--- identifier: linant_alzaide creator: Linant Michel. date: 1745 title: Alzaïde. , tragédie --- ALZAÏDE TRAGÉDIE M DCC. XLVI. Avec Approbation et Privilège du Roi. Par M. LINANT. # APPROBATION. J'ai lu par ordre de Monseigneur le Chancelier une Tragédie qui a pour titre, Alzaïde, et je crois que le Public en verra l'impression avec plaisir. Ce 7 Janvier 1746, CREBILLON.À PARIS, Chez Jacques CLOUSIER, rue Saint-Jacques, à l'Écu de France. Représenté pour la première fois sur le théâtre de la Comédie française, le 13 décembre 1745. # ACTEURS. – ALZAÏDE, reine d'Arabie. – AMÉNOPHIS, Roi d'Egypte. – ZARAES, Roi d'Arabie, tributaire d'Egypte. – EZIRE, Confidente d'Alzaïre. – PHERÈS, confident d'Aménopis. – MENOS, capitaine des gardes d'Aménophis. – NISUS. – OSIRIS. – SUITE DU ROI. – GARDES.La scène est à Memphis, dans le Palais des Rois d'Egypte. # ACTE I. ## SCÈNE PREMIÈRE. Alzaïde, Ezire, Pherès. PHÉRÈS. De mortels ennuis si vous n'étiez en proie, J'oserais devant vous faire éclater ma joie, Je vous revois, Madame, à Memphis, en ces lieux, Berceau de vos vertus, rrône de vos aïeux ; Où tout vous obéit, vous aime, et vous rappelle, Où Pherès tant de fois vous a prouvé son zèle, Moins ébloui d'un rang que je ne dois qu'à vous, Qu'attendri de vos maux que je ressentais tous. ALZAÏDE. Ah ! Pherés, à Memphis en ce jour arrivée, J'ignore à quels malheurs le Ciel m'a réservée, Dans l'ombre du secret lasse de soupirer , Je viens m'en éclaircir, voir le Roi, l'implorer, Délivrer un époux dont le destin m'accable, Qui, puni trop longtemps, ne fut jamais coupable. Zaraès est vaincu, captif, et malheureux, Aménophis vainqueur, Monarque et généreux Il doit tout oublier ; qu'il ajoute à sa gloire Cet effort de vertu plus grand que la victoire. Eh ! Serons-nous toujours et mon époux et moi Les seuls infortunés qui vivent sous sa loi ? PHÉRÈS. Vous ne le ferez plus ? Non, croyez que mon maître, Juge de votre époux, s'est vu forcé de l'être, Qu'il gémit de ses fers : qu'il se plaint d'un bonheur Qui l'a toujours contraint de percer votre coeur, De partager sans fruit votre douleur extrême, Et vous n'éprouvez rien qu'il n'ait senti lui-même; Enfin quand accablé du plus triste revers, Zaraès fut dompté, qu'il tomba dans nos fers, Que pour venger leurs maux nos peuples l'outragèrent, Que ses amis, ses Dieux vaincus l'abandonnèrent, Du coeur d'Aménophis le premier mouvement Fut d'oublier les droits et son ressentiment, Mais le bien de l'État qui régle sa puissance, Fit parler son Conseil, et taire sa clémence : Et tel est le devoir et le sort des grands Rois, Que même leurs vertus sont esclaves des lois. ALZAÏDE. Les loix n'ordonnent point l'abus de la victoire, Zaraès fut ici victime de la gloire ; Après son infortune a-t-on dû l'enchaîner ? Et vaincre, donne-t-il le droit de condamner ! PHÉRÈS. Songez qu'Onès son père usurpa l'Arabie, Au trône de Memphis de tout temps asservie, Sujet d'un souverain soumis à notre loi, Il s'arme pour régner, triomphe, se fait Roi, Meurt, et laisse à son fils cette vaste contrée, Sous Busiris bientôt l'Egypte déchirée Aux voeux de votre époux prête de la céder, Exigea le tribut qu'il devait accorder. Impatient d'un joug dont il fallait dépendre ; Il attaqua nos Rois qu'il aurait dû défendre ; Combien de fois lui-même, où par les mains d'Iphis, Envahit-il l'Egypte, assiégea-t-il Memphis, Où caché sous le nom de ce chef si fidèle, En la trompant toujours, sut-il triompher d'elle ? Nos murs étaient détruits, et nos champs ravagés, Quels coups il nous porta ? Le Roi nous a vengés ; Il vainquit ce héros, ses destins l'accablèrent ; Sans le connaître alors, nos Guerriers l'enchaînèrent ; Avec ce même Iphis dans nos fers retenu, Parmi d'autres captifs, il vécut inconnu ; Aménophis apprend qu'il est en sa puissance, Touché de son malheur, il cherche sa présence, Et de le consoler s'impose le devoir ; Zaraès qui le sait dédaigne de le voir ; Son Prince, que vers lui la pitié seule entraîne, N'imputant qu'à ses maux l'éclat de tant de haine, Retient des mouvements qu'excite son grand coeur, Et ne l'offenfe point par l'aspect du vainqueur : Mais il fait plus, Madame, un peuple téméraire Toujours prêt à punir l'auteur de sa misére, Pour perdre Zaraès se rassemblait toujours, De son captif cent fois le Roi sauva les jours, Et trop sûr qu'à ses dons votre époux insensible, Par haine à ses regards était inaccessible, Ce Monarque envers tous, clément comme les Dieux Lui devint invisible, se bienfaisant comme eux. ALZAÏDE. Zaraès occupé des maux qui l'environnent, Voudrait cacher des jours que les Dieux abandonnent ; Mais je vois tous les coeurs contre lui prévenus ; Secondez mes desseins avant qu'ils soient connus, Arrêtons au plutôt les mains qui le punissent ! Ciel, comble mes malheurs, et que les siens finissent. Ainsi le Roi le laisse aux yeux de l'univers Vivre dans la douleur, et mourir dans les fers ? Ne pourrai-je adoucir un tourment si terrible ? Non : ce Prince à mes pleurs ne sera point sensible : Son coeur jusqu'à ce jour n'a-t-il pas résisté Aux conseils de la gloire, aux cris de l'équité ? PHÉRÈS. Madame, oubliez-vous le pouvoir de vos charmes, Rendus même aujourd'hui plus touchants par vos larmes ? Connaissez-le du moins : Eh ! Qui de ce vainqueur Saurait donc mieux que vous désarmer la rigueur ? ALZAÏDE. Moi, Phérès ! PHÉRÈS.         Croiriez-vous qu'à ses grandeurs liée, Son âme vous dédaigne, ou vous ait oubliée ? Ah ! Pour vous rassurer, rapellez-vous ces jours Dont l'horreur a des siens empoisonné le cours : Ces jours, où par un père à ses voeux arrachée, À des noeuds inconnu vous fûtes attachée ? Vous vous retracerez un cruel désespoir, Que n'ont point ralenti l'absence et le devoir. ALZAÏDE. Auprès de lui, Phérès, ce moment vous rappelle, Et vous pouvez pour nous signaler votre zèle, Aux regards de Memphis j'ai caché mon retour, Mais on ne peut longtemps l'ignorer à la Cour ; Informez-en ce Prince, et revenez m'apprendre, À quel sort Alzaïde aujourd'hui doit s'attendre. Allez. PHÉRÈS.         Espérez tout, Madame : ce héros, De sa gloire jaloux, vous rendra le repos. ## SCÈNE II. Alzaïde, Ezire. ALZAÏDE, À PART. Il m'aime encor !... Ô Dieux ! Que deviendrai-je ?... Ezire, Va rappeller Phérès. EZIRE.         Madame, que lui dire ?... ALZAÏDE. Nous-mêmes d'un vainqueur désarmons le pouvoir. De qui ?... D'Aménophis ?... Eh ! Dois-je encor le voir ? EZIRE. Vous le verrez ici gémissant de sa gloire ; Demander à vos pieds pardon de sa victoire. ALZAÏDE. Ah ! De tous les malheurs qui pourraient m'accabler, Celui que je veux fuir, et qui me fait trembler, Celui dont tu me vois interdite, éperdue, C'est... le dirai-je ? Hélas !... de m'offrir à sa vue. EZIRE. Quoi ! Ce jeune Héros que vous-même admirez, Est donc haï de vous ? ALZAÏDE.     Ô Ciel ! EZIRE.         