--- identifier: jodelle_didon creator: Jodelle, Étienne. date: 1574 title: DIDON SE SACRIFIANT, TRAGÉDIE. --- DIDON SE SACRIFIANT TRAGÉDIE M. D. LXXIIII. Avec Privilège du Roi. D'ESTIENNE JODELLE PARISIEN. # EXTRAIT DU PRIVILÈGE. Il est permis à Nicolas Chesneau Libraire juré en l'université de Paris, d'imprimer ou faire imprimer, et exposer en vente en un ou plusieurs volumes, Les Oeuvres poétiques d'Etienne Jodelle Parisien. Et sont défenses faites à tous autres libraires ou imprimeurs n'en vendre sinon de l'impression dudit Chesneau ou de son consentement. Et ce jusques à six ans entiers et consécutifs après la première impression qui en sera faite, à peine de confiscation, et d'amende, comme plus amplement il est porté ès Lettres sur ce données à Paris le 24 septembre 1574. Signé, par le Conseil, LE COINTE.À PARIS, Chez Nicolas Chesneau, rue saint Jacques à l'enseigne du Chesne verd ; et Mamert Patisson, rue saint Jean de Beauvais, devant les Escholes de Decret.Ce volume a été achevé d'imprimer le 6ème jour de Novembre 1574. # PERSONNAGES. – ACHATE. – ASCAIGNE, fils d'Énée. – PALINURE. – ÉNÉE, prince troyen. – LE CHOEUR DES TROYENS. – DIDON. – LE CHOEUR DES PHENICIENNES. – ANNE. – BARCE. # ACTE I. ## Achate, Ascaigne, Palinure. ACHATE. [1] Quel jour sombre, quel trouble, avec ce jour te roulent Tes destins, ô Carthage ? Et pourquoi ne se souillent Les grands Dieux, qui leur vue et leurs oreilles saintes. Aveuglent en nos maux, essourdent en nos plaintes ? Pourquoi doncque, jaloux, ne se saoulent de faire, Ce qui fait aux mortels leur puissance déplaire ? Race des Dieux, Ascaigne, et toi qui l'aventure [2] Des Troyens lis au ciel, assuré Palinure, [3] [4] Encor que notre Énée au havre nous envoie Apprêter au départ les restes de la Troie : Encor que nous suivions ses redoutés oracles, Ses songes ambigus, ses monstrueux miracles : [5] Encor que, comme il dit, du grand Atlas la race, [6] Mercure, soit venu se planter à sa face, Afin que hors d'Afrique en mer il nous remène, Pour faire aussitôt fin à nos ans qu'à la peine : Ne jetez-vous point l'oeil (las se pourrait-il faire Que telle pitié pût à quelqu'un ne déplaire ? Jetez-vous point donc l'oeil sur l'amante animée ? [7] Sur Didon, qui d'amour et de dueil renflammée, [8] (Jà déjà je la vois forcener, ce me semble,) Perdra son sens, son heur, et son Énée ensemble ? Et dont peut-être (ha Dieux !) la misérable vie Avec nos fiers vaisseaux aux vents sera ravie : Tant que l'injuste mort retombant sur nos têtes Armera contre nous les meurtrières tempêtes. Sa peine fut horrible alors que la nuit sombre De son époux Sichée offrit à ses yeux l'ombre, L'ombre hideuse et pâle, et qu'à ses yeux Sichée Découvrant une plaie, une plaie bouchée [9] De la poudre et du sang, montrait à la déserte De son frère meurtrier la cruauté couverte, D'un son grêle enseignant sa richesse enterrée : Dont elle avec les siens par l'Afrique altérée Fuyant de ce cruel Pygmalion la rage, Marchanda pour bâtir sur ce bruyant rivage, Ce que les siens pourraient environner de place De la peau d'un Taureau, et dont elle menace, Ayant dressé Carthage, horreur même des guerres, Les voisins ennemis, et les étranges terres. L'autre mal la troubla, lorsque Jarbe le prince [10] Des noirs Gétuliens, lui offrait sa Province, [11] Et son sceptre et sa gent, si par les torches saintes Du mariage étaient leurs deux âmes étreintes, Sans qu'elle au vieil amour de Sichée obstinée, Se pût faire fléchir sous le joug d'Hyménée : Tant que ce Roi lui couve au fond de l'âme, pleine D'un immortel courroux, une implacable haine. Plus étrange malheur encor la vint surprendre, Quand le pardon des flots apaisés fit descendre Notre troupe en Afrique ; et que les yeux d'Énée De cent traits venimeux blessèrent l'effrénée, Lorsque son hôte Amour de ses flammes mordantes, Peu à peu dévorait ses entrailles ardentes, [12] Braisillant dans son coeur, comme on voit hors la braise Les charbons s'allumant saillir dans la fournaise ; [13] Ou comme l'ardant corps dont se fait le tonnerre ; Lorsqu'à son élément il s'élève de terre Dans le milieu de l'air, clos d'une froide nue, Double de cent éclairs la longue pointe aiguë. Mais las ! Quand des Dieux l'ire à notre aise s'oppose, Nous nous sentons traîner de pire en pire chose. Didon, qui notre Énée (arraché de l'horrible [14] Massacre des Grégeois, de la fureur terrible [15] De Junon adversaire, et des hurlants abîmes) Dès lors même qu'un pied dans Carthage nous mîmes, Dedans sa cour reçut, recevant dans son âme Par le regard coupable, et l'image, et la flamme, [16] Pourrait-elle égaler tout le mal que lui brasse [17] Si longtemps la Fortune, au dueil qui la menace En notre injuste fuite ? Ainsi que l'indiscrète [18] Qui perdait son Jason, ou que celle de Crète [19] Qui rappelait en vain son Thésée au rivage, Remplira l'oeil de pleurs, son âme d'une rage, Et d'une horreur sa ville. ASCAIGNE.         En mémoire me tombe Ce qu'un jour nous disait mon père sur la tombe D'Anchise mon aïeul : Que l'amour et la haine [20] Des Dieux vont bigarrant la frêle vie humaine ; Tant qu'à peine une joie aux mortels se rapporte, Qui n'ait pour sa compagne une douleur plus forte ; Mais il confesse aussi qu'aux choses douloureuses On s'aveugle, pour voir et goûter les heureuses. PALINURE. Il vaut mieux que les Dieux leurs ordonnances gardent, Que pour se démentir, aux dangers ils regardent. [21] Et l'on ne doit son fiel contre les Dieux époindre, Quand on reçoit des Dieux de deux malheurs le moindre. Quel malheur si Didon dans sa poitrine ardente, Eût pu d'un grand Énée ensevelir l'attente ? Tant qu'une même ardeur ravissant leur mémoire, Pût ravir des Troyens et de leur chef la gloire : Et qu'ici s'attachant la fatale campagne Que le Tibre entortille, eût pour néant d'Ascaigne Attendu les efforts, voire et l'horrible race, Qui doit forcer sous soi ce que Neptune embrasse ? Un mal passe le mal. ASCAIGNE.         Bien qu'une douce amorce Dérobe bien souvent au jeune coeur sa force, Si m'aveuglé-je au bien que j'avais, et au trouble D'une amante insensée. Il faut que l'on redouble L'âme pour vaincre un dueil. Donc cette Afrique douce En la laissant, nous charme ? Où le destin nous pousse Suivons, suivons toujours. Toute troupe est sujette Au travail : le travail enduré nous rachète Un glorieux repos. ACHATE.         La jeunesse bouillante Qui contre le souci se rend toujours nuisante, Défend à ton esprit, Ascaigne, qu'il ne ronge La crainte des dangers, où plus âgé je songe : La haine fait le dol. Junon par les envies Que sans fin irritée acharne sur nos vies ; [22] (Elle qui du Tonnant est la soeur et l'épouse) Renverse les destins ; et de tout heur jalouse, Veut montrer que celui toujours son malheur traîne, [23] Pour qui les coeurs félons ont enfiellé leur haine : [24] N'aurait-elle pas bien pourchassé par menée Que hors d'ici les Dieux exilassent Énée ? [25] Elle qui à son vueil Déesse se transforme Aurait-elle point pris de Mercure la forme, Pour nous ôter (feignant du grand Dieu le message) Une Troie déjà redressée en Carthage ? Qui plus est par l'horreur de l'hiver, et la rage [26] Des cruels Aquilons, et par le seul naufrage S'apaisent leurs courroux. Jupiter nous commande [27] De faire démarrer la Phrygienne bande, Demeurant des Grégeois : car depuis que la Troie [28] Fut par l'arrêt céleste aux Atrides la proie, Ce pauvre nom nous reste, et semble qu'à cette heure Le Ciel veuille que rien de Troie ne demeure. Car vu qu'en nulle terre on ne nous souffre prendre Le siège et le repos, et qu'ores de la cendre Des funèbres tombeaux les tremblantes voix sortent, Qui toujours nouveau vol à notre suite apportent : [29] Et qu'ores par les cris de quelque horde Harpie Nous sommes rechasses : et or' de la Libye [30] Par le fils de Maia, qui fait changer sur l'heure À la traîtresse mer notre sûre demeure. Quelle belle Italie, ou quel autre héritage [31] Nous promet-on, sinon l'éternel navigage, Et le fonds de la mer, qui par la destinée Veut pour un Dieu marin recevoir son Énée Énée son neveu, et de lui seul contente, Noyer avecque nous nos Dieux et notre attente ? PALINURE. Jamais aux bas mortels les Immortels ne rendent Une assurance entière : et toujours ceux qui tendent À la gloire plus haute, ont leurs âmes étreintes Aux soucis, aux travaux, aux songes, et aux craintes. Mais en vain celui-là se tourmente et soucie, Qui soit heur, soit malheur, dessus les Dieux appuie Le hasard de ses faits : car bien qu'au ciel je visse Les astres ennemis, et que je me prédisse [32] De mes voisins dangers l'événement moleste, Il vaudrait mieux, suivant un message céleste [33] (Quand même il serait faux) mettre aux Dieux ma fiance, Que suivre pour guidon ma frêle connaissance : Aimant mieux en m'armant d'une volonté pure Perdre tout, que d'avoir vouloir de faire injure [34] Au mandement d'un Dieu, qui veut que pour un vice Exécuté, vouloir de faillir se punisse. ASCAIGNE. Encor oublions-nous, qu'outre l'ailé Mercure, Plus sûrs encor nous doit rendre un céleste augure, Alors qu'au sac piteux notre Troie était pleine Du feu, de pleurs, de meurtre, une flamme soudaine [35] Vint embraser mon chef, qui comme notre Anchise L'expliqua, nous chassait hors de la Troie prise. Je jure par l'honneur de cette même tête, Par celle de mon père, et par la neuve fête Que le tombeau d'Anchise ajoute à notre année, Qu'un même embrasement m'a cette matinée Donné le même signe : et qu'on nous tient promesse De revenger bientôt la Troie de la Grèce. ACHATE. [36] Sus sus doncques hâtons : l'entreprise est heureuse Qu'on n'exécute point d'une main paresseuse. Hâtons sans aucun bruit au labeur notre troupe : Que tout se trousse au port, que les rameaux on coupe Pour couronner les mâts ; qu'aux vents on prenne garde ; [37] Qu'aux fustes, aux esquifs, qu'aux armes on regarde : Qu'il n'y ait mâts, antenne, ancre, voile ou hune, Qui ne soit pour souffrir les hasards de Neptune. Mais tourne l'oeil Ascaigne, et vois l'étrange peine [38] Où ton père tout morne à l'écart se pourmène. Las, faut-il qu'en amour l'audace la plus prompte Pour une peur, qui tient toujours le frein, se dompte ? ÉNÉE. Du fer, du sang, du feu, des flots, et de l'orage Je n'ai point eu d'effroi, et je l'ai d'un visage, D'un visage de femme, et faut qu'un grand Énée Sente plus que Didon sa force efféminée : Non pas tant pour l'amour qui ait en moi pris place, Que pour ne pouvoir pas comment souffrir sa face. Je ne m'effrayai point quand la Grèce outragée [39] Fit ramer ses vaisseaux jusques au bord Sigée, [40] Où des Atrides fiers, où Achille invincible, [41] Où Ajax, où Ulysse, entre tous eux nuisible, Par ses trompeurs efforts, d'une voix enflammée Encourageait au sac leur bien conduite armée : Et que de la muraille, on les vit sur la rive Menacer de traîner notre Troie captive Parmi les flots marins : à fin d'orner Mycènes De ce riche butin, salaire de leurs peines : Je rassurai soudain ma raison élancée, Lorsque ma mère on vit fatalement blessée D'un trait de Diomède : et ne m'étonnai guères Du destin accompli, quand les dextres meurtrières De deux hardis Grégeois, dans le sang se souillèrent De Dolon, et de Reze : et vainqueurs emmenèrent Les chevaux Thraciens, avant qu'ont les vît boire Dans le Xanthe, duquel vivrait encor la gloire, S'ils en eussent goûté. Moins encor fut troublée Ma raison dedans moi, lorsque Panthasilée, Reine Amazonienne, en son camp déconfite, Le reste de son ost fit sauver à la fuite. Même la mort d'Hector (Hector seule défense De nos murs et de nous) ne força ma constance : Ni même de Pallas l'image gardienne Prise de l'ennemi, ni cette nuit Troyenne ; Cette effroyable nuit, où les Dieux nous montrèrent Que pour néant dix ans les Troyens résistèrent. Rien qui pût telle nuit s'offrir devant ma vue, Ne trouva de son sens mon âme dépourvue. Bien que du grand Hector l'effroyable figure, Ayant les cheveux pris et de sang et d'ordure, S'apparût devant moi, pour lors aussi hideuse Qu'était le corps d'Hector, par la trace poudreuse Qu'il empourpra de sang tout autour de la ville, Traîné par les chevaux de son meurtrier Achille Bien (dis-je) que sortant de la maison mienne, Je visse en mon chemin la prophète Troyenne Entre mes mains des Grecs misérablement serve, Tirer par les cheveux du temple de Minerve ; Et bien qu'à tant d'amis par le fer et les flammes Je visse saccager les maisons et les âmes : Bien (dis-je) qu'en entrant dans la maison royale Avec les Grecs, je visse Hécube froide et pâle De femmes entourée, et de cris et de rages, Dessous un vieil laurier embrasser les images Des pauvres Dieux vaincus, et comme condamnée Tendre le pauvre col à toute destinée : Voire son Roi vieillard, qui d'une main dépite Tâchait venger le sang de son enfant Polite, Frappé de même main, tout pétillant et blême Devant l'autel sacré répandre son sang même. Mais quand aurais-je dit les troubles qui m'advinrent Cette effroyable nuit, qui pourtant ne me tinrent Éperdu que bien peu ? Tant de fois voir ma mère Se planter tout soudain devant moi ; voir mon père Pesant de la vieillesse, et mon enfant débile, Qu'il fallait nonobstant arracher de la ville : Voir en chemin ma femme amoindrir notre nombre, Et se perdre de moi, puis tout soudain son ombre Revenant, se ficher devant mes yeux, me dire L'adieu qu'elle devait. Hé qui pourrait suffire À compter tous ces maux, et encor les affaires Que m'ont fait rencontrer les destins adversaires Depuis ce cruel sac, sans que le Ciel m'étonne Des cas aventureux que pour nous il ordonne ? La voix de Polydore au taillis entendue, Rendit-elle ma voix autrement éperdue, Que je n'ai de coutume. Et lorsque tous malades Du tourment de la mer, dans les îles Strophades Nous prîmes notre port, et que par la Harpie (Monstre horrible et puant) fut ma troupe avertie Du malheur qui nous suit, vit-on que j'en changeasse De beaucoup mon visage, et mes sens je troublasse De si rares hideurs ? L'horrible prophétie Des travaux qu'Hélénus prédit sur notre vie : Le monstrueux Cyclope, à qui nous arrachâmes Le pauvre Achéménide, et au port le menâmes : Le trépas de mon père, à qui la sépulture Nous fîmes à Drepan, bien qu'encor j'en endure, M'ont-ils fait montrer autre ? Et même quand nos têtes Je vis quasi couvrir des dernières tempêtes Que nous eûmes en mer, de quelle contenance Me peut-on voir montrer un défaut d'assurance ? Toutefois maintenant hors quasi de tout trouble, Je pâlis, je me perds, je me trouble et retrouble : Je crois ce que j'ai vu n'être rien fors qu'un songe, [42] Duquel je veux piper la Reine en mon mensonge : Et bien que je la sache entre tous être humaine, Je me la feins en moi de rage toute pleine. Il me semble déjà que les soeurs Euménides Pour tantôt m'effrayer, seront les