--- identifier: ouville_damesuivante creator: Ouville, Antoine d' ; Georges Forestier. date: 1643 title: La Dame suivante. Comédie --- La Dame suivante Comédie A PARIS, Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, sous la montée de la Cour des Aydes. M. DC. XXXXV. AVEC PRIVILEGE DU ROY. Édition critique établie par Fabienne Sebert dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (1999-2000). # Introduction. *La Dame suivante*, comédie d'Antoine Le Métel, sieur d'Ouville, est créée en 1643, à une période où le genre même de la comédie commence à renaître grâce à la vogue de la comédie espagnole. En effet, pendant les trente premières années du dix-septième siècle, ce genre de pièce est complètement abandonné et le nombre de comédies nouvelles est infime. La farce est alors le seul genre comique subsistant. On trouve cependant certains éléments de comique dans la pastorale et la tragi-comédie, qui contiennent des scènes comiques originales qui ne correspondent ni à la tradition antique latine, ni à la tradition italienne. Des auteurs comme Corneille, dans sa première comédie, *Mélite* (1629) ou *La Place Royale* (1634), ou encore Mairet, dans *Les Galanteries du duc d'Ossone* (1636), essaient de rassembler ces éléments comiques pour créer un nouveau genre de comédie : la comédie de mœurs. Malheureusement, ces œuvres n'eurent pas un très grand succès auprès du public, trop habitué aux comédies plautiniennes et italiennes, aux soldats fanfarons, aux vieillards amoureux et aux *imbroglios*. Le genre de la comédie reste donc prisonnier de la tradition jusqu'à l'arrivée de la comédie de type espagnol un peu avant 1640. Antoine Adam écrit : « C'est à d'Ouville que revint le mérite de ce renouvellement [1] ». Il crée alors une vogue : « Sur vingt comédies créées entre 1640 et 1648, il y en a dix qui sont des traductions ou des imitations de l'espagnol ». Ces comédies de type espagnol présentent toutes un thème romanesque : elles mettent en scène des galants honnêtes, des jeunes filles passionnées et audacieuses, qui sont voilées et se déguisent, des rendez-vous de nuit, des servantes qui portent des billets doux, etc. Le climat romanesque y occupe une place très importante. Ce sont des comédies sentimentales, dans lesquelles le thème du jeu entre l'être et le paraître est dominant : les nombreux déguisements utilisés dans ces pièces font en sorte que les personnages et les spectateurs ne savent plus qui est qui. Ils génèrent la confusion dans tous les esprits. Le seul but de ce genre de comédies est alors de plaire, de distraire, d'amuser le public. Le comique y est assuré par le personnage du valet bouffon, grossier, lâche, gourmand, peureux et terre à terre, appelé *gracioso*. Cette comédie nouvelle et « exotique » eut un succès non négligeable. *La Dame suivante* eut elle aussi du succès, puisqu'alors qu'elle a été créée en 1643 à l'Hôtel de Bourgogne, elle figure encore à son répertoire en 1646-47 [2]. # L'auteur. Les documents pouvant nous instruire sur la vie d'Antoine Le Métel, sieur d'Ouville, sont rares et contradictoires. Ainsi, toute biographie ne peut être qu'imprécise. Les dates de sa naissance et de sa mort sont incertaines. Selon la plupart des historiens, il serait né vers 1590 à Caen. Cependant, James Wilson Coke [3] précise que le lieu et la date de la naissance d'Ouville ne sont attestés nulle part et considère que d'Ouville serait plutôt né en 1589, voire en 1587, à Rouen. Quoi qu'il en soit, d'Ouville était le fils d'un procureur de la cour des Aydes de Rouen [4] et le frère aîné de François Le Métel de Boisrobert, confident de Richelieu et membre de l'Académie française. Il était géographe, hydrographe et ingénieur. Tallemant des Réaux écrit de lui : « Il sçavoit la géographie le plus exactement du monde, et avoit une memoire prodigieuse [5] ». Vers 1622, il devint « ingénieur et géographe du Roy », et toucha pour cela une pension. La littérature était donc pour lui un loisir. Il s'appliquait depuis 1616 environ à l'étude des langues étrangères, et en particulier de l'espagnole, « qui lui était aussi naturelle que la française [6] ». Son frère a dit de lui qu'il était « l'homme de toute la France qui parloit le mieux Espagnol [7] ». En effet, il demeura sept ans en Espagne, vraisemblablement de 1615 à 1622 [8], alors qu'il était au service de Louis Foucault, Comte du Dognon, gouverneur de Brouage. Il se maria en Espagne. Il connaissait bien les auteurs dramatiques espagnols de la génération précédente, Lope de Vega et Tirso de Molina et après avoir abordé le théatre avec une tragédie de source inconnue en 1637, *Les Trahisons d'Arbiran*, il écrivit coup sur coup cinq comédies : en 1638 ou 1639, est créée *L'Esprit folet*, comédie adaptée de *La Dama Duende* de Calderón. Puis il donna *Les Fausses Veritez* (1643), adaptée de *Casa con dos puertas mala es de guardar* de Calderón, *L'absent chez soi* (1643), adaptée de* El ausente en el lugar* de Lope de Vega, *La Dame suivante* (1645), adaptée de *La Doncella de Labor* de Juan Perez de Montalván, et enfin *Jodelet astrologue* (1646), adaptée de* El astrologuo fingido* de Calderón. Il vécut également quatorze ans en Italie, à Rome, ce qui se ressent dans son œuvre. En effet, il a écrit une comédie italienne, *Aimer sans sçavoir qui* (1646), comédie qui imite l'*Hortensio* de Piccolomini, et une tragi-comédie, *Les Morts vivants* (1646), qui vient des *Morti vivi* de Sforza d'Oddi. Sa dernière pièce, *Les Soupçons sur les apparences* (1650), est une héroïco-comédie sans modèle connu. Outre ces pièces de théâtre, d'Ouville a publié des *Contes aux heures perdues* en 1644. Au dix-huitième siècle, les frères Parfaict écriront d'ailleurs : « Antoine le Métel, Sieur d'Ouville, frere de l'Abbé de Boisrobert, est plus connu dans le monde par un Receuil de contes qui porte son nom, que par ses Ouvrages Dramatiques [9] ». Il a également traduit en 1655 les *Nouvelles* de Doña Maria de Zayas y Sotomayor et *La Fouine de Séville ou l'hameçon des bourses* de Don Alonso Castillo de Solórzano, publié en 1661 après sa mort par son frère Boisrobert. Même s'il a été un personnage important dans l'introduction de la mode de la comédie espagnole en France, Antoine Le Métel d'Ouville semble avoir toujours été un auteur mineur. Ainsi, Tallemant des Réaux rapporte en particulier une anecdote mettant en valeur sa mauvaise réputation : Boisrobert, quelques années après, eut un grand desmeslé avec M. de la Vrilliere, secrétaire d'Estat. Il avoit osté de dessus l'estat des pensions un frere de Boisrobert, nommé d'Ouville, qui y estoit comme ingénieur. Boisrobert le fit prier par tout le monde de l'y remettre ; ses amis lui dirent : « Nous l'avons un peu esbranslé, voyez-le. » Boisrobert y va : il le reçoit par une *Mordieu*. « Mordieu ! Monsieur, » luy dit-il, « vous vous passeriez bien de me faire accabler par tout le monde pour vostre frere, pour un homme de nul merite. » Boisrobert, en contant cela, disoit : « Je le sçavois bien, il n'avoit que faire de me le dire ; je n'allois pas là pour l'apprendre [10] ». De plus, au dix-septième siècle, les grands auteurs dramatiques sont ceux qui écrivent des tragédies, et d'Ouville, mis à part sa tragédie *Les Trahisons d'Arbiran*, ne s'est guère préoccupé que de comédies. Le peu de notoriété d'Ouville est alors dû au genre même de la comédie, qui est un genre minoré au dix-septième siècle. Lui même ne s'est jamais surestimé : par exemple, lorsque sa première comédie, *L'Esprit folet* fut rééditée, il ne prit pas la peine, comme les grands auteurs, notamment Corneille, de modifier sa pièce ou d'effectuer des corrections. Il savait donc parfaitement que son œuvre n'était pas vouée à la postérité. Ensuite, le simple fait que la littérature soit pour lui un divertissement a pu lui être préjudiciable. Les frères Parfaict semblent d'ailleurs reprocher à d'Ouville son manque de connaissances des affaires du théâtre. Ils écrivent, à propos de sa comédie *La Coifeuse à la mode* : « Cette Comédie peut avoir eu quelque succès, mais elle en auroit eu d'avantage, si cette idée avoit été exécutée par un Poëte qui eût mieux connu le Théatre que Monsieur d'Ouville [11] ». Enfin et surtout, d'Ouville est avant tout un adaptateur de pièces espagnoles, ce qui a deux conséquences assez regrettables : d'une part, il est considéré davantage comme un « copieur » que comme un véritable créateur. D'Ouville reste en effet la plupart du temps très fidèle aux originaux dont il s'inspire et, comme nous le verrons, l'adaptation qu'il en fait au goût français rend parfois ces pièces plus sèches qu'elles ne l'étaient. Les frères Parfaict écrivent à ce propos : « Monsieur d'Ouville … trouvoit les plans de ses Poëmes tous faits dans les Auteurs Espagnols ou Italiens, et … il n'avoit d'autre peine que de les traduire, et souvent de les défigurer en voulant les rendre à sa manière. » D'autre part, le genre même de la comédie espagnole est très éloigné du goût français classique, puisque son seul but est de plaire au public : les auteurs dramatiques espagnols étaient peu soucieux des convenances françaises, telles que la règle des trois unités de temps, de lieu et d'action, ou encore le respect d'une certaine moralité, convenances qui sont de rigueur dans les années 1640. Cela est sans doute une des raisons qui ont fait de ce type de comédie une mode éphémère et de Le Métel d'Ouville un auteur minoré puis oublié. Cependant, il aura eu le mérite de diffuser en France des pièces qui, sans lui, seraient restées inconnues du public français, et ses adaptations ne manquent pas d'originalité, puisque d'Ouville sait souvent être inventif. # Modèles espagnols et français. Pour écrire *La Dame suivante*, d'Ouville s'est inspiré d'une comédie espagnole de Juan Perez de Montalván : *La Doncella de labor*. Cette pièce met en scène tous les efforts faits par une jeune fille, Doña Isabel, pour conquérir Don Diego qui est déjà l'amant de Doña Elvira. Mais au lieu de procéder à une conquête franche face à celui qu'elle aime, elle se déguise et, sous l'apparence d'une servante, parvient à séparer Don Diego de Doña Elvira et à faire en sorte que ce dernier tombe amoureux d'une Belle invisible qui n'est autre qu'elle-même. Au commencement de la pièce, Doña Elvira et Don Diego sont amants depuis longtemps. Une jeune fille, Doña Isabel, s'est éprise de Don Diego et cherche à les brouiller lui et Doña Elvira. Elle s'introduit chez lui, masquée, en se faisant passer pour une femme poursuivie par son mari jaloux. Don Diego l'accueille avec générosité avant d'aller rejoindre Doña Elvira au Prado, où ils évoquent l'histoire de leur amour en faisant une promenade. À son retour, Doña Isabel s'apprête à rentrer chez elle lorsqu'entre Don César, ami de Don Diego et amoureux de Doña Isabel, suivi de Doña Elvira. Don Diego les empêche d'entrer dans le cabinet où s'est cachée Doña Isabel, sous un faux prétexte. Doña Isabel sort alors du cabinet et se fait passer pour la rivale de Doña Elvira. La situation est inextricable pour le pauvre Don Diego : Doña Elvira se croit trahie et rentre chez elle, furieuse. Le lendemain matin (c'est-à-dire au début de la deuxième journée), Don Diego et Doña Elvira se sont réconciliés. Doña Isabel, pour arriver à les séparer, utilise alors un nouveau stratagème : elle se fait engager comme suivante par Doña Elvira, après avoir répandu le bruit auprès de ses amis, et surtout auprès de Don César, qu'elle est partie en voyage à Guadalupe. Son nouveau nom est « Dorotea ». Doña Elvira est enchantée par cette belle « Dorotea », ainsi que Monzon, le valet de Don Diego, qui lui fait la cour et lui propose de se marier, comme leurs maîtres respectifs ont décidé de le faire. Pendant ce temps, Don César se lamente de son sort devant le logis de Don Diego, attendant le retour de celui-ci. À ce moment, il voit Inés, la suivante de Doña Isabel, entrer chez Don Diego par ordre de sa maîtresse, vêtue des habits de celle-ci et portant une coiffe et un masque. Il ne la reconnaît pas, persuadé qu'elle est à Guadalupe avec Doña Isabel. Doña Elvira et « Dorotea » invitées par Don Diego, arrivent à son domicile et, au moment où ils veulent tous entrer dans le cabinet, Inés en sort, accusant Don Diego de l'avoir fait attendre. Doña Elvira, à nouveau trahie, quitte définitivement Don Diego. Inés s'en va rapidement pour ne pas se faire reconnaître, mais elle est rattrapée par Monzon, le valet de Don Diego, qui est aussi l'amoureux de Inés ; elle lui dévoile son identité pour qu'il la laisse partir. « Dorotea » feint alors de partir à la recherche de l'inconnue, curieuse de découvrir qui elle est.. Après le départ de Doña Elvira, elle revient chez Don Diego et lui explique qu'elle a vu une grande et belle Dame, entourée d'un magnifique équipage, qui lui a avoué sa passion pour Don Diego. Ce dernier est touché par ce récit élogieux. Monzon, qui connaît la vérité, soupçonne « Dorotea » de vouloir jouer un tour à son maître et en informe Don Diego. C'est ainsi qu'au début de la troisième journée, Inés, convoquée par Monzon, avoue une partie de la vérité à Don Diego, dans un récit qui concorde parfaitement avec celui de « Dorotea ». Cette dernière entre ensuite chez Don Diego, en lui faisant croire que Doña Elvira a décidé de se marier avec un autre cavalier. La dernière solution qui se présente à Don Diego est alors d'épouser la belle inconnue. De son côté, Doña Elvira est choquée de la réaction de Don Diego qui veut épouser une inconnue, mais elle avoue à « Dorotea » qu'elle est disposée à céder Don Diego à cette dame si celle-ci l'aime vraiment. Ainsi, elle demande l'adresse de cette Dame à « Dorotea » et lui ordonne de rester à la maison pendant le temps de sa visite. Doña Elvira a une discussion avec la Belle inconnue (dont le nom est Doña Inés) qui lui explique que sa relation avec Don Diego dure depuis de nombreuses années, qu'elle l'aime profondément même s'il est inconstant, et qu'ils ont trois enfants. Doña Elvira la remercie de ces renseignements et se promet de ne plus jamais revoir Don Diego. « Doña Inés » reçoit ensuite Don Diego et Monzon, mais, comme elle doit rentrer au logis de Doña Elvira avant le retour de celle-ci, elle les cache rapidement dans son cabinet, prétextant l'arrivée de son frère qui ne doit pas s'apercevoir d'une telle visite. « Doña Inés » change alors d'habits et rentre au logis de Doña Elvira. À ce moment arrivent Don César, Don Diego et Monzon qui veulent éclaircir la situation, étonnés de la ressemblance entre « Doña Inés » et « Dorotea ». Doña Elvira refuse de parler à Don Diego, un homme qui a eu trois enfants avec une autre femme. Don Diego est très étonné de ce discours mais avoue à « Dorotea » qu'il aime « Doña Inés », malgré ses mensonges. « Dorotea » dévoile la vérité et décline sa véritable identité. Don Diego et Doña Isabel se marient avec le consentement de Don César. *La Dame suivante* garde les caractéristiques et le canevas de la pièce espagnole. Les quatre premiers actes restent très fidèles à l'original et équivalent pratiquement à une traduction : le premier acte est la traduction de la première journée ; d'Ouville a segmenté la deuxième journée en deux parties égales qui forment les actes II et III ; enfin, le quatrième acte correspond à la premiére moitié de la troisième journée. En revanche, tout le cinquième acte est original : alors que Doña Elvira est prête à céder Don Diego à la Belle inconnue chez Montalván, nous apprenons à la fin du quatrième acte de la pièce d'Ouville que Léonor est certes décidée à épouser Adraste et donc à abandonner Climante, mais pas avant de s'être vengée de celui-ci. L'acte IV se termine sans que nous en sachions davantage. À l'acte V, « Dorotée » a arrangé un rendez-vous entre Climante et la belle inconnue. Ils doivent se rencontrer le soir même sur la Place Royale. Léonor est persuadée qu'elle va ainsi se venger de Climante, car c'est « Dorotée » qui, déguisée en grande Dame, va rencontrer celui-ci : il épousera donc une suivante à la place de Léonor et sera puni de son inconstance. Sur la Place Royale, Climante et Isabelle se rencontrent ; il la demande en mariage, bien que frappé de sa ressemblance avec « Dorotée ». Elle lui donne sa main et ils vont tous deux aux fiançailles de Léonor et d'Adraste. Léonor se réjouit de voir que sa vengeance a abouti mais, très vite, Isabelle dévoile toute la vérité. Léonor lui pardonne et épouse Adraste. La pièce se termine par la célébration d'un double mariage. La vengeance de Léonor et toute la variation sur le thème du « trompeur-trompé » entraînent des situations comiques originales, qui étaient absentes de la pièce espagnole. Outre cette transformation de la fin de la pièce, d'Ouville se détache constamment de son modèle pour l'adapter au goût français : il transporte tout d'abord la scène de Madrid à Paris, et le rendez-vous entre Climante et la Belle invisible a lieu sur la Place Royale alors que Diego conversait avec Elvira au Prado. Une allusion est faite au cabaret de l'Echarpe blanche, certainement connu à l'époque d'Ouville. Isabelle est originaire de Lyon, alors qu'Isabel venait de Plasencia. Le nom des personnages est francisé : Diego devient Climante, Elvira est Léonor et Isabel s'orthographie à la française. D'Ouville fait également référence à des réalités contemporaines ; lorsque Carlin répond à Isabelle : Leonor va disner au logis de mon Maistre, Qui luy fait dans sa chambre orner une fenestre, Pour voir passer le Roy, qui couvert de Lauriers Revient accompagé de mille Cavaliers, Pour rendre grace au Ciel comblé d'heur et de gloire D'avoir sur l'Espagnol emporté la Victoire. (II, 7, v. 683-688), l'allusion à la bataille de Rocroi est évidente : cette victoire fulgurante eut lieu en 1643, au moment même où la pièce fut créée. Ce fut une victoire décisive pour les Français, puisqu'elle mit fin à la réputation d'invincibilité de la « redoutable infanterie d'Espagne » et fut la première victoire depuis un siècle de l'armée française sur une armée étrangère. Le Roi défila dans les rues de Paris, en triomphe. D'Ouville a aussi essayé de donner plus d'unité et de cohérence à sa pièce. Il respecte tout d'abord la règle française de l'unité de temps et réduit le temps de la pièce à vingt-quatre heures : cette limitation du temps est soulignée dans le texte par des allusions nombreuses et précises. De même, d'Ouville a unifié le lieu : il a adopté une unité de lieu large puisque l'action se déroule dans les limites de la ville de Paris. Nous étudierons plus précisément ces questions d'unité de temps et de lieu dans notre partie concernant la dramaturgie. D'Ouville a également adapté sa pièce au goût français en supprimant les éléments typiquement espagnols. Il a supprimé le dialogue poétique dans lequel Elvira et Diego évoquaient l'histoire de leur amour dans un récit lyrique (I, 6), suppression qui, comme le dit Roger Guichemerre, « rend l'adaptation un peu sèche [12] ». Si d'Ouville doit l'essentiel de sa pièce à son modèle espagnol, le théâtre français de son temps, et en particulier sa propre œuvre, l'a aussi inspiré. Il procède à un jeu métathéâtral avec ses pièces antérieures. Ainsi, dans la quatrième scène du troisième acte, lorsque Climante est surpris de voir Dorise déguisée en grande Dame sortir de son cabinet, il ne comprend pas comment elle a pu s'y introduire et s'écrie : Ah ! qu'est-ce que je vois ? Ombre, Fantôme, Esprit, femme, ou qui que tu sois, Par quel moyen as-tu cette porte charmée ? (III, 4, v. 861-63) De la même manière, dans *L'Esprit folet* (1639), Florestan, ayant surpris Angélique, déguisée chez lui, s'écriait : Ombre, Ange, Diable, Esprit, femme, ou qui que tu sois Tu n'eschaperas pas de mes mains cette fois. (IV, 3) Le spectateur averti reconnaissait ce jeu métathéâtral. Enfin, d'Ouville s'est probablement souvenu de *La Place royale* (1634) de Corneille. En effet, lorsque Climante dit à son ami Adraste, à propos de Léonor : Et quand je l'aymerois, mon heur seroit extréme De la voir posseder par un autre moy-mesme. (V, 1, v. 1553-54), il n'est pas sans rappeler Alidor disant à son ami Cléandre à propos d'Angélique : A moy ne tiendra pas que la Beauté que j'aime Ne me quitte bien tost pour un autre moy-mesme, (I, 4, v. 281-282). # Étude de la dramaturgie. D'Ouville, nous l'avons vu, a adapté *La Doncella de labor* de Montalván au goût français. Pour cela, il s'est plié aux règles qui sont devenues de rigueur en France dans les années 1630-1640 : l'unité de temps, l'unité de lieu et l'unité d'action, elle-même liée à la continuité de l'action. Depuis 1630, l'unité de temps a commencé à être observée par les dramaturges français, et encore plus facilement par les auteurs de comédies que par les auteurs de tragédies, puisque le propre du coup de foudre, qui est un élément structurant de la comédie, est de se produire en très peu de temps ; Chapelain publie cette année-là sa *Lettre sur la règle des vingt-quatre heures*. Pour les théoriciens, l'unité de temps est liée au principe de vraisemblance : « la vraisemblance exige que la durée de l'action représentée ne soit pas démesurément plus longue que la durée réelle de la représentation, qui est de deux ou trois heures [13] ». D'Ouville réduit le temps de *La Dame suivante* à vingt-quatre heures. Le texte lui-même contient de nombreuses indications de temps : le premier acte commence en fin d'après-midi et au fur et à mesure que l'action progresse, le soir tombe. Entre autres allusions, Isabelle déclare à la fin de l'acte : Il fait desja bien noir, Il me faudra coucher chez elle pour ce soir. (I, 8, v. 249-250). Une nuit s'écoule entre les actes I et II, ce qui ne nous est indiqué par aucune indication scénique, mais par le récit d'Adraste au début du second acte. Ainsi, il demande à son valet Ariste : N'as-tu pas sceu de moy tout ce qui s'est passé ? Tout ce qu'hier au soir m'arriva chez Climante ? (II, 1, v. 402-403). Nous apprenons ensuite qu'Isabelle a feint de partir pour Lyon « dès la pointe du jour » (v.455) ou « de grand matin » (v.512) pour se faire engager comme servante chez Léonor dans la matinée même. Le deuxième acte se termine vers midi, puisqu'au début du troisième acte, Carlin dit, en parlant du cuisinier : « Il dit que tout se gaste, il est midy sonné. » (III, 3, v. 829). Le troisième acte se termine peu après midi et le quatrième acte débute un quart d'heure plus tard. En effet, à la fin du troisième acte, Carlin avait promis à Climante de revenir avec Dorise peu de temps après : « Je viens dans un quart-d'heure, et plutost si je puis. » (III, 7, v. 1097). Le quatrième acte commence lorsque Dorise et Carlin arrivent chez Climante et l'action progresse pendant l'après-midi : « Dorotée » vient voir Climante, ce qu'elle avait promis de faire une heure après leur dernière entretien à la fin de l'acte III : « Vous en aurez, Monsieur, nouvelle dans une heure. » (III, 6, v. 1044). Puis « Dorotée » retourne chez Léonor, ce qui suppose que l'on s'avance dans l'après-midi. Enfin, le cinquième acte a lieu en fin d'après-midi et il faut supposer que du temps s'est écoulé entre les scènes 3 et 4, puisque, en parlant de son rendez-vous avec Climante, « Dorotée » explique à Léonor : « Ce soir elle me preste à dessein son logis, » (V, 2, 1607). Or le rendez-vous a lieu à la quatrième scène et à partir de cette scène, la nuit commence à tomber : la pièce se termine un peu avant la nuit, d'après les mots de Climante : « Et devant qu'il soit nuict, je veux qu'on les fiance. » (V, 8, v.1881). Nous voyons bien que la pièce dure exactement vingt-quatre heures. Il faut noter que d'Ouville a recours, dans cette pièce, à une utilisation astucieuse du temps : il laisse s'écouler une nuit entre le premier et le deuxième acte, intervalle de temps suffisant pour qu'il soit vraisemblable que Léonor et Climante se réconcilient. Il reste alors à « Dorotée » exactement une journée pour les séparer à nouveau et, pour ainsi dire, une nouvelle pièce débute au commencement du deuxième acte. De plus, d'Ouville adopte une unité de lieu entendue au sens large, puisque l'action se déroule dans les limites de la ville de Paris. L'unité de lieu ainsi entendue est observée surtout entre 1630 et 1640 et, à un moindre degré entre 1640 et 1650. Jacques Scherer la décrit ainsi : L'histoire de l'unité de lieu entrera dans une deuxième époque lorsque cette unité sera considérée comme excluant la représentation de lieux trop éloignés les uns des autres, mais comme comprenant celle de lieux assez voisins pour qu'on puisse passer rapidement et sans faire un véritable voyage, de l'un à l'autre. Ainsi divers lieux situés dans l'enceinte d'une même ville ou dans les environs immédiats … pourront constituer cette unité, entendue, on le voit, en un sens encore bien large [14]. D'Ouville fait allusion à six lieux différents ; un système de décors à compartiments devait donc être requis. – L'action de *La Dame suivante* se déroule principalement dans la rue. Nous pouvons donc imaginer que le centre de la scène représentait la rue. – Le logis de Climante est lui aussi souvent évoqué et les acteurs évoluent à l'intérieur de cette chambre, ce qui signifie qu'il devait y avoir un compartiment réservé à cet emplacement d'un côté de la scène. – À l'intérieur de ce logis se trouve le cabinet de peintures de Climante, dans lequel se cache régulièrement la Belle invisible. Cependant, aucune scène n'a lieu dans cet endroit. Une porte seule devait figurer dans le fond du compartiment du logis de Climante, par laquelle entraient et sortaient les acteurs qui s'y cachaient, et qui se cachaient, en réalité, derrière le plateau. D'Ouville indique d'ailleurs à la fin de la huitième scène du premier acte : *« Isabelle entre dans le Cabinet qu'on s'imagine estre derriere le Theatre »*. – Le quatrième lieu récurrent est « dans la rue, à la porte de Léonor », mais les acteurs ne jouent jamais à l'intérieur de ce logis. C'est pourquoi une porte seule devait figurer de l'autre côté du plateau, en face du logis de Climante, puisqu'un compartiment n'était pas nécessaire. On peut imaginer qu'une tapisserie cachait le côté de la scène représentant le logis de Climante lorsque les acteurs se trouvaient à la porte du logis de Léonor et, inversement, qu'une autre tapisserie cachait le côté de la scène figurant le quartier de Léonor pendant que les acteurs étaient chez Climante ou dans la rue près du logis de celui-ci. Nous pouvons alors comprendre la simultanéité de certaines scènes, comme les scènes 1 et 2 du deuxième acte, la première se passant dans la rue à la porte du logis de Climante, où Adraste confie ses soucis à Ariste, et la seconde présentant Pamphile, Isabelle et Lucille à la porte du logis de Léonor. Ainsi, le théâtre n'était vide à aucun moment et il n'était pas nécessaire d'attendre qu'Adraste et Ariste sortent pour qu'Isabelle et Pamphile rentrent sur le plateau : ces derniers étaient déjà présents sur scène, cachés par une des tapisseries, et lorsque les tapisseries coulissaient, l'une cachait Adraste et Ariste, ce qui accélérait leur sortie, et l'autre découvrait Isabelle et Pamphile. De même, le procédé des tapisseries devait être employé entre les scènes 6 et 7 du quatrième acte, où nous voyons successivement Adraste, Climante et Carlin « dans la rue à la porte du logis de Climante » et Léonor et Lucille « dans la rue à la porte de Léonor ». – D'autre part, Léonor et Climante sortent une fois en Ville, et Léonor et Lucille en reviennent à un autre moment de la pièce : on peut donc imaginer que la toile de fond représentait la ville en général. – Enfin, une grande partie du cinquième acte se déroule sur la Place Royale et plus précisément, à la porte du logis de Lizène. Une grande tapisserie, représentant la Place Royale et une porte d'entrée, devait être tendue devant la toile de fond pendant les scènes 4 à 6 du cinquième acte, scènes pendant lesquelles les deux petites tapisseries de devant devaient être toutes deux tendues, cachant respectivement les logis de Climante et Léonor. À la scène 7 paraissent Timandre et Adraste devant la porte du logis de Léonor. Logiquement, cette scène a lieu en même temps que la scène précédente : la tapisserie représentant la Place Royale est enlevée, laissant place à la toile de fond représentant la ville, et au même moment, la petite tapisserie cachant le quartier de Léonor est retirée elle aussi, laissant apparaître Timandre et Adraste. Les deux scènes pouvaient alors s'enchaîner très rapidement, indiquant au spectateur la simultanéité des deux situations [15]. Nous voyons bien, après cette hypothèse concernant le décor de la pièce, combien les questions du lieu et de la liaison des scènes sont interdépendantes. « C'est entre 1630 et 1640 que la liaison des scènes commence à être considérée par certains auteurs comme une règle, ou tout au moins comme un ornement souhaitable [16] ». D'Aubignac proclame dans sa *Pratique du théâtre* (1657) que « le théâtre ne devrait jamais être vide [17] ». Cette règle, obligatoire en 1657, se met seulement en place au moment où est créée *La Dame suivante*. Si l'on observe la liaison des scènes dans cette pièce, on remarque que celle-ci est globalement respectée. En effet, un grand nombre de scènes présentent les mêmes personnages aux mêmes endroits : ainsi, quasiment tout l'acte II a lieu devant le logis de Léonor et tout l'acte IV devant le logis de Climante ; les personnages ont des raisons vraisemblables de se succéder dans ces mêmes lieux. De plus, il arrive fréquemment que deux scènes successives présentent des personnages différents dans des lieux eux-mêmes différents. La liaison des scènes n'est pas pour autant rompue, puisque le plateau ne restait alors pas vide : le procédé des tapisseries décrit ci-dessus permettait de passer instantanément d'un lieu à un autre. En revanche, la liaison des scènes est véritablement rompue à l'acte V, lorsque, après que Dorise et Isabelle ont discuté devant le logis de Léonor, Isabelle apparaît dans la scène suivante sur la Place Royale. D'Ouville fait d'ailleurs intervenir une indication scénique à la fin de la troisième scène, qui indique que le plateau reste vide pendant un moment : *« Elles s'en vont toutes deux, l'une par un côté et l'autre par l'autre. »* Cette rupture de la liaison des scènes est confirmée par le fait que, vraisemblablement, un long moment s'est écoulé entre les deux scènes, permettant à Isabelle