 1651, il s'appelait *Daniel* et n'aurait jamais supporté l'utilisation de son nom par un autre, même si son titre de Bouscal, nous le verrons, ne venait que d'un petit lopin de terre dans le consulat du Laux, vicomté de Lautrec. Il avait deux frères, Pierre et Nathanaël, notaires tous les deux à Réalmont, mais **Daniel fut le seul de la famille à signer ‘Guerin de Bouscal', n'employant jamais son prénom** ; il existe un document dans les A.D. du Tarn qui porte la signature des trois frères, mais on n'y voit qu'un seul Guérin de Bouscal. [18] Si nous lisons bien, nous comprenons qu'il n'existe pas de document signé « Daniel Guérin de Bouscal ». D'ailleurs, le seul document dont Edric Caldicott donne une reproduction (frontispice de son édition critique) est signé « Guerin de Bouscal ». Il ne faut pas en attendre plus du côté de ses œuvres : en effet, de ce côté, le privilège de *La Mort de Brute et de Porcie* est le seul à donner un prénom, qui confirme, on l'a vu, l'acte de baptême. Face au seul document de Caldicott donnant le prénom de Daniel, sous réserve de pouvoir un jour examiner les documents dont le chercheur donne les références sans les citer, ce privilège sort renforcé par l'acte de baptême que nous avons reproduit. Nous n'avons plus guère de doute quant à la naissance, en janvier 1617, de Guérin de Bouscal. Nous posons la question du prénom de *Guyon*, dont la fausseté nous semble à réévaluer. ### Activité littéraire à Paris et retour dans le Languedoc. L'essentiel de l'activité littéraire de Guérin de Bouscal se déroula à Paris, entre 1634 et 1645. [19] Entre 1645 et 1647, il revint dans le Languedoc pour devenir, en 1651, premier consul de Réalmont, fief protestant. Or Guérin de Bouscal, né protestant, s'était converti. [20] En 1652, un conflit éclate entre les partis protestant et catholique, soutenus respectivement par la Chambre de l'Édit de Castres et le Parlement de Toulouse. Il faudra attendre 1664 pour que Guérin de Bouscal soit rétabli dans ses fonctions de premier consul. L'histoire littéraire l'a retenu pour ses liens, difficiles à déterminer, avec Molière. Ce dernier, qui était régulièrement dans le Languedoc entre 1647 et 1657, avait d'excellentes relations avec les lieutenants-généraux, en particulier avec le comte d'Aubijoux, qui fut l'un de ses premiers mécènes. Or Guérin de Bouscal connaissait d'Aubijoux, qui habitait d'ailleurs non loin de Réalmont. Caldicott avance ainsi l'hypothèse d'une rencontre entre Molière et Guérin de Bouscal par l'intermédiaire de d'Aubijoux, ce qui semble tout à fait vraisemblable. Mais il est encore plus probable que *Le Gouvernement de Sanche Pansa*, troisième volet d'une trilogie théâtrale à succès, soit arrivé entre les mains de Molière, à Paris, dès sa parution en 1642. *Le Gouvernement de Sanche Pansa* fut, après le *Dom Japhet* de Scarron, « la reprise comique préférée de Molière », annonce Caldicott au commencement de son introduction. La pièce fut en effet l'une des plus jouées par la troupe de Molière, qui a continué à la jouer vingt ans après sa création. Ainsi, c'est par Molière que la littérature a gardé un souvenir de Guérin de Bouscal. ## L'œuvre. There is also considerable lyrical variety, shown in lovers' dialogues (II, 2, 4), stances (II, 3), an oracle (I, 1), and a scene with two echoes (II, 1). (H.C. Lancaster, à propos de La Doranise) [21] ### Tour d'horizon. #### Théâtre [22]. Ordre | Titre | Genre | Année de la première édition 1 | La Doranise | Tragi-comédie pastorale | 1634 2 | La Mort de Brute et de Porcie ou la vengeance de la mort de César | Tragédie | 1637 3 | L'Amant libéral | Tragi-comédie | 1637 4 | Dom Quixote de la Manche | Comédie | 1639 5 | La Mort de Cléomènes, roy de Sparte [23] | Tragédie | 1640 6 | Dom Quichot Seconde partie | Comédie | 1640 7 | Le Fils désadvoüé ou le jugement de Théodoric, roy d'Italie | Tragi-comédie | 1641 8 | Le Gouvernement de Sanche Pansa | Comédie | 1642 9 | La Mort d'Agis | Tragédie | 1642 10 | Oroondate ou les amants discrets | Tragi-comédie | 1645 11 | Le Prince rétably | Tragi-comédie | 1647 #### Autres écrits. *Oraison funèbre de Mgr l'Eminentissime Cardinal Duc de Richelieu* (1643) [24] *La Paraphrase du Pseaume XVII* (1643) *L'Antiope, roman* (1644-1645) [25] #### Poèmes au sein des œuvres. « Sur la guerison de Sylvie » (1637) [26] « Les Stances à Antiope » et le « Poème pour Périgonne » (1644) [27] ### Commentaire général. On l'aura compris après ce tour d'horizon, l'œuvre de Guérin de Bouscal ne se réduit pas à la trilogie cervantine. Sans Molière, l'histoire littéraire aurait-elle jamais retenu le nom de Guérin de Bouscal ? À regarder les travaux réalisés sur cet auteur, qui traitent de manière quasi-exclusive de ses comédies adaptées du *Quichotte*, il est permis d'en douter. [28] Pourtant, il est frappant de constater non seulement une certaine fécondité, mais une véritable variété qui fait de notre auteur un polygraphe. D'un bout à l'autre de son théâtre, Guérin de Bouscal s'est adonné au genre de la tragi-comédie. Il a également écrit trois tragédies dont les sujets sont tirés de Plutarque. Mieux, le constat va au-delà du théâtre : en témoigne *l'Antiope*, roman qui évoque les amours de Thésée et de la reine des Amazones, qui « ne comporte pas moins de deux mille pages » et qui eut selon Georges Vergnes un « succès non négligeable ». [29] Enfin, Guérin de Bouscal a également écrit de la poésie amoureuse, une *Paraphrase du Pseaume XVII* et une oraison funèbre à la mémoire de Richelieu. ### Application à La Mort de Brute et de Porcie. Cette variété est sensible dans la première édition de *La Mort de Brute et de Porcie*, que nous présentons. En effet, cette première tragédie de Guérin de Bouscal est précédée d'un prologue et suivie de poèmes, laissant la place à une certaine liberté : le prologue met alors en scène une Renommée en vierge rougissante, les poèmes évoquent une Sylvie insaisissable, si ce n'est « en songe » [30]. La tragédie elle-même est touchée par cette variété que l'on constate : se succèdent des discours tout aussi différents que des lamentations, des harangues, des récits de bataille ou encore le récit du rêve du médecin d'Octave. Enfin, la forme est également concernée par le phénomène, par l'emploi des stances (IV, 4) et des rimes croisées au lieu des traditionnelles rimes plates (les imprécations de Porcie, II, 4 ; le changement du système de rimes introduit le thème du suicide de Brute, fin de V, 4). En V, 4, l'emploi des rimes croisées est combiné à l'usage extensif du quatrain, « caractéristique des passages lyriques visant à la pompe » [31]. La liberté des rimes et l'hétérométrie ont une place importante dans chaque partie de cette édition (prologue, pièce, poèmes), fait qu'on peut illustrer en relevant les trois schémas strophiques les plus complexes que l'on rencontre. Ces trois schémas peuvent être vus comme une variation autour d'un même système de rimes : ABBACCDEED. [32] Les fluctuations sont au niveau du genre des rimes, du mètre et du nombre de strophes. Si l'on symbolise les rimes masculines par des minuscules, les rimes féminines par des majuscules et le mètre par le nombre de syllabes, on obtient les schémas strophiques suivants, multipliés par le nombre de strophes ou d'unités strophiques. Pour le prologue, l'unité, répétée dix-sept fois, est composée d'un quatrain séparé d'un sizain : (a8-B8-B8-a12 + c8-c8-D12-e12-e8-D12) x17. En IV, 4, il s'agit d'un dizain : (a8-B8-B8-a8-C8-C8-d12-E8-E8-d12) x6. Enfin, les stances qui terminent la série de poèmes prennent à nouveau la forme de dizains : (A12-b12-b8-A8-c8-c12-D12-e12-e6-D12) x3. Il y a sans doute de la virtuosité derrière ces systèmes, maîtrise qui va jusqu'au jeu : dans le second poème, on trouvera ainsi un octosyllabe seul en plein sonnet régulier ! # La pièce. ## Argument de *La Mort de Brute et de Porcie*, sujet romain. ### Situation. Après l'assassinat de César en 44 av. J.-C., ses héritiers politiques, menés par Marc Antoine (son ancien bras droit) et Octave (son fils adoptif, le futur empereur Auguste), forment un triumvirat avec Lépide. Les Républicains fondent alors leurs espoirs sur ceux qu'ils surnomment les « Libérateurs » alors que le parti adverse les considère comme les « césaricides ». Brutus et Cassius, les chefs des conjurés, ont dû fuir en Orient. En Italie, Marc Antoine et Octave mettent en place une politique de proscription, politique dont Cicéron est notamment victime. La confrontation entre les deux partis a finalement lieu en octobre 42 av. J.-C. à Philippes (Macédoine) au cours de deux batailles successives : la première voit la victoire de Brutus face à Octave et la défaite de Cassius devant Marc Antoine, la seconde la victoire de Marc Antoine contre Brutus. ### Acte I. Brute expose sa position politique en soulignant que la République est la seule qui respecte avec la liberté le droit des gens et la volonté des dieux. Il ajoute que ce système est celui qui permet à la vertu de s'épanouir, avant d'annoncer une bataille imminente (sc. 1). Cassie est contre l'idée de combattre et propose à Brute de reporter la bataille. Brute lui oppose la fatigue des troupes et la lassitude de Rome : c'est le moment de rétablir la liberté. Cassie se laisse convaincre, « contre s on cœur » (v. 118 et 127) (sc. 2). Cassie, sans remettre en cause l'autorité de Brute, confie à Titine son inquiétude et doute d'une victoire assurée par les dieux (sc. 3). Comme il l'avait annoncé aux vers 125-126, Brute « minute en repos l'ordre de la bataille » et commence par imaginer l'aile droite de son armée. Mais cette solitude est interrompue par l'apparition de son mauvais génie, mauvais présage dont Brute ne tient aucunement compte. Il reprend ses plans là où il s'était arrêté, avec l'évocation de l'aile gauche. Le soleil se lève et Brute sort de la scène pour encourager ses troupes (sc. 4). La scène suivante est la première où nous voyons le couple s'entretenir. Elle met en avant le personnage de Porcie, que nous voyons pour la première fois : celle-ci se caractérise par sa vertu, héritée de son père, Caton d'Utique, vertu qui signifie pour les Romains à la fois courage physique (« La fille de Caton nasquit parmy les armes », v. 181) et courage moral (« Ouy, Brute, ton trespas rend le mien necessaire », v. 213). Brute, dont le souci était de « sçavoir s a Porcie en repos » (v. 171), doit se soumettre à la fidélité absolue de sa femme, fidélité au mari et au dernier défenseur de la liberté. Tous les possibles sont évoqués dans cet échange d'amour : quoi qu'il arrive, ce dernier est plus fort que la mort ; Brute évoque l'espoir d'un bonheur qui serait alors parfait (sc. 5). Entre désespoir et fureur, Porcie invoque la vertu et forme l'idée d'aller courir aux armes, dans ce qu'on pourrait prendre pour un sacrifice à la Victoire. Sa compagne l'en détourne et Porcie sort de la scène pour prier Jupiter (sc. 6). ### Acte II. La première réplique de Marc Antoine développe l'idée que la mort de César réclame une vengeance qui doit aller jusqu'au bout, quel qu'en soit le prix, pour châtier ces traîtres qui ont assassiné leur bienfaiteur. La royauté est le seul système qui convienne à l'État mûr, celui qui a atteint sa forme achevée après les conquêtes : l'ordre garanti par le souverain est alors une nécessité pour se prémunir contre les divisions et durer (sc. 1). Le médecin d'Octave (ce dernier est souffrant) rapporte à Marc Antoine le rêve qu'il a fait, véritable ravissement, état mystique qui lui a fait apercevoir une « troupe de Dieux » (v. 415) et recevoir ce commandement : il faut, pour sauver Octave, l'amener au camp de Marc Antoine. Marc Antoine s'empresse de suivre cet avis (sc. 2). En une longue tirade, Brute exhorte ses troupes contre la tyrannie considérée comme dégradation insupportable de Rome, décadence, usurpation impie. Il leur montre l'immortalité que leur promet leur vertu (sc. 3). La scène suivante est un monologue de Porcie, qui songe à la défaite en une imprécation contre les tyrans (sc. 4). À la proposition de sa compagne d'aller voir le combat, Porcie oppose son agitation intérieure. Elle se laisse convaincre mais ne manque pas de déclarer que « Les Dieux lui sont suspects depuis que leur cholere / En faveur d'un Tyran arma contre son père » (v. 583-584) (sc. 5). ### Acte III. Avec sa défaite, Cassie déplore celle de Rome. Mais l'acceptation première de l'ordre des choses s'accompagne d'un sursaut individuel (« je veux mourir libre », v. 595) et du souhait pour sa patrie de voir « un jour Brute ressuscité » (v. 601). Ses affranchis reculent devant le service que leur demande leur maître : lui donner la mort. Titine propose d'aller s'enquérir de Brute pour savoir l'issue du combat de son côté. Cassie se place sur le haut d'un rocher pour surveiller l'approche éventuelle d'un tiers (sc. 1). Brute se réjouit de sa victoire sur Octave, qu'il pense mort, et croit à la victoire de la République. Titine s'avance vers lui (sc. 2). Ce dernier apprend à Brute la défaite de Cassie face à Marc Antoine et fait le récit de la bataille, longtemps incertaine. Titine et Brute vont rejoindre Cassie (sc. 3). Du haut de son rocher, Cassie croit voir l'ennemi approcher. Pour échapper à la honte de la servitude et venger Titine, dont il a risqué la vie, il demande à Demetrie et Pindare de le tuer enfin. Cassie donne à Pindare le poignard qui a frappé César ; Pindare obéit et refuse pour punition la mort, pour le remords. Demetrie décide d'aller implorer la clémence de l'ennemi (sc. 4). Titine découvre le cadavre de Cassie et impute sa mort aux affranchis restés à ses côtés. Pour venger Cassie, il compte sur les tyrans eux-mêmes, qui n'accepteront pas de laisser impunie une telle traîtrise. Pour se venger lui-même et prouver son innocence, Titine décide de ne pas survivre à son maître (sc. 5). Brute arrive sur la scène alors que Titine expire ; il découvre le corps de Cassie. « Il faut dissimuler. » (v. 830). Brute tient alors devant sa suite un discours de confiance envers les dieux, commande d'enterrer Cassie nuitamment et « sans bruit » et songe à la façon de motiver ses troupes le lendemain (sc. 6). ### Acte IV. Octave à son tour expose son désir de vengeance contre le crime des césaricides. S'ensuit un échange crispé de compliments : le fait qu'Octave n'ait pas pu montrer sa valeur pose problème (sc. 1). Un soldat vient rapporter aux deux généraux la défaite des troupes d'Octave et faire le récit de cette bataille. Après un premier mouvement de désespoir, Octave se reprend et ajoute au désir de venger César celui de venger ses hommes. Marc Antoine juge le bilan globalement positif : grâce aux dieux, Octave est sauf et les troupes de Cassie sont défaites (sc. 2). Demetrie vient annoncer à Octave et Marc Antoine la mort de Cassie et, pour ne pas s'opposer à la Providence, leur propose de combattre à leurs côtés, ce qu'ils acceptent. Octave et Marc Antoine comptent profiter du trouble que suscite cette nouvelle chez l'ennemi (sc. 3). Porcie rend grâces aux dieux pour la victoire de Brute et souhaite expier ses doutes et ses alarmes passés. La victoire qu'elle relate s'accompagne de la prise du camp d'Octave qui lui fait croire, comme à Brute un peu plus tôt (III, 2, v. 645), à la mort du général ennemi (sc. 4). L'enthousiasme auquel Porcie s'est abandonnée est rompu par la nouvelle qu'apporte Brute : la mort de Cassie. Porcie refuse à nouveau de se mettre en lieu sûr et réaffirme sa volonté d'être, quoi qu'il arrive, auprès de son mari, auquel son sort est lié. Brute redit son admiration pour sa femme (sc. 5). ### Acte V. Cette harangue, à laquelle Brute pense depuis les derniers vers du troisième acte, évoque à nouveau l'immortalité acquise par la victoire, certes, mais insiste en particulier sur le fondement de l'action des Libérateurs, fondement qui se confond avec le respect des dieux. Ainsi, ce qui est combattu, c'est la tyrannie, notamment caractérisée par sa cruauté, et par là distincte de la royauté. L'ancienne aversion héritée du temps des Tarquins n'est pas suffisante et le motif est proprement la restauration du droit naturel, c'est-à-dire la restauration du droit des gens garanti par les dieux. L'orateur fait entrevoir le retour de la liberté et la fin des guerres civiles, fin synonyme de paix et de prospérité, avant de rappeler, après l'enjeu, la situation présente : la dernière bataille (sc. 1). Porcie, désespérée, est en proie aux présages et au désir de mort. Sa compagne a reçu pour ordre de ne pas la quitter (sc. 2). Les deux triumvirs exaltent leur victoire et sont après Brute (sc. 3). Brute prend acte de la défaite : la Providence veut la décadence de Rome et la Vertu doit s'incliner face à la nécessité. Il est alors temps pour lui de demander la mort à ses amis, pour « s' ensevelir avec s a liberté » (v. 1347). Deux amis anonymes reculent ; il reste donc Straton, figure nommée de l'amitié vraie, le « cher amy » (v. 1423), pour éprouver la décision de Brute avant de l'accepter. Straton voit tomber son général, son ami et le dernier espoir de liberté pour Rome ; sa mort s'ensuit (sc. 4). Porcie découvre le cadavre de Brute. Sa tirade commence par un blasphème avant de mettre en place les raisons du suicide à venir. Ces raisons se résument à un nom : la Vertu. La Vertu comme fidélité au mari et à la liberté tout à la fois, qui ne sont qu'une même figure, « Brute et la liberté » (v. 1470 et 1527). La Vertu comme fidélité à son identité, déterminée par le mari mais aussi par le père (v. 1513-1520). Aucun obstacle ne l'arrêtera : « Je cognois cent chemins pour aller aux enfers. » (v. 1530) (sc. 5). Octave et Marc Antoine parviennent devant le corps de Brute. S'opposent alors deux réactions : Octave souhaite poursuivre les derniers partisans du camp républicains pour parfaire la vengeance de César ; Marc Antoine considère qu'il faut faire cesser une guerre qui n'a que trop duré (sc. 6). Un soldat du camp ennemi vient annoncer aux deux généraux la mort de Porcie. Dans ce récit, la fille de Caton a déjoué la surveillance de son entourage et, sous couleur d'avoir froid, a fait allumer un feu dont elle a avalé des charbons ardents, ayant bravé ses gardiens. Octave, jusqu'ici inexorable, est en proie à la crainte et à la pitié : les hommes, quelle que soit leur condition, sont le jouet du destin. Il proclame l'amnistie pour les ennemis. Marc Antoine ordonne que soient rendus à Cassie, à Brute et à Porcie les honneurs funèbres ; leurs cendres seront rendues à leur famille. Octave se réjouit de la paix revenue et de la victoire, signe que la vengeance de César est accomplie (sc. 7). ## Une tragédie régulière de 1637. Le « Prologue de la Renommée », à la gloire de Louis XIII et, surtout, de Richelieu, le dédicataire, est divisé en deux parties : l'une a une fonction d'éloge à proprement parler (v. 1-110), l'autre, en mettant en scène un ministre mécène (v. 111-120), évoque les grandes tragédies du moment (v. 121-150) avant de présenter le sujet de la pièce (v. 151-170). Outre l'éloge à Richelieu, ce prologue permet à son jeune auteur de se situer dans le champ littéraire et d'inscrire son nom parmi ceux de dramaturges fameux. Il est alors fait allusion à l'*Hercule mourant* de Rotrou, *La Sophonisbe* de Mairet, la *Cléopâtre* de Benserade, *La Mort de Mithridate* de La Calprenède et *La Mort de César* de Scudéry, dont notre pièce se présente, par le sujet, comme une suite, cinq pièces qui illustrent la nouvelle renaissance de la tragédie après quelques années d'éclipse. [33] Comme tous ceux de sa génération qui font renaître la tragédie après 1634, Guérin de Bouscal puise son sujet dans le répertoire des tragédies humanistes : en l'occurrence, la *Porcie* de Robert Garnier, publiée en 1568. Avec les questions de la bienséance et de la vraisemblance, la régularité d'une pièce se mesure, comme l'illustrera la même année la Querelle du *Cid* [34], du point de vue de règles qui s'imposent progressivement et évoluent dans leur définition, règles tirées des lectures d'Aristote. La règle des trois unités, par exemple, sera de plus en plus stricte à mesure qu'avancera le XVII*e* siècle. ### Les bienséances. La tragédie que nous étudions compte cinq suicides (dans l'ordre, ceux de Cassie, Titine, Brute, Straton et Porcie), les quatre premiers ayant lieu sous les yeux du spectateur, le dernier étant rapporté dans le récit de la scène finale. Le suicide en tant que tel est permis par les bienséances. Il est même, comme le dit Jacques Scherer, une « nécessité dramaturgique », la seule solution pour apporter ses morts à la tragédie : car on ne peut représenter directement les combats, de même qu'un héros qui a le sens de l'honneur ne peut tuer un personnage respectable ou être tué par un traître. [35] Outre les nécessités d'échapper à la honte de la défaite et de la servitude (Cassie), de ne pas survivre à son général (Titine et Straton) ou à son mari (Porcie), le suicide sera, comme nous le verrons par la suite, exemplifié dans la figure de Brute, qui en développera la justification. Le problème de la bienséance est alors déplacé des suicides aux cadavres et à leur exposition. Mais, là encore, il semble que le problème n'en soit pas un, ou du moins pas encore. Il suffit, pour s'en convaincre, de considérer une des tragédies mises en avant par Guérin de Bouscal dans son prologue : « *La Mort de Mithridate* (1636) de La Calprenède est une tragédie qui respecte presque toutes les règles classiques et qui se termine par la macabre découverte que fait Pharnace de quatre cadavres. » [36] Jacques Scherer, qui ne manque pas d'exemples de suicides devant les spectateurs, désigne le dernier acte de cette tragédie comme « l'acte du suicide », « où il n'est guère question que de se tuer ». [37] L'agonie est quasiment absente de la tragédie de Guérin de Bouscal : aucun détail n'apparaît dans le discours et l'on passe de vie à trépas sans transition. Ce fait est particulièrement sensible dans les cas de Cassie, Titine et Brute. Lorsque la mort est décrite dans son processus, cette description ne dépasse pas deux vers. Ainsi, Porcie : Elle dit, et soudain d'un maintien de vainqueur Avalla des charbons moins ardens que son cœur, Leur brasier violant estouffe sa parole, Son bel œil s'obscurcit, et son ame s'envole. Porcie est morte ainsi, … (V, 7, v. 1613-1617 ; nous soulignons) Le passage d'un état à l'autre ne donne lieu qu'à un discret développement, où la facilité de la mort est frappante et la douleur physique bannie. Lorsque Straton succombe dans des vers qui sont les plus précis de la pièce, la souffrance, absente de toutes les autres morts de suicidés, est même niée : Ha ! je tombe, je meurs, mon œil est obscurcy, Mais je souffre trop peu; mort redouble ta rage. (V, 4, v. 1451-1452) Cela dit, cet exemple, le seul à traiter la question, laisse entrevoir la violence de la mort car, malgré Straton, la positivité de la « rage » de la mort est bien là. Sans doute est-elle nécessaire pour le personnage qui l'affronte héroïquement, et pour le spectateur qui l'attend. ### Un lieu à délimiter. Il est difficile de déterminer précisément ce qu'est l'unité de lieu en ce début de 1637. En effet, les grands manifestes réguliers, qu'il s'agisse de la *Lettre à Godeau sur la règle des vingt-quatre heures* de Jean Chapelain (1630) ou de la préface de *La Silvanire* de Jean Mairet (1631), n'évoquent la question que fort incidemment, à l'occasion du traitement qu'ils font de l'unité de temps dont l'unité de lieu n'est que la conséquence. C'est alors l'excès de la durée représentée qui est dénoncé et, par suite, la diversité des lieux que cette longueur implique. Chapelain évoque l'exemple de « dix ans », Mairet celui de « dix ou douze années ». Ces exemples impliquent des changements de lieu, jusqu'à « passer, pour Mairet, d'un Pole à l'autre dans un quart d'heure », changements de lieu qui ne peuvent que briser l'illusion dans laquelle la vraisemblance doit tenir le spectateur. Or si l'unité de temps connaît une borne supérieure bien précise, celle des vingt-quatre heures, inférée d'Aristote, l'unité de lieu, elle, n'en connaît pas. Le Philosophe, qui n'avait pas même évoqué cette unité de lieu, ne pouvait pas fournir de modèle, condamnant les théoriciens à rester pour un temps dans le flou de l'indétermination spatiale. L'antichambre ou la place ne sont pas encore obligatoires au théâtre et le décor compliqué de *La Silvanire* elle-même, tel qu'il est décrit dans le Mémoire de Mahelot, montre bien, dans la fragmentation de la scène, que l'unicité du lieu n'est pas alors conçue dans ces termes. Mairet, lorsqu'il « passe … à la dissection de sa pièce », dans sa préface, ne traite malheureusement pas la question. Jacques Scherer, passant en revue ses pièces, vient pallier ce manque. En fait, Mairet ne concevra jamais d'autre unité de lieu que celle d'une ville ou d'une petite région à l'intérieur desquelles peuvent être contenus plusieurs lieux distincts. … Les contemporains de Mairet, dans leur immense majorité, observent l'unité de lieu de la même façon que lui, ni plus, ni moins. M. Lancaster a remarqué que les quatorze tragédies jouées en 1635 et 1636 ne dépassent jamais, dans leur mise en scène, les limites d'un pays, et rarement celles d'une seule ville, mais qu'elles ne se limitent non plus jamais à la représentation d'une seule salle. Scudéry dit de son *Prince déguisé* (1635) : « La scène est à Palerme », mais avoue, dans l'avis *Au lecteur*, que le lieu, à l'intérieur de Palerme, « change cinq ou six fois » ; sa *Mort de César* (1636) se passe à Rome, mais montre le Sénat, une place publique, les maisons de César, de Brutus et d'Antoine … La théorie de cette forme d'unité de lieu ne sera guère faite qu'en 1639, donc assez tardivement et à une date où déjà commence à se former un idéal plus exigeant. [38] Pour Scherer, à l'époque de *La Mort de Brute et de Porcie*, l'unité de lieu comprend « la représentation de lieux assez voisins pour qu'on puisse passer rapidement et sans faire un véritable voyage, de l'un à l'autre. Ainsi divers lieux situés dans l'enceinte d'une même ville ou dans les environs immédiats, ou encore **diverses localités d'une région naturelle de petite dimension, telle qu'une plaine**, une forêt ou une île ». [39] Ainsi semble laissée pour la pièce que nous étudions la possibilité de camps séparés par la nécessité de l'intrigue, où évoluent les personnages (camps de Brute, de Cassie [40] et de Marc Antoine), passant parfois d'un sous-lieu à un autre : Titine fait l'aller-retour entre le camp de Cassie et celui de Brute [41] ; Demetrie passe au camp ennemi [42] ; les triumvirs progressent en direction de Brute, jusqu'à l'atteindre [43]. N'ayant pas d'information quant aux conditions exactes de la représentation de la pièce, nous sommes réduits à faire la conjecture d'une scène divisée en compartiments. Pour ce qui est de la liaison des scènes, elle ne ménage pas le lecteur. Les changements de camp entre la fin d'un acte et le début de celui qui le suit seront, pour un classique, acceptables. Mais passer, au cours d'un acte, d'un camp à un autre, provoque nécessairement une discontinuité touchant à l'entrée et à la sortie des personnages (II, 2 à II, 3 ; III, 1 à III, 2 ; III, 3 à III, 4 ; IV, 3 à IV, 4 ; V, 3). D'ailleurs, au sein d'un même camp, la liaison n'est pas toujours assurée (I, 3 à I, 4 ; II, 3 à II, 4 ; V, 1 à V, 2). Sans compter les cas où seul un cadavre fait la liaison (III, 4 à III, 5 ; V, 4 à V, 5 [44]). Selon Jacques Scherer, « on ne saurait énumérer toutes les pièces des 40 premières années du XVII*e* siècle où la liaison des scènes est rompue, non seulement quand le lieu change, mais en de nombreuses autres occasions. » [45] Et l'auteur de produire de nombreux exemples, notamment chez Mairet, Scudéry et Rotrou, trois des cinq auteurs convoqués dans le prologue de *La Mort de Brute et de Porcie*. Ainsi, de manière analogue à l'étendue du lieu unique, le peu de liaison des scènes dépendait-il d'un usage qui s'accommodait avec l'unité de lieu, sans être ressenti comme irrégulier, mais sans être encore véritablement classique. De même que le lieu ne se réduisait pas à une salle unique correspondant à la scène, la liaison des scènes n'avait pas un caractère obligatoire. ### Un temps concentré. Pour ce qui est de la règle de l'unité de temps, les vingt-quatre heures sont, à peu de choses près, respectées : l'action commence à l'aube (Brute voit le soleil se lever en I, 4 aux vers 165-166) et se termine le lendemain matin, après la défaite du héros. Il a fallu pour cela faire une entorse à l'histoire : en effet, il n'y pas eu une bataille de Philippes, mais deux, espacées de trois semaines. La première bataille de Philippes (qui mène à la défaite de Cassius face à Marc Antoine et à la victoire de Brutus sur les forces d'Octave) a lieu dans notre pièce la journée et la seconde le lendemain matin. On peut situer la nuit entre la fin du quatrième acte (« … il faut que demain la bataille se donne », IV, 5, v. 1143) et le début du cinquième acte (à la première scène, Brutus encourage ses soldats en appelant la victoire : « Soleil, fay que bien-tost ce beau jour nous esclaire; / Mais je te parle en vain, tu ne le sçaurois faire, / Si nous ne dissipons par des coups furieux / Ce nuage ennemy qui te cache à nos yeux. », v. 1239-1242 [46]). C'est durant cette nuit que Cassie est censé être enterré « sans bruit », tel que l'a ordonné Brute. [47] ### L'unité d'action. Quant à l'unité d'action de *La Mort de Brute et de Porcie*, on peut reprendre le propos de Lancaster, qui consiste à dire qu'elle est plus respectée que dans *La Mort de César* de Scudéry. [48] Scudéry place en effet la mort de César au terme du quatrième acte, faisant du cinquième un acte qu'on pourrait qualifier, comparativement du moins, de surnuméraire. [49] Lancaster ajoute que la règle de l'unité de temps l'empêchait d'évoquer Philippes et qu'une mauvaise compréhension du personnage de Brutus ne lui permettait pas d'en faire le sujet d'une pièce achevée par l'assassinat de César. [50] Le sujet de Guérin de Bouscal est sans doute mieux défini et son dénouement plus réglé : la bataille finale est réservée au dernier acte, la mort de Brute intervient en V, 4 et celle de Porcie est rapportée par un soldat dans la scène finale. *La Mort de Brute et de Porcie* est à notre connaissance la première pièce qui fasse de la bataille de Philippes la matière de cinq actes. À titre de comparaison, Shakespeare y a consacré le dernier acte de son *Jules César*, Robert Garnier le quatrième acte de sa *Porcie*, où la bataille est rapportée par la voix d'un messager. Le troisième acte de la tragédie de Robert Garnier annonce très brièvement la mort de Brute ; le sujet est un débat sur la clémence au sein des triumvirs : à Marc Antoine s'oppose alors l'impitoyable Octave. Au quatrième acte, le messager venu auprès de Porcie clôt son récit de la bataille par la volonté d'Antoine d'« apporter icy les cendres de Brute, / Le voulant aux tombeaux de ses ancêtres rendre, / Et vous Porcie gratifier d'une si chère cendre. » [51] Le dernier acte voit le récit de la mort de Porcie par la nourrice, qui se tue. Le traitement de Robert Garnier est très différent de la pièce de Guérin de Bouscal dans la mesure où Brute, personnage principal de *La Mort de Brute et de Porcie*, n'a pas la parole, et où la pièce se déroule à Rome. Robert Garnier était un modèle pour la génération de Guérin de Bouscal, mais ces différences rendent difficile la comparaison avec la tragédie qui nous occupe. Pour entrer dans le détail, il convient d'envisager la composition de la pièce, ce qui nous aidera à considérer plus précisément l'unité d'action. #### Composition : exposition, nœud, dénouement. Les deux premiers actes se déroulent avant la première bataille. [52] Marc Antoine et Brute, dont les pensées politiques sont exposées symétriquement aux scènes liminaires (I, 1 et II, 1), se préparent à combattre. Chacun juge sa cause soutenue par les dieux. Du côté des Libérateurs, les personnages de Cassie et de Porcie portent le mauvais pressentiment. Le troisième acte pose, avec la défaite et la mort de Cassie, la possibilité d'entamer l'espoir de Brute victorieux. Mais ce dernier ne faiblit pas. Parallèlement, le quatrième acte présente aux yeux des spectateurs une montée en puissance des triumvirs (sc. 1 à 3) et prépare, avec l'annonce de la mort de Cassie à Porcie (sc. 5), la désillusion de l'épouse, qui croyait déjà en la victoire (sc. 4), et qui sera bientôt, plus que jamais, la proie des mauvais présages (V, 2). Le dernier acte est divisé en trois parties : avant la bataille (sc. 1 et 2 ) ; la défaite de Brute, l'exultation des triumvirs et le suicide du héros (sc. 3 et 4) ; après la bataille, le désir de vengeance coupé court par la mort de Porcie (sc. 5 à 7). À cette composition précise de la pièce se joint le fait qu'à chaque scène et chaque personnage est assignée une place déterminée ; l'enchaînement scénique semble dès lors motivé : il s'agit de précipiter le camp des Libérateurs dans le malheur, en laissant au spectateur les indices d'une progression funeste. [53] Contrairement aux grandes tragédies qui viennent à l'esprit, tout se passe comme si l'exposition durait deux actes au lieu d'un. On peut l'expliquer par la présence de deux camps, ce qui donnera lieu, comme nous le verrons, à un traitement particulier privilégiant le point de vue des Libérateurs. Ainsi, il faudra attendre l'acte II pour voir sur scène un général du camp adverse : Marc Antoine. Il apparaît alors, aux yeux du spectateur, que la complication est le fait du troisième acte, qui est entièrement consacré à la défaite et au suicide de Cassie. L'étude comparée des troisième et quatrième actes est instructive : c'est à ce moment qu'une progression dramatique semble s'amorcer, malgré la fermeté de Brute. La comparaison est rendue possible par la confrontation des deux camps ou, plus précisément, par la confrontation des points de vue des deux généraux victorieux. En effet, Brute et Marc Antoine découvrent tous les deux la réalité des pertes respectives et la vérité qu'ils en tirent s'exprime en des termes rigoureusement identiques. Brute victorieux croit Octave mort (III, 2) et l'annonce de la défaite de Cassie à la scène suivante lui fait déclarer : Je ne crain pas pourtant que l'ennemy se vante, Ny que pas un de vous en prenne l'espouvante; Puis qu'en comparaison de la perte qu'il fait La nostre mediocre est un gain en effet (III, 3, v. 715-718). De même, après la victoire de Marc Antoine, les triumvirs se réjouissent (IV, 1). Là encore, la scène qui suit leur apprend la défaite des troupes alliées. Et Marc Antoine de conclure : S'ils les Dieux eussent eu dessein de choquer nostre envie, Octave dans son camp auroit perdu la vie, Et mes Soldats et moy par un mesme destin Aurions dans le combat rencontré nostre fin: Mais ils sauvent ce Prince, et me donnent la gloire D'emporter sur Cassie une belle victoire; Si bien qu'à balancer ce rencontre fatal, J'estime que le bien l'emporte sur le mal; (IV, 2, v. 991-998) Dans les deux cas, le bilan est globalement positif. Les volontés en jeu, contradictoires, se nouent jusqu'à rendre l'issue indécidable. Non seulement chacun pense être du côté des dieux, mais chacun se considère comme l'instrument choisi par eux, se comparant à la foudre de Jupiter. [54] Néanmoins, cette indécidabilité, effective si l'on confronte les points de vue respectifs des personnages, est bien entendu relative du côté des spectateurs. Premièrement, parce que le spectateur connaît l'histoire. Deuxièmement, parce que le dramaturge lui laisse des signes. Ici, un signe important nous semble être la dynamique qui suit les bilans de Brute et de Marc Antoine. La deuxième scène de l'acte IV s'achève par le bilan globalement positif de Marc Antoine et par l'idée que Cassie a survécu à sa défaite. La scène suivante commence avec l'arrivée de Demetrie, l'affranchi de Cassie, qui vient annoncer la mort de son maître. Pour les triumvirs, il faut profiter du trouble qu'assure cette mort. La positivité du bilan sort renforcée. Le bilan de Brute (III, 3) est suivi par cette même mort, celle de Cassie (III, 4), dont Brute découvre bientôt le corps (III, 6), et par le suicide de Titine (III, 5). Ces morts entament un mouvement de dégradation, une descente aux enfers sur le mode du suicide prémonitoire. Brute prend garde à ce que les honneurs funèbres rendus à Cassie (ainsi que ses sentiments) soient dissimulés à ses soldats. Par ailleurs, Brute apprend qu'Octave est sauf entre son bilan (derniers vers de III, 3) et son intervention suivante (III, 6 ; le vers 847 implique cette information) ; la nouvelle lui est donc annoncée sur le trajet entre son camp et le camp de fortune de Cassie. La symétrie entre le parti des triumvirs et celui des Libérateurs est patente, en ce qui concerne les révélations : défaite des troupes alliées, mort ou survie du général ennemi, mort ou survie du général allié. Les mêmes éléments viennent clore l'acte IV avec la mise en place d'un schéma « déceptif ». En IV, 4, Porcie se réjouit de la victoire de Brute et de la mort d'Octave ; en IV, 5, elle apprend la mort de Cassie et la survie d'Octave. [55] Ce schéma redouble le cheminement qui a été celui de Brute à l'acte III et achève de faire des troisième et quatrième actes un tout cohérent chargé d'ironie tragique. Car c'est bien vers une tragédie de l'information que le sujet lui-même amenait. Cassie, le général qui se suicide en croyant voir arriver l'ennemi, en croyant ses alliés décimés, est le premier et le meilleur exemple de ce fait. Le dernier acte est celui du dénouement : la défaite (V, 3) et la mort de Brute (V, 4) sont suivies par la mort de Porcie (qui a lieu entre la fin de V, 5 et le récit du soldat en V, 7). Cette dernière mort entraîne, en un coup de théâtre, la conversion d'Octave à la clémence. Cette disposition n'est pas sans rappeler *La Mort d'Agis*, troisième et dernière tragédie de Guérin de Bouscal : Guérin de Bouscal a placé le dénouement, c'est-à-dire la mort du héros, au milieu du cinquième acte. Les catastrophes qui en résultent, (la mort de Chélonide, puis celle d'Agésistrate), complètent la pièce sans l'allonger indûment, ni sans la ralentir. [56] #### Une structure précise qui détermine le dénouement. *La Mort de Brute et de Porcie* est une tragédie construite selon une alternance entre deux camps bien séparés, alternance rythmée où chaque parti prend la parole à tour de rôle (voir document en format PDF). Les quatre premiers actes, relativement égaux en longueur, répondent au schéma suivant selon des séquences de scènes : un acte du coté des Libérateurs puis un acte divisé en deux parties (les triumvirs puis les Libérateurs). Au dernier acte, plus long, les triumvirs sont à la poursuite de Brute (V, 3) et les scènes qui suivent sont marquées par la présence du corps du héros (V, 4 à V, 7), de Porcie fuyant la vue d'Octave (V, 5) et d'un soldat de Brute (V, 7). Ainsi, le tableau que nous présentons semble redoubler symboliquement l'invasion spatiale : l'invasion par le discours vient rompre le schéma. Le cinquième acte était dû au Libérateurs ; la victoire finale des triumvirs vient le leur voler. Mais il n'y a peut-être là qu'apparence, si l'on considère que les scènes qui semblent consacrées aux triumvirs sont minées. On remarque alors que la troisième scène, la première des triumvirs, est la plus courte de la pièce (12 vers), que le corps de Brute n'est pas qu'un simple indicateur spatial mais un véritable acteur (Porcie le voit et lui parle avant sa résolution finale, il occupe le discours d'Octave et sa vue coïncide avec le renoncement de Marc Antoine à la vengeance [57]), que le récit du soldat rapporte les dernières paroles de Porcie, dans une intensité dramatique qui fait un grand effet sur Octave (V, 7) [58]. Par ailleurs, si l'on quitte l'alternance des scènes pour considérer la part exacte de chaque camp, on se rend compte que le discours des Libérateurs est largement majoritaire en ce dernier acte (78% des vers), et dépasse même la longueur des actes précédents [59] (voir document en format PDF). # La Mort de Brute et de Porcie, ou, La Vengeance de la mort de Cesar : une fausse ambivalence. ## Des titres, un sujet. Si « LA VENGEANCE DE LA MORT DE CA ESAR. » est le titre reproduit aux seuils du prologue et de la pièce, il faut bien suivre la page de titre et le privilège, qui le placent au rang de sous-titre. Le titre allégé de l'émission de 1647, « LA MORT DE BRVTE, ET DE PORCIE. », est en cela plus satisfaisant. Certes, on pourra arguer que la *vengeance* est l'objet même des derniers mots de la pièce, qu'elle est présente dans le lexique et noter les quinze occurrences de la famille de ce mot. Tout d'abord, concernant ces occurrences, on relativisera leur importance en remarquant que le nombre se réduit à dix quand on considère le seul camp des triumvirs et que seules huit d'entre elles se rapportent à la vengeance de César. Certes, la vengeance de César guide l'action de Marc Antoine et d'Octave dès leur apparition sur scène (respectivement en II, 1 et IV, 1). Pourtant, tel n'est pas le sujet décisif de la pièce. Et il suffit de considérer la présence des personnages pour s'en convaincre. On s'aperçoit alors d'un profond et constant déséquilibre entre les deux camps, que l'on considère les personnages principaux seulement ou que l'on considère l'ensemble des personnages de la pièce. Dans les deux cas, le rapport de force est d'environ 3, 5 en faveur des Libérateurs. C'est là une différence nette en comparaison de la pièce de Scudéry (voir document en format PDF). [60] Si l'on affine l'analyse, on comprend avec le premier graphique que l'attention dramatique est concentrée non seulement sur un camp mais sur un couple de personnages. Ainsi, sur les cinq personnages attendus, Brute et Porcie se démarquent nettement (avec respectivement 29, 84% et 19, 34% des vers), jusqu'à éclipser Cassie, Octave et Marc Antoine, à 7-8%. [61] L'exemplaire de l'édition de 1652 disponible à la bibliothèque de l'Arsenal, intitulé « LA MORT DE BRVTE ET DE CASSIE OV LA VANGEANCE DE LA MORT DE CÆSAR. » est, d'une manière plus évidente encore, victime d'une grossière erreur. Enfin, le sous-titre est à rapprocher de la page de titre de l'émission de 1640, qui indique « LA SVITE DE LA MORT DE CÆSAR. » : on peut supposer que le remplacement du titre original par un autre qui place la pièce en simple suite de celle de Scudéry, dont le succès fut notable, participe d'une manœuvre commerciale. ## Les caractères : d'un Brutus quasi-parfait à un Octave en apprentissage. ### Le camp des Libérateurs. On serait tenté de dire, sans lui retirer sa beauté, que le caractère de Brute est l'un des moins complexes parmi les personnages principaux. En effet, il n'est pas un moment où Brute perd de vue son devoir, pas un moment de doute ou d'impiété. À son mauvais génie qui lui apparaît (I, 4), il rétorque la plus profonde confiance et continue de « minuter en repos l'ordre de la bataille », comme il l'avait annoncé aux vers 125-126, sans montrer de signe de trouble. La première scène conjugale (I, 5 ; scène très proche de la seconde, en IV, 5) montre un Brute dont le premier souci est la sécurité de sa femme, condition suffisante pour partir, léger, au combat. La scène n'est pas dénuée de tendresse quand Brute évoque la force de son amour, son admiration pour Porcie et l'espoir d'un avenir commun. Mais pas un moment le général ne perd le contrôle de lui-même. [62] Devant le cadavre de Cassie, Brute dissimule et encourage ses hommes en renouvelant sa confiance envers les dieux. Loin de toute effusion, il n'est pas question de s'attendrir sur un ami mais de relativiser cette mort pour encourager ses hommes ; le corps de Cassie sera enterré nuitamment et « sans bruit » (III, 6). Brute ne cédera jamais, pas même au moment de mourir : le suicide sera le moyen de ne pas survivre à sa raison de vivre, la liberté. Cette perfection aurait pu entrer en tension avec la nécessité pour la tragédie de le voir mourir. Au contraire, la constance du caractère place le personnage à un niveau quasi-épique et lui fait défendre son statut de héros, demi-dieu. Le principal intérêt du personnage surhumain réside alors dans l'admiration qu'il suscite. Outre le point de vue de la réception, ce caractère « parfait » a également un intérêt dramaturgique : il est une norme par rapport à laquelle on peut mesurer l'écart chez les autres personnages. Brute s'est trompé quant au régime voulu par les dieux et quant à la Providence. Son erreur aura été de croire que la Vertu pouvait dompter la Fortune (v. 1317-1332). Cela peut sembler faible. [63] Loin de nous l'idée de faire de Guérin de Bouscal un républicain mais le fait est que, pour rendre la défaite plus acceptable, il n'est pas superflu d'entamer l'innocence des Libérateurs. Dans son camp, les personnages majeurs que sont Porcie et Cassie contribuent par leurs erreurs à rendre la défaite plus tolérable. La piété de Brute, qui se traduit par une confiance absolue envers les dieux, est inébranlable et rend tout possible : Amis, esperons tout de la faveur Celeste, Nous n'avons rien perdu puis que cela nous reste, Cassie est à present le butin du trespas, Mais les Dieux sont vivans et nous avons des bras; (Brute devant le corps de Cassie, III, 6, v. 863-866) Il faut tout esperer d'une juste entreprise, Si l'honneur la produit, le Ciel la favorise; Et l'on doit s'asseurer d'estre victorieux, Quand le droict qu'on soustient est la cause des Dieux. Les Dieux seuls sont nos Rois, jugeans qu'il n'est point d'homme, Qui puisse meriter leur Lieutenance à Rome, Depuis que le Soleil n'esclaire rien d'humain Qui ne doive tribut à l'Empire Romain J'adore leurs Decrets, et mon ame flechie, Se sous-met seulement à cette Monarchie; Tout autre me desplait, et mon adversion Vient d'un raisonnement exempt de passion; (Brute, I, 1, v. 21-32) Brute est alors celui qui porte l'espoir, ce qui se vérifie pleinement au niveau lexical [64] : il s'agit d'inspirer l'espoir à un général incertain, à une épouse passionnée et à des soldats usés par la guerre civile. Chez Cassie et Porcie, l'impiété s'insinue avec le doute. C'est « contre son cœur » que le général accepte les raisons de Brute et la première bataille et, face à la confiance de Titine dans les dieux, il oppose une réponse en contrepoint du discours de Brute que nous avons cité : La cause la plus juste est bien souvent trompée, Et j'en prens à tesmoin la perte de Pompée. Ce n'est pas que mon cœur se forme de soupçons Que nous n'obtiendrons pas ce que nous pourchassons; Mais alors qu'il s'agit de l'Empire de Rome, Il est bien mal-aisé de ne point parestre homme, Et dans l'Estat flotant de nostre liberté, L'asseurance me semble une stupidité. (Cassie, I, 3, v. 137-144) Le doute précédant la bataille se transforme après la défaite en une précipitation funeste. Cassie demande la mort avant même de savoir si Brute est vainqueur (III, 1). Son suicide résulte d'un malentendu : il intervient à l'approche de ce que Cassie prend pour l'ennemi, et qui n'est autre que Titine revenant avec Brute et sa suite (III, 4). Le manque d'espoir, progressant vers le désespoir, fait échapper Cassie à la plus élémentaire prudence, faute d'indifférence face aux accidents de la vie. Cassie est ainsi la victime de ses passions et manque à l'idéal développé par Brute, idéal notamment stoïcien : Toutefois il est vray qu'on n'est jamais au port Lors qu'on peut ressentir les caprices du sort. Si bien qu'en cét estat j'estime une ame sage A qui nul accident ne change le visage, Et qui goustant des maux ou des felicitez, Ne se porte jamais dans les extremitez, Ce beau temperament nous sauve des orages, Et nous fait une planche au milieu des naufrages, Au lieu qu'on voit toujours un violant transport Agiter nostre esprit et l'esloigner du port. (Brute, IV, 5, v. 1121-1130) Brute, qui doit annoncer à sa femme la mort de Cassie, expose cet idéal en réponse à l'enthousiasme illusionné de Porcie après sa victoire : Je ne me plains jamais sans des sujets de crainte, Et je croy qu'aujourd'huy j'ay rencontré le point, Où sans stupidité je puis ne craindre point. Vous voir victorieux, quoy seroit-il possible Qu'encor à la douleur mon ame fut sensible ? (Porcie, IV, 5, v. 1108-1112) Le nœud du caractère de Porcie est en effet ce qui semble être de l'inconstance. Les deux scènes conjugales nous la montrent en épouse fidèle refusant de s'éloigner de son mari, épouse fidèle à une figure dans laquelle sont confondus le mari et l'idéal héréditaire de liberté. Mais si Porcie a le sens du devoir, elle est également une amante passionnée. Ainsi, le projet qu'elle forme de courir aux armes, dans une sorte de sacrifice à la Victoire, témoigne, comme elle l'admet finalement elle-même (v. 301), autant de sa « fureur » et de son désespoir que de la vertu qu'elle invoque (I, 6). [65] Sa compagne, qui la raisonne, la ramène vers Jupiter mais ce retour de piété n'est que momentané. Avant le premier combat, elle songe à la défaite et à sa mort (II, 4), témoignant de son agitation intérieure et du doute qui la saisit, doute constitutif d'elle-même : « Les Dieux me sont suspects depuis que leur cholere / En faveur d'un Tyran arma contre mon pere; » (II, 5, v. 583-584). On note ce qui semble résulter d'un soin (signifiant) dans la construction : les deux dernières scènes du premier acte et les deux dernières du second acte voient la présence sur scène d'une Porcie désespérée ; les deux dernières scènes du quatrième acte voient une Porcie dans l'allégresse de la victoire. Elle souhaite expier ses doutes et ses alarmes passées, qui sont explicitement « impieté » (v. 1060) et « blasphèmes » (v. 1062). La piété de Porcie n'est guidée, on l'aura compris, que par les circonstances. Là encore, comme pour la première, le désir de mort précède la seconde bataille, accompagné de mauvais présages, et la compagne est forcée, dans une dernière tentative, de rappeler Porcie à la raison : Pourquoy murmurez-vous contre les immortels, Au lieu que vous deussiez embrasser leurs autels, Et par le zele ardent d'une sainte priere, Demander à genoux la victoire derniere: (V, 2, v. 1277-1280) La dernière tirade de Porcie sur scène (V, 5) confirme ce ballottement impie qui aura mû Porcie tout au long de la pièce. Ses prières ne valaient pas humblement pour des prières aux dieux : elles n'étaient qu'une manière d'acheter le sort, pour gagner contre des vœux la victoire de Rome et de Brute : Doncque le Ciel ingrat me desrobe mon ame, Et me contraint encor de prolonger ma trame ? Doncque tant de souspirs ne peuvent l'esmouvoir ? Et je n'ay pas la mort quand je la veux avoir ? Pourquoy traversez-vous mes desseins legitimes, Grands Dieux, auparavant de me monstrer mes crimes ? Sans doute j'ay failly, je le veux avoüer, Mais c'est pour trop vous croire et pour trop vous loüer, Ingrats rendez moy donc tant d'offrandes perdues, Et tant de vœux payez pour des demandes deuës, Rendez-moy tant de pleurs vainement respandus, Tant de biens prodiguez et tant d'honneurs perdus; Plustost à les garder mettez tout vostre étude, Ils seront les témoins de vostre ingratitude, Ou pour vous en laver, en cette extremité Rendez-moy seulement Brute et la liberté. (Porcie, V, 5, v. 1455-1470) Le manque de lucidité de Brute, que Normand Doiron considère dans *La Porcie romaine* de Claude Boyer, semble épargner le héros de Guérin de Bouscal. [66] Mieux, à la différence de Boyer, il n'y a chez lui ni précipitation, ni impiété, ni mépris de la religion. Cassie et Porcie n'ont ni clairvoyance, ni prescience de l'avenir, et leur désespoir, moins qu'un signe que Brute aurait dû considérer, est avant tout le produit d'une passion blasphématoire. ### Les Triumvirs. Avec les précautions que nous avons posées, il faut parler de la vengeance de César, qui motive, avec la défense d'un type de régime politique, l'action des deux triumvirs. Ceux-ci ne sont pas dépourvus de défauts et ce désir de vengeance est leur faiblesse même. Sur les huit scènes où ils figurent, six scènes les réunissent. Inséparables, il est ainsi possible de mesurer la force de leur alliance. La vengeance s'avère être l'élément fédérateur : le bras droit et l'héritier se retrouvent autour de César. Marc Antoine, le premier sur scène, est pris de fureur en relatant le crime de Brute : Ha ! Brute desloyal, qu'avec peu de raison Tu fondas le projet de cette trahison: Tu devois dire au moins la cause de ta plainte, La bonté de Cæsar l'auroit bien-tost esteinte, Et ton ressentiment eust esté satisfait, Sans faire voir au jour un si semblable effet, Tu pouvois disposer de toute sa puissance, Il n'eust jamais pour toy que de la complaisance; Mesme jusqu'à ce point, qu'apres mille forfaits On te pouvoit nommer l'objet de ses biens-faits: Et tu meurtris encor ce Prince debonnaire, Qui t'appelant son fils, se monstroit plus que pere: Et regarde couler ce beau sang sans effroy, Alors que ton poignard en rougissoit pour toy. O temps ! ô meurs ! ô Dieux peu reverés dans Rome ! O crisme d'un Démon bien plûtost que d'un homme ! Les autres conjurez, ont-ils eu moins de tort ? Cæsar les a sauvez, il nous donnent la mort; Semblables aux serpens qu'on voit en la Libye, Qui tuent en naissant les autheurs de leur vie. Ha lasches ! si le Ciel a quelque soin de nous, Vous sçaurez ce que peut sa haine et mon courroux. Il n'a point fait de loy contre l'ingratitude, Car la punition n'en peut estre assez rude: Mais pourtant je feray par mes inventions Un juste chastiment de cent punitions. Jamais les Dieux n'ont veu vengeance plus entiere, Ma fureur s'esteindra plus tard que la matiere; (Marc Antoine, II, 1, v. 343-370) Le dernier vers souligne bien l'excès où pousse ce désir de vengeance. Il est par ailleurs saisissant de constater que Marc Antoine, en dénonçant le crime de Brute avec la plus grande vigueur, nous rappelle un des siens. « O temps ! ô meurs ! »... voilà qui n'est pas de lui. Cette célèbre exclamation est de Cicéron, l'auteur des virulentes *Philippiques*, dont Marc Antoine avait fait exposer la tête et les mains après l'avoir fait exécuter. La vengeance de César porte en elle l'horreur des guerres civiles de la fin de la République. On aurait pu croire qu'Octave allait apporter une réponse différente : Qu'on pardonne aux Romains, qu'on cesse le carnage, Il suffit que sur eux nous avons l'avantage, Tout est déja reduit au poinct de nos desirs, Et bien-tost les travaux feront place aux plaisirs; Rome nous reverra comblez d'heur et de gloire, Non tant pour les lauriers deus à cette victoire, Mais pour avoir vengé l'insolent attentat⁎, Qu'en meurtrissant Cæsar, on fit sur son Estat. (Octave, V, 3, v. 1299-1306) Mais l'homme qui avait laissé Marc Antoine se venger de Cicéron n'échappe pas à la démesure. Ainsi, découvrant le corps de Brute : Le voicy, chers amis, cét objet de nos haines, Dont la mort va donner du relasche à nos peines, Le voicy ce meurtrier du plus grand Potentat Qui jamais ait tenu les renes d'un Estat; Ainsi toujours le Ciel prend vengeance du traistre Qui se veut opposer aux desirs de son maistre, Et punit le mutin qui choque des projets Dont le zele ne tend qu'au bon-heur des sujets, Tels que ceux de Cæsar à qui pareille envie Déroba les momens les plus doux de sa vie. Ceux qui restent encor seront bien tost abas S'ils attendent les coups qui partent de nos bras, Et quand pour éviter nos fureurs legitimes Ils porteroient au Ciel leurs corps avec leurs crimes, Je feray mes efforts pour pouvoir entasser Osse sur Pelion et les en deschasser. [67] (Octave, V, 6, v. 1535-1550) Il s'agit de tuer les césaricides jusqu'au dernier. La haine s'accompagne d'un orgueil qui place Octave au-delà de sa condition d'homme. C'est là le sens des quatre derniers vers, qui sont l'expression même de l'*hybris*. Le projet d'Octave s'apparente directement à celui d'Otos et Ephialte, deux géants qui, à l'âge de neuf ans, pour atteindre le ciel, menacèrent d'« entasser sur l'Olympe l'Ossa et, sur l'Ossa, le Pélion » [68]. Plus tôt (v. 851-852), Brute faisait allusion au mythe, estimant avoir de son côté ce Jupiter qui avait foudroyé les « Geans » ; à ce point, en effet, Octave semble être du mauvais côté. La réaction de Marc Antoine face au corps de Brute, qui suit celle d'Octave, marque l'évolution du personnage. Marc Antoine exhorte Octave à la tempérance : il faut mettre fin à une guerre qui n'a que trop duré. Octave veut aller au-delà du carnage : Octave. Les manes de Cæsar se pourroient satisfaire Avec ce seul meurtrier qui vient de se defaire, Mais mon ressentiment desire plus de sang. Anthoine. Il est bien alteré s'il en boit un estang Qui flotte impetueux là bas dedans la plaine. Octave. C'est bien peu pour esteindre une mortelle haine, Et monstrer ce que peut une extreme valeur. (V, 6, v. 1575-1581) Il faudra le récit final de la mort de Porcie pour l'infléchir et le ramener au niveau humain. Un si triste accident ébranle mon courage, Et fait que dans le port je crains presque l'orage. Je cognois aujourd'huy parmy ce changement Que le plus grand bon-heur ne dure qu'un moment; Je voy que le Demon qui conduit toutes choses, Ne pare l'univers que de metamorphoses, Afin que nos esprits aymant la nouveauté, Dans ces tableaux changeans trouvent plus de beauté. Que si c'est un effect de sa toute-puissance, En vain tous les mortels y feroient resistance, Et nostre vanité n'auroit rien de pareil Si nous pensions servir à ce grand appareil, Que comme d'instrumens incapables d'ouvrage Si la main de l'ouvrier ne les met en usage: … Ainsi quoy que nos fronts courbent dessous les palmes, Que les mutins soient morts, que nos terres soient calmes, Et que nous commandions à tout le genre humain, Nous pouvons n'estre rien et mourir dés demain: C'est pourquoy relaschant de ma premiere envie, Je veux que les vaincus soient certains de leur vie, Qu'on les souffre dans Rome, et que nos citoyens Renoüent avec eux leurs accords anciens, Afin que la douceur de ces faveurs nouvelles Leur oste le desir d'estre jamais rebelles. (Octave, V, 7, v. 1623-1636 … 1643-1652) C'est sur le mode de la révélation [69] que s'effectue cette conversion à la clémence, soumission à la Providence très proche dans les termes de celle de Brute : Et celuy justement perd le titre de sage, Qui veut choquer du temps l'infaillible passage, Qui considerera l'ordre de l'Univers, Il verra chaque jour son visage divers, Et connoistra par là que quelque providence Par le seul changement previent sa decadence, Et qu'ainsi nostre Rome ayant peu se porter A cét extreme point qu'on ne peut surmonter; Il faloit que suivant cette regle divine, Elle redescendit devers son origine; (Brute, V, 4, v. 1315-1324) Alors que chaque camp croyait être le tonnerre de Jupiter, les derniers mots de Brute et d'Octave sont indissociables d'une prise de conscience de la relativité de l'élection divine. Brute n'est sans doute pas le seul à avoir péché par confiance. [70] Octave doit alors renoncer à « montrer sa valeur », ce que les deux batailles de Philippes ne lui ont pas permis de faire. Du moins en apparence. En effet, ce retour sur terre, qui s'accompagne du renoncement à la vengeance et d'un pardon positif (l'amnistie) auquel n'avait pas songé Marc Antoine [71], permet à ce dernier de lui décerner le titre de « clement », qui constitue à proprement parler la victoire d'Octave. Victoire sur lui-même, telle que Cicéron avait pu décrire la clémence de César. [72] L'intérêt du sous-titre, « la Vengeance de la mort Ca esar », est alors déplacé vers ce qu'il contient d'implicite : le dépassement de la vengeance, la clémence au dénouement. D'un point de vue historique, une des vertus cardinales du principat d'Auguste sera précisément la *clementia*. Une façon d'effacer « au Temple de memoire » son caractère sanguinaire durant les guerres civiles. Sénèque, la principale source de Corneille pour sa pièce intitulée *Cinna ou la Clémence d'Auguste* (publiée en 1643 chez Toussaint Quinet), n'oubliera pas ce passé sombre : Le Divin Auguste exerça une souveraineté douce, si l'on commence à l'évaluer à partir de son principat ; sous la république, il mania le glaive, quand il avait l'âge que tu as maintenant. Au sortir de ses dix-huit ans, dès ce moment-là il plongeait des poignards dans la poitrine d'amis, dès ce moment-là il fomentait un attentat contre le consul Marc Antoine, dès ce moment-là il participait comme collègue à la proscription. [73] Le sujet de Guérin de Bouscal n'est pas celui de Corneille : le jeune Octave de notre pièce n'est pas l'empereur Auguste, installé au pouvoir et las, dès sa première apparition sur scène, du sang qu'il faut verser pour le conserver. Peut-on reprocher à Guérin de Bouscal cette anticipation historique du prince clément ? [74] Une manière de répondre consiste à rappeler un point de dramaturgie classique : partant de la *Poétique* d'Aristote, un des critères que doit respecter le caractère d'un personnage est la ressemblance, c'est-à-dire l'image que la tradition nous a laissé de lui. Or, au XVII*e* siècle, ce qui nous reste d'Octave, c'est avant tout la clémence d'Auguste. Le critère de bienséance s'accommode bien de cela : un roi doit être généreux. Finalement, le critère le plus problématique est le dernier, celui de la constance. L'étude du personnage d'Octave nous montre son parcours : d'abord objet d'un désir de vengeance non dénué de générosité (là pourrait tenir la constance) mais faisant sensiblement courir le risque d'*hybris*, le général connaît une conversion. À l'image de la concentration du temps que l'on remarque dans le traitement de cette bataille de Philippes, souci de régularité, la pièce de Guérin de Bouscal a peut-être ceci de remarquable qu'elle tient en cinq actes toute la vie d'Octave. Cela dit, cette question de la clémence, limitée au dénouement, et qui n'apparaît qu'après les morts de Cassie, Brute et Porcie, ne nous semble pas, comme nous l'avons remarqué avec le sous-titre, le cœur de la pièce. Non seulement la faible présence des triumvirs plaide en leur défaveur mais leur supériorité morale est discutée durant toute la pièce. Au-delà du pragmatisme politique, qui fait de la clémence une vertu qui ne vaut pas toujours pour elle-même, la dernière scène expose un rapport de causalité entre les deux émotions tragiques que sont la frayeur et la pitié : Un si triste accident ébranle mon courage, Et fait que dans le port je crains presque l'orage. … Nous pouvons n'estre rien et mourir dés demain: C'est pourquoy relaschant de ma premiere envie, Je veux que les vaincus soient certains de leur vie (Octave, V, 7, v. 1623-1624 … 1646-1648) On peut alors noter qu'au moment même où se construit la clémence d'Octave, ce dernier se voit placé dans la position de spectateur, ou plutôt du spectateur, évacué de la pièce d'une nouvelle manière à l'instant même où il se réalise. La clémence d'Octave apparaît comme la conséquence de la pitié et de la crainte. Cette clémence, accompagnée d'un retour de piété, sauve ainsi, *in extremis*, notre personnage, bien plus qu'elle ne le porte aux nues. Le caractère édifiant du dénouement, où la Providence fait gagner la monarchie et élève Octave [75], est là pour corriger ce qui nous semble animer la pièce entière et qui ne peut constituer un propos moral : l'admiration pour Brute, personnage historique qui semble avoir séduit l'auteur. Dès lors, il ne faut pas s'étonner que le neveu et beau-fils de Caton soit le seul personnage répondant à la dénomination de « Heros ». [76] # Brutus stoïcien ou le triomphe de la virtus. Parmi les philosophes grecs, aucun, en vérité, ne lui était inconnu ou étranger, mais il avait un culte particulier pour les platoniciens. Il n'appréciait guère ce qu'on appelle la Nouvelle Académie et la Moyenne Académie ; il restait attaché à l'Ancienne Académie : il ne cessa d'admirer Antiochos d'Ascalon et prit pour ami et pour compagnon son frère Aristos [77] Ce témoignage de Plutarque est sans doute l'un des plus explicites sur la question. Or Plutarque, la principale source de ce que nous savons de Brutus, dont il a écrit la *Vie*, ne fut pas suivi par les historiens sur ce point et ce, jusqu'au XX*e* siècle. C'est ce que constate David Sedley, de l'université de Cambridge, qui s'est attaché à montrer l'absence de fondement d'un préjugé qu'il compare à une maladie, à savoir le stoïcisme supposé de notre héros. [78] Sedley rassemble alors les faits qui font bel et bien de Brutus un disciple de l'école d'Antiochus, très nettement distincte de celle du Portique et fondée sur une connaissance précise de Platon. Le principal enseignement touche à l'assassinat de César, qui fut bel et bien pour Brutus la conséquence d'une pensée politique platonicienne maîtrisée. Dans la classification de Platon, la tyrannie était le dernier régime, celui d'une servitude intolérable. [79] Ainsi y a-t-il chez les platoniciens une tradition du tyrannicide, glorifié, ce qui n'est pas le cas du côté des stoïciens où l'indifférence qu'ils professent garantit leur liberté quel que soit le régime. Toutefois, à faire preuve de rigueur historique, on risquerait d'oublier un fait important : un dramaturge forge ses caractères, notamment, selon le principe de ressemblance. Ainsi, le héros d'un sujet historique doit-il être conforme à l'histoire. Ou plutôt, conforme à l'image que l'on se fait de lui, c'est-à-dire, sans trop d'approximation, conforme à la tradition historique. Or cette tradition historique lègue avant tout un Brutus stoïcien. L'occulter serait dès lors non seulement manquer de rigueur dans l'étude d'une pièce telle que celle qui nous intéresse, mais faire preuve d'absurdité dans la démarche. ## La *doxa* au XVII*e* siècle. S'il est difficile de reconstituer la pensée des hommes et des historiens de la France du XVII*e* siècle concernant cette question précise de la philosophie de Brutus, les rares lectures que nous avons trouvées tendent à faire de Brutus un stoïcien, conformément au jugement général de Sedley sur la tradition historique. Deux exemples permettront de se faire une idée du type de discours tenu sur ce point au XVII*e* siècle et de l'argumentation complexe qui s'y attache. Commençons avec une autorité : le Père Rapin, qui écrit, en 1671 : Brutus au sentiment du mesme Plutarque, fut aussi d'abord épris de la doctrine de Platon: mais il abandonna les sentimens de la nouvelle Academie, pour suivre ceux de l'ancienne, par le conseil de cet Antiochus, qui fut Maistre de Ciceron: et ce fut ce Philosophe qui fit quelque temps aprés Brutus Stoïcien, l'estant devenu luy-mesme, aprés avoir esté Academicien, comme le remarque Ciceron. [80] Si l'on confronte ce passage à la typologie que dresse Sedley des arguments fallacieux en faveur du stoïcisme de Brutus, on en constate trois. [81] Tout d'abord, « Brutus était un authentique disciple d'Antiochus, mais la philosophie d'Antiochus était elle-même une synthèse éclectique du platonisme et du stoïcisme » : Rapin met en avant une prétendue conversion du maître de Brutus au stoïcisme. Ensuite, « Brutus fut perçu et décrit comme un stoïcien par des écrivains contemporains et postérieurs » : Rapin invoque l'autorité de Cicéron. Enfin, « Brutus s'est rapproché du stoïcisme à la fin de sa vie » : Rapin s'attache à montrer sa progression. Huit ans plus tôt, on pouvait lire un jugement comparable dans la préface d'Antoine Soreau, avocat au Parlement, qui présentait alors « une Traduction françoise de toutes les lettres latines qui nous restent de Brutus, et de quelques-unes de celles de Cicéron ». Ainsi Soreau rejetait-il Plutarque en termes savoureux pour réduire la pertinence de l'historien grec à l'éloquence de Brutus, dont le traducteur dit plus loin le succès au « Barreau de Rome » et les « applaudissemens » qu'il reçut : S'il faut s'arrester à ce que dit Plutarque touchant les estudes de nostre Brutus dans Athenes; il s'attacha principalement à l'ancienne Academie. Mais si au contraire Ciceron, qui vivoit au mesme temps que Brutus, et qui estoit Citoyen d'une mesme Republique, doit estre plustost creû en cela que Plutarque, qui n'a vescu que longtemps apres, et qui n'estoit qu'un Estranger; il n'y a pas de doute que Brutus embrassa particulierement la secte des stoïques. Et de là vient ce mot si celebre et si souvent repeté, lors qu'en parlant de Brutus et de Cassius qui depuis avoient été les Chefs de la Conjuration contre Cesar, on a dit, *Qu'un Stoïcien et un Epicurien s'estoient accordez ensemble pour le bien de la liberté publique.* Toutefois, afin d'accorder aussi en quelque façon Plutarque avec Ciceron, il semble qu'on puisse dire icy, avec beaucoup d'apparence, que bien qu'il soit vray que Brutus fut Stoïcien pour la doctrine, il ne laissoit pas neantmoins de se plaire infiniment aux discours de l'ancienne Académie: parce qu'estant amoureux comme il estoit de l'Eloquence; il est certain selon les sentimens du mesme Cicéron, Ciceron en divers endroits de ses Livres de Rhetorique. [82] que l'Academie de Platon qui estoit l'ancienne, où l'on discouroit sur toutes sortes de sujets avec abondance et mesme avec ornement, estoit un lieu bien plus propre pour son dessein, que le Portique de Zenon, où les Stoïques ne traitoient les matieres que maigrement et avec une grande sécheresse parmy les épines des Syllogismes. [83] Antoine Soreau défend l'idée du stoïcisme de Brutus en convoquant Cicéron avec peu de raison et dans un parfait contresens. En effet, Cicéron donne à de nombreuses reprises un avis strictement conforme à celui de Plutarque, qui fait de Brutus un adepte de l'Ancienne Académie. [84] Par ailleurs, si l'éloquence de Brute est liée à l'école d'Antiochus en « divers endroits » de l'œuvre de Cicéron, qui selon nous se résument à deux passages seulement [85], la confrontation, sur ce point de l'éloquence, entre l'Ancienne Académie et le stoïcisme, renvoie manifestement à ce passage précis : — Ainsi, dit Brutus, il en est de nos stoïciens comme de ceux de la Grèce. Ce sont d'habiles dialecticiens, des architectes de paroles, qui élèvent avec beaucoup d'art l'édifice de leur argumentation. Transportez-les au forum, on ne leur trouve plus que de la stérilité; j'en excepte le seul Caton, à la fois stoïcien accompli et grand orateur. Mais je vois que Fannius eut peu d'éloquence, que Rutilius n'en eut pas beaucoup, et que Tubéron en manqua tout à fait. — Cela vient, répondis-je, de ce qu'ils s'occupent uniquement de la dialectique, et qu'ils négligent ces développements qui donnent au discours de l'étendue, de la richesse, de la variété. Votre oncle, au contraire, comme vous le savez, a pris des stoïciens ce qu'il en fallait prendre; mais il a étudié l'art de parler à l'école des maîtres d'éloquence, et il s'est exercé d'après leur méthode. S'il fallait se borner aux leçons des philosophes, les péripatéticiens seraient les plus propres de tous à former l'orateur. Aussi, mon cher Brutus, je vous félicite d'avoir embrassé une secte, celle de l'ancienne académie, dont les préceptes et la doctrine réunissent à la méthode philosophique la douceur et l'abondance de l'élocution. [86] Contrairement à ce que laisse entendre Soreau, qui ne donne pas de référence précise, Cicéron ne parle jamais qu'une seule fois de l'avantage que Brutus donne (et Cicéron avec lui) à l'Ancienne Académie sur les Stoïciens du point de vue de l'éloquence. Surtout, cet avantage donné ne vient pas constituer une exception dans un parcours philosophique stoïcien qui serait celui de Brute mais ne fait que confirmer Plutarque, sans aucune ambiguïté. Ainsi Soreau présente-t-il un bout de vérité (l'opposition, sur le plan de la rhétorique, des deux courants philosophiques, dans un contexte où Brute émet un jugement, le tout au sein d'une œuvre de Cicéron) pour l'accommoder avec le préjugé qu'il défend, de façon arbitraire. Encore l'évocation par Brutus de Caton comme une exception parmi les orateurs stoïciens (« Caton a pris des stoïciens ce qu'il en fallait prendre » confirme Cicéron) pourrait peut-être, dans une moindre mesure, excuser le contre-sens. Mais le fait est que, lorsqu'on remonte à la source et que l'on cherche partout dans Cicéron, il est difficile de trouver quoi que ce soit qui puisse aller dans le sens de ce que Soreau écrit, alors même que l'on pense avoir trouvé le passage précis auquel il pensait confusément. Plus loin, au sein de sa traduction d'une lettre de Cicéron adressée à Brutus, Soreau annote ce passage : vous cediez, mon cher Brutus, à la necessité du temps et des affaires : parce que vos Stoïques disent, Que le sage ne doit jamais fuïr. [87] Derrière le possessif « vos », Soreau renvoie à la note suivante : Selon que Ciceron parle des Stoïques en cét endroit il paroist clairement que nostre Brutus estoit Stoïcien, comme il est abservé plus au long dans la Preface. [88] Premièrement, ce court passage ne vaut pas ceux plus longs et plus explicites que l'on trouve chez Cicéron concernant la philosophie de Brutus, passages qui nous gardent de toute surinterprétation. Ensuite, il convient de noter ici que le syntagme à l'origine de la traduction « vos Stoïques » est s*toici nostri* [89] ; il y a donc un écart notable imputable à la traduction de Soreau. Cicéron prêtait plus haut les paroles suivantes à Brute : « il en est de nos stoïciens comme de ceux de la Grèce ». Le possessif ne témoignait alors d'aucun signe de l'appartenance de Brutus au courant philosophique mais de l'appartenance de membres de ce courant à une nation romaine (par ailleurs, nation de Brutus et de Cicéron) qui possédait ses propres stoïciens. La lecture en faveur du stoïcisme de Brutus, là encore, ne tient pas. Soreau semble réduit à exploiter un détail pour corroborer son jugement, un détail qu'il a par ailleurs lui-même créé. ## La morale nuancée de l'Antiquité et le stoïcisme. L'hésitation entre platonisme et stoïcisme, chez Rapin et Soreau, semble être de courte durée. Il est néanmoins frappant, en décortiquant la façon dont se développe une rhétorique défendant l'option stoïcienne, de voir rétrospectivement comment le problème historique, bien loin d'être surmonté par ces savants, n'en est que souligné. Notre sujet, la bataille de Philippes, et ce qu'il implique, à savoir les suicides dans le camp des *Liberatores*, exige alors une mise au point essentielle sur la façon dont l'Antiquité aborde le suicide et le rôle du stoïcisme dans cette réflexion. C'est le sens de ce point théorique qui pourra, nous l'espérons, contribuer à éclairer le sens profond de l'œuvre. Dans son livre intitulé *Le Suicide et la morale*, Albert Bayet s'est attaché à montrer que l'aversion pour le suicide, véhiculée par le christianisme, est d'origine païenne et, plus précisément, platonicienne. Sont invoqués le *Phédon* et sa célèbre interdiction (l'homme est la propriété des dieux et doit se soumettre à leur volonté), ainsi que la politique que Platon préconise à l'égard des sépultures des suicidés, politique des plus sévères. Le suicide prend une dimension sacrilège. Mais le propos de Bayet est avant tout de montrer que la morale antique à l'égard du suicide est, malgré les apparences (le *Phédon* d'un côté, des formules fortes de Sénèque en faveur du suicide de l'autre), « nuancée ». Ainsi, Platon donne trois circonstances exceptionnelles dans lesquelles le suicide peut être admis. [90] Bayet donne alors sa lecture de Sénèque : … la route que Sénèque, malgré certains écarts de style [91], suit fidèlement est très bien tracée : le sage doit vivre ou mourir, selon qu'il peut ou ne peut plus posséder le souverain bien, la sérénité de l'âme. … Sénèque n'énumère pas tous les cas dans lesquels il admet qu'on se tue, tous ceux dans lesquels il ne l'admet pas; il s'en tient à quelques exemples, estimant sans doute qu'il serait vain de vouloir pénétrer dans l'infini variété des cas concrets; mais il dégage nettement la règle essentielle : il y a suicide et suicide, et c'est à la raison de se prononcer sur les cas particuliers; en tout cas, la mort volontaire n'est légitime qu'après mûre délibération. … Donc, que l'on considère stoïcisme, épicurisme, platonisme, nulle part on ne discerne une doctrine simple, indiscrètement favorable à la mort volontaire; partout, au contraire, on retrouve l'idée qu'il y a suicide et suicide. … vues de loin, les formules de Sénèque faisaient croire à l'existence d'une morale simple, favorable au suicide; vu de près, Sénèque lui-même et tout ce que nous pouvons saisir de la philosophie latine nous révèlent l'existence d'une morale nuancée. [92] Albert Bayet voulait montrer la nuance dans la morale antique. Mais une fois ceci posé, il convient de se demander ce que faire de Brutus un stoïcien implique, ce que cela signifie sur la question du suicide, pour entrevoir la cause de la fortune historique que nous avons décrite plus haut, qui touche le XVII*e* siècle, et prendre la mesure de ses conséquences. Yolande Grisé, dont la thèse précieuse, *Le Suicide dans la Rome antique*, préfacée par Pierre Grimal, contient notamment un relevé très exhaustif des cas romains de suicide, prolonge la réflexion avec la même nuance que Bayet. Certes, si l'on considère les différentes écoles, aucune ne professe une morale « simple ». Mais Grisé constate et démontre que : C'est l'école stoïcienne, et davantage le moyen stoïcisme (qui formera le stoïcisme romain …) qui prit sur la question du suicide **le parti le plus positif**, encore que ses jugements soient demeurés très nuancés, ses allusions au sujet plutôt rares et dispersées, ses anciens chefs peut-être pas toujours d'accord sur la question. Particulièrement importante et élaborée quand on la compare à celle des autres écoles philosophiques grecques, la réflexion stoïcienne sur le suicide fut essentiellement tournée vers la soumission à la Raison (*λόγος*) qui gouverne le cosmos, la mort devant s'accorder à la loi universelle qui régit toutes choses. Dans ce sens, les Stoïciens, bien qu'indifférents devant la mort en général, justifièrent le suicide non seulement sous la pression de circonstances extérieures inévitables, comme l'entendait la doctrine platonicienne, mais aussi toutes les fois que l'homme, guidé par sa raison, le jugeait opportun, compte tenu de sa situation, de ses motifs et de sa personne (son caractère). Foncièrement individualistes, **ces philosophes ont été les seuls à avoir jeté les bases d'une doctrine justificative du suicide « rationnel »** fondée sur la théorie des « préférables » …. [93] Mieux, le suicide est alors non seulement rationnel, mais moral : Le stoïcisme a non seulement justifié le suicide en certaines circonstances, mais encore l'a tenu comme un acte de la plus haute vertu, en en faisant, d'une part, le droit exclusif du sage et, d'autre part, outre un droit, un devoir envers lui-même, tout aussi impératif que n'importe quel autre devoir. Ainsi, il était recommandé au sage de s'enlever la vie lorsqu'un événement venait troubler sa vie au point de l'empêcher de suivre la ligne de conduite qu'il s'était tracée. On estimait, en effet, qu'un homme qui vient à perdre sa raison même de vivre, pour lequel l'existence devient définitivement privée de signification et qui se voit contraint de vivre contre lui-même se doit de préférer la liberté morale à la vie, de renoncer à la vie plutôt qu'à ses raisons de vivre qui sont sa raison d'être. … Le suicide apparaît alors comme **un acte vertueux qui peut conduire au vrai bonheur**, puisque, en s'enlevant la vie, le sage ne fait que se conformer à la raison éternelle de la nature dont procède elle-même sa propre raison de vivre. [94] La mise au point théorique permet de former une hypothèse : le mythe historique qui fait de Brutus un stoïcien ou, dans une de ses plus fines nuances, qui fait de Brutus un converti au stoïcisme, viendrait répondre à la dichotomie du personnage. En effet, dire avec le Père Rapin que le personnage a évolué, cela revient à faire du tyrannicide un platonicien et du suicidé un stoïcien. Sedley ne s'étend pas sur le suicide de Brutus, et pour cause : aucune source ne donne de justification philosophique authentique de la part de Brutus sur son suicide. Il est également sûr qu'aucune source ne permet d'affirmer une conversion au stoïcisme. [95] Le britannique, qui met en exergue de son article une citation du *Jules César* de Shakespeare, semble avoir privilégié le premier Brutus, celui de l'action politique. Puisqu'il n'y a pas lieu de croire à une conversion, la mort de Brutus est alors celle problématique d'un disciple d'Antiochus, le maître s'accordant mal avec le suicide. [96] Le choix est alors clair : Et si Brutus estimait en effet que la vertu politique de la justice devait être activement exercée même sous la tyrannie de César, il n'y a pas de doute quant aux parents illustres qu'il s'apprêtait à imiter : non pas Caton, l'oncle stoïcien dont Brutus avait, selon Plutarque, explicitement déploré le suicide pour des raisons philosophiques, mais ses ancêtres non moins célèbres, Lucius Junius Brutus, qui avait chassé de Rome le dernier des rois en 509 av. J.-C., et Servilius Ahala, qui peu de temps après avait assassiné un prétendant à la tyrannie. Déjà une dizaine d'années avant l'assassinat de César, quand Brutus contrôlait la monnaie romaine, il avait émis une pièce représentant ces deux ancêtres, un sur chaque face. [97] Les exemples que Sedley attribue à Brutus, en contrepoint de Caton, ne sont pas des exemples de suicidés et ne font donc pas avancer la question du suicide de Brutus. Il faut voir là, sans doute, la rigueur de l'historien qui ne s'étend pas là où il a constaté qu'il n'y avait pas de matière. La rigueur historique impose une hypothèse platonicienne décourageante là où l'hypothèse stoïcienne est stimulante. ## Caton, l'exemple stoïcien. Nous ne sommes pas chez Shakespeare et la bataille de Philippes ne se réduit pas au cinquième acte : elle est, chose remarquable, la pièce elle-même. Brute ne condamne pas le suicide de Caton [98] et la fille de ce dernier tient une place de premier plan avec près de 20% des vers à son actif, la plus proche de son mari. [99] Porcie a la parole pour parler de sa mort et, lorsqu'elle est morte, ses derniers mots sont rendus par le soldat qui tient lieu de messager. Shakespeare, lui, rapporte brièvement sa mort à la troisième scène de l'acte IV, par l'intermédiaire de Brutus. Il suit la tradition minoritaire selon laquelle cette mort serait intervenue quelques temps avant la dernière bataille. La Porcie de Guérin de Bouscal est pleinement présente et son caractère est défini par son état-civil : elle est fille de Caton et femme de Brutus. [100] Si ces deux figures la poussent toutes deux au dépassement d'elle-même, elles représentent également les deux pôles d'une division tragique. Ainsi Porcie est-elle prise entre la volonté de reproduire le geste de son père et les passions de l'amante. C'est ce qui fait l'ambiguïté ou la richesse du personnage, écartelé entre son idéal de liberté et la réalité de ses sentiments incontrôlables. [101] La Porcie de Guérin de Bouscal n'est pas cette femme qui, soupçonnant la conjuration dans le trouble nocturne de son mari, se livre à un exercice stoïcien pour démontrer à Brutus cette force d'âme qui la rend digne de partager son douloureux secret. Après s'être entaillée la cuisse profondément, elle disait ainsi à Brutus : J'ai le privilège … d'être la fille de Caton et l'épouse de Brutus. Jusqu'ici, je n'en tirais que peu d'assurance, mais à présent, je me connais et je sais que la souffrance ne peut me vaincre. [102] Chez Guérin de Bouscal, Porcie, dans son projet de courir aux ennemis, est en proie à la « fureur », ce qu'elle finit par reconnaître à sa compagne (v. 301). Il n'est plus question d'un exercice stoïcien préparant à la mort, mais d'une course funeste dictée par la souffrance intérieure. À vrai dire, la nuance de Guérin de Bouscal était déjà chez Plutarque qui décrivait Porcia désespérée, mourante aux ides de mars et trop faible pour accompagner son mari qui s'embarquait pour la Grèce à partir de Vélia. [103] Pour autant, les deux épisodes principaux de sa vie, cette entaille à la cuisse et sa mort spectaculaire, laissent volontiers l'image d'une figure stoïcienne exemplaire. Pour s'en rendre compte, il n'y a qu'à voir le traitement de Porcia par Valère Maxime, qui ne retient d'elle que ces deux faits mémorables. Selon lui, le suicide de Porcia surpasserait même celui du père : L'ardeur de ton amour si pur, ô Porcia ! fille de M. Caton, sera aussi pour tous les siècles l'objet d'une juste admiration. A la nouvelle de la défaite de Brutus, ton mari, et de sa mort à Philippes, tu n'as pas craint, à défaut du poignard qu'on te refusait, d'avaler des charbons ardents. Ainsi tu trouvas dans ton cœur de femme la force d'imiter la mort héroïque de ton père. Mais peut-être y eut-il chez toi encore plus de courage : il mit fin à ses jours par un trépas ordinaire ; toi, tu voulus mourir d'une mort sans exemple (An de R. 711.) [104] Dans la tragédie de Guérin de Bouscal, il serait bien difficile de voir le suicide de Porcie comme un suicide stoïcien et, *a fortiori*, de le comparer à celui de Caton, tandis qu'« à sa fureur la mort mesme a fait place » (v. 1620). Néanmoins, le personnage instaure une émulation avec la figure du père [105] qui fait du suicide de Caton un enjeu fondamental de la pièce. Pour ces premières raisons, on ne peut exclure que l'ombre de Caton, qu'on l'invoque positivement ou qu'elle soit incarnée par un personnage très présent, ait un effet d'attraction sur son gendre et neveu Brutus, en tant qu'exemple stoïcien par excellence du suicidé glorifié : Le stoïcisme fut par essence une doctrine de liberté, et cette liberté était fondée sur la possibilité de la mort libre. Cette notion de *libertas* existait à Rome comme valeur politique ; au contact du stoïcisme, elle devint une valeur morale. Pour les Stoïciens, le suicide est un témoignage : un témoignage de liberté. Cette liberté se manifeste tout particulièrement au moment précis où l'homme prend la décision de mourir, parce que, d'une part, par cette décision, il adhère spontanément à la nécessité du destin universel et, d'autre part, par cette adhésion mûrement réfléchie, il échappe aux contraintes extérieures qui n'ont plus d'emprise sur lui. … Le suicide de Caton s'est imposé à Rome comme le parfait exemple de la liberté intégrale. … En effet, le suicide de Caton fut perçu comme l'expression complète de cet idéal romain de *libertas* : liberté civile (extérieure) tant prisée par les partisans de la République et liberté morale (intérieure) hautement préconisée par la sagesse stoïcienne. Car il n'y eut rien de plus libre que le suicide de Caton d'Utique. Sur le plan militaire, il semble que ce ne soit pas la défaite qui l'ait acculé au suicide …. Sur le plan politique, ce n'est pas la crainte de la mort qui le poussa vers la mort, puisque César lui offrait la vie. Si Caton s'est donné la mort, c'est pour échapper à l'autorité de César. Il proclamait par son geste la plénitude de sa liberté individuelle et, par ce biais, défendait la liberté elle-même … Refus héroïque d'asservissement, sa mort s'inscrivit dans les esprits comme l'apothéose de la liberté la plus authentique : celle qu'on paie au prix de la vie. Au surplus, une fois sa décision arrêtée, Caton ne montra aucune panique ni aucun empressement à quitter la vie. [106] Pour Cicéron, la beauté du suicide de Caton tient notamment dans la constance de son caractère, comme l'explique Yolande Grisé : En se donnant la mort, Caton est resté totalement fidèle à lui-même : à son tempérament, à ses convictions politiques et à sa foi stoïcienne. Sa mort fut le reflet parfait de sa vie : une vie passée dans l'opposition à la corruption, à l'ambition et à l'injustice. En se tuant, Caton n'a trahi ni son idéal (i.e. sa raison d'être) ni sa propre nature. … On comprend dès lors que Cicéron, qui considère que la première exigence de la dignité humaine réside dans le respect de la personnalité, de l'originalité de chacun, ait magnifié le suicide d'un homme en si parfait accord avec lui-même [107] Or il n'est pas question d'autre chose dans la tragédie de Guérin de Bouscal, lorsqu'au moment de mourir, Brutus déclare : D'esperer d'un bien que la puissance humaine Nous peut faire acquerir, est une lâcheté, Mais ne pouvant r'avoir la liberté Romaine, Je cede seulement à la necessité. Si je cherche la mort tandis que je suis libre, N'est-ce pas pour monstrer aux races à venir, Que **j'ay voulu mourir comme j'avois sceu vivre**, Quand j'ay perdu l'espoir de m'y plus maintenir. (Brute, V, 4, v. 1407-1414) Brute se soumet à la nécessité et échappe à l'emprise de la Fortune, qui « oppresse » celui qui n'a pas encore choisi entre « sa vie et son honneur » (v. 1399-1402). Liberté civique et liberté morale sont portées dans un exemple comparable à celui de Caton. Brutus cherche à se dérober aux tyrans qu'il n'a pu vaincre pour suivre sa raison d'être. Le « cœur », comme intimité de l'individu, conscience morale du héros vertueux, demeure hors de portée de l'ennemi et fonde sa liberté dans la mort. Ainsi Porcie, découvrant le cadavre de Brute : Vous triomphez de nous, pardonnez-moy belle ombre, Brute mon cher soucy, vous n'estes pas du nombre; Ce corps est aux tyrans mais non pas vostre cœur, Vous l'en avez osté pour estre son vainqueur. (Porcie, V, 5, v. 1499-1502) Enfin, suivre l'exemple de Caton, c'est gagner l'immortalité. Mais pas n'importe quelle immortalité : « Sous la République, les Romains rêvaient de gloire militaire, qui les distinguerait aux yeux de la postérité, et non d'immortalité céleste. » [108] On comprend dès lors l'importance du thème de la mémoire, récurrent, notamment sous la forme du « Temple de memoire » (v. 823, 1188, 1403 ; également, v. 544, 1506) où sont gravés les actions et les noms des grands hommes. L'immortalité du héros passe par le souvenir des hommes. [109] Je diroy qu'un grand cœur que la Fortune oppresse, Jusqu'à luy demander sa vie ou son honneur, S'il balance le chois, tesmoigne sa foiblesse, Et ne reconnoist pas où gist le vray bon-heur. L'honneur dure toujours au Temple de memoire, La vie a pour son cours un terme limité, Sans doute celuy-la mesnage mal sa gloire, Qui pour gagner un jour, pert une eternité. (Brute, V, 4, v. 1399-1406) Plus haut, nous avons vu que Yolande Grisé parlait de « vrai bonheur » comme accomplissement de la liberté morale de l'individu, conformité avec la raison. Nous constatons ici que le « vray bon-heur » de Brute s'accompagne également de la dimension d'immortalité par la gloire. [110] Ce désir de gloire est permis par une mentalité romaine relativement éloignée de la nôtre, loin de sacraliser la vie : « Un égal sentiment de mépris pour la vie en tant que telle était partagé par les intellectuels de Rome, qui estimaient le prix de la vie, non à sa durée, mais à sa qualité. » [111] Ainsi, le mépris de la mort est-il l'apanage du héros : Mais comme avec raison on blasmeroit la peur Qu'un homme concevroit pour un masque trompeur; C'est exposer son ame à des justes censures, De craindre de mourir pour des larmes futures. La mort est naturelle, et je ne pense pas Qu'on ne souffre en naissant comme on souffre au trespas; Encore nostre mort doit estre moins à craindre, Qui nous laisse un renom qui ne se peut esteindre. Celuy-là vit toujours parmy les gens d'honneur, Qui meurt en combatant pour le commun bon-heur; Imitons en cela nos valeureux ancestres, Que Rome a veu mourir pour n'avoir point de Maistres: Et celuy qui domptant la Nature et les Rois, Immola ses enfans à l'honneur de nos lois. (Brute, II, 3, v. 453-466) « Imitons en cela nos valeureux ancestres ». Il ne s'agit bien sûr pas là d'un *nous* de majesté mais d'exhortation, au seuil de la première bataille. Ainsi, les ancêtres en question sont-ils aussi bien ceux de Brute que ceux des « braves romains » qu'il encourage (v. 431). [112] Notons ici que le fils de Caton (et donc frère de Porcia) faisait partie des soldats des Libérateurs : Plutarque signale sa conduite lors de la seconde bataille de Philippes, ce que reprend Shakespeare. [113] Parmi ces ancêtres communs doivent figurer en bonne place les héros du début de la République romaine (tels Horatius Coclès, Mucius Scævola et Lucius Junius Brutus), ensemble au sein duquel Brute peut prélever son aïeul mythique, à qui il fait allusion explicitement (v. 465-466). À considérer la famille du mot *imiter*, on ne trouve que deux occurrences dans toute la pièce, celle-ci étant la première. Fait frappant, la seconde est située à quelques vers d'intervalle, au début de la scène suivante, dans la bouche de Porcie aspirant à avoir « le cœur d'imiter s es parens » (v. 538), soit, plus clairement, Caton. Le lien entre Caton et Brute n'est certes pas direct dans le texte. Cela dit, s'il était permis de poursuivre le mouvement de Brute, qui va de la masse des ancêtres communs à son ancêtre à lui, pour redescendre vers ses parents proches, Caton, l'homme qui l'a élevé, serait sans doute le premier auquel le personnage de Guérin de Bouscal penserait. [114] La chose, malgré la considération rigoureuse de Sedley, considération accordée à sa démarche, serait tout à fait logique, voire automatique, pour un lecteur de Plutarque tel que notre auteur. En effet, si le premier paragraphe de la *Vie de Brutus*, consacré à l'ascendance légendaire de Brutus, développe les figures de Lucius Junius Brutus (du côté paternel) et de Servilius Ahala (du côté maternel), ce premier paragraphe est immédiatement suivi de cette phrase : Servilia, sa mère, était la sœur du philosophe **Caton, le Romain que Brutus désira le plus imiter** : il était son oncle et devint ensuite son beau-père. [115] Caton était bel et bien un modèle pour Brutus, de par son intégrité morale et son pur attachement à la République, garantis par une constance à toute épreuve. Il y a dans cette phrase, placée à un point stratégique, de quoi pousser nombre d'historiens postérieurs à passer le pas en lisant rétrospectivement la mort de Brutus comme une ultime imitation de Caton. Il est par ailleurs saisissant de constater comment l'argument qui fait de Brutus celui qui dénonce le suicide de son oncle se retourne à Philippes. En effet, voici ce qu'il répond à Cassius qui lui demande, avant que ne s'engage la première bataille, ce qu'il choisira en cas de défaite, entre la fuite et la mort : Lorsque j'étais jeune, Cassius, et sans expérience des affaires, je laissai échapper, je ne sais comment, au cours d'une discussion philosophique une parole hautaine. Je blâmai Caton de s'être tué, déclarant qu'il n'était ni pieux ni digne d'un homme de céder à la destinée et de prendre la fuite, au lieu d'accueillir sans crainte l'événement qui s'abat sur lui. Mais à présent, en voyant les événements que nous envoie la Fortune, je change d'attitude : si l'arbitrage de la divinité nous est contraire, je ne souhaite pas tenter encore d'autres espérances ni faire d'autres préparatifs ; je me délivrerai, en louant la Fortune grâce à laquelle, après avoir donné ma vie à la patrie aux ides de mars, j'ai vécu une nouvelle vie, libre et glorieuse. [116] Un tel passage a certainement pu peser dans la lecture du personnage en faveur de l'idée d'une conversion. Loin de toute condamnation, ce Brutus de Philippes apparaît bien plus comme celui qui demanda avec instance à Cicéron de composer un *Éloge* en l'honneur de Caton, après la mort de ce dernier : Cet Éloge même, je ne l'aurais point abordé, dans ce siècle ennemi des vertus, si un désir de Brutus, réveillant en moi une mémoire si chère, m'eût laissé une excuse légitime. [117] « Celuy-la vit toujours parmy les gens d'honneur ». On peut alors imaginer Brute accueilli par Caton dans le séjour des Bienheureux, en termes sénéquiens : … ce que Sénèque exalte par dessus tout, c'est le suicide qui délivre l'homme de toute servitude extérieure, ou intérieure, quand celle-ci met en péril la liberté, l'honneur et la dignité. … l'affirmation importante de la pensée de Sénèque est que l'homme demeure toujours libre de refuser ce qui dépend de lui, en quittant la vie … C'est pourquoi il glorifie avec enthousiasme tous ceux qui osent se mettre à l'abri de la Fortune par amour de la liberté. … Produit du libre arbitre, inspiré par une maturité philosophique exemplaire, le suicide de Caton est hautement célébré par Sénèque comme le triomphe de la volonté humaine sur les choses livrées au hasard de la vie et des passions, dont les dieux eux-mêmes reconnaissent la noble grandeur … C'est que, pour Sénèque (comme pour Cicéron et tous les Stoïciens romains), **Caton demeure la « vivante » image de la *virtus*** (*virtutum viva imago*) [118] et son suicide, une belle mort (*honesta mors*) [119]. En outre, ce geste tout empreint de sagesse confère à son auteur rien de moins que l'immortalité. En effet, le texte de la *Consolatio de Marcia* s'achève par l'évocation d'un mythe qui n'est pas sans rappeler, par certains côtés, le *Songe de Scipion* de Cicéron, sauf qu'ici, Sénèque montre le suicidé Caton siégeant, « *inter contemptores vitae* », au sein de l'assemblée des Bienheureux, et accueillant un autre suicidé, l'historien Cremutius Cordus, qui a choisi de recouvrer la liberté dans la mort. Car, selon Sénèque, le suicide de Caton n'est ni une désertion ni une fuite engendrée par l'angoisse ou la peur, mais l'expression de la victoire de l'autonomie humaine sur la tyrannie de la Fortune. C'est pourquoi le héros mérite de devenir l'égal même des dieux ou, plutôt, supérieur à eux. [120] La *virtus*, dans son sens premier, proprement romain, est à la fois courage moral et physique, force virile, énergie. Cette notion permet de comprendre comment la mémoire et la gloire, si souvent associées à la victoire [121], peuvent entretenir des rapports complexes avec cette dernière. En effet, la victoire militaire n'est plus l'unique forme de victoire, l'unique forme d'immortalité : on a vu plus haut comment Porcie rappelle que Brute est « vainqueur » (v. 1502). La victoire revêt alors un caractère individuel : une personne, seule, peut être victorieuse, et même, victorieuse du nombre. Ainsi peut-on lire des passages qui portent cette nuance : Il ne m'importe point d'obtenir la victoire, Mon sort est assez beau, je n'ay que trop de gloire Pourveu que combattant pour le peuple Romain Je meure comme Brute une espée à la main: (Porcie, I, 6, v. 265-268) Ou encore : … le seul effort de maintenir sa gloire Fait mesme dans la mort rencontrer la victoire (Brute, II, 3, v. 439-440) Enfin : Traitres n'allez donc plus vanter cette victoire, Vos lauriers sont fletris, vous n'avez plus de gloire, Brute qui sçait mourir, vostre ennemy mortel, En demolit le temple et bastit son autel. (Porcie, V, 5, v. 1503-1506) On le comprend, à la lecture de ces extraits : la mort est le lieu privilégié de ce type de victoire, en des termes que l'on retrouvera dans *La Mort de Cleomenes*, au moment où le roi de Sparte fait prisonnier décide une dernière entreprise, sursaut qui doit lui permettre de sauver les siens ou, à défaut, de gagner « une honorable mort » et la « gloire ». La scène en question se conclut par ce vers : « La victoire aujourd'huy se gagne par la mort. » (IV, 3). Dans le cas de Brute, la victoire est celle de l'autonomie de l'individu face à l'adversité. La *virtus* permet de donner un sens nouveau aux exemples illustres de la Rome ancienne convoqués par Brute, parmi lesquels son homonyme condamnant à mort ses enfants coupables de trahison (v. 465-466). [122] Au sein des exemples les plus fameux de *virtus* se trouve Mucius Scævola. Il se peut que cette figure soit présente dans la pièce, dans l'image du « flambeau » (v. 1601 ; on note le « feu », v. 1605, et le « brasier », v. 1615). Mucius Scævola, à la suite d'un attentat manqué contre le roi étrusque Porsenna, comparut devant le tribunal ennemi : Là, même dans des circonstances si critiques, il restait effrayant, au lieu d'être effrayé. « Je suis Romain », dit-il. « Je m'appelle Gaius Mucius. Je voulais te tuer, ennemi contre ennemi, et j'aurai pour mourir autant de cœur que pour tuer : **pour agir comme pour souffrir, le courage est vertu romaine**. Et je ne suis pas seul à avoir pour toi ces sentiments : une foule d'autres viennent derrière moi, qui briguent le même honneur. Ainsi donc, si ce risque te plaît, prépare-toi à défendre ta tête à toute heure et à trouver le poignard d'un ennemi jusque dans le vestibule de ton palais. Voici comment la jeunesse romaine te déclare la guerre : pas de batailles, pas de combats à redouter ; c'est entre toi seul et chacun de nous que tout se passera. » Comme le roi, à la fois animé par la colère et effrayé par le danger, le menaçait de faire allumer des feux tout autour de lui s'il ne dévoilait pas immédiatement le complot dont il lui faisait entrevoir la menace : « Voici », dit Mucius, « qui t'apprendra le cas qu'on fait du corps quand on vise à la gloire », et il pose sa main droite sur un réchaud allumé pour un sacrifice et la laisse brûler, **comme s'il était complètement insensible**. Alors, le roi, bouleversé par cette espèce de prodige, s'élança de son siège et fit entraîner le jeune homme loin de l'autel. « Va-t-en », lui dit-il : « tu t'es attaqué à toi-même plus qu'à moi. J'applaudirais à ton courage, s'il était au service de mon pays. Mais, du moins, je t'épargne les lois de la guerre, les violences et les mauvais traitements, et je te laisse partir. » Alors, comme pour payer de retour sa générosité, Mucius lui dit : « Puisque tu tiens le courage en estime, ton bon procédé obtiendra de moi ce que j'ai refusé à tes menaces : nous sommes trois cents, l'élite de la jeunesse romaine, qui avons juré de t'atteindre par cette voie. Mon nom est sorti le premier ; les autres, quel qu'ait été le sort des premiers, et jusqu'à ce qu'une occasion te mette à leur merci, se présenteront chacun à son heure. » [123] On retrouve dans l'histoire de Mucius Scævola toute l'autorité d'un individu au milieu des dangers qui par un geste sans précédent fait un coup d'éclat admiré des ennemis qui, eux-mêmes, en sont effrayés. Comme Mucius Scævola, la Porcie de Guérin de Bouscal est prisonnière (de ceux qui la surveillent, ces « argus domestiques », v. 1592), comme lui, la proximité de la mort ne l'empêche pas de braver ses geôliers (v. 1523-1530, 1607-1616), [124] comme lui, *metuenda magis quam metuens*, sans peur, elle renverse la situation en suscitant l'effroi (v. 1620-1624) et la clémence (v. 1647-1660). Le relevé précis des cas romains de suicide par Yolande Grisé, depuis la fondation de la Ville, montre que le moyen choisi par Porcie est sans précédent. L'essentiel du rôle de Porcie tient … dans ces accès de faiblesse féminine, alors même qu'elle se veut stoïque, comme l'imposent son lignage ainsi que l'exemple des hommes valeureux qui l'entourent ; le motif est inscrit lui-même dans le discours de l'héroïne chez Guérin de Bouscal sont cités les vers 245-256. Le stoïcisme finit surtout par se résumer à l'idée d'imitation de la « belle mort », qu'exprime Boyer : « Ainsi mourut Caton, ainsi mourra Porcie » [125]. [126] Avec le suicide de Porcie, le stoïcisme est soumis à son spectaculaire échec. Pour autant, le personnage, par son désir de n'être pas « different à lui mesme », par son combat héréditaire pour la vertu, voué à l'échec dès le commencement, pose le modèle de Caton et rend sensible l'imagerie de la *virtus*, des Decii (I, 6) [127] à Mucius Scævola (V, 7). La constance du père aura trouvé son port dans le caractère de Brute, dont on a vu comme il était la norme à partir de laquelle se comprenait les oscillations des autres personnages. [128] Le rôle de Porcie, sans qui Brute n'aurait pas agi différemment, semble rejoindre le camp des Cassie, Titine et Straton, pour incarner le paroxysme de la passion tragique. Sans elle, Brute, qui n'a qu'une très brève pensée pour elle au moment de mourir (v. 1357-1358), aurait sans doute asséché la tragédie dans l'accomplissement de son stoïcisme. Il y a probablement un certain pragmatisme dramaturgique derrière cela. Une autre façon de voir les choses est de considérer que *La Mort de Brute et de Porcie* offre un équilibre au sein des émotions tragiques, entre la paire frayeur/pitié et l'admiration du héros, équilibre incarné dans le couple éponyme. La fin du prologue de la Renommée relève de la prestidigitation, d'un tour de passe-passe qui vient confisquer l'œuvre au moment où elle doit commencer. S'il fallait la prendre pour argent comptant, le développement de la droite pensée de Brute n'aurait pas lieu d'être. Rappelons que ce discours prêté à une allégorie a une double fonction dont il est tributaire : il s'agit, d'une part, de louer Louis XIII et Richelieu et, d'autre part, de se faire un nom, dans une aspiration à rejoindre les poètes fameux qui sont sous la protection du ministre [129], parmi lesquels Scudéry qui avait remporté un certain succès avec *La Mort de César* [130]. Pour une première tragédie, s'appuyer sur cette pièce ne pouvait manquer d'apporter au jeune Guérin de Bouscal une publicité bienvenue, quoique nous la pensions artificielle, à défaut d'être authentiquement mensongère. Ainsi, lorsque la Renommée présente le sujet prétendu de la pièce, il suit directement celui de *La Mort de César*, par rapport auquel il est construit. Tout l'Univers alloit mourir Quand le Ciel pour le secourir Fit partir de ses mains un équitable foudre, Les plaines de Philippe en virent les effets, Tous les meurtriers furent defaits, Cæsar y triompha qui n'estoit plus que poudre. Jamais un plus beau chastiment Ne tint la Justice occupée: Jamais on ne vit son espée Abbatre de mutin plus equitablement. Cét objet pleut tant à mes yeux, Que j'arreste encore en ces lieux Pour en voir le portrait sur ce fameux Theatre, Où Brute et sa vertu confesseront en fin Qu'à moins que d'un coup du Destin, Un Trosne bien fondé ne se sçauroit abatre. (prologue, v. 155-170) L'idée centrale est la punition divine de la mort de César, mise en œuvre par le foudre de Jupiter. [131] Si l'on cherche bien, on peut retrouver l'association de cette idée et de cette image dans un passage du discours d'Octave, mais ce dernier opère un déplacement, du foudre de Jupiter aux triumvirs : La mort du grand Cæsar appele leurs justices, A punir son autheur avec tous ses complices, Et je croy qu'à l'instant que ce coup fut donné Contre les criminels leur cholere eust trouvé, S'ils eussent peu choisir la flamme d'un Tonnerre, Qui n'eust pas avec eux bruslé toute la terre: Mais ne pouvans agir avec un moins puissant, Ny perdre ces meurtriers sans perdre l'innocent; Ils veulent que nos mains en fassent la vengeance, Et purgent ce païs de cette noire engeance, Déja leur volonté s'explique heureusement, Et vostre valeur fait ce doux evenement. (Octave, après la victoire de Marc Antoine sur Cassie, IV, 1, v. 875-886) Or cette modification concourt à rendre le discours de la tragédie nettement moins univoque que celui du prologue, les paroles d'Octave faisant volontiers écho à d'autres paroles, chez Brute cette fois. Par exemple, au seuil de la seconde bataille : Allons y donc, amis, et que toute la terre Tremble sous nos efforts comme sous le Tonnerre (Brute, V, 1, v. 1243-1244) Le déplacement d'Octave s'accompagne donc de la relativité de l'élection divine, exhibée tout au long de la tragédie. Nous avions parlé, à propos de la composition, de cette symétrie qui fait de chaque camp l'instrument des dieux, de telle sorte que les choix que prêtent les hommes aux dieux se neutralisent. [132] C'est de cette manière qu'il faut comprendre l'égal étonnement (au sens fort) de Brute et d'Octave face à la Providence et ses « metamorphoses », dont Cassie avait été le premier témoin (v. 591-592). [133] En outre, cette neutralisation politique s'est accompagnée de l'absence de figure à la hauteur de l'enjeu monarchiste : les triumvirs, la pièce durant, n'ont été que des résidus de l'Octave de Robert Garnier, deux frères escaladant le Ciel, tels Otos et Ephialte. [134] Ils ne servent et ne sauvent leur cause qu'*in extremis* par la clémence, qui s'avère être le seul enjeu monarchiste probant, bien loin de la proclamation de la fin du prologue, qui exaltait la vengeance de César. [135] Ainsi le cataclysme de la mort de César est-il reporté sur celle, furieuse, de Porcie (« A ce funeste objet tout se plaint, tout gemit, / Le Ciel mesme en pleure, et la terre en fremit. », v. 1621-1622) et la vengeance annoncée se mue-t-elle en clémence, seule propre à rétablir un ordre monarchique légitime au moment où il faut mettre un terme aux guerres civiles. [136] Enfin, on constatera que la mort du héros n'a rien de celle d'un homme foudroyé par Jupiter tel que le laissait supposer le prologue : Brute. L'on m'a presté ce corps, il faut que je le rende; Mais j'emporte l'honneur avec la liberté, Approche, cher amy, qu'à ce coup je t'embrasse; Adieu, je nâquis libre, et libre je trespasse. Straton. Donc ce grand demy-Dieu rend l'ame devant moy ? Donc je fais trebucher l'esperance de Rome ? Et mon bras desloyal pour avoir trop de foy, Me ravit aujourd'huy ce qui me faisoit homme ? Brute ne vit donc plus, et l'honneur des guerriers Vient d'estre le butin de ma lame cruelle ? La foudre au champ de Mars espargnoit ses lauriers, Et je suis aujourd'huy moins pitoyable qu'elle ? Ha ! malheureux poignard, dont les lâches efforts Nous ravissent un bien que la Parque revere, Pourquoy ne puis-je avoir cent ames et cent corps, Afin de te saouler, et de me satisfaire. (V, 4, v. 1421-1436) Le traitement de cette mort est éloquent. La responsabilité de la foudre est explicitement écartée (v. 1431-1432) et l'épée de la Justice (prologue, v. 163) laisse la place à celle d'un ami. La mort de Brute devient le fait d'un « bras desloyal », d'une « lame cruelle » et d'un « malheureux poignard ». La conjuration a changé de camp et c'est alors de Brutus qu'il faut dire que « la vertu fut son crime » (prologue, v. 150). Comme Titine, l'unique chemin possible pour Straton consiste à suivre son général pour prouver son innocence aux yeux de la postérité et se « venger » lui-même (v. 1450). [137] La mort enlève Brute à regret et cet homme dont le dernier vers répète ce que fut sa vie et dit à la postérité ce qu'est sa mort, cet homme à la constance exemplaire, semble promis à une apothéose [138] : il est « ce grand demy-Dieu » (v. 1425), « ce grand Heros » (v. 1439) « que la Parque revere » (v. 1434). Suivant les pas de Caton, il rejoint ses ancêtres au panthéon des hommes illustres, après avoir donné une justification philosophique à son suicide, celle-là même qui manquera aux historiens modernes. [139] # Note sur la présente édition. ## Les éditions de *La Mort de Brute et de Porcie*. ### L'édition originale de 1637. #### Description. Un volume. In-4°, VIII-104 p. I LA MORT / DE BRVTE / ET DE / PORCIE, / OV, / LA VENGEANCE / DE LA MORT / DE CESAR. / TRAGEDIE. / fleuron / A PARIS, / Chez Tovssainct Qvinet, au Palais dans / la petite salle, sous la montée de la Cour des Aydes. / filet / M. DC. XXXVII. / *AVEC PRIVILEGE DV ROY.* [140] II blanc. III-V épître A MONSEIGNEVR L'EMINENTISSIME CARDINAL DVC DE RICHELIEV. VI-VII PRIVILEGE DV ROY daté par erreur du 23 juillet 1637, l'année devant être 1636 [141] ; cédé par l'auteur au libraire le 16 janvier 1637 ; achevé d'imprimé du 20 février 1637. VIII ACTEVRS. I-104 [142] le texte, composé d'un prologue, de la pièce et de cinq poèmes. Nous avons établi le texte à partir de l'exemplaire qui se trouve à la Bibliothèque nationale de France (site de Tolbiac) sous la cote RES-YF-520, incommunicable car microfilmé et numérisé. [143] Ce livre est ainsi disponible sur Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF. #### Recensement des exemplaires. Il existe à notre connaissance dix autres exemplaires en France de l'édition de 1637 : [144] * – Un à la Bibliothèque nationale de France (site de Tolbiac), sous la cote RES-YF-1453. * – Un à la Biliothèque Richelieu, département Arts du Spectacle, sous la cote 8-RF-6209. Il a été microfiché (P94/004769). * – Un à la Bibliothèque de l'Arsenal, sous la cote 4-BL-3471 (1). Il s'agit d'un recueil : dans ce qui se présente comme un premier tome d'œuvres complètes, notre pièce est suivie de *L'Amant libéral*, tragi-comédie, 1637, et de *Cleomene*, tragédie, 1640. [145] * – Un à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, sous la cote DELTA 15221 (1) FA (P.1). Il s'agit d'un recueil : dans ce qui se présente comme un premier tome d'œuvres complètes, notre pièce est suivie de *L'Amant libéral*, tragi-comédie, 1637, de *Cleomene*, tragédie, 1640, de *Dom Quixote de la Manche*, comédie, 1639, et de *Dom Quichot de la Manche, comedie. Seconde partie.*, 1640. * – Un à la Bibliothèque de la Sorbonne, sous la cote RRA 8= 443. * – Un à la Bibliothèque Mazarine, sous la cote 4° 10918-6/4. * – Un à la Bibliothèque municipale d'Angers, sous la cote 4 BL 2225 XXI (1). * – Un à la Médiathèque Louis Aragon du Mans, sous la cote 4 BL 2596 (5). * – Un à la Bibliothèque municipale de Lyon, sous la cote 360784. * – Un à la Bibliothèque Carré d'art de Nîmes, sous la cote 61631 (Liotard). À titre indicatif, nous avons recensé une dizaine d'exemplaires de l'édition de 1637 à l'étranger : [146] * – Aux États-Unis : Houghton Library (Harvard University), Glenn G. Bartle Library (State University of New York, Binghamton University Libraries), Shields Library (University of California, Davis), Davidson Library (University of California, Santa Barbara) ; University of Illinois at Urbana Champaign (microforme). * – Au Royaume-Uni : British Library. * – En Allemagne : Bayerische Staatsbibliothek. * – En Suisse : Bibliothèque Cantonale et Universitaire de Lausanne. La Bibliothèque de l'Arsenal possède par ailleurs deux nouvelles émissions de l'édition de 1637, avec recomposition des pages de titre : * – Une émission datée de 1640, renommée *La Suite de la Mort de Cæsar*, sous la cote GD-45352. Il semblerait qu'un exemplaire de cette émission soit disponible en Allemagne (Herzog August Bibliothek Wolfenbüttel, cote M: Lm 1670). * – Une émission datée de 1647, au titre allégé (*La Mort de Brute, et de Porcie*), sous la cote GD-764. Tous ces exemplaires de 1637, 1640 et 1647 sont, pour ceux que nous avons examinés, strictement identiques, jusque dans l'erreur de pagination qui fait de la page 49 une seconde page 46. [147] Identiques à un fait près : la fin du vers 592 est effacée dans le premier exemplaire de Tolbiac (RES-YF-520) ainsi que dans celui de la Bibliothèque de la Sorbonne (RRA 8= 443), qui donnent « metamorph*...* », de la même manière, alors qu'elle est bien présente dans les autres exemplaires, qui donnent « metamorph**oses;** ». [148] ### Deux nouvelles éditions et une traduction néerlandaise. Si l'on considère l'édition originale et celles qui suivent, on remarque qu'elles couvrent plus de vingt ans, de 1637 à 1659. Ce fait, allié à l'existence d'une traduction, représentée sur le théâtre d'Amsterdam en 1653, pourrait bien être la trace d'un certain succès. #### L'édition de 1652. Il existe une seconde édition de la pièce, datée de 1652, dont un exemplaire est disponible à la Bibliothèque de l'Arsenal, sous la cote GD-23605. Elle nous a notamment confirmé dans nos corrections (pour une vingtaine de coquilles, notamment). Voici la description de l'exemplaire de l'Arsenal : Un volume. In-8° par demi-feuille (remontage sur in-4°), IV-76 p. I LA MORT / DE BRVTE / ET DE / CASSIE / OV LA VANGEANCE DE / LA MORT / DE CÆSAR. / TRAGEDIE. / PAR MONSIEVR DE BOVSCAL. / fleuron de fonte / *Sur l'*I*mprimé.* / A PARIS, / Chez *Toussaint qvinet*, au Palais, dans / la petite salle, sous la montée de la Cour / des Aydes. / M. DC. LII. II blanc ; feuillet non visible à cause du remontage. III blanc ; feuillet non visible à cause du remontage. IV ACTEVRS. [149] I-76 le texte de la pièce, sans prologue et sans poèmes. Alain Riffaud, à qui nous avons soumis nos clichés de l'exemplaire, indique que cette édition se présente comme une réimpression légitime de l'édition originale [150], qui sort des presses d'Eléazar Mangeant à Caen. Ceci n'est pas anodin, quand on sait qu'un an plus tard paraîtra une traduction de la pièce en néerlandais. En effet, Caen était en relation maritime avec la Hollande. Nous avons pu consulter un autre exemplaire de l'édition de 1652, qui se trouve à la Bibliothèque de Rennes Métropole (Les Champs Libres), sous la cote 88421 Rés (Fonds ancien). Cet exemplaire n'a pas subi de remontage sur in-4° ; il est revêtu d'une couverture et porte sur sa tranche l'indication : « LA MORT DE BRUTE 1652 ». #### L'édition de 1659. Nous notons ici l'existence d'une autre réimpression légitime chez Claude La Rivière, à Lyon, en 1659, alors que le privilège était épuisé. Nous en avons compté deux exemplaires en France : * – Un à la Bibliothèque de l'Arsenal, sous la cote GD-21279. * – Un à la Bibliothèque Mazarine, sous la cote 4° 10918-43/1. Et un exemplaire en Allemagne (Herzog August Bibliothek Wolfenbüttel). Voici la description de l'exemplaire de l'Arsenal : Un volume. In-8°, VIII-67 p. I LA MORT / DE BRVTE / ET DE / PORCIE. / *OV*, / LA VENGEANCE / DE LA MORT / DE CESAR. / *TRAGEDIE.* / fleuron / *A LYON*, / Chez *Clavde la Riviere*, ruë / Merciere, à la Sience. *M. DC. LIX.* II blanc. III-VIII (haut de la page) PROLOGVE DE / LA RENOMMÉE. VIII ACTEVRS. [151] I-67 le texte de la pièce. 68-70 les poèmes sur Sylvie, jusqu'au vers 4 du quatrième poème, ce qui correspond au bas de la page 102 de l'édition de 1637, comme si l'imprimeur ne disposait pas des deux dernières pages de l'édition originale. 71-74 blanc. Un an plus tôt, en 1658, Claude La Rivière avait publié *La Mort de César* « avec permissions ». [152] #### Une traduction néerlandaise. Enfin, il faut noter non sans surprise une traduction de la pièce en néerlandais, publiée à Amsterdam en 1653, sous le titre *De Dood van Brutus en Cassius*. Ce titre semble indiquer que l'édition qui a donné lieu à la traduction est celle publiée un an plus tôt, sous le titre singulier de *La Mort de Brute et de Cassie*. [153] L'édition caennaise de 1652 est le fait d'Eléazar Mangeant, nous l'avons vu. Ce dernier, comme nous l'apprend Alain Riffaud, avait pour habitude d'inventer de fausses adresses néerlandaises, ce qui vient confirmer, pour la question qui nous intéresse, les liens entre Caen et la Hollande. Toutefois, les noms des traducteur, imprimeur et libraire (Pieter van Zeerijp, Tijmon et Dirck Cornelisz Houthaak) sont ici véridiques et la publication de la traduction n'est pas le fait de Mangeant. De façon cohérente, la collaboration entre l'imprimeur et le libraire avait déjà donné, en 1650, *De Doodt van Julius Caezar*, traduction de *La Mort de César* de Georges de Scudéry. [154] Notons que Jacques Mangeant, le père d'Eléazar, avait lui-même contrefait la pièce de Scudéry en 1638, et qu'il l'avait rééditée en 1646. [155] Nous n'avons pas pu consulter ces deux éditions pour les confronter à la traduction néerlandaise mais il est possible que les Houthaak aient puisé dans les éditions des Mangeant, ce qui est fort probable dans le cas de *De Dood van Brutus en Cassius*. Nous avons repéré cinq exemplaires de cette traduction : * – Un à la Bibliothèque nationale de France (site de Tolbiac), sous la cote 8-YTH-67763. * – Trois aux Pays-Bas (à la Bibliotheek Rijksuniversiteit Groningen, à la Bibliothèque Universitaire de Leyde et dans une bibliothèque de l'Université d'Amsterdam). * – Un en Allemagne, à la Bayerische Staatsbibliothek. Il est partiellement visible sur Google Livres où la fin manque. [156] Description de l'exemplaire disponible à la BnF : Un volume. In-8°, à Amsterdam, chez Dirck Cornelisz Hoothaak, IV-42 p. I DE DOOD VAN / BRUTUS / EN / CASSIUS. / *Treur-Spel*. / Gerijmt door *P. Zeeryp*. / *Vertoont op d'Amsterdamsche Schouwburgh*, / In ‘t Jaar MDCLIII. / fleuron / *t' Amsteldam*, Gedrukt by TYMON HOVTHAAK, / Voor *Dirck Cornelisz. Hoothaak*, Boekverkooper, / op de hoek van de Nieuwezijds Kolck. I653. II blanc. III dédicace de *P. Zeeryp* OPDRAGT, / *Aan Mons*r**. / WYNANT SCHIMMEL. IV acteurs VERTOONDERS. [157] I-42 le texte de la pièce, sans prologue et sans poèmes. La page de titre indique que cette traduction a été représentée « sur le théâtre d'Amsterdam l'an 1653 ». De fait, la première représentation sur la scène de l'Amsterdam Schouwburg date du 3 février 1653. Il faut noter que Pieter van Zeeerijp, le traducteur de la pièce de Guérin de Bouscal, a également été acteur de 1640 à 1655. Néanmoins, nous ne savons pas s'il a pu jouer dans *De Dood van Brutus en Cassius*. [158] Cette traduction semble assez fidèle au texte : bien souvent, elle est littérale ; par ailleurs, l'enchaînement des scènes et des prises de parole est généralement respecté. Il s'agit d'une traduction versifiée marquée par un certain effort : ainsi, les stances de Porcie (IV, 4) se présentent, comme chez Guérin de Bouscal, sous une forme hétérométrique. [159] Cependant, il arrive que la densité des répliques soit atteinte : par exemple, la tirade de Brutus exhortant ses soldats dans une scène qui correspond à V, 1 [160] est singulièrement raccourcie. Entre ce qui correspond à nos vers 1622 et 1623, une didascalie annonce le corps de Porcie, ce qui n'était pas le cas chez Guérin de Bouscal. [161] Il est possible que cette didascalie soit le fruit d'une mauvaise interprétation des vers 1655-1656 ; elle présente toutefois l'intérêt de mettre sur scène le cadavre de la dernière des suicidés, en cohérence avec le traitement des cas précédents (Cassie, Titine, Brute et Straton). Il faut par ailleurs signaler l'ajout de deux scènes entre nos scènes I, 4 et I, 5. Lors de la première, très brève, un Chef de Brutus annonce la venue de Cassius. Lors de la seconde, un contentieux oppose violemment les deux hommes, qui finissent par se réconcilier et « s'embrasser avec joie ». [162] ## Interventions sur le texte. ### Remarques liminaires. Au début du XVII*e* siècle, l'orthographe n'était pas encore fixée. Par ailleurs, des variations sont sensibles au sein d'une même édition, entre différents groupes de cahiers, selon le travail de l'ouvrier. Pour illustrer le propos, voici trois exemples : * – 1°) Celui de la famille de *lâche* est frappant : *â* noté *as* apparaît dans les cahiers C, D, E, G, M et N ; *â* noté *a* dans les cahiers G et H ; *â* noté *â* dans les cahiers K et L. On remarque qu'à une occurrence près (qui peut être involontaire), quatre séquences de cahiers se succèdent, avec chacune leur propre norme, exclusive : *as, a, â* puis de nouveau *as*. [163] * – 2°) Le mot *soin* apparaît sous la forme *soing* dans les deux derniers cahiers uniquement, où cette graphie est dominante. [164] * – 3°) Le verbe *(re) connaître* alterne entre sa graphie habituelle (*re connoistre*) et une graphie étymologique (*re cognoistre*). La forme en -GN- apparaît six fois, dans les cahiers A, M et N ; la forme en -NN- onze fois, dans les cahiers B, D, F, G, H, I et L : il n'y a pas de concurrence au sein d'un même cahier. Pour les imprimeurs de notre pièce, Alain Riffaud donne les noms de Denis Houssaye, pour le cahier liminaire, et de Jacques Dugast, pour les cahiers A à N. De manière générale, il qualifie leur travail respectivement de « souvent correct » et « de qualité ». [165] ### Corrections d'usage et corrections systématiques. * – Distinction entre *i* et *j* et entre *u* et *v*. * – *∫* devient *s*. * – Suppression de l'esperluette (&) au profit de la conjonction *et*. * – Suppression des tildes (~) signalant une nasalisation et rétablissement des consonnes en conséquence (par exemple, au début de l'épître, « c*õ*po∫ent » devient « c*om*posent »). * – Rétablissement et normalisation des accents diacritiques : « celle-la », v. 408, 958 ; « Celuy-la », v. 461 ; « celuy-la », v. 1405 ; « Au dela », v. 608 ; « a », v. 619 ; « voila », v. 1454 ; « la bas », v. 1579 ; « ou », premier sonnet, v. 9 ; « où », stances, v. 18, 20. * – Systématisation du redoublement du *r* au futur et au conditionnel (verbes *pouvoir, mourir* et *voir*) : « pouroit », v. 799 ; « pouroient », v. 989, 1575 ; « mouroit », v. 1162 ; « moura », v. 1210 ; « mouray », pièce, v. 1291 et sonnet pour la mesme, v. 4 ; « veray », v. 1531. [166] ### Coquilles. La comparaison systématique des différentes éditions montre que celle de 1652 (Arsenal, GD-23605) corrige bien souvent des coquilles de l'édition originale. Alain Riffaud nous a confié que « si le travail typographique lui-même, dans l'atelier d'Eléazar Mangeant, est des plus médiocres, en revanche souvent cet imprimeur porte attention au texte et le corrige. » Ce jugement sur la production caennaise nous semble autoriser notre intuition première. Ainsi, nous marquons d'un astérisque les cas où nous avons suivi l'édition de 1652. #### ACTE PREMIER. v. 75 : « longs-temps » [167] devient « long-temps » ⁎ v. 219 : « auroit » devient « auroient » ⁎ v. 249 : « n'escoustez » devient « n'escoutez » #### ACTE SECOND. v. 316 : « ces » devient « ses » v. 318 : « ces » devient « ses » v. 396 : « ses » devient « ces » v. 445 : « ces » devient « ses » ⁎ #### ACTE TROISIEME. v. 592 : « ses » devient « ces » v. 662 : « ces » devient « ses » [168] v. 666 : « ces » devient « ses » ⁎ v. 680 : « craignist » devient « craignit » ⁎ v. 684 : « Emisphere » [169] devient « Hemisphere » ⁎ v. 701 : « commandat » et « retirat » deviennent « commanda » ⁎ et « retirast » ⁎ v. 704 : « sa » devient « la » v. 775 : « son » devient « ton » v. 798 : « vaiqueurs » devient « vainqueurs » ⁎ v. 862 : « torans » [170] devient « torrens » ⁎ #### ACTE QUATRIEME. v. 897 : « fort » devient « sort » ⁎ v. 931 : « l' « devient « s' » v. 934 : « Qu'il » devient « Qui » [171] v. 978 : « Il songe la vengeance » devient « Il songe *à* la vengeance » v. 1115 : « resentiment » [172] devient « ressentiment » ⁎ v. 1122 : « resentir » devient « ressentir » ⁎ #### ACTE CINQUIEME. v. 1238 : « des trosnes des Dieux » devient « *les* trosnes des Dieux » v. 1464 : « veux » devient « vœux » ⁎ v. 1490 : « perçer » devient « percer » ⁎ v. 1551 : « veu » devient « vœu » ⁎ v. 1553 : « balançer » devient « balancer » ⁎ v. 1565 : « ces » devient « ses » v. 1565 : « ils restent » devient « il reste » v. 1579 : « impeteux » devient « impetueux » ⁎ v. 1584 : « vient » et « dit » deviennent « viens » et « dis » v. 1591 : « ces » devient « ses » v. 1621 : « ce » devient « se » ⁎ v. 1643 : « fronds » [173] devient « fronts » ⁎ v. 1649 : « souffrent » devient « souffre » ⁎ v. 1654 : « ce » devient « se » ⁎ v. 1669 : « frond » devient « front » ⁎ #### CHANSON. v. 15 : « ce » devient « se » #### PREMIER SONNET. v. 14 : « resenti » devient « ressenti » #### A LA MESME SUR SON DEPART LE JOUR DE NOËL. v. 6 : « raisonner » devient « résonner » ### Ponctuation. La ponctuation au XVII*e* siècle ne connaissait pas les mêmes règles que les nôtres. Aussi, le lecteur ne sera plus étonné, s'il considère la ponctuation comme un guide pour la déclamation, qui rythme le discours et détermine la hauteur de la voix. [174] Nous avons ainsi, par exemple, laissé le point dans le cadre de questions oratoires (voir notamment les vers 554 et 1480). Nous avons rectifié la ponctuation lorsque cela s'avérait nécessaire : * – ponctuation finale du vers 158 : transformation du point en virgule ; * – ponctuation finale du vers 620 : transformation du point en point d'interrogation ; * – ponctuation finale du vers 711 : transformation de la virgule en point⁎ ; * – v. 731 : « Titine. » devient « Titine... » [175] ; * – ponctuation finale du vers 1107 : transformation de la virgule en point⁎ ; * – ponctuation finale du vers 1297 : transformation de la virgule en point⁎ ; * – ponctuation finale du vers 1414 : transformation du point en point d'interrogation. Notons que l'usage des points de suspension n'est pas systématique dans l'édition de 1637. Les interruptions du discours sont marquées de trois façons différentes : * – par l'absence de ponctuation (v. 172) ; * – par la virgule (v. 617, 731, 1281) ; * – par les points de suspension (v. 649, 653). ### Diérèses et synérèses. #### Diérèses (typologie par ordre d'importance quantitative). ##### -I/Y ON. « rebellion » (prologue, v. 38) ; « Lyon » (prologue, v. 39), « lyon » (v. 473) ; « actions » (prologue, v. 137 ; pièce, v. 35, 585), « action » (v. 615, 824) ; « adversion » (v. 31, 853) ; « passion » (pièce, v. 32, 148 ; sonnet pour la mesme, v. 11), « passions » (v. 586) ; « obligations » (v. 36) ; « occasion » (v. 93, 1307) ; « resolution » (v. 117) ; « presomption » (v. 147) ; « affection » (pièce, v. 175, 482 ; stances, v. 15) ; « perfection » (v. 176 ; stances, v. 16) ; « punition » (v. 366), « punitions » (v. 368) ; « inventions » (v. 367) ; « ambition » (v. 333, 854, 1640) ; « reflexion » (v. 426) ; « protection » (v. 481) ; « possession » (v. 1209) ; « Pelion » (v. 1550). ##### -IEUX. « victorieux » (prologue, v. 128 ; pièce, v. 23, 227, 582, 1111) ; « furieux » (prologue, v. 129 ; pièce, v. 1241, 1353) ; « ambitieux » (v. 20, 550, 1495) ; « gracieux » (v. 399) ; « precieux » (v. 548, 1170) ; « injurieux » (v. 959, 1523, 1609) ; « glorieux » (v. 1237) ; « officieux » (v. 1355, 1593). ##### *e* muet prononcé. « tuent » (v. 362) ; « Cassie » (v. 703) ; « Demetrie » (v. 738) ; « je m'oublie » (v. 1148) ; « j'aye » (v. 1172 deux fois) ; « Ils fuyent » (v. 1205) ; « Morphée » (v. 1257) ; « Porcie » (v. 1598) ; « Renoüent » (v. 1650) ; « Sylvie » (chanson, v. 13) ; « Croye » (stances, v. 30). ##### I-e/ɛ. « hier » (pièce, v. 391 ; chanson, v. 14) ; « s'humilier » (v. 589) ; « expier » (v. 792) ; « impieté » (v. 1060) ; « inquietude » (v. 1256) ; « chastier » (v. 1308). #### Autres diérèses. * – I-O : « violent » (v. 196, 260), « violant » (v. 1129, 1615), « violance » (v. 512) ; « mediocre » (v. 718) ; * – I-ɑ̃ : « aliance » (prologue, v. 110) ; « impatience » (v. 105), « impatiance » (v. 333) ; * – I-ɛ̃ : « lien » (v. 1168, 1514) ; « anciens » (v. 1650) ; * – « jouyr » (prologue, v. 100 ; pièce, v. 1285) ; * – « fuyr » (prologue, v. 122). #### Synérèses. Hormis une exception (« fleau », v. 1138), elles concernent toutes le même type de syllabe (consonne + RIER/Z) : * – « meurtriers » (prologue, v. 159 ; pièce, v. 109, 316, 882, 1565), « meurtrier » (v. 750, 790, 1537, 1576) ; * – « rencontriez » (v. 283) ; * – « démordriez » (v. 1018) ; * – « Voudriez » (v. 1119), « voudriez » (v. 1561) ; * – « l'ouvrier » (v. 1636). # LA MORT DE BRUTE ET DE PORCIE, OU, LA VENGEANCE DE LA MORT DE CESAR. TRAGEDIE. ## A MONSEIGNEUR L'EMINENTISSIME CARDINAL DUC DE RICHELIEU. Monseigneur, La plus grande partie de nos Escrivains composent leurs Epistres des esloges de ceux à qui ils dédient leurs ouvrages comme des raisons pour authoriser⁎ leur choix, et ne prennent pas garde que le plus souvent ces mesmes raisons les condamnent. Si je mettois ce mauvais livre soubs la protection de vostre *Eminence*, pource qu'elle protege les Empires; que je me promisse qu'elle le recevra, pource qu'elle refuse les couronnes, et que je creusse qu'elle l'estimera, pource qu'il n'y a rien au monde digne de son estime; Je rencontrerois sans doute ce qu'ils veulent éviter, et ferois veoir un exemple de ce que je desapreuve [176]: Mais ce n'est pas pour tout cela, *Monseigneur*, c'est seulement pource que je suis, Monseigneur, Vostre tres-humble, tres-obeïssant et tres-fidelle serviteur, GUERIN DE BOUSCAL ## PRIVILEGE DU ROY. Louis par la grace de Dieu Roy de France et de Navarre, à nos amez et feaux Conseillers les gens tenans nos Cours de Parlement, Maistre des Requestes ordinaires de nostre Hostel, Baillifs, Seneschaux, Prevosts, leurs Lieutenans, et autres nos Justiciers, et Officiers qu'il appartiendra, salut. Nostre cher et bien amé *Guion Guerin de Bouscal*, nous a fait remonstrer qu'il a composé un livre intitulé, *La Mort de Brute et de Porcie, ou, La Vengeance de la mort de Cesar*, qu'il desireroit faire imprimer et mettre en lumiere: Mais craignant qu'à son prejudice autres Imprimeurs que celuy qu'il a choisy pour cét effect, voulussent imprimer ledit livre, et l'exposer en vente. Il nous a tres-humblement supplié luy octroyer nos Lettres sur ce necessaires. *A ces causes*, desirant favorablement traicter ledit exposant, Nous luy avons permis et permettons par ces presentes de faire imprimer, faire vendre et debiter ledit livre en tous les lieux et terres de nostre obeyssance, par tels Imprimeurs, en telles marges et caracteres, et autant de fois qu'il voudra durant le temps et espace de neuf ans entiers et accomplis, à compter du jour qu'il sera achevé d'imprimer. Faisant deffences à tous Imprimeurs, Libraires et autres de quelques condition qu'ils soient, d'imprimer, vendre ny distribuer ledit livre sans le consentement de l'exposant, ou de ceux qui auront droit de luy en vertu des presentes, ny mesme d'en prendre le titre ou le contrefaire en telle sorte et maniere que ce soit soubs couleur de fauce marge ou autre déguisement, sur peine aux contrevenans de quinze cents livres d'amende, de confiscation des exemplaires contrefaits, et de tous les despens dommages et interests. A la charge d'en mettre deux exemplaires en nostre Bibliotheque, Et un en celle de nostre amé et feal le Sieur *Seguier* Chevalier Chancelier de France, avant que de l'exposer en vente, suivant nos Reglemens, à peine d'estre descheu du present Privilege. Donné à Paris le vingt-troisiesme jour de Juillet l'an de grace mil six cents trente-sept. [177] Et de nostre regne le vingt-septiesme. Par le Roy en son Conseil, *De Beav* [178]*rains*. Et sellé du grand seau de cire jaune. ET ledit sieur de Bouscal a cedé et transporté le present Privilege à Toussainct Quinet, Marchand Libraire à Paris, pour jouyr du contenu en iceluy, ainsi qu'il a esté accordé entr'eux par acte de seiziesme Janvier 1637.< Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 20. Fevrier 1637. >< Les exemplaires ont esté fournis. > ## ACTEURS. – BRUTE, – STRATON, Amy de Brute. – CASSIE, – PORCIE,Femme de Brute. – OCTAVE, – MARC-ANTHOINE. – TITINE, – PINDARE,Affranchi de Cassie. – DEMETRIE, – LA SUIVANTE DE PORCIE, – LES MESSAGERS. – LES CHEFS DE L'ARMEE DE BRUTE. – LES CHEFS DE L'ARMEE D'ANTOINE [179]. – LE MEDECIN D'OCTAVE. [180] – – – La Scene est en la plaine de Philipes en Macedoine. ## LA VENGEANCE DE LA MORT DE CÆSAR. PROLOGUE DE LA RENOMMEE. Esprise⁎ d'un ardent désir De voir les veritables sources Des grands sujets de tant de courses Qui ne me laissent pas un moment de loisir; J'ay voulu descendre en ces lieux Que des illustres demy Dieux Signalent tous les jours par de nouveaux Oracles, Où j'ay veu ce grand Roy, dont le nom seulement Porte par tout l'estonnement⁎, Et force la Nature à souffrir de miracles. Prés de luy cét esprit fameux, [181] Dont j'ay tant chanté les merveilles Charmoit⁎ les yeux et les oreilles Et faisoit confesser que tout luy doit de vœux. [182] Aussi confuse à cét aspect, Mon front s'est couvert d'un respect Que jamais tous les Dieux n'avoient peu faire naistre, Mes bouches ont perdu l'usage de la voix, Mon cor m'est eschappé des doigts, Et j'ay repris mon vol sans me faire cognoistre⁎. [183] Mais ayant rapellé mes sens, Je vay dire à toute la terre [184] Que dans la paix et dans la guerre Ce Prince peut toujours braver les plus puissans, Tout tremble à ses moindres projets. S'il vouloit gagner des sujets, Et faire une entreprise égale à sa puissance, Malgré l'empeschement des peuples et des Rois, Tous les hommes seroient François, Les bords de l'Univers seroient ceux de la France. Comme Alcide dans le berceau, Forçant la foiblesse de l'âge Estoufa la sanglante rage Des serpents qui venoient le pousser au tombeau. Ce Prince à peine avoit encor Cét honorable chapeau d'or, De qui toujours la peine est fidelle compagne, Quand avec le flambeau de la rebellion Il estouffa ce grand Lyon, Qui pour le devorer estoit venu d'Espagne. [185] Depuis ses plus charmans esbats, Ont esté parmy les armées A voir de bandes⁎ animées, S'entreverser le sang au milieu des combats: Car cét ennemy conjuré, Qui depuis long-temps a juré De ne laisser jamais ses voisins dans le calme, Donnant à ses desseins cent visages divers, A fait agir tout l'Univers Pour despoüiller son front d'une si belle palme. Mais ce miracle des mortels Qui mille fois le jour m'oblige A proclamer comme un prodige La moindre des Vertus⁎ qui luy font des Autels; Par de moyens miraculeux [186] Previt ses desseins frauduleux, Et destourna si bien les coups de cét orage, Que bien loing de l'effect qu'on s'en estoit promis, Il tomba sur vos ennemis Qui fremissent encor et de honte et de rage. C'est icy, genereux⁎ François, Que l'honneur de vostre patrie Vous permet sans idolatrie D'adorer en luy seul le soustien de vos lois. Voyez ce grand Astre d'amour Ne reposer ny nuict ny jour, Et pour vous acquerir une paix de durée, Perdre tous ses plaisirs dans des soucis cuisans Qui rendroient les Sceptres pesans Entre les fortes mains d'Atlas et Briarée [187]. Voyez vostre Nef⁎ se vanter Que sur l'Empire de Neptune [188], Malgré les vents et la Fortune [189] Il n'est rien dont l'effort la puisse espouventer, L'ennemy fuit à son abord⁎, Elle a de tous costez le port, La mer tout à l'entour ne monstre point de ride, Jamais l'anchre ne fut en un si Riche lieu, Et cét illustre demy-Dieu La boussole à la main la conserve et la guide. Voyez vos ennemis domptez En vos batailles signalées Graver dessus⁎ leurs Mausolées La valeur de celuy qui les a surmontez. Admirez que si l'Espagnol N'eust pas voulu porter son vol Sur les terres d'autruy, comme l'Aigle Romaine [190], Les drapeaux que sur luy vous avez emportez, Pourroient couvrir de tous costez Les steriles deserts de son petit domaine. Admirez que dans le discort⁎ Qui divise l'Europe entiere, Vous avez une ample matiere De mespriser les vents, et de dormir au port. Qui diroit à voir vos esbats Que dans de si sanglans combats Les armes des François fussent interessées ? Si je n'avois le soin de prescher en tous lieux Qu'un grand esprit aymé des Dieux Vous fait jouyr en paix du fruict de ses pensées. Puis tous d'une commune voix, Faites retentir dans les nuës Combien ses vertus⁎ recogneuës Portent haut la splendeur du Trosne de vos Roix. Tous les peuples que le Soleil Esclaire de son teint vermeil Tremblent espouvantez au seul nom de la France; Et l'orgueilleux Tyran des hardis Otthomans, Conserve dans ses documens Plus cher que le Croissant son serment d'aliance. [191] Ce grand esprit portant icy La valeur des peuples de Thrace, Y porta le Mont de Parnasse, Apollon et ses sœurs le suivirent aussy. [192] C'est là que quelquefois lassé Du soin present et du passé, Il voit avec plaisir grimper mille Poëtes, Et ne desdaigne pas, tant son cœur est humain, D'ouvrir avec sa propre main Des bouches qui sans luy demeureroient muetes. J'ay sceu par un de mes Couriers⁎, Que pour fuyr l'ingratitude, On voit des fruicts de cét estude [193] Qu'on ne sçauroit payer avec mille lauriers [194]. L'un fait voir Hercule enchanté Par les charmes⁎ d'une beauté Negliger sa valeur ainsi que son espouse, Et confesser enfin qu'estre victorieux Des monstres les plus furieux Est moins que de dompter une femme jalouse. [195] L'autre nous monstre clairement Dans la perte de Massinisse, Que qui veut bastir sur le vice Esprouve tot ou tard quel est ce fondement. [196] L'autre nous fait voir que l'amour Desrobe le lustre et le jour Aux belles actions d'un Empereur de Rome; [197] Et l'autre nous montrant un Roy dans sa maison Frustré de l'effet du poison, Fait voir qu'est [198] devant Dieu la sagesse de l'homme. [199] L'autre, du premier des Cæsars Nous fit voir la fin deplorable, Et combien il fut misérable De ne mourir plustost au milieu des hazards. Ce Prince l'honneur des guerriers, Le front couronné de lauriers, Fut de la trahison la sanglante victime, Dans les pompes du Trosne il trouva le tombeau, Son favory fut son borreau, L'injustice son Juge, et la vertu⁎ son crime. [200] Mes yeux apres ce coup fatal, Firent l'office de mes bouches, Et les ames les plus farouches Pasmerent au recit d'un crime si brutal. Tout l'Univers alloit mourir Quand le Ciel pour le secourir Fit partir de ses mains un équitable foudre [201], Les plaines de Philippe en virent les effets, Tous les meurtriers furent defaits⁎, Cæsar y triompha qui n'estoit plus que poudre⁎. Jamais un plus beau chastiment Ne tint la Justice occupée: Jamais on ne vit son espée Abbatre de mutin plus equitablement. Cét objet pleut tant à mes yeux, Que j'arreste encore en ces lieux Pour en voir le portrait sur ce fameux Theatre, Où Brute et sa vertu⁎ confesseront en fin Qu'à moins que d'un coup du Destin, Un Trosne bien fondé ne se sçauroit abatre. ## ACTE PREMIER. ### SCENE PREMIERE. BRUTE, STRATON, et deux Chefs de l'armée de Brute. BRUTE. Qu'un Estat est mal sain dans le siecle où nous sommes, Lors qu'il n'a pour soustien que le grand nombre d'hommes, Dont les desirs divers par de divers efforts Au lieu de l'affermir desunissent son corps. Que je l'esprouve bien dedans⁎ cét avanture⁎. [202] L'un desire la paix escoutant la Nature, Qui luy dit que ses fils condamnez à mourir Avec ce seul moyen se peuvent secourir. L'autre moins resolu de survivre en esclave, Declame contre Anthoine, et favorise Octave, Comme si nos fureurs avoient pour leur objet Le vice des Tyrans et non pas leur projet. Bref il en est bien peu que le seul honneur pique, Qui ne soient animez que pour la Republique, Et qui puissent gouster avec tranquilité, Que nous devons mourir pour nostre liberté. Je m'asseure pourtant que nos Dieux tutelaires Ayment trop l'equité pour nous estre contraires, Et pour ne pas punir l'insolent attentat⁎ Que ces ambitieux ont fait sur nostre Estat. Il faut tout esperer d'une juste entreprise, Si l'honneur la produit, le Ciel la favorise; Et l'on doit s'asseurer d'estre victorieux, Quand le droict qu'on soustient est la cause des Dieux. Les Dieux seuls sont nos Rois, jugeans qu'il n'est point d'homme, Qui puisse meriter leur Lieutenance⁎ à Rome, Depuis que le Soleil n'esclaire rien d'humain Qui ne doive tribut à l'Empire Romain J'adore leurs Decrets, et mon ame flechie, Se sous-met seulement à cette Monarchie; Tout autre me desplait, et mon adversion Vient d'un raisonnement exempt de passion; Car un peuple sousmis aux volontez d'un Prince Se descharge sur luy des soins de la Province, Neglige sa valeur, cache ses actions, Content de s'acquiter des obligations; Parce que les exploits plus dignes de memoire, Honorant le seul Chef, laissent l'Autheur sans gloire; Qui voit apres avoir vaillament combatu, Qu'un autre s'enrichit des fruicts de sa vertu⁎. Au lieu que sous les loix de la Democratie, Chacun cherche l'honneur aux despens de sa vie, Asseuré que toujours la generosité⁎ S'y voit recompenser comme elle a merité. Puis qu'à ce doux Estat notre bon-heur nous range, Il faut mourir plustost que de souffrir le change⁎. Ha ! si tous les Romains combattoient comme vous, Que nostre Republique auroit un sort bien doux, Et qu'on verroit bien tost les desseins et l'armée De nos pretendus Rois se reduire en fumée. Aussi la recompense égalant le bien-fait, Rendra dans peu de temps vostre bon-heur parfait. I. CHEF. L'honneur de vous servir contre la tyrannie, Couronne les Romains d'une gloire infinie, Dont le moindre rayon nous récompense assez, Des soins⁎ de l'advenir, et des travaux⁎ passez, BRUTE. Allez donc dans le Camp, dites aux Capitaines, Qu'on doit bien tost finir mes soucis et leurs peines, Et que la liberté reprendra sa vigueur, S'ils monstrent au combat qu'ils en ont dans le cœur⁎. ### SCENE II. CASSIE, BRUTE, TITINE. CASSIE. Resolu qu'aujourd'huy la bataille se donne ? BRUTE. Je croy que ce dessein ne déplaist à personne, Et que les maux soufferts par le peuple Romain, Nous preschent qu'il vaut mieux aujourd'huy que demain. CASSIE. Il me semble pourtant que tout nous peut permettre, Sinon de l'eviter, au moins de la remettre, Puis que tous nos amis n'ont point de sentimens Pour s'opposer jamais à nos commandemens; Et que les Citoyens touchez de mesme envie Déposent en nos mains le soucy de leur vie. BRUTE. Un peuple va toujours, quelque aguerry qu'il soit, A finir promptement les ennuis⁎ qu'il reçoit, Aymant mieux pour treuver le repos desirable, S'exposer aux dangers d'une fin lamentable, Que de souffrir long-temps au milieu des travaux⁎, La funeste rigueur d'une suite de maux, Juge si nos Romains exilez de leur terre, Et déja fatiguez d'une si longue guerre, Sçachant que le combat la doit faire cesser, N'ont pas d'ardens desirs de le voir commancer.     Que si pourtant leur voix tesmoigne le contraire, Elle dément leur cœur de peur de te déplaire. CASSIE. Il n'est rien de forcé dedans⁎ tous leurs discours. BRUTE. Le mal a trop duré, rompons icy son cours. Cherchons nous le profit, ou bien la vaine gloire     De triompher des morts apres une victoire ? Celle de ravager l'Empire des Romains, Et de pouvoir agir avec cent mille mains ? Non, un plus beau dessein nous fit prendre l'espée, Nous voulons affranchir nostre terre occupée, Restablir nos amis dans leur premier bon-heur, Et monter au degré d'un souverain honneur, Puis que l'occasion s'en offre si propice, Faisons voir aujourd'huy quelle est nostre Justice, Et que ses fiers⁎ tyrans percez de mille coups, Asseurent pour jamais nos libertez et nous. CASSIE. Dans un si beau dessein mon ame interessée, Par ton ressentiment⁎ explique ma pensée, Tes desirs sont les miens, et celuy d'estre Roy M'a toujours fait horreur aussi bien comme à toy; Je ne le puis souffrir, Nature la premiere M'inspira cette haine avecque la lumiere, Ma raison la receut, et depuis nos sermens En ont authorisé⁎ les justes mouvemens: Mais je ne sçay pourtant si cette impatience D'aller voir l'ennemy, n'a point de l'imprudence, Et si precipitant le dessein du combat, Nous ne reculons point le bien de nostre Estat. BRUTE. Rome que ces meurtriers remplissent de carnage, Nous demande secours, parle à nostre courage, Et nous pouvons bien voir aux plaintes qu'elle fait, Que le retardement le rendroit sans effet: Ne le differons plus, secondons son attente, Ranimons aujourd'huy la liberté mourante, Redonnons au païs la vigueur de ses lois, Secourir promptement, c'est secourir deux fois. CASSIE. Ta resolution si digne de loüange Fait que contre mon cœur, ma volonté se range; Combattons donc, cher Brute, et dans le Champ de Mars, Aussi bien qu'au Senat, poignardons des Cæsars. BRUTE. Mes moindres mouvemens feront toujours connoistre⁎, Que je cherche à mourir pour n'avoir point de Maistre. CASSIE. Et les miens feront voir, quoy qu'il faille tenter, Que ce bras n'est armé qu'afin de l'éviter. BRUTE. Adieu donc, l'heure presse, il faut que je m'en aille Minuter en repos l'ordre de la bataille. ### SCENE III. CASSIE, TITINE. CASSIE. C'est bien contre mon cœur qu'avec si peu de mains, Nous allons hazarder le salut des Romains: Mais Brute en ses discours, a je ne sçay quels charmes⁎, Qui forcent la raison à luy rendre les armes; Je consens au combat malgré mon sentiment, Et je crains la rigueur d'un triste evenement. TITINE. Les Dieux seront pour nous, s'ils sont pour la Justice, Leur bonté ne sçauroit favoriser le vice, Et j'espere aujourd'huy que tous nos differens Rencontreront leur fin dans celle des Tyrans. CASSIE. La cause la plus juste est bien souvent trompée, Et j'en prens à tesmoin la perte de Pompée. Ce n'est pas que mon cœur se forme de soupçons Que nous n'obtiendrons pas ce que nous pourchassons; Mais alors [203] qu'il s'agit de l'Empire de Rome, Il est bien mal-aisé de ne point parestre homme, Et dans l'Estat flotant de nostre liberté, L'asseurance me semble une stupidité. TITINE. Pompée avoit pour but d'assujettir l'Empire, Et ce mauvais dessein luy fit avoir du pire [204]. CASSIE. On ne l'a jamais sceu que par presomption. TITINE. Les Dieux dedans⁎ son cœur lisoient sa passion, Rien ne se peut cacher à ces grandes lumieres. CASSIE. C'est assez disputé sur ces vaines matieres, Il est temps de songer que nous devons ce jour Faire voir des effets et de haine et d'amour. ### SCENE IV. BRUTE, son mauvais Genie. BRUTE. J'auray la pointe [205] droite, et ma Cavalerie Essuyera [206] des traits la premiere furie, Massala la doit suivre avec un peloton, Qui sera soûtenu par celuy de Straton: Et pour perdre en un jour tyrans et tyrannie; Mais qu'est-ce que je voy ? LE GENIE.         C'est ton mauvais Genie⁎, Qui te vient advertir que dans fort peu de temps Tu le pourras revoir parmy les combatans. BRUTE. Hé bien, nous t'y verrons, je veux combatre Octave, Et faire d'un Roy feint un veritable esclave; Cassie aura la gauche, et le soin d'ordonner Comme on s'y conduira quand il faudra donner⁎. Mais déja le Soleil vient esclairer la terre Pour commancer le jour qui doit finir la guerre; Allons voir nos Soldats, et mettre dans leurs cœurs Le desir de mourir ou de vivre vainqueurs. ### SCENE V. PORCIE, BRUTE. PORCIE. Tu vas donc au combat ? BRUTE.         La liberté m'appelle, Et je serois content de m'immoler pour elle, Si je pouvois sçavoir ma Porcie en repos, Loin des troubles que Mars PORCIE.         Brise là ce propos, Il choque ma vertu⁎ qui seroit offensee S'il estoit aprouvé d'une seule pensee; Quoy ! Brute doute encor que mon affection Ne soit pas au degré de la perfection: Du repos loin de luy, sans qui mesme la vie Ne sçauroit me durer que contre mon envie. Ha ! c'est trop, et ce coup me touche plus le cœur, Que la crainte de voir nostre ennemy vainqueur. La fille de Caton nasquit parmy les armes, Les horreurs des combats ont pour elle des charmes⁎; Et son repos s'y treuve ainsi qu'en tous les lieux, Où Brute luy paroist favorisé des Dieux. Que le Ciel conjuré se range pour Octave, Que le peuple Romain demande d'estre esclave, Que par ces changemens l'espoir te soit osté, De restablir jamais l'antique liberté. Qu'apres estre bannis de nostre chere terre, Tout l'Empire assemblé nous declare la guerre, Et que tous les malheurs accompagnent nos pas, Si je suis avec toy, je ne me plaindray pas. BRUTE. Que percé de cent coups au milieu des batailles, Le vainqueur insolent m'arrache les entrailles; Si tu vis pour chanter l'honneur de mon trespas⁎, Fut-il plus violent, je ne me plaindray pas. PORCIE. Que nos cruels Tyrans par de nouvelles gesnes⁎ Portent au plus haut point leur rigueur et mes peines; Si je puis par ma mort t'exempter du trespas⁎, J'en atteste le Ciel, je ne me plaindray pas. BRUTE. Si je pouvois treuver dans le sort de la guerre, Avecque ton repos celuy de nostre terre, Deusse-je, pour un seul, souffrir mille trespas⁎, Je seray satisfait, et ne me plaindray pas. PORCIE. Quand Rome reprendroit cette grande puissance Qui rangea l'Univers sous son obeïssance, Si nous devions ce bien à la fin de tes jours, Ne pouvant pas mourir, je me plaindray toujours. Ne me commande pas de conserver la vie, Si nostre malheur veut qu'elle te soit ravie, Icy l'obeïssance excede mon pouvoir, Et la necessité m'enseigne mon devoir; Ouy, Brute, ton trespas⁎ rend le mien necessaire, Soit pour me delivrer des mains de l'adversaire, Soit pour ne faire pas un prodige nouveau, Laissant durer un corps dont l'ame est au tombeau, Ou bien pour te monstrer que cessant d'estre libre, La fille de Caton perd le pouvoir de vivre. BRUTE. Tant de rares vertus⁎ auroient bien merité Dans un siecle plus doux un sort plus arresté; Si la raison sçavoit balancer⁎ toutes choses, Jamais aucun soucy n'eust approché tes roses⁎, Et toujours les douceurs de mille doux plaisirs Eussent charmé⁎ tes sens, et passé tes desirs; J'espere toutefois qu'une bonté supreme Reserve à nos travaux⁎ cette faveur extreme. Qu'un jour victorieux et triomphans des Rois, Rome nous nommera protecteurs de ses lois, Alors tous nos malheurs auront trouvé leur terme, Alors nostre repos n'aura rien que de ferme, Alors ne craignant plus pour nostre commun bien, Jamais mon sentiment ne choquera⁎ le tien, Alors les Dieux benins, pour nous combler de joye, Ne feront à nos jours qu'une trame de soye, [207] Et quand leur providence en coupera le cours, Nos noms et nos vertus⁎ demeureront tousjours. Cependant, mon cher cœur, permets que je m'en aille Disposer mes soldats à donner la bataille, L'heure me presse, adieu. PORCIE.         Va donc, mon cher soucy⁎, Certain que si tu meurs je veux mourir aussi. ### SCENE VI. PORCIE, sa Compagne. PORCIE. Donques les bras croisez en ce malheur extresme Je me voy sans rougir differente à moy mesme ? Doncques ma lascheté m'oste le souvenir Que Brute ce heros⁎ vient de m'entretenir ! Arrestez-vous mes pleurs, son adorable image Vient defendre à mes yeux de vous donner passage, Et vous, tristes soupirs, tesmoins de mon soucy⁎, Cedez à la vertu⁎ qui vous bannit d'icy, Mais non, n'escoutez point ma requeste importune, La vertu⁎ se plaindroit en pareille fortune. Je voy tout ce que j'ayme en danger aujourd'huy, Brute et la liberté qui ne vit plus qu'en luy; Toutesfois banissons ce mouvement de femme, Ma naissance suffit pour instruire mon ame, En vain irois-je ailleurs rechercher un patron⁎, C'est assez que je suis la fille de Caton, Sus⁎ donc faisons paroistre à nos trouppes fidelles Que je brusle d'ardeur de combattre pour elles, Et qu'avec son portraict mon pere a mis en moy Un desir violent de n'avoir point de Roy; Monstrons que dans le choc des plus rudes alarmes Je sçay verser du sang aussi bien que des larmes, Allons braver la mort au camp des ennemis, Et vengeons aujourd'huy les maux qu'ils ont commis: Il ne m'importe point d'obtenir la victoire, Mon sort est assez beau, je n'ay que trop de gloire Pourveu que combattant pour le peuple Romain Je meure comme Brute une espée à la main: Toy ne traverse⁎ point ce conseil⁎ salutaire, Aussi seroit-ce en vain qu'on m'en voudroit distraire, Il est grand, il est juste, et selon la saison⁎. [208] LA COMPAGNE. Mais vous ne dites pas qu'il choque la raison, Madame, moderez cette boüillante rage, Pour mieux voir le danger où vostre esprit s'engage: Quoy ! sommes-nous tombez en de si foibles mains, Que vous n'esperiez rien du salut des Romains ? Brute auroit-il perdu son courage heroïque⁎ ? Et ne pourroit-il rien pour nostre Republique ? Non, il est toujours Brute, et comme ses parens, Il ne s'arme jamais sans chasser des Tyrans; [209] J'espere quand à moy qu'il aura la victoire, Mais vostre grand dessein que sert-il à sa gloire ? Et si l'executant vous rencontriez la mort, N'auroit-il pas sujet de blasmer vostre effort ? PORCIE. On peut bien sans mourir suivre cette entreprise. LA COMPAGNE. Mais si Brute mouroit, et que vous fussiez prise, Que tout fut en butin aux Tyrans inhumains, Quel regret auriez-vous de vous voir en leurs mains ? Et sans pouvoir mourir vous sçavoir condamnée, D'estre dans vostre ville en triomphe⁎ menée ? Le penser seulement me fait trembler d'horreur, Pour gauchir cét escueil, calmez vostre fureur. Madame et si le Ciel vous donne du courage, Tesmoignez-en la force à brider vostre rage: Endurez sans vous plaindre, et que jamais vos pleurs, Ny vostre desespoir m' [210]expriment vos douleurs: C'est la lice d'honneur où la vertu⁎ s'espreuve, Et le port plus certain où le repos se treuve: Outre que si le Ciel vous mal-traitte aujourd'huy, Vous aurez plus de droict de vous plaindre de luy. PORCIE. En fin à tes raisons ma fureur diminuë, Comme aux rais du Soleil l'espesseur d'une nuë, Je me laisse emporter à tout ce que tu veux, Allons à Jupiter faire offre de nos vœux: Et si nous le trouvons encor inexorable A soulager les maux d'un peuple miserable Je sçay depuis long-temps quel sera mon devoir, Mais qu'un courroux sied mal lors qu'il est sans pouvoir ! ## ACTE SECOND. ### SCENE PREMIERE. MARC ANTHOINE, LUCILLE, [211] et deux de ses Chefs. MARC ANTHOINE. Puis que c'est aujourd'huy qu'un destin favorable, Nous promet de venger ce crime detestable, La mort du grand Cæsar, le Phœnix des guerriers, Prodiguons nostre sang pour gagner des lauriers, Monstrons à ce Heros⁎ dans sa beatitude, Que nous voulons mourir exempts d'ingratitude, Et que jamais la paix n'esteindra nos combats, Que plustost on n'ait mis tous ses meurtriers abas⁎. Quand Rome verseroit un Ocean de larmes, Qu'un deüil perpetuel terniroit tous ses charmes, Et que ses Citoyens n'y sçauroient plus rien voir, Que de tristes objets couverts d'un crespe noir, Ce seroit laschement honorer la memoire De ce grand demy Dieu qui la combloit de gloire, Qui maintenoit la paix dans un si vaste corps, Et parmy les plus grands des merveilleux accords. En vain nos conjurez vantans la Republique, Taxent la Royauté d'un pouvoir tyrannique. Il est vray qu'un Estat qui se veut agrandir Contre la Royauté, se doit toujours roidir: Mais lors qu'il ne peut plus estendre son Empire, Il faut qu'à ce bon-heur tout son effort aspire, Comme le seul qui peut maintenir son pouvoir, Et contenir les grands aux termes du devoir. Que si l'ambition dans son impatiance Par un ingrat effort foule cette puissance, Dés l'heure⁎ il est perdu, son bras devient perclus; Et cessant d'obeïr, il ne commande plus. Nostre Rome à ce point avoit besoin d'un Maistre Et les evenemens nous le font bien connoistre⁎, Les peuples rebellez depuis cét attentat⁎ Démembrent tous les jours les biens de son Estat: Et comme nos desirs, nos forces divisees, Leur rendent contre nous les victoires aisees. Ha ! Brute desloyal, qu'avec peu de raison Tu fondas le projet de cette trahison: Tu devois dire au moins la cause de ta plainte, La bonté de Cæsar l'auroit bien-tost esteinte, Et ton ressentiment eust esté satisfait, Sans faire voir au jour un si semblable effet, Tu pouvois disposer de toute sa puissance, Il n'eust jamais pour toy que de la complaisance; Mesme jusqu'à ce point, qu'apres mille forfaits On te pouvoit nommer l'objet de ses biens-faits: [212] Et tu meurtris⁎ encor ce Prince debonnaire, Qui t'appelant son fils, se monstroit plus que pere: Et regarde couler ce beau sang sans effroy, Alors que ton poignard en rougissoit pour toy. [213] O temps ! ô meurs ! [214] ô Dieux peu reverés dans Rome ! O crisme d'un Démon bien plûtost que d'un homme ! Les autres conjurez, ont-ils eu moins de tort ? Cæsar les a sauvez, il nous donnent la mort; Semblables aux serpens qu'on voit en la Libye, Qui tuent en naissant les autheurs de leur vie. Ha lasches ! si le Ciel a quelque soin de nous, Vous sçaurez ce que peut sa haine et mon courroux. Il n'a point fait de loy contre l'ingratitude, Car la punition n'en peut estre assez rude: Mais pourtant je feray par mes inventions Un juste chastiment de cent punitions. Jamais les Dieux n'ont veu vengeance plus entiere, Ma fureur s'esteindra plus tard que la matiere; Les Manes [215] de Cæsar en seront satisfaits, Mais il est déja temps de passer aux effets. Sus⁎ donc, braves Romains, chers enfans de Bellonne [216], Si vous voulez gagner l'honneur d'une Couronne, Secondez mon dessein, qui juste autant que beau, Mesme apres nostre mort, nous sauve du tombeau. I. CHEF. Nous n'avons pas plûtost resolu de vous suivre, Que de venger Cæsar ou de cesser de vivre, Ainsi ne craignez pas qu'on ne juge aujourd'huy Qu'encore apres sa mort nous combatons pour luy. II. CHEF. Les effets feront voir aux despens de ma vie, Que mon cœur à ce bras inspire mesme envie, Cæsar merite bien de voir venger ses coups, Et qu'on meure pour luy, puis qu'il est mort pour nous. III. CHEF. Brave et vaillant Cæsar, dont la mort avancée Ne m'entretient jamais sans blesser ma pensée; Tu connoistras⁎ bien-tost le dessein que j'ay fait, D'affronter les dangers pour te voir satisfait. MARC-ANTHOINE. Mon cœur apres cela ne voit rien qu'il ne brave. ### SCENE II. MARC-ANTHOINE, le Medecin d'Octave. MARC ANTHOINE. Mais que voudroit de nous le Medecin d'Octave, Son mal depuis hier seroit-il augmenté ? UN DE LA SUITE D’ANTHOINE. Je viens de le quiter en meilleure santé. LE MEDECIN. Si quelque bon succez⁎ nourrit ton esperance, Change la desormais en parfaite asseurance, Je te viens anoncer de la part des Destins, Que les Dieux sont pour nous, et contre ces mutins. Pendant l'obscurité de la nuict precedente Je resvoy dans mon lict sur la guerre presente, Attendant doucement qu'un sommeil gracieux M'eust ouvert le repos en me fermant les yeux, Quand tout à coup l'esclat d'une grande lumiere A brillé dans ma tante, et frapé ma paupiere, Pour en depeindre icy les plus petits rayons, Je n'ay dans mes discours que des foibles crayons⁎; Il suffit que les feus les plus beaux de la terre, Les esclairs lumineux qui partent du Tonnerre⁎, Le Celeste flambeau qui donne la clarté, Au pris de celle-là ne sont qu'obscurité; Je n'ay pas plûtost veu cette flamme impreveuë, Que j'ai senty mourir l'usage de la veuë,     Ma langue s'est noüée, et tous mes sens perclus Ont exprimé l'estat d'un homme qui n'est plus: Mon esprit toutefois exempt de cette crainte Au milieu des rayons, dont ma tante estoit peinte, A veu la Majesté d'une troupe de Dieux, Et conneu⁎ par ces mots, comme l'on parle aux Cieux, “Amis du grand Cæsar vos victoires sont prestes, “Le Ciel est sur le point de couronner vos testes, “Et redonner la vie à l'Empire Romain, “Cependant leurs Decrets qui n'ont rien que de grave “Pour destourner les maux qui menassent Octave, “Veulent qu'au Camp d'Anthoine on le porte demain. La fin de ces discours a chassé ces lumieres, Et remis dans mes sens leurs faussetez premieres, Leur laissant toutefois quelque ravissement [217] Dans la reflexion de cét esvenement; Reçoy donc cét advis, et que ton ame instruite Donne une loy certaine à ta sage conduite. MARC ANTHOINE. Il est trop important pour estre à negliger, Allons, le temps est court, il le faut mesnager. ### SCENE III. BRUTE, ses Soldats. BRUTE. En fin, braves Romains, voicy l'heure oportune Qu'on doit voir la Vertu⁎ surmonter la Fortune, Et qu'il faut tesmoigner et de cœur⁎ et de mains, Qu'on nous donne à bon droict le tiltre de Romains; Voicy le jour heureux que l'on doit voir bannie Par la mort du Tyran l'infame tyrannie, Et qu'un chacun⁎ de nous doit porter dans le sein L'espoir de triompher en un si beau dessein: Car si le seul effort de maintenir sa gloire Fait mesme dans la mort rencontrer la victoire, Nous devons aujourd'huy l'esperer beaucoup mieux, Puis que nous combatons pour Rome et pour ses Dieux. Quoy Rome endurera qu'un homme la maistrise ? Elle à qui l'Univers a rendu sa franchise⁎, Et nous ses Citoyens qu'elle fit naistre Rois, Suivrons un Empereur et de nouvelles lois ? Mourons, mourons plûtost que d'encourir ce blasme, La mort n'a rien de dur que ce qu'elle a d'infame. Un corps extenué, dont la pasle couleur Represente à nos yeux l'image du malheur; Les habits et les pleurs d'un amy pitoyable, A de timides cœurs la rendent effroyable: Mais comme avec raison on blasmeroit la peur Qu'un homme concevroit pour un masque trompeur; C'est exposer son ame à des justes censures, De craindre de mourir pour des larmes futures. La mort est naturelle, et je ne pense pas Qu'on ne souffre en naissant comme on souffre au trespas⁎; Encore nostre mort doit estre moins à craindre, Qui nous laisse un renom qui ne se peut esteindre. Celuy-là vit toujours parmy les gens d'honneur, Qui meurt en combatant pour le commun bon-heur; Imitons en cela nos valeureux ancestres, Que Rome a veu mourir pour n'avoir point de Maistres: Et celuy qui domptant la Nature et les Rois, Immola ses enfans à l'honneur de nos lois. [218] C'est un trop haut dessein pour la puissance humaine, De soustenir le vol de nostre Aigle Romaine; Rome donne des loix, et n'en peut recevoir, De peur que la vertu⁎ n'y perde son pouvoir: Car un peuple abattu sous un honteux servage [219] Relasche tous les jours de l'ardeur du courage: Et comme le lyon qui se laisse enchaisner, Il perd dedans⁎ les fers le soin de dominer. Je tire aussi de là l'esperance certaine De nous voir aujourd'huy Maistres de cette plaine, Puis que tous les Romains qui voudroient l'empescher Sont esclaves, chetifs, et prests à se cacher: Outre que les exploits presque au delà de l'homme Se sont faits seulement en combatant pour Rome; Car les Dieux qui l'ont mise en leur protection Assistoient les autheurs dans leur affection. Mais depuis que l'orgueil a bouffi le courage De ceux qui pouvant tout, ont voulu davantage, Et fait qu'encontre⁎ Rome ils se sont rebellez, On n'en a jamais veu des actes signalez, Sinon quand de nos Dieux la sagesse supresme Arma leurs propres mains pour se defaire⁎ eux-mesmes; Et que dans ce combat si triste et si mortel L'un d'eux fut la victime, et Pharsale l'autel: Car lors pour espargner les coups de nostre espée Le Ciel fit que Cæsar nous sauva de Pompée, Sçachant que son orgueil apres un tel effort Le precipiteroit dans les mains de la mort, [220] Et que contre ceux-cy nos forces reposées Pourroient trouver apres des routes plus aisées. Mais je raisonne en vain, que sert-il de parler ? Vous courez au combat, vous y voulez voler; Et malgré les efforts des troupes infidelles, Esteindre dans leur sang le feu de nos querelles, Sçachant qu'un brave cœur ne peut jamais périr Dedans⁎ le beau dessein de vaincre ou de mourir. Et bien, allons amis, certains que nostre gloire Remplira l'Univers apres cette victoire, Si tous d'un mesme accord nous y voulons courir Avec ce beau dessein de vaincre ou de mourir, Le Demon⁎ qui regist le sort de nostre Empire, Ne souffrira jamais que nous ayons du pire, Et de tout son pouvoir nous viendra secourir, Si nous avons dessein de vaincre ou de mourir; Les vœux que le Senat pousse en cette occurance Verront recompenser leur sainte violance, Et tant de pleurs qu'il verse en fin pourront tarir, Si nous avons dessein de vaincre ou de mourir, Que si trop longuement je parle en cette sorte, C'est l'amour du païs qui me presse et m'emporte, Resistons luy pourtant, et sans plus discourir, Qu'il [221] agisse au dessein de vaincre ou de mourir. I. CHEF. Quand le ressentiment des libertez ravies Ne nous forceroit pas à prodiguer nos vies, Ton discours sur mon cœur a fait un tel effort, Qu'il me tarde déja d'estre vainqueur ou mort. II. CHEF. De moy quelques succez⁎ que le Ciel nous prepare, La constance toujours me servira de phare, Et malgré les escueils je trouveray le port Dans cét ardent desir d'estre vainqueur ou mort. III. CHEF. Vos desirs sont les miens apres ce qu'a dit Brute, Il n'est rien que je n'ose et que je n'execute; L'honneur, la liberté, Rome, l'Estat mal sein [222], Tout nous porte aujourd'huy dans un si beau dessein. BRUTE. Je voy ces lasches cœurs qui rougissent de honte, D'avoir de leur honneur tenu si peu de compte; Mais il est déja temps que chacun à son rang Aille faire rougir ses armes de leur sang. ### SCENE IV. PORCIE. [223] PORCIE. Demons⁎ qui conduisez l'ordre des Destinées, [224] Si Rome doit flechir sous le joug des Tyrans, Commandez à la mort de trancher mes années, Ou me donnez le cœur⁎ d'imiter mes parens. Rome qui commandois ce que le monde ensere, [225] Voudrois-tu subsister apres cét accident ? Abysme toy plûtost au centre de la terre, Cét effort genereux⁎ te sauve en te perdant. Demoly les Autels de ces Dieux de fumée, Que leurs Temples brisez tesmoignent aux Neveux⁎ [226] Qu'apres avoir en vain leur force reclamée, Tu sceus venger au moins la perte de tes vœux. Tyrans presomptueux dont l'audace effrontée S'efforce d'usurper un bien si precieux, Vous courez obstinez au feu de Promethée, Qui doit faire rougir vos cœurs ambitieux. Et moy dois-je douter qu'apres un coup si rude Rien me puisse empescher de courir à la mort, Si mon pere fuyant la mesme servitude Malgré tous ses Soldats fut maistre de son sort. ### SCENE V. LA COMPAGNE, PORCIE, LA COMPAGNE. Madame, en cét instant tous les Soldats en armes Commencent le combat qui doit finir vos larmes; On n'entend rien que cris et que gemissemens, Vous diriez que le Ciel confond les Elemens: Les traits volans en l'air par un confus rencontre⁎ Empeschent le Soleil de voir ce qu'il nous monstre: Déja venus aux mains, les nostres plus hardis Tesmoignent d'estre encor ce qu'ils furent jadis, S'il vous plaist de les voir, vous le pourrez sans peine, Du haut de ce rocher qui commande à la plaine, J'en viens tout maintenant pour vous en advertir, Croyant que cét objet vous pourroit divertir. PORCIE. Observez sans danger l'ordre des deux armées, Par la haine et l'honneur au combat animées, C'est un plaisir fort doux dans un cœur arresté⁎, Qui voit sans interest l'un et l'autre costé: Mais represente toy la course vagabonde D'un vaisseau que deux vents balottent dessus⁎ l'onde, Et tu verras l'estat d'un courage offensé, Qui dans l'un des partis se trouve interessé; Suivant que l'ennemy s'avance ou qu'il recule, Tantost la peur le glace, ore⁎ l'espoir le brusle, Il attaque, il defend, et pour ferme qu'il soit, Il est aussi flotant que le combat qu'il voit. LA COMPAGNE. Un esprit du commun pourroit souffrir à l'heure⁎; Mais le vostre, Madame, a la trempe meilleure, Outre que s'il faut croire aux promesses des Dieux, Vous verrez aujourd'huy Brute victorieux. PORCIE. Les Dieux me sont suspects depuis que leur cholere En faveur d'un Tyran arma contre mon pere; [227] Allons y toutefois, et par nos actions Tesmoignons qu'un grand cœur dompte ses passions. ## ACTE TROISIEME. ### SCENE PREMIERE. CASSIE, TITINE, PINDARE, DEMETRIE. CASSIE. C'en est fait, chere Rome, il faut rendre les armes, Et tascher d'espargner ton sang avec tes larmes; Il faut s'humilier⁎ aux pieds d'un Empereur, A ce nom seulement je frissonne d'horreur: Mais quoy le sort le fait, ce grand Maistre des choses Veut voir ton changement dans ces metamorphoses⁎; Flechy donc, grande Reyne, et ne t'offenses pas D'un conseil que je donne, et que je ne prens pas, Mon dessein y resiste, et je veux mourir libre, Puis qu'il plaist au Destin que je cesse de vivre; Mais apres un eschet⁎ si grand et si fatal N'idolastre jamais les autheurs de ton mal, Tesmoigne leur plûtost qu'il n'est rien de si rude Que le joug insolent qui fait ta servitude; Et peut-estre qu'un jour Brute ressuscité Te rendra le bon-heur avec la liberté: Et vous, mes chers amis premiers dans mon estime, Monstrez en cét endroit que l'honneur vous anime, Et que l'injuste effort d'un insolent vainqueur Ne vous a pas osté la force ny le cœur⁎: Mais sur tout que la foy⁎ que vous m'avez jurée Au delà du bon-heur peut porter sa durée, Je ne desire pas que vous trempiez vos mains Dans le barbare sang de nos Tyrans Romains: Je ne demande pas que vous alliez en Thrace Pour refaire une armée, et choquer⁎ leur audace; Ce seroit vainement heurter contre le sort, Mais je veux seulement qu'on me donne la mort, C'est par cette action que je dois reconnoistre Qui de vous ayme mieux le salut de son Maistre: Comment à ce discours vous changez de couleur, TITINE. C'est trop precipiter un extreme malheur, Que sçait-on si le Ciel à Brute favorable, Vous reserve à tous deux un sort plus honorable ? CASSIE. Mais d'ailleurs que sçait-on si mort comme vaincu Il ne me blasme point de l'avoir survescu [228] ? TITINE. Ces soupçons esclaircis j'offre vous satisfaire [229], Cependant laissez moy le soin de cét affaire [230], Je m'en vay dans son camp, et si je ne meurs pas     Vous apprendrez bien-tost sa vie ou son trespas⁎. CASSIE. Tu hazardes beaucoup. TITINE.         Nul danger n'espouvante Ceux qui sont pour Cassie et pour Rome mourante. PINDARE. J'approuve ce conseil. DEMETRIE.         Et je l'estime aussi. CASSIE. Va donc, mais souvien toy que je t'atens icy. TITINE. La mort seule pourra me fermer le passage. CASSIE. J'estime fort Titine, il est vaillant et sage, Mais cependant gagnons le haut de ce rocher, Pour mieux voir si quelqu'un nous voudroit approcher. ### SCENE II. BRUTE, et deux autres. BRUTE. Les Tyrans sont vaincus, et nostre chere terre Va trouver son repos dans la fin de la guerre; Un injuste dessein ne se peut maintenir, Les Dieux sont bien clemens, mais ils sçavent punir: Jusqu'icy nos Tyrans enflez de vaine gloire, Ont creu de gagner [231] tout avec cette victoire, Et nos pauvres Romains non sans grande raison, Ont creu de rencontrer chez eux une prison: Mais aujourd'huy le Ciel pour terminer nos plaintes, Rabat leur esperance, et dissipe nos craintes. Octave dans son lict a trouvé le tombeau, Indigne qu'il estoit d'un traitement plus beau; Et la pluspart des siens estendus sur la poudre⁎, Ont creu que Jupiter nous aydoit de sa foudre. Cassie a… I. CHEF.         L'un des siens s'en vient parler à vous. ### SCENE III. BRUTE, TITINE. BRUTE. Les Tyrans sont vaincus. TITINE.         Ils sont vainqueurs pour nous. BRUTE. O Dieux justes et bons ! est-ce donc la coustume De ne gouster jamais de bien sans amertume ? Mais Cassie… TITINE.         Il attend apres votre secours, BRUTE. D'où provient ce malheur, fay nous en le discours. TITINE. Soudain que⁎ le signal fit partir nos armées, On les vit pesle et mesle⁎ au combat animées; Car l'honneur excité par le feu du courroux, Les faisoit à l'envy precipiter aux coups: Nostre Chef le premier au milieu de la presse⁎ Estale sa valeur, signale son adresse: L'ennemy voit par tout des effets de son bras, Et la mort suit toujours la trace de ses pas; Chacun à son exemple alume son courage, Avec tant de ferveur, qu'il va jusqu'à la rage. L'ennemy s'en estonne⁎, et son esprit en deüeil⁎ [232] Tremble que ses desseins ne trouvent un escueil: La mort volle par tout, le sang avec les larmes En mille endroits divers se mesle en ces alarmes. Tout fremit, tout se plaint, les morts et les blessez, Gisent⁎ confusement l'un sur l'autre entassez. Dans ce sanglant carnage icy l'un s'evertuë D'arracher de son corps la fleche qui le tuë, Et là l'autre retient par de foibles efforts Son sang que mille coups font sortir de son corps. Nous nous vantions déja d'une heureuse victoire, Quand l'ennemy fasché de voir perdre sa gloire, Et de se voir presser avec tant de fureur, Ralume dans le sang sa premiere vigueur: Ce fut lors que la mort en mille endroits pressée Se craignit elle mesme, et fut souvent blessée. Ce fut lors que l'Enfer fit voir en abregé Ce qu'il a de plus noir et de plus enragé. Ce fut lors qu'on craignit que le Ciel en colere Voulut noyer de sang l'un et l'autre Hemisphere, Et que Bellonne mesme herissant ses cheveux Arresta sa fureur pour recourir aux vœux: L'asseurance et la peur à travers la fumée Repasserent cent fois de l'une à l'autre armée, Et la victoire errant en ce danger mortel Douta qui resteroit pour luy faire un Autel. Fort long-temps ce combat dura de cette sorte, Sans que l'un soit vainqueur, ny que l'autre l'emporte: Mais en fin nos soldats se sentans fort pressez, Et des premiers efforts extremement lassez: Malgré tous les conseils [233] que nostre Chef leur donne Laissent choir en fuyant leur premiere Couronne, L'ennemy les poursuit, et peint avec leur sang, En mille, en mille endroits la honte sur leur flanc, Jusqu'à ce que craignant qu'ils tournassent visage⁎, Et que le desespoir leur rendit le courage, Anthoine commanda que l'on se retirast, Content d'avoir gagné la place du combat: Cassie craint depuis qu'une mesme avanture⁎ Vous ait fait dans le sang trouver la sepulture, Ou que pour eschaper aux Tyrans des Romains, Vous ayez contre vous armé vos propres mains: C'est pourquoy son esprit touché de mesme envie, A destiné ce jour pour la fin de sa vie; Et si vous desirez d'avancer⁎ son trespas⁎, Il faut partir bien-tost, et marcher à grands pas. BRUTE. La nonchalance icy seroit bien criminelle. TITINE. Je m'en vay luy porter cette heureuse nouvelle. BRUTE. Nous te suivrons de prés, je voy dans ce malheur Que jamais le plaisir ne va sans la douleur, Je ne crain pas pourtant que l'ennemy se vante, Ny que pas un de vous en prenne l'espouvante; Puis qu'en comparaison de la perte qu'il fait La nostre mediocre est un gain en effet, Mais il est déja temps que j'aille vers Cassie, Remettant à tantost l'heure de voir Porcie. ### SCENE IV. CASSIE, PINDARE, ET DEMETRIE. CASSIE. Quoy, je voy l'ennemy qui s'en vient à grands pas, Et vous voulez encor differer mon trespas⁎ ? [234] Vous n'aimastes de moy que ma bonne fortune, Car depuis mon malheur, ma voix vous importune; Le soin de m'obeïr ne vous semble plus cher, Et vous estes pour moy plus durs que ce rocher: Ingrats à quel dessein, est-ce pour me remettre Es⁎ mains de l'ennemy, et me donner un Maistre ? PINDARE. Vous soupçonnez à tort nostre fidelité, Mais ce trespas⁎ me semble un peu precipité, Titine... CASSIE.         