--- identifier: lagrangechancel_oresteetpilade creator: La Grange-Chancel, François-Joseph de ; Georges Forestier. date: 1697 title: Oreste et Pilade. Tragédie --- Oreste et Pilade Tragédie A PARIS, Chez PIERRE RIBOU, proche les Augustins, à la descente du Pont-neuf, à l'Image S. Loüis. M. DC. XCIX. *AVEC PRIVILEGE DU ROI.* Édition critique établie par Laura Ferrucci dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2009-2010) # Introduction. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Pierre Corneille – *Le Cid*. Tel pourrait être le résumé sentencieux de la carrière dramatique de La Grange-Chancel qui commença à écrire à la fin du Grand Siècle, la plume tournée vers ceux que l'on n'appelait alors plus que le glorieux Corneille et l'illustre Racine. Le retrait successif de ces deux monuments de la littérature du XVII*e* siècle laissa la place à de nouveaux auteurs dont la lourde tâche fut de soutenir le flambeau chancelant de la tragédie française. Au pas du siècle finissant, La Grange-Chancel ne sut pas participer au mouvement de renouveau tragique amorcé par des auteurs tels que Pradon et Campistron. Il s'enferma au contraire dans l'imitation stérile des grands dramaturges classiques qu'il admirait et dans les œuvres desquels il puisait toutes les ressources nécessaires à la création de ses propres tragédies. Il est vrai que son entrée dans l'écriture ne se fit pas dans un contexte particulièrement favorable au divertissement dramatique. Le formidable essor de l'opéra, les difficultés de la Comédie-Française que ne soutenait plus un Louis XIV vieillissant et converti en dévot, le combat féroce des augustiniens contre le théâtre qu'ils jugeaient immoral ; tous ces éléments ne prédisaient guère un avenir prospère pour les dramaturges et les comédiens. On accusait même les premiers d'écrire pour « faire de l'argent » [1]. La Grange-Chancel était jeune quand il débuta au théâtre. À peine sorti de l'adolescence, il se vantait déjà d'un succès fort exagéré au regard de ses prédécesseurs. Certes, certaines de ses pièces remportèrent l'approbation du public, mais le parcours qu'il suivit, traitant des sujets historiques et légendaires avant de se retirer du théâtre avec une pièce religieuse, n'avait rien d'assez original pour lui permettre de passer à la postérité. Bien que La Grange-Chancel commençât à écrire à la fin du Grand Siècle, il doit être surtout considéré comme un auteur du premier XVIII*e* siècle dont on ne retient de nos jours que l'orgueil et la hâblerie. Il fut de surcroît au centre d'un scandale après la rédaction d'odes satiriques à l'encontre du régent de France, *Les Philippiques* publiées au premier tiers du XVIII*e* siècle, et cela le condamna à l'exil tout en mettant un terme à sa carrière dramatique. Examiner *Oreste et Pilade*, seconde tragédie de l'auteur, c'est étudier ses débuts en tant que dramaturge, tout en analysant objectivement les mérites et les faiblesses de la pièce, ses qualités et ses défauts, pour tenter de comprendre son succès. Car succès il y eut pour cette tragédie qui resta à l'affiche pendant vingt-six représentations et qui ne quitta le répertoire de la Comédie-Française qu'en 1738, après avoir été rejouée à plusieurs reprises. # Présentation de la pièce et de son auteur. ## Biographie de La Grange-Chancel. « La vie de La Grange-Chancel fut une des plus agitées de son siècle [2] ». Une telle affirmation pourrait faire sourire le lecteur d'aujourd'hui qui ne connait plus, ou si peu, l'homme que fût notre auteur. Pourtant, sous la plume d'un biographe du XIX*e* siècle, une époque où ce prétendant à la succession des maîtres classiques n'était pas encore totalement tombé dans l'oubli, cette citation s'explique aisément. Jeune ambitieux originaire de province et jugeant son talent assez grand pour conquérir les théâtres parisiens, La Grange-Chancel se caractérisa par sa prétention et sa verve satirique qui n'eurent de cesse de le mêler aux scandales et aux rivalités qui marquèrent le premier XVIII*e*. Cette « existence tourmentée » [3] fut ponctuée de quelques succès littéraires qui ne connurent pas meilleure fortune que la vie de leur auteur dans la postérité. François-Joseph Chancel naquit le 1*er* janvier 1677, au sein du château d'Antoniac, propriété de sa mère, Anne Bertin, qui avait épousé Léonard Chancel, Sieur de la Grange, par contrat du 9 mai 1676. Le manoir où notre auteur vint au monde était situé dans la commune de Razac, à une lieue et demie de la ville de Périgueux [4], et à la mort de sa mère, notre auteur hérita de cette demeure pour laquelle il marqua un profond attachement jusqu'à la fin de ses jours. La Grange, dont il portait le nom, était un fief qui se trouvait dans le village de Champcevinel, à moins d'une lieue de Périgueux, et qui appartenait à son père. La Grange-Chancel grandit donc dans une famille noble du sud de la France, et si nous insistons sur ce point, c'est que le dramaturge lui-même ne manqua pas une occasion de rappeler ses origines et de se qualifier de *gentilhomme* [5]. En marge de ces faits liminaires, les biographes du XVIII*e* siècle avaient instauré une donnée erronée qui fixait la naissance de l'auteur en 1676. Son propre fils, François-Victor Chancel, donna également une date altérée dans la préface de l'édition des *Philippiques* de 1797, qu'il rédigea en partie, en affirmant que son père était né en 1675. Ce type d'erreur était fréquent dans les biographies à une époque où les informations étaient difficilement vérifiables et où les documents officiels n'étaient pas communiqués. Ce furent les recherches de Mathurin-François-Adolphe de Lescure qui permirent de connaître la vérité sur ce point, au milieu du XIX*e* siècle, lorsque le biographe mit la main sur l'acte de naissance de La Grange-Chancel [6]. Ainé d'une famille de cinq enfants, notre poète avait trois frères cadets – Louis, né le 20 septembre 1678, Pierre-Jean, né le 4 mai 1685, et Honoré, né en 1686 mais qui ne vécut pas plus de quinze ans – ainsi qu'une jeune sœur prénommée Marguerite et qui naquit le 5 mai 1680. Les frères de François-Joseph Chancel – Honoré mis à part – remplirent tous deux des fonctions dans la Marine. Cela coûta d'ailleurs la vie à Pierre-Jean qui, en tant que Major Général des Gardes-Côtes de Blaye, embarqua sur un navire nommé *Le Fidèle* pour une expédition au Brésil en 1711 et fit naufrage au retour du périple. Louis connut une plus longue et plus heureuse carrière. Garde de la Marine de la Compagnie de Toulon en 1700, il devint Lieutenant Général des vaisseaux de Louis XIV dix ans plus tard. En 1721, il reçut la distinction de l'Ordre Royal et Militaire de Saint Louis. Riche d'une multitude de voyages aux quatre coins du monde, il laissa à sa mort, en 1747, plusieurs volumes relatant ses expéditions et ornés de cartes géographiques que François-Joseph publia. Bien loin des préoccupations de ses frères, notre auteur se tourna quant à lui vers la littérature, dès son plus jeune âge, et il y consacra une large partie de sa vie. La Grange-Chancel aimait à proclamer sa vocation pour l'écriture dramatique et à faire part du *talent* de la poésie qu'il avait développé dans les premières années de sa vie. A l'instar d'Ovide qui déclamait, dans les *Tristes*, ses aptitudes poétiques acquises pendant l'enfance [7], François-Joseph écrivit dans la préface de l'édition de 1734 des *Œuvres de Monsieur de La Grange-Chancel* : « Je ne sçavois pas lire que je sçavois rimer » [8]. Ses premières lectures, de même que l'éducation qu'il reçut, le déterminèrent largement à la carrière d'écrivain qu'il allait adopter. La Grange-Chancel se passionna très vite pour les tragédies de Corneille et pour les romans de La Calprenède auxquels il dut ses premières larmes. Ces deux auteurs influencèrent de surcroît en grande partie l'œuvre de La Grange-Chancel. Si la mère de notre auteur le fournissait généreusement en livres – Anne Bertin joua un rôle prépondérant dans la carrière de son fils, comme nous le détaillerons par la suite – Léonard Chancel déplorait quant à lui la passion de son fils qu'il aurait voulu voir militaire [9]. Cette distance entre le père et son fils s'aviva à la suite d'un événement que La Grange-Chancel ne manqua pas de raconter dans sa longue préface. Alors que le jeune garçon avait pour habitude de lire à la lumière de la bougie avant de trouver le sommeil, il oublia un soir de souffler la chandelle, ce qui déclencha un feu dans la chambre qu'il occupait avec son frère Louis. Les deux enfants ne furent pas réveillés par l'incendie, tandis que leur père, à l'autre bout du grand château d'Antoniac, s'éveilla et réussit à temps à éteindre le brasier. Selon les dires de notre poète, ce ne serait que le lendemain matin qu'il aurait ouvert les yeux, dans une chambre inconnue, juste à temps pour assister au terrible autodafé organisé par son paternel, voyant en l'incident une occasion trop belle pour mettre un terme à l'ambition de son fils. Cependant, Léonard Chancel décéda peu de temps après cette terrible punition qu'il avait imposée à François-Joseph [10]. Ce dernier put alors se consacrer à l'écriture dramatique, sous la domination de sa mère dont il était, selon lui, le favori et qui s'imposa un perpétuel veuvage pour se consacrer au succès des ambitieuses idées qu'elle avait formées pour ses enfants. En cette année 1684, La Grange-Chancel rejoignit le collège des Jésuites de Périgueux et, alors qu'il n'avait que sept ans, le jeune élève se fit remarquer par sa verve et par sa fougue. Il se vantait de pouvoir faire des vers sur tous les sujets qu'on lui proposait et lorsque le régent de l'école mit en place une petite pièce où il devait jouer le premier rôle, l'enfant précoce ne put s'empêcher de « coriger les vers qu'il devois reciter » [11]. Fut-ce là la naissance de ce satirique qui déclamera, trente-six ans plus tard, sa haine exacerbée contre Philippe d'Orléans ? C'est en tout cas ce que prétendra Mathurin-François-Adolphe de Lescure lorsqu'il caractérisera La Grange-Chancel comme étant un « imberbe goguenard, qui à huit ans n'a plus la crainte du régent de sa classe, et qui à quarante-quatre ans, à cet âge où l'on est corrigé ou incorrigible, bravera le régent de la France ! » [12]. Trop heureux d'avoir fait du bruit, notre poète quitta Périgueux pour Bordeaux – sa mère jugeant la ville de Gironde plus propice à une bonne éducation – où il ne manqua pas d'étaler fièrement ses dispositions poétiques. À neuf ans, il assista pour la première fois à la représentation d'une comédie, ce qui lui inspira d'en écrire une, en trois actes, reprenant une aventure qui avait agité le voisinage quelque temps auparavant et dont nous n'avons pas plus de détails. Anne Bertin, fière de son génie de fils, aménagea le sous-sol de leur maison en salle de théâtre, où, chaque jour de congé, cinq à six bambins, rigoureusement sélectionnés par notre auteur en herbe, venaient répéter la petite comédie. Cette fantaisie attira quelques curieux – des « personnes de distinction », disait le dramaturge [13] – jusqu'à ce que les héros de la farce se reconnussent, et, fâchés de se voir ridiculiser par cet enfant audacieux, menaçassent la mère de La Grange-Chancel de donner le fouet à son fils adoré. La remontrance fit son effet : Anne Bertin fit abattre le théâtre, et la comédie cessa. Toutefois, notre auteur ne se découragea pas pour autant. À l'âge de douze ans, il commença les cours de rhétorique et se distingua de ses camarades par son aisance à faire des vers latins. Lorsqu'il eut terminé ses classes, sa mère décida de « monter » à Paris, car quoi de plus distingué et de plus érudit que la capitale ? Le fils de La Grange-Chancel, qui préfaça l'édition de 1797 des *Philippiques*, expliquait que « c'était dans un temps où la poésie était en France dans le plus grand crédit ; tout le monde courait après la réputation de faire des vers ; les plus grands seigneurs ne dédaignaient pas de payer *chèrement* les poètes qui leur permettraient d'adopter leurs ouvrages. Cette frénésie durait encore, et fit concevoir à la mère du jeune La Grange que ce *talent* pouvait faire sa fortune et le rendre célèbre » [14]. De plus, La Grange-Chancel, qui avait délaissé un temps les romans au profit des livres d'histoire, s'était attelé à la confection d'une tragédie. Il avait longtemps hésité entre deux personnages héroïques de l'histoire antique : Catilina et Jugurtha. Bien que le premier, célèbre pour ses complots destinés à renverser la République romaine, apportait la matière suffisante à la création d'une tragédie, le choix de La Grange-Chancel se porta sur le second [15]. Sa tragédie achevée, notre auteur, alors âgé de quatorze ans, suivit sa mère à Paris. Ils s'installèrent tous deux dans une maison du Temple qui était alors un « grand enclos … rempli par l'église, par la grosse tour et par un grand nombre de maisons dont quelques-unes étaient accompagnées de jardins. » [16] Parmi les habitants de ce vaste terrain vivait M. de La Chapelle qui avait rejoint l'Académie française en 1688, en remplacement de Furetière et qui, après avoir reçu la confidence de la tragédie par La Grange-Chancel lui-même, s'empressa d'être indiscret. Il organisa notamment une lecture de la pièce, dont le bruit se répandit de la Comédie-Française jusqu'à Versailles. Les projets d'Anne Bertin semblaient sur le point de se concrétiser, elle qui souhaitait par dessus tout voir son fils fréquenter la Cour. Elle rentra d'ailleurs en contact avec le duc de Beauvilliers qui lui promit d'offrir une place de choix à François-Joseph dans les deux années à venir, lorsqu'il prendrait sa fonction de premier gentilhomme de la chambre du roi. Toutefois, ce temps parut fort long à l'impatiente Mme Bertin. Par chance, si l'on en doit croire la version que donne La Grange-Chancel dans la préface citée, la jeune et délicate princesse de Conti, fille naturelle et légitimée de Louis XIV et de Mme de La Vallière, avait entendu parler du prodige précoce qu'était notre auteur. Elle apprit même la volonté que nourrissait la mère de celui-ci de le voir devenir page chez le roi, ou chez une autre personne éminente de la famille royale. Elle consentit donc à rencontrer La Grange-Chancel qui se présenta dans son cabinet, accompagné de sa mère. J'avouë que tout ce que je m'étois imaginé de la beauté des Cléopâtres, des Rosemondes et des autres héroïnes de Roman, me parut infiniment au dessous de ce que je vis alors et que tout enfant que j'étois, je sentis une admiration et un saisissement que je n'avois point encore éprouvé. … Sa taille qui étoit au dessus de la taille ordinaire étoit libre, dégagée et telle que les Poëtes nous représentent ou Diane ou Athalante. … Si j'avois été charmé de sa présence, je le fus encore davantage de l'agréable son de sa voix, accompagné d'un sourire engageant et plein de bonté dont je fus penétré jusqu'au fond du cœur [17]. Tombé sous le charme de la princesse, La Grange-Chancel n'en perdit pas pour autant sa verve, et lorsque le duc de Vendôme qui assistait, parmi de nombreux autres, à la rencontre défia l'auteur de remplir des bouts-rimés [18] à la louange de la princesse de Conti, il s'exécuta et réussit l'exercice en quelques minutes [19]. Enchantée par ce poète de quatorze ans, la princesse le prit pour page et lui assura dès lors une protection fidèle. Elle fit même appel à Louis Chancel, le frère de notre poète resté en province pour y poursuivre ses études, afin que ce dernier remplaçât l'un de ses pages et croyant que la disposition à faire des vers était un talent partagé par toute la famille. Cependant, réticent à l'étude, le jeune garçon ne brilla pas par son esprit vif et il fut finalement placé dans la marine comme nous l'avons déjà mentionné. Les premières années que La Grange-Chancel passa au service de la princesse de Conti se passèrent sans complications, l'auteur remplissant les fonctions qui lui avaient été confiées tout en amusant, par ses vers ou ses mots d'esprit, les quelques courtisans restés à la Cour – Louis XIV étant en marche pour assiéger Mons. Rappelons dès lors que notre poète était arrivé à Paris avec une tragédie dans ses bagages et qu'il avait bien l'intention de la faire représenter sur scène. Néanmoins, les conditions de la création théâtrale de *Jugurtha* sont difficiles à établir. Non que l'auteur ne nous fournisse pas de détails suffisants – il est au contraire très loquace à propos de cette pièce – mais parce qu'une nouvelle fois, ses propos, datant de 1734, ne peuvent qu'être nuancés. En effet, La Grange-Chancel raconta qu'après avoir fait lire sa tragédie à Louis XIV, son Altesse « y trouva assez de choses dignes de son attention pour envoyer chercher le célèbre Racine, et le prier avec bonté de lire cet essai d'un Gentilhomme qui étoit son page, pour lui en dire son sentiment sans aucun déguisement, parce que s'il y avoit de l'esperance que je pusse un jour marcher sur ses traces, elle seroit bien aise d'y contribuer de tout son pouvoir [20] ». Cela peut déjà paraître fort surprenant, pour des raisons que nous ne manquerons pas de développer, mais cela le devient d'avantage lorsque La Grange-Chancel s'épanche longuement sur la réponse de Jean Racine et la supposée relation que notre auteur entretint alors avec lui. Il Racine garda ma pièce huit jours après lesquels il se rendit chez Madame la princesse de Conti : il lui dit qu'il avoit lû ma Tragedie avec étonnement, qu'il ne doutoit point que si je continuois comme je commençois, je ne portasse le Théâtre à un point de perfection où ni Corneille, ni lui ne l'avoient pû mettre ; qu'à la verité ma Tragedie étoit défectueuse en plusieurs endroits, mais que si Son Altesse agréoit que j'allasse quelquefois chez lui pour y recevoir ses avis, il la mettroit dans peu de tems en état d'être jouée avec succès [21]. C'est ainsi que La Grange-Chancel expliqua avoir fréquenté Racine, chez lui, chaque jour, pour y recevoir ses leçons qui lui enseignèrent d'ailleurs plus que tous les livres qu'il avait lu jusqu'alors, la *Poétique* d'Aristote incluse. Introduite par notre dramaturge, cette aberration fut reprise en chœur par tous les biographes du XVIII*e* siècle. Ceux du XIX*e* siècle commencèrent tout de même à émettre quelques réserves [22]. De fait, il est impensable que Louis XIV ait pu jouer les médiateurs entre le jeune page de sa fille et Racine. En effet, si le roi Soleil a marqué la Cour de France par un épanchement grandiose aux divertissements en tous genres, son caractère avait bien changé en 1692, à l'époque où La Grange-Chancel racontait lui avoir présenté sa pièce. En 1694, Bossuet dans ses *Maximes et réflexions sur la Comédie*, traduisait la pensée du moment en condamnant la peinture des amours dans la tragédie, le rire dans la comédie, et en plaçant les comédiens au rang de prostitués. Le roi ne retourna d'ailleurs jamais plus à ses premières amours. Une lettre de la duchesse d'Orléans à la duchesse de Hanovre, datant du 2 novembre 1702, expliquait que « le malheur pour les pauvres comédiens, c'est que le roi ne veut plus de comédie … Depuis que le roi n'y va plus au théâtre, c'est devenu un péché [23] ». Comment serait-il alors possible que Louis XIV, entre le siège de Mons et celui de Namur en 1692, accordât du temps à un page et à sa mauvaise tragédie ? Pour ce qui est de la relation bienveillante que Racine entretint avec La Grange-Chancel, nous exposerons l'illogisme de cette situation lorsque nous évoquerons l'élaboration d'*Oreste et Pilade*. Pour en revenir à la création théâtrale de *Jugurtha*, il semblerait que La Grange-Chancel présenta sa tragédie aux comédiens de la Comédie-Française au printemps 1693 puisque ceux-ci la reçurent favorablement et décidèrent de la jouer à l'hiver suivant. Elle fut représentée pour la première fois le 8 janvier 1694 au théâtre de la rue des Fossés-Saint-Germain – comme le seront toutes les autres pièces de l'auteur – sous le titre d'*Adherbal*. En effet, une tragédie de Nicolas de Péchantré avait été jouée sur la même scène le 17 décembre 1692, sous le nom de *Jugurtha*, et elle n'avait pas rencontré un franc succès. La pièce de notre auteur fit seulement se déplacer 312 spectateurs et rapporta 390 livres et 5 sols de recette. Cette première expérience théâtrale fut donc un échec. Le prince de Conti en personne assista tout de même à la première représentation de la pièce, comme le signalait La Grange-Chancel dans sa préface de 1734 : Monsieur le Prince de Conti qui voulut bien assister à la premiere représentation, voulut aussi que je me misse auprès de lui sur les bancs du Théâtre, en disant que mon âge fermeroit la bouche aux Censeurs [24]. Si nous avions cru tout d'abord à une nouvelle fantaisie de l'auteur, nos recherches à la Comédie-Française nous ont permis de confirmer ces dires. En effet, l'un des registres de l'année 1694 indique, en date du dimanche 10 janvier, la présence de « Monsieur le Prince de Conty » ou plus précisément le fait qu'il doit sa place au théâtre. Il s'agit effectivement d'une indication mentionnée sur la page gauche du registre relatant les éléments de la seconde représentation de *Jugurtha*, alors appelé *Adherbal*. Outre le prince de Conti, les Marquis de Coaslin et de Rochefors, ainsi que le Comte de Guistre, étaient présents lors de la première représentation puisqu'il devait payer leurs places à trois livres chacune. Nous ne pouvons pas en revanche confirmer la véracité des paroles que La Grange-Chancel prêta au prince. Cependant, l'auteur ne retranscrit pas l'exacte vérité puisque dans cette même préface, à la suite de cette déclaration, il prétendit que « Racine, à qui la devotion ne permettoit plus de fréquenter les spectacles depuis que le Roi s'en étoit privé, vint à cette premiere représentation, et parut prendre un plaisir extrême à tous les applaudissemens que je reçus [25] ». Ce fait est totalement infondé comme nous l'ont prouvé les registres de la Comédie-Française qui ne mentionnent à aucun moment la venue de l'illustre dramaturge. Nous développerons plus loin l'impossibilité d'une telle affirmation. Néanmoins, la pièce ne fut jouée que cinq fois, jusqu'au 16 janvier 1694, et l'échec de cette première tragédie dépassa largement celui qu'avait connu le *Jugurtha* de Péchantré. La critique qui revenait principalement était la façon dont La Grange-Chancel avait traité un sujet éminemment tragique – celui d'un Africain féroce et cruel, d'un tyran assoiffé du sang de son frère et de pouvoir – en histoire d'amour sur plusieurs niveaux. C'est en effet un Jugurtha amoureux que présenta La Grange-Chancel. La haine du personnage pour Adherbal n'était alors pas liée à l'acquisition du trône mais au fait que la femme qu'il désirait lui préférait ce frère maudit. À cela s'ajoutait une seconde intrigue amoureuse : la fille de Jugurtha, Ildione, aimait également Adherbal qui ne songeait, pour sa part, guère à elle. Dès lors, le souci de Jugurtha devenait le suivant : « Que la gloire en ce jour / Rassemble quatre cœurs séparés par l'Amour » (Acte II, scène 4). Un critique français du XIX*e* siècle, Jean-François de La Harpe, exposa clairement la pensée des contemporains de La Grange-Chancel au sujet de la tragédie : « Point de vérité dans les caractères, point de noblesse dans les ressorts ; rien d'attachant, rien d'intéressant [26] ». Cela n'empêcha pas pour autant notre auteur de prendre un privilège afin de publier sa pièce qui parut le 26 juillet 1694 et que La Grange-Chancel retravailla tout au long de sa vie, proposant une ultime version, en 1758, qui était bien éloignée de l'originale. La pièce reprit son titre initial de *Jugurtha* en 1734, lors de la seconde édition des *Œuvres de Monsieur de La Grange-Chancel*. Après cette première expérience du théâtre, La Grange-Chancel partagea un temps sa vie entre une carrière militaire auprès du roi et sa dévorante passion pour l'écriture. Le page devint officier, puis, grâce à la protection toujours active et dévouée de la princesse de Conti, il obtint une lieutenance au régiment du roi, le corps de prédilection du monarque qui s'en occupait avec soin. Parallèlement, La Grange-Chancel poursuivit sa carrière dramatique, parfois couronnée de succès mais pas encore lucrative. Il produisit sa première pièce à sujet légendaire, *Oreste et Pilade*, à la fin de l'année 1697, alors qu'il était âgé de seulement vingt ans. La tragédie fut jouée sur scène dix-neuf fois entre la première représentation du 11 décembre 1697 et le mois d'août 1698. Ce succès, pourtant accompagné de certaines critiques, encouragea l'auteur à fournir de nouvelles pièces, réduisant l'écart temporel entre sa première production et sa seconde. Ainsi, le 28 janvier 1699, l'auteur proposa *Méléagre* sur la scène du théâtre des Fossés-Saint-Germain, alors même qu'*Oreste et Pilade* était encore joué avec succès. Ce nouveau sujet mythologique, traité par de nombreux auteurs du XVII*e* siècle, s'inspirait en grande partie des *Métamorphoses* d'Ovide. En effet, le livre VIII du poète latin racontait la chasse du monstrueux sanglier de Calydon qui, envoyé par Diane pour se venger de Oenée, dévastait les terres de ce dernier, faisant de nombreuses victimes. La chasse organisée pour tuer la bête réunit de grands héros tels que Jason, Nestor ou encore Thésée. Méléagre y participa également et tua l'animal grâce à une première blessure donnée par Atalante. Dans le mythe, le personnage éponyme s'éprend de cette jeune fille ; ce ne fut pas le cas dans la tragédie de La Grange-Chancel. En effet, ce dernier fut influencé par la pièce d'Isaac Benserade, intitulée *Méléagre* également et représentée en 1640, dans laquelle Méléagre est déjà amoureux d'un personnage féminin nommé Dejanire. La pièce de notre auteur fit l'objet de onze représentations, jusqu'au 17 août 1699, et ne fut jamais reprise par la suite. Cependant, l'infortune de celle-ci fut compensée par une anecdote racontant qu'une illustre princesse – probablement la princesse de Conti – avait pleuré à la lecture de la pièce. Toutefois, les contemporains de l'auteur voyaient en ce sujet difficile une matière à un opéra et non à une tragédie. La critique écrivit aussi que l'échec s'expliquait en partie par l'horreur du thème et par la monstruosité de certains personnages. C'est pourquoi, pour sa tragédie suivante, La Grange-Chancel prit soin de sélectionner un sujet où l'histoire d'amour ne serait pas polluée par des monstres et où l'usage du merveilleux ne serait pas incompatible avec le vraisemblable. Ainsi, *Athénaïs* fut composée trois mois seulement après l'interruption des représentations de *Méléagre* et la tragédie fut jouée le 20 novembre 1699. Le sujet de cette nouvelle tragédie fut emprunté au roman de La Calprenède intitulé *Pharamond*. Dans la préface de son œuvre publiée le 2 janvier 1700, La Grange-Chancel expliquait que le lecteur ne rencontrerait pas dans cette pièce « ce terrible et ce merveilleux que l'on a trouvé dans ses deux autres Pieces [27] » et il ajoutait qu'il satisferait ainsi les goûts de ses contemporains, « et sur-tout des Dames qui se sont érigées en Juges de ces sortes d'Ouvrages et qui préfèrent la délicatesse des sentimens à l'horreur des évenemens extraordinaires [28] ». L'auteur confiait en outre avoir travaillé avec soin la versification. Cette pièce, qui mettait en scène la rivalité entre l'empereur d'Orient Theodose et un prince de Perse du nom de Varanès pour obtenir la main de la belle Athénaïs – faits non vérifiés par l'histoire – fut jouée à onze reprises entre novembre et décembre 1699. Elle attira le duc de Lorraine qui se rendit à Paris pour y assister [29]. Pour ce qui est de la réception de la pièce, bien que le mémorialiste Dangeau écrivît dans son *Journal* du 7 décembre 1699 que « le soir il y eut à Versailles une comédie nouvelle qu'on appelle Athénaïs et qui ne réussit pas trop », l'*Histoire journalière* du 24 décembre 1699 rapportait que « cette pièce a eu un succès extraordinaire ». Nous pouvons croire cette dernière affirmation puisque *Athénaïs* fut reprise en 1736 et jouée alors huit fois. Satisfait de l'accueil qu'on avait fait à ses quatre premières tragédies, La Grange-Chancel voulut trouver une fonction au sein de la Cour qui lui permettrait de se consacrer aux belles-lettres. C'est pourquoi en 1700, le dramaturge quitta le régiment du roi pour rejoindre un corps plus sédentaire. Une nouvelle fois, la princesse de Conti honora son rôle de protectrice puisqu'elle insista pour faire entrer son page dans les mousquetaires. Deux ans plus tard, elle fixa La Grange-Chancel dans la charge de maître d'hôtel de Madame, duchesse d'Orléans, et mère du futur régent Philippe. Plus disposé à l'écriture dramatique, notre poète proposa le 13 décembre 1701 une nouvelle tragédie, jugée en outre comme l'une de ses meilleures, intitulée *Amasis*. Dans la préface de sa pièce, La Grange-Chancel se vantait d'avoir produit une tragédie qui appliquait parfaitement les préceptes de la *Poétique* d'Aristote [30]. Lors de sa création, la pièce fut jouée par les meilleurs comédiens du moment tels que les acteurs Guérin, Sallé, Baron et Ponteüil, et les actrices Beauval et Desmares. Pourtant elle ne fut représentée que onze fois. Certains critiques furent d'ailleurs acerbes avec cette tragédie. L'abbé Desfontaine écrivit au sortir du théâtre : « Je viens de voir un Tableau dont le dessein est bizarre, et les couleurs horribles et mal assorties … C'est un édifice qui n'est passable que de très-loin. Si vous le regardez de près, tout y est gothique et sans goût ». Toutefois, *Amasis* fut repris à la fin du mois de janvier 1731 pour seize représentations qui remportèrent toutes un vif succès. Entre temps, la tragédie fut traduite en hollandais et représentée sur différentes scènes du pays où elle fut vivement applaudie. La *Gazette de Rotterdam* du 16 janvier 1702 par exemple écrivait que c'était « un très grand succès ». À la suite d'*Amasis*, La Grange-Chancel s'attacha à l'adaptation d'un sujet d'Euripide et mit sur scène une pièce qu'il intitula *Alceste*. Elle fut représentée pour la première fois le 19 décembre 1703 et ce fut un échec retentissant. Bien qu'il ne l'eût jamais traité, Racine pensait que ce sujet était l'un des plus touchant de l'Antiquité mais La Grange-Chancel passa totalement à côté. La critique d'alors lui reprocha de ne commencer à traiter le sujet qu'à partir du quatrième acte, la pièce proposant jusque là une unique situation, à savoir la jalousie d'Hercule et son amour pour Alceste. L'insuccès fut tel que La Grange-Chancel choisit de faire une pause dans sa carrière dramatique, sa prochaine pièce ne devant être produite que dix ans plus tard, dans un contexte particulier. Entre temps, notre poète composa deux opéras ainsi que ses premières cantates. Il écrivit les livrets de *Médus*, qui fut représenté à l'Académie royale de musique le 23 juillet 1702, et de *Cassandre*, une tragédie lyrique jouée au même endroit le 22 juin 1706. Aux alentours de l'année 1713, La Grange-Chancel se lia d'amitié avec le duc de La Force, un homme inquiet et ambitieux qui en raison de son rang et de sa qualité de bel-esprit servit de mécène à notre auteur avant de déclencher une polémique aux conséquences multiples. C'est effectivement en 1713 que La Grange-Chancel produisit une nouvelle tragédie intitulée *Ino et Mélicerte*. En tant que protégé et commensal du duc de La Force, il lui fit part de son œuvre alors qu'ils étaient sur les terres que le duc possédait dans le Périgord. Ce dernier pria La Grange-Chancel de lui laisser sa pièce quelque temps et s'en retourna à Paris. Quelle ne fut pas la surprise du dramaturge lorsque sa pièce fut représentée à son insu, le 10 mars 1713, sous le nom de ce cher ami qui l'avait accueilli si généreusement ! Quelle ne fut pas sa colère quand la pièce remporta de surcroît les applaudissements des spectateurs et les éloges de la critique destinés à un autre que lui ! Le duc de La Force, peu scrupuleux, avait osé trahir la confiance de La Grange-Chancel et l'ancien protecteur attisa la haine de notre auteur offensé. Il ne s'arrêta pas là puisque après avoir rétabli la vérité concernant l'auteur de la pièce, il rédigea une dédicace en son honneur, et il la signa du nom de La Grange-Chancel ! Ce dernier intenta un procès contre l'usurpateur mais le duc de La Force en arrêta frauduleusement le cours en soutirant une lettre de cachet au régent qui contraignit notre poète à s'exiler dans le Périgord. Le perfide duc de La Force s'évita un jugement au Châtelet, et le fiel de La Grange-Chancel se reporta sur Philippe d'Orléans. Car c'est en effet de ce procès avorté que s'éveilla, de son propre aveu [31], le ressentiment de notre auteur envers le régent ; ce procès qu'il n'avait pu plaider au tribunal et qu'il plaida à sa façon dans des odes satiriques intitulées *Les Philippiques* [32]. C'est pendant son exil dans le Périgord que La Grange-Chancel prépara minutieusement sa vengeance. L'organisation de celle-ci lui prit du temps ; d'autant plus que notre auteur s'était lancé dans un nouveau projet, à savoir la fondation d'une Académie littéraire à Périgueux. En 1718, La Grange-Chancel conspirait à sa manière en imaginant que la création d'une Académie à Périgueux amoindrirait l'influence de celle de Bordeaux, qui était de surcroît totalement dévouée au duc de La Force. Dans sa démesure, il envisageait aussi de faire trembler l'Académie Française. Son projet fit du bruit certes, mais seulement à Périgueux. Le coup d'éclat des *Philippiques*, qu'il travaillait en parallèle, le contraignit à avorter ce projet si ambitieux. En effet, « cet événement inattendu déconcerta le Parnasse Périgourdin, et fit échouer le plan de l'Académie [33] ». Car c'est au milieu des années 1720 que le scandale satirique éclata. La Grange-Chancel avait bien choisit son moment : la Régence était mise à mal par le peuple, les princes de sang commençaient à désavouer Philippe d'Orléans qui était d'ailleurs souvent menacer de mort, Louis XV grandissait et se rapprochait du trône. *Les Philippiques* étaient vouées au succès car elles traduisaient parfaitement la situation du moment. La Grange-Chancel l'avait compris et c'est pourquoi il chercha à provoquer la rébellion des princes légitimés [34]. La propagation de ces odes venimeuses se fit d'une manière plutôt surprenante. Saint-Simon, qui n'eut de cesse de dénoncer la « mercenaire scélératesse » de La Grange-Chancel, raconta que des copies des *Philippiques*, qui ne contenaient alors que trois odes, avaient été données à un aveugle qui se trouvait devant la paroisse Saint-Roch, en lui disant qu'il s'agissait de cantiques du saint qu'on lui offrait par charité et qu'il pouvait vendre un sol à la sortie de la messe. Ainsi l'écrit satirique de La Grange-Chancel se diffusa. Le bruit qu'elle fit obligea le régent à demander à Saint-Simon de la lui apporter pour en faire une lecture. S'il ironisait au début en soulignant la bonne poésie que c'était, il manqua de perdre connaissance lorsqu'il se vit accuser du désordre trop publique de ses mœurs et lorsqu'il apprit les rumeurs dont il était l'objet, à savoir sa tentative d'empoisonnement de Louis XV et ses pratiques incestueuses. Désemparé et profondément meurtri, Philippe d'Orléans se montra pourtant fort clément dans sa sanction contre l'audacieux auteur de ces odes. Là où il aurait pu punir La Grange-Chancel – qui ne désavouait pas son écrit – avec toute la rigueur des lois, réclamant jusqu'à sa vie, le régent décida de le faire enfermer dans l'Ile Sainte-Marguerite. Ce fort, bâti par Richelieu, se trouvait en face de Cannes et servait de prison d'État. La Grange-Chancel employa dès lors son temps à rédiger une ode dans le but d'améliorer son sort. C'est ainsi que l'*Ode à Monsieur le duc d'Orléans* se retrouva, un an après l'enfermement de notre auteur, entre les mains du régent. La Grange-Chancel évoquait malicieusement son repentir et invoquait les défunts illustres de la famille d'Orléans qu'il appelait à son secours. L'étonnante clémence dont avait fait preuve le prince si indignement attaqué se confirma car le régent accorda un droit de promenade à La Grange-Chancel qui en profita bientôt pour s'évader à la fin de l'année 1722. L'auteur séjourna quelque temps en Sardaigne où le roi Victor-Amédée II le reçut favorablement. Mais, l'auteur transportait avec lui sa sinistre renommée et on ne pouvait que secourir avec frayeur cet homme qui promenait de cour en cour, de ville en ville, la satire et son infortune. La Grange-Chancel reprit donc sa route d'évadé pour atteindre l'Espagne. À Madrid, il fut bien déçu de l'accueil qu'on lui réserva. Menacé de mort et victime de trahisons anonymes, il dut fuir ce pays en guerre contre la France. Il embarqua pour la Hollande où il trouva enfin une liberté sereine et où il lui fut donné le titre de citoyen d'Amsterdam. Pourtant, il retourna en France au début de l'année 1724, le régent étant mort le 2 décembre 1723, et il y passa le reste de ses jours. Son fiel, sa fougue et sa verve satirique semblèrent s'épuiser. La Grange-Chancel atteignit progressivement un âge plus tranquille et un besoin de sagesse. Il s'occupa davantage des siens et renoua avec son amour de jeunesse : le théâtre. Il créa *Erigone* le 17 décembre 1731. Ce sujet mythologique fut jugé mal traité, la versification mauvaise et la pièce fut un échec. Elle eut sept représentations jusqu'en janvier 1732, et elle fut jouée à Versailles le 20 décembre 1731. La Harpe résuma ce que les contemporains de La Grange-Chancel avaient pensé de cette pièce : « Erigone ne vaut pas qu'on en parle : c'est un roman insipide et embrouillé [35] ». C'est avec *Cassius et Victorinus* que La Grange-Chancel fit ses adieux au théâtre. Comme tant d'autres avant lui, il choisit une tragédie pieuse à sujet chrétien pour rompre avec la muse profane de la poésie. La pièce fut représentée le 6 octobre 1732 et fut accueillie favorablement pendant onze représentations. L'histoire des deux martyrs permettait à La Grange-Chancel de se retirer de la scène théâtrale tout en se repentant. C'est d'ailleurs en lui adressant cette dernière tragédie que notre poète écrivit à la princesse de Conti, devenue dévote elle aussi, comme pour prouver qu'il ne ferait plus que des vers le regard tourné vers le Ciel [36]. Faisons un point sur la vie privée de La Grange-Chancel. C'est pendant l'un de ses voyages en province, sa mère n'ayant pas vendu le château d'Antoniac, que notre poète épousa Jeanne-Marie du Cluzel de la Chabrerie. C'était la fille de François du Cluzel, un écuyer devenu conseiller du roi et qui avait la charge de l'intendance de Bordeaux et des élections de Périgueux, ainsi que de Marie de Montozon. Le mariage eut lieu le 12 mars 1708. La Grange-Chancel eut quatre enfants de sa femme, deux garçons et deux filles. La première, qui naquit le 2 février 1709, fut baptisée Marie-Constance Chancel. S'ensuivit François, né le 6 juillet 1710 et qui fut tué en 1743 lors de la bataille d'Ettingen. Vint ensuite François-Victor, qui naquit le 16 janvier 1712 et qui embrassa la double carrière de militaire et de poète. Ce fils hérita de la verve fougueuse de son père qu'il mit en pratique lors d'un procès intenté contre ce dernier et dont nous reparlerons en quelques mots. Enfin, Françoise vit le jour le 29 octobre 1715. La Grange-Chancel eut peu d'amis, ou ne sut pas les garder. Il ne fut même pas père, trop absorbé par sa carrière littéraire puis éloigné des siens par le scandale des *Philippiques*. Il ne développa aucune tendresse envers ses enfants et il alla même jusqu'à intenter un procès contre son propre fils, François-Victor. C'est ce dernier qui lui réserva le dernier combat de sa vie et qui le fit mourir en satirique. À près de soixante-quinze ans, La Grange-Chancel écrivit un dernier pamphlet contre son fils qu'il poursuivit en justice. La cause du différent était semble-t-il le mariage que François-Victor avait contracté sans l'accord de son père. La Grange-Chancel perdit son procès et déshérita son fils. Il avait déjà depuis fort longtemps perdu l'amour de son propre frère, celui là même qui l'avait rejoint à la Cour de Louis XIV, ainsi que la confiance de sa mère, cette même Anne Bertin qui avait consacré son temps à l'éducation de ce fils dont elle était si fière. En effet, lors de la polémique des *Philippiques*, Louis Chancel écrivit au régent afin de lui exprimer sa douleur à la suite de l'évasion de son frère et de témoigner combien sa mère et lui-même auraient souhaité qu'il fût mort depuis vingt ans. Les rapports de La Grange-Chancel avec ses confrères ne furent pas plus paisibles. Il entretint au contraire des relations motivées par son orgueil. Notre auteur ne pouvait parler à un auteur sans le critiquer et se placer en maître qui débitait des leçons. Le premier a en avoir fait les frais fut Jean-Baptiste Rousseau. Il est vrai que ce dernier ne supportait aucune rivalité et que la haine qu'il alimenta envers La Grange-Chancel fut liée aux deux opéras que composa notre poète, ainsi qu'à ses premières cantates. Jean-Baptiste Rousseau écrivit un pamphlet contre La Grange-Chancel où il le qualifiait de *singe de Pradon* [37] ou encore de *rimeur plagiaire*. De 1700 à 1710, ce duel privé permit à notre auteur de mesurer ses talents satiriques et ses forces polémiques. Voltaire fut la seconde victime du fiel de La Grange-Chancel qui fit la critique de sa tragédie *Œdipe*. La pièce de Voltaire fut représentée le 18 novembre 1718 et son succès retentit jusqu'au Périgord où notre auteur était exilé. La Grange-Chancel se plaça alors en maître et se permit de juger cette tragédie. Il fit d'abord parler son humeur chagrine et morose liée à l'exil [38] et après cet épanchement mélancolique sur la fin probable de sa propre carrière littéraire, il critiqua *Œdipe*, de façon vive et méticuleuse, en s'attachant particulièrement à la versification, à la métrique et même aux noms mal choisis des personnages [39]. La Grange-Chancel, fier de sa longue leçon, attendit en vain une réponse de l'intéressé. Car un fait marquant de ces rivalités fut que notre auteur attisait sans cesse des conflits qui ne prenaient jamais. Il passa sa vie à refaire les pièces de ses contemporains et à défaire leurs succès. Il s'en prit également à La Motte et à La Fosse. Il rédigea un épitre adressé à ce dernier où il analysait l'échec de la tragédie intitulée *Callirhoë*, pièce jouée en 1704. Notre auteur voulut chercher la cause de l'infortune de la pièce qu'il attribua à la vieillesse du poète [40]. Son orgueil n'épargna pas non plus son propre public avec lequel il entretint des rapports dénués de toute cordialité. La Grange-Chancel se servait généralement des ses Préfaces pour régler ses comptes avec les spectateurs. Dans celle d'*Athénaïs*, lors de l'édition de 1734, il s'adressa à une partie de son public en ces termes : Je dirai maintenant à un très petit nombre de jeunes gens qui n'en ont pas été contens, que ce n'étoit pas pour eux que je l'avois faite : que je ne doute point que quelque Pasquinade [41] ne leur plût beaucoup d'avantage ; mais je travaille pour les personnes de bon goût. Dans la préface d'*Ino et Mélicerte*, il s'en prit au défaut de connaissances de ses contemporains : « Est-il possible que les connoissances d'aujourd'hui soient si bornées ? Hyginus est-il un livre si peu connu ? ». Tel était l'orgueil de cet homme qui écrivit en outre une comédie, *La Fille supposée*, en 1713 et une *Sophonisbe* en 1716. La première pièce a été perdue [42]. Selon nos recherches à la Comédie-Française, elles furent toutes deux un échec. La comédie avait été représentée pour la première fois le 11 mai 1713 et avait fait l'objet de seulement quatre représentations. La tragédie de *Sophonisbe* fut jouée le 10 novembre 1716 et fut arrêtée six jours plus tard après quatre représentations également. À la fin de sa vie, La Grange-Chancel se lança dans un projet d'histoire du Périgord qu'il entreprit avec le chevalier de Cablans, un gentilhomme de sa province. Cependant, la mort de ce dernier ne lui permit pas de finir ce travail. C'est dans les fatigues d'une nouvelle édition complète de ses *Œuvres* que La Grange-Chancel s'éteignit le 26 décembre 1758, à près de quatre-vingt-deux ans. ## Création et vie théâtrale d'*Oreste et Pilade*. La Grange-Chancel était un jeune homme de vingt ans lorsque sa seconde tragédie fut représentée sur la scène du jeu de paume de l'Étoile. *Oreste et Pilade* est donc une œuvre de jeunesse, celle d'un adolescent ambitieux qui rêvait d'égaler, voire de dépasser, les grands dramaturges du XVII*e* siècle. L'enjeu de cette pièce était considérable car notre auteur fondait sur la réception de celle-ci le choix de la carrière qu'il allait embrassé. En effet, le succès très modéré qu'avait rencontré sa première tentative de tragédie l'avait amené à se poser quelques questions concernant ses qualités en tant que dramaturge. C'est pourquoi, La Grange-Chancel envisagea *Oreste et Pilade* comme un moyen de faire ses preuves ou d'abandonner définitivement l'écriture tragique. Lors de la publication de cette pièce le 20 mars 1699, notre auteur expliquait ses motivations en ces termes : « D'ailleurs comme l'on sçait assez que la qualité d'Autheur n'est pas celle qui m'honnore le plus, j'ay voulu traiter un sujet dont la réussite me déterminast à travailler pour le Theatre, ou à employer mes momens de loisir à quelque occupation qui me fust plus convenable [43] ». Trente-cinq ans plus tard, lors de la seconde édition des *Œuvres Monsieur de La Grange-Chancel*, le dramaturge enorgueilli modifia quelque peu le contexte de création de cette seconde tragédie et expliqua ceci : « Le succès de ma premiere Tragedie m'encouragea à chercher un sujet fameux dans l'Antiquité, qui répondît à l'idée que le Public sembloit avoir de mes talens [44] ». Le fait est que La Grange-Chancel abandonna les sources historiques, dont le mauvais traitement avait en partie causé l'infortune de *Jugurtha*, au profit d'un sujet mythologique. Il donna alors à sa pièce le nom de deux personnages de la légende grecque, bien connus du public de la fin du XVII*e* siècle, en particulier depuis l'*Andromaque* de Racine, créée le 17 novembre 1667, et où le fidèle Pilade tentait de raisonner l'amoureux Oreste tout en donnant créance aux projets de ce dernier. La rédaction d'*Oreste et Pilade* fut achevée pour l'été 1696 et, le 28 juillet de cette année là, la pièce fut lue devant les acteurs de la Comédie-Française. Ainsi peut-on lire sur la feuille d'assemblée s'y rapportant la délibération suivante : Aujourd'hui Samedy 28eme Juillet 1696 La Compagnie s'est assemblée suivant le Repertoire pour entendre la lecture d'une tragédie intitulée Oreste et Pilade. Et après la lecture la Compagnie ayant délibéré, il a esté déduit que la piece en l'estat qu'elle est ne peut estre représentée … et que si l'auteur la veut raccomoder et en faire une seconde lecture la Compagnie l'entendra pour en juger. [45] En effet, lors de la création de la Comédie-Française en 1680, le roi, qui avait voulu asseoir son autorité en faisant fusionner la troupe de l'hôtel Guénégaud avec celle de l'Hôtel de Bourgogne, voulut également prendre part au choix des pièces qui figureraient au répertoire. Il instaura donc des comités de lecture auxquels toutes les pièces devaient être soumises pour décider si elles pouvaient être jouées ou non. C'est ainsi qu'entre 1680 et 1716, le répertoire de la Comédie-Française s'amplifia de 298 créations qui vinrent s'ajouter aux 127 titres du répertoire initial. Les registres d'assemblée signés par les participants venaient notifier chaque prise de décision – décisions qui ne ressortissaient d'ailleurs pas uniquement à la sélection de nouvelles pièces, mais aussi aux problèmes d'ordre administratif et financier. Parfois, des commentaires apportaient des explications quant aux choix effectués. En effet, les refus des pièces proposées étaient fréquents, et l'on sait grâce aux commentaires manuscrits qu'elles étaient éloignées du répertoire pour défauts de construction, écarts à la vraisemblance ou encore propos inconvenants, dans une période caractérisée par l'emprise accrue du pouvoir royal sur la liberté de création théâtrale. Les comédiens, qui avaient du mal à s'habituer à cette nouvelle pratique de sélection, s'efforçaient à donner des conseils aux auteurs dont ils rejetaient les pièces, et ils laissaient même à certains – comme ce fut le cas pour La Grange-Chancel – la possibilité de retravailler leurs pièces afin d'en faire une nouvelle lecture. Mais pour de nombreuses créations, les refus restaient inexpliqués [46]. Ainsi, un peu plus de deux mois avant la seconde lecture d'*Oreste et Pilade*, une pièce d'un dénommé May fut rejetée. Le registre rapporta les indications suivantes : Aujourd'hui Jeudy 9° May 1697. La Compagnie suivant le repertoire de Lundy dernier s'est assemblée extraordinairement pour entendre la lecture de la Comédie de Mr May, et après la lecture faitte l'autheur s'estant retiré, à la pluralité des voix la piece a esté jugée non joüable. [47] En outre, ces refus ne concernaient pas seulement les pièces d'auteurs débutants ou peu reconnus. Le sort d'une tragédie de Pradon à l'été 1697 en témoigne : Aujourd'hui Vendredy 23° aout 1697. La Compagnie s'est assemblée extraordinairement pour entendre la lecture d'une tragédie intitulée Pelopydas de l'illustre Mr Pradon et l'autheur s'estant retiré l'on a résolu de la refuser à 10 voix contre 3. [48] Pourtant, en 1697, la Comédie-Française était riche de vingt-sept acteurs, ce qui lui permettait, comme depuis son ouverture, de donner des représentations tous les jours – excepté lors des relâches pour les fêtes religieuses ou pour des événements particuliers. En outre, l'année 1697 fut marquée par l'expulsion des comédiens italiens qui lui laissèrent le monopole de la scène parisienne. Le répertoire se devait donc d'être particulièrement bien fourni et varié, d'autant plus qu'au début de la décennie, les pièces de Molière, Corneille et Racine en avaient été écartées [49] et que le 24 mai 1697 le roi avait ordonné la suppression de certains titres qui ne convenaient plus à son goût puritain. Ainsi, vingt-cinq pièces, principalement des comédies, furent retirées du répertoire et les comédiens durent renforcer la fréquence de leurs séances de lecture. C'est dans ce climat favorable qu'eut lieu la seconde lecture d'*Oreste et Pilade*, le 19 juillet 1697 : Aujourd'hui Vendredy 19e Jüillet 1697. La Compagnie s'est assemblée extraordinairement pour entendre la lecture d'une Tragédie qui a pour titre Oreste et Pilade, et après la lecture l'autheur s'estant retiré tous les acteurs présents a l'assemblée ont signé leur advis pour l'accepter ou pour la refuser … La pluralité des Voy sont pour. [50] En effet, la tragédie de La Grange-Chancel fut acceptée à huit voix contre cinq. Le comédien Roselis, qui obtint un rôle dans la pièce, avait signé dans la colonne des refus. Un autre signataire, Dancourt, rejeta la pièce et il ajouta le commentaire suivant : « Je la trouve mauvaise et non jouable dans l'estat ou elle est quoy qu'il y ait d'assez bons morceaux mais mal placés [51] » ; avis qu'approuvèrent les quatre autres signataires qui avaient voté le refus de la pièce. En ce qui concerne le texte de la pièce, un manuscrit de souffleur, conservé à la Bibliothèque de la Comédie-Française, fait état de modifications pratiquées sur le texte original, qui fut alors partiellement rayé, rendant la lecture extrêmement difficile [52]. Ces retouches concernent une centaine de vers, dont quatre-vingt quatre furent corrigés sur le manuscrit et onze supprimés définitivement. Nous avons relevé également quinze vers qui ne furent pas touchés sur le manuscrit de souffleur mais qui furent différent lors de la publication de la pièce [53]. Ces corrections furent vraisemblablement élaborées au cours des répétitions de la pièce, et on peut émettre l'hypothèse qu'il s'agit de corrections autographes. On peut aussi supposer qu'elle furent complétées au cours des représentations et donc à l'épreuve de la scène. Le texte primitif se trouva ainsi biffé, suppléé par une autre version. Ce manuscrit constitua donc un document de travail, et les modifications introduites furent manifestement appliquées sur scène par les comédiens – probablement avec des variantes selon les séances, ce qui permettrait d'expliquer les changements successifs apportés à certains vers [54]. Ce qu'il est important de constater c'est que les corrections ne remettent jamais en cause la conduite de l'intrigue, mais interviennent le plus souvent pour assurer la convenance du texte, depuis la reformulation de quelques mots jusqu'à la suppression de passages inutiles. La tragédie d'*Oreste et Pilade* fut enfin représentée le 11 décembre 1697, pendant la saison hivernale, ce qui était conforme, au XVII*e* siècle, à l'usage instauré pour les représentations des nouvelles pièces sérieuses en cinq actes [55]. Cette première représentation eut lieu au jeu de paume de l'Étoile, rue des Fossés-Saint-Germain-des Près, une salle acquise par les acteurs de la Comédie-Française, huit mois après la fermeture du Théâtre de l'Hôtel Guénégaud en raison de l'ouverture du collège religieux des Quatre-Nations à proximité. En effet, à partir du moment où Louis XIV délaissa le théâtre pour sauver son âme trop longtemps salie par les « empoisonneurs publics, non des corps, mais des âmes des fidèles » [56], l'Église vit en ce retrait du roi un moyen de renforcer sa lutte contre le spectacle profane [57]. Les comédiens inaugurèrent leur nouveau théâtre, une salle à l'italienne construite par l'architecte François d'Orbay et où l'acoustique était admirable, le 11 février 1689. C'est dans ce théâtre qu'eut donc lieu la première représentation d'*Oreste et Pilade*. Dix acteurs de la troupe se partagèrent les rôles, comme l'indique le registre journalier à chaque représentation [58] : ACTEURS. ACTRICES. Mrs Mlles Beaubour Beauval Guerin Champmeslé Baron [59] Du Rieu Rosélis Godefroy [60] Le Comte Champmeslé On ne sait pas exactement qu'elle fut la répartition des rôles. De plus, l'ordre des noms retranscrits sur le registre varie considérablement selon les jours. Toutefois, nous pouvons émettre plusieurs hypothèses en se référant à la carrière de chacun des comédiens. Tout d'abord, nous sommes certains que Mlle de Champmeslé jouait le rôle d'Iphigénie, elle qui « remplissoit les premiers rôles tragiques [61] » depuis 1670. La Grange-Chancel l'affirma lui-même : Mademoiselle de Champmelé qui representoit Iphigénie dans un âge où l'on n'a plus les agrémens de la jeunesse, ne fit pas verser plus de larmes dans le rôle de M. Racine, qu'elle en fit verser dans le mien [62]. De surcroît, c'est au cours des représentations d'*Oreste et Pilade* que cette comédienne mourut, laissant à son dernier rôle une aura toute particulière relayée par les biographes. En effet, la Champmeslé succomba à la maladie le 15 mai 1698 et les représentations durent donc être suspendues. Cependant, la défunte comédienne fut rapidement remplacée par sa nièce, Charlotte Desmares, qui fit son entrée au théâtre le 25 février 1699. Mlle Desmares obtint autant d'applaudissements que sa tante lors de ses prestations scéniques et le public la considéra alors comme la « digne héritière des talents [63] » de la Champmeslé. Pour ce qui est des autres comédiens, rien n'est aussi établi concernant leurs rôles au sein d'*Oreste et Pilade*. Toutefois, des éléments de leurs biographies permettent de faire certaines suppositions. Le rôle de Thomiris était très probablement joué par Mlle Beauval qui avait fait ses débuts au Marais, avant de rejoindre la troupe de l'hôtel de Bourgogne en 1670, et qui avait conservé sa place de comédienne lors de la création de la Comédie-Française. Les Frères Parfaict indiquent que « Mademoiselle de Beauval a rempli avec l'approbation générale les rôles de Reines [64] » et l'on sait également qu'elle avait reçu le rôle de la reine de Tauride – appelée Orithie – dans la tragédie *Oreste* de Boyer et de Leclerc en 1681. Les deux autres personnages féminins de la pièce de La Grange-Chancel, Cyane et Erine – respectivement confidente d'Iphigénie et confidente de Thomiris – étaient jouées par les comédiennes Godefroy et Durieu. En effet, Mlle Godefroy étaient « reçue pour les Confidentes tragiques, les Ridicules dans le comique, et les rôles de femmes habillées en hommes [65] » et Mlle Durieu « débuta en 1685 et fut reçue à Pâques de la même année pour les *confidentes tragiques* [66] ». Concernant la répartition des rôles masculins nous pouvons supposer que le rôle de Thoas était à la charge de M. Champmeslé, le mari de la comédienne du même nom, qui, depuis ses premières prestations à l'Hôtel de Bourgogne, « continua de remplir jusqu'à sa mort les rôles de rois dans la tragédie [67] ». En outre, le comédien avait cinquante-cinq ans lors des représentations d'*Oreste et Pilade*, ce qui semble être un âge tout à fait correct pour interpréter le roi des Tauro-Scythes. Le rôle d'Oreste était certainement joué par Beaubourg qui avait été « reçu le vendredi 17 octobre 1692 pour remplir la place que M. Baron laissoit vacante, ce qu'il continua avec la satisfaction du Public [68] ». En effet, après que Baron [69] ait quitté le devant de la scène, Beaubourg pris en charge les rôles de jeunes premiers car « sans être beau ni bien fait, Beaubourg avait l'air noble. Son visage était susceptible de grandes impressions ... [70] ». Le rôle de Pilade revint à Baron fils qui « débuta après Pâques 1695 et remplit avec succès les seconds rôles tragiques [71] ». Son père, Michel Boyron, avait de surcroît joué le même rôle dans l'*Oreste* de Boyer et de Leclerc. Enfin, les comédiens Guérin, Rosélis et Le Comte tenaient les rôles restants, à savoir ceux d'Anthenor, d'Hidaspe et de Taxis. Nous pouvons émettre une dernière hypothèse qui prêterait la charge du personnage de Taxis à Le Comte. En effet, ce dernier était considéré comme un « comédien médiocre » qui jouait principalement des rôles de « conseiller, greffier, notaire [72] ». Dès lors, le personnage du capitaine des Gardes qui est présent sur douze scènes et qui prononce seulement trente-cinq vers semble être totalement de son ressort [73]. Ainsi, Guérin et Rosélis se partageaient les rôles d'Anthenor et d'Hidaspe. Le premier, second époux d'Armande Béjart, veuve de Molière, joua tout au long de sa carrière « des rôles à manteau et des grands confidents tragiques, où il s'acquit une très grande réputation [74] ». En effet, apprécié par le public du XVII*e* siècle, Guérin « contribua au succès d'une quantité considérable de pièces nouvelles [75] ». Rosélis, qui avait signé pour le refus d'*Oreste et Pilade* lors de la seconde lecture de la pièce, « était un acteur passable [76] » mais à qui on confia pourtant des rôles de grande ampleur en raison de son physique imposant et de sa « belle figure [77] ». Son rôle au sein de la pièce de La Grange-Chancel fut un de ses derniers sur la scène parisienne car « frappé de terreur par la mort subite de la Champmeslé dont il fut témoin, Rosélis se retira en 1701 [78] ». Les informations contenues dans les deux registres journaliers de la Comédie-Française donnent à constater que *Oreste et Pilade* fut dès la première représentation joué au simple. Cela signifie que le prix des billets ne fut pas augmenté sous prétexte de la nouveauté de la pièce [79] et cette démarche fut favorable à la tragédie qui attira le 11 décembre 1697 près de 800 spectateurs. Ceci est un effectif très honorable en comparaison de la fréquentation habituelle des théâtres [80] et ce chiffre permit de récolter 1049 livres et 15 sols. Le fait que la recette ne fut pas plus élevée s'explique par la vente massive des billets à 15 sols pour un public moins fortuné. Il en avait effectivement été vendu 473 contre seulement 156 à trois livres. La seconde représentation enregistra une fréquentation moindre, à raison de 597 spectateurs mais la recette fut tout de même de près de 1000 livres car presque autant de billet à trois livres que pour la première de la tragédie furent vendus, à savoir 153 places. La troisième représentation du mois de décembre 1697, le dimanche 15, attira 733 spectateurs et vit le retour d'un public moins aisé pour une recette totale toujours confortable de 986 livres et 50 sols. La représentation du 17 décembre inscrivit le plus faible taux de spectateurs (492) ainsi que la recette la plus basse (727 livres). Cela engagea les comédiens à jouer un second spectacle à la suite d'*Oreste et Pilade* pour soutenir les fréquentations des séances. Ils proposèrent donc des petites comédies en un acte qui s'enchaînaient après la tragédie de La Grange-Chancel. Ce fut d'abord *Le Florentin*, une comédie de La Fontaine et de Champmeslé – celui là même qui jouait un rôle dans *Oreste et Pilade* – qui partagea l'affiche avec la pièce de notre auteur les 19 et 21 décembre 1697. Mais le taux de spectateurs ne décolla pas, enregistrant même de faibles effectifs, à savoir 341 et 664 pour ces deux soirs là. C'est pourquoi les comédiens changèrent la programmation et proposèrent une comédie intitulée *Les Précieuses* [81], pour la séance du jeudi 26 décembre et une comédie de Hauteroche, titrée *Le Coché supposé*, pour la représentation du samedi 28 décembre. Cela fut un succès puisque les spectateurs se déplacèrent en masse, à raison de près de 1000 personnes pour les deux soirées et des recettes de 1402.50 livres et 1686.15 livres. L'année 1698 débuta fort bien avec une comédie de Molière en trois actes, *Le Médecin malgré lui*, à la suite de la représentation d'*Oreste et Pilade* du 1er janvier. La tragédie de La Grange-Chancel fut encore représentée à dix reprises en 1698. Le rythme des spectacles s'essouffla quelque peu et la pièce fut montrée une ou deux fois au cours des mois de février, mars, avril, juin et août. Les recettes dégringolèrent également, passant de 1225 livres et 19 sols pour le 1er janvier à 228 livres et 15 sols pour la dernière représentation de 1698. De surcroît, la mort de Mlle de Champmeslé en mai 1698 obligea les comédiens à suspendre les séances d'*Oreste et Pilade* et empêcha l'auteur de publier sa pièce. L'arrivée à Paris de Mlle Desmares permit à la tragédie d'être rejouée dès le 16 janvier 1699. La jeune comédienne attira la foule venue voir en elle les talents hérités de sa tante, la Champmeslé. Ainsi, les recettes furent excellentes et l'on atteignit même un record le 28 février, à raison d'une recette de 1886 livres et 10 sols. La Grange-Chancel obtint un Privilège du Roi le 12 février 1699 pour le *Recueil des Tragédies du Sieur de la Grange*, publié par le libraire parisien Pierre Ribou avec un achevé d'imprimer pour *Oreste et Pilade* en date du 20 mars. La pièce fut représentée sept fois l'année 1699, trois fois en 1701 de même qu'en 1708 et 1709. Puis elle quitta la scène, mais pas le répertoire de la Comédie-Française puisqu'elle réapparut le 16 mai 1722 pour huit représentations, époque durant laquelle La Grange-Chancel était en exil. Cela montre à quel point s'élevaient la grandeur d'âme et la tolérance du régent. En effet, si Philippe d'Orléans s'était senti obligé d'éloigner l'auteur satirique de Paris, il n'interdit pas pour autant son théâtre. Enfin, *Oreste et Pilade* fit l'objet d'un dernier retour sur scène en 1738, du 25 août au 6 septembre pour six représentations qui remportèrent un vif succès, les recettes allant de 751 à 1569 livres. La pièce quitta cependant le répertoire et ne fut plus jamais jouée. Un événement important en marge des premières séances au théâtre de la rue des Fossés fut la représentation d'*Oreste et Pilade* à la Cour, le 26 janvier 1698. Ainsi peut-on lire sur la page du registre s'y rapportant : « On a joüé aujourd'huy à Versailles *Oreste et Pilade* et *Le Deüil* », avec rappel des comédiens présents pour les deux pièces et des frais engagés pour ce voyage, à savoir cinq carrosses, deux charriots, cinq laquais, des crocheteurs, un guide, un assistant décor et du champagne, pour un montant total de 29 livres et 10 sols [82]. Nous pouvons remarquer que Mlle de Champmeslé n'était pas présente pour cette représentation au château. En effet, comme le souligne Henry Lyonnet dans son *Dictionnaire des Comédiens Français (ceux d'hier)*, la dernière apparition sur scène de la Champmeslé date du 5 janvier 1698. Inquiète de son faible état de santé, celle-ci avait pris la décision de s'arrêter quelques jours pour se reposer dans sa maison de campagne d'Auteuil. Cependant, loin de guérir, son indisposition se transforma en maladie mortelle. Elle eut beaucoup de peine à renoncer à sa profession de comédienne ; pourtant, dès le 23 janvier 1698, le rôle d'Iphigénie dans la tragédie fut jouée par une autre actrice. Au vu du registre de la Comédie-Française, Mlle de Champmeslé aurait été remplacée par Mlle Duclos ou Mlle Raisin. Il est d'ailleurs bien plus probable que ce fut Marie-Anne Duclos qui prit en charge le rôle d'Iphigénie, de même que pour la représentation à la Cour, sachant qu'elle avait obtenu depuis le 3 mai 1696 « un ordre pour doubler Mlle de Champmeslé dans les premiers rôles tragiques [83] ». Elle conserva de surcroît ce rôle jusqu'au 16 janvier 1699, la représentation suivante laissant la place à Mlle Desmares. Du reste, les dix-huit représentations de la pièce de La Grange-Chancel jusqu'en août 1698, auxquelles s'ajoute le spectacle à Versailles, illustrent l'intérêt que *Oreste et Pilade* a pu susciter envers le public. En effet, si l'on tient compte du nombre limité des spectateurs à cette époque, nous pouvons supposer que les mêmes personnes sont venues voir jouer la pièce à plusieurs reprises. Le succès de la pièce peut également s'expliquer par le peu de tragédies qui ont vu le jour en 1697. Cette année là se caractérisa par une profusion de comédies créées, dix-sept pour être plus précis, contre seulement deux tragédies, dont celle de notre auteur [84]. *Oreste et Pilade* succèda donc à une tragédie de Pradon intitulé *Scipion l'Africain* et qui avait quitté la scène depuis le 19 mars 1697. C'est ainsi que le *Mercure Galant* du mois de décembre 1697 indiquait que «  Les Comédiens du Roy représentent depuis trois semaines une pièce nouvelle intitulée Pilade et Oreste, qui fait grand honneur à son auteur. Les situations en sont très heureuses, et excitent des sentiments de pitié qui rendent cette pièce très agréable [85]. » Cet avis favorable, notamment à l'égard du dramaturge, fut renouvelé par la *Gazette de Rotterdam*, le 7 mai 1699, alors que la pièce était reprise en France depuis quatre mois et qu'elle allait bientôt être publiée à Amsterdam par Desbordes. La Grange-Chancel fut alors qualifié comme étant « un jeune homme que le public voit avec plaisir marcher sur les traces du grand Corneille ». De plus, les informations fragmentaires précisées sur les deux registres journaliers de la Comédie-Française autorisent à croire que les représentations de la pièce furent fréquentées par du beau monde, comme l'indiquent les noms figurant sous la liste des acteurs, ou sous la liste des billets achetés, pour avoir acquitté ou devoir leur place. Le registre mentionne ainsi « le Chevalier Boüillon », « le Marquis de Saint Pouange », « le Chevalier de Roye », « Monseigneur le Prince d'Epinoy », « Monsieur le Comte de la Penage », « Monseigneur le duc de Chartres », « Monseigneur le Prince » et bien d'autres encore. Certains de ces noms apparaissent même plusieurs fois. C'est pourquoi, La Grange-Chancel se félicita d'avoir suscité du « plaisir » et des « applaudissements » grâce à « cet Ouvrage qui a esté si generalement approuvé de tout le monde [86] ». L'auteur évoqua également dans cette préface « la mauvaise critique de ceux qui ont condamné Thoas et Thomiris » mais nous n'avons pas pu retrouver de traces de ces reproches. Cependant, celles-ci ont été largement reprises par les critiques du XVIII*e* siècle, les frères Parfaict en tête. En effet, si ces derniers s'accordèrent à dire qu'« il y auroit injustice à ne pas convenir que la Tragédie d'*Oreste et Pilade* a nombre de détails bien rendus [87] », ils relevèrent également plusieurs défaut à la pièce. Tout d'abord, ils mirent en avant « la faiblesse du plan et du tissu de la Fable [88] » mis en place par La Grange-Chancel. Ils détaillèrent ce point de vue en expliquant que les actes I et II étaient fades et sans grand intérêt, que le troisième et le quatrième actes étaient intéressants par l'action et le suspens mais que le dernier acte était vraiment manqué [89]. Le dénouement de la pièce fut le point le plus fustigé ; au XIX*e* siècle La Harpe décrivit celui-ci comme étant « le grand écueil de la tragédie [90] ». Enfin, les frères Parfaict évoquèrent ce sur quoi, selon les dires de La Grange-Chancel, les critiques du XVII*e* siècle s'étaient le plus arrêtés. « Rien n'est plus manqué que les caracteres de Thoas et de Thomiris [91] » : le premier personnage se vit reprocher sa passivité malgré son statut de tyran et ils blâmèrent la princesse pour ses menaces à l'encontre de tous les autres acteurs de la pièce. Dès lors, la postérité considéra *Oreste et Pilade* comme une œuvre médiocre et la pièce ne fut plus éditée après 1758. ## Argument d'*Oreste et Pilade*. ### Acte I. Alors que Thoas, le roi de Tauride, s'apprête à épouser Iphigénie, l'objet de tous ses désirs, et alors même qu'un Grec, arrivé sur les terres des Taures va être offert en sacrifice à la déesse Diane, comme le veut une cruelle coutume, Thoas ne semble pas profiter de cet heureux jour et se montre inquiet. Il confie alors ses tourments à Hidaspe, un des ministres du Royaume. Rappelant tout d'abord que sa place sur le trône n'est pas due à une filiation parentale mais à la confiance que le feu roi de Tauride avait en lui, Thoas précise que son statut royal ne peut être légitimé qu'à condition d'honorer sa parole, à savoir épouser Thomiris, la fille du roi défunt. Cependant, c'est un terrible secret qui nourrit d'avantage les craintes de Thoas. Ayant un jour consulté Apollon afin de connaître son avenir, l'oracle du dieu le mit en garde contre un Grec prénommé Oreste et qui causerait sa perte en enlevant du Temple la statue de Diane. Pris de panique et soucieux de la prospérité de ses jours, Thoas préféra mettre à mort tous les étrangers qui se présenteraient sur ses terres. Il envoya également l'un de ses fidèles, Anthenor, se renseigner quant à l'identité du dit Oreste. Après un an d'absence, Anthenor est de retour en Tauride (scène 1). Ce dernier apprend à Thoas qu'Oreste n'est autre que le fils du puissant Agamemnon et qu'il s'est rendu coupable du meurtre de sa mère qu'il ne pourra expier qu'en venant en Tauride. Anthenor ajoute que le courageux Oreste est déjà en route et que l'oracle d'Apollon est sur le point de se réaliser. Thoas croit alors que le Grec qu'on s'apprête à immoler est son ennemi (scène 2). Iphigénie entre pour annoncer les volontés de Diane, dont elle est une prêtresse. Elle expose l'impossibilité pour Thoas de l'épouser, ainsi que la liberté que la déesse souhaite rendre au Grec. Mais Thoas, un temps troublé, est résolu à défier l'autorité divine et à satisfaire ses désirs (scène 3). Les Ambassadeurs Sarmates demandent à s'entretenir avec le roi, ce qui diffère alors les actions impies de ce dernier (scène 4). Cyane, la confidente d'Iphigénie, s'inquiète pour celle-ci qui a menti à Thoas afin de lui échapper, et craint la réaction du tyran quand il apprendra la vérité sur l'artifice. Elle interroge également Iphigénie sur les motivations de sa soudaine pitié pour l'étranger et elle lui rappelle que ce Grec ne veut même pas révéler son identité. Iphigénie confie alors sa tristesse d'être éloignée de sa patrie grecque. Le spectateur comprend ainsi qu'il s'agit de la fille d'Agamemnon et de Clytemnestre, celle là même sacrifiée en Aulis et sauvée *in extremis* du bûcher par Diane. Sauver le Grec lui permettrait de lui confier une lettre à remettre aux siens afin que ceux-ci viennent la chercher (scène 5). ### Acte II. L'acte II s'ouvre sur Thomiris qui laisse éclater sa colère et qui réclame à Anthenor d'être vengée. La Princesse bafouée est révoltée par l'offense qu'elle a subi et réclame la mort de Thoas. Anthenor tente de tempérer Thomiris en lui apprenant la soumission du peuple aux paroles de la déesse, ainsi que la venue imminente du roi. Thomiris n'entend rien, forte du soutien qu'elle trouve en son peuple et auprès de l'Ambassadeur du Sarmate (scène 1). Thoas entre et propose à Thomiris de régner sur le Sarmate, à défaut d'accéder au trône de la Tauride. Irrité du refus de la jeune femme, il perd son calme et fixe le départ de celle-ci au soir même (scène2). Anthenor s'inquiète de l'entreprise formée par le tyran et de son manque de foi envers sa promesse passée et envers les dieux. Il le met également en garde contre la menace que représenterait une union entre Thomiris et l'Empereur du Sarmate. Thoas n'en prend pas note et demande à voir l'étranger (scène 3). Hidaspe explique que le Grec est protégé par le peuple Scythe (scène 4) et le roi accorde alors au prisonnier la liberté réclamée par Iphigénie. Contre toute attente, l'étranger refuse de retourner dans son pays et préfère mourir chez les Taures, à défaut de ne pas avoir remporté la victoire qu'il était venu chercher. Thoas retrouve l'idée qu'il est face à Oreste (scène 5). Le roi explique la situation à Iphigénie et lui laisse une heure pour comprendre le choix de l'étranger et lui faire changer d'avis, sans quoi il le tuera (scène 6). La prêtresse s'entretient donc avec le Grec qui lui avoue vouloir mourir pour rejoindre la triste destinée de l'ami avec qui il était parti de Grèce et qui a péri dans le naufrage de leur navire. Iphigénie salue cette constance amicale mais lui confie qu'il pourrait lui être utile et la délivrer du joug du tyrannique de Thoas. L'étranger, plein de fougue, promet de lui porter secours et, dans son emballement, il fait part de ses sentiments naissant envers Iphigénie. Contrariée, cette dernière décide de le ramener sur le bûcher (scène 7). Dans un court monologue, Iphigénie se dit écartelée entre son devoir de prêtresse et ses sentiments de femme (scène 8). Hidaspe entre et lui annonce l'arrivée d'un nouveau Grec (scène 9). Iphigénie décide alors de sacrifier ce second étranger et de convaincre l'autre de rejoindre la Grèce (scène 10). ### Acte III. Thomiris vient supplier le nouvel étranger de cacher son identité afin qu'il diffère la décision de Thoas concernant le sacrifice jusqu'au lendemain et qu'elle dispose ainsi de la nuit pour régler sa vengeance (scène 1). Anthenor prévient Thomiris quant à la faiblesse physique et morale du Grec qu'elle veut rencontrer. La Princesse l'envoie annoncer à Thoas sa décision de partir et sa volonté de ne rien voir de l'hymen du roi et de la prêtresse (scène 2). Elle rassure ensuite sa confidente, Érine, en lui avouant qu'il ne s'agit là que d'un artifice destiné à tromper le tyran (scène 3). L'étranger sur qui elle fonde le succès de son entreprise entre, frappé par la démence. Thomiris le calme en lui expliquant qu'il se trouve dans un lieu funeste duquel il ne pourra échapper qu'en cachant à tous quel il est. Thomiris lui demande de lui faire confiance et elle sort (scène 4). Dans un monologue, le Grec livre son identité. L'étranger n'est autre qu'Oreste qui précise les origines et le but de sa venue chez les Tauros-Scythes (scène 5). Iphigénie entre et lui dit dans quel pays il se trouve. Elle lui annonce également sa mort prochaine, ce à quoi Oreste répond avec soulagement et dignité. La prêtresse voulant savoir l'identité de ce téméraire n'obtient que le silence en guise de réponse. Elle le questionne alors sur la Grèce et sur Agamemnon. Oreste lui apprend la mort de son père et celle de Clytemnestre, tout en se désignant coupable de ce dernier crime. Furieuse, Iphigénie veut hâter le sacrifice d'Oreste, sans se douter qu'il s'agit de son frère (scène 6). Oreste se réjouit de cette décision qui met un terme à ses souffrances mais regrette la mort de son ami Pilade qu'il croit avoir perdu lors du naufrage (scène 7). Hidaspe entre avec le premier étranger qu'il charge de découvrir l'identité d'Oreste (scène 8). Oreste reconnaît Pilade et les deux amis laissent éclater leur joie avant que Pilade ne s'inquiète pour leur sort en ces terres hostiles. Le jeune homme confie également à Oreste son amour pour Iphigénie (scène 9). Hidaspe revient pour soustraire des informations à Pilade. Les deux hommes demandent à être conduits au roi (scène 10). ### Acte IV. Iphigénie attend impatiemment le retour de Cyane qu'elle a envoyé auprès du roi porter l'ordre de sacrifier le dernier étranger arrivé en Tauride. Cyane revient sans avoir pu s'entretenir avec Thoas, fort occupé avec les deux Grecs (scènes 1 et 2). Thomiris entre et souhaite parler à Iphigénie qui semble gênée par cette arrivée soudaine. Thomiris cherche à comprendre la raison du sacrifice du Grec dont Iphigénie presse le moment, sachant que ce geste hâtera son union avec Thoas. Iphigénie tente d'expliquer sa volonté par son devoir de prêtresse mais Thomiris, ainsi que le peuple, la soupçonne de vouloir usurper la couronne. Thomiris affirme que la victime est sous sa protection et menace Iphigénie avant de sortir (scène 3). Cyane demande à son tour la cause de cette haine envers l'un des Grecs en particulier. Iphigénie lui confie le crime d'Oreste ; Cyane comprend alors le sacrifice mais craint pour l'avenir d'Iphigénie (scène 4). Hidaspe vient faire part du trouble dans lequel Thoas est plongé – les deux étrangers voulant prendre le nom maudit d'Oreste. Iphigénie demande à les voir pour déceler la vérité (scène 5). Lors de cet entretien, Pilade défend vivement son ami des injures d'Iphigénie et finit par révéler qu'il s'agit d'Oreste. Le frère et la sœur se reconnaissent. Iphigénie craint de devoir choisir l'un ou l'autre des Grecs à immoler. Les deux hommes lui demandent de leur livrer la statue de Diane et de s'en remettre aux dieux. Iphigénie laisse supposer son amour pour Pilade (scène 6). Thoas paraît et espère voir son doute cesser. Le roi est chahuté par l'audace d'Oreste et de Pilade qui continuent de brouiller les pistes de leurs identités, et par l'insolence d'Iphigénie qui lui impose d'attendre un ordre du Ciel (scène 7). Thoas, furieux, annonce que les deux étrangers seront immolés le lendemain (scène 8). Hidaspe lui rappelle que le peuple menace de se révolter s'il perd Thomiris. Thoas ne s'inquiète pas pour cela et accepte que la princesse n'assiste pas à l'hymen qu'il retarde au jour suivant (scène 9). Resté seul avec Hidaspe, le roi demande à celui-ci de conduire en cachette Thomiris jusqu'aux vaisseaux Sarmates qui l'éloigneront de la Tauride (scène 10). ### Acte V. Thoas attend avec impatience le retour d'Hidaspe qui le renseignera sur le succès ou sur l'échec de la fuite de Thomiris (scène 1). Hidaspe entre et rassure le roi en lui assurant avoir conduit Thomiris, toute voilée, aux navires qui attendent maintenant un climat favorable au départ (scène 2). Thoas se réjouit et compte déjouer la sédition du peuple par le spectacle des sacrifices des Grecs et par son mariage avec Iphigénie. Mais Taxis entre épouvanté (scène 3). Ce dernier annonce à Thoas que la statue de Diane a été soustraite du Temple et qu'il n'a pu trouver les Grecs dans tout le Royaume. Il ajoute qu'une femme a orchestré ce sacrilège. Thoas pense alors à Iphigénie mais c'est Thomiris qui se présente à lui (scène 4). Celle-ci s'accuse de l'artifice qui a trompé le tyran : Iphigénie, cachée sous ses voiles, a pu atteindre les vaisseaux, et Thomiris a remis le simulacre de Diane entre les mains d'Oreste et de Pilade, avant de les conduire au port. Elle révèle à Thoas que l'un des étrangers étaient bien Oreste, et que le second est devenu l'époux d'Iphigénie. Le tyran menace Thomiris de la mettre à mort (scène 5). Taxis entre pour annoncer que les Grecs sont retenus au port par les vents contraires au départ et que le peuple commence à se soulever. Thoas décide d'y ramener l'ordre et sort en demandant à Taxis de surveiller sa captive, Thomiris (scène 6). La princesse tente de sortir mais Taxis obéit aux ordres et la retient (scène 7). Érine accourt et prie Thomiris de s'enfuir, la vue du tyran furieux la faisant craindre pour sa vie (scène 8). Anthenor arrive à son tour et livre l'issu des événements. Hidaspe est mort sous les coups de Pilade et Thoas est tombé sous l'épée d'Oreste. Les flots et les vents déchainés se sont alors calmés et les navires ont pu partir, ramenant vers la Grèce Oreste, Pilade et Iphigénie. Thomiris accède ainsi au trône de son père et peut régner sur son peuple et sur la Tauride (scène dernière). # Élaboration de la tragédie. ## La genèse de la pièce. ### Contexte d'écriture : un nouveau conformisme plus austère. Lorsque fut jouée la tragédie d'*Oreste et Pilade*, à la fin de l'année 1697, le théâtre parisien évoluait dans un climat de crainte et de découragement en raison d'un puritanisme croissant et d'une autorité royale qui s'abattaient lourdement sur le divertissement dramatique. Bien loin semblait être le temps des fêtes et des plaisirs qui avaient animé Versailles. Depuis une douzaine d'années, une ambiance tout autre régnait sur la Cour où austérité, vertu et ennui étaient les maîtres-mots. Les lettres de la duchesse d'Orléans en témoignent. Le 1er novembre 1685, celle-ci écrivait : « Le roi change si horriblement que je ne le reconnais plus [92] ». Deux ans plus tard, elle confiait : « La cour devient si ennuyeuse que l'on n'y tient plus [93] ». En effet, une suite de guerres épuisantes et un regain de dévotion mirent en place un climat austère à la Cour, comme à la ville. En 1696, alors même que La Grange-Chancel était en pleine rédaction de son *Oreste et Pilade*, l'abbé du Bos affirmait : « Si Dieu ne nous assiste, on mettra bientôt la moitié de la ville en couvents, et la moitié des bibliothèques en livres de dévotion [94] ». Ce n'était donc pas un moment propice pour les dramaturges, alors même que les gazettes de Hollande annonçaient la fermeture prochaine des théâtres de Paris. Pourtant, « depuis près de soixante ans, la société française considérait l'art dramatique comme l'un de ses plus nobles divertissements [95] ». Corneille et l'abbé d'Aubignac avaient parlé en leur temps de la « vieille corruption » comme pour insister sur les allures nobles et respectables du théâtre qu'ils voulaient voir comme une école de vertu. Au mois de mars 1692, le *Mercure* relayait cette pensée en affirmant que « La Comédie n'a pour but aujourd'huy que de punir le vice, de récompenser la vertu et de corriger les défauts d'autruy [96] ». Toutefois, en 1697, *Oreste et Pilade* fut créé dans un climat d'austérité exacerbée où, malgré l'image pure que cherchait à se donner le théâtre, les augustiniens et autres dévots se montraient totalement hostiles à la pratique dramatique. Il faut dire que le comportement volage de la plupart des comédiens n'aidait pas le théâtre à être bien vu, et les dix ou quinze enfants légitimes de Mlle Beauval ne faisaient pas pour autant oublier les nombreux amants de la Champmeslé ou les scandales de Baron. De surcroît, l'intervention de Mme de Maintenon sur la conscience de Louis XIV participa également à l'image immorale attribuée au théâtre en cette fin de siècle. Le roi, pourtant si longtemps admirateur de spectacles et de festivités, se prit de scrupule et arrêta de fréquenter les théâtres. Cette décision eut de grandes répercutions sur la vie théâtrale, sur les auteurs et sur les comédiens. Ainsi, si « jusqu'alors les comédiens avaient été encouragés par la générosité royale et par la protection déclarée du souverain …, à partir de ce moment, ils furent soumis à un régime de brimades » [97]. La fin précipitée du théâtre de l'hôtel Guénégaud qui dû fermer ses portes en 1687 après l'ouverture du collège des Quatre-Nations, sa proximité pouvant nuire à la vertu des élèves, témoigne de cette acharnement puritain qui s'abattit sur la pratique de l'art dramatique. Car il nous faut préciser qu'avant de s'établir définitivement au théâtre de la rue des Fossés-Saint-Germain-des-Près, les comédiens crurent pouvoir s'installer à quatre reprises dans de nouveaux lieux. Le roi donnait chaque fois son accord, mais chaque fois aussi il cédait sous la pression des curés qui s'insurgeaient contre la venue d'excommuniés à proximité de leurs paroisses. En outre, à partir de 1695, un fonctionnaire de police fut dépêché pour assister aux représentations et sévir en cas de gestes irrévérencieux ou de paroles à double sens. C'est dans ce climat de crainte et de découragement que fut créée la seconde tragédie de La Grange-Chancel. ### La princesse de Conti ou Jean Racine ? Si pour sa première tragédie La Grange-Chancel s'était tourné de lui-même vers un sujet historique – la lecture de Salluste lui ayant inspiré de mettre en scène Jugurtha [98] – il semblerait que la matière de sa seconde tragédie lui ait été conseillée. Dans la première préface à *Oreste et Pilade* datant de 1699, l'auteur affirmait d'une façon explicite que le sujet de son œuvre lui avait été soumis par la bienveillante princesse de Conti. Cependant, lors de la seconde édition des *Oeuvres de Monsieur de La Grange-Chancel*, en 1734, nous ne trouvons plus aucune trace de la princesse car l'auteur assurait alors qu'il s'était décidé pour ce sujet à la suite des conseils de Racine. Dans un souci de reconstruire de la façon la plus exacte possible les étapes de l'établissement de la pièce, nous avons tenté de démêler les raisons de cette double genèse théâtrale et de définir laquelle des deux était la plus plausible. En 1699, le dramaturge était formel : « Madame la Princesse de Conty, chez qui j'ay eu l'honneur d'estre élevé, me choisit elle-même ce sujet préférablement à beaucoup d'autres [99] ». Au moment où La Grange-Chancel commença la rédaction d'*Oreste et Pilade*, en 1696, le jeune homme était un page de la princesse depuis cinq ans. En outre, la déclaration de La Grange-Chancel doit être interprétée comme un choix de la princesse parmi plusieurs sujets que son protégé lui aurait proposé. Cela n'est pas surprenant quand on sait la générosité de la princesse de Conti et le soin qu'elle avait de son entourage. Elle semble s'être toujours intéressée à l'activité dramatique de La Grange-Chancel puisqu'en 1732 il lui envoya son ultime tragédie, *Cassius et Victorinus*. Or, s'il est compréhensible qu'en 1734 La Grange-Chancel ait voulu écrire une nouvelle préface à *Oreste et Pilade*, en rapport avec la seconde édition de son Théâtre complet, il est surprenant qu'il ait donné une toute autre explication à l'élaboration de cette tragédie. Il affirma d'abord que l'idée lui était venue de ses lectures d'Euripide, « où le celebre Racine avoit fait des moissons si avantageuses à la République des Lettres [100] ». Que La Grange-Chancel ait pris le grand dramaturge pour modèle n'est pas surprenant. Toutefois, la suite des déclarations semble plus aberrante. Dans sa longue préface à *Jugurtha*, datant de la seconde édition de 1734, l'auteur avait déjà fait mention de la relation maître-élève qui se serait établie entre Racine et lui-même par l'intermédiaire de Louis XIV [101]. Dans la seconde préface à *Oreste et Pilade*, il expliqua s'être décidé pour ce sujet mythologique lors d'entretiens avec Racine « qui ne lui refusoit point ses bons avis ». Il ajouta même que son invention du personnage de Thomiris – calquée sur celle du personnage d'Eriphile dans l'*Iphigénie* de 1674 – « fut aprouvée par M. Racine ». Cela ne peut être qu'une extravagance de La Grange-Chancel quand on sait que Racine s'était retiré de l'écriture tragique en 1677, après la création de *Phèdre*, pour devenir historiographe du roi, avant de se tourner progressivement vers la dévotion. Le 5 juin 1693, Racine écrivit une lettre à son fils ainé, Jean-Baptiste, qui souhaitait alors suivre les traces de son père en se lançant dans le théâtre : « Je ne saurois trop vous recommander de ne vous point laisser aller à la tentation de faire des vers français, qui ne serviroient qu'à vous dissiper l'esprit [102] ». En 1695, il conseilla dans une autre lettre à ce même fils de ne pas fréquenter le théâtre : « Je sais bien que vous ne seriez pas déshonoré devant les hommes en y allant, mais ne comptez vous pour rien de vous déshonorer devant Dieu ? ». Il continuait sa lettre en vantant les mérites du petit-fils de Louis XIV, le grand dauphin, alors âgé de treize ans et éduqué par Fénelon : Songez que M. le duc de Bourgogne, qui a un goût merveilleux pour toutes ces choses, n'a encore été à aucun spectacle …. Et quelles gens trouvez-vous au monde de plus sages et de plus estimés que ceux-là ? [103]. Il est donc impossible que le pieux Racine de la fin du XVII*e* siècle eût offert conseils et leçons théâtrales à La Grange-Chancel. De même, il est totalement absurde qu'il ait été présent à la première représentation de *Jugurtha* en 1694. Ce fait n'est absolument pas avéré comme nous l'ont confirmé nos recherches à la Comédie-Française où aucun des registres ne mentionne la venue de l'éminent dramaturge. Alors pourquoi une telle fantaisie de la part de La Grange-Chancel ? Le premier élément de réponse que l'on peut donner est qu'entre 1699 et 1734, trente-cinq années se sont écoulées. Racine est mort, un mois après la première publication d'*Oreste et Pilade* [104], Louis XIV également [105]. Personne ne pouvait donc plus confirmer ou infirmer la relation privilégiée que s'inventa La Grange-Chancel avec Racine. La princesse de Conti, âgée de soixante-huit ans et devenue dévote à son tour, n'allait certainement pas non plus s'exprimer sur ce sujet, si tant est qu'elle ait eu connaissance de cette préface. La Grange-Chancel pouvait donc librement mettre au point une « légende » qui valorisait son statut de dramaturge et qui serait reprise par la postérité. En outre, il est possible que notre auteur ait croisé, durant sa jeunesse passée à la Cour, le célèbre Racine. En effet, celui-ci ne cessa de se rendre à Versailles – il disposait d'un logement dans le château – dans les derniers mois de sa vie, en 1699. Alors quoi de plus normal pour le petit provincial rêvant de reconnaissance et de théâtre que d'être admiratif du grand Racine ? Peut-être que La Grange-Chancel avait longtemps refoulé sa frustration de n'être qu'un dramaturge médiocre à l'heure du déclin du classicisme. Nous pouvons supposer alors qu'à cinquante-sept ans il coucha sur papier ce dont il avait toujours rêvé, allant jusqu'à s'inventer des anecdotes romanesque [106]. Quoi qu'il en soit, l'influence de Racine sur La Grange-Chancel est indéniable. Le texte d'*Oreste et Pilade* regorge par exemple de vers et de tournures inspirés par Racine [107]. Le fait que Mlle de Champmeslé, comédienne favorite de Racine qui lui avait confié ses plus beaux rôles féminins, ait joué le rôle d'Iphigénie dans *Oreste et Pilade* amena une nouvelle fois La Grange-Chancel à évoquer Racine : « Mademoiselle de Champmelé, qui representoit Iphigénie dans un âge où l'on n'a plus les agrémens de la jeunesse, ne fit pas verser plus de larmes dans le rôle de M. Racine, qu'elle en fit verser dans le mien [108] ». Comme si l'auteur cherchait à tout prix à se rapprocher de celui dont il aurait tant aimé être le disciple et le digne successeur. ### Un sujet mythologique. Au XVII*e* siècle, les aventures de la famille des Atrides fournirent matière à nombre de tragédies. La seconde pièce de La Grange-Chancel, dont le titre complet est *Oreste et Pilade, ou Iphigénie en Tauride*, s'inscrivit dans cette veine de pièces à sujet mythologique. En 1697, les trois noms propres du titre, issus de la légende grecque, évoquaient à eux seuls le souvenir d'effroyables calamités et attiraient d'emblée la sympathie des spectateurs. En effet, les enfants d'Agamemnon avaient fait l'objet de plusieurs tragédies tout au long du siècle. Iphigénie sacrifiée en Aulide avait été traitée dans trois pièces de 1640 à 1675 par Rotrou, par Racine et par le Clerc, en collaboration avec Coras. L'*Iphigénie* de Racine (1674) est bien sûr celle qui eut le plus de succès. Racine avait également mis le personnage d'Oreste sur la scène, à travers sa tragédie *Andromaque*, datant de 1667. Toutefois, c'est un Oreste affaibli, véritable épave humaine soumis à Hermione, que présenta Racine. Cette image est bien loin de celle développée à travers l'épisode du voyage en Tauride où Oreste est montré comme courageux et vaillant. À l'inverse, Iphigénie sacrifiante ne fut pas traitée par les dramaturges du siècle classique avant que La Grange-Chancel n'osât entreprendre sa seconde tragédie. Corneille et Racine avaient souligné les difficultés que représentait ce sujet, le second allant même jusqu'à abandonner la rédaction d'un plan rédigé en prose. Cependant, notre auteur prenait pour génie la facilité dont la nature l'avait doté pour faire des vers. C'est pourquoi, l'orgueilleux déclarait dans la préface de sa pièce : « Il y a long-temps qu'on auroit vû paroître sur la Scene ce sujet, qui est un des plus grands et des plus beaux de l'antiquité, si nos meilleurs Autheurs avoient crû pouvoir en surmonter les difficultez [109]. » Car bien qu'étant un épisode secondaire de l'histoire des Atrides, Iphigénie en Tauride était un sujet célébré dans l'Antiquité comme étant l'un des meilleurs possibles. Il est celui évoqué le plus de fois, après celui d'Œdipe, par Aristote dans sa *Poétique* et toutes les évocations sont élogieuses. En outre, cette première tentative tragique ouvrit la voie à de nombreuses pièces sur ce sujet mythologique tout au long du XVIII*e* siècle. Parmi elles, nous pouvons citer les tragédies lyriques de Danchet (1704), de Guillard (1779) et de Breuil (1781), respectivement composées par Desmarets, Gluck et Piccinni, et toute trois titrées *Iphigénie en Tauride*. Celle qui fut écrite par Danchet aurait pu précéder la pièce de La Grange-Chancel sachant que sa rédaction et sa composition furent commencées dès 1696. Il ne restait que le cinquième acte et le prologue à finir lorsque Desmarets fut contraint de quitter la France pour une affaire de mœurs. Il ne revint jamais de son exil et la pièce demeura inachevée jusqu'à l'intervention du compositeur Campra qui termina la pièce en 1704. L'épisode en Tauride donna lieu également à plusieurs tragédies en vers comme celles de Pick (1753) et de Vaubertrand (1757) qui ne furent jamais représentées et seulement publiées. La tragédie de Guimond de la Touche, jouée pour la première fois le 4 juin 1757 au théâtre de la rue des Fossés-Saint-Germain, marqua la fin définitive du *Oreste et Pilade* de La Grange-Chancel. En effet, cette nouvelle tragédie intitulée *Iphigénie en Tauride* remporta un véritable succès et fit l'objet de très nombreuses représentations jusqu'au début du XIX*e* siècle. Les mésaventures d'Oreste et de sa sœur passionnaient les dramaturges depuis l'Antiquité. À l'époque où se développa la tragédie grecque, au V*e* siècle avant notre ère, la vie de ces personnages était suffisamment riche pour nourrir de nombreuses œuvres dramatiques. Jean-Louis Backès indique que sur les trente-deux tragédies grecques qui nous sont parvenues dans leur intégralité, sept font apparaître Oreste – alors que trois seulement font parler Œdipe [110]. « L'histoire d'Oreste appartient à la *gent* des Princes d'autrefois », ajoute Jean-Louis Backès [111]. Fils unique d'Agamemnon, le chef des Grecs qui prit le commandement de l'expédition contre Troie, Oreste est surtout tristement célèbre pour le meurtre de sa mère. À la suite de ce matricide, le jeune homme est poursuivit par les déesses noires, les Érinyes, qui le prennent en chasse. Il erre alors à travers le monde, parfois laissé en paix, d'autres fois au bord de la folie. Nous ne possédons que peu d'informations sur ses errances. « La seule aventure qui soit restée dans les mémoires est celle de son arrivée en Tauride [112] ». En outre, les aventures d'Oreste sont rapportées presque uniquement par le théâtre. Dans l'*Art Poétique* d'Horace, Oreste est mentionné comme étant le personnage tragique par excellence. L'auteur expliquait de surcroît que tous les personnages fournis par la tradition littéraire devaient garder les traits que la légende leur avait donnés. C'est pourquoi Oreste ne peut être représenté que *tristis*, c'est à dire sombre [113]. Le premier texte qui rapporta l'histoire d'Oreste fut l'*Odyssée* d'Homère qui s'ouvre par les paroles de Nestor revenant sur la situation de la Grèce après la chute de Troie. Oreste est évoqué en tant que meurtrier d'Egisthe et par la même occasion en tant que vengeur du meurtre de son père. Il est donc décrit comme étant un personnage positif, un modèle de droiture. Il ne s'agit que d'une première mention du personnage et les autres épisodes de son histoire, dont le matricide et le voyage en Tauride, n'ont pas encore été inventés. Le début de la tradition littéraire fut marquée par la trilogie d'Eschylle, datant environ de 458 avant J.-C., et intitulée *L'Orestie*. En effet, le poète relata en trois œuvres de nombreux épisodes de la légende qui nous intéresse. *Agamemnon*, la première tragédie, présente le meurtre du personnage éponyme et ne fait pas apparaître Oreste sur scène. C'est dans la seconde tragédie, *Les Choéphores*, que celui-ci commence à jouer son rôle le plus connu : celui du meurtrier de sa mère. Enfin, *Les Euménides* ont pour sujet le jugement d'Oreste à l'Aéropage. Le jeune homme, attaqué par les Érinyes et défendu par Apollon, gagne ce *procès* et ne sera plus jamais poursuivit par les déesses vengeresses. Bien que ces trois pièces exposent une grande partie de l'histoire des Atrides, par des allusions ou par le biais de la représentation directe, les aventures d'Oreste sont toujours incomplètes puisqu'il n'y a aucune mention de sa venue en Tauride. Vers 421 avant J.-C., Sophocle écrivit à son tour sur Oreste dans une pièce intitulée *Electre*. La tragédie s'achève sur le triomphe d'Oreste, assassin de sa mère et de l'amant de celle-ci, mais ne fait aucune allusion à un quelconque réveil des Érinyes ni à la longue période d'errances angoissées. Il faudra en fait attendre Euripide pour que l'histoire du personnage soit complétée, en 413 avant notre ère. La pièce du dramaturge Grec, *Iphigénie en Tauride*, traita alors de l'épisode qui nous intéresse et dans lequel La Grange-Chancel trouva matière pour sa seconde tragédie. ## Le traitement de la source littéraire. La malédiction qui pèse sur la famille des Atrides et les infortunes qui en découlent ont largement fourni de la matière au genre tragique. Les aventures d'Iphigénie, et plus précisément son exil sur les terres des Scythes, ont été traitées par de nombreux auteurs, de l'Antiquité d'Euripide jusqu'au XVIII*e* siècle de Voltaire. La comparaison des diverses versions du sujet d'Iphigénie en Tauride met immédiatement en valeur les aménagements faits par chaque auteur à la progression dramatique de la pièce et au traitement des personnages, retraçant fidèlement l'évolution de l'esthétique tragique au fil du temps. Même les plus brillants dramaturges puisèrent certaines de leurs idées au fond du puits infini de la littérature et La Grange-Chancel, bien qu'âgé de seulement vingt ans, avait déjà suffisamment lu pour pouvoir s'inspirer de ses prédécesseurs. ### La principale source antique : *Iphigénie en Tauride* d'Euripide (vers 414 avant J.-C.). Dans la première préface à *Oreste et Pilade*, publiée en 1699, La Grange-Chancel évoquait Euripide, « sans lequel il n'y auroit point de Piece [114] ». Lors de la seconde édition des *Œuvres de Monsieur de La Grange-Chancel*, notre auteur précisait sa source principale en ces termes : « Je crus avoir trouvé dans l'Iphigénie *in Tauris* le sujet que je desirois ; j'y vis des Scenes interessantes, qui sembloient ne me devoir coûter que la peine de les traduire ; mais j'avouë que j'y trouvai en même tems des difficultés capables de me détourner de mon entreprise [115] ». Toutefois, en 1697, nous n'étions plus au temps de la redécouverte des thèmes de l'Antiquité. Ceux-ci avaient déjà été présentés sur la scène du théâtre du XVII*e* siècle et n'étaient donc pas inconnus du public. Cela laissait alors plus de liberté aux auteurs de la fin du siècle qui pouvaient jouer avec leur créativité tout en conservant la trame première de la tragédie. En outre, ce qui était du goût des anciens n'était pas forcément apprécié par les spectateurs du temps de notre poète qui avaient des exigences précises et une capacité de critique aiguisée. Ainsi, en adaptant *Iphigénie en Tauride* d'Euripide, La Grange-Chancel conserva certains passages sans y apporter de modifications majeures ; cependant, il mit également en place de profonds changements tant au niveau de la construction que du fond de la pièce [116]. La liste des acteurs, comme on disait au XVII*e* siècle, propose des différences intéressantes chez La Grange-Chancel, par rapport aux personnages présents dans la pièce d'Euripide. La tragédie de 1697 réclamait dix comédiens, tandis que celle de 414 avant J.-C. n'en demandait que huit. Maigre différence pourrait-on penser. Cependant, sur les dix personnages de La Grange-Chancel, quatre seulement ont été empruntés à Euripide, à savoir Thoas, Iphigénie, Oreste et Pilade, dont les tourments étaient destinés à émouvoir les spectateurs. Notre dramaturge avait donc choisi de mettre en scène les personnages principaux de la pièce d'Euripide, laissant les personnages secondaires de côté. Cette dernière affirmation n'est pas tout à fait exacte. Si La Grange-Chancel supprima bel et bien Athéna et le chœur de captives grecques, pour des raisons que nous allons développer, il conserva les interventions du Bouvier et du serviteur de Thoas. Il leur donna toutefois des noms propres et modifia leur statut afin de valoriser un peu ces rôles. Le gardien du bétail devint l'un des principaux ministre des Scythes et fut nommé Hidaspe ; le simple serviteur anonyme prit le nom de Taxis et fut fait capitaine des Gardes. Il n'est pas étonnant que l'on ne retrouve pas le chœur dans *Oreste et Pilade*. Véritable acteur dans les tragédies grecques, le chœur était un élément constitutif de ce genre dont le rôle se déprécia au fil du temps [117]. Dans sa *Poétique*, Aristote en parlait ainsi : « Quant au chœur, il faut établir que c'est un des personnages, une partie intégrante de l'ensemble et le faire concourir à l'action [118] ». L'auteur ajoutait d'emblée qu'il était préférable de suivre le modèle de Sophocle plutôt que celui d'Euripide qui en faisait un ornement plus qu'un lien avec le héros. Dans *Iphigénie en Tauride*, le chœur représentait des esclaves grecques que Thoas avait attachées au service d'Iphigénie. Au XVII*e* siècle, La Grange-Chancel transforma ce personnage collectif en une confidente de l'héroïne nommée Cyane. Enfin, le personnage de la déesse Athéna ne put être conservé par notre dramaturge. Ce personnage qui apparaissait lors du dénouement de la pièce antique nécessité la mise en place d'une machine. Ce *deus ex machina* aurait pu coûter le succès d'*Oreste et Pilade*, à une époque où ce procédé contraire à la vraisemblance était fortement désavoué. C'est pourquoi, La Grange-Chancel inventa un nouveau personnage, prénommé Thomiris, pour permettre un dénouement autre à sa pièce. Il adjoignit à ce personnage féminin royal un adjuvant du nom d'Anthenor, ministre des Scythes resté fidèle au feu roi de Tauride. Ainsi se dessinèrent les premières modifications. Pourtant, notre poète préserva certains éléments de la pièce d'Euripide bien que ceux-ci ne furent pas des plus importants. En effet, si l'on compare les deux tragédies, on constate que les ressemblances portent principalement sur le caractère de certains personnages, sur des éléments du passé plus ou moins détaillés par La Grange-Chancel ou encore sur quelques traits qui sont loin d'être fondateurs. Tout d'abord le personnage du roi est présenté dès le prologue d'*Iphigénie en Tauride* comme un être brutal ; le personnage éponyme évoque ainsi la Tauride : « Un roi barbare y règne, gouvernant des Barbares, Thoas, aussi vite à la course que les oiseaux au vol [119] ». Dans *Oreste et Pilade*, c'est Thoas lui même qui souligne, dès la première scène, son caractère cruel et injuste. Roi de Tauride à condition d'épouser Thomiris, Thoas tomba pourtant amoureux d'une autre. Toutefois, de peur de perdre le trône, il assassina tous les prétendants de Thomiris (vers 67-69). Iphigénie elle-même confirme cet aspect du roi deux scènes plus tard en le qualifiant de « tyran » (vers 241), terme qu'elle répètera à dix reprises au cours de la pièce. Le caractère du personnage d'Oreste chez La Grange-Chancel est également fondé sur celui d'Euripide, en particulier en ce qui concerne le courage du jeune homme qui ne craint pas de mourir. Au second épisode d'*Iphigénie en Tauride*, où Oreste explique longuement que c'est s'accabler d'un double mal que d'avoir peur de la mort alors qu'elle ne pourra être évitée [120], répond la scène VI de l'acte III d'*Oreste et Pilade* où le fils d'Agamemnon qualifie la mort qui l'attend d'« heureuse » car finissant ses errances. Il insiste même pour que la prêtresse l'immole au plus vite (vers 887-890). L'amitié entre Oreste et Pilade est pareillement traitée par les deux dramaturges. En effet, dans les deux pièces, les fidèles amis n'ont de cesse de vouloir mourir l'un pour l'autre. Dans *Iphigénie en Tauride*, au troisième épisode, Pylade – ainsi que l'orthographiait Euripide – se confie à Oreste qui a été condamné au sacrifice : Si tu péris, je ne te survivrai que dans la honte. J'ai fait avec toi le voyage, et je dois partager ta mort. Sinon, l'on me dira un lâche, un faux ami. … Je ne vois qu'une issue : c'est d'expier en même temps que toi, prenant ma part du sacrifice et du bûcher, car je suis ton ami, et je veux le rester sans reproche [121]. La Grange-Chancel intégra à sa pièce ce dévouement et c'est pourquoi Pilade évoque à la scène IX de l'acte III la mort qui les attend tous deux (vers 1030-1031). À ce sacrifice amical, Euripide faisait répondre Oreste par un refus catégorique : Ne parle pas ainsi. Je dois supporter mes propres malheurs, mais c'est assez d'une souffrance sans en assumer deux fois plus. La douloureuse honte dont tu parles, elle est pour moi si je cause ta mort … Sauve ta vie … Pars, vis .... La Grange-Chancel fit adopter la même attitude à son personnage (vers 1032-1036). De la même façon, le Pylade d'Euripide faisait éclater sa joie lors des retrouvailles entre le frère et la sœur au troisième épisode d'*Iphigénie en Tauride* et cela peut faire écho au Pilade de La Grange-Chancel qui partage le bonheur des deux Grecs (vers 1256-1257). Les ressemblances entre les deux œuvres ne s'arrêtent pas aux caractéristiques des personnages. La Grange-Chancel fut fidèle à certains aspects du mythe développés dans la pièce d'Euripide. Par exemple, au même moment, dans les deux tragédies, Iphigénie évoque son passé et en particulier le sacrifice en Aulide dont elle a été la victime. Dans *Iphigénie en Tauride*, le personnage fait une allusion à sa conduite au bûcher au premier épisode de la pièce antique ; dans *Oreste et Pilade*, Iphigénie rappelle l'oracle de Calchas et l'intervention de Diane qui la sauva, à la scène V du premier acte. Ces mêmes détails étaient présents chez Euripide dès l'ouverture, accompagnés d'informations supplémentaires telles que la promesse qu'Agamemnon avait faite à la déesse Artémis de lui consacrer ce que l'année de la naissance d'Iphigénie avait fait de plus beau ; les navires en partance pour Troie retenus au port ; la prise d'Hélène retardée ; le mensonge d'une union entre Achille et Iphigénie ; le bûcher et l'arrivée en Tauride. De même, La Grange-Chancel adopta les raisons précisées par Euripide concernant la venue d'Oreste sur les terres hostiles de Thoas. À la scène V de l'acte III, le personnage maudit revient sur le meurtre de sa mère qu'il a commis pour venger la mort de son père et sur l'oracle d'Apollon qui lui a commandé de venir en Tauride enlever la statue de Diane, expiant ainsi son matricide. Notre auteur reformula les dires du personnage d'Oreste dans *Iphigénie en Tauride* qui dès le prologue évoque ce motif d'expiation. Notons tout de même qu'Euripide, comme pour l'épisode du sacrifice à Aulis, détaillait d'avantage le passé des personnages puisqu'au troisième épisode, nous trouvons des informations supplémentaires sur la poursuite des Érinyes et le jugement de l'Aréopage. Un passage qui est presque calqué par La Grange-Chancel sur la tragédie antique fait référence à ces furies qui persécutent Oreste et le rendent victime de violentes hallucinations. Au premier épisode d'*Iphigénie en Tauride*, le personnage du Bouvier entre sur scène et annonce à Iphigénie la capture de deux Grecs. Il fait alors le récit du comportement d'Oreste en ces termes : Mais voilà qu'un des inconnus sort de la grotte, se dresse avec de grands mouvements de la tête et se met à gémir en agitant les mains dans un transport de folie, criant comme un chasseur : « Pylade, la vois-tu près de moi ? Et l'autre, ce monstre d'enfer qui veut me tuer en lançant contre moi ses terribles vipères ? Et celle qui ouvre sa robe pour souffler feu et sang, les ailes battantes, portant ma mère dans ses bras, un bloc de rocher à lancer sur moi. O dieux ! elle va m'écraser ! Où fuir ? » [122]. Nous avons cru intéressant de citer ce passage en entier afin de le mettre en miroir avec la scène IX de l'acte II d'*Oreste et Pilade* où Hidaspe fait le récit de la capture d'Oreste, reprenant les mêmes motifs (vers 683-690). La parallèle est aisée à établir entre les deux extraits. Cependant, La Grange-Chancel n'explora pas jusqu'au bout le pathétique que lui aurait permis cette scène. Si Euripide insista principalement sur les répercutions physiques de la folie d'Oreste que l'auteur montra se révulsant, hurlant et bavant, le dramaturge du XVII*e* siècle préféra mettre en avant la violence du personnage envers les autres et non plus envers lui-même. La Grange-Chancel commit de surcroît une erreur en évoquant les Euménides à la place des Érinyes. Les furies persécutrices ne deviennent des « Bienveillantes » qu'une fois le crime expié. Un second passage d'*Iphigénie en Tauride* se retrouve presque textuellement dans *Oreste et Pilade*. Il s'agit de l'échange entre Iphigénie et Oreste au moment où la prêtresse vient annoncer la mort du jeune Grec. Iphigénie pose des questions sur sa patrie et sur les siens auxquelles Oreste répond de façon lacunaire. Les questions que pose Iphigénie dans la pièce de La Grange-Chancel sont toutes empruntées à Euripide : la prêtresse questionne l'étranger sur son nom (vers 896), sur la ville dont il est originaire (vers 899), sur le sort d'Agamemnon (vers 904-905), sur le meurtrier de celui-ci (vers 924) et enfin sur l'assassin de Clytemnestre (vers 962). Une nouvelle fois, notre auteur passa à côté du pathétique que permettait la scène. Outre ces mêmes questions, nous trouvons dans la tragédie d'Euripide des interrogations sur les raisons de la venue d'Oreste en Tauride, sur le destin de Troie, sur Hélène, sur le retour des Grecs dans leur patrie avec des questions plus précises sur certains d'entre eux tels que Calchas, Ulysse et Achille, sur Electre et enfin sur ce que l'on pense en Grèce du sacrifice d'Iphigénie. L'échange est donc plus étendu dans *Iphigénie en Tauride*, d'autant plus que, dans cette pièce, Oreste tarde à répondre aux questions, empruntant des détours qui multiplient alors la curiosité d'Iphigénie. Dans *Oreste et Pilade*, ce passage tient sur soixante-six vers de l'acte III, là où chez Euripide il occupe la majeure partie du second épisode. Enfin, bien que le dénouement soit différent d'une pièce à l'autre, La Grange-Chancel reprit tout de même certains éléments déjà présents dans *Iphigénie en Tauride*. La tempête qui empêche le départ des trois Grecs en partance pour leur patrie est longuement détaillée dans la pièce d'Euripide : Tant qu'il fut dans la baie, le bateau fila. Mais au passage de la barre, une forte lame vint à sa rencontre et le fit peiner. Car un vent violent s'était soudain levé qui enflait les voiles en soufflant de proue. Eux tenaient bon, luttant contre la vague. Le flot déchaîné cependant les ramenait vers la côte. … Mais le bateau, de plus en plus donnait dans les récifs ... [123]. Ce même événement est présent dans *Oreste et Pilade* mais il se résume en deux vers récités par le personnage de Taxis aux vers 1580 et 1581 (Le jour nous a fait voir la troupe fugitive / Qu'un orage imprévû retient près de la rive). À la dernière scène, Anthenor donne un peu plus d'éléments en évoquant « les flots impetueux, et les vents en furie » (vers 1628). Ainsi, le dramaturge du XVII*e* siècle ne parvint pas vraiment à rester fidèle au texte-source. Même s'il reprit certains éléments de la pièce antique, il ne put s'empêcher d'y apporter quelques modifications plus ou moins marquées. Par exemple, dans les deux pièces le dessein d'Oreste sur les terres de Tauride est connu dès l'ouverture. Toutefois, dans le prologue d'Euripide, c'est le personnage concerné qui s'épanche sur son projet, alors que La Grange-Chancel, préférant retarder l'entrée d'Oreste sur scène, confia à Anthenor, de retour de Grèce, la tâche d'informer les spectateurs sur les motivations du jeune Grec, à la scène II de l'acte premier. De même, notre dramaturge conserva le passage où Iphigénie souhaite transmettre une lettre aux siens par le biais du Grec arrivé en contrée barbare. Cependant, La Grange-Chancel n'accorda pas la même importance à cet élément. Chez Euripide, la lettre est d'abord confiée à Oreste qui, refusant de sauver sa vie au dépend de celle de son ami, supplie Pylade de prendre sa place et de rester en vie. Dans *Iphigénie en Tauride*, la lettre est également le moteur de la scène de reconnaissance entre la jeune femme et son frère. À l'inverse, La Grange-Chancel en fit un élément secondaire et presque inutile puisque Iphigénie souhaite la confier directement à Pilade qui refuse de quitter la Tauride ; la lettre n'étant alors plus jamais évoquée. Un autre élément que l'on retrouve dans les deux tragédies, mais traité différemment, concerne l'identité du meurtrier de Clytemnestre. Dans les deux pièces, Oreste la révèle à Iphigénie. Chez Euripide, le personnage annonce seulement qu'il s'agit du fils de la victime, cachant à la fois sa propre identité et ne s'accusant donc pas de ce matricide. Iphigénie sait donc que le criminel est son frère mais ne se doute pas que celui-ci est devant elle. La Grange-Chancel choisit une autre voie puisqu'il fit s'accuser Oreste de la mort de Clytemnestre, sans révéler que le personnage était également le fils de cette femme. Ainsi, Iphigénie ignore également l'identité de l'étranger qu'elle a sous les yeux mais cette révélation attise une haine à l'égard de ce Grec qui ne prendra fin que lors de la reconnaissance. Par une analyse plus fine, nous avons pu retrouver certains échos entre les deux pièces concernant des procédés utilisés par Euripide puis par La Grange-Chancel. Le début d'*Iphigénie en Tauride* fait état d'un rêve fait par le personnage éponyme et qui annonçait la mort de son frère Oreste. Cela entraîne d'ailleurs chez Iphigénie une volonté d'offrir des libations en guise de deuil à ce frère qu'elle croit perdu. Dans le Parodos, la prêtresse revêt des vêtements adaptés à une cérémonie funèbre et s'épanche sur sa tristesse et sa colère