Dieu vous garde tous, autant gros que menus, Petits et grands, bien soyez vous venus. Longtemps y a, au moins comme il me semble, Qu’ici n’y eut autant de peuple ensemble ; Que plut à Dieu que toutes les semaines. Nous pussions voir les Églises si pleines. Or ça messieurs, et vous dames honnêtes, Je vous supplie d’entendre mes requêtes, Je vous requiers vous taire seulement. Comment ? Dira quelqu’une voirement, Je ne saurais, ni ne voudrais avec. Or si faut-il pourtant clore le bec, Ou vous et moi avons peine perdue Moi de parler, et vous d’être venue. Je vous requiers tant seulement silence, Je vous supplie d’ouir en patience. Petits et grands je vous dirai merveilles : Tant seulement prêtez moi vos oreilles. Or doncques peuple, écoute un bine grand cas, Tu penses être au lieu où tu n’es pas. Plus n’est ici Lausanne, elle est bine loin : Mais toutefois quand il sera besoin, Chacun pourra, voire dedans une heure, Sans nul danger retrouver sa demeure. Maintenant donc ici est le pays. Des philistins. Êtes-vous ébahis ? Je dis bien plus, voyez vous bien ce lieu ? C’est la maison d’une serviteur de Dieu, Dit Abraham, celui même duquel Par vive foi, le nom est immortel. 8En cet endroit vous le verrez tenté, Et jusqu’au vif atteint et tourmenté. Vous le verrez par soi justifié, Son fils Isaac quasi sacrifié, Bref, vous verrez étranges passions, La chair, le monde, et ses affections Non seulement au vif représentées, Mais qui plus est, par le foi surmontées. Et qu’ainsi soit, maint loyal personnage, En donnera bientôt bon témoignage, Bientôt verrez Abraham et Sarah, Et tôt après Isaac sortira : Ne sont-ils pas témoins très véritables ? Qui veut donc voir des choses tant admirables, Nous le prions seulement d’écouter, Et ce qu’il a d’oreilles nous prêter, Étant tout sûr qu’il entendra merveilles, Et puis après lui rendrons ses oreilles. Depuis que j’ai mon pays délaissé, Et de courir çà et là n’aI cessé, Hélas, mon Dieu, est-il encor’ un homme Qui ait porté de travaux telle somme ? Depuis le temps que tu m’as retiré Hors du pays où tu n’es adoré : Hélas, mon Dieu, est-il encore un homme, Qui ait reçu de biens si grande somme ? Voila comment par les calamités, Tu fais connaître aux hommes les bontés : Et tout ainsi que tu fis tout de rien. Ainsi fais tu sortir du mal le bien, Ne pouvant l’homme à l’heure d’un grand heur Assez au clair connaître ta grandeur. Las, j’ai vécu septante et cinq années, Suivant le cours de tes prédestinées. Qui ont voulu que prinsse ma naissance D’une maison riche par suffisance. Mais quel bien peut l’homme de bien avoir, S’il est contraint, contraint (dis-je) de voir, En lieu de toi, qui terre et cieux as faits, Craindre et servir mille dieux contrefaits ? Or donc sortir tu me fis de ces lieux. Laisser mes biens, mes parents et leurs dieux, Incontinent que j’eus ouï ta voix. Mêmes tu sais que point je ne savais En quel endroit tu me voulais conduire : Mais qui te suit, mon Dieu, il peut bien dire Qu’il va tout droit : et tenant cette voie, Craindre ne doit que jamais il fourvoie. Après avoir pensé et repensé Combien j’ai eu de biens le temps passé. De toi, mon Dieu, qui toujours as voulu Garder mon coeur, et mon corps impollu : Puis m’as donné, ensuyvant ta promesse, Cet heureux nom de mère en ma vieillesse, En mon esprit suis tellement ravie, Que je ne puis, comme j’ai bonne envie, À toi, mon Dieu, faire reconnaissance Du moindre bien dont j’aie jouissance. Si veux-je au moins, puisqu’à l’écart je suis. Te mercier, Seigneur, comme je puis. Mais n’est-ce pas mon seigneur que je vois ? Si le pensai-je être plus loin de moi. Sarah, Sarah, ce bon vouloir je loue : Et n’as rien dit, que très bien je n’avoue. Approche-toi, et tous deux en ce lieu Reconnaissons les grands bienfaits de Dieu. Commune en est à deux la jouissance, Commune en soit à deux la connaissance. Ha monseigneur, que saurais-je mieux faire, Que d’essayer toujours à vous complaire ? Pour cela suis-je en ce monde ordonnée. Et puis comment saurait-on sa journée Mieux employer, qu’à chanter l’excellence De ce grand Dieu, dont la magnificence Et haut et bas se présente à nos yeux ? L’homme pour vrai ne saurait faire mieux. Que de chanter du Seigneur l’excellence : Car il ne peut, pour toute récompense Des biens qu’il a par lui journellement, Rien lui payer, qu’honneur tant seulement. Or sus donc commençons Et le los annonçons Du grand Dieu