Vous le fuirez ? ALZAÏDE. Je fuis qui peut m'aimer, et je crains qui m'accable ; Ne vante plus un Roi qui m'est trop redoutable ; De sa gloire à mes yeux dérobe tous les traits, Cher Ezire, ou plutôt ne m'en parle jamais. EZIRE. Ciel, que puis-je penser ? Quels mouvements Madame, Opposés, et subits ont partagé votre âme ? Est-ce l'amour du Roi qui la trouble aujourd'hui ? Que dis-je ? Cet amour vous promet un appui Pour les jours d'un époux vous n'avez rien à craindre. Son vainqueur les protège, et lui seul est à plaindre. ALZAÏDE. Eh ! Bien, cruelle ; eh ! Bien , il faut te révéler Un secret que toujours je devrais te céler : Je t'en parle à regret : je me fais violence : Mais c'est pour t'impofer un éternel silence. Ce jeune souverain que je viens implorer, Contre qui le devoir aurait dû m'inspirer... EZIRE. Achevez... quoi, Madame ? ALZAÏDE.         Ô Dieux ! Qu'allais-je dire ? Qui moi, je l'aimeraïs !... Non, je le hais, Ezire, Je le dois, je le veux. Auteur de tous mes maux, C'est lui qui m'a ravi le sceptre et le repos ; Mon époux est vivant ; il le traite en rebelle : Et moi je l'aimerais, moi qu'il rend criminelle ? Que je meure à tes yeux avant que de l'aimer ; Oui, je sens contre lui mon couroux s'enflammer ; Je sens naître en mon coeur une haine funeste... Mais je me trompe, hélas ! C'eft moi que je déteste. EZIRE. Je conçois vos tourments. Que je plains tant d'amour ! Lorsqu'on vous fît sans moi partir de ce séjour, Dans le cours de vos maux je vous avais perdue ; Plus malheureuse encor, vous m'êtes donc rendue. Maïs quoi ! Sans les savoir je ressens vos douleurs. Daignez me confier le secret de vos pleurs. ALZAÏDE. Busiris excita mes premières alarmes ; Il ouvrit pour jamais la source de mes larmes ; Ce monstre couronné, qu'animait la fureur, Qui toujours devant lui fît marcher la terreur, Oncle d'Aménophis, allié de mon père , Me promit ce héros : que sa main m'était chère ! Temps heureux, où mon cceur approchait du moment Qui devait pour jamais m'unir à mon amant ; Où le voyant brûler d'une flamme aussi pure, Je m'oubliais moi-même, et toute la Nature ; Des crimes du Tyran mon père épouvante Fit parler à la Cour lauftére vérité -> Il frappa Bufiris d'un remords inutile , Et contre son couroux recherchant un asile, Il trouva Zaraès, il lui promit ma main : Il obtint à ce prix l'appui d'un souverain. Zaraès par l'hymen d'une fille étrangère, Prétendait s'assurer de la foi de mon père, Qui jura, malgré lui, de combattre son roi. Gage de ses serments, victime de sa foi, Il fallut m'exiler aux déserts d'Arabie : Et laissant loin de moi le bonheur de ma vie, M'arracher à mon Prince, et n'espérer plus rien ; Je savais son amour, il ignorait le mien ; Je partais : je le vis ; sa profonde tristesse, Ses regrets, ses fureurs égalaient ma tendresse ; Je ne lui parlai point : et tu dois concevoir, Que sans force, sans voix, je ne pus que le voir ; Mes sens étaient troublés ; dans ce désordre extrême, Cruelle à mon amant, plus cruelle à moi-même, Enfin je m'éloignai du tendre Aménophis, Tournant encor les yeux vers les murs de Memphis. Le flambeau de l'Hymen m'éclaira sur mon crime, Et j'arrêtai mes pas sur les bords de l'abîme, L'excès de mon erreur rappella ma vertu : Je reconnus l'Amour quand je l'eus combattu : Ennemi qu'à dompter en vain l'âme s'obstine, Qui toujours triomphant renaît de sa ruine : Et je ne remportai pour prix de mes efforts, Qu'une ardeur plus coupable, et d'éternels remords. Mon époux , dont l'Egypte exigeait un hommage, Au lieu de ce tribut y porta le ravage, Busiris qu'il cherchait, expira sous ses coups ; Son neveu prit sa place, et punit mon époux. C'est lui qu'il faut fléchir : Zaraès me l'ordonne. J'ignore ses projets : mais cet ordre m'étonne ; Sa haine et son orgueil semblent se démentir ; Quoiqu'il en foit, Ezire, il a fallu partir : Je n'ai point balancé. Depuis trois ans d'absence Je sentais de mon feu mourir la violence ; J'ai cru jusqu'à ce jour qu'enfin il s'éteignait ; Me voici dans ces lieux que ma vertu craignait. Phérès par ses discours a réveillé mon trouble, A porté dans mon âme une ardeur qui redouble, Chère Ezire, et je sens livrée à mon devoir, Tous les maux d'un amour coupable, et sans espoir. EZIRE. De quels malheurs, ô Ciel ! Venez-vous de m'intruire ? Je vous plains moins encor que je ne vous admire. Ne craignez plus l'éclat d'un feu si combattu : Votre âme est ébranlée, et non votre vertu. L'ardeur d'Aménophis éteinte par l'absence , Désormais sur vos sens n'aura plus de puissance. Parlez pour Zaraès, et ne redoutez rien ; Son danger est pressant. ALZAÏDE.         Il l'est moins que le mien, J'entends autour de lui gronder une tempête : Mais le coup est encor suspendu sur sa tête ; Rester en ce Palais, c'est m'apporter un sort Plus cruel que pour lui ne peut être la mort. Sans que le Roi me parle, et sans que je le voye, Il faut tout obtenir : je veux qu'il me renvoye ; À son rival peut-être enviant mes douleurs, Il punirait en lui la source de mes pleurs ; Je dois les lui cacher, évitons sa présence : Mettons en sureté ma gloire et sa clémence, Oui, je fuirai ce Prince, et je l'ai résolu : Je reprends sur mes sens un empire absolu ; Mon devoir est plus fort que cet amour extrême, Qui tant de fois m'emporte, et m'arrache à moi-même : Mais quoique le devoir soit vainqueur à son tour, Il est trop dangereux de combattre l'Amour, Fuyons.. ## SCÈNE III. Alzaïre, Ezire, Pherés. ALZAÏDE.     Que veut Phérès ? PHÉRÈS.         Madame, vous apprendre, Que contre votre époux mon maître vient d'entendre, Des avis importants en ce moment reçus, Qui fondent les soupçons qu'on en avait conçus. On veut que l'Arabie à Zaraès fidèle Soit au joug de Memphis plus que jamais rebelle. Qu'agitée en secret par de puissants ressorts, Elle ait pour le venger, fait de nouveaux efforts. Ménos revient instruit de ses longnes intrigues, Dit que jusqu'en Syrie on a formé des brigues : Que Zaraès toujours présent dans ces climats, Du fond de sa prison ébranle tant d'États. ALZAÏDE. Dieux ! Que m'apprenez-vous ? Quelle frayeur me glace ? Quel revers imprévu s'apprête et nous menace ! C'est maintenant, Phérès, que j'ai besoin de vous : Voyez votre monarque, et suspendez ses coups. PHÉRÈS. Il faut le voir, Madame, et lui parler vous-même. Zaraès soupçonné, ton péril est extrême : Il a contre lui seul, la Cour, Memphis, les lois ; Contre tant d'ennemis , il n'a que votre voix ; Et si votre douleur ne se fait point entendre, À le voir succomber, il faudra vous attendre ; Un moment peut le perdre, un mot peut le sauver : Surtout craignez Ménos ardent à l'observer : Il le hait, il l'accuse, il le peint à son maître, Plus libre dans ses fers qu'un captif ne doit l'être ; Et le peuple demande en sa crainte agité Qu'il ne jouisse plus de tant de liberté. Je n'ai pu près du Roi vous témoigner mon zèle ; Attentif aux complots de l'Arabe infidèle ; Il ne sait pas encor qu'arrivée en ce jour, Pour chercher son appui vous êtes dans sa cour ; Mais j'apprendrai bientôt l'instant où à sa présence... ALZAÏDE. Je vous fuis. ## SCENE IV. Alzaïde, Ezire. ALZAÏDE.         