seules guides De ces cris effrénés, me faisant misérable Moi-même être envers moi, de trahison coupable ; Ou bien si sa douceur à l'oeil je me présente, Plus encor sa douceur de moi-même m'absente : Vu que j'aurais une âme étrangement cruelle, Si la juste pitié qu'il me faut avoir d'elle, Ne me faisait crever et rompre l'entreprise, Qui la loi de l'amour infidèlement brise. S'il ne le faut-il pas : il faut que ma fortune S'obstine contre tout et faut que toi Neptune Portes dessus ton dos, quoi qu'ores il advienne, Du royaume promis la troupe Phrygienne : Le conseil en est pris, à rien je ne regarde. Une nécessité à tout mal se hasarde. LE CHOEUR DES TROYENS. Les Dieux des humains se soucient, Et leurs yeux sur nous arrêtés, Font que nos fortunes varient ; Sans varier leurs volontés. Le tour du Ciel qui nous ramène, Après un repos une peine, Un repos après un tourment, Va toujours d'une même sorte : Mais tout cela qu'il nous rapporte Ne vient jamais qu'inconstamment. Les Dieux toujours à soi ressemblent : Quant à soi les Dieux sont parfaits : Mais leurs effets sont imparfaits, Et jamais en tout ne se semblent : Les deux peuples divers, qu'ensemble L'immuable fatalité, Pour ce seul jour encore assemble Dans les murs de cette cité : [43] Les Troyens sous le fils d'Anchise, [44] Tes Tyriens dessous Élize, Montrent assez à tous vivants, Qu'il n'y a que l'audace humaine [45] Qui fasse, que le Ciel attraine L'heur et le malheur se suivant. Notre heur aurait une constance, Si voulant toujours haut monter, Nous ne tâchions même d'ôter Aux grands Dieux notre obéissance. Mais eux qui toutes choses voient, Exempts d'ignorer jamais rien, Ont vu, comme il faut qu'ils envoient Aux mortels le mal et le bien ; Et d'un tel ordre ils entrelacent L'heur au malheur, et se compassent Si bien en leur juste équité, Que l'homme au lieu d'une assurance, Ne peut avoir que l'espérance De plus grande félicité. Pendant que chétif il espère, (Chacun en sa condition) La Mort ôte l'occasion D'espérer rien de plus prospère. Ainsi les hauts Dieux se réservent Ce point, d'être tous seuls contents : Pendant que les bas mortels servent, Aux inconstances de leur temps. Des événements l'inconstance, Engendre en eux une ignorance : Tant qu'aveuglés par le désir Auquel trop ils s'assujettissent, Pour l'heur le malheur ils choisissent ; L'ombre du plaisir pour plaisir. Mais quoi ? Vu telle incertitude, L'homme sage sans s'émouvoir Reçoit ce qu'il faut recevoir, Moqueur de la vicissitude. Car si toutes choses qui viennent, Avaient par avant à venir, Si les douleurs qui en proviennent Par un malheureux souvenir : Ou bien, la crainte qui devance L'événement de telle chance, Ne nous peuvent apporter mieux : Grands Dieux, qu'est-ce qui nous fait faire Plus malheureux en notre affaire, Que même ne nous font les Cieux ? Heureux les esprits qui ne sentent Les inutiles passions, Filles des appréhensions, Qui seules quasi nous tourmentent. Tout n'est qu'un songe, une risée, Un fantôme, une fable, un rien, Qui tient notre vie amusée En ce qu'on ne peut dire sien. Mais cette marâtre Nature, Qui se montre beaucoup plus dure À nous, qu'aux autres animaux, Nous donne un discours dommageable, Qui rend un homme misérable, Et avant et après ses maux. Et plus les bourrelles Furies Voyent que nous sommes en heur, Et plus après notre malheur Montre sur nous leurs seigneuries. Cette inévitable Fortune, Qui renversa notre cité, N'eût point été tant importune Contre notre félicité, Si avant que les tristes flammes Eussent ravi les chères âmes De nos superbes Citoyens ; Cette vengeresse muable, N'eût point été tant favorable Aux murs, et au nom des Troyens. Mais qui eût pu brider sa rage, Voyant que le Ciel gouverneur Souffrait qu'on saccageât l'honneur Des villes, et des Dieux l'ouvrage ? Ainsi n'eût pas été saisie Par les trois infernales soeurs, L'âme de ce grand Roi d'Asie, Voyant les Grecs être vainqueurs : Si ce grand Priam notre prince N'eût apparu dans sa province, Comme Roi de tous autres Rois. L'Ire n'est point en la puissance Des princes : et l'Impatience Contraint leur coeur dessous ses lois. Quelle horreur, quand la gloire haute Trébuche, et que les royautés Se tournent en captivités, Soit par hasard, soit par leur faute ? Toi-même Hécube infortunée, Qui cruellement des Grégeois Pour esclave fus entraînée Comment maintenant tu dirais. Quels brandons, et quelles tenailles S'acharnent dessus les entrailles De ceux, qui devant triomphants, Voyent soudain choir les orages, Et ensanglanter leurs visages Du sang même de leurs enfants ? Nous-mêmes qui dessous Énée Cherchons notre bien par nos maux, Disons qu'avec les coeurs plus hauts La plus grande misère est née. Mais qui veut voir un autre exemple, Soit du destin, ou soit du mal, Que l'homme en souffre, qu'il contemple [46] En ce département fatal, Comment la fortune se joue D'une grand'Reine sur sa roue. J'ai grand' peur qu'aucune raison Voyant le sort tant variable, (Ô pauvre Didon pitoyable !) Ne demeure dans ta maison Une impatience est plus grande Que tout mal que l'on puisse avoir : Mais la mort a souvent fait voir, Qu'impatience au mal commande. # ACTE II. ## Didon, Choeur des Phéniciennes, Anne, Énée. DIDON. Dieux, qu'ai-je soupçonné ? Dieux, grands Dieux qu'ai-je su ? Mais qu'ai-je de mes yeux moi-mêmes aperçu ? Veut donc ce déloyal avec ses mains traîtresses Mon honneur, mes bienfaits, son honneur, ses promesse Donner pour proie aux vents ? Je sens je sens glacer Mon sang, mon coeur, ma voix, ma force, et mon penser. [47] Las ! Amour, que deviens-je ? Et quelle âpre furie Se vient planter au but de ma trompeuse vie ? Trompeuse, qui flattait mon aveugle raison, Pour enfin l'étouffer d'une étrange poison ? Est-ce ainsi que le Ciel nos fortunes balance ? Est-ce ainsi qu'un bienfait le bienfait récompense ? Est-ce ainsi que la foi tient l'amour arrêté ? [48] Plus de grâce a l'amour, moins il a de seurté Ô trop frêle espérance ! Ô cruelle journée ! Ô trop légère Élize ! Ô trop parjure Énée ! Mais ne le voici pas ? Sus sus écartez-vous, Troupe Phénicienne : il faut que mon courroux [49] [50] Retenant ce fuitif, desor' se désaigrisse : Ou que plus grand'fureur mes fureurs amoindrisse. Toi-même (ô chère soeur) laisse-moi faire essai, Ou d'arrêter ses naus, ou bien les maux que j'ai. Il n'aura pas, je crois, le coeur de roche : et celle Qu'il dit sa mère, est bien des Dieux la moins cruelle. Il faut que la pitié l'arrête encor ici, Ou que ma seule mort arrête mon souci ; La mort est un grand bien : la mort seule contente L'esprit, qui en mourant voit perdre toute attente De pouvoir vivre heureux. LE CHOEUR.         Qui ne verrait comment L'amour croît son pouvoir de son empêchement ? Mais souvent d'autant plus qu'au fait on remédie, Et plus en vain dans nous s'ancre la maladie. DIDON. Quoi t'émerveilles-tu, si ma juste fureur, Ô parjure cruel, remplit mes mots d'horreur ? Et qu'outre mon devoir, deçà delà courante, Il semble que je fasse à Thèbes la Bacchante, [51] Qui sentant arriver les jours Triétériques, [52] Fait forcener ses sens sous les erreurs Bachiques ? T'en ébahis-tu donc, vu qu'assez tu savais, Las ! Que tu rendais telle et mon âme et ma voix ? Car bien que ton départ tu me dissimulasses, Bien qu'à la dérobée aux vents sacrifiasses, Et au père Océan ; bien que sans te changer Tu m'eusses fait fier du tout à l'étranger, Sans que jamais on t'eût mécru de telle faute: Espérais-tu pourtant, ô ingrat ingrat hôte ; Aveugler tous nos yeux en telle lâcheté ? Les cieux sont ennemis de la méchanceté. La terre malgré soi soutient un homme lâche : Et contre le méchant la mer même se fâche. Quand même ton dessein ce jour je n'eusse vu, Ni entendu des miens, le Ciel ne l'eût pas tu : Ma terre en eût tremblé, et jusques à Carthage La mer le fût venu sonner à mon rivage. Mais qui te meut, Cruel ? Pourquoi trop inhumain Laisses-tu celle-là qui t'a mis tout en main ? Notre amour donc, hélas ! Ne te retient-il point, Ni la main à la main, le coeur au coeur conjoint Par une foi si bien jurée en tes délices ? Que si les justes Dieux vengent les injustices, Tes beaux serments rompus rompront aussi ton heur. Fais-tu si peu de compte encor de mon honneur, Las ! Qui t'enrichissant d'un superbe trophée, Tiendra ma plus grand'gloire en moi-même étouffée ? Ne te meut point encor un horrible trépas, Dont ta Didon mourra, qui aussitôt ses pas Bouillante hâtera dedans la nuit profonde, Que les vents hâteront tes vaisseaux parmi l'onde ? Or si tu n'es (hélas !) de mon mal soucieux, Sois pour le moins (Ingrat) de ton bien curieux. En quel temps sommes-nous ? N'as-tu pas vu la grêle Et la neige et les vents, tous ces jours pêle-mêle [53] Noircir toute la mer, et tant qu'on eût cuidé Que plus le grand Neptune aux eaux n'eût commandé, Tant les vents maîtrisaient les grand's vagues enflées, Qui jusqu'au Ciel étaient horriblement soufflées ? Celui ne s'aime pas, qui au coeur de l'hiver, Hasardant ses vaisseaux et sa troupe en la mer, Prodigue de sa vie, attend qu'un noir orage Dans l'eau d'Oubli lui dresse un autre navigage. Sans crainte de la mort on suivrait tout espoir, S'on pouvait plusieurs fois la lumière revoir. [54] Prends encor que les eaux se rendissent bonaces En ton département, crains-tu point les menaces [55] Du Dieu porte-trident irrité contre toi, Infidèle à celui qui n'aura plus de foi ? Toutes les fois qu'en mer les flots tu sentiras Contre lutter aux flots, pâlissant tu diras, C'est à ce coup, ô ciel, ô mer, que la tempête Doit justement venger ma foi contre ma tête. Et si tu t'attends lors, que de Troie les Dieux Portés dans ton navire, apaisent et les cieux, Et l'onde courroucée : il te viendra soudain Dans l'esprit, que tout Dieu laisse l'homme inhumain. Un Dieu même perdrait l'Ambroisie immortelle, Privé de déité, s'il était infidèle. Tu gagnas leur secours par une piété, Leur secours tu perdrais par une cruauté. Songes-tu point encor, que même en la marine L'Amour voit honorer sa puissance divine ? Neptune sait-il pas, que c'est que de sentir Le brandon que ses eaux ne peuvent amortir ? [56] Glaucque le fier Triton, et la troupe menue De ces Dieux, ont-ils pas la force en soi connue Dont Amour leur commande ? Et son divin flambeau [57] Ard-il pas les poissons jusques au creux de l'eau ? Mêmement quant aux vents : le fier vent de Scythie [58] Se vit-il pas fléchir sous l'amour d'Orithye ? Voyons donc maintenant tous ces Dieux obéir Aux lois d'Amour, voyant qu'ores tu veux haïr De celle-là la vie, à qui même la tienne À jamais sera due, à cette heure te vienne, Qu'il te vienne un remords de t'être en l'esprit mis De vouloir dans la mer à tous tes ennemis Te fier de ta vie, en irritant ton frère, Ton puissant frère Amour, en irritant ta mère, Qui tous deux te feront savoir à tous les coups, Qu'en péchant contre Amour nous péchons contre nous. Si encore ta Troie et les grands tours connues De ton Priam, dressaient le chef jusques aux nues : Si des murs que bâtit Apollon, tout le clos N'était point couvert d'herbe, et de pierres, et d'os, Qu'entreprendrais-tu plus des pays étrangers ? Chercherais-tu le tien parmi plus de dangers ? [59] Lerrais-tu quelque terre heureuse et bien aimée, Pour voir par cent périls de Troie la fumée ? Craindrais-tu point l'hiver, ni même Cupidon, Pour la foi parjurée à quelque autre Didon ? Et maintenant (bons Dieux !) qu'en toi tu délibères ; Cruel, de faire voile aux terres étrangères, Laissant si douce terre, et si doux traitement, Pour suivre pour ton but un hasard seulement, Que faut-il que je songe ? Hélas, dois-je pas croire Que dessus un amour la haine aura victoire ? Vu que tu me fuis tant, qu'afin de t'étranger De Didon, tu ne crains de suivre aucun danger. Me fuis-tu ? Me fuis-tu ? Ô les cruels alarmes Que me donne l'Amour, par ces piteuses larmes Qu'ores devant ta face épandre tu me vois ! Larmes, las ! Qui se font maîtresses de ma voix, Qui hors de moi ne peut ne peut. ANNE.         Quand l'innocente Fléchit sous le coupable, et plus forte lamente Devant le faible, hélas ! Le Ciel aveuglément Donnant à l'un le crime, à l'autre le tourment, Fait-il pas voir qu'il faut s'accompagner du vice, Qui traîne incessamment l'innocence au supplice ? DIDON. Par ces larmes je dis, que te montrant à l'oeil Combien l'amour est grand, quand si grand est le deuil : Et par ta dextre aussi ; puisque moi misérable Ne me suis laissé rien qui ne soit secourable Par les feux, par les traits, dont ton frère si bien A vaincu ma raison qu'il ne m'en reste rien : Par notre mariage, et par nos Hyménées Qu'avaient bien commencé mes rudes destinées : Par les Dieux, que dévot tu portes avec toi, Compagnons de ta peine, et témoins de ta foi : Par l'honneur du tiers Ciel que gouverne ta mère : Par l'honneur que tu dois aux cendres de ton père, Si jamais rien de bon j'ai de toi mérité, Si jamais rien de moi à plaisir t'a été, Je te prie prends pitié, d'une pauvre famille, Que tu perdras au lieu d'achever une ville, Comme nous espérions, car d'assembler en un Deux peuples asservis dessous un joug commun. L'espoir flatte la vie, et doucement la pousse, L'étranglant à la fin d'une corde moins douce. Notre espoir est-il tel ? Pourrais-tu faire voir Qu'entre tous les malheurs il n'y a que l'espoir, Qui engendre à la fin lui-même son contraire ? Un coeur se doit fléchir, et l'homme est adversaire Des hommes, et des Dieux, lorsque d'un méchant coeur Fuit plutôt la pitié que son propre malheur. T'es-tu changé sitôt ? Ôte ôte-moi desores, (Si quelque lieu me reste aux prières encores) Le coeur envenimé, qui te déguise ainsi. Las ! Je ne te connus jamais pour tel ici : Je t'ai connu pour tel, que justement surprise J'ai méprisé l'amour en tous autres éprise : L'amour trop mise en un, comme je l'ai dans toi, Est la haine de tous, et la haine de soi, J'ai pour t'avoir aimé la haine rencontrée Des peuples et des Rois de toute la contrée : Même les Tyriens de ton heur offensés Couvent dessous leurs coeurs leurs dédains amassés. La Princesse aime bien, qui beaucoup plus regarde À un seul, qu'à tous ceux qu'elle a pris en sa garde. Qui plus est pour toi-même (ô Soleil me peux-tu Voir veuve de Sichée, et veuve de vertu ?) Pour toi-même (ô Énée) éprise de tes feux, J'ai mon honneur éteint, ma chasteté, mes voeux : Pour toi (dis-je) ô Énée, on verra tôt éteindre Ma renommée aussi, qui se vantait d'atteindre D'un chef brave et royal la grand' voûte, où les Dieux D'un ordre balancé font tournoyer les cieux : Qui, peut-être, m'ôtant du nombre des Princesses, M'eût mise après ma mort au nombre des Déesses. À qui (ô très cher hôte) à qui, ô seul support De ma Carthage, à qui prochaine de la mort Laisses-tu ta Didon ? Il faut que ma mort ôte Mes haines d'entour moi, si je perds un tel hôte, Hôte, puisque ce nom me reste seulement En celui, qui m'était mari premièrement. Qu'attends-je plus sinon que mes murs de Carthage, Sentent de mon cruel Pygmalion la rage ? Ou que hors de ce lieu que tu auras quitté, Mon dur malheur me jette en la captivité Du Roi Gétulien ? Rien n'épargne l'envie : Et jamais un malheur ne vient sans compagnie. Au moins si j'avais eu quelque race de toi, Avant que de te voir arracher d'avec moi ; Et si dedans ma Cour, du père abandonnée Je pouvais voir jouer quelque petit Énée, Qui seulement les traits de ta face gardât, Et m'amusant à lui mes soucis retardât : Je ne penserais point ni du tout être prise, Ni du tout délaissée. Alors que l'âme éprise Ne peut avoir celui qui toute à soi l'attrait, Elle se paît au moins quelquefois du portrait : Et bien qu'un souvenir m'embrasât davantage, J'assurerais au moins ma dette sur ton gage. Mais ores que ferai-je ? Ai-je un autre confort, Sinon que d'oublier Énée par ma mort ? Et sans m'attendre au temps, qui souvent désenflamme, Me dépêtrer d'espoir, de l'amour, et de l'âme ? L'amour fait que l'on doit du Soleil s'ennuyer, Si la seule eau d'oubli peut ses flammes noyer. Mais pourquoi tant de mots ? Dois-je donc satisfaire À celui qui se doit plutôt qu'à moi complaire ? L'amour, l'amour me force, et furieusement M'apprend, que qui bien aime, aime impatiemment. Qu'en dis-tu ? ÉNÉE.         