souverain. Tout ce qu’eûmes jamais, Et aurons désormais, Ne vient que de sa main. C’est lui qui des hauts cieux Le grand tour spacieux Entretient de là haut. Dont le cours assuré Est si bien mesuré, Que jamais il ne faut. Il fait l’été brûlant : Et fait l’hiver tremblant : Terre et mer il conduit, La pluie et le beau temps, L’automne et le printemps, Et le jour et la nuit. Las, Seigneur, qu’étions-nous, Que nous as entre tous Choisis et et retenus ? Et contre les méchants, Par villes et par champs. Si longtemps maintenus ? Tiré nous as des lieux Tous remplis de faux dieux, Usant de tes bontés : Et de mille dangers Parmi les étrangers Toujours nous as jetés. En notre grand besoin Égypte a eu le soin De nous entretenir : Puis contraint a été De Pharaon dépité De nous laisser venir. Quatre Rois furieux, Déjà victorieux, Avons mis à l’envers. Du sang de ces méchants Nous avons vu les champs Tous rouges et couverts. De Dieu ce bien nous vient : Car de nous lui souvient. Comme de ses amis. Lui donc nous donnera. Lorsque temps en sera. Tout ce qu’il a promis. À nous et nos enfants En honneur triomphants Cette terre appartient : Dieu nous l’a dit ainsi. Et le croyons aussi : Car sa promesse il tient. Tremblez doncques pervers, Qui par tout l’univers Êtes si dru semés : Et qui vous êtes faits Mille dieux contrefaits Qu’en vain vous réclamez. Et toi Seigneur vrai Dieu. Sors un jour de ton lieu, Que nous soyons vengés De tous tes ennemis : Et qu’à néant soient mis Les dieux qu’ils ont forgés. Or sus, Sara, le grand Dieu nous bénie : À celle fin que durant ceste vie, Pour tant de biens que luI seul nous octroie, À le servir chacun de nous s’emploie. Retirons nous, et surtout prenons garde À notre fils, que trop ne se hasarde, Par fréquenter tant de malheureux hommes, Parmi lesquels vous voyez que nous sommes. Un vaisseau neuf tient l’odeur longuement Dont abreuvé il est premièrement. Quoi qu’un enfant soit de bonne nature, Il est perdu sans bonne nourriture. Monsieur, j’espère en faire mon devoir, Et pour autant qu’en lui nous devons voir De notre Dieu le vouloir accompli, Sûre je suis qu’il prendra si bon pli, Et le Seigneur si bien le bénira, Qu’à son honneur le tout se conduira. Je vois, je viens, jour et nuit je travaille, Et m’est avis, en quelque part que j’aille, Que je ne perds ma peine aucunement. Règne le Dieu en son haut firmament, Mais pour le moins la terre est toute à moi. Et n’en déplaise à Dieu ni à sa Loi. Dieu est aux cieux par les siens honoré : Des miens je suis en la terre adoré, Dieu est au ciel : eh bien, je suis en terre. Dieu fait la paix, et moi je fais la guerre. Dieu règne en haut : et bien je règne en bas. Dieu fait la paix, et je fais les débats. Dieu a créé et la terre et les cieux : J’ai bien plus fait, car j’ai créé les dieux. Dieu est servi de ses Anges luisants, Ne sont aussi mes Anges reluisants ? Il n’y a pas jusques à mes pourceaux À qui je n’aie enchassé les museaux. Tous ces paillards, ces gourmands, ces ivrognes Qu’on voit reluire avec leurs rouges trognes, Portant saphirs et rubis des plus fins, Sont mes suppôts, sont mes vrais Chérubins. Dieu ne fit onc chose tant soit parfaite, Qui soit égale à celui qui l’a faite : Mais moi j’ai fait, dont vanter je me puis, Beaucoup de gens pires que je ne suis. Car quant à moi je crois et sais très bien Qu’il est un Dieu, et que je ne vaux rien : Mais j’en sais bien à qui totalement J’ai renversé le faux entendement , Si que les uns (qui est un cas commun) Aiment trop mieux servir mille dieux qu’un. Les autres ont fantaisie certaine Que de ce Dieu l’opinion est vaine. Voilà comment depuis l’homme premier, Heureusement j’ai suivi ce métier, Et poursuivrai, quoi qu’en doive advenir, Tant que pourrai cet habit maintenir. Habit encor’ en ce monde inconnu, Mais qui sera un jour si bien connu, Qu’il n’y aura ne ville ne village Qui ne le voie à son très grand dommage. Ô froc, Ô froc, tant de maux tu feras Et tant d’abus en plein jour couvriras ! Ce froc, ce froc un jour connu sera, Et tant de maux au monde apportera, Que si n’était l’envie dont j’abonde, J’aurais pitié moi-même de ce monde. Car moi qui suis de tous méchants le pire, Et le portant moi-même je m’empire. Or ce feront ces choses en leur temps, Mais maintenant assaillir je prétends Un Abraham, lequel, seul sur la terre Avec les siens, m’ose faire la guerre. De fait, je l’ai maintes fois assailli, Mais