d'aller au logis de Lizène sur la Place Royale et de changer de vêtements. C'est ce qu'indique Jacques Scherer lorsqu'il écrit : « Dans le vide créé par la rupture de la liaison, on pourra supposer que des événements variés ont pris place [18] ». Cette rupture du cinquième acte équivaut pratiquement à un changement d'acte : le lieu a changé, du temps s'est écoulé et la continuité de l'action a été rompue. La continuité de l'action est d'ailleurs intimement liée à l'unité d'action elle-même : toute l'intrigue de l'acte V est secondaire et non nécessaire. L'intrigue principale, qui est la conquête de Climante opérée par « Isabelle-Dorotée » n'est plus réellement en jeu au cinquième acte. Isabelle a atteint son but dès la fin de l'acte IV, lorsque Climante demande à « Dorotée » de lui arranger un rendez-vous avec la Belle invisible et qu'il lui annonce sa décision de se marier avec elle. « Dorotée » n'aurait alors qu'à dévoiler sa véritable identité pour que Climante l'épouse. L'acte V est consacré à la vengeance de Léonor par l'intermédiaire de « Dorotée ». La rupture de la liaison des scènes est ici dûe à la rupture de l'unité d'action : une action multiple ne peut être continue. Cette rupture de l'unité d'action est due uniquement au désir d'Ouville de jouer avec toutes les possibilités dramaturgiques qu'offre le déguisement : d'un point de vue général, la fonction dramaturgique des déguisements d'Isabelle et de Dorise est de compliquer l'action en créant la confusion dans tous les esprits. Tous les conflits de *La Dame suivante* sont liés à ces déguisements, et sont eux aussi organisés dans le but de faire douter les personnages, ce qui est une grande source d'ironie verbale et de comique. En effet, ce que Georges Forestier appelle le « comique de la victime » [19] est une conséquence naturelle du déguisement-stratagème. Nous étudierons plus précisément ces aspects de confusion et de « comique de la victime » dans notre développement sur le mensonge et ses fonctions. Outre cette forme de comique comme fonction dramaturgique du déguisement, le personnage de Carlin, qui revêt toutes les caractéristiques du *gracioso*, offre une autre forme de comique. # Les personnages. Certains personnages sont typiquement espagnols. L'héroïne, dont la double identité donne son titre oxymorique à la pièce, Isabelle-Dorotée, la dame suivante, est le type même de la jeune fille espagnole entreprenante. C'est elle qui mène toute l'action, ce qui est très original par rapport à la comédie d'origine italienne dans laquelle la jeune fille, si elle n'est pas totalement absente, est effacée. C'est une amoureuse très enflammée : elle confie à sa suivante Dorise (I, 5, v. 128-130) : Mais en voyant Climante, il me fut impossible De resister aux traicts d'un si puissant Vainqueur, Je luy voulus offrir, et mes biens, et mon cœur. La seule vue de Climante provoque en elle la passion la plus vive. Elle est romanesque, hardie, entreprenante et beaucoup plus énergique que les deux jeunes hommes de la pièce : elle ne recule devant rien pour conquérir l'homme qu'elle aime et utilise plusieurs stratagèmes pour arriver à ses fins, montrant ainsi son audace et sa témérité. Elle se déguise successivement en grande Dame poursuivie par son mari jaloux et en suivante, elle ment à tout le monde sans exception, fait de faux rapports à Climante et à Léonor. Son seul but est de réussir la conquête de Climante par tous les moyens. Ce thème de la conquête opérée par une jeune fille est très rare dans la littérature dramatique du dix-septième siècle, la conquête étant généralement réservée aux jeunes hommes [20]. Enfin, son seul objectif étant de s'approprier Climante, elle se montre particulièrement dure et cruelle envers Adraste qui lui fait la cour. Ainsi, elle explique à Dorise (I, 5, v. 153-156) : Adraste est importun ; il desplaist à mes yeux, Dorise, ses respects me sont tous odieux, Ses transports amoureux excitent ma cholere, Je ne le puis souffrir ; Adraste et Climante appartiennent au type du gentilhomme espagnol, brave et généreux. Climante est chevaleresque envers les dames qu'il est toujours prêt à servir, même si cela présente un danger. Lorsqu'Isabelle, déguisée en dame poursuivie par un jaloux furieux, lui demande de l'aider, il accepte immédiatement et accueille cette inconnue dans son logis, sans se soucier des risques qu'il encourt. Ces jeunes hommes sont aussi très courtois entre eux. Nous apprenons dès la première scène qu'Adraste doit accompagner un de ses amis pour le soutenir lors d'un duel (I, 1, v. 14-17) : Je m'en vay de ce pas trouver un Cavalier Que l'on a mal traitté, qui veut en ma presence, Tirer l'espee au poing raison de cette offence, Je ne suis que second, et fais ce que je doy ; Climante, croyant son ami en danger, souhaite lui-même l'accompagner. Il propose son aide à Adraste en ces termes (I, 1, v. 4-6) : Servez-vous de mon bras, cher Amy, je vous prie, Aussi bien d'aujourd'huy je ne vous quitte point : Et quoy méprisez-vous vos Amis à ce poinct ? et encore (I, 1, v.7-8) :  Mon devoir me l'ordonne, Enfin de tout le jour je ne vous abandonne. Ces deux gentilshommes sont donc très pointilleux en ce qui concerne le devoir et l'honneur. Adraste, après avoir appris que Léonor voulait se marier avec lui, va d'abord demander à Climante s'il est d'accord pour lui laisser son ancienne amante. Il lui dit : Qu'il ne tiendra qu'à moy que dans cette journée, Nous ne soyons unis sous les loix d'Hyménée ; Qu'au lieu de traverser nostre contentement, Vous mesme y donnerez vostre consentement, Sans quoy je ne voudrois jamais rien entreprendre : (V, 1, v. 1533-1537)  Ils sont tous deux naturellement amoureux : la vue d'une jeune fille, même derrière un masque, le simple son d'une voix, suffisent à provoquer chez eux la passion la plus violente. Ainsi, Climante s'extasie devant une belle inconnue, dont il n'a même pas vu le visage (I, 4, v. 70-73) : O Dieux qu'elle a d'appas, Ou le masque me trompe, ou cet objet aimable Ne void rien dans Paris qui luy soit comparable ; Ah Dieux ! qu'elle a de grace à plaindre son malheur ? Adraste et Climante ne se distinguent que par la plus ou moins grande énergie qu'ils mettent en œuvre pour conquérir la femme aimée. Climante est beaucoup plus entreprenant qu'Adraste, puisqu'il demande à « Dorotée » de lui arranger un rendez-vous avec la Belle invisible. Il veut à tout prix rencontrer cette inconnue, et demande sans cesse à «  Dorotée » de s'informer de son identité, de ses intentions et du lieu de sa demeure. Ainsi, il lui demande (III, 6, v.1043) : « Mais sçache si tu peux où cet Ange demeure. », et encore (IV, 4, v. 1294-97) : Fay moy doncques le bien que je la puisse voir, Va tost, informe-toy du lieu de sa demeure : Car je veux, le sçachant, l'aller voir tout à l'heure ; Ma fille, oblige-moy. Climante est donc actif, il fait tout pour rencontrer puis conquérir la belle inconnue. En revanche, Adraste se contente de se plaindre du peu d'amour que lui témoigne Isabelle et reste totalement passif. Il a la conduite typique de celle de l'amoureux espagnol qui considère l'amour comme une maladie incurable, conduite que décrit Alexandre Cioranescu dans son ouvrage *Le Masque et le visage* [21]. Sans Isabelle, la vie lui paraît impossible, il assume sa passion comme une maladie et est donc très mélancolique. Il est également jaloux : il croit voir son Isabelle partout (et il la voit en effet !) et soupçonne Climante d'être son rival. Ainsi, lorsque son valet Ariste lui demande (II, 1, v.396) : « N'estes-vous point guery de cette deffiance ? », Adraste exprime son désarroi face à l'attitude ambiguë de Climante dans une longue tirade tragique (v. 404-406) : Ariste plus j'y pense, et plus mon mal s'augmente. Il est vray que Climante a fait tout son effort Pour bannir ces soubçons qui me donnoient la mort ; Dans cette tirade, il emploie un vocabulaire tragique et considère Isabelle comme « cruelle » et « ingrate ». À Ariste qui lui demande : « Quel est donc vostre but au mal qui vous possede ? » (v. 459), Adraste répond : Mourir, puis que ce mal est sans aucun remede ; … Dieux soyés-moi propices ? Ne payez pas si mal mes fidelles services ; Ou me donnez la mort, si je ne puis un jour Recueillir aucun fruit de ma parfaite Amour. (v. 460-466). Le décalage entre la situation et le vocabulaire tragique qu'emploie Adraste rend le personnage ridicule et la scène comique. Carlin, le valet de Climante possède toutes les caractéristiques du *gracioso* espagnol. Il est tout d'abord très réaliste et intéressé uniquement par les biens matériels. Ainsi, alors que Climante a accueilli avec générosité Isabelle et Dorise déguisées et masquées, et les a cachées dans son cabinet, Carlin les prend pour deux voleuses et dit à son maître : En verité, Monsieur vous n'estes guere fin, Je viens à double tour de fermer la valise ; Comment laisser entrer avec tant de franchise Ces visages chez vous qui vous sont incognus ? J'ay mis en seureté ce sac de quarts-d'escus Que vous m'aviez donné pour faire la despense. Ces Nymphes pourroient faire avec eux cognoissance ; (I, 4, v. 78-84) De même, après avoir fait la Cour à la prétendue suivante « Dorotée » (II, 7), il lui préfère tout de même Dorise, qui est beaucoup moins belle, parce qu'elle a reçu des écus de Climante. Il lui explique qu'elle n'a aucun souci à se faire au sujet de « Dorotée » en ces termes : Un bel œil pour me vaincre est une foible amorce, Ta bague, et tes escus ont beaucoup plus de force. (IV, 2, v. 1187-1188). Enfin, dans la dernière scène, il ne se laisse marier à Dorise que pour les mêmes raisons (V, 8, v.1873-1876). Isabelle lui annonce : … je te donne Dorise, Elle me sert, je veux qu'elle te soit acquise, Carlin lui répond aussitôt : « Pourveu qu'elle ait sa bague et cent escus aussi. ». Carlin est également glouton et ivrogne, confirmant ainsi son appartenance au type du *gracioso* espagnol. En effet, quand Climante et lui attendent la venue de la belle inconnue dans la rue, sur la Place Royale, Carlin s'impatiente et préférerait attendre au cabaret. Il dit à son maître (V, 4, v. 1651-1653) : Entrons, et me croyez dans quelque cabaret, Pour nous desalterer allons-y boire un trait, Quel plaisir de marcher à vuide dans la ruë ? Puis il poursuit (v. 1656-1660) : Il falloit pour le mieux, Luy donner rendez-vous dedans l'Echarpe blanche ; Je jeusne ici, mais là j'aurois eu ma revanche, Je ne me plaindrois point de mon mauvais destin, Quand mesme j'y serois du soir jusqu'au matin : Carlin est aussi superstitieux, caractère qui est mis en valeur lorsqu'il fait la cour à « Dorotée ». « Dorotée » sait que Carlin est l'amant de Dorise et traite celui-ci de volage, puisqu'il s'intéresse à plusieurs filles en même temps. Elle lui dit (II, 7, v. 718-720) : Mais voyez l'inconstant comme il est interdit. N'es-tu pas amoureux d'une jeune servante Qu'on appelle Dorise ? Carlin se demande comment  « Dorotée » peut être au courant de sa relation avec Dorise et se dit à voix basse (v.720-722) : Ah ! cela m'épouvente ! Sans doute elle est sorciere, elle ne pourroit pas Le sçavoir autrement. Carlin est également un lâche. En effet, à l'acte III, il sait que la grande Dame surprise dans le cabinet de Climante n'était autre que Dorise déguisée et masquée. Pour éviter la colère de son maître, il préfère mentir que dévoiler la vérité. Et lorsque « Dorotée » s'apprête à dire qui était cette belle Dame, Carlin montre sa lâcheté à deux reprises (III, 6, v.956) : « Ah Dieux je suis perdu s'il faut qu'elle le fasse. » (s'il faut qu'elle dise la vérité.) ou encore : « Pour dix coups de baston j'en voudrois estre quitte. » (v. 964). Tous ces caractères le rendent beaucoup plus terre à terre que son maître et donc beaucoup moins romanesque : peu enclin à rêver à la belle inconnue masquée, il est en revanche très méfiant envers elle et envers « Dorortée », chez qui il décèle le mensonge. Il multiplie les mises en garde contre cette suivante trop entreprenante et contre la belle invisible qu'il juge beaucoup trop dissimulée pour être honnête. Ainsi, comme nous l'avons déjà vu, alors que Climante accueille chez lui Isabelle et Dorise déguisées et masquées, Carlin, bien loin de trouver des charmes secrets chez cette grande Dame, la prend pour une voleuse (I, 4). De plus, il met en garde son maître contre « Dorotée » qui vient de lui faire un faux rapport sur l'identité de la belle inconnue (III, 7, v. 1047-1049). À Climante, qui lui demande ce qu'il pense de l'histoire que vient de raconter « Dorotée », Carlin répond : Est-il possible, ô Dieux ! que vous la veuilliez croire ! Je jure que jamais je n'oüy tant mentir ; Ensuite, à l'acte V, alors que Climante s'est décidé à rencontrer la belle invisible pour l'épouser, Carlin lui conseille encore une fois de se méfier de cette dame qui est suspecte puisqu'elle cache son visage. Il lui dit (V, 1, v. 1562-1570) : Vous vous allez, Monsieur, brusler à la chandelle, Arrestez je vous prie, où courez-vous si fort ? Estes-vous asseuré de demeurer d'accord ? Et que cette beauté qu'on vous peint adorable, Ne soit point à vos yeux quelque objet effroyable ? C'est avoir, croyez-moy, le jugement mal sain, D'abandonner ainsi le seur pour l'incertain :  Vous faites à vous mesme une trop rude guerre, Entre deux beaux coussins d'estre le cul en terre. Il continue à la quatrième scène du cinquième acte, de mettre en garde son maître contre « Dorotée ». Il ne comprend pas la naïveté de Climante  (v. 1640-1647) : Mais pourquoy voulez-vous, Monsieur, adjouster foy Aux discours imposteurs de cette Dorotée ? Ne voyez-vous pas bien que c'est une effrontée Qui ne fait que mentir ? Climante lui répond : Non, tant que je vivray Je croiray Dorotée, elle a toûjours dit vray. Carlin surenchérit : Pour se mocquer de vous, elle s'est advisée De cette fourbe ici : Monsieur, elle est rusée Plus que vous ne pensez. Enfin, en un vers lapidaire, il résume toute la situation de la pièce : en parlant d'Isabelle, il dit : « Elle mentit hier, et mentira demain. » (V, 6, v. 1708) Nous voyons bien, grâce à ces remarques récurrentes de Carlin, combien son caractère terre à terre s'oppose au caractère romanesque de Climante. Cependant, sa méfiance envers les femmes ne l'empêche pas de courtiser toutes les servantes qu'il côtoie, y compris « Dorotée », en qui il n'a aucune confiance. La scène dans laquelle il fait la cour à « Dorotée » est d'ailleurs très comique, puisqu'il veut impressionner la « servante » en utilisant un vocabulaire précieux : il joue sur le double sens du verbe « appeler » (qui signifie à la fois « interpeller » et « nommer »). Mais, comme « Dorotée » est en réalité une grande Dame, elle le remet immédiatement à sa place (II, 7, v. 675-678) : Isabelle : Comment t'appelles-tu ?  Carlin : Moy, comment je m'appelle ? Je ne m'appelle point : mais si tu veux, ma belle, Sçavoir comme on me nomme, on me nomme Carlin,  Isabelle : A quoy te sert ici de faire le badin ? Carlin courtise même plusieurs femmes en même temps, ce qui entraîne une scène hautement comique et très originale (IV, 3), dans laquelle il est aux prises entre Isabelle et Dorise, qu'il a toutes les deux séduites. Il est alors dans une situation bouffonne et n'arrive pas à se prononcer en faveur de l'une ou l'autre, situation qui, nous le verrons a inspiré Molière pour *Dom Juan*, lorsque le héros est en présence à la fois de Charlotte et Mathurine, auxquelles il a tour à tour fait la cour (II, 4). Parallèlement à ces personnages typiquement espagnols, Léonor présente des caractères plus « français ». Elle représente le type même du « trompeur trompé ». Ce personnage n'est pas très sympathique et assez autoritaire. Léonor est fière et hautaine : elle emploie très souvent des impératifs et est désagréable avec tout le monde. C'est pourquoi le spectateur se réjouit de la voir ridiculisée à la fin de la pièce, tour qui était absent de la pièce de Montalván. De plus, le décalage entre le vocabulaire tragique qu'elle emploie et la situation la rend elle aussi ridicule. En effet, elle ne cesse de traiter Climante de « perfide », d'« ingrat », d'« infâme », de « traître ». Lorsque la Dame masquée sort du cabinet de Climante, elle s'écrie : Dy perfide, à present que tu n'es pas un traistre ? (I, 10, v. 335), Ah le traistre ! ah l'infame ! (v. 352), Traistre, n'espere pas de me revoir jamais. (v. 378), Si c'est avec dessein que je me satisface, Je ne le suis que trop de vos perfides traits ; Adieu, perfide, ingrat. (v. 384-386). De même, lorsque la scène se reproduit à l'acte III, Léonor a la même réaction : Si jamais je te voy, / Perfide, desloyal. (III, 4, v. 869-870), Va te cacher, infame, oses-tu bien paroistre ? (v. 871), Non, je n'écoute rien d'un traistre qui m'offence. (v. 876). Enfin, le vocabulaire tragique atteint son paroxysme lorsqu'elle dit : « Ah ! je meurs de regret ! je brusle de courroux. » (v. 925). Léonor est donc un personnage ridicule, puisqu'elle ne parvient pas à prendre du recul sur ce qui lui arrive. # Le mensonge. Dans *La Dame suivante*, tous les personnages mentent, excepté Adraste, qui est un amoureux transis qui n'ose rien dire et surtout pas mentir. La vérité ne se dit qu'à voix basse. Cependant, si tous les personnages utilisent le mensonge, ces mensonges ne sont pas équivalents et il existe plusieurs types de mensonges différents. Le mensonge volontaire est le plus utilisé dans *La Dame suivante*. Il peut avoir une fonction simplement dramatique, c'est-à-dire qu'il sert à faire progresser l'intrigue. Ces mensonges ne concernent qu'Isabelle et Dorise, les meneuses de l'histoire. Le mensonge est alors un moyen d'arriver à ses fins, et en l'occurrence un moyen de séparer Climante de Léonor et de lui faire aimer la belle invisible. Le but de ces mensonges volontaires employés par Isabelle et Dorise est donc la progressive conquête de Climante. Tous ces mensonges dont la fonction est dramatique sont, dans *La Dame suivante*, toujours étroitement liés au déguisement, que ce soit un déguisement avec masque, sans masque, ou uniquement verbal. Au début de la pièce, Isabelle se fait passer auprès de Climante pour une femme poursuivie par son mari jaloux. Elle et sa suivante Dorise portent toutes deux un masque et une coiffe : le but de ce mensonge allié au déguisement est d'abord de sonder la générosité de Climante. Mais très vite, ce but évolue : après l'arrivée de Léonor, Isabelle, toujours masquée, sort du cabinet où elle était cachée et déclare qu'elle est la maîtresse de Climante. Son but se transforme alors : elle désire ruiner le couple Léonor-Climante pour préparer sa propre conquête de Climante dont elle s'est éprise. De même, à la quatrième scène du troisième acte, lorsque Dorise, après s'être rendue en cachette au logis de Climante, sort du cabinet et se fait passer pour la même Dame qu'au premier acte, elle déclare : Je ne sçaurois comprendre Pour quel sujet, Climante, on me fait tant attendre ? (v. 843-844). Cette scène est la stricte répétition de la dixième scène du premier acte. Le but de ce déguisement est le même que la première fois, c'est-à-dire de provoquer la rupture entre Léonor et Climante. En effet, le premier déguisement avait échoué et Léonor et Climante s'étaient réconciliés entre le premier et le deuxième acte. Dorise, qui est dans la confidence d'Isabelle, ne fait ici que l'aider. Le deuxième stratagème employé par Isabelle pour arriver à ses fins est de se faire engager comme suivante par Léonor. Elle change alors de condition et de grande Dame devient suivante, ce qui lui permet de parler à Léonor et à Climante assez familièrement et de les fréquenter sans être véritablement connue d'eux [22]. Ce déguisement d'apparence est accompagné de mensonges verbaux : elle fait courir le bruit qu'elle est rentrée à Lyon et prend un nouveau nom : Dorotée. Le but de ce déguisement et de ce mensonge sur sa propre identité est toujours la conquête de Climante : Isabelle pourra mieux brouiller Léonor et Climante en devenant la confidente de Léonor et en s'immisçant à l'intérieur du couple. Enfin, les mensonges simplement verbaux sont très nombreux et ont eux aussi une fonction dramatique importante. En premier lieu, Dorise ment à Carlin, lorsque celui-ci lui court après afin de connaître l'identité de la grande Dame qui était cachée dans le cabinet. Après qu'elle a enlevé son masque et que Carlin a découvert que c'était elle, elle lui dit qu'elle était venue spécialement pour le voir (III, 4). Ce mensonge a pour seul but que Carlin la laisse partir et que le stratagème d'Isabelle reste secret, ce qui permet à l'intrigue de continuer. Ces mensonges verbaux prennent ensuite souvent la forme de faux rapports. « Dorotée », après avoir feint de courir après la Dame inconnue pour, dit-elle, satisfaire sa curiosité, revient voir Climante après le départ de Léonor et lui fait une description très avantageuse de cette Belle (III, 6). Elle la décrit riche : J'ay trouvé là dehors en sortant de ceans, Un superbe carosse, enrichi par dedans, Et doré par dehors, environné de Pages, (v. 965-968). Elle est aussi extrêmement belle : J'entre, et m'ostant son masque, elle fait que j'admire Un œil si gracieux, un visage si beau, Qu'il peut mettre d'abord mille Amans au tombeau : J'en suis, encor que fille, amoureuse, et proteste Que plus que de l'humain elle tient du Celeste. (v. 980-984). Cette belle Dame lui aurait avoué la passion qu'elle a pour Climante. Isabelle la présente comme très romantique : Et voulant passer outre, un orage de larmes Qui tomboit de ses yeux, accreut encor ses charmes : (v. 1007-1008). Enfin elle conclut son discours en disant : … asseurez-vous Climante, Qu'elle a beaucoup d'honneur, qu'elle est riche et puissante ; Je ne sçay pas son nom, mais pour sa qualité, Croyez qu'elle est plus grande encor que sa beauté. (v. 1015-1018). Ce qui est très intéressant dans ce faux rapport est que le vrai est entremêlé avec le faux : Isabelle fait un portrait d'elle-même, à travers la bouche de « Dorotée ». Cette scène est une scène de séduction médiatisée, avec l'originalité cependant que la séductrice et la médiatrice sont une seule et même personne. Ce jeu de séduction ironique repose sur l'opposition entre le paraître et la véritable identité d'Isabelle. Le but de ce faux rapport est encore une fois la conquête de Climante. Après avoir brouillé Léonor et Climante, « Dorotée » essaie de faire en sorte que celui-ci tombe amoureux de la Belle invisible. Dorise fait à son tour un faux rapport à Climante (IV, 1) : elle ne dit qu'une partie de la vérité en affirmant que c'était bien elle qui était dans le cabinet, comme elle l'avait déjà dit à Carlin. Mais, pour confirmer le récit de « Dorotée », elle ajoute qu'elle était envoyée par une grande et belle Dame. Son mensonge concorde parfaitement avec celui de « Dorotée », ce qui sauvegarde l'innocence et la franchise de celle-ci, indispensables au déroulement de l'intrigue. En effet, si Climante perdait confiance en « Dorotée » et découvrait la ruse, l'intrigue serait terminée. Le troisième faux rapport a lieu lorsque « Dorotée » vient annoncer à Climante que Léonor a décidé d'en épouser un autre, ce qui n'est pas encore vrai à ce moment de la pièce. Elle se permet à cette occasion de juger Léonor très sévèrement devant Climante, pour influencer le jugement de celui-ci. Ainsi, elle dit (IV, 4, v. 1235-1236) : Puisqu'il faut dire tout, l'ingrate ailleurs s'engage, Et sans mentir, c'est trop pour un leger ombrage, ou encore : Cette arrogante à tort se croyant outragée Dessous le joug d'Hymen aujourd'huy s'est rangée. (v. 1244-1245). Son but est ici d'exciter la haine de Climante à l'égard de Léonor et par là même de confirmer leur rupture. Ce mensonge aboutit au succès puisque Climante décide de se marier à son tour avec la Belle invisible : Mais puisque sans sujet cette ingrate se vange, Et puis qu'elle a couru si promptement au change, Dy luy qu'elle m'a mis en telle extremité Que je veux l'imiter en sa legereté, Que je suis inconstant, puis qu'elle est infidelle, Et que je vais aussi me marier comme elle. (v. 1279-1284). Enfin, à son retour chez Léonor, elle lui rapporte la discussion qu'elle a eue avec Climante, et le présente à son tour comme un ingrat et un inconstant qui se réjouit d'avoir rompu avec Léonor (IV, 9, v. 1449-1450) : Il est homme, et l'estant, Se doit-on estonner de le voir inconstant ? Bien plus, elle ajoute que pendant leur entretien, la même Dame que celle du cabinet entrait chez Climante : Comme par mes discours je voulois le toucher, Cette Dame qu'il ayme, est aussi-tost entrée, M'estant bien aperçuë, ainsi comme je croy, Qu'ils se mocquoient tous deux, et de vous, et de moy. (v. 1470-1474). Par ce mensonge, « Dorotée » souhaite cette fois-ci exciter la haine de Léonor à l'égard de Climante et confirmer une fois de plus leur rupture. Ce mensonge réussit également, car Léonor lui apprend qu'elle va se marier avec un jeune Cavalier. Enfin, les mensonges verbaux se traduisent par des conseils insidieux. Ces mensonges ont encore une fonction dramatique, puisque, grâce à ces mauvais conseils donnés à Climante et Léonor, « Dorotée » les incite à se quitter mutuellement. Ainsi, après que Léonor et Climante se sont réconciliés, « Dorotée » explique à Léonor qu'elle n'aurait pas dû, après un tel affront, retourner auprès de Climante. Elle lui conseille de rompre avec lui, de peur qu'il ne recommence (III, 2, v. 795-800) : Madame, vostre amour sans mentir est extréme ; De prendre ainsi plaisir à vous tromper vous-méme ; S'il cognoist une fois cette foiblesse en vous, Et s'il peut appaiser si tost vostre courroux, De tout avec le temps il se rendra capable, Et puis avecque luy vous serez miserable. Mais ce mensonge est voué à l'échec puisque, si Léonor écoutait « Dorotée » et quittait Climante, « Dorotée » serait parvenue à son but dès le début du troisième acte, et toute l'action serait déjà terminée. Léonor lui répond donc : « Sans doute tu dis vray, mais je l'ayme, tay-toy, » (v. 801). De la même façon, après avoir vu Dorise, déguisée en grande Dame, sortir du cabinet, « Dorotée » excite Léonor contre Climante et lui conseille de rompre définitivement avec lui (III, 4, v.857-58) :  Que voy-je ! justes Dieux ! Madame, souffrez-vous cette injure à vos yeux ? Elle ponctue toutes les excuses de Climante par des réflexions destinées à le mettre dans l'embarras : « L'impudence est notable » (v. 861), ou encore : Apres un tel mespris, peut-il avoir le front D'oser paroistre encor ? Madame, il en fait gloire, Je le voy de mes yeux, et j'ay peine à le croire. (v. 866-868). Cette fois-ci, ces conseils atteignent leur but puisque, à partir de cette scène, il n'y a plus aucune conversation directe entre Léonor et Climante, mais leur rapport est toujours médiatisé par « Dorotée », ce qui facilite amplement son dessein. Enfin, « Dorotée » conseille explicitement à Climante de quitter Léonor (IV, 4, v. 1231-1232) : Si j'estois que de vous, sans consulter personne, Je la quitterois là comme elle m'abandonne. D'autres mensonges volontaires ont une fonction, que l'on pourrait appeler rhétorique, ou ludique, puisqu'ils ne sont en rien nécessaires au déroulement de l'intrigue. Ce type de mensonge « suscite des complications constamment et gratuitement renouvelées puisqu'il suffirait d'un mot du personnage déguisé pour que tout rentre dans l'ordre (et que l'action s'arrête) ; obstacle qui engendre l'hésitation prolongée entre l'être et le paraître [23] ». En effet, on peut penser que la beauté éclatante d'Isabelle lui aurait suffi pour que Climante tombe amoureux d'elle. D'ailleurs, dès leur première rencontre, Isabelle s'apprêtait à enlever son masque et à montrer son visage à Climante, mais, pour des raisons dramatiques, Adraste puis Léonor entrent au même moment (I, 8, v. 258-263) : CLIMANTE. Obligez-moy devant De me permettre au moins d'avoir cet avantage De contempler les traits de ce parfait visage. ISABELLE. Vous faites là, Monsieur, un fort mauvais souhait, Et vous en allez estre assez mal satisfait. Comme elle veut oster son masque on frappe à la porte. Toutesfois pardonnez, on frappe à cette porte : De plus, dès la quatrième scène du troisième acte, Léonor quitte définitivement Climante, et le but d'Isabelle est ainsi pratiquement atteint : elle n'aurait qu'à se présenter devant Climante sous sa propre identité et dire qu'elle était elle-même la belle invisible pour achever sa conquête. Or, elle conserve son déguisement et continue de mentir. La seule fonction du déguisement et des mensonges qui l'accompagnent est de créer des quiproquos afin de faire douter les personnages. Cette fonction de confusion entraîne un jeu sur les apparences. Ces mensonges et déguisements font en sorte qu'on ne sait plus qui est qui, qui pense quoi, etc. En cela, ces déguisements sont baroques. La confusion touche tous les personnages : Adraste croit voir son Isabelle partout, et il la voit en réalité mais est dissuadé par son entourage. Il y a également confusion pour Climante, qui ne comprend pas le dessein de la belle inconnue, qui est contrarié de son comportement et qui finalement tombe amoureux d'elle sans avoir jamais vu son visage. Carlin, quant à lui tombe amoureux de « Dorotée », qui est en fait une grande Dame. Enfin, Léonor, déjà trompée dans son amour, joue ensuite le rôle du « trompeur trompé », puisqu'elle confie à sa rivale, qu'elle croit être sa suivante, le soin de se faire épouser par Climante, ce qui est précisément le dessein d'Isabelle. Ainsi, elle dit (V, 2, v. 1620-1622) : La vengeance seroit conforme à mon desir, Ayant, comme il a fait, refuse la Maistresse, S'il prenoit la Suivante. Toute l'intrigue du cinquième acte est secondaire et non nécessaire ; son seul intérêt est de rendre Léonor ridicule, et ainsi de plaire au public. La fonction de ce double mensonge de Léonor à Climante et d'Isabelle à Léonor est strictement ludique : il contente à la fois Isabelle, Climante et le spectateur omniscient. Les paroles à double entente et les équivoques sont révélatrices de la confusion de Léonor : ces paroles sont ambiguës puisqu'elles ont un sens anodin pour celui auquel elles semblent s'adresser (Léonor), et une toute autre signification pour le personnage qui les prononce (Isabelle) ou pour le spectateur. Isabelle dissimule des paroles assez noires, dont Léonor, la future victime, ne soupçonne pas un instant qu'elles sont annonciatrices de sa perte. Ces paroles sont porteuses d'ironie linguistique, puisqu'elles contiennent un signifiant et deux signifiés (le signifié latent et le signifié patent). Le locuteur et le complice (ici, le spectateur omniscient) saisissent les deux signifiés, alors que la cible ne reçoit que le signifié patent. Ainsi, « Dorotée » assure sa maîtresse de son dévouement de façon très ambiguë (II, 3, v. 575-576) : Je puis en vous servant aussi me satisfaire, Le temps vous fera voir ce que je sçauray faire. Léonor, sans se douter du dessein d'Isabelle, se félicite du dessein de celle-ci : Vas, si tu me sers bien, croy que la recompense Surmontera, ma fille, encor ton esperance ; Tu ne serviras pas chez moy bien longuement, Sans estre mariée à ton contentement. (v. 599-602). Léonor, sans le savoir, annonce sa perte, ce qui rend ses paroles porteuses d'ironie. La réponse d'Isabelle est explicite pour le spectateur averti : C'est, à n'en point mentir, le seul but où j'aspire, Vous m'offrez en ce point tout ce que je desire ; (v. 603-604). De même, après que Léonor a demandé à Isabelle de l'aider à se venger de Climante, Isabelle lui affirme (IV, 9, v. 1493-1494) : … et tenez pour certain Que je viendray sans peine à bout de mon dessein. ce à quoi, Léonor, naïve, répond : Je croy que ton esprit peut entreprendre tout, Et si je ne me trompe, en venir bien à bout. (v. 1497-1498). Enfin, dans la deuxième scène du cinquième acte, Isabelle a proposé à Léonor un plan pour se venger de Climante : elle se fera passer pour Lizène et se mariera avec lui. Léonor, inquiète du succès de sa vengeance, lui demande (V, 2, v. 1617-1619) : LEONOR. Sans s'informer de toy, penses-tu qu'il souhaite T'espouser sur le champ ?  