Ha ! ce seul nom m'est un sujet de rage, PINDARE. Qui reviendra bien-tost calmera cét orage. CASSIE. Je l'ay precipité dans l'excez du danger, Mais bien-tost par ma mort il se verra venger. Sus⁎ donc, ne tardez plus, contentez mon envie, Vous me tuez cent fois en me donnant la vie. Quoy, vous baissez les yeux, mouvemens imparfaits [235], Demetrie, Pindare, où sont donc mes bien-faits ? Je vous ay rendus francs⁎, et vostre ingratitude Me veut laisser croupir dedans⁎ la servitude, Insensibles, cruels, pour estre malheureux, Ne suis-je plus en droit de dire je le veux ? PINDARE. Devoirs, faveurs, bien-faits, liberté redonnée, Venez vous presenter à mon ame obstinée; Chassez ces mouvemens de tendresse et d'amour, Et que l'obeïssance y domine à son tour. Mes vœux sont exaucez, cher Maistre je vous cede, Et puis que vostre bien depend de ce remede; Quoy que ce lache cœur y souffre du combat, Je veux estre meurtrier pour n'estre pas ingrat: Mais si dans vostre esprit la pitié trouve place, Jusques apres cela ce qu'il faut que je face, Et de combien de morts pour une seule mort Cét acte me prepare à ressentir l'effort, Faire mourir celuy de qui je tiens la vie, Qui seul peut affranchir nostre Rome asservie, Que je perde celuy que la faveur de Mars A mille fois sauvé du milieu des hazards: Et bref qu'en un moment je defasse un ouvrage, Que des siecles ont fait pour honorer nostre âge, Mon Maistre, mon Seigneur, seul apuy du païs, Ha ! que je suis brutal si je vous obeïs. CASSIE. Tous ces foibles discours offensent mon courage, Icy l'amour me nuit, et la pitié m'outrage, Si toutefois on peut donner des noms si saints Au profane mespris qui choque mes desseins, Pindare tu me hais en m'aymant de la sorte, Je ne sçaurois survivre à la liberté morte: Ouvre moy l'estomach⁎, mais tu jettes ce fer Qui me devroit ouvrir la porte de l'Enfer, Peut-estre que ta lame aux ennemis fatale Frapant contre un amy, craint d'estre desloyale; Si c'en est le sujet, pousse la hardiment, Tu m'as fait ennemy par ton retardement: Mais pour ne pas troubler ton visage ordinaire, Tien, voicy ce poignard qui t'offre de le faire, Aussi depuis long-temps choisi pour ce dessein, Il en seroit jaloux s'il ne m'ouvroit le sein. DEMETRIE. Puis-je voir achever un acte si barbare ? CASSIE. Ne differe donc plus brave et sage Pindare, Il a rougi du sang du Tyran des Romains, [236] Lors que dans le Senat il mourut par nos mains. PINDARE. Puis que dans ce dessein vostre ame est obstinée, Et que je dois ceder à cette Destinée, Ce coup en vous perçant me va percer le cœur. CASSIE. Adieu, ne suy jamais le party du vainqueur. PINDARE. Que dois-je devenir apres une avanture⁎, Dont l'effroyable objet fait trembler la Nature ? Faut-il que ce poignard apres un tel forfait Laisse encore durer le meurtrier qui l'a fait ? Ouy, qu'il vive l'ingrat, puis qu'une mort soudaine Pour expier son crime auroit trop peu de peine, Qu'il vive, mais vivant que ses cuisans remorts [237] L'exposent tous les jours à de nouvelles morts. DEMETRIE. Je veux ceder au temps, et tarissant mes larmes Porter aux ennemis ces malheureuses armes, Peut-estre cét objet disposera leurs cœurs A n'user pas sur moy du pouvoir des vainqueurs. ### SCENE V. TITINE. Pourroit-on justement m'accuser de paresse⁎ ? [238] Mais d'où vient que je tremble et que le poil me dresse ? N'avons nous pas encor dequoy braver le sort, Puis que Brute est vainqueur, quel est cét homme mort ? Sans doute un malheureux qui blessé dans la plaine S'est traisné jusqu'icy pour y finir sa peine: Voyons-le de plus prés, O trop injustes Dieux ! Quel deplorable objet monstrez-vous à mes yeux ! Cassie est-ce donc vous que la mortelle Parque⁎ Vient de precipiter dans l'infernalle Barque [239] ? O rage ! ô desespoir [240] tesmoins de ce forfait ! De grace apprenez moy qui le peut avoir fait: Mais quoy je les connoy ces ames mercenaires, Ces lasches afranchis, ces cruelles viperes, Pour gagner le Tyran qu'ils croyoient absolu, Ont achevé ce coup sans qu'il l'eust resolu. [241] Ha traistres ! si Cæsar n'est pas déraisonnable⁎, Il punira sur vous ce meurtre abominable: Le bien qu'il doit tirer de vostre trahison Ne l'empeschera pas d'en avoir sa raison⁎: [242] Pour moy dont le depart facilita ce crime, Je veux à ma fureur me choisir pour victime, Afin que mon esprit justement affligé Ne me reproche pas de ne m'estre vengé, Et qu'on puisse trouver au Temple de memoire [243] Que je fus innocent d'une action si noire. [244] Sus⁎ donc mourons, mon cœur, certain que le trespas⁎ Peut faire seulement que nous ne mourons pas. Ha, Brute ! ### SCENE VI. BRUTE, UN CHEF. BRUTE.         Quelle voix vient de se faire entendre ? TITINE. Celle d'un innocent que la parque⁎ va prendre. UN DE LA SUITE DE BRUTE. O malheur sans pareil ! Cassie est aussi mort. BRUTE *à part soy.*. Il faut dissimuler. UN DE LA SUITE.         O dure loy du sort ! BRUTE. Les hommes courent tous une mesme avanture⁎, Par cét ordre fatal prescrit par la Nature; La mort void d'un mesme œil les Bergers et les Rois, Et tout également succombe sous ses lois. Ne murmurez⁎ donc plus, mais reprenans courage, Esperez le repos de la fin de l'orage: Par de divers moyens le Ciel peut secourir, Cassie estoit un homme, il devoit donc mourir, En tuant un Tyran on a peu sauver Rome, Mais on ne la pert pas dans la perte d'un homme; Car bien que la grandeur des puissans attentats⁎ Semble estre le pilier qui soustient leurs Estats; Si le Ciel n'est l'Atlas de ces lourdes machines, Bien-tost tout leur esclat se change en des ruines. [245] Quand de tous nos Soldats le dessein perverty Voudroit favoriser le contraire party. Et quand le monde entier s'armeroit pour Octave, Si le Ciel est pour nous, il sera nostre esclave, Il verra que l'orgueil ne le monte si haut⁎ Que pour luy procurer un plus funeste saut⁎; Celuy qui des Geans ne fit qu'un peu de poudre⁎, Garde le mesme bras qui leur lança la foudre, Et n'a point relaché de son adversion, Pour ces Monstres boufis de trop d'ambition, Il se sert quelquefois de nous et de nos armes Pour respandre du sang, et pour tarir des larmes: Mais s'il voit que nos bras ne sont pas assez forts, Soudain il a recours à de meilleurs efforts; Il inspire la peur dans la troupe ennemie, Qui bien-tost en fuyant se noircit d'infamie, Et sans sçavoir pourquoy craint si fort le trespas⁎, Que les plus fiers⁎ torrens [246] ne l'aresteroient pas. Amis, esperons tout de la faveur Celeste, Nous n'avons rien perdu puis que cela nous reste, Cassie est à present le butin du trespas⁎, Mais les Dieux sont vivans et nous avons des bras; Cependant quand la nuict mettra sa robbe obscure, Portez sans bruit ce corps dedans⁎ la sepulture, Et j'espere demain par ma langue et mes mains De redonner le cœur⁎ et Rome à nos Romains. ## ACTE QUATRIEME. ### SCENE PREMIERE. OCTAVE, MARC ANTHOINE. OCTAVE. Tous ceux qui comme nous combatent pour la gloire, Se peuvent asseurer d'emporter la victoire, Les Dieux ne choquent point un dessein genereux⁎, A plus forte raison quand il n'est que pour eux, La mort du grand Cæsar appele leurs justices, A punir son autheur avec tous ses complices, Et je croy qu'à l'instant que ce coup fut donné Contre les criminels leur cholere eust trouvé, S'ils eussent peu choisir la flamme d'un Tonnerre⁎ [247], Qui n'eust pas avec eux bruslé toute la terre: Mais ne pouvans agir avec un moins puissant, Ny perdre ces meurtriers sans perdre l'innocent; Ils veulent que nos mains en fassent la vengeance, Et purgent ce païs de cette noire engeance, Déja leur volonté s'explique heureusement, Et vostre valeur fait ce doux evenement. ANTHOINE. Vos vœux mieux que mon bras me l'ont rendu possible. OCTAVE. Ha cette flatterie est un peu trop visible ! Chacun sçait comme quoy [248] vous avez combatu; Mais un cœur genereux⁎ doit cacher sa vertu⁎. ANTHOINE. C'est pourquoy tous les jours vous nous cachez la vostre. OCTAVE. Je vous respondroy bien si vous estiez un autre, Mais dans les complimens comme dans les combats, Il faut à vostre abord⁎ mettre les armes bas. [249] ANTHOINE. Ce Soldat de retour porte sur le visage Les signes evidens d'un funeste presage. ### SCENE II. LE SOLDAT, ANTHOINE, OCTAVE. LE SOLDAT. Le sensible regret où le sort me reduit D'estre contraint à dire un mal qu'il a produit, Estoufe ma parole, et m'auroit osté l'ame, Si je n'eusse envers vous aprehendé du blasme. OCTAVE. Quoy Brute seroit-il de mes troupes vainqueur ? LE SOLDAT. C'est là le trait mortel qui me perce le cœur. ANTHOINE. Tandis qu'Octave et moy porterons une espée, On la verra toujours contre Brute occupée; Ce traistre ne sçauroit éviter nostre fer, Et nous l'irions chercher jusque dedans⁎ l'Enfer: Poursuy. LE SOLDAT.         Le souvenir d'un si sanglant carnage, Met mon ame en desordre et glace mon courage, Jamais le Ciel n'a veu tant de corps renversez, Et la mort assouvie a crié, c'est assez. Soudain que⁎ l'ennemy commença de paroistre, Nos Soldats animez par la haine du traistre, Tesmoignent à l'envy ce que peut le courroux, Quand la haine et l'honneur en excitent les coups; L'ennemy d'autre part courant à la meslée Oppose à leurs efforts sa valeur signalée; Les dards greslent par tout, et les plus avancez En croyant de blesser, sont eux-mesmes blessez; L'air n'est plus esclairé que d'une lueur sombre, La poussiere et les traits les font combatre à l'ombre, On ne sçauroit juger quels seront les vainqueurs, Tous paroissent égaux et de bras et de cœurs⁎. En fin lassé de voir la victoire en balance⁎, L'ennemy fond sur nous avec tant d'insolence, Qu'on eust dit à le voir les armes à la main, Qu'il menoit avec luy tout l'Empire Romain. Tout meurt à mesme instant, on ne voit point d'espée Qui du sang des Romains ne paroisse trempée, Nos Soldats à genoux implorans les vainqueurs: Mais helas c'est en vain ! la rage est dans leurs cœurs; Tel pour s'innocenter voudroit ouvrir la bouche, Qui sent ouvrir son cœur par le fer qui le touche; Et tel autre en fuyant tâche à prendre party [250], Qui void d'un coup mortel son dessein diverty: L'horreur seme par tout une froide fumée Qui glace le courage à nostre pauvre armée, Des longs gemissemens fendent l'air alentour, Le Soleil de regret voudroit haster son tour: Le sang coule par tout, on ne voit point de terre Qui ne porte en son front les marques de la guerre: Icy deux vrais amis sur le poinct de leur mort, Pleurent en s'embrassant la rigueur de leur sort. Icy le pere void son fils dessus⁎ la poudre⁎, Et dépite⁎ le Ciel pour attirer sa foudre. Icy par des regrets qui fendroient un rocher [251], Un fils pleure la mort de ce qu'il eust plus cher. Icy dedans⁎ le sang mille blessez se noyent, Implorans la faveur de tous ceux qui les voyent. Et bref il est par tout tant d'objets de terreur, Que je croy que l'Enfer en frissonna d'horreur; Brute bien-tost apres fit cesser le carnage, Et receust à mercy [252] les restes du naufrage. Que puis-je dire encor, sinon que le Soleil Ne vit jamais çà bas [253] un desordre pareil ? Et que si les grands Dieux sont pour nostre justice, Ils ont fort peu de force, ou beaucoup de malice. [254] OCTAVE. Ha ! pourquoy dans la fin de ces tristes discours, Ne puis-je rencontrer celle-là de mes jours ? Destins injurieux⁎, fortune, parque⁎, envie, [255] Rendez moy mes Soldats, ou ravissez ma vie; Ennemis de mon bien au lieu de me guerir, Vous deviez travailler à me faire mourir, Aussi bien le regret où ce malheur m'abysme, Persuade à mon cœur que ma vie est un crime. Helas ! vit-on jamais Prince plus mal traitté ! Je rencontre la mort lors que j'ay la santé: Donc je ne verray plus tant de braves gensdarmes⁎, Que mon seul interest portoit dans les alarmes. [256] Donc sans ses compagnons Octave durera, Et les membres perdus le Chef subsistera ? Ha ! non mes chers amis, n'ayez point cette doute [257], Vostre trespas⁎ m'apprend une mortelle route [258]: Et si durant vos jours vous suivites mon sort, Au moins je vous rendray la pareille en ma mort: Mais ne connoy⁎-je pas que la douleur m'emporte ? Jamais un general ne parla de la sorte: Et lors que le destin luy donne des malheurs, Il songe à la vengeance, et non pas à des pleurs; Prenons donc desormais ce party legitime, Que Brute et tous les siens nous servent de victime; Ramassons promptement le debris de nos gens, Et sauvons aux Destins le tiltre de changeans. Ombres de mes amis, Manes de ma Noblesse, Ce bras vous vengera du mutin qui vous blesse: Et dessus⁎ les Cyprés [259] qui couvrent vos guerriers, Cette lame fera refleurir des lauriers [260], L'astre de la clarté vient d'une grote noire, [261] Et le malheur souvent donne l'estre à la gloire, [262] Les Dieux aymoient Cæsar, et ne pourroient souffrir De voir vivre long-temps ceux qui l'ont fait mourir. ANTHOINE. S'ils eussent eu dessein de choquer nostre envie, Octave dans son camp auroit perdu la vie, Et mes Soldats et moy par un mesme destin Aurions dans le combat rencontré [263] nostre fin: Mais ils sauvent ce Prince, et me donnent la gloire D'emporter sur Cassie une belle victoire; Si bien qu'à balancer⁎ ce rencontre⁎ fatal, J'estime que le bien l'emporte sur le mal; [264] J'ay de mes bataillons ensanglanté la terre, Et porté dans son camp le foudre de la guerre, Luy seul s'est garanty d'un funeste trespas⁎. ### SCENE III. DEMETRIE, OCTAVE ET ANTHOINE. DEMETRIE. Et ces armes pourtant ne le tesmoignent pas. OCTAVE. O Dieux ! seroit-il vray qu'il ne fut plus en vie ? ANTHOINE. Par un discours plus clair contentez nostre envie. DEMETRIE. Qui considerera mon Estat et mon sort, Il pourra bien juger que ce grand homme est mort; Tandis qu'il a vescu j'eusse creu faire un crime De donner qu'à luy seul mon cœur et mon estime, Au lieu qu'en cét estat je vien vous reverer, Comme des Rois vainqueurs que tout doit adorer. Un bon cœur que les Dieux ont rangé sous un Maistre, S'il ne le suit partout, s'acquiert le nom de traistre: Mais alors que la mort en a fait son butin, S'il a du jugement il change de destin. Pendant que les Romains sous un guerrier si brave Se defendoient des noms de captif et d'esclave, Je croyois que bien-tost cedans à nostre loy, Vous démordriez de ceux d'Empereur et de Roy; Je pensois que jamais la puissance de Rome Ne se devoit ranger aux volontez d'un homme, Et qu'on verroit bien-tost ses plus grands ennemis Faire hommage à la main qui les auroit sousmis: [265] Mais depuis qu'il est mort, je croy que tout se bande⁎ A rendre tous les jours vostre gloire plus grande, Et que dans peu de temps les peuples esbahis Viendront dessous⁎ vos loix asservir leur païs; Moy pour ne pas troubler dans ces metamorphoses⁎, Cét ordre merveilleux que prennent toutes choses, Sçachant qu'on ne le peut sans estre criminel, Je viens pour vous offrir un service eternel, Trop heureux si je puis en faveur de ces armes Obtenir une place au rang de vos Gendarmes⁎. OCTAVE. Icy les gens d'honneur peuvent trouver un port Qui les met à couvert des orages du sort. ANTHOINE. Cavaliers, vos desirs ont un effet propice, Vous aurez cette place, et rendez nous service. DEMETRIE. O Dieux ! qui connoissez mon amour mieux que moy, Venez parler de grace en faveur de ma foy⁎, Ou si vostre grandeur repugne à cét hommage, Inspirez à ma bouche un celeste langage, Pour dire à ces Seigneurs combien je suis heureux, Si le Destin permet que je meure pour eux. OCTAVE. Puis que Cassie est mort, je croy qu'en asseurance Nous pouvons assembler toute nostre puissance, Pour suivre l'ennemy tandis qu'il est troublé. ANTHOINE. Allons le proposer au Conseil assemblé. ### SCENE IV. PORCIE. Protecteurs de la liberté, Grands Maistres de la destinée, Dont la puissance n'est bornée Que par la seule volonté. O Dieux ! apres cette victoire Je veux celebrer vostre gloire, Et dessus⁎ vos autels où fumera l'encens, Faire que le sang des Victimes Lave desormais tous les crimes Que j'ay nagueres [266] faits de vous croire impuissans. Par le mesme effet de bonté Qui fait prosperer nostre guerre, Jusques icy vostre Tonnerre⁎ A souffert mon impieté: J'adore vos faveurs extremes, Et me repens de ces blasphemes, Dont ma bouche a voulu noircir vos Majestez, Mon ame est aujourd'huy plus saine, Je n'ay plus contre vous de haine, Elle s'en est allée avec vos cruautez. Brute, l'honneur de nos guerriers Parmy le sang et le carnage, Vient de signaler son courage, Et de se couvrir de lauriers: Dans cette publique alegresse On idolatre sa prouësse [267]: Et tous nos Citoyens encensent à son bras, Grands arbitres de nostre vie Souffrez ces honneurs sans envie, Celuy qui les reçoit ne vous les ravit pas. Ce Heros⁎ avec des respects Admire vostre providence, Et connoist⁎ en cette occurance Que [268] peuvent vos divins aspects. O Majestez que je revere ! Que vos decrets ont de mystere, Et qu'on prevoit bien mal ce qu'ils ont arresté, Pour de sagesses si profondes La raison n'eust jamais de sondes, Et le plus clair esprit n'est rien qu'obscurité, Naguere Octave dans le port S'imaginant nostre naufrage Menaçoit Rome de servage, Et tous nos Citoyens de mort: Cette grosse et superbe⁎ armée Faisoit dire à la Renommée Que tout devoit flechir sous ses puissantes loix, Et que nos bandes⁎ dissipées Ne seroient bien-tost occupées Qu'à faire des bouquets pour couronner des Rois. Cependant ils sont abatus, Leur orgueil n'est plus que fumée, Et le débris de leur armée Esleve un trosne à nos vertus⁎; Le camp d'Octave est nostre proye, Ses feux, sont ceux de nostre joye, Sa honte est nostre honneur, sa nuict nostre flambeau; Son sang espandu nous anime, Et par un destin legitime Nous trouvons nostre vie au fonds [269] de son tombeau. ### SCENE V. BRUTE, ET PORCIE. BRUTE. En fin je voy qu'un jour vous banissez la plainte. PORCIE. Je ne me plains jamais sans des sujets de crainte, Et je croy qu'aujourd'huy j'ay rencontré le point, Où sans stupidité [270] je puis ne craindre point. Vous voir victorieux, quoy seroit-il possible Qu'encor à la douleur mon ame fut sensible ? Non Brute, il est certain qu'en l'estat où je suis, Mon cœur seroit ingrat s'il avoit des ennuis⁎; Dans le ressentiment⁎ de mon bon-heur extreme Je commence de voir que je deviens moy-mesme, Vostre gloire me charme⁎, et mes sens enchantez N'ont plus de mouvemens que pour les voluptez, Voudriez vous bien choquer ce dessein legitime ? BRUTE. Le penser seulement me tiendroit lieu de crime: Toutefois il est vray qu'on n'est jamais au port Lors qu'on peut ressentir les caprices du sort. Si bien qu'en cét estat j'estime une ame sage A qui nul accident ne change le visage, Et qui goustant des maux ou des felicitez, Ne se porte jamais dans les extremitez, Ce beau temperament⁎ nous sauve des orages, Et nous fait une planche au milieu des naufrages, Au lieu qu'on voit toujours un violant transport⁎ Agiter nostre esprit et l'esloigner du port. PORCIE. Apres un tel bon-heur qu'est-il que j'aprehende ? Ayant Brute vainqueur, j'ay ce que je demande. BRUTE. Si bien qu'aucun malheur ne vous sçauroit toucher. PORCIE. Mon cœur contre leurs coups est armé d'un rocher. [271] BRUTE. Puis qu'il est si constant, j'aurois mauvaise grace     Si je luy cachois rien de tout ce qui se passe, Sçachez donc, mon cher cœur, que Rome n'a qu'un bras, Que le fleau des Tyrans, l'amour de nos Soldats, Le bouclier du païs, le foudre de la guerre, Que Cassie en un mot ne vit plus sur la terre: Et ce qui vient encor augmenter mon ennuy⁎, Que presque tous les siens ont mesme sort que luy, Et qu'il faut que demain la bataille se donne, Qui me doit apporter la mort ou la Couronne; Mon regret toutefois en ce dernier effort, Ne vient que de vous voir à la mercy du sort, Et le Ciel m'est tesmoin qu'en ce danger extreme, Pour songer trop à vous je m'oublie moy-mesme. Ce n'est pas que mon cœur n'espere tout des Dieux, Mais il fend de regret de vous voir en ces lieux, En un temps où la mort doit verser sur la terre Un deluge de sang pour esteindre la guerre. PORCIE. Vostre seule presence allege mon soucy⁎, Et vous desireriez de me voir loing d'icy: Brute quittez, de grace, un discours qui m'offense, Jugez mieux de mon cœur, traittez mieux ma constance, Et sçachez que l'amour qui m'embrase le sein, Ne concevra jamais un si lâche dessein. Quoy, vous abandonner au milieu des alarmes, Et me retirer seule à la mercy des larmes ? Cela choque si fort mon esprit resolu, Qu'il mourroit [272] mille fois si vous l'aviez voulu: Mais j'ose me flatter que vostre cœur propice Ne me rendit jamais un si mauvais office; Et quand il le feroit, il n'avanceroit rien, Puis qu'il sera toujours accompagné du mien. BRUTE. Quand je voy tant d'amour et de courage ensemble, J'adore le lien dont le Ciel nous assemble, Et croy que tous les biens que j'ay receu des Dieux Au prix de celuy-là, n'ont rien de precieux, Que dans le beau dessein de n'estre point esclave, J'aye tué Cæsar, j'aye defait⁎ Octave: Que mon front mille fois ait changé de Lauriers, Qu'on m'estime par tout le Phœnix des guerriers, Ces honneurs, quoy que grands, plaisent moins à mon ame Que la gloire que j'ay de vous avoir pour femme. PORCIE. Pour le moins avec moy vous possedez un cœur, Qui ne sçauroit souffrir que Brute pour vainqueur. BRUTE. Et le mien fera voir où que le Ciel m'adresse⁎, Qu'autant qu'il aye [273] un Maistre, il ayme une Maistresse⁎: Mais il est déja tard, retirons nous d'icy. PORCIE. Dieux ! finissez bien-tost ma vie ou mon soucy⁎. ## ACTE CINQUIEME. ### SCENE PREMIERE. BRUTE, STRATON, quelques Chefs de l'armée. BRUTE. Je rends graces aux Dieux de ce que dans l'orage Chacun de vous conserve un genereux⁎ courage; C'est beaucoup de dompter avec les ennemis, Les extremes dangers où l'honneur nous a mis; C'est beaucoup, il est vray, puis que cette victoire Nous fait des monumens au Temple de memoire: [274] Mais il faut persister, et ne s'arrester pas Que nous n'ayons trouvé la paix ou le trespas⁎. Je veux dire une paix qui purge nostre terre Par la mort des Tyrans des semences⁎ de guerre: Paix qui rende l'esclat à ce siecle pervers, Et qui puisse durer autant que l'Univers. Allons donc, mes amis, au plus fort de la presse⁎ Chercher parmy le sang cette belle Deesse, Elle suit les lauriers, vit prés les gens de cœur⁎, Et ne quite jamais le party du vainqueur; Ainsi voit-on souvent dedans⁎ l'ordre des choses, Naistre plusieurs effets contraires à leurs causes: [275] Nos ennemis rangez pour ce dernier effort, Portent peinte [276] en leur front l'image de la mort, Je les voy tous tremblans à l'abord⁎ de nos armes, Ceder aux mouvemens des premieres alarmes: Ils fuyent, et fuyans, nous laissent le bon-heur, La paix, la liberté, le repos et l'honneur. Avançons ce moment pour haster nostre gloire, Et volons, s'il se peut, apres une victoire, Dont la possession nous acquiert desormais La beauté d'un renom qui ne mourra jamais: Ouy, nous vivrons, amis, malgré les destinées, Autant que le Soleil reglera les années; Si nous luy faisons voir cette derniere fois Que nous avons pour but le soustien de nos lois, Et que nous n'avons pas cette vieille manie De triompher des Rois, mais de la tyrannie. [277] Ce monstre est en horreur aux yeux des immortels, Puis qu'il porte ses loix au delà des autels, Et que son droit sanglant mit dans la sepulture Avec le droit des gens celuy de la Nature: Mais je croy que bien-tost lâchement abatu Il viendra rendre l'ame aux pieds de la Vertu⁎; Nos Citoyens alors par des voix esclatantes Chanteront le retour des libertez absentes; Rome franche⁎ des Rois et de leurs cruautez, Estalera sa gloire avecque ses beautez; Les guerres des Tyrans y seront estoufées, Et ne paroistront plus que parmy nos trofées, Nostre Aigle dont le vol sembloit estre intermis⁎, Reverra tous les lieux qui luy furent sousmis. Le Senat reprendra cét esclat honorable, Qui par tout l'Univers l'a rendu venerable, Et les Tribuns [278] remis auront la faculté De maintenir le peuple en son authorité; Pour nous qui soustenus d'une ferme esperance Aurons presté nos bras à cette delivrance, On ne nous descendra de nos chars glorieux, Que pour nous eslever sur les trosnes des Dieux. Soleil, fay que bien-tost ce beau jour nous esclaire; Mais je te parle en vain, tu ne le sçaurois faire, Si nous ne dissipons par des coups furieux Ce nuage [279] ennemy qui te cache à nos yeux. Allons y donc, amis, et que toute la terre Tremble sous nos efforts comme sous le Tonnerre⁎, Que le sang espanché fasse soudre [280] un estang Pour noyer les poltrons qui fuiront de leur rang, Afin qu'à l'advenir il ne naisse point d'homme Qui s'ose rebeller contre l'honneur de Rome, Et que ses Citoyens soient exempts desormais D'acheter par leur sang la victoire et la pais. STRATON. Brute, la liberté, l'honneur et la victoire Demeureront toujours dedans⁎ nostre memoire: Vive donc toujours Brute, et meurent les Tyrans. BRUTE. A moy donc compagnons, [281] et qu'on garde les rangs. ### SCENE II. PORCIE, sa Compagne. PORCIE. Qu'ay-je fait qui merite un traitement si rude ? Quel tourment est égal à mon inquietude ? Morphée [282] tous les soirs m'ouvre mille tombeaux; La terre fend sous moy, je n'entends que corbeaux [283]: Et ce qui vient encore augmenter mes supplices, Je lis mon mauvais sort dans tous mes sacrifices. Que puis-je devenir, où dois-je avoir recours ? Puis que mesme la mort est sourde à mes discours ? Mets fin à mes malheurs, Deesse qui sommeilles, Mais je l'appele en vain, elle n'a point d'oreilles. [284] Et quand elle en auroit, son inhumanité Ne prend jamais la loy de nostre volonté; Et moy je veux mourir, c'est mon dernier remede: Mais pour trouver la mort, ay-je besoin d'un aide ? Ce bras ne peut-il pas enfoncer dans mon sein, Ce qui doit achever un genereux⁎ dessein ? Sans doute, et si les Dieux ne cessent de nous nuire, Je leur espargneray le soin de me destruire, Afin que par ce coup l'Univers puisse voir, Qu'une ame genereuse⁎ est hors de son pouvoir, Et qu'elle peut trouver nonobstant leur envie, L'honneur, la liberté, le repos et la vie. LA COMPAGNE. Pourquoy murmurez⁎-vous contre les immortels, Au lieu que vous deussiez embrasser leurs autels, Et par le zele ardent d'une sainte priere, Demander à genoux la victoire derniere: Madame, apaisez-vous, rappelez la raison, [285] PORCIE. Toy bannis ces discours qui sont hors de saison⁎, Et s'il te reste encore quelque peu d'esperance, De voir nos gens vainqueurs, démentir l'aparence, Va jouyr du plaisir de les voir revenir, Et me laisse en ce lieu seule m'entretenir, Tu peux beaucoup pour moy dans cette obeïssance. LA COMPAGNE. C'est pourquoy je voudrois qu'il fut en ma puissance; Mais on m'a commandé de ne vous quiter pas. PORCIE. C'est me perdre pourtant que de suivre mes pas. LA COMPAGNE. Je mourray mille fois avant que je vous laisse. PORCIE. En quel extreme poinct la Fortune m'abaisse, Si mes meilleurs amis loing de me soulager, Ne se monstrent ardens qu'à me desobliger ? Et bien, puis qu'on le veut, ne quite point mes traces, Adjouste ta presence à mes autres disgraces, Il ne m'en fasche pas, il faut ceder au sort. LA COMPAGNE. Bons Dieux assistez moy pour empescher sa mort. ### SCENE III. OCTAVE, MARC ANTHOINE, Leur suite. OCTAVE. Qu'on pardonne aux Romains, qu'on cesse le carnage, Il suffit que sur eux nous avons l'avantage, Tout est déja reduit au poinct de nos desirs, Et bien-tost les travaux⁎ feront place aux plaisirs; Rome nous reverra comblez d'heur⁎ et de gloire, Non tant pour les lauriers deus à cette victoire, Mais pour avoir vengé l'insolent attentat⁎, Qu'en meurtrissant⁎ Cæsar, on fit sur son Estat. [286] MARC ANTHOINE. Le temps est oportun, l'occasion est belle, Pour chastier l'orgueil de ce peuple rebelle, Allons jusques au bout, poursuivons nostre effort, Et taschons d'avoir Brute ou prisonnier ou mort. ### SCENE IV. BRUTE, STRATON, deux amis de Brute. BRUTE. Puis que nos bons desseins sont veus d'un mauvais Astre, [287] Il se faut preparer à souffrir ce desastre; L'impossibilité ne nous oblige point, L'honneur peut reculer quand il trouve ce point: Et celuy justement perd le titre de sage, Qui veut choquer du temps l'infaillible passage, [288] Qui considerera l'ordre de l'Univers, Il verra chaque jour son visage divers, Et connoistra⁎ par là que quelque providence Par le seul changement previent⁎ sa decadence, Et qu'ainsi nostre Rome ayant peu se porter A cét extreme point qu'on ne peut surmonter; Il faloit que suivant cette regle divine, Elle redescendit devers⁎ son origine; Tu m'en as fais douter, impuissante vertu⁎, Et c'est sous ta faveur que Brute a combatu, Esperant le secours de ta force oportune, Mais je t'ay veu tomber aux pieds de la fortune, Je voy bien maintenant que j'eus beaucoup de tort, Lors que je te donnoy du pouvoir sur le sort, Puis qu'aux premiers assauts que sa force te donne Tu luy laisses gagner le champ [289] et la couronne: Mais je perds vainement en discours superflus, Des momens qui passez ne se reverront plus: Profitons-en plûtost, et pendant que l'armée Couvre tout nostre camp de flame et de fumée, Que nos Soldats vaincus pratiquent mon conseil, En suivant du vainqueur le pompeux apareil⁎, Afin de prevenir⁎ un malheur si funeste, Disposons nos amis à faire ce qui reste. Genereux⁎ compagnons de mes justes projets, [290] Le Ciel s'est declaré contre l'honneur de Rome, Il veut que le Tyran ait des Rois pour sujets, Et que des demy-Dieux fléchissent sous un homme. Mais avant de tomber en cette extremité, Et me voir abatu sous une loy si dure, Je veux m'ensevelir avec ma liberté, Et pour plaire à l'honneur, déplaire à la Nature. [291] Donc si quelqu'un de vous a l'esprit assez fort Pour m'estimer encor en ce moment extreme, Qu'il prenne ce poignard, et m'en donne la mort, Je dois sçavoir par là s'il est vray que l'on m'ayme. L’UN DES AMIS. Avant de consentir à ce coup furieux, Je vay chercher la mort au milieu de l'armée, Et si je ne voy point son bras officieux⁎, Je me contenteray que ma main est armée. BRUTE. Au moins puis que tu crains de me ravir le jour, Va t'en le conserver à ma chere Porcie. L’AUTRE AMY. Je le veux seconder en cét acte d'amour, Peut estre que mes soins luy sauveront la vie. BRUTE. Et toy, mon cher Straton, es-tu de ces amis, Qui pensent en fuyant de me faire service [292] ? STRATON. Pour servir aux desirs où vous estes sousmis, Il faudroit peu d'amour, et beaucoup de malice. Ha ! laissez ce dessein indigne d'un bon cœur, Qui terniroit l'esclat de vostre gloire extreme; Un vaincu doit avoir le maintien d'un vainqueur, Et ne perdre jamais l'Empire⁎ de soy-mesme. Quoy, le monde ravy de vos premiers progrez, Vous verra succomber à la fin de l'orage, Et jugera d'abord, entendant mes regrets, Qu'un bon-heur seulement faisoit vostre courage, Esvitez ce peril, et s'il faut que l'Enfer Vous donne le repos que le Ciel vous desnie, Courez tout au travers et du feu et du fer, Mourez, mais combatant contre la tyrannie. BRUTE. Je sçay bien, cher amy, que par ces beaux discours Tu me veux destourner d'un dessein legitime; Mais en l'estat funeste où sont reduits mes jours, Je veux que ton bras m'offre à l'honneur pour victime. Crois-tu que pour me voir au poinct de mon trespas⁎ Un jugement bien sain n'esclaire pas mon ame, Et que j'aille incertain chercher en d'autres bras Ce que je puis trouver au bout de cette lame ? On perd souvent un bien qu'on veut trop differer, Je veux mourir pour vivre, et finir pour durer. STRATON. Quoy, ce brave guerrier, à qui tout est possible, Qui fit jadis trembler tant de peuples sousmis, Perd contre ses desirs le tiltre d'invincible, Qu'il a toujours gardé contre ses ennemis. Ha ! non, puissant Heros⁎, n'encourez point ce blâme, La mort nous fait juger comment l'homme a vescu, Et si le desespoir peut surmonter son ame, On croit mal-aisement qu'il ait jamais vaincu. BRUTE. Si de nos ennemis les troupes avancées Ne me defendoient pas un plus long entretien, Je pourroy renverser tes meilleures pensées, Et creuser leur tombeau pour en bastir le mien. Je diroy qu'un grand cœur que la Fortune oppresse, Jusqu'à luy demander sa vie ou son honneur, S'il balance⁎ le chois, tesmoigne sa foiblesse, Et ne reconnoist pas où gist⁎ le vray bon-heur. [293] L'honneur dure toujours au Temple de memoire, [294] La vie a pour son cours un terme limité, Sans doute celuy-là mesnage mal sa gloire, Qui pour gagner un jour, pert une eternité. D'esperer [295] d'un bien que la puissance humaine Nous peut faire acquerir, est une lâcheté, Mais ne pouvant r'avoir la liberté Romaine, Je cede seulement à la necessité.   Si je cherche la mort tandis que je suis libre, N'est-ce pas pour monstrer aux races⁎ à venir, Que j'ay voulu mourir comme j'avois sceu vivre, Quand j'ay perdu l'espoir de m'y plus maintenir ? Ne conteste donc plus, seconde mon envie, Tien ferme ce poignard, j'en beniray les coups, S'ils peuvent faire voir en me privant de vie, Que je mourus pour moy, ne pouvant rien pour vous. STRATON. Dure loy du devoir que ta rigueur est grande ! Obeïssons pourtant, Brute l'a projeté [296]. BRUTE. L'on m'a presté ce corps, il faut que je le rende; Mais j'emporte l'honneur avec la liberté, Approche, cher amy, qu'à ce coup je t'embrasse; [297] Adieu, je nâquis libre, et libre je trespasse⁎. STRATON. Donc ce grand demy-Dieu rend l'ame devant moy ? Donc je fais trebucher⁎ l'esperance de Rome ? Et mon bras desloyal pour avoir trop de foy⁎, Me ravit aujourd'huy ce qui me faisoit homme ? Brute ne vit donc plus, et l'honneur des guerriers Vient d'estre le butin de ma lame cruelle ? La foudre au champ de Mars espargnoit ses lauriers, [298] Et je suis aujourd'huy moins pitoyable qu'elle ? Ha ! malheureux poignard, dont les lâches efforts Nous ravissent un bien que la Parque⁎ revere, Pourquoy ne puis-je avoir cent ames et cent corps, Afin de te saouler⁎, et de me satisfaire. Rome, Tribuns, Senat, Citoyens, liberté, Suivez mon desespoir, et ma plainte funeste, Avec ce grand Heros⁎ vous perdez la clarté, Et la nuict des prisons est tout ce qui vous reste. Ne tarissez jamais la source de vos pleurs, Que leur eau n'ait plûtost fait une mer du Tybre [299], Et noyé, s'il se peut, ces hydres [300] de malheurs, Qui font que vostre Estat va cesser d'estre libre. Les Tyrans sont vainqueurs, tout l'Estat est perdus [301], La liberté se meurt, Rome s'en va la suivre, Et pour comble de mal, le grand Brute n'est plus. Un Heros⁎ peut mourir, et Straton pourroit vivre ? Non, non, tristes objets qui faites mon soucy, Ce coup me va venger du Destin qui m'outrage:     Ha ! je tombe, je meurs, mon œil est obscurcy, Mais je souffre trop peu; mort redouble ta rage. ### SCENE V. PORCIE, les deux amis de Brute. I. DES AMIS. C'est l'endroit mal-heureux où nous l'avons laissé. II. [NOUS AJOUTONS LE POINT, ABSENT SUR L’ÉDITION DE 1637, PRÉSENT SUR CELLE DE 1652.] AMIS. Ha trop injustes Dieux ! le voilà trespassé⁎. PORCIE. Doncque le Ciel ingrat me desrobe mon ame, Et me contraint encor de prolonger ma trame [303] ? Doncque tant de souspirs ne peuvent l'esmouvoir ? Et je n'ay pas la mort quand je la veux avoir ? Pourquoy traversez⁎-vous mes desseins legitimes, Grands Dieux, auparavant [304] de me monstrer mes crimes ? Sans doute j'ay failly⁎, je le veux avoüer, Mais c'est pour trop vous croire et pour trop vous loüer, Ingrats rendez moy donc tant d'offrandes perdues, Et tant de vœux payez pour des demandes deuës, Rendez-moy tant de pleurs vainement respandus, Tant de biens prodiguez et tant d'honneurs perdus; Plustost à les garder mettez tout vostre étude, Ils seront les témoins de vostre ingratitude, Ou pour vous en laver, en cette extremité Rendez-moy seulement Brute et la liberté. Ha Brute ! cher objet⁎ de mes ameres larmes, Pourquoy voulant mourir avec tes propres armes N'as-tu pas commandé que par un pareil sort Ce qui restoit de toy fut aussi mis à mort ? De quel front peus-tu voir la moitié de ton ame Es⁎ mains des ennemis, de la honte, et du blasme, Sans pouvoir esperer le moindre reconfort, Non pas mesme celuy qui nous vient de la mort; Et ce qui plus me fasche et de raison me prive, Sur le point malheureux d'aller servir captive. D'aller servir captive, ha trop lasches discours ! Rentrez dedans⁎ mon sein, demeurez-y tousjours, Autrement je croirois que mon ame ennemie Se bande⁎ contre nous, et pour la tyrannie. D'aller servir captive: Ha penser [305] inhumain ! Qui choque en mesme instant et mon cœur et ma main. Quoy, lasche cœur, plustost que souffrir cét outrage Veux-tu pas [306] sur mon corps laisser aigrir ma rage ? Et toy, ma chere main, si le cœur⁎ me deffaut [307], Le veux-tu pas percer pour punir son deffaut. Ouy quand tout l'univers s'armeroit au contraire⁎ Il n'est pas assez fort pour m'en pouvoir distraire: Lors que Brute vivoit je souffrois le malheur, Mais depuis qu'il est mort je cede à la douleur. [308] Vantez, ambitieux, les coups de vos tempestes⁎, Publiez nostre perte, exaltez vos conquestes, Mais loüez la fortune en cét evenement, Vous triomphez de nous par son aveuglement. Vous triomphez de nous, pardonnez-moy belle ombre, Brute mon cher soucy⁎, vous n'estes pas du nombre; Ce corps est aux tyrans mais non pas vostre cœur, Vous l'en avez osté pour estre son vainqueur. [309] Traitres n'allez donc plus vanter cette victoire, Vos lauriers sont fletris, vous n'avez plus de gloire, Brute qui sçait mourir, vostre ennemy mortel, En demolit le temple et bastit son autel. [310] Mais helas que le sort a d'estranges caprices ! La honte des tyrans fait naistre mes supplices, Et ce trespas⁎ fatal qui ternist leur honneur Efface en mesme temps l'éclat de mon bon-heur. Brute étoit mon apuy, mon repos et mon ame, N'ay-je pas tout perdu dans la fin de sa trame [311] ? Et si je vis encor, mon cœur, voudrois-tu bien Me sçachant pres des fers conserver ton lien ? Mon pere se defit⁎ sur la simple apparence Que le salut Romain étoit sans esperance; [312] Et moy qui vois ma perte infaillible aujourd'huy N'auray pas le pouvoir de faire comme luy ? Trop cheres libertez, amour, vertu⁎, naissance, Si je ne mourois pas, vous seriez sans puissance, Un si juste dessein ne peut estre arresté, Et j'en ay le pouvoir comme la volonté. Amis injurieux⁎ qui choquez mon envie, Vous travaillez en vain à conserver ma vie; Tous ces soings peuvent bien augmenter mon ennuy⁎, Mais non pas m'empescher de mourir aujourd'huy. Brute et la liberté prononcent cét oracle, Je leur obeïray malgré tout vostre obstacle, Et quand vous m'osteriez poison, flames, et fers, Je cognois cent chemins pour aller aux enfers. LES DEUX AMIS. Octave vient à nous. PORCIE.         Verray-je ce perfide Coupable de ma perte et de cét homicide ? Non, fuyons le plustost, et perdons la clarté Puis que Rome a perdu Rome et la liberté. ### SCENE VI. OCTAVE, MARC-ANTHOINE, leur suite. OCTAVE. Le voicy, chers amis, cét objet de nos haines, Dont la mort va donner du relasche à nos peines, Le voicy ce meurtrier du plus grand Potentat Qui jamais ait tenu les renes d'un Estat; Ainsi toujours le Ciel prend vengeance du traistre Qui se veut opposer aux desirs de son maistre, Et punit le mutin qui choque des projets Dont le zele ne tend qu'au bon-heur des sujets, Tels que ceux de Cæsar à qui pareille envie Déroba les momens les plus doux de sa vie. Ceux qui restent encor seront bien tost abas⁎ S'ils attendent les coups qui partent de nos bras, Et quand pour éviter nos fureurs legitimes Ils porteroient au Ciel leurs corps avec leurs crimes, Je feray mes efforts pour pouvoir entasser Osse sur Pelion et les en deschasser⁎. [313] ANTHOINE. J'approuve ce dessein, et fais vœu de le suivre Tout autant que les Dieux me voudront laisser vivre; Mais il faut balancer⁎ les choses par raison, Considerer les lieux et choisir la saison⁎: [314] Nos soldats sous l'espoir d'une paix desirée Ont souffert de grands maux et de longue durée, Combatu vaillament, affronté les dangers, Donné de la terreur aux peuples estrangers, Poursuivy les mutins, et pour comble de gloire Gaigné desja sur eux une double victoire; Apres tous ces exploits voudriez vous differer A leur donner un bien qui les fait souspirer ? J'estime que Cæsar ne veut point de victime Qui n'ait dedans⁎ son sang fait éclater son crime, Tous ses meurtriers sont morts, il reste seulement Ceux qui l'ont offencé par le consentement, Qui bannis à jamais de leur ville natale, Vont souffrir les rigueurs d'une peine infernale. Il suffit ce me semble, et son ressentiment Ne sçauroit desirer un plus dur chastiment: Mais quittons ces discours et gaignons nostre terre Pour en bannir bien loing les marques de la guerre, Allons revoir nos Dieux [315], nos femmes, nos enfans, Et changeons ces habits en ceux de triomphans⁎. OCTAVE. Les manes de Cæsar se pourroient satisfaire Avec ce seul meurtrier qui vient de se defaire⁎, Mais mon ressentiment desire plus de sang. ANTHOINE. Il est bien alteré [316] s'il en boit un estang Qui flotte impetueux là bas dedans⁎ la plaine. [317] OCTAVE. C'est bien peu pour esteindre une mortelle haine, Et monstrer ce que peut une extreme valeur. [318] ### SCENE VII. UN SOLDAT DE BRUTE, ANTHOINE, ET OCTAVE. LE SOLDAT. J'ay donc veu sans mourir ce comble de malheur Dont l'image tousjours est dans mon cœur emprainte ? ANTHOINE. Soldat viens et nous dis la cause de ta plainte. LE SOLDAT. A ce commandement je sens que le devoir En forçant ma douleur m'en donne le pouvoir; Pardonnez-moy, Seigneurs, si je vous desoblige, Vostre seule victoire est tout ce qui m'aflige: La fille de Caton, qui n'a pû la souffrir, Vient malgré tous nos soings de se faire mourir. En vain pour empescher ses mortelles pratiques On avoit étably des argus [319] domestiques, En vain un tas confus d'amis officieux⁎ Prenoient garde à sa voix, à son geste, à ses yeux, Et croyans que le temps auroit soin de l'instruire, Ostoient à sa fureur tout ce qui pouvoit nuire, Cette prudence est foible et ces soings superflus, Porcie veut mourir puis que Brute n'est plus: Mais voyant qu'on fermoit le passage ordinaire Qui peut mener à bout un dessein sanguinaire; Allumant sa fureur, elle y trouve un flambeau Pour aller à la mort par un chemin nouveau. [320] Dans ce mortel transport⁎ que sa voix dissimule, Elle feint d'avoir froid, quoy que son cœur la brusle, Fait allumer du feu, s'en approche d'abord, Et profere ces mots messagers de sa mort: Obstacle de mon bien, trouppe trop importune, Qui voyez sans pitié durer mon infortune, Amis injurieux⁎, domestiques, parens, Tous vos soings desormais me sont indifferens, Augmentez vos rigueurs, augmentez vos malices, Et venez-moy [321] ravir poison, fer, precipices. Elle dit, et soudain d'un maintien de vainqueur Avalla des charbons moins ardens que son cœur, [322] Leur brasier violant estouffe sa parole, Son bel œil s'obscurcit [323], et son ame s'envole. Porcie est morte ainsi, laissant dessus⁎ son front Non le trait de la mort mais celuy d'un affront, Qui rougissant les lys⁎ de sa divine face [324], Monstre qu'à sa fureur la mort mesme a fait place: A ce funeste objet tout se plaint, tout gemit, Le Ciel mesme en pleure, et la terre en fremit. OCTAVE. Un si triste accident ébranle mon courage, Et fait que dans le port je crains presque l'orage. Je cognois⁎ aujourd'huy parmy ce changement Que le plus grand bon-heur ne dure qu'un moment; [325] Je voy que le Demon⁎ qui conduit toutes choses, Ne pare l'univers que de metamorphoses⁎, Afin que nos esprits aymant la nouveauté, Dans ces tableaux changeans trouvent plus de beauté. Que si c'est un effect de sa toute-puissance, En vain tous les mortels y feroient resistance, Et nostre vanité n'auroit rien de pareil Si nous pensions servir à ce grand appareil⁎, Que [326] comme d'instrumens incapables d'ouvrage Si la main de l'ouvrier ne les met en usage: [327] L'exemple n'est pas loing; Ce grand Brute autresfois Servit à degrader des legitimes Rois, Se vit aussi puissant dans l'Empire de Rome Que sçauroit desirer l'ambition d'un homme; [328] Et pourtant aujourd'huy nous l'avons veu mourir Sans qu'aucuns des mortels ait pû le secourir: [329] Ainsi quoy que nos fronts courbent dessous⁎ les palmes, Que les mutins soient morts, que nos terres soient calmes, Et que nous commandions à tout le genre humain, Nous pouvons n'estre rien et mourir dés demain: C'est pourquoy relaschant de ma premiere envie, Je veux que les vaincus soient certains de leur vie, Qu'on les souffre dans Rome, et que nos citoyens Renoüent avec eux leurs accords anciens, Afin que la douceur de ces faveurs nouvelles Leur oste le desir d'estre jamais rebelles. [330] ANTHOINE. C'est le propre d'un cœur purement genereux⁎ De se montrer clement envers les malheureux; [331] Qu'on prene donc ce corps et celuy de Porcie; Vous, courez pour chercher celuy-là de Cassie, Tandis qu'en un bucher ces genereux⁎ amans Recevront le dernier de leurs embrassemens; Puis les ayans bruslez conservez-en la cendre, Parce qu'à leurs parens nous desirons la rendre. [332] OCTAVE. Enfin, graces aux Dieux, nous sommes dans le port, Nous avons dissipé les flambeaux du discord⁎, Demoly ses autels, et basty nos Trophées Sur le sanglant débris des guerres estouffées. Themis regne par tout, Mars languis abbatu, [333] Le vice qui s'enfuit fait place à la vertu⁎; Rome nous tend les bras, nos couronnes sont prestes, Alons donc recevoir ces fruits de nos conquestes, Afin que nostre front de lauriers ombragé Monstre à tout l'univers que Cæsar est vengé. FIN. ## AUTRES ŒUVRES DU MESME AUTEUR SUR LA GUERISON DE SYLVIE. ### CHANSON. Austere et triste solitude A qui mon esprit fait la cour, Permets qu'en ce bien-heureux jour Le plaisir soit tout mon estude, Et si tu veux encor m'obliger doublement Prens part à mon contentement. Chasse la nuict et le silence, En faveur du jour et du bruit, Souffre tout ce qui te destruit S'il est de nostre intelligence; Autrement le bon-heur que je veux raconter M'obligeroit à te quitter. Sylvie n'est plus enrumée, Sa bouche me le dit hier; Mais ce bien se doit publier Par la voix de la Renommée. Reprens donc ton silence et ton noir vestement, Mais souffre mon ravissement. ### A SYLVIE SUR LA MORT DE SA COUSINE D. L. SONNET. Beaux yeux ne pleurez plus cette belle cousine, Qui dans ses premiers jours rencontre son tombeau, Jamais rien de mortel n'eust un destin si beau Que par le seul excés de la grace divine. Ses maux trouvent leur fin avant leur origine, Elle quitte le monde en quittant le berceau, Et son esprit s'envolle en ce sejour nouveau Où jamais le bon-heur ne meurt ny ne decline. Ainsi sur une mer où les vents et les flots Ne cogneurent jamais l'usage du repos, Où les plus asseurez craignent pour leur naufrage, Cette jeune beauté dont vous plaignez le sort Rencontre les douceurs du port, [334] Sans avoir ressenti les rigueurs de l'orage. ### A LA MESME SUR SON DEPART LE JOUR DE NOEL. Il faut me conceder, belle et sage Sylvie, Que vous imitez mal le grand Maistre du Sort, Il s'approche aujourd'huy pour me donner la vie, Et vous vous esloignez pour me donner la mort. Je voulois approuver par mes chants d'alegresse Ceux que par tout le monde on faisoit résonner, Mais vous voyant partir, l'excés de ma tristesse Ne me laissa la voix que pour les condamner. Le respect toutesfois tenant mes levres closes, Par ces mots seulement j'exprimay mes douleurs; Helas ! faloit-il donc que dans l'ordre des choses Tout le monde chantast quand je versois des pleurs. ### SONNET POUR LA MESME. Ma flâme est pour Sylvie à tel poinct de constance, Qu'il n'est rien sous le Ciel qui la puisse ébranler; Et quoy que mon desir passe mon esperance, Je mourray mille fois plustost que reculer. Elle a de la contrainte à m'entendre parler, Et c'est où mon malheur va jusqu'à l'insolence, En ce qu'il me contraint à mourir ou brusler, Ou bien à luy deplaire, ou garder le silence. Tout s'oppose à mes vœux, rien ne s'arme pour moy, Le sommeil seulement recompense ma foy⁎, Flatant ma passion par un si doux mensonge; Qu'il me semble à tous coups [335] que l'objet⁎ de mes vœux Par des baisers de flâmes authorise⁎ mes feux: Mais je souffre en effet et ne baise qu'en songe. ### A LA MESME. STANCES. En fin le Ciel jaloux du repos de ma vie, A banny de ces lieux le bien de nos desirs, Et mon cœur avec mes plaisirs A suivy les pas de Sylvie: Je souffre cette cruauté Comme une peine deuë à ma temerité. J'ose aymer un objet⁎ à qui tout autre cede, Mais si pour éviter sa fuite et mon trespas⁎ Il faut ne l'aymer pas, J'ayme bien mieux souffrir le mal que le remede. Tyrant [336] des volontez qui fit naistre ma flâme, Et que je recognois pour unique vainqueur, Oste son portrait de mon cœur Ou mets le mien dedans⁎ son ame, Fais luy voir mon affection Dans le plus haut degré de la perfection; Cache sous ton bandeau les deffauts de ma vie, Ou s'ils sont esclairez, que ce soit par les feux: Bref pour me rendre heureux⁎ Donne m'en le merite ou m'en oste l'envie. Mais quoy c'est bien en vain que je te solicite, Les vertus⁎ de Sylvie ont tenu ce haut point Que les mortels ne trouvent point, Et pour qui tout est sans merite, Pardonne à mon aveuglement, Ton flambeau le causa quand il me fit amant, Et si tu veux me faire une faveur extreme, Ordonne seulement que la Divinité Qui tiens ma liberté, Croye que je l'adore, et souffre que je l'ayme. < FIN. > # Lexique. Dictionnaires utilisésDictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle Dictionnaire historique de l'ancien langage français ou Glossaire de la langue françoise depuis son origine jusqu'au siècle de Louis XIV Dictionnaire de la langue française du seizième siècle Dictionaire Francoislatin Thrésor de la langue françoyse, tant ancienne que moderne A Dictionarie of the french and english tongues Dictionnaire françois Dictionaire Universel Le Dictionnaire de l'Académie françoise dedié au Roy Nouveau Dictionnaire de l'Académie françoise Dictionnaire de Trévoux Dictionnaire de l'Académie françoise Dictionnaire de l'Académie française Complément du Dictionnaire de l'Académie française Le Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500) Trésor de la Langue Française AbasÀ bas. *Mettre à bas, être à bas* : abattre, être abattu. (TLFi, Furetière, *Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).V. 316, 1545Abord« Aproche, arrivée. » (Richelet). « Se dit aussi d'une attaque d'ennemis, soit par mer, soit par terre. L'*abord* des François est à craindre, on ne peut soûtenir leur premier *abord. l'abord* fut rude quand on eut accroché le vaisseau. » (Furetière).Prologue, v. 75 ; pièce, v. 894, 1203Adresser« Diriger. » (Huguet).V. 1179Appareil« Ce qu'on prepare pour faire une chose plus ou moins solemnelle. » (Furetière). « Apprest, préparatif, attirail et pompe. *Grand appareil. appareil extraordinaire. appareil lugubre. appareil de guerre. on fait de grands appareils pour son entrée. il a fait son entrée dans un magnifique appareil.* » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, deuxième édition, 1718).V. 1338« Objet préparé pour une destination spéciale, réunion, agencement d'ustensiles, de choses se combinant entre elles placées, disposées, mises en certain ordre dans un but auquel elles doivent concourir ensemble » (Godefroy). Godefroy donne l'exemple suivant : « Quant li vilains se fud disné, / As chans revait son labor faire; / Mais donc out mult dol e contraire / Quant ne trova ses *apareilz*. (BEN., *D. de Norm.*, II, 7195, Michel.) » Le TLFi cite cet exemple de Godefroy pour illustrer ce sens puis écrit : « repris début XIX*e* s. 1805 (*Lunier*, *Dict. des sc. et des arts* : *Appareil*, en physique, est une collection de machines ou instruments nécessaires pour faire une suite d'expériences sur une matière déterminée) » (article « appareil », partie « Étymologie et Histoire »). Ainsi, le sens qui nous est peut-être le plus familier semble disparaître aux XVII*e* et XVIII*e* siècle avant de renaître de ses cendres au XIX*e* siècle : absent de Huguet, Estienne, Nicot, Cotgrave, Furetière et du *Dictionnaire de Trévoux*, il n'apparaît dans le dictionnaire de l'Académie qu'à partir de la sixième édition (1835).V. 1634Arresté« *Arresté*. Calme. » (Huguet).V. 569Attentat« Outrage ou violence qu'on tâche de faire à quelqu'un. On punit de mort cruelle les *attentats* contre les personnes sacrées. il ne s'est pas trouvé coupable de meurtre, mais d'un simple *attentat* sans execution, le cas est remissible. » (Furetière). « Entreprise contre les loix. *Enorme attentat. horrible attentat. c'est un attentat. faire un attentat. commettre un attentat. un attentat contre la liberté publique. empescher l'execution d'un arrest, c'est un attentat. le Parlement a cassé toute la procedure, et tout ce qui s'en est ensuivi, comme un attentat.* » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).V. 19, 339, 841, 1305AuthoriserSignifie en premier lieu, dans un sens aujourd'hui vieilli : « Domaine *admin., jur., pol.*, etc. Donner un pouvoir légitime, de l'autorité (à qqn, qqc.). (Quasi-) synon. *accréditer, légaliser, légitimer*. » « *P. ext.*, domaine *moral, idéol.*, etc. Donner du poids, de l'influence (à quelqu'un, quelque chose). » (TLFi).Épître ; pièce, v. 104 ; sonnet pour la mêmeAvancerSpécialement : « Devancer, prévenir. » (La Curne). Ce sens est également présent dans Huguet, qui cite pour l'illustrer quatre exemples tirés de la traduction d'Héliodore par Jacques Amyot (1513-1593), *L'Histoire æthiopique*.V. 709Avanture« Accident, ce qui arrive inopinément. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). « Signifie aussi, Ce qui est au pouvoir du hasard, de la fortune. » (Furetière). Nous expliquons le vers 831 par la définition suivante : « Ce qui arrivera probablement (à qqn) dans l'ensemble de l'existence, succession probable d'événements généralement imprévisibles. (Quasi-) synon. *sort, destinée. La longue aventure de la vie* » (TLFi).V. 5, 703, 787, 831Balancer, balance« Se dit figurément de l'examen qu'on fait dans son esprit des raisons qui le tiennent en suspens, et qui le font incliner de part et d'autre. Le Juge a longtemps *balancé* les raisons de ces parties. il y avoit longtemps qu'il *balançoit* s'il se marieroit ou non. les Juges étoient partagés, et cette affaire a esté long-temps *balancée*. » « On dit aussi pendant un combat opiniastre entre deux armées, que la victoire est en *balance*, en suspens, qu'elle ne sçait pour quel parti se declarer. » (Furetière).V. 221, 923, 997, 1401, 1553(Se) bander« Avec le pronom personnel, signifie, Se liguer, s'unir plusieurs bandes de personnes ensemble pour s'opposer à quelque dessein. Tous les Seigneurs du Parlement d'Angleterre s'étoient alors *bandez* contre le Roy. » (Furetière).V. 1023, 1484Bande« Signifie encore, une trouppe de plusieurs personnes associées ensemble pour un même dessein. » ; « se disoit autrefois des trouppes, des gens de guerre; mais il n'est demeuré en usage qu'en cette phrase, le Prevost des *Bandes*, pour dire, le Juge des soldats du regiment des Gardes. » (Furetière).Prologue, v. 43 ; pièce, v. 1094Chacun« *Un chascun* (pronom). Chacun, tout le monde. » (Huguet). « XII*e* s. *un chacun* (*Sermons St Grégoire sur Ezechiel*, 20, 30 *ibid*.), surtout en usage au XVI*e* s. (*Hug*.), loc. considérée comme basse par *Fur*. 1690. » (TLFi, partie « Étymologie et Histoire » de l'article « chacun »).V. 437ChangeEmployé comme substantif, le mot signifie « changement » (Huguet, Cotgrave, Richelet, *Dictionnaire de Trévoux*). Dans Richelet et le *Dictionnaire de Trévoux*, il est préféré en poésie plutôt qu'en prose.V. 46Charme, charmerNe pas oublier la dimension magique du mot, qui en fait un terme fort et peut le rapprocher de l'enchantement ou du sortilège.Prologue, v. 13, 126 ; pièce, v. 129, 182, 224, 1117Choquer1°) « Heurter avec violence. … les armées se sont *choquées* avec grande ardeur, si-tost qu'elles ont été en presence. » 2°) « Signifie figurément, Quereller, offencer. » 3°) « Signifie encore, Blesser legerement. » (Furetière).V. 232, 612Coeur« Signifie quelquefois, Vigueur, force, *courage*, intrepidité. Cet homme a un *cœur* de lion, n'a rien de bas dans le *cœur*, a le *cœur* haut, noble. il a le *cœur* bien placé. la naissance hausse le *cœur*, enfle le *cœur* des Gentilshommes. on ne sçauroit trop mépriser les gens sans *cœur* et sans foy. » (Furetière ; nous soulignons en caractères gras). [337]V. 60, 433, 538, 606, 870, 922, 1197Connoistre / cognoistrePour un verbe aussi important, la démarche la plus sûre semble être de partir d'un dictionnaire structuré et donc (car c'est le meilleur) du TLF. Dans sa longue entrée CONNAÎTRE, on relève deux emplois, vieilli ou vieux. [338] Ceux-ci permettent de lever toutes les ambiguïtés que l'on rencontre dans la pièce.1°) L'emploi *vieilli* (ou *littéraire*) : « Reconnaître la marque de quelqu'un ou de quelque chose. » (prologue, v. 20 : les attributs de la Renommée sont évoqués d'abord négativement ; s'ils n'étaient pas cachés, on la reconnaîtrait alors).2°) L'emploi *vieux* (ou *littéraire*) : « *Connaître qqc., connaître que* + ind. … - *P. ext.* Se rendre compte (de) ; avoir la révélation que. Synon. emphatique de *savoir*. » (pièce, v. 121, 338, 387, 416, 975, 1079, 1319, 1625). Ainsi ce dernier sens a ceci de particulier par rapport à l'emploi usuel que « connaître » est alors une véritable action, strictement concomitante au moment évoqué, et non plus un état de connaissance tributaire du passé. Sur ce point, il se rapproche de l'emploi vieilli 1°).La forme en -GN- (« (re) cognoistre ») apparaît six fois, dans les cahiers A, M et N ; la forme en -NN- (« (re) connoistre ») onze fois, dans les cahiers B, D, F, G, H, I et L : il n'y a pas de concurrence au sein d'un même cahier. Il est donc probable qu'il s'agisse là d'un fait d'imprimeurs. « Noter la graph. étymol. (sur le lat. class.) *cognoistre* ds Ac. 1694 (en tant que vedette de renvoi à *connoistre*) et avec ses dér. : *cognoissance, cognoissant, cognoissement* ds *Ac. Compl.* 1842 qui note également le part. passé *cognu* et *Lar. 19e* (à titre hist.). » (TLFi).Prologue, v. 20 ; pièce, v. 121, 338, 387, 416, 975, 1079, 1319, 1625ConseilSpécialement : résolution (Furetière, *Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).V. 269ContraireNous laissons de côté l'adjectif, dont l'emploi est resté relativement stable durant les siècles qui nous séparent de notre œuvre, pour nous intéresser au substantif, dont l'emploi a évolué et semble s'être affaibli pour se réduire à un sens logique (comme dans « dire le contraire »). C'est déjà le cas dans le Furetière. En outre, s'il en reste des traces dans un emploi de l'adjectif que le TLFi note usuel et littéraire, la dimension d'hostilité s'efface dans le substantif. [339] Ceci, appuyé des définitions (exhaustives) suivantes, permet une mise au point sur la locution « au contraire ». On comprendra mieux la construction du vers 1491 et l'on ne sera dès lors plus tenté de voir une substantivation hardie ou une ellipse (« party » sous-entendu, par exemple).Godefroy :1°) « CONTRAIRE 2., s.m. chose qu'on fait en retour ou en représailles d'une autre … Opposition, contrariété, affliction, toute chose fâcheuse et nuisible ».2°) « CONTRAIRE, s.m. Compl. chose contraire …*Aller au contraire*, loc. Compl. s'opposer ».Huguet :« Contraire (subst.). Adversaire, ennemi, rival. …*Au contraire*. D'une façon contraire, opposée. … En sens contraire, tendant vers le contraire. … Faisant opposition, hostile. »Richelet distingue deux adverbes :1°) « *Au contraire, adv.