j’ai toujours à mon vouloir failli : Et ne vis onc vieillard mieux résistant. Mais il aura des assauts tant et tant, Qu’en brief sera, au moins comme j’espère, Du rang de ceux desquels je suis le pere. Vrai est qu’il a au vrai Dieu sa fiance, Vrai est qu’il a du vrai Dieu l’alliance, Vrai est que Dieu lui a promis merveilles, Et déjà fait des choses non pareilles. Mais quoi ? s’il n’a ferme persévérance, Que lui pourra servir son espérance ? Je ferai tant de tours et çà, et là, Que je rompra l’assurance qu’il a. De deux enfants qu’il a, l’un je ne crains : L’autre à grand’ peine échappera mes mains : La mère est femme : et quant aux serviteurs, Sont simples gens, sont bien pauvres pasteurs, Bien peu rusés encontre mes cautèles. Or je m’en vois employer peines telles À les avoir, que je suis bien trompé, Si le plus fin n’est bientôt attrapé. Quoi que je die, ou que je fasse, Rien n’y a dont je ne me lasse, Tant me soit l’affaire agréable : Telle est ma nature damnable ! Mais surtout je me mécontente De moi-même, et fort me tourmente, Vu que Dieu jamais ne se fâche De m’aider, pourquoi je ne tâche À ne me fâcher point aussi De reconnaître sa merci, Autant de bouche que de coeur. Abraham, Abraham.         Seigneur, Me voici.         Ton fils bien aimé, Ton fils unique Isaac nommé, Par toi soit mené jusqu’au lieu Surnommé la Myrrhe de Dieu , Là devant moi tu l’offriras, Et tout entier le brûleras, Au mont que je te montrerai. Brûler ! Brûler ! Je le ferai. Mais, mon Dieu, si ceste nouvelle Me semble fâcheuse et nouvelle Seigneur me pardonneras-tu ? Hélas, donne moi la vertu D’accomplir ce commandement. Ha bien connais-je ouvertement Qu’envers moi tu es courroucé. Las Seigneur, je t’ai offensé. Ô Dieu qui as fait Ciel et Terre, À qui veux-tu faire la guerre ? Me veux tu donc mettre si bas ? Hélas mon fils, hélas, hélas ! Par quel bout dois-je commencer ? La chose vaut bien le penser. Amis, il est temps, ce me semble, Que nous retournions ensemble Vers nos compagnons.         Je le veux. Car si nous sommes avec eux Ils en seront plus assurés. Holà, je vous pris demeurez, Comment ? Me laissez vous ainsi ? Isaac demeurez ici, Autrement monsieur votre père, Ou bien madame votre mère En pourraient être mal contents. Il viendra quelque jour le temps, Que vous serez grand, si Dieu plaît, Et lors vous connaîtrez que c’est De garder aux champs les troupeaux, En danger par monts et par vaux, De tant de bêtes dangereuses, Sortants des forêts ombrageuses. Pensez vous aussi que voulusse Départir devant que je susse Si mon père le voudrait ? Aussi faut-il en tout endroit Qu’un fils honnête et bien appris Quelque cas qu’il ait entrepris, À père et à mère obéisse. Je n’y faudrai point que je puisse, Et fut-ce jusques au mourir. Mais tandis que je vois courir Jusqu’à mon père pour connaître Quelle volonté peut être, Voulez-vous pas m’attendre ici ? Allez, nous le ferons ainsi. Ô l’homme heureux au monde Qui dessus Dieu se fonde, Et en fait son rempart : Laissant tous ces hautains, Et tant sages mondains S’égarer à l’écart. Pauvreté ni richesse N’empêche ni ne blesse D’un fidèle le coeur. Quoi qu’il soit tourmenté, Et mille fois tenté, Le fidèle est vainqueur. Ce grand Dieu qui le mène Au plus fort de sa peine, En prend un si grand soin, Qu’il le vient redresser Étant prêt de glisser, En son plus grand besoin. Cela peut-on connaître D’Abraham notre maître, Car tant plus on l’assaut Et deçà, et delà, Tant moins de peur il a, Et moins le coeur lui faut. Il a laissé sa terre, Faim lui a fait la guerre. En Égypte est venu. Sarah il voit soudain Ravie de la main D’un grand Roi inconnu. À Dieu fait sa demande, Soudain le Roi le mande, Et sa femme lui rend : La prie de vider. Abraham sans tarder, Autre voie entreprend. Mais durant cette fuite, Son bien si bien profite, Que pour s’entretenir De Loth il se départ : Pour ce qu’en même part Deux ne pouvaient tenir. Une guerre soudaine Entre neuf Rois se mène. Parmi ces grands combats Loth perd avec les siens Sa franchise et ses biens, Cinq Rois sont mis à bas. Notre maître fidèle Oyant cette nouvelle Vivement les poursuit : Les atteint, les défait, N’ayant d’hommes de fait Que trois cens dix-huit. Leur arrache leur proie, La dîme au prêtre paye, A chacun fait raison. Puis de tous hautement Loué très justement Retourne en sa maison. Or parmi sa famille N’avait-il fils ne fille. Sarah qui cela voit, Ne