Je ne puis (ô Reine) qui proposes Parlant d'un tel courage, et mille et mille choses, Faire que ton parler ne me puisse émouvoir, Ni faire que je n'aie égard à mon devoir : Ces deux efforts en moi l'un contre l'autre battent, Et chacun à son tour coup dessus coup abattent : Mais lorsque l'esprit sent deux contraires, il doit Choisir celui qu'alors plus raisonnable il croit. Or la raison par qui enfants des Dieux nous sommes, Suit plutôt le parti des grands Dieux que des hommes. Tu veux me retenir : mais des Dieux le grand Dieu N'a pas voulu borner mes destins en ce lieu. Le Ciel qui moyennant mon courage et ma peine, Promet un doux repos à ma race, me mène De destin en destin, et montre que souvent La céleste faveur bien chèrement se vend. Ainsi qu'ores, à moi, que le destin repousse Hors d'un repos acquis, hors d'une terre douce, Hors du sein de Didon, pour encor ramer Les bouillons écumeux des gouffres de la mer, Pour voir mille hideurs, tant que cent Hippolytes En seraient mis encor par morceaux en leurs fuites. Mais soit que cette terre, où je conduis les miens, Semble être seul manoir des plaisirs et des biens, Soit que l'onde irritée, et mes voiles trop pleines Repoussent mes vaisseaux aux terres plus lointaines : Soit encore que Clothon renoue par trois fois Le filet de ma vie, ainsi qu'au vieil Grégeois ; Soit qu'après mon trépas ma mère me ravisse, Ou qu'aux lois de Minos ma pauvre ombre fléchisse, Jamais ne m'adviendra, tant que dans moi j'aurai Mémoire de moi-même, et tant que je serai Énée, ou bien d'Énée une image blêmie, De nier que Didon et de Reine, et d'amie N'ait passé le mérite, et jamais ne sera Que ton nom, qui sans fin de moi se redira ; Ne m'arrache les pleurs, pour certain témoignage Que malgré moi le Ciel m'arrache de Carthage. Mais quant à ce départ dont je suis accusé, Je te réponds en bref : Je n'ai jamais usé De feintise, ou de ruse en rien dissimulée Afin que l'entreprise à tes yeux fût celée. L'amour ne se peut feindre : et mon coeur, dont témoins Sont les Dieux, me forçait au congé pour le moins. Celui n'est pas méchant qui point ne récompense : Mais méchant est celui qui aux bienfaits ne pense. Je n'ai jamais aussi prétendu dedans moi, Que les torches d'Hymen me joignissent à toi. Si tu nommes l'amour entre nous deux passée, Mariage arrêté, c'est contre ma pensée. Souvent le faux nous plaît, soit que nous désirions Que la chose soit vraie, ou soit que nous couvrions Sous une honnête mort, et la honte, et la crainte : Mais dedans nous le temps ne doit pas d'une feinte Faire une vérité : la persuasion Gêne, esclave, en l'amour la prompte affection. Ce n'était ce n'était dedans ta Cour royale, Où les Troyens cherchaient l'alliance fatale : Si les arrêts du Ciel voulaient qu'à mon plaisir Je filasse ma vie, et me laissaient choisir Telle qu'il me plairait, au moins une demeure Qui gardât que du tout le nom Troyen ne meure : Si je tenais moi-même à mon souci le frein, Je ne choisirais pas ce rivage lointain : Je bâtirais encor sur les restes de Troie, J'habiterais encor ce que les Dieux en proie Donnèrent à Vulcain, et de nom et de biens Je tâcherais venger les ruines des miens : Les temples, les maisons, et les palais superbes De Priam et des siens, se vengeraient des herbes Qui les couvrent déjà : nos fleuves qui tant d'os [60] Heurtent dedans leurs fonds, s'enfleraient de mon los : Moi-même d'un tel art que Phébus et Neptune, De Pergames nouveaux j'enclorais ma fortune. Le Pays nous oblige : et sans fin nous devons Aux parents, au pays tout ce que nous pouvons. [61] Et qu'eussé-je plus fait pour moi ni pour ma terre, Qu'en me vengeant venger son nom de telle guerre ? Mais les oracles saints d'Apollon Cynthien, Et les sorts de Lycie, et le Saturnien, Qui d'un destin de fer notre fortune lie, Me commande de suivre une seule Italie. En ce lieu mon amour, en ce lieu mon pays, Là les Troyens vainqueurs ne se verront haïs Des Dieux, comme devant : là la sainte alliance Sortira des combats ; là l'heureuse vaillance De neveux en neveux jusqu'à mil ans et mil Asserviront sous soi tout ce pays fertil : Et le monde au pays. Si toi Phénicienne Tu te plais d'habiter ta ville Libyenne, Quelle envie te prend, si ce peuple Troyen S'en va chercher son siège au port Ausonien ? N'as-tu pas bien cherché cette terre en ta fuite : Et pourquoi, comme à toi, ne nous est-il licite De chercher un Royaume étranger, quand les Dieux Presque bon gré, malgré, nous chassent en tels lieux ? ANNE. Que la malice peut ingénieux nous rendre, Quand elle veut son tort contre le droit défendre : Plus le vainqueur Thébain sur l'Hydre s'efforçait, Et plus de ses efforts l'Hydre se renforçait ; Si notre conscience envers nous ne surmonte, Jamais par la raison la malice on ne dompte, Voudrait-on engluer le Griffon ravisseur, L'Aigle, ou le Gerfaut ? L'homme méchant est sûr Qu'il n'est né que pour prendre, hélas ! Mais quelle proie ? Que ne prends-tu Troyen, sur ceux qui ont pris Troie ? ÉNÉE. Quant à la foi que tant on reproche : jamais T'ai-je donné la foi, que ce lieu désormais Emmurant ma fortune, ainsi que tu m'emmures, Finirait des Troyens les longues aventures ? Lorsque tu me faisais les troubles raconter De cette nuit, qui peut par un dol emporter La ville, à qui dix ans, à qui des grands Dieux l'ire, À qui l'effort des Grecs n'avait encor su nuire : Te dis-je pas qu'avant que les Dieux eussent mis Telle fin au travail des vainqueurs ennemis, Souventes fois Cassandre en changeant de visage, Toute pleine d'un Dieu, qui mêlait son langage De mots entrerompus, et dont les saints efforts La faisaient forcener pour les pousser dehors, Nous avait dit, qu'après la Troyenne ruine, Après les longs travaux soufferts en la marine, Je viendrais replanter notre règne, et mon los, En la terre qui tient Saturne encore enclos ? Ne te dis-je pas qu'ainsi les effroyables oracles, Les songes, les boyaux, et les soudains miracles Des cheveux de mon fils, mêmement le discours Que le bon Hélénus me fit sur tous mes jours, Voire jusqu'à la voix de la sale Harpye Appelaient à ce but ma travaillante vie ? As-tu donc oublié, que quand nous abordâmes, Et qu'humbles devant toi longtemps nous haranguâmes De ce qui nous menait, et quel étrange sort Nous avait fait alors ancrer dedans ton port, Nous dîmes dessus tout, que déjà sept années Nous avaient vu cherchant la fin des destinées, Qui l'heureuse Italie à ma race donnaient, Et qui là les labeurs des Phrygiens bornaient ? Tu ne peux ignorer que toute humaine attente Ne soit toujours au lieu, qui tout seul la contente : Et que je n'eusse su, voyant devant mes yeux Sans fin sans fin ce but où me tiraient les Dieux, Par un nouveau serment autre promesse faire, Que j'eusse vu du tout à mon esprit contraire. Car qui est celui-là, qui sachant vraiment Qu'il faussera la foi de son traître serment, Aura plutôt en soi de refuser la crainte, Que l'éternel remords d'avoir sa foi contrainte Outre son espérance ? Il ne faut donc penser Que j'aye jamais su la promesse avancer. Qui pourrait (je suis tel) si telle elle était faite, Bon gré malgré les Dieux empêcher ma retraite ? Je ne dis pas qu'en tout incoupable je sois, Un seul défaut me mord, c'est que je ne devais Arrêtant si longtemps dans cette étrange terre, [62] Te laisser lentement prendre au lacs qui te serre ; Mais prends-t-en à l'Amour, l'Amour t'a pu lier : Et l'Amour m'a pu faire en ta terre oublier. Amour, non à son fait, mais à son feu regarde : Et le danger le prend quand moins il y prend garde. Si tel amour tu sens, je le sens tel aussi, Qu'encore volontiers je m'oublierais ici : Témoins me sont nos Dieux, que jamais les nuits sombres Ne nous cachent le ciel de leurs épaisses ombres, Que de mon père Anchise en sursaut je ne voie L'image blêmissante, et qu'elle ne m'effraie, Souvent m'effraie aussi Ascaigne, dont le chef Je vois comme dans Troie embraser derechef. Tout cela nonobstant n'a point eu tant de force Qu'a eu ce jour le Dieu, qui au départ me force. Je jure par ton chef, et par le mien aussi, Que manifestement j'ai vu de ces yeux ci : Mercure des grands Dieux le messager fidèle, Entrant dans la cité, m'apporter la nouvelle Envoyé du grand Dieu, qui fait sous soi mouvoir Et la terre et le ciel, pour me tancer, d'avoir Séjourné dans Carthage, oublieux de l'injure Que je fais à Ascaigne, et à sa géniture. Or cesse cesse donc de tes plaintes user, Et même en t'embrasant tâcher de m'embraser. La plainte sert autant aux peines douloureuses, Que l'huile dans un feu : les rages amoureuses S'appréhendent au vif lorsque nous nous plaignons, Et les désespoirs sont des regrets compagnons. Ce n'est pas de mon gré que je suis l'Italie : Mais la loi des grands Dieux les lois humaines lie. Ne me remets donc rien en vain devant les yeux, Je m'arrête à l'arrêt de mes parents les Dieux. DIDON. Les Dieux ne furent oncq tes parents, ni ta mère Ne fut oncq celle-là, que le tiers Ciel tempère Le plus bénin des Cieux : ni oncq (traître menteur) [63] Le grand Dardan ne fut de ton lignage auteur. Le dur mont de Caucase, horrible de froidures, (Ô Cruel) t'engendra de ses veines plus dures ; Des Tigresses, je crois, tu as sucé le lait, [64] Ou plutôt d'Alecton le noir venin infect, Qui tellement autour de ton coeur a pris place, Que rien que de cruel et méchant il ne brasse. N'allègue plus le Ciel guide de ton espoir, Car je crois que le Ciel a honte de te voir : Sans tels hommes que toi le Ciel n'aurait point d'ire, [65] Jupiter n'aurait point de ses tonneaux le pire. Voyez si seulement mes pleurs, ma voix, mon dueil, Ont pu la moindre larme arracher de son oeil ? Voyez s'il a sa face ou sa parole émue ? Voyez si seulement il a fléchi sa vue ? Voyez s'il a pitié de cette pauvre amante, Qu'à grand tort un amour enraciné tourmente, Plus qu'on ne voit Sisyphe aux enfers tourmenté, Sans relâche contraint de son fardeau porté ? Voire plus que celui qui sans cesse se roue, Emportant de son poids et soi-même et sa roue ? Car toujours aux enfers un tourment est égal : Mais plus je vais avant, et plus grand est mon mal. Toutefois ce cruel n'en a non plus d'atteinte, Que si mon vrai tourment n'était rien qu'une feinte. Qu'on ne me parle plus des Scythes, ni des Rois, Qui ont tyrannisé Mycènes sous leurs lois : Qu'on ne me parle plus des cruautés Thébaines, Lorsque des bas enfers les rages inhumaines, Semant un feu bourreau des lois, et d'amitié, Se faisaient elles, même en leur rage, pitié. Qu'on ne m'étonne plus de tout cela, que l'ire Des hommes peut brasser : tu peux tu peux suffire À montrer qu'un seul homme a d'inhumanité Plus que cent Tigres n'ont en soi de cruauté. Car en tout ce qu'on peut raconter des Furies, Qui semblaient se jouer et du sang et des vies ; La cruauté naissait de quelque déplaisir, Et ta cruauté naît de t'avoir fait plaisir : Voire un plaisir, hélas ! Dont la moindre mémoire Dessus un coeur de marbre aurait bien la victoire. Ô Junon, grand' Junon, tutrice de ces lieux, Ô toi-même grand Roi des hommes et des Dieux, Desquels la Majesté traîtrement blasphémée, Assura faussement ma pauvre renommée : Qu'est-ce, qu'est-ce qui peut or' me persuader, Que d'en haut vous puissiez sus nous deux regarder D'un visage équitable ? Ha grands Dieux, que nous sommes Vous et moi bien trahis ! La foi la foi des hommes N'est sûre nulle part : las comment fugitif Tourmenté par sept ans, de mer en mer chétif, Tant qu'il semblait qu'au port la vague favorable L'eût jeté par dépit, souffreteux, misérable, Je l'ai je l'ai reçu, non en mon amitié Seulement, mais (hélas ! trop folle) en la moitié De mon royaume aussi : j'ai ses compagnons même Ramenés de la mort : ha une couleur blême Me prend par tout le corps, et presque les fureurs Me jettent hors de moi, après tant de faveurs. Maintenant maintenant il vous a les augures D'Apollon, il vous a les belles aventures De Lycie, il allègue et me paye en la fin D'un messager des Dieux qui hâte son destin. C'est bien dit, c'est bien dit, les Dieux n'ont autre affaire : Ce seul souci les peut de leur repos distraire : Je croirais que les Dieux affranchis du souci, Se vinssent empêcher d'un tel que celui-ci. Va je ne te tiens point : va va je ne réplique À ton propos, pipeur, suis ta terre Italique : J'espère bien enfin (si les bons Dieux au moins Me peuvent être ensemble et vengeurs et témoins) Qu'avec mille sanglots tu verras le supplice, Que le juste destin garde à ton injustice. Assez tôt un malheur se fait à nous sentir : Mais las toujours trop tard se sent un repentir. Quelque île plus barbare, où les flots équitables Te porteront en proie aux Tigres tes semblables, Le ventre des poissons, ou quelque dur rocher Contre lequel les flots te viendront attacher, Ou le fonds de ta nef, après qu'un trait de foudre Aura ton mât, ta voile, et ton chef mis en poudre, Sera ta sépulture, et mêmes en mourant, Mon nom entre tes dents on t'orra murmurant : Nommant Didon Didon, et lors toujours présente D'un brandon infernal, d'une tenaille ardente, [66] Comme si de Mégère on m'avait fait la soeur, J'engraverai ton tort dans ton parjure coeur. Car quand tu m'auras fait croître des morts le nombre, Partout devant tes yeux se raidira mon ombre. Tu me tourmentes ; mais en l'effroyable trouble Où sans fin tu seras, tu me rendras au double Le loyer de mes maux ; la peine est bien plus grande Qui voit sans fin son fait : telle je la demande : Et si les Dieux du Ciel ne m'en faisaient raison, J'émouvrais j'émouvrais l'infernale maison. Mon dueil n'a point de fin ; une mort inhumaine Peut vaincre mon amour, non pas vaincre ma haine. Je le sens, je le vois, oui grands Dieux je le vois : Le mal est le degré du mal : soutenez-moi, Entrons, je ché je ché, entrons. ÉNÉE.         