Est-il temps qu'Alzaïde balance ? Non ! Je verrai le Roi ; j'irai pour mon époux , En évitant ses yeux, tomber à ses genoux. Le sort de Zaraès, mon devoir, tout m'en presse ; Son danger me conduit : craindrais-je ma faiblesse ? Ne doit-elle finir qu'au jour de mon trépas ? Ciel, sans me séconder, peux-tu voir mes combats ? Pour quelqu'autre forfait serais-je ta victime ? Je sens que mon supplice est plus grand que mon crime. # ACTE II. ## SCÈNE PREMIÈRE. Aménophis, Ménos, Nisus. AMÉNOPHIS. Je veux tout écouter, et ne négliger rien Pour le bonheur d'un peuple à qui je dois le mien : Qui me fait de mes soins trouver la récompense, Autant dans son amour qu'en son obéiilance ; Mais dois-je me livrant à ses inimitiés, Punir des malheureux gémissants à mes pieds, Et cruel à son gré, commander des supplices ? Écoutons ses besoins : rejettons ses caprices ; Il craint que son repos ne puisse être troublé Par les complots d'un Roi sous nos fers accablé : Zaraès nous remplit d'un effroi qui l'honore ; Il fut trop redouté, devrait-il l'être encore ? On veut que contre nous ses rebelles sujets Ne se soient soulevés qu'en suivant ses projets, Et que je croie un bruit que l'apparence enfante, Accru par la terreur qu'à son tour il augmente : Il faut des faits certains pour condamner un Roi : Que son crime le perde, et non pas notre effroi : Si ce crime est prouvé, qu'on soit inexorable. Nous devons en jugeant cet illustre coupable, Quelque égard à son nom, plus à l'humanité, Beaucoup même à son rang, mais tout à l'équité. MÉNOS. Son attentat, Seigneur, fut pour vous une offenfe ; Il faut un châtiment autant qu'une vengeance ; Eh ! Songez que nos lois... AMÉNOPHIS.         Ménos, je dois songer À lui tendre la main plutôt qu'à me venger. Son malheur m'intéresse, et son coeur téméraire Dans sa férocité porte un grand caractère. J'en crois la renommée, et jusques dans ces lieux Sa voix nous a vanté ce Prince ambitieux : Et moi dont la puissance, et les jeunes années De peu de gloire encor semblent environnées : Moi qui règne tranquille, et qu'enfin mes exploits N'ont point mis au dessus de la foule des Rois, Pourrais-je en punir un dont l'éclat nous étonne ? Plus heureux ! Je le plains, l'admire, et lui pardonne. NISUS. Permettez que sur vous, Seigneur, sur ses exploits, L'Egypte et l'Univers s'expliquent par ma voix. En daignant m'écouter, mon Souverain peut-être, Prêt à juger l'ingrat, pourra mieux le connaître. Nos yeux sont éblouis de ses vices brillants ; Il n'a point de vertus, il n'a que des talents ; Génie impétueux, emporté vers la guerre, Plus propre à conquérir qu'à gouverner la terre, Qui régnerait en Roi moins grand qu'ambitieux, Opprimant les mortels, et méprisant les Dieux. Enchaînez à jamais un Guerrier si funeste. Trop heureux les humains que la faveur céleste De son sceptre de fer a voulu préserver ! Il est né pour détruire, et vous pour conserver. Vous avez prétendu digne du rang suprême, Montrer votre puissance en la bornant vous-même ; Ami de votre peuple et de la vérité, Citoyen fur le trône, et Maître sans fierté, Don le plus précieux que le Ciel nous dispense ; De nos vertus enfin auteur et récompense, Il ne vous reste plus, pour ressembler aux Dieux, Que de prévoir le mal, et de punir comme eux. AMÉNOPHIS. Un Roi doit ressembler aux Dieux par la clémence, Vous voulez qu'un captif ressente ma vengance ; Prouvez donc qu'il s'apprête à nuire à mes sujets ; Je vois trop ses malheurs pour craindre ses projets : Et s'il fut à l'Egypte, à mes lois indocile, Moins malheureux peut-être il sera plus tranquille. Que dis-je ? Il l'est déjà ; ce Prince dans nos fers Semble avoir oublié ma gloire et ses revers ; Et même à tous les yeux se rendant invisible, Aux charmes du repos, il redevient sensible. Mais de cet ennemi que je voudrais fauver, Parlez-moi, vous, Ménos, qui sûtes l'observer : Montrez la vérité sans craindre de m'instruire ; L'entendre est mon devoir : le vôtre est de la dire, MÉNOS. Je l'oserai, Seigneur, ett cette liberté Plus que tous nos respects vous a toujours flatté. Vous plaignez Zaraès quand nous devons le craindre ; Si vous lui pardonnez, c'est Memphis qu'il faut plaindre ; Elle va donc revoir son cruel ennemi : Toujours par vos bontés dans sa haine affermi, Zaraès de vos mains ne recevra la vie Que pour vous en punir, et perdre la patrie. Inquiet, furieux, perfide, usurpateur, Et de nos longs revers infatigable auteur : Ce qu'il fit autrefois, il peut encor le faire. Ne croyez pas, Seigneur, que ma voix téméraire Par haine devant vous s'élève contre lui ; Quoiqu'il m'ait arraché mon bonheur, mon appui ; Que par son ordre Iphis son fidèle complice Ait fait à mes amis subir un long supplice, Que Zaraès lui-même aidé de cet Iphis, Ait ravagé mes biens, ait massacré mon fils, Je ne sens point les coups que m'a porté ce traître : Je les oublie : il veut en porter à mon Maître ; Rien ne me touche plus, vous êtes menaçé. AMÉNOPHIS. Qu'entends-je ? MÉNOS.         Ce rebelle à vous perdre empresse Séduit le Syrien, l'arme : ce font ses brigues Qui soulevant l'Arabe, ont formé tant de ligues : Jusques dans la Nubie, où j'ai su ses complots, Il paraît fuir nos yeux, et chercher le repos ; Plus il se cache, et plus il doit être terrible ; Il est prêt d'éclater puisqu'il femble paisible ; Dans ses déguisements toujours si redouté, Il fut joindre la fraude à la témérité, Trompa ceux qu'il fournit, et ceux qui le vainquirent. En le trouvant partout, jamais ils ne le virent : Et s'il cache à Memphis sa haine et ses projets, Pour nous impratiquable, et non pour ses sujets ; Il leur écrit, leur parle, en abusant sans cesse De cette liberté que son vainqueur lui laisse. Croyez que ce captif au fond de sa prison, Où rien ne le contraint, qui vous voit sans foupçon, En secret agité, tranquille en apparence, Veut sur votre ruine élever sa puissance, Et qu'un sujet si fier qui se croit outragé, Aujourd'hui dans les fers demain sera vengé. ## SCÈNE II. Aménophis, Ménos, Nisus, Oisris, Suite. OSIRIS. Cette lettre, Seigneur, entre mes mains remise, À Zaraès écrite, en ce moment surprise, Et que tout me prescrit de ne donner qu'à vous... AMÉNOPHIS. Voyons s'il mérita sa grâce, ou mon courroux. Il lit. « Sachez que dès ce jour par les champs de Syrie Sur les rives du Nil vos soldats vont passer ; Faites croire au tyran que des champs d'Arabie Introduis en Egypte, ils vont la traverser.» Prévenons ses desseins : marchons vers la Syrie. Qu'elle en soit effrayée encor plus que punie ; Sous ses premières lois ce jour doit la ranger ; Allons donc la soumettre, et non la ravager. De tes projets cachés je saurai l'étendue. Traître, jusqu'à ce temps ta peine est suspendue. Je soulageais tes maux, je te traitais en Roi : De mes propres bienfaits tu t'armes contre moi. Eh ! Bien n'écoutons plus que l'austère justice : Pour la première fois ordonnons un supplice. Il mourra... laissez-moi. ## SCÈNE III. AMÉNOPHIS, SEUL.         Faudra-t-il que mes coups. Tombent sur Alzaïde, en frappant son époux ? Elle va donc apprendre au fond de l'Arabie, Qu'à Memphis Zaraès aura perdu la vie, Elle m'imputera tout ce qu'il doit souffrir, Et l'injuste univers qui le verra mourir, Sans égard à son crime, ainfi qu'à ma clémence ; Dira que mon amour excita ma vengeance, Confiant dans ma vertu, que dois-je redouter ? Ce ne sont point ces bruits qui peuvent m'arrêter, Que va dire Alzaïde !... Ô funeste nouvelle !... Pour me justifier que ne suis-je près d'elle ?... Hélas !... ## SCÈNE IV. Aménophis, Pherés. PHÉRÈS.         Dans ce moment, Seigneur à vos genoux Alzaïde... AMÉNOPHIS.         Alzaïde !... Ah ! Que me dites-vous ? PHÉRÈS. Elle vient. AMÉNOPHIS.     Ciel ! ## SCÈNE V. Alzaïde, Aménophis, Phérès, Ezire. ALZAÏDE, DANS L’ENFONCEMENT.         