ISABELLE. Je tiens la chose faite. Vous en aurez sans doute aujourd'huy le plaisir. Puis Isabelle précise : Vous ferez ma fortune en vous vengeant de luy, Et sçaurez ce que vaut Dorotée aujourd'huy. (v. 1623-1624). Ces déguisements et ces mensonges ont une fonction ludique, puisqu'ils suscitent des complications gratuites en prolongeant les hésitations entre l'être et le paraître. Certains personnages mentent involontairement, c'est-à-dire qu'ils sont obligés de mentir pour cacher une vérité dont ils ne sont pas responsables et qui déplairait à l'interlocuteur ou susciterait sa colère si elle était dévoilée. Ces mensonges sont donc des mensonges imposés ou mensonges de défense. Ils ne sont plus liés à un déguisement et sont surtout employés par Climante et Carlin. Ainsi, Climante, pour ne pas dévoiler à Léonor qu'il cache une Dame dans son logis, ce qu'elle pourrait mal interpréter, invente un prétexte pour qu'elle n'aille pas chez lui et prétend qu'il doit sans délai offrir son service à son ami Adraste qui se bat en duel (I, 6). De même, à la scène 9 de l'acte I, alors que c'est Isabelle qui est dans le cabinet de Climante, celui-ci dit à Adraste : Cher Adraste, je veux vous parler franchement ; Leonor est entrée en cet apartement, Qui d'autre que de moy ne veut point estre veuë : Elle est preste à sortir. (v. 289-292) Adraste sort de chez Climante et rencontre Léonor dehors, qui vient voir son amant. Ce mensonge de Climante est nécessairement destiné à l'échec, puisqu'il va à l'encontre du projet même d'Isabelle, qui constitue toute l'intrigue. Enfin, Carlin est également obligé de mentir à son maître (III, 4) : il sait que la Dame cachée dans le cabinet de Climante était sa propre amoureuse Dorise, mais il craint que son maître ne se mette en colère en l'apprenant, étant donné que la venue de celle-ci a provoqué la rupture définitive entre Léonor et lui. Il dit donc à Climante qu'il ne connaît pas l'identité de la Dame du cabinet. Mais ce mensonge est lui aussi nécessairement lié à l'échec : entendant « Dorotée » décrire la Belle invisible, Carlin décèle chez elle le mensonge et en informe Climante. Il dit alors que la belle Dame n'était autre que Dorise qui venait pour le voir. # L'absence de morale. On sait que le mariage est l'élément structurant de la comédie. Toute comédie doit aboutir à une fin heureuse. Nous pouvons cependant nous demander pourquoi d'Ouville a choisi de faire triompher celle qui ment à tous et détruit l'amour des autres, ce qui nous semble aller à l'encontre de toute morale. En effet, il aurait très bien pu faire en sorte que Léonor et Climante se marient après avoir découvert la fourbe d'Isabelle, ce qui, d'ailleurs, aurait rendu leur comportement plus vraisemblable. Un premier élément de réponse serait que le déguisement, dans toutes les pièces du dix-septième siècle où il est employé, est toujours lié à la réussite. Georges Forestier écrit : « À la racine même de l'idée de déguisement, il y a le concept de réussite [24] ». En effet, il n'y aurait aucun intérêt pour le dramaturge de mettre en place un procédé pour l'interrompre aussitôt puisque la reconnaissance de la véritable identité malgré le port du déguisement équivaut à la mise immédiate d'un terme au jeu. En cela, le succès d'Isabelle n'a rien d'original. D'ailleurs, puisque Léonor est présentée comme un personnage autoritaire, hautain et fier, bref, un personnage antipathique, il est tout à fait moral qu'elle soit ridiculisée à la fin de la pièce. Cependant, le spectateur éprouve de la pitié à l'égard de Léonor et peut-être Léonor est-elle antipathique précisément parce que son amour est détruit par « Dorotée ». Dès sa première apparition, elle est confrontée au mensonge de Climante et elle se croit trahie par celui-ci. Ses réactions violentes et colériques sont alors excusables, et sa fierté est sans doute une réponse défensive face à l'attitude inconstante de Climante. Cependant, Isabelle n'est pas non plus présentée comme quelqu'un de sympathique: elle est égoïste et veut assouvir sa passion par tous les moyens. Elle est cruelle avec Adraste (acte I, scène 5), n'éprouve aucune compassion pour lui, et, alors que Léonor la traite gentiment et l'accueille avec confiance dans son logis, elle fait entendre des paroles à double entente qui, même si elle réjouissent le spectateur par leur ambiguïté même, sont porteuses d'une ironie grinçante qui le met mal à l'aise. Isabelle, lorsqu'elle ruine le couple Léonor-Climante, n'est donc pas sympathique ni non plus excusable. La seule réponse possible à cette absence de morale flagrante est que d'Ouville, peu soucieux de moralité, est bien plus préoccupé de plaire au spectateur en multipliant les quiproquos et les confusions, ce qui est très original dans le théâtre français du dix-septième siècle. En effet, les dramaturges du dix-septième siècle, pour réhabiliter le théâtre auprès de l'Eglise qui y voit un modèle de dépravation et qui influence un grand nombre de spectateurs, cherchent à légitimer leurs pièces en leur attribuant une fonction moralisatrice et instructrice, souvent appelée à contre sens fonction « cathartique » : les spectateurs, par identification avec les personnages, désireraient corriger leurs moeurs par le rire (*Castigat ridendo mores*). D'Ouville, bien loin de suivre ce mouvement, ne cherche même pas à dissimuler l'absence de morale de son personnage principal sous le couvert d'une moralité apparente. Son unique désir est de plaire, et il ne s'en cache pas. # L'amante invisible. Le thème de la séduction invisible est très fréquent au dix-septième siècle : d'une part, ce thème de la conquête masquée est souvent employé sous sa forme romanesque. Scarron, dans la première partie du *Roman comique* (1651) adapte une nouvelle espagnole de Solórzano pour en faire son chapitre IX : *Histoire de l'amante invisible*. Au même moment, Madeleine de Scudéry, dans la sixième partie de son *Grand Cyrus* raconte un long épisode de même inspiration. D'autre part, sous sa forme dramatique, le thème de la conquête masquée apparaît dans plusieurs comédies : *L'Esprit folet* d'Ouville (1638), *La Jalouse d'elle-même* (1648) et *La Belle invisible* (1656) de Boisrobert, *Les Engagements du hasard* (1649) et *Le Charme de la voix* (1656) de Thomas Corneille, ou encore *L'Amante invisible* de Nanteuil (1672). Le choix de ce thème dans *La Dame suivante* confirme le fait que le seul but d'Ouville est de plaire. En effet, ce thème est lié à l'invraisemblance puisqu'il met en scène l'acceptation de l'illusion : Climante se persuade que la Belle inconnue est un être idéal nettement supérieur à Léonor. Au lieu d'expliquer à Léonor qu'il est réellement innocent et essayer de la reconquérir, il préfère l'abandonner pour rejoindre cette belle Dame qu'il n'a jamais vue et avec qui il n'a échangé que quelques mots. Climante a le choix entre Léonor et cette inconnue et il entreprend la conquête de la Belle invisible, choisissant, comme le lui dit son valet Carlin, « d'abandonner ainsi le seur pour l'incertain. » (V, 1, v.1568). Ce choix dangereux consiste à « lâcher la proie pour l'ombre », comme le dit G. Forestier [25], alors même que l'ombre n'offre aucune garantie. En effet, Climante n'est pas trop choqué qu'une Dame masquée tente avec obstination de les brouiller lui et Léonor, et, sur le seul témoignage d'une suivante (qui est en fait la Dame elle-même) qui lui assure que cette Dame est riche, extrémement belle et noble, il accepte d'être abandonné par Léonor et ne fait rien pour la convaincre de son innocence et la faire revenir, préférant épouser celle qu'il considère (sans l'avoir jamais vue !) comme le « plus parfait objet qui soit dessous les Cieux » (IV, 4, v.1286). Il faut d'ailleurs être généreux pour « lâcher la proie pour l'ombre », ce qui explique l'attitude méfiante du valet Carlin à l'égard de la Belle invisible. Celui-ci contredit sans cesse le jugement favorable de son maître. Carlin soupçonne cette inconnue d'avoir de mauvaises intentions et doute constamment de sa beauté : Estes -vous asseuré de demeurer d'accord ? Et que cette beauté qu'on vous peint adorable, Ne soit point à vos yeux quelque objet effroyable ? (V, 1, v. 1564-1566). L'illusion est reine et l'acceptation du masque suppose une libre adhésion de la victime du masque, adhésion qui est injustifiée, si ce n'est par les nécessités de l'intrigue et les aspects de confusion qui lui sont liées. L'intrigue est alors nettement supérieure à la psychologie du personnage, ce qui confirme le fait que la seule fonction de la comédie chez d'Ouville est de plaire au public. # Le succès et l'influence de La Dame suivante. *La Dame suivante* a eu un succès non négligeable, puisqu'alors qu'elle a été créée en 1643, elle figure encore au répertoire de l'Hôtel de Bourgogne en 1646-47 [26]. De plus, d'Ouville lui-même remarque dans l'épître de sa comédie que le duc de Guise a assisté deux fois au spectacle et que celui-ci lui a plu. S'adressant à Son Altesse le duc, il écrit : « Quand le monde sçaura qu'il luy a pleu par deux fois de suite voir la representation de cette Piece, et qu'elle y a trouvé beaucoup de divertissement, comme elle mesme m'a fait l'honneur de m'en asseurer, je suis tres certain que personne ne la trouvera mauvaise. ». Nous pouvons également mesurer le succès de la pièce à l'influence qu'elle a eue. Le sujet de *L'Héritier ridicule* de Paul Scarron (1649) est très proche de celui de *La Dame suivante* d'Ouville : Léonor séduit Dom Diègue et l'enlève à Hélène, comme Isabelle sépare Léonor de Climante. L'héroïne Léonor est, comme Isabelle, poursuivie par un soupirant qu'elle veut éviter, Dom Juan. Plus précisément, une scène de *L'Héritier ridicule* présente Hélène qui, alors qu'elle rend visite à Léonor, trouve son ancien amant dans le cabinet de celle-ci : HELENE. Sa chambre est magnifique. PAQUETTE. Elle n'espargne rien Pour estre bien meublée. HELENE. L'agreable tapis pour estre de moquette ! Ce cabinet est riche et plein de bons tableaux. PAQUETTE. Je ne sçay s'ils sont bons, mais je les trouve beaux. HELENE. N'y vois-je pas quelqu'un ? quel homme pourroit-ce estre ? (IV, 2, v. 1006-1011) Elle trouve alors dans le cabinet Dom Diègue, son amant. Cet effet de surprise est déjà présent dans *La Dame suivante*, lorsque Léonor est chez Climante et lui admire son appartement : LEONOR. Sans mentir, cette chambre est curieuse et belle, Cette tapisserie est de façon nouvelle ; Où sont vos beaux Tableaux ? CLIMANTE. Dedans mon cabinet. (I, 10, v. 319-321) Climante empêche Léonor d'entrer, mais au même moment, Isabelle en sort ; Léonor se croit trahie et s'en va, furieuse. Cette scène se reproduit, et la même équivoque sur les « beaux tableaux » a lieu, lorsque Léonor, réconciliée avec Climante, lui dit : En attendant qu'on serve, allons voir vos tableaux Dedans ce cabinet, on dit qu'ils sont fort beaux. Y tenez-vous encor quelque vive peinture ? (III, 3, v. 833-835) Climante proteste que c'est lui faire injure, mais au même moment, Dorise sort du cabinet, déguisée en grande Dame, et une fois de plus, Léonor s'en va, furieuse. Ces vers ont sûrement inspiré Scarron, lorsqu'il fait dire à Hélène : Ce cabinet est plein de peintures fort belles, Qui divertissent bien. (IV, 2, v. 1019-1020) Evidemment, il y a quelques différences entre les deux passages (chez Scarron, par exemple, Hélène est chez son amie Léonor et non pas chez son amant), et l'on peut se dire que l'évocation du cabinet de peinture n'a rien d'original au dix-septième siècle, puisqu'il est très à la mode dans l'aristocratie, en tant que lieu de méditation où l'on peut se retirer. Cependant, la situation et les équivoques sont trop proches pour que Scarron n'ait pas pris connaissance du texte d'Ouville avant d'écrire cette scène de *L'Héritier ridicule*. Une autre analogie est indiscutable : Dom Diègue, pour punir une maîtresse trop intéressée, décide de lui faire épouser son laquais (II, 5). De la même façon, Léonor, pour se venger de l'inconstant Climante, a l'idée de lui faire épouser « Dorotée », qui n'est qu'une simple suivante : La vengeance seroit conforme à mon desir, Ayant, comme il a fait, refuse la Maistresse, S'il prenoit la Suivante. (V, 2, v. 1620-1622) L'humiliation est la même pour Hélène et pour Léonor, lorsque le subterfuge est dévoilé. Ainsi, Dom Diègue dit à Hélène : « Vous m'avez pris pour dupe, un laquais vous a prise ; » (V, 4, v. 1532), de la même façon que Léonor, pensant humilier Climante, lui dit : « Tu quittes la Maistresse pour prendre la Suivante. » (V, 8, v. 1813). Une fois encore, il demeure des différences entre les deux scènes : dans *La Dame suivante*, la suivante n'en est pas une en réalité, Léonor se console en épousant Adraste alors que chez Scarron, Hélène, humiliée, reste toute seule. Cependant, les situations sont trop similaires pour que la ressemblance soit fortuite. Il faut toutefois noter que ces ressemblances entre *L'Héritier ridicule* et *La Dame suivante* sont déjà présentes entre les deux originaux espagnols dont ces pièces s'inspirent, *La Doncella de labor* de Montalván et *El Mayorazgo figura* de Solórzano. Mais comme l'écrit Roger Guichemerre, les jeunes filles assez hardies pour arracher un galant à une rivale, les galants surpris chez une autre femme, les déguisements, sources de quiproquos piquants, sont monnaie courante dans la *comedia*. Ici l'imitation est flagrante [27]. De plus, le double modèle de *La Dame suivante* et de *L'Héritier ridicule* a sans doute suggéré à Molière l'intrigue des *Précieuses ridicules*, où, de la même façon que Léonor, chez d'Ouville, souhaite se venger de Climante en lui faisant épouser une suivante, de même deux galants, La Grange et Du Croisy, dédaignés par les deux jeunes filles qu'ils recherchaient en mariage, travestissent leurs laquais en gentilshommes pour se venger des deux coquettes et les humilier. Henry Carrington Lancaster émet cette hypothèse et conclut en disant : « C'est comme si Mascarille et Jodelet se révélaient gentilshommes, après que La Grange et Du Croisy les ont aidés à obtenir les femmes qu'ils aimaient [28] ». Le thème original du « trompeur trompé » au cinquième acte de *La Dame suivante* a donc certainement inspiré Molière. Enfin, une scène originale et hautement comique de *La Dame suivante* est reprise dans *Dom Juan*. Nous y voyons le valet Carlin aux prises avec deux suivantes, « Dorotée » et Dorise, qu'il a tour à tour séduites. Chacune, jalouse de l'autre, lui demande de choisir entre elles deux : CARLIN *à Dorise, bas.* Vien-çà, tai-toy badine, Va, je n'en veux qu'à toy, ne le vois-tu pas bien ? ISABELLE *à Carlin.* Vien-çà, que luy dis-tu ? CARLIN. Moy, je ne luy dis rien. DORISE *à Carlin*. Or sus declare-toy, dis à qui tu veux estre, Je veux sçavoir ici si tu n'es pas un traistre. ISABELLE* à Carlin.* Parle donc promptement. CARLIN *bas.* J'ay les sens tout confus, L'une est belle, il est vray, mais l'autre a des escus, Je voudrois bien avoir toutes les deux ensemble. DORISE. Comment ? tu ne dis mot, parle donc, que t'en semble ? CARLIN *bas à Dorise.* Dorise, vois-tu pas que je n'en veux qu'à toy ? DORISE *à Isabelle.* Ecoutez ce qu'il dit ? ISABELLE. Que dis-tu ? parle à moy. CARLIN *bas à Isabelle.* Je dy que c'est à toy seule à qui je veux plaire. (IV, 3, v. 1200-1211) Cette scène n'est pas sans rappeler la situation de la quatrième scène du deuxième acte de *Dom Juan*, où le héros de Molière doit se justifier devant Charlotte et Mathurine, deux paysannes auxquelles il a fait la cour. Là aussi, Charlotte et Mathurine se disputent entre elles avant de demander des explications à Dom Juan et de le forcer à en choisir une des deux ; de la même façon que dans *La Dame suivante*, le séducteur résout le problème en assurant chacune tour à tour de la sincérité de ses sentiments : MATHURINE. … c'est moi, et non pas vous, qu'il a promis d'épouser. … CHARLOTTE. A d'autres, je vous prie ; c'est moi, vous dis-je. MATHURINE. Vous vous moquez des gens ; c'est moi, encore un coup. CHARLOTTE. Le vlà qui est pour le dire, si je n'ai pas raison. MATHURINE. Le vlà qui est pour me démentir, si je ne dis pas vrai. CHARLOTTE. Est-ce, Monsieur, que vous lui avez promis de l'épouser ? DOM JUAN, *bas, à Charlotte*. Vous vous raillez de moi. MATHURINE. Est-il vrai, Monsieur, que vous lui avez donné parole d'être son mari ? DOM JUAN, *bas, à Mathurine*. Pouvez-vous avoir cette pensée ? (II, 4, l.46-63, dans la collection Classiques Larousse.) Evidemment, Dom Juan fait preuve de beaucoup plus d'habileté que le pauvre Carlin, mais nous retrouvons chez d'Ouville et chez Molière la même situation comique et le même mouvement scénique [29]. # Le texte de la présente édition. Il n'existe qu'une seule édition de *La Dame suivante*, imprimée à Paris, en 1645 par Toussainct Quinet. Quatre exemplaires ont été conservés dans des bibliothèques publiques. À chaque fois, la pièce *La Dame suivante* fait partie d'un receuil factice. En voici les références : – B.N. Rés. Yf. 314 = MFICHE Rés. Yf. 314 = microforme P94/665 = MICROFILM M.16837 = microforme R108387 (in-4°, VIII-168 p.). Ce recueil, intitulé *Recueil de comédies*, contient dans l'ordre : *La Coifeuse à la mode, L'Esprit folet, La Dame suivante, L'Absent chez soy* et *Les Fausses Veritez.* – B.N. Rés. Yf. 544 (support imprimé, in-4°, VIII-168 p.). Ce recueil, intitulé *Recueil de comédies*, contient dans l'ordre : *L'Esprit folet, La Coifeuse à la mode, La Dame suivante, Les Fausses Veritez* et *L'Absent chez soy*. On a relié par erreur, entre les pages 80 et 81, *Les Fausses Veritez* et *L'Absent chez soy*. – Arsenal : Rf. 6.610. (support imprimé, in-4°, VIII-168 p.). Ce recueil, intitulé Comédies du Sieur d'Ouville, contient dans l'ordre : L'Esprit folet, Les Fausses Veritez, L'Absent chez soy, La Dame suivante et La Coifeuse à la mode. – B.M. Rouen : Norm. m. 714 (support imprimé, in-4°, VIII-168 p.). Ce recueil factice contient, outre *Les Fausses Veritez* et *La Dame suivante* d'Ouville, *La Clarimonde* de Baro et *Agesilan de Colchos* de Rotrou. Les deux exemplaires de la BNF et celui de la BM de Rouen sont identiques. L'exemplaire de la bibliothèque de l'Arsenal contient une variante : au vers 1814 est inscrit « Dieuz ! » alors que les trois autres exemplaires donnent « Dieux ! ». Nous avons suivi, pour établir notre texte, celui de la bibliothèque de l'Arsenal ( Rf. 6.610 ) ; en voici la description : (1) : LA / DAME / SUIVANTE. / COMEDIE. / (Vignette) / A PARIS, / Chez TOUSSAINCT QUINET, / au Palais, sous la / montée de la Cour des Aydes. /M. DC. XXXXV. / AVEC PRIVILEGE DU ROY. (2) : verso blanc. (3-6) : A / MONSEIGNEUR / LE DUC / DE GUISE, &C. / MONSEIGNEUR. (épître dédicatoire ). (7) : EXTRAICT DU PRIVILEGE DU ROY. (avec l'achevé d'imprimer en date du 8 août 1645). (8) : LES ACTEURS. 1-168 : le texte de la pièce, précédé d'un rappel du titre en haut de la première page. ## Établissement du texte. Pour établir le texte, nous avons suivi la leçon de cette unique édition. Nous avons respecté l'orthographe et la ponctuation originales. Nous avons cependant effectué quelques modifications d'usage qui en rendent la compréhension plus facile : – nous avons apporté les modifications traditionnelles aux usages typographiques qui pourraient gêner le lecteur d'aujourd'hui. Ainsi, nous avons distingué les voyelles* i* et *u* des consonnes *j* et *v*, conformément à l'usage moderne ; – nous avons supprimé le tilde qui était employé pour indiquer la nasalisation d'une voyelle, et avons décomposé ces voyelles nasales en voyelle + consonne ; – nous avons décomposé la ligature *&* en *et*, de même que le ** en *ss* ; – nous avons corrigé certains accents, pour distinguer *là* adverbe et *la* article et *où* adverbe de *ou* conjonction de coordination. – nous avons respecté la graphie originelle des mots *r'entrer* et *n'aguere*. – enfin, nous avons corrigé la ponctuation lorsque celle-ci ne nous paraissait pas pertinente. Il faut cependant savoir qu'au dix-septième siècle, la ponctuation était orale, puisque la poésie était un type d'écriture destiné à être exclusivement dit à voix haute. La ponctuation était vocale, destinée à marquer des pauses dans le discours et non pas syntaxique, comme c'est le cas aujourd'hui, où elle est destinée à être comprise par la vue seule. Ainsi, la virgule marquait une petite pause dans le discours à voix haute : il est d'ailleurs fréquent qu'une tirade se termine par une virgule, ce qui signifie que le personnage a été interrompu alors qu'il n'avait pas fini sa phrase et n'a donc pas baissé la voix. De même, le point d'interrogation était, au dix-septième siècle, autant un signe d'intonation qu'une marque grammaticale. Il n'est donc pas étonnant de voir un point d'interrogation conclure une phrase affirmative, puisqu'il est la marque d'intonation d'un personnage ému. Le point lui-même peut être un point d'intonation et figurer là où nous attendrions en français moderne un point d'interrogation, signifiant alors que l'interrogation est purement oratoire, sans montée de voix. Cependant, il arrive que la ponctuation du texte original ne soit pas pertinente ; nous avons alors procédé à des corrections, dont nous avons relevé les occurrences dans la liste des rectifications ci-dessous. Un astérisque⁎ à la fin d'un mot renvoie le lecteur au lexique, pour une définition du mot en usage au dix-septième siècle, dont la définition actuelle différerait. ## Rectifications. Nous donnons ci-dessous la liste des erreurs et coquilles qui ont été corrigées dans le texte que nous proposons. ### Acte I. Vers 40 aumoins / 156 Jene / 199 faire : ### Acte II. vers 410 me gesne m'embarasse, / 447 estrange ? / 463 propices ? / 509 regardant / 528 Je l'aime / 598 fatisferez / 618 tu passe / 642 Excusez-là, / 754 plaisir ; ### Acte III. page 71 ( première didascalie ) masque. / 765 desseins ? / page 95 ( entre les vers 991 et 992 ) CARLIN. / 998 Amours ? / 1048 vueilliez / 1080 tu monstre / 1081 tu l'a dis, ### Acte IV. vers 1150 je la suis / 1179 jusques à / 1243 outragée / 1245 où / page 125 (entre les vers 1352 et 1353) ADRATSE. / 1384 vo*9* / 1468 qu'il est ? / 1491 cet offence : ### Acte V. vers 1544 ceda / 1610 prins / 1611 exprez moy. / 1637 l'heure sans, doute, / 1771 en vous tesmoignant / 1774 vous oublier / page 161 (entre les vers 1781 et 1782) avec suitte Climante / 1814 Dieuz ! / 1846 Qui ferois-je, / 1857 Nais / 1881 qu'il soit, nuict # LA DAME SUIVANTE. COMEDIE. ## EPISTRE. A MONSEIGNEUR LE DUC **DE GUISE** [30], &c. MONSEIGNEUR , Encor que VOSTRE ALTESSE ne se doive abbaisser qu'à des choses serieuses, elle me pardonnera, s'il luy plaist, si je prens la hardiesse de me servir de son nom pour la protection de cet ouvrage que je mets au jour. Quand le monde sçaura qu'il luy a pleu par deux fois de suite voir la representation de cette Piece, & qu'elle y a trouvé beaucoup de divertissement, comme elle mesme m'a fait l'honneur de m'en asseurer, je suis tres certain que personne ne la trouvera mauvaise. Cette particularité donc m'estant necessaire pour faire taire les critiques, V.A. trouvera bon, MONSEIGNEUR, que je me serve de toutes mes pieces en une chose qui m'est d'une telle consequence. Si V.A. estime cet ouvrage indigne d'elle, je me console, que pour grand qu'il puisse estre, il n'aura jamais cette qualité. Cette Comedie a eu l'heur [31] de reüssir sur le Theatre, & d'avoir attiré l'approbation des plus difficiles pour ce qui est du sujet que l'on a trouvé surprenant, extrémement intrigué, & raisonnablement débrouillé ; Et puis que V.A. a eu assez de bonte, comme j'ay dit, d'avoir honoré sa representation par deux fois de son Illustre presence, elle y aura, sans doute, trouvé des satisfactions qu'elle n'aura pas sur ce papier ; les Acteurs luy ont donné beaucoup d'éclat, & je ne croy pas que toute nuë elle paroisse dans vostre Cabinet avec toutes les graces & tous les avantages que l'Art luy a donné ; aussi n'ay-je pas la presomption de croire qu'estant à present occupé à faire paroistre vostre genereux Courage contre les Ennemis de cet Estat, vous vous amusiez à jetter les yeux dessus, ny que vous dérobiez à la gloire de vostre Prince que vous servez, des moments qui luy sont si necessaires pour considerer cette bagatelle.. Je me contenteray seulement, MONSEIGNEUR, de sçavoir que V.A. m'honore jusques-là de luy donner place dans vostre Biblioteque, & que cette Dame Suivante ait l'honneur de l'estre de quantité de graves Autheurs qui la remplissent, & qu'elle m'acquiere celuy où il y a si long-temps que j'aspire de me pouvoir qualifier, MONSEIGNEUR, DE VOSTRE ALTESSE, Le tres-humble, & tres- obeïssant serviteur, D'OUVILLE ## LES ACTEURS,. – CLIMANTE,Cavalier Parisien, Amoureux de Leonor. – ADRASTE,Cavalier Parisien, Amy de Climante, & Amoureux d'Isabelle. – CARLIN,Valet bouffon de Climante, & Amoureux de Dorise. – ISABELLE,Damoiselle Lyonnoise, Maistresse d'Adraste & Amoureuse de Climante. – DORISE,Suivante d'Isabelle, & Amoureuse de Carlin. – LUCILLE,Damoiselle Suivante de Leonor. – PAMPHILE,Vieillard, Maistre d'Hostel d'Isabelle. – ARISTE,Serviteur, Confident d'Adraste. – TIMANDRE,Vieillard, Oncle de Leonor. – LEONOR,Damoiselle Parisienne, Amoureuse de Climante. – La Scene est à Paris. ## ACTE I. ### SCENE PREMIERE. CLIMANTE, ADRASTE. CLIMANTE. Oüy vous avez querelle, et je sçay de certain [32] Que vous vous allez batre, Adraste à quel dessein Vous cachez-vous de moy ? ADRASTE.         L'estrange resverie ! CLIMANTE. Servez-vous de mon bras, cher Amy, je vous prie, Aussi bien d'aujourd'huy je ne vous quitte point : Et quoy méprisez-vous vos Amys à ce poinct ? ADRASTE. Ah vous me contraignez⁎. CLIMANTE.         Mon devoir me l'ordonne, Enfin de tout le jour je ne vous abandonne. ADRASTE. En pensant me servir, vous nous perdez [33] tous deux. CLIMANTE. Dites-m'en la raison. ADRASTE.         Climante je le veux. Je ne m'en puis desdire, il faut pour me deffaire De vos civilitez enfin vous satisfaire : Oüy, vous avez raison, je ne le puis nier, Je m'en vay de ce pas trouver un Cavalier Que l'on a mal traitté, qui veut en ma presence, Tirer l'espee au poing raison de cette offence, Je ne suis que second, et fais ce que je doy ; Vous auriez grand sujet⁎ de vous plaindre de moy, Me trouvant l'agresseur [34], si j'en employois d'autres, Et fiois mon honneur en d'autres mains qu'aux vostres. CLIMANTE. S'il est vray, je vous laisse et sans plus contester, Je ne doy davantage ici vous arrester⁎. ADRASTE. Si je reviens vainqueur d'où l'honneur nous appelle, Vous sçaurez le premier cette heureuse nouvelle. CLIMANTE. Adieu donc cher Amy, puis que je ne puis mieux, Je vay faire pour vous des prieres aux Cieux.  ### SCENE II. CLIMANTE, CARLIN. CLIMANTE *dans la ruë.*. Je le quitte à regret. Le sort douteux des armes Pour ce parfait amy me donne des alarmes. Qui t'ameine Carlin ? CARLIN.         Je vous viens advertir Que ce soir Leonor s'en va se divertir⁎ : Mais quoy ? recevez-vous avec si peu de joye Ce bien inesperé que le Ciel vous envoye ? Je vous le fais sçavoir par son commandement. CLIMANTE. Mais que veut cette femme ? CARLIN.         Elle vient brusquement. ### SCENE III. ISABELLE, DORISE, CLIMANTE, CARLIN. ISABELLE. Protegez, Cavalier, une innocente femme, Qu'un jaloux sans sujet⁎ veut traitter en infame ; Je me jette à vos pieds, j'embrasse vos genoux, Sauvez-moy s'il vous plaist des mains de mon époux ; Et souffrez, que si c'est ici vostre demeure, Elle me serve au moins [35] d'azile pour une heure. Mon jaloux furieux suit l'épee à la main Un jeune Cavalier, qui sans mauvais dessein Discouroit avec moy dans ma chambre, et je jure Qu'il n'a receu de luy, ny de moy nulle injure : Mais quoy ? c'est un brutal⁎ qui n'entend point raison. CLIMANTE. Ne craignez rien, Madame, entrez dans ma maison, Ou s'il veut contre vous quelque chose entreprendre Je ne manqueray point de cœur pour vous deffendre, Ny d'amis s'il m'en faut en ce pressant besoin, Y deusse-je perir, non laissez m'en le soin. ISABELLE. Je vous devray, Monsieur, et l'honneur et la vie ; A la chaude⁎ je crains de me voir poursuivie, Cachez-moy seulement pour deux heures ici, Je ne crains rien apres, laissez-m'en le souci⁎, J'ay moyen de me mettre en un lieu d'asseurance. CLIMANTE. Je prens de tout mon cœur en main vostre defense, Et donneray bon ordre à vostre seureté. ISABELLE. Vostre cœur marque icy sa generosité. CLIMANTE. Quand de mille jaloux vous seriez poursuivie, Je vous garantirois où je perdrois la vie. ISABELLE. J'accepte cet honneur, mais à condition Qu'encor je vous auray cette obligation, Que dans l'apartement où vous me voulez mettre, Nul n'entrera que vous, le voulez-vous promettre ? CLIMANTE. Non seulement je doy vous accorder ce poinct, Mais s'il vous plaist encor, je ne vous verray point. Il luy donne une clef. Madame, entrez, voila la clef que je vous donne, Enfermez-vous dedans, et n'ouvrez à personne, Je m'en vay voir dehors si l'on vous poursuit pas. Carlin, va la conduire. Carlin sort. ### SCENE IV. CLIMANTE, CARLIN. CLIMANTE, *seul.