d'être éloignée de la dépouille de son frère unique. Cet élément ouvre la pièce d'Euripide mais est totalement absent de la pièce de La Grange-Chancel. Pourtant, à l'évocation du songe succèda au XVII*e* siècle l'usage de l'oracle. En effet, la première scène d'*Oreste et Pilade* comporte le récit d'un oracle d'Apollon, entendu par Thoas un an auparavant et qui lui annonçait le danger que représenterait la venue d'un dénommé Oreste en Tauride. Ceci est inventé par le dramaturge car il n'y a pas de trace de cet oracle dans *Iphigénie en Tauride* où Oreste ne représente d'ailleurs à aucun moment une menace pour le royaume. Toutefois, le procédé utilisé par La Grange-Chancel fait échos à celui mit en place par Euripide. Les tragédies conduites par la fatalité se caractérisent selon Henri Patin « par la présence et l'intervention des dieux, par des apparitions, par des oracles, par des présages ou encore par des songes [124] ». Ces éléments, obscurs et symboliques, « marquent certains rapports avec le passé ou avec l'avenir [125] ». La Grange-Chancel, tout en écartant le songe d'Iphigénie, a su mettre en place, par un procédé identique, l'élément prêt à survenir et d'où doit sortir la tragédie. Enfin, nous donnerons un dernier exemple pour illustrer les raisons de la transformation d'un même élément entre l'Antiquité et le XVII*e* siècle. Dans la pièce d'Euripide, Iphigénie est une prêtresse de Diane consacrée à servir les autels de la déesse. Ce statut se retrouve dans la tragédie de La Grange-Chancel. Toutefois, dans *Iphigénie en Tauride*, le jeune femme ne sacrifie pas les étrangers de ses mains, ce qui serait contraire aux mœurs du temps où une femme ne pouvait guère avoir un rôle important à jouer dans la *société*, et encore moins celui de donner la mort à des hommes. C'est pourquoi, Iphigénie n'a pour tâche que celle de préparer les sacrifices. Euripide insistait d'ailleurs sur ce point lors d'un brève échange entre Oreste et la prêtresse : ORESTE Ainsi toi, une femme, tu lèves l'épée pour tuer des hommes ? IPHIGENIE Non. Je ne ferai qu'asperger tes cheveux d'eau lustrale. ORESTE Qui donc m'égorgera ? Puis-je le demander ? IPHIGENIE Ceux qui ont cet office sont dans le sanctuaire. [126] Au XVII*e* siècle, les femmes se sont affirmées et surtout, la littérature a largement développé l'emprise qu'elles peuvent avoir sur les hommes. En ce qui concerne le théâtre, le public d'alors ne s'offusquait plus à l'idée qu'une femme puisse tremper ses mains dans le sang des autres. Les spectateurs avaient déjà vu par exemple Roxane décider de tuer l'innocent Bajazet [127], ou, comble d'horreur, Médée attenter à la vie de ses enfants [128]. Iphigénie pouvait donc mettre à mort des étrangers. Adapter une pièce antique sur la scène du XVII*e* siècle demandait donc certaines modifications. De surcroît, les dramaturges classiques devaient tenir compte de nouvelles règles dont le respect était un gage de réussite. C'est pourquoi, *Oreste et Pilade* présente des différences considérables en comparaison avec *Iphigénie en Tauride*. La tragédie d'Euripide proposait une trame simple : Iphigénie, transportée miraculeusement en Tauride, retrouve son frère contre toute attente et s'enfuit avec lui, et l'ami de celui-ci, par le biais d'un artifice. Toutefois, cela n'aurait pas suffit à retenir l'attention du public, et même celle des comédiens, du temps de La Grange-Chancel car, comme le rappelle Georges Forestier, « … le genre de la tragédie ne s'entendait guère au XVII*e* siècle sans enjeu amoureux ... [129] ». C'est ainsi qu'*Oreste et Pilade* s'ouvre sur la préparation d'un hymen entre le roi Thoas et la prêtresse Iphigénie. Cette union s'annonce de surcroît difficile car on apprend rapidement la réticence d'Iphigénie à ce mariage. À l'instar de la majorité des tragédies du siècle classique, un fil d'intrigue à caractère amoureux est donc mis en place. Dans *Iphigénie en Tauride* d'Euripide, il n'est jamais question d'amour entre les personnages. Thoas nomme même Iphigénie « la Grecque » et ne s'intéresse à elle qu'en sa qualité de prêtresse. La tragédie de La Grange-Chancel présente en outre un second amour, cette fois-ci réciproque et totalement absent chez Euripide. Il s'agit de l'amour soudain dont est frappé Pilade lors de sa rencontre avec Iphigénie (acte II, scène VII). Si Iphigénie se montre d'abord choquée par ses déclarations – son rôle auprès de la déesse Diane ne lui permettant pas d'écouter l'épanchement amoureux de Pilade sans rougir – le spectateur comprend vite qu'elle n'est pas insensible et qu'elle éprouve les mêmes sentiments que le jeune homme. Elle l'avoue d'ailleurs brièvement à Pilade aux vers 1330-1331. La tension est alors dédoublée : Thoas veut mettre à mort les Grecs – dont Pilade – afin de presser son union avec Iphigénie qui est tombée amoureuse de l'étranger menacé. Lors du cinquième acte, le personnage de Thomiris révèle à Thoas l'identité de ceux qu'il maintenait dans son Empire et dévoile l'hymen qui a uni Pilade et Iphigénie sur les navires des Sarmates. Ce couple ne se retrouve pas chez Euripide où Pylade arrive en Tauride déjà uni à une femme qui n'est autre qu'Electre, la sœur d'Iphigénie et d'Oreste. C'est d'ailleurs par l'évocation de celle-ci qu'Oreste parvient à dissuader son ami de le suivre dans la mort : « Tu auras des enfants de ma soeur que je t'ai donné pour épouse, et mon nom survivra, et l'on ne verra pas s'éteindre ma maison faute de descendants [130] ». De même lorsqu'Iphigénie demande des nouvelles d'Electre après avoir reconnu son frère, ce dernier lui répond : « Elle est la femme de Pylade, et vit heureuse avec lui [131] ». Les conventions classiques orientèrent donc en grande partie les modifications que se devait d'appliquer La Grange-Chancel. C'est pourquoi il créa également le personnage de Thomiris, fort utile à la composition de sa pièce dans le respect des nouvelles règles tragiques [132]. Notons en outre que les quatre stasimons [133] d'*Iphigénie en Tauride*, qui n'avaient plus leur place dans la pièce de notre auteur, furent remplacés par les interventions de Thomiris ou par des passages qui concernaient ce nouveau personnage. De plus, pour des raisons de vraisemblance et de bienséance, un élément de la tragédie d'Euripide ne figurent pas dans celle de La Grange-Chancel. Il s'agit bien entendu de l'intervention de la déesse Athéna, à la fin d'*Iphigénie en Tauride*, qui réussit à convaincre Thoas de laisser partir les trois Grecs sans éprouver de la colère et qui permet ainsi un dénouement heureux sans aucun mort. Comme nous l'avons déjà évoqué, ce principe de *deus ex machina* n'était pas bien vu en cette fin de XVII*e* siècle. La sagesse du roi dupé dans la pièce d'Euripide ne pouvait pas être conservée par La Grange-Chancel qui présentait son personnage comme un usurpateur violent tout au long de la pièce. C'est pourquoi, dans *Oreste et Pilade*, Thoas, furieux, décide de rejoindre le combat où il trouve finalement la mort. D'autres éléments moins importants présentent des différences entre les deux pièces. Par exemple, dans *Iphigénie en Tauride*, le peuple de Tauride reste fidèle au roi et celui-ci fait appel à lui pour être défendu : … vous tous, habitants de ce pays barbare, mettez la bride à vos chevaux, courez à la côte. Les épaves du navire grec seront pour vous. … Lancez aussi sur l'eau vos rapides canots. Poursuivons-les sur mer, et sur les terres avec nos chevaux, puis nous les saisirons, nous les lancerons du haut des rochers, ou bien nous les empalerons [134]. À l'inverse, dans *Oreste et Pilade*, le peuple des Scythes marque son opposition à Thoas en s'alliant aux Grecs et en respectant les ordres de Diane qui demande la protection des étrangers - ordres qui ne sont en fait qu'un artifice inventé par le personnage d'Iphigénie. Cette différence dans l'attitude du peuple à l'égard du roi s'explique aisément car dans la pièce d'Euripide le statut du roi n'est jamais remis en cause là où la tragédie de La Grange-Chancel insiste sur l'usurpation du trône par Thoas. Le peuple peut alors faire preuve de sédition. C'est cette différence qui définit également le comportement d'Iphigénie vis-à-vis de Thoas. En effet, dans *Iphigénie en Tauride* la prêtresse marque à plusieurs reprises son respect pour le roi, s'opposant même à ce que son frère le tue : ORESTE Ne pourrions-nous tuer le roi ? IPHIGENIE Qu'oses-tu proposer ? Tuer celui qui m'a reçue ? ORESTE Si c'est pour nous sauver tous deux, il faut courir le risque. IPHIGENIE J'admire ton audace, mais ne saurais m'y décider [135]. C'est un rapport tout autre qu'entretient Iphigénie et le roi dans *Oreste et Pilade*, la jeune femme n'ayant de cesse de qualifier celui qui la retient sur des terres étrangères, et qui veut lui imposer un mariage, de « tyran », de « cruel » ou encore de « barbare ». D'ailleurs, Thoas a bien plus d'importance dans *Oreste et Pilade* qu'il n'en a dans la tragédie d'Euripide. En effet, dans cette dernière, le roi n'apparaît qu'au quatrième épisode alors qu'il ouvre la pièce de La Grange-Chancel. Dans *Iphigénie en Tauride*, Thoas n'est pas un mauvais roi, sa place sur le trône n'est jamais remise en question alors que dans la tragédie classique un fil d'intrigue secondaire est basé sur son usurpation du trône. Chez Euripide, il fait confiance à Iphigénie et la respecte en sa qualité de prêtresse, ce qui permet à la jeune femme de lui mentir aisément. À l'inverse, dans *Oreste et Pilade*, Thoas est amoureux d'Iphigénie et il lui obéit en amant servile. Enfin, la tragédie de La Grange-Chancel accorda une grande place à l'hésitation du roi sur l'identité de son ennemi. Thoas s'entretient même longuement avec les Grecs afin de démêler la vérité. Pourtant, dans *Iphigénie en Tauride*, le roi ne se préoccupe guère de l'identité de ses victimes qu'il souhaite immoler selon la coutume au même titre que les infortunés qui les ont précédés. Thoas n'entre d'ailleurs jamais en contact avec eux puisque, les pensant impurs, il se cache les yeux pour éviter d'être souillé à leur vue. Il y aurait encore bien des différences à relever dans l'étude comparative des deux œuvres mais nous avons retenu les plus importants afin d'illustrer le travail de réécriture d'un texte antique destiné à être mis sur la scène d'un théâtre du XVII*e* siècle. Nous avons vu que si La Grange-Chancel conserva la trame d'*Iphigénie en Tauride*, il étoffa sa pièce en créant d'autres fils d'intrigues susceptibles d'intéresser les spectateurs. Il supprima au contraire les éléments qui auraient heurté le principe de vraisemblance cher aux classiques et il modifia à sa guise certains détails du texte-source, laissant libre cours à son imagination. ### Création d'un fil d'intrigue secondaire : le personnage de Thomiris. En 1630, dans sa *Lettre sur la règle des vingt-quatre heures*, Jean Chapelain affirmait : « Je pose donc pour fondement que l'imitation en tous Poèmes doit être si parfaite qu'il ne paraisse aucune différence entre la chose imitée et celle qui imite [136] ». Ce serait une grande méprise que de prendre cette assertion au pied de la lettre en l'interprétant comme contraire à la pensée classique dominante qui cherchait alors à atteindre « une imitation, non parfaite, mais perfectionniste [137] ». Au cours de son étude consacrée à ce sujet, Georges Forestier a démontré en quoi l'affirmation de Chapelain n'était « ni contradiction, ni reniement, ni même paradoxe [138] » mais que l'imitation parfaite proposait par le théoricien était en fait une imitation corrigée par la vraisemblance – donc parfaite – qui donnait l'illusion du vrai au spectateur. Et quoi de plus éminemment classique que cette pensée, à une époque où la tragédie du XVII*e* siècle avait mis au point des règles précises basées sur le principe fondateur de la vraisemblance et devant répondre à un second principe appelé bienséance ? Dès lors, tous les éléments développés dans les tragédies antiques ne pouvaient pas être calqués par les dramaturges classiques puis repris sur leur théâtre car comme l'affirmait Corneille dans l'un de ses *Discours*, « ce qui plaisait au dernier point à ces Athéniens ne plaît pas également à nos Français [139] ». C'est pourquoi les auteurs du XVII*e* siècle durent adapter leurs pièces aux convenances de leur temps. L'un des reproches que la critique formula à l'égard d'*Oreste et Pilade* visait le personnage de Thomiris, inventé par La Grange-Chancel. L'auteur précisait en effet dans la préface de sa tragédie qu'il « ne répondrait pas seulement à la mauvaise critique de ceux qui avoient condamné Thoas et Thomiris [140] ». Les Frères Parfaict reprirent, quelques années plus tard, le jugement sévère sur ces personnages puisqu'ils déclarèrent : Rien n'est plus manqué que les caractères de Thoas et de Thomiris. … À l'égard de Thomiris, sans amour pour Thoas, et sans intérêt pour Oreste, elle se démène et fait des menaces, comme si le destin des Acteurs dépendoit d'elle [141]. Certes, Thomiris ne nourrit pas de sentiments pour le roi, comme l'aurait voulu La Harpe qui compare le personnage de La Grange-Chancel à Hermione dans *Andromaque* de Racine. Les deux femmes se trouvent effectivement dans une situation semblable : promises au souverain, elles voient ce dernier leur proposer de rompre leur engagement afin d'épouser une captive. Bafouées, elles conspirent contre le roi jusqu'à obtenir – dans les deux cas par le biais d'Oreste – la mort du tyran. Toutefois, si Thomiris a la fierté d'Hermione, elle ne partage nullement sa passion amoureuse. Elle est animée par le désir de conserver un royaume qui lui revient de droit et de se venger de l'affront que lui impose Thoas. Sa passion est donc celle de la vengeance ; même s'il est vrai que la pièce aurait pu être éminemment plus tragique si Thomiris, en plus de risquer de perdre son trône, avait risqué de perdre celui qu'elle aimait. La seconde critique que font les Frères Parfaict, concernant son absence d'intérêt pour Oreste, est également fondée. À la scène IV de l'acte III, la princesse de Tauride s'entretient brièvement avec le jeune Grec et l'implore de cacher son identité. Oreste croit d'ailleurs que Thomiris est sensible à ses malheurs (vers 803-806 ; 821). En fait, Thomiris compte se servir d'Oreste afin de retarder son éviction de Tauride. Elle sort de surcroît de scène en menaçant celui dont elle se sert comme bouclier (vers 819-820). Toutefois, malgré les défauts de ce personnage sur lesquels la critique insista, l'invention de Thomiris était tout à fait utile, et même nécessaire, au bon déroulement de la pièce. Dans sa première préface, La Grange-Chancel ne donna pas de véritable explication au personnage de Thomiris. Il se contenta de dire : « Je me suis assez bien trouvé de Thomiris pour ne m'en pas repentir [142] ». Il fallut donc attendre 1734 pour obtenir plus de détails sur cette invention. L'auteur s'expliqua ainsi : Les anciens Poëtes ne faisoient point difficulté d'employer le secours d'une machine quand les autres ressources leur manquoient. Mais ce qui étoit toleré parmi eux, feroit échoüer aujourd'hui la plus belle de nos Tragedies. [143] Il s'agissait donc d'éviter le *deus ex machina* présent dans la pièce d'Euripide. Pourtant, l'issue heureuse de la tragédie ne pouvait être modifiée sans dénaturer totalement le sujet. Il était donc inévitable que Oreste, Pilade et Iphigénie puissent quitter la Tauride pour rentrer dans leur pays natal. Il était indispensable également qu'Oreste reparte avec la statue de Diane sur laquelle reposait l'expiation de son matricide et la paix de ses jours. Cette fin, basée sur un coup de théâtre, devait être inchangée ; d'autant plus que ce type de pièce était considéré par Aristote comme le meilleur possible. Cependant, Aristote précisait tout de même que le coup de théâtre devait reposer sur un enchaînement d'actions et il condamnait le hasard et les interventions divines. C'est ainsi que La Grange-Chancel adopta le mode d'écriture mis au point par Corneille avec sa tragédie *Cinna* (1642) : le dénouement rabattu. Le point de départ pour bâtir *Oreste et Pilade* était donc la fin ; l'auteur pouvait dès lors se permettre toutes les inventions du moment que l'issue heureuse était respectée. Tout consistait alors à organiser convenablement la *dispositio* de la pièce. La Grange-Chancel créa donc le personnage de Thomiris afin de conserver l'action complexe prônée par Aristote, celle qui faisait passer du malheur au bonheur par le biais d'un coup de théâtre compréhensible. Ainsi naquit le personnage de la jeune princesse éloignée du royaume de son défunt père par un homme peu scrupuleux épris d'une autre femme. Cela mit en place un fil d'intrigue secondaire fondé sur un intérêt politique. La Grange-Chancel qui avait tant lu Corneille devait bien savoir que, selon le grand dramaturge, la dignité de la tragédie « demande quelque grand intérêt d'Etat [144] ». La princesse de sang royal prenait donc à sa charge la passion de la vengeance et la crainte de voir triompher un usurpateur. Cette idée provenait d'ailleurs notablement de l'épisode de Dircé dans l'*Œdipe* de Corneille. En 1659, le dramaturge emprunta ce sujet à l'Antiquité tout en l'adaptant au public de son temps, notamment en inventant un nouveau personnage nommé Dircé. Tout à fait intégré à l'intrigue de la tragédie, ce personnage se trouvait dans la même position face à Œdipe que Thomiris se retrouverait, presque quarante ans plus tard, face au tyran Thoas. Fille du défunt roi Laïus, Dircé est l'héritière d'un trône qu'elle voit occupé par un roi qui s'est fait roi. Thomiris est exactement dans la même situation et elle s'intègre donc totalement à l'action principale puisque son but est d'empêcher, ou tout du moins de retarder, l'union entre Thoas et Iphigénie. L'auteur quant à lui affirmait son adhésion à la monarchie autoritaire de Louis XIV en rendant le trône à Thomiris à la fin de la pièce. Toutefois, l'intérêt majeur du personnage de Thomiris fut bel et bien d'amener le dénouement d'une façon autre que par l'intervention d'un dieu ou d'une déesse. C'est donc ce personnage qui permit dans la pièce la fuite des Grecs sur les vaisseaux des Sarmates. La Grange-Chancel emprunta un procédé dramatique précis pour permettre à Iphigénie de rejoindre les navires sans se faire remarquer : le déguisement [145]. C'est sous les voiles de Thomiris que la prêtresse put s'enfuir du royaume ; de même que c'est par l'intervention de la princesse qu'Oreste et Pilade, à qui elle avait remis la statue de Diane, purent s'échapper. Enfin, nous ne pouvons manquer de relever l'influence qu'eut une nouvelle fois Racine sur La Grange-Chancel dans cette invention d'un personnage féminin. Notre poète le revendiqua d'ailleurs lui-même : Je vis que l'Episode d'Eriphile avoit été heureusement substituée par M. Racine à la Biche miraculeuse dont Euripide s'étoit servi pour sa catastrophe. Je crus que la Minerve qu'il employe également pour dénoüer sa seconde Tragedie, pouvoit être remplacée avec la même vraisemblance par une Princesse interessée à l'action principale, et capable de me fournir ce qui manquoit à mon sujet [146]. En effet, lors de la création d'*Iphigénie* en 1674, Racine se trouva dans une situation semblable à celle de La Grange-Chancel. Le texte d'Euripide fournissait à l'éminent dramaturge une pièce reposant sur un coup de théâtre, mais sur un coup de théâtre faisant intervenir un dieu et une scène de machine. Ce retournement de situation, certes heureux pour le personnage éponyme, ne reposait pas sur une logique mise en place durant la pièce mais sur un merveilleux hasard. Cela n'était pas convenable pour le théâtre classique et c'est pourquoi Racine inventa le personnage d'Eriphile. Ainsi, lorsque l'oracle de Calchas annonce à Agamemnon qu'une fille du sang d'Hélène doit être sacrifiée pour permettre à l'expédition troyenne d'avoir lieu, le roi d'Argos et de Mycène pense directement à sa fille. Iphigénie est donc conduite sur le bûcher et juste avant d'être mise à mort, Calchas révèle que ce n'est pas à elle d'être sacrifiée mais à Eriphile, que Racine fait fille naturelle d'Hélène, nommée de surcroît à sa naissance Iphigénie. Le coup de théâtre est donc total et vraisemblable. La douce et innocente Iphigénie est épargnée tandis que la jalouse et négative Eriphile est mise à mort. Ce fut donc pour conserver le dénouement heureux de la pièce d'Euripide, c'est à dire le fait qu'Iphigénie soit sauvée, tout en évitant le recours à un *deux ex machina*, que Racine créa ce nouveau personnage. De fait, Thomiris semble être un combiné de Dircé et d'Eriphile. # Étude de la structure dramaturgique de la pièce. Bien qu'*Oreste et Pilade* rencontrât un succès honorable jusqu'au premier tiers du XVIII*e* siècle, cette pièce est aujourd'hui tombée dans l'oubli, à l'instar des autres tragédies de La Grange-Chancel et de l'auteur lui-même, effacé en partie de l'histoire littéraire et théâtrale. Les raisons de l'accueil favorable du public pour cette seconde tragédie ne nous sont pas parvenues, exceptées les dernières performances de la Champmeslé. C'est pourquoi l'étude de la structure dramaturgique de la pièce devait nous permettre de mettre en lumière les qualités de celle-ci, susceptibles d'avoir susciter l'intérêt des spectateurs. D'autant plus que La Grange-Chancel n'avait de cesse de vanter ses talents à appliquer les préceptes classiques et « ces règles si judicieusement établies [147] ». ## La structure interne d'*Oreste et Pilade*. La structure interne d'une pièce correspond aux relations qu'entretiennent les différentes parties qui la composent. Dans son *Introduction à l'analyse des textes classiques*, Georges Forestier explique qu'une pièce est divisée en rapports structurels et macrostructurels. Chaque pièce doit donc former un ensemble, un tout comportant « un commencement, un milieu et une fin [148] ». Nous parlerons, en termes dramaturgiques, d'une exposition, d'un nœud et d'un dénouement. ### L'exposition. En 1674, Nicolas Boileau proclamait : Que dès les premiers vers l'action préparée Sans peine du sujet aplanisse l'entrée [149]. Deux siècles et demi plus tard, René Bray caractérisait l'exposition comme étant « le premier moment du poème dramatique [150] ». Dans *Oreste et Pilade*, l'exposition ouvre effectivement la pièce *in medias res* et de la façon la plus répandue, à savoir une scène entre l'un des héros principaux et son confident. La définition la plus complète que nous ayons trouvé provient du manuscrit 559 de la Bibliothèque Nationale qui fixe l'exposition comme devant « instruire le spectateur du sujet et de ses principales circonstances, du lieu de la scène et même de l'heure où commence l'action, du nom de l'état, du caractère et des intérêts de tous les personnages principaux [151] ». À partir de cela, nous pouvons étudier l'exposition de notre tragédie. Tout d'abord, Thoas expose bien les principaux faits de l'intrigue à l'un de ses ministres d'États qui l'écoutent. Afin de ne pas ôter toute vraisemblance à sa pièce, La Grange-Chancel a utilisé le personnage d'Hidaspe pour recevoir la confidence des éléments qui vont se jouer sur la scène. Celui-ci n'est pas au courant des soucis de son roi et c'est pourquoi il insiste pour en être informé (vers 32-35). Ainsi, Thoas peut évoquer les principaux motifs de sa crainte, à savoir l'oracle d'Apollon qui lui avait prédit, un an auparavant, sa chute fatale à la suite de la venue en Tauride d'un dénommé Oreste ; ainsi que la tension que représente Thomiris, qu'il a juré d'épouser avant de tomber amoureux de la prêtresse Iphigénie. Le sujet est donc posé. Il sera complété à la scène V du premier acte lorsque le personnage d'Iphigénie avouera à sa confidente Cyane le second élément de l'intrigue, c'est à dire son mensonge à Thoas sur leur hymen qu'elle a dit désavoué par la déesse Diane et sur la nécessité de sauver le Grec condamné à être immolé. De plus, l'exposition d'*Oreste et Pilade* permet de connaître le lieu où se déroule la pièce puisque le peuple des Scythes est évoqué à deux reprises (vers 7 et 55) et que Thoas annonce qu'il règne sur la Tauride (vers 70). L'heure précise à laquelle commence l'action n'est pas donnée mais le premier vers est assez explicite : Hidaspe signale au roi que « voicy le jour si longtemps souhaité ». Le spectateur peut alors aisément imaginer qu'il s'agit du début de la journée. Enfin, les principaux personnages sont présentés dès l'acte I. Hidaspe rappelle l'arrivée d'Iphigénie en Tauride sous la tutelle de la déesse Diane (vers 11-13), Thoas évoque sa qualité de prêtresse (vers 62) et son caractère orgueilleux (vers 76) et nous avons vu les intérêts de ce personnage exposés à la scène V. Oreste n'entrera en scène qu'à partir de l'acte III mais la tension qu'il représente est largement mise en avant dès le premier acte, que ce soit par l'oracle d'Apollon (vers 85-91) ou par les dires d'Anthenor qui revient de Grèce et qui annonce l'arrivée imminente de ce personnage maudit durant toute la scène II. Cette même scène permet d'apprendre les intentions d'Oreste, à savoir voler la statue de Diane (vers 148) et de mettre en place son caractère courageux et brave puisque « Ce Prince, de la peur, ne connoist que le nom ». Le personnage de Thomiris est également présenté pendant l'acte I. Le spectateur est informé de son rang de reine de Tauride duquel elle est écartée par Thoas épris d'Iphigénie et de l'obstacle qu'elle représente à l'hymen tant désiré par le roi (vers 49). Il est difficile de rendre une exposition intéressante et surtout vraisemblable lorsqu'un personnage fait le récit d'éléments à un second personnage qui en est déjà forcément informé. C'est ce qui se passe dès la première réplique quand Hidaspe rappelle à Thoas sa qualité de roi et les circonstances de sa montée sur le trône, ce que l'intéressé ne peut que connaitre. Toutefois, il faut bien en informer le spectateur. Ainsi, pour ne pas choquer la vraisemblance, La Grange-Chancel use d'un artifice qui consiste à faire répondre Thoas par une réplique qui montre que le roi n'a pas écouté son ministre et qu'il pensait à autre chose. En effet, après qu'Hidaspe a évoqué l'accord des Scythes pour que Thoas soit leur roi, l'arrivée d'Iphigénie et la présence des ambassadeurs Sarmates en Tauride, Thoas demande, sans lien aucun : A-t-on tout préparé ? verray-je la Princesse, C'est ce même artifice dont s'était servi Racine pour l'exposition de son *Iphigénie* en 1674. Afin de présenter le personnage d'Agamemnon, l'auteur avait fait parler Arcas sur les origines, le statut de « roi, père, époux heureux » (vers 17) et les différentes qualités de celui-ci ; ce à quoi Agamemnon avait répliqué, trop perturbé par la pensée de sa fille qu'il devait mener au sacrifice : Non, tu ne mourras point, je n'y puis consentir (vers 40). Enfin, si bien souvent l'exposition des pièces du XVII*e* siècle se terminait avec la fin du premier acte [152], les auteurs avaient parfois besoin de l'étendre d'avantage. Ce fut le cas de La Grange-Chancel qui, pour la composition d'*Oreste et Pilade*, ne souhaitait introduire certains personnages qu'au début de l'acte II, en l'occurrence Thomiris et sa confidente Erine (scène I), ainsi que Pilade (scène V). Thomiris était déjà connue par certaines informations posées dès la première scène de l'acte I, « mais l'introduction d'un nouveau héros à l'acte II entraîne souvent un renouveau d'exposition [153] ». Ainsi, le deuxième acte permet de poursuivre l'exposition et d'informer le spectateur d'un fil d'intrigue secondaire : Thomiris qui se sait bafouée par Thoas veut se venger du tyran. L'exposition obéit donc à toutes les règles : elle évoque le passé utile à la compréhension de ce qui va se dérouler sur scène, informe le spectateur des éléments principaux et définit les caractéristiques de la majorité des personnages. ### Le nœud. Le nœud constitue le cœur de l'intrigue, celle-ci résultant de la combinaison de l'action principale et des éventuels épisodes, et se développant de l'exposition au dénouement. Ainsi, le nœud correspond au moment où les différents fils tissés depuis l'exposition se nouent entre eux et c'est « ce qui sera dénoué à la fin de la pièce [154] ». L'un des éléments essentiels à la composition du nœud dans une pièce est donc la présence d'obstacles car, comme l'écrivait Jacques Scherer, « l'homme heureux n'a pas d'histoire [155] ». Ces obstacles sont de deux ordres ; le plus récurrent étant l'obstacle extérieur caractérisé par la volonté d'un héros se heurtant à celle d'un autre. Dans *Oreste et Pilade*, le personnage de Thoas représente parfaitement l'obstacle extérieur. En outre, le roi est une entrave particulière aux tragédies du XVII*e* siècle ; « … c'est lui, présent dans la pièce ou dissimulé derrière des idées, qui constitue l'obstacle fondamental auquel se heurtent les aspirations des jeunes héros [156] ». Par exemple, le désir de Thomiris de monter sur le trône pour régner sur la Tauride, à l'instar du feu roi son père, est confronté à la volonté de Thoas d'épouser une autre femme qu'elle et de l'éloigner du pays. De même, le roi usurpateur est envisagé comme un obstacle extérieur au bonheur d'Iphigénie. En effet, en voulant imposer un hymen à la jeune femme, Thoas va à l'encontre du souhait de la prêtresse qui est de rester fidèle au culte de Diane jusqu'à ce qu'elle trouve le moyen de retourner en Grèce auprès des siens. Le roi est présenté comme un tyran ; « il est alors un tel obstacle au bonheur des héros qu'on ne se débarrasse de lui qu'en le tuant [157] ». Cependant, le personnage de Thoas rencontre également un obstacle extérieur en la personne d'Iphigénie. Celle-ci n'éprouve aucun amour pour lui, cherche à le fuir ou à le faire constamment changer d'avis. L'amour non réciproque qui consume le roi est un des obstacles les plus récurrents du théâtre classique ; d'où l'interrogation rhétorique de Jacques Scherer : « dans l'être qu'on aime, est-il obstacle plus grand que l'absence d'amour ? [158] ». La tragédie *Oreste et Pilade* propose également un obstacle d'ordre intérieur. Ce dernier se caractérise par le malheur d'un héros émanant d'un sentiment ou d'une passion qu'il a en lui. Ainsi, ce type d'entrave n'est possible qu'à condition que celui qui en est touché l'accepte et refuse de lutter contre. Dans la pièce de La Grange-Chancel, Iphigénie est confrontée à un obstacle intérieur à partir du moment où elle se laisse déborder par son désir de vengeance. En voulant sacrifier le second Grec arrivé en Tauride, la prêtresse ne pense qu'à venger la mort de sa mère, Clytemnestre, dont l'étranger a admis être responsable. Elle ne réfléchit plus au fait que cet acte pourrait causer son malheur en précipitant son union avec Thoas qui n'attend que la mort de l'ennemi pour célébrer leur hymen. C'est ce que lui rappelle sa confidente Cyane aux vers 1169-1171. Dès lors, que ce soit par des obstacles extérieurs ou intérieurs, le nœud correspond à la définition qu'en donne Georges Forestier, à savoir « la relation qui s'établit entre la volonté, le désir, d'un ou de plusieurs personnages, et les *obstacles* … qui s'opposent à leur réalisation ; autrement dit, une situation de blocage qui provoque la crise [159] ». Cependant, les obstacles ne pourraient à eux seuls constituer toute l'intrigue d'une pièce, étant donné qu'ils sont mis en place par le dramaturge afin que les personnages les surmontent. En outre, une pièce de théâtre ne pouvant être que difficilement identique de la première scène à la dernière, elle comporte un nombre assez important de péripéties qui apportent du changement. Ces péripéties correspondent à des changements de fortune qui relancent l'action tragique alors que celle-ci semblait être bloquée. Jacques Scherer en donnait la définition suivante : « les péripéties sont des événements imprévus, créateurs de surprise [160] ». Par exemple, au moment où Thoas se réjouissait du sacrifice imminent du Grec qu'il prenait pour Oreste – il s'agissait en fait de Pilade – et qui allait lui permettre d'épouser Iphigénie et de régner sur la Tauride, la prêtresse venue d'Aulide mettait en place un mensonge pour débloquer sa propre situation malheureuse. Il s'agit là de l'obstacle qui constitue le nœud. Iphigénie fait en effet croire à Thoas que l'union qu'il souhaitait établir avec elle est impossible car désapprouvée par la déesse Diane. Elle ajoute également que le Grec qu'il voulait immoler est protégé par la même déesse et qu'il faut le renvoyer dans son pays. Iphigénie espère ainsi de l'étranger qu'il porte une lettre à Agamemnon pour que celui-ci vienne la délivrer. La scène 3 de l'acte I apporte donc un premier changement de situation par une première péripétie. Toutefois, contre toute attente – du moins pour des spectateurs non avertis – Pilade refuse de retourner en Grèce et préfère mourir sur les terres des Taures. Ainsi il annonce au roi que si la Tauride n'a point connu sa victoire, elle verra son trépas (vers 556-557). C'est alors que la fortune d'Iphigénie bascule à nouveau dans le malheur et attise la crainte des spectateurs. Une troisième péripétie redonne espoir à la prêtresse mais plonge par la même occasion Thomiris dans le désespoir. En effet, à l'arrivée d'Oreste en Tauride, Iphigénie voit l'occasion de sacrifier cet inconnu et d'épargner l'autre dont elle s'est éprise entre temps. Thomiris quant à elle pense que son sort va être précipité puisque par ce sacrifice elle sera définitivement écartée du trône. On le voit, « il faut en outre que l'événement imprévu soit un 'changement de fortune', c'est à dire qu'il modifie, non pas seulement la situation matérielle des héros, mais leur situation psychologique ; les sentiments et même les décisions des héros devront être changés par les péripéties [161] ». Les personnages victimes d'un retournement de situation se voient tous en prise à la crainte et se livrent alors à des plaintes sur leur sort. Thoas, par exemple, s'exclame après les révélations mensongères d'Iphigénie : Où se replonge, ô Ciel ! mon ame épouvantée ? Toujours entre la crainte et l'espoir agité, Ne peut-elle entrevoir un avenir certain ? (vers 221-223). Ces trois vers illustrent bien les changements d'humeur successifs dont sont victimes les caractères tragiques. De même, Iphigénie est fort inquiète après le refus de Pilade de retourner en Grèce et elle tente alors de ramener le jeune homme à la raison de peur de voir s'écrouler son projet (vers 581-584). Thomiris est également troublée par l'arrivée d'un second Grec et elle s'en plaint à sa confidente car elle se pense alors perdue (vers 708-710). La reine bafouée va donc encourager une quatrième péripétie en implorant Oreste de ne révéler à personne son identité (vers 813-815). Un nouvel obstacle extérieur est donc mis en place et se répercute sur les volontés de Thoas et d'Iphigénie à partir du moment où Oreste se décide à taire quel il est (acte III, scène 5). La situation restera dès lors bloquée – Oreste cachant un temps son identité puis se la disputant avec son ami Pilade, embrouillant ainsi l'esprit de Thoas et retardant leur mise à mort – et cela prendra fin avec la scène de reconnaissance entre le frère et la sœur. Après ces nombreux rebondissements, le véritable coup de théâtre arrive à l'acte V et est caractérisé par la fuite d'Iphigénie sous les voiles de Thomiris ; ce qui entraîne le dénouement. La Grange-Chancel n'a donc pas lésiné sur les péripéties dont est riche sa tragédie. Nous pouvons aisément supposer que ces multiples retournements de situation furent une force lors des représentations de la pièce, le but ultime de la tragédie étant d'émouvoir le public en lui faisant ressentir une gamme d'émotions violentes. Les nombreux coups de théâtre tenaient le spectateur dans l'attente continuelle du dénouement qui se faisait autre à chaque péripétie. Ce que l'on nommerait de nos jours *suspense* était appelé au XVII*e* siècle *suspension*. Le Père Rapin écrivait ainsi que « le plaisir des spectateurs est d'attendre toujours quelque chose de surprenant, et de contraire à leurs préjugés. Et rien ne doit tant régner dans le théâtre que la suspension : parce que le principal plaisir qu'on y prend est la surprise [162] ». Les péripéties attisaient la curiosité du public et lui faisaient éprouver les deux émotions qui se trouvent au cœur du dispositif pathétique de la tragédie et qui furent analysées par Aristote : la crainte et la pitié [163]. Le spectateur connaissait alors les mêmes émotions que celles éprouvaient par les personnages de la pièce et il était dans l'émotion continue. ### Le dénouement. Aristote définissait le dénouement comme « ce qui va du commencement du renversement du bonheur au malheur ou du malheur au bonheur jusqu'à la fin [164] » mais Aristote, comme le rappelle Georges Forestier dans son *Introduction à l'analyse des textes classiques*, faisait se confondre la péripétie et le dénouement [165]. C'est pourquoi nous suivrons plutôt la définition de Georges Forestier qui explique que le dénouement consiste en « la résolution des obstacles qui constituaient le nœud » ainsi qu'en « l'effacement des conséquences immédiates de la péripétie [166] ». Cette même explication se retrouve chez Marmontel qui remarquait à propos du dénouement la chose suivante : « C'est le point où aboutit et se résout une intrigue …. Le dénouement … est un événement qui tranche le fil de l'action, par la cessation des périls et des obstacles … ». Ce dernier point de la tragédie est donc intimement lié au nœud de la pièce. Il est l'aboutissement à une situation stable, heureuse ou malheureuse, mais détachée des luttes de puissances adversaires qui fondaient le nœud. Le dénouement est donc séparé de la péripétie même s'il découle généralement de celle-ci. Le dénouement d'*Oreste et Pilade* est amené par deux péripéties successives ; il s'agit donc d'une action complexe comme l'explique Aristote au chapitre X de sa *Poétique*. L'acte V s'ouvre avec le personnage de Thoas, inquiet et impatient, qui attend la venue d'Hidaspe. Ce dernier entre en scène pour annoncer le succès de la fuite forcée de Thomiris et le roi, apaisé, voit dans le jour qui se lève l'aboutissement de ses souhaits les plus chers. Le premier rebondissement qui va conduire au dénouement repose sur l'entrée fracassante de Taxis qui vient annoncer à Thoas que ce n'est pas Thomiris qui a été conduite aux vaisseaux des Sarmates mais Iphigénie, rejointe par Oreste et par Pilade, qui ont de surcroît réussi à se procurer la statue de Diane. La situation semble alors heureuse pour les « Gentils » et malheureuse pour le tyran Thoas. Cependant, une seconde péripétie est annoncé de nouveau par Taxis (scène VI) qui explique qu'une tempête retient les fugitifs sur le port et qu'il est encore temps de les rattraper. Ce rebondissement, qui plonge les spectateurs dans l'angoisse, est un retournement heureux pour Thoas qui quitte le théâtre en promettant la mort des Grecs (vers 1588). Dans le cas d'une tragédie à dénouement heureux, cela permettait d'introduire une menace nouvelle, destinée à être conjurée à la fin de la pièce, donnant de ce fait plus de force à la joie finale. En effet, cette fausse catastrophe malheureuse n'était créée que pour prévenir une fin tout à fait heureuse. Pour le dramaturge, il s'agissait d'inventer des rebondissements qui n'inversaient pas le cours des actions, tout au long de la pièce, jusqu'à la mise en place du coup de théâtre final. C'est par un récit d'Anthenor, contenu dans l'ultime scène de la pièce, que les spectateurs sont informés de l'issue d'*Oreste et Pilade*. La Grange-Chancel proposa un récit concis, sans fioriture ou détail inutile qui auraient pu lasser le spectateur qui était « dans l'impatience de voir la fin [167] ». Le dénouement est donc rapporté après qu'il ait eu lieu ; un procédé récurrent dans le théâtre classique. En effet, pour des raisons de vraisemblance, il était impossible de le représenter sur la scène étant donné qu'il se déroulait à l'extérieur, ce qui aurait rompu l'unité de lieu. De plus, pour des raisons de bienséance il était tout aussi déconseillé de montrer aux yeux du public une bataille sanglante et mortelle. Anthenor explique effectivement que « jamais jour aux mortels ne parut plus funeste » (vers 1624). Une tragédie à dénouement heureux n'est donc pas forcément exempte de morts et de sang. Si un personnage a commis le mal, s'il se range dans la catégorie des *méchants*, alors il faut que la fin le punisse : le châtiment suprême étant la mort. Au XVII*e* siècle, cette nécessité était directement liée à l'objectif premier que s'était donné l'art de cette époque, à savoir « acheminer l'homme à la vertu [168] ». Depuis la Renaissance et jusqu'à la fin du XVII*e* siècle, l'idée était de faire triompher le bien ; d'où la mort justifiée de Thoas qui s'était conduit à bien des égards en tyran et celle d'Hidaspe, personnage qui ne commet pas directement de crimes dans la pièce mais qui se range du côté du mal et de l'injustice du roi. La punition doit se faire à tous les niveaux. C'est ce que théorisait La Mesnardière dans ses *Lettres curieuses* : … si le sujet est tel que le principal personnage soit absolument vicieux, ce qu'on tâchera d'éviter … il ne faut pas que ses crimes soient exempts d'un châtiment qui donne beaucoup de terreur ; et même il faut s'il est possible, que les mauvaises actions paraissent toujours punies … non seulement en la personne qui est la plus considérable, mais encore dans les moindres [169]. Dès lors, la mort trouve parfaitement sa place dans une tragédie à dénouement heureux où les personnages vertueux accèdent au bonheur par le décès d'un personnage tyrannique [170]. Longtemps l'apanage de la tragi-comédie, le dénouement heureux fut intégré à la tragédie en même temps que la renaissance de ce genre en 1634. Bien qu'Aristote ne plaçât pas explicitement le dénouement heureux parmi les fins possibles de la tragédie, comme l'affirma pourtant Sarrasin en 1639 [171], il ne l'exclut jamais non plus de son traité. En outre, Aristote considérait bel et bien Euripide comme *le plus tragique des poètes* alors même que le dramaturge Grec avait écrit de nombreuses tragédies à fin heureuse [172]. L'adaptation d'*Iphigénie en Tauride* que fit La Grange-Chancel n'écarta donc pas un dénouement tout à fait crédité par les règles classiques. Notre auteur emprunta de surcroît le schéma développé à maintes reprises par Corneille à savoir « le personnage antipathique, qui est un tyran ou un traitre, est tué, et par cette mort les personnages sympathiques sont heureux et peuvent conclure les mariages qui étaient auparavant impossibles [173] ». En effet, Thoas étant mort, Iphigénie est libérée de l'union avec le tyran qui pesait au dessus de sa tête et elle peut dès lors vivre son amour avec Pilade, un amour subitement arrivé au cours de la pièce. En outre, La Grange-Chancel appliqua le principe du dénouement nécessaire et non dû au hasard ou à l'intervention des dieux. Il fit appel à la nature tout en ayant recours au merveilleux, un procédé énoncé par Jean-Marie Clément, plus d'un siècle plus tard, en ces termes : « Le dénouement doit être un effet merveilleux, mais vraisemblable, d'une cause naturelle [174] ». La fin d'*Oreste et Pilade* repose en effet – par le biais du récit – sur un merveilleux tragique lié à un effet de surprise découlant de la péripétie. Il s'agit donc d'un merveilleux poétique défini par Georges Forestier comme « celui dans lequel la surprise reste dans le cadre du vraisemblable [175] ». Nous ne pouvons alors manquer d'évoquer le principe de merveille dans le sens où l'entendait Chapelain qui avait développé une « poétique de la merveille sans merveilleux [176] ». Ce théoricien du XVII*e* siècle synthétisa sa pensée dans un ouvrage intitulé *Discours de la poésie représentative* qu'il présenta à l'Académie Française aux environs de 1635. Il expliqua alors que « la poésie dramatique ou représentative c'est à dire le théâtre a pour objet l'imitation des actions humaines, pour condition nécessaire la vraisemblance, et la merveille pour sa perfection. Du judicieux mélange de la vraisemblance et de la merveille naît l'excellence des ouvrages de ce genre-là, et c'est deux choses appartiennent à l'invention [177] ». Ce procédé s'accordait totalement au goût du public du XVII*e* siècle pour les éléments spectaculaires. Les spectateurs venaient au théâtre pour assister à un spectacle et les dramaturges se devaient de satisfaire ce plaisir des yeux. Pour certaines pièces, les contraintes de l'unité de lieu et du principe de vraisemblance, ajoutées au manque de moyens financiers des troupes, obligeaient un des personnages à se charger du récit. Pour d'autres, les grands récits finals – comme celui qui conclu l'*Iphigénie* de Racine – jouaient sur le pouvoir d'évocation du langage soutenu par la rhétorique. La Grange-Chancel s'est largement inspiré de Racine pour le dénouement d'*Oreste et Pilade*, lui empruntant le « cataclysme cosmique [178] » de son *Iphigénie*. Les éléments surnaturels sont évoqués mais ils ne sont pas montrés sur scène ; ils sont seulement imaginés par le spectateur à partir des dires d'Anthenor, témoin émerveillé de l'événement. Le personnage raconte alors, fasciné, ce qu'il a vu (vers 1649-1652). Le sang versé de Thoas a miraculeusement fait s'apaiser la nature, rendant dès lors possible le départ des Grecs vers leur patrie. Le même procédé avait été utilisé par Racine en 1674 mais, à l'inverse de la pièce de La Grange-Chancel, le sang versé d'Eriphile ne calmait pas les éléments mais les réveillait au contraire pour permettre l'embarquement des troupes pour Troie. A peine son sang coule et fait rougir la terre, Les dieux font sur l'autel entendre le tonnerre ; Les vents agitent l'air d'heureux frémissements, Et la mer leur répond par ses mugissements ; La rive au loin gémit, blanchissante d'écume. La flamme du bûcher d'elle-même s'allume. (*Iphigénie*, vers 1777-1782). Le dénouement d'*Oreste et Pilade* est donc complet, riche d'une issue heureuse et d'un recours au miracle de la nature : rien n'est laissé dans l'ombre par notre auteur tant attaché aux dogmes du classicisme. ## Le respect des règles classiques. Les différentes règles ayant trait aux unités dramaturgiques d'une pièce ont longtemps été considérées comme un ensemble et envisagée dès lors sous le même angle. Cette idée de bloc s'est mis en place à partir du XVII*e* siècle comme le souligne le fameux passage de l'*Art Poétique* de Boileau : Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli [179]. Certains critiques et essayistes tentent depuis le début du XX*e* siècle de réparer cette méprise, qui persiste encore de nos jours dans certains manuels scolaires. René Bray le premier insista sur la nécessité de dissocier ce que l'on trouve souvent sous le nom de *règle des trois unités* : « La règle des trois unités est habituellement considérée en bloc. Aux yeux de bien des gens, elle représente toute la doctrine classique …. Or, il ne suffit pas de la remettre à sa place, qui n'est que secondaire, il faut la dissocier …. En réalité, elle n'a pas l'unité historique et logique qu'on lui suppose [180] ». C'est pourquoi, dans une démarche d'étude de la dramaturgie d'*Oreste et Pilade*, nous nous attacherons à adopter une certaine distance vis-à-vis des unités de temps, de lieu et d'action qui composent la pièce. ### L'unité de temps. Cette unité fut la première à s'imposer aux critiques et aux auteurs classiques grâce à une exigence simple à énoncer : les événements de la pièce doivent se dérouler en temps limité. En effet, reproduire un long espace temps (des mois voire des années) en quelques heures de représentation théâtrale semblaient absurdes et ridicules au regard du principe de vraisemblance [181]. À la fin du XVII*e* siècle, l'unité de temps pour une tragédie était majoritairement celle des vingt-quatre heures, artificielles ou temporelles selon qu'elles suivaient ou non le cycle solaire. Dès lors, afin de donner l'impression au public que cette durée était vraisemblable, les entractes étaient mises à profit pour étendre la durée d'une représentation. Les dramaturges qui respectaient l'unité de temps « ne se faisaient pas faute de souligner fréquemment ce respect par des allusions aux différents moments de la journée ou de la nuit [182] ». C'est pourquoi, même si en 1697 la règle s'était déjà imposée et n'attirait plus l'attention sur elle, La Grange-Chancel se plut à déterminer par de nombreux indices la temporalité d'*Oreste et Pilade*. La pièce s'ouvre d'ailleurs par une indication de la sorte *Seigneur, voicy le jour si longtemps souhaité*, vers 1. Ainsi, la tragédie commence au début d'une journée et la tension entre les vingt-quatre heures temporelles et celles dites artificielles est particulièrement présente dans cette tragédie. En effet, le spectateur était informé dans un premier temps que l'action se terminerait « ce soir » (v. 474), c'est à dire à la fin du jour solaire. Le départ de Thomiris, obstacle à l'union entre Thoas et Iphigénie, que le roi avait placé à la fin de la journée lors de l'embarquement des Ambassadeurs Sarmates, devait mettre un terme à la pièce. Thomiris l'avait compris ; c'est pourquoi, ayant eu l'idée d'un subterfuge [183], elle faisait dire à Thoas qu'elle partirait dans la nuit afin de le rendre maître absolu le lendemain (vers 764-765). La princesse avait déjà compris que son sort – et par la même occasion celui de la pièce – dépendait du temps. Inquiète de son sort et peu assurée de la réussite de son artifice, elle confiait à sa confidente Erine : « Le reste de ce jour est à craindre pour moy » (v. 780). Un second élément plaçait le dénouement d'*Oreste et Pilade* au moment du coucher du soleil. En effet, outre la présence de Thomiris, l'arrivée des deux Grecs sur les terres de Thoas retardait également le mariage entre le roi et la prêtresse. L'oracle d'Apollon ayant prédit la chute du tyran par la venue en Tauride d'un dénommé Oreste, le personnage de Thoas crut d'abord que son ennemi était Pilade, le premier arrivé chez les Scythes. C'est pourquoi, il se réjouit de la mort prochaine de son captif qui mettrait un terme à ses craintes ; le sacrifice étant prévu pour le jour même. La venue du second Grec, c'est à dire du véritable Oreste, raviva l'incertitude concernant le dénouement jusqu'à ce qu'Iphigénie prononce à deux reprises la sentence qu'elle réservait à Oreste : « avant le fin du jour » (vers 883 et 978), il sera immolé. L'unité de temps aurait donc dû être basée sur les vingt-quatre heures du cycle solaire [184]. Toutefois, il ne fallait pas perdre de vue que nous avons affaire à une tragédie classique ; les péripéties propres à ce genre pouvaient faire basculer la durée de l'action aux vingt-quatre heures temporelles. Le spectateur était en outre prévenu par un ralentissement de l'action à partir de l'acte III. Thoas, troublé par les deux Grecs se donnant tout deux le nom d'Oreste, décide de suspendre l'exécution de son ennemi le temps de voir clair dans cette affaire. C'est alors qu'Iphigénie rappelle que « le temps presse » (vers 1143). En effet, la journée s'écoule progressivement et quand la prêtresse reconnait son frère Oreste sous les traits de l'étranger qu'elle voulait immoler au plus vite, elle cherche à gagner du temps « par ses retardement » (vers 1320) afin de trouver une solution. La tragédie bascule définitivement dans les vingt-quatre heures temporelles au moment où Thoas prend la décision de sacrifier les étrangers le lendemain. À l'instar du célèbre « Sortez » de Roxane qui, dans *Bajazet* de Racine, décidait du sort du personnage éponyme, l'issue de la pièce était connue par le « Ils recevront demain la mort qu'elle retarde » de Thoas. Le roi se condamnait ainsi à la défaite et à la mort. L'acte V s'ouvre sur l'angoisse de Thoas qui constate que « la nuit est avancée » (vers 1441). Le personnage attend de connaître son sort ; de même, les spectateurs savent qu'ils vont assister au dénouement de la pièce. L'unité de temps va bientôt être consommée et Hidaspe rappelle le lever du « jour qui va tout déclarer » (vers 1463). Le roi est rassuré et voit en « l'Astre naissant » (vers 1479) la fin de ses soucis jusqu'à ce que ce même « jour » (vers 1563) fasse voir aux Gardes de Thoas les trois Grecs prêts à partir sur les vaisseaux des Sarmates. « Au-delà de l'inscription explicite de l'unité de temps dans le texte de la tragédie, le respect de l'unité de temps passe d'abord par le choix d'un moment exemplaire où se joue le sort d'un ou plusieurs personnages, voire de tout un peuple [185] ». En effet, l'une des caractéristiques de l'unité de temps tragique est l'ancrage de l'action dans un jour illustre. Ce principe est respecté par La Grange-Chancel dans *Oreste et Pilade*. La journée qui commence au début de la pièce s'annonce être « un grand jour » (vers 18), un « jour de gloire et d'allégresse » (vers 28). Les enjeux sont importants pour tous les personnages de la tragédie : Thoas va-t-il pouvoir épouser Iphigénie et conserver le trône en écartant Thomiris ? Cette dernière va-t-elle combattre l'usurpateur ? Iphigénie va-t-elle retrouver sa patrie et les siens ? Oreste et Pilade vont-ils arrivés à voler la statue de Diane ? C'est en fait tout le peuple des Tauro-Scythes qui vont faire face à leur sort en cette « heureuse journée » (vers 1481) qui déterminera l'identité du personnage qui régnera sur la Tauride. Notre auteur s'était donc rangé du côté de Corneille qui déclarait en 1660 : « Je ne puis oublier que c'est un grand ornement pour un poème que le choix d'un jour illustre et attendu depuis quelque temps [186] ». Notons pour finir que si ce grand jour était attendu, il était forcément lié à un passé et que sur la scène les spectateurs assistaient à un moment de crise tragique prévue depuis longtemps. Dans *Oreste et Pilade*, cela se traduit par l'évocation à plusieurs reprises des oracles d'Apollon qui avaient préparé certains des personnages au jour représenté sur scène. De même, si l'unité de temps est attachée à un passé, elle est également ouverte sur un futur. La fin de la tragédie *prophétise* l'avenir serein de la Tauride et de son peuple après la mort de Thoas. ### L'unité de lieu. Cette unité, qui s'imposa lentement au sein de la tragédie du XVII*e* siècle et qui fut une contrainte pour grand nombre de dramaturges, fut très bien résumée par Jacques Scherer en ces termes : « La scène ne devra représenter que les lieux où les personnages peuvent vraisemblablement se rendre pendant le temps que dure l'action [187] ». L'unité de lieu devait donc s'imposer au nom de la vraisemblance chère aux écrivains classiques [188]. En outre, on aurait pu penser que les pauses entre chaque acte pendant les représentations permettaient des changements de décors mais, si la possession d'un rideau de scène était un luxe que la Comédie-Française s'était permise pour le théâtre de la rue des Fossés-Saint-Germain, il faut savoir qu'il était impossible de manier le rideau à chaque entracte en raison de la manœuvre laborieuse que cela représentait. De fait, changer de décor à ce moment là serait revenu à le faire au regard des spectateurs. On le voit, la disposition des théâtres était une entrave à la mise en scène. Le jeu de paume de l'Étoile proposait une disposition incommode. Il était construit tout en longueur – les côtés étant encombrés de loges – et la scène était encore plus réduite sachant qu'à l'époque des représentations d'*Oreste et Pilade*, et ce depuis le triomphe du *Cid* de Corneille en 1637, des banquettes étaient fixées latéralement et occupées par les gens de qualité. La mise en scène était donc réduite par cet espace insuffisant. Malgré les contraintes qui bousculaient le traitement du lieu dans une pièce, La Grange-Chancel forma pour *Oreste et Pilade* un lieu unique et précis. L'auteur se plaça alors du côté des rares dramaturges qui respectaient l'unité de lieu, Racine en tête [189]. Dans la pièce de notre auteur, l'indication sous la liste des acteurs place le lieu de l'action « à Anticire, dans le Palais de Thoas ». D'un point de vue géographique, le lecteur est projeté dans la capitale de la Tauride, une contrée qui évoquait déjà du temps de La Grange-Chancel la barbarie et l'inhospitalité. Le public qui n'avait pas pu lire cette indication scénique était vite mis au courant par un personnage de la pièce – en l'occurrence Thoas aux vers 70 et 152 – du lieu de « ce climat barbare » (vers 809). De plus, le spectateur apprend que la scène se déroule dans un palais, le lieu unique par excellence comme Christian Delmas le précisa en expliquant que « … le décor devenu unique de la tragédie est généralement un intérieur de palais [190] ». En outre, l'étroitesse de la scène portait préjudice pour la mise en scène de cette pompe et c'est le texte de la pièce qui devait permettre au public de s'imaginer au mieux le lieu de l'action. Ainsi, les spectateurs venus assister à une représentation d'*Oreste et Pilade* entendaient à quatre reprises que l'action se déroulait dans un « palais » (vers 739, 794, 1421 et 1589) et que celui-ci était dominé par Thoas : au vers 877 Thomiris annonce à Oreste que « C'est icy de Thoas l'Empire redouté » et au vers 1507, le tyran parle de « sa Cour ». Ensuite, au fil des actes, ils apprenaient plusieurs informations quant aux détails de ce lieu. La magnificence de l'endroit et le caractère royal de ce dernier étaient évoqués dès l'ouverture de la pièce (vers 15-17). Le public découvrait aussi que le palais se trouvait à proximité de la mer étant caractérisé respectivement par son « port » (vers 113, 346, 885, 1459 et 1472), son « rivage » (vers 293, 600, 680 et 878), ses « bords » (vers 709, 1104, 1460 et 1471) et sa « rive » (vers 1581). Enfin, les spectateurs étaient prévenus de la dangerosité qui