pouvant concevoir, Lui fait même avoir, Agar qui la servait. D’Agar donc, notre maître Ismaël se vit naître : Treize ans ainsi passa, Voyant devant ses yeux, Aller de bien en mieux Les biens qu’il amassa. Lors pour signifiance De la sainte alliance Du Seigneur et de nous, Autant petits que grands Jusqu’aux petits enfants Circoncis fûmes tous. Mes amis, Dieu se monstre à nous Si bon, si gracieux, si doux, Que jamais je ne lui demande Chose tant soit petite ou grande, Que je ne me voie accordé Trop plus que je n’ai demandé. J’avais, comme savez, vouloir De vous suivre, afin d’aller voir, Mais voici mon père qui vient. Mais tant y a qu’il appartient, Quand Dieu nous enjoint une chose, Que nous ayons la bouche close : Sans étriver aucunement Contre son saint commandement. S’il commande, il faut obéir. Je vous pris ne vous ébahir Si le cas bien fâcheux je trouve. Au besoin le bon coeur s’éprouve. Il est vrai : mais en premier lieu, Sachez donc le vouloir de Dieu. Nous avons cet enfant seulet Qui est encores tout faiblet : Auquel gît toute l’assurance De notre si grande espérance. Mais en Dieu.         Mais laissez-moi dire. Dieu se peut-il jamais dédire ? Partant assurée soyez Que Dieu le garde : et me croyez. Mais Dieu veut-il qu’on le hasarde ? Hasardé n’est point que Dieu garde. Je me doute de quelque cas. Quant à moi je n’en doute pas. C’est quelque entreprise secrète. Mais telle qu’elle est, Dieu l’a faite. Au moins si vous saviez où c’est. Bientôt le sauras, si Dieu plaît. Il n’ira jamais jusques là. Dieu pourvoira à tout cela. Mais les chemins sont dangereux. Qui meurt suivant Dieu, est heureux. S’il meurt, nous voila demeurés. Les mots de Dieu sont assurés. Mieux vaut sacrifier ici. Mais Dieu ne le veut pas ainsi. Or sus, puis que faire le faut, Je prie au grand Seigneur d’en haut. Monseigneur, que sa sainte grâce Toujours compagnie vous fasse. Adieu mon fils.         Adieu ma mère. Suivez bien toujours votre père. Mon ami, et servez bien Dieu, Afin que bientôt en ce lieu, Puissiez en santé revenir. Voila, je ne me puis tenir. Isaac, que je ne vous baise. Ma mère, qu’il ne vous déplaise, Je vous veux faire une requête. Dites mon ami, je suis prête À l’accorder.         Je vous supplie D’ôter cette mélancolie. Mais, s’il vous plaît, ne pleurez point, Je reviendrai en meilleur point : Je vous pris de ne vous fâcher. Enfants, il vous faudra marcher Pour le moins six bonnes journées. Voilà vos charges ordonnées. Et tout ce qu’il fait de besoin. Sire, laissez-nous en le soin. Tant seulement commandez-nous. Or sus, Dieu soit avecques vous : Ce grand Dieu qui par sa bonté Jusques ici nous a été Tant propice et tant secourable, Soit à vous et moi favorable. Quoi qu’il y ait, montrez-vous sage : J’espère que notre voyage Heureusement se passera. Las je ne sais quand ce sera Que revoir je vous pourrai tous. Le Seigneur soit avecques vous. Adieu ma mère.     Adieu.         Adieu. Or sus, départons de ce lieu. Mais n’est-ce pas pour enrager, Moi qui fais un chacun ranger, Qui sais tirer le monde à moi, Ne faisant signe que du doigt : Moi qui renverse et trouble tout, Ne puis pourtant venir à bout De ce faux vieillard obstiné. Quelque assaut qu’on lui ait donné. Le voila parti de ce lieu. Et tout prêt d’obéir à Dieu : Quoi que le cas soit fort étrange. Mais au fort, soit que son coeur change, Ou qu’il sacrifie en effet, Ce que je prétends sera fait. S’il sacrifie, Isaac mourra, Et mon coeur délivré sera De la frayeur qu’en sa personne La promesse de Dieu me donne. S’il change de coeur, je puis dire Que j’ai tout ce que je désire : Et voila le point où je tâche. Car si une fois il se fâche D’obéir au Dieu tout puissant, Le voila désobéissant, Banni de Dieu et de sa grâce. Voila le point que je pourchasse. Sus donc mon froc, courons après, Pour le combattre de plus près. Enfants voici arrivé le tiers jour, Que nous marchons sans avoir fait séjour Que bien petit : reposer il vous faut : Car quant à moi, je veux monter plus haut, Avec Isaac, jusqu’en un certain lieu, Qui m’a été enseigné de mon Dieu. Là je ferai sacrifice et prière, Comme il requiert : demeurez donc derrière, Et vous gardez de marcher plus avant. Mais vous, mon fils Isaac, passez devant, Car le Seigneur requiert vstre présence. Puisque telle est, Sire, votre défense. Nous demeurons.         