*.         O Dieux qu'elle a d'appas, Ou le masque me trompe, ou cet objet⁎ aimable Ne void rien dans Paris qui luy soit comparable ; Ah Dieux ! qu'elle a de grace à plaindre son malheur [36] ? Et que je suis touché de sa juste douleur, Que contre ce jaloux ma colere s'irrite ; Carlin rentre. Je n'ay que d'un moment retardé ma visite. Pardonnez [37] Leonor : Allons, suy-moy Carlin. CARLIN. En verité, Monsieur vous n'estes guere fin, Je viens à double tour de fermer la valise ; Comment laisser entrer avec tant de franchise Ces visages chez vous qui vous sont incognus ? J'ay mis en seureté ce sac de quarts-d'escus Que vous m'aviez donné pour faire la despense. Ces Nymphes pourroient faire avec eux cognoissance ; Dans Paris nous devons de tout nous deffier⁎, Je ne laisserois pas à leur voye [38] un denier, Je serois un niais si j'estois si credule, Puis vous m'accuseriez d'avoir ferré la mule⁎. CLIMANTE. Ta deffiance icy paroist hors de saison, Considere leur mine, ah tu n'as pas raison. CARLIN. Ne nous fions, Monsieur, nullement aux visages, Chacun joüe à Paris d'estranges personnages, Et sans vous faire tort je cognoy des filoux Qui du moins ont la mine aussi bonne que vous. Quand aux Dames aussi, telle fait la doucette Qui sçait subtilement ployer une toilette⁎. CLIMANTE. Laissons-là ce discours, tai-toy, sortons d'icy. ### SCENE V. ISABELLE, DORISE dans la chambre de Climante. ISABELLE. Sont-ils partis, Dorise [39]. DORISE.         Ouy : Mais Dieux qu'est-cecy ! Veillay-je⁎, ou si je dors ? quelle est cette advanture ? A-t'on jamais parlé de pareille imposture ? Vous estes fille encor, et d'un mary jaloux Vous fuyez la colere ! ô Dieux que dites-vous ! Lors que si brusquement vous estes descenduë, Laissant vostre carosse au coin de cette ruë, Faisant signe au cocher de vous attendre-là, Je n'ay peu deviner où tendoit tout cela : Vous avez d'un tel art appuyé cette fable Que j'ay creu, peu s'en faut, qu'elle estoit veritable, Et j'ay tourné les yeux plusieurs fois tout exprez, Croyant que ce mary vous poursuivoit de prez : Vous femme ! O Dieux qu'entens-je ? estes-vous insensée ? ISABELLE. Il est force⁎ [40] qu'icy je t'ouvre ma pensée, Puis qu'à chaque moment j'auray besoin de toy, Je t'en veux declarer la cause, escoute-moy, Dorise, tu sçais bien que je suis estrangere, Que je suis fille unique, et sans pere et sans mere, Et je puis declarer icy sans vanité, Qu'avec si peu qu'on dit estre en moy de beauté, Je possede de plus des biens en abondance, Lyon [41] est, tu le sçais, le lieu de ma naissance, D'où je suis arrivée à Paris, à dessein D'y poursuivre un procez dont j'espere le gain, Qui m'importe beaucoup ; Mais qu'est-il necessaire De venir à present te conter cette affaire, Tu le sçais comme moy, brisons⁎, venons au poinct, Et declarons un fait qu'encor tu ne sçais point. Jusques ici j'estois à l'Amour insensible, Mais en voyant Climante, il me fut impossible De resister aux traicts d'un si puissant Vainqueur, Je luy voulus offrir, et mes biens, et mon cœur : Mais avant que de faire un entier sacrifice De ce cœur à Climante, admire mon caprice : J'ay desiré sçavoir s'il estoit genereux, Afin de preferer à celle d'Amoureux Cette vertu que j'ayme en un cœur magnanime, Sans laquelle je fay des autres peu d'estime : Doutant s'il estoit tel, j'ay feint pour le sçavoir, Ce que tu viens d'entendre, et que tu viens de voir, Pour cognoistre en effet, s'il auroit l'asseurance⁎ De vouloir hazarder⁎ sa vie en ma defence : Ce qu'il a fait, Dorise, avec un cœur si franc, Qu'il n'a point hesité de prodiguer son sang, Il s'est offert à moi, mais de si bonne grace, Qu' il n'est rien à present que pour luy je ne face ; Puis donc que j'ay cognu ce qu'il est aujourd'huy, Je n'ay plus qu'une chose à desirer pour lui. DORISE. Quelle est-elle, Madame ? ISABELLE.         Ah Dorise ! qu'il m'aime. DORISE. Moderez les transports⁎ de cette ardeur extréme, Pardonnez si je dy que vous avez grand tort, Adraste qui vous aime, et vous cherit si fort Merite-t'il de vous un traitement si rude, De le vouloir payer de telle ingratitude ? ISABELLE. Adraste est importun, il desplaist à mes yeux, Dorise, ses respects me sont tous odieux, Ses transports⁎ amoureux excitent ma cholere, Je ne [42] le puis souffrir ; DORISE.         Que pretendez-vous faire, Attendant que Climante ici soit de retour ? ISABELLE. Seconde mes desseins, je t'en conjure Amour, Fay qu'en ce cabinet ma douleur se dissipe. DORISE. Je crains bien que Climante ici ne s'émancipe, Vous vous embarassez l'esprit mal à propos. ISABELLE. Va Dorise, tay-toy, si je perds le repos Avec la liberté, je n'ay point, ce me semble, Perdu le jugement. DORISE.         Je le croy, mais j'en tremble. ### SCENE VI. LEONOR, CARLIN, CLIMANTE dans la ruë. LEONOR. Qu'on fasse promptement avancer mon cocher [43]. CARLIN. Je viens presentement⁎ de l'envoyer chercher, Car il n'est pas ici, ne croyant pas, peut-estre, Que vous vinsiez si-tost. LEONOR.         Voyez un peu le traistre, Me laisser à la ruë à telle heure qu'il est ? Rentrons, CARLIN.     Tout est fermé. CLIMANTE.         Madame, s'il vous plaist Venir en mon logis attendant sa venuë. LEONOR. Quoy ! demeurerions-nous à pied dedans la ruë A telle heure qu'il est ! allons je le veux bien. CLIMANTE. C'est à vingt pas d'ici. CARLIN *bas*.         Dieux ! il ne songe à rien ; Il ne se souvient plus de la Dame enfermée, Leonor seroit bien de cholere animée Venant à la trouver : Dieux tout seroit perdu ; Il l'en faut advertir ; Monsieur. CLIMANTE.         Que me veux-tu ? CARLIN *bas à Climante.*. Vous ne songez à rien : craignez-vous point le blâme Qu'elle vous donneroit, en voyant cette femme Que vous tenez chez vous ? CLIMANTE *bas à Carlin.*.         J'ay les sens tous confus, Je proteste⁎, Carlin, que je n'y songeois plus. Quel remede à present ? comment pourray-je faire ? CARLIN *bas à Climante*. Vous ne pourriez jamais appaiser sa cholere, Gardez-la d'y venir. CLIMANTE *bas à Carlin.*.         C'est ce que je pretends. LEONOR. Ce discours entre vous durera-t'il long-temps ? Dépeschons-nous, Climante, allons. CLIMANTE.         Non, non, Madame, On en pourroit causer, et vous donner du blâme, Le cocher va venir, attendons s'il vous plaist, Il seroit indecent à telle heure qu'il est Que l'on vous vist chez moy. LEONOR *bas*.         Grands Dieux, je desespere, Sans doute ce discours cache quelque mistere. CARLIN. Le cocher est venu. LEONOR *bas*.         Je creve de courroux. CLIMANTE. Il vaut donc mieux, Madame, aller tout droit chez vous. LEONOR. Je ne me repais pas d'une fourbe pareille, Carlin vous a parlé quelque temps à l'oreille, Dont [44] vostre esprit confus paroist tout interdit, Sçachons ce qui vous trouble, et ce qu'il vous a dit. CLIMANTE. Madame il est bien vray que je le voulois taire [45] : Mais si vous le voulez il vous faut satisfaire, Je vous l'ay teu de peur de vous inquieter, Adraste est mon Amy, vous n'en pouvez douter, Mesme il vous fut un temps serviteur tres-fidele : Je viens d'aprendre ici qu'il avoit eu querelle. LEONOR *bas*. Tu ments, et tu sçais mal couvrir ta trahison, Dissimulons pourtant. Haut.         Oüy vous avez raison : Allez à vostre Adraste offrir vostre service, Si je vous arrestois je ferois injustice, Vostre logis est prez, je m'en iray sans vous. CLIMANTE. Madame s'il vous plaist. LEONOR *bas*.         Je brusle de courroux. Non demeurez ici : Bas.         Que ce discours me picque⁎. CLIMANTE. Vous me le commandez, j'obey sans replique. CARLIN. Mieux que nous n'esperions la chose a reüssi. ### SCENE VII. ISABELLE, DORISE dans la chambre de Climante. ISABELLE. Climante tarde trop, retirons-nous d'ici, Quelle peine grands Dieux à la mienne est egale ? Sans doute il s'entretient avec quelque rivale, Quelque objet⁎ plus puissant aura peu le charmer. DORISE. Vous ne l'en pouvez pas ce me semble blâmer, Puis qu'il ne peut sçavoir que vous l'aimez encore. ISABELLE. Helas si je me plains du feu qui me devore, Je n'en accuse ici que mon propre malheur. DORISE. Parlez luy franchement, ouvrez luy vostre cœur. ISABELLE. Ce seroit encor pis. DORISE.         Que voulez-vous donc faire ? ISABELLE. Il faut bien me resoudre à souffrir, et me taire, Puis que je ne voy point de remede à mon mal : Ah ! ce retardement⁎ est un signe fatal Que l'ingrat aime ailleurs, helas il me mesprise ! Sortons, fay r'aprocher mon carosse, Dorise. DORISE. Demeurerez-vous seule ? ISABELLE.         Oüy, que redoutes-tu ? DORISE. Je croy bien que Climante est la mesme Vertu ; Mais pourtant. ISABELLE.         A quoy bon d'avoir ces meffiances, Va va, je ne suis pas si seule que tu penses, J'ay bonne compagnie estant seule avec moy. Dorise en sortant rencontre Climante. ### SCENE VIII. CLIMANTE, DORISE, ISABELLE. CLIMANTE *dans la mesme chambre.*. Que fait vostre Maistresse ? DORISE.         Elle n'a plus je croy Tant de troubles dans l'ame, elle est bien consolée Depuis qu'elle a receu la faveur signalée⁎ Qu'il vous a pleu [46]. CLIMANTE.         Sçachez si je la pourrois voir. DORISE. Je croy qu'oüy [47], Monsieur, je m'en vay le sçavoir. Elle parle à Isabelle par la porte du cabinet. Ce Cavalier, Madame, est ici qui desire [48]… ISABELLE *dedans, l'interrompant.*. Tai-toy, je sçais assez ce que tu me veux dire, Je me masque, et je sors. Elle sort masquée.         **Je commençois Monsieur, D'estre en peine⁎ de vous, et je mourois de peur Que mon jaloux Mary [49]. CLIMANTE.         Je n'ay rien veu, Madame, Mais mon retardement⁎ merite un peu de blâme, Le devoir m'a forcé de vous quitter ainsi. ISABELLE. Il est tard, permettez que je sorte d'ici, Je n'ay plus rien à craindre, adieu, je vous rends grace : A Dorise. Va trouver ma cousine, et luy dy qu'elle fasse Aprester son carosse ; il fait desja bien noir, Il me faudra coucher chez elle pour ce soir. DORISE. Bien, j'y cours ; Dorise sort. CLIMANTE.         Il n'est pas si tard comme vous dites. ISABELLE. Des lieux d'où vous venez de faire vos visites, Le temps vous a semblé beaucoup plus court qu'à nous. CLIMANTE. Je l'aurois mieux passé sans doute auprez de vous. Où voulez-vous aller, quelle affaire vous presse ? Certes pour cette nuict vous serez mon Hostesse, Disposez du logis. ISABELLE.         Il est bien plus seant D'aller où l'on m'attend. CLIMANTE.         Obligez⁎-moy devant⁎ De me permettre au moins d'avoir cet avantage De contempler les traits de ce parfait visage. ISABELLE. Vous faites là, Monsieur, un fort mauvais souhait, Et vous en allez estre assez mal satisfait. Comme elle veut oster son masque on frappe à la porte. Toutesfois pardonnez [50], on frappe à cette porte : Grands Dieux, j'aymerois mieux mille fois estre morte Qu'un autre homme que vous me vist dedans ces lieux. CARLIN. C'est Adraste, Monsieur. ISABELLE.         Adraste, justes Dieux ! CLIMANTE. Quel estrange accident⁎ vous cause cette veuë. ISABELLE. Si cet homme me voit, Monsieur, je suis perduë, Il est proche parent du Mary que je crains. CLIMANTE. R'entrez, et là dedans vos soubçons seront vains, Ne redoutez, Madame, ici nulle surprise. Isabelle entre dans le Cabinet qu'on s'imagine estre derriere le Theatre, et Climante l'y conduit. ### SCENE IX. ADRASTE, CLIMANTE. ADRASTE *seul dans la mesme chambre.*. Dieux que je suis surpris ! seroit-ce bien Dorise Que j'ay veuë en entrant ? non, non, cela n'est pas : Car quel Demon pourroit conduire ici ses pas ? Non, ma veuë aisément se peut estre trompée, Et ma peur en ce lieu doit estre dissipée. Dorise, justes Dieux ! pourquoy sortir d'ici ? Non cela ne peut estre. Climante sort du cabinet. CLIMANTE.         Adraste, vous voici ? J'en suis ravi, comment s'est terminé l'affaire ? ADRASTE. Nous avons eu tous deux la Fortune prospere : Entrons au cabinet. CLIMANTE *le repoussant.*.     **N'entrez pas là. ADRASTE.         Pourquoy ? CLIMANTE. Ainsi que vous n'avez rien de caché pour moy, Je n'ay pour vous, Adraste, aucun secret en l'ame. Quoy qu'on m'ait defendu de le dire, une Dame Est là, qui ne veut point que vous sçachiez son nom, Ny que vous la voyez [51]. ADRASTE.         Mais pour quelle raison ? CLIMANTE. Je vous diray que [52] c'est [53]. ADRASTE.         Dites tost je vous prie CLIMANTE *bas.*. Il faut en ce besoin user de menterie⁎. Haut. Cher Adraste, je veux vous parler franchement ; Leonor est entrée en cet apartement, Qui d'autre que de moy ne veut point estre veuë : Elle est preste à sortir. ADRASTE.         Je vay donc dans la ruë Attendant qu'elle sorte. CLIMANTE.         Allez-y faire un tour. ADRASTE *bas.*. Courage, tout va bien, je te rends grace, Amour, Que ce soit Leonor, et non pas Isabelle. CLIMANTE. Vous me permettrez bien de r'entrer avec elle. Climante r'entre dans le Cabinet. ### SCENE X. LEONOR, ADRASTE, CARLIN, CLIMANTE, DORISE, ISABELLE, LUCILLE. Comme Adraste veut sortir de la chambre, il rencontre à la porte Leonor qui vient voir Climante [54]. LEONOR. C'est Adraste qui sort de chez luy. ADRASTE.         Qui va là ? LEONOR. C'est moy, c'est Leonor. ADRASTE.         Que veut dire cela ? Leonor, est-ce vous ? LEONOR.         Vous m'avez mise en peine, C'est vostre seul sujet⁎, Adraste, qui m'emmeine⁎, Je me réjoüy fort de vous voir en santé⁎. ADRASTE. Quelles illusions ! quoy donc suis-je enchanté⁎ ! Pouvez-vous estre ici (Dieux cela m'épouvante) Et dans un cabinet encor, avec Climante ? LEONOR. Adraste, révez-vous ? ADRASTE.         Luy-mesme me l'a dit. LEONOR. Ah ! je m'en doutois bien, Adraste, on me trahit. ADRASTE *bas.*. Mais moi-mesme, ah l'ingrate ! ah Dieux l'ame infidelle ! Allons droit de ce pas au logis d'Isabelle ; Haut. Madame, je vous quitte ; ah ! j'en eusse juré. Adraste sort. LEONOR *entre dans la chambre où elle trouve Carlin.*. Que fait ton Maistre ? CARLIN.         Il est, que je croy, retiré⁎. LEONOR. Ouvre, je le veux voir. CARLIN *bas.*.         La chose est sans remede. Climante sort du cabinet. Tout est perdu, Monsieur : CLIMANTE *bas.*.         **Dieux soyez à mon aide : Haut. Quel excez de faveur à ces heures ici ? LEONOR. Ne vous estonnez pas, j'en dois user ainsi. Je ne puis oublier qu'Adraste m'a servie, Et comme il a couru fortune de la vie, Comme vous m'avez dit, je veux sçavoir comment S'est passé son affaire. CLIMANTE.         A son contentement. LEONOR. Sans mentir, cette chambre est curieuse et belle, Cette tapisserie est de façon nouvelle ; Où sont vos beaux Tableaux ? CLIMANTE.         Dedans mon cabinet [55]. LEONOR. Entrons, je les veux voir. Elle va pour entrer, et Climante l'arreste. CLIMANTE.         Madame, il n'est pas net : Demain asseurément je prendray plus de peine Pour le mieux ajuster⁎. LEONOR.         Cette raison est vaine, Qu'importe [56] : CLIMANTE *bas*.         Ah je meurs ! Non vous n'entrerez point. LEONOR. Climante, je vous trouve interdit de tout point ; C'est pour ce seul sujet⁎ que j'en ay plus d'envie, Je verray ce que c'est, ou je perdray la vie. CLIMANTE *la retenant.*. Pour cause, n'entrez point. LEONOR.         Je veux sçavoir que [57] c'est : Bas. Sans doute on me trahit. DORISE *entre qui la prend pour sa Maistresse.*.         **Le carosse est tout prest, Madame on vous attend. LEONOR.         Ce message s'adresse A d'autre [58]. DORISE *surprise.*.         **Je pensois parler à ma Maistresse ; Qu'est-elle devenuë ? CLIMANTE *bas.*.         **Ah que je suis confus ! LEONOR. Ce Cavalier pourra respondre là dessus. A Climante. Dy perfide, à present que tu n'es pas un traistre [59] ? N'es-tu pas convaincu⁎ ? CLIMANTE.         Je vous feray paroistre Que je suis innocent, Madame, croyez-moy. LEONOR. Comment pourrois-tu l'estre, ingrat ? dy moy pourquoy ? Tu tiens au cabinet une femme enfermée : Crois-tu tromper mes sens comme à l'accoustumée ? CLIMANTE. Vous m'accusez à tort, et vous avez raison : Un Amy m'a tantost demandé ma maison Pour pouvoir librement parler à sa Maistresse : Ils sont seuls là dedans. LEONOR *bas.*.         **Il ment avec adresse ; Haut. S'il est vray j'ay grand tort. CLIMANTE.         Madame, asseurément Il n'est rien de plus vray. ISABELLE *sort du cabinet masquée, et dit.*.         **Je proteste⁎ qu'il ment, Climante, à quel dessein une telle imposture ? Et m'y faire servir de pretexte ? LEONOR.         Ah ! parjure, Auras-tu bien le front⁎ encor de repartir⁎ ! CLIMANTE. Croyez qu'asseurément je la vay démentir⁎. A Isabelle. Ne nous déguisez rien, au nom des Dieux, Madame, Dites pour quel sujet⁎. LEONOR.         Ah le traistre ! ah l'infame ! A-t'il encor le front⁎ de vouloir contester ? ISABELLE. Suffit-il point, Climante, ici de m'affronter, Sans me faire mentir ? CLIMANTE.         Dieux quelle effronterie. Pouvez-vous soustenir ? ISABELLE.         Climante, je vous prie De ne m'obliger point maintenant à parler, Car quand on me dément⁎ je ne puis rien celer. CLIMANTE. Parlez, je ne crains rien. LEONOR.         Voyez un peu l'audace. ISABELLE *à Leonor.*. Je m'en vay donc parler, escoutez-moy de grace, Je vous dis franchement, si vous voulez sçavoir Qui [60] m'emmeine⁎ en ce lieu : c'est luy, c'est pour l'y voir. Comme nous discourions, et nous tenions ensemble Quelque propos d'Amour, un Amy ce me semble, Est venu pour le voir : luy tout surpris me met Pour me cacher de luy dedans ce cabinet. Incontinent⁎ apres vous estes arrivée, Qui pensiez me braver, mais je vous ay bravée : Ma servante est venuë incontinent⁎ apres M'advertir devant vous, qu'un carosse ici prez M'attend pour me mener⁎ ; Madame je vous cede Le bien que j'y pretends ; Quoy que je le possede Ne m'en sçachez pas gré, c'est peu vous obliger⁎ De vous faire un present d'un Amant si leger. Bas. Que leur confusion encor est redoublée : Mais ils sont moins confus que je ne suis troublée. CLIMANTE *à Leonor.*. Madame, prenez garde aux sermens que je fais. LEONOR. Traistre, n'espere pas de me revoir jamais. Elle s'en veut aller, et Climante la retient. ISABELLE *à Dorise.*. Allons mamie, allons ; DORISE *bas à Isabelle.*.         J'ay la clef de la porte, La rendray-je ? ISABELLE *bas à Dorise.*.         **Non pas, ainsi que toy j'emporte Celle du cabinet. LEONOR *à Climante.*.         **Va, tu n'es qu'un trompeur. ISABELLE *bas à Dorise.*. Ce sont gages des lieux où je laisse mon cœur. Isabelle et Dorise sortent. CLIMANTE *à Leonor, la retenant.*. Madame demeurez, escoutez-moy de grace. LEONOR. Si c'est avec dessein que je me satisface [61], Je ne le suis que trop de vos perfides traits ; Adieu, perfide, ingrat. Leonor et Lucille sortent. CLIMANTE.         Carlin, courons apres, Car ma vie en dépend. CARLIN.         Voyez quelle malice, Si je m'en deffiois c'estoit avec justice. CLIMANTE. Courons, cette impudente a destruit mon amour. CARLIN. L'adrette [62], la matoise⁎, ô Dieux le plaisant tour ! Ils courent apres Leonor. Fin du premier Acte. ## ACTE II. ### SCENE PREMIERE. ADRASTE, ARISTE dans la ruë à la porte de Climante. ADRASTE. Quoy, Climante n'est pas en son logis, Ariste ? ARISTE. Non, mais desirez-vous estre ainsi toûjours triste ? Reprenez une fois vos esprits : quoy Monsieur, Voulez-vous toûjours estre en si mauvaise humeur ? Qu'est devenu ce cœur jadis plein de constance ? N'estes-vous point guery de cette deffiance ? ADRASTE. J'y suis plus que jamais, Ariste, et je ne puis Retirer mon esprit de ce gouffre d'ennuis⁎, Je ne cognoy plus rien capable de me plaire, Je ne sçais que te dire, et je ne puis que faire. Puis-je estre moins confus et moins embarassé ? N'as-tu pas sceu de moy tout ce qui s'est passé ? Tout ce qu'hier au soir m'arriva chez Climante ? Ariste plus j'y pense, et plus mon mal s'augmente. Il est vray que Climante a fait tout son effort Pour bannir ces soubçons qui me donnoient la mort ; Mais quoy qu'il puisse dire, et quoy qu'il puisse feindre, J'ay bien moins de sujet⁎ d'esperer que de craindre, Bien loin de m'esclaircir, son excuse m'aigrit, Me gesne [63], m'embarasse, et me trouble l'esprit : Je voy dans ce cahos mes raisons confonduës : Doy-je douter encor des choses que j'ay veuës ? Et dans ce grand malheur que je craignois le moins, Doy-je accuser mes yeux d'estre deux faux témoins ? Avec mes Ennemis sont-ils d'intelligence⁎ ? Mais doy-je croire aussi que Climante m'offence ? Non, non, je ne doy point soubçonner en effet, Rien qui puisse offencer un Amy si parfait, Il aime Leonor, il meurt d'amour pour elle, Et je ne pense pas qu'il cognoisse Isabelle. Non, non, mes faux soubçons m'ont tres-mal adverti, Et quiconque m'en dit autant qu'eux a menti ; Vous vous trompez, mes yeux, et Climante sans doute M'a dit la verité : non vous ne voyez goute⁎, Vous l'accusez à faux⁎ ; mais hier en effet, Climante embarassé fut pris dessus le fait, Son mensonge d'abord me parut manifeste ; A quoy bon me mentir ? puis quand je pense au reste Je me trouve surpris d'une estrange façon, Et le tout joint ensemble accroit bien mon soubçon : Je fus hier au soir au logis d'Isabelle, Et je vy que fort tard elle r'entroit chez elle ;  Lors⁎ [64] sans me faire voir je rebroussé [65] chemin, Je fus revoir Climante, et je luy dis enfin Ce que j'apprehendois, je luy fy mon histoire, Et luy dy que j'avois juste sujet⁎ de croire Qu'il estoit mon Rival, et que cette beauté Qu'il m'avoit fait passer sous un nom emprunté, Estoit mon Isabelle ; il me jure au contraire Que ce n'estoit point elle, et me conte un mistere Tellement esloigné du sujet⁎ de ma peur, Qu'il la fit dissiper ainsi qu'une vapeur ; Il me jura cent fois pour m'oster cet ombrage⁎, Qu'il n'avoit jamais veu les traits de son visage, Qu'elle fuyoit des mains de son Mary jaloux, Et de plus que j'estois parent de son Espoux ; Si Climante dit vray, cette histoire est estrange [66]. ARISTE. Mais seroit-il point homme à vous donner le change⁎ ? ADRASTE. Helas je n'en sçay rien, j'ay les sens tous [67] confus : Attendons que le temps m'instruise là-dessus. ARISTE. Mais à tout ce discours, que dit vostre Isabelle [68]. ADRASTE. C'est ce qui fait ma peine, Ariste, la cruelle D'ici s'est absentée, et j'oserois jurer Qu'elle l'a faict exprez pour me desesperer. Dès la pointe du jour la cruelle est partie Pour aller à Lyon, pour m'arracher la vie, Avec dessein je croy, de n'en partir jamais, Afin de rendre vains tous les vœux que je fais. ARISTE. Quel est donc donc vostre but au mal qui vous possede ? ADRASTE. Mourir, puis que ce mal est sans aucun remede ; Si Climante avec qui je viens me consoler N'est point à sa maison, il nous en faut aller : Nous reviendrons tantost ; Dieux soyés [69]-moi propices [70] ! Ne payez pas si mal mes fidelles services ; Ou me donnez la mort, si je ne puis un jour Recueillir aucun fruit de ma parfaite Amour [71]. ### SCENE II. PAMPHILE, ISABELLE, LUCILLE. PAMPHILE *à la ruë, à la porte de Leonor.*. Songez-y mieux, Madame, et que pensez-vous faire ? ISABELLE. Je veux que cela soit, Pamphile, il se faut taire, Puis que tu me cognois resoluë à ce point, Fay ce que je t'ordonne, et ne replique point. PAMPHILE. Tout beau⁎, j'entends quelqu'un. LUCILLE.         Qui frappe à cette porte ? PAMPHILE. C'est moy qui voudrois bien que vous fissiez en sorte Que je visse Madame. LUCILLE.         Attendez un moment. PAMPHILE. Je suis ici venu par son commandement. LUCILLE. Je m'en vay de ce pas faire vostre message : Madame va descendre ; ah Dieux quel beau visage ! PAMPHILE. Vous nous obligez⁎ trop. LUCILLE.         Mon bon-homme, est-ce ici Cette fille qui vient pour servir ? PAMPHILE.         La voici : C'est ma fille, Madame, et fort vostre servante [72] LUCILLE. C'est moy qui suis la sienne, ah qu'elle me contente ! Attendez, je m'en vais de ce pas l'avertir Qu'elle est fort agreable, elle s'en va sortir. Lucille sort. PAMPHILE. Nous attendrons ici : Mais dites-moy, Madame, Je ne puis m'empescher de vous donner du blâme. Quel peut estre le but de ce déguisement, Ce caprice nouveau m'estonne extrémement ; Je le voy, je le touche, et j'ay peine à le croire : Vous ne m'avez rien dit de cette estrange histoire Que peu de chose en haste, il faloit m'avertir, Au moins si l'on m'enquiert, comme il faut repartir : N'estant pas bien instruit, on me pourroit surprendre. Contez-moy, s'il vous plaist, et me faites entendre⁎ Pourquoy vous desirez entrer en cet habit Pour servir Leonor ? ISABELLE.         Je ne t'ay pas tout dit. Sçache donc que j'adore un homme incomparable Qui n'a rien que de grand, qui n'a rien que d'aimable, Que Leonor aussi cherit extremement : Il l'aime, et c'est de là d'où [73] naist tout mon tourment, Et le sujet⁎ aussi de ces metamorphoses ; Voy comme en peu de mots je t'ay dit bien des choses, Sa generosité m'est cognuë à tel point, Que si je meurs pour luy, ne t'en estonne point : Je desire aujourd'huy par cette extravagance, De ce couple d'Amans rompre l'intelligence⁎ : Je leur avois joüé [74] cette nuit d'un beau tour, Qui pouvoit de tout point destruire leur Amour : Mais quoy, cette union qui leurs deux cœurs assemble A fait qu'ils ont bien-tost refait leur paix ensemble : Mais ce Dieu tout-puissant qui regarde en [75] mon sein⁎ Me fera bien venir à bout de mon dessein. J'ay fait courir le bruit, comme tu sçais Pamphile, Que j'ay de grand matin abandonné la Ville, Pour aller à Lyon, autant pour destourner Adraste qui me vient sans cesse importuner, Que pour mieux asseurer par ma feinte retraite Cette fourbe qui doit me rendre satisfaite. J'ay sçeu que Leonor qui meurt d'amour pour luy, Cherchoit une servante, on m'y place aujourd'huy, On m'a peinte à ses yeux de cent graces pourveuë, Je n'ay plus qu'à la voir pour estre bien receuë : Juge si ta Maistresse a de l'esprit ou non, Pour mieux y parvenir j'ay déguisé mon nom ; Souvien-toy qu'on me nomme à present Dorotée : Pour Dorise, j'ay fait qu'elle s'est absentée, Je l'ay dés le matin mise chez un Bourgeois, Pour mieux favoriser le dessein que j'avois, Ce qu'elle a fait sçavoir au valet de Climante ; Il [76] l'aime dés [77] longtemps, dont [78] je fais l'ignorante, Et Carlin mesme aussi croit que je n'en sçay rien, Et ne me cognoit pas ; Voy si par ce moyen, Pamphile, estans ainsi nous deux en sentinelle, Je pourray pas sçavoir [79] ce qui se fait chez elle : Pour toy, pren un logis assez proche d'ici, Tu te diras mon pere, et me verras⁎ ainsi. Toubeau⁎ [80], j'entens qu'on ouvre, observe bien Pamphile L'ordre que je te donne. PAMPHILE.         Il n'est pas difficile, Vous estes sans mentir estrange en vos desseins. ### SCENE III. LEONOR, LUCILLE, PAMPHILE, ISABELLE, dans la ruë à la porte de Leonor. LEONOR. Si belle, me dis-tu ? LUCILLE.         Plus que je ne la peins, Madame la voilà, suis-je pas veritable ? LEONOR. Lucille tu dis vray, Dieux qu'elle est agreable ! PAMPHILE. Madame, l'on m'a dit que ma fille a l'honneur De vous venir servir : c'est pour elle un bonheur, Dont possible [81] quelqu'un en vain l'aura flatée. LEONOR. Comment l'appelle-t'on ? PAMPHILE.         Son nom est Dorotée : Ma fille, approchez-vous, parlez, ne craignez rien, Quelle peur avez-vous ? Vous l'excuserez bien, Madame, devant vous elle est toute honteuse. Vous ne laisserez⁎ pas d'estre respectueuse, Quoy que vous témoigniez un peu de liberté. Faites la reverence avec civilité. Elle fait une grande reverence. LEONOR. N'as-tu jamais servi ? ISABELLE.         Personne que mon pere, Madame, mais voyant tout rempli de misere, A cause de la guerre, et des malheurs du temps, Mon pere desja vieil, pauvre, et chargé d'enfans, J'ay desiré chercher une honneste Maistresse Pour soulager un peu son extréme vieillesse : M'en informant [82] à Laure, elle m'a tant vanté Vostre grande douceur, vostre extréme bonté, Que mes maux sont finis, si j'ay cet avantage Que de vous pouvoir plaire. LEONOR.         Elle paroist bien sage. PAMPHILE. Madame, pardonnez [83] si j'ose la loüer, Quoy que pere, je suis forcé de l'avoüer, Elle a beaucoup d'esprit, et vaut plus qu'on ne pense, Je la feray rougir parlant en sa presence : Pour dresser⁎ le ménage, et arrivant chez vous, Elle mettra d'abord tout, c'en-dessus dessous [84]. ISABELLE. Plus que vous ne voudrez j'agiray de [85] courage Et d'adresse. LEONOR.         Dy moy, fais-tu point quelque ouvrage⁎ ? ISABELLE. Oüy, Madame, j'en fais, et de toutes façons : Feu ma mere autrefois m'en a fait des leçons, Je couds bien, je travaille à la tapisserie, Et sçay d'autres secrets, dont la galanterie⁎ Vous pourra divertir, et vous estonnera, Et dont la nouveauté je croy vous surprendra ; Je puis en vous servant aussi me satisfaire, Le temps vous fera voir ce que je sçauray faire. LEONOR *bas.*. Sa bonne humeur est propre à chasser mon ennuy. Haut. M'habilleras-tu bien ? sçais-tu comme aujourd'huy L'on se coiffe à la Cour ? te rendras-tu capable De me bien ajuster⁎, pour me rendre agreable Aux yeux d'un Cavalier qui se dit mon Amant ? ISABELLE *bas.*. (Pour te faire paroistre un monstre) Haut.         **Asseurément, Quoy que j'y sache peu, j'y tâcheray, Madame : Toutesfois vostre Amant m'en donneroit du blâme, Pensez-vous que je puisse adjouster au parfait, Et faire plus en vous que Nature n'a fait ? Non, Madame, en formant les traits de ce visage, Elle a de l'artifice en vous banni l'usage : Quand je n'en sçaurois pas ny l'art, ny le moyen, J'y pourrois reüssir merveilleusement bien. LEONOR. Qu'elle a l'esprit joli, qu'elle est douce et bien née. Combien demandes-tu pour servir par année ? ISABELLE. Ce qu'il plaira, Madame, à mon pere : je doy Vouloir tout ce qu'il veut, il dispose de moy. PAMPHILE. Madame, si ma fille a l'honneur de vous plaire, Je ne desire point de plus ample salaire, Vous en disposerez ainsi qu'il vous plaira, Et la satisferez [86] comme elle servira. LEONOR. Va, si tu me sers bien, croy que la recompense Surmontera, ma fille, encor ton esperance ; Tu ne serviras pas chez moy bien longuement, Sans estre mariée à ton contentement. ISABELLE. C'est, à n'en point mentir, le seul but où j'aspire, Vous m'offrez en ce point tout ce que je desire ; Je parle hardiment, mais c'est vostre bonté Qui m'oblige, Madame, à cette liberté. LEONOR. Bien, va, je te reçoy, Laure qui t'as produite⁎ M'a tantost respondu de ta sage conduite : N'ayant jamais servi, Lucille t'instruira. ISABELLE. Madame, je feray tout ce qu'il vous plaira, Dans le desir que j'ay de vous estre agreable, Il faudra peu de temps à m'en rendre capable. LEONOR* bas en s'en allant.