pesait sur « ces funestes lieux » (vers 802) dominés par « les Scythes cruels » (vers 319). En marge de ces indications qui formaient le contexte général et qui permettaient alors de suppléer au refus du décor multiple, l'unique lieu dans lequel se déroulait l'intégralité de la pièce se trouvait être à l'intérieur du palais. En effet, il s'agissait d'un « appartement », comme l'indiquent les vers 694, 735 et 1414, sur lequel nous n'avons pas d'autres détails que ceux apportés par l'entrée en scène d'Oreste qui s'exclamait sur la « pompe » du lieu. C'est donc dans cet unique appartement que vont entrer et sortir les personnages au gré des actes. Pourtant, d'autres endroits du palais vont être évoqués abondamment mais par le biais de récits ou de simples mentions. Parmi ceux-ci, citons le Temple de Diane où Iphigénie se rend régulièrement pour invoquer la déesse et où le peuple vient prier cette dernière. Il est désigné tour à tour comme étant « une enceinte sacrée » (vers 24), « un sanctuaire » (vers 25), un « Temple » (vers 189, 207, 350, 398, 1408, 1490 et 1660), un « tribunal » (vers 200), un « Autel » (vers 203, 208, 247, 255, 397, 652 et 882) et enfin un « bucher » (vers 670). Une des pièces du palais qui est suggérée à plusieurs reprises est l'appartement privé du roi dans lequel Thoas s'entretient avec les ambassadeurs du Sarmate puis avec les deux Grecs arrivés sur ses terres. Mais sur la scène du théâtre des Fossés, aucun de ces deux derniers lieux n'était montré aux spectateurs et le public était bel et bien face à une seule pièce. L'unité de lieu était donc totalement respectée. ### L'unité d'action. L'unité d'action est la plus complexe à analyser et elle se dissocie des deux précédentes en ce sens qu'elle touche au fond même de la pièce, c'est à dire au nœud. Le terme même d'*unité d'action* n'est pas des plus clairs ; il évoque à tort l'idée de simplicité et d'action unique. Corneille avait tenté de débrouiller ce malentendu dans son troisième *Discours* en expliquant que « ce mot d'unité d'action ne veut pas dire que la tragédie n'en doive faire qu'une sur le théâtre …. Il n'y doit avoir qu'une action complète, qui laisse l'esprit de l'auditeur dans le calme ; mais elle ne peut le devenir que par plusieurs imparfaites, qui lui servent d'acheminements, et tiennent cet auditeur dans une agréable suspension [191] ». C'est pourquoi, en terme de vocabulaire dramaturgique nous préférerons l'expression d'*unification de l'action*, empruntée à Jacques Scherer. Ainsi, au XVII*e* siècle, une pièce classique ne se caractérisait guère par une seule et même action mais par une action principale liée à une ou plusieurs actions secondaires – cette combinaison constituant l'intrigue. Le nombre de celles-ci n'étaient pas clairement délimité mais il était préférable qu'il soit raisonnable afin de ne pas brouiller l'attention et la compréhension des spectateurs. Il fallait donc « que les divers fils que pouvait composer une intrigue fussent tissés de telle sorte que tout acte ou parole de l'un des personnage réagît sur le destin de tous les autres, et que chaque détail se subordonnât à l'action principale [192] ». *Oreste et Pilade* présente bien une action complète, ce qu'Aristote qualifiait de « chose parfaite » étant composée par « un commencement, un milieu et une fin [193] ». En effet, la tragédie se termine par la mort de Thoas, et par la même occasion par la libération du trône usurpé, après que les Grecs aient réussi à se procurer la statue de Diane. Le milieu de la pièce est donc constitué par les raisons de cette chute qui se trouvent dans l'attitude d'Oreste et de Pilade qui cachent leur identité, ou plutôt qui prennent tout deux le nom maudit d'Oreste afin d'embrouiller l'esprit de Thoas et de retarder le sacrifice. L'action se complète par son commencement qui réside en la venue des Grecs en Tauride causant une forte inquiétude chez Thoas qui craint de voir se réaliser l'oracle d'Apollon qui prédisait sa chute. Ainsi se présente *l'action principale* de cette tragédie. Il fallait toutefois que La Grange-Chancel mette en place des actions secondaires que nous pouvons appeler des *fils* afin que le spectateur soit dans l'« agréable suspension » dont parlait Corneille. C'est pourquoi, notre dramaturge ajouta à *Oreste et Pilade* deux fils secondaires centrés autour de la résistance des personnages féminins principaux à l'encontre de Thoas. Le premier fil est tenu par Iphigénie qui bien loin d'éprouver un amour réciproque pour le roi cherche à échapper à cet hymen par le biais d'un artifice. En effet, elle ment à Thoas, prétendant que la déesse Diane n'approuve pas cette union, et elle double son artifice en exposant la grâce que la déesse semble faire à Pilade, le premier Grec arrivé en Tauride. Ce second mensonge est formulé par la prêtresse dans le but de sauver Pilade et de le renvoyer en Grèce avertir Agamemnon, qu'Iphigénie croit toujours vivant, du joug où elle est retenue. Cette action secondaire est véritablement liée à l'action principale du fait qu'elle retarde cette dernière. En effet, Thoas accepte d'écouter l'objet de ses désirs et de renvoyer l'étranger au risque de laisser échapper l'ennemi qu'il redoute tant. Toutefois, ce fil se fait *imparfait* au moment où Pilade refuse la proposition du roi, mettant dès lors un frein au projet d'Iphigénie. La seconde action secondaire est amenée par le personnage de Thomiris qui refuse d'abdiquer et de voir le trône de son père aux mains d'un tyran et d'une autre femme qu'elle. Cela est également directement lié à l'action principale puisqu'en dédaignant la volonté de Thoas qui souhaitait la marier avec l'empereur du Sarmate, Thomiris gèle l'avancement de l'enjeu politique et amoureux du roi usurpateur. La Grange-Chancel respecta donc une fois de plus la nécessité d'unifier les actions secondaires à l'action principale. Notre auteur semble avoir bien compris que tous les fils d'intrigues « doivent être tellement incorporés au principal sujet qu'on ne les puisse séparer sans détruire l'ouvrage [194] ». En effet, les épisodes – autre dénomination des fils – doivent tous être nécessaires de sorte que si l'on en enlève un la pièce devienne inintelligible [195]. Le hasard n'a donc pas sa place et ces différents événements participent à la continuité de l'intrigue qui s'enchaîne selon « le vraisemblable ou le nécessaire [196] ». La Grange-Chancel portait donc, du haut de ses vingt ans, un soin tout particulier à appliquer la doctrine classique. L'effort de notre auteur trouva satisfaction sur de nombreux points avec *Oreste et Pilade* bien que la tragédie restât imparfaite. Les critiques contemporains à La Grange-Chancel ont choisi d'assumer leur rôle en blâmant d'avantage les défauts de la pièce qu'en saluant ses qualités. Toutefois, l'attitude de notre poète n'a pas encouragé l'indulgence de cette critique car si la jeunesse de l'auteur aurait pu lui être favorable, sa vanité n'a fait que lui porter préjudice. La fougue du petit provincial débutant à Paris lui fit écrire que « cet Ouvrage a esté si generalement approuvé de tout le monde, que je ne répondray pas seulement à la mauvaise critique ... [197] » ; l'orgueil de l'homme de près de soixante ans retenait seulement de sa pièce que « le succès fut au delà de ses esperances [198] ». # Des intentions tragiques. ## Thoas : un tyran passif ? Le roi, personnage récurrent dans la tragédie classique, s'inscrit dans une tradition littéraire qui s'explique aisément par le régime monarchique de l'époque. « Il satisfait en outre le goût de la 'pompe' des contemporains de Louis XIII et de Louis XIV [199] ». Le théâtre du XVII*e* siècle laissa donc une large place au personnage du roi qui se caractérisait, d'une façon simplifiée, par le bon monarque d'un côté et le tyran de l'autre. Cependant, ces caractères n'étaient pas toujours aussi définis. Dans *Iphigénie* de Racine (1674), Agamemnon a un rôle de bourreau puisqu'il conduit sa propre fille sur le bûcher. Cependant, le personnage n'est pas aussi mauvais que l'on pourrait le penser. D'une part, le roi est bouleversé par cette décision mais d'autre part, celle-ci est nécessaire afin de quitter la Grèce et de livrer bataille aux Troyens. Agamemnon est un bon monarque, héroïque et vertueux mais il adopte une attitude de bourreau sous peine de contraindre son peuple et de perdre son titre. Dans la tragédie de Corneille intitulée *Pertharite* (1651), le personnage de Grimoald, simple comte de Bénévent, est devenu roi de la Lombardie après avoir tué – ou plutôt avoir cru tué – le roi légitime, Pertharite. Il s'agit donc d'un personnage de tyran qui pour asseoir son pouvoir cherche à épouser la veuve de Pertharite en exerçant sur elle une pression morale inhumaine, allant même jusqu'à menacer la vie de son fils. Pourtant, l'usurpateur n'est pas tout à fait mauvais. Lorsqu'au milieu du troisième acte, le personnage éponyme réapparaît, Grimoald le reconnaît et cherche alors à l'exécuter une seconde fois en le faisant passer pour un menteur. Pertharite désespéré réclame alors la mort, mais aussi la reconnaissance de son statut de roi. Grimoald, pris de remords, finit par lui rendre son trône. Dans *Oreste et Pilade*, le personnage de Thoas est qualifié de tyran à vingt-six reprises [200]. En effet, c'est un usurpateur sans grands scrupules qui oublie qu'il doit le sceptre au défunt roi et qui affirme devoir son titre à la fortune (vers 460). Toutefois, ses pratiques tyranniques ne sont pas sans faille et elles sont confrontées à plusieurs obstacles. ### Le roi comme source de la loi. « Un Tyran couronné ne connoît plus de loix » déplore Iphigénie au vers 241. En fait, ce n'est pas que Thoas n'honore aucune loi, mais c'est que le roi ne respecte que les siennes. La plus absurde et la plus injuste de celle-ci n'est autre que la lugubre coutume qu'il a imposé : tout étranger se présentant sur ses terres doit être sacrifié à la déesse Diane. Un principe tyrannique certes, mais auquel personne n'a jamais osé s'opposer. Le roi a parlé, il faut obéir au roi. Au moment de l'action d'*Oreste et Pilade*, aucun personnage ne s'élève contre ces barbares sacrifices. Si Iphigénie cherche à délivrer le premier Grec – Pilade – ce n'est pas qu'elle prend pitié de lui comme elle le prétend un temps (vers 301-302), mais c'est parce qu'elle souhaite l'utiliser pour servir ses propres desseins, à savoir remettre une lettre en Grèce. Cyane, sa confidente, s'étonne d'ailleurs de ce soudain appui que prend Iphigénie pour l'étranger en lui rappelant combien de fois elle a su répandre le sang d'innocents sans frémir (vers 287-290). De même, Thomiris, pourtant fille du défunt roi qui était vraisemblablement un bon monarque, ne s'élève pas contre le fond de cette coutume barbare. Elle ne protège Oreste que pour retarder l'hymen entre Thoas et Iphigénie, leur union dépendant du sacrifice. Elle agit donc en son propre intérêt, animée par deux passions : l'ambition de monter sur le trône dont elle a hérité et l'envie de se venger du tyran. Les deux femmes, qui auraient pourtant le pouvoir de mettre un terme à ces crimes injustes – l'une en sa qualité de prêtresse et l'autre par son statut de princesse du royaume – agissent égoïstement tout en approuvant une loi tyrannique. Thoas peut donc imposer ses lois sans avoir à se justifier et sans être contesté. Thoas profite et abuse même de son statut de roi pour « servir la malhonnêteté d'une volonté soumise à ses propres désirs [201] ». Le personnage agit donc en véritable tyran. En effet, la raison de ses sacrifices multiples résulte de l'oracle d'Apollon auquel Thoas avait fait appel une année avant le début de l'action de la pièce, et qui l'avait mis en garde contre un Grec prénommé Oreste qui mettrait un terme à son règne et à sa vie. Cette perspective tragique ayant épouvanté le roi, celui-ci préféra immoler tous les étrangers se présentant sur ses terres pour être certain de ne pas épargner son ennemi. C'est également en exerçant son pouvoir tyrannique que Thoas prend la décision d'évincer définitivement Thomiris du royaume en la donnant en épouse à l'Empereur du Sarmate. Il va de soi que cette résolution est prise sans l'accord de l'intéressée dont il méprise l'avis. Thoas se montre même choqué lorsque la jeune princesse se rebelle et fait front à son autorité (vers 471-474). ### Une attitude tyrannique. Sans égard pour les étrangers, dénué de franchise envers son peuple, limité dans le respect qu'il accorde aux femmes, Thoas semble être l'archétype du tyran tragique. À l'ouverture de la pièce, le personnage semble se croire détenteur de l'autorité suprême et va jusqu'à dédaigner la (fausse) décision de Diane selon laquelle son union avec Iphigénie est impossible, de même que le sacrifice du Grec. Se croyant tout puissant, il ne craint pas de s'opposer à ceux qu'il appelle, en prenant une distance notable, « vos dieux » (vers 257). Ainsi, Thoas ne se sent pas concerné par l'autorité divine. Ce n'est pas qu'il ne respecte pas celle-ci – sa croyance en l'oracle d'Apollon prouve d'ailleurs le contraire – mais c'est qu'il ne se juge en aucun cas inférieur aux dieux. Lise Michel explique que « les principes politiques, dans la tragédie, sont employés comme des arguments pour justifier, expliquer ou annoncer un acte [202]  ». Ainsi, en soulignant sa puissante autorité, Thoas se permet de contraindre la liberté des autres. Ses volontés sont tyranniques du fait que l'action qu'elles sous entendent « satisfait une passion et non un intérêt collectif [203] ». Il s'agit là d'une différence fondamentale entre le bon monarque qui agit pour le bien de son peuple – au détriment parfois d'un individu comme Agamemnon dans *Iphigénie* de Racine – et le tyran qui cherche à combler ses propres désirs. Thoas semble donc bien être un mauvais souverain puisqu'il justifie ses actes par le pouvoir que lui accorde sa couronne. Par exemple, il veut épouser Iphigénie malgré ses refus et l'opposition – mensongère – de la déesse Diane et il va jusqu'à menacer la prêtresse par une sentence éloquente : « Rien n'est plus dangereux qu'un Amant qui peut tout » (vers 228). Cette maxime caractéristique d'une attitude tyrannique trouve son contre-pieds dans *Pertharite* de Corneille lorsque le personnage de Grimoald confirme que l'autorité royale de saurait s'appliquer dans la sphère privée : « Et l'Amant couronné doit agir en amant » (acte II, scène 3). ### Les limites de la pratique tyrannique. Dès l'ouverture de la pièce, Thoas confie à Hidaspe les quelques scrupules qu'il éprouve quant à son comportement tyrannique qui a coûté la vie à grand nombre d'innocents (vers 36-39). Pourtant, il n'envisage pas d'arrêter ces sacrifices injustes et se réjouit même de l'immolation prochaine de Pilade – qu'il prend pour Oreste, ce qui explique principalement sa joie. Ce n'est donc pas en sa conscience que le roi va trouver obstacle à sa tyrannie mais par le biais des personnages féminins que sont Iphigénie et Thomiris. Ces dernières sont pourtant celles qui nomment le plus Thoas de tyran. Il s'agit donc d'une véritable rébellion qui s'engage conte le pouvoir absolu du roi. Thoas a compris le danger que peut représenter la colère de Thomiris qu'il écarte du royaume. D'ailleurs, au moment où Hidaspe le rassure sur la portée de son pouvoir royal, Thoas le contredit en lui disant que « Thomiris est à craindre » (vers 49). C'est pourquoi, lorsqu'il pense que la jeune princesse a été emmenée au loin sur les navires Sarmates, Thoas « en rend grâce aux dieux », ces mêmes dieux dont il minimisait un temps la puissance, et il confie enfin que « Thomiris suspendoit son pouvoir en ces lieux » (vers 1467-1468). De surcroît, la princesse a pour elle l'amour du peuple qui la respecte en tant que fille du défunt roi. Cela représente un obstacle pour le roi car si le peuple s'allie à Thomiris et se révolte contre lui, il se retrouvera dans une position difficile. Car le roi qui n'a pas le soutien de ses sujets est un roi perdu. En effet, un principe de gouvernement développé par la tragédie est la pratique de la douceur envers le peuple. Thoas craint la révolte populaire lorsqu'il croit Thomiris évincer du royaume. C'est pourquoi, il promet de « l'attirer par un autre spectacle » qui est celui du double sacrifice des Grecs et de son mariage avec Iphigénie. Toujours animé par sa tyrannie, que son éphémère victoire a renforcé, il ne cherche pas à apaiser le peuple pour le bien commun mais, encore une fois, il veut conforter son propre intérêt. Cette influence du peuple sur le monarque – qu'il soit bon ou mauvais – est illustré également par la décision d'Iphigénie à le soulever contre Thoas. En effet, la dernière scène du premier acte se termine sur son intention de provoquer la sédition des Scythes afin de « confondre, épouvanter le superbe Thoas ». Le second acte s'ouvre effectivement sur la terreur du tyran provoquée par le récit que lui fait Anthenor. Le peuple, en raison de son amour pour Thomiris et de son respect pour Iphigénie, s'oppose au roi et celui-ci se retrouve seul lors du combat final. En effet, outre l'appui de son fidèle Hidaspe, Thoas assiste à la révolte de ses sujets qui prennent la défense des Grecs. Cela ne pouvait aboutir que sur la mort du tyran. Iphigénie quant à elle représente un double obstacle pour Thoas. Premièrement, sa fonction de principale prêtresse de Diane lui accorde une certaine autorité ; d'autant plus que la Tauride voue un véritable culte à cette déesse. Thoas lui-même participe à ce culte, ne serait-ce qu'en offrant les étrangers au temple de Diane. S'il croit pouvoir échapper aux ordres divins, c'est parce qu'il n'applique que ses propres lois, auxquelles il pourrait même se soustraire s'il le voulait. Sa prise de position contre les décisions de Diane résulte également du fait qu'il se laisse déborder par sa passion amoureuse. Car c'est là le second frein que représente Iphigénie par rapport aux souhaits du tyran. Épris de la jeune femme, Thoas veut éviter de s'attirer sa haine. C'est ainsi qu'il accepte dès le second acte de délivrer le premier Grec, Pilade, alors même qu'il croit laisser s'échapper son ennemi Oreste. La raison de cette résolution n'est pas un engagement sur la voie du bon monarque, Thoas l'avoue : « La Prestresse t'arrache à mon inimitié » (vers 535). Le tyran est donc limité dans son exercice du pouvoir. Les Frères Parfaict soulignèrent ce défaut de caractère : « Thoas, quoique traité de Tyran à chaque discours qu'on lui adresse, est le plus pacifique et le plus docile personnage du monde [204] ». Passif, car il s'embarrasse de démêler lequel des deux Grecs est Oreste, là où un véritable tyran les aurait exécuté tous deux. En outre, Thoas n'est pas gêné par un quelconque lien avec l'un des deux étrangers qui entraverait son exécution. La Grange-Chancel, qui s'est inspiré de *Héraclius* de Corneille à plusieurs reprises, n'a pas saisi la différence entre le souverain de sa pièce et Phocas. L'hésitation de ce dernier est légitime et toute tragique puisqu'il risque de tuer son fils s'il ne parvient pas à mettre au clair qui est véritablement Héraclius. Docile, Thoas l'est en raison de son amour pour Iphigénie qui en profite pour dominer le roi jusqu'à lui imposer ses propres choix. Thoas se rend compte de sa faiblesse. À la scène VIII de l'acte IV, après que la prêtresse lui ait intimé l'ordre d'attendre son retour avant d'agir, le roi réalise son impuissance : « Qui suis-je ? Est-ce à Thoas qu'un tel discours s'adresse ? / A quoy m'exposes-tu malheureuse tendresse ? / Je puis tout, et malgré mon nom, ma dignité, / Une simple Prestresse étonne ma fierté (vers 1383-1386). » Les dramaturges du XVII*e* siècle « ont réalisé l'égalité des sexes, car les amoureuses ne le cèdent en rien aux amoureux » écrit Raymond Lebègue [205]. Quoi qu'il en soit de cette affirmation, dans *Oreste et Pilade*, les femmes se rebellent contre un tyran qui se laisse dépasser et qui ne parvient plus à imposer son autorité pourtant suprême. ## Oreste furieux : la triste lignée des Atrides. « Sans Furies, point d'Oreste », écrivait Schiller à Goethe le 22 janvier 1802 [206]. Il est vrai que peu sont ceux qui n'associent pas le fils damné des Atrides aux déesses persécutrices. Oreste est issu d'une famille maudite par les dieux depuis la haine immodérée qu'éprouvèrent l'un pour l'autre les frères jumeaux Atrée et Thyeste [207]. Ces deux personnages légendaires se disputèrent le trône de Mycènes, une cité de la plaine d'Argos dans le Péloponnèse, et imaginèrent les barbaries les plus lâches pour évincer l'autre. Thyeste vola l'agnelle d'or que son frère conservait précieusement dans un coffre [208] et il fit en sorte que le possesseur de cette richesse devienne roi de Mycènes. Grâce à une intervention divine, Atrée réussit à son tour à flouer son frère et à récupérer le sceptre. Quelques temps plus tard, il apprit la liaison que sa femme entretenait avec Thyeste et il voulut se venger de ce dernier en faisant égorger ses trois fils et en les lui servant à diner. Fou de douleur, ce fut alors au tour de Thyeste de chercher un moyen pour se venger. Un oracle lui apprit qu'en ayant un fils de sa propre fille, Pélopia, il serait vengé. Il engendra donc un fils incestueux nommé Egisthe et lorsque celui-ci atteint l'âge d'homme, il confirma l'oracle en assassinant Atrée. Tous ces crimes au sein d'une même cellule familiale condamnèrent les Atrides à un destin marqué par le meurtre, l'adultère, le parricide, l'infanticide et l'inceste. Pourtant, « aucun Atride n'a souffert autant qu'Oreste. Mais personne n'avait peut-être osé une horreur comparable à celle qu'Oreste a commise ... [209] ». En effet, le crime d'Oreste est *inédit* : il a assassiné sa propre mère. Qu'importe alors que ce fut pour venger le meurtre de son père victime d'adultère et de complot alors qu'il combattait héroïquement à Troie. Oreste a commis l'insoutenable et les dieux en sont irrités. Plus exactement, ce sont des déesses noires qui vont s'élever contre ce matricide et hanter l'assassin. Les Érinyes, mot dérivé du grec ancien ἐρίνειν – qui signifie « pourchasser, persécuter », sont des divinités persécutrices [210] qui veulent rétablir la justice tout en étant sans merci : aucune prière ni sacrifice ne peut les émouvoir. Dans *Les Euménides* d'Eschyle, nous apprenons en effet qu'Oreste a tenté de se purifier et d'expier son crime sur divers Autels, mais en vain. Le rôle des Érinyes est de venger les morts en tourmentant les assassins. Qui sont-elles donc vraiment pour Oreste ? Véritables femmes prônant la justice ? Fantôme de la mère assassinée ? Le théâtre, de l'Antiquité à nos jours, les a représenté de différentes façons [211]. La peinture en a fait de même. Cependant, certains attributs sont communs à tous les portraits qu'on en a fait, notamment leur aspect physique effrayant : grandes ailes déployées (pour poursuivre les coupables), serpents en guise de cheveux [212], fouets pour punir et torches [213] pour éclairer leur chemin, sang qui coule de leur yeux [214]. Dans son épopée l'Enéide, le poète latin Virgile fut le premier a dénombrer trois Érinyes et a leur donner les noms de Tisiphone (venant du grec *Τισιφόνη*, « la Vengeance »), de Mégère (venant du grec *Μέγαιρα*, « la Haine ») et d'Alecto (venant du grec *Ἀληκτώ*, « l'Implacable »). Dans *Oreste et Pilade*, elles ne sont jamais nommées par leurs prénoms. Le personnage d'Oreste les interpèle par des métaphores, à savoir « Noires filles du Styx » - le Styx étant, dans la mythologie, un des fleuves de l'Enfer – ou encore « implacables Déesses » (vers 789). La tragédie de La Grange-Chancel ne donne pas à voir les Érinyes, en ce sens que celles-ci ne font pas partie de la liste des personnages. Leur présence sur scène n'est donc pas physique, mais elles se manifestent autrement. « Avec la dramaturgie classique, la Furie comme *acteur* tombe apparemment victime d'une divinité nommée Vraisemblance, qui la condamnerait à survivre, sans corps ni voix, dans quelques hallucinations de héros égarés [215] ». *Oreste et Pilade* confirme cette affirmation. L'évocation des Érinyes est brève et elle se limite aux deux hallucinations dont est victime Oreste. La première n'est même pas représentée sur la scène et elle reste totalement invisible pour le public qui doit faire appel à son imagination. En effet, elle est laissée à la charge d'Hidaspe qui, à la scène IX du second acte, fait un court récit sur la capture du personnage d'Oreste. L'accent est mis d'avantage sur la violence de celui-ci mais La Grange-Chancel ne développa nullement l'idée que, par sa lutte brutale, Oreste tentait en fait de se défaire des déesses persécutrices. Au contraire, l'auteur insista sur le combat que menait le personnage contre les hommes qui cherchaient à le capturer et un spectateur peu averti pouvait juger cela légitime. Il est fort possible que la confusion fût faite par certains membres du public qui, n'ayant pas lu Euripide et ayant de faibles connaissances en mythologie, pensèrent que le jeune homme se défendait pour ne pas être emmené. Quatre vers seulement sont consacrés aux Érinyes qui possèdent totalement Oreste et « l'incitent au carnage » (vers 689). Cela est peu en comparaison aux pièces antiques qui représentaient Oreste bavant et se mutilant, tourmenté et devenant presque fou en la présence des trois Furies. L'entrée en scène d'Oreste, qui a lieu à la scène IV de l'acte III, poursuit cette éviction naturelle des Érinyes. Certes, La Grange-Chancel présenta Oreste en plein trouble psychique – les spectateurs les plus fins reconnaissant dès lors le héros éponyme – mais ce passage est également restreint puisqu'il n'occupe que cinq vers. Oreste est donc introduit en pleine crise de démence ; il s'imagine enveloppé par les flammes et les ténèbres, ce qui fait référence à l'Enfer, antre des déesses noires. Il les interpelle des noms les plus sombres afin qu'elles viennent contaminer la représentation. Cependant, l'effet est raté ; la tension du personnage qui aurait pu largement atteindre les spectateurs qui avaient, *sous les yeux*, une scène d'aliénation, retombe subitement quand Oreste, soulagé, « respire et voit la lumière » (vers 793). Ce n'est pas une faille dans l'écriture dramatique de La Grange-Chancel, ou plutôt celui-ci ne fait qu'une nouvelle fois suivre les convenances du classicisme. Car Jean-Philippe Grosperrin le répète : « Au XVII*e* siècle, les Furies, révoquées plutôt qu'évoquées, quittent la scène d'une tragédie qu'elle tenaient naguère ... [216] ». En effet, les Érinyes tenaient une place importante dans les pièces antiques même si *L'Orestie* d'Eschyle fut l'unique œuvre grecque qui les fit monter sur la scène. À la fin des *Choéphores*, juste après le matricide, Oreste est frappé de stupeur ; il vient d'apercevoir ce qu'il est encore le seul à voir. Car ce n'est qu'avec *Les Euménides* que les Furies prennent pour la première fois la parole, devenant même personnages principaux d'une tragédie à laquelle elles prêtent leur nom – du moins le nom qu'elles prendront à la suite du verdict de l'Aréopage. Toutefois, elles hantaient chaque pièce où Oreste était présent, que ce soit par une rhétorique de l'emphase et de l'amplification, par des évocations orales des fureurs, ou encore par des incantations magiques qui créaient un lien entre l'espace scénique et l'espace infernal. La tragédie classique décida de mettre un terme à cette pratique ou plutôt de la transformer. Au XVII*e* siècle, les Érinyes furent remplacées par des personnages féminins, princesses ou reines, animées par la vengeance, par l'amour, par la colère, par toutes ces passions modernes et éminemment tragiques. Phèdre, Médée, Hermione, telles furent les nouvelles Furies qui accaparèrent la scène théâtrale. En outre, si, comme le dit Jean-Louis Backès, les Érinyes étaient l'incarnation de « la sagesse par l'angoisse [217] », le théâtre classique avait-il réellement besoin d'elles ? En effet, n'était-il pas gouverné d'une façon plus générale par « le Démon de l'inquiétude, du trouble et du désordre [218] » ? ## Pilade : un personnage secondaire ? Si Oreste possède assez d'éléments tragiques pour survivre seul dans la littérature, Pilade n'est quant à lui connu que par son étroite relation avec son cousin et ami. Ce personnage a évolué au fil des siècles dans l'ombre d'Oreste. Pourtant, les deux jeunes hommes sont apparus en même temps dans la mythologie. En effet, l'existence d'Oreste est mentionné pour la première fois lors du retour de son père à Mycène, assassiné par Clytemnestre et Egisthe. Un serviteur anonyme du roi comprend le danger que cela représente pour Oreste, fils unique d'Agamemnon, alors âgé de onze ou douze ans. Il quitte donc en toute hâte le palais avec l'enfant et Oreste est conduit en Phocide, bien loin de chez lui, chez le roi Strophios, époux d'une soeur d'Agamemnon et donc oncle par alliance d'Oreste. Strophios a un fils, Pilade, et les deux cousins deviennent vite inséparables. Cette rapide genèse littéraire des deux personnages montre bien qu'Oreste et Pilade ont été introduits dans la légende en même temps. Toutefois, même si la suite de leurs aventures se fait ensemble, Oreste se démarque vite par ses actions graves tandis que Pilade, qui n'a personne à venger, reste en retrait et approuve les faits de son ami. Pourtant, nous avons vu que le personnage d'Oreste n'est pas toujours maître de lui même, persécuté par les Furies. Ne serait-ce pas alors Pilade qui prend en charge l'action et la dynamique de leurs périples ? Il était temps de redonner la place qu'il méritait à ce personnage trop souvent mis en retrait. ### Pilade : un personnage de confident ? Les théoriciens classiques ne se sont pas vraiment épanchés sur le personnage du confident. Peut-être celui-ci était-il gênant car perçu longtemps par le public du XVII*e* siècle comme inutile et monotone. C'est ce que l'on peut du moins en déduire par l'affirmation de Marmontel qui expliqua en 1763 dans sa *Poétique française* : « On nous reproche d'avoir substitué au chœur des confidents froids et souvent inutiles … Mais rien n'empêche que ces confidents ne soient aussi animés que le chœur pouvait l'être [219] ». Faisant au départ partie de la longue liste des personnages secondaires, le confident a su au fil du Grand Siècle s'imposer jusqu'à confondre la barrière entre protagoniste principal et accessoire. Jacques Scherer indique dans *La Dramaturgie classique en France* que le mot confident pourrait venir de l'italien *confidente* qui signifiait au XV*e* siècle « l'ami à qui l'on demandait de vous servir de second dans un duel [220] ». On retrouve dans cette définition une caractéristique de Pilade qui est d'être toujours aux côtés d'Oreste, même dans les moments les plus dangereux. Dans la pièce de La Grange-Chancel, lors du combat final rapporté par le personnage d'Anthenor, Pilade épaule son ami. Si c'est Oreste qui tue le roi, Pilade fait tomber Hidaspe, l'allié le plus fidèle de Thoas. Amis, cousins, élevés comme des frères, les deux hommes ont tout pour être égaux. Pourtant, La Grange-Chancel souligna très mal cette relation. En effet, dans *Oreste et Pilade*, Pilade vouvoie Oreste, installant ainsi une distance entre eux qui n'a pas lieu d'être. De même, il s'adresse à Oreste en le nommant « Prince », là où leurs rapports familiaux devraient lui permettre de l'appeler par son prénom. D'ailleurs, c'est ainsi qu'Oreste s'adresse à Pilade, ce qui le place injustement au dessus de son ami. Sur ce point, La Grange-Chancel a trop voulu – comme souvent – suivre Racine qui dans *Andromaque* présentait la relation entre les deux hommes de la même façon : Pylade vouvoie également Oreste et désigne celui-ci par le titre de « Seigneur ». Pourtant, Racine insistait sur la longue et solide amitié qui unissait ces personnages en débutant sa pièce sur leurs retrouvailles chaleureuses. La tragédie de La Grange-Chancel regorge donc elle aussi d'exemples illustrant cette amitié sans borne. Le plus probant est celui où les deux personnages éponymes pensent l'un et l'autre être le seul survivant du naufrage. Si Pilade pleure son unique ami (vers 587), Oreste se réjouit de le rejoindre bientôt dans la mort (vers 988-992). Leur volonté de vouloir mourir à la place de l'autre souligne également leur relation sans faille. Ainsi, leur comportement identique ne devrait pas nous faire hésiter quant à la place de Pilade parmi les personnages principaux mais le traitement dramatique de La Grange-Chancel le place comme étant inférieur à Oreste. Il fallait donc renforcer son importance au sein de la pièce. ### L'héroïsation du personnage. Pour la première fois dans l'histoire littéraire, Pilade est détaché d'Oreste puisqu'il entre sur scène sans son compagnon, et de surcroît le premier. Pilade peut alors exister par lui-même et devenir un véritable caractère tragique. Ce premier indice de sa prise d'indépendance se confirme par de nombreux autres éléments. La liste des *acteurs* le précise : Pilade est un Prince. N'est-ce pas une caractéristique inévitable pour un héros de tragédie que la noblesse de sang ? Nous l'avons dit, Pilade est le fils d'un roi puisque son père, Strophios, règne sur la Phocide. Dès lors, il aurait été délicat pour le dramaturge de cantonner Pilade à un rôle secondaire. Cependant, pour les spectateurs qui n'ont ni la liste des personnages, ni forcément de grandes connaissances en terme de mythologie, il était nécessaire d'insister au sein même du texte sur la noblesse de Pilade. Ce qui est intéressant, c'est qu'au début de la pièce, Thoas pense que le premier Grec arrivé en Tauride est son ennemi Oreste. Il s'agit en fait de Pilade et pourtant le roi justifie sa pensée en soulignant le « beau sang » (vers 174) – au sens de race noble – qui émane de l'étranger. Pilade évoque lui-même à la scène V du second acte ses origines divines puisqu'il descend directement de Zeus (vers 546-549). Le personnage a donc largement l'étoffe d'un héros. En outre, dans la tragédie de La Grange-Chancel, Pilade subit une véritable héroïsation. Il s'agit de l'élever à la hauteur du héros mythique qu'est Oreste. Lors de sa première confrontation à Thoas, le protagoniste expose son courage et fait preuve de toutes les qualités d'énergie et de vaillance dont un héros a besoin. Il souligne d'abord sa venue en Tauride « animé par la gloire » (vers 550). Le terme de *gloire* est important, comme le précise Anne Sancier-Chateau dans son ouvrage consacré au vocabulaire du XVII*e* siècle [221]. En effet, elle indique que le mot *gloire* a subit une évolution sémantique au cours du siècle, passant de l'idée d'estime et d'honneur à une véritable action héroïque relevant de l'éclat et de la splendeur des hauts faits. Pilade venait donc en Tauride pour montrer sa puissance. Le courage de Pilade trouve son apogée lorsqu'il refuse le salut offert par Thoas. Le jeune Grec est montré comme étant brave et vaillant puisqu'il préfère la mort à une vie qu'il devrait à un tyran barbare. L'héroïsation du personnage se poursuit au moment où animé par sa bravoure, il promet à Iphigénie de tuer Thoas de ses propres mains (vers 620-625) et de revenir seul la délivrer (vers 635-636). ### Pilade et l'amour. L'une des valeurs essentielles de la tragédie classique était la « nécessité d'introduire une dimension sentimentale dans des mythes souvent indifférents à la psychologie [222] ». Nous l'avons vu, La Grange-Chancel complexifia la simplicité des lignes originelles de l'*Iphigénie en Tauride* d'Euripide en intégrant deux *histoires* d'amour à sa pièce. La première, qui concerne les personnages de Thoas et d'Iphigénie, est un amour dit tyrannique. C'est « celui qui ne respecte ni l'ordre établi, ni la liberté des personnes. Il ne s'embarrasse d'aucun scrupule [223] ». En effet, le roi ne se préoccupe guère des envies d'Iphigénie qui lui refuse son amour, ni même de sa fonction de prêtresse qui lui interdit une union de la sorte. Thoas est bien au courant de cela mais n'écoute que son amour qu'il veut à tout prix combler. Ce n'est donc pas un couple au sens moderne du terme puisqu'il s'agit d'un amour à sens unique émanant d'un amant éconduit. L'amour tyrannique est un amour-passion qui n'a aucune limite comme en témoigne ces vers de Thoas : « Madame, ouvrez les yeux, quand on le pousse à bout / Rien n'est plus dangereux qu'un Amant qui peut tout » (vers 227-228). Thoas n'hésite pas à prôner la violence pour obtenir l'objet aimé et nourrit un amour qui s'invente ses propres lois. C'est un amour déraisonné mais comme le disait Alceste dans *Le Misanthrope* de Molière : « Il est vrai : ma raison me le dit chaque jour / Mais la raison n'est pas ce qui règle l'amour » (acte I, scène 1). Le second amour de la pièce se devait donc d'être modéré et réciproque. Il s'agit de celui qui unit Pilade et Iphigénie. Certes, la prêtresse grecque s'offusque dans un premier temps des sentiments que lui révèlent Pilade, car au XVII*e* siècle une femme ne pouvait sans rougir se laisser faire la cour. Dans *Oreste et Pilade*, Iphigénie est de surcroît vouée à servir Diane et ses Autels, ne pouvant décemment pas s'abandonner à l'amour. Toutefois, le spectateur comprend vite qu'Iphigénie partage les sentiments de Pilade, et ce dès la scène suivant les déclarations du jeune homme. L'aposiopèse de la scène VIII de l'acte second marque les réticences qu'éprouve Iphigénie à reconnaître qu'elle est vaincue par l'amour. Cet amour – bien que tout à fait inattendu – est donc réciproque et il devient même tout à fait pathétique au moment où les amoureux s'avouent leurs sentiments alors qu'ils risquent à tout moment d'être séparés par la mort. Il s'agit d'un amour sans passion qui permet de créer un équilibre dans la pièce et qui participe au dénouement heureux puisque La Grange-Chancel souhaita unir par un mariage ces deux protagonistes. Par Pilade, les attentes du public sont donc tout à fait comblées. ### Pilade : la principale force d'Oreste. Si Oreste présente certaines faiblesses, notamment lorsqu'il est tourmenté par les Érinyes, Pilade fait preuve d'un soutien immuable pour son ami. Depuis *Les Choéphores* d'Eschylle jusqu'à l'*Andromaque* de Racine, Oreste est montré hésitant et Pilade influent. Dans la pièce antique, l'épée levée sur sa mère, Oreste doute. C'est alors que Pylade se met à parler, pour la première et la dernière fois de la pièce, et ses trois vers sont déterminants car ils suffisent à décider Oreste à commettre le matricide, déclenchant ainsi ses errances et ses tourments [224]. Chez Racine, l'influence de Pylade sur son ami est moindre car supplée par le personnage d'Hermione, pour laquelle Oreste nourrit une dévorante passion qui le poussera à assassiner Pyrrhus. Toutefois, Pylade répond à deux reprises des hésitations d'Oreste en lui ordonnant d'enlever Hermione (acte III, scène 2) et il montre également sa fougue en projetant leur fuite tandis qu'Oreste se lamente sur son sort en restant passif. Dans *Oreste et Pilade*, La Grange-Chancel confia à Pilade la charge de redonner l'envie de vivre à Oreste qui souhaitait lâchement mourir sans lutter. L'auteur aurait pu développer cette attitude d'avantage en s'inspirant d'*Iphigénie en Tauride* dans laquelle les deux Grecs arrivent ensemble en Tauride et où Oreste veut fuir dès le départ, ramené à la raison par son fidèle ami. Pilade a donc bel et bien toutes les caractéristiques d'un personnage principal et même d'un héros. Le titre de la pièce prend alors tout son sens en accordant une place à Pilade au même titre qu'à Oreste. D'autres dramaturges n'en firent pas autant : Voltaire, par exemple, reprit ce même sujet en 1750 et intitula sa pièce *Oreste*. ## Esthétique de l'identité, ou le jeu des identités comme fondement de la pièce. ### Les différents déguisements présents dans Oreste et Pilade [225]. La pièce de La Grange-Chancel propose deux types de déguisement : un déguisement du physique par l'utilisation de voiles et de divers artifices vestimentaires, et un avatar du déguisement qui consiste en une dissimulation des identités. Si les moyens sont différents, la fin est la même : devenir autre, ne pas dévoiler qui l'on est réellement. Les raisons de ces feintes sont quant à elles propres à chacun des personnages camouflés. En 1697, ce procédé était devenu rarissime dans la tragédie, mais notre auteur se fonda une nouvelle fois sur ses prédécesseurs. Le premier déguisement, qui consiste à ne pas révéler son identité, constitue le fondement de la tragédie de La Grange-Chancel. Deux Grecs débarquent sur les terres barbares de Thoas, l'un d'eux est l'ennemi, mais le roi se retrouve dans l'incapacité de deviner duquel il s'agit, tous deux prenant le nom maudit d'Oreste. Le parallèle avec *Héraclius* semble inévitable. Dans la pièce de Corneille, deux jeunes gens adoptent également le nom qui risque de les conduire à la mort. Dans un combat de générosité, aucun ne veut celui qui l'attache à la vie. Toutefois, il s'agit là d'un déguisement inconscient pour l'un des personnages car Martian, fils véritable de l'empereur Phocas, se croit être Léonce, l'enfant de l'ancienne gouvernante Léontine. Il n'en va pas de même dans *Oreste et Pilade* où le spectateur assiste à un double déguisement conscient mis au point par les personnages éponymes. Oreste arrive en Tauride où Thomiris lui conjure de garder son identité secrète sous peine d'être conduit au sacrifice. N'ayant pas d'autre issue, il s'applique alors à cacher quel il est. Cela se double rapidement d'un second déguisement conscient émanant de Pilade qui comprend qu'en révélant son nom, il condamnerait son ami – et mettrait par la même occasion un terme à la pièce. Ce déguisement est donc tout à fait fondamental, en ce sens que sur lui repose la conduite de la pièce et son dénouement. En effet, en prétendant tous deux être Oreste, le tyran ne sait sur qui faire tomber sa colère et retarde ainsi son union avec Iphigénie. Celle-ci, de même que Thomiris, dispose d'un temps plus long pour trouver un échappatoire. Prendre un même nom, partager une identité, suffit à mettre en place un déguisement qui n'est pas forcément physique. En outre, le spectateur est mis dans la confidente ; n'ayant pas la liste des *Acteurs* sous les yeux, les personnages se nomment régulièrement par leurs véritables prénoms afin que l'esprit du public ne soit pas embrouillé. La tragédie de La Grange-Chancel propose également un déguisement du physique. Celui-ci est pris en charge par le personnage d'Iphigénie qui parvient à s'échapper sur les navires Sarmates en se voilant le visage. Elle prend ainsi l'identité de Thomiris que le protagoniste Hidaspe conduit aux bateaux sous les ordres de Thoas afin qu'elle n'entrave plus les projets du tyran. Une nouvelle fois, le personnage de Thomiris est essentiel à la mise en place du déguisement. Il s'agit donc d'un déguisement conscient puisque la prêtresse revêt les vêtements de Thomiris de son plein gré. Ce déguisement physique est « le rôle où l'on montre que l'on se cache [226] ». Hidaspe est victime de cet artifice mais il l'est en toute connaissance de cause. Il a vu le personnage voilé et en a déduit qu'il s'agissait de Thomiris qui chercher à cacher « ou sa honte, ou sa rage » (vers 1453). « … Dans la société du XVIIe siècle, il est naturel qu'une femme qui possède un statut social d'un certain rang dissimule son visage lorsqu'elle va en course ou en visite [227] » ; les spectateurs ne devaient donc pas être étonnés de l'attitude de la prétendue Thomiris lors du récit d'Hidaspe. Cela permettait de conserver l'effet de *suspense* et de dévoiler cette vérité par un coup de théâtre : l'entrée sur scène de Thomiris à la scène V du dernier acte. À l'inverse de son ministre, Thoas est véritablement victime de cette feinte qu'il n'a pas pu contrôler. En outre, si le déguisement des identités d'Oreste et de Pilade est essentiel à l'évolution de la pièce, celui d'Iphigénie est pareillement fondamental même s'il ne repose que sur une petite partie de la pièce. En effet, bien que ponctuel, cette dissimulation est nécessaire au dénouement heureux de la tragédie. Georges Forestier l'explique en ces termes : Certains « masques », qui n'affectent de façon fondamentale qu'une partie de l'action, modifient le déroulement initialement prévisible de l'histoire, tout en ayant un prolongement essentiel dans la suite de l'action, qui ne peut plus se réordonner sur ses bases de départ [228]. Les différents types de déguisement que présente la pièce de La Grange-Chancel ont une motivation identique : échapper à un danger. Iphigénie se déguise pour fuir le royaume dont elle est retenue captive. Elle adopte alors une « attitude défensive [229] » qui lui permet d'éviter le mariage que voulait lui imposer Thoas, d'épouser celui qu'elle aime et de rejoindre ce qui reste de sa famille en Grèce. Il en va de même pour les deux amis que sont Oreste et Pilade et qui cachent leurs identités jusqu'à pouvoir s'enfuir avec la statue expiatrice. De plus, si « un déguisement conscient débouche sur un succès ou sur échec [230] », nous pouvons dire que dans le cas des déguisements d'*Oreste et Pilade*, le public assiste à une véritable réussite. ### Le traitement dramaturgique des scènes de reconnaissances. La *Poétique* d'Aristote expose l'idée que les principales formes de déguisement appellent à un procédé nommé la reconnaissance. Aristote mentionna de surcroît, à plusieurs reprises, le texte source de la pièce de La Grange-Chancel : *Iphigénie en Tauride* d'Euripide. *Oreste et Pilade* est une pièce qui présente une action tragique dite complexe ; c'est à dire que le dénouement de la tragédie repose sur une inversion soudaine des événements, autrement dit sur un coup de théâtre. Le XVII*e* siècle regorge de pièces de ce genre qui procuraient un éventail d'émotions différentes. Au chapitre XI de la *Poétique*, Aristote décrivit les éléments fondateurs d'une action complexe et donna pour exemple la reconnaissance. « La reconnaissance, c'est, comme son nom l'indique, le passage de l'état d'ignorance à la connaissance ... [231] ». Ainsi, par ce procédé, ce qui était jusqu'alors caché éclate au grand jour. Dans la pièce de La Grange-Chancel, il y a une reconnaissance pour chaque déguisement présenté. Le personnage de Thomiris se charge notamment d'informer Thoas sur la véritable identité des fugitifs ; elle amène donc un coup de théâtre qui étonne le spectateur. En effet, celui-ci était au courant de la supercherie d'Oreste et de Pilade, mais il n'avait pas été mis dans la confidence du déguisement d'Iphigénie, pensant la princesse Thomiris vaincue. Il passe donc de l'état d'ignorance à l'état de connaissance en même temps que le personnage du tyran. Toutefois, la principale scène de reconnaissance correspond à la découverte, par les personnages eux-mêmes, des liens familiaux qui unissent Oreste et Iphigénie. En outre, cette reconnaissance réciproque se double d'une péripétie tragique. En effet, Iphigénie reconnaît son frère alors même qu'elle s'apprêtait à le mener au sacrifice. Cela coïncide avec la situation qu'Aristote résume ainsi : « c'est lorsque celui qui va faire une action irréparable, par ignorance, reconnaît ce qu'il en est avant de l'accomplir [232] ». Ce type de reconnaissance est ensuite désigné par l'auteur antique comme faisant partie des meilleurs : « Le plus fort, c'est le dernier cas, j'entends celui, par exemple, … où, dans *Iphigénie*, la sœur, sur le point de frapper son frère, le reconnaît ... [233] ». La reconnaissance permet ainsi « un sentiment d'amitié … entre personnages désignés pour avoir du bonheur ... [234] ». Effectivement, en se reconnaissant mutuellement comme étant frère et sœur, les deux personnages unissent leurs forces, physique pour Oreste et d'influence pour Iphigénie, afin de déjouer le tyran et de pouvoir rentrer dans leur patrie. En outre, la reconnaissance qui a lieu entre Iphigénie et Oreste correspond à « cette sorte de reconnaissance et de péripétie qui excitera la pitié ou la terreur, sentiments inhérents aux actions dont l'imitation constitue la tragédie [235] ». En effet, le spectateur partage la joie des deux protagonistes qui se retrouvent après des années de séparation – Oreste ne connait qu'à peine sa sœur étant donné qu'il n'était qu'un bébé lors de son sacrifice à Aulis. Cependant, le spectateur craint aussi la poursuite de l'action : comment vont-ils faire pour tromper le tyran ? De quelle manière Iphigénie va-t-elle éviter son obligation à sacrifier l'un des Grecs ? Comment vont-il échapper à la mort ou au mariage forcé ? Le spectateur ressent alors un sentiment de crainte. De surcroît, il est pris de pitié quand il réalise qu'Iphigénie devra faire un choix entre immoler son unique frère ou sacrifier celui qu'elle aime. Notons au passage que La Grange-Chancel a inversé l'ordre de la reconnaissance entre Iphigénie et Oreste. En effet, Aristote résumait la situation exposée dans *Iphigénie en Tauride* d'Euripide en ces termes : « Iphigénie est reconnue d'Oreste, par suite de l'envoi de la lettre [236] ; mais pour que celui-ci le soit d'Iphigénie, il aura fallu encore une autre reconnaissance [237] » [238]. La Grange-Chancel procéda différemment dans *Oreste et Pilade*. C'est d'abord Iphigénie qui reconnaît Oreste car Pilade dévoile l'identité de son ami dans un élan de protection. Iphigénie, laissant échapper sa surprise en réalisant qu'elle est face à son frère, permet à Oreste de lui demandait qui elle est. Après avoir dévoilé son identité, les deux personnages se tombent dans les bras l'un de l'autre. L'ordre de la reconnaissance est donc inversé. La Grange-Chancel n'utilisa pas le procédé dramaturgique de la lettre comme moyen de reconnaissance entre le frère et la sœur. Pourtant, celui-ci était couvert d'éloges dans la *Poétique* d'Aristote qui affirmait au chapitre XVI de son ouvrage : « Le meilleur mode de reconnaissance est celui qui résulte des faits eux-mêmes, parce que, alors, la surprise a des causes naturelles ... [239] ». Il semblait légitime et naturel que le personnage d'Iphigénie veuille confier une lettre à Pylade, dans *Iphigénie en Tauride*, afin que celui-ci la transmette aux siens. Il était également normal que la jeune femme la récite à Pylade de façon à ce que celui-ci la retienne au cas où il perdait la lettre en chemin. Dès lors, déclinant son identité, Oreste pouvait reconnaître sa sœur d'une manière tout à fait naturelle. La Grange-Chancel écarta ce procédé dramaturgique. Cependant, il respecta tout de même les recommandations d'Aristote. Ainsi, dans *Oreste et Pilade*, la reconnaissance entre Oreste et Iphigénie découle naturellement des propos de Pilade qui, en ami dévoué, protège son double et prend la défense de celui-ci. La réaction du personnage est vive car il ne supporte pas qu'Iphigénie veuille mettre à mort Oreste, sans aucun scrupule, et qu'elle l'accuse de choses abominables. Ainsi, Pilade révèle, pour le sauver, qu'Oreste est le fils du grand Agamemnon, permettant alors à Iphigénie de reconnaître son frère. ## Le traitement des divinités et des oracles. Le XVII*e* siècle, de la moitié des années 1630 à la toute fin du siècle, vit une vingtaine de ses pièces faire place à des oracles [240]. Cette période est suffisamment étendue pour que l'on ne parle pas de *mode*. Cependant, les oracles de la tragédie classiques sont souvent considérés comme de simples ornements poétiques et ils ont longtemps été écartés de tout traitement dramaturgique. Tout d'abord, l'oracle était vu comme une contrainte imposée aux dramaturges du XVII*e* siècle par le texte-source ; une règle antique que les auteurs modernes s'efforçaient de respecter. En outre, l'oracle se vit attribuer la caractéristique d'ornement poétique destiné à renforcer la magnificence du spectacle. Enfin, le fait que l'oracle aille contre le principe de vraisemblance, s'inscrivant même dans la lignée des *dei ex machina*, acheva de l'écarter de la catégorie des procédés dramaturgiques. Bien sur, l'oracle est de l'ordre de l'invraisemblable ; « c'est même très exactement ce qui fait son intérêt » précise Bénédicte Louvat-Molozay [241]. En effet, il s'agit de la parole d'un dieu et elle est de ce fait chargée d'énigme. Le personnage tragique doit alors déchiffrer le message divin ou obéir à l'ordre que celui-ci contient. La tragédie d'*Oreste et Pilade* fait mention de quatre oracles différents, plus ou moins importants les uns des autres. Le premier est évoqué dès l'ouverture par Thoas qui cite textuellement les paroles du dieu Apollon sur le danger que pourrait représenter la venue en Tauride d'un dénommé Oreste (vers 85-91). Le second rappelle en deux vers un oracle passé et avéré lors d'un souvenir d'Iphigénie qui se confie brièvement sur sa vie en Aulide et sur l'oracle de Calchas qui la mena au sacrifice (vers 315-316). Le troisième a un statut particulier puisqu'il s'agit d'un oracle mensonger, inventé par Iphigénie qui profite de sa fonction de prêtresse pour parler au nom de Diane (vers 410-417). Enfin, le quatrième a une importance certaine puisqu'il confirme la prédiction du premier : il s'agit de l'oracle d'Apollon à partir duquel Oreste s'est embarqué pour la Tauride (vers 838-842). Avant d'étudier le traitement dramaturgique de ces quatre oracles, rappelons que *Oreste et Pilade* est une tragédie à sujet légendaire et que Bénédicte Louvat-Molozay précise dans son étude que « … le phénomène des oracles touche plus largement les tragédies à sujet légendaire [242] ». En outre, seulement deux de ces oracles sont présents dans le sujet d'origine, *Iphigénie en Tauride* d'Euripide. En effet, la pièce grecque ne fait aucunement mention d'une potentielle menace que représenterait le personnage d'Oreste et Iphigénie n'abuse pas de sa fonction de prêtresse en empruntant la voix de Diane puisque il n'est pas question d'annuler un hymen prévu avec le roi. La Grange-Chancel modifia donc le texte-source et choisit délibérément d'intégrer des oracles à sa tragédie. Ce procédé est donc « un outil de liberté [243] » pour le dramaturge qui peut alors, à travers lui, laisser une large part à l'invention dans l'adaptation qu'il fait d'une pièce antique. En effet, les oracles des tragédies du XVII*e* siècle possédaient leurs propres règles et nous sommes donc bien loin de l'aspect contraignant que l'on a longtemps voulu attribuer aux oracles. Cependant, La Grange-Chancel ne justifia jamais cette pratique et il ne participa guère à la constitution d'une poétique de l'oracle dans le théâtre classique, à l'inverse de Corneille qui intégra les oracles à trois de ses tragédies tout en théorisant cette pratique dans de nombreux avis « Au lecteur » et Examens. Le premier oracle présent dans *Oreste et Pilade* relève d'un procédé dramaturgique en ce sens qu'il a une fonction herméneutique, « l'oracle servant, généralement à rebours, à interpréter une action qu'il annonce au moins en partie [244] ». En effet, l'oracle d'Apollon récité par Thoas annonce, dès l'ouverture de la pièce, le déroulement et même le dénouement de celle-ci. Le spectateur apprend au bout de quelques répliques que le roi peut garder son trône et sa vie à condition de conserver la statue de Diane. Il est également d'emblée mis au courant de la menace que représente un Grec, prénommé Oreste, qui pourrait venir enlever cette statue pour expier sa fureur et mettre fin à la vie de Thoas. Ainsi, quand à la scène V de l'acte III, le personnage d'Oreste révèle dans un monologue son nom et son ambition, un public averti connait l'issue finale. Cet oracle est donc un véritable nœud de la tragédie puisqu'il la constitue en grande partie. Son importance se confirme par la reprise de celui-ci à différents endroits du texte, principalement par Anthenor (vers 377-378 ; vers 750-751). En outre, il nous permet d'aborder la poétique de l'oracle dans le théâtre du XVII*e* siècle. Nous pouvons constater que le rythme normal du dialogue est substitué par une disposition de rimes particulière et une métrique originale. En effet, l'oracle d'Apollon tient en sept vers parmi lesquels des octosyllabes, un décasyllabe et un alexandrin. Les rimes suivies classiques laissent également la place à des rimes embrassées qui ne se terminent d'ailleurs pas harmonieusement en raison du nombre impair de vers. L'explication la plus plausible à cela est que les dieux ne peuvent pas s'exprimer comme les personnages ordinaires de la tragédie. Leur statut privilégié doit être souligné et c'est pourquoi le caractère typographique des oracles est différent de celui du reste de la pièce. Dans le cas de la pièce de La Grange-Chancel, les oracles ont été retranscrits par les imprimeurs en italique. Le second oracle donne un exemple d'utilisation en tant qu'ornement poétique. En effet, Iphigénie s'épanche sur sa situation et revient sur sa vie en Grèce qui a été contrariée par l'oracle du devin Calchas qui l'envoya sur le bûcher. L'oracle n'est alors pas cité littéralement par le personnage qui se contente d'y faire une brève allusion. Cela permet d'insister sur l'injustice du sort d'Iphigénie et renforce l'effusion pathétique. Il n'y a donc aucun lien avec l'action de la tragédie. Le troisième oracle sert de support à un nouveau nœud, ou plus précisément à un nouvel obstacle. Iphigénie, rejetant l'idée d'une union avec Thoas, voit en sa qualité de prêtresse de Diane un moyen de soulever le peuple contre le choix du tyran. Le personnage instaure alors un oracle mensonger en supposant s'exprimer par la voix de Diane qui ordonne aux Scythes de protéger le Grec récemment arrivé en Tauride et dont Thoas réclame le sacrifice. Iphigénie, voulant sauver l'étranger et le renvoyer dans son pays natal afin qu'il informe les siens de sa triste situation, menace le peuple, par l'intermédiaire de Diane que celui-ci respecte, de périr s'il n'obéit pas à la déesse. Dans *La Dramaturgie classique