Baillez-lui ce fardeau, Et je prendrai le feu et le couteau. Bientôt serons de retour, si Dieu plaît. Mais cependant, savez-vous bien que c’est ? Priez bien Dieu, et pour nous et pour vous. Hélas j’en ai.         Ainsi le ferons nous. Autant besoins qu’eut onc pour personne, Adieu vous dis.     Adieu.         Mais je m’étonne. Très grandement.     Et moi-aussi.         Et moi. Comment ? De voir en tel émoi, Cil qui si bien a résisté A tant de maux qu’il a porté. De dire qu’il craigne la guerre, étant en cette étrange terre, Il n’y aurait point de raison; Car nous savons qu’une saison Abimelech, qui est seigneur Du pays, lui fait cet honneur, De le visiter, et prier Qu’à lui se daignât allier. De sorte qu’en solennité, L’accord de paix fut arrêté. Au surplus, quant à son ménage, Que peut-il avoir davantage ? Il vit en paix et en repos. Il est vieil mais il est dispos. Il n’a qu’un fils, mais Dieu sait quel ; Au monde il ’en est point de tel. Son bétail tellement foisonne, Qu’il semble à voir que Dieu lui donne Encore plus qu’il ne souhaite. Il n’y a tant parfaite, Qu’il n’y ait toujours à redire. Je prie à Dieu qu’il le retire Bientôt de la peine où il est. Ainsi le fasse s’il lui plaît. Quoi qu’il y ait, je présuppose, Que ce soit quelque grande chose. Quoi que soit cet univers, Tant spacieux et divers, Il n’y a rien qui soit ferme, Rien n’y a qui n’ait son terme. Dieu tout puissant qui tout garde, Rien ici bas ne regarde, Qui toujours dure de même, S’il ne regarde de soi-même. Le grand soleil reluisant, Va son flambeau conduisant Autant que le jour dure : Puis revient la nuit obscure, Couvrant de ses noires ailes Choses et laides et belles. Que dirons nous de la lune Qui jamais ne fut tout une ? Ores apparaît cornue, Puis demie, puis bossue, Puis éclaire toute ronde Les ténèbres de ce monde. Les grands astres flamboyants, Ça et là vont tournoyant, Peignant leurs divers visages Et de beau temps et d’orage. Si deux jours on met ensemble, L’un à l’autre ne ressemble : L’un passe légèrement, L’autre dure longuement : L’un est sur nous envieux De la lumière des cieux, L’un avec sa couleur bleue Nous veut éblouir la vue : L’un veut le monde brûler, L’autre essaye à le geler. Ores la terre fleurie, Étend sa tapisserie : Ores d’un vent la froidure Change en blancheur sa verdure. L’onde en son humide corps S’enfle par dessus les bords, Pillant partout à outrance Du laboureur l’espérance : Puis ne sa rive première Sera bientôt prisonnière Par quoi celui qui se fonde, En rien qui suit en ce monde, Soit en haut ou soit en bas, Je dis que sage n’est pas : Qu’est ce doncques de celui Qui des hommes fait appui ? Parmi tous les animaux Sujets à dix milles maux Le soleil qui fait son tour Du monde tout à l’entour Ne vit onc pour dire en somme, Chose si faible que l’homme. Car tous les plus vertueux Par les flots impétueux Sont tellement combattus Qu’on en voit maints abattus. Ô combien est fol qui cuide De fâcherie être vide Tant qu’ici bas il fera. Mais cil qui désirera. D’être assuré, il lui faut Son coeur appuyer plus haut. Dont il aura bon exemple, Si notre maître il contemple. Or le mieux que nous puissions faire, Je crois que c’est de se retraire En quelque coin plus à l’écart, À fin que chacun de sa part Prie le seigneur, qu’il lui plaise Le ramener mieux à son aise. Allons.         Je vais tant que je puis. Mon père.         Hélas, las, quel père je suis ! Voilà du bois, du feu, un couteau, Mais je ne vois ni mouton ni agneur, Que vous puissiez sacrifier ici. Isaac, mon fils, Dieu ne aura souci. Attendez moi, mon ami, en ce lieu, Car il me faut un peu prier Dieu. Et bien, mon père, allez ; mais je vous prie, Ma dires cous quelle est la fâcherie, Dont je vous vois tourmenté jusqu’au bout ? À mon retour, mon fils, vous saurez tout. Mais cependant prier vous faut aussi. C’est bine raison : je le ferai ainsi : Et quand et quand le cas apprêterai, En premier lieu ce bois j’en tasserai. Premièrement ce bâton sera là, Puis celui-ci, puis après celui-là. Voilà la cas, mon père aura le soin Quand au surplus qui nous fait de besoin. Prier m’en vais, ô Dieu, ta sainte face, C’est bien raison, ô Dieu, que je le fasse. Plus on vit, plus on voit, hélas, Que c’est que de vivre ci bas ! Soit en mari, soit en lignée, Il n’y eut onques femme née, Autant heureuse que je suis. Mais j’ai tant enduré d’ennuis Ces trois derniers jours seulement, Que je ne sais pas bonnement Lequel est le plus grand des deux, Ou le bine que j’ai reçu