*. Je r'entre, l'heur m'en veut [87], j'ay si bien rencontré⁎, Que servante jamais ne fust plus à mon gré. Haut. Pren congé de ton Pere, et luy dy qu'il s'en aille. ### SCENE IV. ISABELLE *seule.*. Dans la ruë avec Pamphile, à la porte de Leonor. Tu me vois à present dans le champ de bataille, Amour, assiste-moi, fay-moy voir dans ces lieux Que tu passes [88] par tout pour le Maistre des Dieux : Favorisant mes vœux, donne-moy l'avantage Que je puisse égaler ma force à mon courage ; Qu'authorisant l'ardeur qui couve dans mon sein, Je puisse executer mon genereux⁎ dessein : Faisons voir ce que peut une fille Amoureuse, Qui meurt de jalousie, et se voit malheureuse, D'aimer sans estre aimée, et de voir que son cœur Adore les appas d'un incognu vainqueur. Mais quand je souffrirois un tourment cent fois pire, Le sort en est jetté, je ne m'en puis dédire ; Allons jusques au bout. Climante paroist.         **Helas ! je voy venir Climante ; justes Dieux que doy-je devenir ? Il faut dissimuler. ### SCENE V. CLIMANTE, CARLIN, ISABELLE, PAMPHILE dans la ruë, à la mesme porte de Leonor. CLIMANTE *à Carlin.*.         Je ne tarderay guere, Atten moy. CARLIN.     Bien, Monsieur ; ISABELLE *retenant Climante qui veut entrer.*.         Que pretendez-vous faire ? Bas. (J'ay les sens si confus que j'ay peine à parler) Comment ? sans dire mot où voulez-vous aller ? Voulez-vous que pour vous Madame me querelle ? Dites-moy, s'il vous plaist, comment on vous appelle, Et j'iray demander si l'on le trouve bon. CLIMANTE. Mais vous, qui vous oblige à demander mon nom ? ISABELLE. Je doy sçavoir qui vient visiter ma Maistresse ; Je sers ici, Monsieur. CLIMANTE.         J'ay tort, je le confesse, O Dieux qu'elle a d'appas ! quel beau teint ! quels beaux yeux ! ### SCENE VI. LEONOR, ISABELLE, CLIMANTE, CARLIN, PAMPHILE dans la ruë à la mesme porte. LEONOR *à Climante.*. Excusez-la [89], Monsieur, elle est neuve en ces lieux, Et l'oyant contester contre vous dans la ruë, Je suis à vostre voix aussi-tost descenduë. ISABELLE. Madame, pardonnez [90]. LEONOR.         Tu fais ce que tu dois, Ne le cognoissant point : mais pour une autrefois⁎ Pour ne t'y point tromper, appren à le cognoistre ; De ce logis ici, sçache qu'il est le Maistre, Et que ceans il peut encore plus que moy. ISABELLE. Madame, c'est assez. LEONOR.         Va , ma fille, je croy Que tu ne manques point du tout d'intelligence, Et que tu ne sçaurois pecher par ignorance [91]. CLIMANTE. Depuis quand l'avez-vous ? LEONOR.         D'aujourd'huy seulement, N'est-elle pas jolie ? CLIMANTE.         Oüy bien asseurément, On auroit peine à voir un plus parfait visage. ISABELLE. Ce discours est, Monsieur, trop à mon avantage, Vous me faites rougir. CLIMANTE.         Je n'en dy pas assez. Mais Madame, il est tard, plus que vous ne pensez, Vous plaist-il pas venir [92] ? LEONOR.         Ne soyez point en peine⁎, Nous avons trop de temps : que bien-tost on m'emmeine⁎ Mon carosse, r'entrons, il n'est pas que je croy, Si tard que vous pensez. CLIMANTE.     J'en suis content. LEONOR *à Isabelle.*.         Suy moy. ISABELLE. Je m'en vay seulement dire un mot à mon pere. Climante et Leonor r'entrent. ### SCENE VII. CARLIN, ISABELLE, PAMPHILE, dans la ruë à la mesme porte. CARLIN. Ce visage n'est point un visage ordinaire, Il me faut l'accoster. La belle, Dieu te gard. ISABELLE. N'entres-tu pas aussi ? CARLIN.         Je me tiens à l'écart, Il faut attendre ici, mon Maistre me l'ordonne, On ne desire point estre oüy de personne Alors qu'on fait l'Amour⁎. ISABELLE.         Ils sont donc Amoureux ? CARLIN. Ils sont d'accord⁎, et vont se marier tous deux. ISABELLE. Mais ce que tu me dis est-il bien veritable ? CARLIN. Il n'est rien de plus vray. ISABELLE *bas.*.         Que je suis miserable ! Mais ce ne sera pas durant que je vivray : Climante, asseurément je t'en empécheray. Comment t'appelles-tu ? CARLIN.         Moy, comment je m'appelle ? Je ne m'appelle point : mais si tu veux, ma belle, Sçavoir comme on me nomme, on me nomme Carlin. ISABELLE. A quoy te sert ici de faire le badin ? Carlin, si tu le sçais, dy moy je te supplie, Pour divertir l'effet de ma melancolie, En quel endroit ils vont ? CARLIN.         Je te le diray bien, Ce n'est point un secret, non, non, je ne crains rien. Leonor va disner au logis de mon Maistre, Qui luy fait dans sa chambre orner une fenestre, Pour voir passer le Roy, qui couvert de Lauriers Revient accompagné de mille Cavaliers, Pour rendre grace au Ciel comblé d'heur⁎ et de gloire D'avoir sur l'Espagnol emporté la Victoire [93]. Dy moy, puis que mon Maistre est bien-tost sur le poinct D'espouser Leonor, l'imiterons-nous point ? Mon cœur faisons comme eux, marions-nous ensemble, Je suis assez bien fait : mais dy moy que t'en semble ? Me refuseras-tu ? ISABELLE *bas.*.         La Fortune me rit ; Dieux ! quelle invention me naist dedans l'esprit. CARLIN. Respond donc ? ISABELLE.         Permets-moy que je parle à mon pere, Je ne puis differer : car c'est pour une affaire Qui m'importe beaucoup. CARLIN.         Tout ce que tu voudras. ISABELLE *bas à Pamphile.*. Pamphile, parle à moy [94], va-t'en droit de ce pas : Mais la chose m'importe ; il faut en diligence⁎ Que tu trouves Dorise, ou je perds l'esperance De pouvoir arriver au bien que je pretens Elle luy donne deux clefs. Donne-luy ces deux clefs, et ne perds point de temps, Ces deux clefs, sont les clefs du logis de Climante Que nous prismes hier ; Elle luy parle à l'oreille.         **cours, et te diligente⁎, Car l'affaire me touche, et crois asseurément Que ma vie ou ma mort dépendent d'un moment. PAMPHILE. J'entends⁎ bien, mais par là que pretendez-vous faire ? ISABELLE. Si la chose succede⁎ ainsi que je l'espere, Je suis malgré le sort au bout de mon espoir, Et Leonor verra bien pis qu'hier au soir. PAMPHILE. Mais, Madame, s'il faut. ISABELLE.         Ah ! tu veux qu'on s'explique ! Je veux estre obeye ; or sus⁎, va sans replique. PAMPHILE. Bien, Madame, j'y cours. Pamphile sort. CARLIN.     As-tu fait ? ISABELLE.         Oüy, dy moy Tout ce que tu voudras. CARLIN.         Je veux sçavoir de toy T'aymant, si je pourrois t'avoir en mariage ? ISABELLE. Oüy, si tu m'aimois bien : mais tu n'es qu'un volage Qui t'offres en cent lieux. CARLIN.     Moy ? ISABELLE.     Toy ; CARLIN.         Qui te l'a dit ? ISABELLE. Mais voyez l'inconstant comme il est interdit. N'es-tu pas amoureux d'une jeune servante Qu'on appelle Dorise ? CARLIN *bas.*.         Ah ! cela m'épouvente ! Sans doute elle est sorciere, elle ne pourroit pas Le sçavoir autrement. Haut.         Comment donc ? tu fais cas De si peu de sujet, d'un si chetif visage ? Croy que si je m'en sers, ce n'est pour autre usage Que pour blanchir mon linge ; est-elle égale à toy ? ISABELLE. Hors d'ici tu pourras en dire autant de moy : Mais quittons ce discours, et parlons d'autre chose, Je me resjoüis fort d'avoir appris la cause Qui fait que ma Maistresse aujourd'huy va chez toy, Je brusle de desir, Carlin, de voir le Roy : Le voudra-t'elle bien ? dy moy ce qui t'en semble, Je ne l'ay jamais veu. CARLIN.         Mot [95], ils sortent ensemble. ### SCENE VIII. CLIMANTE, LEONOR, LUCILLE, CARLIN, ISABELLE dans la ruë à la mesme porte. LEONOR. Qu'on fasse donc venir le carosse [96] ? LUCILLE.         Il est prest, On l'emmeine⁎, Madame. LEONOR.         Allons puis qu'il vous plaist. ISABELLE *bas.*. Ils sont prests à partir, Dieux que je suis surprise, Il les faut arrester : car sans doute, Dorise N'aura pas eu le temps encor de s'habiller. Haut. Madame, l'on m'a dit que vous voulez aller Aujourd'huy voir le Roy, Dieux que j'en suis ravie, Je ne le vy jamais, et j'en brusle d'envie : Mais vous resolvez-vous d'aller en cet estat ? L'ornement des beautez en rehausse l'éclat, Je veux voir d'un chacun les vostres adorées, Si tost que de ma main je les auray parées : Souffrez que je vous coiffe un peu plus proprement. LEONOR. Quoy tu sçais bien coiffer ? ISABELLE.         Madame, aucunement⁎ : Quoy que j'aye [97] vêcu long-temps à la Campagne, Une tante que j'ay cousine de Champagne, Là dessus autrefois m'a fait quelques leçons, Je sçay coiffer, Madame, et de plusieurs façons. LEONOR. Il faut que maintenant [98] j'éprouve ton adresse : Mais tu vois qu'il est tard, et Climante me presse. CLIMANTE. Je m'en iray devant, vous avez tout loisir. LEONOR. R'entrons, je le veux bien, ayons-en le plaisir [99], Si de ce coup d'essay dignement tu t'acquittes. CLIMANTE. Auray-je bien le temps de faire deux visites ? Je n'ay qu'un mot à dire. LEONOR.         Allez où vous voudrez. CLIMANTE. Le disné sera prest si tost que vous viendrez. Climante s'en va. ISABELLE *bas en r'entrant au logis.*. Tout m'arrive à souhait, grands Dieux je vous conjure De donner à Dorise une heureuse⁎ adventure [100]. Fin du second Acte. ## ACTE III. ### SCENE PREMIERE. DORISE, superbement vestuë avec sa coiffe et son masque [101], ADRASTE, ARISTE. DORISE *seule, à la ruë à la porte de Climante.*. Pamphile m'a trouvée avec un grand hazard⁎, Qui [102] m'a donné ces clefs ; Dieux viens-je point trop tard [103] ! Pourray-je executer l'ordre de ma Maistresse ? Considerez un peu la merveilleuse adresse Qu'elle a pour parvenir au but de ses desseins [104] ! Prez d'elle Leonor tous vos efforts sont vains. Adraste et Ariste paroissent. Dieux ! je voy ce me semble, Adraste dans la ruë ; Mais de qui que ce soit pourray-je estre cognuë ? En l'estat où je suis que doy-je redouter ? Non, non, ne craignons rien, entrons sans consulter⁎. ARISTE. N'est-ce point Leonor Maistresse de Climante, Qui prez de son logis à nos yeux se presente ? ADRASTE. Je ne le pense point, car elle n'en a pas Ny le port, ny la taille. ARISTE.         Où s'adressent ses pas ? Elle entre chez Climante, et ouvre la porte avec la clef. Elle est bien familiere entrant de cette sorte : Elle entre avec la clef, sans frapper à la porte, Que veut dire cela ? ADRASTE.         Climante a sans mentir Pour tout le jour chez luy dequoy se divertir Allons, ne troublons point cette bonne fortune, Ma visite aujourd'huy luy seroit importune : Je serois bien marry⁎ si je l'avois trouvé. ### SCENE II. LEONOR, ISABELLE, LUCILLE. LEONOR *dans la ruë.*. Climante, à vostre avis sera-t'il arrivé ? Quand je suis un moment sans le voir, Dorotée, Je suis d'inquietude et d'ennuis⁎ agitée : Je t'ouvre franchement les secrets de mon cœur, Car tu parois discrette. ISABELLE.         Ah ! ce m'est trop d'honneur ! Mais vous me commenciez maintenant⁎ [105] une histoire Qui m'est, à dire vray, bien difficile à croire ; Vous vistes cette femme, et vous prisez⁎ sa foy ? LEONOR. Je la vy, Dorotée, ainsi que je te voy. ISABELLE. Apres un tel affront, pouvez-vous bien, Madame, LEONOR. Va, ne m'en parle plus, j'ay leu dedans son ame, Et ce Dieu qui sur moy l'a rendu si puissant, M'a fait cognoistre enfin, qu'il estoit innocent. ISABELLE. Madame, vostre amour sans mentir est extréme ; De prendre ainsi plaisir à vous tromper vous-méme ; S'il cognoist une fois cette foiblesse en vous, Et s'il peut appaiser si tost vostre courroux, De tout avec le temps il se rendra capable, Et puis avecque luy vous serez miserable. LEONOR. Sans doute tu dis vray, mais je l'ayme, tay-toy, Le voici, je l'entens. ISABELLE *bas.*.         Il est vray, je le voy, L'agreable sujet du trouble de mon ame. ### SCENE III. CLIMANTE, LEONOR, ISABELLE, CARLIN, LUCILLE. LEONOR *dans la ruë.*. Vous avez bien tardé ? CLIMANTE.         Pardonnez-moy, Madame, J'use de vos bontez un peu trop librement, Vous excuserez bien ce long retardement⁎, Un importun Amy rencontré dans la ruë, De vos rares beautez m'a dérobé la veuë. LEONOR. Quelque Dame, peut estre, a bien eu le pouvoir D'empécher que si tost [106] vous ne me vinsiez voir. CLIMANTE. Ah ! vous offencez trop une constance extréme ! Et vous faites injure à vostre beauté mesme : Vous sçavez qu'elle peut tous les cœurs enflamer, Et que qui la cognoit, ne peut ailleurs aimer. ISABELLE *bas.*. Helas ! si tu dis vray, je perds toute esperance. LEONOR. Encor que ce discours marque plus d'eloquence Qu'il n'a de verité, je le veux croire ainsi, Pour vous faire plaisir, et m'obliger⁎ aussi. Mais entrons, il est tard. Ils entrent tous dans la chambre de Climante, qui paroistra bien ornée.         **Que cette chambre est belle, Elle paroist⁎ au jour bien plus qu'à la chandelle, CLIMANTE. Dans l'espoir de l'honneur dont vous m'avez comblé Je devois faire voir mon logis mieux meublé ; Ma chambre devoit estre un peu mieux ajustée⁎ : Mais la chose, Madame, estoit precipitée, Vous m'excuserez bien, je n'appris qu'hier [107] au soir Que j'aurois ce matin l'heur⁎ de vous recevoir. LEONOR. Certes vous estes propre⁎ autant qu'on le peut estre. CARLIN. Je viens d'oüyr là bas gronder Monsieur le Maistre [108], Il dit que tout se gaste, il est midy sonné. CLIMANTE. Madame nous deussions avoir desja disné : Car j'apprens que le Roy doit passer dans une heure. LEONOR. Dînons quand vous voudrez. CLIMANTE.         Servez-nous sans demeure⁎. LEONOR. En attendant qu'on serve, allons voir vos tableaux Dedans ce cabinet, on dit qu'ils sont fort beaux. Y tenez-vous encor quelque vive peinture ? Non, car vous m'attendiez. CLIMANTE.         Ah ! c'est me faire injure ! Vous aviez tant promis de ne m'en parler plus ? Quoy donc ! tous mes sermens ont esté superflus ! Si vous sçaviez combien ce discours là m'offence [109] ? LEONOR. Entrons, je voulois rire, on sçait vostre innocence. CLIMANTE. Ouvre. CARLIN.         Sçavez-vous pas que cette Dame là Emporta hier [110] la clef ? CLIMANTE.         Tu dis vray, mais voilà L'autre que j'ay sur sur moy. Comme Climante veut ouvrir le cabinet, Dorise ouvre elle-mesme, sort avec sa coiffe et son masque. ### SCENE IV. DORISE, CARLIN, CLIMANTE, LEONOR, LUCILLE. DORISE.         Je ne sçaurois comprendre Pour quel sujet⁎, Climante, on me fait tant attendre ? CARLIN *troublé.*. Sommes-nous enchantez⁎ ? est-ce une illusion ? DORISE. Mais pourquoy tant de monde en cette occasion ? CLIMANTE *estonné.*. Dieux ! parla-t'on jamais de telle effronterie [111] ? LEONOR. Ah ! je m'en doutois bien. CLIMANTE *à Dorise.*.         Madame, je vous prie, Dites-moy le sujet⁎ qui vous emmeine⁎ ici ? Que faites-vous ceans ? et me dites aussi Qui vous a peu chez moy tenir la porte ouverte ? LEONOR. Comme il fait l'estonné [112] ? CLIMANTE *bas.*.         Tout conspire à ma perte. LEONOR. Il m'attend, il me traitte⁎, et ne peut un seul jour Bannir l'infame objet⁎ d'un impudique Amour. DORISE *à Climante.*. Estes-vous si surpris que vous témoignez l'estre, Climante ? et feignez-vous de ne me pas cognoistre ? CLIMANTE. Qui moy ? je vous cognoy ? ISABELLE *à Leonor.*.         Que voy-je ! justes Dieux ! Madame, souffrez-vous cette injure à vos yeux ? LEONOR. Non, non, il a bien fait de ne pas se contraindre, C'est de moy seulement qu'enfin je me doy plaindre. ISABELLE. L'impudence est notable. CLIMANTE *à Dorise.*.         Ah ! qu'est-ce que je vois ? Ombre, Fantôme, Esprit, femme, ou qui que tu sois, Par quel moyen as-tu cette porte charmée⁎ ? Et que faisois-tu là toute seule enfermée ? LEONOR. La question est belle, ah grands Dieux quel affront ! ISABELLE *à Leonor.*. Apres un tel mespris, peut-il avoir le front⁎ D'oser paroistre encor ? Madame, il en fait gloire, Je le voy de mes yeux, et j'ay peine à le croire. CLIMANTE. J'atteste tous les Dieux. LEONOR *voulant sortir.*.         Si jamais je te voy, Perfide, desloyal. CLIMANTE *la retenant.*.         Madame, escoutez-moy. LEONOR. Va te cacher, infame, oses-tu bien paroistre ? Comme Climante tâche à [113] arrester Leonor. Isabelle fait signe à Dorise qu'elle s'en aille. DORISE *dit bas.*. Fuyons, on m'en fait signe, on me voudroit cognoistre. CLIMANTE *à Leonor.*. Madame, voulez-vous me mettre au desespoir ? Ecoutez mes raisons, et je vous feray voir Avant que vous sortiez, quelle est mon innocence. LEONOR *à Climante.*. Non, je n'écoute rien d'un traistre qui m'offence. Durant cela, Carlin arreste Dorise dans la ruë courant apres elle, et apres luy avoir parlé à l'oreille. CARLIN *à Dorise.*. Vous n'échaperez pas, la belle, c'est en vain, Non, je vous veux cognoistre. DORISE *bas.*.         Ah ! s'il a ce dessein Il ruinera [114] tout. LEONOR *à Isabelle dans la ruë.*.         Vien, suy-moy, Dorotée. CLIMANTE *la retenant.*. Madame, sans sujet⁎ vous estes irritée. DORISE *bas à la ruë.*. Qu'importe, monstrons-nous. CLIMANTE* à Leonor.*.         Ecoutez mes raisons CARLIN *à Dorise.*. Non, non, je vous veux voir. LEONOR *à Climante.*.         Va, va, tes trahisons Ne paroissent que trop. DORISE *à Carlin levant son masque.*.         C'est moy, c'est ta Dorise. Qui te vien voir, Carlin. CARLIN *estonné.*.         Ah Dieux ! quelle surprise. CLIMANTE *à Leonor la retenant.*. Madame, au nom des Dieux. LEONOR.         Tu n'es rien qu'un ingrat, Va ne m'oblige pas à faire plus d'éclat⁎. Laisse-moy je te prie. CARLIN *à Dorise en la ruë.*.         **Encor, de quelle sorte Je te prie, as-tu peu sans clef ouvrir la porte ? D'où te vient cet habit ? DORISE *à Carlin.*.         **J'ay haste⁎, en autre lieu Je te conteray tout ; Ne me suy pas. Adieu. Dorise sort. CLIMANTE *à Leonor la retenant dans la chambre.*. Ecoutez-moy. CARLIN *bas en r'entrant dans la chambre.*.         **S'il faut que mon Maistre le sçache ; Ah Dieu ! c'est fait de moy ! LEONOR *à Climante.*.         **Serois-je pas bien lâche D'arrester⁎ un moment apres ta trahison ? CLIMANTE. Puis que cette impudente est dedans ma maison, Faisons-luy confesser qu'elle vous a trompée. CARLIN. C'est temps perdu, Monsieur, elle s'est échapée. CLIMANTE. Pourquoy, traistre, pourquoy l'as-tu laissée aller ? ISABELLE *à Leonor.*. Voyez, s'il est adroit à bien dissimuler, Comme s'ils n'estoient pas tous deux d'intelligence⁎ [115]? CLIMANTE *à Isabelle.*. La belle, vous prenez ici trop de licence. A Carlin. Cours viste apres, Carlin, elle n'est pas bien loin. CARLIN *bas.*. Je sçay fort bien qui c'est, il n'en est pas besoin. LEONOR. Cette peine, Climante, est assez inutile. O l'esprit inventif ! ô la fourbe subtile ! CLIMANTE. J'y veux aller moy-mesme. ISABELLE *l'arrestant.*.         Où courez-vous si fort ? Vous imaginez-vous qu'on creust vostre raport ? Desirez-vous, Madame, en estre bien certaine ? Je prendray de bon cœur, s'il vous plaist, cette peine, Et vous rapporteray fidellement qui c'est. CLIMANTE. J'y consens. LEONOR.         En ce fait je n'ay nul interest, A quoy bon m'éclaircir ? non, il faut que je sorte. Qui que ce soit, allons. ISABELLE.         Puis qu'il ne vous importe, Permettez-moy du moins par curiosité, De sçavoir qui vous brave avec impunité, Faites-moy ce plaisir, car j'en brusle d'envie. Elle sort. CARLIN *bas.*. S'il faut que l'on le sçache, ah c'est fait de ma vie. CLIMANTE *à Leonor.*. Elle prend grande part dedans vos interests. LEONOR. Elle fait son devoir. CARLIN *bas.*.         Dieux ! elle court apres. CLIMANTE *retenant Leonor.*. Attendez pour le moins qu'elle soit revenuë, L'innocence à vos yeux paroistra toute nuë. LEONOR. Non, non, je ne puis faire ici plus grand sejour, Adieu. CLIMANTE.         Vous offencez une innocente Amour [116], Le Ciel vous punira d'une rigueur si grande. LEONOR *en partant.*. Suy-moy, Lucille, allons puis que je le commande. Ah ! je meurs de regret ! je brusle de courroux. LUCILLE. Vous ne trouverez rien dequoy dîner chez vous. LEONOR. Allons, la Ville est bonne [117]. Elles s'en vont. ### SCENE V. CLIMANTE, CARLIN. CLIMANTE *dans sa chambre.*.         O Dieux ! quelle surprise ! Que t'en semble, Carlin ? CARLIN *bas.*.         Que c'estoit là Dorise ? Il faut bien sur ce point m'empécher de parler. CLIMANTE. Qui m'a fait cet affront ? qui m'en peut consoler ? Dieux ! que je suis confus, quels troubles j'ay dans l'ame. Mais soubçonnes-tu point qui seroit cette infame ? CARLIN. Sçavez-vous bien, Monsieur, qui je soubçonnerois ? CLIMANTE. Qui ? CARLIN.         Je croy la cognoistre⁎ à l'habit, à la voix. CLIMANTE. Qui ? CARLIN.         La mesme qui vint hier [118] au soir si troublée Vous demander secours, et masquée, et voilée. Elle emporta les clefs ; et n'auroit autrement Jamais peû se couler⁎ en cet apartement. CLIMANTE. Je croy que tu dis vray : mais pourquoy, je te prie, Use-t'elle envers moy de telle effronterie ? Que veut-elle de moy ? pourquoy vient-elle ici Aux heures seulement que [119] l'autre y vient aussi ? Elle ne me dit mot. Ah ! toutes deux ensemble Sont d'accord pour troubler mes desseins, ce me semble. ### SCENE VI. ISABELLE, CLIMANTE, CARLIN. ISABELLE *dans la mesme chambre de Climante.*. Ma Maistresse, Monsieur, est-elle encor ici ? CLIMANTE. Non, et c'est le sujet⁎ qui me met en souci, Je n'ay peu l'appaiser, ny flechir sa colere. ISABELLE. Elle a fait en cela ce qu'elle devoit faire. CLIMANTE. Si tu t'es éclaircie en la suivant, pourquoy En cette occasion juges-tu mal de moy ? Dy moy qui c'est ? ISABELLE.         J'aurois bien de la hardiesse [120], D'oser ainsi joüer ce tour à ma Maistresse, Je croy qu'elle le doit sçavoir premierement. CLIMANTE. S'il ne tient qu'à cela, je te fais un serment De n'en parler jamais : oblige⁎-moy de grace. CARLIN *bas.*. Ah Dieux ! je suis perdu s'il faut qu'elle le fasse. CLIMANTE *luy donnant une bourse pleine.*. Et pour l'amour de moy, tien, reçoy ce present. ISABELLE *bas la recevant.*. (Tout m'arrive à souhait.) Haut.         **Que feray-je à present ? Bien, je suis resoluë à trahir ma Maistresse, Pourveu [121] qu'en ce faisant vous me teniez promesse, Comme vous m'avez dit, de n'en parler jamais, Je ne celeray rien. CLIMANTE.         Oüy, je te le promets, Parle. CARLIN *bas.*.     Ah ! je suis perdu. CLIMANTE.         Dy donc, depéche viste. CARLIN *bas.*. Pour dix coups de baston j'en voudrois estre quitte. ISABELLE. J'ay trouvé là dehors en sortant de ceans, Un superbe carosse, enrichi par dedans, Et doré par dehors, environné de Pages, Remply de tous costez de plusieurs beaux visages ; Où la Dame qui vient de sortir hors d'ici Entroit le cœur rempli de peine et de souci. Me voyant en humeur⁎ de courir apres elle, Elle fait arrester, me caresse⁎, m'appelle, Et me dit d'un ton doux : Ton dessein est, je croy, Ma fille, de me voir, et de parler à [122] moy, Je le veux, sçachant bien le sujet⁎ qui t'emmeine⁎ ; Oüy je veux t'éclaircir, entre donc, pren la peine De monter prez de moy, car je n'ay pas loisir D'arrester⁎ en ce lieu. Moy bruslant de desir De sçavoir au certain ce qu'elle vouloit dire, J'entre, et m'ostant son masque, elle fait que j'admire Un œil si gracieux, un visage si beau, Qu'il peut mettre d'abord mille Amans au tombeau : J'en suis, encor que fille, amoureuse, et proteste⁎ Que plus que de l'humain elle tient du Celeste. CARLIN. Mais dy moy, l'as-tu veuë ? ISABELLE.         Oüy, de mes propres yeux, Dequoy te mesles-tu ? CARLIN *bas.*.         Je rends graces aux Dieux Qui me donnent ici la force de me taire, Où [123] la parole encor seroit si necessaire ; Oüy, je brusle d'envie ici de repartir ; Mais non, je feray mieux de la laisser mentir. CLIMANTE. Comme [124] est faite à peu prez cette fille adorable ? ISABELLE [125]. Comme son poil, sa taille à la mienne est semblable : Elle m'a dit alors me prenant par la main, D'un visage riant : Si vous avez dessein De me voir de la part de cette belle Dame, Je vous veux découvrir les secrets de mon ame ; Ma fille, faites-luy, s'il vous plaist, ce discours, Que Climante est l'objet⁎ de mes chastes Amours [126] ; Que je confesse aussi que je suis celle mesme, Qui desirant de [127] voir ce Cavalier que j'ayme, M'enfermé dans sa chambre où je laissé [128] mon cœur Dés que j'eus admiré cet aimable vainqueur : Mais vous luy pouvez dire, encore que j'adore Cet homme genereux, qu'il est vray qu'il l'ignore ; Par honte et par respect, je n'ay jamais osé Luy declarer les maux que ses yeux m'ont causé. Et voulant passer outre⁎o, un orage de larmes Qui tomboit de ses yeux, accreut encor ses charmes : Car j'eus pour l'amour d'elle un excés de pitié, Qui me la fit trouver plus belle de moitié. Je dis adieu sur l'heure à ce parfait visage, L'asseurant à l'instant de faire son message Derriere le carosse, en sortant j'aperceu Un Page qui la suit, qu'autrefois j'ay cognu : Si c'est ce que je pense, asseurez-vous Climante, Qu'elle a beaucoup d'honneur, qu'elle est riche et puissante ; Je ne sçay pas son nom, mais pour sa qualité⁎, Croyez qu'elle est plus grande encor que sa beauté. Adieu, Monsieur, je vay retrouver ma Maistresse, C'est tout ce que j'ay sceu, tenez vostre promesse, Vous estes Cavalier si sage et si discret, Que vous sçaurez garder comme il faut le secret. CLIMANTE. Ne doute point de moy, je te seray fidelle. Cette histoire, sans doute est estrange et nouvelle, Amour de ce cahos vien dégager mes sens. CARLIN *bas.*. Quels contes fabuleux sont-ce ici que j'entends ? ISABELLE. Je pren congé de vous. CLIMANTE.         Atten, je te supplie, Si tu veux que par tout ta bonté je publie, Fay moy cette faveur ; je sçay que tu le peux, Puis qu'aussi bien je voy qu'on méprise mes vœux, Que Leonor me croit injustement volage ; Que j'ay au moins le bien de voir ce beau visage, Je suis lâche, ou je doy respondre à son desir. ISABELLE. Je vous verray, Monsieur, avec plus de loisir, Et nous en parlerons. Adieu donc, je vous laisse : Que me commandez-vous de dire à ma Maistresse ? Vos liberalitez⁎ m'obligent⁎ tellement Que je prefere au sien vostre contentement. CLIMANTE. Dy luy de point en point comme la chose passe [129], Dy tout, puis qu'aussi bien je suis dans sa disgrace ! Qu'elle rit de ma peine, et que tu me cognois Bien voulu d'un sujet qui vaut mieux mille fois ; Mais sçache si tu peux où cet Ange demeure. ISABELLE. Vous en aurez, Monsieur, nouvelle dans une heure, Je vais y travailler. Bas.         **Tout va bien jusqu'ici : Dieux ! faites-moy le bien que tout s'acheve ainsi. ### SCENE VII. CLIMANTE, CARLIN. Dans la mesme chambre de Climante. CLIMANTE. Que te semble, Carlin, de cette étrange histoire ? CARLIN. Est-il possible, ô Dieux ! que vous la veuilliez [130] croire ! Je jure que jamais je n'oüy [131] tant mentir ; Parlons, quand je devrois cent fois m'en repentir, La langue me demange, et je ne me puis taire. CLIMANTE. As-tu dessein, maraut, de me mettre en colere ? CARLIN. Au contraire, Monsieur, ne vous y mettez point, Et je vous conteray le tout, de point en point. Si vous me pardonnez. CLIMANTE.         Oüy va, je te pardonne, Parle donc promptement. CARLIN.         Cette insigne⁎ friponne, Avec son beau langage, en ce quel a conté N'a pas dit, je vous jure, un mot de verité. Celle qu'elle vous peint, si belle, si charmante, Et si riche, n'est rien qu'une pauvre servante, Aussi gueuse que moy, qui depuis ce matin Sert un certain Marchand. CLIMANTE.         Te mocques-tu Carlin ? Si c'est pour te railler, et pour me faire rire, Tu prens fort mal ton temps. CARLIN.         Quoy que vous puissiez dire, Je dy la verité : car comme je vous voy, Mille fois je l'ay veuë. CLIMANTE.         Encor dy moy pourquoy, Et comment elle a peu sans clef ouvrir la porte ? CARLIN. Je le sçauray tantost. CLIMANTE.         Mais encor, qui la porte⁎ A s'enfermer chez moy ? j'en suis tout estonné ? CARLIN. C'est pour l'Amour de moy, vous m'avez pardonné ; Depuis un mois ou deux, cette servante mesme Que vous venez de voir, Vous le diray-je, m'aime, Et moy je l'aime aussi ; Je vous fay donc sçavoir Qu'elle n'est là venuë exprez que pour m'y voir ; Sans penser toutefois vous devoir mettre en peine Comme elle vous a mis. CLIMANTE.         Que ta raison est vaine, Une Suivante a-t'elle un si superbe habit ? CARLIN. Pour trouver dans ma grace encor plus de credit, Elle en a vestu un de ceux de sa Maistresse. CLIMANTE. Voy comment à mentir tu monstres [132] peu d'adresse : La femme d'un Marchand, ainsi que tu l'as [133] dis, Pourroit-elle porter ces superbes habits ? Et quand tout seroit vray, comment se peut-il faire Que cet autre m'ait fait un discours si contraire ? CARLIN. Monsieur, c'est sans sujet⁎ que vous vous étonnez, Peut-estre elle vous veut tirer les vers du nez⁎ : N'ayez je vous supplie aucune deffiance, Ce que je dis est vray. CLIMANTE.         Grands Dieux ! quelle apparence⁎ ! Non, cela ne peut estre, et je sçay que tu ments. CARLIN. Monsieur, écoutez-moy, laissons là les serments, Je vous veux faire voir que je suis veritable ; Qui pourroit m'obliger à vous dire une fable⁎ ? Il faut que sur ce fait je vous rende éclairci, Je vous veux emmener⁎ cette Servante ici, D'elle vous sçaurez tout. CLIMANTE.         Fay donc que je la voye, Depéche, si tu veux qu'à la fin je te croye. CARLIN. Je viens dans un quart-d'heure, et plutost [134] si je puis. CLIMANTE. Grands Dieux ! delivrez moy de la peine où je suis. Fin du troisiesme Acte. ## ACTE IV. ### SCENE PREMIERE. CARLIN, DORISE, CLIMANTE. DORISE *dans la ruë à la porte du logis de Climante.*. Mais encore, Carlin, que veux-tu que je fasse ? CARLIN. Dy luy de point en point comme la chose passe [135]. DORISE. Mais pourquoy l'as-tu dit ? CARLIN.         Afin de garentir Mon Maistre d'une fourbe, il falloit dementir⁎ Et faire cet affront à certaine rusée Qui vouloit nous dupper ; la chose est tres-aisée ; Allons trouver mon Maistre, et luy dy franchement La chose comme elle est, que l'impudente ment, Climante sort. Mais le voici qui sort : Que rien ne t'épouvente. A Climante. Ay-je menti, Monsieur ? voici cette Servante Dont je vous ay parlé, qui n'aguere chez vous A fait en autre habit un esprit bien jalous. CLIMANTE. Est-il [136] vray ce qu'il dit ? es-tu la mesme femme Qui tantost nous a mis tant de troubles en l'ame ? Que nous avons trouvée enfermée, et chez moy ? Parle-moy librement, je te jure ma foy De te le pardonner, sans me mettre en colere. DORISE. Puis que vous le voulez, il faut vous satisfaire. Je suis celle, Monsieur, je le dy franchement, Qui m'estoit enfermée en vostre apartement ; J'ay peché contre vous : mais ce qui me console, Est que vous estes homme à me tenir parole, Vous estes trop remply de generosité. CARLIN. Et bien, qui de nous deux a dit la verité ? CLIMANTE. Mais declare-moy tout, car la chose m'importe : Dy qui t'a peû donner la clef de cette porte ? Quel estoit ton dessein en t'enfermant chez moy ? Va, ne redoute rien. DORISE.         