Enfin voicy le jour tant de fois souhaitté, Nostre Princesse arriue à sa majorité, Mon fils, & de son choix nous attendons vn Maistre, Que les plus clairuoyans encor n’ont pû connestre ; Son esprit sur ce choix est trop irresolu, Faisons qu’elle vse enfin de son droit absolu ; Faisons qu’elle choisisse vn braue & sage Prince, Et par ce digne choix rasseurons la Prouince. Sur tout, faisons, mon fils, qu’elle jette les yeux Sur vn Prince estranger qui nous appuira mieux, Qui plus absolument pourra tout entreprendre, Et contre nos voisins nous sçaura mieux deffendre ; Elle n’a pû souffrir ceux que j’ay proposez, I’ay beau vanter leur gloire, ils sont tous mesprisez, Et cette auersion qu’elle a trop fait parestre, Me fait douter encor si nous aurons vn Maistre. Cependant le temps presse, on void que nos Estas Ont besoin d’vne teste aussi bien que d’vn bras ; Que par ce peuple fier l’authorité s’entame, Et qu’il vit à regret sous le joug d’vne femme. Si vos sages conseils pour elle ont esté vains, Croyez-vous que les miens renuersent ses desseins ? Qu’elle s’explique à moy de toute sa pensée ? Ouy ; comme sur ce choix son ame est balancée, Vers le bien de l’Estat vous la ferez pencher, Et luy pourrez enfin son secret arracher. Auec elle esleué dés la plus tendre enfance Vous serez bien plus propre à cette confidence, Son cœur s’ouurira mieux sans doute à vous qu’à moy. Diray-je que j’attens des marques de sa foy ? Diray-je que je l’ayme, & que mon feu la touche ? Non, ayons-en deuant le congé de sa bouche. Voyez-la donc, Astolfe, & luy faites juger L’appuy qu’attend l’Estat du choix d’vn estranger, Que les Ambassadeurs des Princes qui pretendent, Sont remis à ce jour pour ce choix qu’ils attendent ; Que chacun fait sa brigue, & qu’ils sçauent pourtant, Qu’elle seule peut tout en ce choix important ; Le braue Roussillon, le moins puissant en terre, A paru le plus aspre à nous faire la guerre. C’est vn Prince vaillant qui peut recommencer, Ie le prefererois pour moy sans balancer, Si le Roy d’Arragon paroist fier & bizarre, Comme il est plus puissant que le Roy de Nauarre, Il nous deffendra mieux, celuy de Portugal Estant plus esloigné, nous feroit moins de mal : Enfin, elle a receu les portrais de ces Princes, Elle sçait leurs humeurs, & connoist leurs Prouinces Ce grand choix despend d’elle, elle n’en doute pas, Et de ce choix dépend le bien de ses Estas ; Sauuez-moy par ce choix du soin qui m’embarrasse, Le grand faix de l’Estat m’importune & me lasse ; Les Grands veulent vn Maistre, & le Peuple indiscret Croid que je quitteray la Regence à regret ; Sauuez-moy du murmure, & des vns & des autres, Si mes conseils sont bons, secondez-les des vostres. Oüy, Seigneur, sur ce point vous serez obey, N’y respons, pas mon cœur, ma bouche t’a trahy ; Mais voicy la Princesse à qui ie ne puis taire. Qv’on ne m’en parle plus à moins que me desplaire : Ah c’est trop me presser sur ce choix odieux ! Ne precipitons rien, laissons-le faire aux Dieux. O Dieux que ce discours me donne lieu de craindre, Ie ne puis plus, Madame, à vos yeux me contraindre, Voyez les maux cruels qui me sont preparez, Mon Pere & les Destins contre moy conjurez. Astolfe, allez chercher vostre sœur Isabelle. Souffrez qu’auparauant.         Viste j’ay besoin d’elle. Sans m’escouter, Madame.         Allez-y de ce pas, Obeïssez, vous dis-je, & ne repliquez pas. Quel accueil, justes Dieux, quelle atteinte à mon ame. Don Remon de Moncade & Don Pedre, Madame, Viennent vers vostre Altesse.         Ah je ne doute point Qu’ils ne viennent encor me presser sur ce point ; Rentrons Don Lope, il faut que je les abandonne, En l’humeur où je suis ie n’escoute personne. Don Pedre, je le veux, si le Ciel l’a permis, Nous pouuons demeurer riuaux, & bons amis, Qu’vn interest d’amour jamais ne desunisse, Deux cœurs tout pleins d’honneur, & qui se font justice. Suiuons doncques l’accord entre-nous arresté, Moncade, aymons tous deux cette jeune beauté ; Par vn merite esgal nous la pouuons pretendre, Le Duc auec plaisir m’accepteroit pour gendre Ie croy qu’auecque joye il vous prendroit aussi, Mais ce n’est pas de là que naist nostre soucy. Auant que luy parler plaisons à cette belle, Que celuy qui sera fauorisé par elle S’en preuaille, & l’emporte, & que le malheureux, Cede sans murmurer à son sort rigoureux. I’accepte le party, mais si je ne m’abuse, Sans employer prés d’elle ou l’adresse ou la ruse, Ie puis embarrasser mon genereux riual, Ie croy sans vanité que je n’y suis pas mal. Pour moy, si par ses yeux j’ay pû lire en son ame, Elle n’a rejetté ny mes vœux ny ma flâme ; Encor que mes respects luy cachent mes desirs, Elle en doit deuiner l’ardeur par mes soupirs, Et si ie ne me trompe elle entend ce langage. I’ay de son agrément vn plus seur tesmoignage, Vous luy faites parler vos soupirs & vos yeux, Ie faits parler ma bouche, elle s’explique mieux. Que sert de cajoler vne jeune merueille, Si le cœur ne reçoit ce qu’a receu l’oreille ? Vn soupir entendu de l’objet que l’on sert, Est plus fort que la voix qui s’eschappe & se perd, Et je suis fort trompé si iamais vne œillade A payé l’éloquence & les soins de Moncade ; Ie ne sçay si ma voix pour elle a des appas, Mais je sçay que mes soins ne luy desplaisent pas. Moy j’ay plus que cela, car je luy puis escrire Ce qu’inutilement Moncade a pû luy dire. Vous luy pouuez escrire ? & moy sans vanité I’ay pareil aduantage & mesme liberté, Et dans ce jour la belle aura de mes nouuelles. Enfin pour m’asseurer ce miracle des belles, I’ay gagné chez le Duc vn zelé Partisan ; Beralde cét adroit & ruzé Courtisan, Qui les gouuerne tous, m’a promis de remettre Dans les mains d’Isabelle auiourd’huy cette lettre, Et par là i’apprendray si i’y suis bien ou mal, Et si i’ay lieu de craindre ou brauer vn riual. Puis que vous me parlez auec tant de franchise Sçachez que mesme chose aujourd’huy m’est promise, Par le mesme Beralde, & qu’il doit ce matin, Regler par ce billet mon amoureux Destin. Il vient tout à propos ; Puisqu’il connoist nos flâmes, Et qu’il a sceu par nous le secret de nos ames, Qu’on luy découure aussi quel est ce juste accord, Entre nous arresté, qui regle nostre sort. Ie le veux, aprenons sur son rapport fidelle Qui de vous ou de moy plaist aux yeux d’Isabelle, Beralde se souuient de ce qu’il m’a promis. Ouy, Seigneur.         Aprenez que nous sommes amis Ce qui dans deux riuaux semble chose assez rare, Que nous ne voulons point que l’amour nous separe, Qu’Esclaues d’Isabelle, & sans estre jaloux, Nous luy faisons justice en l’aymant, comme à nous. Comme nous ignorons le fonds de sa pensée, Nous craignons justement qu’elle ne fust blessée, Si mon riual ou moy la faisions demander, Sans sçauoir si son cœur s’y pourroit accorder ; Car je ne voudrois pas posseder cette belle, Si quelque auersion se rencontroit en elle. Nous nous sommes flattez de ne deplaire pas A ce diuin objet remply de tant d’appas Estallans nostre gloire auec assez de pompe :                 11, Bij Mais il faut ou que l’vn ou que l’autre se trompe, Car il peut estre enfin que sa ciuilité Seule a produit l’éclat de nostre vanité. Beralde qui peut tout dans toute la famille, Et qui connoist l’esprit de cette aimable fille, Pourroit bien descouurir qui des deux dans son cœur Auroit plus d’auantage à s’en rendre vainqueur, S’il veut fidellement tenter cette auanture, Qui sera mal-heureux cedera sans murmure. Ouy, s’il se trouue en grace, & moy dans le malheur, Ie cede sans murmure, & non pas sans douleur, Certes ie suis rauy de voir tant de Iustice, En deux cœurs amoureux, & si peu de caprice, Comme je vous honore & prise également, I’aime bien à vous voir ce noble sentiment. C’est une belle chose & rare ce me semble, Que voir viure l’amour & la raison ensemble, Qui possede en tiran contente son desir, Mais il n’a que trois jours de solide plaisir : C’est de là que sont nez tant de mauuais mesnages, Et tant de discordans & fascheux mariages ; Puisque vous consentez que sur mon seul rapport Isabelle decide aujourd’huy vostre sort, I’ose vous asseurer que d’vne ame loyalle I’agiray pour tous deux auec adresse égalle. Enfin sans vostre accord i’estois fort empesché, Car vous m’auez tous deux égallement touché ; Et n’en pouuant seruir l’vn, sans deplaire à l’autre Mon embarras estoit aussi grand que le vostre. M’auez vous pas promis de donner ce billet ? M’auez vous pas promis de rendre ce Poulet ? I’ay promis l’vn & l’autre, & suis prest à le faire. Puis qu’ils parlent pour nous, Beralde se peut taire ; Mais il peut découurir aux mouuemens des yeux Et par les actions qui luy plaira le mieux. Ie laisse auec le mien, ce diamant pour gage, Que si je suis choisy, vous aurez dauantage. Ie laisse auec le mien cét autre diamant : Et je fais à Beralde vn solemnel serment, Que si l’objet aimé fauorise ma flâme, Il peut tout sur mes biens ainsy que sur mon ame. Ie luy fais la mesme offre, & si je ne la tiens… Enfin si je vous sers, ce n’est point pour vos biens, C’est pour celuy du Duc qu’icy je m’interesse, L’vn ou l’autre ne peut espouser ma maistresse, Qu’il n’en reçoiue honneur, moy je prens seulement Vos presens, pour monstrer mon cœur plus franchement ; Et je prens de tous deux, pour vous monstrer encore Qu’auec égalité tous deux je vous honore. Allons vers la Princesse.         Allons, & descouurons, S’il est possible enfin, quel Maistre nous aurons. I’ay ce me semble esté bien leger à promettre, De rendre à leur Maistresse & l’vne & l’autre lettre, Qui prend, s’engage enfin, que sert de contester, Quoy qu’elle en puisse dire, il les faut presenter, Quel peril de seruir deux Seigneurs d’importance, Dont la haute fortune égalle la naissance ! Quand Isabelle au fonds auroit autre penser, Le Duc n’y verra rien qui le puisse blesser : Profitons de l’amour de ces deux Personnages ; Mais si j’en veux tirer de plus grands aduantages, Il faut faire durer la chose adrettement, La cacher à mon Maistre, & fourber galamment. Ie n’en puis seruir l’vn, que l’autre je n’offence, Desseruant l’vn aussi, l’autre prend ma deffence, D. Pedre est le plus chaud, si j’en sçay bien juger, Il faut donc prendre peine à le mieux menager. Mais sans subscription ces Poulets on enuoye, Ils sont égaux de taille, & different en soye, Que veut dire D. Pedre auec son bleu mourant ? Le vert de l’autre marque vn espoir apparent. De qui sont ces Poulets sont-ils d’vne Maistresse. On me les a donnez pour rendre à la Princesse. A la Princesse !         O dieux ! que je suis interdit, O cruelle surprise, insensé qu’ay-je dit ? Pour rendre à la Princesse ?         Ah ! je luy deuois dire, Qu’à sa sœur ces riuaux auoient raison d’escrire, O maudit interest.         I’ay lieu d’estre jaloux. Ie les rendray moy-mesme, allez retirez vous. Qui donc si hardiment ose escrire à Cassandre ? En ouurant ces billets, nous le pourrons apprendre, Voyons, c’est de Moncade, ô dieux ! qui l’eust pensé ! Puis qu’il s’est librement jusques là dispensé, Il faut qu’il soit aimé, sans doute il le doit estre, De là naist la froideur qu’elle m’a fait parestre, Et de là vient encor qu’on n’a peu l’engager Au choix determiné d’aucun Prince estranger, N’osant pas m’annoncer cette dure nouuelle, Pour me la faire entendre elle mande Isabelle. Quoy Moncade, d’escrire a pris la liberté ! Quoy, i’aurois vn riual, plus chery, mieux traitté ? Relisons ce billet, taschons d’y mieux connoistre. Ovy, je feray mon chois, ouy, vous aurez un Maistre. Qu’on ne m’en parle plus.         Puis que vous connoissez le sang. De Moncade Madame. Puis que vous connoissez son rang. Daignez connoistre aussi son respect & sa flame. O dieux le lasche tour, C’est ma lettre, & Beralde a trahy mon amour. Quelle lecture occupe Astolfe de la sorte, Il ne nous a point veus, ce billet le transporte, Il attache son ame aussi bien que ses yeux, Vous sçauez qu’vne fille a l’esprit curieux, D’où vous vient ce billet, voyons qui vous l’enuoye, Vous vous fâchez en vain, il faut que ie le voye. L’ingrate de Moncade a reconneu la main, Et retire sa lettre.         Il s’est ému soudain, De cette emotion je deuine la cause, Astolphe, dans l’esprit, vous auez quelque chose, Respondez sans contrainte, & sans vous estonner. Mon mal est bien aisé, Madame, à deuiner, Et je serois sans cœur si j’estois insensible. Il condamne mon feu la chose est trop visible, Et veu ma qualité, j’en suis assez surpris. D’où luy vint ce billet.         D’où luy vient ce mépris ? Quelque surprise icy vous broüille la ceruelle. Rien ne surprend si fort qu’vne flame nouuelle. Ce que vous auez leu vous touche fort au cœur. Oüy, Madame.         Ay-je escrit pour outrager sa sœur ? Ie ne puis plus cacher ce que souffre mon ame. Ie deuois mieux cacher cette lettre, Madame. Elle a trop éclatté, n’y pensons plus ; Adieu. Puis que mon feu, Madame, a paru dans ce lieu, Ie n’en veux donc plus faire vn secret, ny m’en taire. La declaration ne peut estre plus claire. Malheureuse Cassandre.         O malheureux amant. Suiuons-la pour luy dire enfin tout mon tourment : Car je n’attens plus rien de cét iniuste frere. Elle emporte ma lettre.         Et je pourray m’en taire ? Ie souffriray sans bruit ce coup de desespoir ? Moncade, hors d’icy, je desire vous voir- Pourquoy ?         Pour vous prier de me tirer de peine. Il faut vous desister d’vne recherche vaine. Moy, je mourrois plustost que de m’en desister, Ah ! ce cruel mespris ne se peut supporter ; Astolfe, suis-je donc de si basse naissance, Que je n’ose aspirer à si haute alliance ? D’où vous naissent enfin ces rigoureux dédains ? Moncade, je ne puis approuuer vos desseins, Ny je ne puis icy vous en dire la cause, Ie fondois mon espoir en vous sur toute chose, Ie croiois si mes vœux n’estoient pas escoutez, Qu’au moins par vostre bouche on les verroit flattez ; I’esperois si l’amour m’estois peu fauorable, Qu’en vous je trouuerois vn amy secourable, Qui voyant perdre en l’air mes pleurs & mes soupirs, Me viendroit consoler de tous mes desplaisirs ; Déja je regardois Astolfe comme vn frere, Et c’est luy cependant qui m’est le plus contraire : Mais comme en cette humeur j’attens du changement, Ie n’ose à ses mespris repartir aigrement, Il m’est trop important au dessein qui m’arreste, Que vous m’aydiez, Astolfe, à faire ma conqueste ; Il m’est trop important que nous soyons amis. Vous vous abusez fort de vous l’estre promis, Ie ne puis jamais l’estre, adieu.         Quelle injustice. D’où luy vient ce mespris, d’où luy naist ce caprice ? Si i’apprens qu’Isabelle ait vn mespris pareil, Enfin de la raison nous suiurons le conseil. D’où vous naist ce chagrin, mon frere qu’auez vous ? Ie ne puis resister à de si rudes cous, Et n’ayant plus despoir, ie n’ay plus de courage : Ma sœur, il faut mourir, la Princesse est volage. Quelle preuue auez-vous de sa legereté ? Auec vn fier mespris, l’ingratte m’a quitté, I’ay veu dans vn billet son amitié nouuelle : Et c’est Moncade enfin qui la rend infidelle. Moncade ? Ah s’il est vray je suis au desespoir. D’où naist l’emotion que vous me faittes voir ? Vostre seul interest la fait naistre, mon frere, La Princesse changer ? ce coup me desespere. Vous auez bien sujet de vous en estonner, On auoit cette lettre encor à luy donner, Vous verrez ce que c’est, ma sœur, je vous la laisse. Adieu, vos propres yeux y verront sa foiblesse. Av moment qu’il me void il s’enfuit brusquement L’ingrat, d’où luy peut naistre vn si prompt changement ? Que voy-je ?         Il est jaloux, Madame, & c’est tout dire ; Le malheureux qu’il est souffre vn cruel martire, Vos mespris ont causé son desplaisir secret, Il s’en va, mais je sçay qu’il vous quitte à regret. Quoy le traistre m’accuse, he ! qu’est-ce qu’il peut craindre ? Oyez qui de nous deux a sujet de se plaindre, Apprenez, Isabelle, apprenez ses mespris, Il ne s’en peut deffendre, enfin je l’ay surpris, Vous sçauez si j’aimois l’ingrat auec tendresse ; Helas vous auez veu ma premiere foiblesse ; Et je n’en puis cacher vne autre en confessant Qu’on l’aimeroit encor s’il estoit innocent, Mais qui l’excuseroit tenteroit l’impossible, I’ay de son inconstance vn tesmoin trop visible. Vn tesmoin trop visible ? Ah que vous m’estonnez  Croyez moy, c’est à tort que vous le soupçonnez. I’ay tantost de ses mains cette lettre arrachée, Et j’en ay veu son ame estrangement touchée ; Dans cette esmotion son esprit s’est perdu, Que je l’ay veu surpris, qu’il s’est mal deffendu. Mais que dit cette lettre encor, l’auez vous leuë ? Non ; car cent importuns qui m’ont tousiours tenuë, Ne me l’ont peu permettre.         Enfin examinons Si c’est auec raison que nous le condamnons. Auant que de faire éclatter, La Passion incomparable, Par qui je me laisse flatter, Voyez si pour vous meriter I’ay quelque qualité qui vous soit agreable. Puis que vous connoissez le sang De Moncade, Madame, Puis que vous connoissez son rang, Daignez connoistre aussi son respect & sa flâme. Madame, qu’est-ce cecy, cette lettre s’adresse A vous.         De Dom Remon i’y voy la hardiesse. C’est à moy que l’ingrat deuoit escrire ainsy, L’innocence d’Astolfe y paroist claire aussi. Ie vous l’auois bien dit qu’il seroit impossible, Que pour vn autre objet mon frere fust sensible ; I’ay trop veu ses respects, j’ay trop connu son cœur, Vous en jugiez, Madame, auec trop de rigueur. Ouy je condamne enfin mon iniuste caprice ; Et je me veux resoudre à luy faire justice : Mais Moncade sans doute est vain de presumer Qu’il puisse en m’escriuant m’obliger à l’aimer. Mais, Madame, est-ce à vous que Moncade ose escrire ? Il a plus fait encore ayant osé me dire, Que puis que son amour auoit tant éclatté, Admirez cette audace, & cette vanité, Il n’en vouloit plus faire vn secret, ny s’en taire. Ouy sans doute, Madame, il est trop temeraire, Et meriteroit bien qu’on luy fist ressentir, De cette vaine audace vn cuisant repentir. Ie suiuray vos conseils, & croyez Isabelle, Qu’Astolfe aura le prix de son amour fidelle, Hola, qu’on cherche Astolfe, & qu’on l’ameine icy. I’admire vos bontez de le traitter ainsy, Madame il va passer de la mort à la gloire ; Tantost, de ses malheurs me racontant l’histoire, Il m’a mis cette lettre encore entre les mains, Qu’il croit estre pour vous.         Voyons la, je le pleins. Souffrez adorable Isabelle, Qu’vn Amant discret & fidelle Vous descouure sa passion, Vous connoissez le sang Illustre d’Arragon. C’est à vous qu’on l’escrit.         Souffrez que je la voye Dom Pedre d’Arragon est celuy qui l’enuoye, D’où naist la passion de cét homme imprudent, Et d’où vient que mon frere en est le confident Sans m’en auoir rien dit ? a-t’il l’ame troublée ? La flame de Dom Pedre est vn peu mieux reglée ; Elle n’est pas plus juste, & ce vain amoureux N’en doit jamais attendre ce succez plus heureux, Astolfe vient à nous.         Qve voulez vous Madame Enfin, pretendez vous arracher de mon ame Cette amour immortelle, & ces feux eternels, Que vous auez trop tard reconnus criminels ? Pourquoy permettiez-vous qu’ils y prissent racines, Pourquoy rendant hommage à vos beautez diuines, Me laissiez-vous flatter par vn espoir si doux, L’ayant soufert enfin, pourquoy le chassez-vous ? D’où naist cette rigueur, qui vous a fait connestre, Qu’on peut guerir d’vn mal que vos yeux ont fait naistre ? Pourquoy me preferer vn riual glorieux, Si ma flame a brillé la premiere à vos yeux ? I’aime bien à vous voir cette noble colere, Ces beaux emportemens ne me sçauroient deplaire Puis qu’ils sont les tesmoins d’vne immuable ardeur, Dont j’aime la durée ainsi que la grandeur. Sçachez, puis qu’à mes yeux vostre innocence éclatte, Que Cassandre à vos vœux ne fut jamais ingratte, Qu’elle vous crut volage & hors de son pouuoir, Et qu’elle souhaittoit, ce qu’elle vient de voir ; Ie veux, puis qu’il est vray que vous m’aimez sans feinte, Vous descouurir aussi mon ame sans contrainte ; Et vous dire moy-mesme vn important secret, Que mesme à vostre sœur je fyois à regret ; Puis qu’vne passion si belle & si connuë, Ne doit plus m’engager à tant de retenuë. Sçachez donc que ce choix dont on nous presse tant, Ce choix, pour nos Estats, & pour nous important Ne regarde qu’Astolfe, & non pas tous ces Princes, Qui m’offrent leur amour ainsy que leurs Prouinces, Que vostre souueraine a jetté l’œil sur vous, Et qu’elle entend vous faire aujourd’huy son espoux. Quel heur inesperé ! quelle gloire ! Ah ! Madame, C’est trop pour mon merite, & non pas pour ma flame, Elle emporteroit tout, si je la mesurois, Auecques la puissance, & des Dieux, & des Rois. Sçachez que c’est l’éclat qui vos yeux enuironne, Qui me tente & me charme, & non vostre couronne, Par luy je suis esclaue, & n’estois que sujet, Du septre qu’vne autre ame auroit eu pour objet. Par luy vous effacez les autres Souueraines, Et surpassez l’éclat des plus superbes Reines, Celles de qui l’Empire a paru le plus doux, N’ont jamais merité tant de sujets que vous, Aussi le suis-je encore, & le veux toujours estre, De celle qui m’esleue & qui m’erige en maistre, Ie prendray quelque part à vostre authorité, Pour appuyer le trosne où je seray monté ; Mais comme vn autre Atlas aprés cette victoire, I’auray toute la charge, & vous toute la gloire. Que ne deuons nous point, Madame, à vos bontez. Ne differons donc plus l’heur que vous meritez. Souffrez, puis qu’il vous plaist, Madame, que jespere, Que je puisse annoncer cette gloire à mon pere. C’estoit bien ma pensée, ouy, ne luy cachez rien. Ie crains fort son esprit, le connoissez vous bien, Madame ?         Ouÿ c’est vn homme ardent & magnanime, Qui pour sauuer l’Estat s’en feroit la victime, Qui m’aime auec tendresse, & qui d’vn mesme cœur, Embrasse mes Estats.         Ces raisons me font peur, Vous connoissez son cœur, moy sa delicatesse, Comme il void nos voisins nous quereller sans cesse, Il s’est mis dans l’esprit qu’il faut vous engager, Pour nous deffendre mieux, au choix d’vn Estranger. Il connoist vostre cœur dont il doit tout attendre, Vos bras, & ses conseils nous sçauront bien deffendre ; Comme il aime son sang, & qu’il en sçait le pris, Il agrera mon choix,         Il en sera surpris ; Madame, excusez moy si j’ose encor vous dire, Que je crains d’autant plus qu’ardamment je desire. Ie sçay jusqu’à quel point le Duc est delicat, