Babet ! Monsieur. Mais... Ayez donc l’air occupé de ce que je vais vous dire. Ce n’est point ici une soirée comme les autres. Ah ! Babet ! Il faut convenir que, s’il est flatteur pour nous autres bourgeois, de recevoir des Croix de Saint-Louis, et des Dames de condition, on paie cet honneur bien cher par toutes les attentions qu’il exige : aujourd’hui cependant, loin de les regretter, je n’en saurais avoir autant que la circonstance le mérite. Écoutez-moi, Babet ; Dans une heure précise Que le souper soit prêt, Et la nappe bien mise. Sur tout le vin frais ; Tous les verres nets ; Chaque serviette blanche ; Une bougie en deux moitiés, Dans mes deux flambeaux argentés. Je ne puis te le dire assez, Rôtis mieux ton éclanche, Que celle de Dimanche... Oh ! S’il plaît à Dieu, Monsieur, vous serez content ; mais vous avez, ma foi, bien envie de l’être ; je ne vous ai jamais vu vous trémousser comme cela. En bonne vérité... Jamais la bouche close ! Vous m’avez répété Cent fois la même chose. Allez, je le sais, Même vous n’aurez Qu’assiettes bien choisies ; Et comme vous en avez peu Le Chaudron reste sur le feu, Et j’aurai soin (pour ôter lieu À toutes railleries) Qu’elles soient refroidies. C’est fort bien, mon enfant : je suis tout réjoui de te voir répondre à mes vues avec autant d’intelligence. Lorsque je n’ai céans Que le cercle ordinaire, Madame Petitjeans, Et Lebrun, mon compère; Le soin que je prends, Pour ces bonnes gens N’est pas fort nécessaire: Mais j’aurai, Babet, en ce jour Les deux plus beaux yeux de la Cour. Est-ce l’instant de rester court, Et pouvons-nous trop faire Pour tâcher de leur plaire? Cela est à merveille ; mais si Madame arrivait ; ne serait-elle pas fâchée de voir tout ce tracas chez elle sans en avoir été prévenue ? Dans le plus beau jour de l’été, Tout-à-coup un orage, Troublant les jeux et la gaité, Fait un affreux tapage; Chacun fuit précipitamment, La frayeur est extrême : Madame ici nous surprenant, Il en serait de même. Prenons un air de dignité ; Ne suis-je pas le Maître ? Le pouvoir est de mon côté ; Je le ferai paraître. Oui-dà, pour le croire, il faudrait Ne vous guere connaître. Que marmotez-vous là, Babet ? Je dis que ça doit être. Monsieur n’a plus rien à me dire. Je vais à ma cuisine... Rire tout à mon aise de l’air d’assurance qu’il a, tandis qu’il tremble comme un voleur. Il est, parbleu, bien difficile d’être d’accord, quand on est deux à partager l’autorité ; et ne vaut-il pas mieux la céder, que d’entretenir des querelles éternelles ? Heureusement, me voilà seul aujourd’hui chez moi: c’est-là où je brille. C’est alors que je suis le souverain le plus absolu... Mais quelle heure est-il ?... La Galiote ne pourrait-elle pas encore ?... Je suis comme un enfant À qui, le soir, sa bonne Parle de revenant. S’il séveille, il frissonne; Il croit voir un Esprit Vers son lit s’approcher ; Sa frayeur le grandit. D’abord jusqu’au plancher. Le petit malheureux crie, Se tourmente, se croit mort : Arrive la sotte Mie : Elle seule a tout le tort ; Mais la faiblesse est punie Suivant la loi du plus fort. Ah ! Quel mal tu me fais ! Babet, ce noir présage. Des plaisirs de la paix Détruit la douce image... Hélas ! N’entends-je pas Le bruit de mon Lutin, De sa voix, les éclats ?... Eh, non, non, ce n’est rien ; Non, rien... Ma crainte est frivole. Cessons de nous y livrer ; Sur le propos d’une folle Dois-je à ce point m’effrayer ? Oh ! Non. Ma femme m’aurait écrit si elle avait dû revenir. Jouissons en repos du pouvoir sans concurrence... Voici ce que j’en aime le plus. Un sceptre d’or est un bien Fort mêlé de peine ; Plus facilement le mien Au bonheur nous mène. La gaité suit le bon vin : Contre les traits du chagrin, Il est le remède Certain, Il est le remède. Souvent un Maître puissant Dans les pleurs se baigne : Moi toujours paisiblement Avec toi je règne ; Si, sans efforts, sous ma loi, J’ai Malaga, Beaune, Arboi, Je tiens ma puissance De toi, Je tiens ma puissance. Tu reproduis l’âge d’or En tous lieux chérie: Sous ta garde est le trésor Des biens de la vie. Mes plaisirs seraient complets, Si du destin j’obtenais De ne te plus perdre Jamais, De ne te plus perdre. Enfin, chère amie, te voilà dans ma poche au moins jusqu’à demain. C’est toi qui joueras ce soir le personnage intéressant, et ta gloire sera la mienne. Va, charmante clé, tu ne peux appartenir à personne qui sente mieux que moi ce que tu vaux. Madame la Comtesse de la Bicoquette, Mademoiselle Adélaîde, Monsieur le Marquis de Cinq-Arpens et Monsieur de Podolie. Mon coeur... Je suis troublé... Mon âme Ne peut exprimer sa gaité ; Sa dose, voyez-vous ! Madame, Est celle de votre beauté. Si la volupté la plus pure Est de pouvoir faire un heureux, Le Ciel ici vous la procure ; Car, vous y comblez tous mes voeux. En vérité, Monsieur Pot-de-vin, vous êtes trop honnête : on ne s’attend pas à être reçu avec autant de grâce. Oh ! Assurément, Madame plaisante : je ne suis point gracieux ; mais j’ai du goût et de la franchise. Cela suffit pour vous trouver charmante et pour vous le dire. Il ne manque à mon bonheur que d’avoir un Palais à offrir à Madame la Comtesse. Bon ! Un Palais ! Il n’y a rien de si triste, Monsieur Pot-de-vin : une maison petite et commode est cent fois plus agréable. L’artiste le plus habile Étale en vain les beautés : Si le coeur n’est point tranquille, Quels biens, par lui, pourront être goûtés ? Sous ces arcades dorées, Dans ces Palais, que voit-on ? Des victimes immolées Par l’intérêt, ou par l’ambition. S’il existe quelque sage, C’est dans un réduit pareil ; On peut y braver l’orage, Et s’endormir sans craindre le réveil. Il est certain que vous auriez tort, mais le plus grand tort, Monsieur Pot-de-vin, de vous plaindre de la manière dont vous êtes logé ; c’est une retraite délicieuse. Votre Maison est fort jolie ; Mais, d’honneur, jolie à ravir : Je l’aimerais à la folie ; Tout annonce ici le plaisir. Madame, il est à votre suite ; Ses pas sont ceux que vous tracez : Mon logis a, pour tout mérite, Les moments que vous y passez. La bonne santé de Mademoiselle Adélaïde ajoute encore à ma satisfaction ; je craignais de n’avoir pas l’honneur de la voir: elle devrait se dissiper, s’égayer ; oui, en peu de temps, vous seriez tout-à-fait bien. Préceptes ridicules, Que ceux des médecins : Laissez-là les pilules, L’Ether, et tous ces riens. D’une aimable figure Prenez vîte un époux ; La recette est plus sûre, L’usage en est plus doux. Vous me faites une querelle d’Allemand, Monsieur Pot-de-vin; je ne suis point triste, et je n’ai jamais eu moins envie de l’être. Un tel projet serait vain, En eussé-je eu la pensée ; Chez vous, Monsieur Pot-de-vin, Je l’aurais abandonnée. Un grand remerciment, Madame la Comtesse ; Ce joli compliment À vous seule s’adresse. Ces Messieurs ne voudraient-ils pas boire