Monsieur, puis que je voy Qu'il vous plaist me parler avec tant de franchise Je ne doy point ici craindre aucune surprise ; Et puis, pourquoy craindroy-je ? il n'y va rien du mien. CLIMANTE. Declare-moy donc tout, et ne me cele rien. DORISE. Sçachez doncques, Monsieur, qu'une Dame fort belle : Mais je n'ay peu sçavoir encor comme [137] on l'appelle, En tres-bon équipage⁎, avec force⁎ Laquais, Dans un riche carosse alloit vers le Marais. Ayant sçeu qui j'estois d'une sienne Suivante, Qui me cognoit fort bien, et qui souvent me hante⁎, Elle a fait arrester son carosse, et m'a dit, Va t'en dire chez moy qu'on te donne un habit Des plus beaux que je porte, et sans qu'aucun le sçache Va t'en droit au logis de Climante, et te cache Dedans son cabinet : ces deux clefs que voici T'en donneront l'entrée, et si tu fais ceci D'adresse [138], en composant⁎ ton geste et ton langage, Jusqu'à pouvoir d'abord donner un peu d'ombrage A certaine beauté qui trouble mes desseins, Ne crains pas que pour moy tes offices⁎ soient vains, Je t'offre cent escus. J'apprens vostre demeure, Luy promets de le faire, et la quitte sur l'heure. Vous sçavez que la fourbe a fort bien reüssi, Cette Dame est contente, et je le [139] suis aussi ; J'ignore quels secrets peut cacher ce mystere, Mais j'en ay le profit, je ne m'en sçaurois taire, Je vous dis en trois mots tout ce qu'elle m'a dit. Après m'avoir payée elle a repris l'habit, Et puis j'ay pris congé de ce parfait visage : Je ne sçaurois, Monsieur, en dire davantage. CLIMANTE *bas.*. Sans doute Dorotée a dit la verité, Tout est tel en effet qu'elle me l'a conté, Desja plus qu'à demy mon ame est éclaircie : A Dorise. Bien loin d'estre fasché, va je te remercie, Et pour te tesmoigner que tres estroitement Je me sens obligé⁎, reçoy ce diamant, Il luy donne une bague. Encor est-ce trop peu pour un si bon office⁎. Quand j'auray le moyen de te rendre service Ce sera de bon cœur : va t'en, et fais estat Qu'en moy l'on n'obligea⁎ jamais un cœur ingrat. DORISE. Monsieur, je vous rends grace. CLIMANTE *bas en r'entrant.*.         **Ah ! je bruslois en l'ame Du desir de sçavoir quelle estoit cette Dame. Il r'entre dans son cabinet. ### SCENE II. CARLIN, DORISE. CARLIN *dans la ruë devant la porte de Climante.*. Quoy, tu me trompois donc en me faisant sçavoir Qu'en ce lieu tu venois tout exprez pour me voir ? Je découvre, Dorise, à present ta finesse⁎, Mais à n'en point mentir j'admire ton adresse. DORISE. Je n'avois pas alors loisir de te parler, Vois-tu pas qu'il falloit feindre et dissimuler ? J'attendois à [140] te voir pour t'en conter l'histoire. CARLIN. Sans doute elle est étrange, et j'ay peine à la croire ; Voilà, certes Dorise, un grand hazard⁎ pour toy, Estant riche à present, voudras-tu bien de moy ? DORISE. Penses-tu que je sois jusqu' à [141] ce point volage ? Isabelle paroist. Mais cette fille ici me donne de l'ombrage, C'est à toy qu'elle en veut, elle te vient chercher. CARLIN. Tu n'as pas en ce point sujet⁎ de te fascher, Elle cherche mon Maistre, et n'ay [142] que faire d'elle. DORISE. Elle plaist à tes yeux, je n'y [143] suis pas si belle, Si je te soubçonnois [144] d'aucune [145] trahison ? CARLIN. Tu m'accuses à tort, va tu n'as pas raison. Un bel œil pour me vaincre est une faible amorce, Ta bague, et tes escus ont beaucoup plus de force. ### SCENE III. ISABELLE, CARLIN, DORISE. ISABELLE *dans la ruë.*. M'en doutoy-je pas bien, desloyal, imposteur, Que tu me trahissois ? CARLIN *bas.*.         **Ah Dieux ! je meurs de peur : Si je me plains ici, c'est de trop de fortune, Les voulant toutes deux je n'en auray pas une. DORISE *à Isabelle.*. Quoy ! l'empécherés-vous de suivre son desir S'il me prefere à vous ? ISABELLE *à Dorise.*.         **Il sçait bien mieux choisir, C'est bien effrontément parler en ma presence, Vous l'emportez sur moy, mais c'est en impudence. DORISE *à Isabelle.*. Pensez-vous le gagner pour parler ainsi haut⁎ ? Va, je te traitteray, volage, comme il faut. CARLIN *bas.*. On me l'avoit bien dit, que j'avois bonne mine⁎ [146], Tout le monde m'en veut. A Dorise bas.         **Vien-ça [147], tai-toy badine⁎, Va, je n'en veux qu'à toy, ne le vois-tu pas bien ? ISABELLE *à Carlin.*. Vien-ça, que luy dis-tu ? CARLIN.         Moy, je ne luy dis rien. DORISE *à Carlin.*. Or sus⁎ declare-toy, dis à qui tu veux estre, Je veux sçavoir ici si tu n'es pas un traistre. ISABELLE *à Carlin.*. Parle donc promptement. CARLIN *bas.*.         **J'ay les sens tout confus, L'une est belle, il est vray, mais l'autre a des escus, Je voudrois bien avoir toutes les deux ensemble. DORISE. Comment ? tu ne dis mot, parle donc, que t'en semble ? CARLIN *bas à Dorise.*. Dorise, vois-tu pas [148] que je n'en veux qu'à toy ? DORISE *à Isabelle.*. Ecoutez ce qu'il dit [149] ? ISABELLE.         Que dis-tu ? parle à [150] moy. CARLIN *bas à Isabelle.*. Je dy que c'est à toy seule à qui [151] je veux plaire. Bas Je suis bien empesché⁎ de ce que je doy faire. DORISE. Je te montreray bien, traistre, que tu n'es pas Où tu penses encor, tu t'en repentiras. ISABELLE. Je t'atraperay bien, je t'en donne parole. CARLIN *bas à Isabelle.*. Va, laisse-la parler, ce n'est rien qu'une folle. Climante paroist. DORISE. Adieu, ton Maistre vient. CARLIN *bas à Dorise.*.         **Va, je n'aime que toy. DORISE *en s'en allant.*. Je ne souffriray pas qu'on se mocque de moy. ### SCENE IV. CLIMANTE, ISABELLE, CARLIN. Dans la ruë à la mesme porte de Climante. CLIMANTE. De quels excez d'ennuis⁎ mon ame est agitée ? As-tu bien peu trouver mon logis, Dorotée ? Hé bien, fulmine-t'on encore contre moy ? Leonor doute-t'elle encore de ma foy ? ISABELLE. Elle est depuis tantost cent fois plus animée ; Certes, c'est une fille indigne d'estre aimée, Plus on vous justifie, et plus elle s'aigrit, Elle a trop de chagrin⁎, c'est un fâcheux esprit ; Elle n'aura jamais un Amant si fidelle, Et j'en suis, je vous jure, en colere contr'elle : Car j'ay receu de vous aujourd'huy tant de biens, Que je veux preferer vos interests aux siens : Si j'estois que de vous [152], sans consulter personne, Je la quitterois là comme elle m'abandonne. CLIMANTE. Enfin, ne cele rien, dy tout, s'il faut perir Acheve promptement de me faire mourir. ISABELLE. Puis qu'il faut dire tout, l'ingrate ailleurs s'engage, Et sans mentir, c'est trop pour un leger ombrage⁎, Je n'ay rien oublié pour luy faire sçavoir Que vous n'avez en rien choqué vostre devoir : Mais tant plus [153] mes raisons prouvoient vostre innocence Tant plus ce cœur altier montroit son insolence ; Car sans considerer vostre fidelité, Ny vostre extréme Amour, ny vostre qualité⁎, Cette arrogante a tort se croyant outragée [154], Dessous le joug d'Hymen aujourd'huy s'est rangée Avec un autre Amant, ou [155], pour n'en mentir point, Si cet Hymen n'est pas accomply de tout poinct, La chose est resoluë. CLIMANTE.         Elle s'est bien hastée : Mais comment nommes-tu ce rival, Dorotée ? ISABELLE. On l'a nommé, mais quoy ! je ne m'en souviens plus. CLIMANTE. Ah ! je suis interdit si jamais je le fus [156] ? ISABELLE. J'ay fait mille sermens, mais quoy ! cette volage, (Vous me dispenserez d'en dire davantage ) Elle n'aima jamais, on aime foiblement Quand on ne reçoit pas l'excuse d'un Amant, Ou son amour [157] pour vous estoit bien delicate⁎, Pour moy, je quitterois tout à fait cette ingrate. CLIMANTE. Mais, Dorotée, encor, que veut-elle, dy moy ? ISABELLE. Elle ne le sçait pas elle-mesme, je croy. Ne vous estonnez⁎ pas de ce que je vay dire, Au lieu de me fâcher, je n'en ferois que rire Cognoissant son humeur : Elle m'a mis en main Ces Lettres que voici, Elle luy donne toutes les lettres.         **me commandant soudain De vous les apporter, et de plus, de vous dire, (Mais avec un mépris qui ne se peut décrire :) Que vous les brulassiez, et qu'elle veut bannir Toutes choses de vous jusques au souvenir, Et que puis qu'elle vit dessous les loix d'un autre, Vous oubliiez son nom comme elle a fait le vostre [158]. Voyez ce qu'il vous plaist respondre là [159] dessus. CLIMANTE. Ah Dieux ! vit-on jamais un homme plus confus ? ISABELLE *bas.*. Je l'ay sensiblement touché, mais il n'importe. CLIMANTE. La cruelle veut donc me traiter⁎ de la sorte ? Ma chere Dorotée, où gist tout mon appuy, Pourveu qu'elle te veuille encor oüyr [160], dy luy Qu'elle s'est en effet bien promptement vangée D'un homme qui ne l'a jamais desobligée : Car je prens tous les Dieux pour temoins devant toy Que sans luy faire tort j'ay conservé ma foy. Mais puis que sans sujet⁎ cette ingrate se vange Et puis qu'elle a couru si promptement au change⁎, Dy luy qu'elle m'a mis en telle extremité Que je veux l'imiter en sa legereté, Que je suis inconstant, puis qu'elle est infidelle, Et que je vais aussi me marier comme elle. ISABELLE. Vous marier ? à qui ? (je tremble justes Dieux ?) CLIMANTE. Au plus parfait objet⁎ qui soit dessous les Cieux. ISABELLE. Dites-vous vray, Monsieur ? (Dieux que je suis en peine⁎.) CLIMANTE. Non, non, je ne ments point, la chose est tres certaine. ISABELLE. Puis-je sçavoir son nom ? CLIMANTE.         Ce visage si beau, Qui met, comme tu dis, tant d'Amans au tombeau, Celle que tu m'as peinte, et si riche, et si belle, Et qui m'aime si fort. ISABELLE *bas.*.         Ah ! l'heureuse nouvelle [161] ? Quelle aprehension, grands Dieux ! viens-je d'avoir ? CLIMANTE. Fay moy doncques le bien que je la puisse voir, Va tost, informe-toy du lieu de sa demeure : Car je veux, le sçachant, l'aller voir tout à l'heure ; Ma fille, oblige⁎-moy. ISABELLE *bas.*.         Tout m'arrive à souhait, Haut. Vous serez dedans peu [162] sur ce point satisfait, Je pourray bien sçavoir par le moyen du Page Le nom et le logis de ce parfait visage : Il est vray toutefois, qu'à peu prez je le sçay. CLIMANTE. Dy-le donc, satisfais au desir que j'en ay. ISABELLE *bas.*. Est-il heur⁎ sous le Ciel qui mon bonheur égale ? Haut. Dans un des Pavillons de la Place Royale : Mais je ne sçay lequel, allez-y sur le soir, J'iray trouver le Page, et luy feray sçavoir, Il en avertira sa Maistresse amoureuse Qui s'en reputera⁎ parfaitement heureuse, Et vous fera venir. CLIMANTE.         Que n'est-elle à mes yeux Aussi belle ? ISABELLE.     Que qui ? CLIMANTE.     Que toy. ISABELLE.         Que moy ! grands Dieux [163] ? C'est comparer, Monsieur, le diamant au verre, Le Soleil à l'estoille, et le Ciel à la terre, Quoy qu'elle semble avoir quelque peu de mon air. CLIMANTE. S'il est vray, c'est un Ange, il n'en faut point douter. ### SCENE V. ADRASTE, CLIMANTE, ISABELLE, CARLIN. Dans la ruë devant la porte du logis de Climante. ADRASTE. De vous trouver ici, Climante, c'est merveille. Regardant Isabelle. Mais que voy-je ? en effet, révé-je, ou si je veille⁎ ? ISABELLE *bas.*. Il m'a veuë, ah grands Dieux ! que doy-je devenir ? CLIMANTE. D'où cet étonnement vous peut-il provenir ? ADRASTE *bas à Climante.*. Si je suis interdit, et si le teint me change [164], Ne trouvez point, amy, cette surprise estrange, Mon admiration⁎ est tres-juste. CLIMANTE.         Pourquoy ? ADRASTE *bas à Climante.*. Quel est ce beau visage ? amy, dites-le moy. CLIMANTE. Faut-il tant s'étonner pour voir une Suivante Qui sert chez ma Maistresse ? ADRASTE *bas à Climante.*.         Est-il bien vray, Climante ? Certes, je suis surpris d'une estrange façon. ISABELLE *bas.*. En me cachant deluy, j'accroistrois son soubçon, Il vaut mieux dire adieu sans faire l'étonnée. Haut. Si cette affaire ici peut estre terminée, Vous me tiendrez parole, et songerez à moy. CLIMANTE. Ma fille, ne craint rien, je t'engage ma foy Que je te donneray bien plus que tu ne penses. N'en doute nullement. ISABELLE.         Donc sur ces esperances, Parce qu'il se fait tard, je pren congé de vous. CARLIN *à Isabelle.*. Veux-tu point, Dorotée, appaiser ton courroux ? Me dis-tu point adieu ? ISABELLE.         N'en dy pas davantage, Va, va, je te cognoy, tu n'es rien qu'un volage. ### SCENE VI. ADRASTE, CLIMANTE, CARLIN. Dans la ruë à la porte de Climante. ADRASTE. Quoy ? cette fille ici [165] sert donc chez Leonor ? Seroit-il bien possible ? CLIMANTE.         En doutez-vous encor ? Je jure qu'il est vray. ADRASTE.         Pardonnez je vous prie Si je tiens ce discours pour une réverie⁎, Cela ne peut pas estre. CLIMANTE.         Encor dites pourquoy Vous voulez sur ce point vous deffier⁎ de moy ? Que m'importeroit-il ? ADRASTE.         Parce que ce visage Est, ou je suis charmé⁎, la veritable image D'une Dame que j'ayme, et hors l'habillement Qui peut tromper mes yeux, mais non mon jugement. Je n'ay veu sans mentir rien qui fust si semblable. Ay-je tort de trouver cette chose admirable⁎ ? CLIMANTE. Quand cela seroit vray qui si fort vous surprend, Je ne trouverois pas un miracle si grand De voir qu'une personne à quelqu'autre ressemble : Mais, Amy, vous diray-je au vray ce qui m'en semble ? ADRASTE [166]. Oüy, vous m'obligerez⁎, parlez-moy franchement. CLIMANTE. Vous estes, cher Adraste, un si parfait Amant, Qui portez tellement imprimé dedans l'ame L'adorable portrait de vostre belle Dame, Que tout ce qui paroist devant vos yeux charmez⁎ Vous semble estre aussi-tost l'objet⁎ que vous aimez. Ces sentimens estans arrivez à mille autres, Ne vous estonnez point si je blâme les vostres, Je vous tiens, cognoissant vostre complexion⁎, Capable plus qu'aucun de cette impression. N'eussiez-vous pas juré que cette mesme Dame Qui nous mit hier [167] au soir tant de troubles en l'ame, Estoit le mesme objet⁎ dont vous estes espris ? ADRASTE. Il est vray, je l'ay creu : mais quoy, je fus surpris. CLIMANTE. N'est-il pas encor vray, que jusqu'à sa Suivante Vous pensiez que ce fust celle de vostre Amante ? Et vous juriez quasi l'avoir veuë. ADRASTE.         En effet, J'ay creu que c'estoit elle, et j'en avois sujet⁎, Et d'autre que de vous j'aurois bien peine à croire Que ce fust une fable⁎, et non pas une histoire⁎ [168]. CLIMANTE. Vous vous trompiez pourtant en vostre opinion, Celle que vous aimez est allée à Lyon, Comme vous m'avez dit, et l'autre sur ma vie Est encor à Paris, et n'en est point sortie. Puis que l'on m'a promis dans une heure d'ici De me la faire voir, et luy parler aussi. ADRASTE. En quel lieu se tient-elle ? CLIMANTE.         A la place Royale. ADRASTE. S'il est vray, ma beveuë est ici sans égale, A vous seul je me rends, quoy que fort estonné. CLIMANTE. Adraste, une autrefois⁎ soyez moins obstiné. ADRASTE. Mais si vous allez voir cette belle Maistresse, Qui de nouveau vous picque⁎, il faut que je vous [169] laisse, l'Amour⁎, vous le sçavez, ne veut point de témoins. CLIMANTE. J'ay deux heures encor de loisir pour le moins, En puis-je estre picqué⁎ ne l'ayant jamais veuë ? ADRASTE. Allons en attendant faire un tour par la ruë, Nous nous separerons quand vous l'ordonnerez. CLIMANTE. Je le veux, nous ferons tout ce que vous voudrez. ### SCENE VII. LEONOR, LUCILLE. Dans la ruë à la porte de Leonor, revenans de la Ville. LUCILLE. Pensez-y mieux, Madame. LEONOR.         Ah Lucille, es-tu folle ? Qu'on ne m'en parle plus, j'ay donné ma parole, Deussé-je mille fois moy-mesme me trahir, Mon oncle me l'ordonne, il luy faut obeyr, Je le veux espouser. LUCILLE.         L'aveuglement extréme, Voulez-vous vous vanger vous mesme de vous mesme ? LEONOR. En espousant Adraste, il est vray que j'ay tort, Je l'ay hay sans doute à l'égal de la mort : Mais que veux-tu, Lucille, à present que je fasse ? Je suis de feu pour l'un, et pour l'autre de glace, Climante avoit mon cœur, je ne le cele pas, Mais puis que ce perfide en fait si peu de cas, Je veux fouler aux pieds sa cruelle arrogance, Mespriser ses mespris, et braver son offence. LUCILLE. Il est vray que Climante est perfide et leger : Mais de qui maintenant pensez-vous vous vanger ? Vous vous rendez vous mesme un tres mauvais office⁎, Vous pleurerez long-temps l'effet de ce caprice, Dont le plaisir ne peut vous durer qu'un moment, Et dont le repentir dure eternellement. LEONOR. Lucille, tu dis vray, mais je suis si piquée⁎, De voir ma foy trahie, et mon Amour mocquee [170], Qu'il faut que je me vange, en deussé-je sentir Le reste de mes jours un cuisant repentir. Le plaisir que j'auray de me sentir vangée, Adoucira l'aigreur de mon ame outragée, Et ce nouveau sujet⁎ de joye en mes douleurs, Calmera ma tristesse, et sechera mes pleurs. LUCILLE. Quoy ? vous desirez donc pour punir son offence Vivre en pleurs eternels ? ô la belle vengeance ! Par là vous contentez de tout point ses plaisirs, Car n'ayant plus d'obstacle à ses ardents desirs, Vostre rivale arrive au comble de sa gloire. LEONOR. Aussi sur mon Amour j'emporte la victoire, En dépit de ma flame il faut favoriser La recherche d'Adraste, oüy, je veux l'épouser, Je dois à son amour cette recognoissance : Et puis nous songerons apres à la vengeance Contre cet inconstant qui m'a manqué de foy. ### SCENE VIII. ISABELLE, PAMPHILE, DORISE. ISABELLE *dans la ruë.*. Leonor vient d'entrer. Toy, Pamphile, dy moy, As-tu trouvé Lizene ? as-tu donné ma lettre ? PAMPHILE. Croyez que de sa part vous vous pouvez promettre, Si vostre heur en dépend, entiere guerison, Elle vous laisse libre aujourd'huy sa maison, Afin d'y recevoir, comme estant la Maistresse, Qui bon vous semblera. ISABELLE.         J'estime ton adresse, Dorise, portes-y promptement mon habit, Pour me vestir chez elle, ainsi que je t'ay dit. DORISE. Je n'y manqueray pas, mais que voulez-vous faire ? ISABELLE. Ne t'en informe point, c'est une estrange affaire, Que tu verras sans doute, aujourd'huy reüssir, Et lors⁎ tu te pourras aysément éclaircir, Par ce que tu verras de l'esprit d'Isabelle. Mais Leonor paroist, elle sort de chez elle, Retirez-vous tous deux. Dorise et Pamphile sortent. ### SCENE IX. LEONOR, ISABELLE. Dans la ruë à la porte du logis de Leonor. LEONOR.         Dorotée, est-ce toy ? As-tu veu cet ingrat ? que dit-il ? respond-moy. ISABELLE. Si je ne l'avois veu, j'aurois bien peine à croire Qu'un homme si bien fait eust une ame si noire. LEONOR. Acheve, je te prie. ISABELLE.         Il est homme, et l'estant, Se doit-on estonner de le voir inconstant ? Comme il vous avoit pleu me commander [171], Madame, J'ay remis vos écrits aux mains de cet infame ; Mais luy sans s'estonner⁎, avec un faux sousris, Signe trop évident d'un apparent mespris : Va dire, m'a-t'il dit, à cette glorieuse⁎, Qui tranche⁎ de la Reyne, et de l'Imperieuse, Et dont j'ay, grace au Ciel, presque oublié le nom : (Mais d'un air arrogant, et d'un superbe⁎ ton) Que d'elle je reçois avec beaucoup de joye Ces écrits que j'ay fais, et qu'elle me renvoye, Qu'elle m'oblige⁎ fort en pensant m'irriter : Car je ne voulois pas qu'elle se peust vanter, Comme par ces écrits elle l'auroit peu faire, Qu'elle eust esté jamais capable de me plaire. LEONOR. Avec cette impudence ? ISABELLE.         Il m'a dit cent fois pis ; De peur de vous fâcher, croyez que j'adoucis Autant que je le puis son indigne response. LEONOR. Le perfide qu'il est [172] ! va, va, je le renonce [173] : Mais qu'as-tu reparti ? ISABELLE.         Je crains de vous fâcher : Comme par mes discours je voulois le toucher, Cette Dame qu'il ayme, est aussi-tost entrée Ce que [174] voyant, soudain je me suis retirée, M'estant bien aperceuë, ainsi comme je croy, Qu'ils se mocquoient tous deux, et de vous, et de moy. LEONOR. Encor cela de plus ? écoute, Dorotée, Me voyant de ce traistre indignement traitée, Je ne ressemble point à ces lâches esprits Dont l'Amour aveuglé s'accroist par le mespris, Il n'est rien qui me picque⁎, et qui plus me rebute, Oy donc un beau dessein qu'il faut que j'execute : Me voylà resoluë à vivre sous les loix D'un jeune Cavalier, que mon oncle autrefois Contre mon sentiment m'a conseillé de prendre : Mais je desire avant que d'y vouloir entendre⁎ Me vanger puissament de ce manque de foy. ISABELLE. S'il ne tient qu'à cela, reposez-vous sur moy, J'en viendray bien à bout ; Oüy, je pourray, Madame, Par un subtil moyen que je conçoy dans l'ame, Rendre dessus ce poinct vos desirs satisfaits. LEONOR. Ma fille, espere tout de moy si tu le fais. ISABELLE. Oüy, oüy, je vengeray puissamment cette offence [175] : Mais entrons là-dedans, avec plus d'asseurance Nous en pourrons parler, et tenez pour certain Que je viendray sans peine à bout de mon dessein. LEONOR. Entrons, je le veux bien, mais que pretens-tu faire ? ISABELLE. Laissez-moy comme il faut ménager cette affaire. LEONOR. Je croy que ton esprit peut entreprendre tout, Et si je ne me trompe, en venir bien à bout. Fin du quatriesme Acte. ## ACTE V. ### SCENE PREMIERE. ADRASTE, CLIMANTE, CARLIN. ADRASTE *dans la ruë.*. Le Ciel me favorise, et certes aujourd'huy J'ay lieu de me loüer⁎ plus que jamais de luy De vous trouver ici. CLIMANTE.         Dites-moy quelle affaire Vous porte à me chercher ? ADRASTE.         Une tres-necessaire, Vous seul avez pouvoir de terminer [176] mon sort, J'attens de vostre bouche, ou la vie, ou la mort. CLIMANTE. Adraste, devez-vous me traitter⁎ de la sorte ? ADRASTE. On veut faire revivre une esperance morte, Et tout dépend de vous, ainsi que l'on m'a dit. CLIMANTE. Vous estes trop heureux⁎ si j'ay tant de credit, Oüy, disposez de moy, vous en estes le maistre. ADRASTE. Je benirois le Ciel si cela pouvoit estre. CLIMANTE. Voyez⁎ où vous avez besoin de mon secours. ADRASTE. On veut renouveller mes premieres Amours [177], En vous quittant tantost j'ay rencontré Timandre Oncle de Leonor, lequel m'a fait entendre Que sa niepce à present brusle d'amour pour moy, Qu'elle est preste aujourd'huy de [178] m'engager sa foy ; Que vous avez rompu tout à fait avec elle, Dont [179] il venoit exprez me donner la nouvelle ; Que si j'ay conservé quelque reste d'Amour, Je n'ay qu'à convenir et de l'heure et du jour Pour faire les accords de nostre mariage ; Je n'ay que faire ici d'en dire davantage ; Vous m'avez fait sçavoir tantost que contre vous Leonor ce matin a vomi son courroux ; Et comme je cognoy ces riottes⁎ legeres Qui parmy les Amans sont assez ordinaires, J'ay creu que ce dépit mourroit dans un moment, Mais il m'a bien conté cette histoire autrement, Car il m'a protesté⁎ que sa Niepce offensée Vous avoit pour jamais banni de sa pensée, Qu'elle avoit pour moy seul autant de passion Qu'elle avoit cy-devant [180] conceu d'adversion, Qu'il ne tiendra qu'à moy que dans cette journée, Nous ne soyons unis sous les loix d'Hymenée ; Qu'au lieu de traverser⁎ nostre contentement, Vous mesme y donnerez vostre consentement, Sans quoy [181] je ne voudrois jamais rien entreprendre : Dites donc, cher Amy, ce que j'en dois attendre, Pour Dieu [182] ne tenez plus mon esprit en suspends. CLIMANTE. Vous ne sçauriez, Amy, mieux prendre vostre temps, Rebuté des mépris de cette glorieuse⁎, Qui pour un faux soubçon fait tant la dédaigneuse, De bon cœur je la cede, et je ne pretens pas Vous obliger⁎ beaucoup en cedant [183] ses appas ; Puis que j'ay fait dessein de servir cette Dame, Pour qui je vous ay dit que j'estois tout de flame : Je ne la vy jamais, mais on m'a tant vanté Sa beauté, sa noblesse, et sa civilité, Le tout accompagné d'une extréme richesse, Que je suis resolu d'en faire ma Maistresse : Vous rendant Leonor pour vous, je ne fay rien, C'est restitution, je vous rends vostre bien, Et quand je l'aymerois, mon heur⁎ seroit extréme De la voir posseder par un autre moy-mesme [184]. ADRASTE. Je n'esperois pas moins d'un genereux Amy, Qui n'oblige⁎ jamais ceux qu'il ayme, à demy. Puis que de son Amour son mépris vous dégage, Je m'en vay terminer cet heureux mariage CLIMANTE. Leonor est à vous, je n'y pretens plus rien, Adieu, de mon costé je vay penser au mien. Adraste s'en va. Allons, Carlin, allons visiter cette belle. CARLIN. Vous vous allez, Monsieur, brusler à la chandelle, Arrestez je vous prie, où courez-vous si fort ? Estes-vous asseuré de demeurer d'accord⁎ ? Et que cette beauté qu'on vous peint adorable, Ne soit point à vos yeux quelque objet⁎ effroyable ? C'est avoir, croyez-moy, le jugement mal sain, D'abandonner ainsi le seur pour l'incertain : Vous faites à vous mesme une trop rude guerre, Entre deux beaux coussins d'estre le cul en terre. CLIMANTE. Dorotée a dit vray, va Carlin, je la croy Puis qu'elle m'en asseure, elle est digne de foy. ### SCENE II. ISABELLE superbement vestuë en Dame. LEONOR, DORISE. Dans la ruë à la porte du logis de Leonor. ISABELLE. Qu'en dites-vous, Madame ? LEONOR.         Il est vray, Dorotée, Que la fourbe est subtile, et tres-bien inventée : Mais j'ay peine pourtant, à me persuader Que tu viennes [185] à bout [186]. ISABELLE.         Cessez d'apprehender, Reposez-vous sur moy, la chose est tres-aisée. LEONOR. Il le faut confesser, tu t'es bien déguisée, Cet habit te sied bien, mais crois-tu qu'aisément Climante soit duppé par ce déguisement ? Et quoy ? crois-tu passer prez de luy pour Lizene ? ISABELLE. Mais, Madame, pourquoy vous mettez-vous en peine⁎ ? Blâmez-moy si je manque⁎, et si je ne fais bien, Il suffit qu'aujourd'huy vous ne hazardez⁎ rien, C'est moy seule qui cours risque de toute chose. LEONOR. Sçache qu'à tout peril pour cela je m'expose, Tu ne le cognois pas comme je le cognois ; Climante est fort rusé. ISABELLE.         Le fust-il plus cent fois Il n'échapera pas des mains de Dorotée. LEONOR. Mais dans ce beau dessein, t'es-tu point mécontée⁎ ? Car Lizene n'est pas la Dame qu'il cherit. ISABELLE. Avez-vous oublié ce que je vous ay dit ? Il est vray que Climante adore cette Dame Dont vous avez soubçon ; mais non pas comme femme, Il ne la tient chez luy que pour passer son temps, Et vous l'avez deux fois trouvée à vos despens : Mais au nom de Lizene il a rendu les armes, Il meurt pour ses attraits, il adore ses charmes : Enfin de ses grands biens estant bien adverti, Il meurt de posseder un si riche parti. Moy, sçachant de certain [187] qu'il ne l'a jamais veuë, L'invention soudain dans l'esprit m'est venuë De passer prez de luy sous ce nom emprunté, Bien que comme en esprit je luy cede en beauté : Lizene m'ayme fort, et je suis asseurée Qu'elle nous servira, je l'ay bien preparée, Ce soir elle me preste à dessein son logis, Et m'a par ma cadette envoyé ses habits Qui me viennent⁎ bien mieux que n'eussent fait tous autres, C'est le sujet⁎ pourquoy [188] je n'ay pas pris [189] les vostres, On diroit que ceux-cy sont fait exprez pour [190] moy. LEONOR. Tu ne pourras jamais l'abuser que je croy, Il te recognoistra, tout le jour il t'a veuë. ISABELLE. Laissez-moy faire, ô Dieux ! vostre soubçon me tuë, J'ajusteray ma mine à mes pompeux habits. LEONOR. Quand bien tu passerois pour celle que tu dis, Sans s'informer de toy, penses-tu qu'il souhaite T'espouser sur le champ ? ISABELLE.         Je tiens la chose faite. Vous en aurez sans doute aujourd'huy le plaisir. LEONOR. La vengeance seroit conforme à mon desir, Ayant, comme il a fait, refuse la Maistresse, S'il prenoit la Suivante. ISABELLE.         Adieu donc, je vous laisse, Vous ferez ma fortune en vous vengeant de luy, Et sçaurez ce que vaut Dorotée aujourd'huy. LEONOR. Dieu veüille seconder⁎ cette belle entreprise Qui vange mon honneur ; Va, le Ciel te conduise. ISABELLE. Je meine⁎ pour Servante avecque moy ma sœur. Leonor s'en va. LEONOR. Ciel, donnez-luy la force aussi bien que le cœur⁎. ### SCENE III. ISABELLE, DORISE. ISABELLE *dans la ruë.*. Allons, ma sœur, allons. Au coin de cette ruë, Quand tu ne seras plus de personne aperceuë, Retourne à la maison. DORISE.         Je m'en vay m'échaper ; Grands Dieux ! que cette fille est facile à tromper [191] ? ISABELLE. Dépéche-toy, Carlin venant avec son Maistre, Ne manqueroit jamais, sans doute à te cognoistre. DORISE. Le hazard⁎ est bien grand que vous allez courir. ISABELLE. Ne sors pas du logis, je t'envoyeray querir. Elles s'en vont toutes deux, l'une par un costé et l'autre par l'autre. ### SCENE IV. CLIMANTE, CARLIN. Dans la ruë qui paroistra, si l'on veut, la Place Royale. CLIMANTE. Voicy l'heure, sans doute [192], à mon bonheur fatale, Nous sommes assez prez de la Place Royale, Quel sera le logis de tous ceux que je voy ? CARLIN. Mais pourquoy voulez-vous, Monsieur, adjouster foy Aux discours imposteurs de cette Dorotée ? Ne voyez-vous pas bien que c'est une effrontée Qui ne fait que mentir ? CLIMANTE.         Non, tant que je vivray Je croiray Dorotée, elle a toûjours dit vray. CARLIN. Pour se mocquer de vous, elle s'est advisée⁎ De cette fourbe ici [193] : Monsieur, elle est rusée Plus que vous ne pensez. CLIMANTE.         Que m'importe ? apres tout, Car si de mes desseins je ne viens pas à bout, Toûjours⁎ la promenade est belle en cette place ? CARLIN. Elle est belle pour vous, mais pour moy je me lasse, Entrons, et me croyez [194] dans quelque cabaret, Pour nous desalterer allons-y boire un trait⁎, Quel plaisir de marcher à vuide⁎ dans la ruë ? Je me lasse, Monsieur, à faire ici la gruë⁎. CLIMANTE. Quoy maraut ? suis-je un homme à hanter⁎ en tels lieux ? Qui m'y viendroit chercher ? CARLIN.         Il falloit pour le mieux, Luy donner rendez-vous dedans l'Echarpe blanche [195] ; Je jeusne ici, mais là j'aurois eu ma revanche, Je ne me plaindrois point de mon mauvais destin, Quand mesme j'y serois du soir jusqu'au matin : Mais à pied dans la ruë on me fait trop attendre. ### SCENE V. UN PAGE d'Isabelle, CLIMANTE, CARLIN dans la Place Royale à la porte de Lizene. Climante se promene seul. LE PAGE. Souffrez la liberté, Monsieur, que j'ose prendre ; Estes-vous pas Climante [196] ? … CLIMANTE.         Oüy, l'on m'appelle ainsi. LE PAGE. Venez donc, ma Maistresse assez proche d'ici. Vous attend à la porte, elle s'en va descendre. CLIMANTE. J'obeys, et te suy s'il te plaist de m'attendre. Quel heur⁎ pour moy : Carlin, dis-tu pas qu'elle ment ? CARLIN. Si la fin peut respondre à ce commencement ; (Mais j'en doute bien fort) j'auray menti moy-mesme. ### SCENE VI. ISABELLE, CARLIN, CLIMANTE. Dans la ruë qui paroistra, si l'on veut, la Place Royale devant la porte de Lizene. ISABELLE *superbement vestuë.*. Vous ayant fait sçavoir, Monsieur, que je vous ayme, Et que d'un autre objet⁎ mon cœur estoit jaloux, Puis-je bien sans rougir paroistre devant vous ? CLIMANTE *surpris à Carlin bas.*. De quelle illusion est mon ame enchanté⁎ ? Cognois-tu ce visage ? CARLIN *bas à Climante.*.         Ah Dieux ! c'est Dorotée ? C'est elle, mais, Monsieur, en different habit. ISABELLE. Vous estes donc muet ? vous estes interdit ? Quoy Monsieur, traitez-vous les Dames de la sorte ? Et vous offencez-vous de l'Amour qu'on vous porte ? CLIMANTE. L'excez de cet honneur me surprend tellement, Que je ne puis ouvrir la bouche seulement. Mais sous un autre habit ne vous ay-je point veuë ? ISABELLE. Non, mais c'est à la voix que vous m'avez cognuë Vous m'avez peu parler seulement une fois Qui fut hier au soir. CLIMANTE *à Carlin.*.         