en France*, Jacques Scherer expliquait à propos des oracles que « leur emploi, amené par l'intrigue, n'est pas très fréquent [245] ». Ce troisième oracle est amené par l'intrigue puisqu'il réagit à la décision maritale prise par Thoas mais il ne peut être légitimé puisqu'il s'agit d'un artifice sans aucune portée divine. Enfin, le quatrième oracle est celui qui correspond le plus à un véritable procédé dramaturgique puisqu'il organise la succession logique et chronologique entre deux actions. Cet oracle est d'abord évoqué par Pilade lors de son entretien avec Iphigénie où il pleure son ami qu'il croit mort (vers 595-597). Les informations concernant l'oracle sont réduites puisqu'elles se limitent à l'aspect expiatoire du voyage en Tauride. Cependant, les spectateurs ne savent pas encore quel crime Oreste veut purifier ni de quelle manière il doit s'y prendre. Cela n'est su qu'au moment où le personnage concerné revient sur les paroles d'Apollon (acte III, scène V). Dès lors, l'oracle premier est confirmé et il est sur le point de se réaliser. Les fonctions de l'oracle sont donc multiples et ce procédé peut être considéré comme une technique dramaturgique et une forme d'écriture théâtrale « admise à toutes les époques du théâtre classique et dans tous les genres [246] ». # Note sur la présente édition. La première édition de *Oreste et Pilade* fut achevée d'imprimer le 20 mars 1699, soit un an et trois mois après la première représentation de la pièce au Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, à Paris. C'est le marchand libraire Pierre Ribou qui prend un Privilège du Roi de huit années pour l'impression de cette pièce, dans le cadre de la publication du *Recueil des Tragédies du Sieur de la Grange*. La veuve de ce libraire, ainsi que son fils, se chargeront de la publication des *Oeuvres de M. de La Grange-Chancel revues et corrigées par lui-même*, en 1734. Par la suite, la Compagnie des libraires associés imprimera *Oreste et Pilade* au sein des Oeuvres complètes de La Grange-Chancel, en 1742 puis en 1758. Seuls sept exemplaires de l'édition première ont été conservés : trois d'entre eux sont compris dans des recueils factices intitulés *Les Œuvres de M. DeLaGrange*, comportant diverses tragédies choisies émanant de l'auteur, trois autres proposent la pièce seule et le dernier se trouvant à la Bibliothèque Universitaire des Lettres de Caen n'a pas été consulté. Précisons notamment que la pièce a été publié à Amsterdam par Desbordes en 1700, 1707 et 1709 mais nous ne prendrons pas en considération ces exemplaires que nous mentionnons juste. Les exemplaires que nous avons consultés sont subsumés sous les cotes suivantes. ## Liste des ouvrages. ### Pour les recueils factices. *8-RG-6390*, disponible à la bibliothèque de Richelieu, au Département des Arts du Spectacle de la Bibliothèque Nationale de France. Le volume comprend *Adherbal, roy de Numidie* (1694), *Oreste et Pilade* (1699), *Méléagre* (1699), *Athenaïs* (1699), *Amasis* (1701) et *Alceste* (1703). *GD-1682*, disponible à la bibliothèque de l'Arsenal. Le volume comprend *Adherbal, roy de Numidie* (1694), *Oreste et Pilade* (1699), *Méléagre* (1699) et *Athenaïs* (1699). *RRA6=781*, volume disponible à la Réserve de la Sorbonne et qui comporte *Adherbal, roy de Numidie* (1694), *Oreste et Pilade* (1699), *Méléagre* (1699) et *Athenaïs* (1699). ### Pour les pièces seules. *RES-YF-3939*, conservée au site Tolbiac de la Bibliothèque nationale de France. *8-RF-6400*, disponible à la bibliothèque de Richelieu, au Département des Arts du Spectacle. *GD-15339*, disponible à la bibliothèque de l'Arsenal. L'exemplaire qui nous a servi de base est celui numérisé sur le site Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France, et que l'on peut également retrouver sur le site Tolbiac de la Bibliothèque Nationale de France sous la cote *8-YTH-13124*. L'ouvrage est un in-12 de V-78 pages qui se présente comme suit : I ORESTE / ET / PILADE ; / TRAGEDIE. / fleuron du libraire / A PARIS, / Chez PIERRE RIBOU, proche les / Augustins, à la descente du Pont-neuf, / à l'Image S. Loüis. / filet 8, 8 / M. DC. XCIX. / *AVEC PRIVILEGE DU ROI*. II-III bandeau 8, 5 x 1, 4 / PREFACE. / Texte de la préface IV filet 8, 6 / EXTRAIT DU PRIVILEGE / du Roi. V bandeau 8, 6 x 0, 5 / ACTEURS. / liste des Acteurs 1-78 texte de la pièce, avec un titre courant constant : « ORESTE ET PILADE, » sur la page paire ; « TRAGEDIE. », sur la page impaire. ## Établissement du texte. La retranscription du texte a eu pour principe une fidélité maximale à l'édition imprimée. L'orthographe originale a été respectée, y compris dans le cas de formes concurrentes, à savoir : *Tauride / Thauride, flate / flatte, longtemps / long-tems / long-temps, plûtost / plutôt, à bout / about, aussi-tôt / aussi-tost, plusque / plus que, bon-heur / bonheur, rappellant / rapellant / r'appellant*. Ces variations graphiques n'ont pas une répartition significative au sein de la pièce, susceptible de faire apparaître l'exercice de plusieurs ouvriers. En outre, nous nous sommes strictement conformés à l'accentuation des mots telle qu'elle est pratiquée dans l'édition originale : les formes *déja* et *voila*, toutes deux attestées par Richelet, ont par exemple été maintenu. Enfin l'emploi des majuscules a été systématiquement suivi, aucune occurrence ne semblant fautive. Ainsi, seules les coquilles manifestes ont été rectifiées. Par ailleurs, pour assurer une plus grande lisibilité au texte, nous avons modernisé tous les « ⌠ » en « s », et décomposé en voyelle nasale *an* l'unique tilde « ~ » présente au vers 278, dont l'utilité peut avoir été de gagner de la place et du plomb lors de la composition. Nous avons également choisi de remplacer la ligature « & » par « et ». En ce qui concerne les distinctions entre « i » et « j » et « u » et « v », l'imprimé prouve sans conteste qu'elles sont assises à la fin du siècle, sachant qu'on a pu en relever aucune. Il en est de même pour les accents diacritiques, dont quatre formes seulement avaient besoin d'être rétablies, à savoir « où » aux vers 981, 1180 et 1348, et « a » au vers 711. Quant à la ponctuation, elle a subi quelques modifications afin de faciliter la lecture. Les points de suspension étaient indiqués de façon tout à fait irrégulière, majoritairement par « …. », dans l'originale, et nous avons rétabli la forme moderne « ... » aux vers 193, 268, 390, 428, 438, 454, 504, 641, 645, 914, 1052, 1306, 1333 et 1551. Quelques virgules qui semblaient faire défaut ont été adjointes au sein du texte et sont signalées entre crochets. À l'inverse, le texte présentait certaines coquilles de ponctuation telle que l'omission du point final, substitué par une virgule, aux personnages présents à la scène 2 de l'acte I et aux vers 385, 980, 1109 et 1550. Enfin, les phrases interrogatives ont retrouvé leur point d'interrogation quand celui ci manquait. C'est ainsi aux vers 357, 574, 646, 969, 1011, 1025, 1165, 1266, 1267, 1295 et 1554. Pour la présentation, nous avons respecté les changements de page à chaque fin d'acte. La pagination de l'édition originale, ainsi que les changements de cahiers ont été précisés entre crochets à la droite du texte. Les ornements tels que les lettrines et les gravures à la fin des actes ont été supprimés. Comme nous l'avons mentionné, la pièce a été rééditée à trois reprises lors de la publication des *Œuvres de M. de La Grange-Chancel, revues et corrigée par lui-même*, en 1734, 1742 et 1758. L'auteur a procédé à chaque fois à des corrections, des ajouts, ou encore des suppressions. Ces variantes sont toutes mentionnées en note de bas de page, et elles sont subsumées sous l'abréviation « *Var année de l'édition* ». Ces modifications sont restées les mêmes dans les éditions suivantes, sauf indication contraire. Pour l'établissement de ces variantes, nous nous sommes appuyés sur les exemplaires suivants : – *Pour l'édition de 1734* : *8-BL-13117 (1)*, disponible à la bibliothèque de l'Arsenal. *Pour l'édition de 1742* : *YF-9725 *, conservé au site Tolbiac de la Bibliothèque Nationale de France. – *Pour l'édition de 1758* : *8-BL-13119 (1)*, disponible à la bibliothèque de l'Arsenal. Enfin, les notes de bas de page de la présente édition font régulièrement référence aux dictionnaires de l'Académie française, de Furetière et de Richelet : ils sont respectivement désignés par les abréviations (Acad.), (F) et (Ric.). ## Coquilles corrigées. Jy / J'y (préface) ; ou / eu (préface) ; Scyches / Scythes (liste des personnages) ; inconnë / inconnuë (v. 74) ; grand / grands (v. 121) ; Souffres / Souffrez (v. 126) ; ANTENOR / ANTHENOR (entre v. 132 et v. 133) ; ces / ses (v. 136) ; Letemeraire / Le temeraire (v. 149) ; ANTENOR / ANTHENOR (liste des personnages : scène IV, I) ; pordonne / pardonne (v. 281) ; animer / animé (v. 550) ; Ciane / Cyane (v. 652) ; Remetsdans / Remets dans (v. 800) ; ORELTE / ORESTE (entre v. 905 et v. 906) ; Horrrible / Horrible (v. 930) ; offront / affront (v. 949) ; Ou / Où (v. 981) ; Pur / Pour (v. 990) ; un / blanc et signe incompréhensible (v. 1025) ; plae / place (v. 1025) ; nos / vos (v. 1114) ; 35 / 53 (pagination de l'édition originale) ; Ou / Où (v. 1180) ; versez / verser (v. 1267) ; 26 / 62 (pagination de l'édition originale) ; ou / où (v. 1348) ; Ses / Ces (v. 1390) ; secret, détours / secrets détours (v. 1456). ## Correction des ponctuations. pour jurer, de / pour jurer de (v. 418) ; Verray-je l'Etranger Anthenor / Verray-je l'Etranger, Anthenor (v. 731) ; ORESTE, / ORESTE. (entre v. 883 et v. 884) ; privé / privé. (v. 1105) ; Dieux / Dieux. (v. 1109) ; toy / toy. (v. 1552) , au lieu de . à la fin des vers 9, 141, 174, 258, 1122, 1123, 1433, 1536. , au lieu de ; aux vers 77, 594. . au lieu de , à la fin des vers 385, 980 et à la liste des personnages de la scène II de l'acte I.  ? au lieu de ; à la fin du vers 357;  ? au lieu de . à la fin des vers 574, 969, 1011, 1025, 1165, 1266, 1267, 1554 et 1595.  ? au lieu de : à la fin du vers 646. ; au lieu de : au vers 689. , au lieu de ? à la fin des vers 827 et 854.  ! au lieu de : à la fin du vers 1390. . au lieu de ; à la fin du vers 1391. . au lieu de ? à la fin du vers 1421.  ! au lieu de ? à la fin des vers 1422, 1423 et 1659. # ORESTE ET PILADE ; *TRAGEDIE.*. ## Préface. *Il y a long-temps qu'on auroit vû paroître sur la Scene ce sujet, qui est un des plus grands et des plus beaux de l'antiquité* [247] , *si nos meilleurs Autheurs avoient crû pouvoir en surmonter les difficultez* [248]  ; *mais quand on est jeune on est toujours temeraire* [249] . *Et l'on est quelquefois heureux. D'ailleurs comme l'on sçait assez que la qualité d'Autheur n'est pas celle qui m'honnore le plus, j'ay voulu traiter un sujet dont la réussite me déterminast à travailler pour le Theatre, ou à employer mes momens de loisir à quelque occupation qui me fust plus convenable. Madame la Princesse de Conty* [250] , *chez qui j'ay eu l'honneur d'estre élevé, me choisit elle-même ce sujet préferablement à beaucoup d'autres. J'y ay donné tous mes soins; et ce qui me confirme encore dans la bonne opinion que j'en ay, c'est qu'on le voit encore paroistre tous les jours sur la Scene avec autant de plaisir et d'applaudissemens que dans les premieres representations* [251] , *je puis dire que cet Ouvrage a esté si generalement approuvé de tout le monde, que je ne répondray pas seulement à la mauvaise critique de ceux qui ont condamné Thoas et Thomiris; l'un est dans Euripide* [252] , *sans lequel il n'y auroit point de Piece* [253] , *et je me suis assez bien trouvé de l'autre pour ne m'en pas**repentir* [254] . *La perte que fit le Theatre, en perdant Mademoiselle de Champmesle* [255] , *m'avoit empesché de faire imprimer cette Piece; mais depuis qu'une jeune Actrice, qui a paru ces jours passez, nous en a rafraîchy la mémoire* [256] , *je me suis laissé vaincre par les pressantes sollicitations de mes amis, qui, avec mes autres Ouvrages, m'ont persuadé de donner encore celuy-cy au public, me flattant que la lecture ne luy en fera pas moins de plaisir que la representation.* ## EXTRAIT DU PRIVILEGE du Roi. Par Grace et Privilege du Roy, donné à Versailles le douziéme Fevrier 1699. Signé, Par le Roy en son Conseil, LE FEVRE. Il est permis à PIERRE RIBOU Marchand Libraire à Paris, de faire imprimer le *Recueil des Tragédies du Sieur de la Grange*, pendant le temps de huit années, à compter du jour que chaque Tragédie sera achevée d'imprimer pour la premiere fois ; Pendant lequel temps faisons tres expresses défenses à toutes personnes de quelque qualité et condition qu'elles soient, de faire imprimer, vendre ny debiter d'autre Edition que de celle de l'Exposant, ou de ceux qui auront droit de luy, à peine de quinze cens livres d'amende, payables sans deport par chacun des contrevenans, et de tous dépens, dommages et interests, et autres peines portées plus au long par lesdites Lettres de Priviliege. Registré sur le Livre de la Communauté des Imprimeurs et Marchands Libraires de Paris le 26. Fevrier 1699. Signé, C. BALLARD, Syndic. Achevé d'imprimer pour la premiere fois le 20. Mars 1699. ## ACTEURS. – THOAS,Roy des Tauro-Scythes. – IPHIGENIE,Fille d'Agamemnon, grande Prestresse de Diane. – ORESTE,Frere d'Iphigenie. – PILADE,Prince, amy d'Oreste, Amant d'Iphigenie. – THOMIRIS,Princesse du sang Royal des Scythes. – ANTHENOR, – HIDASPE,Ministres d'Etat, et les principaux d'entre les Scythes. – CYANE,Prestresse de Diane, et confidente d'Iphigenie. – ERINE,Confidente de Thomiris. – TAXIS,Capitaine des Gardes de Thoas. La Scene est à Anticire [257], dans le Palais de Thoas. ## ACTE I. ### SCENE PREMIERE. THOAS, HIDASPE. HIDASPE. Seigneur⁎, voicy le jour si longtemps souhaité [258], Où [259] conduit par l'hymen⁎ à la felicité⁎, Thoas, l'heureux Thoas, épouse ce [260] qu'il aime. C'estoit peu qu'éloigné de la grandeur suprême, Par vos seules vertus, sans le secours du sang, [261] Vous eussiez pû monter à cet auguste⁎ rang : C'estoit peu que de voir les Scythes indomptables, [262] Vous soûmettre à l'envy [263] leur rives redoutables, [264] Pour vous faire un destin digne de vos exploits, Et donner une épouse au plus grand de nos Rois. Nous avons vû Diane en ces lieux adorée [265], Dans un éclat pompeux⁎, par la route azurée [266], Vous amener, Seigneur⁎, cette auguste⁎ beauté [267], De qui vostre constance⁎ a vaincu la fierté⁎. Tout vous rit : la splendeur qui dans ces lieux éclate, Est relevée encor par celle du Sarmate, [268] Dont les Ambassadeurs honorent vostre Cour. Enfin pour vous combler de gloire ce grand jour... THOAS. A-t-on tout préparé ? verray-je [269] la Princesse, [270] Hidaspe ? HIDASPE.         Elle est encore aux pieds de la Deesse. Tandis que de ce Grec à la mort destiné, On couronne de fleurs le front infortuné⁎. Pleine d'un feu⁎ divin dans l'enceinte sacrée, Au fond du Sanctuaire elle s'est retirée ; Où son cœur attentif semble se préparer, Au mystere⁎ sanglant qu'elle va celebrer. Mais que vois-je ! en ce jour de gloire et d'allegresse, Qui n'attend que ce sang qu'éxige la Deesse [271], Pour faire que sans crime un Roy victorieux Possede enfin un cœur reservé pour les Dieux [272] : Lors qu'à ces nœuds⁎ sacrez [273] il n'est rien qui s'oppose, De ce sombre chagrin⁎ qui [274] peut être la cause ? Me seroit-il permis, sans sortir du devoir, D'oser m'en informer ? Ne le puis-je sçavoir ? [275] THOAS. Heureux qui sans remords, portant un Diadême, N'a point à redouter la vangeance suprême, Et n'est point obligé de conserver ce rang, Par des droits violez, et des fleuves de sang [276]. HIDASPE. Qu'entens-je ? quel discours, Seigneur⁎, qui vous l'inspire ? [277] Je n'ay pas oublié qu'en acceptant l'Empire⁎, Vous jurâtes d'abord d'épouser Thomiris : Que son pere en mourant mit le Sceptre à ce prix. Pour acquerir un Trône on ose tout promettre. Mais sur le Trône assis on se peut tout permettre [278]. Tranquille Souverain, et Vainqueur tant de fois, Vous n'avez qu'à parler, tout fléchit sous vos loix. Dans ses ressentimens⁎ Thomiris n'est qu'à plaindre. THOAS. Dans ses ressentimens⁎ Thomiris est à craindre. Quelque trouble pourtant qu'elle puisse exciter⁎ [279] De plus cruels⁎ chagrins⁎ viennent m'inquieter : [280] Elle n'est pas la seule icy que je redoute. HIDASPE. Et quel autre ennemy pouvez-vous craindre ? THOAS.         Ecoûte. Quand le feu⁎ Roy, parmy tant de Scythes fameux, Daigna tourner sur moy ses regards et ses vœux, Et me faire en mourant l'appuy⁎ de sa famille, En m'accordant le Sceptre, et me donnant sa fille ; Guidé par mon devoir plusque par mes sermens, Je voyois chaque jour dans mes empressemens⁎, Thomiris s'applaudir d'augmenter ma tendresse⁎. Helas ! je n'avois point encor vû [281] la Prestresse. Le jour qui l'amena dans toute sa splendeur, Eclaira son triomphe ensemble, et mon malheur. Mes yeux ne furent plus attachez que sur elle. Perfide à Thomiris, à ma gloire infidelle. Pour m'assurer le Trône, et regner sans effroy, De tous ceux que j'en crus aussi dignes que moy, Hidaspe, j'étouffay l'espoir avec la vie. Mes ennemis domptez, la Thauride asservie, Parez de ces grands noms, de ces fameux exploits, Que la victoire ajoûte à la pourpre des Rois, [282] Je parlay de mes feux⁎ en Amant⁎ seur [283] de plaire. Quel revers⁎ ! la Prestresse inconnuë, étrangere, Ne crut pas mon amour digne d'estre écoûté. Que dis-je ? Elle poussa son injuste fierté⁎ Jusqu'à me refuser, soit mépris, soit prudence, De m'apprendre son nom, son païs, sa naissance. Cet orgueil imprévû ne fit que m'irriter. Pour fléchir sa rigueur on me vit tout tenter : Mais en vain : je ne fis qu'augmenter son audace. Des Dieux, toutes les nuits, éprouvant la menace, Je voulus de mon sort⁎ sçavoir la verité. Voicy, par Apollon [284], ce qui me fut dicté. *Tu joüiras du Sceptre et de la vie*, Tant que tu seras possesseur *Du simulachre de ma Sœur* [285]  : Mais crains d'un Grec la main impie. La Statuë enlevée expiant sa fureur, Te menace d'un sort⁎ funeste. Tremble, Thoas, au nom d'Oreste. HIDASPE. Quel Oracle ! THOAS.         En secret m'ayant esté rendu, R'appellant aussi-tôt mon esprit éperdu, Pour assurer mes jours contre ce coup funeste, Je crus que je devois cacher le nom d'Oreste ; Rejetter sur les Grecs ma crainte, et mon couroux⁎, Et dans ce crime affreux les envelopper tous. Pour engager mon peuple à cet arrest⁎ sinistre, Je fis parler des Dieux le plus zelé⁎ Ministre [286]. Les Scythes à sa voix tremblerent pour l'Etat : Tous s'armerent de cris contre cet attentat. De tous les Etrangers la perte fut jurée. Leurs jours furent proscrits [287] à Diane implorée. Que [288] de sang a depuis arrosé son Autel ! Que d'innocens punis pour un seul criminel ! Ces meurtres redoublez, ces sanglantes victimes, Sans adoucir mes maux multiplioient mes crimes. Rapellant ma raison dans ces obscuritez⁎ ; Voulant de cet Oreste avoir quelques clartez ; Anthenor dont tu sçais la prudence et l'adresse, Instruit de mon secret fit voile pour la Grece. Depuis un an entier qu'il a quitté ce port, Il ne m'a point encor informé de son sort⁎ : Le mien traîne par tout le chagrin⁎ qui m'accable ; Ce jour même, ce jour qu'un hymen⁎ favorable, Va mettre dans mon lit cette fiere⁎ beauté, Ce prix de ma constance⁎, et qui m'a tant coûté ; Je n'ay de mon bonheur qu'une joye inquiete. Etonné⁎, traversé d'une crainte secrete, Sans relâche … Ah grands Dieux, que vois-je ! est-ce Anthenor ? ### SCENE II. THOAS, HIDASPE, ANTHENOR. THOAS. Ciel ! il m'est donc permis de te revoir encor. Amy, de ton retour que faut-il que j'augure⁎ ? Qu'as-tu dévelopé [289] de ma triste⁎ avanture ? Parle : ay-je à craindre encor le celeste courroux⁎ ? ANTHENOR. Souffrez⁎ qu'auparavant j'embrasse vos genoux, Seigneur⁎, que j'ay de fois tremblé pour vôtre vie ! Quand par la trahison je la croyois ravie⁎. Qu'heureusement, grands Dieux ! vous calmez mon effroy ; Vous me rendez icy mon cher Maistre, mon Roy. THOAS. Qui peut t'avoir causé cette crainte funeste ? Qu'as-tu vû ? que sçais-tu ? connois-tu cet Oreste ? ANTHENOR. Je me suis vainement empressé pour le voir ; [290] Mais son sort⁎ dans la Grece est facile à sçavoir. Le grand Agamemnon [291] luy donna la naissance. Mycene est sous ses loix, Argos sous sa puissance [292]. J'aborday son païs ; il venoit d'en sortir. Un horrible dessein l'en avoit fait partir. J'appris que pour vanger le trépas de son pere [293], Ayant trempé ses mains dans le sang de sa mere; Tourmenté, déchiré de ce crime odieux, Egalement hay [294] des hommes, et des Dieux, Il en traînoit par tout l'idée épouvantable ; Et que pour expier ce meurtre détestable, Avec un seul vaisseau, guidé par sa fureur, Portant dans vos Etats la rage, et la terreur, [295] D'une ame au sacrilege instruite et parvenuë, Il venoit de Diane enlever la Statuë ! [296] THOAS. Le temeraire ! Après d'innombrables travaux⁎ : Si son pere en dix ans avec mille vaisseaux, Vit à peine Illion [297] soûmis au sang Attride [298], Croit-il avec un seul étonner⁎ la Tauride ? ANTHENOR. Ne vous y trompez pas, il y vient inconnu. Mais quand avec son nom jusqu'à vous parvenu ; Vous auriez connoisance encor de son visage, Vostre aspect ne feroit qu'augmenter son courage. [299] Si sur la foy⁎ des Grecs on en croit son renom, Ce Prince, de la peur, ne connoist que le nom. Ses sermens solemnels ont juré vostre perte : Et soit par la surprise, ou par la force ouverte, Il vient, quelque peril qu'il y puisse courir, [300] Enlever la Statuë, ou vous perdre, ou perir. [301] Ah ! Seigneur⁎, quel devins-je à ce recit funeste ? [302] Que [303] ne tentay-je point pour prévenir Oreste ? Je combattis long-tems et les vents et les mers, Et cependant heureux que ces mêmes revers⁎, Des projets du barbare ayent suspendu la rage, [304] Plus heureux si tous deux nous avions fait naufrage. S'il m'avoit devancé qu'auroit-ce été, grands Dieux ! THOAS. Il n'en faut point douter, ce Prince est en ces lieux. ANTHENOR. Luy ? THOAS.         C'est ce même Grec dont j'attens le supplice, Et qu'aujourd'huy Diane accepte en sacrifice. Son front où d'un beau sang⁎ se répand la fierté⁎, Cet orgueil qu'il oppose à mon authorité ; Sur tout son nom qu'il cache, et qu'il s'obstine à taire, Confirme le recit que tu viens de m'en faire. Des vagues en fureurs seul des siens échapé, Sans espoir de secours dans ses projets trompé, A l'aspect d'une mort dont l'horreur est extrême, Il voit sans s'étonner⁎ ses malheurs. C'est luy-même. Dieux justes ! Dieux puissans ! Je reconnois vos traits⁎. Vostre prudence a mis un prix à vos bienfaits. Elle en fait aux mortels achetter l'allegresse. Je pers mon ennemy, j'épouse la Prestresse. Quoy qu'il m'en ait coûté pour avoir attendu, Ce bonheur ne m'est point encore assez vendu. Cher amy que je suis redevable à ton zele⁎. Allons, courons au Temple en porter la nouvelle. Informons la Prestresse... On ouvre, la voicy. ### SCENE III. THOAS, IPHIGENIE, ANTHENOR, HIDASPE, CYANE. THOAS. Ah ! Madame, le sort⁎ enfin s'est adoucy ! Nous allons l'éprouver par l'hymen⁎ qui s'apreste : L'ordre … IPHIGENIE.     Arreste Thoas. THOAS.     Hé quoy ? IPHIGENIE.         Thoas, arreste. Les Dieux n'approuvent point ton hymen⁎ avec moy. Diane a prononcé. Je ne puis estre à toy : Ce n'est pas tout. De sang la Deesse se lasse : Devant son Tribunal ce Grec a trouvé grace : Elle s'en fait l'appuy⁎. THOAS.     Ciel ! IPHIGENIE.         Au pied de l'Autel, Mon bras alloit sur luy porter le coup mortel. Un prodige inouy me surprend, et m'arreste. Les sacrez ornemens [305] sont tombez de sa teste. Le Temple sous mes pas a paru s'ébranler. La Statuë, et l'Autel ont semblé reculer. Sur mes sens interdits⁎ la nuit s'est répanduë. Diane à mes regards est alors apparuë. [306] J'ay lû, j'ay reconnu dans ses yeux irritez, Que formant des projets contre ses volontez, Tu vas sur tes Etats attirer sa colere, Si d'en presser l'effet ton ame persevere. Cesse d'estre rebelle aux menaces des Dieux. Ne verse plus du sang qui te rend odieux : Etein [307] de ton amour l'ardeur desavoüée : Laisse en paix une fille aux Autels dévoüée, Et songe bien plûtost, détestant tes rigueurs, A gagner les esprits qu'à [308] contraindre les cœurs. THOAS. Où se replonge, ô Ciel ! mon ame épouvantée ? Toujours entre la crainte et l'espoir agité, Ne peut-elle entrevoir un avenir certain ? Et vous [309] qui m'accablez par un zele⁎ inhûmain, Mes malheurs, mes chagrins⁎ n'ont-ils rien qui vous touche ? En seray-je [310] sans cesse instruit par vôtre bouche ? Madame, ouvrez les yeux, quand on le pousse about, Rien [311] n'est plus dangereux qu'un Amant⁎ qui peut tout. Prevenez-en l'éclat [312], c'est trop vous le redire : Un peu de sang versé vous assure un Empire⁎. Ces refus outrageans ne vous sont plus permis. Vous devez estre à moy. Vous me l'avez promis. La parole a ses loix qu'on ne doit point enfraindre, Qui [313] le souffre⁎ est indigne … IPHIGENIE.         Est-ce à toy de t'en plaindre ? Toy qui ne dois ce rang dont tu fais vanité, Qu'à ton manque de foy⁎, qu'à ton impieté : Aux ordres du feu⁎ Roy cesse de faire injure⁎. Epouse Thomiris, ou crains pour ton parjure. Mais la prosperité te rend sourd à ma voix. Un Tyran couronné ne connoît plus de loix. Tu veux par mon hymen⁎ combler tes injustices, Tu n'as plus de raison que pour flater⁎ tes vices. Tu te crois revêtu d'un pouvoir qui peut tout ; Voyons ce qu'il destine à qui te pousse à bout. D'une odieuse main instruite dans le crime, Va toy-même à l'Autel immoler la victime ; Et pour braver un cœur ferme à te refuser, Aux yeux de la Deesse ose, viens m'épouser, Je vais t'attendre. THOAS.         Hé bien, je vous suis, ma vangeance … ### SCENE IV. THOAS, IPHIGENIE, ANTHENOR, HIDASPE, TAXIS, CYANE. TAXIS. Le Sarmate, Seigneur⁎, vous demande audiance. Et de cette entreveuë il presse le moment. THOAS. Je vais l'entendre, et plein de mon ressentiment⁎, Je reviens à l'Autel, sans que rien m'épouvante, Immoler la victime, et d'une main sanglante, Vous épouser malgré vôtre audace, et vos Dieux. Mais pour vous détester, et vous estre odieux, [314] Vous le voulez, cruelle⁎, attendez-moy. ### SCENE V. IPHIGENIE, CYANE. CYANE.         Madame, Quel est l'affreux dessein où s'emporte son ame ! Que [315] seroit-ce, grands Dieux ! s'il venoit à sçavoir Que ce prodige n'est que pour le décevoir⁎ : Que ce n'est qu'un mensonge inventé par vous-même. Que ne permettra-t-il à sa colere extrême ? Affermy dans ses feux⁎ par cette fausseté, Je crois déjà le voir furieux⁎, irrité, [316] Porter sur vôtre teste … IPHIGENIE.         Il n'oseroit Cyane. Consacrée aux Autels, Prestresse de Diane, Quelque audace qu'il eût ce frein l'arresteroit. [317] Il a beau menacer Cyane, il n'oseroit. Toy qui d'Iphigenie as penetré la feinte, Qui connois de mon coeur, et le trouble, et la crainte. [318] Diane, montre à tous, te declarant pour moy, Que le sang de ton pere est protegé par toy [319]. Si ma fierté⁎ se porte à des démarches vaines, C'est l'orgueil de ce sang⁎ qui coule dans mes veines. Voudrois-tu qu'un Tyran soüillast sa pureté, Et pourrois-je descendre à cette indignité. Pardonne aussi, Deesse, à la pieuse estime, Que la pitié m'a fait prendre pour ta victime. L'appuy⁎ de l'innocence est l'ouvrage des Cieux : Et c'est une vertu que d'imiter les Dieux. CYANE. Mais quand vous renoncez au devoir de Prestresse, N'apprehendez-vous point d'irriter la Deesse. Le sang de tous les Grecs à sa vangeance est dû. Jusqu'icy, sans fremir, vous l'avez répandu. Une sainte ferveur animoit⁎ ce beau zele⁎. D'où vient pour ce Grec seul que vôtre main chancele ? IPHIGENIE. Me le demandes-tu ? tes yeux furent témoins Du déplorable état qui l'offrit à mes soins⁎ : Quitte de mes devoirs, j'allois sur le rivage Soupirer mes malheurs, pleurer mon esclavage. Les vents impetueux obscurcissoient les airs, Troublaient les Elements, faisoient mugir les Mers : Quand sur des mats brisez la vague épouvantable, Jetta ce malheureux étendu sur le sable : La pitié m'inspira de conserver ses jours : Dans nos empressemens⁎ il trouva du secours. [320] N'aurois-je pris le soin⁎ de le rendre à la vie, Qu'afin que par moy-même elle luy fût ravie⁎. Non, si je me portois à cet excés d'horreur, Diane en puniroit la barbare fureur. CYANE. Et songez-vous pour qui vôtre ame s'interesse ? Pour qui vous offensez Thoas, et la Deesse. Ce Grec, dont la pitié vous fait prendre l'appuy⁎, Répond-il aux bontez que vous avez pour luy ? Vous a-t-il dit quel sang⁎ l'a transmis à la vie ? Lorsque de le sçavoir vous témoignez l'envie, Le visage interdit⁎, les yeux pleins d'embarras : Il soûpire, Madame, et ne vous répond pas [321]. IPHIGENIE. D'un sang illustre, et grand voila le caractere, Et c'est ce même orgueil qui me force à me taire. Tu sçais, quand de Calchas l'Oracle rigoureux, Eût prononcé la fin de mes jours malheureux, [322] Et qu'aux feux⁎ du bucher par Diane enlevée, A servir ses Autels je me vis reservée, Que l'horreur de me voir chez les Scythes cruels⁎ ; Rougir, tremper mes mains dans le sang des mortels, M'a fait ensevelir le nom d'Iphigenie. Je n'ay conté qu'à toy les malheurs de ma vie. CYANE. Madame … IPHIGENIE.         De ce nom le fier⁎ ressentiment⁎, Déteste cet indigne, et lâche abaissement. Il veut briser un joug dont sa gloire est flêtrie. Je brûle⁎ de revoir la Grece, ma patrie, D'admirer, d'adorer couvert de tant d'exploits, Ce grand Agamemnon Chef des Grecs, Roy des Rois [323] : D'entendre, d'embrasser⁎ Clitemnestre ma mere, Les Princesses mes sœurs [324], Oreste mon cher frere. Quels transports⁎ à me voir ne sentiroient-ils pas ? Mon pere, qui long-temps a pleuré mon trépas, Retrouvera sa joye à l'aspect d'une fille, Qui n'a point démenty son auguste⁎ famille. Pour cet heureux moment, qui fait tous mes souhaits : Ce Grec m'est important, et plus cher que jamais ; Je vais le délivrer, le charger d'une lettre, Qu'aux mains d'Agamemnon il jure de remettre. Quand mon pere sçaura … CYANE.         Madame, y pensez-vous ? Comment le dérober à Thoas en courroux⁎ ? Quand même à vôtre feinte il donneroit croyance, Pensez-vous d'un Tyran tromper la prévoyance ? Quel vaisseau recevra l'Etranger sur son bord ? Sans l'ordre de Thoas, on ne sort point du port. IPHIGENIE. Cyane, il partira de l'aveu du Barbare ; Il ne sçait pas le coup que ma main luy prépare. Des volontez du Ciel incertain, et troublé, Le peuple, autour du Temple, est encor assemblé. Je vais le soûlever contre le Tyran même : Viens me voir , empruntant une audace suprême, Confondre, épouvanter le superbe⁎ Thoas, Diane, en ce dessein ne m'abandonne pas [325]. Fin du premier Acte. ## ACTE II. ### SCENE PREMIERE. THOMIRIS, ANTHENOR, ERINE. THOMIRIS. Anthenor, vous sçavez mes malheurs, mon injure⁎, Thoas est un impie, un perfide, un parjure, [326] Qui retient vôtre bras quand il faut le punir ? Mon pere n'est-il plus dans vôtre souvenir ? Ingrat, à ses bienfaits perdez-vous la memoire ? De ce que vous devez à sa fille, à sa gloire ? Au point où [327] le Tyran se plaît à l'outrager, Thomiris n'attendoit que vous pour se vanger [328]... Vous estes de retour, vous voyez ma disgrace, Et quand il faut agir vôtre cœur est de glace. ANTHENOR. Je sçay [329] ce que je dois, Madame, à vos malheurs ; Estimé du feu⁎ Roy, comblé de ses faveurs, Je n'ay pas oublié qu'à son heure derniere, Il attacha [330] sur moy sa confiance entiere ; Qu'éblouy du serment par Thoas attesté, Il n'en prit pour garant que ma fidelité. Il mourut. Si depuis, contre sa foy⁎ donnée, Thoas, de vôtre hymen⁎, differoit la journée : J'imputois ces delais, Madame, à son grand cœur [331], Qui pour vous affermir sur le Trône en Vainqueur, Voulois que vous deussiez à sa propre victoire, [332] [333] La paix de vos Etats, l'abondance et la gloire. L'Oracle d'Apollon qui menaçoit ses jours, De vos prosperitez vint traverser le cours. Pour bannir de ces lieux la crainte, et la tristesse, A ses ordres pressans je partis pour la Grece. Jugez de ma douleur, Madame, à mon retour, Lorsque j'apprens qu'épris d'un malheureux amour, Thoas, sans respecter les Dieux, ny sa promesse, Veut d'une main impie épouser la Prestresse, Et l'élever au Trône au mépris de vos droits. A ce triste⁎ récit interdit⁎, et sans voix … THOMIRIS. Il faut d'autres efforts pour laver mon offence. C'est la mort du Tyran qu'éxige ma vangeance. La Prestresse aujourd'huy le verroit son époux. Prevenons [334] … ANTHENOR.         Suspendez un moment ce courroux⁎ : Tout semble s'opposer au sort⁎ qui vous menace. Tout semble présager qu'il va changer de face : Ce Grec dont le trépas est encore incertain, De quelque heureux retour [335] flâte⁎ vôtre destin. J'allois pour détourner le malheur qui vous presse, Au pied de ses Autels implorer la Deesse. Son Temple étoit fermé, j'ay vû de toutes parts Le peuple pour entrer s'offrir à mes regards ; Lorsqu'avec un grand bruit la porte s'est ouverte. Aussi-tost la Prestresse à nos yeux s'est offerte. Pasle, sans appareil⁎, ses voiles déchirez, Les cheveux herissez, les regards égarez : Elle a fait voir à tous par son maintien farouche, Que la Deesse alloit s'expliquer par sa bouche. A son aspect, tremblant, interdit⁎, consterné, Tout ce peuple à genoux est tombé prosterné : Une sainte terreur qu'imprimoit sa presence, A sur les assistans répandu le silence. *Scythes*, a-t-elle dit, *tremblez tous, fremissez*, Des maux dont en ce jour vous estes menacez : Diane de ce Grec protege l'infortune⁎ : *Elle ménage un sang qu'a conservé Neptune* [336] . Attache vostre sort⁎ au salut de ses jours. Vous deffend par ma voix d'en abreger le cours : Marquez-luy vos respects, par vostre obéissance : Imitez son exemple, ou craignez sa vangeance. A ces mots [337], pour jurer de maintenir ses loix, Tout ce peuple assemblé n'a formé qu'une voix. Surpris d'un tel spectacle, et pressé par mon zele⁎, J'ay couru chez le Roy porter cette nouvelle. Je l'ay trouvé sortant d'avec [338] l'Ambassadeur ; Mon recit sur son front a porté la terreur ; Aprés s'estre affranchy⁎ du trouble de son ame, Je l'ay vû s'empresser à vous parler, Madame. Il va venir. Les Dieux l'ont peut-estre touché : Peut-estre à son devoir desormais attaché, Qu'il vous raporte un Sceptre … THOMIRIS.         Aprés sa perfidie, Aprés l'impunité de son audace impie, Vous croyez qu'aux remords il se laisse ébranler, Et qu'il n'ait fait ce pas qu'afin de reculer, [339] Non, non, plus de pitié quand sa mort est jurée. Des plus grands de l'Etat la foy⁎ m'est assurée. Par la voix de leurs Chefs, les Scythes mécontens, Excitent⁎ ma vangeance, en pressent les instans. L'Ambassadeur Sarmate est de l'intelligence [340]. Tous contre le Tyran vont … ANTHENOR.         Madame, il s'avance. ### SCENE II. THOAS, THOMIRIS, ANTHENOR, ERINE, HIDASPE. THOAS. Je ne viens point, Madame, orné de vain discours, D'une frivole excuse emprunter les détours [341] ; A regner avec moy vous estes destinée, Je dois m'unir à vous par un saint hymenée⁎ : Mais ce seroit vous faire un present odieux, Que [342] l'hommage d'un Roy brûlant pour d'autres yeux. Toutefois les transports⁎ d'un aveugle caprice, N'ont jamais de mon coeur écarté la justice : [343] Je me souviens toujours qu'un Trône vous est dû, Par de plus dignes mains il vous sera rendu. Charmé de vos vertus, le vaillant Merodate, Vous offre, avec sa foy⁎, l'Empire⁎ du Sarmate ; Avide, impatient de m'acquiter vers vous, [344] [345] J'ay reçû sa demande, il sera vôtre époux. THOMIRIS. Aux ordres de mon pere est-ce ainsi que vôtre ame … THOAS. Il regnoit. A sa voix tout fléchissoit, Madame : J'obéïssois. Son Sceptre a passé sous mes loix. Je regne. Obéïssez pour la derniere fois. THOMIRIS. Vous regnez ! Sans nul titre, et de race commune, A qui le devez-vous, Seigneur⁎ ? THOAS.         A la fortune⁎. Destiné pour remplir le Trône où je me vois, Au feu⁎ Roy vôtre pere elle [346] imposa son choix. C'est d'elle, et non de luy, que je tiens ma Couronne. Arbitre des Etats qu'elle ôte, ou qu'elle donne : Elle éleve et détruit l'ouvrage de ses mains, Par une intelligence inconnuë aux humains. THOMIRIS. Quoy ! loin de respecter les manes⁎ de mon pere … THOAS. Je vous estime encor, Madame, et vous revere⁎. N'allez point, rapellant d'inutiles clartez, Soûlever mon dépit⁎, irriter mes bontez. J'ay dit. De Merodate acceptez l'hymenée⁎. A ses Ambassadeurs ma parole est donnée ; Son Sceptre vous attend. Allez le recevoir. Tout est prest : l'heure est prise, et vous partez ce soir. THOMIRIS. Perfide, car enfin je ne puis plus me taire, Tu veux par trop d'endroits meriter ma colere, [347] Et je me sens forcée à perdre malgré moy, Ce reste de respect que je gardois pour toy. D'où te vient tant d'orgueil, et par quelle puissance, De promettre ta Reine, as-tu pris la licence⁎ ? Merodate m'épouse, et va me couronner ; Mais quelle dot [348], Tyran, penses-tu me donner ? Souveraine en naissant des lieux où je respire ; J'irois sous d'autres Cieux mandier un Empire⁎ ; Et ma fuite approuvant tes lâches attentats, Te laisseroit paisible occuper mes Etats. Non, ne presume [349] pas, quelque espoir qui te flatte⁎, Que je coure si loin pour trouver un Sarmate. S'il me veut obtenir, qu'il vienne me chercher : Que d'un joug tyrannique il vienne m'arracher, Je le reçois alors, ma main est toute preste, Pour qu'avec la sienne il m'apporte ta teste. [350] Voila par quels efforts il me peut meriter [351], Et ce n'est qu'à ce prix que je puis l'accepter : Adieu. ### SCENE III. THOAS, ANTHENOR, HIDASPE. THOAS *à Hidaspe.*.     Faites venir ce Grec. ANTHENOR.         Quelle surprise ! Avez-vous pû, Seigneur⁎, former cette entreprise ? Songez-vous bien à qui vous livrez Thomiris ? Au Sarmate, au plus grand de tous vos ennemis : N'esperez de ces nœuds⁎ qu'une guerre immortelle ; Superbe⁎, armé des droits qu'elle porte avec elle [352] ; Il joindra tost ou tard vostre Sceptre, et le sien. Vous le voyez, Seigneur⁎, jamais … THOAS.         Je ne vois rien. Dans les divers transports⁎ dont mon trouble m'anime⁎ ; Quand j'entends que les Dieux protegent ma victime, Quand je vois que mon peuple interdit⁎, effrayé, S'oppose à ma fureur, me tient le bras lié, Examiner ce Grec, éprouver la Prestresse, Penetrer la pitié qui pour luy s'interesse ; Eclaircir des soupçons dont mon cœur est frapé : Voila l'unique soin⁎ dont je suis occupé. ANTHENOR. Prenez-garde, Seigneur⁎, les suprêmes Puissances, Ne sont pas à l'abry des celéstes vangeances : Les Dieux tendent souvent un piege à nôtre orgueil ; L'hymen⁎ de la Prestresse est peut-estre l'écueil, Où pour faire échoüer vôtre ame chancelante ... ### SCENE IV. THOAS, ANTHENOR, HIDASPE. THOAS. Quoy ! sans ce Grec Hidaspe à mes yeux se presente ! Qui l'arreste ? Ose-t-il méconnoistre ma voix ? Est-ce que la Prestresse est rebelle à mes loix ? Ne le verray-je [353] pas ? HIDASPE.         Seigneur⁎, on vous l'ameine : Mais je ne l'ay du Peuple obtenu qu'avec peine : Inspiré par Diane à s'en faire l'appuy⁎, Son zele⁎, contre tous, se déclare pour luy ; A me l'abandonner il marquoit sa contrainte ; Par les Dieux attestez j'ay dissipé sa crainte, J'ay promis son retour. THOAS.     Qu'il vienne. HIDASPE.         Le voicy. ### SCENE V. THOAS, PILADE, ANTHENOR, HIDASPE, TAXIS. THOAS. Qu'on cherche la Prestresse, et qu'on l'ameine icy. Approche. Ce n'est plus ton nom, ny ta naissance Dont je veux par ta bouche avoir la connoissance. La Prestresse t'arrache à mon inimitié, [354] Je veux sauver des jours dont elle prend pitié : Le Sarmate est chargé du soin⁎ de te conduire ; Tu suivras Thomiris jusques dans leur Empire⁎. Delà sur un vaisseau qu'ils doivent te donner, Dans ton païs natal tu pourras retourner : Mais s'il te reste encor quelque amour pour la vie, Si de la prolonger tu conserves l'envie, Prens garde qu'en ces lieux cet Astre que tu vois [355], Ne te retrouve pas une seconde fois. Tu peux partir. PILADE.         Le sang⁎ dont le Ciel m'a fait naistre, Dans ce vaste Univers ne connoist point de maître [356] : Son sort⁎ indépendant en tout temps, en tous lieux, Ne reçoit ny de loix, ny d'ordres que des Dieux. Je venois en ces lieux animé⁎ par la gloire, J'y devois remporter une illustre victoire. Jamais projet ne fut plus dignement formé, Les Cieux armoient mon bras, les Mers l'ont désarmé. De tes indignes mains si j'acceptois la vie, Je ne la traînerois qu'avec ignominie ; Supprime tes bontez, et puisque tes Etats N'ont point vû mon triomphe, ils verront mon trépas. THOAS. Quel trouble à ce discours jette-t-il dans mon ame ! Seroit-ce l'ennemy … ### SCENE VI. THOAS, IPHIGENIE, PILADE, ANTHENOR, HIDASPSE, CYANE, TAXIS. THOAS.         Venez, venez, Madame. Ce malheureux mortel se déclare aujourd'huy, Indigne des bontez que vous avez pour luy : Il mourra, rien ne peut retenir ma vangeance. IPHIGENIE. Diane, par ma voix, t'en a fait la deffense : Oses-tu t'opposer aux volontez des Cieux ? THOAS. Non, ne vous en prenez qu'à cet audacieux ; Ardent à satisfaire au desir qui vous presse, J'ouvrois à cet ingrat le chemin de la Grece. Quoy que je m'apprestasse [357] un cruel⁎ repentir, [358] Je ne songeois qu'à vous. Je le faisois partir. On voit par ses refus ce qu'il cache en son ame, Et quelqu'autre interest l'arreste icy, Madame. IPHIGENIE. Et quel motif le peut retenir en des lieux Où sans cesse la mort est presente à ses yeux ? THOAS. Le voila, je vous laisse, il pourra vous l'apprendre ; Sur tout, inspirez-luy le party qu'il doit prendre. Madame, il est encor l'arbitre de son sort⁎. S'il part, j'oubliray tout ; s'il demeure, il est mort : Dût Jupiter [359] sur moy faire tomber la foudre, Je ne vous donne plus qu'une heure à le resoudre. ### SCENE VII. IPHIGENIE, PILADE, CYANE. IPHIGENIE. Malheureux étranger, où vous engagez-vous ? Quelle temerité vous retient parmy nous ? D'une sanglante mort elle sera suivie. Avez-vous tant de haine, et d'horreur pour la vie ? PILADE. Triste⁎ joüet du sort⁎, abandonné des Dieux, Brûlant d'un vain desir [360], le jour m'est odieux, Je n'avois qu'un amy. La colere celeste Se plût à le former sous un Astre funeste [361]. Telle fut de son sort⁎ l'affreuse cruauté, Qu'il luy fit des forfaits une necessité [362]. De l'horrible ascendant [363] qui l'entraînoit au crime, Après l'avoir commis, il devint la victime. Quoy que juste, il n'en eût pour fruit que le remords : Tourmenté, déchiré de furieux⁎ transports⁎, Il venoit en Tauride expier son offense, Il y devoit trouver, le repos, l'innocence. L'Oracle l'assuroit [364], j'accompagnois ses pas. N'estoit-ce, malheureux, que pour voir son trépas ? J'ay perdu mon amy : témoin de son naufrage, Il ne me reste plus sur ce triste rivage, Privé de l'embrasser⁎, et de l'ensevelir, Que d'appaiser ses Dieux, le pleurer, et mourir. IPHIGENIE. D'un si pieux devoir nul ne peut vous reprendre : Mais n'en avez-vous point encor quelqu'autre à rendre ? Et ne peut-on de vous esperer un secours, Pour prix de tous les soins⁎ qu'on a pris de vos jours ? PILADE. De ces jours malheureux que pouvez-vous pretendre⁎ ? Madame, et quel secours en devez-vous attendre ? Cependant cet espoir dont vous m'osez flater⁎, Au jour que je fuyois peut encor m'arrester. Commandez, je suis prest. Pour vous que puis-je faire ? IPHIGENIE. Plusque vous ne croyez vous m'estes necessaire. Née au sein de la Grece, où brillent mes ayeux, Je me vois comme vous Etrangere en ces lieux. Un Tyran m'y retient. Ministre [365] de ses crimes, Je rougis nos Autels d'innocentes victimes. Que dis-je ? à m'épouser il porte sa fureur, Délivrez-moy d'un joug barbare et plein d'horreur. Vous pouvez de ces lieux m'applanir la sortie. PILADE. Armez mon bras, Madame, et vous serez servie. Redevable à vos soins⁎ de mes malheureux jours, Heureux en vous servant d'en signaler le cours, [366] Animé⁎ par vous-même, et pour vostre deffense, D'un zele⁎ plus ardent que la reconnoissance, J'iray [367] porter le fer [368] dans le sein de Thoas. IPHIGENIE. Non, ce seroit vous perdre, et ne me sauver pas [369]. Sans exposer vos jours, vous pouvez m'estre utile, Le Tyran vous en ouvre un chemin plus facile ; Puisqu'il vous le permet pressez vôtre départ ; Portez dans vostre Grece un écrit de ma part : Contez mon infortune⁎ à ceux qui m'ont fait naître, Ils me viendront chercher [370], et se feront connoistre, [371] Suivis de plus de Rois, de Chefs, et de soldats, Qu'Helene n'en a fait armer par Menelas [372]. PILADE. Contre vostre Tyran prompt [373] à tout entreprendre, Avec mes seuls Vaisseaux je viendrois vous reprendre : Dans ce monde où mon nom sans tache est parvenu, Je ne suis point entré, Madame, en inconnu. Ma naissance est d'un rang respecté dans la Grece ; Mais si je pars, quel est l'état où je vous laisse ! Un Tyran odieux … Je fremis d'y penser, A recevoir sa main osera vous forcer. O Ciel ! je pourrois voir au pouvoir d'un barbare Ce que jamais les Dieux ont formé de plus rare, Pour qui d'un feu⁎ secret je me sens dévorer … Que fais-je ? Où ma raison va t-elle s'égarer ? Mes discours, mes regards, et mon trouble, Madame, Trahissent, malgré moy, le secret de mon ame. IPHIGENIE. Qu'entens-je ? Ma pitié daignoit vous secourir, Je voulois vous sauver, mais vous voulez mourir : Vous ajoûtez l'audace au sort⁎ qui vous opprime. Ciel ! Cyane à l'Autel remenez [374] la victime. PILADE. Vous ne m'étonnez⁎ point, j'ay prévû vôtre Arrest⁎. Qu'ay-je affaire du jour si mon feu⁎ vous déplaist ? A la rigueur du coup que vôtre bras m'appreste, Soûmis, sans murmurer, je vais porter ma teste. Trop heureux que ma mort remplisse vos desirs, Et plus heureux encor, que mes derniers soûpirs, Vous redisent cent fois, par un aveu sincere, Tout ce que le respect me force de vous taire. ### SCENE VIII. IPHIGENIE *seule*. Que dit-il ? je l'entends ? je le laisse parler, Je sens à ses discours mon devoir chanceler. Qui suis-je ? Iphigenie aurois-tu la foiblesse … Que veux-je penetrer ? Dans quel trouble …O Deesse ! [375] Je connois ta vangeance au malheur qui me suit. De ma lâche pitié voila quel est le fruit : Tu me punis d'avoir épargné ta victime, Ne porte pas plus loin la peine de ton crime. Tu n'auras pas long-temps à me le reprocher. Je vais percer son coeur. Je vais sur le bucher Eteindre dans son sang son ardeur orgueilleuse. Où vas-tu ? Qu'oses-tu promettre, malheureuse ! Quelque loy que t'impose un fier⁎ devoir, helas ! Esclave de ton coeur, répons-tu de ton bras ? J'entens quelqu'un, cachons le trouble de mon ame. ### SCENE IX. IPHIGENIE, HIDASPE. HIDASPE. Un autre Grec se livre entre nos mains, Madame. Malgré tous ses efforts, en ces lieux arrivez … IPHIGENIE. Comment ? en quel état, où l'avez-vous trouvé ? HIDASPE. On alloit ramasser les débris d'un naufrage, Lors qu'entre les écueils qui bordent le rivage, Qu'un mortel sans frayeur n'oseroit approcher, On en voit un, Madame, à l'abry d'un rocher. Sa veuë est égarée, et bien loin de se rendre, Contre un peuple sans nombre, il ose se défendre. Il rompt, il perce, il frappe, il combat fierement⁎. L'on dit même, et ce bruit n'est pas sans fondement : Qu'on a vû devant luy les fieres Eumenides [376], Promener leurs flambeaux, vangeurs des homicides, L'inciter au carnage ; et pour comble d'horreur, Luy soufler le venin de leur noire fureur. Cependant de cent cris les Echos retentissent. On court de toutes parts ; ses forces s'affoiblissent. J'arrive, je le vois privé de sentiment [377] ; On vient de l'apporter dans cet appartement. Voila de quoy le Roy par moy vous fait instruire. [378] IPHIGENIE. Je feray [379] mon devoir. Hidaspe, allez luy dire, Que j'attens sa victime, et vais tout préparer. ### SCENE X. IPHIGENIE *seule.*. Le Ciel a fait mon crime, il va le reparer ; Dans le sang de ce Grec expions ma foiblesse ; Allons par son trépas appaiser la Deesse. Tâchons d'engager l'autre à quelque repentir ; Sauvons ce malheureux, et le faisons partir. Fin du second Acte. ## ACTE III. ### SCENE PREMIERE. THOMIRIS, ERINE. ERINE. Madame, quel dessein en ces lieux vous rapelle ? Qui vous porte à revoir encore un infidelle ? Une seconde fois par d'inutiles cris, Venez-vous essuyer ses superbes⁎ mépris ? THOMIRIS. Plusque tous mes malheurs, je déteste sa veuë : Mais, Erine, aujourd'huy ma vangeance est perduë ; Cet Etranger qui vient d'arriver sur nos bords, De mes secrets desseins renverse les efforts. ERINE. Qu'a de commun son sort⁎, Madame, avec le vôtre ? THOMIRIS. Son abord⁎ m'est funeste. Il nous perd l'un et l'autre ; Thoas va l'exposer à la rigueur des loix. La Prestresse y consent, elle a donné sa voix, Sa main va l'immoler, et dés ce moment même Elle épouse Thoas, et prend le Diadême : Si ce fatal hymen⁎ s'acheve avant la nuit, De ma vangeance, ô Ciel ! le projet est détruit, Le peuple qui redoute et cherit la Prestresse, S'il la voit sur le Trône, oubliant sa Princesse, De la Religion se faisant une loy, Respectueux pour elle, osera moins pour moy. De l'hymen⁎ du Tyran troublons le sacrifice. Avant que l'Etranger soit conduit au supplice, Par l'ordre de Thoas on va faire un effort, Pour apprendre son nom, sa naissance, son sort⁎. Je viens, par mes avis [380], l'exhorter à se taire, S'il obtient que par là sa peine se differe, Si jusques à demain il peut gagner du temps, Mon entreprise est seure, et mes desirs contens [381]. ### SCENE II. THOMIRIS, ANTHENOR, ERINE. THOMIRIS. Verray-je l'Etranger, Anthenor ? ANTHENOR.         Ouy, Madame : Mais toujours agité des troubles de son ame, Je viens de le laisser pasle et sans mouvement ; Attendez pour le voir dans cet appartement, Que rappellant ses sens, et sa raison captive, Il preste à vos discours une oreille attentive. Nul ne peut en ces lieux traverser⁎ vos souhaits : On garde seulement les dehors du Palais. THOMIRIS. C'est assez. Pour sa vie, ô Ciel ! fay qu'il m'écoûte. Mais avec le Tyran prenons une autre route. Allez, pour l'abuser, luy faire concevoir, Que sur ses volontez je regle mon devoir. Mais jusqu'à mon départ, de l'hymen⁎ qu'il apprête, Anthenor, dites-luy qu'il suspende la feste. ANTHENOR. Je vais vous obéïr ; mais je n'obtiendray [382] rien ; N'esperez pas fléchir⁎ un cœur comme le sien. Il est pour cet hymen⁎ trop plein d'impatience, Une pareille ardeur anime⁎ sa vangeance. Il croit que l'Etranger que l'on vient d'arrester, Est celuy dont l'Oracle a sçû l'épouvanter. Pensez-vous l'engager à la moindre contrainte, Qui suspende sa joye, et prolonge sa crainte ? Déjà par mes discours que n'ay-je point tenté ! L'ingrat n'écoûte plus que son iniquité⁎. De ses plus chers amis il s'attire la haine : Il se livre en aveugle au penchant qui l'entraîne [383]. Madame, c'est à nous d'avancer nos projets, Pour pouvoir de sa rage empescher les effets. Obligez l'Etranger à garder le silence, Quand on viendra sçavoir son nom et sa naissance, Et que Thoas par là differant son arrest⁎ … THOMIRIS. Il suffit. [384] Anthenor faites que tout soit prest. Voyez Thoas, vous dis-je, et luy faites connoistre [385], Que je pars cette nuit. Que demain il est maistre. Le delay n'est pas long. Allez [386]. ### SCENE III. THOMIRIS, ERINE. ERINE.         Qu'ay-je entendu ! Quoy ! vous renoncez donc au rang qui vous est dû, En faveur de Thoas, vostre haine affoiblie … THOMIRIS. Non, non, je ne suis pas Erine encor partie. Si je feins du Tyran d'approuver le dessein, C'est pour mieux luy plonger un poignard dans le sein. Au piege qu'il me tend j'oppose l'artifice. Des voiles les plus noirs couvrant son injustice, Il a pris cette nuit pour cacher mon départ ; De cette même nuit me faisant un rempart, Peuple, Sarmate, amis animez⁎ d'un beau zele⁎, A l'ennemy commun la rendront éternelle. Tous ont juré sa mort, m'en ont donné leur foy⁎ : Le reste de ce jour est à craindre pour moy. Tâchons donc à ce Grec d'imposer le silence. Que jusques à demain … Je l'entens. Il s'avance. Ses regards sont encor égarez, furieux⁎. Le trouble de ses sens nous dérobe à ses yeux. Dissipe, juste Ciel ! le voile qui les couvre. ### SCENE IV. ORESTE, THOMIRIS, ERINE. ORESTE. Sous mes pas chancelans quel abîme s'entr'ouvre ! De tenebres, de feux⁎ je suis envelopé ; De troubles, de terreurs mon esprit est frapé : Noires filles du Styx [387], implacables Deesses [388], Souffriray⁎-je [389] toujours vos fureurs vangeresses ? Ne vous lassez-vous point, ô destins ennemis ! De punir des forfaits que vous avez permis ? Grace au Ciel je respire, et je vois la lumiere : Où suis-je ? Quel Palais ! quelle pompe⁎ étrangere, S'offre de toutes parts à mes regards surpris ! Que vois-je ? quel objet⁎ vient fraper mes esprits [390] ? Ce port majestueux, cet auguste⁎ visage, D'une Divinité me presente [391] l'image. THOMIRIS. Etranger, rends le calme à tes sens agitez. Remets dans leur repos tes esprits irritez. [392] Le malheur qui te livre aux Deesses terribles, Dans ces funestes lieux trouve des cœurs sensibles. ORESTE. En est-il qui pour moy se laissent attendrir ? O vous ! dont la pitié daigne me secourir, Qui jettez sur mes jours un regard favorable, Achevez d'adoucir le sort⁎ d'un miserable. Où suis-je ? sous quel Ciel me vois-je parvenu ? Comment, et par quel ordre y suis-je retenu ? THOMIRIS. Quel Astre t'a conduit dans ce climat barbare ? Malheureux ! je fremis du sort⁎ qu'on t'y prépare. L'Enfer est un sejour moins à craindre pour toy : Si tu veux l'éviter, prens confiance en moy. Fier⁎ devant tes bourreaux, dans un profond silence, Ensevelis ton nom, et cache ta naissance. C'est l'unique moyen de conserver tes jours. On tremble pour ta vie, on vole à ton secours ; D'une noble pitié seconde l'entreprise ; Le temps presse d'agir. Je crains d'estre surprise. Pour t'affranchir⁎ du sort⁎ qui t'attend en ce lieu, Obéïs à ma voix, ou crains la mort. Adieu. ### SCENE V. ORESTE *seul*. Qu'entens-je ? A mes malheurs elle paroist sensible, Mon nom doit m'attirer une mort infaillible : Le supplice le suit, et pour m'en arracher, Sa bouche par pitié m'invite à le cacher. Du malheureux Oreste auroit-on connoissance ? Le sang⁎ de Jupiter m'a donné la naissance. Quelque éclat qu'à ma vie attache un sang⁎ si beau, Que [393] ne m'a-t-il esté ravy dés le berceau ? Mes yeux n'ont point en paix jouy de la lumiere, Ils ne se sont ouverts que pour voir ma misere. Le crime a sans relâche investy tous mes pas. Dés l'enfance étranger dans mes propres Etats [394], Un adultere affreux m'ôta le Diadême [395] : Un meurtre détesté me l'a rendu de même [396] : Mais ce qu'ont de charmant ses fastueux dehors, Ne mettent point une ame à l'abry des remords. Pour rendre à mes esprits le calme, et l'innocence, J'imploray d'Apollon la celeste puissance. Son Prestre m'ordonna, que fidelle à sa voix, J'allasse où de Diane on respecte les loix ; Que la tranquilité ne me seroit renduë, Qu'aprés avoir du Temple enlevé sa Statuë. Je pars pour la Tauride avec ce doux espoir : Son rivage à mes yeux déja se faisoit voir, Quand tout à coup surpris par un cruel⁎ orage, Brisé contre un rocher mon Vaisseau fit naufrage. J'ay vû perir amy, soldats, et matelots ; Moy-même enveloppé dans l'abîme des flots, J'ignore par quel sort⁎ la clarté m'est renduë. Furieux⁎, il ne reste à mon ame éperduë, Qu'un triste souvenir de mes crimes passez, Qui, sur la foy⁎ du Ciel, alloient estre effacez : Mais il s'est repenty [397]. Grands Dieux ! puisque ma vie, De forfaits inoüis devoit estre suivie, Pourquoy, dans les remords dont je suis combattu, Me laissez-vous un cœur sensible à la vertu ! De ton orgueil, Oreste, étouffe l'imprudence, Le destin veut ta mort, meurs, meurs, avec constance, Et versant noblement le sang qu'il t'a donné, Fais rougir Jupiter de t'avoir condamné. Ne va point de ce sang⁎ avilir ce qui reste, Dans la nuit du tombeau cache le nom d'Oreste; Qu'il ne devienne point l'opprobre⁎ de ces lieux. Allons ! Quel autre objet⁎ se presente à mes yeux ? Quel trouble à son abord⁎ me saisit : je l'admire ! ### SCENE VI. IPHIGENIE, ORESTE, CYANE, TAXIS. IPHIGENIE. Eloignez-vous, Cyane, et vous qu'on se retire [398]. ORESTE. Quelle grace, grands Dieux ! quelle noble fierté⁎ ! IPHIGENIE. De crainte, en l'abordant, mon cœur est agité. ORESTE. D'où vient, en la voyant, que ma fureur⁎ me quite ? IPHIGENIE. D'où vient, qu'à son aspect, je me sens interdite⁎ ? ORESTE. Etonné⁎ de me voir sur ce bord étranger, Madame, de quels yeux vous dois-je envisager ? Quel sort⁎ m'annonce icy vostre auguste⁎ presence ? Ne le puis-je sçavoir ? IPHIGENIE.         Armez-vous de constance⁎. Montrez de vostre cœur [399] toute la fermeté. C'est icy de Thoas l'Empire⁎ redouté. Nul Grec ne met le pied sur ce fatal rivage, Fut-il du sang⁎ des Dieux, qu'il n'immole à sa rage. [400] A vous porter le coup mon bras est destiné : Le sacrifice est prest, l'appareil⁎ ordonné : Sur l'Autel de Diane, où vous allez me suivre, Avant la fin du jour vous cesserez de vivre. ORESTE. Grace au Ciel mon destin ne m'est plus inconnu ; Au port tant desiré je suis donc parvenu. O mort ! Heureuse mort ! Tu finis ma misere. Vous qui sur moy des Dieux épuisez la colere, Levez le bras, frapez, je m'abandonne à vous, Et déja mon cœur vole au devant de vos coups. Me voila prest, marchons. IPHIGENIE.         Je demeure immobile. Que vois-je ? Que la Grece en Heros est fertile ! L'arrest⁎ du coup mortel qui les doit accabler, N'a rien d'assez affreux pour les faire trembler. Magnanime Etranger, ne pourray-je connoistre Quel nom vous fut donné, quel sang⁎ vous a fait naistre ? ORESTE. Ah ! que ce nom fatal, dans un profond oubly, Madame, avec mon sang n'est-il ensevely. IPHIGENIE. Où vistes-vous le jour ? Estes-vous de Trezene ? De Thebes, ou d'Elis, de Sparte, ou de Mycene ? [401] ORESTE. O de tes sacrez murs, de ton riche Palais, Mycene, le destin m'éloigne pour jamais. IPHIGENIE. Vous estes de Mycene ? ô Ciel ! quelle est ma joye ! De quel œil y voit-on le destructeur de Troye [402] ? Que fait dans ses Etats le grand Agamemnon ! ORESTE. Ah ! sans cesse, et par tout, entendray-je [403] ce nom. Terre, pour le cacher n'as-tu point de contrée ? Source de tant d'horreur , malheureux sang⁎ d'Atrée, Parmy tant de Heros ne pourra-t-on jamais Publier ta splendeur, sans conter tes forfaits ? IPHIGENIE. Chef de la Grece, issu d'une source divine, Son nom ne dément point son auguste⁎ origine. ORESTE. Contre la perfidie, ô titres superflus ! Agamemnon … IPHIGENIE.     Hé bien ? ORESTE.         Madame, il ne vit plus. IPHIGENIE. Il ne vit plus ! Jaloux d'une si belle vie, Dieux ! avez-vous permis qu'elle luy fust ravie⁎ ? ORESTE. Les Dieux n'écoûtent plus quand ils sont irritez. Sur son Trône, au milieu de ses prosperitez, Chargé d'ans et d'honneurs, ce Monarque intrepide A vû, dans un festin, une main parricide, Soüiller, par son trépas, la plus sainte des loix. IPHIGENIE. Quelle main ? ORESTE.         A son nom, Ciel ! étouffe ma voix. IPHIGENIE. Quel [404] est ce monstre ? ah Dieux ! ORESTE.         Sans commettre un blasphême Puis-je le prononcer ! c'est sa femme elle-même. IPHIGENIE. Clitemnestre ! ORESTE.         Ouy, Madame. Horrible souvenir ! Ne puisses-tu jamais penetrer l'avenir. [405] IPHIGENIE. Déplorable famille ! ô triste Iphigenie ! ORESTE. Heureusement pour elle, elle a perdu la vie ; Des Grecs par son trépas assurant le départ, Aux crimes de sa race elle n'eut point de part, Et de tous ses parans n'a point vû la misere ; Mais helas ! que sa mort coûta cher à son pere. [406] IPHIGENIE. Comment ? ORESTE.         Agamemnon vainqueur de tant de Rois, Revenoit triomphant joüir de ses exploits. Egiste en son absence ayant seduit la Reine, De ses amours furtifs apprehendant la peine, Au sein de ce grand Roy, digne d'un sort⁎ plus beau, Inspira Clitemnestre à porter le coûteau, Protestant, pour couvrir sa lâche perfidie, [407] Quelle vangeoit sur luy le sang d'Iphigenie. IPHIGENIE. Malheureuse ! à quel meurtre as-tu presté ton nom ? Oreste aura suivy le sort⁎ d' Agamemnon : Il n'aura pû survivre à l'affront de son pere. ORESTE. Oreste traîne encor sa honte, et sa misere. Craint des hommes, chassé de leur societé Prophane, exclus des droits de l'hospitalité : Banny des saints Autels, et des sacrez Mysteres⁎, Privé des feux⁎ divins, et des eaux salutaires, Des vagues, et des vents déplorable joüet, Il cherche à fuir le jour qu'il ne voit qu'à regret. IPHIGENIE. Funestes châtimens des crimes d'une mere ! Femme, oses-tu joüir du Soleil qui t'éclaire ! ORESTE. Un bras déterminé, par la rage conduit, A plongé la coupable en l'éternelle nuit. [408] IPHIGENIE. O crime ! qui surpasse encor le crime même, Souverains protecteurs du sacré Diadéme, A-t-on pû le soüiller ? l'avez-vous approuvé ? ORESTE. Non. Mais le châtiment vous en est reservé. Vous voyez devant vous le criminel. IPHIGENIE.         Impie, As-tu pû, sans fremir, attenter à sa vie ? Diffamé [409] par un meurtre horrible à reciter, Aprés l'avoir commis oses-tu t'en vanter ? Sensible à ton abord⁎, je pleurois ta disgrace ; Je loüois dans mon cœur ta genereuse audace, Je plaignois la rigueur qui t'alloit accabler : Ce n'estoit qu'à regret que j'allois t'immoler : Mais l'horrible forfait avoüé par ta bouche, Cruel⁎, va dissiper la pitié qui me touche Avec des yeux vangeurs sur tes crimes ouverts, Je vais d'un monstre affreux délivrer l'Univers. Avant la fin du jour ton ame détestable, Verra dans les Enfers son Juge épouvantable. Attens mon ordre. [410] ### SCENE VII. ORESTE *seul*.         Où vont ces transports⁎ furieux⁎ ! Quel interest prend-elle au sort⁎ de mes ayeux ? Ciel ! Mais pourquoy vouloir en penetrer la cause : Elle m'offre la mort ; demanday-je autre chose ? Voicy de mon bon-heur le moment fortuné⁎. Dieux ! reprenez le sang que vous m'avez donné. Qu'il expie en coulant mon crime et vôtre haine. Et toy, dont l'amitié compagne de ma peine, A voulu, malgré moy, partager mes malheurs ; Pour te rejoindre enfin, cher Pilade, je meurs. Né pour un sort⁎ plus beau, vertueux, magnanime, D'un amy plus heureux tu meritois l'estime, Ta mort … La mienne approche. On vient. J'entens du bruit. ### SCENE VIII. ORESTE, PILADE, HIDASPE, TAXIS. PILADE. Que me demandez-vous ? où m'avez-vous conduit ? Croit-on m'épouvanter de menaces pareilles ? ORESTE. Qu'entens-je ! quelle voix vient fraper mes oreilles ! HIDASPE *à Pilade.*. Voyez ce Grec : domptez ses farouches esprits : Sçachez quel est son nom : vos jours sont à ce prix. ### SCENE IX. ORESTE, PILADE. PILADE. Ah ! pour moy le trépas n'a plus rien de funeste. ORESTE. C'est Pilade, grands Dieux ! PILADE.         Que vois-je ? c'est Oreste. ORESTE. Pilade entre mes bras, qui l'auroit pû penser ? PILADE. Quel bonheur de vous voir, et de vous embrasser⁎ ! ORESTE. Fortune⁎ accable-moy, cesse de te contraindre, [411] Tu me rens mon amy, je n'ay plus à me plaindre. PILADE. Quel Dieu nous a rejoint ? ô fortuné⁎ moment ! Mais quel chagrin⁎ s'oppose à mon ravissement : De vos prochains⁎ malheurs je sens mon ame émeuë, Je fremis du bonheur qui vous offre à ma veuë. Destin, où ton courroux⁎ nous fait-il parvenir ? Ne nous rassembles-tu que pour nous desunir ? Sans cesse fatiguez d'éternelles allarmes⁎, Nos yeux ne s'ouvrent plus que pour verser des larmes. Quelles rigueurs encor allons-nous éprouver : Ah Prince ! sous quels Cieux venez-vous d'arriver … ORESTE. J'y vay trouver la mort, c'est ce que je desire. Une Prestresse, amy, vient de me la prescrire. Quelque soin qu'elle ait pris à me remplir d'effroy, Le trépas de sa main est un bonheur pour moy. PILADE. J'entens. Elle a soudain adoucy vos allarmes ; Vous avez dans ses yeux trouvé les mêmes charmes … Qu'Agamemnon trouva dans ceux de Briseïs. [412] ORESTE. Que me dis-tu ? Chargé de crimes inouïs, Détesté, méritant la celeste disgrace, Ay-je un cœur où l'amour puisse encor trouver place ? PILADE. Quel effort d'avoir pû resister à ses coups ! Cher Prince, que Pilade est encor loin de vous. Seduit par les attraits de la même Prestresse, Mon cœur a succombé … Mais où va ma tendresse, Est-ce à de tels pensers [413] que je dois recourir, Quand je vois vos perils, quand nous allons mourir ? ORESTE. Toy mourir ! Que mon cœur consente à cette envie ! N'ajoûte point ta mort aux crimes de ma vie : Le trépas que j'attens ne demande que moy ; La douceur qui me reste, est de revivre en toy. Vy, mon cœur t'en conjure, au nom de la Prestresse. PILADE. Ah ! ne me faites plus rougir de ma foiblesse. Son image en mon ame a pû vous balancer : Vous en serez vangé, mon sang va l'effacer. Mourons, n'attendons plus nulle pitié des hommes. Mourons, mais en mourant déclarons qui nous sommes. Que les Scythes cruels⁎, que ces fiers⁎ inhumains, Connoissent dans quel sang ils vont tremper leurs mains. [414] Allons, Seigneur. ORESTE.         Amy, que vas-tu faire ? arreste. PILADE. Du coup qui va tomber suspendons la tempeste, Qu'au nom d'Agamemnon étonnez, et surpris, Ils retiennent le bras qui va fraper son fils : Ou qu'au moins l'immolant au milieu de leur joye, Ils craignent plus de maux que n'en a souffert⁎ Troye. On vient. ### SCENE X. ORESTE, PILADE, HIDASPE, TAXIS. HIDASPE.         Vous estes-vous acquitté de l'employ … PILADE. Pour en estre informé, qu'on nous conduise au Roy. Fin du troisième Acte. ## ACTE IV. ### SCENE PREMIERE. IPHIGENIE *seule*. A répondre à mes vœux que Cyane est tardive : Qu'en un cœur outragé la vangeance est active : Quoy qu'indigne du jour, Clitemnestre au tombeau, Interesse sa fille à punir son bourreau. En vain, pour assouvir le courroux⁎ qui m'anime⁎, Des yeux, de toutes parts, je cherche la victime. Qui la retient ; contraire à mes ressentimens⁎, Le Ciel a-t-il des cœurs éteint les mouvements ? De ces retardemens cherchons la certitude : Mais où va le torrent de ton inquietude ? As-tu bien démeslé dans le fond de ton cœur, Ce qui donne naissance à cette vive ardeur ? Pour couvrir autrefois les amours de ta mere, Tu servis de prétexte à la mort de ton pere. Pour l'un de ces captifs, ayant pris ce poison [415], N'immole-tu point l'autre par la même raison. [416] Ah ! … Qu'ils meurent tous deux, ma bouche le prononce. ### SCENE II. IPHIGENIE, CYANE. IPHIGENIE. Que vous tardez, Cyane, à me rendre réponse ; Thoas sçait-il mon ordre, en est-il informé ? CYANE. Thoas avec les Grecs, Madame, est enfermé. Hidaspe irresolu, quand je me suis montrée, De son apartement m'a défendu l'entrée : En vain à ses refus j'ay voulu resister ; Il a reçû vostre ordre, et l'est allé porter. J'esperois de Thoas une prompte audiance ; Mais sans vouloir répondre à mon impatience, Le Roy m'a fait sçavoir que dans quelques momens, On vous informeroit de ses commandemens. IPHIGENIE. Le sacrifice est prest, la pompe⁎ est avancée. Que veut-il ? Attend-il que l'heure en soit passée ? Sçait-il que ces delais sont des momens perdus ? Que l'ardeur qu'il avoit ne retrouvera plus ? [417] Allons, Cyane, allons haster nostre vangeance, Mais qui vient s'opposer à mon impatience ? ### SCENE III. THOMIRIS, IPHIGENIE, CYANE, ERINE. THOMIRIS. Le bruit qui se répand par vostre ordre en ces lieux, Madame, m'a contraint [418] à paroistre à vos yeux. Quoy que la certitude en soit par tout semee, J'ay crü que je devois, pour en estre informée, De mon destin par vous sçavoir la verité. Je vous vois un visage interdit⁎, agité ; Vous paroissez contrainte, étonnée⁎, inquiete, Madame, ma venuë est peut-estre indiscrete. IPHIGENIE. Madame, à vostre rang je sçay ce que je doy [419] ; Mais, je vous l'avoüray, je ne suis pas à moy. Diane en ce moment m'ordonne un sacrifice : Elle en attend l'offrande, en presse la justice ; Cet ordre souverain ne laisse en mon pouvoir Que [420] le temps qu'il me faut pour remplir mon devoir. THOMIRIS. Il est donc vray, Madame, et ce Grec qu'on opprime, De divers interests déplorable victime, Sur ces funestes bords est à peine arrivé, Que du jour, par vos mains, il se va voir privé. Avez-vous prononcé cet Arrest⁎ sanguinaire ? Madame, il est bien prompt pour estre sans mystere⁎. IPHIGENIE. Ce qu'il a de profond et de mysterieux⁎, Est un compte que j'ay, Madame, à rendre aux Dieux. THOMIRIS. On abuse souvent des suprêmes sagesses, Sous ces voiles pompeux⁎ nous cachons nos foiblesses ; Ce n'est qu'à ces dehors [421] que nous sacrifions, Et quelquefois nos Dieux ce sont nos passions. Je prens sur vos vertus une assurance entiere, De ce Trône usurpé legitime heritiere. Pour me laisser tranquile en mes propres Etats, J'ay vû vostre grand cœur resister à Thoas [422] : Vous avez dédaigné l'hymen⁎ qu'il vous propose, Charmée à ces refus, j'en admire la cause. Les Scythes étonnez vous loüoient avec moy ; Mais lors qu'enfin soûmise aux volontez du Roy, Vous allez de ce Grec trancher la destinée, Que Thoas sur sa mort fonde vostre hymenée⁎, Le peuple qui sçait mal juger du fonds des cœurs, Sur vostre changement présage ses malheurs. Vous le diray-je [423] enfin, Madame, on vous soupçonne De vouloir, par sa perte, usurper la Couronne. J'ay crû, de ce qu'on craint, devoir vous informer, Quelque [424] soit ce soupçon vous pouvez le calmer. Différez cette mort où Thoas vous engage, Par là vous ferez taire un bruit qui vous outrage. IPHIGENIE. Souvent sur l'apparence on tombe dans l'erreur ; Mais par l'évenement on connoistra mon cœur. Ce n'est pas loin des lieux où je fus élevée, Qu'on me rendra le rang dont le sort⁎ m'a privée. Celuy qu'on m'offre encor, malgré tous mes mépris, Pour vous le disputer n'est pas d'assez haut prix ; Et si pour moy ce Trône avoit eu quelques charmes, Je n'aurois pas si tard confirmé vos allarmes⁎. Diane et mon devoir m'appellent à l'Autel ; Je vay [425] sur l'Etranger porter le coup mortel : On ne peut l'arracher à la mort qu'il merite : Le temps presse : on m'attend : souffrez⁎ que je vous quitte. THOMIRIS. Madame sur le sang que vous allez verser, Je ne dis plus qu'un mot, c'est à vous d'y penser. Sous ma protection j'ay pris vostre victime, Suspendez la rigueur du destin qui l'opprime, Sans emprunter des Dieux d'inutiles détours, Accordez ma priere, ou tremblez pour vos jours. ### SCENE IV. IPHIGENIE, CYANE. IPHIGENIE. Quoy donc ! elle menace, et de ce Grec impie, Elle prend la deffense, et protege la vie. Quand de justes raisons n'armeroient point mon bras, Quand mon cœur n'auroit point resolu son trépas, Son audace, la peur qu'elle prétend me faire, Hasteroient cette mort qu'elle veut qu'on differe. Rien ne peut m'ébranler. Allons, Cyane, allons. CYANE. La justice a toujours guidé vos passions. De tous leurs mouvemens elle est inseparable, Tantost pour l'un des Grecs vous étiez équitable ; Quel interest pour l'autre arme vostre rigueur ? [426] IPHIGENIE. Ah ! ne rappelle point ce qui me fait horreur. Contre luy mon courroux⁎ à chaque instant s'augmente. Il a tué ma mere, il l'avouë, il s'en vante : Il me l'a dit, Cyane. A cette impieté Oses-tu m'accuser de trop de cruauté ? CYANE. Je demeure interdite⁎ et muette à ce crime ; Vostre fureur⁎ est juste, et sa mort legitime. Il ne sçauroit trop tost expirer sous vos coups. Mais, ô Ciel ! que la suite est à craindre pour vous. Le Roy de cette mort attend sa destinée, Et vous n'en pourrez plus retarder l'hymenée⁎. IPHIGENIE. Pour resister, Cyane, aux transports⁎ de Thoas, Mon courage, les Dieux ne me manqueront pas. Bravons la tyrannie où mon malheur m'expose. Aux cœurs comme le mien la vie est peu de chose. CYANE. Quoy vous … IPHIGENIE.         Allons sçavoir par quel soudain appuy⁎ Ce Grec … CYANE.         Hidaspe vient, vous l'apprendrez de luy. ### SCENE V. IPHIGENIE, HIDASPE, CYANE. IPHIGENIE. Où donc est l'Etranger, et par quelle injustice, Thoas recule-t-il ce fatal sacrifice ? Ne craint-il point sur luy que les Dieux irritez … HIDASPE. Le Roy plusque jamais a besoin de clartez. Rien n'égale l'horreur du trouble qu'il éprouve, Dans l'un de ces deux Grecs son ennemy se trouve : Il le voit, et ne peut discerner quel [427] il est ; Il le cherche avec soin⁎, chacun d'eux le paroist : Et tous deux pour mourir prennant ce nom impie, Aucun ne veut celuy qui l'attache à la vie. Dans ce trouble mortel … Mais les voicy tous deux. Sçachez quel est celuy … IPHIGENIE.         Qu'on me laisse avec eux. ### SCENE VI. IPHIGENIE, ORESTE, PILADE. IPHIGENIE. Vous vous obstinez donc à refuser ma grace, Toujours dans vos regards je voy [428] la même audace, Et que vous preferez une sanglante mort, Au soin que ma pitié prenoit de vostre sort⁎. PILADE. Que mon destin, Madame, a bien changé de face. Cet amy, dont tantost [429] je pleurois la disgrace, Echapé de Neptune et d'Eole [430] en courroux⁎, Suivy de ses malheurs, Madame, est devant vous. IPHIGENIE. Qu'entens-je ? où cet aveu porte-t-il mon idée ? Pitié mal reconnuë, où m'aviez-vous guidée ? Je plaignois un mortel, qui conte [431] pour amy, Un monstre furieux⁎ que l'Enfer a vomy. Indigne que mon bras, au deffaut [432] du tonnerre, Soit choisi par les Dieux pour en purger la terre. PILADE. Madame, cet amy ne vous est pas connu. Si dans quelques honneurs mon nom est parvenu, Et si parmy les Grecs je suis recommandable, C'est à son amitié que j'en suis redevable : L'un à l'autre liez par le plus saint des nœuds⁎, [433] Ou nous vivrons ensemble, ou nous mourrons tous deux. IPHIGENIE. N'attens pas que ma main te joigne à ce perfide : Je vais devant tes yeux punir son parricide, [434] Dans les flots de son sang éteindre mon courroux⁎. Tu le verras tomber sous l'effort de mes coups, Sans que ton lâche cœur, present au sacrifice, Puisse obtenir la mort par grace, ou par supplice. Venez. PILADE.         Craignez vous-même, et tremblez d'y penser. C'est le pur sang⁎ des Dieux que vous allez verser. Son bras, à vos desseins, peut servir mieux qu'un autre : Sa haine, pour Thoas, est égale à la vôtre ; Et ce motif m'oblige à ne vous plus cacher, [435] Ce que tous les tourmens ne sçauroient m'arracher. Du grand Agamemnon respectez ce qui reste, Heritier de son rang, c'est son fils, c'est Oreste. IPHIGENIE. Oreste ! ORESTE.         A cet amy n'ajoûtez point de foy⁎, Il vous peint des vertus qui ne sont point en moy. Ce n'est que par pitié que sa bouche me louë. Je suis du sang des Dieux, il est vray, je l'avouë ; Mais que ce même sang⁎ des mortels reveré⁎, Par mes cruels⁎ ayeux s'est vû deshonoré. Leur rage a fait fremir jusqu'aux Astres celestes, [436] Meurtres, impietez, adulteres, incestes, Sont de ce sang⁎ impur les crimes les plus doux ; Né parmy leurs forfaits, je les surpasse tous [437] : Parricide alteré [438] d'une soif sanguinaire, J'ay poussé le poignard dans le sein de ma mere ; J'ay soüillé sans respect les flancs qui m'ont porté, [439] Et j'en ay retiré mon bras ensanglanté : N'écoûtez sur ma mort ny pitié, ny priere, Ouy, je vous la demande à genoux. IPHIGENIE.         Ah mon frere ! ORESTE. Juste Ciel ! de quel nom vient-on de m'honorer ! L'ay-je bien entendu, dois-je m'en assurer ! Moy, vostre frere ! moy, quel Dieu, quel sang nous lie ? IPHIGENIE. Voyez, reconnoissez la triste⁎ Iphigenie, Que son pere en Aulide a livrée au trépas, Que Diane sauva des fureurs de Calchas. C'est cette même sœur qui s'offre à vôtre veuë : Mais helas ! dans quel temps vous est-elle renduë ? ORESTE. O miracle étonnant⁎ ! ô surprenant bon-heur ! Iphigenie icy retrouvé : ah ma sœur ! PILADE. Surpris d'étonnement⁎, de surprise, et de joye, [440] Je prens part au bonheur que le Ciel vous envoye. IPHIGENIE. Où nous emportez-vous, mouvemens imprevûs ? Plût au Ciel que jamais nous ne nous fussions vûs. Le Tyran à mon bras impose un sacrilege. Où tombera mon choix, et sur qui fraperay-je ? Sur mon frere ; à ce nom je tremble, je fremis : Sur son amy, quel crime, ô Ciel ! a-t-il commis ? Pour sauver à mon bras cet affreux parricide, Que la mort m'eût esté favorable en Aulide. PILADE. Entre ce frere et moy pouvez-vous balancer ? Ignorez-vous le sang que vous devez verser ? Vous connoissez mon cœur, du feu⁎ qui le devore, J'estois tantôt coupable, et je le suis encore. IPHIGENIE. Hélas ! ORESTE.         Il n'est plus temps de répandre des pleurs, A l'espoir dont le Ciel nous flate⁎, ouvrons nos cœurs : Je me sens inspiré par ses vives lumieres, Et dans l'évenement de ses profonds mysteres⁎, Le destin qui se cache à nos sens aveuglez, Ne nous a point icy vainement rassemblez. [441] Armons-nous d'une noble et sainte confiance, L'image de Diane est en vôtre puissance. Pour expier l'horreur dont mon nom est taché, A son enlevement mon sort⁎ est attaché. Livrez-la moy. Comblez de gloire et d'allegresse, Prenant heureusement les chemins de la Grece, Où mon crime par là doit enfin s'effacer. Ma Sœur, parmy nos Dieux nous irons la placer. IPHIGENIE. Loin de blâmer en vous cette ardeur empressée, J'approuverois, mon frere, une telle pensée, Si je voyois assez la faveur des destins, De l'Empire⁎ d'Argos nous tracer les chemins : Mais seuls et desarmez, sans vaisseaux, sans défense, Croyez-vous d'un Tyran tromper la vigilance. Combattre et traverser⁎ un monde d'ennemis, Vous ouvrir un passage à ses ordres soûmis, Du Temple et de l'Autel enlever la Statuë, Où sa fortune⁎ attache et ses soins⁎, et sa vûë. Contre tant de perils qu'oserez-vous tenter ? Quel miracle ! quel Dieu pourroient les surmonter ! PILADE. Madame, n'ayez point ces indignes allarmes⁎, Livrez-nous seulement la Statuë, et des armes, Les Dieux de ce peril sçauront nous dégager : Qui [442] ne craint point la mort surmonte le danger [443] : Enflâmez du desir qu'inspire la victoire, Le fer nous ouvrira les sentiers de la gloire, Ou le suprême honneur d'une éclatante mort. Souffrez⁎, au nom des Dieux, que l'un ou l'autre sort⁎, Epargne à vôtre main l'horreur d'un sacrilege, Qu'aux ordres de Thoas … IPHIGENIE.         Et moy que deviendray-je [444] ? Sanglant, enorgueilly d'un triomphe inhumain, Je verray le Tyran vos testes à la main, M'imposer un hymen⁎ que mon ame déteste. Tombe plûtost sur moy la colere celeste. Esperons toutefois, maistresse de vos jours, Je puis, de quelque temps, en prolonger le cours. Quoy que Thoas, avide et de sang et de crimes, N'ait pour Religion que ses fieres⁎ maximes, Il n'ose, aux yeux du peuple, avec impunité, Découvrir tout l'excés de son impieté. Ma presence, le frein du sacré ministere [445], Abaisse ses regards, trouble son front severe. Du temps que j'obtiendray par mes retardemens, Songeons à ménager les precieux momens. Allons lever au Ciel nos yeux baignez de larmes, Pour fléchir⁎ sa rigueur ce sont nos seules armes : Que si toujours severe au sang⁎ d'Agamemnon, Pour ce malheureux reste [446] il n'est plus de pardon, Fermant, sans murmurer les yeux sur nos mysteres⁎, Descendons au tombeau, victimes de nos Peres ; Mais vous [447], qui n'avez point de part à leurs forfaits, Vivez, Prince, étouffez d'inutiles souhaits. Sans la haine des Dieux, croyez qu'Iphigenie, Pour estre unie à vous, auroit aimé la vie. PILADE. Que je vive, Madame, et respire sans vous : Ah ! plûtost tout mon sang … IPHIGENIE.         Le Tyran vient à nous. ### SCENE VII. THOAS, IPHIGENIE, ORESTE, PILADE, ANTHENOR, HIDASPE, TAXIS. THOAS. Hé bien, Madame, Oreste enfin va-t-il paroistre ? S'obstinent-ils encor tous deux à vouloir l'estre ? Avez-vous dévoilé cette funeste erreur, Qui le montre à mes yeux, et le cache à mon cœur ? IPHIGENIE. N'espere pas par moy voir ton erreur cessée, Autant, et plus que toy, je suis embarassée. Mon ame est suspenduë entre ces deux amis, Tous deux d'un saint devoir également épris, De mourir l'un pour l'autre ont la perseverence, Aucun ne veut devoir la vie à ta clemence. THOAS. Cette confusion commence à me lasser, Madame, c'est à vous de la faire cesser. Faites-moy voir Oreste, et me livrez sa teste [448], Où pour tomber sur eux la foudre est toute prête. PILADE. Faut-il te le redire, Oreste est devant toy, Il ne se cache point : frape. Tyran, c'est moy. C'est moy, qui devoré d'une noble furie, Venois pour t'enlever et tes Dieux, et ta vie ; Et qui pour assouvir ces transports⁎ immortels, Irois percer ton cœur jusques sur les Autels : Si tu veux t'obstiner dans ton erreur extrême, Aprés un tel aveu ne t'en prend qu'à toy-même. ORESTE. Admire d'un grand cœur les nobles mouvemens : Connois la verité dans ses empressemens⁎ ! Dépoüillé quelque temps des transports⁎ de ta rage, Voy jusqu'où l'amitié porte un noble courage. Il veut, prenant mon nom, blasphemant contre toy, S'attirer une mort qui ne cherche que moy : Mais si tu veux joüir du fruit de ta vangeance, Dans ton aveuglement discerne l'innocence. Sur le coupable seul fais tomber ta fureur⁎, Ou des Dieux offencez crains le foudre vangeur [449]. THOAS. Ah ! c'est trop devant moy respirer l'imposture, Madame, il faut vanger nostre commune injure⁎ : Qu'à l'instant vostre bras les immole tous deux : Mon rang, ma seureté l'exigent : je le veux. Que de leurs Dieux aprés la fureur⁎ se déploye, La Tauride verra ce qu'on vit devant Troye. Ils se partageront en ce commun effroy, Et s'il en est pour eux, il en sera pour moy. IPHIGENIE. Quel es-tu pour tenir ce superbe⁎ langage ? Oses-tu commander à qui tu dois hommage ? Plus haut que ton pouvoir n'éleves point ta voix, C'est du Ciel, non de toy, que j'écoûte les loix, Luy seul peut prononcer des decrets legitimes ; Je vais, pour décider du sort⁎ de ces victimes, Sçavoir ses volontez, arbitre entre-eux et toy. Thoas, attens mon ordre : et vous Grecs, suivez-moy. ### SCENE VIII. THOAS, HIDASPE, ANTHENOR, TAXIS. THOAS. Qui suis-je ? Est-ce à Thoas qu'un tel discours s'adresse ? A quoy m'exposes-tu malheureuse tendresse⁎ ? Je puis tout, et malgré mon nom, ma dignité, Une simple Prestresse étonne⁎ ma fierté⁎. Quand d'un ton plein d'audace elle ose me confondre, Ma bouche est interdite⁎, et ne sçait que répondre. Ah ! c'est trop abuser de mes indignes feux⁎, Ces Grecs sont mes captifs, que le Ciel soit pour eux ! Ils recevront demain la mort qu'elle retarde. Taxis autour du Temple allez ranger ma Garde ; Observez avec elle un silence profond, Veillez mes ennemis, vostre teste en répond. ### SCENE IX. THOAS, ANTHENOR, HIDASPE. HIDASPE. A vostre seureté cet ordre est necessaire, Seigneur⁎ ; mais d'un peril qu'on ne peut plus vous taire, Vostre Peuple allarmé semble vous menacer : Il croit pour Thomiris devoir s'interesser : De son départ furtif il se fait une injure⁎, Il y veut mettre obstacle, il s'assemble, il murmure, Et si l'on ne s'oppose à cette émotion, Elle pourra causer quelque sedition. THOAS. Non, il obéïra. Je suis seur de son zele⁎, Anthenor, la Princesse à mes vœux moins rebelle, Ne verra point l'hymen⁎ qui trahit son espoir, Vous pouvez de ma part le luy faire sçavoir. Allez. ANTHENOR.         Jusques au Temple, où son zele⁎ s'empresse D'aller pour son voyage implorer la Deesse, Je vais de vos bontez, Seigneur⁎, luy faire part. THOAS. Dites-luy que sur tout elle songe au départ. ### SCENE X. THOAS, HIDASPE. THOAS. Et toy, favorisé de l'ombre et du silence, Au peuple adroitement dérobe sa presence ; J'attendray [450] ton retour dans cet appartement. Va, cours tout préparer pour son embarquement, Et songe, en ménageant cette importante fuite, Que mon sort⁎ cette nuit dépend de ta conduite. Fin du quatrième Acte. ## ACTE V. ### SCENE PREMIERE. THOAS *seul*. Dieux ! que l'impatience est un cruel⁎ tourment ? [451] Qu'Hidaspe répond mal à mon empressement⁎ ! Hidaspe à mes regards ne paroît point encore, Luy qui dans ce Palais doit devancer l'Aurore. [452] Qu'une nuit inquiete est cruelle⁎ à passer ! Que de tristes⁎ objets⁎ viennent la traverser⁎ ! Mon cœur, dans l'embarras qui le trouble, l'agite, Cherche ce qui le fuit, trouve ce qu'il évite. La crainte, la terreur me suivent en tous lieux, Et toujours le sommeil se refuse à mes yeux. Mortels ambitieux dont les desirs rapides [453] N'ont que vos passions pour objets⁎, et pour guides, Qui de l'amour du Trône avidement épris, N'envisagez la gloire, et l'honneur qu'à ce prix, Et qui des plus grands noms enveloppant vos crimes, Ne suivez, pour regner, que d'injustes maximes [454], Temeraires tremblez, et craignez d'obtenir Ce qui vous est donné des Dieux pour vous punir. Le seul empressement⁎ d'éloigner la Princesse, De perdre mes captifs, d'épouser la Prestresse [455], Tyrannise mon ame avec tant de pouvoir, Que je n'écoûte plus ny raison, ny devoir. Mille fâcheux objets⁎ roulent [456] dans ma pensée. Hidaspe ne vient point [457], la nuit est avancée. Qui le retient ? Le peuple à mon ordre opposé, Pour en troubler l'effet est-il assez osé ? Je ne puis demeurer dans cette incertitude, Elle augmente ma peine et mon inquietude. Allons … Mais je le vois. ### SCENE II. THOAS, HIDASPE. THOAS.         Par quels retardemens … HIDASPE. Tout succede, Seigneur, à vos empressemens⁎. La Princesse livrée au pouvoir du Sarmate, Ne mettra plus d'obstacle à l'hymen⁎ qui vous flate⁎, Je l'ay trouvée au Temple, où du [458] pied de l'Autel Elle s'est imposée un exil éternel. Muette, et pour cacher ou sa honte, ou sa rage, De ses voiles baissez se couvrant le visage [459], Elle a suivy mes pas sans contrainte, et sans bruit, Par de secrets détours dans l'ombre de la nuit. [460] Alors l'Ambassadeur, et sa nombreuse suite, Que menoit Anthenor, chargé de leur conduite⁎ ; Traversant un grand Peuple assemblé sur le Port, Sans obstacle, avec elle, ont passé sur leur bord. Le Pilote attentif au devoir qui le guide, N'attend plus que le vent pour quitter la Tauride : Mais craignant que le jour qui va tout déclarer [461], Ne retrouvast un peuple ardent à murmurer : J'ay laissé sur le port une garde fidelle, Et vous viens annoncer cette heureuse nouvelle. THOAS. Ah ! je respire, Hidaspe, et j'en rends grace aux Dieux, Thomiris suspendoit mon pouvoir en ces lieux. Quoy que fortifié [462] de la toute-puissance, Mon génie⁎ étonné⁎ trembloit en sa presence : Mais retourne au rivage, et ne quitte son bord, Qu'aprés que le Vaisseau sera party du port ; Qu'aprés que tu l'auras long-temps perdu de veuë : Et si dans sa fureur⁎ le peuple continuë, Montrant pour sa Princesse un front seditieux, N'épargne point le sang des plus audacieux. Va, cours, te dis-je. Et moy pour rompre cet obstacle, Je m'en vais l'attirer par un autre spectacle [463]. ### SCENE III. THOAS *seul*. Déja l'Astre naissant, qui luit sur mes desseins, Du Temple, en m'éclairant, me montre les chemins. [464] Allons y commencer cette heureuse journée : Et par un sacrifice, et par un hymenée⁎, Mes peuples [465] attirez par cette nouveauté Viendront … Mais que me veut Taxis épouvanté ? ### SCENE IV. THOAS, TAXIS. TAXIS. Ah ! Seigneur⁎, quels malheurs menacent vôtre Empire⁎ ! Quels troubles … Sans horreur je ne puis vous le dire. THOAS. Dieux ! qu'ay-je à craindre encor, Taxis, explique toy. TAXIS. Je remplissois les soins⁎ confiez à ma foy⁎. Vostre garde fidelle imitoit mon exemple, Le silence avec nous regnoit autour du Temple, Déjà la nuit obscure alloit se dissiper, Quand un bruit étonnant est venu nous fraper. On n'entend que des cris dans l'enceinte sacrée, J'en approche en tremblant, on m'en livre l'entrée Quels spectacles, grands Dieux ! que d'affreuses douleurs ! Les Ministres confus, les Prestresses en pleurs, Ont tristement fait voir à mon ame abatuë, Qu'on avoit de Diane enlevé la statuë. THOAS. Ciel ! TAXIS.         Accusant les Grecs de cette impieté, A les chercher par tout mon zele⁎ m'a porté. Je fais entendre en vain par tout leur nom funeste. Aucun ne me répond quand je demande Oreste. THOAS. Peut-on donner azile à ces noirs attentats ? On menace mes jours, mon Peuple, mes Etats, Et mon lâche ennemy trouve qui [466] le protege. Quel monstre dans ma Cour … TAXIS.         Seigneur⁎, vous le diray-je, Une impie, une ingrate, une fiere⁎ beauté, Se vante, sans fremir, de cette impieté : Elle ose aux yeux de tous avoüer son offense, Dépoüillé du respect qu'on doit à sa naissance. Je viens de l'amener dans votre apartement. THOAS. Quelle entre ! A ce forfait commis impunément, Je connois ton audace, infidelle Prestresse : Mais tu mourras. Que vois-je ? ô Ciel ! c'est la Princesse. ### SCENE V. THOAS, THOMIRIS, TAXIS. Gardes. THOMIRIS. Ouy perfide, c'est moy, dissipe ton erreur, C'est moy qui viens joüir de ta vaine fureur⁎ : C'est moy, c'est cette main que les Dieux ont choisie, Pour former le tissu des malheurs de ta vie, THOAS. Hidaspe. Ah ! malheureux, tu m'as manqué de foy⁎ ! THOMIRIS. Si tu te vois trahy n'en accuse que toy. Ton artificieuse et coupable conduite, Ta lâche politique à dérober ma fuite, Ce sont les mêmes traits⁎ que j'ay sçu ménager, [467] Pour te percer le cœur, Tyran, et me vanger. Aprés t'estre emparé du Sceptre de ta Reine, Aprés que tes mépris ont merité ma haine, As-tu pû concevoir que soûmise à ta voix, J'accepterois ailleurs un Empire⁎ à ton choix, Et que de tes forfaits volontaire victime, Je te ferois du mien possesseur legitime. Cette nuit, profitant de son obscurité, Sur mon départ ta haine avoit déjà conté [468]. Mais loin de consentir à ta coupable envie, Je l'avois consacrée à t'arracher la vie, Lors qu'au Temple, où ma bouche alloit se déclarer, Un plus noble transport⁎ est venu m'inspirer. Ton sang, que l'on devoit m'offrir en sacrifice, Ne me paroissoit point un assez grand supplice. Pour t'en faire un, Tyran, où ton cœur inhumain, Sentit du desespoir le plus cruel⁎ venin. Leur ouvrant jusqu'au port une secrete issuë, Entre les mains des Grecs j'ay remis la Statuë. J'ay d'une même ardeur, m'opposant à tes vœux, Arraché la Prestresse à tes indignes feu⁎. J'ay fait que sous mon nom, favorisant sa fuite, Au vaisseau du Sarmate Hidaspe l'a conduite, Et qu'elle va, fuyant ta Couronne et ta foy⁎, Vivre sous d'autres Cieux pour un autre que toy. THOAS. Gardes, qu'on la poursuive, allez. Et toy, barbare … THOMIRIS. Penses-tu que pour toy le destin se declare ? Penses-tu que le Ciel, qui conduit ses desseins, D'Argos en ta faveur, luy ferme les chemins ? Fille d'Agamemnon, c'est cette Iphigenie, Que l'on croit en Aulide avoir perdu la vie. De ces Grecs que j'arrache à ton ardent courroux⁎ : L'un est son frere Oreste, et l'autre est son époux. L'hymen⁎ les a liez d'une chaîne éternelle : Je viens d'estre témoin de leur foy⁎ mutuelle. [469] Quel spectacle à mes yeux ! quel triomphe pour moy ! D'avoir forgé les traits⁎ qui me vangent de toy. Le Ciel, en ce grand jour, met le comble à ma joye ; De tourmens infinis tu vas estre la proye. Sur ce Trône où ton cœur se croyoit affermy, Je te verray toujours craindre ton ennemy ; Je verray le venin de la plus noire envie, Te montrer ton Rival aimé d'Iphigenie, Et dans ton cœur jaloux répandre les remords, Qu'Oreste en s'enfuyant t'a laissé sur ces bords. Ouy, ce m'est un plaisir qui flatte⁎ ma disgrace, D'avoir sçu par mes soins⁎ confondre ton audace. THOAS. Ah ! je t'épargneray ce funeste plaisir. Si bien-tost dans l'horreur dont je me sens saisir, Je ne vois ces captifs partis sous ta conduite⁎, Ta mort sera le prix d'avoir tramé leur fuite. THOMIRIS. Aprés ce que j'ay fait je brave ta fureur⁎. Je ne crains rien cruel⁎, frape. ### SCENE VI. THOAS, THOMIRIS, TAXIS. TAXIS.         Venez, Seigneur⁎, Le jour nous a fait voir la troupe fugitive, Qu'un orage imprévû retient prés de la rive. Hidaspe par les vents les voyant arrestez, Entoure leur Vaisseau, les prend de tous côtez : Mais le peuple à grand cris suspend vôtre vangeance, Le perfide Anthenor embrasse⁎ leur deffence, A leur perte prochaine⁎ il prétend s'opposer, Et sans vostre presence ils peuvent tout oser. THOAS. Ah ! courons dans leur sang éteindre leur furie, Et toy [470] dans ce Palais garde mon ennemie. [471] ### SCENE VII. THOMIRIS, TAXIS. THOMIRIS. Dieux ! est-ce l'innocence à qui vous en voulez ? [472] Aprés tant de sermens et de droits violez, N'ayant dans ses transports⁎ aucune retenuë, Parmy tant de forfaits commis à vostre veuë, Un Tyran trouve-t'il la faveur des destins, Contre des malheureux qui vous levent les mains [473] ? [474] Ah ! Courons empêcher le sort⁎ qui les menace. Courons … quoy malheureux ! d'où te viens cette audace ? Oses-tu m'arrester, et ton zele⁎ obstiné … TAXIS. Madame, vous sçavez ce qui m'est ordonné. THOMIRIS. Ne te souvient-il plus du sang qui m'a fait naître. En faveur de Thoas m'oses-tu m'éconnoître. Attens-tu que sur moy son bras ensanglanté Vienne … Mais c'est trop craindre en cette extrémité⁎. Tu me retiens en vain, ta lâche obéïssance … ### SCENE VIII. THOMIRIS, TAXIS, ERINE. ERINE. Madame, de Thoas fuyez la violence. THOMIRIS. De ces Grecs malheureux, Erine est-il vainqueur ? Les a-t-on immolez à sa noire fureur⁎ ? ERINE. Ne me demandez rien. Etonnée⁎, interdite⁎, Je ne puis revenir du trouble qui m'agite, Le tumulte, le fer, le desordre, les cris, De crainte, de terreur glacent tous les esprits. Parmy tous ces objets⁎ dont mon ame est émeuë, Le Tyran en fureur⁎ a seul frapé ma veuë ; Son intrepidité m'a fait trembler pour vous : Fuyez, fuyez, Madame, évitez son courroux⁎. THOMIRIS. Que je fuye. Ah ! plutôt courons sur le rivage, Des Scythes, par ma veuë, animer⁎ le courage, C'est aujourd'huy le Sceptre, ou la mort que j'attens. ERINE. Ah ! prévenez … Que dis-je ? on vient. Il n'est plus temps. [475] ### SCENE DERNIERE. THOMIRIS, ANTHENOR. ERINE. [476] ANTHENOR. Vous triomphez, Madame, et le Ciel équitable, A l'innocence enfin s'est montré favorable. THOMIRIS. Dieux ! que viens-je d'entendre, et que me dites-vous ? ANTHENOR. Que les Dieux hautement se déclarent pour nous. Jamais jour aux mortels ne parut plus funeste, Et [477] plus propre à marquer la colere celeste. On eût dit que les Dieux contre nous animez⁎, S'opposoient aux desseins que nous avions formez. Les flots impetueux, et les vents en furie, Du Sarmate et des Grecs empeschoient la sortie. Hidaspe dans ce trouble informé de leur sort⁎, S'approche du Vaisseau, l'attaque avec transport⁎, Redemande à grands cris les Grecs, et la Statuë. Oreste fierement⁎ se presente à sa veuë, Au courage du Scythe oppose sa valeur, Il fait face par tout, par tout il est vainqueur : J'arrive accompagné d'une escorte fidelle, De l'innocence, alors j'embrasse⁎ la querelle, Le Peuple autour de moy courant de toutes parts, Fait voler sur la garde un orage de dards⁎, Quand Thoas arrivé sur le fatal rivage, Aux siens épouvantez rameine le courage. Dans toute son horreur la mort se montre à tous. Pilade fait tomber Hidaspe sous ses coups. Le Tyran qui du Bord voit ce trépas funeste, Sans songer qui le suit, s'avance vers Oreste, Il le joint [478] ; mais bien-tost il a le même sort, Sous le fer de ce Prince il expire. THOMIRIS.         Il est mort. ANTHENOR. Ouy, Madame, et la mer jusqu'alors soûlevée, [479] De son sang qui s'écoule est à peine abreuvée, Que les vens, dans les airs, ne sont plus déchaînez : Les flots impetueux ne sont plus mutinez⁎. Le Ciel devient tranquille, et les Grecs pleins de gloire, Vont joüir dans Argos du fruit de leur victoire ; [480] Tandis que remontant au rang de vos ayeux, Vous allez commander dans ces paisibles lieux, Et qu'un peuple ennemy des sanglantes maximes, Brûle⁎ de recevoir vos ordres legitimes. THOMIRIS. Ciel ! pour perdre⁎ un Tyran quelle est ton équité ! Mais allons dans le Temple adorer sa bonté ; Sur la rebellion que ma clemence éclate, Et de nostre bonheur faisons part au Sarmate. FIN. # Glossaire. Dictionnaires cités : – Académie française, *Dictionnaire*, Paris, J-B. Coignard, 1694 ; 2 volumes (Acad.). – Furetière, A., *Dictionnaire universel*, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690 ; 3 volumes (F). – Richelet, P., *Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise*, Genêne, J-H. Widerhold, 1680 ; 2 volumes (Ric.).Abord« Aproche, arrivée » (Ric.)V. 685, 836, 932Affranchir« Delivrer » (F).V. 408, 790Allarmes « Se dit figurément de toutes sortes d'apprehensions bien ou mal fondées » (F)V. 972, 1097, 1248Amant« Celuy qui aime d'une passion violente et amoureuse » (F).V. 71, 219Animer« Échauffer, donner de la force, du feu et de la vigueur » (Ric.)V. 276, 484, 596, 721, 748, 1016, 1570« Encourager » (Ric.)V. 524, 1561Appareil« Suite, esquipage, accompagnement » (Acad.)V. 386« Apprest, preparatif ».V. 851AppuyS'emploie au sens figuré pour « des personnes d'où viennent la faveur, le secours, le crédit, la protection » (Acad.)V. 55, 194, 270, 294, 502, 1134Arrest« Jugement ferme et stable d'une Puissance Souveraine. Un *Arrest* du Ciel, de la Providence » (F).V. 96, 626, 734, 862, 1064Augurer« Conjecturer, predire quelque chose » (F).V. 120Auguste« Majestueux, venerable, sacré » (F).V. 6, 13, 321, 768, 844, 881Brûler« Avoir de la passion pour quelque chose. Désirer ardenment. » (Ric.)V. 313, 1601Chagrin« Inquietude, ennuy, melancolie » (F).V. 32, 50, 112, 216, 967Conduite« Commandement et pouvoir de mener, de faire marcher, de conduire où l'on veut » (Ric.)V. 1405, 1520Constance« Perseverance dans le bien, vertu qui oblige à demeurer ferme dans les bonnes résolutions qu'on a prises » (Ric.)V. 14, 115, 845Courroux« Colere. Son plus grand usage est dans le genre sublime et dans la poësie » (Acad.)V. 94, 122, 327, 375, 970, 1016, 1120, 1154, 1170, 1502, 1559Cruel« Rude, fâcheux » (Ric.)V. 50, 542, 816, 1366, 1487« Qui est barbare, inhumain, qui aime à tuer, massacrer, tourmenter les autres hommes » (F).V. 306, 937, 1002, 1187, 1523Cruelle« On dit, d'une femme qui maltraitte ses amants, qu'Elle est cruelle » (Acad.)V. 248« Fascheuse, douloureuse, insupportable » (Acad.)V. 1370Dard« Javelot, arme de trait, qui est en bois ferré et pointu par le bout qu'on jette avec la main » (F).V. 1583Décevoir« Tromper adroitement » (F). V. 251Dépit« Fascherie, chagrin meslé de colere » (Acad.)V. 451Embrasser« Environner, serrer de ses bras » (F)V. 316, 963« Témoigner de l'amitié » (F)V. 574« Entreprendre une affaire, en prendre soin » (Acad.)V. 1529, 1581Empire« Monarchie, étenduë des pays où quelqu'un commande » (F).V. 40, 221, 433, 465, 513, 847, 1239, 1432, 1475Empressement« Soins ardens et plein de zéle. Bons ofices » (Ric.)V. 58, 287« Hâte de faire, ou de dire quelque chose » (Ric.)V. 1307, 1367, 1384, 1395Étonner« Épouvanter, surprendre d'une certaine maniere qui touche » (Ric.)V. 117, 149, 177, 1335, 1417, 1552« Se dit aussi des choses qui sont assez ordinaires et peu considérables » (F)V. 626« Surprendre par quelque chose d'inopiné » (Acad.)V. 842, 1052Etonnant« Qui surprend, qui donne de l'admiration par sa rareté, ou par sa nouveauté ou incompréhensibilité » (F).V. 1206Etonnement« Action ou effet qui cause de la surprise, de l'admiration ».V. 1208Exciter« Se dit figurément en Morale, et signifie Animer » (Acad.)V. 49, 419Extrémité« Le dernier point, le plus triste estat où l'on puisse estre reduit » (Acad.)V. 1547Félicité« Béatitude, bonheur parfait » (Acad.)V. 2« Un amant regarde la jouïssance de ce qu'il aime comme une supreme *felicité* » (F).Feu« Vivacité, esprit » (Ric.)V. 23« Mot indéclinable qui signifie *défunt*, et qui ne se dit que des personnes qu'on a vuës, ou connuës, ou qu'on a pu voir ou connoître » (Ric.)V. 53, 228, 351, 443« Amour » (Ric.)V. 71, 618, 627, 1220, 1338, 1491« Colére. Impétuosité, fougue » (Ric.)V. 254« Celuy des quatre Elements qui est chaud et sec » (Acad.)V. 304, 758« En termes de Theologie, se dit des *feux* immateriels dont Dieu se sert pour punir les meschants » (F).V. 917Fier(e)« Hautain, altier, audacieux » (Acad.)V. 114, 310, 784, 1454« Cruel, tyran » (F)V. 646, 1002, 1265FierementAvec orgueil. V. 658, 1577Fierté« Orgueil » (Ric.)V. 170, 264, 1335« Ce mot se disant des femmes signifie quelquefois *une sévérité charmante. Orgueil qui plaît »* (Ric.)V. 14, 74, 838Flater« Excuser par une mauvaise complaisance »V. 233« Faire esperer quelqu'un de quelque chose »V. 468, 582, 1223« Delecter »V. 1397« Adoucir le sentiment de sa douleur, de ses desplaisirs » (Acad.)V. 1516Fléchir« Esmouvoir à compassion. Toucher de pitié. Attendrir » (Acad.)V. 719, 1273Foi « Serment, parole qu'on donne de faire quelque chose, & qu'on promet d'executer » (F)V. 154, 227, 356, 417, 750, 823, 1435, 1466« La *foy* conjugale, est la *foy* que le mari et la femme se donnent en se mariant » (F)V. 433, 1494, 1505« Créance qu'on donne aux paroles des hommes » (F)V. 1182FortuneÀ l'origine « Déesse à qui les Païens donnoient la disposition de toutes les choses du monde. Fortune capricieuse, aveugle, contraire » (Ric.)V. 964La fortune désigne au XVII*e* siècle un principe régissant le monde selon la loi du hasardV. 441« Il se prend aussi pour L'estat, la condition où l'on est » (Acad.)V. 1245FortunéHeureux.V. 946, 966Fureur« Emportement violent causé par un dereglement d'esprit et de la raison … Se dit en Morale de la colere, lors qu'elle est violente et démesurée, et qu'elle jette les hommes dans quelques excès » (F).V. 840, 1125, 1314, 1320, 1421, 1463, 1522, 1551, 1557Furieux« Qui est transporté de colere, de fureur, de furie » (F)V. 255, 821, 1159« Se dit aussi de tout ce qui a de la violence, de l'impetiosité, de l'excès » (F).V. 567, 754, 942Génie« Se dit aussi du talent naturel, et de la disposition qu'on a à une chose plutost qu'à une autre » (F). V. 1417Hymen« Poétiquement, le mariage » (F).V. 2, 113, 188, 190, 232, 357, 495, 690, 696, 716, 720, 1076, 1260, 1354, 1397, 1504Synonyme d'HymenéeV. 425, 452, 1081, 1129, 1429Infortune« Malheur, Desastre, Disgrace » (Acad.)V. 412, 631InfortunéMalheureux.V. 23Iniquité« Injustice. L'iniquité des Juges, l'iniquité des jugements » (Acad.)V. 727Injure« Se dit aussi des affronts, des torts et dommages qu'on fait à une personne par voyes de fait » (F). V. 228, 340, 1317, 1348Interdit(e)« Estonné, troublé, qui ne sçait ce qu'il fait, ce qu'il dit. » (Acad.)V. 200, 298, 371, 390, 486, 841, 1051, 1124, 1337, 1552Licence« Permission » (Acad.)V. 461Manes « Terme Poëtique, qui signifie l'ombre ou l'ame d'un mort » (F). V. 448Mutinez« Se dit aussi figurément et poëtiquement des choses qui resistent, qui destruisent, qui sont contraires, comme les vents *mutinez*, les flots *mutinez* » (F).V. 1595Mystere« Chose cachée, secrette ou difficile à comprendre » (F)V. 26, 1065, 1276« Il se dit proprement en matiere de Religion, et signifie ce qu'il y a de plus caché dans une Religion » (Acad.)V. 916, 1225Mysterieux« Qui renferme, qui cache quelque mystere » (F)V. 1066Nœud« Se dit figurément en choses morales, en parlant des liaisons qui attachent ensemble les personnes. »V. 31, 480« Le mariage est un sacré *nœud* qui unit le mari et la femme » (F).V. 1166Objet« Ce qui touche, ce qui esmeut les sens par sa presence. Il se dit plus ordinairement par rapport au sens de la veuë. *Agreable objet. Vilain objet. »* (Acad.)V. 767, 835, 1371, 1388, 1556« Le but, la fin qu'on se propose. » (Acad.)V. 1377Obscuritez« Se dit figurément en Morale de ce qui est caché, qui se desrobe aux yeux des hommes, qui n'est pas illustre » (F).V. 106Opprobre« Ignominie, honte, affront » (Acad.)V. 834Perdre« Ruïner, détruire, décrïer, oter l'honneur » (Ric.)V. 1602Pompe« Appareil magnifique, somptuosité » (Acad.)V. 765, 1040Pompeux« Qui est magnifique, leste » (Ric.)V. 12, 1069Prétendre« Vouloir, entendre, aspirer à quelque chose » (F). V. 580Prochain(e)« Qui n'est pas loin. Il se dit du temps et du lieu » (F).V. 968, 1530Ravir« Enlever de force, emporter avec violence » (Acad.)V. 125, 289, 885Ressentiment« Déplaisir, chagrin, colere qu'on a pour quelque déplaisir reçu. » (Ric.)V. 47, 48« Le souvenir qu'on garde des bienfaits, ou des injures » (Acad.)V. 310, 1018« La vengeance est le *ressentiment* qu'on a des injures qu'on a souffertes » (F).V. 243Révèrer « Avoir du respect, de la veneration pour quelque personne, ou quelque chose » (F).V. 449, 1186Revers« Se dit figurément en Morale d'un retour ou renversement de fortune, ou d'affaires » (F).V. 72, 163Sang« Se dit aussi de la parenté, de la race, de la communication qui se fait du *sang* par la génération. Les Princes du Sang sont ceux qui sont descendus du *Sang* Royal, les proches parents du Roy. Tous les Heros de l'Antiquité se disoient issus du *sang* des Dieux. Il est de noble *sang*, d'illustre famille » (F). V. 170, 265, 296, 520, 797, 798, 832, 849, 865, 877, 1175, 1186, 1190, 1274Seigneur« Celui qui est maître d'un lieu féodal » (Ric.)V. 1, 13, 39, 124, 160, 241, 441, 477, 483, 492, 500, 1345, 1358, 1432, 1453, 1523Soin« Inquiétude d'esprit, travail d'esprit » (Ric.)V. 491, 1245« Diligence qu'on apporte à faire reüssir une chose, à la garder et à la conserver, à la perfectionner » (F)V. 288, 512, 1143, 1435, 1517« Se dit aussi en parlant des liberalitez qu'on fait à quelqu'un pour le faire subsister » (F).V. 292, 606, 621Sort« Se dit poëtiquement de la vie & de la fortune des hommes » (F)V. 81, 88, 111, 131, 398, 522, 550, 684, 699, 777, 781, 906, 943, 952, 1151, 1231, 1329, 1365, 1540« Hazard, ce qui arrive fortuitement, par une cause inconnuë, & qui n'est pas reglée ni certaine » (F)V. 187, 558, 820, 844, 1093, 1255« Conditions malheureuses » (F).V. 376, 562, 624, 790, 911, 1574Souffrir« Permettre » (Acad.)V. 123, 225, 1101, 1255« Endurer » (Acad.)V. 761, 1009Superbe« Vain, orgueilleux, qui a de la presomption, une trop bonne opinion de luy-même. La victoire rend un barbare *superbe »* (F)V. 338« *Plein d'orgueil*, plein de fierté » (Ric.)V. 481, 679, 1324Tendresse« Sensibilité du cœur et de l'ame. La delicatesse du siecle a renfermé ce mot dans l'amour et dans l'amitié. Les amans ne parlent que de *tendresse* de cœur, soit en prose, soit en vers; et même ce mot signifie le plus souvent *amour* » (F).V. 59, 1333Trait « Se dit aussi, Des lineaments du visage » (Acad.)V. 182« Fleche, dard » (Acad.)V. 1525, 1562Transport« Ravissement, extase » (Acad.)V. 318, 1130« Se dit aussi figurément en choses morales, du trouble ou de l'agitation de l'ame par la violence des passions » (F).V. 428, 484, 567, 942, 1302, 1308, 1483, 1536, 1575Travaux« Les peines qu'on a prises, qu'on s'est données, à quelque entreprise glorieuse, dans l'execution de quelque chose de difficile » (Acad.)V. 146Traverser« Empescher de faire quelque chose en suscitant des obstacles » (Acad.)V. 710« Percer de part en part » (Acad.)V. 1242« Troubler. Aporter du désordre, causer du désordre » (Ric.) V. 1371Triste« Chagrinant, ennuyeux, qui donne de la melancolie, du chagrin » (Acad.)V. 121, 371, 1371« Affligé par quelque perte ou accident qui luy est arrivé » (F)V. 558, 1201Zele« Ardeur, passion qu'on a pour quelque chose » (F)V. 215, 503, 597, 748, 1356« Se dit aussi de ce qui regarde les obligations de la vie civile. … *avoir beaucoup de zele pour son Prince, pour le service de son Prince »* (Acad.)V. 184, 276, 404, 1352, 1447, 1542Zelé« Qui a du zéle, de l'ardeur et de la ferveur pour quelque personne, ou pour quelque chose » (Ric.)V. 97 # Annexe I- Préface à Oreste et Pilade. Seconde édition des Œuvres de Monsieur de La Grange-Chancel, 1734. **L**e succès de ma premiere Tragedie m'encouragea à chercher quelque sujet fameux dans l'Antiquité, qui répondît à l'idée que le Public sembloit avoir de mes talents. J'y étois d'autant plus excité, que j'avois été élevé dans l'opinion que la qualité d'Auteur ne convenoit à des Personnes d'un certain nom, que lorsqu'elles se distinguoient par leurs Ecrits. Je m'attachai d'abord à la lecture d'Euripide, où le celebre Racine avoit fait des moissons si avantageuses à la République des Lettres. Je crus avoir trouvé dans l'Iphigénie *in Tauris* le sujet que je desirois ; j'y vis des Scenes interessantes, qui sembloient ne me devoir coûter que la peine de les traduire ; mais j'avouë que j'y trouvai en même tems des difficultés capables de me détourner de mon entreprise. Je voyois d'un côté que le grand Corneille, dans ses Réflexions sur le Theâtre, met ce sujet au nombre de ceux qui ne peuvent être traités. D'un autre côté, j'entendois dire à M. Racine, qui ne me refusoit point ses bons avis, qu'il avoit été long-tems à se déterminer entre *Iphigénie sacrifiée* et *Iphigénie sacrifiante*, et qu'il ne s'étoit déclaré en faveur de la premiere, qu'après avoir connu que la seconde n'avoit point de matiere pour un cinquième Acte. Les anciens Poëtes ne faisoient point difficulté d'employer le secours d'une machine, quand les autres ressources leur manquoient. Mais ce qui étoit toleré parmi eux, feroit échoüer aujourd'hui la plus belle de nos Tragedies. Tout cela ne fut pas capable de me rebuter. Je vis que l'Episode d'Eriphile avoit été heureusement substituée par M. Racone à la Biche miraculeuse dont Euripide s'étoit servi pour sa catastrophe. Je crus que la Minerve qu'il employe également pour dénoüer sa seconde Tragedie, pouvoit être remplacée avec la même vraisemblance par une Princesse interessée à l'action principale, et capable de me fournir ce qui manquoit à mon sujet. Je trouvai dans le sujet même le caractere du Personnage que je cherchois ; et dès que j'eus fait cette découverte, qui fut aprouvée par M. Racine, je ne songeai plus qu'à l'exécution de mon projet. Le succès fut au delà de mes esperances. Mademoiselle de Champmelé, qui representoit Iphigénie dans un âge où l'on n'a plus les agrémens de la jeunesse, ne fit pas verser plus de larmes dans le rôle de M. Racine, qu'elle en fit verser dans le mien. Le Public eut le regret de la perdre dans le plus fort des representations de cette Tragédie, qui fut reprise l'année suivante avec le même succès par Mademoiselle Desmares, nièce de cette celebre Actrice, et digne héritiere de ses talens. # Annexe II- Variantes du texte original : correction du manuscrit de souffleur. Les ratures du texte original sont signalées en caractère gras. Les corrections pratiquées sur celles-ci sont soulignées. Les mots, les vers, ou les passages qui ne présentent aucune correction sur le manuscrit de souffleur mais qui sont différents de la version imprimée de 1699 sont indiqués en italiques. ## Acte I. ### Scène I. Thoas, Hidaspe, *Suite*. Vers 19 : A t'on tout préparé ? Verray je la *Prestresse*, Vers 42 : Vous jurates *alors* d'épouser Thomiris, Vers 45 : Mais sur *ce* trône assis on se peut tout permettre Vers 100 : Je fis parler *du Dieu* le plus zelé ministre Vers 111 : Anthenor dont *je scais* la prudence et l'adresse ### Scène II. La suite a disparu de la liste des personnages présents sur scène. Vers 127 : Seigneur que j'ay tremblé *de fois* pour vostre vie ! Vers 140 : Ayans trempé *les* mains dans le sang de sa mere. Vers 146 : Portant dans vos Etats **l'outrage** et la terreur. => *la rage*. Vers 162 : Enlever la statuë, *et* vous perdre ou périr. ### Scène III. Vers 242 : **Par l'équité des Dieux avec aux injustices.** => *Tu veux par mon hymen combler tes injustices*. ### Scène V. Vers 267 : Je croy deja le voir **en amant** irrité => *furieux*. Vers 268 : Porter **sa main hardie …** => *sur vostre teste**…* Vers 280 : Et pourrois *tu* descendre a cette indignité ? Vers 331 : **La** Princesse **ma** soeur => *Les* Princesses *mes* soeurs. Vers 332 : Quels transports a me voir ne **sentiront** ils pas ? => *sentiroient*. Vers 338 : Je vay **a ce captif confier une lettre** Je vay le **renvoyer**, le charger d'une lettre. => correction manuscrite = Je vais *le delivrer*, le charger d'une lettre. Vers 339 : Qu'aux mains d'Agamemnon **la sienne ira** remettre => *il jure de.* ## Acte II. ### Scène I. Vers 385 : L'élever **sur le** trône au mépris de vos droits => *Et* l'élever *au* trône au mépris de vos droits. Vers 398-399 : Son Temple estoit fermé: Le Peuple vehement / Impatient d'entrer en pressoit le moment. => Son Temple estoit fermé : *J'ay veu de toutes parts* / *Le peuple pour entrer s'offrir à mes regards*. Vers 432-433 : **Non non il n'a pas fait ce pas pour reculer / Mais il faut de son cours arreter la durée**. => *Et qu'il n'ait fait ce pas qu'afin de reculer* / *Non, non plus de pitié quand sa mort est jurée*. ### Scène II. Thoas, Thomiris, Anthenor, Hidaspe, Erine, **Taxis**. Vers 447 : N'ont **point de mon devoir** écarté la justice => N'ont *jamais de mon coeur* écarté la justice. Vers 486 : **Je te pourrais laisser paisible en mes Etats** => *Te laisseroit paisible occuper mes Etats.* ### Scène III. Thoas, Anthenor, Hidaspe, *Taxis*. ### Scène IV. Thoas, Anthenor, Hidaspe, *Taxis*. ### Scène V. Vers 533 : Approche. Ce n'est plus ton nom **et** ta naissance => *ni* Vers 545 : **Va, pars, adieu** => *Tu peux partir.* Vers 550 : Je venois en ces lieux **guidé par la victoire** => Je venois en ces lieux *animé par la gloire*. Vers 551 : **J'en** devois remporter une illustre **memoire**. => = *J'y* … *victoire*. Vers 552 : Jamais projet ne fut plus **saintement** formé => *dignement*. Vers 553 : *La gloire* armoit mon bras, les mers l'ont désarmé. ### Scène VI. Thoas, Iphigénie, Pilade, Anthenor, Hidaspe, Taxis [481]. Vers 568 : J'ouvrois à cet ingrat *les chemins* de la Grece. ### Scène VII. Iphigénie, Pilade [482]. Vers 623 : Animé par vous mesme et **par** vostre deffence => *pour*. Vers 634 : Qu'Helene n'en a fait armer **pour** Menelas => *par*. Vers 647-648 : rature complète : **Mais pourquoy déguiser le trouble de mon ame / Vous avez des vertus, et j'ay des yeux, Madame.** => *Mes discours, mes regards, et mon trouble madame* **/***Trahissent malgré moy le secret de mon ame*. Vers 668 : Ne portes pas plus loin la peine de **mon** crime => *ton*. ## Acte III. ### Scène I. Vers 723 : **Pour empescher l'hymen** troublons le sacrifice => *De l'hymen du tyran* troublons le sacrifice. ### Scène IV. Vers 803-804 : En est il **dont je puisse estre ouy sans horreur** / O vous, dont la pitié **rallentit ma fureur** => En est il q*ui pour moy se laissent attendrir* / O vous, dont la pitié *daigne me secourir*. ### Scène V. Vers 854 : De forfaits inoüis devoit estre **remplie** => *suivie*. ### Scène VI. Suite vers 918 : ajout d'un vers raturé = Comment et par quel sort des jours si respectez … Vers 919 : Les Dieux n'écoutent point quand ils sont irritez => *plus*. Vers 927-928 : ratures mais illisibles => *Sans commettre un blasphême* / *Puis-je le prononcer ! c'est sa femme elle-même*. Vers 930 : D'un prodige execrable horrible souvenir => *Ouy, Madame* Vers 932 : Malheureuse famille ! O triste Iphigénie ! => *Déplorable* Vers 934-937 : Son sang qu'avec terreur l'Aulide vit couler / Qu'Agamemnon luy-mesme aux dieux fit immoler / Du sort de ce grand Roy n'a point veu la misere / Mais ciel ! Quelle a depuis couté cher a son Pere. => corrections manuscrites = version que l'on retrouve dans le texte imprimé de 1699. ### Scène IX. A la suite du vers 1017 : ajout de 5 vers mais rayés et rendu illisibles. Vers 1029 : Mon coeur a succombé … Mais ou va ma **tendresse** => *foiblesse*. A la suite du vers 1036 : ajout de 4 vers mais raturés : Pilade Que vous alliez mourir, et que je vous survive ! Seigneur me croyez vous une ame assez craintive ? Oreste Amy n'accable point mon courage abattu Ta mort estonneroit ma timide vertu Vy, mon coeur t'en conjure au nom de la Prestresse. ## Acte IV. ### Scène I. Vers 1063 : Mais où va le torrent de **ton** inquietude ? => *mon* Vers 1066-67 : rature mais vers illisibles => *Pour couvrir autrefois les amours de ta mère* / *Tu servis de pretexte à la mort de ton père*. Vers 1069 : N'immole tu point l'autre **a** la mesme raison => *par* ### Scène II. Vers 1086 : Allons **luy dire**, allons haster nostre vangeance => correction manuscrite = Allons *Cyane*, allons haster nostre vangeance. ### Scène III. Vers 1099 : Elle en attend **l'offrande**, en presse la Justice => correction manuscrite = *la pompe* Vers 1105 : Que du jour, par vos mains, il **va se** voir privé => il *se va* voir privé. Vers 1119 : **admirois** => *admire* Vers 1127 : **ma** couronne => *la* couronne ### Scène IV. Vers 1150 : **Qu'entens je** ? Elle menace, et de ce Grec impie => *Quoy donc* ! ### Scène V. Vers 1180-81 : Ou donc est l'Etranger ? par quelle **intelligence** / Thoas **refuse-t-il la victime a l'offence** ? => correction manuscrite = Ou donc est l'Etranger ? *et* par quelle *injustice* / Thoas *recule-t-il ce fatal sacrifice* ? ### Scène VI. Iphigénie *à Pilade.* Vers 1195-1196 : **Le soin que ma pitié prenoit de vostre sort / Vous est moins glorieux qu'une odieuse mort** => *Et que vous preferez une sanglante mort*, / Au soin que ma pitié prenoit de vostre sort. Vers 1219 : **Marchez** => *Venez* Vers 1222-1225 : **Le Prince contre qui vostre bouche blaspheme / Au rang de ses ayeux conte Jupiter mesme / La Grece adore en luy ses héros et ses Rois / Le Ciel, tout l'univers vous parlent par ma voix.