Mes yeux se remplissent de larmes : Je revois en tremblant l'auteur de mes alarmes. Guide mes pas, Ezire, et viens les soutenir. AMÉNOPHIS, À PHÉRÈS. C'est moi que sa douleur, que les pleurs vont punir. Mon âme est déchirée... ALZAÏDE.         Incertaine, tremblante, Je viens vous faire entendre une voix suppliante, Pour finir des tourments que vous-même causez Que je dois oublier si vous les finissez. Hélas ! C'est leur excès qui près de vous m'amène ; Mon époux est captif ; puis-je rompre sa chaîne ? Terminez à la fois ses maux et mes douleurs, Seigneur, par vos vertus surpassez nos malheurs ; Qu'on ne vous plaigne plus autant qu'on vous admire ; Et qu'enfin l'univers, en ce jour, puisse dire, Que jamais Zaraès ne fut si malheureux Que vous, en pardonnant, vous fûtes généreux. AMÉNOPHIS. Alzaïde, c'est vous !... Je vous revois, Madame ! Hélas ! Que vos revers attendrissent mon âme !... Ah ! Vous la retrouvez en ces tristes moments, Remplie à votre aspect de tant de mouvements... Que de combats, ô Ciel !... Mais plus que tout le reste , Je ressens la douleur de vous être funeste. J'admirai Zaraès : je vais vous étonner ; Plus malheureux que lui, je ne puis pardonner. ALZAÏDE. Seigneur, ah ! Quel arrêt votre bouche prononce ! La surprise et l'horreur du coup qu'elle m'annonce, Le font déjà sentir à mes sens désolés : Vous ne pardonnez point ? Est-ce vous qui parlez ? Je sens autant de peine à vous croire implacable. Qu'a croire Zaraès envers vous si coupable. Quels crimes dans ses fers peut-il avoir commis ? AMÉNOPHIS. Je les crains pour mon peuple, et pour vous j'en gémis. Prisonnier en Egypte, il arme la Syrie ; Lisez : vous allez voir quelle est sa perfidie. Je le planis , mais hélas ! Vous êtes aujourd'hui, Puisqu'il est condamné, plus à plaindre que lui. ALZAÏDE. Que dites-vous, ô Ciel ! Sa mort est résolue ; Pour la voir, en ces lieux j'étais donc attendue ? Mais peut-il se venger, lorsque vous l'opprimez ! Pour sa querelle ici quels Soldats sont armés ? Il menace Memphis, et Memphis l'environne ; Il arme des États, lui que tout abandonne : Qui n'a pour tout secours qu'une épouse et ses pleurs , Secours qui n'est pour lui qu'un surcroît de malheurs ! Il sait que son destin m'abaisse à la prière, Sa grâce est à ce prix l'excès de sa misère : Et vous la refufez, vous Roi si généreux, Vous de qui j'espérais même autant que des Dieux. AMÉNOPHIS. C'est la loi qui punit ce sujet redoutable. ALZAÏDE. Elle est cruelle, injuste .... AMÉNOPHIS.         Il n'est que trop coupable De ses noirs attentats devez-vous donc douter ? Vous demandez sa grâce, et je puis resister ? Je prouve ses forfaits quand je vous la refuse ; Tout vous trahit, Madame, et m'accable, et l'accuse. ALZAÏDE. Dieux ! AMÉNOPHIS.         Jugez-le vous-même, et voyez mes combats, Son crime, mon devoir, le droit de mes États. Je dois à vos malheurs le plus grand sacrifice, Je dois à mes sujets beaucoup plus, la justice ; La refusant pour vous, je deviens odieux. Vos pleurs, si je la rends, me font des jours affreux. J'en mourrai : j'aime mieux la mort avec la gloire, Que mon bonheur suivi d'une indigne mémoire. ALZAÏDE. Ainsi d'Aménophis je n'espère plus rien. Et voilà mon arrêt. AMÉNOPHIS.         Dites aussi le mien. Juste envers Zaraès, pour vous impitoyable, Aménophis des trois est le plus misérable. ALZAÏDE. Quand je sens tout le poids de votre inimitié, Vous me montrez encor une fausse pitié. Peut-on être attendri, lorsqu'on est inflexible ? S'il est vrai qu'à mes pleurs vous soyez si sensible, Que ne terminez-vous tant de maux à la fois ? Et pourquoi dans un seul en punissez-vous trois ? AMÉNOPHIS. Ainsi que Zaraès, je dois être implacable. ALZAÏDE. Il sent tous les remords, s'il peut être coupable : Mais s'il l'est en effet, et s'il veut se venger, Je connais sa grande âme, et je puis la changer. AMÉNOPHIS. Vous n'adoucirez point une âme si farouche. ALZAÏDE. Il ressent les bienfaits et la vertu le touche. Au nom d'Aménophis je veux le désarmer, Je veux même qu'un jour il s'engage à l'aimer. Il chérira dans vous l'équité, la clémence : Il verra comme il faut oublier sa vengeance. S'il connaît vos vertus, voudra-t-il vous trahir ? Et s'il vous voit, Seigneur, pourra-t—il vous haïr ? AMÉNOPHIS. Hélas ! ALZAÏDE.         Pour vous toucher que puis-ie encor vous dire ? Aujourd'hui par votre ordre, à mes yeux il expire, Vous l'avez réfolu : que vais-je devenir ? Songez-vous que c'est moi que vous allez punir ? Qu'un affreux désespoir est tout ce qui me reste : Faut-il que ce soit vous qui me soyez funeste ? Que par vous aujourd'hui je rejoigne un époux : Oui nous serons tous deux réunis par vos coups ; Dans une heure il expire, et je virais encore, Ce n'est plus son pardon : c'est le mien que j'implore. Vous détournez les yeux. AMÉNOPHIS.         Ô cruelle vertu ! ALZAÏDE. Que vous reprochez-vous ? AMÉNOPHIS.         D'avoir tant combattu, D'avoir vu Zaraès vous coûter une larme, D'avoir désesperé ce cceur qui me désarme ; Vous changerez le sien, vous me l'avez promis : Qu'il vive. ALZAÏDE.         Oui, Seigneur, il vous sera soumis. Vous permettez qu'il vive, et que je le revoie : C'est par vous que mon âme éprouve tant de joie. AMÉNOPHIS. Ah ! Je veux la combler. Qu'il paraisse à vos yeux. À Menos. Allez ? Ménos, allez : amène-le en ces lieux. Vous triomphez des lois, quand je le laisse vivre : Mais si je les enfreins, vous les lui ferez suivre. Dans le crime à vos yeux pourra-t-il persister ? Moi-même armé des lois, puis-je vous résister ? La seule maintenant dont la force m'entraîne, Est de sauver vos jours, d'éviter votre haine ; Mes sujets se plaindront, du coeur de mes sujets, J'effacerai ma faute à force de bienfaits. ALZAÏDE, À PART. Quels transports je ressens ! Pourrai-je les contraindre ? AMÉNOPHIS. Vous serez tous heureux, et moi toujours à plaindre ; Oui, Madame à vos pleurs, j'ai résisté longtemps ; Témoin de mes combats , jugez de mes tourmens. Faudra-t-il à jamais vous en taire la cause ? Ah ! Puisqu'à me punir tout ici se dispose, Mon coeur, quoique tremblant, vous dira sans détour Que Zaraès ne doit ses jours qu'à mon amour : Que si j'eusse aimé moins j'eusse eu moins de clémence : Que votre bonheur seul sera ma récompense : Qu'un époux s'en souvienne, et qu'il en foit jaloux, Vous rendre à ses désirs, c'est m'immoler pour vous. Après un tel bienfait, il doit craindre l'envie, Et cacher loin de moi le bonheur de sa vie. Qu'il s'éloigne, qu'il fuie, Iphis et mon secours... ## SCÈNE VI. Alzaïde, Aménophis, Ezire, Phérès. PHÉRÈS. Seigneur, de Zaraès on menace les jours ; Le peuple à qui Ménos de son fupplice avide Apprend qu'on doit sa vie aux larmes d'Alzaïde, Assiége sa retraite, et jure son trépas. AMÉNOPHIS. Quoi Ménos me trahit ? ALZAÏDE.         