Ô saints Augures, Interprètes des Dieux, qui des choses futures, Des présentes aussi, donnez aux bas mortels Les soudains jugements, paraissez ores tels, Que Didon puisse avoir par vous la connaissance, Et du vouloir des Dieux, et de mon innocence. Mais quelle horreur l'éprend ? Comment, ô cher support Des peuples affligés (il faut jusqu'à la mort Que je confesse ainsi) comment, ô chère Dame, Comment donc souffrez-vous de cette gentille âme Évanouir la force ? Ô Jupiter, quel oeil ! Qui eût pensé l'Amour père d'un si grand dueil ? Quelle torche ai-je vue en ses yeux qui me fuient ? Comment avec mes yeux mes paroles l'ennuient. En quelle pâmoison la conduit-on dedans ? Comment son estomac de gros sanglots ardents Bondit contre le Ciel ? Et tout dépit s'efforce, De mettre hors son feu qui prend nouvelle force Du vent qu'elle lui donne ? Et comme peu à pet Les soufflets se renflant embrasent un grand feu ? Maint soupir bouillonnant qui son brasier allume, Fait qu'avec son humeur son âme se consume. Quels propos furieux m'a-t-elle dégorgés ? Le courroux fait la langue : et les plus outragés Sont ceux, qui bien souvent poussent de leurs poitrines Des choses, que l'ardeur fait sembler aux divines. J'en suis encor confus : une pitié me mord : Un frisson me saisit : mais rien, sinon la mort, [67] Ne peut rendre celui des encombres délivre, [68] Qui veut le vueil des Dieux entre les hommes suivre. Et semble que le Ciel ne permette jamais La vraie piété s'assembler à la paix. Ô Amour, ô Mercure, ô Didon, ô Ascaigne, Ô heureuse Carthage, ô fatale campagne Où Jupiter m'appelle, ô regrets douloureux, Ô bienheureux départ, ô départ malheureux ! LE CHOEUR. Quel heur en ton départ ? ÉNÉE.         L'heur que les miens attendent LE CHOEUR. Les Dieux nous ont fait tiens. ÉNÉE.         Les Dieux aux miens me rendent. LE CHOEUR. La seule impiété te chasse de ces lieux. ÉNÉE. La piété destine autre siège à mes Dieux. LE CHOEUR. Quiconque rompt la foi encourt des grands Dieux l'ire. ÉNÉE. De la foi des amants les Dieux ne font que rire. LE CHOEUR. La piété ne peut mettre la pitié bas. ÉNÉE. La pitié m'assaut bien, vaincre ne me peut pas. LE CHOEUR. Par la seule pitié les durs destins s'émeuvent. ÉNÉE. Ce ne sont pas destins si fléchir ils se peuvent. LE CHOEUR. Un règne acquis vaut mieux que l'espoir d'être Roi. ÉNÉE. Non cettui, mais un autre est destiné pour moi. LE CHOEUR. [69] Quel pays se rendra sachant ta décevance ? ÉNÉE. [70] [71] J'ai non pas au pays, ains au Ciel ma fiance. LE CHOEUR. Que la Religion est souvent un grand fard. ÉNÉE. La religion sert sans art et avec art. LE CHOEUR. Sans la Religion vivrait une Iphigène. ÉNÉE. Sans celle aussi vivrait et Troie et Polyxène. LE CHOEUR. Ton pauvre Astianax sentit bien son effort. ÉNÉE. Les Grecs ne sont point sûrs chez eux que par sa mort. LE CHOEUR. À Diane elle fait des hommes sacrifice. ÉNÉE. Diane par le sang humain nous est propice. LE CHOEUR. Que d'autres meurtres las ! Elle a mis en ce rang. ÉNÉE. Le Ciel aussi requiert obéissance ou sang. LE CHOEUR. Tu feras que Didon en augmente la bande. ÉNÉE. Ha Dieux, ha Dieux, tais-toi, un remords me commande, Bien qu'il soit sans effet, de rompre ce propos, Jamais homme n'aima sans haïr son repos. LE CHOEUR. Quelle horde peste recelée, D'une feinte dissimulée, Seul masque de nos trahisons, Qui dessous un serein visage Couve dans le traître courage Mille renaissants poisons, Et tant de mal aux autres donne, Qu'enfin son maître elle empoisonne ? Tel souvent nourrit une haine, Qui emmielle sa langue pleine De toute ardente affection : Tel bien souvent les Dieux méprise, Qui pour bâtir son entreprise Ne bruit que de Religion : L'un ainsi les esprits amorce, L'autre ainsi peu à peu prend force : Tandis et l'une et l'autre feinte Donne mainte mortelle atteinte : Car l'esprit qui se pense aimé Se prend et se plaît en sa flamme, Tant qu'il sente le corps et l'âme, Le bien et l'honneur consommé. En son repas l'oiseau s'englue : D'un appât le poisson se tue : Et l'autre qui du tout se fie Des biens, de l'honneur, de la vie, Sur celui qui pense être saint, Voit enfin l'âme ambitieuse, Une âme enfin séditieuse, Qui tout vif jusqu'au vif l'atteint : Le vipère meurt, pour salaire De trop à sa vipère plaire. Alors tant plus de force on use, Quand on voit la traîtresse ruse, Et souvent plus on se fait tort : Un mal vient plus soudain abattre Ceux, qu'on voit le plus se débattre : Comme un sanglier qui tant plus fort Pousse, écume, gronde, et enrage, S'enferre toujours davantage. Dis, qui ne serait découverte, Cette âme en toute feinte experte, Dont ce Troyen nous abusait ; Alors que d'un amour extrême, Alors que de ses grands Dieux même La pauvre Didon amusait ? Autour du miel pique l'abeille, Et l'aspic dans les fleurs sommeille, Cependant, ô sort improspère, Ô Amour traître, avec ton frère La pauvre Reine se paissant, De cette feinte variable Reçoit par un feu véritable Un trépas cent fois renaissant. Ainsi donc les colombes meurent : Ainsi les noirs corbeaux demeurent. Les yeux sanglants, la face morte, Le poil mêlé, le coeur transi, Efforce sa force peu forte, Et sur son lit pétille ainsi, Qu'Hercule arrachant sa chemise, Qui jà jusqu'à l'os s'était prise. DIDON. Mais comment se pourrait-il faire, Que le Ciel un jour m'envoyât De ces trahisons le salaire, Qui son maître en la fin payât ? Ainsi la vipère tortue Nourrit en soi ce qui la tue. # ACTE III. ## Didon, Anne, Énée, Achate. DIDON. Faible, pâle, sans coeur, sans raison, sans haleine, Anne mon cher support, malgré moi je me traîne Derechef çà et là, mal apprise à souffrir Un repos qui me vient l'impatience offrir : Tant que quand tu verras sur la prochaine rive, La mer qui se tenait dedans ses bords captive, Lorsqu'un Aquilon vient dessus ses flancs donner Bruire, bondir, courir, jusqu'au ciel bouillonner, Et sans aucun arrêt pousser jusqu'aux campagnes, De ses flots dépités les suivantes montagnes, Tu verras tu verras l'état où un trompeur A fait être le corps et l'âme de ta soeur. Et bien que je ne semble être tant effrénée, Que quand je rembarrai de mes propos Énée, Plus j'ai perdu dans moi de dépit rigoureux, Et plus j'ai regagné de tourments amoureux. Alors que contre nous la fortune s'efforce, Du décroît d'un grand mal l'autre mal se renforce : Tant que je crois les Dieux contre mon chef jurer, De plus en plus me faire en mes jours endurer. Mais, las ! Si je déplais au Ciel, et si l'envie Qu'une Alecton mutine en veut tant à ma vie, Que ne vient-on changer à ma mort ma langueur ? Si de mon heur l'amour ne veut qu'être vainqueur, Si Vénus quelquefois par Junon outragée, Ne veut que par ma mort être d'elle vengée, Que ne m'ont-ils permis en cette pâmoison D'où je reviens, d'entrer en la noire maison ? J'eusse apaisé d'un coup par l'extrême allégeance Mon tourment, leur dédain, leur envie et vengeance. Avec mon sang se fût mon brasier refroidi, Avec mes sens se fût mon travail engourdi. Ô malheureuse ardeur, qui reviens en mes veines ! Ô malheureux réveil qui me rends à mes peines ! Qu'heureusement j'étais oublieuse de moi ! Que malgré moi je prends le jour que je revois ! Je sens, Anne ma soeur, je sens, vu la racine Que mon mal incurable a pris dans ma poitrine, Que rien ne me saurait, non pas la même mort Favoriser au mal, qui redouble si fort. Si le courroux ardent, et la haine irritée Contre un, duquel on a l'amorce trop goûtée, Pouvait l'ardent effort de l'amour amortir, Le courroux m'eût l'exil de l'amour fait sentir : Vu qu'un tel crève-coeur s'est aigri dans mon âme, Que moindre que mon ire on eût pensé ma flamme : Mais le feu n'est jamais du feu l'allégement : Et le dépit du mal nous cause un tiers tourment. Ou bien si la douleur vivement engravée, Pouvait faire mourir la personne aggravée, Je mourrais sur le champ : vu qu'on ne peut parler D'une douleur qu'on peut à la mienne égaler. Mais tant plus que le vent combat contre la flamme Pour la tuer soudain, et plus elle prend d'âme. C'est en vain, c'est en vain, guérir tu ne te peux (Ô Didon) ni mourir lors que mourir tu veux ! Il faut que malgré toi, en ton mal tu te tiennes, Il faut que malgré toi aux larmes tu reviennes. Rabaisse-toi mon coeur, sans que plus ton courroux Puisse triompher d'un, qui triomphe de nous. Mais quoi ? Faut-il qu'ainsi mon bon coeur dégénère ? Faut-il que la vertu fléchisse à la misère ? Verra-t-on sous le serf la Reine soupirer ? Veux-je encor de ce point mon honneur empirer ? Faut-il qu'envers une âme outre mesure ingrate, Je fasse derechef la prière avocate ? Je ne puis, je ne puis. ANNE.         Arrête, ô chère soeur, Ô soeur qui de ta voix me peut tirer le pleur, Et le coeur tout ensemble, arrête la carrière, Serrant plus fort la bride à ta douleur trop fière. De peur qu'avant le temps tu ne perdes ainsi, Toi, ta soeur, ta douleur, et ton Énée aussi. L'espoir sert de remède : en espérant, les Cieux Te feront la raison : ou l'espoir gracieux, Quand même tu perdrais la chose prétendue, T'aura toujours plus saine avec le temps rendue. On doit tout éprouver, lorsque nous connaissons En nos extrêmes maux que rien nous ne laissons, Qui nous puisse apporter l'heureuse délivrance. Nous forçons nos ennuis aux lois de la constance ; Mais la douleur ne peut son relâche trouver, Quand on sait qu'on endure à faute d'éprouver Tout ce qui peut servir : car ce qui plus nous ôte Le moyen de guérir, c'est d'y voir notre faute ; Du premier coup le boeuf au joug ne s'apprend pas : Le fier poulain ne règle au premier coup ses pas : Mais ores on les flatte, ores on aiguillonne, Tant que l'un au collier, l'autre au frein se façonne. Crois-tu pas que si Phèdre eût tâché plusieurs fois D'embraser Hyppolyte, et de pleurs et de voix, Conduisant sagement son embûche dressée, Qu'ils se fussent sauvés tous deux de mort forcée ? Achille courroucé, si tôt ne revint pas Pour les présents d'Atride, aux Phrygiens combats. Et que sais-tu si c'est une feinte rusée, Dont ce Troyen te veut rendre plus embrasée. Car comment connait-on un Pin être constant, Sinon qu'en vain le Nord va ce Pin combattant ? Mais souvent étonnés du premier choc qu'on donne, Nous laissons le butin que le hasard nous donne. Il faut suivre, il faut suivre. DIDON.         Hélas ! Las quelle feinte ? Ce cruel ne m'a vu jamais que trop atteinte. Il ne feint point la fuite à fin de m'embraser, Mais il feint un oracle à fin de m'abuser. Toutefois puisqu'il faut à mon malheur complaire, Puisque je vois ma vie en la main adversaire, Puisque mon destin semble avoir remis ce jour Tout mon bien dessus l'arc ou de mort, ou d'amour, Anne mon seul espoir, Anne qui mieux apprise, Peux tirer des enfers ta pauvre soeur Élize, Fais fais-moi, pour tout bien, le vaincre en un seul point, Dont le plus ennemi ne m'éconduirait point. [72] Tu vois déjà les naus d'oliviers couronnées, Tu vois qu'un vain espoir des fausses destinées, Pousse, et presse au labeur ces fuitifs étrangers, [73] [74] Comme un noir escadron de fourmis ménagers ; [75] Tu vois que mon Énée, entalenté de faire Que du bien que j'ai fait mon mal soit le salaire, Préside sur la troupe, encore moins ému Des vents, que de mes pleurs qui mouvoir ne l'ont pu, Constant en son propos, autant qu'en l'alliance Qu'il a fait avec nous il montre d'inconstance ; S'il est ainsi, ma soeur, que ton conseil premier M'a fait mettre ma vie en la main du meurtrier ? S'il est ainsi qu'encor ta pauvre soeur tu aimes, Qui t'aime toujours plus qu'elle n'aime soi-même ; S'il est ainsi qu'Énée entre tous t'honorât, Et en tous ses secrets vers toi se retirât : S'il est ainsi que seule entre tous tu connusses Les adresses vers l'homme, et que les temps tu susses, Va ma soeur et lui dis, dis-lui, ma soeur, qu'hélas Misérable Didon, de ceux je ne suis pas Qui pour les fils d'Atrée en Aulide jurèrent La ruine Troyenne, et leur force y menèrent : Je n'ai hors du tombeau la cendre bien-aimée De son bon père Anchise, au gré du vent semée ; Je ne lui ai pas fait, pour tâcher de venger Junon contre Vénus, son Ascaigne manger : Pourquoi veut-il boucher l'oreille à ma parole ? Où court-il ? Est-ce ainsi qu'une amante on console ? S'il se repent si tôt de promettre à Didon Le reste de ses jours, au moins un dernier don, Un dernier don au moins à moi laissé, s'octroie, Moi pauvre amante, hélas ! Que sa rigueur foudroie, C'est, qu'il veuille le temps attendre seulement, Qu'il pourra dans la mer s'embarquer sûrement : Qu'il attende le temps, qu'avec ma fortune Nous voyons apaiser et les vents et Neptune. Adieu Hymen, adieu mariage ancien, Puisqu'Énée en trahit le mal-noué lien ; Je ne lui requiers plus, que pour sa simple hôtesse, Albe, Rome, Italie, et tout le monde il laisse : Qu'il s'en voise bâtir toutes telles cités, Dont il a (je le crois) les beaux noms inventés : Je ne veux plus en rien me rendre à lui contraire, Tant pour mollir son coeur il me plaît de lui plaire : Rien plus je ne requiers, fors qu'un temps il est vain, Pour espace et repos de mon tourment certain : Je ne requiers sinon que ce dernier relâche, Afin que ma fortune envieuse, qui tâche [76] Me faire vaincre à moi, m'apprenne à me douloir, Non d'une douleur faire un hideux désespoir. Là (chère Soeur) là donc, prends peine, je te prie, De mes pleurs, de mes cris, de mes feux, de ma vie : Feins en toi d'être moi, et viens gêner tes sens [77] Pour une heure du mal qui me point si longtemps : Tu n'auras si tu sens tant soit peu mes alarmes, Pour ce marbre amollir, que trop que trop de larmes : Plus pitoyablement encor je t'instruirais, Si tous pleurs n'empêchaient l'accent piteux des voix. Ô Amour, traître Amour, ô Amour ! ANNE.         