** => *Son bras, à vos desseins, peut servir mieux qu'un autre* / *Sa haine, pour Thoas, est égale à la vôtre ;* / *Et ce motif m'oblige à ne vous plus cacher* / *Ce que tous les tourmens ne sçauroient m'arracher*. Vers 1227 : *Orné de sa splendeur* c'est son fils, c'est Oreste. Vers 1256 : *Saisy* d'étonnement, de surprise et de joye. Vers 1264 : Pour **cacher** a mon **coeur** cet affreux parricide => Pour *sauver* a mon *bras* cet affreux parricide. Vers 1267 : **Vous l'avez prononcé, mon sang se doit verser** => *Ignorez vous le sang que vous devez verser*. Vers 1283 : *Ou ce depost sacré doit mon crime effacer.* Vers 1285-1286 : **Mon ame aprouveroit cette ardeur empressée / Et mesme en ce dessein vous auroit ….** => correction manuscrite = *Loin de blâmer en vous cette ardeur empressée***/***J'aprouverois mon frére une telle pensée* Vers 1329 : Vivez Prince, étouffez de **criminels** souhaits => Vivez Prince, étouffez *d'inutiles* souhaits ### Scène VII. Vers 1355-1356 : **Après de cet aveu la vérité suprême / Si tu doutes encor ne t'en prens qu'a toy mesme** => *Si tu veux t'obstiner dans ton erreur extrême*, / *Aprés un tel aveu ne t'en prend qu'à toy-même*. ### Scène IX. Vers 1403 : Non il obéïra, *je répons* de son zele. ## Acte V. ### Scène II. Vers 1448 : Tout **saccorde** seigneur a vos empressements => Tout *succede* seigneur a vos empressements. ### Scène IV. Vers 1497 : Ont tristement fait voir a mon ame **éperduë** => *abattuë*. ### Scène V. Vers 1571: Ouy, ce m'est un plaisir **du moins dans** ma disgrace => *qui flatte*. Ajout d'un vers après vers 1578  : **Thoas : Ah c'en est trop, il faut que ton sang …** ### Scène VI. Taxis / **Ah** seigneur, (rayé et remplacé par *Venez*) / **De vous seul aujourd'huy depend vostre bonheur** => ajouté mais supprimé. Vers 1589 : Et toy dans ce Palais **retiens** mon ennemie. => *garde*. ### Scène dernière. Vers 1634 : Au(x) **efforts du barbare** oppose sa valeur => Aux *courage du Scythe* oppose sa valeur. Le manuscrit propose deux versions différentes pour les vers 1653 à 1657 : Parmy des cris de joye et des chants d'allegresse Le vaisseau des vainqueurs se tourne vers la Grèce Favorisé d'Eole il se perd a nos yeux Alos avec des cris élevez jusqu'aux cieux Vos Peuples de Thoas détestant les maximes Et Le Ciel devient tranquille, et les Grecs pleins de gloire, Vont joüir dans Argos du fruit de leur victoire ; Tandis que remontant au rang de vos ayeux, Vous allez commander dans ces paisibles lieux, Et qu'un peuple ennemy des sanglantes maximes, C'est la seconde version qui sera retenue pour la version imprimée de 1699. # Annexe III- Liste des pièces représentées aux mois de décembre 1697 et janvier 1698. Le chiffre indique le montant de la recette rapportée [483]. ## Décembre 1697. 1er : *Polixène* / *Le Grondeur* = 616, 15 2 : *Le Distrait* = 1681, 15 3 : *Œdipe* / *Le Souper mal apprêté* = 202, 10 4 : *Le Menteur* / *Le Cocu imaginaire* = 704, 10 5 : *Polixène* / *La Loterie* = 268 6 : *L'Étourdi* / *Le Mariage forcé* = 403, 5 7 : *Regulus* / *Le Charivari* = 520, 5 8 : *Le Distrait* = 949, 3 9 : Relâche. 10 : *Le Distrait* = 554, 5 **11 : *Oreste et Pilade*** (première représentation) **= 1049, 5** 12 : *L'Allure coquette* / *Le Cocu imaginaire* = 384, 5 **13** : ***Oreste et Pilade*****= 912, 5** 14 : *Le Distrait* = 510 **15** : ***Oreste et Pilade*****= 986, 5** 16 : *L'Avare* / *L'Été des coquettes* = 589 **17** : ***Oreste et Pilade*****= 727** 18 : *La Coquette* / *Scapin* = 785 **19 : *Oreste et Pilade* /***Le Florentin***= 468** 20 : *L'Esprit folle* / *Les Dragons* = 428, 10 **21** : ***Oreste et Pilade*****/***Le Florentin***= 1486** 22 : *L'homme à bonnes fortunes* / *Scapin* = 1252, 10 23 : *Tartuffe* / *La Loterie* = 926, 5 24 : Relâche : Veille de Noël. 25 : Relâche : Fête de Noël. **26** : ***Oreste et Pilade*****/***Les Précieuses***= 1402, 5** 27 : *Le Malade imaginaire* = 1709 **28** : ***Oreste et Pilade*****/***Le Coché supposé***= 1686, 15** 29 : *Le Malade imaginaire* = 1371 30 : *Le Menteur* / *Le Grondeur* = 926, 5 31 : *D. Bertand* / *Le Charivari* = 485 ## Janvier 1698. **1er : *Oreste et Pilade*** / *Le Médecin malgré lui* = **1225** 2 : *L'Ecole des Maris* / *Scapin* = 309 3 : *L'Etourdi* / *Georges Dandin* = 945 4 : *Le Bourgeois Gentilhomme* = 1401 **5** : ***Oreste et Pilade*****/***Les Dragons***= 960, 5** 6 : *Le Bourgeois Gentilhomme* = 1573, 10 7 : *Iphigénie* = 301, 10 8 : *Le Bourgeois Gentilhomme* = 881, 10 9 : *Andronic* = 719 10 : *Les Femmes savantes* / *Le Charivari* = 519 11 : *Polixène* / *Le Florentin* = 808, 12 12 : *Amphitrion* / *Crispin Médeci*n = 1341 13 : *L'Ecole des femmes* / *Le Cocu imaginaire* = 727, 15 14 : *Le Festin de Pierre* = 529 15 : *Le Bourgeois Gentilhomme* = 811, 5 16 : *Bajazet* / *Scapin* = 565, 5 17 : *Les Bourgeoises à la mode* / *L'Eté des coquettes* = 545, 5 18 : *Manlius Capitolinus* = 1429 19 : *Amphitrion* / *Les Plaideurs* = 1319, 5 20 : *Manlius* = 1322 21 : *Jodelet Prince* / *Le Souper mal apprêté* = 426, 20 22 : *Manlius* = 1998, 10 **23**: ***Oreste et Pilade*****/***L'Eté des Coquettes***= 957, 15** 24 : *Manlius* = 939, 15 25 : *Le Marquis d'industrie* (première non achevée ; pour assurer spectacle : *Crispin Médecin*) = 1740, 15 26 : *Le Malade imaginaire =* 1032, 15 à Versailles : ***Oreste et Pilade*** / *Le Deuil*) 27 : *Manlius* = 719, 5 28 : *L'Ecole des Femmes* / *Le Cocu imaginaire* = 406 29 : *Manlius* / *Le Cocher supposé* = 1106 30 : *Crispin Médecin* = 515, 19 31 : *Manlius* = 605 # Annexe IV- Répartition du temps de parole entre les différents personnages au sein de la pièce. | Acte I (354 vers) | Acte II (348 vers) | Acte III (351 vers) | Acte IV (364 vers) | Acte V (245 vers) | Total et **%** IPHIGENIE | 108 v. | 56 v. | 56 v. | 150 v. |  | 370 vers 22, 26% THOAS | 131 v. | 79 v. |  | 42 v. | 65 v. | 317 vers 19, 07% THOMIRIS |  | 49 v. | 66 v. | 42 v. | 81 v. | 238 vers 14, 32% ORESTE |  |  | 154 v. | 45 v. |  | 199 vers 11, 97% ANTHENOR | 39 v. | 74 v. | 25 v. | 3 v. | 37 v. | 178 vers 10, 71% PILADE |  | 63 v. | 39 v. | 44 v. |  | 146 vers 8, 78% HIDASPE | 44 v. | 27 v. | 3 v. | 17 v. | 19 v. | 110 vers 6, 62% CYANE | 30 v. | x | x | 21 v. |  | 51 vers 3, 06% TAXIS | 2 v. | x | x | x | 33 v. | 35 vers 2, 10% ERINE |  | x | 8 v. | x | 10 v. | 18 vers 1, 08% « x » signifie que le personnage est présent mais qu'il est muet. # Annexe V- Anecdote livrée par La Grange-Chancel dans la préface introductive de la seconde édition de ses Œuvres en 1734. Je me souviens que quelques mois avant que ma Tragédie fut en état d'être présentée aux Comédiens [484], toute la Cour étant à Chantilly, l'on vint me chercher de la part de Monsieur le Duc, et mon guide m'ayant conduit à un appartement qui étoit au troisième étage du Château, j'y trouvai ce Prince, avec le Comte de Fiesque, Racine et un Religieux vêtu de blanc, qui après m'avoir parcouru depuis les pieds jusqu'à la tête avec des regards où je voyois quelque chose de furieux, m'adressa ainsi la parole. « Ce que l'on m'a raconté de toi, a donné à Santeuil [485] la curiosité de te voir, et je ne puis m'empêcher de te plaindre, lorsqu'avec de si beaux talens pour la poësie, je vois que tu en profite si mal. Je n'ai pas crû, lui repartis-je, pouvoir mieux faire que de profiter des leçons que Monsieur Racine veut bien avoir la bonté de me donner. Il te gâte, jeune homme, repliqua le Moine, c'était entre les mains de Santeuil qu'un beau naturel comme le tien devoit tomber, et je t'aurois rendu après moi le plus habile homme du siecle pour la poésie latine. » A cette fougue la compagnie ne put s'empêcher de rire, et la bile de Santeuil se trouvant échauffée, tant par ces éclats de rire que par le vin qu'il ne s'étoit pas épargné. « Quoi, me dit-il avec emportement, serois-tu d'assez méchant goût pour ne pas préferer le plus petit ouvrage de Santeuil à toutes les Comédies de cet homme ? J'avouë, lui repartis-je, que vos ouvrages sont aussi parfaits dans leur genre, que ceux de Monsieur Racine le sont dans le leur, j'ai admiré surtout votre Santolius penitens ; mais puisque vous me permettez de vous dire naïvement ma pensée, j'ai encore trouvé la traduction qui en a été faite au dessus de l'original. » Racine étoit effectivement l'Auteur de la traduction que je venois de citer, quoi qu'il ne l'ait jamais avoüé qu'à ses amis particuliers ; je connus dans ses yeux le plaisir que ma repartie lui avoit fait. Il n'en fut pas de même de Santeuil, il se trouva tellement offensé et de ma hardiesse, et de ce que les rieurs étoient pour moi, qu'il prit une assiette dont il m'auroit fendu la tête si Monsieur le Duc ne lui avoit promptement saisi le bras. J'étois si enfant, et j'avoit été si effrayé de l'attitude du Moine, que je me mis à pleurer, ce qui obligea son Altesse de lui faire de severes réprimandes. Monsieur le Comte de Fiesque et Racine vinrent à moi pour m'apaiser ; et après m'avoir donné quelques truffes et rempli ma poche de confitures, ils me conduisirent jusqu'à l'escalier hors de l'appartement de Monsieur le Duc. # Annexe VI- Comparaison entre la pièce d'Euripide, Iphigénie en Tauride (vers 414 avant J.-C.) et celle de La Grange Chancel, Oreste et Pilade (1697). ## Personnages. Euripide | La Grange-Chancel Iphigénie | Thoas Oreste | Iphigénie Pylade | Oreste Un Bouvier | Pilade **Thoas**, roi des Taures, | Thomiris Un de ses Serviteurs | Anthenor Athéna | Hidaspe Chœur de captives grecques | Cyane | Érine | Taxis Les personnages communs aux deux pièces ont été mis en caractère gras. ## Lieu. Euripide : *Le temple d'Artémis, précédé d'un* Autel. deux lieux La Grange-Chancel : *Anticire, dans le Palais de Thoas* La pièce antique présente donc deux lieux, du surcroît ouvert sur l'extérieur, tandis que la tragédie de 1697 propose un lieu unique, conforme à la notion classique d'unité de lieu, qui se trouve être plus précisément un appartement de Thoas. ## Découpage de la pièce. Euripide | La Grange-Chancel **Prologue** : Iphigénie se présente en évoquant ses origines et son histoire personnelle [486]. + Elle revient sur l'épisode de son sacrifice à Aulis (// promesse d'Agamemnon de donner à Artémis ce que l'année avait produit de plus beau ; navires bloqués au port ; prise d'Hélène retardée ; invocation du devin Calchas ; mensonge à propos du mariage entre Achille et Iphigénie ; mise sur le bûcher ; intervention d'Artémis et arrivée en Tauride). + Brève présentation de Thoas qui est décrit comme un barbare et de son rôle au sein du temple => évocation d'une pratique ancienne qui consiste à consacrer les Grecs qui se présentent chez les Tauro-Scythes. L'origine de cette coutume n'est pas mentionnée. + Rêve d'Iphigénie qui a vu Oreste mort => Volonté de lui offrir des libations en guise de deuil. *Elle sort de scène pour entrer dans le temple.* | **Acte I** : **Scène première** : La pièce s'ouvre sur la préparation d'un hymen entre Thoas et Iphigénie. Évocation de la réticence d'Iphigénie à cette union. Insistance sur l'amour que Thoas voue à la prêtresse. + Rappel du contexte de la montée au pouvoir de Thoas, désigné par le défunt roi pour régner à sa place à condition d'épouser sa fille Thomiris. + Présence des Ambassadeurs. + Un Grec vient d'arriver en Tauride et va être sacrifier à la déesse Diane comme le veut la coutume => Thoas confie alors que cette coutume a été inventée par lui-même après avoir entendu l'oracle d'Apollon qui lui prédisait sa perte à la venue d'un dénommé Oreste. Pour assurer ses jours, il a préféré faire immoler tous les étrangers. + Départ d'Anthenor, un fidèle de Thoas, un an auparavant, pour la Grèce afin d'avoir des informations sur Oreste. Thoas aperçoit Anthenor qui est de retour. **Prologue 2** : Entrée d'Oreste et de Pylade. Ils arrivent *ensemble.* + Oreste explique d'emblée la raison de sa venue en Tauride. + Oreste formule l'idée de fuir face aux dangers que son entreprise représente. Mais Pylade l'en dissuade et il propose plutôt de se cacher en attendant de trouver une solution. Oreste accepte et reprend confiance. *Ils sortent.* | **Scène II** : Anthenor révèle l'identité d'Oreste, fils d'Agamemnon qui a tué sa propre mère Clytemnestre afin de venger la mort de son père. + Le jeune homme, décrit comme courageux, doit venir en Tauride enlever la statue de Diane pour expier son crime. + Thoas est persuadé que le Grec qui va être sacrifié n'est autre que cet Oreste. Il est alors soulagé. **Parodos** [487] : Le chœur entre et demande à Iphigénie la raison pour laquelle elle l'a appelé. + Iphigénie entre vêtue de deuil. Elle explique sa douleur et sa colère à l'idée de la mort de son unique frère, ainsi que sa tristesse d'être loin de chez elle. *Entrée du bouvier.* | **Scène III** : *Iphigénie entre.* Elle apprend à Thoas que leur hymen ne peut pas avoir lieu car il est désapprouvé par la déesse Diane. Elle ajoute que le Grec ne peut pas être immolé car cette même déesse le protège. Les projets du tyran sont donc mis à mal bien qu'il veuille tout de même les réaliser. | **Scène IV** : Taxis, le chef des gardes, annonce que les Ambassadeurs Sarmates demandent à voir Thoas. Celui-ci accepte. **Premier Épisode** : Le bouvier apporte un message à Iphigénie (son identité n'est pas cachée). Il lui raconte la capture de deux Grecs, dont l'un se nomme Pylade. + **Récit de l'hallucination d'Oreste qui croit voir les Érinyes à sa poursuite.** + Annonce du double sacrifice que doit faire Iphigénie => la déesse promet de se montrer hostile à ces étrangers du fait de sa douleur d'avoir perdu son frère. Son malheur l'endurcit pour le malheur d'autrui. + Rancœur envers Hélène et Ménélas qu'elle aurait préféré immoler => **Nouvelle évocation de son sacrifice.** | **Scène V** : Iphigénie et sa confidente Cyane s'entretiennent. Cette dernière s'inquiète pour la prêtresse qui a doublement menti au roi et demande les causes de cet artifice alors qu'elle avait jusque là sacrifier tous les étrangers qui se présentaient sur les bords de la Tauride. + Iphigénie donne pour raison le fait qu'elle a secouru le Grec naufragé et qu'elle ne peut pas après cela le tuer. + Cyane lui rappelle que l'étranger cache son identité => Iphigénie y voit le comportement d'un sang illustre et **elle s'épanche sur son sort malheureux, évoquant son sacrifice à Aulis**. + L'identité d'Iphigénie est méconnue de tous sauf de Cyane. + Iphigénie confie le projet qu'elle souhaite mener : elle veut charger le Grec de remettre une lettre aux siens restés en Grèce pour qu'ils viennent la chercher => d'où le fait qu'elle protège le Grec. + Iphigénie décide de soulever le peuple contre Thoas pour avoir un appui. Celui-ci accepte de s'opposer au tyran. **Premier Stasimon** [488] : Strophe I = interrogation sur l'identité des étrangers. Antistrophe I = évocation de l'ambition des deux Grecs et de leur départ pour la Tauride. Strophe II = interrogation sur la façon dont les Grecs ont pu arriver sur cette terre hostile, si difficile d'accès à cause des obstacles tels que les rocs qui bloquent le passage, le vent constant ou encore les chants des Néréides. Antistrophe II = plaisir qu'aurait procurer l'immolation d'Hélène, la cause du malheur d'Iphigénie. + Désir de rentrer en Grèce. Oreste et Pylade entrent sur scène enchaînés. | **Acte II** : **Scène première** : *Entrée de Thomiris.* La princesse ne peut pas supporter l'affront que lui fait Thoas en l'écartant du trône de son père => Elle réclame à Anthenor d'être vengée. Ce dernier tente de la calmer en lui assurant l'appui du peuple. + Thomiris exige la mort du roi. **Scène II** : *Thoas entre.* Il annonce à Thomiris qu'à défaut de régner sur la Tauride, elle possédera l'Empire du Sarmate, son mariage avec l'Empereur de cette contrée ayant été décidé => Thomiris s'emporte et Thoas, irrité, fixe le départ de la jeune femme au soir même. **Scènes III-IV** : Anthenor s'étonne de la décision de Thoas. + Thoas n'écoute pas, trop préoccupé par le Grec et Iphigénie. + Hidaspe annonce que l'entrée de l'étranger que le roi veut voir mais précise qu'il a promis au peuple de le rendre sain et sauf. **Scène V** : Thoas explique au Grec qu'il lui rend la liberté mais l'étranger la refuse, ce qui inquiète le roi qui croit une nouvelle fois être en présence d'Oreste. **Scène VI** : Thoas informe Iphigénie de la décision du Grec et lui promet la mort de celui-ci si elle ne parvient pas à le convaincre de quitter la Tauride. **Second Épisode** : Iphigénie demande aux gardes de libérer les deux étrangers de leurs chaînes et d'aller préparer le sacrifice dans le Temple de Diane. + Elle s'adresse aux Grecs dont elle plaint la perte prochaine => **Oreste y répond en faisant preuve de courage** et en lui disant qu'il faut braver la mort sans supplication. +**Long échange entre Oreste et Iphigénie sur la Grèce et sur les proches d'Iphigénie.** + *Iphigénie propose de sauver la vie d'Oreste à condition qu'il remette une lettre aux proches de la prêtresse restés en Grèce afin qu'ils puissent venir la libérer.* + Refus d'Oreste qui préfère se sacrifier plutôt que de voir Pylade mourir => Iphigénie accepte et décide de confier la mission à Pylade et d'immoler Oreste. | **Scène VII** : Iphigénie, restée seule avec le Grec, lui demande les raisons de son refus. + L'étranger confie qu'il n'était pas venu seul mais avec un ami qu'il suppose être mort dans le naufrage de leur navire. **Il ne veut pas lui survivre**. + Iphigénie comprend son attitude mais lui demande de l'aide => Pilade accepte de tuer le tyran et de la délivrer mais Iphigénie le tempère en lui parlant du projet de la lettre. + Pilade laisse échapper les sentiments soudains qu'il nourrit pour Iphigénie. La prêtresse s'en offusque et le fait sortir. **Scène VIII** : Iphigénie est troublée par les déclarations de l'étranger. Elle semble partager ses sentiments. **Scène IX** : Annonce de la venue d'un second Grec. + Récit de sa capture et de la fureur dont il a été victime. **Scène X** : Iphigénie décide de sacrifier le nouvel étranger et de sauver celui pour qui elle s'est éprise. **Second Stasimon** : Strophe = Le chœur plaint Oreste qui va bientôt mourir. Celui-ci rejette cette plainte et demande aux femmes du chœur d'être heureuse. Antistrophe = Le chœur loue le bonheur de Pylade qui va pouvoir rentrer dans sa patrie. Le jeune homme explique qu'il ne peut pas être heureux à l'idée de la mort son ami. Épode [489] = Le chœur ne sait alors qui pleurer. | **Acte III** : **Scène première** : Thomiris explique à sa confidente Érine qu'elle revient supplier le nouvel étranger de cacher son identité, troublant ainsi le roi qui retarderait le sacrifice et donc l'hymen avec Iphigénie. **Scène II** : *Anthenor entre.* Il prévient Thomiris de la faiblesse physique et psychologique de l'étranger. + La jeune femme demande à Anthenor d'annoncer à Thoas sa décision de partir, à condition que l'hymen soit retardé jusqu'à après son départ. **Scène III** : Thomiris rassure Érine en lui expliquant que ce n'est qu'un leurre et qu'elle ne souhaite en aucun cas partir. **Scène IV** : Entrée du second Grec, victime d'une hallucination. Thomiris lui apprend sa mort prochaine qu'il peut éviter en cachant son nom et sa naissance. **Scène V** : Le Grec, resté seul, révèle son identité en se nommant Oreste. **Il revient sur ses origines et sur les raisons de sa venue en Tauride qui sont d'expier ses souffrances en respectant l'oracle d'Apollon**. + Il décide de faire confiance à Thomiris et de ne pas révéler son nom. **Troisième Épisode** : Oreste et Pylade sont étonnés des questions dont Iphigénie s'est enquise. + **Pylade souhaite mourir avec son ami** => refus catégorique d'Oreste qui évoque Electre, la femme de Pylade. Celui-ci accepte alors de vivre. + Oreste pense que l'oracle d'Apollon l'a leurré car il croit mourir bientôt. Iphigénie entre et congédie les gardes. Elle veut s'assurer que Pylade respectera sa promesse et parviendra à transmettre son message. Elle préfère alors, en plus de confier les tablettes où son message est inscrit, énoncer à voix haute sa requête afin que Pylade la retienne. => scène de reconnaissance entre Iphigénie et Oreste. + **Pylade partage leur joie** puis cherche rapidement un moyen de s'enfuir. + Rappel de l'union entre Pylade et Electre ; des origines de Pylade ; du meurtre de Clytemnestre ; de la poursuite des Érinyes ; des raisons de la venue en Tauride d'Oreste => ce dernier revient sur le jugement de l'Aréopage et sur son besoin de prendre la statue de Diane pour être expié de son crime. + **Iphigénie craint la déesse et le roi** => elle veut se sacrifier => refus d'Oreste qui propose de tuer le roi => Iphigénie n'est pas du tout d'accord car elle respecte le roi qui l'a accueilli sur ses terres => Oreste propose alors de se cacher dans une grotte et de fuir la nuit => Iphigénie évoque les gardiens mais propose une autre ruse : Oreste étant parricide, il est souillé et ne peut être ainsi sacrifier à la déesse. Iphigénie dira qu'il faut le laver à l'eau de mer, ainsi que la statue qu'il a touché. + Iphigénie implore les femmes du chœur de garder le silence. Elles acceptent. | **Scène VI** : *Iphigénie entre***Elle annonce à Oreste qu'elle va bientôt l'immoler à la déesse Diane => bravoure d'Oreste qui la surprend.** + **Long échange entre les deux personnages au sujet de l'identité d'Oreste (qu'il s'obstine à cacher), de la Grèce, d'Agamemnon, de Clytemnestre, des meurtres de ceux-ci**. + Oreste confie être l'auteur du meurtre de Clytemnestre => Iphigénie, dans sa douleur, décide de sacrifier l'assassin au plus vite. *Elle sort furieuse.* **Scène VII** : Oreste s'étonne des questions d'Iphigénie et de sa sensibilité aux révélations qu'il lui a faites. + Évocation de son ami Pilade qu'il pense rejoindre dans la mort. **Scènes VIII-IX-X** : *Pilade entre, accompagné par Hidaspe et Taxis.* Il est chargé de découvrir l'identité du nouveau Grec arrivé en Tauride. Oreste reconnaît la voix de Pilade et les deux amis se retrouvent. + **Oreste annonce qu'il va mourir => Pilade promet de le suivre** => Oreste rejette cette idée en évoquant la prêtresse dont Pilade est tombé amoureux mais celui-ci insiste pour mourir. + Taxis revient pour connaître la réponse de Pilade qui demande à être conduit au roi avec Oreste. **Troisième Stasimon** : Strophe I = évocation d'Alcyone, fille d'Eole, le dieu des vents. Antistrophe I = le chœur regrette d'être loin de la Grèce mais il est fier d'avoir servi la fille d'Agamemnon. Strophe II = évocation du départ d'Iphigénie. Le chœur se sent abandonné. Antistrophe II = évocation du passé heureux. Thoas entre sur scène. | **Acte IV** : **Scène première** : Iphigénie attend le retour de Cyane qu'elle a envoyé auprès du roi presser l'ordre du sacrifice. **Scène II** : *Cyane entre.* Elle explique ne pas avoir pu voir le roi, qui s'entretenait en privé avec les deux étrangers. Iphigénie est irritée. **Scène III** : Entrée de Thomiris qui souhaite comprendre pourquoi Iphigénie hâte le sacrifice du Grec alors que cela fera aboutir son union avec Thoas. Elle et le peuple soupçonnent la prêtresse de vouloir usurper le trône. Iphigénie s'en défend mais Thomiris, en sortant, la menace en insistant sur le fait qu'elle protège le second étranger. **Scène IV** : Cyane s'enquière à son tour du motif de la haine d'Iphigénie envers le second Grec. Iphigénie lui confie alors le meurtre de sa mère par cet étranger. **Scène V** : *Hidaspe entre.* Il informe Iphigénie du trouble qui agite Thoas. L'un des deux Grecs est Oreste mais personne ne parvient à savoir duquel il s'agit. + Iphigénie demande à s'entretenir avec ces deux hommes. **Quatrième Épisode** : Thoas demande à voir Iphigénie (aucun amour pour elle, il la nomme « la Grecque », puis Iphigénie). Lorsqu'il aperçoit la prêtresse, il s'étonne du fait qu'elle porte dans ses bras la statue de Diane. + *Mensonge d'Iphigénie pour parvenir à ses fins.* + Thoas la croit car il respecte son statut de prêtresse. *Tout le cortège sort.* | **Scène VI** : Pilade informe Iphigénie qu'il a retrouvé l'ami qu'il croyait mort et qu'il s'agit du second Grec. + Iphigénie exprime toute sa haine et sa rancœur envers ce dernier => Pilade s'oppose à ces injures et défend Oreste. Il finit par révéler son identité. => scène de reconnaissance. + **Pilade partage leur joie.** + Iphigénie se demande qui elle va devoir sacrifier => C'est Oreste qui propose des solutions : **il demande à Iphigénie la statue mais celle-ci craint Thoas.** Pilade la rassure et demande des armes pour mener à bien leur fuite. *L'entrée de Thoas interrompt l'entretien.* **Scène VII** : Thoas demande si la confusion entre l'identité des deux Grecs a cessé. Iphigénie lui répond que non. Pilade, puis Oreste, provoquent le roi en affirmant tout deux successivement qu'ils sont Oreste. + Thoas est furieux et annonce la mort des deux => Iphigénie s'y oppose en rappelant les volontés de la déesse. *Elle sort, accompagnée de son frère et de Pilade.* **Scènes VIII-IX-X** : Thoas réaffirme la mort prochaine des deux étrangers, puis il promet que Thomiris ne verra pas son hymen avec Iphigénie. + Resté seul avec Hidaspe, il demande à celui-ci de conduire Thomiris aux vaisseaux des Sarmates durant la nuit afin que le peuple ne se doute de rien. **Quatrième Stasimon** : Strophe = évocation d'Oreste et de son matricide. Antistrophe = évocation de Thémis, de Gé, de Phoibos et de Zeus. Entrée d'un serviteur de Thoas. | **Acte V** : **Scènes première, II et II** : Thoas attend Hidaspe qui arrive en lui annonçant le succès de leur entreprise : Thomiris a été conduite sur les vaisseaux et elle ne représente plus un obstacle à la réalisation des projets du roi. Thoas pense alors être vainqueur. Entrée de Taxis. **Exodos** [490] : **Le serviteur demande à parler au roi car les étrangers ainsi qu'Iphigénie se sont enfuis** => Le chœur des femmes disent que Thoas n'est pas là mais le serviteur frappe à la porte du Temple et Thoas sort. l'idée que l'on ne peut pas faire confiance aux femmes est évoquée. + **Récit de la fuite des Grecs** => annonce de l'identité d'Oreste (qui n'est pas une menace dans la pièce d'Euripide) et du **combat sur le navire retenu par une tempête.** + Thoas appelle son peuple fidèle à aller combattre. + Intervention de la déesse Athéna sur le toit du temple. Elle apaise Thoas et encourage Oreste à rentrer en Grèce former un sanctuaire en l'honneur de la déesse Artémis. Athéna demande aussi à Oreste de ramener les femmes grecques captives en Tauride dans leur pays. + Thoas abdique et il est sans colère. | **Scène IV** : **Taxis annonce au roi la disparition de la statue de Diane et l'impossibilité de retrouver les Grecs.** + Il informe que c'est une femme qui a tout manigancé l'idée que l'on ne peut pas faire confiance aux femmes est suggérée. + Thoas accuse Iphigénie qu'il promet de faire mourir mais c'est Thomiris qui se présente fièrement. **Scène V** : Thomiris se vante de son offense. Elle dévoile l'artifice des voiles qui ont caché son départ (ce n'était pas elle en dessous mais la prêtresse), ainsi que l'identité des fugitifs : Oreste, Iphigénie et Pilade, devenu l'époux de cette dernière. + Thoas jure de la mettre à mort. **Scène VI** : **Taxis revient et apprend au roi que le navire des fugitifs est retenu sur le port à cause d'une tempête.** + Thoas sort pour les rejoindre et les arrêter. **Scènes VII-VIII** : Thomiris est retenue par Taxis. Érine entre et conseille à la princesse de fuir car elle vient de voir Thoas furieux se précipiter sur les Grecs. **Scène dernière** : Récit des événements par Anthenor : **combat** entre les Grecs, soutenus par le peuple, et les ministres du roi. + Arrivé de Thoas qui joint la bataille et se fait tuer par Oreste. + La mort du roi apaise les vents et la mer redevient calme => les Grecs peuvent partir. + Thomiris peut régner sur la Tauride. Les éléments identiques dans les deux pièces ont été mis en caractère gras. Les éléments présents dans la tragédie d'Euripide et qui ont des échos dans celle de La Grange-Chancel, bien que celui-ci les ai traités différemment, ont été mis en caractère italiques. Les éléments différents d'une pièce à l'autre n'ont pas de signalisation particulière. # Bibliographie. ## Éditions d'*Oreste et Pilade*. Oreste et Pilade Œuvres de Monsieur de La Grange-Chancel Oreste et Pylade Oreste et Pilade ou Iphigénie en Tauride Le Théâtre de Monsieur de la Grange Les Œuvres de Monsieur de la Grange Œuvres de Monsieur de la Grange-Chancel, revues et corrigées par lui-même Œuvres de Monsieur de la Grange-Chancel, revues et corrigées par lui-même Œuvres de Monsieur de la Grange-Chancel, Nouvelle édition revue et corrigée par lui-même ## Œuvres de La Grange-Chancel. Adherbal roy de Numidie Méléagre Athénaïs Amasis Ino et Mélicerte Erigone Cassius et Victorinus, martyrs Les Philippiques ## Sources manuscrites. Registres des Comédiens ordinaire du Roy Registres d'assemblée Registre des représentations données sur la scène de la Comédie-Française de 1680 à 1793 ## Sources imprimées antérieures à 1900. ### Antiquité. La Bibliothèque La Poétique Tragédies complètes II L'Orestie Art poétique Les Tristes Electre Enéide ### XVIe – XIXe siècles. La Pratique du théâtre Annales dramatiques, ou Dictionnaire général des théâtres Recherches sur les théâtres de France Art Poétique, Satires, Œuvres complètes Critique littéraire sous le premier empire Maximes et Réflexion sur la Comédie Table de Soleinne Héraclius Théâtre I Théâtre II Théâtre III Trois Discours sur le poème dramatique Annales de la Cour et de Paris pour les années 1697 & 1698 Journal Dictionnaire de la conversation et de la lecture Description nouvelle de la Ville de Paris Correspondance Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours Armorial général, ou registres de la noblesse de France Annales poétiques ou Almanach des Muses, depuis l'origine de la poésie françoise Cours de littérature ancienne et moderne Annales dramatiques Galerie historique des acteurs du Théâtre français Le Mémoire de Mahelot Mémoires historiques et littéraires sur La Grange-Chancel Poétique française Le Misanthrope Dictionnaire des théâtres de Paris Histoire du théâtre françois depuis son origine jusqu'à présent sur les tragiques grecques, Euripide Andromaque Bajazet Bérénice Iphigénie Lettres à son fils Œuvres complètes de Jean Racine Œuvres de Jean Racine ## Sources imprimées postérieures à 1900. Electre Les Mouches ## Travaux critiques. Histoire de la littérature française au XVIIe siècle Oreste The Greek Tragic Theatre Morales du Grand Siècle La Formation de la doctrine classique en France La Tragédie de l'âge classique (1553-1770) Mythe et histoire dans le théâtre classique. Hommage à Christian Delmas Mythologie et mythe dans le théâtre français (1650-1676) Esthétique de l'identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars Introduction à l'analyse des textes classiques Passions tragiques et règles classiques. Essai sur la tragédie française La Comédie-Française de 1680 à 1900 : Dictionnaire général des pièces et des auteurs Les Poétiques du Classicisme A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century The Comedie-Française, 1701-1774, plays, actors, finances Poétique de la tragédie Dictionnaire des Comédiens Français (ceux d'hier) : biographie, bibliographie, iconographie Le Théâtre et le public à Paris sous Louis XIV (1659-1715) Répertoire analytique des documents contemporains d'information et de critique concernant le théâtre à Paris sous Louis XIV (1659-1715) La Dramaturgie classique en France La Tragédie classique en France La Comédie-Française (1680-1716) : Public et folies dramatiquesProblèmes socio-culturels en France au XVIIe siècle ## Articles. Actes de Lexington 1993 : Pierre Charron : autour de l'année 1715 dans les “Mémoires” de Saint-Simon, la mort dans la littérature du XVIIe siècle Dix-septième siècle Theatrum Mundi : Studies in Honor of Ronald W. Tobin Zeitschrift für frazösische sprache und literatur Le théâtre tragique ## Instruments de travail. ### Dictionnaires. Dictionnaire Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts Dictionnaire de la langue française Le grand dictionnaire historique ou Le mélange curieux de l'histoire sacrée et profane Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise... avec les termes les plus connus des arts et des sciences ### Rhétorique, grammaire et ponctuation. Grammaire du français classique Syntaxe française du XVIIe siècle Introduction à la langue française du XVIIe siècle Grammaire de la langue française du XVIIe siècle, Picard Remarques sur la langue française ------- [1] Cet éternel soupçon visant le théâtre reprenait de la force à la fin du XVII*e* siècle. L'expression utilisée provient de Pierre Mélèse : « le théâtre n'était plus ce qu'il avait été quinze ans auparavant : … les successeurs de Corneille, Molière et Racine, surtout préoccupés à 'faire de l'argent', n'écrivaient plus guère que pour flatter le goût du public ... », *Le Théatre et le public à Paris sous Louis XIV (1659-1715)*, Paris, Droz, 1934, p. 4. [2] Mathurin-François-Adolphe de Lescure, *Mémoires historiques et littéraires sur La Grange-Chancel*, Paris, Poulet-Malassis et de Broise, 1858, p. 3. [3] *Ibid.*, p. 6 [4] C'est-à-dire à six kilomètres de Périgueux – une lieue équivalant environ à quatre kilomètres. [5] Dans la préface de la seconde édition des *Œuvres de Monsieur de La Grange-Chancel*, datant de 1734, La Grange-Chancel aima à rappeler son statut privilégié et le mérite de ses ancêtres. Il écrivit par exemple que « Monsieur le Duc de Beauvilliers lui faisoit l'honneur de le regarder comme son parent » (p. XIV) et cette préoccupation le suivit même jusqu'en présence de Louis XIV : « Je ne fus pas fâché de trouver cette occasion pour lui faire connoître les servives de mes Peres, que je fis monter en peu de mots jusqu'à un d'entr'eux originaire d'Angleterre qui fut honoré de l'Ordre de saint Michel par Louis XII » (p. XXI). [6] Dans l'appendice de l'édition des *Philippiques* de 1858, Mathurin de Lescure inséra l'acte de baptême du dramaturge qu'il avait extrait du *Registre de la paroisse de Saint-Front* : « Le premier jour de janvier 1677 a esté baptisé, dans l'église insigne de Saint-Étienne et de Saint-Front, François-Joseph Chancel, fils naturel et légitime de Léonard Chancel, escuyer, sieur de La Grange, et d'Anne Bertin, conjoints, et est né le mesme jour et an. A esté parrain Guillaume Peirou, et marraine Louise Devaux, pauvres mendiants ». [7] *Sponte suâ carmen numeros veniebat adaptos, / Et quod tentabam dicere, versus erat*. (livre IV, Élégie X). Ces vers peuvent se traduire ainsi : *Mais les mots venaient d'eux-mêmes se plier à la mesure, et tout ce que j'écrivais était des vers.* [8] L'auteur continuait ainsi : « Je n'avois point de plus grand plaisir que d'entendre réciter des vers : je les retenois très aisément ; et mon oreille étoit si acoutumée à leur harmonie, que je connoissois déja quand le Lecteur les estropioit par le retranchement de quelque sillabe », *éd. cit.*, p. V. [9] Toujours dans la préface de la seconde édition des *Œuvres de Monsieur de La Grange-Chancel*, dans laquelle l'auteur fournit une multitude de renseignements biographiques, que nous nous devons d'ailleurs de relativiser en grande partie, La Grange-Chancel écrivait : « Mon pere qui vouloit que je prisse le Parti des armes ne voyoit qu'avec chagrin mon attachement à l'étude ; il condamnoit autant les Romans que ma mere les approuvoit, et j'ai souvent été entre eux la cause de plusieurs disputes. », *éd. cit.*, p. VI. [10] « Mon père ne survécut que peu de tems à cette exécution incendiaire, et j'avoüe que j'en sentis moins vivement la perte que je faisois », *Ibid.*, p. VIII. [11] *Ibid.*, p. IX. [12] *Op. cit.*, p. 18. [13] La Grange-Chancel évoqua notamment M. le maréchal de Lorges et M. le marquis de Sourdis (voir, préface de la seconde édition des *Œuvres de M. de La Grange-Chancel, op. cit.*, p. XI). Le premier, effectivement originaire de Bordeaux, était un militaire français qui servait dans les armées de Louis XIV. Il reçut plusieurs distinctions dont celles de chevalier de l'Ordre du Saint-Esprit et chevalier de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis. Le second n'a pas pu être identifié, sachant que plusieurs membres de la famille d'Escoubleau de Sourdis portaient le titre de marquis dans les années 1686-1687. [14] La Grange-Chancel, *Les Philippiques*, Paris, Didot, 1797. [15] Il expliqua cette décision de la manière suivante : « Les principaux d'entre les Romains qu'il corrompit par ses présens ; ensuite la Guerre qu'il soutint longtems contre eux avec une puissance médiocre ; les victoires qu'il remporta sur eux ; une de leurs armées qu'il fit passer sous le joug et enfin ce qu'il couta de travaux à Métellus, à Marius, et à Sylla pour achever de le défaire entierement, lui donnerent dans mon esprit un caractere de grandeur que je ne trouvois ni dans Annibal ni dans Mithridate. », La Grange-Chancel, *Œuvres de M. de la Grange-Chancel*, seconde édition (1734), p. XIII. [16] *Dictionnaire historique de la ville de Paris*, par MM. Hurtault et Magny, tome IV, p. 687 dans Mathurin-François-Adolphe de Lescure, *op. cit.*, p. 22. [17] La Grange-Chancel, *Œuvres de M. de La Grange-Chancel*, 1734, *éd. cit.*, p. XV-XVI. [18] Furetière proposait la définition suivante pour les *bouts-rimés* : « en termes de Poësie, sont des rimes disposées par ordre, qu'on donne à un Poëte avec un sujet, sur lequel il est obligé de faire des vers en se servant des mêmes mots et dans le même ordre », *Dictionnaire universel*, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690. Il s'agit donc d'un amusement poétique ingénieux, fort pratiqué dans les Salons du XVII*e* siècle. [19] Nous reproduisons ici le sonnet produit alors par La Grange-Chancel : « *Chaque cœur est un temple où l'on vous dresse un BUSTE.* / *Du plus indifférent vous fondez les GLACONS ;* / *De mirthes amoureux moins faisoit de MOISSONS* / *Celle qui fit filer la main la plus ROBUSTE.* / *Tout cède, tout se rend à votre aspect AUGUSTE* / *La raison fait au cœur d'inutiles LECONS.* / *Ses avis importuns passent pour des CHANSONS* / *Chacun connait sa faute, et chacun la croit JUSTE.* / *L'un adore ce port rempli d'un doux ORGUEIL ;* / *L'autre, ces yeux brillants et ce charmant ACCUEIL* : /*Mais toujours le respect leur oppose une DIGUE.* / *Et ce Dieu qui du monde agite les RESSORTS*, / *Et qui de ses faveurs fut pour vous si PRODIGUE*, / *N'oseroit qu'en tremblant exprimer ses TRANSPORTS.*  » Ce poème est rapporté par le dramaturge dans l'édition de 1734 des *Œuvres de M. de La Grange-Chancel*, p. XIX-XX. Toutefois, nous nous devons de relativiser l'authenticité de ce sonnet, retranscrit par l'auteur pour la première fois à l'âge de 57 ans, soit quarante-trois ans après les faits. [20] La Grange-Chancel, *Ibid.*, p. XXXI. [21] *Ibid.*, p. XXXI-XXXII. [22] Mathurin-François-Adolphe de Lescure interrogait ainsi l'auteur : « Racine a-t-il bien dit tout ce que vous lui faites dire, ô poète, et n'amplifier-vous pas ? », *op. cit.*, p. 52. [23] Dans Pierre Mélèse, *op. cit.*, p. 8. [24] Préface aux *Œuvres de Monsieur de La Grange-Chancel*, 1734, *éd. cit.*, p. XXXXII. [25] *Ibid*. [26] Jean-François de La Harpe, *Cours de littérature ancienne et moderne*, tome XII, Paris, Baudoin Frères, 1827, p. 150. [27] La Grange-Chancel veut parler d'*Oreste et Pilade* (1697) et de *Méléagre* (1699). [28] La Grange-Chancel, *Athénaïs*, dans Œuvres *de Monsieur de La Grange-Chancel, op. cit.*, p. 305. [29] Le *Mercure galant* de novembre 1699 rapportait les faits suivants : « Le Samedy il Charles IV de Lorraine alla voir les ecuries, les eaux et les Jardins de Versailles, la Ménagerie, et au retour, ce Prince alla à l'Hostel des Comediens François où l'on joüa l'Athenaïs » (p. 288). [30] « Il n'a peut être point paru de Tragédie où les preceptes d'Aristote soient plus exactement pratiqués que dans celle-ci. L'heure où l'action commence y est marquée ; l'unité de lieu n'y est point violentée ; et quoique la conduite de cette piece soit chargée de plusieurs incidens, ils succedent si immédiatement les uns aux autres que la durée de l'action ne passe guère celle de la représentation », La Grange-Chancel, préface d'*Amasis*, dans *Œuvres de Monsieur de La Grange-Chancel*, tome II, Paris, Les libraires associés, 1758, p. 111. [31] On demanda un jour à La Grange-Chancel d'où venait sa colère envers le régent, et l'intéressé répondit : « Pourquoi a-t-il pris le parti du duc de La Force contre moi ? », cité par Mathurin-François-Adolphe de Lescure, *op. cit.*, p. 86. [32] Nous nous devons une nouvelle fois de nuancer les dires de La Grange-Chancel. En effet, l'auteur a donné pour seul et unique motif de sa satire envers le régent sa prise de position dans le procès qu'il avait voulu mener contre le duc de La Force. Cela semble suspect quand on sait que Philippe d'Orléans fut le prince qui se tenu le plus éloigné des affaires des autres – et parfois même des siennes – et que certains parlaient de lui en termes élogieux. Voltaire par exemple le désignait comme « ce bon régent, ce prince aimable et clément ». La Grange-Chancel se montre trop odieux et sa haine est trop vivace pour n'être que la réponse à un léger mépris. [33] *L'Année littéraire*, t. VIII, cité par Mathurtin-François-Adolphe de Lescure, *op. cit.*, p. 106. La Grange-Chancel réitéra son projet en 1756, deux ans avant sa mort, et ce fut un nouvel échec. [34] « Vous dont par un arrêt injuste, / Le grand coeur n'est point abattu, / Princes, qui d'une race auguste / Emportez toute la vertu, / (Tout le reste la déshonore), / La France contre eux vous implore : / Par ses cris laissez-vous gagner, / Et forcez sa reconnaissance / D'ajouter à votre naissance / Ce qui lui manque pour régner. » (*Les Philippiques*, Ode I, 34). [35] Jean-François de La Harpe, *op. cit.*, p. 167. [36] « Profanes Nymphes du Permesse, / Je ne veux plus suivre vos pas. / Trop long-tems vos trompeurs appas / Ont séduit ma folle jeunesse. / Plus j'approche du monument, / Plus je vois sans déguisement, / Combien vos faveurs sont à craindre. / … / Tantôt sur un ton langoureux, / Vous avez ajusté ma lyre, / Dont souvent mon tendre délire / A tiré des sons dangereux », *Ode à Madame la Princesse de Conti*, dans *Oeuvres de Monsieur de La Grange-Chancel*, tome V, Paris, chez les Libraires associés, 1758, p. 114. [37] Jacques Pradon (1632-1698) était un dramaturge français dont le succès de ses pièces fut modéré et qui se vit reproché par la critique de son temps son manque d'imagination ou de réalité historique. [38] « Esprit prématuré, qui devançant ton âge, / Viens de mes jeunes ans me retracer l'image ; / J'apprends avec plaisir, que tes nobles essais / De mes premiers travaux surpassent les succès, / Et courant à grands pas vers les bords du Cocyte, / J'aime à te voir remplir la place que je quitte », Épitre *à M. Arouet de Voltaire sur la Tragédie d'Oedipe*, dans *Œuvres de Monsieur de La Grange-Chancel*, tome V, *op. cit.*, p. 215. [39] « Que ton exactitude à dépeindre les mœurs / S'étende jusqu'aux noms de tes moindres Acteurs ; / Et qu'en les prononçant , ils nous fassent connoître / Les pays et les tems où tu les fais renaître : / Je vois avec dépit, pour ne produire rien, / Chez le Thébain Œdipe, Hidaspe l'Indien. » *Ibid.*, p. 217. [40] « Et malgré la chaleur qui pour toi m'intéresse, / J'ai ressenti le froid qui regnoit dans ta piece. / Cher ami, tu n'es plus dans ta jeune saison, / De ton peu de bonheur, c'est l'unique raison. », *Épitre à M. de La Fosse, sur sa Tragédie Callirhoë, qui ne fut pas favorablement reçue du public, Ibid.*, p. 100. [41] *Pasquinade* : « toute satyre, raillerie ou bon mot qu'on dit contre le public et contre les Puissances », Furetière, *op. cit.* [42] « His plays with the dates of their first performance are … *La Fille supposée* (1713, lost), *Sophonisbe* (1716, lost) », Lancaster, *A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century*, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1942 (IV Part), p. 368. Bien que Lancaster donne la tragédie de *Sophonisbe* perdue, cette pièce a été retrouvée dans les archives de la Comédie-Française. [43] Préface à *Oreste et Pilade*, Paris, Pierre Ribou, 1699, p. V. [44] Préface à *Oreste et Pilade*, 1734, *op. cit.*, p. 93. L'intégralité de cette préface à été adjointe en annexe I. [45] Registre d'Assemblée de la Comédie-Française, année 1696. Une copie de l'acte de délibération a été insérée en annexe II. [46] En marge des indications du roi, les comédiens laissaient une large part à la faveur et à l'intérêt dans la sélection des pièces. Ainsi, en 1684, Germain Brice affirma ceci : «  Il est très certain qu'il paroit de tems en tems des nouveautés d'une excellente beauté ; peut-être en paraîtroit-il un bien plus grand nombre pour la satisfaction du public, si les Comédiens étoient plus faciles et moins intéressez à les recevoir », *Description nouvelle de la Ville de Paris*, Paris, Nicolas le Gras, tome II, 1684. [47] Registre d'Assemblée de la Comédie-Française, année 1697. [48] *Ibid.* [49] À son ouverture, la Comédie-Française présentait un répertoire de 127 titres dont 55 appartenaient aux trois grands auteurs classiques. Ces pièces furent représentées entre 1680 et 1690 avant que la majorité ne disparaissent de la scène, sans toutefois quitter le répertoire et ne soient rejouées qu'après 1716. Jean-Pierre Vittu donne des informations plus précises concernant ce point : « Avant 1700, sur les dix-neuf œuvres de Corneille six sortent du répertoire, dont cinq tragédies ; pour Molière, seule la *Critique de l'École des femmes* n'est plus jouée, et toutes les pièces de Racine demeurent au théâtre », *La Comédie-Française (1680-1716) : Public et folies dramatiques*, dans *Problèmes socio-culturels en France au XVIIe siècle*, Paris, Kincksieck, 1974, p.105-106. [50] Registre d'Assemblée de la Comédie-Française, année 1697. Une copie de la feuille de registre se rapportant à cette délibération a été adjointe en annexe III. [51] *Ibid*. [52] À titre d'exemples, quatre extraits du manuscrit sont adjoints en annexe IV. [53] La liste des corrections proposées par le manuscrit de souffleur se trouve en annexe V. [54] Par exemple, lorsqu'Iphigénie s'épanche sur son projet de confier une lettre à Pilade afin d'avertir sa famille sur son sort, le manuscrit présente trois versions différentes d'un même vers. Le texte original proposait : « Je vay a ce captif confier une lettre. » Cette version fut rayée au profit d'une seconde : « Je vay le renvoyer, le charger d'une lettre. » Cette dernière fut également raturée puis corrigée ainsi : « Je vais le délivrer, le charger d'une lettre. » C'est cette version finale qui sera conservée lors de la publication de la pièce en 1699. Il s'agit du vers 338. [55] Les tragédies étaient créées de novembre à mars et les comédies étaient introduites sur la scène au printemps ou à l'été. [56] C'est ainsi que les Jansénistes caractérisaient les poètes de théâtre dans leurs *Hérésies* imaginaires, publiées en 1666 et où ils s'élevaient avec une grande vivacité contre des amusements qu'ils jugeaient dangereux. [57] La même année 1666, l'abbé d'Aubignac mettait en garde contre le déclin du théâtre. Il écrivit *Dissertation sur la condamnation des théâtres* où il protestait contre « le désordre renaissant qui met en péril et qui sans doute ruinera le plus ordinaire et le plus beau des divertissements publics », cité par Pierre Mélèse, dans *Le Théâtre et le public à Paris sous Louis XIV (1659-1715)*, Paris, Droz, 1934, p. 3. [58] La liste des acteurs figure chaque jour de représentation sur la page de gauche du registre. La page de droite présente quant à elle le décompte de la recette et des frais engagés. Une copie de la liste des comédiens et des recettes datant de la première représentation a été adjointe en annexe VI. [59] Il s'agit d'Etienne Boyron, dit Baron, fils de Michel Boyron, un comédien célèbre qui exerça ses talents de comédiens pendant vingt-cinq ans, jusqu'au 22 octobre 1691 où « il obtint la permission de se retirer avec une pension de 1000 livres, et autant pour son épouse, qui quitta le Théâtre en même tems », C. et F. Parfaict, *Dictionnaire des théâtres de Paris*, tome I, Paris, Rozet, 1767, p. 379. Que ce soit Etienne ou Michel, les deux parents étaient dits Baron au XVII*e* siècle. C'est pourquoi nous parlerons de Baron fils et de Baron père. [60] Registre journalier de la Comédie-Française, année 1697, mercredi 11 décembre. [61] Les frères Parfaict, *op. cit.*, tome II, p. 73. [62] Préface à *Oreste et Pilade*, 1734, *op. cit.*, p. 95. C'est en effet cette même Mlle de Champmeslé qui joua Iphigénie, dans la pièce éponyme de Racine, à partir du 18 août 1674. Lors des représentations d'*Oreste et Pilade*, la comédienne avait cinquante-cinq ans, ce qui était effectivement bien plus âgé que son personnage d'une trentaine d'années. [63] *Ibid*. [64] Les frères Parfaict, *op. cit.*, tome II, p. 399. [65] *Ibid.*, tome III, p. 28. [66] Lemazurier, *Galerie historique des acteurs du Théâtre français*, Paris, J. Chaumerot, 1810, tome II, p. 231. [67] *Ibid.*, tome I, p. 180. [68] Les Frères Parfaict, *op. cit.*, tome I, p. 393. [69] Il s'agit de Baron père. « La retraite de Baron, en 1691, jeta la comédie dans le plus grand embarras. … On prit le parti d'essayer plusieurs sujets fameux dans la province. … Les comédiens n'hésitèrent pas à faire paraître Beaubourg. … Le public en fut assez satisfait …. Convaincus que de tous ceux dont ils pouvaient essayer les dispositions, Beaubourg était le meilleur, les acteurs demandèrent un ordre de réception pour lui …. », Lemazurier, *op. cit.*, tome I, p. 122-123. [70] *Ibid.*, p. 124. [71] Les Frères Parfaict, *op. cit.*, tome I, p. 381. [72] Henri Lyonnet, *Dictionnaire des Comédiens Français (ceux d'hier) : biographie, bibliographie, iconographie*, Genève, 1969, fac-similé de l'édition de E. Jorel, Paris, 1902, tome II, p. 320. [73] Un tableau de répartition du temps de parole entre les personnages a été adjoint en annexe. [74] Lemazurier, *op. cit.*, tome I, p. 276. [75] *Ibid*. [76] *Ibid.*, p. 530. [77] *Ibid.* [78] *Ibid*. Il continua à jouer ponctuellement pendant sa retraite, notamment chez la duchesse de Maine, à Clagny. [79] Le prix des billets s'échelonnait entre 3 livres pour les places les plus chères et 15 sols pour le parterre. Les spectateurs avaient également la possibilité d'acheter des billets à 30 sols et à 20 sols. [80] Lancaster expliquait que le théâtre de la rue des Fossés-Saint-Germain-des-Près pouvait contenir au moins 2 000 personnes, si pas plus, mais qu'en général le public était loin de remplir la salle (nous traduisons : « The theater of the rue des Fossés held at least two thousand persons, probably more than that, but the usual attendance was far from filling the hall », *The Comédie-Française, 1701-1774, plays, actors, finances*, 1951, Philadelphia society, p. 594) [81] Il s'agit très certainement des *Précieuses ridicules* de Molière, la comédie étant encore largement jouée en cette fin de siècle, de même que la majorité des pièces de l'auteur comme en atteste la représentation du 1er janvier qui proposa *Le Médecin malgré lui* à la suite d'*Oreste et Pilade. Les Véritables précieuses*, ou encore *Les Précieuses ridicules mises en vers*, de Somaise n'étaient jouées que très rarement depuis une vingtaine d'années et c'est pourquoi nous doutons fort que ce fusse l'une de ces comédies qui fut représentée à la fin de l'année 1697 à la Comédie-Française. [82] Une copie de la page du registre journalier mentionnant ce voyage a été adjointe en annexe. [83] Lemazurier, *op. cit.*, tome II, p. 183. [84] Une autre ne fut pas représentée à Paris – il s'agit d'*Annibal* de Colonia – et une dernière fut seulement publiée sans passer par la scène, à savoir *Pompeïa* de Campistron. [85] *Mercure Galant*, décembre 1697, p. 283. [86] Préface à *Oreste et Pilade*, 1699, *op. cit.*, p. V. [87] C. et F. Parfaict, *Histoire du théâtre français depuis son origines jusqu'à présent*, Amsterdam, 1735-1748, tome XIV, p. 84. [88] *Ibid.*, p. 85. [89] « Les deux premiers Actes sont languissants. Le trois et le quatrième échauffent beaucoup l'action, mais le cinquième acte est absolument défectueux », *Ibid.* [90] Jean-François de La Harpe, *op. cit.*, p. 151. [91] Parfaict, *op. cit*., p. 85. [92] Cité dans Antoine Adam, *Histoire de la littérature du XVIIe siècle*, rééd. Albin Michel, 1996, tome 3, p. 383. [93] *Ibid.* [94] *Ibid.*, p. 384. [95] *Ibid*., p. 627. [96] *Ibid.*, p. 628. Le terme *comédie* était employé au XVII*e* siècle pour désigner le théâtre d'une façon générale. [97] *Ibid.*, p. 629. [98] Salluste était un historien romain du I*er* siècle av. J.-C. qui écrivit un grand ouvrage intitulé *La Guerre de Jugurtha* qui racontait un épisode colonial de Rome en Numidie où régnait Jugurtha. [99] Préface à *Oreste et Pilade*, 1699, *op. cit.*, p. III. [100] *Oeuvres de Monsieur de La Grange-Chancel*, tome I, 1734, *éd. cit.*, p. 93. [101] Nous avons déjà développé l'impossibilité de ce fait dans la biographie de La Grange-Chancel. [102] Dans *Oeuvres de Jean Racine*, tome septième, Paris, Le Normant, 1808. [103] Lettre du 9 juin 1695, citée dans Pierre Mélèse, *Le théâtre à Paris sous Louis XIV, éd. cit.*, p. 5. [104] Jean Racine décéda à Paris le 21 avril 1699. [105] Louis XIV mourut en 1715 à Versailles. [106] Une anecdote étonnante, et tout aussi rocambolesque, a été adjointe pour exemple en annexe X. [107] Nous avons essayé d'en signaler un maximum en notes de bas de page. [108] Seconde préface à *Oreste et Pilade*, 1734, *éd. cit*. p. 95. [109] *Oreste et Pilade*, 1699, *éd. cit.*, p. III. [110] Jean-Louis Backès, *Oreste*, Paris, Bayard, 2005, p. 26-27. [111] *Ibid.*, p. 19. [112] *Ibid.*, p. 24. [113] Horace insista bien sur ce fait, allant même jusqu'à interpeler le poète : « Poète, suis la tradition ... », *Art poétique*, 119-120. [114] Préface à *Oreste et Pilade*, 1699, *éd. cit.*, p. III. [115] 1734, *éd. cit.*, p. 93. [116] Un tableau comparatif entre *Iphigénie en Tauride* d'Euripide et *Oreste et Pilade* de La Grange-Chancel a été adjoint en annexe XI afin de faciliter la compréhension du traitement du texte-source par notre auteur et afin de compléter l'étude que nous allons mener dans cette partie. [117] Voir Harold Caparne Baldry, *The Greek Tragic Theatre*, Cambridge University Press, 1951, p. 99. [118] Aristote, *Poétique*, trad. par Charles-Émile Ruelle, Librairie Garnier Frères, coll. « Chefs d'œuvres de la littérature grecque », 1922, chapitre XVIII / IX. [119] Toutes les citations d'*Iphigénie en Tauride* sont tirées de la traduction de Marie Delcourt-Curvers, *dans* Euripide, *Tragédies complètes II*, Folio classique, 2008. [120] Aux plaintes d'Iphigénie, Oreste répond ceci : « Pourquoi gémir ainsi, femme, qui que tu sois, et nous accabler sous le poids des maux qui nous attendent ? J'appelle un fou celui qui va mourir et qui croit dans les doléances étouffer sa peur de l'Hadès quand il se sait perdu. C'est se charger de deux maux au lieu d'un, se faire taxer de sottise, et mourir tout de même », *éd. cit.*, p. 791-792. [121] *Ibid.*, p. 804-805. [122] *Ibid.*, p. 785. [123] *Ibid.*, p. 842. [124] Henri Patin, *Études sur les tragiques grecques, Euripide*, tome 1, Hachette, 1873, 1969, chapitre quinzième « Hélène / Iphigénie en Tauride » [125] *Ibid.* [126] *Iphigénie en Tauride*, Euripide, *éd. cit.* p. 801. [127] Racine avait fait représenter *Bajazet* à l'Hôtel de Bourgogne le 5 janvier 1672. [128] *Médée* fut créée par Pierre Corneille en 1635 à l'Hôtel du Marais. [129] Georges Forestier, *Passions tragiques et règles classiques. Essai sur la tragédie française*, Paris, Presses Universitaires de France, 2003, p. 210. [130] *Iphigénie en Tauride*, Euripide, *éd. cit*., p. 805. [131] *Ibid.*, p. 815. [132] Nous reviendrons plus longuement sur ce personnage dans la suite de notre travail. Voir « Création d'un fil d'intrigue secondaire : le personnage de Thomiris ». [133] Dans la tragédie grecque, les *stasimons* se caractérisaient par le chant du chœur sur la scène. [134] *Éd. cit.*, p. 843. [135] *Ibid.*, p. 820. [136] Cité dans Georges Forestier, *Passions tragiques et règles classiques. Essai sur la tragédie française, éd. cit.*, p. 75. [137] Georges Forestier, *Ibid.* [138] *Ibid.*, p. 85. [139] *Trois Discours sur le poèmedramatique*, éd. Louis Forestier, Paris, SEDES, 1963, p. 93. [140] Préface à *Oreste et Pilade*, 1699, *éd. cit.*, p. III. [141] F. et C. Parfaict, *op. cit.*, tome XIV, p. 85. [142] Préface à *Oreste et Pilade*, 1699, *éd. cit.*, p. III. [143] Préface à *Oreste et Pilade*, 1734, *éd. cit.*, p. 94. [144] Corneille, *Trois discours sur le poème dramatique*, dans Antoine Adam, *op. cit.*, p. 213. [145] Nous développerons sur l'esthétique de l'identité et sur le déguisement au sein de la pièce dans la suite de notre étude. Voir « Esthétique de l'identité, ou le jeu des identités comme fondement de la pièce ». [146] Préface à *Oreste et Pilade*, 1734, *éd. cit.*, p. 95. [147] Préface à *Jugurtha*, dans *Oeuvres de Monsieur de La Grange-Chancel*, 1734, *op. cit.*, p. XXXXI. La Grange-Chancel s'épancha longuement sur son respect des règles classiques tout en donnant son avis très critique sur le théâtre de son temps : « … la plupart des pieces de Théatre qu'on donne aujourd'hui au Public, semblent être faites sur le modèle de ces anciennes les pièces *irrégulières de Durier, Mairet, Baro, Boisrobert et autres dont le nom et les ouvrages sont également inconnus*. Ceux qui en sont les Auteurs n'observent pas mieux les unités de lieu ni de jour …. Comme ils n'ont pas un génie capable d'accommoder leurs sujets à des règles si judicieusement établies, ils voudroient accommoder ces mêmes règles à la portée de leur esprit ... », p. XXXIX-XXXXI. [148] Aristote, *La Poétique*, chapitre VII / III. [149] *Art poétique*, chant III, vers 27-28. [150] *La Formation de la doctrine classique en France*, Paris, Hachette, 1927, p. 322. [151] Cité par Jacques Scherer dans *La Dramaturgie classique en France*, Paris, Nizet, 2001, p. 51. [152] C'est ce que prônait Corneille dans son troisième *Discours* en expliquant que ce qu'il appelait la *protase*, c'est à dire l'exposition, devait *fermer le premier acte*. [153] Jacques Scherer, *op. cit.