Ne m'abandonnez pas. AMÉNOPHIS. Vainqueur de Zaraès, j'évitai sa présence. Allons, il faut le voir pour prendre sa défense. ALZAÏDE. Ô Ciel ! Lance sur moi les traits de ton courroux : Seconde Aménophis, et sauve mon époux. # ACTE III. ## SCÈNE PREMIÈRE. Alzaïde, Ezire. ALZAÏDE. C'en est donc fait, ô Ciel à et Zaraès expire. Tu me suis, à tes soins je me dérobe, Ezire : J'entends autour de moi mille effroyables cris ; Qu'il meure, disaient-ils, périssons à ce prix. Je vole à son secours, à sa vie on attente : Je tombe entre leurs bras éperdue, expirante, Et je n'ouvre les yeux que pour voir mon malheur : Leur crime était commis, ils bravaient ma douleur. Le Roi n'a pu calmer cette horrible vengeance. EZIRE. Du moins il la punie, et c'est lui qu'elle offense. ALZAÏDE. Je veux quitter ces lieux objets de mon effroi. Chaque inftant que j'y reste eft un crime pour moi. Sans attendre des Dieux la haine ou la justice, J'expierai mon amour par le plus grand supplice, L'absence qui jamais ne saura me guérir, Me punira du moins, si je n'en puis mourir. Cours préparer ma fuite. ## SCÈNE II. ALZAÏDE, SEULE.         Ô Toi qui par ta flamme, Viens d'augmenter encor le trouble de mon Äme , Auteur de tous mes maux tu vas les ressentir , Et malgré ton ardeur tu me verras partir. Ma fuite l'éteindra : mon aspect la ranime, Elle fait mon tourment : l'exciter est un crime, M'en parler une injure, et l'entendre un danger. Mânes de Zaraès, je saurai vous venger : De tout ce que je puis envers toi je m'acquite. Tu meurs : le Roi te plaint : il m'aime, et je l'évite: Mais on vient... ## SCÈNE III. Alzaïde, Zaraès. ZARAÈS, À PART.         Alzaïde est seule, approchons-nous. ALZAÏDE. Ô Ciel !... C'est Zaraès... C'est lui... C'est mon époux. ZARAÈS. Ah ! Calmez ce transport que ma présence inspire : Madame, observez-vous, craignons tout, ou j'expire : Mais je puis, grâce au sort, un instant dans ces lieux , Vous parler sans témoins. ALZAÏDE.         Je vous revois ; ô Dieu ! ZARAÈS. Ô vous qui m'arrachez à mon destin perfide, Oui, vous me revoyez, généreuse Alzaïde. ALZAÏDE. Vous vivez. Ah ! Seigneur, par quel heureux secours, Respirez-vous encor ? À qui dois-je vos jours ? ZARAÈS. Madame, c'est Iphis, qui dans cette journée, De l'Egypte ressent la vengeance effrénée ; Compagnon de ma gloire, il partageait mes fers : Vous alliez terminer les maux que j'ai souffert : Le peuple des prisons voit sortir sa victime ; Tremblant à cet aspect, soudain il se ranime ; Iphis à ses regards se montre le premier ; Je le suivais : mes yeux ont vu sacrifier Ce héros qui s'offrait au trépas pour son maître : Sous leurs coups redoublés je l'ai vu disparaître : Et plus craint dans ces lieux que je n'y suis connu, Jusqu'à vous sans danger me voilà parvenu. Enfin à m'y servir désormais tout conspire ; On croit Zaraès mort, on croit qu'Iphis respire. Sous mon nom que toujours il voulut conserver. On l'immole aujourd'hui : le sien va me sauver : Le titre respecté de fujet de sa Reine , Assure ici mes jours, et cachera ma haine : Je n'ai point vu le Roi : j'évitai tous les yeux, Et mon destin n'est su que de vous et des Dieux. ALZAÏDE. Eh ! Pourquoi donc Seigneur, voulez-vous qu'on l'ignore ? ZARAÈS. Rien ne peut mieux voiler mes projets prêts d'éclore : Vous allez les savoir, dissipez votre effroi : Je vais être vengé : ne tremblez pas pour moi. ALZAÏDE. Que dites-vous; Seigneur ? ZARAÈS.         Que dès ce soir j'expire Ou que vous me verrez maître de cet Empire. La moitié de ma honte va rejaillir sur vous : Vous allez l'effacer en servant votre époux ; Voilà votre destin. Vous n'en avez point d'autre ; Femnme de Zaraès, son injure est la vôtre : Mon sort est en vos mains : je fonde mon espoir Plus sur votre amitié que sur votre devoir, Et seule vous avez toute ma confiance : Vous dire un mot de plus en cette circonstance ; Où mon coeur vous doit tant, serait vous offenser, Et me fier à vous, c'est vous récompenser. ALZAÏDE. De quels coups à la fois, mon âme est-elle atteinte : Considérez, Seigneur, les objets de ma crainte Avez-vous bien prévu les maux dont je frémis ? Eh ! Quel est votre espoir contre tant d'ennemis. ZARAÈS. Je vais bientôt calmer les frayeurs de votre âme : Vous ne tremblerez plus, quand vous saurez Madame, Par combien de ressorts aussi prompts que certains J'assure le succès de mes vastes desseins. Le Roi fier de mes maux, trop sûr de sa puissance, Colorant son mépris d'une fausse clémence, Étendit les liens de ma captivité ; Votre époux s'est fervi de cette liberté, Pour se rendre en ces lieux à son tour redoutable. J'y fomentai moi-même un parti formidable ; Méris, Phédos, Orus, sujets qu'il croit soumis , Sont devenus par moi ses plus grands ennemis, Et joints à mes guerriers, vont me livrer leur ville. Là sans cesse agissant, je paraissais tranquille. Tout est prêt, on l'ignore, et j'ai changé mon sort ; J'obtiendtai dès ce soir la couronne, ou la mort. Que m'importe des deux, pourvu que je me venge. ALZAÏDE. Vous vous vengez, de qui... Vous, Seigneur ! Ah ! Qu'entends-je ? Quel dessein ! On l'ignore... En vain vous l'espérez. Tous vos projets ici ne sont pas ignorés : Une lettre surprise, et par Arbas écrite, Fit connaître les coups que Zaraès médite. ZARAÈS. Elle n'apprit que ceux qu'il voulut dévoiler : C'est encor un fecret qu'il faut, vous révéler. ALZAÏDE. Quoi ! La lettre, Seigneur... ZARAÈS.         C'est moi qui l'ai fait rendre. Pour désarmer Memphis j'ai su tout entreprendre. Je voyais qu'aujourd'hui pour attaquer le Roi, Mes guerriers peu nombreux s'avançaient près de moi, Que de ses défenseurs cette ville était pleine, Qu'en les y combattant ma perte était certaine ; Ainsi je résolus de les en écarter ; C'est par un faux avis que je puis le tenter, C'est l'unique ressource ouverte à ma prudence, Qui peut rendre l'attaque égale à la défense, J'ai marqué que bientôt par les champs Syriens Mes Soldats s'approchaient pour attaquer les siens, Quand en effet laissant bien loin d'eux la Syrie Ils venaient à Memphis des champs de l'Arabie. On croit l'avis, on part : on résout mon trépas, Vous venez par mon ordre, et détournez leurs bras : Nous y fumes réduits... Mais enfin je respire. Libre je vous revois, inconnu je conspire. Contre nos ennemis j'ai déjà réussi, Ils vont vers la Syrie, et la guerre eft ici. ALZAÏDE. Je vois ainsi que vous leur perte inévitable : Mais songez que le Roi qui vous a cru coupable ; A toujours, quelqu'il fût, adouci votre sort : Et que dans ce jour même où vous jurez sa mort, Ami de ses sujets qu'opprimait votre haine, Il défendait vos jours, et brisait votre chaîne. ZARAÈS. [1] Qu'il aime ses sujets, mais qu'il me traite en Roi Que me font des vertus qui ne sont pas pour moi ? ALZAÏDE. Seigneur puisqu'avec vous ici d'intelligence Je dois aux yeux de tous servir votre vengeance Que surtout par les noeuds qui m'attachent à vous, Je partage la honte ou l'honneur de vos coups : Voyons de nos projets le crime, ou la justice : Que je sois votre épouse, et non votre complice. L'Univers nous contemple ; avant de nous venger, C'est lui, Seigneur, c'est lui qu'il faut interroger. Oui, consultons sa voix lorsque tout nous l'ordonne. Son estime est toujours pour celui qui pardonne : Pour l'autre désormais ne s'interessant plus, Quand ses maux sont finis, il lui veut des vertus ; Et contre un bienfaiteur que la vengeance opprime, La gloire est un opprobre, et le triomphe un crime. Qu'attendez-vous du Prince ? Il vous fera régner. Prévenu par ses dons, pourquoi les dédaigner ? Subjuguez votre coeur quand le sien se surmonte. Sans orgueil il les offre : acceptez-les sans honte. ZARAÈS. Que dites-vous, ô ciel ! Eh ! Ne savez-vous pas Mes droits, mon infortune, et tous ses attentats ? ALZAÏDE. Quoi, Seigneur ? ZARAÈS.         