* Au préjudice. Elle cassa tous les actes rendus au contraire. *Maucroix Schisme. l. 2.* »2°) « *Au contraire, adv.* Bien loin de cela. »La distinction n'est plus aussi nette dans le *Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694, où le substantif n'est par ailleurs pas mentionné (article « contre ») :« AU CONTRAIRE. adv. Tout autrement, d'une maniere opposée. *Vous dites que cela arriva de la sorte, au contraire il arriva que etc. tant s'en faut que cela soit ainsi, qu'au contraire. vous faites tout au contraire de ce que l'on vous dit. il destruit la Religion, bien au contraire de ses ancestres qui l'ont soustenuë.* / On dit, *Aller au contraire d'une chose*, pour dire, S'y opposer, y contredire. *On en demeure d'accord, personne ne va au contraire. allez vous au contraire de cela* ? »V. 1491Courier« Postillon qui fait mestier de courir la poste, de porter des dépesches en diligence. … Se dit aussi de tous ceux qui courent la poste, soit pour leur plaisir, soit pour leurs affaires, encore qu'ils soient de condition. » (Furetière).Prologue, v. 121Crayon« Se dit figurément des descriptions qu'on fait par le discours, soit des personnes, soit des choses. Il a fait un leger *crayon* de cet homme, qui suffit pour le reconnoistre. Il nous a fait le *crayon* de cette bataille, de ce campement. » (Furetière).V. 404DedansVoir l'entrée DESSUS.Def(f)aire« Il signifie aussi, Faire mourir. *Cette malheureuse a deffait son fruit, son enfant. on a deffait aujourd'huy trois hommes à la Greve. se deffaire soy-mesme.* / *Deffaire*, en parlant de Troupes de gens de guerre, signifie Mettre en desroute, Tailler en pieces. *On deffit les ennemis à platte couture. aprés avoir deffait les ennemis.* » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).Prologue, v. 159 : pièce, v. 488, 1172, 1515, 1576Deüeil« Douleur qu'on sent dans le cœur pour quelque perte ou accident, ou la mort de quelque personne chere. », « accident » étant à prendre au sens de « Hasard, coup de fortune. » (définitions de Furetière).V. 665Démon« Esprit bon ou mauvais qui préside aux destinées de l'individu, de la communauté » (TLFi). « Le spectre qui apparut à Cassius étoit un mauvais Demon qui l'épouvanta. » (Furetière). Voir l'entrée GENIE.V. 507, 535, 1627Dépiter« Mépriser, dédaigner, braver: … Les Cireniens enragez, / Un jour en bataille rangez, / *Despitoient* le ciel et le foudre, / Voulans arracher le soleil. (D'AUBIGNÉ, *Trag.*, Préf., Bibl. elz.) Cette signification se retrouve encore chez Régnier et chez Malherbe; aujourd'hui *depiter* ne s'emploie plus que pour signifier causer du dépit à quelqu'un, et au réflechi, concevoir du dépit » (Godefroy). « Braver, défier. … Maudire. — Oudart renioit et despitoit les nopces. RABELAIS, IV, 15. — Despite moy tous les cieux, Despite moy tous leurs dieux, Autheurs de ton mal extreme. JODELLE, *Cleopatre*, V (I, 150). — Je maudy le destin contre moy conjuré; Je despite ma vie à souffrir condamnee. DESPORTES, *Elegies*, I, 14. » (Huguet). Ce sens est présent dans Godefroy, Huget et La Curne mais n'apparaît pas dans les dictionnaires des époques postérieures.V. 944Déraisonnable« Qui est contre la raison, le bon sens, la justice. » (Furetière).V. 815DeschasserChasser, expulser, bannir. En ce sens vieilli, on trouve le mot dans Godefroy, La Curne, Huguet, Estienne, Nicot, Cotgrave et Barré (1842). Ce dernier précise : « Il se trouve dans Montaigne et dans Rabelais. » Notons le préfixe « des » et sa valeur d'intensité.V. 1550Dessus, dessous, dedansVaugelas condamne l'emploi, qu'il constate courant et en prose et en vers, de prépositions composées (dessus, dessous, dedans, dehors) à la place des simples correspondantes (sur, sous, dans, hors). « Je dis que ce n'est pas escrire purement, que d'en user ainsi, et qu'il faut toujours dire, *sur la table, sous la table, dans la maison*, et *hors la ville*, ou *hors de la ville;* car tous deux sont bons, et non pas *dessus la table, dessous la table, etc.* *On le permet pourtant aux Poëtes, pour la commodité des vers, où une syllabe de plus ou de moins est de grand service;* Mais en prose, tous ceux qui ont quelque soin de la pureté du langage, ne diront jamais, *dessus une table*, ny *dessous une table;* non plus que *dedans la maison*, ou *dehors la maison.* Il semble que ces composés soient plustost adverbes que prepositions; car leur grand usage est à la fin des periodes, sans rien regir aprés eux, puis qu'ils terminent la période et le sens » [340]. Vaugelas donne trois exceptions bien précises (qui ne concernent pas les mots que nous avons marqués) avant de conclure : « Ces cas exceptez, il ne faut jamais employer ces composez, que comme adverbes, et se faut servir des autres, comme de prepositions. » (*Remarques sur la langue françoise*, Camusat et Le Petit, 1647, p. 124-126). Richelet et le *Dictionnaire de l'Académie françoise* (première édition, 1694) suivent strictement Vaugelas [341] ; Furetière, lui, ne semble pas en tenir compte (voir notamment les articles « dessus » et « dessous »). Remarquons que l'emploi des formes composées est ici exclusivement prépositionnel. Certes, les formes simples sont 6, 5 [342] fois plus employées, mais les 23 occurrences de composées sont un fait significatif qui nous semble témoigner d'une possibilité : qu'il s'agisse là d'une affaire d'usage de l'auteur ou de style plus que de syllabe.Prologue, v. 83 ; pièce, v. 5, 83, 148, 474, 502, 572, 740, 868, 906, 943, 947, 985, 1026, 1053, 1199, 1252, 1482, 1564, 1579, 1617, 1643 ; stancesDeversDu côté de, vers. « *Devers*. marquant l'origine, le point de départ. » (Huguet). « Préposition qui a vielli, et qui tout au plus ne peut trouver sa place que dans le langage le plus-bas. En sa place on se sert de la préposition *vers. Vau. Rem.* » (Richelet). Furetière et le *Dictionnaire de l'Académie* (première édition, 1694) ne sont pas aussi sévères et n'évoquent ni le caractère « vieux » du mot ni son caractère « bas ». Pour le *Dictionnaire de l'Académie*, il faudra attendre la cinquième édition (1798) pour lire : « DEVERS a vieilli; aujourd'hui on emploie Vers. » D'ailleurs pour comprendre Richelet, il faut remonter à sa source, Vaugelas, dont le jugement est nuancé : « Cette preposition a tousjours esté en usage dans les bons Autheurs, par exemple, *il se tourna devers luy, cette ville est tournée devers l'Orient, devers le Midy*. Et ainsi des autres. Mais *depuis quelques temps ce mot a vieilli*, et nos modernes Escrivains ne s'en servent plus dans le beau langage. Ils disent tousjours *vers*, comme *se tournant vers luy, vers l'Orient, vers le Midy*. » (*Remarques sur la langue françoise*, Camusat et Le Petit, 1647, p. 172 ; nous soulignons). Un demi-siècle plus tard, l'Académie fait publier ses *Remarques* accompagnées d'observations censées « rendre compte de l'usage present » (voir l'Avertissement) : « On ne dit plus il se tourna *devers luy*, ni *cette Ville est tournée devers l'Orient*, il saut dire *vers luy* et *vers l'Orient*. La préposition *devers* ne laisse pas d'avoir encore quelque usage, mais c'est quand elle veut dire *aux environs de* comme *il vient de devers Lyon*. » (*Observations de l'Académie françoise sur les Remarques de M. de Vaugelas*, Coignard, 1704, p. 195).V. 1324Discord« Desunion, dispute, querelle. Il est vieux et hors d'usage. » (Furetière). « DISCORD. s.m. Discorde. Il n'a d'usage qu'en vers, et ne se met guére qu'au pluriel. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). « *Discord* pour *discorde*, ne vaut rien en prose, mais il est bon en vers Exemple pris chez Malherbe. Les autres Poëtes en ont aussi usé et devant et apres luy. C'est un de ces mots, que l'on employe en vers et non pas en prose, dont le nombre n'est pas grand. … Quoy qu'il en soit, on ne s'en sert en prose que tres-rarement, y ayant quelque lieu, où peut-estre il pourrait trouver sa place. » (Vaugelas, *Remarques sur la langue françoise*, Camusat et Le Petit, 1647, p. 496-457 [343]). On trouve l'orthographe « discort », apparemment archaïsante, dans le Godefroy. [344]Prologue, v. 91 ; pièce, v. 1662Donner« Absolument c'est, Commencer le combat, aller à l'assaut. » (Furetière).V. 164Empire« Se dit figurément en Morale, de la domination, du pouvoir qu'on a sur quelque chose. Il a beaucoup d'*empire* sur soy, sur ses passions, sur l'esprit de sa maîtresse. » (Furetière). Ce sens ne paraît pas vieilli dans les dictionnaires contemporains, comme le TLFi.V. 1368Encontre« Contre. » (Huguet). En tant que préposition, le mot est aussi présent dans Cotgrave mais absent de Nicot, Furetière et du *Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694.V. 485Ennui« Affliction, douleur, tristesse. » (Huguet). Le sens du mot s'est affaibli.V. 72, 1114, 1141, 1525Es« Mot fait par contraction de la préposition *En*, et de l'article pluriel *les*, pour signifier *Dans les.* Il n'a plus maintenant d'usage qu'en cette phrase, *Maistre és Arts*, et en quelques autres phrases qui sont purement du style de Pratique. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). « *Est tantost preposition locale, qui se donne au nombre plur. comme au singul. Mais le plus vsité et plus naturel au plur. est aux, comme, Il loge és forsbourgs*, In suburbiis habitat. *Dont le plus commun est aux forsbourgs.* » (Nicot). « Avant que la particule *és*, pour *aux*, fust bannie du beau langage, on disoit, *tomber és mains*, depuis on a dit, *tomber aux mains*, mais ny l'un ny l'autre ne valent rien, et il faut tousjours dire, *tomber entre les mains de quelqu'un*. L'usage moderne le veut ainsi. *Tomber és mains*, est particulierement de Normandie. » (Vaugelas, *Remarques sur la langue françoise*, Camusat et Le Petit, 1647, p. 167).V. 728, 1476Eschet1°) « Eschet 1. Coup ( ?). — L'eschet de la tempeste tombe volontiers sur les plus hautes tours. BEROALDE DE VERVILLE, *le Moyen de parvenir, Sommaire* (I, 285). » ; 2°) « Eschet 2, Eschete, v. Eschec. », « Eschec. Prise, butin. … Carnage, destruction, ravage. » (Huguet).« Eschet: m. *An Escheat* [345], *or thing fallen to.* » (Cotgrave).« ESCHEC, se dit figurément en choses morales, d'un malheur ou de quelque perte qui donne atteinte aux biens, à la fortune, à l'honneur. Ce favori a receu un grand *eschec*, un vilain *eschec*. L'armée a receu un *eschec*, on luy a enlevé un quartier. » (Furetière).Le mot *échec* que nous connaissons, notamment dans le sens d'« insuccès » (le dernier sens que nous avons indiqué, avec Furetière), vient du jeu. « Le *c* final de *échec* est peut-être dû à un croisement de ce mot avec l'a. fr. *eschec* “butin” » (TLFi, partie « Étymologie et Histoire » de l'article « échec ») : il s'agit là du second sens signalé par Huguet. Ici, la difficulté est l'absence de *c* au profit d'un *t*. L'hypothèse d'un dérivé du verbe *eschoir* (*échoir* en français moderne) n'est dès lors pas exclue. Le sens de Cotgrave vient de là, mais n'est pas satisfaisant. Cependant, *échoir*, de la famille de *choir*, a notamment le sens de « qui advient, qui est dévolu par hasard » (TLFi), ce qui s'applique bien au premier sens donné par Huguet pour le mot *eschet*, à l'exemple singulier qui l'accompagne, et au mouvement que ce dernier décrit. De plus, une recherche du contexte de cette citation nous confirme qu'il est bien question d'un coup de fortune.V. 597Espris (de)« *Espris de.* Pris de, saisi par, en proie à. » ; mais aussi : « *Estre espris.* S'enflammer. » (Huguet). Ce dernier sens est dans La Curne mais disparaît des dictionnaires des époques postérieures.Prologue, v. 1Estomach1°) estomac ; 2°) poitrine. « Se dit abusivement de la partie exterieure du corps, qu'on appelle autrement le *sein*, la *poitrine*, et qui est au dessus de la ceinture. Les pecheurs se frappent l'*estomac* en signe de penitence. Quand on se confesse, on se frappe trois fois l'*estomac*, en disant *mea culpa*. » (Furetière). « Poitrine. … — Et si pouvoit on voir la plus grande partie de son estomac deschiré et meurtry. AMYOT, *Antoine*, 83. … Voila comment les armes receues par force et non cerchees ont esté tirees des estomacs offencez. AUBIGNÉ, *Debvoir des roys et des subjects*, 5 (II, 59). … De cette signification du mot *estomac*, il résulte qu'on place souvent le cœur dans l'estomac. … — Elle... ouvrit à ce meurtrier l'estomach: et tout chaudement de ses mains, fouillant et arrachant son cœur, le jetta manger aux chiens. MONTAIGNE, III, 1 (III, 254). » (Huguet).V. 769Estonnement, (s')estonnerLe mot « étonnement » a perdu de sa force. Étymologiquement lié au tonnerre, il signifiait : « Commotion, ébranlement, étourdissement. » ; employé figurément : « Ébranlement moral. » ; enfin : « Crainte, frayeur. » (Huguet). Dans notre pièce, c'est ce dernier sens qui prévaut. Furetière donne l'exemple suivant : « Les Tyrans n'ont point *estonné* les Martyrs, ils n'ont pû vaincre leur constance. » Toutefois, il faut garder cette image du tonnerre qui frappe, de telle sorte que le prologue, en employant le mot, peut ainsi rapprocher Louis XIII (« ce grand Roy », v. 8) de Jupiter portant le foudre.Prologue, v. 9 ; pièce, v. 665Faillir1°) « Pecher, manquer à son devoir. » 2°) « A aussi toutes les autres significations de manquer. » (Furetière).V. 1461Fier« Hautain, altier, audacieux. *Oeil fier. mine fiere. courage fier. humeur fiere. un esprit fier. beauté fiere. il se tient fier de ses amis, de ses richesses, de son credit.* Il sign. aussi, *Cruel, barbare. Un fier tyran. un fier ennemi.* » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).V. 95, 862FoyFidélité, exactitude de la parole donnée, serment. Notamment, dans un contexte féodal, foi du vassal (v. 607, 1038, 1047). Voir Furetière.Pièce, v. 607, 1038, 1427 ; sonnet pour la mêmeFranchise, franc(he)« Signifie chez les Poëtes et les amants, *Liberté*. » (Furetière ; nous soulignons). Dans ce sens, être franc, c'est être libre.V. 444, 739, 1225Gen(s)darmes« *Gendarmes*, au pluriel. signifie quelquefois toutes sortes de gens de guerre, soit Infanterie, soit Cavalerie. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).V. 967, 1032Générosité, généreux« Grandeur d'ame, de courage, magnanimité, bravoure, liberalité, et toute autre qualité qui fait le genereux. » (Furetière). Signifie donc également noblesse, attachement à l'honneur. Marc Escola, dans son lexique d'*Horace* [346], cite Descartes : « être généreux, c'est “ne manquer jamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu'on juge être les meilleures ; ce qui est suivre parfaitement la vertu” (Descartes, *Les Passions de l'âme*, 1649). »Prologue, v. 61 ; pièce, v. 43, 542, 873, 890, 1184, 1270, 1274, 1341, 1653, 1657Génie« Être surnaturel, esprit bon ou mauvais, inspirant une personne et influant sur sa destinée. » (TLFi). « Bon ou mauvais Demon que les Anciens croyoient accompagner les hommes illustres. Apulée a fait un Traitté du *Genie* de Socrate. » (Furetière). Voir l'entrée DEMON.V. 158Gésir« Vieux mot qui signifioit autrefois, Estre couché: maintenant il ne se dit que des morts qui sont dans le sepulcre. Cy *gist*, cy *gisent*: c'est le commencement des épitaphes. / On le dit au figuré du point où consiste la difficulté d'une affaire, d'une question. Tout le different de ces parties ne *gist* qu'à sçavoir l'usage de la Coûtume. » (Furetière). 1°) « Être couché, reposer, coucher, se coucher. » 2°) « Être situé, placé. » 3°) « Être placé, consister. » « *Gesir en, à*. Dépendre de. » (Huguet).V. 670, 1402GesneTorture, supplice, tourments (Furetière, *Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).V. 197Haut« On dit, qu'*Un cheval va par haut*, pour dire, qu'Il fait un manege eslevé, qu'*Un homme le prend bien haut*, pour dire, qu'Il parle, qu'il respond arrogamment, qu*'Il le porte haut, qu'il est haut à la main*, pour dire, qu'Il est altier, fier, audacieux. *Faire quelque chose haut à la main*, pour dire, Avec authorité, imperieusement. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). « Pris adverbialement, s'emploie dans certaines phrases figurées, telles que les suivantes: … *La fortune semblait ne l'avoir placé si haut, que pour rendre sa chute plus éclatante.* » (Académie française, sixième édition, 1835).V. 849Héros, héroïque« C'estoit chez les Anciens un grand et illustre personnage, qui quoy que de nature mortelle, passoit dans la creance des peuples pour estre participant de l'immortalité, et ils le mettoient au rang des Dieux aprés sa mort. Lucien definit un Heros, qui n'est ni Dieu ni homme, mais qui est tous les deux ensemble. » (Furetière). Le héros, incarnation de la vertu (idéal, valeur, force, courage ; voir notre entrée), est originairement un demi-dieu, ce sur quoi Furetière se focalise tout au long de son article.V. 244, 277, 313, 1077, 1391, 1439, 1448Heur1°) « Chance bonne ou mauvaise. » 2°) « Chance favorable, bonheur. » (Huguet). « Ce mot signifie *bon-heur*, mais il est bas, est peu usité et *se prononce sans faire sentir son h*. Je hai la solitude car elle pourroit me ravir *l'heur* de te voir et te servir. *S. Am.* » (Richelet). C'est le seul endroit où nous rencontrons ce jugement.V. 1303Heure*Dés l'heure* : alors, dès lors. *À l'heure* : à cette heure, maintenant, à cet instant, alors. Vaugelas note que la façon de parler qui fait dire *à l'heure* pour *alors* est au rang de celles qui « ne valent rien » et même, qu'elle est « bien basse » (*Remarques sur la langue françoise*, Camusat et Le Petit, 1647, p. 228). On peut penser que son avis est le même concernant *dés l'heure* pour *dés lors*. Si l'on regarde dans le Furetière et le *Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694, on ne trouvera nulle part *à l'heure* pour *alors*. Et l'on ne trouvera qu'une seule occurrence de *dés l'heure* pour *dés lors* (incidemment, dans l'article « pasmer » de Furetière, qui cite *Les Visionnaires* de Jean Desmarets de Saint-Sorlin (1595-1676), comédie publiée en 1637).V. 335, 579HeureuxNe pas oublier la connotation charnelle : « *Rendre un homme heureux* le sujet désigne une femme courtisée. Lui accorder ses faveurs. » (TLFi).StancesHumilier« *Humilier, v.a.* Soumettre, rendre humble. Une Reine à mes piez se vient humilier, *Racine, Iphigenie, a. 2.* » (Richelet). « Humilier. Fléchir. … *S'humilier.* Se pencher. … *S'humilier à*. S'humilier devant. » (Huguet). « S'HUMILIER, se dit aussi de cet abbaissement volontaire qu'on fait devant quelqu'un, et sur tout devant la Majesté de Dieu. L'Evangile dit, qu'il faut prendre les moindres places dans les assemblées, parce que celuy qui s'*humiliera* sera eslevé. » (Furetière).V. 589Injurieux1°) Qui offense, outrage. 2°) Injuste. « INJURE. s.f. Parole qu'on dit pour offenser quelqu'un, en luy reprochant quelque defaut, ou quelque vice vray ou faux. … Ce mot vient du Latin *injuria. Quod fit citra jus, injuria est*. on appelle *injure*, ce qui se fait sans raison, contre les biens ou contre l'honneur d'une personne. » (Furetière). « INJURIEUX, EUSE, … On dit fig. et poëtiquement, *La fortune injurieuse. le sort, le destin injurieux*, pour dire, La fortune, le sort, le destin injuste. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).V. 959, 1523, 1609IntermisInterrompu. On ne trouve le verbe « intermettre » que dans Godefroy, Huguet, Nicot, Cotgrave et Barré [347]. Ce qui laisse supposer qu'il a vieilli au moment où Guérin de Bouscal écrit.V. 1229LieutenanceUn lieutenant est un « officier qui tient le lieu d'un Superieur, qui exerce une charge en son absence, ou qu'il devroit exercer luy-même » (Furetière). La lieutenance est la charge de lieutenant. Ainsi, vers vingt-six, il n'est pas un homme qui puisse gouverner Rome au nom ou en lieu et place des Dieux.V. 26Lys« Lis, se prend aussi simplement pour la fleur du lis. *Cueillir des lis. la pureté des lis. blanc comme un lis. plus blanc que les lis.* le lis est le symbole de la virginité, de la candeur, de l'innocence, de la pureté. / On dit fig. *Un teint de lis. un teint de lis et de roses*, pour dire, Un teint extremement blanc, un teint blanc et vermeil. Et poëtiquement. *Les lis de son teint, de son visage. le temps flestrira ces lis et ces roses.* » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). Voir l'entrée ROSES.V. 1619MaistresseFemme aimée. Le TLFi, dans la partie « Étymologie et Histoire » de l'article « maîtresse », donne cette citation : « XIII*e* s. date du ms. « fille ou femme aimée de quelqu'un, ainsi nommée à cause de l'empire qu'elle exerce sur l'homme qui l'aime » (*Guillaume Le Vinier*, *Poésies*, éd. Ph. Ménard, p. 77, 24) ».V. 1180Métamorphose« On s'en sert dans le fig. pour exprimer un changement extraordinaire dans les affaires publiques, ou dans la fortune et les mœurs des particuliers. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).V. 592, 1027, 1628Meurtrir« Ce mot signifioit autrefois *tuer*, aussi bien qu'occire, qui ne se disent plus. » (Furetière). Il faut croire que ce mot n'eût pas déplu à Vaugelas, qui l'a employé en ce sens dans sa traduction de Quinte-Curce. [348] Il faut dire que le dictionnaire de Furetière paraît bien plus tard. Nous ne comptons pas cet emploi au nombre des archaïsmes.V. 353, 1306Murmurer« Parler sourdement, ou incertainement, se plaindre tout bas et avec timidité. Le peuple *murmure* ordinairement contre les Puissances. On n'ose pas parler ouvertement de cette affaire, mais on en *murmure*; on tient que nos trouppes ont esté deffaites, on en *murmure*; on en attend des nouvelles plus certaines. » (Furetière).V. 835, 1277Nef« Navire. En ce sens il n'a plus guere d'usage qu'en poësie. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).Prologue, v. 71Neveu(x)« Au pluriel, se dit de tous les hommes qui viendront aprés nous, de la posterité. » (Furetière).V. 544ObjetÀ côté des sens toujours usuels, on note celui de « personne aimée ». Il se dit « dans le langage amoureux » (Huguet), « poëtiquement » (Furetière et le *Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).Pièce, v. 1471 ; sonnet pour la même ; stancesOfficieux« Prompt à rendre service, office, courtoisie. » (Furetière).V. 1355, 1593OreGodefroy, donne à cet adverbe la signification général de « maintenant ». Et il ajoute : « Ore... ore, tantôt... tantôt: Rossignol amoureux, qui dans cette ramee / *Ore* haut, *ore* bas, atrempant ton chanter... (BAIF, *Poés. chois.*, p. 122, Becq de Fouquières.) » On trouve également dans le Huguet le balancement « ore(s)... ore(s) » dans le sens de « tantôt... tantôt », ainsi que dans le TLFi comme archaïsme, mais nulle part ailleurs.V. 576Paresse« Faineantise, nonchalance, negligence des choses qui sont de devoir, d'obligation. » (Furetière). « Nonchalance. Négligence. Lenteur blamâble. » (Richelet). Chez les chrétiens, c'est un des sept péchés capitaux.V. 799Parque« Déêsse qui à ce que content les Poëtes preside à la vie. Il y a trois parques Cloton, Lachesis, Atropos. L'une tire le fil de nos jours, l'autre tourne le fuseau, et l'autre coupe la trame. » (Richelet). Ici, c'est avant tout Atropos qui est convoquée.V. 807, 827, 959, 1434Patron« Se dit aussi d'un modele, de l'idée que nous nous proposons d'imiter. » (Furetière).V. 255Pesle et meslePêle-mêle (voir Godefroy et Huguet), c'est-à-dire « dans le plus grand désordre, dans une grande confusion » (TLFi).V. 656PoudrePoussière (Furetière, *Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).Prologue, v. 160 ; pièce, v. 647, 841, 943Presse« Foule, multitude de personnes qui se pressent. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). « Se dit figurément en Morale, en parlant des choses fâcheuses ou dangereuses. Ce brave s'étoit engagé trop avant dans la meslée, son ami est venu qui l'a tiré de la *presse*. » (Furetière).V. 659, 1195PrévénirPrécéder, devancer.V. 1320, 1339Race« On dit poëtiquement. *La race future, les races futures, les races à venir*, pour dire, Tous les hommes à venir. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).V. 1412Raison« *Avoir sa raison, avoir la raison.* Obtenir satisfaction. — Antonius fut contraint d'appeller devant les tribuns du peuple à Rome, alleguant, pour donner couleur à son appel, qu'il ne pouvoit avoir sa raison en plaidant dedans la Grece contre les Grecs. AMYOT, *César*, 4. / Tirer vengeance. — Celuy là qui s'est veu d'un mot injurieux Outrager mille fois par quelque audacieux. S'il n'en a sa raison, n'est ce pas une beste ? CORNU, p. 65. — Ce brave me pensoit si failli de courage De souffrir m'estre fait un si vilain outrage Et ne m'en ressentir, n'avoir point la raison D'une si detestable et lasche trahison. GARNIER, *Juifves*, 209. » (Huguet). Ailleurs, on ne trouve l'expression « avoir sa raison » que dans Godefroy et La Curne, qui citent le même exemple ancien. Elle est donc vraisemblablement vieillie. On trouve quelques occurrences de l'expression « avoir raison de » dans Furetière et dans les premières éditions du *Dictionnaire de l'Académie françoise*.V. 818RencontreCe substantif est exclusivement masculin dans notre pièce et renvoie au sens suivant : « Il signifie aussi, le choc de deux armées qui se fait ordinairement par hazard. *Il y eut une sanglante rencontre des deux avantgardes, qui engagea ensuite un combat general.* » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). Dans Huguet, ce sens se réduit à l'emploi masculin et recouvre la grande majorité des exemples alors donnés. Pour le TLFi, il est le plus ancien : « 1234 subst. masc. « action de combattre » (*Huon de Méry*, *Antéchrist*, 927 ds T.-L.), au masc., dans les différents sens, jusqu'au XVII*e* s. » (partie « Étymologie et Histoire » de l'article « rencontre »). Vaugelas préconise le féminin quel que soit le sens (*Remarques sur la langue françoise*, Camusat et Le Petit, 1647, p. 19). Si le genre masculin ne semble pas se réduire pas au sens guerrier à l'époque de Guérin de Bouscal, nous formons l'hypothèse que la confluence du sens guerrier et du genre masculin connotent un état de la langue antérieur.V. 559, 997Ressentiment1°) Fait de ressentir, sensation ou sentiment ; 2°) « Fait de ressentir un mal, un dommage. » ; 3°) « Reconnaissance, acte de reconnaissance. » ; 4°) « Sentiment, notion, idée. » ; 5°) « Souvenir. » (Huguet). Nous marquons le premier sens, qui n'est plus représenté dans Furetière ou dans la première édition du *Dictionnaire de l'Académie françoise* (1694) [349], apparemment hors d'usage. Notons qu'il est dans le Cotgrave (1611) : *A full tast, a true feeling, a sensible apprehension, of.* Au vers 98, il se superpose avec le sens qui nous est familier.V. 98, 1115Roses« Se dit figurément en choses morales, de ce qui est doux et agreable. … On dit pour bien louër une femme, qu'elle a un teint de lis et de *roses*; que sa bouche est une *rose* vermeille, un bouton de *rose*. » (Furetière). Voir l'entrée LYS.V. 222SaisonMoment opportun (Furetière, *Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).V. 271, 1282, 1554Saouler1°) Rassasier avec excès. 2°) Enivrer. « On dit fig. *Soûler ses yeux de sang, de carnage*, pour dire, Prendre plaisir à voir respandre le sang. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). « Se dit aussi de ce qui remplit les autres organes des sens, et même l'esprit. » (Furetière).V. 1436Saut« *Saut*, sign.quelquefois, *Chute. Tomber d'un troisiéme estage, c'est un terrible saut.* » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). « *Saut*. Chute. … *Prendre le saut*. Faire une chute, tomber. … *Recevoir un saut*. Se blesser en tombant. … *Faire le saut*. Être maltraité, tué. … *Faire le saut naturel*. Mourir. … *Donner le saut, un saut à*. Faire tomber, renverser. … Comme ils pensoient estre au sommet de leur grandeur, voila que vous leur donnez le saut et les precipitez en un abysme de misere. DU VAIR, *Medit. sur sept. Ps. de la Consolat., Ps. 72.* … Faire mourir, tuer. … Attaquer, tuer. » (Huguet).V. 850Semence(s)« Se dit figurément en Morale, de la cause des guerres, des dissentions, des procés. » (Furetière).V. 1192Soin(g)« Se dit aussi des soucis, des inquietudes qui émeuvent, qui troublent l'ame. Le mauvais état de sa fortune luy donne bien des *soins* et du chagrin. Vous luy parlez de s'aller divertir, il a des *soins* plus importans qui l'agitent. Les Prelats ont le *soin* des ames qui les inquiete. » (Furetière).V. 56SoucyÀ côté des sens toujours usuels, on note : « 3. a) fin XIV*e* s. « préoccupation, inquiétude amoureuse » … ; 1*re* moit. XV*e* s. ms. *estre en grant soussi de cuer* (*Froissart*, *Chron.*, I, éd. S. Luce, § 168, leçon ms. d'Amiens, t. 2, p. 368) ; b) av. 1577 « objet de préoccupation amoureuse » (*R. Belleau*, *Eglogues sacrées*, I ds *Œuvres*, éd. Ch. Marty-Laveaux, t. 2, p. 302: Avance toy, mon Cœur, et vien choisir ta place Pres de moy, mon *souci*) ; av. 1589 (*A. de Baïf*, *Églogues*, VII ds *Œuvres*, éd. Ch. Marty-Laveaux, t. 3, p. 41: Muses, mon cher *soucy*) ; » (TLFi, partie « Étymologie et Histoire » de l'article « souci »). Présent dans le Godefroy, qui donne la même citation de Rémy Belleau, l'emploi amoureux disparaît dans les dictionnaires du XVII*e* siècle (Cotgrave, Furetière, *Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).V. 239, 247, 1153, 1182, 1500Soudain queOn ne trouve guère cette locution conjonctive que dans Godefroy, dans le Dictionnaire du Moyen Français (ATILF) ou dans Huguet (« *Soudain que.* Aussitôt que. ») ; elle est manifestement vieillie à l'époque de notre auteur. Les exemples donnés se trouvent chez Rabelais et Etienne Dolet (1509-1546).V. 655, 911Succez« Reüssite, issuë d'une affaire. Il se dit en bonne et en mauvaise part. » (Furetière).V. 393, 523Superbe« Vain, orgueilleux, qui a de la presomption, une trop bonne opinion de luy-même. » (Furetière).V. 1091Sus« Formule d'exhortation ou d'excitation » (TLFi), au moment de l'attaque (v. 257, 373), du suicide (v. 735, 825) et peut-être, dans le cas du vers 257, de l'attaque comme suicide. Pierre Gassendi, résumant la doctrine d'Épicure, donne une belle illustration du moment du suicide : « Quoiqu'il y ait plusieurs cas qui pourraient nous faire renoncer à la vie et nous engager à ne pas attendre qu'un cas fortuit vienne nous en enlever la liberté, nous ne devons rien entreprendre à ce sujet sans méditation, sans calme et surtout sans opportunité. *Mais, lorsque le moment tant désiré sera arrivé, oh ! alors, plus d'hésitation* ! Celui qui veut faire ce grand pas ne doit pas douter de trouver son salut au milieu même des situations les plus difficiles, pourvu toujours qu'il ne se hâte pas trop et qu'il sache s'y prendre à temps. » [350] L'exclamation est alors amenée par une interjection marquant le paroxysme, doublée d'un commandement, et qui est l'équivalent même de « sus » dans notre pièce. Ici, la formule est toujours renforcée par « donc ». D'après le TLFi, elle est obtenue par ellipse de l'expression « courir sus à ». [351] Or Vaugelas a écrit une remarque sur « courir sus », témoignant que : « Cette façon de parler soit dans le propre, ou dans le figuré estoit fort élégante du temps de M. Coe ffeteau qui en use souvent, mais aujourd'huy *elle commence à vieillir*. Nous avons pourtant quelques uns de nos Autheurs modernes, et des meilleurs qui s'en servent encore. » (Vaugelas, *Remarques sur la langue françoise*, Camusat et Le Petit, 1647, p. 434 ; nous soulignons).V. 257, 373, 735, 825Tempérament« 1°) Mélange. … 2°) Composition. … 3°) Assaisonnement. … 4°) Règle. — C'est l'unique sagesse Qui de tous autres biens est le temperament, La fontaine, l'outil, la guide et l'ornement. DU BARTAS, 2*e* *Sem., Magnificence*, p. 371. 5°) Modération, juste mesure. — Platon fut le medecin qui guerit le malade par contraires excessifs: et Aristote le conservateur de la santé, ja recouverte par l'ayde de Platon, avec l'usage du temperament et regime moderé. TYARD, tr. Hebrieu, *Dial.* III, p. 319. 6°) Qualité de ce qui est tempéré. » (Huguet).« 1°) Complexion, habitude ordinaire du corps de l'homme, sa constitution naturelle, la disposition de ses humeurs. Il y a des gens d'un *temperament* robuste et violent, qui sont bons pour la guerre; d'autres d'un *temperament* doux et delicat, qui sont propres pour l'Eglise. En Medecine on appelle aussi *temperament*, le meslange et l'harmonie des quatre simples qualités elementaires. … 2°) Se dit aussi figurément en choses morales, d'un adoucissement, d'une voye mitoyenne qu'on trouve dans les affaires pour accorder des parties. … 3°) En termes de Musique, se dit de l'alteration que l'on fait des intervalles, tant à l'égard des consonances que des dissonances, pour les rendre plus justes sur certains instruments. » (Furetière).Le TLFi donne le sens vieilli de « Mesure dans la conduite; *p. méton.*, solution mesurée apportée pour régler un différend. », qui correspond à Huguet 5°) et Furetière 2°), Huguet 5°) convenant au sens général et Furetière 2°) au métonymique. Ainsi préférera-t-on le Huguet pour expliquer le vers 1127 : on retiendra les sens 4°) de *règle* (absent du Furetière et du TLFi) et 5°) de *mesure dans la conduite, de modération*.V. 1127Tempeste« Se dit figurément en choses morales, des troubles, des persecutions qui se font ou contre le general, ou contre le particulier. Voilà une grosse armée qu'on leve, on ne sçait où viendra fondre la *tempeste*; il sera difficile de conjurer cette *tempeste*. Il s'est élevé une grande *tempeste* contre cet Auteur. Il s'est mis dans un Couvent à l'abri de la *tempeste*. » (Furetière).V. 1495TonnerrePar métonymie, le tonnerre, manifestation sonore de la foudre, désigne la foudre elle-même, dans un sens usuel au XVII*e* siècle (Furetière, *Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694), aujourd'hui vieilli (TLFi).V. 406, 879, 1059, 1244Transport« Se dit aussi figurément en choses morales, du trouble ou de l'agitation de l'ame par la violence des passions. » (Furetière).V. 1129, 1603TravauxÉpreuves. « Se dit au plurier des actions, de la vie d'une personne, et particulierement des gens heroïques » (Furetière).TraverserFaire obstacle, entraver, empêcher (Furetière, *Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).V. 269, 1459Trébucher« Faire un faux pas, tomber en faisant un faux pas. *Il ne faisoit pas un pas sans trebucher. une pierre le fit trebucher.* / Il signifie aussi quelquefois simplement Tomber. *Le pont fondit sous leurs pieds, et ils trebucherent dans la riviere.* En ce sens on dit fig. *Trebucher du faiste des grandeurs.* » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).V. 1426Trespas(ser)« TREPASSER. v.n. … n'a guere d'usage dans le discours ordinaire. » « TREPAS. s.m. La mort naturelle de l'homme. … En poësie il se prend pour quelque mort que ce soit. Ainsi on dit poëtiquement, *Les horreurs du trépas. affronter le trépas. mépriser le trépas. un trépas glorieux.* » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). « Mort, passage de cette vie à une autre. Il ne se dit que de l'homme. Il est allé de vie à *trepas*. … Ce mot est plus en usage chez les Poëtes, que chez les Orateurs, à cause du beau son et de la rime à *appas*, et *combats*, avec lesquels ils le joignent souvent. » (Furetière).Pièce, v. 195, 199, 203, 213, 458, 626, 709, 722, 730, 825, 861, 865, 972, 1001, 1190, 1381, 1424, 1454, 1509 ; stancesTriomphe« Ceremonie ou solemnité qu'on pratiquoit autrefois à Rome pour faire honneur à un victorieux, en luy faisant une entrée magnifique. Le Senat decernoit les honneurs du *triomphe* à ceux qui avoient conquis une Province, ou gagné quelque grande bataille. On menoit les Rois en *triomphe*, leurs dépouilles étoient étalées en *triomphe*, suivoient le char de *triomphe*. » (Furetière). Y a-t-il substantivation de l'adjectif verbal au vers 1574 ? On ne trouve guère le substantif « triomphant » que dans le *Dictionnaire du Moyen Français* ou dans le Godefroy, qui le mentionne comme « ancien ». Néanmoins, à côté de Jean de Bueil (1406-1477), Godefroy cite *Les Tragiques* d'Agrippa d'Aubigné (1552-1630), œuvre tardive et relativement proche dans le temps de Guérin de Bouscal. Qu'il y ait ici une tendance archaïsante ou non, « triomphant » a été préféré au nom « triomphateur », dont l'usage n'est aucunement problématique. La nuance est fine. Entre « triomphateurs » et « triomphans », l'on peut voir un déplacement de point de vue, de l'agent (suffixe -(at) eur) vers l'action.V. 290, 1574VertuL'article du TLFi recoupe (et ce, dans une forme plus rigoureuse) les principaux sens du Furetière et du *Dictionnaire de l'Académie françoise* (première édition, 1694). On peut donc repartir de sa structure : « *Vieilli*. Courage physique ou moral; force d'âme, vaillance. *Mâle vertu; vertu romaine*. »Prologue, v. 168 ; pièce, v. 40, 248, 250, 297, 432, 470, 890, 1222, 1325, 1519« *Absol*. Avec l'art. déf. Disposition habituelle, comportement permanent, force avec laquelle l'individu se porte volontairement vers le bien, vers son devoir, se conforme à un idéal moral, religieux, en dépit des obstacles qu'il rencontre. *Amour, triomphe de la vertu; aimer, appeler, pratiquer la vertu; croître, grandir en vertu; le vice et la vertu*. »Prologue, v. 150, v. 168 ; pièce, v. 432, 1222, 1325, 1519, 1666.« Exercice de la vertu; la vertu telle qu'elle apparaît dans son expression, sa réalisation. *Vertu angélique, austère; paré de toutes les vertus*. »α − « *Vertu* + adj. ou déterm. indiquant le domaine, l'espèce d'actes auxquels elle s'applique. *Vertus chrétiennes, civiles, privées, morales, sociales. Vertus cardinales*. … *Vertus théologales*⁎. »β− « *En partic., vieilli* ou *plais.* À propos d'une femme Retenue, chasteté; fidélité conjugale. … *La chasteté, pour la femme, est synonyme de vertu, comme pour l'homme la justice et le courage, car le milieu de l'homme est la cité, le milieu de la femme est la famille* (Ménard, *Rêv. païen*, 1876, p. 113). »Pièce, v. 173, 1519 ; stances.4. « *P. ext.* Qualité morale. *Vertus civiques, domestiques, militaires. »*Prologue, v. 54, 103, 168 ; pièce v. 219, 236, 890, 1100 ; stances.« *Vieilli* ou *littér.* Propriété d'un corps, de quelque chose à quoi on attribue des effets positifs. *Vertus d'une plante; remède sans vertu; avoir des vertus; connaître la/les vertu(s) de.* »« Domaine *abstr*. Pouvoir, propriété. *Vertu d'un dialogue*. »La différence notable tient au fait qu'au XVII*e* siècle les sens vieillis ne l'étaient pas.Ce mot est difficile. En effet, il n'est pas rare qu'une de ses occurrences revête plus d'un sens décrit plus haut. Et pour cause, la *virtus*, originellement force physique, virile, puis courage moral, a été tirée du côté d'une droiture toute stoïcienne. Ainsi les sens A. 1. et A. 2. tendent-ils souvent à se confondre. Lorsque, selon Dion Cassius, Brutus invoque au moment de mourir la Vertu comme victime de la Fortune, [352] cette vertu relève du sens A. 2 ; mais, dans notre pièce, même lorsqu'elle est liée à la fortune, au destin ou aux dieux, la vertu est souvent rapprochée du courage (v. 432, 1222, 1325) ou même de la qualité morale de l'individu (prologue, v. 168). Ainsi les allusions à cette fin de Brutus ne déterminent pas strictement le sens du mot. Du côté féminin, la vertu a longtemps été considérée sous son rapport avec à la chasteté et la fidélité : ainsi Porcie, l'épouse inconditionnelle de Brute, peut-elle réunir trois sens au vers 1519 (A. 1., 2. et 3. β). Quant au sens A. 4., il dérive de ceux qui le précèdent et peut donc s'accompagner de connotations. Cette complexité est la raison pour laquelle, bien que nous ayons de manière générale ciblé le sens qui s'impose, nous avons parfois choisi de ne pas décider, ou plus exactement de proposer un choix multiple. C'est également la raison pour laquelle nous avons pris le parti de marquer toutes les occurrences : ainsi le lecteur aura la possibilité de revenir sur le choix, mais surtout sera amené à se rappeler l'arrière-plan que peut cacher un sens jugé évident.Visage« On dit aussi, tourner *visage*, pour dire, s'enfuir, ou retourner au combat, ou même changer de party. » (Furetière). « On dit, *Tourner visage aux ennemis*, pour dire, *Se tourner vers les ennemis pour les combattre*. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694).V. 699 # L'archaïsme dans La Mort de Brute et de Porcie : annexe au lexique. Guérin de Bouscal est un auteur peu connu du début du XVII*e* siècle, originaire du Languedoc. Selon les recherches de M. Caldicott pour son décès et les nôtres pour son baptême, notre auteur serait né en janvier 1617 et décédé le 31 décembre 1675 à Réalmont, actuellement dans le Tarn. Issu d'une famille de notaires protestants, il a été lieutenant de Réalmont et conseiller du roi. Ce qui focalise l'attention de l'histoire littéraire, ce sont ses liens avec Molière, qui était lui aussi dans le Languedoc dans les années 1650 et dont la troupe a joué *Le Gouvernement de Sancho Pansa*, comédie de Guérin de Bouscal sur le thème du Don Quichotte. [353] L'œuvre qui nous intéresse est une tragédie publiée pour la première fois en 1637, intitulée *La Mort de Brute et de Porcie*, seconde pièce et première tragédie d'un auteur qui a vingt ans environ et qui se place du côté des réguliers. C'est le sens de son prologue qui, outre la louange au roi, et surtout à son ministre Richelieu, protecteur des arts, permet à Guérin de Bouscal de se situer dans le champ littéraire : il fait ainsi allusion à des tragédies de Rotrou, Mairet, Benserade, La Calprenède et Scudéry. Le sujet de la pièce est la bataille de Philippes de 42 av. J.-C., opposant les derniers défenseurs de la République romaine (Brutus et Cassius) aux partisans de César assassiné (Octave et Marc Antoine). En préparant l'édition critique de cette pièce, nous avons constaté la récurrence d'un phénomène : l'apparition problématique d'emplois et de mots dont l'usage est non seulement discuté, mais tend à disparaître ou a déjà disparu. C'est la question de ces mots vieillis ou vieux, autrement dit de l'archaïsme, à un moment où la langue s'engage dans le processus normatif du classicisme : 1637, c'est le moment de la Querelle du *Cid*, arbitrée par l'autorité nouvelle de l'Académie ; Claude Favre de Vaugelas collabore alors à la rédaction du *Dictionnaire* et ses *Remarques sur la langue françoise : utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire*, publiées en 1647, auront le retentissement que l'on sait. ## Étude et analyse du phénomène archaïque. Pour commencer, il convient de donner une idée du relevé que nous avons établi sur cette question de l'archaïsme. Nous avons ainsi retenu 44 mots, correspondant à 81 occurrences. L'édition de 1637 comporte un prologue (170 vers), la tragédie à proprement parler (1670 vers) et cinq poèmes (88 vers), soit un ensemble textuel étudié de 1928 vers. Pour avoir une idée concrète, on considérera qu'on croise en moyenne un emploi archaïque ou archaïsant tous les vingt-quatre vers. Avoir une idée de la langue de 1637 n'est pas évident : il faut voyager dans le temps, en avant, avec notamment les dictionnaires de Richelet (1680), de Furetière (1690) et de l'Académie (1694), et en arrière, avec en particulier Estienne (1549), Nicot (1606), Cotgrave (1611) et le *Dictionnaire de la langue française du seizième siècle* d'Edmond Huguet. Pour affiner la recherche, on aura confronté le texte aux *Remarques* de Vaugelas, qui ont valeur de témoignage (contemporain), et, pour sa rigueur plus scientifique, au *Trésor de la Langue Française* (et notamment à la rubrique « Étymologie et Histoire » de ses articles). Notre approche est de dimension lexicale, les faits syntaxiques ne formant pas un tout significatif. Une bonne façon de donner une vue d'ensemble est de dresser une typologie. Nous entrerons dans le détail des mots et de la justification de leur caractère archaïque au fil de l'analyse. * – Le premier type d'archaïsme tient à **la forme du mot**, qui n'est plus employée : *à l'heure* et *dés l'heure* pour *alors* et *dés lors* ; *pesle et mesle* pour *pesle(-) mesle* ; *un chacun* pour *chacun* ; *eschet* pour *eschec* ; *faire service* pour *rendre service* ; le substantif *triomphant* pour *triomphateur*. [354] * – Le second type tient à l'évolution de **la nature du mot** : conjonction réduite à l'emploi adverbial (*soudain que* oublié au profit de *soudain*), prépositions réduites à l'emploi adverbial (*auparavant, dessus*/*dessous*/*dedans*), préposition réduite à un emploi nominal (*encontre*). [355] * – Le troisième type tient à **la modification du genre** : au masculin : *affaire, discord/t, estude, rencontre* ; au féminin : *doute*. [356] * – Le quatrième type regroupe **les mots dont l'emploi que fait Guérin de Bouscal n'est plus usité mais qui subsistent en d'autres sens** : *adresser* signifiant « diriger », *appareil* « machine », *arresté* « calme », *avancer* « devancer », le substantif *contraire* « opposition, hostilité », *depiter* « braver », *espris* « enflammé » (au sens propre), *estomach* « poitrine », *ore* « tantôt », *pointe* « aile d'une armée », *projeter* « arrêter, décider », *prouësse* « bravoure, action de valeur et de hardiesse », *ressentiment* « fait de ressentir, sensation ou sentiment », *saut* « mort », *soucy* « préoccupation amoureuse, personne aimée », *soudre* « délier, libérer », *temperament* « règle ; mesure dans la conduite, modération ». [357] * – Enfin, nous mettons dans le dernier type les éléments restants, difficiles à classer, qui sont des **expressions inusitées, des mots perdus, vieux** : *çà bas* « ici bas », *deschasser* « chasser, expulser, bannir », *devers* « vers », *és* (dans l'expression *tomber* *és mains de l'ennemi* « entre les mains de l'ennemi »), *gesir* « être couché ; consister ; dépendre de », *intermis* « interrompu », *recevoir à merci* « faire grâce », *avoir sa raison de* « se venger », *servage* « esclavage, servitude », *sus* (formule d'exhortation dérivée de l'expression *courir sus à*). [358] Nous avons pris soin de ne pas mettre au nombre des archaïsmes, pour épurer nos chiffres, les mots anciens qui ont subsisté sous la forme d'un emploi poétique par lequel ils ont connu une importante postérité (*nef*, le substantif *penser, trespas* et *trespasser* ; quatre mots pour vingt-deux occurrences). Ils constituent ainsi une catégorie à part. Néanmoins, ces mots sont marqués du sceau de l'ancienneté. Leur présence va dans le sens du constat développé ici. ## *La Mort de Brute et de Porcie* au sein des débats. Notre pièce n'aurait certes pas plu à Vaugelas (1585-1650) et, par suite, à l'Académie. Cela dit, Antoine Furetière (1619-1688), homme de la génération de Guérin de Bouscal (1617-1675), eût sans doute été d'un avis plus nuancé. Le paradoxe est que l'aîné est généralement celui qui condamne, là où ses cadets opposent une résistance. C'est ce que nous allons tenter de montrer par l'étude de quelques cas. Certaines entrées mettent tout le monde d'accord : prenons les cas de *discord* et d'*heure*. DISCORD (prologue, v. 91 ; pièce, v. 1662) : « Desunion, dispute, querelle. **Il est vieux et hors d'usage.** » (Furetière ; nous soulignons). « DISCORD. s.m. Discorde. Il n'a d'usage qu'en vers, et ne se met guére qu'au pluriel. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). « *Discord* pour *discorde*, ne vaut rien en prose, mais il est bon en vers Exemple pris chez Malherbe. Les autres Poëtes en ont aussi usé et devant et apres luy. **C'est un de ces mots, que l'on employe en vers et non pas en prose, dont le nombre n'est pas grand.** … Quoy qu'il en soit, on ne s'en sert en prose que tres-rarement, y ayant quelque lieu, où peut-estre il pourrait trouver sa place. » (Vaugelas, *Remarques sur la langue françoise*, Camusat et Le Petit, 1647, p. 496-457 [359] ; nous soulignons). On trouve l'orthographe « discort », apparemment elle-même archaïsante, dans le Godefroy. [360] Le jugement de Furetière est fort et ne mentionne même pas l'emploi poétique dont parlent Vaugelas et l'Académie. Ainsi, sur le fond (*discord* est hors d'usage), les avis se recoupent. Si emploi poétique il y a, l'exemple montre qu'un mot peut entrer dans différentes catégories : car toute typologie contient sa part d'arbitraire pour proposer un classement et présente un ensemble de catégories qui ne sont pas hermétiques. Ainsi *discord/t* se situe entre l'archaïsme par le genre et l'archaïsme qui correspond au mot limité à l'emploi poétique. HEURE (v. 335, 579)  : *Dés l'heure* : alors, dès lors. *À l'heure* : à cette heure, maintenant, à cet instant, alors. Vaugelas note que la façon de parler qui fait dire *à l'heure* pour *alors* est au rang de celles qui « ne valent rien » et même, qu'elle est « bien basse » (*op. cit.*, p. 228). On peut penser que son avis est le même concernant *dés l'heure* pour *dés lors*. Si l'on regarde dans le Furetière et le *Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694, on ne trouvera nulle part *à l'heure* pour *alors*. Et l'on ne trouvera qu'une seule occurrence de *dés l'heure* pour *dés lors* (incidemment, dans l'article « pasmer » de Furetière, qui cite *Les Visionnaires* de Jean Desmarets de Saint-Sorlin (1595-1676), comédie publiée en 1637). Là encore, il y a accord, comme pour *servage*, considéré comme « vieux » ou « vieilli » par Furetière et l'Académie. Mais une autre façon de détecter le consensus sur l'archaïsme tient dans le silence des dictionnaires. Ainsi le cas singulier du mot *appareil*, employé une fois dans notre pièce en ce sens particulier : APPAREIL (v. 1634) : « Objet préparé pour une destination spéciale, réunion, agencement d'ustensiles, de choses se combinant entre elles placées, disposées, mises en certain ordre dans un but auquel elles doivent concourir ensemble » (Godefroy). Godefroy donne l'exemple suivant : « Quant li vilains se fud disné, / As chans revait son labor faire; / Mais donc out mult dol e contraire / Quant ne trova ses *apareilz*. (BEN., *D. de Norm.*, II, 7195, Michel.) » Le TLFi cite cet exemple de Godefroy pour illustrer ce sens puis écrit : « repris début XIX*e* s. 1805 (*Lunier*, *Dict. des sc. et des arts* : **Appareil**, en physique, est une collection de machines ou instruments nécessaires pour faire une suite d'expériences sur une matière déterminée) » (article « appareil », partie « Étymologie et Histoire »). Ainsi, le sens qui nous est peut-être le plus familier, celui de « machine », semble disparaître aux XVII*e* et XVIII*e* siècles avant de renaître de ses cendres au XIX*e* siècle : absent de Huguet, Estienne, Nicot, Cotgrave, Furetière et du *Dictionnaire de Trévoux*, il n'apparaît dans le dictionnaire de l'Académie qu'à partir de la sixième édition (1835). De même, avec le verbe *deschasser*, absent de Furetière et du *Dictionnaire de l'Académie françoise* (première édition, 1694) : DESCHASSER (v. 1550) : Chasser, expulser, bannir. En ce sens vieilli, on trouve le mot dans Godefroy, La Curne, Huguet, Estienne, Nicot, Cotgrave et Barré (1842). Ce dernier précise : « Il se trouve dans Montaigne et dans Rabelais. » N'étant plus employé, le mot disparaît purement et simplement. Mais, comme nous l'annoncions, ce qu'il y a de plus intéressant et de plus significatif dans l'étude des dictionnaires, ce sont les contradictions que l'on peut découvrir, oppositions d'un dictionnaire à l'autre. DESSUS, DESSOUS, DEDANS (prologue, v. 83 ; pièce, v. 5, 83, 148, 474, 502, 572, 740, 868, 906, 943, 947, 985, 1026, 1053, 1199, 1252, 1482, 1564, 1579, 1617, 1643 ; stances, v. 14) : Vaugelas condamne l'emploi, qu'il constate courant, et en prose et en vers, de prépositions composées (*dessus, dessous, dedans, dehors*) à la place des simples correspondantes (*sur, sous, dans, hors*). « Je dis que ce n'est pas escrire purement, que d'en user ainsi, et qu'il faut toujours dire, *sur la table, sous la table, dans la maison*, et *hors la ville*, ou *hors de la ville;* car tous deux sont bons, et non pas *dessus la table, dessous la table, etc.***On le permet pourtant aux Poëtes, pour la commodité des vers, où une syllabe de plus ou de moins est de grand service;** Mais en prose, tous ceux qui ont quelque soin de la pureté du langage, ne diront jamais, *dessus une table*, ny *dessous une table;* non plus que *dedans la maison*, ou *dehors la maison.* Il semble que ces composés soient plustost adverbes que prepositions; car leur grand usage est à la fin des periodes, sans rien regir aprés eux, puis qu'ils terminent la période et le sens » [361]. Vaugelas donne trois exceptions bien précises (qui ne concernent pas les emplois ici notés) avant de conclure : « Ces cas exceptez, il ne faut jamais employer ces composez, que comme adverbes, et se faut servir des autres, comme de prepositions. » (*op. cit.*, p. 124-126). Richelet et le *Dictionnaire de l'Académie françoise* (première édition, 1694) suivent strictement Vaugelas [362] ; Furetière, lui, ne semble pas en tenir compte (voir notamment les articles « dessus » et « dessous »). Remarquons que l'emploi des formes composées est ici exclusivement prépositionnel. Certes, les formes simples sont 6, 5 [363] fois plus employées, mais les 23 occurrences de composées sont un fait significatif qui nous semble témoigner qu'il s'agit là d'une affaire d'usage de l'auteur ou de style plus que de syllabe. AUPARAVANT DE (v. 1460) : « L'emploi de l'adv. *auparavant* comme prép., synon. de *avant* fréq. dans l'anc. lang. a été condamné par Vaugelas. Toutefois quelques ex. apparaissent encore dans l'usage vieilli, dial. ou arg. » (TLFi). Vaugelas, dans la remarque correspondante, décrit l'usage prépositionnel qu'il condamne comme étant « d'ordinaire avec les pronoms personnels » ; il ne donne pas d'exemple de la locution prépositive *auparavant de* suivie de l'infinitif, mais il ne faut pas douter qu'il eût également mis sur ce point notre auteur au rang de « ceux qui n'ont nul soin de la pureté du langage » (Vaugelas, *op. cit.*, p. 475). Le *Dictionnaire de l'Académie françoise* (première édition, 1694) n'indique que l'emploi adverbial, là où Furetière ne tient pas compte de la remarque de Vaugelas. Furetière donne même un exemple d'emploi prépositionnel devant un nom (« Vous demandez cela *auparavant* le temps. »), alors que Vaugelas notait : « devant les noms, je n'ai jamais remarqué qu'ils le facent ». Le conflit peut se faire âpre. La résistance de Furetière s'illustre alors jusque dans la raillerie, qui vise un public au sein duquel peuvent figurer aussi bien les adeptes du mouvement précieux [364] que Vaugelas lui-même : PROUËSSE (v. 1072) : Vaugelas n'est pas tendre : « Ce mot est vieux, et n'entre plus dans le beau stile, qu'en raillerie » (*op. cit.*, p. 403). Bien entendu, l'Académie ne s'écarte pas de cette ligne : « PROÜESSE. s.f. Action de valeur. En ce sens il n'a guere d'usage. / Il se dit fig. et en plaisanterie des Excés qui se font en certaines choses. » Furetière, lui, ne partage pas ce point de vue (nous soulignons) : « PROUESSE : Bravoure, action de valeur et de hardiesse. On a vanté de tout temps la *proüesse* d'Alexandre. Les Romans racontent mille *proüesses* de leurs Chevaliers errants. **Les delicats du temps ne veulent plus qu'on use de ce mot, et disent qu'il est vieux.** Il vient du Latin *probitas*. » À ce point de l'analyse, nous pouvons faire un constat tout à fait étonnant en partant de Vaugelas. Il est deux unités lexicales présentes dans notre pièce que ce dernier rapproche de l'idée de nouveauté : *alors que* et *comme quoy*. ALORS QUE (v. 141, 356, 1013) : « *Alors* ne reçoit jamais la conjonction *que*, apres luy, il ne veut dire qu'*en ce temps-là, en ce cas là* … Il est bien necessaire d'en faire une remarque, à cause de **l'abus qui commence à se glisser**, [365] mesmes parmy quelques-uns de nos meilleurs Escrivains en prose, par l'exemple des Poëtes; Car il est certain qu'ils ont les premiers introduit cette erreur, pour faire la mesure de leurs vers, quand ils ont eu besoin d'une syllabe ». Vaugelas donne l'exemple de Malherbe. « Mais quand ils ont une syllabe de trop, ils sont bien aises de dire *lors que*, se servant presque aussi souvent de l'un que de l'autre selon les occasions. … il est extremement rare d'oüir dire, *alors que*. … Jamais nos bons Escrivains en prose n'ont fait cette faute. **Si donc on le veut escrire, que ce ne soit jamais en prose, et qu'en vers il passe tousjours pour une licence Poëtique.** » (Vaugelas, *op. cit.*, p. 227-228 ; nous soulignons). Nous remarquons que dans notre pièce *alors que* ne compte que trois occurrences là où la conjonction *lors que* en compte neuf. COMME QUOY (v. 889) : « On le joint quelquefois avec *quoy*, et l'on dit. *Comme quoy avez-vous fait cela ? comme quoy avez-vous abandonné cette affaire* ? pour dire, **Comment** avez-vous fait cela ? pourquoy avez-vous abandonné cette affaire ? » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). Dans le français contemporain, la tournure subsiste mais est familière (TLFi, article « quoi »). « … *comme quoy*, est **un terme nouveau, qui n'a cours que depuis peu d'années**, [366] mais qui est tellement usité, qu'on l'a à tous propos dans la bouche. Apres cela, on ne peut pas blasmer ceux qui l'escrivent, mesme à l'exemple d'un des plus excellens et des plus celebres Escrivains de France … Mais pour moy, j'aimerois mieux dire, *comment*, selon cette reigle generale, qu'*un mot ancien, qui est encore dans la vigueur de l'Usage est incomparablement meilleur à escrire, qu'un tout nouveau, qui signifie la mesme chose*. Ces mots qui sont de l'usage ancien et moderne tout ensemble, sont beaucoup plus nobles et plus graves, que ceux de la nouvelle marque. Quand je parle des mots, j'entens aussi parler des phrases. Ce n'est pas que je ne me voulusse servir de *comme quoy*, qui a souvent bonne grace, mais ce ne seroit gueres que dans un stile familier. » (Vaugelas, *op. cit.