*, p. 55. [154] *Ibid.*, p. 62. [155] *Ibid.*, p. 63. [156] *Ibid.*, p. 64. [157] *Ibid.*, p. 65. [158] *Ibid.*, p. 66. [159] *Introduction à l'analyse des textes classiques, éd. cit.*, p. 79. [160] *Op. cit.*, p. 86. [161] *Ibid.* [162] P. Rapin, *Réflexion sur la poétique de ce temps*, 1676, cité *dans* Jacques Truchet, *La tragédie classique en France*, Paris, PUF, p. 57. [163] Le célèbre passage de *La Poétique* annonce que « la tragédie est l'imitation d'une action grave et complète ayant une certaine étendue, présentée dans un langage rendu agréable et de telle sorte que chacune des parties qui la composent subsiste séparément, se développant avec des personnages qui agissent, et non au moyen d'une narration, *et opérant par la pitié et la terreur la purgation des passions de la même nature*. » *É**d. cit.*, chapitre VI / II. [164] *Poétique, éd. cit.*, chapitre XVIII / II. [165] *Éd. cit.*, p. 82. [166] *Ibid.* [167] Jacques Scherer, *op. cit.*, p. 133. [168] Dans son ouvrage intitulé *Les Poétiques du classicisme*, Aron Kibédi Varga explique que « le classicisme ne conçoit pas l'art sans finalité ; tout doit tendre vers un but, vers sa fin ». Il cite ensuite Jean Chapelain qui pensait que la vraisemblance servait « d'instrument au poète pour acheminer l'homme à la vertu », Aux Amateurs de Livres / Klincksieck, 1990, p. 31. [169] Cité dans *Les Poétiques du classicisme, éd. cit.*, p. 33. [170] Raymond Lebègue résume cette idée en affirmant que « très souvent, si au cinquième acte un personnage perd la vie, c'est un scélérat que personne ne regrette ; le personnage sympathique trouve ainsi le bonheur et échappe définitivement aux périls », « Tragique et dénouement heureux dans l'ancien théâtre français », dans *Le théâtre tragique*, Paris, Éditions du Centre national de la Recherche scientifique, 1962, p. 222 [171] En 1639, Sarrasin publia un *Discours de la tragédie* où il affirmait qu'Aristote « mettait l'issue heureuse parmi le dénombrement des fins tragiques … et que quoique la plupart des tragédies versent du sang sur la scène et s'achèvent par quelque mort, il ne fallait pas pour cela conclure que la fin de tous ces poèmes doive être funeste ... », cité dans l'article « Le dénouement heureux dans la tragédie française du dix-septième siècle », écrit par H. C. Knutson, *Zeitschrift für frazösische sprache und literatur*, nº 77, 1967. [172] Le poète du XVI*e* siècle, Jean Vauquelin de La Fresnaye s'épanchait sur Euripide en ces termes : « Car on peut bien encore par un succez heureux / Finir la Tragédie en ébats amoureux / Telle estoit d'Euripide et l'Ion et l'Oreste / L'Iphigénie, Hélène et la fidèle Alceste. » (Cité par Raymond Lebègue, *art. cit.*, p. 221). [173] Scherer, *op. cit.*, p. 137-138. [174] Jean-Marie Clément, *De la tragédie*, 1734, *dans* Scherer, *op. cit.*, p. 128. [175] Georges Forestier, *Passions tragiques et règles classiques. Essai sur la tragédie française, éd. cit.*, p. 175. [176] *Ibid.*, p. 167. [177] *dans* *Ibid.*, p. 168. [178] Georges Forestier, *Passions tragiques et règles classiques. Essai sur la tragédie française, éd. cit.*, p. 177. [179] Nicolas Boileau, *Art Poétique*, 1674, chant III, vers 45-46. [180] René Bray, *op. cit.*, p. 240. [181] Le principe de vraisemblance est le fondement de la doctrine classique. Ainsi, l'abbé D'Aubignac proclamait en 1657 que « la vraisemblance … doit toujours … être la principale règle, et sans laquelle toutes les autres deviennent déréglées », *La Pratique du Théâtre*, Paris, éd. Pierre Martino, Champion, 1927, livre II, chapitre VII, p. 127. [182] Jacques Scherer, *op. cit.*, p. 114. [183] Thomiris insiste sur l'importance du temps, facteur important du dénouement de la pièce, aux vers 775-778 : « Il a pris cette nuit pour cacher mon départ, / De cette même nuit me faisant un rempart, / Peuple, Sarmate, amis animez d'un zele, / A l'ennemy commun la rendront éternelle. » [184] Dans la *Poétique*, Aristote évoquait le rythme de la tragédie comme « s'appliquant, autant que possible, à rester dans une seule révolution solaire, ou à ne la dépasser que de peu de chose » (*éd. cit.*, chapitre V/VII). De cette simple constatation était née une norme classique et une problématique qui marqua le théâtre du XVII*e* siècle : doit-on traiter les vingt-quatre heures temporelles qui forment un jour complet ou les vingt-quatre heures artificielles qui s'écoulent du lever au coucher du soleil ? [185] Bénédicte Louvat, *op. cit.*, p. 83-84. [186] Corneille, Pierre, *Discours des trois unités d'action, de jour et de lieu.* dans *Trois Discours sur le poème dramatique, éd. cit.*, p. 142. [187] Jacques Scherer, *op. cit.*, p. 182. [188] Il serait « contraire à la vraisemblance, qu'un même espace et un même sol, qui ne reçoivent aucun changement, représentent en même temps deux lieux différents ... », l'abbé d'Aubignac, *op. cit.*, livre II, p. 100-101. [189] « Parmi les tragédies, on cite généralement celles de Racine comme respectant parfaitement l'unité de lieu ainsi que les autres règles classiques. » Scherer, *op. cit.*, p. 194. [190] *Op. cit.*, p. 65. [191] Corneille, *Discours des trois unités d'action, de jour et de lieu, éd. cit.*, p. 99. [192] Jacques Truchet, *op. cit.*, p. 32. [193] *La Poétique*, chapitre VII / III. [194] D'Aubignac, *op. cit.*, livre II, chapitre V, p. 96. [195] Aristote développait dans sa *Poétique* l'idée suivante : « Il faut donc que … l'imitation … soit celle d'une action une et entière, et que l'on constitue les parties des faits de telle sorte que le déplacement de quelque partie, ou sa suppression, entraine une modification et un changement dans l'ensemble », *éd. cit.*, chapitre VIII / IV. [196] *Ibid.*, chapitre X / III. [197] Préface à *Oreste et Pilade*, 1699, *op. cit.*, p. II. [198] Préface à la seconde édition d'*Oreste et Pilade*, 1734, *op. cit.*, p. 95. [199] Jacques Scherer, *op. cit.*, p. 30. [200] Tous les opposants de Thoas le décrive comme tel : Thomiris à onze reprises, Iphigénie à neuf, Pilade à trois, Cyane, Erine et Anthenor le qualifie ainsi une fois chacun. [201] Lise Michel, « Prudence du bon monarque et pratique tyrannique dans la tragédie française du premier XVIIe siècle », en ligne sur le site internet du CRHT. [202] *Ibid*. [203] *Ibid.* [204] *Op. cit.*, p. 85. [205] *Origines et caractères du théâtre baroque français*, dans Jacques Truchet, *La tragédie classique en France, éd.cit.*, p. 25. [206] Goethe et Schiller, *Correspondance*, trad. L. Herr, Paris, Gallimard, 1994, tome II, p. 428. [207] Le mythe des Atrides a été traité par de nombreux mythographes au fil des siècles. La version qui nous a paru la plus fiable est celle transmise par la Bibliothèque d'Apollodore dont la date, bien que controversée, semble se situer entre le III*e* siècle avant J.-C. et le III*e* siècle de notre ère. Cet ouvrage évoque les plus anciens récits des Grecs et tout ce que le temps leur a donné de croyance sur les dieux et les héros, ainsi que les noms des fleuves, des pays, des populations, des villes, et, de là, tous les faits qui remontent aux époques reculées. Nous nous appuyons donc sur cette *bibliothèque* pour retracer l'histoire de la famille des Atrides. [208] Il s'agit de la célèbre Toison d'or. Cela nous donne un exemple de la variation entre les mythologues dont les plus modernes attribuent la toison d'or au bélier ailé sur lequel Phrixos et Hellé s'étaient enfuis pour échapper à leur belle-mère Ino. Arrivé en Colchide, le jeune garçon sacrifia l'animal à Zeus et offrit la riche toison au roi des lieux, Eétès. Celui-ci la fit garder par un dragon jusqu'à ce que sa fille, Médée, y conduise Jason et les Argonautes. [209] Jean-Louis Backès, *op. cit.*, p. 138. [210] Elles sont l'équivalent grec des Furies latines. [211] Nous avons déjà mentionné les pièces antiques qui font appel aux Erinyes ; ce sont généralement celles qui mettent en scène Oreste, le personnage étant rarement séparé de ces Furies. Il s'agit donc des pièces d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide. Pour les pièces du XX*e* siècle, nous évoquerons *Electre* de Giraudoux (1937) et *Les Mouches* de Sartre (1943). Les deux pièces traitent du matricide d'Oreste et dans les deux cas le personnage est torturé par les conséquences de son acte. Oreste n'échappe donc pas aux Érinyes même si celles-ci se sont transformées depuis longtemps en allégories : trois petites filles étranges et vieillissantes dans la pièce de Giraudoux ; des mouches envahissantes dans celle de Sartre. [212] Nous ne pouvons résister à l'envie de citer ce fameux vers prononcé par Oreste dans l'*Andromaque* de Racine : « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? » (vers 1638). [213] Dans *Oreste et Pilade* de La Grange-Chancel, Hidaspe évoque cette particularité des Érinyes en disant qu'il les a vu auprès d'Oreste « promener leurs flambeaux, vangeurs des homicides » (vers 688). [214] Un tableau de William Bouguereau, *Les Remords d'Oreste* (1862) a été placé en annexe XII en guise d'exemple. [215] Jean-Philippe Grosperrin, *Furies de théâtre. Mythologie et dramaturgie des fureurs dans la tragédie classique*, dans *Mythe et histoire au XVIIe siècle. Hommage à Christian Delmas, éd. cit.*, p. 261. [216] *Ibid.*, p. 262. [217] Backès, *op. cit.*, p. 144. [218] L'Abbé d'Aubignac, *La Pratique du théâtre, éd. cit.*, p. 430. [219] Jean-François Marmontel, *Poétique française*, Lesclapart, 1763, tome II, p. 260. [220] *Éd. cit.*, p. 40. [221] Anne Sancier-Chateau, *Introduction à la langue française du XVIIe siècle*, Nathan, 1993, vol. 2. [222] Christian Delmas, *Du mythe au XVIIe siècle*, dans *Mythe et histoire dans le théâtre classique. Hommage àChristian Delmas*, Droz, 1985, p. 23. [223] Jacques Truchet, *op. cit.*, p. 81. [224] Dans la tragédie d'Escylle, Oreste interroge ainsi son ami : « Ah Pylade ! Faut-il que j'immole ma mère ! », car la honte et la peur l'envahissent. Pylade répond alors de la façon la plus claire et la plus lacunaire possible : « Et le grand Apollon, sa terrible colère / Ses oracles divins et tes serments pieux !... / Choisis pour ennemi tout autre que les dieux » (traduction de Daniel Loayza, *éd. cit.*, acte IV, scène 5). [225] Pour cette étude, nous nous appuyons en grande partie sur les travaux de Georges Forestier et sur son ouvrage *Esthétique de l'identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars*, Genève, Droz, 1988. [226] *Ibid.*, p. 63. [227] *Ibid.*, p. 70. [228] *Ibid.*, p. 71-72. [229] *Ibid.*, p. 118. [230] *Ibid.*, p. 138. [231] Aristote, *Poétique, éd. cit.*, chapitre XI / III. [232] *Ibid.*, chapitre XIV / XIV. [233] *Ibid.*, chapitre XIV / XVIII. [234] *Ibid.*, chapitre XI / III. [235] *Ibid.*, chapitre XIV / VI. [236] *Iphigénie en Tauride*, vers 759 et suivants. [237] *Iphigénie en Tauride*, vers 811 et suivants. [238] Aristote, *Poétique, éd. cit.*, chapitre XIV / VIII. [239] *Ibid.*, chapitre XVI / IX. [240] Cette information est donnée par Bénédicte Louvat-Molozay, *De l'oracle de la tragédie comme procédé dramaturgique*, dans *Mythe et histoire dans le théâtre classique. Hommage à Christian Delmas*, Paris, Champion, 2002, p. 395-416. [241] *Ibid.*, p. 397. [242] *Ibid.*, p. 395. [243] *Ibid.*, p. 397. [244] *Ibid.*, p. 416. [245] *Op. cit.*, p. 360. [246] *Ibid.* [247] Dans sa *Poétique*, Aristote cite à six reprises, toutes élogieuses, *Iphigénie en Tauride* qu'il considère comme l'un des meilleurs sujets possibles pour une tragédie. Il ajoute plus généralement que « les meilleures tragédies roulent sur des sujets empruntés à l'histoire d'un petit nombre de famille, comme, par exemple sur … Oreste … et tous autres personnages qui ont fait ou éprouvé des choses terribles » (Aristote, *Poétique*, traduit par Charles Emile Ruelle, Garnier Frères, col « Chefs d'œuvres de la littérature grecque », 1922, chapitre XIII / V). [248] Dans l'édition de 1734, La Grange-Chancel développera ce point dans la préface à *Oreste et Pilade* : « Je voyois d'un côté que le grand Corneille dans ses Réflexions sur le Theâtre, met ce sujet au nombre de ceux qui ne peuvent être traités. D'un autre côté, j'entendois dire à M. Racine, qui ne me refusois point ses bons avis, qu'il avoit été long-tems à se déterminer entre Iphigénie sacrifiée et Iphigénie sacrifiante, & qu'il ne s'étoit déclaré en faveur de la premiere, qu'après avoir connu que la seconde n'avoit point de matiere pour un cinquième Acte ». [249] La Grange-Chancel est âgé de vingt ans lorsqu'il entreprend la rédaction d'*Oreste et Pilade*, en 1697. [250] Marie Anne de Bourbon (1666-1739) est la fille naturelle de Louis XIV et de Louise de La Vallière. Lorsqu'il arrive à Paris en 1691, La Grange-Chancel reçoit une place de page auprès de cette princesse de Conti. [251] La tendance à l'exagération de l'auteur est l'une de ses caractéristiques principales ! Certes la pièce connut un succès suffisamment satisfaisant pour que La Grange-Chancel continuât d'écrire des tragédies. Toutefois, cette préface ayant été écrite de toute évidence au début de l'année 1699, *Oreste et Pilade* aura été joué sur scène vingt fois depuis sa première représentation le 11 décembre 1697 (huit fois pendant les trois dernières semaines de l'année 1697 et onze fois en 1698). [252] Il s'agit de Thoas, présenté par Euripide dans sa tragédie *Iphigénie en Tauride* comme étant le « Roi des Taures ». [253] Revendication de sa source principale. [254] En effet, l'invention du personnage de Thomiris par La Grange-Chancel se calque sur le procédé inventé par Racine dans *Iphigénie* (1674). Ce dernier ayant mis en scène le personnage d'Eriphile afin d'éviter l'élément miraculeux que l'on trouve chez Euripide (une biche est substituée à Iphiginie sur le bûcher), La Grange pensa qu'il pourrait éviter l'intervention de Minerve, que l'on trouve à la fin de *Iphigénie en Tauride* d'Euripide, en remplaçant la déesse « avec la même vraisemblance que dans la pièce de Racine par une Princesse interessée à l'action principale » (préface de *Oreste et Pilade*, dans *Oeuvres de M. de La Grange-Chancel*, 1734). [255] Mlle de Champmeslé est une célèbre actrice du XVII*e* siècle, à qui Racine offrit ses plus beaux rôles de tragédiennes, notamment ceux de Bérénice (1670) et de Phèdre (1677). La Grange-Chancel lui offrit le rôle d'Iphigénie dans *Oreste et Pilade*. Elle mourut le 15 mai 1698, alors âgée de cinquante-six ans, ce qui nécessita l'interruption des représentations de la tragédie. [256] Il s'agit de Charlotte Desmares qui n'est autre que la nièce de la défunte Mlle Champmeslé. Mlle Desmares débute donc sa carrière de comédienne le 16 janvier 1699, à la Comédie-Française, en reprenant le rôle d'Iphigénie. [257] Anticire est la capitale de la Tauride. [258] Il y a une diérèse sur ce mot, il compte donc pour trois syllabes ; de même que ses occurrences aux vers 336 et 1329. Dans ce texte, de nombreux autres mots se prononcent en diérèse, à savoir les occurrences de « Diane » (v. 11, 148, 173, 198, 210, 275, 304, 317, 354, 412, 525, 564, 840, 1098, 1251, 1278, 1498), « victorieux » (v. 30), « Diadême » (v. 36, 716, 833, 962), « violez » (v. 39, 1591), « expiant » (v. 89), « expier » (v. 144, 595), « expions » (v. 699) « inquiete » (v. 119, 1094, 1422), « inquietude » (v. 1063, 1445), « odieux » (v. 216, 258, 444, 586, 641), « odieuse » (v. 246), « impieté » (v. 237, 1164, 1317, 1500, 1510), « impietez » (v. 1236), « audiance » (v. 252), « furieux » (v. 267, 594, 783, 850, 981, 1204), « Cyane » (v. 269, 272, 347, 652, 866, 1054, 1071, 1086, 1156, 1164, 1172), « pieuse » (v. 281), « pieux » (v. 603), « impetueux » (v. 295, 1628, 1652), « confiance » (v. 368, 812, 1277), « impatient » (v. 452), « impatience » (v. 748, 1079, 1087, 1418), « mandier » (v. 484), « audacieux » (v. 566, 1476), « souhaits » (v. 738, 1329), « majestueux » (v. 797), « fastueux » (v. 835), « jouy » (v. 829), « joüir » (v. 940, 958, 1363, 1518, 1654), « societé » (v. 951), « mysterieux » (v. 1008), « sacrifions » (v. 1112), « passions » (v. 1113, 1157, 1429), « protection » (v. 1146), « liez » (v. 1211), « Religion » (v. 1315), « precieux » (v. 1321), « confusion » (v. 1345), « émotion » (v. 1401), « sedition » (v. 1402), « fortifié » (v. 1469), « seditieux » (v. 1475), « confiez » (v. 1488), « avoüer » (v. 1511), « artificieuse » (v. 1523), « violence » (v. 1605) et « rebellion » (v. 1661). [259] Au XVII*e* siècle, le pronom relatif *où* est largement employé dans le sens d'un datif. Voir Haase, *Syntaxe française du XVIIe siècle*, § 38. B [260] Le français classique se caractérise par une indétermination grammaticale dans l'opposition humain / non humain. Ainsi, au XVII*e* siècle, la distribution pronominale *ce qu*- a très usuellement un référent humain. Cet emploi qui remonte à l'ancien et au moyen français est surtout fréquent en emploi intégratif et a tendance, à mesure que le siècle avance, à se fixer dans des contextes spécifiques, notamment autour du verbe *aimer*. (Nathalie Fournier, *Grammaire du français classique*, p. 202). Ici, la tournure pronominale suggère une référence individualisante et renvoie à *l'objet* aimé par Thoas : Iphigénie. Il en est de même au vers 644. [261] Dès l'ouverture de la pièce, l'auteur insiste sur le fait que Thoas est devenu roi non pas par filiation (« sans le secours du sang ») mais parce qu'il fut désigner par le feu roi de Tauride. Toutefois, la légitimité de Thoas sur le trône comporte une condition, à savoir épouser Thomiris, fille du défunt roi. Voir vers 41 et suivants. [262] Le peuple Scythe se caractérise en particulier par ses valeurs guerrières et sa domination sur une partie de l'Europe et de l'Asie entre le VII*e* siècle et le III*e* siècle avant J.-C. Les Scythes inspirent la terreur et semblent effectivement *indomptables*. Aristote parlait de leur aspect physique en ces termes : « Les cheveux blonds et blanchâtres comme ceux des Scythes dénoncent la stupidité, la méchanceté, la sauvagerie ». [263] *À l'envy* : « Façon de parler adverbiale. Avec emulation, à qui mieux mieux » (Acad.) [264] *Var 1734* C'étoit peu qu'à l'envi les Scythes indomptables/ Eussent mis sous vos loix leurs rives redoutables [265] L'action se déroule à Anticire, lieu où l'on voue un culte à la déesse Diane. Un temple a été élevé en son nom et cette adoration de la déesse a un poids important tout au long de la pièce. [266] *Par la route azurée* : métaphore poétique du ciel. [267] Cette première évocation d'Iphigénie insiste sur le caractère majestueux et orgueilleux de la jeune femme. [268] Les Sarmates sont un peuple voisin des Scythes, cousins de ces derniers, qui s'illustrent dans des guerres majoritairement victorieuses. Ils coexistèrent pacifiquement avec les Scythes jusqu'au IVe siècle où ils finirent par les supplanter. [269] *Verray-je* : « Dans les verbes autres que ceux du type -*er*, la première personne du singulier est depuis longtemps pourvue d'un -*s* analogique de la deuxième personne ; *toutefois, au XVIIe siècle, on rencontre encore des premières personnes sans -s final* » (Gabriel Spillebout, *Grammaire de la langue française du XVIIe siècle*, page 185). La forme archaïque -*ay* se retrouve dans notre texte pour chaque acception du verbe *avoir* conjugué à la première personne du présent de l'indicatif et à d'autres reprises que nous signalerons en note. [270] *Var 1734* A-t'on tout preparé ? verrai-je la Prêtresse, Nous pouvons penser que l'auteur a introduit cette variante afin d'éviter toute ambiguïté quant à l'identité de celle que Thoas désigne dans l'édition d'origine comme étant « la Princesse ». En effet, cela porte à confusion car ce titre peut être attribué autant à Iphigénie, que le roi Thoas espère prendre pour épouse, qu'à Thomiris, princesse légitime de l'Empire avec laquelle Thoas redoute la confrontation. De surcroît, dans la suite du texte, une distinction est nettement établie entre Iphigénie la Prêtresse et Thomiris la Princesse. La correction apportée par La Grange-Chancel en 1734 écarte toute méprise. [271] Hidaspe n'a pas encore connaissance du secret que Thoas va lui révéler à partir du vers 93, et il croit, à l'instar du Peuple, que tous les étrangers se présentant sur leur terre doivent être immolés à la déesse afin de préserver la paix dans l'Empire. [272] Sauvée par Diane sur le bûcher où elle allait être sacrifiée par son père (voir *Iphigénie à Aulis*), Iphigénie fut emmenée en Tauride où elle devint Prêtresse de la déesse. La jeune fille est donc attachée au service de la divinité et doit y consacrer sa vie. C'est pour cela que Hidaspe parle d'*un cœur réservé pour les Dieux*. [273] *Sacrez* : Au XVII*e* siècle, les graphies *és* et *ez* sont équivalentes. [274] Au XVII*e* siècle, *qui* s'employait largement au sens neutre de *qu'est-ce qui*. Cette acception se retrouve aux vers 40, 131, 357, 520, 704. [275] Au XVII*e* siècle, l'omission de *pas* avec le verbe *pouvoir* est courante et quasi-régulière. Cette omission est d'ailleurs encore aujourd'hui de règle dans la langue soignée. [276] Ce regret est inspiré du soupir d'Agamemnon au début de l'*Iphigénie* de Racine : « *Heureux qui satisfait de son humble fortune*, / *Libre du joug superbe où je suis attaché*, / *Vit dans l'état obscur où les dieux l'ont caché* ! » (vers 10-12). [277] L'étonnement d'Hidaspe fait également échos à l'interrogation d'Arcas dans l'*Iphigénie* de Racine : « *Et depuis quand, Seigneur, tenez vous ce langage* ? » (vers 13) [278] « Lorsqu'un verbe à un mode personnel ici *peut* en précédait un autre à l'infinitif ici *permettre* sans préposition, l'ancienne langue considérait les deux verbes comme une seule expression et plaçait le pronom devant le premier. Cet emploi est général au XVII*e* siècle » (Haase, *Syntaxe française du XVIIe siècle*, § 154. C) [279] Cette construction concessive avec le support indéfini *quelque* est extrêmement fréquente au XVII*e* siècle. Comme l'indique Nathalie Fournier dans sa *Grammaire du français classique*, « le subjonctif, exigé par les grammairiens, est usuel en français classique toutefois l'indicatif est très rare et on le trouve guère qu'au début du siècle » (§536). De plus, au XVII*e* siècle on observe la concurrence entre *quelque N que* et *quel N que*, la dernière construction étant vivement condamnée par Vaugelas qui y voit une faute familière propre aux Provinces (*in Remarques sur la langue françoise*, 1647). La Grange-Chancel respecte donc parfaitement bien les usages revendiqués par les théoriciens de son temps. [280] Il est intéressant de remarquer que pour ce vers la diérèse est possible aussi bien sur le mot *viennent* que sur le mot *inquieter*. Elle ne peut se faire qu'une seule fois et le choix revient donc au comédien qui peut orienter comme il le souhaite son jeu sur scène. [281] Le regard est un facteur dramaturgique déterminant, car c'est par son intermédiaire que survient l'amour. [282] *La pourpre des Rois* : expression qui « se dit des personnes de grande dignité, des Rois, des Cardinaux, et des Juges Souverains, et en ce sens il est toujours féminin et signifie la dignité de ces sortes de personnes marquée par l'étofe rouge qu'ils portent » (Ric.) [283] *Seur* : L'adjectif, qui signifie dans ce vers « certain, assuré », se prononce *sur, sûre* comme l'indique Pierre Richelet dans son *Dictionnaire*. Nous retrouvons les occurrences de *seur* au vers 1403, de *seure* au vers 730, et de *seureté* aux vers 1370 et 1395. [284] Apollon, fils de Jupiter et de Latone, est considéré comme le premier inventeur de l'art de deviner ; d'où les nombreux oracles qui lui sont attribués. Le dieu est alors souvent représenté comme étant le symbole du Soleil, astre qui dissipe les ténèbres et les choses cachées. Voir Louis Moreri, *Le grand dictionnaire historique ou Le mélange curieux du sacré et du profane*, article *Apollon*. [285] Il peut s'agir de la statue de Diane, sœur jumelle d'Apollon, mais également de celle qui représente la déesse, à savoir Iphigénie. En effet, *simulacre* a pour acception « image, statüe, idole, representation d'une fausse divinité » (Acad.) et un oracle est toujours à double sens pour n'être vraiment compris qu'après coup. [286] Un ministre des dieux est un prêtre. [287] *Proscrire* signifie ici « mettre des testes à prix » (F). [288] L'adverbe *que* « sert aussi à exprimer quelque sorte d'admiration, ou autre mouvement de l'âme » (Ric.) ; « et alors il signifie *Combien* » (Acad.). Ainsi, les vers 105 et 106 sont à prendre au sens de : « *Combien de sang a depuis arrosé son Autel* ! / *Combien d'innocens punis pour un seul criminel* !  » Il en est de même aux vers 127, 1197. [289] Au XVII*e* siècle, *developper* est à prendre au sens de « desbroüiller » (Acad.), autrement dit démêler, mettre à jour, les difficultés d'une affaire. [290] *Var 1758* Je me suis vainement empressé de le voir. [291] Agamemnon, fils d'Atrée, était le roi d'Argos et de Mycène. [292] Mycènes et Argos étaient les villes capitales de l'Argis ou Argolide, dit aussi le Royaume d'Argos. Elles donnèrent matière à de nombreux poètes en raison des grands noms qui leur étaient associés, notamment ceux de la famille des Atrides. [293] De retour dans ses États, après le siège de Troie, Agamemnon fut assassiné par Egisthe, un homme resté oisif pendant que ses compagnons faisaient la guerre et qui s'était épris de Clytemnestre, femme du grand roi. Sous les ordres de celle-ci, Egisthe tua Agamemnon et s'empara un temps du royaume. [294] Pour la forme archaïque de ce verbe, voir la note du vers 19. [295] *Var 1734* Au sein de vos États, au fond de votre cœur, / Portant au sacrilége une main résoluë, / Il venoit de Diane enlever la Statuë. [296] Afin de venger la mort de son père, Oreste fit tomber l'usurpateur du trône grâce au secours de ses amis et aux conseils de sa sœur Electre. Il tua donc Egisthe et n'épargna pas non plus sa mère. Le matricide le poussa à quitter ses terres, poursuivi par les Érinyes, afin de gagner la Tauride et d'enlever la statue de Diane pour laver son offense. [297] *Ilion* est l'autre nom donné à la cité de Troie. [298] Les Atrides : famille maudite dont sont issus Agamemnon et ses enfants. [299] *Var 1734* Vos efforts ne feroient qu'augmenter son courage. [300] Pour la syntaxe de ce vers, voir la note du vers 50. [301] *Var 1734* Enlever la Statuë, et vous perdre, ou périr. [302] Quel comme pronom substantif était fort employé en prose comme en poésie au XVII*e* siècle. Dans ce vers, il est employé en tant que qualificatif ; un usage récurrent à l'époque comme en atteste par exemple le vers de la *Phèdre* de Racine : *Quel il m'a vu jadis et quel il me retrouve.* (III, 6). Cet exemple est cité par Haase dans sa *Syntaxe française du XVIIe siècle*, § 42. Rem II. [303] Le pronom *que* « se met quelquefois pour *quelle chose* » (Acad). [304] *Var 1734* Et cependant heureux que ce même revers / Des projets du barbare ait suspendu la rage. [305] *Les sacrez ornemens* sont à prendre au sens « des Habits sacerdotaux, ou autres, dont on se sert pour un Office divin. En ce sens, il se met toujours au pluriel, et comprend plusieurs pieces differentes. » (Acad.). [306] *Var 1742* Diane à mes regards s'est alors apparue. [307] *Etein* : Au mode impératif, on rencontre encore au XVII*e* siècle, en dehors des conjugaisons en -*er*, des formes sans -*s* final de la deuxième personne du singulier. « Ce sont des survivances de l'ancienne langue » (Gabriel Spillebout, *Grammaire de la langue française du XVIIe siècle*, page 188). Il en est de même pour *va* (v. 247, 1415 et 1477), *fay* (v. 740), *vy* (v. 1036), *voy* (v. 1360). [308] Plutôt qu'à [309] Thoas s'adresse à Iphigénie. [310] Pour la forme archaïque en -*ay*, voir la note du vers 19. [311] « *Rien* ne conserve plus au XVIIe siècle son acception primitive de *chose* et est devenu déjà un mot si négatif qu'il peut se rencontrer ça et là avec un verbe sans la particule *ne* » Haase, *Syntaxe française du XVIIe siècle*, §51. [312] Devancez-en le fracas, la colère. [313] Le pronom relatif *qui* sans antécédent équivaut au XVII*e* siècle à *celui qui.* (Spillebout Gabriel, *Grammaire de la langue française du XVIIe siècle*, p. 157). [314] *Var 1734*Mais pour vous détester, pour vous être odieux [315] Pour cet emploi du *que*, se référer à la note du vers 164. [316] *Var 1734* Je crois déjà le voir, en Monarque irrité [317] Pour la syntaxe de ce vers, se référer à la note du vers 50. [318] *Var 1758* Qui connois de mon coeur, et l'espoir et la crainte [319] Iphigénie a effectivement du sang de Zeus, père de Diane, dans les veines. La mère d'Agamemnon, Aeropé, est fille de Catrée, lui-même fils de Minos, ce dernier étant le fruit d'une union entre Zeus et Europe. [320] *Var 1758* Dans mes empressemens il trouva du secours. [321] On constate la non reprise du sujet clitique *il* devant le prédicat coordonné *ne vous répond pas*. Cela « a pour effet de coordonner les prédicats et de créer un lien sémantique étroit entre eux » (Nathalie Fournier, *Grammaire du français classique*, § 6). Forts d'une réticence envers l'ellipse qui s'accuse au cours du siècle, les grammairiens réclameront l'expression du sujet devant chaque verbe coordonné, à l'instar de l'usage moderne. [322] Évocation d'un épisode de *Iphigénie à Aulis* : les vents retardant le départ des vaisseaux d'Agamemnon pour Troie, où les Grecs devaient aller reprendre Hélène à Pâris, le roi de Mycènes fit appel au devin Calchas. « A notre désarroi, Calchas répond par un oracle. Iphigénie, fille de ma semence, doit être offerte à l'Artémis qui habite en ces lieux » (dans *Iphigénie à Aulis* d'Euripide, trad. de Marie Delcourt-Curvers, Tome II des *Tragédies complètes*, Gallimard, 1989). [323] Dans sa tragédie *Agamemnon*, Sénéque désigne le personnage éponyme comme étant *Rex ille Regum*, c'est à dire « Roi des Rois ». [324] Iphigénie a trois soeurs, Laodicé, Chrysothémis et Electre. [325] Pour la rime, *pas* devait être prononcé comme *Thoas* au vers précédent (et non l'inverse : les consonnes finales étaient systématiquement prononcées en fin de vers, ainsi que devant toute pause importante). [326] *Var 1758* Thoas au sacrilege, ajoûte le parjure : [327] Au XVII*e* siècle, *point* « se dit aussi du temps, du moment où se fait quelque chose » (F). Dans ce vers, *Au point où* doit donc être compris par *Au moment où.* [328] Si Thomiris fondait tous ses espoirs de vengeance sur Anthenor, c'est en partie parce que ce dernier était un fidèle de son père – comme il le sera développé à la réplique suivante. Mais notons également que Thomiris a tendance à reposer ses espoirs sur des personnages qui rejoignent la Tauride, des personnages qui viennent de l'extérieur - d'abord Anthenor, puis le Grec inconnu. Cela souligne le fait qu'elle évolue dans un univers qui lui est *à priori* hostile. [329] Sçay : forme archaïque en -ay expliquée à la note du vers 19. Cette même forme se retrouve au vers 1096. [330] Au XVII*e* siècle, le verbe *attacher* peut être employé « pour marquer les engagements que les personnes ont les unes avec les autres, soit par interest, soit par affection, soit par devoir » (Acad.). [331] Au XVII*e* siècle, le *grand cœur* désigne « l'âme incapable de faiblesse et de lâcheté » (Anne Sancier-Chateau, *Introduction à la langue du XVIIe siècle*, volume 1, page 28). [332] *Var 1734* Vouloit que vous dussiez à sa seule victoire, [333] *Var 1758* Par la gloire attachée aux progrès de ses armes, / Vouloit d'un regne heureux vous assurer les charmes. [334] *Prévenir* est employé au sens de « Remedier aux maux qu'on a preveus, les empêcher, s'en garentir » (F). Cette même acception se retrouve au vers 1619. [335] *Retour* s'emploie ici au sens de retournement. Au XVIIe siècle, ce terme « se dit figurément du changement, de la vicissitude des affaires » (Acad.). [336] Neptune est le dieu des Mers et des Océans. Lorsque les vents impétueux forment de violentes tempêtes et causent d'injustes naufrages, le dieu apparaît pour faire rentrer les eaux dans leur lit et, avec son trident, il remet les bateaux à flot et sauve les naufragés. [337] *A ces mots* : au XVII*e* siècle, « A marquant un rapport de cause … servait souvent à indiquer le motif dirigeant d'une action » (Haase, § 123). [338] *D'avec* : De son entretien avec [339] *Var 1758* Et qu'il n'a fait ce pas qu'afin de reculer. [340] *Estre de l'intelligence* : « correspondance, communication entre des personnes qui s'entendent l'une avec l'autre » (Acad.). Il faut donc comprendre que Thomiris compte notamment sur l'i de l'ambassadeur Sarmate pour faire tomber Thoas, usurpateur du trône qui lui est dû. [341] Ces vers semblent inspirés de la tragédie de Racine, *Andromaque* (1667). Pyrrhus s'adresse à Hermione en ces termes : « Je ne viens point, armé d'un indigne artifice, / D'un voile d'équité couvrir mon injustice. » (Acte IV, scène 5) [342] Au XVII*e* siècle, « *que* consécutif s'emploie parfois sans être précédé d'un antécédent comme tel, tellement, etc. » (Haase, *Syntaxe française du XVIIe siècle*, § 136. C) [343] *Var 1758* N'ont jamais de mon cœur irrité la justice ; [344] *Var 1758* Ainsi de mes devoirs m'acquittant envers vous, [345] En français classique, la préposition *vers* avait, comme dans l'ancienne langue, l'acception de *envers. S'aquiter envers une personne* signifie « faire ce qu'on est obligé de faire » (Ric.) [346] *Elle* désigne la Fortune. [347] Le passage à l'insulte et au tutoiement n'est pas sans rappeler la confrontation entre Pyrrhus et Hermione dans l'*Andromaque* de Racine. Dans un excès de colère, Hermione réplique à celui qu'elle vouvoyait jusqu'alors et qu'elle appelait « Seigneur » : « *Je ne t'ai point aimé, cruel ? Qu'ai-je donc fait* ? » (vers 1356). [348] La *dot* est « la somme de deniers assignés à une fille, quand on la pourvoit par mariage » (F). [349] *Presumer* est à prendre au sens de « Se persuader quelque chose par quelques signes, indices, ou conjectures » (F). [350] *Var 1742* Pourvû qu'avec la sienne il m'aporte ta tête. [351] *Il me peut mériter* : pour la construction de ce vers, se référer à la note du vers 45. [352] Ce vers désigne Thomiris qui a pour droit de prendre la tête du Royaume de son père. [353] Pour la forme archaïque en -*ay*, voir la note du vers 19. Le verbe *voir* présente cette même forme aux vers 731, 1309, 1566 et 1567. [354] *Var 1758* La prêtresse t'arrache aux rigueurs de la loi ; / J'excuse la pitié qui lui parle pour toi. [355] L'Astre en question est le Soleil. Thoas met en garde Pilade : il lui donne congé et ne veut pas le retrouver au cours de la journée. [356] Pilade est un descendant de Zeus. Sa mère Anaxabie est fille d'Atrée, lui-même fils de Pélops. Ce dernier a été conçu par Tantale, fruit de l'union entre Zeus et la nymphe Plouto. [357] *Apprester* : « Préparer, mettre en estat » (F). Le vers est donc à prendre au sens de : *Quoy que je me préparasse un cruel repentir* [358] « La distinction entre quoique (connecteur) et quoi que (pronom indéfini et relatif) n'est pas clairement établie dans la graphie du XVIIe siècle » (Nathalie Fournier, *Grammaire du français classique*, § 542). Il s'agit en effet dans ce vers d'une concessive introduite par quoique et qui nécessite l'emploi du subjonctif dans la subordonnée. [359] Jupiter est l'équivalent romain du dieu Zeus chez les Grecs. Il est le dieu du Ciel et a pour symboles l'aigle et la foudre. [360] L'ambiguité est permise quant à la signification du *vain désir* de Pilade. Est-ce le désir de revoir son ami Oreste vivant ? Celui d'enlever la statue de Diane ? Ou encore celui d'être aimé d'Iphigénie ? [361] On dit d'une personne infortunée qu'elle est née sous un astre malheureux ou *funeste*. Dans *Iphigénie* de Racine (1674), le personnage éponyme déplore à sa mère : « *Ah, Madame* ! / *Sous quel astre cruel avez-vous mis au jour* / *Le malheureux objet d'une si tendre amour* ? » (Acte V, scène 3) Les divers malheurs qui traversent la vie d'Oreste confirment la déclaration de Pilade. [362] En ami fidèle, Pilade tente de justifier les crimes d'Oreste. Selon lui, sa cruelle destinée l'aurait obligé à commettre certains *forfaits*. Au vers 593, il ajoute que son crime, à savoir le meurtre de sa mère, est *juste.* [363] Le terme *ascendant* peut être compris selon deux sens. Tout d'abord, « il se dit de tous les parents qui sont au dessus de nous » (F). Cette acception éclaire le vers par une désignation de la mère d'Oreste, Clytemnestre. En effet, c'est par l'horrible crime de cette épouse meurtrière qu'Oreste voudra venger Agamemnon et qu'il commettra le matricide. Plus généralement, le terme peut désigner la famille des Atrides, maudite depuis les crimes de Thyeste et d'Atrée. Le second sens que l'on peut donner à ce mot est « en termes d'Astrologie, le degré de l'Equateur qui monte sur l'horison au point de la naissance de quelqu'un, et qu'on croit avoir grand pouvoir sur sa vie et sur sa fortune » (F). Cette acception reprendrait l'idée d'une naissance sous un *Astre funeste*. [364] Oreste reviendra sur cet Oracle d'Apollon aux vers 838-842. [365] *Ministre* : « Celuy dont on se sert pour l'execution de quelque chose » (Acad.) [366] *Signaler* est à prendre au sens de « rendre une chose remarquable et célébre » (F). [367] Pour la forme archaïque en -*ay*, se référer à la note du vers 19. [368] Métonymie usuelle en poésie pour désigner l'épée. Dans la pièce, nous retrouvons trois occurrences de ce terme (vers 1302, 1610 et 1647). [369] Bien que Vaugelas conseille de placer la négation *ne pas* devant le verbe infinitif, on remarque que le XVII*e* siècle intercale très largement ce dernier entre *ne* et *pas*, comme on le faisait au XVI*e* siècle. L'emploi moderne a déjà commencé à se faire jour mais certains usages persistes. De plus, Haase indique que « lorsqu'un pronom personnel construit avec ne pas est préposé à l'infinitif, on place les mots dans l'ordre suivant : 1° *ne*, 2° *le pronom* ici me, 3° *l'infinitif*, 4° *pas* » (*Syntaxe française du XVIIe siècle*, § 156, Rem II). [370] *Ils me viendront chercher* : Pour l'organisation des mots de ce vers, voir la note du vers 45. [371] La non reprise du sujet clitique est expliquée à la note du vers 312. [372] Allusion à l'origine même de la guerre de Troie. [373] *Prompt* : « Qui est prest à faire quelque chose sans tarder, qui l'execute sur le champ. » (F). [374] Au XVII*e* siècle, *remener* et *ramener* sont distincts. On emploi le verbe *remener* au sens précis et exclusif de *reconduire* : « Mener une personne, ou une chose au lieu d'où elle estoit venuë, ou dont on l'avoit amenée. » (Acad.) [375] L'aposiopèse figure les réticences de l'héroïne à s'avouer qu'elle est charmée par la déclaration de Pilade et qu'elle est sortie de son devoir de Prêtresse pour gagner le rôle d'amante. [376] La Grange-Chancel commet là une erreur. En effet, ce ne sont pas les Euménides qui accompagnent les pas d'Oreste mais les Érinyes. Appelées également Furies, ces esprits femelles redoutables, incarnent le châtiment implacable de la justice divine. Souvent comparées à des « chiennes », représentées couronnées de serpents, elles rendent fous les meurtriers, et plus particulièrement les parricides, comme Oreste, qu'elles persécutent sans fin. Ce n'est qu'une fois le crime expié et le criminel purifié qu'elles deviennent les Euménides, c'est à dire les « Bienveillantes ». [377] *Sentiments* : Sens ; Vitalité. [378] *Var 1734* Et de la part du Roi je viens vous en instruire. [379] Le verbe *faire* présente une archaïque en -*ay.* Voir la note du vers 19. [380] *Avis* a le sens d'*avertissements*. [381] *Contens* est à prendre au sens de *satisfaits*. [382] Le verbe *obtenir* présente également la forme archaïque en -*ay* au vers 1320. [383] Refonte du fameux vers prononcé par Oreste dans *Andromaque* de Racine : « *Je me livre en aveugle au transport qui m'entraîne.* » (I, 1) En 1697, lors de la dernière édition de la pièce de Racine, le terme *transport* sera remplacé par *destin*. [384] Expression qui signifie « Je vous entens, c'est assez dit » (F). Cet emploi absolu du verbe *suffire* s'explique du fait que « le pronom neutre *il*, inconnu à la plus ancienne période de la langue, gagne de plus en plus de terrain au XVII*e* siècle et tient souvent la place du démonstratif *cela* et *ce* » (Haase, *Syntaxe française du XVIIe siècle*, §2. A.). [385] En français classique, « lorsque deux impératifs étaient coordonnés par *et, ou, mais*, le pronom précédait le second ». (Haase, *Syntaxe française du XVIIe siècle*, §154. B.) Cette construction est très courante au XVII*e* siècle. [386] *Aller* : « à l'impératif, … il ne se dit que pour faire un commandement, un souhait … » (Acad.). Thomiris ordonne ainsi à Anthenor de lui être dévoué en souvenir de son père et de faire que le roi retarde son mariage avec Iphigénie. [387] Dans la mythologie grecque, le Styx est un des fleuves de l'Enfer. [388] Oreste s'adresse ici aux Érinyes. Voir la note du vers 687. [389] La forme archaïque en -*ay* du verbe *souffrir* est expliquée à la note du vers 19. [390] *Esprits* : Souvent au pluriel au XVII*e* siècle, sous l'influence de la théorie cartésienne des « esprits animaux », source de la vie et des sentiments. [391] En français moderne, le verbe *présenter* s'accorderait avec le sujet pluriel *ce port majestueux, cet auguste visage* et donnerait *présentent*. Toutefois, au XVII*e* siècle, il est fréquent de voir un verbe s'accorder avec le sujet le plus proche. Cela est directement hérité du latin. Notons tout de même que cette pratique décline considérablement à la fin du XVII*e* siècle, d'où le fait que ce soit la seule illustration que nous propose notre pièce. [392] *Var 1734*Tous les Dieux contre toi ne sont pas irrités. [393] « En français classique, l'adverbe *que* est très usuellement interrogatif, c'est l'équivalent de *prep* + *quoi* en fonction de circonstant » (Nathalie Fournier, *Grammaire du français classique*, § 179) Par conséquent, dans ce vers, *que* est à prendre au sens de *pourquoi*. [394] Oreste était encore fort jeune lorsque son père, de retour de Troie, fut assassiné par Egisthe. Sa sœur, Electre, réussit à le soustraire à la fureur du meurtrier et le plaça auprès de leur oncle Strophius, roi de Phocide et père de Pilade. C'est pourquoi Oreste se décrit comme « *étranger dans ses propres Etats* ». [395] Nouvelle allusion à l'adultère commis par Clytemnestre auprès de Egisthe. Voir la note numéro du vers 148. [396] Évocation du matricide qui l'oblige à fuir la Grèce pour expier son crime. [397] *Il* a pour référent le sujet le plus proche, à savoir le Ciel. Oreste explique le naufrage de son navire par un repenti des dieux qui lui avaient permis d'expier son crime en partant pour la Tauride. [398] Iphigénie adresse son injonction à Taxis. [399] *Cœur* a ici le sens de *courage*, une acception rendue fameuse par le vers de Don Diègue dans *Le Cid* de Corneille (1637) : *Rodrigue, as-tu du cœur* ? (I, 5) [400] *Var 1758* Nul grec n'y peut entrer, qu'une loi meurtriere, / De ses jours malheureux n'y borne la carriere. [401] Il s'agit de plusieurs cités grecques. *Trézène* : cité grecque du Péloponnèse sur la côte nord de l'Argolide. Elle est considérée comme la ville natale de Thésée. *Thèbes* : cité grecque fondée par Amphion et Zéthos et fortifiée par un rempart percé de sept portes. La ville est nommée Thèbes en l'honneur de Thébé, une nymphe, fille du dieu-fleuve Asopos qui coulait près de la cité. *Elis* : cité grecque située au nord-ouest du Péloponnèse, à l'ouest de l'Arcadie. La ville avait en charge l'organisation des Jeux olympiques antiques. *Sparte*: une des plus grande puissance de la Grèce. Sa domination s'étend sur tout le sud du Péloponnèse. *Mycènes* : voir la note du vers 136. [402] Périphrase qui désigne Agamemnon. [403] La forme archaïque en -*ay* du verbe *entendre* est expliquée à la note du vers 19. [404] Remarquons cet emploi de l'adjectif interrogatif *quel*, très usité au XVII*e* siècle, et disparu de nos jours. Dans ce vers, *quel* interroge sur l'identité. Dans sa *Grammaire de la langue française du XVIIe siècle* (chapitre VII, §2.b), Gabriel Spillebout donne un exemple probant de ce type d'emploi par un vers extrait de l'*Athalie* de Racine (1691) : *Mais cet enfant fatal, Abner, l'avez-vous vu ? / Quel est-il* ? [405] *Var 1734* IPHIGENIE / Qu'entens-je ? Clitemnestre ! / ORESTE / Horrible souvenir, / Ne puisse-tu jamais penetrer l'avenir ! [406] *Var 1758* Mais son pere à sa mort engagé par Ulysse, / A bien payé depuis ce sanglant sacrifice. [407] *Var 1734* Prétextant, pour couvrir sa lâche perfidie, [408] *Var 1734* L'a plongée à son tour dans l'éternelle nuit. [409] *Diffamé* : Déshonoré [410] *Var 1742* Atendez mon ordre. Le vers d'origine sera rétabli dans l'édition suivante. [411] *Se contraindre* : « Se violenter … Etre dans un état contraire à sa pente naturelle » (Ric.) [412] Lors du siège de Troie, Agamemnon et Achille ramenèrent deux captives d'une expédition dans une ville voisine. Chryséis pour le premier et Briséis pour le second. Mais, lorsque par l'oracle de Calchas, Agamemnon fut contraint de rendre Chryséis afin de contrer la peste qui s'était abattue sur le camp grec, il exigea en tant que chef d'obtenir Briséis. Cette anecdote évoquée ici par Pilade mettra Achille dans une grande colère qui marque le début de *l'Iliade* d'Homère. [413] *Penser* : « Mot qui n'est usité qu'en vers, & qui veut dire pensée » (Ric.) [414] *Var 1734* Que ce peuple ennemi du reste des humains / Connoisse dans quel sang il va tremper ses mains. [415] Ce *poison* désigne l'injustice de l'amour. En effet, à l'instar de Clytemnestre, Iphigénie veut excuser son amour naissant pour Pilade, son captif, en immolant sur le bûcher le second Grec arrivé. Sa propre mère avait trouvé comme prétexte au crime de son mari – et par la même occasion comme accréditation de son amour adultère pour Egisthe - de venger le sacrifice qu'Agamemnon avait fait de sa fille. [416] *Var 1742* N'immoles-tu point l'autre à la même raison ? [417] Comprendre : *Que l'ardeur qu'il avoit ne* ***se*** *retrouvera plus.* Pour une raison de métrique, l'auteur a omis le pronom personnel réfléchi *se*. [418] Pour l'œil, l'accord du participe passé est faux car non accordé avec l'objet qui le précède comme le veut la règle. Il y a un manquement à l'usage car on aurait du voir écrit : Le bruit … m'a *contrainte* à paroistre à vos yeux. Toutefois, à l'oreille, la faute s'efface de part la liaison, qui de surcroît valide le vers en ce qui concerne la métrique. [419] *Doy* : Le -*s* final des verbes autres que ceux du type -*er* et conjugués à la première personne du singulier peut être omis pour ne pas altérer la rime. Il en est de même au vers 1235 où *avouë* doit rimer avec *louë*. (Gabriel Spillebout, *Grammaire de la langue française du XVIIe siècl*e, p. 189). [420] Seulement [421] *Dehors* est à prendre au sens de « apparence, extérieur » (Ric.) [422] Pour la rime, *Etats* au vers précédant devait être prononcé comme *Thoas*. [423] Le verbe *dire* comporte la forme archaïque en -*ay* à ce vers ainsi qu'au vers 1508. Se référer à la note du vers 19. [424] Au XVII*e* siècle, les tournures *quel que* et *quelque* étaient concurrentes – la première étant plus usuelle que la seconde. Voir Nathalie Fournier, *Grammaire du français classique*, $ 311, p. 211. Dans ses *Remarques sur la langue françoise*, Vaugelas précisait « C'est qu'il faut mettre quel, ou quelle, et non pas quelque, quand il y a un que qui suit » (p. 136). [425] La forme archaïque en -*ay* de verbe aller est expliquée à la note du vers 19. [426] *Var 1734* Mais quand à l'un des Grecs vous êtes favorable, / Quel sujet contre l'autre arme votre rigueur ? [427] Nous avons vu à la note du vers 926 un exemple de l'emploi de *quel* interrogeant sur l'identité dans une interrogative directe. Notons ici un emploi similaire de l'adjectif interrogatif mais dans une interrogative indirecte. [428] Pour la forme archaïque du verbe voir, se référer à la note du vers 19. [429] *Tantôt* signifie « il y a un instant ». Le texte comporte une seconde occurrence de ce terme au vers 1269. [430] Dans la mythologie grecque, Eole est un marin qui a reçu de Zeus la garde des vents ; il les enfermaient dans une grotte, ou les déchaînait sur son ordre ou celui de Neptune. [431] Au XVII*e* siècle, la distinction orthographique entre *conte* et *compte* n'est pas encore systématique. [432] *Au deffaut* : Adverbe qui signifie « Au lieu de, à la place de » (F). [433] *Le plus saint des nœuds* désigne ici l'amitié et plus précisément encore la parenté étroite qui unit les deux personnages. Rappelons qu'Oreste et Pilade sont cousins germains et qu'ils ont été élevés ensemble, comme des frères. Pilade ne devrait donc pas vousvoyer Oreste mais La Grange-Chancel a une nouvelle fois trop voulu suivre Racine qui avait établie une telle relation entre les deux hommes dans son *Andromaque.* [434] *Var 1758* Je vais devant tes yeux punir ce parricide [435] Nous avons vu à la note du vers 626 que l'ordre des mots dans une phrase où le pronom personnel construit avec ne pas et préposé à l'infinitif est le suivant : « 1° ne, 2°le pronom, 3° l'infinitif, 4° pas » (Haase, *Syntaxe française du XVIIe siècle*, § 156. Rem II). Toutefois, le grammairien ajoute à la suite que « plus souvent encore, la construction est 1° ne, 2° le pronom, 3° pas, 4° l'infinitif ». C'est ce que nous pouvons observer au vers 1227 - *plus* équivalent à *pas*. [436] *Var 1734* Leur rage a fait frémir jusqu'aux flambeaux celestes [437] *Doux*, au vers précédant, se prononce de la même manière que *tous*, afin que la rime soit valable. [438] *Alteré* : Qui a soif [439] *Var 1734* Argos m'a vû percer les flancs qui m'ont porté [440] *Var 1734* Saisi d'étonnement, de surprise et de joye, [441] *Var 1734* Apollon, dont j'attens la fin de mes miseres, / Pour nous abandonner en ce pressant besoin, / Ne nous a point ici rassemblés de si loin. [442] Celui qui. Voir la note du vers 234. [443] Ce vers fait échos aux dires de Pylade dans *Iphigénie en Tauride* d'Euripide où le personnage affirme : « Un homme de cœur ose affronter les dangers. C'est le lâche qui se dérobe », traduction de Marie Delcourt-Curves, Gallimard, 2008, p. 779. *Cœur* a ici le sens de courage. [444] Pour la forme archaïque en -*ay* du verbe *devenir*, voir la note numéro du vers 19. [445] *Le frein du sacré ministere* : Comprendre *le frein que constitue son respect de la fonction sacrée*. [446] Ce qui reste du sang d'Agamemnon, c'est à dire les survivants d'une famille maudite. [447] Adresse à Pilade. [448] La syntaxe de ce vers peut être éclaircie par la note du vers 764. [449] Au XVII*e* siècle, le substantif *foudre* s'emploie indifféremment au masculin ou au féminin. La formule *le foudre vengeur* est une expression consacrée par l'usage. [450] La forme archaïque en -*ay* du verbe *attendre* est expliquée à la note du vers 19. [451] L'impatience de Thoas qui ouvre ce dernier acte semble être inspirée de celle d'Her ione dans l'*Andromaque* de Racine. A la scène 1 du cinquième acte, celle-ci se demandait, dans l'attente de la réussite ou de l'échec de son entreprise : *Où suis-je ? Qu'ai-je fait ? Que dois-je faire encore* ? / *Quel transport me saisit ? Quel chagrin me dévore* ? (v. 1393-1394) [452] *Var 1742* Lui qui m'avoir promis de devancer l'Aurore. [453] *Rapide* est à prendre au sens de « prompt, violent et impetueux » (F). [454] Thoas reconnaît ici ce que Iphigénie lui reprochait au vers 1315. [455] Les vers 1436 et 1437 synthétisent les trois sujets qui ont animé Thoas depuis le début de la pièce. [456] Cette acception du verbe *rouler* est attesté par Furetière qui explique que le mot « se dit figurément en choses spirituelles et morales ». Il ajoute un exemple éloquent : *Il est agité de divers mouvemens, de diverses pensées qui roulent dans son esprit.* [457] Cet hémistiche fait directement écho à celui de deux vers de Racine dans sa *Bérénice*, au moment où le personnage éponyme attend impatiemment le retour de sa confidente : *Phénice ne vient point* ? (vers 953 et 957) [458] *Depuis le* [459] Ces vers font échos à la posture d'Agamemnon lors du sacrifice de sa fille dans *Iphigénie* de Racine (1674) : *Pour détourner ses yeux des meurtres qu'il présage*, / *Ou pour cacher ses pleurs, s'est voilé le visage. (V, 5)* [460] La Grange-Chancel utilise ici l'artifice du déguisement qui permet de dissimuler aux yeux du monde la vérité de l'être. C'est par cette tromperie qu'Iphigénie va pouvoir rejoindre le vaisseau qui la conduira en Grèce. Sous des voiles, elle dissimule son visage et Hidaspe, qui pense mener Thomiris honteuse ou en colère, ne remarque pas la supercherie. [461] *Le jour qui va tout déclarer* : c'est quand le soleil se lèvera et qu'une nouvelle journée commencera que le peuple découvrira le départ de Thomiris et la trahison de Thoas. [462] *Fortifié* : rendu fort. [463] *L'* désigne le peuple. [464] La Grange-Chancel respecte l'unité de temps dans sa tragédie. Un nouveau jour commence en Tauride et annonce au spectateur la fin éminente de la pièce. Notons que l'auteur a choisi d'utiliser les vingt-quatre heures dites « *artificielles* » en ce sens que ce ne sont pas celles de la journée naturelle liée aux mouvements du soleil. [465] L'emploi du pluriel s'explique par la contrainte métrique des alexandrins. La Grange-Chancel avait besoin d'une syllabe supplémentaire pour que son vers soit juste, et il l'obtient grâce à la liaison entre *peuples* et *attirez*. Thoas ne règne donc pas sur plusieurs peuples. [466] Comprendre : *Ce qui* [467] *Var 1734* Ce sont ces mêmes traits que j'ai sçu ménager [468] Pour *conté*, voir la note du vers 1203. [469] Le mariage de Pilade et d'Iphigénie est une invention de La Grange-Chancel. Dans la pièce d'Euripide, Pilade arrive en Tauride en étant l'époux d'Electre, soeur d'Oreste et d'Iphigénie. C'est d'ailleurs une information attestée par la majorité des mythologues. [470] Thoas s'adresse à Taxis. [471] Ces deux vers ne sont pas sans évoquer ceux de *Bajazet* de Racine quand Roxane déclare : *Ah, les traîtres ! Allons et courons les confondre.* / *Toi, garde ma captive, et songe à m'en répondre.* (V, 7). [472] Ce vers n'est pas sans rappeler les propos que tient Oreste dans *Andromaque* de Racine (1667) : *Je ne sais de tout temps quelle injuste puissance* / *Laisse le crime en paix et poursuit l'innocence.* (III, 1) [473] *Lever les mains* a pour sens implorer, demander grâce. [474] *Var 1734* Un Tyran devant vous trouve-t-il plus de grace, / Que des infortunés sortis de votre Race / Et contre la vertu qui vous parle pour eux, / Ne protegez-vous plus que les crimes heureux ? Dans édition 1758, heureux est remplacé par honteux, bien plus approprié. L'adjectif ajouté en 1734 serait-il une coquille ? [475] Ce vers fut oublié dans l'édition de 1758. [476] Notons l'absence soudaine de Taxis dans la dernière scène de la pièce, alors même que le personnage était présent dans les quatre scènes précédentes et que nous n'avons aucun indice d'une quelconque sortie de celui-ci avant cette ultime scène. Il s'agirait d'un oubli de l'auteur, plus que de l'imprimeur, car cette absence se maintient dans les éditions suivantes d'*Oreste et Pilade*. [477] *Var 1758* Ni [478] *Il le rejoint* : la langue du XVII*e* siècle emploie plus largement les formes sans affixes. [479] *Var 1734* Oui, Madame, et la mer jusqu'alors irritée, / Mêle à peine ce sang à son onde agitée, [480] Le dénouement merveilleux, au sens classique du terme, de la pièce de La Grange-Chancel est librement inspiré du miracle final qui termine l'*Iphigénie* de Racine : *A peine son sang coule et fait rougir la terre*, / *Les dieux font sur l'autel entendre le tonerre ;* / *Les vents agitent l'air d'heureux frémissements*, / *Et la mer leur répond par ses mugissements ;* / *La rive au loin gémit, blanchissante d'écume.* / *La flamme du bûcher d'elle-même s'allume.* (vers 1777-1782). [481] Absence du personnage de Cyane. [482] *Idem.* [483] Les sommes sont en livres. Toutes ces informations proviennent des registres de Lemazurier, un secrétaire du comité de la Comédie-Française au XIX*e* siècle, et qui a recensé, dans deux tomes manuscrits, les représentations données sur la scène de la Comédie-Française entre 1680 et 1793. Ces manuscrits ne sont pas datés. [484] Il s'agit de sa première tragédie, *Jugurtha*. Cette anecdote, toute à relativiser, se situe donc au printemps 1693. La Grange-Chancel avait donc seize ans. [485] Jean-Baptiste Santeuil (1630-1697), dit Santolius, était un poète français, passionné par la poésie latine et qui obtint un grand succès avec son Recueil de nouvelles odes sacrées. On le disait très imbus de sa personne car il se croyait être le plus grand poète au monde, à une époque où le latin disputait encore sa prééminence sur le français et les autres langues vulgaires. [486] Une longue tradition voulait que les tragédies grecques s'ouvrent sur un héros mythologique qui, bien que connu de tous, devait décliner son identité, décrire le contenu de ses aventures passées et faire connaître les horreurs de sa lignée. [487] Dans la tragédie grecque de l'Antiquité, le *Parodos* représente l'entrée sur scène chantée du chœur. [488] Dans la tragédie grecque antique, les *stasimons* étaient les chants du chœur sur la scène. [489] Dans la poésie grecque, l'épode correspondait à la troisième partie d'une ode après la strophe et l'antistrophe. [490] Dans la tragédie grecque, l'exodos consiste en la scène finale qui vient de suite après le dernier stasimon.