Que sa haine, et que son injustice En ce jour, ici même ordonna mon supplice. Sans cesse prétextant au mépris de mes droits Que j'ai dû le servir et ramper sous ses lois. Si mon père usurpa, je fus Roi légitime : Mes peuples m'ont élu : m'opprimer est un crime. Alzaïde, écoutez : j'excuse en vos discours L'Amour de la vertu, l'interêt de mes jours : Mais de fausses vertus vous ont préoccupée : Songez à mes affronts : vous serez détrompée : De votre âme jamais pourront-ils s'effacer ? Est-il besoin ici de vous les retracer ? Et ne devrai-je pas vous entendre me dire, Qu'il est honteux pour moi qu'Aménophis respire Vaincu, pris, avili, dans mille maux plongé, Quoi ! Je suis votre époux, et ne suis pas vengé ! Si je diffère encor, suis-je digne de l'être ? Je subis dans sa cour l'infâme sort d'un traître > Et mon bras lui prépare un glorieux trépas. Il m'a mis dans les fers : je ne l'en charge pas. Je vois même en ce jour désoler mon empire ; Le sien subsiste encor... oui, je vais le détruire. Que le superbe coeur qui m'a trop offenfé , De ce fer aujourd'hui soit mille fois percé ; Que vengeur des affronts qu'il a faits aux Monarques, De leur honte en son sein j'efface ici les marques. Dans ces lieux où j'ai su qu'il ordonna ma mort, Ah ! C'est-là que je veux qu'il termine son sort, Qu'il me voye en mourant maître de sa puissance, Contempler sa douleur, et goûter ma vengeance. Vous y serez présente... oui, vous-même verrez Son sang, sa mort, sa honte, et vous en jouirez. Vous frémissez, Madame. ALZAÏDE.         Oui, cette destinée Qui vous flatte aujourd'hui... ZARAÈS.         Peut être infortunée Sans doute : par le sort je puis être opprimé : C'est le moindre des maux dont je sois alarmé : J'en redoute un plus grand ; mon âme intimidée Ne peut, sans frissonner, en soutenir l'idée : C'est de penser qu'ici Zaraès outragé Peut mourir à vos yeux, et n'être point vengé. Sûr de votre courage et de votre prudence, Déposant en vos mains ma dernière espérance, J'attends de vous, Madame, un service important. Et vous ne devez pas balancer un instant ; Gardez ce fer, prenez : c'est moi qui vous l'ordonne. Sachez à quel dessein ma fureur vous le donne. Peur-être Aménophis m'abattra sous ses coups, Et sous lui vous verrez expirer votre époux ; Que du trépas du Roi ma perte soit suivie, Après que dans ces lieux j'aurai perdu la vie, On verra tous mes Chefs ou morts, ou dissipés > Vivez, restez ici, n'hésitez pas, frappez : Surtout en ce moment faites qu'il se souvienne, En lui donnant la mort, qu'il ordonna la mienne. ## SCÈNE I.. ALZAÏDE SEULE, LE POIGNARD À LA MAIN. Quel trouble me saisit... je frissonne d'horreur. Ô jour infortuné !... Trop injuste fureur ! J'immolerais qui... Dieux !... Ah ! Ma flamme infidèle Devient à mes efforts plus que jamais rebelle : Je lui resiste en vain. Tous mes sens sont émus. Je succombe à mes maux... Je ne me connais plus. ## SCÈNE V. Alzaïde, Aménophis, Phérès, Nisus, Suite. AMÉNOPHIS. J'ai vengé Zaraès, et mon cceur trop sensible Ne peut plus... Mais ô Ciel ! En quel état terrible... ALZAÏDE, SANS VOIR LE ROI. Que fais-je ? Mon devoir m'ordonne son trépas... Mon cher Aménophis... Non, tu ne mourras pas. AMÉNOPHIS, À PART. Que dit-elle ? ALZAÏDE, SANS VOIR LE ROI.         Avec toi j'eusse été trop heureuse : Tu périrais ! AMÉNOPHIS, EN S’APPROCHANT D’ELLE.         Calmez cette douleur affreuse. ALZAÏDE, APERCEVANT LE ROI, ET LAISSANT TOMBER LE POIGNARD. Dieux ! Que vois-je ?... AMÉNOPHIS.     Arrêtez... ALZAÏDE.         Dans le trouble où je suis, Le repentir, la suite, est tout ce que je puis. ## SCÈNE VI. Aménophis, Phérès, Nisus, Osiris, Gardes. AMÉNOPHIS. Qu'ai-je vu ?... Que penfer ? Quelle fuite soudaine ! Ce poignard était donc dans les mains de la Reine ? Et quel tranfport échappe à son coeur éperdu ; M'aimerait-elle ? Ô Dieux ! L'ai-je bien entendu ? NISUS. Iphis qui la quittait .... AMÉNOPHIS.         Iphis, lui ! Qu'on l'arrête. Dieux ! Osiris sort. NISUS.         Seigneur, je ne sais quel attentat s'apprête, Mais Zaraès n'est plus : pour se soumettre à vous. Son camp dans la Syrie attendra-t-il vos coups ? En vain pour la réduire aujourd'hui votre armée Part, et laisse Memphis ouverte et dééarmée. AMÉNOPHIS, AUX GARDES. Qu'elle reviennne : allez , rappellez mes soldats. Le Garde sort. Mais si je suis aimé, qui donc arma fon bras ? # ACTE IV. ## SCÈNE PREMIÈRE. ZARAÈS, SEUL. Par l'effroi de la Reine et par son imprudence, Je verrois donc encor reculer ma vengeance ! On m'arrête ! Faut-il qu'à ces maux réservé... Ô Ciel ! Mais dans ces lieux je puis être observé. Je serai découvert, un geste, un mot peut-être Trahira ma fureur, dont je suis peu le maître. Comment la retenir à l'aspect de ces lieux, Où déjà je devrais entrer victorieux ? J'y demeure captif. Cependant le temps presse, Et l'ennemi jouit du jour que je lui laisse. Par mes retardements tout reste suspendu. Une heure encor de plus, tout peut-être est perdu. Zaraés, ta vengeance est encore incertaine, Il me reste un espoir... Allons trouver la Reine : Elle doit réparer tous les maux qu'elle a faits. ## SCÈNE II. Aménophis, Phérès, Zaraès. PHÉRÈS. Oui, Seigneur, c'est Iphis surpris dans ce Palais. AMÉNOPHIS. Alzaïde est ici. Qu'on la fasse paraître. ZARAÈS, À PART. C'est le Roi : que craindrais-je ? Il ne peut me connaître. AMÉNOPHIS. À part. Que vais-je apprendre ?... Haut.         Iphis, approche, réponds moi. ZARAÈS, À PART. Que me veut-il ? AMÉNOPHIS.         Réponds sans feinte et sans effroi : Ce poignard que j'ai vu dans les mains d'Alzaïde, Qui l'en avait armée ? Était-ce toi, perfide ? Son implacable époux dont j'ai plains le trépas, Sans doute te chargea d'armer ici ton bras, D'exciter contre moi la plus cruelle haine, Et peut-être toi seul sus irriter ta Reine ; Tes conseils ont tout fait ? ZARAÈS.         Pouvez-vous concevoir Qu'elle en ait eu besoin pour suivre son devoir ? AMÉNOPHIS. Ainsi ta voix l'accuse ? ZARAÈS.         Elle lui rend sa gloire. AMÉNOPHIS. Je connais ses vertus. ZARAÈS.         Vous devez donc me croire. AMÉNOPHIS. Je ne le puis : un traître eut part à ses desseins, Ce fer à mon aspect échappe de ses mains, Prouve qu'à s'en servir d'autres l'avaient contrainte. ZARAÈS. Ne connaissez-vous pas une femme et sa crainte, Lorsque dans les projets qu'elle fut enfanter, Elle touche à l'inftant de les exécuter ? AMÉNOPHIS. Ressentir tant de haine, et la tenir cachée, Implorer mes bienfaits, en paraître touchée ? ZARAÈS. Elle a dû le paraître, en préparant ses coups. AMÉNOPHIS. Zaraès fut vengé de Ménos. ZARAÈS.     Non de vous. AMÉNOPHIS. De moi qui le sauvai. ZARAÈS.         