d’eux, Ou le mal que j’ai enduré, En trois jours qu’ils ont demeuré. Ne nuit ne jour je ne repose, Et si ne pense à autre chose, Qu’à mon seigneur et à mon fils : À vrai dire, assez mal je fais De les laisser aller ainsi; Ou de n’y être allée aussi. De six jours sont passés les trois, Que trois, mon Dieu ! Et toutefois Trois autres attendre il me faut. Hélas mon Dieu qui vois d’en haut Et le dehors et le dedans, Veuille accourcir ces trois ans, Car à moi ils ne sont point jours, Fussent ils trente fois plus cours, Mon Dieu, tes promesses m’assurent : Mais si plus longtemps ils demeurent, J’ai besoin de force nouvelle, Pour souffrir une peine telle. Mon Dieu, permets qu’en toute joie Bientôt mon seigneur je revoie, Et mon Isaac que m’as donné, J’accole en santé retourné. Ô Dieu, ô Dieu, tu vois mon coeur ouvert, Ce que je pense, ô Dieu, t’est découvert : Qu’est-il besoin que mon mal je te die ? Tu vois hélas, tu vois ma maladie. Tu peux tout seul guérison m’envoyer S’il te plaisait seulement m’octroyer, Un tout seul point que demander je n’ose. Si faut-il bien chanter quelque autre chose. Comment ? Comment ? Se pourrait il bien faire, Que Dieu dit l’un, et puis fait du contraire ? Est-il trompeur ? Si est-ce qu’il a mis En vrai effet ce qu’il m’avait promis. Pourrait-il bien maintenant se dédire ? Si faut-il bien ainsi conclure et dire, S’il veut t’avoir le fils qu’il m’a donné : Que dis-je, ô Dieu, puisque l’as ordonné, Je le ferai : las, est-il raisonnable Que moi qui suis pêcheur tant misérable, Vienne à juger les secrets jugements De tes parfaites et très saints mandements ? Mon cas va mal ; mon froc, trouver nous faut Autre moyen de lui donner assaut. Mais il peut être aussi que j’imagine Ce qui n’est point ; car tant plus j’examine Ce cas ici, puis je le trouve étrange. C’est quelques songe, ou bine quelque faux ange Qui m’a planté ceci en la cervelle : Dieu de veut point d’offrande si cruelle. Maudit-il pas Caïn n’ayant occis Qu’Abel son frère ? Et j’occirai mon fils. Jamais, jamais.         Ha, qu’ai-je cuidé dire ? Pardonne moi, mon Dieu, et me retire Du mauvais pas où mon péché me mène. Délivre moi, Seigneur, de cette peine. Tuer le veux moi-même de ma main. Puisqu’il te plaît, ô Dieu, il est certain, Que c’est raison : par quoi je le ferai. Mais si je puis, je t’en engarderai. Mais le faisant, je ferais Dieu menteur. Car il m’a dit, qu’il me ferait cet heur Que de mon fils Isaac il sortirait Un peuple grand qui la terre emplirait. Isaac tué, l’alliance est défaite. Las est-ce en vain, Seigneur, que tu l’as faite ? Las est-ce en vain, Saigneur, que tant de fois Tu m’as promis qu’en Isaac me ferais Ce que jamais à autre ne promis ? Las pourrait-il à néant être mis, Ce dont tu m’as tant de fois assuré ? Las est-ce ne vain qu’en toi j’ai espéré ? Ô vaine attente, ô vain espoir de l’homme C’est tout cela que je puis dire en somme. J’ai prié Dieu, qu’il me donnant lignée, Pensant, hélas, s’elle m’était donnée, Que j’en aurais un merveilleux plaisir : Et je n’en ai que mal et déplaisir. De deux enfants, l’un j’ai chassé moi-même, De l’autre il fait, ô douleur très extrême ! Que je dois dit le père et le bourreau ! Bourreau, hélas ! Hélas oui bourreau ! Mais n’es tu pas celui Dieu proprement, Qui m’écoutât ainsi patiemment, Voire, Seigneur, au plus fort de ton ire, Quant tu partis pour Sodome détruire ? Maintenant donc veux-tu, mon Dieu, mon Roi, Me repousser, quand je prie pour moi ? Engendré l’ai, et faut que le défasse. Ô Dieu, ô Dieu, au moins fais moi la grâce. Crâce ! Ce mot n’est point en mon papier. Qu’un autre sort de mon fils le meurtrier. Hélas Seigneur, faut-il que cette main Vienne à donner ce coup tant inhumain ? Las que ferai-je à la mère dolente, Si elle entend cette mort violente ? Si je t’allègue, hélas, qui me croira ? S’on ne le croit, las, quel bruit en courra ? Serai-je pas d’un chacun rejeté, Comme un patron d’extrême cruauté ? Et toi, Seigneur, qui te voudra prier ? Qui se voudra jamais en toi fier ? Las pourra bien cette blanche vieillesse, Porter le fait d’une telle tristesse ? Ai-je passé parmi tant de dangers, Tant traversé de pays étrangers, Souffert la faim, la soif, le chaud, le froid, Et devant toi toujours cheminé droit, Ai-je vécu, vécu si longuement, Pour me mourir si malheureusement ? Fendez mon coeur, fendez, fendez fendez, Et pour mourir plus longtemps n’attendez : Plutôt on