Le dueil serre Et mes pleurs, et ma voix, lorsque ta voix m'enserre Jusqu'au plus creux de l'âme : ah faux Amour, je sens Que ta fière rigueur n'en veut qu'aux innocents. Pourtant, pourtant amour, si toi-même et ton frère N'êtes fils d'un Pluton ; conçus d'une Mégère, Si tous deux ne portez autour d'un coeur mutin, L'inexpugnable sort d'un roc diamantin. Si l'Enfer ne vous prête à la dolente terre, Pour revenger ses fils accablés du tonnerre Par mille impiétés : si encor de vous deux Le Ciel n'a plus d'effroi, qu'ensemble de tous eux, Je crois que la pitié de mon humble harangue, La pitié de mes pleurs, faisant tort à ma langue, Fera, que comme nous tu l'atteignes au vif. L'humble douceur commande au cheval plus rétif, Non le rude éperon. Mais sois sois-nous propice, Vénus, mère d'Énée ; ainsi pour sacrifice Du feu des Aubépins, soit ton autel orné, [78] D'un myrte et d'un rosier vermeil encourtiné, Le Cygne et le Pigeon en ton offrande tombe, Et toujours en honneur soit d'Anchise la tombe. DIDON. Notre âme, quand l'horreur des filles de la nuit De propos en propos, de pas en pas la suit, Or' de brandons ardents, or' d'ardentes tenailles, Et or' de noirs serpents dévorant nos entrailles : Combien qu'envers le Ciel incoupable elle soit, Toujours envers soi-même une coulpe conçoit : Se condamnant sans fin des choses qui surviennent, Croyant que pour cela les rages la retiennent. Encor qu'envers le Ciel je n'aye commis rien Qui le fasse aujourd'hui me priver de tout bien. Si est-ce qu'en oyant mes paroles dernières, Par qui ma soeur dressait à Vénus ses prières, Afin que l'obstiné se ployât à mon gré, (Cet obstiné que j'ai sans fin au coeur ancré) Je me suis condamnée, en jugeant que la faute De n'avoir tout ce jour à la majesté haute De Vénus Cyprienne, offert mes humbles voeux, A refroidi son fils et rembrasé mes feux. Il faut donc que dressant vers les cieux la lumière, Je t'apaise, ô Déesse, ô grand'Déesse, mère De tout être vivant, qui as toujours été Des hommes et des Dieux la seule volupté : [79] Alme Vénus qui tiens sous la grand'sphère blonde Des signes porte-jour, le plus beau ciel du monde : [80] Où les Amours archiers, les folâtres désirs, Les Charités, les jeux, les assurés plaisirs, Où de tous animaux les moules, la figure, Que Dieu par toi, sa fille, octroie à la Nature, D'un accord mesuré se roulent plaisamment, Inspirant mainte vie en leur saint mouvement. Toi, le but de la Nature, à qui ne saurait plaire [81] De défaire aucune oeuvre, ains toujours de refaire, Et qui dessus la Mort gagnes sans fin le prix, Lui faisant rendre autant qu'elle en a toujours pris : Afin que dépeuplant et repeuplant la salle De Pluton, l'entretien de ce monde s'égale Toi qui fais les oiseaux se plaire dedans l'air, Les bêtes en la terre, et les poissons en mer : Toi par qui nous voyons les maisons, et les villes, [82] Le loix, les amitiés, les polices civiles : Toi qui fais différer tout être terrien, Selon le plus et moins que tu leur fais du bien, Seul bien universel, où les hommes aspirent, Soit que bien, soit que mal, aveuglés ils désirent : Toi qui mêlas ta force avec le Ciel, et fis Sortir mon grand vainqueur, ton indomptable fils ; Qui, combien qu'on en fasse un autre, dont la dextre Le grand Chaos mêlé remit en meilleur être, Montre de jour en jour (vainqueur même des Dieux) Combien peut dessus tout son arc victorieux. Toi de qui maintes fois mainte et mainte louange Je retins d'un vieillard, que d'un pays étrange La Fortune m'avait en Phénice amené, Pour polir mon esprit du sien endoctriné : Toi (dis-je) las ! Qui vois les piteuses merveilles Qu'on exerce sur moi : et qui n'as tes oreilles (Au moins comme je crois) closes à mon parler, Qui vois, qui vois mon corps d'heure en heure écouler, [83] Sous la cruelle ardeur d'Amour, qui me martyre : Comme devant le feu on voit fondre une cire : [84] Comme l'ardent métail par rougissants ruisseaux On voit couler en bas des échauffés fourneaux : Ou comme on voit couler la neige des montagnes, Et les ruisseaux glacés au travers des campagnes : Puisque je n'ai jamais refusé de ployer Sous les lois qu'il t'a plu de ton Ciel m'envoyer, [85] Puisque je n'ai sacré une ingrate Jeunesse, [86] Au travail inutil de ta soeur chasseresse : Si, humble, j'ai perdu pour un hommage saint, [87] À ton autel sacré mon chaste demi-ceint : Si au son de ton nom j'ai reçu ton Énée, Si je me suis, hélas ! Toute à son gré donnée, Ployant dessous ton joug : si pour l'amour de toi J'ai mieux fait aux Troyens qu'à ceux qui sont à moi, Tourne en ce lieu ta vue, et la miséricorde De toi, de la fortune et de tes fils accorde, Pour justement changer mon travail au repos. Vois, Vénus, le venin qui tient à tous mes os : Vois tantôt un brasier, et tantôt une glace, Qui soudain me renflamme, et soudain me renglace : Vois mon âme offusquée en tous autres objets, Fors qu'en ton fils, qui rend tous mes sens ses sujets. Vois sortir de mes yeux, et les larmes coulantes, Et les brillants éclairs de mes flammes brûlantes Vois Didon sans humeur, vois Didon se jetant À genoux devant toi, vois Didon sanglotant. Prends pitié, prends pitié, Déesse Idalienne, Paphienne, Érycine, Undeuse, Gnidienne, Prends prends donque pitié, et ne permets jamais Que d'un tort détestable on paye mes bienfaits. Si tu crois que je t'aie autrefois fait offense, D'avoir fait à Junon plus qu'à toi révérence, Amollis-toi de pleurs, apaise-toi de voeux : Je jure tes yeux noirs, je jure tes cheveux, Qu'en recevant ce jour par toi ce bénéfice, Je paierai l'usure à ton saint sacrifice. Je requiers peu, mais las ! Toutes telles fureurs Pour bien peu de relais perdent beaucoup de pleurs. ÉNÉE. Les ennuis déréglés, les maux insupportables, Qu'on voit sur un esprit se rendre insatiables : La raison qui nous peut dessous ses lois forcer, Et la pitié qui peut nos raisons effacer, Les mots interrompus par les larmes mêlées, Et les soupirs témoins des âmes désolées, Ne peuvent rien sinon qu'en vain nous émouvoir, Lorsqu'en un fait les Dieux nous ôtent le pouvoir. Anne, si les ennuis et si l'angoisse extrême Me pouvaient arrêter, l'angoisse de moi-même, Sans que ton oeil piteux témoignât tant de maux, Serait la corde et l'ancre à retenir mes naus : Vu que nul ne saurait la peine assez comprendre, Que sans cesse en l'esprit mon amour me rengendre. Mais les Dieux sont si forts ; et du destin la loi Se rend si saintement inviolable en moi, Que les pleurs de Didon, que les larmes piteuses, Qu'en mon piteux adieu mes larmes angoisseusses, Voire des Tyriens les pleurs ensemble unis, Voire les pleurs des miens avec les autres mis, Bref, de tous les mortels et les pleurs et les plaintes, Ne pourraient pas des Dieux combattre les lois saintes Cessons donc de pleurer, tant plus nous pleurerons, Et plus notre tourment dans nous nous graverons. Le pleur qui peu à peu sur notre face coule, Et jusqu'à l'estomac, sa ressource, se roule, Pour derechef entrant et montant au cerveau Redescendre par l'oeil, nous mange, comme l'eau Qui aux jours pluvieux des gouttières dégoutte, Mange la dure pierre en tombant goutte à goutte Cessons cessons. ANNE.         Énée, ô Énée obstiné, Tu as bien ce propos contre toi ramené, Pour montrer que ton coeur que haineux tu resserres Sans l'ouvrir à pitié, est plus dur que les pierres. La pluie goutte à goutte un marbre caverait ; Et quasi un torrent de nos yeux, ne saurait Mordre dessus ton coeur, plus félon que je cuide Qu'un coeur de Diomède assommé par Alcide, Coeur qui souffrait du sang des hôtes saccagés Voir abreuver chez soi ses chevaux enragés : Plus cruel qu'un Procuste, et tous ceux dont la guerre De Thésée et d'Hercule a délivré la terre. [88] Mais qui me fait ainsi ceux-ci ramentevoir, Si ce n'est la fureur qu'on me fait concevoir ? Est-il possible, hélas ! Qu'en l'âme féminine Une fureur tant âpre et sans bride domine ? Et qui pourrait (bons Dieux) se garder de fureur, Quand on voit qu'on ne peut rien faire par le pleur ? N'ai-je su donc rien faire ? Et n'ai-je point l'adresse, De faire la pitié sur ta rigueur maîtresse ? Se perd doncques en l'air tout ce dont j'ai pleuré ? Tout cela dont j'aurais l'aimant même attiré ? Cela, pour qui les Dieux, que ton dol nous raconte, Seraient, je crois, méchants s'ils n'en tenaient point compte ? Cela pour qui tout coeur humain ne craindrait pas Plutôt qu'y résister, de souffrir cent trépas, Faut-il qu'ainsi je perde ? Et faut-il que je voie Que les Dieux justement ont puni ceux de Troie ? Me faut-il voir encor que ni moi ni Didon N'avons jamais pensé au vieil Laomédon ? Si de tromper les Dieux celui-là prit l'audace, Ha que nous fallait-il espérer de sa race ? Que porté-je à ma soeur, fors le venin dernier, Qui la va faire voir l'infernal Nautonier ? Puis-je encor à ses yeux me montrer en la sorte, Moi qui ouvre à ses maux et à sa mort la porte ? Puis-je puis-je me voir moi-même le corbeau De ma soeur, lui portant l'augure du tombeau ? Hé que sais-tu (Cruel) qui donnes telle atteinte À ceux qui te font bien, si de ton fait enceinte Elle ne cache point maintenant dedans soi (Ô fardeau malheureux !) une moitié de Roi ? Veux-tu qu'avant que voir du monde la lumière, Ton propre enfant se fasse un cercueil de sa mère ? Veux-tu pour rendre Ascaigne, et les siens triomphants, Faire étouffer ainsi l'autre de tes enfants ? Las si les mères sont en votre endroit coupables, [89] (Grands Dieux) qu'en peuvent mais les enfants misérables ? Quant aux mères, je crois, que tu es coutumier (Ô le loyal époux) d'en être le meurtrier. Si l'on demande où est la mère à ton Ascaigne, Elle est où tu veux mettre une autre, que dédaigne Tellement ta fierté, qu'il semble que le Ciel Dedans ton lâche esprit n'ait versé que du fiel : Et qu'il s'égaie ainsi, que de tout temps tu rompes Avec la foi, la vie, à celles que tu trompes. Hé qui croira jamais qu'on puisse refuser Un délai seulement ? Mais je ne fais qu'user [90] Et ma langue et mes yeux en mes vaines reproches. En vain tâchent les vents de combattre les roches. Voilà l'heureux loyer ; pense, que pour un tel, Ma soeur devait sentir d'amour le dard mortel : Pense, que je devais misérable et déçue Pour un tel donner force à la flamme reçue. [91] [92] Je devais bien lui plaire au vouloir d'un méchef : Nous devions bien orner de feuilles notre chef, Pour faire aux Dieux, seigneurs des sacrés mariages, Pour un tel que cestui, les saints sacrés hommages : Je devais bien lui faire un Sichée oublier, Pour au lieu d'un époux à Pluton l'allier. Devions-nous mille honneurs, mille caresses rendre, À celui qui filait le cordeau pour nous pendre ? Ha je ne puis, alors qu'un si dur souvenir Me revient, je ne puis mon âme retenir. [93] Je me fauls à moi-même, et sans l'ire enflammée Qui m'aigrit et soutient, on me verrait pâmée, Je m'en vais, je le laisse, ô rigueur incroyable, Que cet homme inconstant en nos malheurs est stable ! ÉNÉE. Ô quel tumulte, Achate. ACHATE.         Amour fait la discorde. ÉNÉE. Vois-tu point de remède ? ACHATE.         Avec la Reine accorde. ÉNÉE. Dois-je pour accorder discorder au destin ? ACHATE. Va donc ; celui fait bien qui fait à bonne fin. ÉNÉE. Pourquoi me gêne donc ma conscience encore ? ACHATE. C'est l'Aigle qui le coeur sur Caucase dévore. ÉNÉE. Ô grand Ciel, que voit-on au monde d'arrêté ? ACHATE. Le Ciel a retiré toute tranquillité. ÉNÉE. Quel bonheur donque reste au monde pour les hommes ? ACHATE. De n'être pas longtemps ce que chétifs nous sommes. ÉNÉE. Qu'attendons-nous pour fin et loyer des travaux ? ACHATE. La mort est le loyer de nos biens et nos maux. ÉNÉE. Nul donques ne peut-il ici-bas heureux être ? ACHATE. Celui que pour heureux les grands Dieux ont fait naître. ÉNÉE. Je crois que le bonheur des humains ne leur plaît. ACHATE. [94] Pour ce que leur honneur bien souvent nous déplaît. ÉNÉE. Je pense voir le jour que la colère ardente De Junon redoutée, envoya la tourmente Contre nos pauvres naus, et qu'à voir un tonnerre Épouvanter la mer et déplacer la terre, Les éclairs redoubler, et des vents adversaires Les gosiers s'aboyer, et resiffler contraires, Les flots monter au ciel, il semblait que les ondes Tâchassent de ravir aux abymes profondes, Ceux qui s'étaient sauvés de la Troyenne cendre : Quand un feu nous pardonne une eau nous vient atteindre. Durant l'orage tel mes naus virevoltées, S'écartant çà et là, de tous côtés jetées À la merci du vent, sans suivre route aucune, Ore devers le Nord, attendaient leur fortune, Ore devers le Sud par le Nord ramenées, Et ore devers l'Est se voyaient détournées Par l'Ouest opposé : tant que la mer bonace De ses frères bandés apaisant la menace, Nous eût poussés à bord : je sens de même sorte (Ore que ma fortune arrête que je sorte) Agiter mon esprit, qui çà qui là se vire De cent troubles divers, comme au vent le navire, D'un côté le profit, la peur me tient de l'autre, Soit la peur de sa mort, soit la peur de la nôtre : Didon et la saison sont d'une fureur même : Mais la plus grand'fureur c'est la fureur suprême. ACHATE. Quoi ? Où revenons-nous ? Quoi, toi qui as pour mère Une Vénus, faut-il tenir du tout du père ? ÉNÉE. Ha foi, ha stable foi, seul gage inviolable Des hommes et des Dieux, cent fois est punissable Celui qui t'offensant de certaine science Amortit l'aiguillon que sent sa conscience ! Il lui devrait sembler, lorsque le Ciel tempête, Qu'il ne s'émeut sinon que pour briser sa tête : Il lui devrait sembler, lorsque la mer s'irrite, Que contre lui tout seul son courroux se dépite. Même au moindre combat chétif, il devrait croire, Que le Ciel l'a déjà privé de la victoire, Puisqu'il a hasardé avec sa foi première, L'assurance, le sens, la force coutumière. Car de toutes les peurs, la peur la plus extrême C'est la peur d'un esprit coupable envers soi-même, Qui s'épouvante tant, que même sans encombre Se voit suivre sans fin de la peur de son ombre. Faut-il que malgré moi les peurs en moi s'empreignent ? Faut-il que malgré moi les durs remords m'étreignent ? Faut-il que malgré moi , voire en mon innocence Je m'accuse à grand tort d'une exécrable offense ? ACHATE. Si tu ne sais assez, que nous imprudents hommes, De nous-même toujours les adversaires sommes, Les Juges, les bourreaux, tu te le peux apprendre Du mal que ton esprit pour soi-mêmes engendre. Ta seule opinion est de ta crainte mère : La crainte du remords : le remords est le père D'une autre opinion, que tu prends quand tu penses Offenser grièvement, lorsque point tu n'offenses : Mais moi qui soucieux à tout danger regarde, Je sens une autre peur : j'ai peur que trop on tarde Dans ce havre, tu sais combien est monstrueuse D'un courroux féminin l'ardeur tempêteuse. Nous verrons tout soudain les troupes Tyriennes Darder le feu vengeur dans les naus Phrygiennes : Nous verrons tout frémir, or ces rives mouillées De sang et de corps morts hideusement souillées. Partons donc au plus tôt. ÉNÉE.         