Carlin, j'en jurerois. ISABELLE. Expliquez-vous, Monsieur, car ce discours m'estonne. CLIMANTE. Vous ressemblez si fort à certaine personne, Que si ce beau visage, et le sien en sont deux, On n'a jamais rien veu de si miraculeux. Voyla son œil, son poil, sa parole, son geste, Sa taille et sa façon : Oüy Carlin, je proteste⁎ Que ce l'est elle-mesme. CARLIN.         Il n'en faut point douter, C'est elle, et je me ry de vous voir consulter⁎. ISABELLE. Et vous nommez, Monsieur, celle-là ? CLIMANTE.         Dorotée, Qui sert chez Leonor, Dame que j'ay hantée⁎, Et pour qui j'ay mesme eu de l'inclination. ISABELLE. Vous n'estes pas tout seul de cette opinion ; L'ayant veuë aujourd'huy par la ruë, il me semble A moi-mesme qu'elle a quelque air qui me ressemble. CARLIN *bas.*. Si je ne l'estois pas, je serois bien duppé [197]. CLIMANTE. Cet habit me surprend. CARLIN.         C'est luy qui m'a trompé. ISABELLE. Brisons⁎-là, pour vous dire ici que je vous aime, Je le dy librement, et que je suis la mesme Qui me refugié [198] chez vous hier au soir, Pour avoir plus long-temps le bonheur de vous voir. Je feigny que j'estois d'un mary poursuivie, Qui vouloit en cholere attenter sur ma vie : Mais je suis fille encor, je mentois à dessein. CARLIN *bas à Climante.*. Elle mentit hier, et mentira demain, Vous l'écoutez encor ? CLIMANTE.         Maraut te veux-tu taire ? ISABELLE. Pour mettre Leonor justement en colere, Sçachant qu'elle venoit chez vous pour voir le Roy, J'emporté vos deux clefs, et mandé [199] que chez moy On fist vestir sur l'heure une adroite friponne D'un de mes beaux habits : Aussi-tost je luy donne Vos deux clefs dans la main, avec commandement De venir s'enfermer dans vostre apartement. Vous voyez que c'estoit pour donner de l'ombrage⁎ ; Je ne puis pas, Monsieur, en dire davantage, Vous avez veu le reste, et vous pouvez sçavoir Si cette jeune fille a bien fait son devoir. CLIMANTE. Mais à tous vos desseins pouvois-je rien [200] comprendre ? Madame, sans parler, pouvois-je vous entendre ? ISABELLE. Non, pour moy Dorotée en a pris le souci⁎, J'ay sceu depuis tantost qu'on l'appelloit ainsi, A qui [201] j'ay declaré mon amoureux martyre, Afin de m'epargner la honte de le dire. CLIMANTE *bas.*. Dorotée en effet m'a dit la verité. ISABELLE. Informez-vous, Monsieur, quelle est ma qualité⁎, Et vous recognoistrez, sans doute, qu'en noblesse, Je passe⁎ Leonor aussi bien qu'en richesse, Et pleust à mon destin que je peusse en ce jour La surpasser en grace aussi bien qu'en amour Pour vous estre agreable. CLIMANTE.         Ah ! beauté que j'admire [202] ? Dans ma confusion je ne sçay que vous dire. C'est moy qui doy, Madame, implorer à genoux L'heur⁎ de vous posseder en qualité d'espoux : Je me tiens glorieux, et renonce à tout autre Si vous offrant ma main vous me donnez la vostre. ISABELLE *luy donnant la main.*. Me voici, je l'avoüe, au bout de mes souhaits, Mon cœur est trop content, pourveu que desormais Leonor ne soit plus en pouvoir de me nuire. CLIMANTE. Elle épouse à [203] ce soir Adraste, et je desire Luy montrer qu'ayant sceu briser tous ses liens [204], J'ay mesprise ses fers comme elle a fait les miens [205]. ISABELLE. Allons-y, vous verrez quelque chose d'estrange, Adraste vous dira que vous gagnez au change. Il me cognoist fort bien, allons-y de ce pas. CARLIN *bas à Climante.*. Non, croyez-moy, Monsieur, et ne la croyez pas. Voyez-vous pas [206] que c'est une fourbe inventée ? CLIMANTE. Mais quoy ! chez Leonor verrons-nous Dorotée Sans qu'on charme⁎ mes yeux ? sans qu'on trompe mes sens ? ISABELLE. Je vous la feray voir. CLIMANTE.         Dieux ! qu'est-ce que j'entends ? Et mesme devant vous je la verray paroistre ? ISABELLE. Oüy, tres-asseurément. CLIMANTE.         Cela ne peut pas estre. ISABELLE. Vous l'y verrez. CLIMANTE.         Allons, j'en veux estre éclairci : Soyez juges, mes yeux, de ce prodige ici [207]. ### SCENE VII. ADRASTE, TIMANDRE, LEONOR, LUCILLE Dans la ruë à la porte de Leonor. ADRASTE. Mais est-il bien certain, Monsieur, j'ay peine à croire Que je sois à present si proche de ma gloire. Leonor paroist à sa porte avec Lucille. TIMANDRE. Ne me croyez-vous point ? en doutez-vous encor ? Allons sur ce sujet consulter Leonor. Mais la voicy qui sort. ADRASTE* à Leonor.*.         Beauté plus que mortelle, Je suis trop glorieux⁎ si ma fortune est telle Que vostre oncle me dit, et beny l'heureux⁎ jour Qu'en vostre cœur la haine a fait place à l'Amour [208]. TIMANDRE. Ma Niepce méprisant cent indignes conquestes, Et recognoissant mieux l'honneur que vous luy faites, Vous reçoit maintenant en qualité d'Epoux. LEONOR. Puis-je bien sans rougir paroistre devant vous ! Ayant fait plus d'estat d'un perfide, et d'un traistre, Que d'un fidelle Amant que je n'ay peu cognoistre ? Mais en me [209] tesmoignant qu'au lieu de vous vanger Par un excez d'amour vous voulez m'obliger⁎ ; Je jure de n'avoir desormais autre envie Que de vous obliger⁎ [210] tout le temps de ma vie. ADRASTE. Apres tant de faveurs que dois-je aprehender ! Timandre, accordez-moy l'heur⁎ de la posseder. TIMANDRE. Regardez⁎, Leonor, ce que vous voulez faire. LEONOR. Puis qu'il vous plaist, Monsieur, je le veux satisfaire. TIMANDRE. Je conjure le Ciel que selon vos desirs Rien ne puisse jamais alterer vos plaisirs : Entrons, nous serons mieux au logis qu'en la ruë. Isabelle avec suitte [211], Climante et Carlin paroissent. Ces gens viennent à nous, attendons leur venuë. ### SCENE VIII et derniere. CLIMANTE, ADRASTE, LEONOR, ISABELLE superbement vestuë avec suitte CARLIN, TIMANDRE, LUCILLE, ARISTE Tous dans la ruë à la porte de Leonor. CLIMANTE *à Leonor.*. Je viens pour prendre part à vos felicitez, Et non pour rendre hommage encor à vos beautez : Je sens dedans mon cœur une joye infinie, De voir à vostre hymen si bonne compagnie. Montrant Isabelle qu'il tient par la main. Ce bel objet⁎ que rien ne sçauroit égaler, Me peut, si je vous perds, aysément consoler. ADRASTE *bas, estonné.*. Que vois-je, justes Dieux ! que mon ame est ravie⁎ ! LEONOR* à Climante* ;. Si vous considerez mon bonheur sans envie, Sans aucun déplaisir je voy le vostre aussi. ADRASTE *bas à Leonor.*. Madame, justes Dieux ! que veut dire cecy ? Voyla cette beauté que je croyois absente. LEONOR *bas à Adraste.*. Adraste, taisez-vous, c'est ici ma Suivante, Vous allez, sans mentir, bien passer vostre temps. Oyez sans dire mot. ADRASTE *bas.*.         Dieux ! qu'est-ce que j'entends ? De quel trouble d'esprit est mon ame agitée ? CLIMANTE *à Leonor.*. Faites-moy, s'il vous plaist, appeler Dorotée. LEONOR. Que luy voulez-vous donc ? CLIMANTE.         La voir tant seulement. LEONOR *à Adraste bas.*. Et bien, qu'en dites-vous ? c'est elle asseurément, Il la tient par la main, et vient s'informer d'elle. Haut à Climante. Je m'en vais vous aprendre une heureuse nouvelle, Elle n'est pas bien loin, je vous la vay montrer, Elle est ici presente, et feignez [212] l'ignorer. A Isabelle. Dorotée, allez tost me querir ma cassette Où sont tous mes escrits : (elle fait la muette) Madame, approchez-vous. ISABELLE *gravement.*.         Parlez-vous donc à moy ? ADRASTE *bas.*. C'est elle asseurément, ah ! qu'est-ce que je voy ? LEONOR *à Isabelle.*. C'est à toy que je parle, il n'est plus temps de feindre, Ma fille, respons-moy, va, tu n'as rien à craindre. A Climante. Ah perfide ! ah volage ! indigne de pitié, Le Ciel me vange bien de ton peu d'amitié, Tu quittes la Maistresse pour prendre la Suivante [213]. CLIMANTE* regardant Isabelle.*. Dieux [214] ! quelle trahison ? ISABELLE.         N'en croyez rien, Climante, Je ne veux plus tenir tant de monde en suspens. Je me veux declarer, oüy Madame il est temps : Pensant tromper autruy vous vous trompez vous mesme. J'ay feint, pour posseder ce Cavalier que j'ayme, Mon nom, et mon habit ; En ay-je dit assez ? Je ne suis nullement celle que vous pensez : Adraste que voyla, sçait bien comme on m'appelle, Qu'il dise franchement s'il cognoit Isabelle ? S'il sçait quel est mon bien et mon extraction ? J'ay veritablement trahy sa passion, Je me suis à ses vœux montrée inexorable, Mais je le cognoy bien, il est trop raisonable Pour desirer par force estre maistre d'un cœur Qui confesse tout haut le nom de son vainqueur. LEONOR. Vous mocquez-vous de nous par ces contes frivoles ? ADRASTE. Madame, elle dit vray, croyez à ses paroles, Je la cognoy fort bien, c'est veritablement Ce sujet tant vanté, cet objet⁎ si charmant Qui rangea sous ses loix ma liberté ravie, Quand je vous vy si fort contraire à mon envie : Mais je r'entre content dedans mes premiers fers, Je ne me souviens plus des maux que j'ay soufferts : Car je sens de nouveau renaistre dans mon ame Le mesme embrazement de ma premiere flame, Que vostre seul mépris, Madame, avoit esteint. Vous, cher Amy, croyez si vous estes estreint Du saint nœud d'Hymenée avec cette merveille, Que c'est une faveur qui n'a point de pareille, C'est le plus digne objet⁎ qui soit dessous les Cieux. LEONOR. Climante, souffrez-vous qu'on nous jouë [215] à vos yeux ? CLIMANTE. Puis que je voy qu'ici la chose est sans remede, Qu'y [216] ferois-je, Madame ? il faut bien que je cede : Mais Adraste a dit vray, je suis tres-satisfait, Et ne me repens point du beau choix que j'ay fait. LEONOR. Le Ciel fait bien paroistre aujourd'huy sa justice ; Adraste jusqu'ici m'a tant fait de service, Que ce seroit luy faire un trop indigne tour, De ne seconder⁎ pas un si fidelle Amour. ADRASTE. Apres un tel adveu, je suis ingrat, Madame, Si je me plains du Ciel. ISABELLE.         Pour moy, si j'ay du blâme, De vous avoir fourbez, de vous avoir trahis, Il en faut accuser l'Astre à qui j'obeys : Mais [217] pour rendre à mes vœux ce Cavalier sensible, J'aurois tout fait, Madame, et jusqu'à l'impossible. LEONOR. Tant s'en faut que j'en garde aucun ressouvenir⁎, Que j'en beny le Ciel qui m'a voulu punir, Et m'offre à vous servir de toute ma puissance : Mais pardonnez, Madame, à mon extravagance. Je devois bien juger, voyant ce que je voy, Que je devois servir, vous, commander chez moy. ISABELLE. Cet excez de faveur surpasse mon attente : Mais quoy ! vous me traitez comme vostre servante. TIMANDRE. Laissons ces complimens, songeons à terminer Ce double mariage, il nous faut couronner Ce beau couple d'Amans d'une immortelle gloire, Afin que nos Neveux⁎ en celebrent l'histoire. CARLIN *à Isabelle.*. Tu me quittes cruelle, et je t'ayme si fort. CLIMANTE. En effet il est vray, Dorotée a grand tort. ISABELLE. Au lieu d'elle Carlin, je te donne Dorise, Elle me sert, je veux qu'elle te soit acquise, Tu sçais bien son logis, fay-la venir ici. CARLIN. Pourveu qu'elle ait sa bague et cent escus aussi. ISABELLE. Va, je t'en donne mille, en veux-tu davantage ? Pourrois-tu souhaitter un plus beau mariage. CARLIN. Je seray plus heureux que mon Maistre à la fin. CLIMANTE. Je veux aussi donner mil escus à Carlin, Et devant⁎ qu'il soit nuict [218] je veux qu'on les fiance. Ils s'en vont. CARLIN. Puis que je voy chez nous et bagues et finance, Je veux d'orénavant qu'on m'appelle Monsieur, A quantité de gueux on fait bien cet honneur, Qui n'ont point tant d'escus ny si belle Maistresse. Puis-je pas y pretendre avec tant de richesse ? Oüy, je rompray le col, j'en fais un bon serment, A quiconque osera m'appeller autrement. Fin de la Comedie de la Dame Suivante. ## EXTRAICT DU PRIVILEGE DU ROY. **P**ar grace & Privilege du Roy donné à Paris le vingt-cinquiesme jour de Juillet 1645. Signé, Par le Roy en son Conseil, LE BRUN. Il est permis à TOUSSAINCT QUINET Marchand Libraire à Paris, d'imprimer ou faire imprimer, vendre & distribuer une pièce de Theatre intitulée, *La Dame Suivante Comédie, Par le sieur d'Ouville*, durant le temps & espace de cinq ans, à compter du jour qu'il sera achevé d'imprimer : Et defenses sont faites à tous Imprimeurs, Libraires & autres, de contrefaire ledit Livre, ny le vendre ou exposer en vente à peine de trois mil livres d'amende, & de tous despens [219], dommages & interests, ainsi qu'il est plus amplement porté par lesdites Lettres, qui sont en vertu du present Extraict tenuës pour bien & deuëment signifiees, à ce qu'aucun n'en pretende cause d'ignorance. *Achevé d'imprimer pour la premiere fois le huictiesme Aoust 1645.* Les Exemplaires ont esté fournis. # Lexique.AccidentTrouble.V. 267Accord« Se dit figurément de l'union de deux personnes qui vivent ensemble. » (Fur.)V. 670 ; 1564AdmirableÉtonnant.V. 1348Admiration« Action par laquelle on regarde avec estonnement quelque chose de grand et de surprenant. » (Fur.) A le même sens que *surprise*.V. 1321Adviser« Se dit figurément des découvertes qui se font par les yeux de l'esprit aprés quelque méditation. Il s'est *advisé* d'une bonne invention. » (Fur.)V. 1645AjusterOrner, embellir, parer.V. 324 ; 580 ; 823Amour (faire l')« Se livrer à la galanterie. » (Ac.) « on dit qu'un jeune homme fait l'amour à une fille, quand il la recherche en mariage. » (Fur.)V. 669 ; 1385Apparence« Se dit aussi de ce qui est opposé à la réalité, qui n'est que faux, feint& simulé. » (Fur.)V. 1088Arrester« Signifie tarder, s'amuser, rester quelques temps dans un lieu sans en sortir. » (Ac.)V. 22 ; 893 ; 978AsseuranceConstance, fermeté.V. 139AucunementEn quelque façon, jusqu'à un certain point.V. 746Autrefois« Signifie aussi un autre temps : je ne puis faire cela maintenant, ce sera pour une autrefois. » (Fur.)V. 646 ; 1382Badin, ine« Qui est folastre, peu serieux, qui fait des plaisanteries. » (Fur.)V. 1200Briser« Se dit absolument, quand on veut interrompre ou faire taire quelqu'un qui dit des choses désagréables, ou qui peuvent faire naître quelque querelle. » (Fur.)V. 125 ; 1701Brutal« Celuy qui n'a pas plus d'esprit & de conduitte qu'une beste. » (Fur.)V. 45CaresserFlatter, cajoler.V. 972Chagrin« Quelques-uns derivent ce mot de *aigrir*, parce qu'il cause quelque aigreur ou amertume dans l'esprit. » (Fur.) A le même sens que *rancune.*V. 1226Change« On dit figurément qu'un homme a pris le change, qu'on luy a donné le change, quand on luy a fait quitter quelque bonne affaire pour en poursuivre une autre qui luy est moins avantageuse. » (Fur.)V. 1280*Donner le change à quelqu'un* signifie « Détourner adroitement quelqu'un du dessein, des vues qu'il peut avoir, en lui donnant lieu de croire une chose pour une autre. » (Ac.)V. 448CharmerA le sens d'*ensorceler, enchanter*.V. 863 ; 1344 ; 1357 ; 1751Chaude (à la) : adv.« D'une maniere prompte & violente. » (Fur.)V. 52Cœur« Signifie quelquefois, Vigueur, force, courage, intrépidité. » (Fur.)V. 1628 CognoistreReconnaître.V. 934ComplexionTempérament, « habitude, disposition naturelle du corps. » (Fur.)V. 1361Composer« Signifie encore en Morale, Régler ses moeurs, ses actions, ses paroles. » (Fur.)V. 1143Consulter« Signifie aussi, Etre irresolu, incertain quel party on doit choisir. » (Fur.). Équivaut à *hésiter*.V. 770 ; 1692Contraindre« Gesner, incommoder. » (Fur.)V. 7ConvaincreFaire apparaître manifestement comme coupable.V. 336Couler (se)« Signifie encore, Entrer en quelque maison, s'y glisser avec adresse. » (Fur.)V. 938Cy-devantAuparavant.V. 1532Deffier (se)« Avec le pronom personnel, signifie, N'estre pas assûré de quelque personne, ou de quelque chose. » (Fur.) Signifie *se méfier*.V. 85 ; 1342Delicat« Se dit encore en ce sens de ce qui est foible ou fragile, qui ne peut pas resister aux attaques des corps estrangers. » (Fur.)V. 1255Démentir« Reprocher à quelqu'un qu'il a menti, luy soûtenir injurieusement qu'il n'a pas dit vray. » (Fur.)V. 350 ; 358 ; 1102Demeure« Se dit, en termes de Jurisprudence, du Retard, du temps qui court au-delà du terme où l'on est tenu de payer ou de faire quelque autre chose. » (Ac.) *Sans demeure* signifie *sans retard*.V. 832DevantAuparavant.V. 258Avant.V. 1881Diligence (en)Rapidement, en vitesse.V. 699Diligenter (se)Se dépêcher.V. 704Divertir (se)« On dit qu'une femme se divertit lors qu'elle fait l'amour. » (Fur.)V. 30DresserPréparer, arranger, mettre en état. *Dresser le ménage* signifie *faire le ménage*.V. 565Éclat« Bruit, rumeur, scandale. » (Ac.)V. 886EmmenerAu sens de *amener*.V. 300 ; 362 ; 660 ; 734 ; 849 ; 1094Empescher« Signifie aussi Embarrasser, occuper. » (Fur.)V. 1212Enchanter« Charmer, ensorceler par des sons, par des paroles, par des figures, par des opérations magiques. » (Ac.)V. 302 ; 845 ; 1673EnnuiSouci, chagrin, tourment.V. 398 ; 784 ; 1219Entendre« Consentir à quelque proposition. » (Fur.)V. 1484Comprendre.V. 492 ; 707Équipage« Provision de tout ce qui est necessaire pour voyager, ou s'entretenir honorablement, soit de valets, soit de chevaux, carrosses, habits, armes, … » (Fur.)V. 1133Estonner (s')S'effrayer.V. 1259 ; 1453Estre en peineÊtre inquiet.V. 242 ; 659 ; 1287 ; 1582Fable« Signifie absolument Fausseté. » (Fur.) A le sens de *mensonge*.V. 1092 ; 1372Faux (à)Locution adverbiale, signifie *à tort, injustement*. (Ac.)V. 425Ferrer la mule : proverbe.« Se dit quand les valets ou les commissionnaires trompent sur le prix des marchandises, & les comptent plus qu'ils ne les ont achetées. » (Fur.)V. 88Finesse« Se dit aussi en mauvaise part, pour signifier, Ruse, adresse, artifice. » (Fur.)V. 1171Force : adv. Beaucoup, d'une manière abondante.V. 1133Nécessité, contrainte.V. 112Front« Impudence, temerité de soustenir en face à quelqu'un un mensonge, une calomnie. » (Fur.)V. 349 ; 353 ; 866GalanterieBonne grâce, agrément, cadeau, divertissement plein de goût.V. 572GenereuxCourageux.V. 622Glorieux« Se dit aussi d'un orgueuilleux, d'un homme qui a trop de vanité. » (Fur.)V. 1455 ; 1541 ; 1762Goutte*Ne voir goutte* signifie* ne pas voir clair*. (Ac.)V. 424Gruë (faire la)« On dit aussi, qu'un homme fait le pied de gruë, quand il est long-temps debout en quelque lieu, et particulièrement quand on le fait attendre parce qu'on dit que les gruës ont coûtume d'avoir un pied en l'air quand elles font sentinelle. » (Fur.)V. 1654Hanter« Estre souvent en la compagnie de quelqu'un, soit qu'on luy fasse des visites, soit qu'on reçoive les siennes. » (Fur.)V. 1136 ; 1694« Se dit aussi des lieux où on va ordinairement. » (Fur.)V. 1655Haste (avoir)Être pressé.V. 889Haut« Se dit aussi de tout ce qui a quelque degré d'excellence, d'eslevation en quelque chose que ce soit, tant en bonne qu'en mauvaise part. On dit qu'un homme est haut en paroles, lors qu'il parle impérieusement. » (Fur.)V. 1197HazardRisque.V. 1635.Peut aussi signifier chance.V. 761 ; 1177HazarderRisquer.V. 140 ; 1584HeurRencontre avantageuse, bonne fortune. Équivaut pour le sens à *bonheur*.V. 687 ; 826 ; 1303 ; 1553 ; 1736 ; 1776Heureux« Signifie aussi, Chanceux, à qui le hasard est favorable.» (Fur.)V. 760 ; 1508 ; 1763Histoire« Description, narration des choses comme elles sont, ou des actions comme elles se sont passées. » (Fur.) *Histoire* s'oppose à *fable*.V. 1372HumeurEn humeur de signifie résolu.V. 971IncontinentAdv. de temps, signifie *un instant*.V. 367 ; 369Insigne« Remarquable, excellent, qui se fait distinguer de ses semblables. Il se dit tant en bonne qu'en mauvaise part. » (Fur.)V. 1056Intelligence« Union, amitié entre deux ou plusieurs personnes qui s'entendent bien ensemble, qui n'ont aucun différent. » (Fur.)V. 415 ; 504Connivence. « Se dit aussi en mauvaise part, d'une cabale secrette, d'une collusion de parties qui tend à nuire à autruy. » (Fur.)V. 899LaisserNe pas laisser de signifie « Ne pas cesser, ne pas s'abstenir, ne pas discontinuer de. » (Ac.)V. 548Liberalité« Vertu de celuy qui sait donner quand il faut, & sans interests. Se dit aussi quelque fois de la chose donnée. » (Fur.)V. 1037LorsAlors.V. 433 ; 1442Loüer de (se)« Avec le pronom personnel, signifie, Estre satisfait. » (Fur.)V. 1500MaintenantTout à l'heure.V. 787Manquer« Signifie aussi, Faire quelque faute. » (Fur.) Équivaut à *se tromper*.V. 1583Marry« Repentant, fasché, qui a du regret d'avoir fait quelque chose. » (Fur.)V. 781Matoise« Rusée, difficile à estre trompée, adroite à tromper les autres. » (Fur.)V. 390Méconter (se)« Ne se dit qu'avec le pronom personnel, et signifie, Se tromper en ses conjectures, en son raisonnement, en ses actions. » (Fur.)V. 1590 MenerEmmener.V. 371 ; 1627Menterie« Propos par lequel on donne pour vrai ce qu'on sait estre faux. Il est plus familier que *mensonge* et s'applique à des choses moins graves. (Ac.)V. 288 Mine« Se dit du bon ou du mauvais accueuil qu'on fait à quelqu'un, du bon ou du mauvais visage qu'on luy tesmoigne. » (Fur.) *Avoir bonne mine* signifie donc *recevoir un bon acceuil*.V. 1199Neveu« Au pluriel, se dit de tous les hommes qui viendront aprés nous, de la posterité. » (Fur.)V. 1870Objet« Se dit poëtiquement des belles personnes qui donnent de l'amour. » (Fur.)V. 71 ; 217 ; 854 ; 998 ; 1286 ; 1358 ; 1365 ; 1566 ; 1671 ; 1787 ; 1832 ; 1843Obliger« Faire quelque faveur, civilité, courtoisie » (Fur.)V. 258 ; 373 ; 477 ; 818 ; 955 ; 1037 ; 1162 ; 1166 ; 1297 ; 1353 ; 1461 ; 1544 ; 1556 ; 1772 ; 1774OfficeService que l'on rend à quelqu'un.V. 1146 ; 1163 ; 1407OmbrageAu sens figuré, signifie *deffiance, soupçon*.V. 443 ; 1236 ; 1717Ouvrage« Se dit absolument des objets auxquels les femmes travaillent à l'aiguille. » (Ac.)V. 568Paroistre« Signifie aussi, Se faire distinguer des autres, éclater davantage. » (Fur.)V. 820Passer outrePoursuivre son discours.V. 1007PasserSurpasser.V. 1730Picquer«  Se dit aussi des choses qui nous flattent, ou qui nous choquent. Cet amoureux est *piqué* et charmé d'une telle Dame. » (Fur.)V. 211 ; 1384 ; 1387.Signifie aussi *choquer*V. 1411 ; 1479Porter« Signifie encore, Estre disposé à faire quelque chose, soit par sa propre inclination, soit par l'instigation d'autruy. » (Fur.)V. 1068PrésentementA l'instant, tout à l'heure.V. 166Priser« Estimer, faire cas. » (Fur.)V. 789Produire« Signifie aussi, Avancer dans le monde, faire connoistre. » (Fur.)V. 607PropreBien orné, élégant, soigné, raffiné.V. 827Protester« Promettre, assûrer fortement quelque chose. » (Fur.)V. 182 ; 346 ; 983 ; 1529 ; 1690Qualité« Signifie aussi un titre qu'on donne aux personnes pour marquer leurs seigneuries, leurs prétentions. » (Fur.)V. 1017 ; 1242 ; 1728Ravir« Se dit aussi des passions violentes qui troublent agréablement l'esprit, et suspendent les fonctions des sens, particulierement de la joye, de l'estonnement et de l'admiration. » (Fur.) Équivaut pour le sens à *étonner*.V. 1789Regarder« Signifie aussi, Examiner, observer, considerer attentivement. » (Fur.)V. 1777Rencontrer« S'emploie absolument et signifie Etre bien ou mal servi par les événements dans quelque affaire. » (Ac.)V. 613ReputerEstimer. « Signifie aussi, Croire, presumer. » (Fur.)V. 1308Ressouvenir« Ce qui demeure en la mémoire. » (Fur.)V. 1859RetardementDélai, retard.V. 226 ; 244 ; 806Retiré« Un homme est bien retiré, lorsqu'il demeure chez luy clos & couvert, & qu'il ne veut voir ni frequenter personne. » (Fur.)V. 310Réverie« Action ou proposition desraisonnable, vision. » (Fur.) A le même sens que* mensonge*.V. 1340Riotte« Petite querelle ou difficulté qui arrive souvent dans le ménage, ou dans les sociétés. » (Fur.)V. 1525SeinPoitrine, cœur.V. 509Santé« Convenable disposition et tempérament des humeurs et des parties d'un corps animé, qui est cause qu'il fait bien ses fonctions. » (Fur.) Equivaut à *bonne santé*.V. 301Seconder« Il signifie Aider, favoriser, servir quelqu'un dans un travail, dans une affaire : *Seconder les vœux, les désirs, les bonnes intentions de quelqu'un*. » (Ac.)V. 1625 ; 1852SignaléRemarquable, célèbre.V. 236SouciSoin, préoccupation.V. 54 ; 1723SuccéderRéussir, avoir du succès.V. 708Sujet« Signifie aussi, Cause, occasion, raison. » (Fur.)V. 18 ; 36 ; 300 ; 327 ; 352 ; 408 ; 436 ; 441 ; 499 ; 844 ; 849 ; 880 ; 946 ; 975 ; 1085 ; 1182 ; 1279 ; 1370 ; 1417 ; 1610SuperbeHautain (en parlant du ton.)V. 1458Sus« On dit aussi par exclamation, Sus donc, Or sus, pour exciter quelqu'un à prendre du courage. » (Fur.)V. 712 ; 1203Tirer les vers du nez« Tirer adroitement un secret. » (Fur.)V. 1086Toilette« On dit proverbialement Plier la toilette, pour dire, Enlever ce qu'il y a de meubles, d'habits, de linge, de pierreries, qu'on laisse en voye dans une maison et sur la toilette, soit par un vol domestique, soit par la violence que font souvent les filoux aux Courtisanes. » (Fur.)V. 96Toûjours« Se dit quelquefois du temps present. » (Fur.) Signifie alors* du moins*.V. 1649Tout beau (ou Toubeau) : loc. adv. et fam.« Doucement, modérez-vous, retenez-vous » (Ac.)V. 471 ; 535Trait« Se dit aussi à table, de ce qu'on avale tout d'un coup en beuvant. » (Fur.)V. 1652Traitter« Agir avec quelqu'un, en user avec luy de telle ou telle manière. » (Fur.) Équivaut pour le sens à *considérer quelqu'un de telle ou telle manière*.V. 1272 ; 1505.« Signifie aussi, Nourrir, donner à manger, soit à l'ordinaire, soit en ceremonie. » (Fur.)V. 853Trancher (ou trencher)« Se dit encore ironiquement des fanfarons, de ceux qui affectent de paroistre plus qu'ils ne sont. Il *trenche* du grand Seigneur, pour dire, Il fait le grand Seigneur. » (Fur.)V. 1456Transport« Se dit figurément en choses morales du trouble ou de l'agitation de l'âme par la violence des passions. » (Fur.)V. 148 ; 155Traverser« Signifie figurément en Morale, Faire obstacle, opposition, apporter de l'empeschement. » (Fur.)V. 1535VeillerS'abstenir de dormir.V. 99 ; 1316Venir« Signifie encore, Estre convenable. Cet habit vous *vient* à merveilles. » (Fur.)V. 1609Voir« Signifie aussi, Commander, ou avoir autorité sur quelque chose. » (Fur.)V. 1511.Signifie également *traitter, considérer* quelqu'un de telle ou telle manièreV. 534.Vuide (à) : adv.« Qui n'est pas plein. On dit qu'un homme marche *à vuide*, pour dire, qu'il n'a rien mangé. » (Fur.)V. 1653 # Bibliographie. ## Sur la comédie au dix-septième siècle.Histoire de la littérature française au dix-septième siècle Littérature françaiseL'Âge classique, 1624-1660 Lire la comédie La Comédie avant Molière, 1640-1660 Esthétique de l'identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars A History of French Dramatic Literature in the seventeenth Century A Theatre of Disguise. Studies in French Baroque Drama (1630-1660) Histoire du théâtre françois depuis son origine jusqu'à présent La Dramaturgie classique ## Sur d'Ouville.Romance Notes Dissertations abstracts Historiettes ## Sur les décors.Le Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne, 1548-1680 Laurent et autres décorateurs de l'Hôtel de Bourgogne ## Sur la comédie espagnole.La Doncella de laborBiblioteca de Autores Españoles Dix-septième siècle Le Masque et le visage. Du baroque espagnol au classicisme français comediaL'Âge d'or de l'influence espagnole. La France et l'Espagne à l'époque d'Anne d'Autriche, 1615-1666*e**e* Deux siècles de relations hispano-françaises : de Commynes à Madame d'Aulnoy ## Sur les influences de la pièce.La Place royale Dom Juan ou le festin de Pierre Les Précieuses ridicules L'Héritier ridicule ou La Dame intéressée Les Sources de Molière Revue d'histoire littéraire de la France ## Sur la langue.Dictionnaire de L'Académie françoise Dictionnaire universel Syntaxe française du dix-septième siècle Introduction à la langue du dix-septième siècle Grammaire de la langue française du dix-septième siècle Grammaire du français classique et moderne ------- [1] ADAM, Antoine, dans *Littérature française*, collection dirigée par Claude PICHOIS, Paris, Arthaud, 1968, t. I, *L'Age classique, 1624-1660*, p. 178. [2] LANCASTER, H. C., *Mémoire de Mahelot*, p. 52. [3] COKE, James Wilson, « Antoine Le Métel, sieur d'Ouville : his life and his theatre », thèse Indiana University, 1958, dans *Dissertations abstracts IX.* [4] Voir le tome V, p. 10 de PARFAICT, François et Claude, *Histoire du théâtre françois depuis son origine jusqu'à présent*, Paris, Le Mercier-Saillant, 1734-1749 (15 vol.). [5] TALLEMANT DES REAUX, Gédéon, *Historiettes*, éd. Antoine Adam, bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1960 (2 vol.) ; t. I, p. 409. [6] ADAM, Antoine, *Histoire de la littérature française au XVII*e* siècle*, Paris, Domat, 1948-56 (5 vol.) ; rééd. Paris, Del Duca, 1962, II, p. 328, n.1. [7] *ibid.* [8] C'est du moins l'opinion de Frederick A. de Armas, qui nous paraît être la plus pertinente. Voir : DE ARMAS, Frederick, « Antoine Le Métel, sieur d'Ouville : the « lost » years. » dans *Romance notes*, printemps 1973. [9] François et Claude Parfaict, *op. cit.*, t.V, p. 356. [10] Tallemant des Réaux, *op. cit.*, p. 405. [11] François et Claude Parfaict, *op. cit.*, t. VII, p. 52. [12] GUICHEMERRE, Roger, « La Francisation de la *comedia* espagnole chez d'Ouville et Scarron », p. 263 puis p. 268. [13] SCHERER, Jacques, *La Dramaturgie classique en France*, p. 113. [14] SCHERER, Jacques, *op., cit.*, p. 185-186. [15] Voir les exemples de mise en scène à l'Hôtel de Bourgogne donnés par les planches du *Mémoire de Mahelot*. [16] SCHERER, Jacques, *La Dramaturgie classique en France*, p. 277. [17] D'AUBIGNAC, *Pratique du théâtre*, livre II, ch. VI, p. 106, cité par Jacques SCHERER dans *La Dramaturgie classique en France*, p. 274. [18] SCHERER, Jacques, *op. cit.*, p. 273. [19] FORESTIER, Georges, *Esthétique de l'identité dans le théâtre français, 1550-1680. Le déguisement et ses avatars*, p. 365. [20] Voir : FORESTIER, Georges, *op. cit.*, tableau p. 115. [21] CIORANESCU, Alexandre, *Le Masque et le visage. Du baroque espagnol au classicisme français*, Genève, Droz, 1983, p. 106. [22] Voir LYONS, John David, *A Theatre of Disguise, Studies in French Baroque Drama (1630-1660)*, French Literature Publications Company, Columbia, South Carolina, 1978, p. 98-99. Il écrit : «* By utilizing this multiplications of guises Isabelle approaches her beloved from several different directions and profits from the apparently contradictory advantages of the poor woman (the familiarity with which she can speak to the hero and circulate unobserved) and of the rich lady (the obvious possibility of a marriage, the impression of great wealth, titles, etc.)* ». [23] Voir FORESTIER, Georges, *Esthétique de l'identité dans le théâtre français, 1550-1680, le déguiszement et ses avatars*, p. 91. [24] FORESTIER, Georges, *Esthétique de l'identité dans le théâtre français, 1550-1680, le déguisement et ses avatars*, p. 139. [25] *Op. cit.