meurt, tant moins la mort est grève. La voilà bas, si Dieu ne le relève. Qui dis-je ? Où suis-je ? Ô Dieu mon créateur, Ne suis-je pas ton loyal serviteur ? Ne m’as-tu pas de mon pays tiré, Ne m’as tu pas tant de fois assuré, Que cette terre aux miens était donnée ? Ne m’as tu pas tant de fois assuré, Que cette terre aux mien était donnée ? Ne m’as tu pas donné cette lignée, En m’assurant que d’Isaac sortirait, Un peuple tien, qui la terre emplirait ? Si donc tu veux mon Isaac emprunter, Que me faut il contre toi disputer ? Que me faut-il contre toi je l’ai pris : Et pour autant quand tu l’auras repris, Ressusciter plutôt tu le feras, Que ne m’advint ce que promis tu m’as, Mais, ô Seigneur, tu sais qu’homme je suis, Exécuter rien de bon je ne puis, Non pas penser, mais ta force invincible, Fait qu’au croyant il n’est rien impossible. Arrière chair, arrière affections : Retirez vous humaines passions, Rien ne m’est bon, rien ne m’est raisonnable, Que ce qui est au Seigneur agréable. Et bien, et bien, Isaac donc mourra, Et nous verrons après que ce sera. Ô faux vieillard, tant me donnes de peine ! Voilà mon fils Isaac qui se pourmène. Ô pauvre enfant, ô nous pauvres humains Cachant souvent la mort dedans nos seins, Alors que plus en pensons être loin. Et pourtant il est très grand besoin De vivre ainsi que mourir on désire. Or ça mon fils, hélas que veux-je dire ! Plaît-il mon père.         Hélas ce mot me tue. Mais si faut-il pourtant que m’évertue. Isaac mon fils, hélas, le coeur me tremble. Vous avez peur mon père, ce me semble. Ha mon ami, je tremble voirement, Hélas mon Dieu !         Dites-moi hardiment Que vous avez, mon père, s’il vous plaît. Ha mon ami, si vous saviez que c’est. Miséricorde, Ô Dieu, miséricorde ! Mon fils, mon fils, voyez vous cette corde, Ce bois, ce feu, et ce couteau ici ? Issac, Isaac, c’est pour vous tout ceci. Ennemi suis de Dieu et de nature, Mais pour certain cette chose est si dure, Qu’en regardant cette unique amitié, Bien peu s’en faut que n’en ai pitié. Hélas, Isaac.         Hélas père très doux, Je vous supplie, mon père, à deux genoux, Avoir au moins pitié de ma jeunesse. Ô seul appui de ma faible vieillesse ! Las mon ami, mon ami, je voudrais Mourir pour vous cent millions de fois, Mais le Seigneur ne le veut pas ainsi. Mon père, hélas, je vous crie merci. Hélas, hélas, je n’ai ne bras ne langue Pour me défendre,ou faire ma harangue ! Mais, mais voyez, ô mon père, mes larmes, Avoir ne puis ni ne veux autres armes Encontre vous : je suis Isaac, mon père, Je suis Isaac, le seul fils de ma mère : Je suis Isaac, qui tient de vous la vie : Souffrirez vous qu’elle me soit ravie ? Et toutefois si vous faites cela Pour obéir au Seigneur, me voilà, Ma voilà prêt, mon père et à genoux, Pour souffrir tout, et de Dieu, et de vous. Mais qu’ai-je fait, qu’ai je fait pour mourir ? Hé Dieu, hé Dieu, veuilles me secourir. Hélas mon fils Isaac, Dieu de condamne Qu’en cet endroit tu lui serves d’offrande, Laissant à moi, à moi ton pauvre père, Las quelle ennui !         Hélas ma pauvre mère, Combien de morts ma mort vous donnera Mais dites moi au moins qui m’occira ? Qui t’occira, mon fils ? Mon Dieu, mon Dieu, Octroie moi de mourir en ce lieu ! Mon père.         Hélas, ce mot ne m’appartient Hélas Isaac; si est-ce qu’il convient Servir à Dieu.         Mon père, me voilà. Mais je vous prie, qui eut pensé cela ? Or donc mon père, il faut comme je vois, Il faut mourir. Las mon Dieu, aide-moi. Mon Dieu, mon Dieu, renforce moi le coeur. Rends moi, mon Dieu, sur moi-même vainqueur. Liez, frappez, brûlez, je suis tout prêt D’endurer tout, mon Dieu, puisqu’il te plaît. Ah, ah, ah, ah, qu’est-ce et qu’est-ce ceci : Miséricorde, ô Dieu, par ta merci. Seigneur, tu m’as et créé et forgé, Tu m’as, Seigneur, sur la terre logé, Tu m’as donné ta siante connaissance, Mais je ne t’ai porté obéissance Telle, Seigneur, que porter je devais. Ce que te prie, hélas, à haute voix, Me pardonner. Et à vous mon Seigneur, Si je n’ai fait toujours autant d’honneur Que méritait votre douceur tant grande, Très humble pardon vous en demande. Quant à ma mère, hélas, elle est absente. Veuilles, mon Dieu, par ta faveur présente La préserver et garder tellement, Qu’elle ne soit troublée aucunement. Las je m’en vais en une nuit profonde, Adieu vous dis la clarté de ce monde. Mais je suis sûr que de Dieu la promesse Me donnera trop mieux que je ne laisse. Je suis tout prêt, mon père, ma voilà. Jamais, jamais enfant mieux ne parla. Je suis confus, et faut que je m’enfuie. Las mon ami, avant la départie, Et que ma main ce coup inhumain fasse, Permis me soit de te baiser en face. Issac mon fils, le bras qui t’occira, Encor’un coup au moins t’accolera. Las grand merci.         