Que ne puis-je moi-même Répeter les discours qu'en son malheur extrême Ce Roi vous adressait du fond de sa prison, Moins surpris de l'Arrêt qu'indigné du pardon, « Hé quoi ! Vous disait-il, tu me rends une vie, Par ce dernier outrage à jamais avilie ? Est-ce aux Rois qu'on pardonne ? Il fallait m'immoler, Et tu m'aurais fais grâce, en osant m'accabler. » AMÉNOPHIS. Son orgueil oubliait le pouvoir que me donne Un droit bien moins à moi qu'il n'est à ma Couronne. Son trône à mes États fût toujours asservi : Et si de son pardon son arrêt fut suivi, Je modérai des lois qui me faisaient son maître, Et même en le sauvant je méritai de l'être. ZARAÈS. Vous ?... Mais en vain ma bouche ici le défendrait ; Inutile pour lui, mon zèle me perdrait. AMÉNOPHIS. De ton erreur, Iphis, que je te désabuse : Quoi qu'injuste envers moi, ton zèle est ton excuse. Tout condamne ton Prince, et parle en ta faveur. Il eut donc un ami, jusqu'au sein du malheur ! J'aime à voir un sujet, dût-il m'être rebelle, À son Roi qui n'est plus ; rester encor fidèle. ZARAÈS. He bien, qu'attendez-vous ? Disposez donc de moi. AMÉNOPHIS. Je dois en disposer pour connaître ta foi. Du crime, dont ta bouche ose accuser ta Reine, Son aveu seul peut-être une preuve certaine. Condamné pour ce jour à souffrir mes bienfaits, Tu ne sortiras point : demeure en ce Palais, ZARAÈS, À PART. Ciel ! AMÉNOPHIS.         Ma sûreté même, et peut-être la tienne, Exigent qu'en ces lieux mon ordre te retienne. ZARAÈS. Du moins souffrez qu'Iphis cédant à son devoir ; Puisse revoir sa Reine. AMÉNOPHIS.         Oui, tu peux la revoir : Ressens déjà mes dons, jouis de sa présence, Tu seras satisfait. Je la vois qui s'avance. ## SCÈNE III. Alzaïde, Aménophis, Zaraès, Ezire. AMÉNOPHIS, À ALZAÏDE QUI MONTRE DE L’EFFROI. Ah ! Ne redoutez rien. Vous détestez ces lieux, Vous voulez les quitter, tout y blesse vos yeux. Je n'en murmure point, votre intérêt l'ordonne : L'Arabie est à moi ; partez, je vous la donne : Revoyez des Sujets plus fortunés que nous. Quel que soit ce bienfait, je n'attends rien de vous : Et ce jour malheureux a déjà su m'apprendre, Après tant d'autres dons, quel prix j'en dois attendre. ALZAÏDE. Par générosité vous m'offrez des États, Que sans vous pressentir, je n'accepterai pas. Seigneur, de votre main, dois-je ici les reprendre ? À mon époux vivant eût-elle su les rendre ? Ah ! Parlez. AMÉNOPHIS.         Oui, Madame, et qui peut en douter ? Sur le trône avec vous je l'aurais fait monter. Heureux qu'il eût voulu, moins jaloux de sa gloire Dans mes embrassements oublier ma victoire. On plaint trop aisément l'ennemi qui n'est plus, Je le plaignis vivant. ALZAÏDE.         Avec tant de vertus, Ainsi de ce héros vous oubliez la haine : Et même dans ce jour votre bouche avec peine Ordonna son trépas. AMÉNOPHIS.         Je prévenais ses coups. ALZAÏDE. Vous sûtes l'épargner. AMÉNOPHIS.         J'épargnais votre époux. Mais que me dites-vous ? Vous devez me connaître. S'il en faut croire Iphis, vous verrez que son maître Artisan de ses maux, et source de vos pleurs , Eût toujours à mes dons opposé ses fureurs. ALZAÏDE. Détrompez-vous, Seigneur. Oui, ma reconnaissance Eût osé tout tenter pour calmer sa vengeance. Que ne le puis-je encor si dans l'instant les Dieux, Devant vous-même ici le rendaient à mes voeux ! Je lui dirais qu'il doit chérir votre clémence, Que son amitié seule est votre récompense, Qu'en vain il s'est rangé parmi vos ennemis, Qu'il ne le sera plus, que mon coeur l'a promis : Que j'enchaînai son bras par un serment terrible Qu'on ne croirait sans foi, s'il était inflexible ; Et qu'enfin respectant de si sacrés liens Il m'accorda vos jours quand je vous dois les siens. Après tant de motifs, Prince, pourriez-vous croire Que Zaraès sans cesse animé par la gloire, Aux trop justes douleurs de mon coeur éperdu, Touché de vos bienfaits, ne se fût pas rendu. Sortez, Seigneur, sortez d'un doute si funeste : Il eût tout oublié : que votre voix l'arrête, Iphis, vous le savez, pourriez-vous hésiter ? ZARAÈS. Sans doute que mon maître eut pu vous écouter. Comme Iphis, je ne puis qu'applaudir à ma Reine : Si j'étais Zaraés, vous verrais-je sans peine, Éteindre tout à coup votre ressentiment ? Après votre projet un si prompt changement Ne m'aurait su causer qu'une surprise extrême. Vous devez étonner jusques au Roi lui-même, Qui déjà sait par moi qu'aujourd'hui votre bras, Pour venger votre époux, préparait son trépas. AMÉNOPHIS. Dans mon sang Alzaïde eut pu le satisfaire ? Je devais expirer par une main si chère ? Elle m'ôtait des jours que tout lui destinait ? Je les perdrais pour elle, elle m'assassinait ? ZARAÈS, À PART. Qu'entends-je ? AMÉNOPHIS.         Votre bras, dans ce coeur qui vous aime... Mais quel nouvel effroi !... ALZAÏDE.         Ma douleur est extrême. Oui, croyez que ma haine a tout fait contre vous, Punissez-moi, Seigneur, respectez mon époux ; N'accablez point Iphis, trop malheureux peut-être... Ciel ! Iphis... ZARAÈS.         Reine, enfin je commence à connaître Les sublimes vertus d'un Roi si généreux : Mais qu'il soit donc toujours l'appui des malheureux. La Reine va partir, elle connaît mon zèle C'est moi qu'elle a choisi pour son guide fidèle. D'adoucir mes revers son coeur s'était flatté. Elle veut vous devoir... AMÉNOPHIS.     Quoi donc ? ZARAÈS.         Ma liberté. AMÉNOPHIS. Puisqu'on te justifie, elle t'est accordée. ALZAÏDE. Par vous dans mes États je veux être guidée. Mais suivez-moi. ZARAÈS.         Ravi de vous y ramener, Pour le plus prompt départ, je vais tout ordonner. ## SCÈNE IV. Aménophis, Alzaïde, Ezire. AMÉNOPHIS. Je vous aime, et pour moi vous devenez barbare. Ah ! Quel destin cruel sans cesse nous sépare : Zaraés ne vit plus, faible rayon d'espoir, Qui disparaît sitôt que je puis l'entrevoir : Votre fureur l'éteint, me poursuit et m'accable. Hé bien, terminez donc un sort si déplorable ? Après tant de tourments arrachez-moi le jour, Et déchirez un coeur que brûle tant d'amour. Oui, frappez... Mais je vois renaître vos alarmes ! Malgré tous vos efforts, je vois couler vos larmes ! Hélas ! Vous frémissez, vos timides regards, En évitant les miens, errent de toutes parts. Que craignez-vous encore ? À quoi dois-je m'attendre ! ## SCÈNE V. Nisus, Aménophis, Alzaïde, Ezire. AMÉNOPHIS. Ah ! Nisus, laissez-moi... NISUS.         Seigneur, daignez m'entendre. Des soldats étrangers parmi nous répandus, Ont fait fuir loin d'Iphis les nôtres éperdus ; Ce traître a disparu. AMÉNOPHIS.         Que pouvez-vous répondre, Madame, à tant d'horreurs ? ALZAÏDE.         Tout sert à me confondre. Prince, chaque moment ajoute à mon malheur ; Mais je dois en cachant ma honte et ma douleur, Et sans oser gémir d'un destin si contraire, Condamner votre amour, suivre Iphis, et me taire. Elle sort. AMÉNOPHIS. Expliquez-moi, grands Dieux, le trouble où je la vois : Malgré tous ses complots elle a tremblé pour moi. Son devoir seul l'entraîne au crime qui s'apprête ; J'aurais fléchi son coeur... Mais quel espoir m'arrête ! Nisus gardez la Reine, il faut tout prévenir. Oui ; courrons les combattre, ou plutôt les punir ; La justice contre eux me guide avec la gloire. Que dans leur châtiment je trouve une victoire. # ACTE V. ## SCÈNE PREMIÈRE. ALZAÏDE, SEULE. On me garde en ces lieux. Quel triste évenement, D'Ezire que j'attends, retient l'empressement ! Auprès de Zaraés n'a-t-elle pu se rendre ? Daignera-t-il encor me parler et m'entendre ? Je lui pardonne ; ô Ciel ! D'avoir pu m'accuser Du crime auquel mon bras osa se refuser. L'aspect d'Aménophis avait troublé mon âme Il connaît donc mon coeur, et Zaraés fa flamme. Qui sait, si lui vantant ce héros qu'il poursuit, De la mienne en ce jour je ne l'ai pas instruit ? S'il était vrai, grands Dieux ! Que je serais à plaindre ! Que dis-je ? En ce moment, j'ai plus encore à craindre : Peut-être qu'aujourd'hui j'ai trahi mon époux, Il tombe, ou son rival expire sous ses coups. Ah ! De quelque côté que le sort fe déclare, Quelque vainqueur qu'il fasse, il mêle rend barbare. Il me prépare un crime, ou me perce le coeur : Et je meurs de remords autant que de douleur. On vient. Que vais-je apprendre ? ## SCÈNE II. Alzaïde, Ezire. ALZAÏDE.         