Aussitôt que les sommes Auront donc un peu ce soir rafraîchi tous nos hommes : Je ferai que l'on cingle : À à quoi qu'il en sorte, Un pesant faix de maux avecque moi j'emporte. Las ! Nous faut-il voguer sans savoir quelle issue Sortira d'un amour qui son amante tue ? Pauvre Didon, hélas ! Mettras-tu l'assurance Sur les vaisseaux marins, qui n'ont point de constance ? LE CHOEUR. Ceux que Fortune exerce aux travaux de ce monde, N'ont pas beaucoup d'effroi, s'il leur faut dessus l'onde Sans relâche ramer : Vu que même au milieu du repos et des villes, Les humains vont souffrant, au lieu d'être tranquilles Une éternelle mer. Notre Prince porté par la mer incertaine, Sentira dans l'hiver une mer plus humaine Que la mer du souci. Didon, qui dans sa ville avec les siens demeure, Sent une horrible mer plus cruelle à cette heure, Que n'est cette mer ci. Malheureuse cent fois celle qui abandonne À l'étranger son coeur, son lit, et sa couronne : Le murmure nouveau De son peuple, l'adieu du mari qui s'absente, Et son dur désespoir, lui servent de tourmente, Effondrant son vaisseau. # ACTE IV. ## Anne, Barce, Didon. ANNE. A-t-il donques bien pu se renforcer de sorte, Qu'à toutes passions il ferme ainsi la porte ? A-t-elle donc bien pu s'affaiblir tellement, Que de se laisser vaincre à l'effort du tourment ? Elle meurt, elle meurt : jà jà dans son visage, De la mort pâlissante on voit peinte l'image : Encor tant les amants se nourrissent de pleurs, Et tant les furieux se plaisent aux fureurs. Elle a voulu que seule en son mal on la laisse : Las veut-elle forcer la mort par la détresse ? Dût-elle pas trouver, même en la trahison Qui la fait forcener, sa propre guérison ? En s'égayant plus tôt de perdre un tel parjure ; Que faire pour un traître à son repos injure ? N'eût-il pas dû plutôt, que de la courroucer, De quelque moindre offense aimer mieux trépasser ? Peut-il voir que par lui la vie soit ravie À celle, dont il tient et son heur et sa vie ? Puisqu'ils n'étaient plus qu'un en ce laqs d'amitié, Penserait-il après durer sans sa moitié, En sentant mêmement l'implacable furie, De l'avoir pour loyer lui-même ainsi meurtrie ? Las las ! On voit mes sens, Barce épouvante-toi : Barce, chère nourrice, assemble avecque moi L'étonnement, l'horreur, les plaintes, et les larmes, Et s'il est oncq possible, en si cruels alarmes D'user d'aucun conseil, conseille le moyen De bannir hors du coeur de ma Soeur ce Troyen L'âge toujours apprend, et n'est pas qu'ancienne [95] Tu n'ayes pratiqué l'horreur magicienne : Donc à l'écart tournant trois ou sept ou neuf tours, [96] De beaux vers remâchés encharme les amours. L'amour qui plus qu'au corps en notre âme domine, Ne se guérit jamais du jus d'une racine : Mais on dit que le vers qui est du ciel appris, Domine sur l'amour et dessus nos esprits. Si par son art Médée en la fin n'eût de soi Chassé l'amour bourreau, de Corinthe le Roi, Sa fille Glauque aussi, ne fussent mis en cendre : De ses propres enfant la gorge encore tendre, N'eût caché jusqu'au manche un couteau maternel, Ains pour se dépêtrer du mal continuel, Changeons sa serve vie avec la mort plus gaie, Le sang, l'amour, et l'âme, eût vomi par sa plaie. Mais voyant que le vers qu'elle ainsi remâchait, Du lourd fardeau d'amour son âme dépêchait, Déploya son courroux sur ceux qui l'offensèrent, Et comme son dragon ses amours s'envolèrent. BARCE. J'ai trop d'étonnement, je n'ai que trop d'horreurs, Trop de plaints en la bouche, et trop aux yeux de pleurs : Mais quant à ce conseil, misérable Nourrice, Je ne sens rien en moi qui ce mal divertisse. Des vers magiciens je n'ai l'usage appris, Et les vers n'avaient pas sur un tel le pris : Fût qu'avec cent pavots un repos j'excitasse, Fût qu'avecque les cieux les enfers j'appelassent, Pour charmer la poison maîtresse de ses os, Rechassant par un charme un charme au coeur enclos : Ô Mânes de Sichée, ô Dame bien heureuse, Dont le meurtre souilla la dextre convoiteuse De ton frère inhumain, sans que moi qui t'avais Nourri de ma mamelle, et qui las ! ne pouvais Recevoir plus de dueil, eusse sur ta lumière Rabattu de mes doigts l'une et l'autre paupière. Hélas pauvre ombre (dis-je) encore t'est-il mieux D'avoir ainsi volé sur le bord oublieux Par un meurtre soudain, que non pas à ta femme Mourir à petit feu, d'une amoureuse flamme, Qui l'animant toujours d'une ardeur par dedans, Et la vie, et la mort, lui laisse entre les dents. Et moi chétive, hélas ! Qui suis seule laissée, Depuis que la nourrice à Didon est passée Avecque toi là-bas, ne la puis secourir : Non plus, hé ! Que tu peux te garder de mourir. Puis-je sans larme dire en quel point je l'ai vue ? Pourra ma faible voix de sa fureur conçue Exprimer les accents ? Pourrai-je assez bien plaindre Les yeux qu'on voit flamber et puis soudain s'éteindre, Comme s'ils étaient jà languissant dans la mort, Et soudain reflamber encore de plus fort ? Mais plaindre ce beau poil qu'au lieu de le retordre, Elle laisse empêtrer sans ornement, sans ordre, Sans presque en abstenir les sacrilèges mains ; Mais, las ! Plaindre ce teint, l'honneur des plus beaux teints, Qui tout ainsi qu'on voit la fumée azurée Du soufre, reblanchir la rose colorée, De moment en moment, par l'extrême douleur [97] Change avec un effroi sa rosine couleur : Mais las las ! Surtout plaindre un beau port vénérable [98] Un port, hélas ! Au port des Déesses semblable, Qui se sent arracher du front la déité, Pour avec cent fureurs changer sa majesté. Vous diriez à la voir qu'insensée elle semble [99] La Lionne outragée, à qui le pasteur emble (Lorsque de sa caverne elle s'absente un peu) Ses petits Lionceaux, et la poursuit au feu, [100] Effrayant d'une torche un fier regard colère, Qui effroyablement de mainte torche éclaire. Ô l'heure malheureuse en qui ces Phrygiens Vinrent premier flotter aux sables Libyens ! [101] Dès lors mon coeur jugea qu'avant la départie, À grand'peine on verrait Carthage garantie D'un mal inespéré : car on veut s'outrager Quand d'un recueil prodigue on reçoit l'étranger : Toujours vient une perte, un regret, une honte, Quand plus des étrangers que des siens on tient compte. Mais qui eût pensé, las ! Qu'une déloyauté Eût contre tant d'efforts méchamment résisté ? Qui l'eût pensé (bons Dieux !). ANNE.         Je crois que la malice Nous aveugle au conseil, puis nous livre au supplice : Croirait-on qu'un Énée oubliât de penser Ce qui peut son dessein et sa vie offenser, Avant qu'entrer en mer ? Sans qu'à rien il regarde : En une mer de maux chétif il se hasarde. Prend-il point garde, avant qu'avoir en soi fermé L'arrêt de ce dessein, à ce monstre emplumé, Qui soucieux de tout jamais ne se repose, Et qui de bouche en bouche épand chacune chose Du Nil Égyptien jusqu'aux eaux d'Occident Et du Scythe gelé jusques au More ardent, Prompt d'agrandir un fait, ce monstre hasardeux (Dis-je) qui aiguisa naguères sur eux deux Ses langues, et ses yeux, quand l'amour effrénée Couverte du manteau d'un trompeur Hyménée, Commença par augure à mille fois montrer, Qu'un bien léger fait l'homme en cent malheurs entrer, Quand le présent plaisir qui moins qu'un songe dure, Ôte le sentiment de la peine future ? Prend-il point (dis-je) égard aux encombres que peut Conspirer sur les grands ce monstre quand il veut ? C'est au moins, c'est au moins, que telle renommée Rendra contre son nom toute terre animée ? Et tant que rencontrant son forfait en tous lieux, Ne lui restra que d'être à soi-même odieux. Prend-il point garde encor qu'à grand'peine en leur âge Les siens pourront à chef mettre une autre Carthage ? Et que ces beaux destins, ces oracles rendus, Ces miracles, ces feux, ces beaux Dieux descendus, Ne sont qu'illusions, ou Démons qui nous peinent, Et ministres du Ciel en nos malheurs nous mènent ? Prend-il point garde encor, je crois, qu'en un plein jour [102] Un péché nous ennuicte aux forces qu'a l'amour, Dont il rompt les conseils, qu'on cache et qu'on évente ? Hé ! Qui s'ose vanter de tromper une amante ? Hé ! Qui s'ose promettre en la trompant ainsi, Qu'aveuglément lui-même il ne se trompe aussi, Pensant qu'on permettra sans en rien l'outrager, Sortir hors d'un pays l'outrageux étranger ? Nos peuples Tyriens auraient-il plus qu'Énée Et les bras engourdis, et l'âme efféminée ? Mais toutefois délivre de honte et de peur, Rend de la prévoyance un seul hasard vainqueur. Ô aveugle entreprise, ô trahison ouverte, Qui semble avoir été pour l'une ou l'autre perte Mise en ce chef parjure, à fin qu'il fût certain Par l'exemple des deux, que Cupidon en vain Nous repaît quelque temps, pour faire après repaître Notre coeur aux serpents que dans nous il fait naître. Que plaindrai-je premier ? Plaindrai-je le forfait Que mon conseil, hélas ! À son honneur a fait ? Voire aux Mânes sacrés de son loyal Sichée, [103] Voire aux pourchas de ceux, dont j'ai tant vu cherchée Avec Didon fuitive, en ce port étranger, Une alliance (hélas) franche d'un tel danger ? C'est moi Barce, c'est moi : qui pourrait sans pleurer. Le confesser, c'est moi qui la fais endurer, C'est moi qui ai banni de son âme la honte, Par qui seule d'amour la force se surmonte. C'est moi qui pour sa mort, ai le bois entassé, C'est moi qui ai dans elle un brasier amassé ;: C'est moi qui ai toujours telle flamme nourrie, Qui ne peut sans Didon se voir jamais périe ? C'est moi à qui toujours se venait adresser Ce déloyal trompeur, qui ne craint de blesser Ni les Dieux, ni sa foi, ni l'amante embrasée, Que sa foi, que les Dieux, ont enfin abusée. Mais sera-t-il donc vrai ? (Bons Dieux !) permettrez-vous Que ce pipeur se joue et de vous et de nous ? Que t'avons-nous donc fait, sainte troupe céleste ? [104] Mais Que t'avons-nous fait, ô étranger moleste ? Vengez s'il y a faute : Ha Dieux elle n'a pas Trop inhumaine hôtesse, en un sale repas Souillé d'un corps humain votre divine bouche. [105] Ell' n'a pas égorgé Jupiter dans sa couche, [106] Changeant son coeur de femme au coeur d'un Lycaon : De rien ne la sauraient charger les Dieux, sinon D'avoir tout au rebours hôtesse trop humaine ; Trop bien fait à celui, las ! Grands Dieux, qui à peine Trop ingrat s'en soucie, et qui l'abandonnant, Fait injure à soi-même, injure au Dieu Tonnant : À ce Dieu qui d'en-haut les parjures regarde, Et des hôtes a pris la juste sauvegarde. BARCE. Plaise donc à ce Dieu jetant l'oeil au besoin, Ou de l'un ou de l'autre avoir bientôt le soin, Soit que d'elle le mal impitoyable il chérisse, Ou soit que le pervers Justicier il punisse : Souvent ce Dieu vengeur de tous humains forfaits, Permet que mille torts par les méchants soient faits, Afin que par celui se punissent nos vices, Qui plus dessus sa tête amasse de supplices. Mais ainsi que les Dieux qui semblent être oisifs À venger les forfaits, sont bien souvent tardifs, J'ai peur qu'ils soient aussi tardifs à ce remède, Et que ce mal au mal de la seule mort cède : Si c'est mal que mourir, lorsque de cent trépas Un trépas nous délivre. ANNE.         Hélas ! Je ne crois pas Qu'il advienne autrement, et sans cesse m'effrayent Les signes monstrueux que les Dieux m'en envoient : Ce qu'en dormant aussi mes songes me font voir, Trouble mes sens, émus d'un pareil désespoir Le Songe est fils du Ciel ; et bien souvent nous ouvre Ce qu'encore le temps dessous son aile couvre. Il m'a semblé la nuit que d'un ardent tison J'avais deçà delà semé par la maison Un feu, que d'autant plus je m'efforçais d'éteindre, Et plus jusqu'au sommet il s'efforçait d'atteindre : Mes sens ne se sont point de ceci dépêtrés, Qu'aussi soudain n'y soient d'autres songes entrés. Je voyais un chasseur, duquel la contenance Et de face et de corps, empruntait la semblance D'Apollon, quand tout seul pour chasser quelque part Ou de Dèle, ou de Cynthe, ou d'Amathonte il part : Sur l'épaule lui bat sa perruque dorée, Sur le côté sa trousse en biais ceinturée, Sa flèche est en la coche, et son arc en plein poing : Tout ainsi mon chasseur qui s'écartait bien loin, Dedans l'épais d'un bois s'offrait dedans ma vue, Tant qu'au bord d'un taillis une biche il ait vue : Il décoche, il l'atteint, elle demi-mourant Fait du sang qui ruisselle une trace en courant, Le fer tient dedans l'os, et pour néant évite Ce qui lui tient (hélas) compagnie en sa fuite ; Tant que sous un Cyprès ayant porté longtemps Et sa flèche et sa plaie, ait avachi ses sens. Les pieds faillent au corps, le corps faut à la tête : Et comme la pitié de l'innocente bête Me soulevait le coeur, plutôt que ses sanglots, S'est perdu parmi l'air mon songe et mon repos. Combien de fois ces jours encor toute tremblante, Ai-je en sursaut repris mon âme travaillante, Lorsque mon pâle frère en dormant revenait Me prendre les cheveux, et cruel me traînait, Comme il m'était avis, hors du lit pour m'apprendre D'avoir fait à sa femme un autre parti prendre. Mêmement une nuit, lorsque Jarbe le Roi De nos peuples voisins sortait presque de soi, Tant l'amour le brûlait : sachant qu'à cet Énée Fut de ma soeur la terre et l'âme abandonnée, Pour ce que nous tenions mille propos mêlés Du monstre qui si tôt nous avait décelés. Un songe vint saisir en dormant ma mémoire Sur celle qui sait tout, soit bien soit mal notoire : Je brouillais en l'esprit deçà delà roulant, Tout ce qu'on m'avait dit de ce monstre volant, L'un me semblait compter que dès qu'en leur pensée Ceux de Tyr projetaient leur ville commencée ; Ce monstre ne cessait, et puis haut, et puis bas De voleter sur nous, y prenant ses appas, Nous apportant sans fin quelque trouble des autres, Ou bien à nos voisins portant sans fin des nôtres. Un autre me semblait parlant obscurément, Décrire à son propos ce monstre hautement, Ce monstre enfant du Temps, en tout aussi muable Qu'en ses effets divers son père est variable. Qui sans aucun repos fait, défait, et refait Son rapport, tout ainsi que son père son fait ; Et circuit en rien le Ciel, la Terre, et l'onde, Comme le vol du temps circuit tout le monde. Tous deux sont souhaités, tous deux ne mourront point ; Et ne sont différents tous deux que d'un seul point. Jamais rien ce vieillard qui ne soit vrai n'apporte, Le faux, le vrai, sa fille aux oreilles rapporte. Or cependant qu'en moi ce propos s'embrouillait, Et que mainte autre chose aux propos se mêlait, Je vis de mes deux yeux cette femme volage, Se planter sur les tours de la neuve Carthage, Sale, maigre, hideuse, et soudain embouchant La trompe qu'elle avait, sonner un piteux chant : Voire et me fut avis que de la trompe même Sortait et sang, et feu, tant qu'éperdue et blême De ce cruel spectacle au réveil me troublai, Et de longtemps après mes sens ne rassemblai. Las ! Barce qu'en dis-tu ? Barce, hélas ! BARCE.         On se ronge En vain s'on veut avoir la raison de tout songe. ANNE. De mes songes encor je ne m'effraierais point, Si rien plus grand n'était à mes songes conjoint : J'ai vu ces jours passés sur le haut du château Signe fatal de mort, croasser maint corbeau , Le hibou porte mort, l'Orfraye menaçante ; Et la voix du Corbeau dessus nous croassante Ne me chanter que mal, et m'a fait frissonner. Le vin que ce matin en sang j'ai vu tourner, Au moins ce m'a semblé lorsqu'en la coupe sienne, Didon sacrifiant à Junon gardienne, Le tenait pour épandre aux cornes du Taureau : Outre ce jour hideux m'est un effroi nouveau : Car tout ce jour Phébus a sa face montrée Telle, comme je crois, que quand le fier Atrée Fit bouillir les enfants de son frère adultère, Leur faisant un tombeau du ventre de leur père. [107] [108] Encore outre ce temps embrouillé l'on oit bruire La mer plaintive aux bords, et sembler nous prédire Que les Dieux qui jamais rien constant ne permettent, Envoyent sur nos chefs ce que leurs feux promettent ; [109] Même cet arc-en-ciel Iris Thaumantienne, Messagère à Junon, de ce lieu gardienne, Apparaissait tout hier de noir sang toute teinte, Non pas de cents couleurs, comme elle soulait, peinte. BARCE. Lorsque l'on voit un mal obstinément épris, Et que la froide peur se saisit des esprits, Il nous semble que tout nous donne témoignage De ce que nous craignons : mais d'un serein visage Je vois venir la Reine. Ô l'heureux changement, Si avecque la face est changé le tourment. DIDON. J'ai trouvé le moyen, ma soeur, qui me peut rendre Ce fuitif outrageux, ou qui me peut défendre, Me dépêtrant du Dieu qui jusqu'à ma mort me touche, Vers la fin d'Océan où le Soleil se couche, Sont les Mores derniers, près l'échine foulée Du grand Atlas portant la machine étoilée : De là l'on m'a montré la sage enchanteresse, La vieille Béroé, Massyline prêtresse Qui le temple gardait aux filles Hespérides, Appâtant le dragon de ses douceurs humides, Et d'oublieux pavots, et prenant elle-mêmes La garde du fruit d'or, des soucis plus extrêmes : Ainsi qu'elle promet, la vie elle délie, Ou bien d'un soin cruel elle empêtre la vie : Elle arrête à sa voix la plus raide rivière, Et fait tourner du ciel les signes en arrière : Les ombres de là-bas en hurlant elle appelle, Tu oiras rehurler la terre dessous elle : Tu verras des hauts monts les plantes dévalées, Et les herbes venir de toutes les vallées. J'appelle (chère soeur) les Dieux en témoignage, Toi et ton chef aussi, que l'ancien visage De l'art magicien malgré mon coeur j'éprouve : Mais puisque ma fureur ce seul remède trouve, Va, et au plus secret de cette maison nôtre Un grand amas de bois dresse-moi l'un sur l'autre : Que l'épée de l'homme en la chambre fichée Où j'ai brisé la foi de mon époux Sichée : Que toute la dépouille et le lit détestable, Le lit de nos amours, dont je meurs misérable, Soit par toi mis dessus. Car la prêtresse enseigne [110] Que tous ces demeurants, de mes fureurs l'enseigne, Soient abolis au feu. Quand la pile entassée Quand sur elle sera toute chose amassée, D'if, de buis, de Cyprès faisant mainte couronne, Je veux que maint autel cette pile environne. Là tout ainsi qu'on vit Médée charmeresse, Renouvelant d'Éson la faillante vieillesse, Tu me verras la voix effroyable et tremblante, La chevelure au vent de tous côtés flottante, Un pied nu, l'oeil tout blanc, la face toute blême, Comme si mes esprits s'écartaient de moi-même : Lors de feuilles ayant vos têtes entourées, [111] Et d'un noeud conjuré par les reins ceinturées, [112] Vous m'orrez bien tonner trois cent Dieux d'une suite, Et Enfer et Chaos, et celle qui hérite [113] Nos esprits à jamais, la trois fois double Hécate, Diane à triple voie : il faut que je combatte Pour moi contre moi-même, il faut que je m'efforce De forcer les efforts, à qui je donnais force. Hâtez donc, laissez-moi, afin que je remâche Toute seule à part moi, tout cela qui relâche Les amours furieux, et que tout j'appareille Pour commencer mes voeux, dès que l'aube vermeille Aura demain rougi l'humide matinée, Le Ciel, le Ciel m'orra. ANNE.         Toi donc qui vois Énée (Ô grand Ciel) opposer à tes lois sa malice, Sois pour nous, et prospère en tout ce sacrifice. DIDON. Puis-je donc forcenée encor me laisser vivre, S'il n'y a que la mort qui d'un tel mal délivre ? Laissé-je triompher cette flamme bourrelle, Lorsque ma main, ma main, peut bien triompher d'elle ? Qu'entreprendrais-je (ô Mort !) Mort que seule je nomme Contre les Dieux vengeurs la vengeance de l'homme ? Qu'entreprendrais-je : (dis-je) alors qu'en moi s'assemble Tout ce que les enfers ont de rages ensemble, Tout ce que le Vésuve a d'ardeurs recelées, Tout ce que la Scythie a de glaces gelées, Tout ce qu'on feint là-bas de peines éternelles S'ordonner par Minos aux âmes criminelles, Sinon avec ma vie en moi jà dédaigneuse De faire crever tout par une plaie heureuse ? Pourrais-je bien encor me voir une espérance De me pouvoir guérir pour chercher l'alliance Des Nomades voisins, par moi jà méprisée ? Serais-tu bien encor, Didon tant abusée Que d'allonger le fil de ta vie ennemie En suivant par la mer celui qui t'a trahie ? Prends encores, à fin que ta dextre couarde N'ayant pitié de toi, sur toi ne se hasarde, Qui te soit beaucoup mieux de suivre l'adversaire, Que de fuir ta vie à tout repos contraire : Suivrais-tu toute seule aveugle et déréglée, Ou bien le suivrais-tu encor plus aveuglée, Si tu pensais faire avec toute la suite Qu'à grand'peine tu as jusqu'en ces lieux conduite, L'arrachant de Sidon ? Et puis, hé condamnée, Pauvre femme, je crois, en dépit du Ciel née, N'as-tu point eu encor assez de connaissance Quel fut Laomédon, et quelle est son engeance ? Non, non, meurs meurs ainsi, Didon, que tu mérites, Apprête-toi donc, Parque, et toi qui tant irrites Mes fureurs contre moi, Fortune insatiable, Apprête-toi pour voir le spectacle exécrable : Tu ne t'es pu saouler, m'ayant toujours foulée, Mais bientôt de mon sang je te rendrai saoulée. L'amour mange mon sang, l'amour mon sang demande, Je le veux tout d'un coup repaître en mon offrande : Soyez au sacrifice, ô vous les Dieux suprêmes, Je vous veux apaiser du meurtre de moi-mêmes. Votre enfer, Dieux d'enfer, pour mon bien je désire, Sachant l'enfer d'Amour de tous enfers le pire : J'irais j'irais desor, mais il me faut attendre L'occasion des voeux que je feins d'entreprendre. LE CHOEUR. Troupe Phénicienne Qui prévois bien ton mal : Et toi troupe Troyenne Serve d'un déloyal : Vous le Ciel et la terre, Voyez voyez ce jour, Combien traîtrement erre L'injustice d'amour. Ô grands Dieux, si le vice N'a point en vous de lieu, Amour plein d'injustice Peut-il bien être Dieu ? Mais injuste je pense Chacune Déité, Qui jamais ne dispense Le bien à la bonté. Un seul hasard domine Dessus tout l'univers, Où la faveur divine Est due au plus pervers. Les Dieux dès sa naissance Lui ont ôté les peurs, Avec la conscience, Meurtrière de nos coeurs. S'il chet dans la marine À la rive il prétend, Et s'attend à l'échine, Du Dauphin qui l'attend. La guerre impitoyable Massacrant les humains, Crains l'heur épouvantable Que l'on voit en ses mains : Rien les arts de Médée, Rien n'y pût la poison, Rien cela dont gardée Fut la jaune toison. Rien la loi qu'on révère, Non tant comme on la craint : Rien le bourreau sévère Qui l'homme blême étreint. Rien le foudre céleste Des plus grands ennemi, Toute chose il déteste, Et tout lui est ami. Songeons aux trois qu'on prise Pour plus aventureux, Et qu'en toute entreprise Les Dieux ont fait heureux, Jason, Thésée, Hercule : Les Dieux leur ont prêté Grand'faveur, crainte nulle ; Toute déloyauté. Tous trois ainsi qu'Énée, En trompant leurs amours, Ont fait mainte journée Marquer d'horribles tours. Tous trois trompeurs des hôtes ; Tous trois, ô inhumains, Ont vu soit par leurs fautes, Soit même de leurs mains, Leurs maisons effrayées D'avoir reçu les cris De leurs femmes tuées, De leurs enfants meurtris : Mais la faveur suprême Les poussait toutefois, Et crois que la mort même Les a fait Dieux tous trois. Tu sais bien (ô Énée) Peste des grand's maisons, Qui d'une destinée Farde tes trahisons : Tu sais, ô implacable, Homme lâche, homme fier, Que ce tour détestable N'est des tiens le premier. Le Ciel, la mer, la terre, Nonobstant sont pour toi ; Rien ne te fait la guerre, Tu la fais à ta foi. Didon qui s'humilie Devant les Dieux, sans fin Va traînant une vie Serve d'un dur destin. Si ce n'est injustice De nous traiter ainsi, Rien ne peut de ce vice Les sauver que ceci : C'est que pécheurs nous sommes, Et le Ciel se fâchant, Fait pour punir les hommes Son bourreau d'un méchant. # ACTE V. ## Didon, Barce, Le Choeur. DIDON. Mais où me porte encor ma fureur, qui me garde De me dépêtrer d'elle ? Et quel malheur retarde Mes secourables mains, qui allongeant d'une heure Mon misérable fil, font que cent fois je meure ? Plus cruels sont les coups dont l'amour aiguillonne, Que ceux-là que la dextre homicide nous donne. Mais quoi ? Mourrons-nous donc tellement outragées ? Mourrons-nous, mourrons-nous sans en être vengées ? Le méchant a cinglé dès que l'aube éveillée Par ma vue toujours sans repos décillée S'est découverte au Ciel, la pauvre aube je cuide Qui prend pitié de moi : j'ai vu le port tout vide, J'ai j'ai vu de ma tour sous le clair des étoiles, Les vents qui se jouaient de ses traîtresses voiles. Se jouer de la foi lâchement parjurée, Se jouer de l'honneur de moi désespérée, Se jouer du repos d'une parjure veuve, Se jouer du bonheur de ma Carthage neuve, Et qu'on verra bientôt se jouer de ma vie, Par qui sera soudain cette flotte suivie, Las las ! Sera-ce ainsi ? Toi brûlante poitrine, Faut-il que dedans toi tout le mal je machine Contre moi seulement ? Vous vous cheveux coupables Que je romps à bon droit, serons-nous misérables Tous seuls, sans qu'aucun mal sente le méchant même, Qui vous fait arracher, et enrager moi-même ? Jupiter Jupiter, cette gent tromperesse Doncque se moquera d'une Reine et hôtesse ? Sus Tyriens, sus peuple au port au port, aux armes, Portez les feux, courez, changez le sang aux larmes, Jetez-vous dans la mer, accrochez-moi la troupe, Que d'un bouillant courage on me brûle on me coupe Ces vilains par morceaux, que tant de sang s'écoule, Que jusques à mes yeux le flot marin le roule. Que dis-tu ? Où es-tu, Didon ? Quelle manie Te change ton dessein, pauvre Reine, ennemie De ton heur ? Il fallait telle chose entreprendre Quand tu donnais les lois : tes forfaits t'ont pu rendre Toi-même sans pouvoir, et ton peuple sans crainte. Celui qu'on dit porter, ô malheureuse feinte, Les Dieux de son pays dans son navire, emporte Tout ce qui te rendait dessus ton peuple forte. N'ai-je pu déchirer son corps dans la marine Par pièces le jetant, tuer sa gent mutine, Son Ascaigne égorger, et servie à la table, Remplissant de son fils un père détestable ? Mais quoi ? (me dirait-on) la victoire incertaine M'eût été : c'est tout un, de mon trépas prochaine Qu'est-ce que j'eusse craint ? J'eusse porté les flammes Dedans tout leur quartier : j'eusse ravi les âmes Au père, au fils, au peuple, et jà trop dépitée Contre moi je me fusse au feu sur eux jetée. Mais puisque je n'ai pu, toi Soleil, qui regardes Tout ceci : toi Junon, qui las ! Si mal me gardes, Coupable de mes maux : toi Hécate hurlée De nuit aux carrefours : vous bande échevelée, Qui pour cheveux portez vos pendantes couleuvres, Et dans vos mains les feux vengeurs des lâches oeuvres : Vous (dis-je) tous les Dieux, de la mourante Élize Recevez ces mots ci, et que l'on favorise À la dernière voix qu'à peine je desserre : Si l'on permet jamais ce méchant prendre terre, Que tout peuple sans fin le guerroie et dédaigne, Que banni, que privé des yeux de son Ascaigne, En vain secours il cherche, et que sans fin il voie Renaître sur les siens les ruines de Troie : Quand même malgré soi il faudra qu'il fléchisse Sous une injuste paix, qu'alors il ne jouisse De règne ni de vie, ains mourant à grand'peine Au milieu de ses jours, ne soit en quelque arène Qu'enterré à demi. Quant à sa race fière, Qui sera, je ne sais (et la fureur dernière Prophétise souvent) ainsi que lui traîtresse, Qui par dol se fera de ce monde maîtresse : Qui de cent piétés, ainsi que fait Énée, Abusera la terre en ses lois obstinée, Et qui toujours feindra pour croître sa puissance Avec les plus grands Dieux avoir fait alliance, S'en forgeant bien souvent de nouveaux et d'étranges, Pour croître avec ses Dieux ses biens et ses louanges. Qu'on ne la voie au moins en aucun temps paisible, Et que quand peuple aucun ne lui sera nuisible Elle en veuille à soi-même, et que Rome grevée De sa grandeur, souvent soit de son sang lavée. Que sans fin dans ses murs la sédition règne, Qu'en mille et mille états elle change son règne, Qu'elle fasse en la fin de ses mains sa ruine, Et qu'à l'envi chacun dessus elle domine, Se voyant coup sur coup saccagée, ravie, Et à mille étrangers tous ensemble asservie. Quant à vous Tyriens, d'une éternelle haine Suivez à sang et feu cette race inhumaine : Obligez à toujours de ce seul bien ma cendre, Qu'on ne veuille jamais à quelque paix entendre. Les armes soient toujours aux armes adversaires, Les flots toujours aux flots, les ports aux ports contraires : Que de ma cendre même un brave vengeur sorte ; Qui le foudre et l'horreur sur cette race porte : Voilà ce que je dis, voilà ce que je prie, Voilà ce qu'à vous Dieux, ô justes Dieux je crie. Mais ne voici pas Barce ? Il faut que je l'empêche, Et que seule de soi desor' je me dépêche De l'esprit ennuyeux. Barce chère nourrice, Va et lave ton chef, il faut que je finisse Ce que j'ai commencé, cherche-moi ce qui reste Pour parfaire mes voeux contre la mort moleste : Puis appelant ma soeur, qu'on la lave et couronne, M'apportant tout cela que la prêtresse ordonne. Va donc. BARCE. À moi (ô Reine) à moi donque ne tienne Qu'on ne voye soudain la délivrance tienne. Mais quelle couleur, Dieux ! Toutes sacrifiantes Rendent-elles ainsi leurs faces effrayantes ? Quoi que soit, je crains tout, las vieillesse chétive ! Comment se fait que tant par tant de maux je vive ? DIDON. C'est à ce coup qu'il faut, ô mort, mort voici l'heure, C'est à ce coup qu'il faut que coupable je meure, Sur mon sang, dont je veux sur l'heure faire offrande, Qu'on paye à mon honneur tant offensé l'amende : J'ai tantôt dans l'épais du lien sombre et sauvage, Près l'autel où je tiens de mon époux l'image, Entendu la voix grêle et reçu ces paroles, Didon Didon viens-t-en. Ô amours, amours folles, Qui n'avez pas permis qu'innocente et honnête [114] Je revoise vers lui mais jà ma mort est prête. Pour t'apaiser Sichée, il faut laver mon crime Dans mon sang, me faisant et prêtresse et victime : Je te suis-je te suis, me fiant que la ruse, La grâce, et la beauté de ce traître m'excuse, La grand'pile qu'il faut qu'à ma mort on enflamme Déteindra de son feu et ma honte et ma flamme. Et toi chère dépouille, ô dépouille d'Énée, Douce dépouille, hélas ! Lorsque la destinée Et Dieu le permettaient, tu recevras cette âme, [115] Me dépêtrant du mal qui sans fin me rentame. J'ai vécu, j'ai couru la carrière de l'âge Que Fortune m'ordonne, et or' ma grand'image Sous terre ira : j'ai mis une ville fort belle À chef, j'ai vu mes murs, vengeant la mort cruelle De mon loyal époux, j'ai puni courageuse Mon adversaire frère : heureuse, ô trop heureuse, Hélas ! Si seulement les naus Dardaniennes N'eussent jamais touché les rives Libyennes. Sus donc allons, de peur que le moyen s'enfuie : Trop tard meurt celui-là qu'ainsi son vivre ennuie. Allons et redisons sur le bois la harangue, Arrêtant tout d'un coup et l'esprit et la langue. LE CHOEUR. Dis-nous Barce, où vas-tu. BARCE.         