Ô ciel, qui es l’ouvrage De ce grand Dieu, et qui m’es témoignage Très suffisant de la grande lignée Que le vrai Dieu par Isaac m’a donnée. Et toi la terre à moi cinq fois promise, Soyez témoin que me main n’est point mise Sur cet enfant, par haine ou par vengeance, Mais pour porter entière obéissance À ce grand Dieu, facteur de l’Univers, Sauveur des bons, et juge des pervers. Soyez témoins qu’Abraham le fidèle, Par la bonté de Dieu, ha la foi telle, Que nonobstant toute raison humaine, Jamais de dieu la parole n’est vaine. Or est-il temps, ma main, que t’évertues, Et qu’en frappant mon seul fils, tu me tues. Qu’est ce que j’ois mon père ? Hélas mon père ! Ah, ah, ah, ah.         LAs je vous obtempère. Suis-je pas bine ?         Fut-il jamais pitié, Fut-il jamais une telle amitié ? Fut-il jamais pitié ? Ah, ah, je meurs, Je meurs, mon fils.         Ôtez toutes ces peurs Je vous supplie ; m’empêcherez vous doncques D’aller à Dieu ?         Hélas, las qui vit onques En petit corps un esprit autant fort ? Hélas, mon fils, pardonne-moi ta mort. Abraham, Abraham.         Mon Dieu. Remets ton couteau en son lieu : Garde bien de ta main étendre Dessus l’enfant, ni d’entreprendre De l’outrage aucunement. Or peux-je voir tout clairement Quel amour te as au Seigneur, Puis que lui portes cet honneur De vouloir pour le contenter, Ton fils à la mort présenter. Ô Dieu !     Ô Dieu !         Seigneur, voilà que c’est De t’obéir. Voici mon cas tout prêt : Prendre le veux     Abraham.         Me Voici, Seigneur, Seigneur.         Le Seigneur dit ainsi : Je te promets par ma grande majesté, Par la vertu de ma divinité Puisque tu as voulu faire cela, Puisque tu m’a obéi jusque là, De n’épargner de ton seul fils la vie : Malgré Satan et toute son envie Bénir te veux avec toute ta race. Vois-tu du ciel la reluisante face ? Vois-tu les grains de l’arène au rivage ? Croître ferai tellement ton lignage, Qu’il n’y a point tant d’étoiles aux cieux, Tant de sablon par les bords spacieux De l’océan, qui la terre environne, Qu’il descendra d’enfants de ta personne, Ils dompteront quiconque les haïra : Et par celui qui de toi sortira, Sur toutes gens et toutes nations Je déploierai mes bénédictions Et grands trésors de divine puissance, Puisque tu m’as porté obéissance. Or voyez vous de foi la grand’ puissance Et le loyer de la vrai obéissance? Pourquoi, messieurs, et mesdames aussi, Je vous supplie quand sortirez d’ici Que de vos coeurs ne sorte la mémoire De cette digne et véritable histoire. Ce ne sont pas des farces mensongères, Ce ne sont point quelques fables légères, Mais c’est un fait, un fait très véritable, D’un serf de Dieu, de Dieu très redoutable, Par quoi Seigneurs, dames, maîtres, maîtresses, Pour es, puissants, joyeux, pleins de détresses, Grands et petits, en ce temps bel exemple. Chacun de vous se mire et se contemple ; Tels sont pour vrai les miroirs où l’on voit Le beau, le laid, le bossu, le droit. Car qui de Dieu tâche accomplir sans feinte, Comme Abraham, la paroles très sainte, Qui nonobstant toutes raisons contraires Remet en dieu et foi et ses affaires, Il en aura pour certain une vie issue Meilleure encor’ qu’il ne l’aura conçue. Viennent les vents, viennent tempêtes fortes, Viennent tourments, et morts de toutes sortes : Tournent les cieux, toute la terre tremble, Tout l’Univers renverse tout ensemble, Le coeur fidèle est fondé tellement, Que renverser ne peut aucunement : Mais au rebours, tout homme qui s’arrête Au jugement et conseil de sa tête : L’homme qui croit tout ce qu’il imagine, Il est certain que tant plus il chemine, Du vrai chemin tant plus est écarté : Un petit vent l’a soudains emporté. Et qui plus est, sa nature perverse En peu de temps sois-même se renverse. Or toi grand Dieu, qui nous a fait connaître Les grands abus desquels nous voyons être MLe pauvre monde, hélas, tant perverti, Fais qu’un chacun de nous soit averti En son endroit, de tourner en usage La vive foi de ce saint personnage. Voilà, messieurs, l’heureuse récompense, Que Dieu vois doint pour votre bon silence.