*, p. 550. [26] Voir le *Mémoire de Mahelot*, p. 52. [27] Voir GUICHEMERRE, Roger, dans son édition de *L'Héritier ridicule ou La Dame intéressée*, dans l'introduction, p. XXV, note 2. [28] LANCASTER, H. C., *A History of French dramatic Literature in the seventeenth Century*, Part II, vol. II, p. 433. [29] Voir sur ce sujet l'article de Roger GUICHEMERRE, « Une source peu connue de Molière : le théâtre de Le Métel d'Ouville. », p. 95-97. [30] Henri de Lorraine, cinquième duc de Guise (1614, 1664), avait été archevêque de Reims, avant de succéder à son père comme duc de Guise en 1640. Après avoir conspiré contre Richelieu (1641), il tenta à deux reprises de conquérir Naples sur les Espagnols et finit sa carrière comme chambellan de Louis XIV. [31] Heur : « rencontre avantageuse » (Fur.). A le sens de bonheur. [32] Le tour *je sais de certain* comporte une ellision et équivaut pour le sens à *je sais de quelqu'un de confiance, je sais de source sûre*. [33] Au dix-septième siècle, on trouve quelques fois le présent à la place du futur. [34] *Me trouvant l'agresseur*, par opposition à *je ne suis que second*, signifie : si j'étais celui qui combat, et non celui qui accompagne. Autrement dit, Climante « aurait grand sujet de se plaindre d'Adraste », si celui-ci, ayant provoqué quelqu'un en duel, demandait à une autre personne que Climante de l'accompagner. [35] L'édition originale ne sépare pas *au* de *moins*. Nous corrigeons. [36] La ponctuation, au dix-septième siècle, est orale. Elle sert à indiquer à l'acteur le ton qu'il doit prendre. Le point d'interrogation est informatif et indique à l'acteur qu'il doit hausser le ton ; il est une marque d'émotion et équivaut dans ce cas à un point d'exclamation. (se reporter au paragraphe concernant la ponctuation dans la partie *établissement du texte* de notre introduction). [37] Pardonnez : pardonnez-moi. [38] A leur voye : à leur vue. (voir l'article *Toilette* de Furetière dans notre lexique). [39] Dorise, dans son étonnement, coupe la parole à sa maîtresse. Le point équivaut ici à des points de suspension. [40] Il est force : il est nécessaire. [41] En raison des exigences de la prosodie, *Lyon* doit être prononcé en diérèse. [42] L'édition originale ne sépare pas *Je* de *ne*. Nous corrigeons. [43] La situation n'est pas très claire. Léonor et Climante étaient sans doute en ville et Léonor sort certainement du cabaret où ils étaient, ou d'un théâtre. Léonor attend alors la venue de son cocher afin de retourner chez elle. Comme il n'est pas encore arrivé, Climante lui propose de patienter chez lui. [44] « Dont, primitivement adverbe de lieu, a été supplanté dans cet emploi par *d'où* ; cependant, on la rencontre encore souvent au dix-septième siècle, et quelquefois même au dix-huitième siècle. » (*Syntaxe française du dix-septième siècle* de Albert Haase.) [45] L'édition originale propose : *Madame il est bien vrai que je le voulois faire*, ce qui n'a pas de sens dans le contexte. Nous corrigeons et remplaçons *faire* par *taire*, puisque Climante désire cacher la raison de son embarras. [46] Cette phrase comporte une ellision : il faut sous-entendre *la faveur signalée qu'il vous a pleu de lui faire.* D'autre part, le point équivaut encore une fois à des points de suspension (cf. vers 98) : Climante coupe la parole à Dorise. [47] Le *oüy* doit se prononcer en diérèse en raison des exigences de la prosodie. [48] Les points de suspension semblent manuscrits mais sont présents dans tous les exemplaires que nous avons consultés. Cette ponctuation est d'autant plus étonnante que ce sont les seuls points de suspension employés par d'Ouville dans *La Dame suivante*. [49] Même remarque qu'au vers 237. Climante coupe la parole à Isabelle : le point équivaut à des points de suspension. [50] Même remarque qu'au vers 77 ; pardonnez : pardonnez-moi. [51] *Voyez* est une orthographe fréquente au dix-septième siècle pour *voyiez*. [52] Que : ce que. « les pronoms neutres *qui* et *que*, résumant une proposition antérieure, pouvaient s'employer en ancien français sans le déterminatif *ce*. Le déterminatif *ce* dans cette construction ne devient fréquent qu'à partir du quatorzième siècle. Cependant l'ancien emploi se rencontre encore souvent au dix-septième siècle. » (Haase) [53] Il faut supposer ici que Climante s'interrompt pour réfléchir. Le point équivaut une fois de plus à des points de suspension. [54] Cela suppose un système de décors à compartiments (voir notre introduction.) [55] Dans *l'Héritier ridicule* ou *la Dame intéressée* de Scarron (1650), Helene admire aussi l'appartement de sa rivale Leonor. (Acte IV, scène 2) : « Sa chambre est magnifique. … Ce cabinet est riche et plein de beaux tableaux. »Elle y découvre ensuite son amant Dom Diegue, caché chez Leonor. [56] En raison des exigences de la prosodie, il faut prononcer le *e* de *qu'importe*. Ce *e* devrait normalement être muet puisqu'il est suivi d'un mot commençant par une voyelle. Cependant, le fait de prononcer ce* e* n'est pas choquant, étant donné que *qu'importe* et* Ah je meurs* sont exprimés par deux personnes différentes ; il y a donc une pause entre les deux mots, symbolisée par les deux points de ponctuation, qui rend naturelle la prononciation du *e*. [57] Même remarque qu'au vers 287 ; que : ce que. [58] L'expression *à d'autre* comporte une ellision et a le sens de *à quelqu'un d'autre*. [59] Le point d'interrogation a ici une valeur informative : l'acteur doit hausser le ton. Il équivaut à un point d'exclamation. [60] Qui : ce qui. [61] *Etre satisfait* signifie *être éclairci* et *avec dessein que* équivaut pour le sens à *dans le but que*. Les vers 384-85 ont alors pour sens : *si vous me retenez dans le seul but que je me satisfasse de vos explications, je suis trop bien persuadée par vos perfides traits*. [62] Adrette : n'est pas attesté dans le dictionnaire, ce mot est identique, par sa prononciation en déclamation, à « adroite ». [63] Pour une meilleure compréhension, nous ajoutons une virgule que l'édition originale ne comporte pas. [64] Lors : Alors. [65] Orthographe fréquente au dix-septième siècle : on trouverait *rebroussai* en français moderne. [66] L'édition originale ponctue cette phrase par un point d'interrogation. Nous corrigeons et proposons un point. [67] Au dix-septième siècle, il est possible d'employer l'adjectif là où nous employons la forme adverbiale. M. Dubois, dans son *Dictionnaire du français classique*, écrit : « *tout*, au sens de *tout à fait*, est variable devant un adjectif. » [68] Il faut supposer ici qu'Adraste, dans sa précipitation et son anxiété, coupe Ariste pour lui répondre immédiatement. Le point équivaut à des points de suspension. [69] Orthographe fréquente au dix-septième siècle : on trouverait *soyez* en français moderne. [70] L'édition originale propose un point d'interrogation, ce qui est vraisemblablement une coquille. Nous corrigeons et le remplaçons par un point d'exclamation. [71] *Amour*, au dix-septième siècle est indifféremment des deux genres. [72] L'absence de ponctuation s'explique par le fait que Lucille, étonnée, coupe la parole à Pamphile. [73] La langue du dix-septième siècle emploie *où* dans certains cas où la langue moderne emploie un autre relatif. Ici, *d'où* équivaut à *que*. [74] Joüer de : « D'un bout à l'autre du dix-septième siècle règnent une certaine liberté et une grande indécision en ce qui concerne la construction des régimes. » (*Introduction à la langue du dix-septième siècle* de Anne Sancier-Château.) *Joüer d'un tour : joüer un tour.* [75] L'édition originale donne *regardant* qui est une faute grammaticale. Nous corrigeons. [76] L'édition originale propose *Je l'aime*, ce qui n'a aucun sens dans le contexte. Nous corrigeons et remplaçons par *Il l'aime*, puisque Carlin est l'amoureux de Dorise. [77] Dès : depuis. [78] Dont : « Lorsque *dont* renvoie à toute la proposition qui précède, *ce* n'est pas senti comme appui obligatoire. Ce tour est usuel tout au long du dix-septième siècle. » (A. Sancier-Château). *Dont : ce dont.* [79] L'omission de *ne* dans l'interrogation est un phénomène très courant dans la première partie du dix-septième siècle. [80] [81] Possible : est parfois adverbe. Equivaut pour le sens à « il est possible que ». [82] Informer : « s'emploie intransitivement, en termes de Jurisprudence criminelle, et signifie Faire une information. » (Ac.) équivaut à « en ayant informé Laure ». [83] Pardonnez : pardonnez-moi. [84] Cette forme n'est pas attestée au dix-septième siècle. En revanche, elle peut se comprendre étymologiquement, puisque l'on trouve l'expression « ce desous desore » en ancien français, qui signifie « sans dessus-desssous ». (*Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du neuvième au quinzième siècle* de Frédéric Godefroy). [85] « A l'époque classique, *de* assurait la construction d'un assez grand nombre de compléments qui sont régis en français moderne par une autre préposition. » (R.L. Wagner.) Ainsi, *agir de courage et d'adresse* signifie* agir avec courage et avec adresse*. [86] Le texte original propose *fatisferez*. Nous corrigeons et remplaçons par *satisferez*. [87] L'heur, au dix-septième siècle, est la bonne fortune, le bonheur. *En vouloir à quelqu'un* signifie « Avoir quelque desir, quelque pretention sur une personne, sur une chose. » (Ac.). L'expression *l'heur m'en veut* a alors pour sens : je suis frappée de bonheur. [88] L'édition originale propose *tu passe*, orthographe qui n'est attestée nulle part. Nous corrigeons et ajoutons un -s de deuxième personne du singulier. [89] Le texte original donne *excusez-là*. Nous corrigeons et remplaçons par *excusez-la*. [90] Pardonnez : pardonnez-moi. [91] Ce vers est curieux ; on attendrait plutôt le contraire : « tu ne sçaurois pecher que par ignorance » à cause du contexte. [92] Même remarque qu'au vers 532. L'omission de* ne* dans l'interrogation est fréquente au dix-septième siècle. [93] « Dans la perspective des relations franco-espagnoles, le dix-septième siècle est une période de guerres et de mariages successifs, dont le but est la débilitation du voisin et, si faire se peut, sa neutralisation. » (Alexandre Cioranescu dans *Le Masque et le visage.*) La victoire à laquelle fait allusion d'Ouville est une victoire réelle, et non imaginaire : le grand Condé, qui n'était alors que duc d'Enghien, remporta sur les Espagnols, commandés par don Francisco de Mello, la victoire de Rocroi (18-19 mai 1643), date qui correspond à la date de création de la pièce. Cette victoire eut un retentissement considérable ; elle mit fin à la réputation d'invincibilité de la « redoutable infanterie d'Espagne » ; elle était aussi la première grande victoire remportée depuis un siècle par une armée française sur une armée étrangère. Le Roi, après cette victoire, défila triomphalement dans les rues de Paris. [94] Parle à moi : parle-moi. Il y a au dix-septième siècle une grande liberté en ce qui concerne la construction des régimes. [95] Mot : pas un mot, silence. [96] Le point d'interrogation a ici une valeur informative : l'acteur doit élever sa voix. Il équivaut à un point d'exclamation. [97] Le *e* muet de *j'aye* doit se prononcer en raison des exigences de la prosodie, ce qui ne doit pas choquer, puisqu'il est suivi d'une consonne. [98] Maintenant : tout de suite. [99] L'édition originale ponctue la phrase avec un point-virgule, ce qui est certainement une coquille. Nous corrigeons et remplaçons par une virgule. [100] *Heureux* signifie «  chanceux, a qui le hasard est favorable. » (Fur.) ; *une aventure* est «  ce qui arrive (en bien ou en mal), le destin, le sort, la chance ». Le syntagme *heureuse adventure* signifie alors *sort favorable*. [101] L'édition originale propose un point de ponctuation, ce qui est vraisemblablement une coquille. Nous corrigeons et remplaçons par une virgule. [102] *Qui* est employé là où la langue moderne préfère *lequel*. La langue classique substitue *qui* à* lequel* car *lequel* en fonction de sujet ou d'objet est jugé « rude » et « extrémement dur » selon Vaugelas (*Rem.* p. 49). L'emploi de cette forme ne peut se justifier que par la volonté d'éviter l'équivoque. [103] Même remarque qu'aux vers 532 et 659 ; l'omission de *ne* dansl'interrogation est fréquente au dix-septième siècle. [104] L'édition originale ponctue la phrase par un point d'interrogation, ce qui est sans doute une coquille. Nous corrigeons et le remplaçons par un point d'exclamation. [105] Maintenant : tout à l'heure. [106] Si tost : plus tôt. [107] En raison des exigences de la prosodie, *hier* doit être prononcé en synérèse. [108] Le Maistre : Maistre signifie celui qui est spécialisé dans une matière, ici le cuisinier. [109] Le point d'interrogation a ici une valeur informative : il indique à l'acteur qu'il doit élever la voix. Il équivaut à un point d'exclamation. [110] En raison des exigences de la prosodie, *hier* doit être prononcé en synérèse. [111] Dans l'exemplaire Rés. Yf. 544 de la BNF, entre les pages 80 et 81, c'est-à-dire entre les cahiers K et L, ont été incluses par erreur les comédies *Les Fausses Veritez* et *L'Absent chez soy*. [112] Le point d'interrogation a ici une valeur informative : il indique à l'acteur qu'il doit élever la voix. Il équivaut à un point d'exclamation. [113] Il y a, au dix-septième siècle, une grande liberté en ce qui concerne la construction des régimes. Ainsi, *tâcher à* équivaut en français moderne à *tâcher de faire quelque chose*. [114] En raison des exigences de la prosodie, *ruinera* doit être prononcé en diérèse. [115] Le point d'interrogation a une valeur informative : il indique à l'acteur qu'il doit élever la voix. Il équivaut à un point d'exclamation. [116] Même remarque qu'au vers 466 ; *amour* au dix-septième siècle est indifféremment des deux genres. [117] « *Bon*, signifie aussi, Utile, profitable, convenable, avantageux. » (Ac.). L'expression *la Ville est bonne* exprime ici l'idée que Léonor trouvera de quoi dîner en ville. [118] En raison des exigences de la prosodie, *hier* doit être prononcé en synérèse. [119] Que : où. En français classique, l'extension de *que* était plus grande qu'en français moderne. On le trouve là où nous emploierions *où*. [120] En raison des exigences de la prosodie, *hardiesse* doit être prononcé en diérèse. [121] Pourveu que : si, à la condition que. [122] Même remarque qu'au vers 698 ; parle à moi : parle moi. Il y a au dix-septième siècle une grande liberté en ce qui concerne la construction des régimes. [123] Où : là où. A l'époque classique, *où* employé sans antécédent équivaut pour le sens à *là où*. [124] Comme : comment. *Comme* s'employait à l'époque classique pour introduire une interrogation partielle. [125] Le nom de personnage inscrit dans le texte original était *Carlin*. Nous corrigeons et écrivons *Isabelle*. [126] L'édition originale ponctue cette phrase par un point d'interrogation, ce qui est vraisemblablement une coquille. Nous corrigeons et le remplaçons par un point virgule. [127] Désirant de voir : désirant voir. Il y a au dix-septième siècle une grande liberté en ce qui concerne la construction des régimes. [128] Même remarque qu'au vers 433. Cette orthographe est fréquente au dix-septième siècle. Ainsi, *m'enfermé* et *laissé* correspondent en français moderne à *m'enfermai* et *laissai*. [129] Des verbes qui ont aujourd'hui une forme pronominale s'employaient à la forme simple en français classique. De plus, on peut considérer ce présent comme un présent étendu exprimant un passé récent. Dans ces conditions, *comme la chose passe* équivaut pour le sens à *comment la chose s'est passée.* [130] L'édition originale donne *vueilliez*. Nous corrigeons. [131] En raison des exigences de la prosodie, *oüy* doit être prononcé en diérèse. [132] L'édition originale donne *tu monstre*. Cette orthographe n'est attestée nulle part. Nous corrigeons et ajoutons un –s de deuxième personne du singulier. [133] Même remarque. L'édition originale donne *tu l'a dis*. Nous corrigeons. [134] Plutost : plus tôt. [135] Même remarque qu'au vers 1039. Des verbes qui ont aujourd'hui une forme pronominale s'employaient à la forme simple en français classique. De plus, on peut considérer ce présent comme un présent étendu exprimant un passé récent. Dans ces conditions, *comme la chose passe* équivaut pour le sens à *comment la chose s'est passée*. [136] « Le pronom *il* en français classique pouvait être substitué au démonstratif *cela, ce*. » (*Grammaire du français classique et moderne* de R.L. Wagner.) [137] Même remarque qu'au vers 991.* Comme* signifie *comment*. [138] « A l'époque classique, *de* assurait la construction d'un assez grand nombre de compléments qui sont régis en français moderne par une autre préposition. » (R.L. Wagner.) Ainsi, *faire quelque chose d'adresse* équivaut à *faire quelque chose avec adresse*. [139] L'édition originale donne *je la suis aussi*, ce qui n'a aucun sens. Nous corrigeons et remplaçons par *je le suis*. [140] Il y a une grande liberté en ce qui concerne la construction des régimes au dix-septième siècle. *J'attendois à te voir* équivaut pour le sens à *j'attendois de te voir*. [141] L'édition originale donne *jusques à*, ce qui rend le vers faux. Nous corrigeons et remplaçons par *jusqu'à*. [142] « L'ancienne langue omettait très arbitrairement de répéter ou d'énoncer le pronom personnel sujet devant des verbes coordonnés à un mode personnel. La langue du dix-septième siècle suit souvent cet usage. » (Haase.) [143] « *Y* dans son acception de pronom s'employait avec une liberté absolue dans l'ancienne langue. Au dix-septième siècle, *y* tenait couramment la place des pronoms de la première et de la deuxième personne et, dans une mesure bien plus large qu'aujourd'hui, celle des pronoms de la troisième personne. » (Haase.) *Je n'y suis pas si belle* équivaut pour le sens à *je ne suis pas si belle qu'elle*. [144] Si je te soupçonnois : ne devrais-je pas te soupçonner. [145] *Aucune* a ici le sens positif de *quelque*. [146] Carlin croit *être séduisant*, au sens propre de l'expression *avoir bonne mine*, puisqu'il constate que *tout le monde* (c'est-à-dire toutes les femmes) lui *en veut* (au sens de *s'intéresser à*). [147] « ç*a* était autrefois une variante de *ci*. Cet adverbe était utilisé avec les verbes de mouvement quand ceux-ci impliquaient que le but de la direction était le locuteur. A *je reste ici*, s'opposait *viens ça* (viens me rejoindre où je suis.) A l'époque classique, *ça* était encore employé avec cette valeur. » (R.L. Wagner.) [148] L'omission de *ne* dans la phrase interrogative est fréquente au dix-septième siècle. [149] Le point d'interrogation a ici une valeur informative : il indique à l'acteur qu'il doit élever la voix. Il équivaut à un point d'exclamation. [150] Il y a au dix-septième siècle une grande liberté en ce qui concerne la construction des régimes. De plus, *parler* a ici le sens fort de *s'adresser à quelqu'un. Parle à moi* équivaut pour le sens à *adresse-toi à moi*. [151] « Dans les tours du type : *c'est à vous que je veux parler*, trois constructions étaient possibles dans la langue classique : *c'est à vous que, c'est vous à qui, c'est à vous à qui. Que* se substitue dans la langue moderne à *à qui* pour rompre la succession de deux groupes construits de la même manière. » (Wagner.) [152] « *si que* est très fréquent dans l'ancienne langue. Les auteurs du dix-septième siècle ne l'emploient plus guère, excepté Scarron et La Fontaine qui en font un usage fréquent. » (Haase.) *Si j'estois que de vous* équivaut pour le sens à *si j'étais vous*. [153] « Le tour *tant plus…tant plus* est fréquent au commencement du dix-septième siècle ; il disparaît plus tard. » (Haase.) [154] Pour une meilleure compréhension de cette longue phrase, nous ajoutons une virgule supplémentaire que l'édition originale ne contient pas. [155] L'édition originale donne *où* adverbe, ce qui n'a aucun sens dans le contexte. Nous corrigeons et remplaçons par la conjonction de coordination *ou*. [156] Expression courante au dix-septième siècle : ce tour comporte une ellision.* Je suis interdit si jamais je le fus* équivaut à *je suis interdit si jamais je le fus un jour.* La langue moderne dirait : *je suis plus interdit que jamais*. [157] Même remarque qu'aux vers 466 et 922. *Amour*, au dix-septième siècle, est indifféremment des deux genres. [158] « *Faire*, tenant la place d'un autre verbe, avec un complément à l'accusatif, construction assez rare dans la langue actuelle, était d'un usage courant autrefois et l'est encore au dix-septième siècle. » (Haase.) On trouverait en français moderne* comme elle l'a fait du vôtre*. [159] « L'infinitif sans préposition, sujet d'un verbe impersonnel, se construit au dix-septième siècle plus ou moins avec les mêmes verbes que dans la langue actuelle. Cependant la préposition est encore omise avec *il convient*, intentionnellement chez Molière, pour imiter une langue archaïque, et très souvent chez Scarron et chez La Fontaine après *il plaît*, archaïsme qui survit dans la langue du Palais. » (Haase.) Vaugelas explique qu'on emploie *de* quand *il plaît* exprime la volonté, et que l'on l'omet quand *il plaît* n'est qu'une formule de politesse. [160] En raison des exigences de la prosodie, *oüyr* doit être prononcé en diérèse. [161] Le point d'interrogation a ici une valeur informative et est une marque d'émotion. Il équivaut alors au point d'exclamation. [162] *Dedans peu* signifie *dans peu de temps, d'ici peu*. [163] Le point d'interrogation a ici une valeur informative : il indique à l'acteur qu'il doit élever la voix. Il équivaut à un point d'exclamation [164] Des verbes qui ont aujourd'hui la forme pronominale s'employaient en français classique à la forme simple. Ainsi, *si le teint me change* équivaut à *si mon teint se change*. [165] « Au seizième siècle et souvent au dix-septième siècle, on remplace *ci* par *ici*, bien que cet emploi semble disparaître de la langue écrite. » (Haase.) *Cette fille ici* équivaut donc à *cette fille-ci*. [166] L'édition originale donne *ADRATSE*. Nous corrigeons et remplaçons par *ADRASTE*. [167] En raison des exigences de la prosodie, *hier* doit être prononcé en synérèse. [168] *D'autre que de vous* signifie *de quelqu'un d'autre que de vous*, c'est-à-dire : *si cette explication venait de quelqu'un d'autre que vous*. Une fable est un mensonge et une histoire est une « narration des choses comme elles se sont passées. » (Fur.) Dans le contexte, on attendrait plutôt *j'aurois bien peine à croire/ Que ce fust une histoire, et non pas une fable*, puisqu'Adraste a du mal à croire que l'explication de Climante est vraie. [169] L'édition originale donne *vo*9**, ce qui n'a aucun sens. Nous corrigeons et remplaçons par *vous*. [170] Même remarque qu'aux vers 466, 922 et 1255. *Amour*, au dix-septième siècle, est indifféremment des deux genres. Ici *amour* est au féminin pour que *mocquee* rime avec *piquée.* En effet, le *e* muet de ces participes passés au féminin se prononçait en déclamation. Si *amour* avait été au masculin, *moqué* n'aurait pas rimé avec* piquée*. [171] Même remarque qu'au vers 1269. *Il vous avoit pleu me commander*, formule de politesse, équivaut à *il vous avoit pleu de me commander*. Notons que *plaire* a ici le sens latin de *trouver bon, paraître bon*. [172] L'édition originale donne un point d'interrogation. Nous corrigeons et remplaçons par un point d'exclamation. [173] Il y a au dix-septième siècle une grande liberté en ce qui concerne la construction des régimes. Ainsi, *je le renonce* équivaut pour le sens à *je renonce à lui*. [174] *Ce* reprend toute la proposition précédente. En français moderne on trouverait *voyant cela*. [175] L'édition originale donne *cet offence*. Or *offence* n'est pas attesté au masculin dans les dictionnaires du dix-septième siècle. Nous corrigeons. [176] Terminer : déterminer. [177] Amour, au dix-septième siècle, est indifféremment des deux genres. Ici, en raison des exigences de la prosodie, amour est au féminin. [178] Il y a au dix-septième siècle une grande liberté en ce qui concerne la construction des régimes. Ainsi, être prêt de faire quelque chose équivaut pour le sens à être prêt à faire quelque chose. [179] « Dont se rapportant à toute une proposition n'exige pas, au dix-septième siècle, le ce déterminatif. » (Haase.) [180] Cy-devant : auparavant. [181] Même remarque qu'au vers 762 ; Quoy est employé là où la langue moderne préfère lequel. La langue classique substitue qui ou quoy à lequel, car lequel est jugé « rude » et « extrémement dur » selon Vaugelas (Rem. p. 49). [182] L'expression pour Dieu contient une ellision et signifie pour l'amour de Dieu. [183] L'édition originale propose ceda, qui n'a aucun sens dans le contexte. Nous corrigeons et remplaçons cedant. [184] Dans La Place royalle de Corneille (1637), Alidor tient le même discours à son ami Cléandre (acte I, scène 4, vers 281-82) : « A moy ne tiendra pas que la Beauté que j'aime / Ne me quitte bien tost pour un autre moy-mesme, ». [185] « En pronom est omis, en français classique, dans des constructions qui l'exigent aujourd'hui. »(Haase.) Ainsi, que tu viennes à bout équivaut pour le sens à que tu en viennes à bout. [186] Isabelle coupe la parole à Léonor, ce qui explique le point de ponctuation. On trouverait plutôt en français moderne des points de suspension. [187] Même remarque qu'au vers 1. Le tour sçachant de certain comporte une ellision et équivaut pour le sens à sçachant de quelqu'un de confiance, sachant de source sûre. [188] Même remarque qu'au vers 1537. Pourquoy : Pour lequel. [189] L'édition originale donne prins. Nous corrigeons et remplaçons par pris. [190] L'édition originale omet le pour, ce qui n'a aucun sens et rend le vers faux. Nous rétablissons le pour. [191] Le point d'interrogation a ici une valeur informative : il indique à l'acteur qu'il doit élever la voix. Il équivaut à un point d'exclamation. [192] L'édition originale donne : Voicy l'heure sans, doute, à mon bonheur fatale. Nous déplaçons la virgule. [193] « Au seizième siècle et souvent encore au dix-septième siècle, on remplace ci par ici, bien que cet emploi semble disparaître de la langue écrite. » (Haase.) Ainsi, on aurait en français moderne cette fourbe-ci. [194] Et me croyez : si vous m'en croyez. [195] L'Écharpe blanche était un cabaret parisien. [196] L'omission de ne dans l'interrogation est fréquente au dix-septième siècle. [197] Cette expression comporte une ellision. Le « l' » est mis pour l'adjectif duppé. La phrase a pour sens : je suis plus duppé que jamais. [198] Orthographe fréquente au dix-septième siècle : on trouverait en français moderne réfugiai. [199] Même remarque : cette orthographe est fréquente au dix-septième siècle. On trouverait en français moderne j'emportai et mandai. [200] Rien a le sens positif de quelque chose. Le vers signifie : Mais à tous vos desseins pouvois-je comprendre quoi que ce soit ? [201] Même remarque qu'au vers 762. Qui est employé là où la langue moderne préfère lequel ou laquelle. La langue classique substitue qui à lequel, car lequel en fonction de sujet ou d'objet est jugé « rude » et « extrémement dur » selon Vaugelas (Rem. p. 49). L'emploi de cette forme ne peut se justifier que par la volonté d'éviter l'équivoque. Ici à qui équivaut à à laquelle, qui renvoie à Dorotée. [202] Le point d'interrogation a ici une valeur informative : il indique à l'acteur qu'il doit élever la voix. Il équivaut à un point d'exclamation. [203] « à marquant un rapport de temps est encore fréquent au dix-septième siècle. Corneille changea le vers : Il vous faut à ce soir en : Il vous faut dès ce soir (Place Royalle, III, 6, 807). La langue actuelle préfère remplacer à dans cet emploi par un accusatif de temps, répondant à la question quand. » (Haase.) [204] En raison des exigences de la prosodie, liens doit être prononcé en diérèse. [205] « Faire, tenant la place d'un autre verbe, avec un complément à l'accusatif, construction assez rare dans la langue actuelle, était d'un usage courant autrefois et l'est encore au dix-septième siècle. » (Haase.) Ainsi, comme elle a fait les miens équivaut pour le sens à comme elle l'a fait des miens. [206] L'omission de ne dans l'interrogation est fréquente au dix-septième siècle. [207] « Au seizième siècle et souvent encore au dix-septième siècle, on remplace ci par ici, bien que cet emploi semble disparaître de la langue écrite. » (Haase.) Ainsi, on dirait aujourd'hui ce prodige-ci. [208] «  L'adverbe que était, en ancien français, beaucoup plus répandu qu'il ne l'a été plus tard. Le français moderne, se servant plutôt de où, emploie beaucoup moins ce pronom adverbial. » (Haase.) [209] L'édition originale donne en vous tesmoignant, ce qui n'a aucun sens dans le contexte. Nous corrigeons et proposons en me tesmoigant. [210] L'édition originale donne de vous oublier, qui est un contre-sens dans le contexte. Nous corrigeons et proposons de vous obliger. [211] Pour une meilleure compréhension, nous ajoutons une virgule là où le texte original n'en mettait pas. [212] « L'ancienne langue omettait très arbitrairement de répéter ou d'énoncer le pronom personnel sujet devant des verbes coordonnés à un mode personnel. La langue du dix-septième siècle suit souvent cet usage. » (Haase.) Ainsi, il faut dans ce vers sous-entendre vous feignez. [213] Dans *L'Héritier ridicule* de Scarron, Dom Diègue humilie lui aussi son ancienne amante Hélène, en lui révélant la véritable identité de celui qu'elle a accepté comme époux (V, 4, v.1530-32) : « Parce que tous les chats durant la nuit sont gris / A nostre Filipin vous vous estes soûmise ; / Vous m'avez pris pour dupe, un laquais vous a prise ; » [214] L'exemplaire de la bibliothèque de l'Arsenal donne Dieuz !, ce qui est vraisemblablement une coquille. Nous corrigeons. Les trois autres exemplaires consultés ne contiennent pas cette faute. [215] Il y a au dix-septième siècle une grande liberté en ce qui concerne la construction des régimes. D'autre part, des verbes qui sont pronominaux aujourd'hui ne l'étaient pas au dix-septième siècle. Ainsi, qu'on nous joüe équivaut pour le sens à qu'on se joue de nous. [216] L'édition originale donne Qui ferois-je, qui n'a aucun sens. Nous corrigeons et proposons Qu'y ferois-je. [217] L'édition originale donne Nais, ce qui n'a aucun sens. Nous corrigeons et proposons Mais. [218] L'édition originale donne : Et devant qu'il soit, nuict. La virgule n'a ici aucune raison d'être. Nous corrigeons et supprimons cette virgule. [219] Despens : « En terme de Palais, sont les frais qu'il a cousté à une partie pour poursuivre un procès. On conclud toutes les requestes par une demande de despens, dommages & interests. » (Fur.)