*, p. 333-334 ; nous soulignons en caractères gras). Cinquante ans plus tard, l'Académie observe : « Il est aisé de juger que *comme quoy*, qui estoit un mot nouveau que M. de Vaugelas a veu naistre, n'avoit pas esté generalement receu, puisqu'**il a si-tost vieilli**. On ne s'en sert plus presentement. » (*Observations de l'Académie françoise sur les Remarques de M. de Vaugelas*, Coignard, 1704, p. 322 ; nous soulignons en caractères gras). Cette observation, dans sa lecture rétrospective, détourne le propos de Vaugelas qui disait qu'« on l'a à tous propos dans la bouche », ce qui revient à dire qu'il était « generalement receu ». Par ailleurs, le propos de l'Académie n'explique pas l'usage que nous connaissons et qui subsiste bel et bien dans notre langue. Ha cette flatterie est un peu trop visible ! Chacun sçait **comme quoy**⁎**** vous avez combatu; Mais un cœur genereux doit cacher sa vertu. (Octave s'adressant à Marc Antoine, IV, 1, v. 888-890) Ainsi la nouveauté en question, comme le montre bien le recours au TLFi, correspond plutôt à un mot ancien qui a réussi et dont on refuse l'usage à un moment donné, sans qu'on puisse dire en droit qu'il n'est plus employé. [367] Car il est beaucoup plus aisé, quand on prône l'hégémonie de l'usage, de réfuter la nouveauté que l'ancienneté : il est alors permis d'invoquer la « reigle generale » ici énoncée. Cette tendance, mise en évidence par la mauvaise foi de l'Académie, désireuse de suivre Vaugelas coûte que coûte, est à lier à la tension interne de la notion d'usage, qui contient en un mot deux idées distinctes : l'usage et le *bon* usage, ce qui se dit et ce qu'il faut dire. ## Rapprochements et âpreté baroque. Nous ne savons pas si Guérin de Bouscal s'est converti au catholicisme avant 1637. Quoiqu'il en soit, ses rapports cordiaux avec ses frères, tout au long de sa vie, ainsi que les autres arguments donnés par Caldicott [368], laissent penser qu'il a pu avoir un rapport privilégié avec un auteur comme Agrippa d'Aubigné (1552-1630), autre auteur protestant originaire du Sud-Ouest. Le premier rapprochement possible est l'utilisation du substantif *triomphant*, rare et inusité. TRIOMPHANT (v. 1574) : Y a-t-il substantivation de l'adjectif verbal au vers 1574 ? On ne trouve guère le substantif *triomphant* que dans le *Dictionnaire du Moyen Français* ou dans le Godefroy, qui le mentionne comme « ancien ». Néanmoins, à côté de Jean de Bueil (1406-1477), Godefroy cite *Les Tragiques* d'Agrippa d'Aubigné, œuvre tardive et relativement proche dans le temps de Guérin de Bouscal : **« L'ame du premier homme estoit ame vivante, / Celle des *triumphans* sera vivifiante. »** Qu'il y ait ici une tendance archaïsante ou non, « triomphant » a été préféré au nom « triomphateur », dont l'usage n'est aucunement problématique. La nuance est fine. Entre « triomphateurs » et « triomphans », l'on peut voir un déplacement de point de vue, de l'agent (suffixe -(at) eur) vers l'action. Allons revoir nos Dieux, nos femmes, nos enfans, Et changeons ces habits en ceux de **triomphans**⁎****. (Marc Antoine à Octave, V, 6, v. 1573-1574) DEPITER (v. 944) : « Mépriser, dédaigner, braver: … **Les Cireniens enragez, / Un jour en bataille rangez, / *Despitoient* le ciel et le foudre, / Voulans arracher le soleil.** (D'AUBIGNÉ, *Trag.*, Préf., Bibl. elz.) Cette signification se retrouve encore chez Régnier et chez Malherbe; aujourd'hui *depiter* ne s'emploie plus que pour signifier causer du dépit à quelqu'un, et au réflechi, concevoir du dépit » (Godefroy ; nous soulignons en caractères gras). « Braver, défier. … Maudire. — Oudart renioit et despitoit les nopces. RABELAIS, IV, 15. — Despite moy tous les cieux, Despite moy tous leurs dieux, Autheurs de ton mal extreme. JODELLE, *Cleopatre*, V (I, 150). — Je maudy le destin contre moy conjuré; Je despite ma vie à souffrir condamnee. DESPORTES, *Elegies*, I, 14. » (Huguet). Ce sens est présent dans Godefroy, Huguet et La Curne mais n'apparaît pas dans les dictionnaires des époques postérieures. Icy le pere void son fils **dessus**⁎**** la poudre, Et **dépite**⁎**** le Ciel pour attirer sa foudre. (un messager rapportant la défaite de troupes d'Octave, IV, 2, v. 943-944) ESTOMACH (v. 769) : 1°) estomac ; 2°) poitrine. « Se dit abusivement de la partie exterieure du corps, qu'on appelle autrement le *sein*, la *poitrine*, et qui est au dessus de la ceinture. Les pecheurs se frappent l'*estomac* en signe de penitence. Quand on se confesse, on se frappe trois fois l'*estomac*, en disant *mea culpa*. » (Furetière). « Poitrine. … — Et si pouvoit on voir la plus grande partie de son estomac deschiré et meurtry. AMYOT, *Antoine*, 83. … **Voila comment les armes receues par force et non cerchees ont esté tirees des estomacs offencez.** AUBIGNÉ, *Debvoir des roys et des subjects*, 5 (II, 59). … De cette signification du mot *estomac*, il résulte qu'on place souvent le cœur dans l'estomac. … — Elle... ouvrit à ce meurtrier l'estomach: et tout chaudement de ses mains, fouillant et arrachant son cœur, le jetta manger aux chiens. MONTAIGNE, III, 1 (III, 254). » (Huguet). Je ne sçaurois survivre à la liberté morte: Ouvre moy l'**estomach**⁎****, mais tu jettes ce fer Qui me devroit ouvrir la porte de l'Enfer (Cassie demandant la mort à son affranchi, III, 4, v. 768-770) Ce dernier exemple, qui contient une citation de la *Vie d'Antoine*, permet de glisser vers une autre figure : celle de Jacques Amyot (1513-1593), traducteur des *Vies parallèles* de Plutarque. En effet, le sujet, l'archaïsme dans notre pièce, implique un relevé qui lui-même mène au célèbre traducteur. AVANCER (v. 709) : Spécialement : « Devancer, prévenir. » (La Curne). Ce sens est également présent dans Huguet, qui cite pour l'illustrer quatre exemples tirés de la traduction d'Héliodore par Jacques Amyot, *L'Histoire æthiopique*. Et si vous desirez d'**avancer**⁎**** son trespas, Il faut partir bien-tost, et marcher à grands pas. (Titine rapportant à Brute la défaite de Cassie, III, 3, v. 709-710) RAISON (v. 818) : « *Avoir sa raison, avoir la raison.* Obtenir satisfaction. — Antonius fut contraint d'appeller devant les tribuns du peuple à Rome, alleguant, pour donner couleur à son appel, qu'**il ne pouvoit avoir sa raison en plaidant dedans la Grece contre les Grecs**. AMYOT, *César*, 4. / Tirer vengeance. — Celuy là qui s'est veu d'un mot injurieux Outrager mille fois par quelque audacieux. S'il n'en a sa raison, n'est ce pas une beste ? CORNU, p. 65. — Ce brave me pensoit si failli de courage De souffrir m'estre fait un si vilain outrage Et ne m'en ressentir, n'avoir point la raison D'une si detestable et lasche trahison. GARNIER, *Juifves*, 209. » (Huguet ; nous soulignons en caractères gras). Ailleurs, on ne trouve l'expression « avoir sa raison » que dans Godefroy et La Curne, qui citent le même exemple ancien. Elle est donc vraisemblablement vieillie. On trouve quelques occurrences de l'expression « avoir raison de » dans Furetière et dans les premières éditions du *Dictionnaire de l'Académie françoise*. Ha traistres ! si Cæsar n'est pas déraisonnable, Il punira sur vous ce meurtre abominable: Le bien qu'il doit tirer de vostre trahison Ne l'empeschera pas d'en **avoir sa raison**⁎****: (Titine, découvrant le corps sans vie de son maître, Cassie, III, 5, v. 815-818) [369] POINTE (v. 153) : « En termes de Guerre, se dit des corps les plus avancez, soit en la marche, soit en l'attaque. Ce Capitaine avoit la *pointe*, commandoit l'avant-garde. Il étoit à la *pointe* de l'aisle droite. » (Furetière). Dans un sens plus spécifique : «  **Aile d'une armée.** … — Ilz se meirent à deviser... touchant l'ordonnance de la bataille, là ou Brutus pria Cassius de luy laisser la conduitte de la poincte droitte. AMYOT, *Brutus*, 40. » (Huguet ; nous soulignons). Ailleurs, en ce sens d'« aile d'une armée », on ne trouve le mot que dans La Curne (entrée « poincte »). Les trois exemples donnés par les deux dictionnaires viennent de Jacques Amyot, que Guérin de Bouscal devait avoir sous les yeux pour écrire sa pièce. L'exemple tiré de la *Vie de Brutus* en est quasiment la preuve. [370] J'auray la **pointe**⁎**** droite, et ma Cavalerie Essuyera des traits la premiere furie, Massala la doit suivre avec un peloton, Qui sera soûtenu par celuy de Straton: (Brute rapportant son organisation pour la bataille, I, 4, v. 153-156) Le lien avec Jacques Amyot est d'autant plus évident quand on sait que Guérin de Bouscal a publié deux autres tragédies, l'une en 1640, *La Mort de Cléomènes, roy de Sparte*, l'autre en 1642, *La Mort d'Agis*. Or Plutarque a également écrit la *Vie* de chacun de ces deux rois de Sparte, qu'il a traités en même temps. *La Mort de Brute et de Porcie*, comme son titre l'annonce, fait une place particulière à la femme de Brutus, Porcia, qui est aussi fille de Caton d'Utique, l'exemple même du suicide stoïcien. Par ailleurs, le dramaturge fait de Brutus un stoïcien dont le suicide final est comparable, en ce qu'il est l'acte vertueux de celui qui refuse de survivre à sa raison de vivre : la liberté. [371] Le suicide de Porcia, avalant des charbons ardents dans une scène qui ressemble en tous points à la comparution de Mucius Scaevola jetant sa main au feu devant Porsenna, parachève l'idée que la pièce est tout entière consacrée au triomphe de la *virtus*. [372] La *virtus*, c'est cette force des anciens Romains, courage physique puis moral, énergie virile. C'est dans ce cadre que l'on doit considérer l'omniprésence de la violence, qui brille dans les récits de batailles ou de suicides. Or cette violence, déjà visible dans les exemples donnés pour rapprocher Guérin de Bouscal de Jacques Amyot et d'Agrippa d'Aubigné, ne peut trouver sa place dans une pensée faite de mots policés : c'est sans doute une bonne raison pour expliquer l'archaïsme, qui est alors au service d'une âpreté baroque, dans la revendication d'une langue qui refuse la castration précieuse et la tutelle du classicisme. Ainsi ce récit de bataille fait par un soldat rapportant la défaite des troupes d'Octave (IV, 2), récit dans lequel un certain nombre de mots relevés figurent : Tout meurt à mesme instant, on ne voit point d'espée Qui du sang des Romains ne paroisse trempée, Nos Soldats à genoux implorans les vainqueurs: Mais helas c'est en vain ! la rage est dans leurs cœurs;            930 Tel pour s'innocenter voudroit ouvrir la bouche, Qui sent ouvrir son cœur par le fer qui le touche; Et tel autre en fuyant tâche à prendre party, Qui void d'un coup mortel son dessein diverty: L'horreur seme par tout une froide fumée                    935 Qui glace le courage à nostre pauvre armée, Des longs gemissemens fendent l'air alentour, Le Soleil de regret voudroit haster son tour: Le sang coule par tout, on ne voit point de terre Qui ne porte en son front les marques de la guerre:                940 Icy deux vrais amis sur le poinct de leur mort, Pleurent en s'embrassant la rigueur de leur sort. Icy le pere void son fils **dessus**⁎**** la poudre, Et **dépite**⁎**** le Ciel pour attirer sa foudre. Icy par des regrets qui fendroient un rocher [373],                945 Un fils pleure la mort de ce qu'il eust plus cher. Icy **dedans**⁎**** le sang mille blessez se noyent, Implorans la faveur de tous ceux qui les voyent. Et bref il est par tout tant d'objets de terreur, Que je croy que l'Enfer en frissonna d'horreur;                950 Brute bien-tost apres fit cesser le carnage, Et **receust à mercy**⁎**** [374] les restes du naufrage. Que puis-je dire encor, sinon que le Soleil Ne vit jamais **çà bas**⁎**** [375] un desordre pareil ? Et que si les grands Dieux sont pour nostre justice,                955 Ils ont fort peu de force, ou beaucoup de malice. (un messager rapportant la défaite de troupes d'Octave, IV, 2) L'image du carnage est associée de manière récurrente à celle du « deluge de sang » (IV, 5, v. 1152) : Allons y donc, amis, et que toute la terre Tremble sous nos efforts comme sous le Tonnerre, Que le sang espanché fasse **soudre**⁎**** [376] un estang Pour noyer les poltrons qui fuiront de leur rang (Brute, V, 1, v. 1243-1246) Ou encore : Il Jupiter se sert quelquefois de nous et de nos armes Pour respandre du sang, et pour tarir des larmes: Mais s'il voit que nos bras ne sont pas assez forts, Soudain il a recours à de meilleurs efforts; Il inspire la peur dans la troupe ennemie, Qui bien-tost en fuyant se noircit d'infamie, Et sans sçavoir pourquoy craint si fort le trespas⁎, Que les plus fiers torrens [377] ne l'aresteroient pas. (Brute exhortant ses compagnons après la découverte du corps de Cassie, III, 6, v. 855-862) Enfin : Octave. Les manes de Cæsar se pourroient satisfaire Avec ce seul meurtrier qui vient de se defaire, Mais mon ressentiment desire plus de sang. Anthoine. Il est bien alteré [378] s'il en boit un estang Qui flotte impetueux là bas **dedans**⁎**** la plaine. (V, 6, v. 1575-1579) Ce dernier exemple reprend l'image problématique de l'étang, présente dans le premier exemple, en résolvant une difficulté. Certes, un « estang » est une étendue d'eau stagnante et circonscrite, mais cela n'exclut ni le débordement ni surtout le fait que son surgissement provoque un « deluge de sang » (v. 1152), image dynamique. En outre, l'impétuosité de l'étang est nommée comme telle aux vers 1578-1579 et les « torrens » du vers 862 en sont une variante. On peut également illustrer la violence de l'archaïsme par l'étude des dérivés de *contre*. ENCONTRE (v. 485) : « Contre. » (Huguet). En tant que préposition, le mot est aussi présent dans Cotgrave mais absent de Nicot, Furetière et du *Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694. CONTRAIRE (v. 1491) : Nous laissons de côté l'adjectif, dont l'emploi est resté relativement stable durant les siècles qui nous séparent de notre œuvre, pour nous intéresser au substantif, dont l'emploi a évolué et semble s'être affaibli pour se réduire à un sens logique (comme dans « dire le contraire »). C'est déjà le cas dans le Furetière. En outre, s'il en reste des traces dans un emploi de l'adjectif que le TLFi note usuel et littéraire, la dimension d'hostilité s'efface dans le substantif. Ceci, appuyé de définitions exhaustives [379], permet une mise au point sur la locution « au contraire ». On comprendra mieux la construction du vers 1491 et l'on ne sera dès lors plus tenté de voir une substantivation hardie ou une ellipse (« party » sous-entendu, par exemple). Et toy, ma chere main, si le cœur me deffaut, Le veux-tu pas percer pour punir son deffaut. Ouy quand tout l'univers s'armeroit au **contraire**⁎**** Il n'est pas assez fort pour m'en pouvoir distraire (Porcie, après la découverte du corps de Brute, V, 5, v. 1489-1492) RENCONTRE (v. 559, 997) : Ce substantif est exclusivement masculin dans notre pièce et renvoie au sens suivant : « Il signifie aussi, le choc de deux armées qui se fait ordinairement par hazard. *Il y eut une sanglante rencontre des deux avantgardes, qui engagea ensuite un combat general.* » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). Dans Huguet, ce sens se réduit à l'emploi masculin et recouvre la grande majorité des exemples alors donnés. Pour le TLFi, il est le plus ancien : « 1234 subst. masc. « action de combattre » (*Huon de Méry*, *Antéchrist*, 927 ds T.-L.), au masc., dans les différents sens, jusqu'au XVII*e* s. » (partie « Étymologie et Histoire » de l'article « rencontre »). Vaugelas préconise le féminin quel que soit le sens (*op. cit.*, p. 19). Si le genre masculin ne semble pas se réduire pas au sens guerrier à l'époque de Guérin de Bouscal, nous formons l'hypothèse que la confluence du sens guerrier et du genre masculin connotent un état de la langue antérieur. On n'entend rien que cris et que gemissemens, Vous diriez que le Ciel confond les Elemens: Les traits volans en l'air par un confus **rencontre**⁎**** Empeschent le Soleil de voir ce qu'il nous monstre (la compagne de Porcie décrivant un combat à sa maîtresse, II, 5, v. 557-560) Si bien qu'à balancer ce **rencontre**⁎ fatal, J'estime que le bien l'emporte sur le mal; J'ay de mes bataillons ensanglanté la terre, Et porté dans son camp le foudre de la guerre (Marc Antoine relatant sa victoire sur Cassie, IV, 2, v. 997-1000) Nous avons constaté et mesuré les traces d'archaïsme dans notre pièce, nous avons tenté de soumettre celle-ci aux débats contemporains sur l'usage pour finalement donner au fait un sens. Ce voyage dans le temps et les mots nous a fait trouver des influences et nous a montré Guérin de Bouscal comme un auteur de la violence impétueuse, flux de mots libérés de l'usage, d'une vigueur mâle et, malgré un projet classique, dégagée de la délicatesse du classicisme. C'est une esthétique baroque au service de la célébration des Anciens, des Romains et de la *virtus*. Outre l'ombre de César, « physiquement » présente dans le traitement du sujet par Shakespeare [380], le souvenir des ancêtres [381] mais aussi de Caton, de Pompée, et même de Cicéron, hante la pièce de Guérin de Bouscal. Au point que les vivants parlent malgré eux par la voix des morts illustres : **O temps ! ô meurs** ! ô Dieux peu reverés dans Rome ! O crisme d'un Démon bien plûtost que d'un homme ! (Marc Antoine, II, 1, v. 357-358) « *O tempora, o mores* » s'écriait Cicéron dans ses *Verrines* (II, IV, 25) ainsi qu'au début de ses *Catilinaires* (I, 1). Son mot est ainsi mis dans la bouche de Marc Antoine, celui qui avait fait exécuter et exposer la tête et les mains de l'auteur des virulentes *Philippiques*, un an plus tôt. Marc Antoine, en condamnant le crime du meurtrier Brutus, nous rappelle le sien. La victoire de Marc Antoine sera rendue acceptable par la clémence dont il fera preuve au cinquième acte en appelant à la fin des combats : car la clémence revient à se vaincre soi-même. [382]*La Mort de Brute et de Porcie* est ainsi une célébration des Anciens par la langue ancienne. # Bibliographie. ## Sources. ### Textes de Guérin de Bouscal. #### Édition originale de la pièce.La Mort de Brute et de Porcie, ou, La Vengeance de la mort de Cesar #### Ses autres tragédies.La Mort de Cleomenes, roy de Sparte La Mort d'Agis #### Éditions critiques existantes de ses œuvres.Dom Quixote de la Manche Dom Quichot de la Manche Le Gouvernement de Sanche Pansa Dom Quixote de la Manche ; Dom Quichot de la Manche, seconde partie Le Fils désadvoüé, ou le Jugement de Theodoric roy d'Italie ### Textes des XVI*e* et XVII*e* siècles. #### Tragédies.*Boyer*La Porcie romaine *Corneille*Cinna *Garnier*Les Tragédies de Robert Garnier *Racine*Œuvres complètes *de**Scudéry*La Mort de César [383] *Shakespeare*Jules CésarTitus Andronicus, Jules César, Antoine et Cléopâtre, Coriolan #### Textes théoriques.*Chapelain*Opuscules critiques *Mairet*La Silvanire ou la Morte-vive *Rapin*Les Réflexions sur la poétique de ce temps et sur les ouvrages des poètes anciens et modernes ### Textes antiques. #### La Bataille de Philippes.*Appien*Histoire des guerres civiles de la république romaine *Dion Cassius*Histoire romaine *Plutarque*Vies parallèles *Valère Maxime*Actions et paroles mémorables *Velleius Paterculus*Histoire romaine #### Sources historiques complémentaires.*Aurelius Victor*Origine du peuple romain ; Hommes illustres de la ville de Rome ; Histoire des Césars ; Vie des empereurs romains *Cicéron*Œuvres complètes de Cicéron *Quintilien*Institution oratoire #### Références indispensables.*Aristote*Poétique *Homère*Iliade – Odyssée *Sénèque*De clementia *Virgile*Énéide ## Instruments de travail. ### Dictionnaires, remarques et encyclopédies. #### Dictionnaires de langue (classés chronologiquement selon leur objet).*Godefroy*Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle *de) La Curne de Sainte-Palaye*Dictionnaire historique de l'ancien langage français ou Glossaire de la langue françoise depuis son origine jusqu'au siècle de Louis XIV Dictionnaire du Moyen Françaishttp://www.atilf.fr/dmf *Huguet*Dictionnaire de la langue française du seizième siècle *Estienne*Dictionaire Francoislatin *Nicot*Thrésor de la langue françoyse, tant ancienne que moderne *Cotgrave*A Dictionarie of the french and english tongues *Richelet*Dictionnaire françois *Furetière*Dictionaire Universel Le Dictionnaire de l'Académie françoise dedié au Roy*ère* Nouveau Dictionnaire de l'Académie françoise*ère* Dictionnaire de Trévoux*ère* Dictionnaire de l'Académie françoise*e**ère* *Gattel*Dictionnaire universel de la langue française*e* Dictionnaire de l'Académie française*ère* *Barré*Complément du Dictionnaire de l'Académie française*ère* *Institut National de la Langue Française / Unité de Recherche Linguistique / Imbs Paul*Trésor de la langue françaiseTrésor de la langue française informatiséhttp://atilf.atilf.fr/ #### Remarques.*Favre de Vaugelas*Remarques sur la langue françoise Observations de l'Académie françoise sur les Remarques de M. de Vaugelas #### Dictionnaires thématiques et encyclopédies.*Corneille*Le Dictionnaire des Arts et des Sciences *Diderot**D'Alembert*Encyclopédie *Mongez**Mongez*Encyclopédie méthodique, ou Recueil d'antiquités *Noël*Dictionnaire de la Fable *Schmidt*Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine ### Bibliographies.*Cioranescu*Bibliographie de la littérature française du XVIIe siècle *Klapp**Klapp-Lehrmann*Bibliographie der französischen Literaturwissenschaft ### Grammaire, syntaxe, ponctuation.*Anglade*Grammaire élémentaire de l'ancien français *Haase*Syntaxe française du XVII*e* siècle *Riffaud*La Ponctuation du théâtre imprimé ## Travaux critiques. ### Études historiques, histoires de la littérature, histoires du théâtre. #### Ouvrages.*Bayet*Le Suicide et la morale *Grisé*Le Suicide dans la Rome antique *Himy-Piéry**Macé*Stylistique de l'archaïsme *Pasquier*Le Mémoire de Mahelot *Pasquier**Surgers*La Représentation théâtrale en France au XVIIe siècle *Riffaud*Répertoire du théâtre français imprimé entre 1630 et 1660 *Scheid*La religion des romains #### Article.*Sedley*Journal of Roman Studies ### Travaux sur le théâtre du XVII*e* siècle. #### Ouvrages.*Forestier*Essai de génétique théâtrale. Corneille à l'œuvre *Forestier*La Tragédie française. Passions tragiques et règles classiques*re* *Kossmann*Nieuwe bijdragen tot de geschiedenis van het Nederlandsche tooneel in de 17*e* en 18*e* eeuw *Lancaster*A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century *Licha*La vertu de l'héroïne tragique (1553-1653) *Louvat*Poétique de la tragédie *Mazouer*Le Théâtre français de l'âge classiqueLe premier XVII*e* siècleL'apogée du classicisme *Scherer*La Dramaturgie classique en France #### Article.*Dutertre**e**e*Littératures Classiques ### Travaux sur l'auteur. #### L'homme.*Caldicott*Revue du Tarn *Caldicott*Revue du Tarn *Desbarreaux-Bernard**e*Mémoires de l'Académie des Sciences de Toulouse*e*Bulletin du Bibliophile *Vergnes*Revue du Tarn #### Son œuvre en général.*Davies*The dramatic works of Guérin de Bouscal *La Vallière*Bibliothèque du théâtre françois depuis son origine #### Ses tragédies [384]. ##### Ouvrage.*Wahner*Das Böse im französischen Theater der Jahre 1635-1649 : Studien zu ausgewählten Werken Boyers, Chevreaus, Pierre Corneilles und Guérin de Bouscals ##### Articles et contributions à des ouvrages collectifs.*Doiron*Poétique *Forsyth*Semper Aliquid Novi : Mélanges offerts à Albert Gérard *Hilgar*La Mort d'AgisProceedings – Pacific Northwest Conference on Foreign Languages *Hilgar*Onze nouvelles études sur l'image de la femme dans la littérature française du dix-septième siècle *Lancaster*CidModern Philology #### La trilogie cervantine.*Akhamlich*Don QuichotteCahiers de Littérature du XVII*e* siècle *Akhamlich*Cahiers de Littérature du XVII*e* siècle *Caldicott*Don QuixoteDom JuanThe Modern Language ReviewRevue du Tarn *Dalla Valle* *Dalla Valle*Revue de littérature comparée *Dalla Valle*Cahiers de l'Association internationale des études françaises *Mazouer*Cahiers de l'Association internationale des études françaises *Roques*Revue du Tarn #### Son roman.*Borda*AntiopeThéséeStudi Francesi *Dalla Valle*Mélanges à la mémoire de Franco Simone *Rolla**e*Préfaces romanesques*e* #### Autres.*Pompejano Natoli*Amant libéralDalla tragedia rinascimentale alla tragicommedia barocca *Vergnes*Revue du Tarn *Vergnes*Revue du Tarn ------- [1] Nous remercions chaleureusement Paul Hombroukx, qui a bien voulu nous traduire cette dédicace. Cette traduction, qui n'a pas été aisée à réaliser, a bien entendu ses défauts, malgré le soin qui y a été apporté et les échanges pointilleux auxquels elle a donné lieu entre Paul Hombroukx et moi-même. J'ose croire que le sentiment d'étrangeté que le lecteur y trouvera à tel ou tel endroit n'est pas que le fruit d'une maladresse, mais également la conséquence d'une langue qui est doublement étrangère pour le lecteur français, puisqu'il est question non seulement de néerlandais, mais de néerlandais du XVII*e* siècle, dont il faut capter l'esprit sans dénaturer la lettre. Nous retranscrivons ici le texte original : *OPDRAGT, / Aan Monsr. / WYNANT SCHIMMEL. // Mijn gunstige en toegenegen Vriend, / Ik brenge u heel onverwacht te voorschijn mijn byna versturven, doch, om wel te zeggen, moedige Brutus, die met zijn hals-vriendt Cassius de gordijnen opent van dit Treur-tooneel : verzeekert zijnde, dat hy voor uwe oogen des te heerlijker zich zal vertoonen, om dat hy als balling, (om de vryheidt van Roomen te herstellen, de verdrukte gemoederen te verlichten) zich zelven niet alleen in waaghschaal stelt, maar om d'eere zich op-offert ann het nootgeval. Ontfang de kloekmoedige en Schreyende Porcia, in uwe armen van meêdoogentheidt, die, door wanhoop verstikt, harr lichaam aan het droevig graf op-offert. Bescherm haar voor de lastertongen, en die haer geluck benijden, op datze na haar doodt mach bloeyen als een Roos onder de Distelen en Doornen. Dit doende, blijf ik U.E. / Toegenegen en verplichte / *P. Zeeryp*.* [2] « *La Mort de Brutus et Cassius* ». [3] *Gerijmt door *P. Zeeryp*.* indiquait la page de titre. [4] Toutes les informations dont nous nous servons pour ces questions d'éditions sont détaillées dans la Note sur la présente édition. [5] Sur cet épisode, voir dans la Note sur la présente édition la partie consacrée à la traduction. [6] Éveline Dutertre a décrit la dégradation du personnage historique par Scudéry en ces termes : « Certes, il ne laisse pas libre cours à son imagination et n'invente pas ce qui n'a pas existé. C'eût été difficile alors qu'il s'agissait de faits historiques aussi connus. Mais il y a une façon plus subtile et moins voyante de fausser la réalité, c'est d'omettre, d'élaguer certains faits ou au contraire de donner à d'autres une importance disproportionnée à celle qu'ils ont eue réellement. C'est ce que fait Scudéry. Il omet les deux discours triomphaux que Brutus, dans l'exaltation de la liberté retrouvée, prononça au Capitole, puis au Forum, non pas « avec l'air de gens qui fuient, mais avec un visage serein, pleins d'une entière confiance » Plutarque, *Vie de César*, et l'apaisement de courte durée qui succéda au meurtre. En revanche il insiste sur la glorieuse apothéose de César que Plutarque ne mentionne qu'à peine, Suétone plus longuement, et qui ne se trouve chez aucun de ses prédécesseurs, sauf Muret. Mais c'est surtout les personnages qu'il modifie, en particulier Marcus Brutus dont il dessine un portrait peu flatteur. Au mépris de l'histoire, il déforme son caractère en lui attribuant le rôle de Décimus Brutus, chargé d'entraîner au Sénat César par des flatteries et par des mensonges. **Et du personnage historique, généreux défenseur de la liberté républicaine, stoïcien réputé pour son intégrité morale qu'était Brutus, – c'est ainsi que le présentaient Shakespeare et, avant lui, Grévin et Pescetti – il fait un fourbe odieux dont il marque, de plus, l'incapacité politique** par « le mouvement de conversion » i.e. le retournement du peuple qui s'accomplit après la mort de César » (Éveline Dutertre, « À propos de quelques tragédies de la mort de César des XVI*e* et XVII*e* siècles », *Littératures Classiques*, 16, 1992, p. 224 ; nous soulignons). Nous notons un point de détail vis-à-vis de ce qu'écrit Éveline Dutertre : on verra dans notre développement que le stoïcisme du personnage historique n'allait pas de soi, quoique la tradition historique ait très longtemps été portée à le lire dans ce sens ; ainsi, la question de la philosophie de Brutus est débattue dans les études modernes du *Jules César* de Shakespeare. Ce qui est sûr, c'est que *La Mort de Brute et de Porcie*, au contraire de *La Mort de César*, marque partout l'attachement d'un auteur à l'exactitude, dans un hymne à Plutarque. [7] Selon Edric Caldicott, ce prénom n'apparaît que dans le privilège de notre pièce, qui serait alors à l'origine d'un malentendu (Daniel Guérin de Bouscal, *Le Gouvernement de Sanche Pansa*, éd. C.E.J. Caldicott, Genève, Droz, 1981, p. 11). Edric Caldicott défend alors le prénom *Daniel*. [8] La date de 1657 est souvent avancée pour son décès, par exemple (voir notamment Tibulle Desbarreaux-Bernard, « Coup d'œil bibliographique et littéraire sur un auteur dramatique et littéraire du XVII*e* siècle. », *Mémoires de l'Académie des Sciences de Toulouse*, t. IV, 1848, p. 39-79 ; repris dans « Mélanges biographiques et littéraires sur un auteur du XVII*e* siècle. », *Bulletin du Bibliophile*, 1849, p. 114-129). [9] Edric Caldicott accompagne cette approximation d'un point d'interrogation, sans lui donner de justification claire (Daniel Guérin de Bouscal, *Le Gouvernement de Sanche Pansa*, éd. cit., p. 17). [10] *Ibid.*, p. 17. [11] Confiscation signalée par le site internet de l'Office du Tourisme du Réalmontais (http://tourisme.realmont.fr). [12] Daniel Guérin de Bouscal, *Le Gouvernement de Sanche Pansa*, éd. cit., p. 18. [13] Sous la cote 2E_222_007_13. [14] Telle est la façon plaisante dont Desbarreaux-Bernard présente la première pièce de notre auteur (art. cit., p. 43). [15] Jusque dans ses publications les plus récentes évoquant notre auteur (voir « Molière, le comte d'Aubijoux, Guérin de Bouscal et l'Albigeois », *Revue du Tarn*, 177, 2000, p. 155-162). [16] Daniel Guérin de Bouscal, *Le Gouvernement de Sanche Pansa*, éd. cit., p. 29. C'est le seul document d'archives de ce type (le seul où Guérin de Bouscal est prénommé « Daniel » dans le cadre typographique d'une citation, entre guillemets ou « sortie ») dans tout ce que nous avons lu de Caldicott sur Guérin de Bouscal (non seulement son édition critique mais aussi divers articles que l'on retrouvera dans la bibliographie). Il l'avait cité deux ans plus tôt dans la *Revue du Tarn* (« Hola ! Hé ! Sganarelle. Molière et le réalmontais Guérin de Bouscal », *Revue du Tarn*, 93, 1979, p. 20). On aurait pu s'attendre à ce que l'acte de sépulture vienne pallier ce manque. Or cette seconde occurrence de « Daniel » ne vaut pas la première. En plaçant ce prénom au second rang, elle ne fait qu'ajouter de la complexité à la question, comme nous l'étudions ici. [17] Extrait de la retranscription de l'acte par Edric Caldicott (*Ibid.*, p. 18) ; nous confirmons la lecture de cet acte que nous nous sommes procuré. [18] *Ibid.*, p. 14 ; nous soulignons. [19] Voir *infra*, son œuvre, p. XII. [20] À une date qui nous est inconnue. [21] H.C. Lancaster, *A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century*, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1942, Part I, p. 422. [22] Tableau établi à partir de celui d'Alain Riffaud, dont nous respectons l'ordre, qui n'est pas nécessairement celui de l'écriture (*Répertoire du théâtre français imprimé entre 1630 et 1660*, Genève, Droz, 2009, p. 335-336). [23] Alain Riffaud précise un second titre : *Cléomène*. L'édition de 1640 comportait des exemplaires avec des pages de titre différentes. Il semble alors que ceux qui portaient le titre *La Mort de Cléomènes* étaient accompagnés d'un avis au lecteur absent de ceux qui portaient le titre *Cléomène* (*Ibid.*, p. 115). Ainsi, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France, Gallica, met à disposition deux exemplaires différents qui illustrent ce fait. Dans les deux cas, les accents sont absents des pages de titre et il en est de même pour le nom du personnage éponyme au sein de la pièce. C'est la raison pour laquelle nous n'en mettront pas par la suite. [24] Présentée et retranscrite intégralement par Georges Vergnes dans son article « Une énigme littéraire tarnaise. Richelieu, Guérin de Bouscal et l'Académie de Castres », *Revue du Tarn*, 115, 1984, p. 461-470. [25] *L'Antiope* et *La Paraphrase du Pseaume XVII* font partie de la liste des œuvres de Guérin de Bouscal donnée par C.E.J. Caldicott dans l'édition critique du *Gouvernement de Sanche Pansa* (éd. cit., p. 13). Les dates données correspondent alors aux dates de publication. [26] Série de cinq poèmes publiés à la suite de *La Mort de Brute et de Porcie* et que nous présentons dans cette édition. [27] Dernier volume de *L'Antiope*, livres troisième et cinquième. Ces deux poèmes ont été mis au jour par Georges Vergnes dans son article « Deux poèmes de Guérin de Bouscal », *Revue du Tarn*, 109, 1983, p. 89-94. [28] Pour le moment, seules les trois comédies de Guérin de Bouscal ont fait l'objet d'une édition critique : *Dom Quixote de la Manche*, éd. Daniela Dalla Valle et Amédée Carriat, Genève-Paris, Slatkine-Champion, 1979 ; *Dom Quichot de la Manche*, comédie. Seconde partie., éd. Marie-Line Akhamlich, Université de Toulouse-Le Mirail, 1986 ; *Le Gouvernement de Sanche Pansa*, éd. C.E.J. Caldicott, Genève, Droz, 1981. Mes collègues de l'université de Paris-Sorbonne travaillent à deux éditions critiques qui paraîtront en même temps que la présente : il s'agit d'une édition du *Fils désadvoüé* (éd. Valérie Sinson) et d'une autre concernant les deux premiers volets de la trilogie cervantine (éd. Kevin Annelot). Pour se rendre compte de la disparité des travaux sur les œuvres de Guérin de Bouscal, il suffira de se reporter à la bibliographie. [29] Georges Vergnes, « Deux poèmes de Guérin de Bouscal », *Revue du Tarn*, 109, 1983, p. 89. [30] « Sonnet pour la mesme », v. 14. Plutôt qu'à *La Sylvie* de Mairet, tragi-comédie pastorale, le prénom fait penser aux odes de *La Maison de Sylvie*, œuvre de Théophile de Viau publiée à partir de 1624. Théophile, condamné, est alors sous la protection de Henri II de Montmorency (1595-1632) et chante sa femme, Marie-Félicie des Ursins (1600-1666). [31] Jacques Scherer, *La Dramaturgie classique en France*, Saint-Genouph, Nizet, 1950-2001, p. 297. Il est possible de rapprocher cet usage des séries de quatrains des scènes II, 1 et II, 3, au seuil de la première bataille. De manière parfaitement symétrique, aux exhortations de Marc Antoine et de Brute répondent les trois « Chefs » de leur armées qui assurent leurs généraux respectifs de leur résolution à suivre le dessein qu'ils se sont fixé. On peut également penser à un passage de la première scène qui réunit Brute et Porcie (I, 5), tendre échange avant la séparation, construit autour du refrain « Si tu me survis, je ne me plaindray pas. » Ces deux cas de fidélité s'accordent bien au lyrisme et à la pompe de la forme, exprimant le dévouement total dans la gravité des circonstances. Les quatrains sont alors délimités par le changement d'interlocuteur. [32] Soit une sorte de sonnet classique avec un seul quatrain et limité à une ou deux strophes. [33] Pour l'identification de ces pièces dans le prologue, voir H.C. Lancaster, « Leading French Tragedies just before the *Cid* », *Modern Philology*, XXII, 1925, p. 375-378. [34] Lancaster situe la première représentation du *Cid* en janvier 1637 (H.C. Lancaster, *A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century*, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1942, Part II, p. 118-119). [35] Jacques Scherer, *La Dramaturgie classique en France*, Saint-Genouph, Nizet, 1950-2001, p. 418-419. [36] *Ibid.*, p. 168. [37] *Ibid.*, p. 420. [38] *Ibid.*, p. 186-187. [39] *Ibid.*, p. 185-186 ; nous soulignons. [40] En réalité, quand Cassie s'exprime dans un lieu écarté de Brute, ce lieu n'est pas à proprement parler un camp mais plutôt un camp de fortune après sa défaite, sur les rochers, d'où il guette (acte III). [41] Entre la fin de III, 1 et le début de III, 5. [42] Il quitte le corps de Cassie en III, 4 et réapparaît devant les triumvirs au début de IV, 3. [43] Acte V. [44] On ne comptera pas le passage de V, 5 à V, 6, qui se fait par une liaison de fuite. [45] Jacques Scherer, *Ibid.*, p. 272. [46] Nous croyons qu'une lecture propre peut être corrélée à la lecture figurée. Brute se placerait alors aussi bien à l'aube d'une nouvelle ère pour Rome qu'à l'aube du jour qui doit l'apporter. Ces vers serait ainsi un écho des vers 165-166 : « Mais déja le Soleil vient esclairer la terre / Pour commancer le jour qui doit finir la guerre; ». Écho qui cache une subreptice dégradation, dans la mesure où, en V, 1, le soleil n'est pas là et son arrivée est soumise à une condition. Le premier jour a apporté la victoire à Brute, pas le second. [47] « Cependant quand la nuict mettra sa robbe obscure, / Portez sans bruit ce corps dedans la sepulture » (III, 6, v. 867-868). [48] *The unity of action is more satisfactorily preserved than in the* Mort de César, *for Brutus and Porcia do not die till well into the last act.* (H.C. Lancaster, *A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century*, éd. cit., Part II, p. 59). [49] Sur la question de la structure de *La Mort de César* notamment, Éveline Dutertre, qui n'est pas si sévère, a montré l'influence considérable sur Scudéry de la tragédie *Il Cesare* (1594), de l'italien Orlando Pescetti (« À propos de quelques tragédies de la mort de César des XVI*e* et XVII*e* siècles », *Littératures Classiques*, 16, 1992, p. 211-212). [50] H.C. Lancaster, *A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century*, éd. cit., Part II, p. 56-57. [51] *Porcie*, dans *Les Tragédies de Robert Garnier*, Mamert Patisson, 1585, p. 27v. [52] Celle-ci commence à la dernière scène de l'acte II. [53] « Tragedie n'est autre chose que la representation d'une avanture heroïque dans la misere » (Jean Mairet, *La Silvanire ou la Morte-vive*, préface, François Targa, 1631). [54] Octave, IV, 1, v. 877-884 ; Brute, V, 1, v. 1243-1244. [55] La mort de Cassie est explicite, la survie d'Octave implicite. [56] Marie-France Hilgar, « Une tragédie de Guérin de Bouscal : *La Mort d'Agis* », *Proceedings – Pacific Northwest Conference on Foreign Languages*, V. 25, Part 1, 1974, p. 206. [57] Il est probable que ce corps transpercé par le glaive appelle dans le discours de Marc Antoine l'image de l'« estang » de sang (V, 6, v. 1578-1579), dans sa tentative pour convaincre Octave de cesser le carnage. [58] Le soldat de Brute à l'origine du récit de la mort de Porcie totalise près de la moitié des vers de la scène finale. Dans la traduction de la pièce en néerlandais, qui date de 1653, son récit est immédiatement suivi d'une didascalie absente du texte de Guérin de Bouscal, didascalie qui annonce le corps de Porcie sur scène (voir la Note sur la présente édition). Cet élément de la traduction va dans le sens de l'interprétation que nous faisons. Non seulement Porcie parle après sa mort, mais elle marque la scène de sa présence, au paroxysme des émotions tragiques. L'effet sur Octave, à qui la parole est donnée à ce moment précis, est alors doublement motivé : le cadavre ajoute une dimension spectaculaire, confirmant par là même sa part active à la scène. [59] Les quatre premiers actes correspondent à 295, 5 vers en moyenne, avec une faible dispersion (l'écart-type est de 14, 72 vers). Le dernier acte étant plus long (488 vers) et inégal, le tableau masquait le fait que les Libérateurs y concentrent 380 vers (78%), soit plus de vers que chacun des actes qui précèdent. [60] Éveline Dutertre note que « Scudéry a pris soin de consacrer le même nombre de scènes au parti de César et à celui des conjurés » (« À propos de quelques tragédies de la mort de César des XVI*e* et XVII*e* siècles », *Littératures Classiques*, 16, 1992, note 63, p. 223). Dans la pièce de Guérin de Bouscal, le parti des triumvirs ne compte que 8 scènes, contre 21 pour les Libérateurs. [61] Pour donner un point de comparaison, voici les chiffres de Christian Biet concernant le *Cinna* de Corneille et ses principaux protagonistes : Cinna regroupe 29, 7% des vers, Émilie 22, 7% et Auguste 22%, soit près de trois fois plus que notre Octave (Corneille, *Cinna*, éd. Christian Biet, Le Livre de Poche, 2003, p. 137). [62] L'influence de Porcie sur Brute est ainsi relative : « Porcie ne peut se targuer d'avoir poussé le défenseur de la liberté romaine à l'héroïsme: Brute n'aurait pas agi différemment s'il avait été célibataire. D'ailleurs au moment où il réclame la mort par l'épée de son ami Straton, Brute n'a qu'une très brève pensée pour sa femme tandis qu'il prend le temps d'exprimer en plusieurs tirades ses sentiments sur la Liberté et le sort de Rome. » (Marie-France Hilgar, « Héroïnes tragiques, Héroïnes bourgeoises: variations sur une même image », dans Wolfgang Leiner, *Onze nouvelles études sur l'image de la femme dans la littérature française du dix-septième siècle*, Éditions Place, 1984, p. 17). C'est ainsi le rôle même du personnage au sein de l'action qui est alors mis en cause : « Dans une portion non-publiée de sa thèse qui analyse toute l'œuvre de notre Languedocien, Esther Crooks souligne le rôle insignifiant de l'épouse: « Love is of no consequence in the plot. Porcie, Brute's wife, merely presents the picture of a devoted wife and serves as a person to whom off-stage action may be reported. » Esther J. Crooks, *The Influence of Cervantes on French Theater*, Diss. Johns Hopkins 1923, p. 85. » (Marie-France Hilgar, *Ibid.*, p. 18). Ceci dit, si Porcie rend *a priori* l'unité d'action problématique en développant une figure que Plutarque avait délaissée dans son récit, nous la croyons importante en ce qu'elle porte, avec Cassie, une responsabilité dans les événements auxquels elle ne participe pas. Son manque de piété, qui n'a pas échappé à Marie-France Hilgar, nous semble essentiel. Par ailleurs, la présence de Porcie apporte une lourde contribution au dramaturge pour exciter les sentiments tragiques, comme en témoigne la scène finale. [63] La condescendance que Normand Doiron (« Porcie, ou la tragédie du feu », *Poétique*, 144, 2005, p. 421) souligne dans la description du personnage de Brute, en faisant précisément référence à la fin du prologue, concerne d'une part un passage trop court pour être signifiant, d'autre part un discours soumis au dédicataire, Richelieu. En outre, l'allusion à Scudéry, dans ce même passage, qui ferait de la pièce une suite de *La Mort de César*, semble artificielle ; elle est manifestement liée à une volonté de se faire une place au sein des dramaturges du temps (voir *supra*, p. XIX). Car on est loin de Scudéry magnifiant César, dans une apologie de la monarchie, et dégradant Brutus, quitte à modifier l'histoire (sur cette analyse de *La Mort de César*, voir Éveline Dutertre, art. cit., p. 224-226). Enfin, considérer que cette fin de prologue prévaut sur ce que la pièce elle-même nous semble dire revient à faire la même erreur que de croire que le sujet se réduit à la vengeance de César, là où cette dernière, comme nous l'avons vu, apparaît limitée dans son importance. [64] Lorsque Brute meurt, c'est pour Straton « l'esperance de Rome » qui s'effondre (V, 4, v. 1426). Et pour cause : sur les 30 occurrences de la famille du mot *espoir* dans la pièce, 14 sont le fait du discours de Brute, dans un contexte toujours positif avant sa dernière scène (v. 21, 225, 438, 441, 475, 644, 836, 863, 869, 1149, 1235), puis, après la défaite, dans le cadre neutre d'un renoncement à l'espoir, écartant toute passion (v. 1327, 1407, 1414). Dans les paroles de Brute, l'espoir est très souvent un entre-deux entre la certitude (la justice ne peut que triompher) et l'obligation morale (utilisation d'une tournure impersonnelle, du verbe *devoir* et de l'impératif). Ce phénomène est alors lié au fait religieux (Brute regarde sans cesse vers le Ciel), à la foi que l'on doit aux dieux et à l'évidence de leur justice, si bien qu'il faut « tout » attendre d'eux (v. 21-22, 863, 1149). Inversement, les 7 occurrences de Porcie sont toutes pleinement négatives, désespérées (v. 187, 276, 296, 1283, 1477, 1516) ; celle du vers 576 est liée à la peur. Bien entendu, nous prenons ici en compte ce que dit d'elle sa compagne. De manière symétrique, Brute compte à son actif les deux tiers des occurrences en contexte positif là où Porcie totalise les deux tiers des occurrences en contexte négatif. Le fait que Cassie ne prononce pas une fois le mot *espoir* ni aucun de ses apparentés nous semble également significatif. [65] Plus tard, dans *La Mort d'Agis*, Guérin de Bouscal fera dire à Chelonide, l'épouse d'Agis : « Donnez moy des soldats, j'empescheray sa mort, / J'iray la main armée, et d'un courage masle / Punir l'affront qu'on fait à la maison Royale. » (V, 6). [66] « La pièce commence par l'apparition d'une « image triste & noire ». Est-ce l'« ombre de Cæsar » ? Ne serait-ce pas plutôt le « phantosme venerable » du grand Caton ? Dès la première scène, nous pénétrons dans un monde de simulacres. Non seulement Brute est confronté à des images sans corps, mais il les confond, prenant l'une pour l'autre, l'ennemi juré pour le protecteur de la liberté. L'ambiguïté tient encore à l'attitude qu'adopte Brute face à « cette ombre imaginaire » qu'il regarde, avec les yeux du stoïcien, comme un *phantasme*, c'est-à-dire comme une *fausse représentation*. Aussi, devant Maxime, s'empresse-t-il d'affirmer hautement sa lucidité : « Ombre par ma constance heureusement vaincue ». Le combat se déroule sur le terrain philosophique, et cette première victoire augurerait bien de la bataille que Brute s'apprête à livrer contre Octave et Marc Antoine, si cette ombre vaine ne s'accompagnait pas de nombreux et noirs présages qui terrorisent les soldats, et qui persuadent Cassie qu'il faut retarder l'affrontement. Négligeant les avertissements des dieux et des hommes, Brute refusera d'attendre et sera défait. Ce qu'il prenait pour une « simple chimère » était donc un signe plein de sens. Sa « constance », elle, était une illusion. En fait, le « spectre formé d'air » n'est qu'une avant-garde. Tout chez Boyer n'est que mirages et fumées. … Brute tombe dans cette *erreur*, et sa chute de cheval est une allégorie de l'illusion qui consiste à confondre le haut et le bas. » (Normand Doiron, *Ibid.*, p. 416-417). Outre que la scène du mauvais génie n'est pas, chez Guérin de Bouscal (I, 4), le lieu d'un quiproquo hautement symptomatique, que la présente pièce ne reprend pas la chute de cheval, il faut noter quelques différences majeures. Tout d'abord, *La Porcie romaine* de Boyer déplace le sujet : « Dans cette pièce, Brutus n'a pas toute sa grandeur historique parce que son personnage est éclipsé par celui de sa femme. » (Claude Boyer, *La Porcie romaine*, éd. Marie Roux, Paris IV-Sorbonne, 1997, p. 31). Si l'on confronte notre étude aux chiffres du site internet www.theatre-classique.fr concernant la tragédie de Boyer, Brute perd plus de six points de présence là où Porcie en gagne plus de dix-sept, provoquant une nette inversion de tendance (avec respectivement 23, 59% et 36, 63% des vers). La pièce de Boyer est celle de Porcie là où celle de Guérin de Bouscal est celle de Brute. C'est selon nous la raison pour laquelle le discours de Normand Doiron, dans son article consacré à Porcie, s'articule de manière privilégiée avec Boyer, traitant *La Mort de Brute et de Porcie* beaucoup plus sommairement. Par ailleurs, la Porcie de Boyer marque explicitement une hiérarchie entre son amour pour Brute et son amour pour sa patrie : « Si je l'aime beaucoup, c'est un peu moins que Rome. » (II, 2, v. 418). On peut discuter l'authenticité de ce vers de Porcie. Mais force est de constater qu'une telle déclaration n'appartient pas au discours de l'héroïne de Guérin de Bouscal et pourrait tout au plus être attribuée, inversement, à son mari. Autre différence importante : Marie Roux constate dans les deux premiers actes de *La Porcie romaine* « la perte de confiance progressive de Brutus », bientôt prêt à renoncer au combat pour épargner le sort de Porcie, et un mouvement inverse de Cassie (*Ibid.*, p. 20). La tragédie de Guérin de Bouscal est dépourvue de cette dynamique, au profit d'une stabilité des deux caractères. Enfin, la dernière différence que nous notons est religieuse : « Pour Brutus, la religion gêne la politique parce qu'elle freine les hommes. Le monde politique ne se gouverne pas en fonction de la volonté des dieux. » (*Ibid.*, p. 35). D'un bout à l'autre de l'action, le Brute de Guérin de Bouscal est assuré d'avoir les dieux derrière lui et ne cesse de vouloir communiquer son espoir plein de piété à ceux à qui il s'adresse. « Brutus a voulu braver les dieux, le sort s'est retourné contre lui et a engendré l'issue tragique de la pièce. » (*Ibid.*, p. 45). Rien ne s'applique moins à notre Brutus. [67] Ces derniers vers font penser à un passage tout à fait similaire de la *Porcie* de Robert Garnier. Octave peut ainsi déclarer, à propos de Sextus Pompée, qui tient la Sicile et vers qui se réfugie une partie des troupes de Philippes : « Je les veux poursuyvir, quelque part que les eaux, / Que les eaux de la mer recelent ses vaisseaux: / Car en toute la terre il ne se verra place, / Coing ny recoing aucun, où je ne les pourchasse. » (*Porcie*, acte IV, dans *Les Tragédies de Robert Garnier*, Mamert Patisson, 1585, p. 14v-15). [68] Homère, *Odyssée*, XI, 305-320, trad. Victor Bérard, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1955, p. 703. [69] Voir notamment l'entrée CONNOISTRE du lexique. [70] Encore conviendrait-il d'employer l'expression « pécher par quelque chose » dans le sens neutre de « commettre une erreur qui consiste en quelque chose ». En effet, toute connotation religieuse s'applique mal au cas de Brute, dont la confiance est une confiance dans les dieux et non en lui seul (voir *supra*, notre étude sur la famille du mot *espoir*, p. XXXII). Cette confiance, ou cet espoir perpétuellement affirmé, s'apparente alors moins à un « péché », qui est l'acte de se détourner de Dieu, qu'à la foi elle-même. [71] « J'estime que Cæsar ne veut point de victime / Qui n'ait dedans son sang fait éclater son crime, / Tous ses meurtriers sont morts, il reste seulement / Ceux qui l'ont offencé par le consentement, / Qui bannis à jamais de leur ville natale, / Vont souffrir les rigueurs d'une peine infernale. / Il suffit ce me semble, et son ressentiment / Ne sçauroit desirer un plus dur chastiment: » (Marc Antoine, V, 6, v. 1563-1570). [72] Cicéron, *Pro Marcello*, chap. 3. Dans la dernière tragédie de Guérin de Bouscal, la femme d'Agis, Chelonide, plaide la cause de son mari auprès de son père, qui l'a condamné : « Ah ! mon pere, souffrez qu'encor une autrefois / J'embrasse les genoux du plus juste des Roys, / Et que je le supplie en ce malheur extreme / Qu'apres nostre deffaite il se vainque soy-mesme. » (*La Mort d'Agis*, IV, 4). Dans cette scène, Chelonide reprend précisément l'argument de Cicéron : la victoire militaire n'est pas l'exclusivité d'un général vainqueur, qui la doit pour bonne part à ses soldats et à la Fortune. Aussi la clémence est-elle la seule façon pour lui d'arracher une victoire complète, une victoire qu'il ne doit qu'à lui-même. [73] Sénèque, *De clementia*, livre I, IX, 1, trad. François-Régis Chaumartin, Les Belles Lettres, 2007, p. 16-17. [74] L'acte III de la *Porcie* de Robert Garnier repose tout entier sur l'opposition entre un Octave impitoyable, qui rejette toute idée de clémence pour une répression sanglante, opposé à Marc Antoine, qui plaint le sort des ennemis qui restent. Marc Antoine est celui qui décide la fin du combat contre les républicains défaits. L'acte se termine sur la partition de l'Empire romain entre les triumvirs. À regarder ce précédent, le traitement de Guérin de Bouscal peut être vu comme une originalité. Une originalité qui a inspiré le dénouement de *La Porcie romaine* de Boyer, qui reprendra la forte impression de la mort de Porcie sur Octave et la conversion de ce dernier à la clémence. Bien sûr, la pièce de Corneille, postérieure à celle de Guérin de Bouscal et antérieure à celle de Boyer, a dû jouer son rôle dans ce sens. [75] Quoique cette élévation reste associée à une faiblesse irréductible (ce que la Providence donne, elle peut le reprendre, v. 1643-1646), elle permet la légitimation d'une monarchie distincte de la tyrannie. La tyrannie, née de l'usurpation, maintient l'arbitraire de son pouvoir par la cruauté. [76] Sur les six occurrences du mot *heros* et l'unique occurrence du mot *heroïque* dans la pièce, six se rapportent à Brute. L'exception, dans la bouche de Marc Antoine, désigne César « dans sa beatitude » (v. 313). Le « heros » est au XVII*e* siècle, suivant les Anciens, un demi-dieu, un homme appelé à connaître une apothéose (voir lexique). [77] Plutarque, *Vie de Brutus*, II, 2-3, trad. Anne-Marie Ozanam, dir. François Hartog, Gallimard, 2001, p. 1786. [78] *The greatest obstacle to doing so to connecting Brutus' Platonism with his celebrated role as tyranicide has long been the belief, endemic among historians of the period, that whatever his formal affiliations may have been Brutus in the spirit, like so many Romans, a virtual Stoic; or at any rate that his motivations in the conspiracy were fundamentally Stoic in inspiration. ... Shakespearian scholars, incidentally, have usually gone even further, and stated as simple fact that Brutus was a Stoic.* (David Sedley, « The Ethics of Brutus and Cassius », *Journal of Roman Studies*, 87, 1997, p. 43-44). Sedley donne de nombreux exemples d'historiens et d'auteurs qui font de Brutus un stoïcien, tous du XX*e* siècle. [79] Sedley se réfère au *De dictatura Cn. Pompeii*, discours de Brutus lui-même, dont Quintilien rapporte un extrait. Ici, dans une traduction française : « Il vaut mieux ne commander à personne, que de dépendre d'un seul. Dans la première condition, on peut vivre honorablement; dans la seconde, la vie n'est pas supportable. » (Quintilien, *Institution oratoire*, livre IX, trad. C.V. Ouizille, C.L.F. Panckoucke, t. IV, 1829-1835, p. 314-315). NB : Sedley, pour *alicui servire*, donne la traduction *to be enslaved by somebody*, qui rend sans doute mieux l'idée d'asservissement. [80] René Rapin, *La Comparaison de Platon et d'Aristote*, quatrième partie, chap. 1, Claude Barbin et François Muguet, 1671, p. 163. [81] David Sedley, art.cit., p. 43 ; nous traduisons nous-mêmes ces arguments de l'anglais. [82] Cette note est d'Antoine Soreau. [83] Antoine Soreau, *Lettres de Brutus et de Cicéron*, préface, Thomas Jolly, 1663, p. 8-11. [84] David Sedley, art. cit., note 7, p. 42. [85] Ces deux passages se trouvent dans le *Brutus* (XXXI et XCVII). [86] Cicéron, *Brutus, ou Dialogue sur les orateurs illustres*, trad. Burnouf ; dans *Œuvres complètes de Cicéron*, dir. Nisard, Firmin Didot frères, fils et Cie, t. I, 1869, p. 370-371. [87] Antoine Soreau, *op. cit.*, p. 249. [88] Ibid. [89] *Cedebas enim, Brute, cedebas; quoniam stoici nostri negant, fugere sapientis.* (*Œuvres complètes de Cicéron*, dir. Nisard, Firmin Didot frères, fils et Cie, t. V, 1869, p. 688). [90] « Platon, qui condamne le suicide en principe, l'admet en trois cas : on peut se tuer sur l'ordre de la cité, pour se soustraire à la honte, pour se soustraire à un sort trop cruel. » (Albert Bayet, *Le Suicide et la morale*, Alcan, 1922, p. 334). [91] L'auteur pense à des formules fortes en faveur du suicide, qui le permettent en tant que liberté, mais qui « trahissent cruellement la pensée de Sénèque » (Albert Bayet, *Le Suicide et la morale*, Alcan, 1922, p. 285). [92] Albert Bayet, *Le Suicide et la morale*, Alcan, 1922, p. 286-287. [93] Yolande Grisé, *Le Suicide dans la Rome antique*, Les Belles Lettres, Paris, 1982, p. 180-181 ; nous soulignons. [94] *Ibid*., p. 183 ; nous soulignons. [95] *Whether Brutus considered his final change of heart justifiable from within his Platonist creed, or a move away from it, Plutarch leaves unclear, but the very special* ad hoc *pleading he puts into Brutus' mouth (that he effectively gave up his life on the Ides of March, and has been living on borrowed time since then) may suggest that he intends the former. Since Plutarch's dialogue here is no doubt fictional*, ***we cannot know whether Brutus in fact offered any philosophical justification for his suicide***. *At all events, there is no hint in Plutarch or other source that he underwent any sort of conversion to Stoicism; among Romans honourable suicide was far from being an exclusively Stoic activity.* (David Sedley, art. cit., note 65, p. 52 ; nous soulignons en caractères gras). Il faut toutefois considérer que les platoniciens manquaient d'exemples : « A la fin de la République, au début de l'Empire, les mœurs du moins éclairent la doctrine : Caton, Thraséas et cent autres indiquent à l'aristocratie dans quels cas l'honnête homme se tue. … La doctrine platonicienne est d'autant plus indécise que les exemples illustres y font défaut. » (Albert Bayet, *op. cit.*, p. 335). [96] *Morally honourable suicide had no place in the Platonic and Aristotelian traditions on which Antiochus was drawing, and Cicero's Antiochean spokesman in* De finibus *5.28-9, in accounting for the phenomenon of suicide, attributes its cause simply to* ***overpowering states of passion***. *Plutarch was well aware of all this, since when portraying Brutus' own declaration before the Battle of Philippi of a new readiness to contemplate suicide he has him explaining this as a reasoned abandonment, if not Platonism itself, of a recognizably Platonic philosophical position he has always previously held.* (David Sedley, art. cit., p. 52 ; nous soulignons en caractères gras). [97] *And if Brutus did indeed feel that the political virtue of justice should be actively exercised even under the Caesarian tyranny, there was no doubt which of his famous relatives he was going to imitate: not Cato, the Stoic uncle whose suicide Brutus had, according to Plutarch, explicitly deplored on philosophical grounds, but his equally celebrated ancestors Lucius Junius Brutus, who had expelled the last of the kings from Rome in 509 B.C., and Servilius Ahala, who not long afterwards had assassinated a would-be tyrant. Already some ten years before the assassination of Caesar, when Brutus controlled the Roman mint, he had issued a coin depicting these two ancestors, one on each face.