un doigt de vin, en attendant le souper ? Ils en seront bien les maîtres; car, pour le coup, j’ai la clé de la cave. Pour moi, je vous rends mille graces... Monsieur de Podolie ne vous refusera peut-être point. Je vous demande pardon, Monsieur le Marquis; je ne bois jamais entre mes repas. Monsieur de Podolie regarde tout ceci en pitié, lui dont les yeux sont accoutumés au faste des Seigneurs Polonais. Je vous jure, Monsieur Pot-de-vin, qu’à mon gré vous êtes plus heureux que le Grand Maréchal de la Couronne. Je pense comme Monsieur le Marquis. De riches tapis, des appartemens vastes, des esclaves infortunés peuvent-ils contribuer à notre bonheur ? C’est la société qui fait le prix du lieu que l’on habite, et parmi nous autres gourmands, la bonne chère, inconnue en Pologne, est aussi comptée pour quelque chose. On ne mange ni les Héducs, ni les Gardes du Maître de la maison. À quoi me sert tout l’étalage De celui qui donne à dîner, Si chaque mets, jusqu’au potage, Est d’espèce à m’empoisonner ? Les traits de cet orgueil extrême N’ont rien dont je puisse jouir ; À table, un bon ragoût que j’aime, Est le véritable plaisir. Monsieur de Podolie a raison. Mais, eh! mais...Eh! bon Dieu! Je suis toute en eau... Jusqu’aux genoux j’ai de la crotte ; Le tour est fort beau, Et le procédé tout nouveau. Benêt, tu savais Que j’arrivais Par la Galiotte: Au lieu d’être là, Ce gentil Galant que voilà Causait, Jouait, Chantait, Riait, Lorgnait. Oh ! vous l’entendez. On me prend donc pour une sotte !... Allons, dépêchez ; Rendez vîte toutes mes clés. Madame, je vais les chercher dans toutes mes poches. Me voilà pris!... Hélas ! Comment donc faire ! Que dira-t-on ? Si je répondais....Mais ! Loin d’arranger mon affaire, J’y gagnerais des soufflets. D’une Mégère Elle a les traits. L’effroi Eteint ma voix. Quelle furie ! Je suis saisie: Je vous en prie! Ah! Monsieur cachez-moi. Finirons-nous ? Voici la clé de l’office, et puis celle du garde-meuble, et puis celle du fruitier... Et la clé de la cave ? Il fallait commencer par elle..... Oh ! Voilà bien le Diable! Je succombe : Quand il tombe, Le tonnerre est moins affreux. Ah ! Te rendre ! Puis-je entendre Un arrêt plus rigoureux? Permettez, je vous en prie, ma chère femme. Comment, Monsieur ! Vous vous le faites dire deux fois ! J’ai de la patience, cela est vrai : mais il est des circonstances où elle échappe... Tenez, Monsieur Pot-de-vin, n’achevez pas de me pousser à bout. Eh ! Mon Dieu ! Madame, prenez ; et, sur toutes choses, la paix: écoutez ma justification. L’Albâtre paraît noir, Quand la colère enflamme ; Eh! quoi, pouvais-je prévoir Que vous reveniez ce soir, Madame, Ma Femme, Madame ? Qu’appellez-vous de la colère ? Ah ! Si j’en avais, je ne me posséderais pas comme je fais, et votre perruque, Monsieur Pot-de-vin, ne serait plus sur votre tête. Ma douceur, partout, a fait tant de bruit... Il n’est point de femme, a-t-on toujours dit, D’une aussi bonne pâte. D’avoir été douce, hélas ! Il m’en cuit ; Car c’est ce qui vous gâte. Je me corrigerai, je me corrigerai à l’avenir ; si je vous eusse traité avec un peu moins de complaisance, vous ne manqueriez pas à un devoir aussi essentiel... Vous seriez venu trente fois pour une à Séves, savoir si j’y étais. La surprise m’a pétrifiée au point de pouvoir à peine ouvrir la bouche. Marquis qu’en dites-vous ? La petite personne A le ton modeste et doux : Cette scene devant