Ah, c'est toi, chère Ezire ? Ciel ! Quel trouble t'agite ? Et que viens-tu me dire ? Qu'as-tu fait ? Puis-je encor conserver quelque espoir ? Iphis t'a-t-il parlé ? Voudra-t-il me revoir ? EZIRE. Je l'ai vu, dans ces lieux, rempli de sa vengeance, Impatient de vaincre, il a fuit ma présence. Il revient, il s'avance : et déjà dans Memphis, Sous les murs du Palais, combat Aménophis. Je n'ai pu parvenir jusques à vous, Madame, Que guidée à travers le carnage et la flamme ; Il a porté partout la mort et la terreur, Et dans ce moment même, est peut-être vainqueur ; Prêt d'en être accablé, le Roi le presse encore. ALZAÏDE. Hélas ! Mais parle-moi de mes maux que j'ignore. Que t'a pu dire Iphis ? EZIRE.         Qu'attendez-vous de lui ? Trop peu digne des soins qu'il vous coûte aujourd'hui, Et du tendre intérêt qu'il semble qu'Alzaïde Prenne encore au destin de ce guerrier perfide, Il n'est digne en effet que de votre courroux ; Vous espériez en vain qu'il suspendrait ses coups. Son aveugle fureur ne m'a point écoutée, Et contre lui mon âme est encore irritée. ALZAÏDE. Il t'a parlé, sans doute ? EZIRE.         À mes empressements Iphis a répondu par des frémissements, S'est armé contre moi d'un silence farouche. À peine votre nom est sorti de ma bouche, Que muette à mon tour je l'ai vu s'indigner, Pâlir même de rage, et d'horreur frissonner. ALZAÏDE. Il frémit à mon nom ! Ô disgrâce imprévue ! Ma honte à Zaraés est sans doute connue. Des plus vives douleurs mon coeur est pénétré. Zaraès que l'Amour n'a jamais inspiré, Éprouve donc par moi les effets de sa rage. Il le connoît enfin, et c'est par un outrage. Qu'ai-je fait ? Faudra-t-il recevoir d'un époux Terrible avec mépris, et sans amour jaloux, Des reproches cruels, plus accablants peut-être Que toutes les fureurs que l'amour eût fait naître ? Évitons sa présfence, Ezire, allons chercher Des climats, dont jamais il ne puisse approcher. Mais je ne puis sortir de ces lieux que j'abhorre. Il s'en empare ! EZIRE.         Hélas ! Qui vous agite encore ? Vous parlez d'un époux... ALZAÏDE.         Ô jour rempli d'horreur ! Tu mets enfin le comble aux tourments de mon coeur. C'en est fait, et le Roi... Déguisons mes alarmes, Étouffons mes sanglots, et dévorons mes larmes. De quelle idée, ô Ciel ! Me laissai-je frapper ? Est-ce là maintenant ce qui doit m'occuper ? Zaraès va paraître : il fait que je l'outrage. Il aura donc sur moi ce cruel avantage, Et je n'expire pas de remords et d'horreur ! J'ose oublier ma honte, et braver sa fureur ? Quel bruit se fait entendre ? Et quel revers s'apprête ? Mon sang glacé d'effroi dans mes veines s'arrête. ## SCÈNE III. Aménophis, Alzaïde, Ezire, Oziris, Suite. AMÉNOPHIS, À SA SUITE. Qu'on épargne leur sang, nous les avons soumis. Méritons la victoire aux yeux des ennemis. Madame, j'ai vaincu : je triomphe d'un traître, D'Iphis dont la fureur m'eût accablé peut-être, Si je n'eusse tantôt, rappelant mes soldats, Prévenu des forfaits que vous n'ignoriez pas. ALZAÏDE. Quoi ! Vous l'avez vaincu ? Vous venez m'en instruire. Hélas ! En ce moment peut-être qu'il expire ? AMÉNOPHIS. Madame, son danger excite votre effroi ? ALZAÏDE. Ah ! Qu'est-il devenu, Seigneur ? Répondez-moi. AMÉNOPHIS. Quel intérêt si grand prenez-vous à sa vie, Quand la mienne par lui m'allait être ravie ? Hé quoi, c'était donc vous qui conduirez son bras, Quel mystère odieux que je ne conçois pas ! Quel mélange inouï de tendresse et de haine ! L'espoir que j'ai conçu redouble encor ma peine. J'ai pu me croire aimé... ALZAÏDE.         Que dites-vous, Seigneur ? Mais de mon infortune apprenez-moi l'horreur : Si le vaincu respire elle est moins déplorable : Peut-être que s'il meurt, Alzaïde est coupable. Le Ciel doit l'en punir aux yeux d'Aménophis. Daignez donc m'éclairer sur le destin d'Iphis ? Parlez. AMÉNOPHIS.         Oui, chaque instant augmente ma surprise, Quel est donc cet Iphis, vos voeux, son entreprise ? Quels secrets cachez-vous ? Que voulez-vous savoir ? Hé bien, apprenez donc que perdant tout espoir De m'arracher le jour, l'Empire et la victoire, Ce traître qu'animait le crime, et non la gloire, Après s'être vingt fois à mes coups échappé, S'est jeté dans nos rangs qui l'ont enveloppé. Sûr que sa trahison sera bientôt punie, Il cherche le trépas pour suir l'ignominie ; Mais il l'espère en vain, mes ordres sont donnés ; À finir sans honneur, ses jours sont condamnés. Il mérita la mort en poursuivant ma vie, Du plus prompt châtiment son audace suivie, Va de tant de forfaits commis en un seul jour... ALZAÏDE. Qu'allez-vous faire ? Ô Ciel ! AMÉNOPHIS.         Me venger à mon tour ; Et servant ma colère autant que la justice, Du perfide à l'instant j'ordonne le supplice. ALZAÏDE. Sachez donc... mais Seigneur, avant de vous parler, Que j'obtienne de vous qu'on ne puisse immoler... AMÉNOPHIS. Ce rebelle ? ALZAÏDE.         Celui dont le malheur m'accable. AMÉNOPHIS. Puis-je vous écouter ? Iphis est trop coupable. ALZAÏDE. Ah ! ce n'est point Iphis... ## SCÈNE IV. Zaraès, Aménophis, Alzaïde, Ezire, Osiris, Suite, Gardes. ZARAÈS, SOUTENU PAR LES GARDES.         Ô Reine, levez- vous , Vous demandez mes jours, je ne crains plus ses coups. ALZAÏDE, À PART. Mon époux expirant... ZARAÈS, AU ROI.         Il n'est plus temps de feindre, Connais tout ton bonheur, tu n'as plus rien craindre, Vois Zaraés mourant. AMÉNOPHIS.     Zaraès. ZARAÈS.         Oui c'est moi. Je n'ai pu me venger : je puis mourir en Roi. Ah ! S'il est quelque trait dont ma gloire gémisse, C'est d'avoir pour te perdre employé l'artifice. Réduit à te tromper je voulais t'en punir. Ta perte était certaine, on m'a su prévenir. Si l'on ne m'eût trahi tu cesserais de vivre. À Alzaïde. C'est vous dont la fureur à mes tyrans me livre, Madame, oui de ce fer échappé de vos mains L'événement funeste a rompu mes desseins. ALZAÏDE. Dieux ! ZARAÈS.         Du péril du Roi par ce coup prévenues Ses troupes qui partaient à l'instant revenues, Accablent mes guerriers, et nous immolent tous ; Par vous ils sont vaincus, et j'expire par vous. Votre coeur en frémit. Il ne faut pas qu'il craigne Qu'en ce moment le mien avec fureur le plaigne De la source des maux qui causent mon trépas... Ce faible châtiment ne vous suffirait pas. Je vous connais assez pour vous rendre justice. Je mourrai devant vous : voilà votre supplice. ALZAÏDE. Quoiqu'il soit effroyable, un plus cruel m'est dû. Tu connais mes forfaits ; connais donc ma vertu. Elle se frappe. AMÉNOPHIS. Quel coup affreux ! Ô ciel ! ZARAÈS.         Moi-même je l'admire ! Elle meurt à tes yeux : je suis vengé, j'expire. ------- [1] Zaraès a la même exigence que Porus vaincu par Alexandre dans "Alexandre le Grand" de Jean Racine.