* (David Sedley, « The Ethics of Brutus and Cassius », *Journal of Roman Studies*, 87, 1997, p. 53). [98] Contrairement au peronnage de Shakespeare (voir *Jules César*, V, 1). [99] Voir notre étude ci-dessus. [100] Le nom de Caton apparaît dans la pièce exclusivement au sein de la périphrase « le fille de Caton » (v. 181, 218, 256 et 1589). Caton est également désigné par le syntagme « mon pere », dans le discours de Porcie (v. 259, 553, 584 et 1515). [101] La dernière scène du premier acte met en œuvre de façon exemplaire cette division complexe de Porcie. Brute ne se voit rien retirer de son caractère héroïque (v. 266-268). Cela dit, le début de la tirade de Porcie montre qu'elle est plus prompte à céder au père qu'à son mari pour faire cesser ses pleurs et se tourner vers l'héroïsme (v. 241-256). Au moment de se déterminer pour aller courir à l'ennemi, la figure du mari aimé semble ainsi échouer pour laisser la place au père. [102] Plutarque, *Vie de Brutus*, XIII, 10, éd. cit., p. 1795. [103] *Ibid.*, XV, 5-9, et XXIII. [104] Valère Maxime, *Actions et paroles mémorables*, livre IV, chap. VI, 5, trad. Pierre Constant, Garnier, 1935 ; disponible sur le site remacle.org. [105] À deux reprises, cette émulation prend la forme on ne peut plus explicite de la question « Et moi ? » : « Et moy dois-je douter qu'apres un coup si rude / Rien me puisse empescher de courir à la mort, / Si mon pere fuyant la mesme servitude / Malgré tous ses Soldats fut maistre de son sort. », v. 551-554 ; « Mon pere se defit sur la simple apparence / Que le salut Romain étoit sans esperance; / Et moy qui vois ma perte infaillible aujourd'huy / N'auray pas le pouvoir de faire comme luy ? / Trop cheres libertez, amour, vertu, naissance, / Si je ne mourois pas, vous seriez sans puissance », v. 1515-1520. Sur cette question de l'émulation entre Porcie et son père, voir aussi les vers 254-260 et 535-538. [106] Yolande Grisé, *Ibid*., p. 202-203. [107] *Ibid*., p. 201. [108] *Ibid*., p. 190. [109] « On parlera de nous chez la race future » (*La Mort de Cleomenes*, V, 12). [110] On pensera alors au moment où Cleomene apprend la mort de sa femme : « Mais quoy ? doy-je tousjours succomber sous l'effort / De mon affection ? doy-je plaindre sa mort ? / Sa mort qui la sauvant du pouvoir d'un infame, / Garantit mon honneur de reproche, et de blasme; / **Sa mort qui la conduit au sejour bien-heureux**, / **Où doivent habiter les esprits genereux**. » (V, 12). Et Cleomene de quitter la scène pour gagner une mort glorieuse : « Coupons avec nos fers la trame de nos vies, / Avant que par leurs mains elles nous soient ravies; / Allons, allons mourir, et faisons voir en fin / Que Sparte a des enfans maistres de leur destin. » Le roi Ptolémée, pris de remords, lui accordera lui-même l'immortalité dans les vers qui concluent la tragédie : « il faut … Que je fasse eslever un Temple à Cleomene, / Pour r'establir sa gloire, … Là nos nepveux liront l'histoire lamentable / D'un Roy qu'un criminel fit traitter en coulpable; … » (V, 20). [111] Yolande Grisé, *Ibid*., p. 188. [112] La scène 3 de l'acte II, par l'annonce des personnages (« BRUTE, ses Soldats. »), est la seule à ouvrir réellement la possibilité pour un général de s'adresser à une foule de soldats, dans les limites des conditions de représentation. Face à cette exception, il est des scènes qui prennent la forme de harangues, où l'on aurait pu s'attendre à ce que les soldats ne soient pas limités à quelques « Chefs » (en particulier, II, 1 et V, 1). [113] « Marcus le fils de Caton, qui combattait parmi les jeunes gens les plus braves et les plus nobles, refusa de s'enfuir et de céder, malgré son épuisement ; les armes à la main, déclarant qui il était et rappelant qu'il portait le nom de son père, il tomba sur un monceau de cadavres ennemis. » (Plutarque, *Vie de Brutus*, XLIX, 9, éd. cit., p. 1824-1825). Dans le *Jules César* de Shakespeare, il apparaît à la fin de la scène 3 de l'acte V pour mourir au début de la scène suivante d'une façon strictement conforme au témoignage de Plutarque. Il n'est pas improbable que Guérin de Bouscal pense à lui dans les visages des soldats tournés vers Brute. L'acuité du regard de l'auteur n'est pas à démontrer : les hommes de Cassie (Titine, Pindare et Demetrie) sont bien dans Plutarque et le traitement soigné de ces personnages secondaires (dont la présence peut être très réduite dans Plutarque) témoigne d'une lecture fine et fidèle de la *Vie de Brutus*, dont on retrouvera les extraits utiles dans l'annotation du texte. Pour donner un exemple, Demetrie n'est cité qu'une seule fois par l'historien grec. Marie-France Hilgar avait noté cette précision des personnages secondaires dans *La Mort d'Agis* (« Une tragédie de Guérin de Bouscal : *La Mort d'Agis* », *Proceedings – Pacific Northwest Conference on Foreign Languages*, V. 25, Part 1, 1974, p. 206). On peut étendre le jugement à *La Mort de Cleomenes*. Marie-France Hilgar remarquait que le rôle des personnages secondaires n'est pas essentiel dans *La Mort d'Agis*, ce qui diffère quelque peu de notre pièce. Par ailleurs, dans l'avis au lecteur de *La Mort de Cleomenes*, Guérin de Bouscal montre d'une nouvelle manière, dans son souci prononcé de ne pas être taxé d'inexactitude, le soin de sa lecture : « Au reste ne m'accuse point d'ignorer l'histoire de Cleomenes si tu vois paroistre dans Alexandrie, la belle Agiatis qui étoit morte en Grece long temps avant que mon Heros abordat en Egypte quatre ans séparent la mort d'Agiatis de celle de Cléomène ; Mais scache que c'est une licence que j'ay affectée pour l'embellissement de ma Scene, et que les incidents advantageux qui ne gatent point le sujet principal ne sont pas seulement soufferts dans le Poeme Dramatique: mais méme pratiquez tous les jours par les maistres. J'ay fait un peu de violence à la vérité pour donner plus d'éclat à mon ouvrage, et comme je me suis proposé la satisfaction de ceux qui ayment le Theatre plustot que l'instruction de ceux qui ignorent l'Histoire, j'ay esté bien aise d'estre moins exact en celle-cy, affin de l'estre davantage en celle-la: Ne trouve donc pas mauvais mon dessein, ou si tu le condamnes prepare-toy à combattre les sentimens de toute l'Antiquité et de tous les plus grands hommes du siecle. » [114] Du côté du spectateur, Caton est peut-être l'exemple le plus fameux parmi ceux « que Rome a veu mourir pour n'avoir point de Maistres » (v. 464). [115] Plutarque, *Vie de Brutus*, II, 1, éd. cit., p. 1786 ; nous soulignons ; ce passage précède directement celui que nous avons mis en exergue. [116] Plutarque, *Vie de Brutus*, XL, 7-8, éd. cit., p. 1817. [117] Cicéron, *L'orateur, à Brutus*, X, trad. Savalette ; dans *Œuvres complètes de Cicéron*, dir. Nisard, Firmin Didot frères, fils et Cie, t. I, 1869, p. 436. La mort du général coïncide par ailleurs avec le divorce de Brutus avec sa première femme pour permettre son mariage avec Porcia. On le lui aurait vivement reproché, notamment sa mère, ce divorce tournant au scandale (Cicéron, *Ad Atticum*, XIII, 9-11, 14, 16-17, 22). Brutus, mu, manifestement, par sa seule volonté d'épouser Porcia, n'aurait ainsi avancé aucune justification pour rompre un mariage de plusieurs années et une alliance de familles. [118] *Tranq*., XVI, 1. (La note est de Grisé.) [119] *Ep*., LXXI, 16. (La note est de Grisé.) [120] Yolande Grisé, *Ibid*., p. 213-214 ; nous soulignons (caractères gras). [121] Voir notamment v. 689-690, 1187-1188, 1207-1212, 1251-1253. [122] Sur cette figure, qui n'est pas l'incarnation de l'inhumanité, voir la note du vers 466. [123] Tite-live, *Histoire romaine*, livre II, XII, éd. Jean Bayet, trad. Gaston Baillet, Les Belles Lettres, 1940, p. 19-20 ; nous soulignons. [124] Se suicider en échappant à ses geôliers : c'est aussi le cas de Cléopâtre depuis Jodelle (et ses modèles italiens). [125] I, 4, v. 261. [126] Alexandra Licha, *La vertu de l'héroïne tragique (1553-1653)*, Thèse Littérature française, Paris IV-Sorbonne, t. I, 2004, p. 232-233. [127] Voir la note du vers 271. [128] Voir *supra*, l'étude des caractères, p. XXXI. [129] Selon Lancaster, cette protection est avérée pour trois des cinq auteurs convoqués dans le prologue de *La Mort de Brute et de Porcie*, à savoir Rotrou, Benserade et Scudéry (*Rotrou had been protected by Richelieu as early as 1633, according to the dedication of his* Hercule mourant. *Benserade, as a relative, had been favored by the Cardinal when he first came to court. Scudéry had dedicated a poem to Richelieu in 1633 and tells us after his death in 1642 that he had received twelve years of his benefactions. Hitherto there has been no evidence to show that Mairet ... or La Calprenède had been protected at so early a date.* ; H.C. Lancaster, « Leading French Tragedies just before the *Cid* », *Modern Philology*, XXII, 1925, p. 378). Pour La Calprenède, Lancaster note qu'il faut attendre 1639 pour le voir dédier une pièce à Richelieu (*Ibid.*). Quant à Mairet, qui reçut une pension en 1637, il est difficile de savoir s'il a bénéficié de la faveur de Richelieu avant la Querelle du *Cid* (*Ibid.*). Cependant, l'article de Lancaster s'achève sur l'idée que la présence de la *Sophonisbe* de Mairet dans les prologues de *La Mort de César* et de *La Mort de Brute et de Porcie* « tend à confimer l'idée selon laquelle, à ce moment, juste avant le *Cid*, la tragédie de Mairet était considérée comme la première pièce française » (*It tends to confirm the opinion that at this time, just before the* Cid, *Mairet's tragedy was considered the leading French play.* ; *Ibid.*). [130] H.C. Lancaster, *A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century*, éd. cit., Part II, p. 58. [131] Le premier acte fera vite oublier cette image du « mutin » qui devait être la victime de la vengeance de César et dont le crime (un régicide, en fait) méritait d'être puni par les dieux eux-mêmes. Pour Angela Wahner (*Das Böse im französischen Theater der Jahre 1635-1649 : Studien zu ausgewählten Werken Boyers, Chevreaus, Pierre Corneilles und Guérin de Bouscals*, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, coll. Europäische Hochschulschriften : XIII ; 223, 1997 ; les traductions des passages de cette œuvre sont de nous), Brutus, dans le premier acte, apparaît comme « une figure foncièrement positive » (*eine grundsätzlich positive Figur* ; p. 40), son crime n'étant pas présent dans le discours. Et pour cause : les triumvirs n'ont pas encore la parole. « Ce fait le meurtre de César n'est mentionné ni par Brutus, ni par les personnages à ses côtés, toutefois Guérin de Bouscal l'avait précisé dans son *Prologue de la Renommée*, à la louange de Richelieu, mais même là il avait mis en évidence la « vertu » de Brutus (v. 168). » (*Diese Tat wird weder von Brutus noch von den Protagonisten an seiner Seite erwähnt, jedoch hatte Guérin de Bouscal in seinem* Prologue de la Renommee, *einer Lobrede auf Richelieu, diesen Zusammenhang verdeutlicht, aber auch dort schon die "vertu" (V.168) von Brutus hervorgehoben.* ; *Ibid.*, p. 40). [132] Voir *supra*, la partie consacrée à la composition, p. XXIV-XXVI. [133] Nous avions comparé les passages concernant Brute (v. 1315-1324) et Octave (v. 1623-1646) dans l'étude des caractères, p. XXXVIII-XXXIX. [134] C'est peut-être la raison pour laquelle Angela Wahner peut écrire : « Le débat politique sur les avantages de la monarchie et de la république, dont il est question au début de l'œuvre, se produit dans le cadre de l'arrière-plan, de sorte que la question de la possibilité de réaliser la liberté individuelle devient l'aspect central dans la conception du protagoniste Brutus. » (*Die politische Diskussion um die Vorteile von Republik und Monarchie, die zu Beginn des Werks thematisiert werden, tritt im weiteren Verlauf in den Hintergrund1, so dass die Frage nach der Möglichkeit, individuelle Freiheit zu realisieren, zum zentralen Aspekt in der Konzeption des Protagonisten Brutus wird.* ; *op. cit.*, p. 47). [135] La clémence ne vaut d'ailleurs pas comme un pur élément monarchiste. Elle est également le lieu d'une réflexion sur la responsabilité de Brute, et donc sur sa liberté. Ainsi se manifestent les deux pôles d'un problème que pose la mort de Brute et qu'a noté Angela Wahner. La soumission de Brute à la Providence (V, 4) est la reconnaissance que la vertu ne suffit pas. Cependant : « À l'acceptation du destin dans le visage de la défaite s'articule l'indépendance intérieure que Brutus clame de sorte qu'il n'est pas contraint de renoncer à son idéal de liberté : en se tuant par un des siens, il veut donner une dernière preuve de sa liberté. » (*Mit dem Akzeptieren des Schicksals angesichts der Niederlage verbindet sich die innere Unabhängigkeit, die Brutus für sich behauptet, um sein Ideal der Freiheit nicht aufgeben zu müssen: Indem er sich von einem der Seinen töten läßt, will er einen letzten Beweis seiner Freiheit geben.* ; *Ibid.*, p. 53). La culpabilité de Brute en tant qu'instrument de la Providence est alors réévaluée par les triumvirs eux-mêmes (v. 1637-1642). En ce sens, la liberté prônée par Brute s'expose au risque d'être réduite à « une vaine tentative de changer le destin » (*vergeblicher Versuch, das Schicksal zu verändern* ; *Ibid.*, p. 55). Cela dit, Angela Wahner conclut cette question de la sorte : « Cette tension du destin et de la liberté fait du protagoniste Brutus la figure tragique, et puisque son aspiration est estimée positivement, il reste le héros positif de l'œuvre, celui qui peut devenir la figure d'identification pour les spectateurs et les lecteurs. » (*Diese Spannung von Schicksal und Freiheit macht den Protagonisten Brutus zur tragischen Figur, und da sein Streben positiv gewertet wird, bleibt er der positive Held im Werk, der zur Identifikationsfigur für Zuschauer und Leser werden kann.* ; *Ibid.*, p. 55). [136] Terme dont la vérité historique, fortement discutable, n'est pas discutée au sein de la tragédie, qui s'achève avec l'entente cordiale entre Octave et Marc Antoine. [137] Titine, après la mort de Cassie, partage cette idée de vengeance : « Pour moy dont le depart facilita ce crime, / Je veux à ma fureur me choisir pour victime, / Afin que mon esprit justement affligé / Ne me reproche pas de ne m'estre vengé, / Et qu'on puisse trouver au Temple de memoire / Que je fus innocent d'une action si noire. » (III, 5, v. 819-824). [138] Scudéry, lui, mettait en scène l'apothéose de César. [139] Il est frappant de constater que c'est sur le mode de la prétérition que le manque de l'Histoire est comblé : « Si de nos ennemis les troupes avancées / Ne me defendoient pas un plus long entretien, / Je pourroy renverser tes meilleures pensées, / Et creuser leur tombeau pour en bastir le mien. / Je diroy … » (V, 4, v. 1395-1399). Et Brutus de prendre le temps de poser ses raisons. Cette scène 4 de l'acte V est de loin la plus longue, avec 142 vers. À titre de comparaison, la scène finale, pourtant conséquente, ne fait que 89 vers, la longueur moyenne d'une scène étant de 57, 59 vers. Chez Shakespeare, la scène équivalente (*Jules César*, V 5) ne contient pas de justification, Brutus se bornant à se tourner vers ses compagnons les uns après les autres, recevant un à un leurs refus de lui donner la mort ; Straton est alors celui qui accepte sans résistance. Chez Guérin de Bouscal, au contraire, Straton a un rôle véritable : il est celui qui argumente (v. 1363-1376 et 1387-1394) et oblige Brute à la justification, sous peine de voir sa vertu stoïcienne suspectée voire niée. [140] Voir le fac-similé, p. 2. L'image est celle de l'exemplaire mis en ligne par la Bibliothèque nationale de France sur Gallica. [141] *The* priv. *is dated July 23, 1637, and « de nostre regne le vingt-septiesme, » an obvious contradiction, since the twenty-seventh year of Louis's reign ended in May, 1637. As this* priv. *was transferred on Jan. 16, 1637, and the printing was completed on Feb. 20 of that year, the correct date of the* priv. *must be July 23, 1636, which makes it probable that the tragedy was first acted at the end of 1635 or early in 1636.* (H.C. Lancaster, *A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century*, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1942, Part II, note 6, p. 59). Alain Riffaud suit Lancaster et note la date du « 23.07.36 ». (Alain Riffaud, *Répertoire du théâtre français imprimé entre 1630 et 1660*, Genève, Droz, 2009, p. 85 et 335). [142] Une erreur de pagination fait de la page 49 une nouvelle page 46. [143] MICROFILM M- 1439 (4) et NUMM-71608. [144] De manière générale, pour les exemplaires conservés en France, nous nous sommes appuyé sur la Catalogue Collectif de France (CCFr). [145] L'exemplaire est victime d'une lacune. La partie supérieure de la feuille composant les pages 101-102 manque et semble avoir été découpée. Elle devait contenir – p. 101 – la fin de la chanson (v. 15-18), l'indication « A SYLVIE SUR LA MORT DE SA COUSINE D. L. / SONNET. » et – p. 102 – « A LA MESME SUR SON DEPART LE JOUR DE NOEL. … Ceux que par tout le monde on faisoit raisonner, ». [146] Liste établie à l'aide du catalogue WorldCat puis des catalogues des bibliothèques concernées. Nous avons procédé de même pour les références étrangères que nous donnons par la suite. [147] Ponctuation et coquilles identiques, notamment. Nous avons analysé tous les exemplaires conservés à Paris, exceptés ceux de la Bibliothèque Mazarine. [148] Nous avons complété le vers en conséquence. [149] Il y a de petites variations par rapport à l'édition de 1637, concernant la ponctuation essentiellement (nous soulignons) : un point derrière « ACTEVRS » ; « MARC-ANTHOI**S**NE, » ; « PINDARE, Affranch**y** de Cassie. » ; « LA SVIVANTE DE PORCIE. » ; « LES MESSAGERS, » ; « LES CHEFS DE L'ARM**É**E DE BRVTE. » ; « LES CHEFS DE L'ARM**É**E D'**Anthoisne**. ». [150] Notons que la mention « *Sur l'imprimé.* » ne désigne pas ici une contrefaçon puisque le privilège était échu ; l'adresse de Toussaint Quinet sur la page de titre est un simple rappel du libraire qui a imprimé le premier la pièce. Se présenter comme une reproduction du texte original est « un argument de vente », apportant un gage d'authenticité au lecteur. [151] Il y a de petites variations par rapport à l'édition de 1637, concernant la ponctuation essentiellement (nous soulignons) : un point derrière « ACTEVRS » ; « LES CHEFS DE L'ARM**É**E DE BRVTE. » ; « LES CHEFS DE L'ARM**É**E D'ANTOINE, ». [152] Voir l'exemplaire de la Bibliothèque nationale de France (site de Tolbiac), sous la cote RES-YF-3680, numérisé et disponible sur Gallica (NUMM-72237). [153] Un autre fait, dans la pièce même, conforte ce rapprochement : la traduction supprime l'indication de la compagne de Porcie à l'annonce de la scène correspondant à II, 4, ce que seule l'édition de 1652 fait, de façon heureuse. L'absence du prologue et des poèmes est un point commun qui peut éventuellement être considéré comme un nouvel indice allant dans ce sens. [154] Ainsi qu'il apparaît dans les catalogues de la BnF et des universités d'Amsterdam et de Leyde. Un exemplaire de cette traduction de la pièce de Scudéry est disponible sur Google Livres. [155] Pour l'édition de 1638, voir Alain Riffaud, *Répertoire du théâtre français imprimé entre 1630 et 1660*, Genève, Droz, 2009, p. 427. La réédition de 1646 nous a été directement indiquée par Alain Riffaud. [156] Deux pages, quarante-huit vers, correspondant à l'essentiel de la scène finale. [157] On note quelques différences dans la présentation des personnages : les chefs des armées de Brute et de Marc Antoine sont nommés (*FABIVS* et *TVLIVS* d'un côté ; *MAXIMVS, HOSTILIVS* et *CRASSVS* de l'autre), le mauvais génie de Brute fait son entrée dans cette liste plus exhaustive et devient, comme dans Shakespeare, le fantôme de Jules César (*GEEST van Julius Cæzar*). La scène où ce fantôme apparaît, correspondant bien à celle de Guérin de Bouscal (I, 4), est d'ailleurs plus développée que dans l'original. [158] Ernst Ferdinand Kossmann, *Nieuwe bijdragen tot de geschiedenis van het Nederlandsche tooneel in de 17*e* en 18*e* eeuw*, La Haye (‘s-Gravenhage), Martinus Nijhoff, 1915, p. 98. [159] Six quatrains alternant un heptasyllabe et un hexasyllabe. [160] Les scènes de la traduction ne sont pas numérotées. [161] Hier wordt Porcia vertoont. [162] Cela rappelle, chez Plutarque, deux disputes successives entre les deux généraux, dont une violente (*Vie de Brutus*, XXXIV-XXXV). Shakespeare, suivant Plutarque, a illustré ce conflit dans *Jules César* à la scène 3 de l'acte IV, résumant les griefs respectifs : Cassius, qui vient lui-même d'acquitter deux de ses amis pour la même faute, reproche à Brutus d'avoir fait condamner un citoyen pour concussion, sans avoir tenu compte de son avis. Brutus reproche à Cassius sa corruption et le fait qu'il ait refusé de lui verser l'argent qu'il demandait (voir Plutarque, *Vie de Brutus*, XXX). Shakespeare, également, marque le lien entre les deux hommes dans la réconciliation. Si l'on rapproche cette scène ajoutée et la transformation du mauvais génie de Brute en fantôme de César, se pose alors la question d'une possible contamination de la traduction par Shakespeare. [163] Étude réalisée sur les 16 occurrences que compte la famille de mots dans le texte : « lascheté », v. 243 ; « laschement », v. 321 ; « lasches », v. 363 ; « Relasche », v. 472 ; « lasches », v. 531 ; « lache », v. 749 ; « lasches », v. 812 ; « relaché », v. 853 ; « lâche », v. 1158 ; « lâchement », v. 1221 ; « lâcheté », v. 1408 ; « lâches », v. 1433 ; « lasches », v. 1481 ; « lasche », v. 1487 ; « relasche », v. 1536 ; « relaschant », v. 1647. L'exception est l'occurrence du vers 812, sans laquelle tous les cahiers ne toléreraient jamais qu'une seule graphie. [164] Quatre occurrences de *soings* (v. 1525, 1590, 1597, 1610) contre une de *soin* (v. 1595). [165] Alain Riffaud, *Répertoire du théâtre français imprimé entre 1630 et 1660*, Genève, Droz, 2009, p. 85, 335, 387-388. [166] Sur les 35 occurrences où l'on attendrait ce redoublement, l'édition de 1637 met les deux *r* dans 27 cas (77%). Sur les 8 occurrences restantes où l'on ne lit qu'un seul *r*, 7 occurrences sont corrigées dans l'édition de 1652 (exception : « pouroient », v. 1575). [167] Aucune occurrence de cette graphie dans les dictionnaires, avec ou sans tiret. [168] C'est le portrait du « Chef » qui est brossé (« sa valeur », « son adresse », « son bras »), avant de parler de tout un « chacun » au vers suivant. [169] On ne trouve cette graphie dans aucun dictionnaire. [170] On ne trouve cette graphie dans aucun dictionnaire. [171] Avec cette modification, les vers 933-934 proposent alors un balancement « tel » / « qui » identique aux vers 931-932. Malgré tout, nous notons par acquit de conscience une possibilité, nettement moins probable que la coquille, expliquant le texte de l'édition de 1637 : « Quelquefois *que* s'employe seul à la place de quelques adverbes et de quelques prepositions avec lesquelles on a accoustumé de le joindre. Ainsi on dit, *Approchez que je vous parle.* pour dire, Afin que je vous parle. ... *Je luy parlay qu'il estoit encore au lit*, pour dire, Lorsqu'il estoit encore au lit. *Il estoit à peine sorti, que toute la maison tomba*, pour dire, qu'Aussi-tost la maison tomba. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). [172] Graphie qui tend à être absente des dictionnaires, aussi bien pour le substantif que pour le verbe. Elle est minoritaire dans le texte de l'édition de 1637. [173] Cette graphie, qu'on ne trouve dans aucun dictionnaire, est présente deux fois, à quelques vers d'intervalle, dans le cahier N. Dans le reste de la pièce, on trouve « front(s) » (huit occurrences). [174] Sur ce point, voir Georges Forestier, « Lire Racine », dans *Œuvres complètes de Racine*, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, t. I, 1999, p. LIX-LXIV. [175] Tous les exemplaires que nous avons consultés donnent « Titine. ». Il est évident que Cassie, que la culpabilité fait réagir violemment, coupe Pindare. Par ailleurs, et c'est ce qui justifie la présente modification, la seule façon de donner du sens à la syntaxe du vers 732 est de considérer ce vers comme la suite de la phrase coupée de Pindare. [176] *Desapreuver* pour *désapprouver* ; de même, on rencontrera par la suite *treuver* pour *trouver* (v. 73, 183, 201, 298) et *espreuver* pour *éprouver* (v. 297). [177] Pour l'erreur de datation du privilège (il s'agit du 23 juillet 1636 et non 1637), voir la Note sur la présente édition. [178] Étant donné qu'il s'agit d'une majuscule, il est probable qu'il s'agisse d'un *u*. Nous laissons toutefois le nom tel, suivant Alain Riffaud dans son *Répertoire du théâtre français imprimé entre 1630 et 1660* (Genève, Droz, 2009, p. 85 et 335). Nous avons en revanche pris le parti de transformer « *Segvier »* en « *Seguier »*, Pierre Séguier (1588-1672), garde des sceaux et chancelier de France, académicien, étant une figure plus connue. [179] « Antoine », et non pas « Anthoine », comme dans tout le reste de la pièce. [180] On retrouvera ici les équivalents romains de ces noms francisés : (Marcus Junius) Brutus, Straton, (Caius) Cassius (Longinus), Porcia (Catonis), (Caius) Octavius (Thurinus), Marcus Antonius (Marci Filius Marci Nepos), Titinius, Pindarus, Demetrius. En principe, après son adoption par César, Octave devient Octavien (Caius Julius Caesar Octavianus). Guérin de Bouscal le nomme *Octave*, comme Boyer plus tard, dans *La Porcie romaine*. Avec la *Porcie* de Robert Garnier et le *Jules César* de Shakespeare, le personnage prenait la dénomination d'*Octave César* dans la liste des personnages (« Octave Cesar » et « Octavius Cæsar ») pour ensuite s'appeler *Octave* dans les didascalies nominatives (« Octave » et « Octavius »). Cela dit, il nous semble tout à fait hasardeux d'inférer de ces nuances quoi que ce soit concernant la vision du personnage par chacun de ces dramaturges. [181] Sur l'édition originale, il manquait de manière évidente un retrait pour marquer une nouvelle strophe. En effet, pour respecter le schéma du prologue (un quatrain, un sizain, un quatrain, un sizain, etc.), il faut que les vers 11-14 constituent un quatrain, ce qui est bien cohérent du point de vue du sens et de la ponctuation. [182] Sont ainsi désignés successivement dans cette strophe, Louis XIII (1601-1643), roi de France et de Navarre (1610-1643), et son principal ministre, le cardinal de Richelieu (1585-1642), dédicataire de la présente pièce. La composition de cette dernière intervient peu après l'entrée en guerre de la France contre l'Espagne (1635), la première comptant contrecarrer l'hégémonie des Habsbourg, qui encerclent le royaume. La fin de ce qu'on appellera la guerre de Trente Ans (1648), dont la France sera la grande gagnante, ne verra pas la fin de la guerre franco-espagnole, relancée la même année par la Fronde. Alors que le règne de Louis XIII avait permis au roi d'installer son pouvoir, la régence d'Anne d'Autriche remet tout en cause et réveille chez les Grands un esprit de revanche qui les pousse finalement du côté ennemi. La paix avec l'Espagne ne sera signée qu'en 1659. [183] Déclinaison des attributs de la divinité allégorique de la Renommée, avec ses innombrables bouches, son cor et ses ailes. Pour ce qui est de son « front », il est rare d'en lire une caractérisation. Néanmoins, voici ce que nous avons pu trouver : « … il est étonnant que les monumens antiques sur lesquels elle est représentée, soient aussi rares. A la vérité, on pourrait la confondre avec la Victoire, parce que cette déesse porte des ailes comme elle; mais jamais la Victoire n'embouche la trompette, attitude qui annonce si bien les fonctions de la *Renommée*. … On doit lui donner **la coiffure des vierges**, parce qu'aucun poète n'a chanté ses amants ni son hymen. » (Antoine Mongez et Marie Joséphine Angélique Mongez, *Encyclopédie méthodique, ou Recueil d'antiquités*, H. Agasse, 1804, 1811, p. 77 ; nous soulignons). On pourra alors lire chez Ronsard, au premier livre de sa *Franciade* : « … la pronte Renommée / **Au front de vierge**, à l'echine emplumée, / A la grand' bouche, avoit ja respandu … Cette Déesse à bouche bien ouverte, / D'oreilles, d'yeux et de plumes couverte / Semoit par tout … » (Pierre de Ronsard, *Les quatre premiers livres de la Franciade*, Gabriel Buon, 1572, 1573, p. 17-18 ou p. 11 ; nous soulignons). La figure « humaine » de vierge est développée par Guérin de Bouscal ; l'image en est plus colorée et le portrait plus vivant : ainsi devine-t-on, pour orner le front de notre Renommée, la rougeur de la « confusion » et du « respect ». [184] Si Virgile fait de la Renommée un monstre, on trouve chez le poète, dans une description souvent citée, de quoi inspirer la trajectoire du revirement de la vierge : « Le mouvement est sa vie et la marche accroît ses forces. Humble et craintive à sa naissance, elle s'élève bientôt dans les airs ; ses pieds sont sur le sol et sa tête se cache au milieu des nues. » (*Énéide*, IV, v. 175-177, éd. Henri Goelzer, trad. André Bellesort, Les Belles Lettres, 1956, p. 105). [185] Étouffer le lion de Némée, tel fut le premier des Travaux d'Hercule ; ce dernier, bébé, avait étranglé les serpents qu'Héra avait envoyés pour le tuer (voir les vers 31-34). La première conspiration contre Louis XIII et Richelieu date de 1626. Elle était censée profiter au frère du roi, Gaston, héritier du trône après lui. La reine, Anne d'Autriche, infante d'Espagne, fut suspectée d'y avoir participé. À cette époque, les deux hommes d'État opèrent un rapprochement avec les ennemis des Habsbourg, maison dont est issue une partie de la famille royale, dont l'autoritaire reine-mère, Marie de Médicis. En novembre 1630, cette dernière, à la tête du parti dévot, exige le renvoi de Richelieu. Le roi refuse : c'est « la journée des dupes », qui marque la chute de Marie de Médicis, bientôt exilée. En août 1637, six mois après l'achevé d'imprimé de notre pièce, la correspondance entre Anne d'Autriche et des ennemis de la France, dont son frère, roi d'Espagne, sera mise au grand jour par le cardinal. [186] Le lecteur actuel attendrait ici « de miraculeux moyens » ou « des moyens miraculeux », tout comme Vaugelas sans doute. Ce dernier entame sa remarque intitulée « De, et des articles. » par l'idée que le point qu'il va aborder n'est pas contesté par les « personnes qui ont tant soit peu de soin d'apprendre à bien parler et à bien escrire », notamment par « les gens de la Cour » et les « meilleurs Escrivains », avant de poursuivre : « Neantmoins ayant consideré, que dans la plus part des Provinces, on y manque, et que parmy ce nombre infini d'Escrivains qui sont en France, il y en a une bonne partie, qui n'y prennent pas garde, j'ay jugé cette Remarque necessaire. Au nominatif, et à l'accusatif ***de*, se met devant l'adjectif, et *des* devant le substantif**, par exemple on dit, *il y a d'excellens hommes*, et *il y a des hommes excellens, ce pays porte d'excellens hommes*, et *porte des hommes excellens*, et non pas *il y a des excellens hommes*, ny *il y a d'hommes excellens*, et ainsi de l'autre. C'est une reigle essentielle dans la langue. J'ay dit que c'estoit au nominatif et à l'accusatif, qu'elle avoit lieu, parce qu'au genitif et à l'ablatif, il n'en va pas ainsi; Car on dit *la gloire des excellens hommes*, et *on l'a despoüillé des belles charges qu'il possedoit*. » (Vaugelas, *Remarques sur la langue françoise*, Camusat et Le Petit, 1647, p. 330-331 ; nous soulignons). Le phénomène jugé fautif réapparaîtra plus loin, rentrant alors clairement dans le cadre du nominatif : « **Des longs gemissemens** fendent l'air alentour » (v. 937 ; nous soulignons). De manière générale, comme nous le verrons par la suite, dans nos notes et dans l'annexe au lexique, Guérin de Bouscal s'écarte à de nombreuses reprises de ce qu'aurait voulu le grammairien. [187] Atlas, le Titan condamné à porter le monde sur ses épaules, et son frère, l'Hécatonchire Briarée, être à cent bras et cinquante têtes. [188] La mer. Les deux frères de Neptune, Jupiter et Pluton, étaient maîtres du Ciel et des Enfers. [189] « Divinité qui présidait aux aléas de la destinée humaine, et qui distribuait les biens et les maux selon son caprice. » (TLFi). [190] AIGLE (romaine) (prologue, v. 87 ; pièce, v. 468, 1229) : « Les Romains aprés avoir porté diverses autres enseignes, s'arresterent enfin à l'*aigle* la seconde année du Consulat de Marius. » (Furetière). [191] Probable allusion au célèbre traité passé en 1536 entre François I*er*, roi de France, et le sultan Soliman le Magnifique. Le problème que posait les Habsbourg, incarné dans la figure de Charles Quint, se faisait prégnant. Cette alliance avec l'Empire Ottoman perdurera pendant des siècles et le traité initial sera confirmé par de nombreux autres. [192] Depuis François I*er*, les échanges d'ambassades sont nombreux entre la France et l'Empire Ottoman. La Thrace est alors une région ottomane à l'extrémité de l'Europe, à la limite de laquelle se trouvent Constantinople et le détroit du Bosphore. Le mont Parnasse est le séjour des muses, qui accompagnent souvent leur frère, Apollon ; le lieu est consacré au frère et à ses sœurs. [193] Le mot *estude* connaît un emploi masculin dans Godefroy, La Curne et Huguet, emploi absent des dictionnaires « postérieurs ». Vaugelas y consacre une remarque pour dire que « ce mot en toutes ses significations est feminin, tant au pluriel qu'au singulier » (*op. cit.*, p. 181). Nous en déduisons que cet emploi masculin, ici systématique, que l'on retrouvera au vers 1467 de la tragédie et au vers 4 de la « chanson », relève de l'archaïsme. [194] « LAURIER, se dit figurément en Morale, pour signifier la gloire d'un triomphe, d'une conqueste. Ce Prince a moissonné des *lauriers*, il est revenu chargé de *lauriers* et de palmes: parce que autrefois les couronnes de *laurier* estoient la recompense de la valeur et de la vertu. On en donnoit aussi aux excellents Poëtes, parce que le *laurier* estoit consacré à Apollon. Scuderi s'est fait peindre avec cette devise, *Poete et guerrier, il aura du laurier*. » (Furetière). Il s'agit ici de l'unique occurrence qui renvoie aux lauriers gagnés par le poète. Et pour cause : ce prologue, après avoir loué Louis XIII et plus fortement encore son dédicataire, le cardinal de Richelieu, esprit favorable aux arts, passe en revue différents sujets traités dans les années 1630. C'est ainsi un moyen pour le jeune Guérin de Bouscal, en laissant au lecteur contemporain le soin de reconnaître les grands noms de son temps (Rotrou, Mairet, Benserade, La Calprenède et Scudéry notamment), de s'inscrire dans le champ littéraire. Les branches de cet arbre sempervirens (toujours vert) symbole d'immortalité et, surtout, de la victoire, apparaissent dans notre œuvre à diverses reprises, toujours au pluriel (prologue, v. 124, 146 ; pièce, v. 312, 986, 1070, 1173, 1197, 1304, 1431, 1504, 1669). Ainsi, quand il est question de couronnes dans notre pièce, il s'agit toujours de couronnes de lauriers, en référence à la couronne dite *triomphale*, « faite de branches de lauriers ; on l'accordoit au général qui avoit donné quelque bataille ou conquis quelque province » (Diderot et D'Alembert, *Encyclopédie*, Briasson, David l'aîné, Le Breton et Durand, t. IV, 1754, p. 394). [195] Après les débuts d'Hercule, il est ici question de sa fin. Sa femme Déjanire avait obtenu du centaure Nessos ce qu'elle croyait être un philtre d'amour capable de lui garantir en temps utiles la fidélité de son mari. En fait, il s'agissait d'une ruse du centaure qui, agonisant d'une flèche d'Hercule, avait laissé à Déjanire l'instrument de la mort du héros. Un jour, Déjanire vit son mari ramener une princesse captive, Iole, dont il était épris. Jalouse et se sentant menacée, elle fit parvenir à celui-ci une tunique enduite du sang de Nessos. Hercule revêtit la tunique et la sentit le brûler, tout en étant incapable de l'enlever. Il fit alors ériger un bûcher sur le mont Œta, se plaça dessus et connut son apothéose. Déjanire, elle, se pendit. Sur cet épisode, les Anciens nous ont laissé deux grandes pièces : *Les Trachiniennes*, de Sophocle, et *Hercule sur l'Œta*, attribuée à Sénèque. Suivant Sénèque, Rotrou avait créé *Hercule mourant* au début de 1634 (H.C. Lancaster, *A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century*, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1942, Part I, p. 683). On sait les relations complexes et difficiles qu'entretenaient Louis XIII et Anne d'Autriche : la difficulté d'avoir un héritier ainsi que la tendance de la reine à conspirer contre le roi nourrissait la misogynie de ce dernier. [196] Massinissa (~238-148 av. J.-C.), roi des Numides, est connu pour avoir été l'allié de Rome durant la seconde guerre punique (218-202 av. J.-C.) et pour avoir fait de la Numidie un État unifié et indépendant. D'abord allié à Carthage, il change de camp en même temps que son rival, le roi numide Syphax, qui obtient du général carthaginois Hasdrubal le mariage avec sa fille Sophonisbe, fiancée – selon Appien – de Massinissa. Lorsque Syphax fut défait par les troupes de Scipion l'Africain et de Massinissa en 203, ce dernier retrouva Sophonisbe et l'épousa. Mais Scipion, craignant pour l'alliance entre Numides et Romains, s'opposa à cette union : la princesse figurerait à son triomphe. Refusant cette humiliation, elle se suicida par le poison (une tradition veut que ce soit Massinissa qui, dans un geste d'amour, le lui ait fait parvenir). C'est le sujet de la première tragédie italienne : la *Sofonisba*, du Trissin, vers 1515, traduite en français et source d'inspiration. À l'automne 1634, Jean Mairet avait créé sa tragédie *La Sophonisbe*, avec laquelle il avait introduit la règle des trois unités. La datation que nous donnons de la pièce est de Lancaster (*Ibid.*, Part I, p. 696). Chez Mairet, contrairement à l'histoire, le suicide de Sophonisbe est suivi de celui de Massinissa. [197] Il ne s'agit pas de l'empereur romain Titus, amant de Bérénice, mais, d'après Lancaster (*Ibid.*, Part II, p. 44), de Marc Antoine, dans une allusion à la tragédie de Benserade, *Cléopâtre*, qui fut représentée en 1635. Lancaster explique ailleurs le sens du mot *empereur* présent dans ce prologue par le mot latin *imperator*, qui désignait un général et qui pouvait constituer, dans un sens plus restreint, le titre du général victorieux (*The use of the word* empereur *presents no difficulty, for it is found in several French plays with the sense of* imperator. ; H.C. Lancaster, « Leading French Tragedies just before the *Cid* », *Modern Philology*, XXII, 1925, p. 377). [198] Comprendre : *ce qu'est*. L'absence de l'antécédent « ce » dans les propositions interrogatives indirectes est un fait syntaxique « constant » au XVI*e* siècle et courant au XVII*e* (Joseph Anglade, *Grammaire élémentaire de l'ancien français*, chap. VI, A. Colin, 1934, p. 186-187). On peut rapprocher le phénomène de l'avis de Vaugelas sur « que c'est » : « On ne dit plus gueres maintenant *que c'est*, comme l'on disoit autrefois. On dit, ce que c'est. » Vaugelas donne un exemple chez Malherbe de la tournure qu'il juge vieillie (Vaugelas, *op. cit.*, p. 173). [199] Il s'agit là de Mithridate (~132-63 av. J.-C.), roi du Pont, conquérant et grand contestataire de la domination romaine. Il est notamment connu pour s'être, dit-on, immunisé contre les poisons. Après sa chute, il aurait voulu s'empoisonner, en vain, et aurait alors été forcé de demander la mort à un de ses soldats. Il est ici fait allusion à la pièce de La Calprenède, intitulée *La Mort de Mithridate*, dont Lancaster situe l'apparition dans la seconde moitié de 1635 (*A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century*, éd. cit., Part II, p. 60). Dans cette pièce, c'est Mithridate lui-même qui se transperce d'une épée. [200] Georges de Scudéry avait fait représenter *La Mort de César* au début de l'année 1635, selon Lancaster (*Ibid.*, Part I, p. 472). La présente pièce peut dès lors apparaître comme une suite consacrée au destin de Brutus et des césaricides, dont le sort se joue à Philippes (Scudéry, soucieux d'écrire une tragédie régulière, s'était arrêté à l'assassinat de César). Voir notre introduction. [201] Symbole de la colère divine. [202] La métaphore de l'État-corps, ou corps social, est un héritage de l'Antiquité. Un célèbre précédent romain tient dans l'apologue de Ménénius Agrippa, chargé en 494 av. J.-C. par le Sénat de rétablir la concorde après la sécession de la plèbe sur le mont Sacré (Tite-live, *Histoire romaine*, livre II, XXXII). Sénèque utilisera la métaphore d'une manière différente : là où l'on avait l'idée d'un besoin réciproque, c'est le commandement de l'âme (le Prince) qui va primer ; le corps (le peuple), seul, ne peut qu'aller à sa perte (*De clementia*, livre I, III, 5). Il faudra garder à l'esprit ces deux tendances. Plus loin dans notre pièce, cette métaphore est filée par Marc Antoine (v. 323-340) et reprise par Octave (v. 969-970). [203] « *Alors* ne reçoit jamais la conjonction *que*, apres luy, il ne veut dire qu'*en ce temps-là, en ce cas là* … Il est bien necessaire d'en faire une remarque, à cause de l'abus qui commence à se glisser, mesmes parmy quelques-uns de nos meilleurs Escrivains en prose, par l'exemple des Poëtes; Car il est certain qu'ils ont les premiers introduit cette erreur, pour faire la mesure de leurs vers, quand ils ont eu besoin d'une syllabe ». Vaugelas donne l'exemple de Malherbe. « Mais quand ils ont une syllabe de trop, ils sont bien aises de dire *lors que*, se servant presque aussi souvent de l'un que de l'autre selon les occasions. … il est extremement rare d'oüir dire, *alors que*. … Jamais nos bons Escrivains en prose n'ont fait cette faute. **Si donc on le veut escrire, que ce ne soit jamais en prose, et qu'en vers il passe tousjours pour une licence Poëtique.** » (Vaugelas, *op. cit.*, p. 227-228 ; nous soulignons). Nous remarquons que dans notre pièce *alors que* ne compte que trois occurrences là où la conjonction *lors que* en compte neuf. Pour une réfutation du jugement de Vaugelas, voir l'annexe de notre lexique. [204] « *Avoir du pire.* Avoir le dessous, être vaincu. » (Huguet). L'expression est mentionnée dans l'article « succomber » du *Dictionnaire de l'Académie françoise* (première édition, 1694). Voir également le vers 508. [205] POINTE : « En termes de Guerre, se dit des corps les plus avancez, soit en la marche, soit en l'attaque. Ce Capitaine avoit la *pointe*, commandoit l'avant-garde. Il étoit à la *pointe* de l'aisle droite. » (Furetière). Dans un sens plus spécifique : «  **Aile d'une armée.** … — Ilz se meirent à deviser... touchant l'ordonnance de la bataille, là ou Brutus pria Cassius de luy laisser la conduitte de la poincte droitte. AMYOT, *Brutus*, 40. » (Huguet ; nous soulignons). Ailleurs, en ce sens d'« aile d'une armée », on ne trouve le mot que dans La Curne (entrée « poincte »). Les trois exemples donnés par les deux dictionnaires viennent de Jacques Amyot, célèbre traducteur de Plutarque, que Guérin de Bouscal devait avoir sous les yeux pour écrire sa pièce. L'exemple tiré de la *Vie de Brutus* en est quasiment la preuve. Dans une traduction moderne, ce passage que cite Huguet donne ceci : « Après quoi, ils discutèrent de l'ordre de bataille en présence de leurs amis. Brutus demanda à Cassius le commandement de **l'aile droite**, poste qui, semblait-il, devait plutôt revenir à Cassius en raison de son expérience et de son âge. » (Plutarque, *Vie de Brutus*, XL, 10, trad. Anne-Marie Ozanam, dir. François Hartog, Gallimard, 2001, p. 1817 ; nous soulignons). Le lien avec Jacques Amyot est d'autant plus évident quand on sait que Guérin de Bouscal a publié deux autres tragédies, l'une en 1640, *La Mort de Cléomènes, roy de Sparte*, l'autre en 1642, *La Mort d'Agis*. Or Plutarque a également écrit la *Vie* de chacun de ces deux rois de Sparte, qu'il a traités en même temps. [206] L'orthographe souligne la diérèse. [207] La « trame », le cours de la vie : c'est l'image classique des Parques (voir lexique). Une « trame de soye », une vie sans embûches. [208] La vertu, la naissance et la figure paternelle poussent Porcie à un projet qui s'apparente à la *devotio* : sacrifice de soi-même pour attirer la victoire, dont on trouve des exemples chez des généraux romains. « Ce suicide sacré qui compta d'illustres victimes en la personne des Decii, père, fils et petit-fils, fut, à proprement parler, un sacrifice de substitution, consommé, en principe, par un chef d'armée ou, à la rigueur, par un simple soldat qui jouait dans ce cas le rôle de représentant, pour assurer le salut de ses troupes sur le point de flancher sous la poussée virulente de l'ennemi. Au cours de la cérémonie sacrificielle, la victime volontaire endossait un vêtement sacré et, s'adressant aux divinités infernales, leur « dévouait » sa personne et celle des ennemis ; puis, montée sur un cheval, elle s'élançait à bride abattue dans les rangs adverses où il lui fallait trouver la mort. C'était là une tactique religieuse efficace et particulièrement redoutable qui liait les dieux et entraînait infailliblement leur appui pour anéantir l'armée ennemie et donner la victoire aux Romains. » (Yolande Grisé, *Le Suicide dans la Rome antique*, Les Belles Lettres, 1982, p. 86-87). C'est de manière générale un sacrifice fait aux valeurs morales de Porcie : l'exécuter, c'est retrouver son identité et n'être plus « différente à elle-même » (v. 242). Dans la tragédie de Robert Garnier, lorsqu'elle apprend la mort de Brute, Porcie évoque les ombres des illustres romains et fait une place de choix aux Decii : « O cruauté du ciel ! que diront aux enfers / Ces vieux peres Romains, de nos malheurs soufferts ? … Que diront, que diront les genereux Decies, / Si quelqu'un devalé sur les plaines noircies, / Leur dit que le païs, qu'ils rendirent seigneur / De tant de nations, applaudit serviteur, / Le païs pour lequel jadis ils se voüerent, / Le païs pour lequel leur sang ils prodiguerent ? » (*Porcie*, acte IV, dans *Les Tragédies de Robert Garnier*, Mamert Patisson, 1585, p. 29). Peut-être y a-t-il également dans notre passage une parenté avec l'ordalie, puisque la mort, hautement probable et même appelée des vœux de l'héroïne, ne paraît pas obligatoire. [209] On pense alors à deux ancêtres célèbres de Brutus : son homonyme, Lucius Junius Brutus, et Servilius Ahala, le premier ayant chassé le dernier roi de Rome et le second célèbre pour avoir tué Spurius Maelius, un riche plébéien prétendant à la royauté. « Déjà une dizaine d'années avant l'assassinat de César, quand Brutus contrôlait la monnaie romaine, il avait émis une pièce représentant ces deux ancêtres, un sur chaque face. » (David Sedley, « The Ethics of Brutus and Cassius », *Journal of Roman Studies*, 87, 1997, p. 53 ; nous traduisons). [210] Tous les exemplaires que nous avons pu consulter marquent « m' ». [211] Voilà un nom qui n'apparaît pas dans la liste des acteurs, qui ne parlera pas (sinon anonymement, comme un troisième « Chef » de Marc Antoine) et qu'on aurait plutôt attendu du côté des Libérateurs. Plutarque cite en effet un Caius Lucilius, ami de Brutus, retenu par l'histoire pour un épisode précis. Au moment de la défaite de Brutus, pour permettre à ce dernier d'échapper à l'ennemi, Lucilius se rendit en se faisant passer pour son général. Amené devant Marc Antoine en tant que Brutus, il lui parla sur le ton du défi, jurant que nul ne prendrait jamais Brutus. Marc Antoine, impressionné, fit de Lucilius un ami qui lui demeura fidèle jusqu'à sa mort (*Vie d'Antoine*, LXIX, 1, 2 ; *Vie de Brutus*, L). L'épisode est repris par Shakespeare, dans son *Jules César* (V, 4). Lucilius fut un proche de Marc Antoine, mais après Philippes. Robert Garnier, évoquant la fin de Marc Antoine, avait fait de Lucilius son dernier confident, durant tout un acte (*Marc Antoine*, acte III). Ainsi cette indication, présente dans tous les exemplaires que nous avons consultés, est-elle un ajout bien étrange et, sinon une grossière erreur de camp, du moins une anticipation qui ne fait pas sens. C'est peut-être pour cette raison que la traduction néerlandaise de la pièce (voir la Note sur la présente édition), qui nomme les chefs de l'armée de Marc Antoine, ne donne pas le nom de Lucilius, ni dans la liste des acteurs, ni à l'annonce de cette scène. [212] Durant la guerre civile, Brutus avait soutenu Pompée et combattu de son côté à Pharsale. Malgré cela, César lui fit gravir les échelons du *cursus honorum*. [213] Reprise des vers devenus célèbres des *Amours tragiques de Pyrame et Thisbé* de Théophile de Viau : « Ha ! voicy le poignard qui du sang de son Maistre, / S'est soüillé laschement, il en rougist le traistre » (*Œuvres du sieur Theophile. Seconde partie.*, Jacques Quesnel, 1623, p. 243). Pour la même image, voir le vers 781. [214] « *O tempora, o mores* » s'écriait Cicéron dans ses *Verrines* (II, IV, 25) ainsi qu'au début de ses *Catilinaires* (I, 1). Son mot est ainsi mis dans la bouche de Marc Antoine, celui qui avait fait exécuter et exposer la tête et les mains de l'auteur des virulentes *Philippiques*, un an plus tôt. Marc Antoine, en condamnant le crime de Brutus, nous rappelle le sien. Mais cette ombre de Cicéron, souvenir de la cruauté du triumvir, est finalement effacée par la fin du cinquième acte. Car la clémence revient à se vaincre soi-même. Voir notre étude des caractères dans l'introduction. [215] Chez les Romains, l'esprit d'un mort. « Plus tard, les Romains décernèrent ce nom aux âmes des morts qu'ils avaient divinisées, et ils en firent des divinités du monde inférieur, tout en leur rendant un culte pour apaiser leur courroux. » (Joël Schmidt, *Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine*, Larousse, 1985, 2000, p. 120). Les dictionnaires de Furetière et de l'Académie (première édition, 1694) ne mentionnent pas ce dernier sens restreint, qui relève d'une connaissance fine des coutumes romaines. Ils donnent une définition générale qui correspond plus probablement à l'emploi de Guérin de Bouscal, emploi d'un terme poétique pour désigner l'esprit d'un ou de plusieurs morts (voir également les vers 983 et 1575). [216] Déesse romaine de la Guerre. [217] Une définition du ravissement, donnée par le TLFi, éclaire ces deux vers et, plus généralement, le phénomène décrit par le médecin : « État mystique, supérieur à l'extase, dans lequel l'âme, soustraite à l'influence des sens et du monde extérieur, se trouve transportée dans un monde surnaturel, amenée vers Dieu. » [218] Allusion à Lucius Junius Brutus, héros de la République, dont Brutus se disait être le descendant. Après qu'il eut chassé Tarquin le Superbe, le dernier des rois de Rome, les deux fils de Lucius Junius Brutus furent impliqués dans un complot visant à rétablir la monarchie. Alors consul, Brutus dut condamner ses enfants et fut désigné pour présider à l'exécution : après avoir été battus, les traîtres furent décapités. « Pendant ce temps, il fallait voir le père, ses traits, sa physionomie, où perçait l'amour paternel au milieu de ses fonctions de justicier. » (Tite-live, *Histoire romaine*, livre II, V, éd. Jean Bayet, trad. Gaston Baillet, Les Belles Lettres, 1940, p. 8). Le grec Plutarque décrit un Brutus impitoyable et frisant l'insensibilité, mais conclut de la sorte : « On peut penser que l'élévation de sa vertu ferma son âme aux passions humaines, ou au contraire, qu'une passion outrée le rendit insensible. Dans les deux cas, son comportement n'eut rien de médiocre ou d'humain : il fut divin ou monstrueux. Mais il est plus juste de régler notre jugement sur la gloire de l'homme que de douter de sa vertu parce que nous sommes faibles, nous qui jugeons. Car les Romains pensent que Romulus ne fit pas, en fondant la cité, une action aussi importante que Brutus, en instaurant la République et en la consolidant. » (Plutarque, *Vie de Publicola*, VI, éd. cit., p. 233). Cet admirable exemple de *virtus* fait courir à notre Brutus le risque d'*hybris*, certes. Mais c'est peut-être là un risque stoïcien (sur le stoïcisme de Brute, voir notre introduction). Peu après cet épisode, inaugurant une victoire décisive pour la République, un des fils de Tarquin provoque Brutus en combat singulier ; celui-ci ne se fait pas prier. Les deux combattants meurent sous les coups l'un de l'autre. Lucius Junius Brutus est ainsi conforme à l'exemple général donné par les ancêtres : « mourir pour n'avoir point de Maistres » (v. 464) est sa fin. C'est d'ailleurs cette fin qu'évoque Brute pour lui-même, dès le début de la pièce, mot pour mot (I, 2, v. 122). Elle sera effective. L'imitation des ancêtres, appelée par le général, trouvera son parfait accomplissement dans Brute lui-même. [219] Furetière, en 1690, qualifie le mot de « vieux », ce que confirme le *Dictionnaire de l'Académie françoise* quatre ans plus tard. [220] Plus haut, Cassie invoquait la présomption d'innocence pour défendre Pompée (v. 147). [221] Le plus probable est que ce pronom renvoie à « l'amour du païs » (v. 516), force qui doit être canalisée des paroles aux actes, de l'exhortation à la bataille. [222] Il faut bien entendu comprendre « sain ». Cependant, nous maintenons cette graphie, liberté de l'époque, afin de respecter la rime pour l'œil. [223] Tous les exemplaires que nous avons consultés, excepté celui de l'édition de 1652, indiquaient : « PORCIE, sa Compagne. » Or la scène suivante réunit ces deux mêmes personnages, sans qu'aucun autre n'apparaisse. Par ailleurs, la compagne de Porcie ne prend pas la parole dans cette scène, son intervention coïncidant avec le passage à la scène 5. L'édition de 1652, elle, indique au seuil de la scène 4 : « PORCIE seule. » Ceci non seulement résout l'anomalie du changement de scène mais permet de faire de la scène 4 un monologue, ce qui est bien plus satisfaisant. En effet, lorsque la compagne prend la parole, elle semble n'avoir rien entendu des mauvais pressentiments et des imprécations de sa maîtresse ; sa confiance dans les soldats de Brute et son enthousiasme pour aller voir la bataille entre alors naturellement en dissonance avec l'état d'esprit de Porcie. De plus, elle le dit elle-même : « S'il vous plaist de les voir, vous le pourrez sans peine, / Du haut de ce rocher qui commande à la plaine, / **J'en viens tout maintenant** pour vous en advertir, / Croyant que cét objet vous pourroit divertir. » (v. 563-566 ; nous soulignons). Elle revient d'une éminence d'où elle a pu voir les combats pour jouer précipitamment le rôle de messager qui, typiquement, inclut une description de bataille (v. 557-562). Attend-on une scène, vingt vers, avant de faire parler un messager ? Nous pensons que non. Pour toutes ces raisons, nous suivons l'édition de 1652 en supprimant la mention de la compagne pour la scène 4. [224] Passage des traditionnelles rimes plates aux rimes croisées. [225] Comprendre : « Rome, qui commandais le monde entier, tout ce que le monde renferme ». [226] Pour un rapprochement avec le « Temple de memoire », voir la note du vers 823 ; voir également le vers 1506. [227] Contre l'ambition de César, le père de Porcie, Caton d'Utique, soutint le parti pompéien durant la guerre civile qui commença en 49 av. J.-C. Trois ans plus tard, après que César eut gagné la bataille de Thapsus sur les troupes alliées, Caton se suicida à Utique. [228] SURVIVRE : « Demeurer en vie aprés une personne avec qui en avoit quelque liaison, quelque rapport. … **Il gouverne quelquefois l'accusatif.** *Il a survécu son fils, sa femme.* » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694 ; nous soulignons). [229] « A partir du XVI*e* siècle, la langue tend à construire l'infinitif faisant fonction de complément avec une préposition comme aujourd'hui, bien que l'omission en soit encore très fréquente. Au XVII*e* siècle la préposition est omise, mais rarement devant l'infinitif complément après les verbes *prier, promettre, demander, tenter*, fréquemment après le verbe *feindre*. » (Alfons Haase, *Syntaxe française du XVII*e* siècle*, trad. M. Obert, A. Picard et fils, 1898, p. 202). [230] Dans les dictionnaires, on trouve quelques occurrences du mot *affaire* au masculin (dans Godefroy, Huguet et Nicot essentiellement). Godefroy et Huguet notent explicitement cette possibilité. Vaugelas la condamne et déclare : « Ce mot est tousjours feminin à la Cour, et dans les bons auteurs, je ne dis pas seulement modernes, mais anciens, Amyot mesme ne l'ayant jamais fait qu'au féminin. » (Vaugelas, *op. cit.*, p. 246-247). Dans la quantité de citations que donne Huguet pour illustrer l'emploi masculin, il y a Marot, Rabelais, Calvin, Du Bellay, Ronsard, Montaigne... Mais le plus cité est Jacques Amyot. [231] « *Croire de*, avec un infinitif. Croire. » (Huguet). L'absence de cette forme dans les dictionnaires « postérieurs » ne semble pas permettre de conclure en faveur d'un tour archaïque. En effet, on trouvera un exemple comparable sous la plume de Mazarin, dans une lettre datée du 7 août 1654 : « Je vous diray aussy que, par les advis que vous a donnez votre correspondant, il paroist bien que les ennemis ont bonne espérance de leur entreprise; mais ils tesmoignent, en mesme temps, appréhender beaucoup de manquer de vivres, les assiegez faisant une plus vigoureuse resistance **qu'ils n'avoient creu de rencontrer**. » (*Lettres du cardinal Mazarin pendant son ministère*, éd. A. Chéruel, Imprimerie nationale, t. VI, 1890, p. 265 ; nous soulignons). Peut-être faut-il suivre cet avis d'une critique de Casanova : « Contrairement à nos usages modernes, l'emploi des prépositions à la suite des verbes transitifs indirects était encore flottant, et Casanova ne fait que suivre les habitudes de son temps lorsqu'il écrit, suivis de l'infinitif: « savoir de », **« croire de »**, « penser de » (au sens de « croire »), « sembler de », « espérer de », « se figurer de », « déterminé de » … » (Marie-Françoise Luna, *Casanova mémorialiste*, Champion, 1998, p. 95 ; nous soulignons). On trouve chez Alfons Haase (*op. cit.