Au château je retourne. LE CHOEUR. La Reine y vient d'entrer, et comme le vent tourne Les feuillards dans les bois, lorsque libre il s'en joue, L'amour comme il lui plaît en cent sortes la roue. À qui n'eût point fendu le coeur d'impatience, Voyant tantôt de loin changer ses contenances ? Ores nous la voyons les paupières baissées Rêver à son tourment : ores les mains dressées, De je ne sais quels cris, desquels elle importune Et les Dieux peu soigneux, et l'aveugle Fortune, Faire tout retentit : ores un peu remise Se recoiffer, et or' de plus grand'rage éprise Se battre la poitrine, et des ongles cruelles Se rompre l'honneur saint de ses tresses tant belles : Le pleur m'en vient aux yeux. Ô quel hideux augure, Pour de nos murs nouveaux témoigner l'aventure ! BARCE. Si est-ce que je vois vers elle en espérance, Que bientôt de ses maux elle aura délivrance. LE CHOEUR. L'Amour qui tient l'âme saisie, N'est qu'une seule frénésie, Non une déité : Qui, comme celui qui travaille D'un chaud mal, poinçonne et tenaille Un esprit tourmenté. Celui dont telle fièvre ardente La mémoire et le sens tourmente, Souffre sans savoir quoi : Et sans qu'aucun tort on lui fasse Il combat, il crie, il menace, Seulement contre soi. Son oeil de tout objet se fâche, Sa langue n'a point de relâche, Son désir de raison : Ore il connaît sa faute, et ore Sa peine le raveugle encore, Fuyant sa guérison. Tel est l'amour, tel est la peste, Qu'il faut que toute âme déteste : Car lorsqu'il est plus doux Il n'apporte que servitude, Et apporte, quand il est rude, Toujours la mort sur nous. BARCE. Ô moi pauvre, ô Ciel triste, ô terre, ô creux abymes ! Quand est-ce qu'ici-bas pareil horreur nous vîmes ? Que suis-je ? Où suis-je ? Où vois-je ? Est-ce là dont l'offrande Que l'homicide Amour pour s'apaiser demande ? Ô Crime ! Ô cruauté ! Ô meurtre insupportable Que l'amour a commis ! LE CHOEUR.         Quel trouble épouvantable T'a fait si tôt sortir (ô Barce) quelle injure Peut encor conspirer la fortune plus dure ? BARCE. Quelle quelle (grands Dieux !) êtes-vous donc absentes ? Étant sûres au port riez-vous des tourmentes ? La Reine s'est tuée, au moins avec sa flamme, Par un coup outrageux les restes de son âme, Sanglotant durement à grand'force elle pousse : Voilà la fin qu'apporte une amorce si douce. LE CHOEUR. Ô jour hideux, ô mort horrible, ô destinée Cent à cent fois méchante, ô plus méchant Énée ! Mais comment ? Comment Barce, hélas ? BARCE. Sous une feinte Qu'elle a fait de vouloir rendre sa peine éteinte, Par l'heur d'un sacrifice elle a couvert l'envie De chasser aux enfers ses travaux et sa vie : Sur un amas de bois, feignant par vers tragiques D'enchanter ses fureurs, elle a mis les reliques Qu'elle avait de ce traître, un portrait, une épée, Et leur coupable lit. Or afin que trompée Avec Anne je fusse, ailleurs on nous envoie, Lors seule dans son sang ses flammes elle noie, S'enferrant du présent que lui fit le parjure. Anne court à son cri, qui presque autant endure : Voyant mourir sa soeur, son vivre elle dédaigne, Et de la mort veut faire une autre mort compaigne. Est-ce ainsi donc (ô Soeur) que ta feinte nous trompe ? Verrai-je que sans moi ta propre main te rompe Le filet de ta vie ? Est-ce ici le remède ? Est-ce le sacrifice à qui ton tourment cède ? Sont-ce les voeux, les vers dont tu m'as abusée ? Es-tu tant contre nous et contre toi rusée ? Ainsi sa soeur en vain, lave et bouche sa plaie. Elle s'oyant nommer, tant qu'elle peut s'essaie De soulever son chef, qui tout soudain retombe, Ne cherchant que changer son lit avec la tombe. Ô piteux lit mortel ! Ô que d'horrible rage Le Soleil à ce jour attraine sur Carthage ! LE CHOEUR. Arrachez vos cheveux, Tyriens, qu'on maudisse De mille cris enflez l'amoureuse injustice, Rompez vos vêtements : Écorchez votre face, et soyez tels qu'il semble Que l'on voie abîmer vous et Carthage ensemble Redoublez vos tourments. Redoublez-les toujours, et que la mort cruelle De la Reine mourante, en vos coeurs renouvelle Mille morts désormais. Pleurez, criez, tonnez, puisque si mal commence L'heur de Carthage, il faut, ô peuple, qu'on la pense Malheureuse à jamais. BARCE. Mais, que séjournons-nous ? Sus, sus, ô pauvre bande, Bande, las ! Sans espoir, allons, et cette offrande Arrosons de nos pleurs, et souffrons tant de peine, Qu'avec elle le deuil presque aux enfers nous mène. Nul vivant ne se peut exempter de furie, Et bien souvent l'amour à la mort nous marie. ------- [1] Achate : Nom propre d'un des Compagnons d'Aenée, son ami et son confident, qui, dans Virgile, ne le quitte presque jamais. C'est de là que ce mot a passé dans notre langue pour signifier un ami constant, un compagnon fidèle, un homme avec lequel on est toujours. T [2] Palinure : Pilote d'Énée. T [3] Énée : L'un des principaux Chefs des Troyens était Enée, fils d'Anchise et de Vénus. Enée était Dardanien, et commandait au siège de Troie les Dardaniens. T [4] Havre ; Port de mer. FC [5] Atlas : Atlas fils de Jupiter et de Climène, et frère de Prométhée, fut Roi de Mauritanie, selon la fable. T [6] Mercure : est aussi un Dieu de la Fable, qui présidait à l'éloquence, au commerce, etc et qui était le Messager des Dieux. [7] Didon : fille de Bélus II, Roi des Tyriens. Elle quitta Tyr pour fuir la tyrannie de son frère, pour s'installer à l'endroit où est aujourd'hui la Tunisie. T [8] Forcener : être furieux, enrager. SP [9] Déserte : Ce mot, qui est hors d'usage, s'est dit pour crime. T [10] Gétulie : Ancien nom propre d'une contrée de l'Afrique. T [11] Gent : nation. [12] Brasiller : Faire griller un peu de temps sur de la braise. (Acad 1762) [13] Ardant : Qui brûle, qui est en flamme, qui est en feu. Qui est de nature à brûler, à s'enflammer, à prendre feu. Qui brûle, qui enflamme, qui fait prendre feu. Qui est couleur de feu. SP [14] Grégeois : Anciennement, nom du peuple dit aujourd'hui les Grecs. L [15] Junon : Une des principales divinités du ciel païen, épouse de Jupiter et reine des dieux. L [16] Brasser : Comploter, machiner. SP [17] Dueil : Forme ancienne de Deuil. Ici, sans doute, dans le sens de dol, tromperie. [18] Jason : Fils d'Éson Roi de Thessalie, et d'Alcimède, fut élevé par le Centaure Chiron comme Achille, équipa le navire nommé Argo dont il fut le capitaine pour conquérir la toison d'or, tua par le secours de Médée le dragon qui gardait ce trésor, et l'enleva. Jason est célèbre dans la fable par la conquête de la toison d'or, et par les amours de Médée. T [19] Thésée : Roi d'Athènes. Il délivra sa patrie du tribut d'un certain nombre de jeunes enfants de l'un et de l'autre sexe qu'elle étoit obligée d'envoyer tous les ans au Minotaure, dans l'île de Crète pour en être dévorés. Voilà ce que dit la fable. L'histoire est, que Minos Roi de Crète, et puissant sur mer, pour venger la mort d'Androgée son fils obligea les Athéniens de lui envoyer tous les neuf ans le tribut qu'on a dit. Thésée délivra sa patrie de ce honteux tribut, par une grande victoire qu'il remporta sur Taurus Général des troupes de Minos. [20] Bigarrer : Marquer de couleurs qui tranchent l'une sur l'autre. Bigarrer son ajustement. L Fig. mettre du mouvement de la diversité de l'animation. [21] Epoindre : Piquer, élancer. T [22] Tonnant : Jupiter. [23] Enfieller : Rendre, devenir amer. SP [24] Menée : Secrète et mauvaise pratique pour faire réussir quelque dessein. Ac. 1762 [25] Vueil : vouloir, volonté SP [26] Aquilon : Vent qui souffle du côté du Nord, et du point Oriental du cercle polaire. T [27] Phrygie : Anciennement une petite contrée de l'Asie Mineure. Elle était entre la grande Phrygie et l'Hellespont, renfermait la Troade, et avait eu la célèbre Troie, et la Troie d'Aléxandre [28] Atrides : C'est le nom qu'on donne à Agamemnon et à Ménélas, comme fils d'Atrée. T [29] Ore ; Maintenant. [30] Maia : Nom propre d'une nymphe, fille d'Atlas et de la nymphe Pléion. SP [31] Navigage : Navigation. [32] Moleste : Incommode. [33] Fiance : Confiance. SP [34] Mandement : Ordre en général. SP [35] Chef : Tête. [36] Doncques : est une forme ancienne pour donc, encore employée par Molière, et que la poésie pourrait se permettre. L [37] Fuste : Terme de marine vieilli. Long bâtiment qui va à voiles et à rames. L [38] Pourmener : Promener. [39] Sigée : Cité grecque dépendant d'Athènes, située dans le Troade. [40] Achille : Prince Grec, fils de Pelée et de Thétis, et que sa mère, en le plongeant dans le Styx, rendit invulnérable, excepté par le talon, par lequel elle le tenait, et par où il fut tué d'un coup de flèche que lui tira Paris. T [41] Ajax : Il y avait deux Ajax au siège de Troye. L'un fils d'Oïlée Roi des Locriens, et l'autre fils de Télamon et d'Hésione fille de Laomédon. Celui-ci entra dans une si grande fureur de ce que les Grecs lui avaient préféré Ulysse, en lui donnant les armes d'Achille, qu'il se jeta sur un troupeau, et le tua, croyant tuer les Atrides et Ulysse. De-là vint le nom Ajax, dont nous allons parler. [42] Piper : Tromper SP [43] Anchise : père d'Énée. [44] Élize : aautre nom de Didon. [45] Attraire : Attirer, faire venir à soi, apeller. SP [46] Département : Déârt, séparation, divorce. SP [47] Furie : (...) certaines divinités infernales que les poètes païens feignaient entrer dans les hommes pour les posséder ou les tourmenter. F [48] Seurté : Assurance, garantie. SP [49] Fuitif : Fugitif. SP [50] Desor : Dorénavant. SP [51] Triétérique : Qui comprend trois années. T [52] Forcener : être furieux, enrager, maltraiter. [53] Cuider : croire SP [54] Bonace : Calme de la mer, qui se dit quand le vent est abattu, ou a cessé. La bonace trompe souvent le Pilote. F [55] Trident : Sceptre que les poètes mettent à la main de Neptune, qui est en forme d'une fourche à trois dents. T [56] Glaucus : Les uns disent que Glaucus était un pêcheur, qui voyant que les poissons qu'il pêchait ressautaient dans l'eau, aussitôt qu'il les avait mis sur une certaine herbe, il en goûta, et fit comme eux : il fut changé en Dieu marin. T [57] Arder : Brûler, brillern, rougir. [58] Orithye : naïade, fille d'Erecthée, sixième Roi d'Athènes, fut enlevée par le vent Borée, qui la rendit mere de Calaïs et de Zéthès. T [59] Lerrer : Laiser (vieux mot). T [60] Los : Vieux mot qui signifie louange. L [61] v. 739, l'original porte ne, remplacé par ni. [62] Lacs : Un ou plusieurs cordons lacez, noués, ou entremêlez, pour servir à prendre, serrer, ou pendre quelque chose. F Pièges, embûches, embarras. [63] Dardan : Fils de Jupiter et d'Electre, une des filles d'Atlas, épousa la fille du Roi Teucer, et lui succéda dans son Royaume. Il bâtit au pied du mont Ida une ville qu'il appela de son nom Dardanie, et qui fut la célébre Troie. T [64] Alecton : dit l'Implacable, est une des trois Furies (ou Euménides en grec) qui poursuivaient Oreste, parricide et mari incestueux de sa mère Clytemnestre. Voir la tragédie "Les Euménides" d'Eschyle. [65] Tonneau : Jupiter était représenté avec deux tonneaux : l'un remplit du bien et l'autre remplit du mal. Ce dernier était le plus gros. L [66] Mégère : Nom propre d'une des trois Furies. Fig. Femme méchante et emportée. L [67] Délivre : libre. SP [68] Vueil : vouloir, volonté. SP [69] Décevance : déception. SP [70] Ains : Mais F [71] Fiance : confiance F [72] Naus : Vieux mot qui signifioit autrefois un gros vaisseau. F [73] Ménager : habitant d'une maison. [74] Fourmi est des deux genres selon Vaugelas et préfère le féminin. Malherbe le fait masculin. [75] Entalenter : Désireux de SP [76] Douloir : Vieux mot qui signifioit autrefois se plaindre. F [77] Poindre : Piquer un cheval, piquer au figuré. SP [78] Encourtiner : tapisser, garnir de courtines. SP [79] Alme : Qui nourrit qui fertilise. Qui réjouit ; beau, bon, etc. [80] Archier : Qui porte un arc comme font tous les amours. [81] Ains : ou Ainçois. adv. Ce sont de vieux mots qui signifioient autrefois Mais. F [82] Le loix : Mot à la signification difficile. Ce peut être les lois, ce qui est permis, le loisir. NdE [83] Martyrer : martyriser. Torturer au sens propre comme au sens figuré. SP [84] Métail : S'est dit autrefois pour métal. L [85] Sacré utilisé pour consacré. NdE [86] Inutil : fantaisie poétique pour garder un vers à 12 pieds. [87] Demi-ceint : Ceinture d'argent que les femmes de condition inférieure avaient accoutumé de porter. L [88] Ramentevoir : Rappeler, citer. SP [89] Mais : Adv. qui signifie plus, et qui, usité en ce sens dans l'ancienne langue, ne se conserve plus aujourd'hui que dans la locution suivante : pouvoir mais, avec une négation ou une interrogation, n'être pas cause de, n'être pas responsable de. L [90] Reproche : le mot est féminin. SP [91] Méchef : Fâcheuse aventure (terme vieilli) L [92] Vouloir : Acte de la volonté, action de vouloir. L [93] Faucer : Falsifier tromper. SP [94] Pour ce que : qui explique la raison d'une chose et répond à l'interrogation pourquoi. L Parce que. [95] Vers 1618, ayes est conservé dans cette forme pour le nombre de pied. [96] Encharmer : Charmer, enchanter. [97] Rosin(e) : couleur de rose. SP [98] Port : Manière de porter sa tête et tout son corps. FC [99] Embler ; Voler, emporter avec violence. F [100] Colère : qui est sujet à se mettre en colère. FC [101] Départie : départ, séparation. SP [102] Ennuiter : Se mettre en danger de voyager la nuit. F [103] Pourchas ; Forme verbale de pourchasser. Poursuivre. SP [104] Moleste : Inquiet. [105] Jupiter : Il fut caché après sa naissance, élevé par les Curétes dans un antre du mont Ida, et nourri du lait de la chèvre Amalthée, qu'il plaça ensuite parmi les Astres. On déroba ainsi sa naissance à son père Saturne, qui, en vertu d'une convention faite entre lui et son frère Titan, dévorait tous les enfants mâles qui lui naissaient. T [106] Lycaon : Roi d'Arcadie, qui s'est rendu célèbre par sa cruauté. Lycaon, un des fils de Priam, qui prêta à son frère Paris sa cuirasse et son épée, pour le combat singulier qu'il avait à soutenir contre Ménélas. [107] v. 1889, il y a un S à encore qui fait 13 pieds au vers, il est supprimé. [108] Ouïr : entendre. [109] Thaumatias : surnom de la déesse Iris, car fille de Thaumas, et d'Electre. [110] Enseigne : Signe, marque. Sorte de bannière. [111] Conjuré : Exorcisé. Détourné par des conjurations magiques. L [112] Orrez, orra : Futur du verbe ouïr , entendre. [113] Hécate : Déesse de la lune, de l'ombre et des morts dans la mythologie grecque. [114] Revoise ; Retourne, revienne. SP [115] Rentamer : recommencer. SP