nous Est bonne ; Mais bonne, Très-bonne. C’est de l’excellent comique. Oh ! En honneur ! Ce ne peut pas être là Madame Pot-de-vin ; ce sont bien ses traits ; mais vous verrez que ce sera quelqu’homme travesti, et caché sous un masque qui rend à merveille toute sa laideur. De ce Sexe charmant Jusques dans ces caprices, Elle n’est pas, sûrement..... Elle a tout l’air d’un Sergent Des Suisses, Des Suisses, Des Suisses. Je n’y tiens pas, cela est excédent.... Cette bourgeoise nous connaît et se conduit ainsi ! Elle se moque de nous, sortons. Je suis à vos ordres. Il y a longtemps que je voudrais être dehors. Ah ! Mesdames, par grâce demeurez ; ce malheureux homme serait au désespoir... Voyons donc ce que cela deviendra. Demandez à mon neveu ce que j’ai souffert : il me donnait le bras ; j’aurais pris aussi le vôtre, imbécille, et j’eusse été bien moins fatiguée... Je fais mes excuses à ces Dames et à ces Messieurs ; l’agitation dans laquelle vous m’avez mise, m’a empêchée de les saluer plutôt. Nous ne nous en sommes aperçus, Madame, que par l’intérêt que nous avons pris à l’aventure désagréable qui vous est arrivée. Désagréable au possible, Madame. Comme j’ai plaint ma chère Tante !... J’en avais les larmes aux yeux : C’est la chaleur qui la tourmente ; Puis, ce sont des chemins affreux ! Ah ! Mon Oncle !... Vous avez tort. Je pense Que ce trait l’offense, Et bien fort ; Mais son coeur est bon : Demandez pardon. Vous l’obtiendrez, j’en suis sûr, mon cher oncle. Peste soit du butor ! Mais il faut filer doux. Qu’à cela ne tienne, pourvu que je ne sois plus grondé; que nous soupions bien, et que la compagnie soit contente. Et que, surtout, ma femme me promette, Que cette nuit on approche du mien Son lit jumeau ; qu’en un mot on les mette Tous deux unis comme mon coeur au sien. Peut-on sans indiscrétion vous demander, Madame, l’histoire des lits jumeaux ; elle doit être intéressante. Cela est tout simple. Nous avons chacun notre lit dans la même chambre, et ils sont jumeaux... Vous savez mieux que personne, Monsieur le Marquis, que les femmes et les maris d’une certaine façon ne couchent plus ensemble... Il a fallu s’assujettir à l’usage ; mais on y déroge quelquefois et ce souvenir-là est une petite gaillardise de Monsieur Pot-de-vin, qu’il aurait dû réserver pour un autre temps. Votre morale est trop sévère, Madame Pot-de-vin, c’est une misère exactement, dont personne ne peut se formaliser. Votre sexe l’excusera, En faveur de l’idée : Et chacun de nous y verra Ses voeux et sa pensée. Vous êtes trop aimable, Monsieur le Marquis ; Vous ne perdez jamais l’occasion de dire une chose honnête. Ce que Maman m’a souvent dit, Vous le prouvez sans cesse : Combien la naissance et l’esprit Donnent de politesse ! La Maman de Madame Pot-de-vin ; c’est un trait de mémoire unique : car il y a quarante ans que la bonne femme doit être morte. J’espère, Mesdames, que vous ne serez point fâchées d’être restées. L’arrangement des lits, les douceurs de Monsieur le Marquis ; voilà pour Madame Pot-de-vin de l’utile et de l’agréable ; son front est déjà plus serein. Madame est servie. Monsieur Pot-de-vin, suppliez Madame la Comtesse d’accepter votre main, Mademoiselle Adélaïde prendra celle de Monsieur de Podolie. Et moi, Madame, je vous demanderai la même grâce. Monsieur le Marquis, c’est bien de l’honneur que vous me faites. L’Abbé, fermez la porte... Oui, ma chère Tante.