*) deux remarques qui semblent également pertinentes : « L'infinitif *complément* est accompagné de la préposition *de* lorsqu'il est construit avec : ... quelquefois avec *croire* » (p. 283-284) ; « Certains verbes construits aujourd'hui de préférence avec une proposition conjonctionnelle étaient suivis de l'infinitif prépositionnel avec *de* au XVII*e* siècle. » (p. 294). Enfin, peut-être la tournure, employée à deux vers d'intervalle, est-elle un moyen de rendre le parallélisme des vers 639-642 plus éclatant. Voir également le vers 918. [232] Nous ne trouvons nulle part cette graphie de « deuil ». La forme « dueil » est assez présente dans Godefroy, La Curne, Huguet, Estienne, Nicot, Cotgrave, et même dans la première édition du *Dictionnaire de l'Académie françoise* et Furetière. Nous laissons la graphie « deüeil », liberté de l'époque, afin de respecter la rime pour l'oreille. [233] Au sens d'encouragements (absent des dictionnaires). [234] Même système de rimes qu'aux vers 709-710, comme une réponse de Cassie à Titine, non sans une certaine ironie tragique. [235] L'imperfection est manque de quelque chose, ici manquement au devoir. Ainsi cette scène (et cette réplique en particulier) est-elle le développement des préoccupations soulevées par Cassie dans la première scène de l'acte III : « Monstrez en cét endroit que l'honneur vous anime, … Mais sur tout que la foy que vous m'avez jurée / Au delà du bon-heur peut porter sa durée, … je veux seulement qu'on me donne la mort, / C'est par cette action que je dois reconnoistre / Qui de vous ayme mieux le salut de son Maistre: / Comment à ce discours vous changez de couleur, » (v. 604-617). [236] Sur cette image présente plus tôt dans le discours de Marc Antoine, voir la note du vers 356. [237] Nous laissons cette graphie, liberté de l'époque, afin de respecter la rime pour l'oreille. [238] Cette dernière réplique de Titine pourrait bien marquer un certain écart vis-à-vis de l'histoire. En effet, les auteurs antiques semblent unanimes sur ce point : Titinius se reproche âprement sa lenteur, par laquelle il se considère responsable de la mort de Cassius, lenteur qui vient justifier son suicide (Plutarque, *Vie de Brutus*, XLIII, 9 ; Dion Cassius, *Histoire romaine*, livre XLVII, 46 ; Appien, *Histoire des guerres civiles de la république romaine*, livre IV, chap. XV, CXIII ; Velleius Paterculus, *Histoire romaine*, livre II, LXX). Plutarque parle de l'« excès de joie » (trad. A.-M. Ozanam, éd. cit.), sans doute communicatif, des cavaliers de Brutus que rencontre Titinius ; Dion Cassius évoque l'insouciance de ce dernier lors de son retour vers Cassius. Chez Valère Maxime cependant, sa lenteur est justifiée avec soin : envoyé vers Brutus de nuit, il doit faire preuve de prudence pour approcher les silhouettes qu'il rencontre en chemin, ce qui implique des détours. Les reproches qu'il se fait sont alors, si l'on peut dire, plus doux, et l'accent est mis sur son amour pour Cassius : « … on ne saurait passer sous silence la noble conduite de Titinius. Devant le spectacle inattendu de son général gisant sur la poussière, il demeura quelque temps le regard fixe et comme frappé de stupeur ; puis, fondant en larmes, il s'écria : « O mon général, quoique ce soit sans le vouloir que j'ai causé ta mort, je ne veux pas la laisser impunie ; laisse-moi partager ton destin. » En même temps sur le corps inanimé de Cassius, il se plongea toute son épée dans le cou. Ainsi ces deux soldats mêlèrent leur sang et tombèrent en victimes, l'un de son attachement, l'autre de son erreur. » (*Actions et paroles mémorables*, livre IX, chap. IX, 2, trad. Pierre Constant, Garnier, 1935 ; disponible sur le site remacle.org). Les derniers vers de Titine (notamment le vers 710) montraient bien son empressement et son zèle. Sa responsabilité est ici relative et relativisée, dans la mesure où elle est essentiellement reportée sur les affranchis restés auprès de Cassie. [239] Cette « infernalle Barque » est celle de Charon, le passeur des Enfers. [240] L'expression n'est pas réservée au *Cid*, dont la première représentation ne date, selon Lancaster, que de janvier 1637 (voir notre introduction). On la trouve notamment chez Alexandre Hardy. Geoffrey Brereton, qui présente Hardy comme un inspirateur de Corneille, retrace le parcours de sa formation : il cite *Procris* (1605), *Arsacome* (1609) et finalement les vers 1533-1534 de *Félismène* (1613) : « O rage ! ô désespoir ! O énorme infamie ! / Amis, vengez ma mort, une louve ennemie... » (*French Tragic Drama in the Sixteenth & Seventeenth Centuries*, Londres, Methuen, 1973, p. 86-87). On peut ajouter à cette liste *Les Chastes et Loyales Amours de Theagene et Cariclée* (Jacques Quesnel, 1623, p. 127). L'expression est également présente, avant Corneille, en prose (voir par exemple Pichard, *Admirable vertu des saincts exorcismes sur les princes d'enfer Possedants reëllement Vertueuse Damoiselle Elizabeth de Ranfaing, Avec ses justifications, contre les ignorances et calomnies de F. Claude Pithoys Minime.*, Nancy, Sebastien Philippe, 1622, p. 225). [241] Cette accusation est présente dans une version de l'histoire où Pindarus est suspecté d'avoir tué Cassius sans son ordre (Plutarque, *Vie de Brutus*, XLIII, 7-8 ; Appien, *Histoire des guerres civiles de la république romaine*, livre IV, chap. XV, CXIII). Cette suspicion historique, que Plutarque et Appien semblent mettre au rang d'une conjecture bien discutable, vient du fait que Pindarus disparaît après avoir donné la mort à Cassius. Selon Valère Maxime, si l'on n'a pas retrouvé le corps de Pindarus, ce dernier s'est toutefois donné la mort ; sa fidélité est par ailleurs exemplaire (*Actions et paroles mémorables*, livre VI, chap. VIII, 4). Dans sa pièce, Guérin de Bouscal fait assister le spectateur-lecteur au suicide de Cassie et rejette du même coup l'hypothèse du meurtre. Néanmoins, il en tire parti pour exciter la « fureur » de Titine (v. 820) et faire du suicide un acte d'amour passionné tout autant que d'honneur. Titine se distingue par son attachement à Cassie d'autant plus nettement que Pindare et Demetrie ont un comportement ambigu : après la mort de Cassie, Pindare s'interroge sur la mort comme devoir et l'on pourrait considérer la réponse qu'il apporte comme une façon de se dérober (v. 787-794) ; Demetrie, lui, veut courir aux ennemis pour leur présenter les armes de Cassie et implorer leur clémence (v. 795-798), niant par là même la dernière volonté de Cassie : « Adieu, ne suy jamais le party du vainqueur. » (v. 786). Demetrie, figure connue pour cet unique fait (Plutarque, *Vie de Brutus*, XLV, 2), et qui va bientôt proposer aux triumvirs de leur « offrir un service eternel » (v. 1030) alors même que Brute est vainqueur sur Octave, semble bien avoir la fonction de faire-valoir. Ainsi, il apparaît que Titine, dont la présence rivalise avec celle de Cassie (6, 29% des vers contre 7, 21%), prend une place particulière dans la pièce, louant son général dans un récit de bataille (v. 659-664), le pleurant dans des imprécations avant de le suivre dans un exemple éclatant de fidélité. [242] Il faut sans doute voir ici un parallèle avec la mort de Pompée. Ce dernier, après sa défaite face à César à Pharsale (48 av. J.-C.), s'était dirigé vers l'Égypte où il espérait trouver refuge auprès du jeune roi Ptolémée. Un conseil se tint, composés des principaux courtisans du roi, qui étaient aussi ses ministres : Photin, Achillas et Théodote. Selon Plutarque, c'est l'avis du rhéteur Théodote qui fut suivi : il fallait recevoir Pompée pour le faire périr. Peu avant de débarquer, Pompée fut donc assassiné. On coupa la tête du cadavre qu'on offrit bientôt à César, à son arrivée. Le présent n'eût pas l'effet escompté : César fut horrifié et versa des larmes. Peu de temps après, victime d'intrigues, il mena Photin, Achillas et le roi à leur perte. Ainsi fut-il considéré comme le vengeur de Pompée. Après l'assassinat de César (44 av. J.-C.), Brutus fit tuer Théodote, qui avait réussi à s'enfuir. Voir Plutarque, *Vie de Pompée*, LXXX, et *Vie de César*, XLVIII-XLIX, Aurelius Victor, *De Viris illustribus*, LXXVII, et la réaction de César rendue par le cinéma hollywoodien : Joseph L. Mankiewicz, *Cleopatra*, première partie, de 11'47'' à 17'28''. Corneille fit représenter *La Mort de Pompée* à la fin de l'année 1643. Par ailleurs, notons le « Cæsar » du vers 815 : la logique veut que le « tyran » que les traîtres veulent « gagner » soit bien vivant... Il ne s'agit donc pas de César, mais de son fils adoptif et héritier, Octave, César le Jeune. (« César », à partir d'Auguste, deviendra le titre des empereurs romains.) Toutefois, l'ombre de César plane sur notre pièce et cette dénomination n'est peut-être pas innocente. Enfin, Marc Antoine, le vainqueur de Cassie et, bientôt, de la bataille finale, n'est pas cité. [243] MEMOIRE : « se dit aussi d'un monument qu'on esleve pour conserver le souvenir de quelque personne, ou de quelque action signalée. … On appelle poëtiquement en ce sens les Muses, les Filles de *Memoire*; et on feint qu'elles ont un Temple de *Memoire*, par ce que ce sont elles qui transmettent à la posterité l'Histoire des actions dignes d'une éternelle *memoire*; et leurs ouvrages sont ce qu'on appelle *Temple de Memoire*. » (Furetière) ; « On appelle aussi, *Le Temple de Memoire*, Le Temple dedié à cette Divinité, où l'on suppose que les noms des grands hommes sont conservez. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). [244] La mort de Titine est la preuve de son innocence là où la survie des affranchis (de Pindare en particulier) laisse à l'histoire et à la postérité une suspicion de meurtre. Voir la note du vers 814. [245] Pour mieux comprendre les vers 841-844, nous développons ici l'analogie. Leurs attentats, leurs actions contre les lois, sont à leurs États ce que l'Atlas, qui porte le monde, est au ciel. « MACHINE, se dit aussi des choses pesantes et difficiles à remuer. » (Furetière). Si les attentats ne soutiennent plus leurs États, ces grands États, avec la gloire de ceux qui les dirigent, sombrent dans le néant. [246] FIER : « Qui est difficilement apprivoisable, qui manifeste, pratique une sauvagerie instinctive », « Qui est rude et intraitable comme un animal sauvage. » (TLFi), « signifie aussi, Cruel, tyran » (Furetière). L'adjectif renvoie semble-t-il à l'impétuosité des torrents, qui ont figurément quelque chose de cruel, de féroce. [247] C'est l'image de l'éclair. Le foudre est l'attribut de Jupiter. [248] COMME : « On le joint quelquefois avec *quoy*, et l'on dit. *Comme quoy avez-vous fait cela ? comme quoy avez-vous abandonné cette affaire* ? pour dire, **Comment** avez-vous fait cela ? pourquoy avez-vous abandonné cette affaire ? » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). Dans le français contemporain, la tournure subsiste mais est familière (TLFi, article « quoi »). « … *comme quoy*, est un terme nouveau, qui n'a cours que depuis peu d'années, mais qui est tellement usité, qu'on l'a à tous propos dans la bouche. Apres cela, on ne peut pas blasmer ceux qui l'escrivent, mesme à l'exemple d'un des plus excellens et des plus celebres Escrivains de France … Mais pour moy, j'aimerois mieux dire, *comment*, selon cette reigle generale, qu'*un mot ancien, qui est encore dans la vigueur de l'Usage est incomparablement meilleur à escrire, qu'un tout nouveau, qui signifie la mesme chose*. Ces mots qui sont de l'usage ancien et moderne tout ensemble, sont beaucoup plus nobles et plus graves, que ceux de la nouvelle marque. Quand je parle des mots, j'entens aussi parler des phrases. Ce n'est pas que je ne me voulusse servir de *comme quoy*, qui a souvent bonne grace, mais ce ne seroit gueres que dans un stile familier. » (Vaugelas, *op. cit.*, p. 333-334). Cinquante ans plus tard, l'Académie observe : « Il est aisé de juger que *comme quoy*, qui estoit un mot nouveau que M. de Vaugelas a veu naistre, n'avoit pas esté generalement receu, puisqu'il a si-tost vieilli. On ne s'en sert plus presentement. » (*Observations de l'Académie françoise sur les Remarques de M. de Vaugelas*, Coignard, 1704, p. 322). Cette observation, dans sa lecture rétrospective, détourne le propos de Vaugelas qui disait qu'« on l'a à tous propos dans la bouche », ce qui revient à dire qu'il était « generalement receu ». Par ailleurs, le propos de l'Académie n'explique pas l'usage que nous connaissons et qui subsiste bel et bien dans notre langue. [249] Cette réplique d'Octave clôt un échange où l'on est porté à voir une crispation entre les deux hommes, là où dans tout le reste de la pièce, servant la même cause, ils semblent solidaires. L'union idéologique que demande pour l'auteur le sujet de la pièce ne se fissurerait-elle pas subrepticement, cédant à ce que l'histoire nous a laissé : la rivalité (et la guerre qui s'ensuit) entre les deux triumvirs ? Il y a lieu de le croire. Chez Mankiewicz (*Cleopatra*, deuxième partie, de 2'36'' à 4'38''), au terme de la bataille de Philippes, l'entrevue entre Octave malade et Marc Antoine est tout entière faite du sarcasme et du mépris de ce dernier. Plutarque écrit, au sujet de la bataille entre Brutus et les forces d'Octave : « Dans la première bataille, César, vaincu de vive force par Brutus, perdit son camp et échappa de justesse à ses poursuivants ; mais, à en croire ce qu'il écrit lui-même dans ses *Mémoires*, il se retira avant la bataille, à cause d'un songe qu'avait eu un de ses amis. » Robert Sablayrolles commente : « Probable justification *a posteriori* d'une attitude peu glorieuse, l'opinion publique contemporaine attribuant à l'évidence tout le mérite de la victoire à Antoine. Le sort indécis de la bataille dut beaucoup, semble-t-il, aux erreurs causées chez les conjurés par les fausses nouvelles et les mauvaises interprétations (voir *Brutus*, XLII-XLIII). » (Plutarque, *Vie d'Antoine*, XXII, éd. cit., p. 1686). À la scène suivante, la défaite des troupes d'Octave pourra convaincre Marc Antoine (v. 991-992 et 995) : le rêve du Médecin était providentiel. [250] Expression difficile à élucider. On trouve dans la deuxième édition du *Dictionnaire de l'Académie françoise* (1718) : « On dit aussi, *Prendre parti* sans rien adjouster, pour dire, S'enroller dans des troupes. *La garnison a pris parti dans nos troupes. Il a deserté, et a pris parti chez les ennemis.* » Mais passer à l'ennemi s'accorde mal avec la fuite (« en fuyant »), qui consiste vraisemblablement à fuir les ennemis. L'expression signifierait alors, plus simplement, se déterminer à quelque chose, en l'occurrence, à fuir. [251] Par des lamentations qui fendraient un cœur de pierre, susciteraient la compassion chez quelqu'un d'insensible. [252] « *Recevoir, prendre (qqn) à merci* (vieilli). Faire grâce (à quelqu'un). » (TLFi). « MERCI. s.f. Misericorde. *Crier merci. prendre, recevoir à merci. c'est un homme sans merci, qui ne vous fera aucun merci, dont vous ne devez point attendre de merci. j'implore vostre merci.* **Il vieillit dans la pluspart de ces phrases, où il se met sans article; et n'a plus d'usage que dans celle-cy. *Je vous crie merci*, qui se dit familierement, pour dire, Je vous demande pardon.** » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694 ; la remarque que nous soulignons en gras disparaît à partir de la huitième édition, 1932-1935). [253] « *Çà bas.* Ici bas, sur la terre. » (Huguet). Mis à part de nombreux exemples dans le Godefroy et surtout le Huguet, limités au XVI*e* siècle, on ne trouve cet adverbe quasiment nulle part. Deux mentions dans La Curne ; une seule occurrence dans Furetière (article « çà »), qui ne donne pas d'exemple. Notre étude est confirmée par ce que dit le TLFi : « emploi fréq. en relation avec un autre adv. jusqu'au XVI*e* s. (*ça haut, ça bas* ... v. *Gdf*. *Compl.*, T.-L. et *Hug*.) » (article « çà », partie « Étymologie et Histoire »). [254] Parole qui tend au blasphème. [255] Apostrophe à des divinités. Précisons la dernière : « **Envie.** Cette divinité allégorique, qui porte le nom de *Phthonos* chez les Grecs et d'*Invidia* chez les Romains, ne possède aucune légende. Elle personnifie avant tout la fascination du « mauvais œil » qui regarde avec envie ceux ou celles dont il ne peut s'assurer la disposition. Génie malfaisant, au cœur sans cesse dévoré par des serpents, l'Envie est d'une effroyable maigreur : tous les désirs inassouvis la rongent. » (Joël Schmidt, *op. cit.*, p. 69). [256] L'« interest d'Octave » est ici le sentiment des soldats pour Octave ; pour Furetière, le mot « signifie quelquefois en Morale, Passion ». Ce lien entre Octave et ses troupes, dont le vers signale le dévouement, avait pu s'illustrer à la bataille de Modène un an plus tôt, où Octave, malgré son rôle relatif dans la victoire, avait reçu l'ovation de ses soldats. [257] Forme féminine de « doute » ayant même signification (Claude-Marie Gattel, *Dictionnaire universel de la langue française*, Lyon, J. Buynand, t. I, 1819, p. 586). « Mais *doute*, qui estoit il y a quinze ou vint ans du nombre des substantifs hermaphrodites, jusques-là, que M. Coëffeteau, et M. de Malherbe, l'ont presque tousjours fait feminin … n'est plus aujourd'huy que masculin, et il faut tousjours dire, *le doute, je ne fais nul doute* » (Vaugelas, *op. cit.*, p. 299-300). [258] ROUTE : « Il signifie aussi, Le chemin et les logemens qu'on marque aux gens de guerre qui marchent par pays. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). « ROUTE, signifie aussi, Deffaite, dissipation d'une armée. Les Sergens taschent de rallier les soldats dans une *route*. Cette armée a été mise à *vauderoute* par les ennemis. Voilà la seconde *route* qui arrive à ce General. » (Furetière). Si l'on considère ce dernier sens (la déroute) à côté du sens usuel, le vers est à double entente. [259] Dans l'Antiquité, arbre dont la symbolique s'attache à la mort et aux cimetières. « Les Poëtes employent figurément le mot de cyprés, pour signifier la mort, le tombeau. » (Furetière). « Les anciens mettoient des branches de cyprés sur les tombeaux, et de là vient qu'en poësie *Cyprés* se prend quelquefois pour le symbole de la mort. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). « Le Cyprés est toûjours vert, et son bois est fort massif et de bonne odeur, presque comme le santal. Il n'est jamais ny pourry, ny vermoulu, non plus que celuy du cedre, de l'ébene, de l'if, du boüis, de l'olivier et du lotus sauvage. C'est ce qui obligeoit les Anciens à faire leurs statues de bois de Cyprés, afin qu'elles durassent toûjours, comme estoit la statuë de Jupiter au Capitole. Ils avoient dedié cet arbre à Pluton, et on le mettoit devant les maisons où il y avoit un mort; ce qui leur faisoit croire que l'ombre du Cyprés portoit malheur. » (Thomas Corneille, *Le Dictionnaire des Arts et des Sciences*, Coignard, 1694). [260] Après le cyprès, voici un autre végétal « toujours vert », symbole antique de la Victoire, chez les Romains en particulier. À la mort répond l'immortalité conférée à celui qui a vaincu glorieusement. [261] Le cyprès et le laurier renvoient tous deux aux amours d'Apollon, dieu assimilé au Soleil (Phébus), ici désigné par une périphrase. La liaison est remarquable et contribue, selon nous, à la beauté du passage. Ayant tué par erreur son cerf favori, Cyparisse demande aux Dieux de mourir à son tour ; ainsi s'accomplit sa métamorphose en cyprès. La poursuite de Daphné par Apollon est plus connue : avant que le dieu ne puisse l'atteindre, Daphné est transformée en laurier, laurier qui devient un attribut d'Apollon. Quant à la « grote noire », c'est celle de la Titanide Téthys, où le soleil passe la nuit. « Lorsqu'on a voulu exprimer d'une manière poétique le lever du Soleil, on a représenté le blond Phœbus qui, brillant et radieux, sort de la couche de Téthys, la divinité des eaux. On a pareillement désigné le coucher du Soleil, par Apollon qui vient se reposer dans le sein de cette divinité. » (François Noël, *Dictionnaire de la Fable*, article « Soleil », Le Normant, t. II, 1801, 1803, 1810, p. 618 ; dans les deux premières éditions de son ouvrage, Noël écrit « Thétis », faute courante, avant de corriger en « Téthys » dans la troisième). [262] « Donner l'être à », c'est-à-dire, engendrer, donner la vie (l'existence) à, acte de création divin par excellence. Figurément : causer, produire. On trouve l'expression dans le *Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694, articles « créer » et « former ». [263] Même s'il n'est pas pris dans ce sens, il semble pertinent de garder à l'esprit, dans une logique de connotation, que le verbe « rencontrer » peut signifier, dans une bataille, « affronter ». Voir rencontre⁎. [264] Marc Antoine tient exactement le même discours que Brute. Souvenons-nous : « Je ne crain pas pourtant que l'ennemy se vante, / Ny que pas un de vous en prenne l'espouvante; / Puis qu'en comparaison de la perte qu'il fait / La nostre mediocre est un gain en effet » (III, 3, v. 715-718). [265] La main comme symbole du pouvoir et de l'autorité. Dans la cérémonie de l'hommage féodal, le vassal à genoux jurait fidélité en tendant ses mains jointes que le suzerain entourait des siennes. Plus généralement, le vassal rendait hommage au suzerain par un baise-main. Figurément, l'hommage est soumission ou marque de respect. [266] Furetière s'interroge sur « naguere », employé deux fois dans la tragédie ou, plus précisément, dans ces stances (v. 1056, 1087) : « Ce mot vieillit ? » [267] Vaugelas n'est pas tendre : « Ce mot est vieux, et n'entre plus dans le beau stile, qu'en raillerie » (*op. cit.*, p. 403). Bien entendu, l'Académie ne s'écarte pas de cette ligne : « PROÜESSE. s.f. Action de valeur. En ce sens il n'a guere d'usage. / Il se dit fig. et en plaisanterie des Excés qui se font en certaines choses. » Furetière, lui, ne semble pas partager ce point de vue (nous soulignons) : « PROUESSE : Bravoure, action de valeur et de hardiesse. On a vanté de tout temps la *proüesse* d'Alexandre. Les Romans racontent mille *proüesses* de leurs Chevaliers errants. **Les delicats du temps ne veulent plus qu'on use de ce mot, et disent qu'il est vieux.** Il vient du Latin *probitas*. » [268] Comprendre : *ce que*. Sur l'absence de l'antécédent « ce », voir le vers 140 du prologue et la note correspondante. [269] Vaugelas constate l'erreur courante et fait la distinction entre un dérivé de *fundum*, qui doit s'écrire sans *s*, et un dérivé de *fundus*, qui doit s'écrire avec un *s*. « Fond » signifie alors « la partie la plus basse de ce qui contient, ou qui peut contenir quelque chose », par opposition à « fonds », qui signifie « *la terre qui produit les fruits propres à la nourriture de l'homme ou des animaux* », et par extension : « *tout ce qui rapporte du profit* » (Vaugelas, *op. cit.*, p. 347-348). Le TLFi cite Littré, qui est d'un avis différent : « Rem. ,, On peut voir à l'étymologie que *fonds* et *fond* sont exactement le même mot. Aussi quand *fonds* est pris comme ce qu'une personne a de savoir, d'esprit, de probité, etc. et *fond* comme ce qui fait une sorte de fondement et d'état permanent, les deux significations se confondent tellement que les orthographes dans les auteurs varient sans cesse, et qu'on pourrait faire passer plusieurs exemples sans difficulté de *fonds* à *fond*, ou de *fond* à *fonds*. Le mieux serait de supprimer l'*s* de *fonds*, et de ne faire qu'un seul mot de ce qui n'en est réellement qu'un, répondant en latin au mot unique *fundus*`` (*Littré*). Cf. aussi *Dupré* 1972, p. 1032-1033. V. *fond* III C 2. ». Le Furetière et la première édition du *Dictionnaire de l'Académie françoise* font la distinction de Vaugelas ; Cotgrave, dans son article « fond », ne la fait manifestement pas. L'orthographe, qui n'est pas une science exacte, n'est pas encore fixée à l'époque de notre pièce. Les hésitations des dictionnaires eux-mêmes nous ont ainsi conduit à laisser le mot tel. [270] L'autre occurrence du mot « stupidité » était dans la bouche de Cassie, avant la bataille : « Et dans l'Estat flotant de nostre liberté, / L'asseurance me semble une stupidité. » (I, 3, v. 143-144). Ce jugement opposé à Porcie est rejoint par Brute dans la réplique suivante (v. 1120-1130), réinvesti dans une attitude qui fait de la tempérance, rejetant les passions, la première vertu. Ici, il est sans doute bon de se souvenir que l'histoire a légué de Brutus l'image d'un stoïcien (voir notre introduction). [271] Encore l'image du cœur de pierre, ou « cœur de roche » nous disent Furetière, Richelet et l'Académie (1694), figure de l'insensibilité (voir v. 726, 945), ici prise positivement. Au contraire, dans la plupart des cas, le cœur se brise, est « percé » (v. 785, 902) ou, comme dans la réplique suivante, se « fend » (v. 945, 1150). [272] En français moderne, pour exprimer l'irréel du passé, on écrirait plutôt un conditionnel passé (« serait mort »). [273] On trouve quelques occurrences de cette graphie du verbe *avoir* à la troisième personne du singulier au subjonctif dans les dictionnaires, bien qu'on aurait pu attendre un *t* au lieu d'un *e*. Brute est maître de son cœur sauf, peut-être, face à Porcie. Ainsi, quelques vers plus haut : « Pour songer trop à vous je m'oublie moy-mesme. » (v. 1148). Cela dit, il semble plus exact de relativiser la portée de ce discours galant et, de manière générale, de l'influence de Porcie sur Brute (voir notre étude des caractères, dans l'introduction). [274] *Temple de memoire* : voir la note du vers 823. [275] « L'astre de la clarté vient d'une grote noire, / Et le malheur souvent donne l'estre à la gloire, » (Octave, IV, 2, v. 987-988). [276] « PEINDRE, se dit aussi des signes et des marques naturelles qui font connoistre les passions et les agitations de l'ame. La douleur est *peinte* sur le visage de cette mere affligée. La mort est *peinte* sur le visage de ce criminel qu'on mene au supplice. L'amour, la colere étoient *peints* dans ses yeux. Un amant dit que l'amour a *peint* sa maistresse dans son cœur, que son portrait y est gravé (Furetière). » [277] Allusion à l'aversion qu'avaient les Romains pour la royauté, attachée au souvenir des Tarquins. Ainsi Cassie peut-il déclarer l'avoir de naissance (I, 2, v. 99-102). [278] Tribuns de la plèbe. [279] Nuage... Ce qui obscurcit la vision, ce qui menace et ce qui cache la vérité. [280] Si le verbe *sourdre* est mieux connu de nous, le verbe *soudre* pouvait signifier dans l'ancienne langue : « délier, libérer » (Godefroy, Huguet et le *Dictionnaire du Moyen Français*). Il s'est par la suite réduit au sens de « Decider une question, demesler le nœud d'une difficulté. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition 1694). Il ne s'agit donc pas nécessairement d'une coquille, d'autant que la pièce fait preuve d'une tendance à l'archaïsme. Dans les deux cas, qu'il s'agisse d'une coquille ou non, c'est l'image du jaillissement. [281] « *A moy*, Se prend aussi dans la signification de vers moy; et alors ce n'est plus un datif. *Marchez à moy. venez à moy.* » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). « On s'en *moy* sert aussi pour appeller quelqu'un; Venez à *moy. A moy*, je suis blessé, secourez *moy*. C'est fait de *moy*, je me meurs. » (Furetière). La scène tout entière consiste en une exhortation de Brute à ses troupes avant la bataille finale. Cet « A moy donc compagnons, » conclusif est alors à mettre en regard avec « Allons donc, mes amis, » (v. 1195) et « Allons y donc, amis, » (v. 1243). [282] Dieu qui apporte le sommeil et suscite les songes, prenant parfois la forme d'êtres humains. Le sommeil est ici rapproché de la mort avant que la mort ne lui soit elle-même associée (v. 1263). Hypnos, père de Morphée et dieu du sommeil, est le frère jumeau de Thanatos, dieu de la mort. Ces trois dieux sont fils de la Nuit. « On dit poëtiquement de la mort, que c'est un *sommeil* de fer, qu'il est l'image, le frere de la mort. » (Furetière, article SOMMEIL). [283] Oiseau de malheur et de mauvais augure, charognard qu'on rencontre notamment sur les champs de bataille. [284] La mort est souvent représentée sous la forme d'un squelette ; c'est ici l'image du crâne. [285] Le rôle de la Compagne est constant, stéréotypé : elle est celle qui soutient la cause de l'espoir auprès de Porcie et celle qui la garde de la mort (par la raison et, finalement, la contrainte). Pour ce vers, comparer avec I, 6, v. 272-273. [286] Réponse, autant par la rime que par le contenu, aux vers de la première scène de notre pièce (v. 17-20). [287] ASTRE : « On dit d'un homme en fortune, qu'il est né sous un heureux *astre*; qu'on a de la peine à forcer son *astre*, pour dire, sa destinée. Le Sage commandera aux *astres*. » (Furetière). DESASTRE : « Ce mot est composé du mot *astre*, et de la particule *des*, comme qui diroit, *mauvais astre*. » (Furetière). [288] Il n'y a plus d'obligation morale de continuer à se battre. Au contraire, il faut accepter son destin, ce qui ne dépend pas de nous. [289] Le champ de bataille. Être maître du champ de bataille, c'est être vainqueur (voir TLFi). [290] Le passage des traditionnelles rimes plates aux rimes croisées coïncide avec le début d'une série remarquablement longue de quatrains, série qui ne s'achèvera qu'avec la mort du dernier locuteur présent sur scène. Comme l'a constaté Jacques Scherer, « l'élément le plus caractéristique des passages lyriques visant à la pompe est le quatrain » (*La Dramaturgie classique en France*, Saint-Genouph, Nizet, 1950-2001, p. 297). Jacques Scherer note pour cet usage le cas des invocations, aussi bien dans les monologues que dans les dialogues : « Dans le dialogue, lorsque l'appel à l'interlocuteur, au lieu de se réduire à la formule banale de « Seigneur », « Prince » ou « Madame », est étoffé de circonstances qui donnent de l'ampleur à la phrase, celle-ci prend également la forme du quatrain. » (*Ibid.*, p. 300). [291] Au vers 465, Lucius Junius Brutus « domptait la Nature ». [292] Le TLFi, dans la partie « Étymologie et Histoire » de l'article « service » : « 1370 *faire service a qqn* « lui rendre service » (*Oresme*, *Ethiques*, éd. A. D. Menut, VIII, 1, p. 412), supplanté par *rendre service à* 1612 (*Honoré d'Urfé*, *Astrée*, éd. H. Vaganay, t. 1, p. 48) ; ». Ainsi la tournure est-elle peut-être un peu vieillie. [293] Comprendre : « Je dirais qu'un homme de valeur pressé par les événements de telle sorte qu'il doive choisir entre sa vie et son honneur, s'il hésite, démontre sa faiblesse et ne sait pas voir en quoi consiste la bonne fortune / l'accomplissement d'une vie. » Évidemment, le mot « bon-heur » est difficile à expliciter et c'est pourquoi nous donnons deux sens possibles qui sans doute se superposent. Le « vray bon-heur », cela peut être cette « Fortune » qui n'« oppresse » qu'en apparence, puisqu'elle offre à celui qui ne peut plus rien faire pour ses principes de mourir pour son honneur. Chez les Stoïciens, le bonheur, c'est la vertu : mourir pour elle est une fin des plus dignes. La mort peut alors être considérée comme un gage d'accomplissement de la vie, bonheur. Mais le bonheur peut également être le séjour des Bienheureux, promis par la vertu (voir notre introduction). [294] *Temple de memoire* : voir la note du vers 823. [295] Le fait de. « **De** + inf. suj. (tour littér. assez répandu; *de* a une valeur expressive plutôt que syntaxique). » (TLFi). Le Huguet note : « *De* explétif devant un infinitif. » [296] PROJETER : le Huguet précise ce sens particulier : « Arrêter, décider. » [297] Il le serre dans ses bras, s'enfonçant ainsi le poignard que tient Straton (v. 1416). [298] « On a tenu pour certain que jamais aucun Laurier n'avoit esté frappé de la foudre, ce qui obligeoit l'Empereur Tibere de porter un chapeau de Laurier quand il tonnoit. » (Thomas Corneille, *Le Dictionnaire des Arts et des Sciences*, Coignard, 1694). À combiner avec le symbole de la victoire. [299] Le Tibre, fleuve de Rome. [300] « HYDRE, signifie aussi un monstre fabuleux que les Poëtes feignent avoir plusieurs testes, qui adjoustent qu'à la place de celle qui estoit coupée il en naissoit plusieurs autres. La deffaite de l'*Hydre* est mise au rang des travaux d'Hercules. » (Furetière). [301] Plutôt qu'une syllepse, il s'agit là d'une commodité de versification hardie. [303] Voir la note du vers 234 et l'entrée PARQUE du lexique. [304] « L'emploi de l'adv. *auparavant* comme prép., synon. de *avant* fréq. dans l'anc. lang. a été condamné par Vaugelas. Toutefois quelques ex. apparaissent encore dans l'usage vieilli, dial. ou arg. » (TLFi). Vaugelas, dans la remarque correspondante, décrit l'usage prépositionnel qu'il condamne comme étant « d'ordinaire avec les pronoms personnels » ; il ne donne pas d'exemple de la locution prépositive « auparavant de » suivie de l'infinitif, mais il ne faut pas douter qu'il eût également mis sur ce point notre auteur au rang de « ceux qui n'ont nul soin de la pureté du langage » (Vaugelas, *op. cit.*, p. 475). Le *Dictionnaire de l'Académie françoise* (première édition, 1694) n'indique que l'emploi adverbial, là où Furetière ne tient pas compte de la remarque de Vaugelas. Furetière donne même un exemple d'emploi prépositionnel devant un nom (« Vous demandez cela *auparavant* le temps. »), alors que Vaugelas notait : « devant les noms, je n'ai jamais remarqué qu'ils le facent ». [305] Pour le *Dictionnaire de l'Académie* (première édition, 1694), le substantif « n'a d'usage que dans la poësie », ce que n'évoque pas Furetière. [306] L'ellipse de la négation « ne » est admise au XVII*e* siècle. « PAS Point. Particule negative qui est tousjours precedée par les negatives *ne*, ou *non*, ou qui les suppose, soit en interrogeant, soit en respondant. … *veux-tu pas respondre* ? » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). [307] De « deffaillir », manquer. Comprendre : « si le cœur me fait défaut ». En ce sens, il n'est pas considéré comme « vieux », ni par les dictionnaires du temps, ni par le TLFi. [308] « Qu'apres estre bannis de nostre chere terre, / Tout l'Empire assemblé nous declare la guerre, / Et que tous les malheurs accompagnent nos pas, / Si je suis avec toy, je ne me plaindray pas. » (I, 5, v. 189-192). Le début de cette tirade de Porcie est à mettre en regard avec ce qu'elle disait dans la scène 5 du première acte, une des deux seules scènes où les amants s'entretiennent, et où l'héroïne déclarait : « Ouy, Brute, ton trespas rend le mien necessaire, / Soit pour me delivrer des mains de l'adversaire, / Soit pour ne faire pas un prodige nouveau, / Laissant durer un corps dont l'ame est au tombeau, / Ou bien pour te monstrer que cessant d'estre libre, / La fille de Caton perd le pouvoir de vivre. » (v. 213-218). [309] Écho des dernières paroles de Brute, dans la scène précédente : « L'on m'a presté ce corps, il faut que je le rende; / Mais j'emporte l'honneur avec la liberté, / Approche, cher amy, qu'à ce coup je t'embrasse; / Adieu, je nâquis libre, et libre je trespasse. » (v. 1421-1424). [310] Victoire et Mémoire, comme souvent dans notre pièce, sont indissociables (voir notamment v. 689-690, 1187-1188, 1207-1212, 1251-1253). Au vers 1506, les mots de « temple » et d'« autel » font écho au « Temple de memoire » dont il est question à plusieurs reprises (v. 823, 1188, 1403), ainsi qu'aux imprécations de Porcie (II, 4). [311] Voir la note du vers 234 et l'entrée PARQUE du lexique. [312] Pourquoi y a-t-il lieu de parler de « simple apparence » (v. 1515) ? Caton se suicide à Utique en 46, à la suite de la défaite de Thapsus. S'ensuit une brève période de paix. En effet, César n'en n'a pas fini avec les pompéiens, qui reconstituent leurs forces en Espagne. Ainsi, la guerre civile ne s'achève qu'en 45. Par ailleurs, la contestation républicaine n'est pas morte : en témoignent l'assassinat de César et la guerre contre les triumvirs qui s'achève en 42 à Philippes. Il y avait donc encore de l'espoir et cet espoir, c'était avant tout Brutus. [313] Tout mettre en œuvre, soulever des montagnes. Les monts Osse (1978 m) et Pélion (1651 m), appartenant au même massif que l'Olympe (2917 m), sont situés en Thessalie. Il s'agit là d'une référence au mythe d'Otos et Ephialte, deux géants qui, à l'âge de neuf ans, pour atteindre le ciel, menacèrent d'« entasser sur l'Olympe l'Ossa et, sur l'Ossa, le Pélion » (Homère, *Odyssée*, XI, 305-320, trad. Victor Bérard, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1955, p. 703). Sur l'*hybris* d'Octave, voir notre introduction. Plus tôt (v. 851-852), Brute faisait allusion au mythe, estimant avoir de son côté ce Jupiter qui avait foudroyé les « Geans ». [314] Considérer, choisir le lieu et le moment. [315] Il s'agit là des divinités domestiques et familiales, parmi lesquelles les Pénates. Les Pénates ont une dimension aussi bien publique (on pense au temple de Vesta, déesse du foyer) que privée (il sont attachés à une famille et se transmettent de génération en génération). Virgile joue de cette ambiguïté : la mission religieuse d'Énée est de transporter ses Pénates en lieu sûr (*infere deos Latio*, sixième vers de l'*Énéide*), Pénates qui sont autant les siens que ceux de son peuple. Virgile ne fait pas la distinction entre Pénates et Lares, le Lare étant la « divinité protectrice du terroir sur lequel la famille vivait » (John Scheid, *La religion des romains*, A. Colin, 1998-2010, p. 136). [316] Assoiffé, au sens propre et figuré, et, peut-être, corrompu. « On dit fig. d'Un homme cruel qui se plaist à respandre le sang, *qu'Il est alteré de sang humain. que c'est un tigre alteré de sang.* » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). [317] « Vous n'aviez sous les pieds que chevaus et gensdarmes, / Que picques et pavois, que divers outils d'armes, / Qui gisoyent sur le champ, demy noyez de sang, / Qui flottoit par la plaine ainsi qu'en un estang. » (Robert Garnier, *Porcie*, acte IV, dans *Les Tragédies de Robert Garnier*, Mamert Patisson, 1585, p. 26v). [318] « *Octave* : … Mais un cœur genereux doit cacher sa vertu. / *Anthoine* : C'est pourquoy tous les jours vous nous cachez la vostre. » (IV, 1, v. 890-891). La première bataille contre Brutus, perdue par Octave qui s'était réfugié dans le camp de Marc Antoine à la suite du rêve de son médecin, a pu lui insuffler ce désir. Par ailleurs, son rôle dans la seconde bataille n'est pas avéré par l'histoire, qui fait de Marc Antoine le vainqueur de Brutus. Notre pièce est ambiguë sur ce dernier point mais l'on note l'absence sonore, dans la liste des acteurs, de Chefs de l'armée d'Octave, alors que Brute et Antoine en ont. Ainsi la didascalie « leur suite », sous l'indication des scènes 3 et 6 de l'acte V, qui font intervenir les triumvirs, pose-t-elle question. [319] Antonomase qui désigne un surveillant, un espion, en référence à la figure mythologique d'Argus. « Géant aux cent yeux et à la force redoutable … Héra chargea Argos de surveiller sans relâche Io, amante de Zeus, qu'elle avait changée en génisse. Le géant, en effet, avait la faculté de ne dormir que de cinquante yeux, tandis que les cinquante autres demeuraient ouverts. Cependant, Hermès, sur ordre de Zeus, réussit, grâce au son charmeur de sa flûte, à plonger le redoutable gardien dans un profond sommeil, et il put ainsi lui trancher la tête. » (Joël Schmidt, *op. cit.*, p. 23). En ce sens, le TLFi note une attestation en 1584 : ainsi l'antonomase apparaît-elle lexicalisée à l'époque de notre pièce. On la trouve chez Rotrou, qui écrit au même moment son *Antigone*. Notons ce fait : Argus échoue. [320] Rappelons ces mots de notre héroïne : « Je cognois cent chemins pour aller aux enfers. » (v. 1530). Ces vers reprennent les motifs de la tirade de la scène V, 5, qui marque la disparition de Porcie de la scène. Les derniers mots de Porcie passent ici par la bouche de notre messager (v. 1607-1612). [321] « À l'impér. positif, *moi*, portant l'accent du groupe verbe + pron., et toujours réuni au verbe par un trait d'union est une var. combinatoire de *me*. » (TLFi). Ce qui est ici surprenant, c'est que le pronom apparaisse grammaticalement comme un complément d'objet indirect du verbe *venir* alors qu'il semble plutôt lié du point de vue du sens au verbe *ravir*. On aurait ainsi attendu : « ravissez-moy » ou « venez me ravir ». La forme « venez-moy » ou « viens-moy » ne se rencontre pas dans les dictionnaires. Peut-être est-ce là une licence de Guérin de Bouscal. Notons ici ce vers d'Antoine Furetière, qui écrivait, dans un tout autre contexte : « Vien-moy voir au mois de Décembre » (*Poësies diverses du sieur Furetiere A.E.P.*, Guillaume de Luyne, 1655, p. 189). [322] Le flambeau, comme d'autres éléments, rappelle Mucius Scævola devant Porsenna (voir notre introduction). Si l'on se réfère à la très exhaustive « liste chronologique des cas de suicide à partir des origines de Rome jusqu'à la fin du Haut-Empire » de Yolande Grisé (*op. cit.*, p. 34-53), on constate qu'avec Porcia le cas du suicide par l'« ingestion d'un charbon ardent » est sans précédent. Un seul exemple suivra dans la période traitée : celui de Servilia, l'épouse de Lépide le Jeune, fils du triumvir et neveu de Brutus, en 30 av. J.-C., le motif présumé étant là encore le fait de « ne pas survivre à son mari ». [323] Mort de Straton : « Ha ! je tombe, je meurs, mon œil est obscurcy, » (V, 4, v. 1451). [324] La face, c'est le visage, mais aussi, « la presence de Dieu » (Furetière). Une « divine face » est un visage parfait en son genre mais le rapprochement des termes laisse peut-être entrevoir Dieu lui-même. [325] Souvenons-nous des paroles de Brutus, apprenant, après sa victoire, la défaite de Cassius : « O Dieux justes et bons ! est-ce donc la coustume / De ne gouster jamais de bien sans amertume ? » (III, 3, v. 651-652). Octave reprend l'idée sur le mode de la révélation (voir dans le lexique l'entrée CONNOISTRE et l'emploi similaire du vers 1319). Voir plus bas la note du vers 1652. [326] Sens possibles de la conjonction : « *Que* corrélatif d'un adverbe de comparaison sous-entendu et signifiant plus que », « *Que*, signifiant autre que » (Godefroy) ; « Si ce n'est, sinon. », « Autre que. » (Huguet). [327] Le « Demon », génie du polythéisme, semble ici être identifié au Dieu chrétien par l'image du « grand Ouvrier » (voir l'article « ouvrier » dans Huguet et Furetière). [328] L'ambition, ce qu'on a reproché à Pompée (I, 3, v. 145-149), ce que les conjurés ont reproché à César et ce qu'ils reprochent dans la pièce à ses héritiers. [329] Ces six vers évoquent notre Brutus. Cependant, à l'image de l'enjambement v. 1637-1638, la première partie du diptyque met en avant un Brutus heureux, opposé au Brutus présent. Mieux, cette première partie contient en elle-même l'ambiguïté du personnage aux yeux de ses ennemis et du système qu'ils incarnent : la noblesse cause la déchéance de la légitimité, la puissance côtoie l'ambition. Le négatif succède au positif. Ce fonctionnement « déceptif » permet par ailleurs de suggérer, d'abord, l'autre Brutus, Lucius Junius Brutus, fondateur mythique de la République, qui avait chassé les Tarquins, et dont notre héros se réclamait : « Ce grand Brute autresfois » initial, suspendu en fin de vers, en offre une image subliminale. L'homonymie permettrait alors une sorte d'antanaclase elliptique ou de syllepse sémantique : un nom pour désigner deux hommes. Alors, de l'ancêtre au descendant, y a-t-il dégénérescence ? Comme nous le disions en introduction, Brute nous apparaît, dans la pièce, moins coupable que victime d'une erreur, même si le héros tragique n'est « ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocent » (formule de Jean Racine invoquant un principe aristotélicien, préface de *Phèdre*). [330] Sur l'anticipation historique qu'est la clémence d'Octave, voir notre étude des caractères, dans l'introduction. [331] Ce compliment sincère de Marc Antoine est à mettre en regard avec la joute de la première scène de l'acte IV. Octave est finalement parvenu à montrer sa valeur (voir le vers 1581 et la note associée). [332] Comme en III, 5, on pense à l'attitude de César envers les restes de Pompée : César avait accordé des obsèques à son ennemi et donné ses cendres à sa veuve Cornélie. [333] La Justice terrassant la Guerre. [334] Un octosyllabe perdu dans un sonnet régulier composé d'alexandrins ! Coquetterie ? On peut avancer qu'il s'agit d'illustrer avec le dernier tercet le raccourci qu'a suivi la cousine de Sylvie. De manière générale, l'hétérométrie est présente dans le texte (prologue, stances de Porcie en IV, 4, poèmes). [335] « A TOUS COUPS. adverb. A tout propos, souvent. *Il vient à tous coups me quereller. il tomboit à tous coups.* » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). [336] On trouve cette graphie du mot *tyran* dans Godefroy et Estienne. L'anglais, suivant l'ancien français, écrit *tyrant*. [337] Nous n'avons marqué que les occurrences se référant strictement à **l'idée même de courage**, sens qui explique, notamment dans des emplois absolus, des vers devenus obscurs pour nos contemporains (comme « en avoir dans le cœur », « tesmoigner de cœur », « (re) donner le cœur (de) (à) », « oster le cœur », les « gens de cœur »). Ainsi avons-nous laissé de côté des expressions comme « lasche / grand / timide / brave / genereux / bon cœur » qui relèvent de la **qualification morale de l'individu** et peuvent faire entrer en jeu une conjonction de valeurs qu'ils convient de démêler au cas par cas. [338] Ce qui n'implique pas que ces emplois soient vieillis ou vieux au XVII*e* siècle : « CONNOISTRE, signifie quelquefois, Découvrir, faire voir ce qu'on est. Un pere fait aisément *connoistre* son foible à la mort de ses enfans. ce brave s'est bien donné à *connoistre*, s'est signalé en cette occasion. » (Furetière). Ce sens correspond au second emploi que nous citons du TLF ; il est prédominant dans la pièce, notamment, sans doute, en raison de la gravité qu'il porte. [339] Cette dimension d'hostilité est remarquable dans le mot RENCONTRE, également présent dans ce lexique. [340] Nous soulignons (caractères gras). [341] L'emploi fautif a alors disparu. S'agit-il simplement du bon usage ou bien de l'usage réel ? Les choses auraient-elles évolué en cinquante ans ? [342] Nous avons noté 153 occurrences (*sur, sous, dans, hors de*). [343] Les deux pages se suivent : l'ouvrage, dans la version que nous avons consultée, est victime d'une anomalie dans la pagination. [344] La définition (« DISCORT, **mod. discord**, s. m., désaccord, discorde ») est suivi d'un exemple tiré de Villon (Frédéric Godefroy, *Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle*, F. Vieweg, t. IX, 1881-1902, p. 387). [345] En anglais, terme juridique signifiant « déshérence ». [346] Pierre Corneille, *Horace*, éd. Marc Escola, Flammarion, coll. GF-Dossier, 2001-2007, p. 210. [347] Louis Barré, dont le *Complément du Dictionnaire de l'Académie française* date de 1842, signale le mot comme relevant de la « vieille langue ». [348] « Quelle rage de Tygre s'est emparée de ton cœur, monstre de perfidie et de cruauté, que tu ayes eû le courage d'enchaîner ton Roy, ton bienfaiteur, puis de le **meurtrir** inhumainement ? Il est vray qu'une Couronne a esté le prix de ton parricide. » (Quinte-Curce, *De la Vie et des actions d'Alexandre le Grand*, trad. Vaugelas, Augustin Courbé, 1653, p. 538 ; nous soulignons). [349] Le sens est alors nettement réduit : « Sentiment d'un mal qu'on a eu. … / Il signifie aussi, Le souvenir qu'on garde des bienfaits, ou des injures. … Lors qu'on l'employe absolument, il signifie Souvenir des injures, et desir de vengeance. » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). [350] Pierre Gassendi, *Syntagma philosophiae Epicuri*, III, XXI, cité par Yolande Grisé, *Le suicide dans la Rome antique*, Les Belles Lettres, 1982, p. 177 ; nous soulignons. [351] Le *Dictionnaire de l'Académie françoise* (première édition, 1694) écrivait déjà : « SUS. Preposition *Sur*. Il n'a plus guere d'usage que dans cette phrase. *Courir sus à quelqu'un.* » [352] Il s'agit de vers d'une tragédie perdue : « Ô vertu infortunée, tu n'es qu'un mot ; je t'ai pratiquée comme si tu étais réelle ; maintenant tu es l'esclave de la Fortune. » (Dion Cassius, *Histoire romaine*, XLVII, 49, 2 ; cité par Jean-Marie Pailler dans Plutarque, *Vie de Brutus*, L, trad. Anne-Marie Ozanam, dir. François Hartog, Gallimard, 2001, note 219, p. 1825). Comparer avec les vers 1325-1332. [353] Daniel Guérin de Bouscal, *Le Gouvernement de Sanche Pansa*, éd. C.E.J. Caldicott, Genève, Droz, 1981. [354] 7 occurrences de ce type : *à l'heure* et *dés l'heure* (v. 335, 579) ; *pesle et mesle* (v. 656) ; *un chacun* (v. 437) ; *eschet* (v. 597) ; *faire service* (v. 1362) ; *triomphant* (v. 1574). [355] 27 occurrences de ce type : *soudain que* (v. 655, 911), *auparavant* (v. 1460), *dessus*/*dessous*/*dedans* (prologue, v. 83 ; pièce, v. 5, 83, 148, 474, 502, 572, 740, 868, 906, 943, 947, 985, 1026, 1053, 1199, 1252, 1482, 1564, 1579, 1617, 1643 ; stances, v. 14), *encontre* (v. 485). [356] 9 occurrences de ce type : *affaire* (v. 624), *discord/t* (prologue, v. 91 ; pièce, v. 1662), *estude* (prologue, v. 123 ; pièce, v. 1467 ; chanson, v. 4), *rencontre* (v. 559, 997) ; *doute* (v. 971). [357] 22 occurrences de ce type : *adresser* (v. 1179), *appareil* (v. 1634), *arresté* (v. 569), *avancer* (v. 709), le substantif *contraire* (v. 1491), *depiter* (v. 944), *espris* (prologue, v. 1), *estomach* (v. 769), *ore* (v. 576), *pointe* (v. 153), *projeter* (v. 1420), *prouësse* (v. 1072), *ressentiment* (v. 98, 1115), *saut* (v. 850), *soucy* (v. 239, 247, 1153, 1182, 1500), *soudre* (v. 1245), *temperament* (v. 1127). [358] 16 occurrences de ce type : *çà bas* (v. 954), *deschasser* (v. 1550), *devers* (v. 1324), *és* (v. 728, 1476), *gesir* (v. 670, 1402), *intermis* (v. 1229), *recevoir à merci* (v. 952), *avoir sa raison de* (v. 818), *servage* (v. 471, 1089), *sus* (v. 257, 373, 735, 825). [359] Les deux pages se suivent : l'ouvrage, dans la version que nous avons consultée (disponible sur Gallica), est victime d'une anomalie dans la pagination. [360] La définition (« DISCORT, **mod. discord**, s. m., désaccord, discorde ») est suivie d'un exemple tiré de Villon (Frédéric Godefroy, *Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle*, F. Vieweg, t. IX, 1881-1902, p. 387). [361] Nous soulignons (caractères gras). [362] L'emploi fautif a alors disparu. S'agit-il simplement du bon usage ou bien de l'usage réel ? Les choses auraient-elles évolué en cinquante ans ? [363] Nous avons noté 153 occurrences (*sur, sous, dans, hors de*). [364] Au XVII*e* siècle, on parlait de *galanterie* (notion endogène). L'intérêt du mot *préciosité* (notion exogène) est qu'il nous permet ici de désigner un phénomène précis au sein de la galanterie : la délicatesse extrême de l'expression. [365] L'emploi conjonctionnel d'*alors* est loin d'être une nouveauté : « **II.− Loc. conj.** : *alors que* **1.** 1167 *a l'ore* (ou *eure*) *que* « à l'heure où, lorsque » (*G. D'Arras*, *Ille et Galeron*, éd. Förster, 1972-73 ds *P. Imbs*, *op. cit.*, p. 220 : Assés i ot et duel et ire **A l'eure** qu'il entrer i porent) ; **2. a)** 1422 *alors que* indique le temps et l'opposition (*Alain Chartier*, *Quadriloge invectif*, p. 421, *Id.*, *ibid.*, p. 229 : Car **alors que** tu es riche, puissant et plantureux de bien; tu ne pues vivre sans blasphème et sans murmure) ; **b)** 1492 temporel (*Roman des Sept Sages*, p. 110, *Id.*, *ibid.*, p. 229, note 3 : **Alors que** tu seras a table et que les viandes seront posées, mets ung clos en la tuaille secrétement, et puis fais semblant que tu as oblié ton cutïaul). » (TLFi, partie « Étymologie et Histoire » de l'article « alors »). [366] Cette nouveauté est toute relative et n'a rien de scientifique : « Exprimant la manière mil. X*e* s. *si cum* (*Passion*, éd. D'A.S. Avalle, 27) ; spéc. **a)** av. 1421 *comme nous dirions* « en quelque sorte » (*Boucicaut*, I, ch. 18 ds *Littré*) ; 1559 *comme qui diroit* (*Amyot*, *Thésée*, 21, *ibid*.) ; **b)** *1466 *comme quoy** (*Pierre Michault*, *Le Doctrinal*, X, 180, éd. T. Walton, p. 15). » (TLFi, partie « Étymologie et Histoire » de l'article « comme » ; nous soulignons). Cela dit, le témoignage de Vaugelas garde son intérêt : il faut simplement lui donner du sens. Cette nouveauté qu'il constate traduit avant tout l'essor d'un emploi. [367] L'étonnant constat s'accorde bien avec une observation de Laure Himy-Piéry et de Stéphane Macé : « On s'aperçoit … bien souvent que le classement d'un terme dans la catégorie qui nous occupe ici celle de l'archaïsme n'est ni prédictible, ni régulier, ni définitif. Des termes oubliés, ou vieillis, peuvent être à nouveau utilisés, et sentis comme contemporains, et l'archaïsme devient néologisme, quand on aurait précisément pu penser que les deux notions étaient rigoureusement antonymes – et exclusives l'une de l'autre. » (*Stylistique de l'archaïsme*, Colloque de Cerisy, Presses Universitaires de Bordeaux, coll. Poétique et stylistique, 2010, p. 8-9). [368] « Avait-il abjuré lors de l'arrivée des troupes de Condé ? Nous n'avons pas pu le confirmer, mais sa paraphrase du psaume XVII (publiée en 1643) et surtout la dédicace de la *Doranise*, adressée à l'unique héritière des Rohan, avec un éloge magnifique du duc (l'ancien chef militaire des religionnaires), six ans seulement après la réddition de Réalmont, semblent trahir les réflexes conditionnés d'un huguenot. Quoiqu'il en soit, il est mort catholique » (Daniel Guérin de Bouscal, *Le Gouvernement de Sanche Pansa*, éd. C.E.J. Caldicott, Genève, Droz, 1981, p. 17). [369] Certes, dans notre pièce, c'est le sens de « tirer vengeance » qui prévaut. [370] Plutarque est la source majeure du sujet et sa traduction par Jacques Amyot est longtemps restée une référence. Dans une traduction moderne, ce passage que cite Huguet donne ceci : « Après quoi, ils discutèrent de l'ordre de bataille en présence de leurs amis. Brutus demanda à Cassius le commandement de **l'aile droite**, poste qui, semblait-il, devait plutôt revenir à Cassius en raison de son expérience et de son âge. » (Plutarque, *Vie de Brutus*, XL, 10, trad. Anne-Marie Ozanam, dir. François Hartog, Gallimard, 2001, p. 1817 ; nous soulignons). [371] Sur la philosophie de Brutus et le suicide stoïcien, voir notre introduction. [372] Brute et Porcie dominent la pièce par leur présence : respectivement, 30% et 19% des vers. Il faut noter que le caractère de Porcie est déterminé par son état civil : son identité passe par le souvenir de son père. [373] Par des lamentations qui fendraient un cœur de pierre, susciteraient la compassion chez quelqu'un d'insensible. [374] « *Recevoir, prendre (qqn) à merci* (vieilli). Faire grâce (à quelqu'un). » (TLFi). « MERCI. s.f. Misericorde. *Crier merci. prendre, recevoir à merci. c'est un homme sans merci, qui ne vous fera aucun merci, dont vous ne devez point attendre de merci. j'implore vostre merci.* **Il vieillit dans la pluspart de ces phrases, où il se met sans article; et n'a plus d'usage que dans celle-cy. *Je vous crie merci*, qui se dit familierement, pour dire, Je vous demande pardon.** » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694 ; la remarque que nous soulignons en gras disparaît à partir de la huitième édition, 1932-1935). [375] « *Çà bas.* Ici bas, sur la terre. » (Huguet). Mis à part de nombreux exemples dans le Godefroy et surtout le Huguet, limités au XVI*e* siècle, on ne trouve cet adverbe quasiment nulle part. Deux mentions dans La Curne ; une seule occurrence dans Furetière (article « çà »), qui ne donne pas d'exemple. Notre étude est confirmée par ce que dit le TLFi : « emploi fréq. en relation avec un autre adv. jusqu'au XVI*e* s. (*ça haut, ça bas* ... v. *Gdf*. *Compl.*, T.-L. et *Hug*.) » (article « çà », partie « Étymologie et Histoire »). [376] SOUDRE (du latin *solvere*) : C'est le sens de « délier » / « libérer », qu'on trouve dans le DMF, le Godefroy et le Huguet, absent des dictionnaires des époques postérieures, qui retient notre attention. Le vers 1245 propose alors l'image de l'impétuosité des flots dont sont victimes les soldats. Cette image serait alors identique à celle des « fiers torrens » du vers 862 et à celle du vers 1579, données ci-dessous. Le sens du verbe semble être déjà réduit au sens de *répondre à un problème, un argument* à l'époque de notre pièce, ce qui en fait un archaïsme du quatrième type (voir notre typologie liminaire). L'hypothèse de la coquille (*sourdre* plutôt que *soudre*) est exclue par la consultation d'un bon nombre d'exemplaires de la pièce. Par ailleurs, elle ne perturberait pas nos analyses. La terre a bu le « sang espanché » pour pouvoir le recracher jusqu'à produire un « estang ». [377] FIER : « Qui est difficilement apprivoisable, qui manifeste, pratique une sauvagerie instinctive », « Qui est rude et intraitable comme un animal sauvage. » (TLFi), « signifie aussi, Cruel, tyran » (Furetière). L'adjectif renvoie semble-t-il à l'impétuosité des torrents, qui ont figurément quelque chose de cruel, de féroce. [378] Assoiffé, au sens propre et figuré, et, peut-être, corrompu. « On dit fig. d'Un homme cruel qui se plaist à respandre le sang, *qu'Il est alteré de sang humain. que c'est un tigre alteré de sang.* » (*Dictionnaire de l'Académie françoise*, première édition, 1694). [379] *Godefroy* : 1°) « CONTRAIRE 2., s.m. chose qu'on fait en retour ou en représailles d'une autre … Opposition, contrariété, affliction, toute chose fâcheuse et nuisible ». 2°) « CONTRAIRE, s.m. Compl. chose contraire … *Aller au contraire*, loc. Compl. s'opposer ». *Huguet* : « Contraire (subst.). Adversaire, ennemi, rival. … *Au contraire*. D'une façon contraire, opposée. … En sens contraire, tendant vers le contraire. … Faisant opposition, hostile. » *Richelet distingue deux adverbes* : 1°) « *Au contraire, adv.* Au préjudice. Elle cassa tous les actes rendus au contraire. *Maucroix Schisme. l. 2.* » 2°) « *Au contraire, adv.* Bien loin de cela. » *La distinction n'est plus aussi nette dans le *Dictionnaire de l'Académie françoise**, première édition, 1694, où le substantif n'est par ailleurs pas mentionné (article « contre ») : « AU CONTRAIRE. adv. Tout autrement, d'une maniere opposée. *Vous dites que cela arriva de la sorte, au contraire il arriva que etc. tant s'en faut que cela soit ainsi, qu'au contraire. vous faites tout au contraire de ce que l'on vous dit. il destruit la Religion, bien au contraire de ses ancestres qui l'ont soustenuë.* / On dit, *Aller au contraire d'une chose*, pour dire, S'y opposer, y contredire. *On en demeure d'accord, personne ne va au contraire. allez vous au contraire de cela* ? » [380] Avant la bataille de Philippes, qui correspond au cinquième acte de *Jules César*, Brutus voit le spectre de César lui apparaître dans sa tente (IV, 3). [381] On a parlé de Mucius Scaevola. Brute fait également allusion à ses ancêtres, héros mythiques des débuts de la République romaine : son homonyme (Lucius Junius) Brutus, qui avait chassé les Tarquins et condamné à mort ses fils impliqués dans un complot, et Servilius Ahala, qui avait tué Spurius Maelius, un riche plébéien prétendant à la royauté. [382] Ce que confirmera la conversion d'Octave à la clémence à la scène finale, avant même le *Cinna* de Corneille. Penser à l'exemple de César dans le *Pro Marcello* de Cicéron et à la théorisation de la notion par Sénèque. [383] On note une seconde édition en 1637 chez Augustin Courbé, dont un exemplaire est disponible sur Gallica. [384] Nous marquons d'un astérisque les documents qui abordent *La Mort de Brute et de Porcie*. Malheureusement, il n'y a guère de travail autonome ou d'envergure sur cette tragédie.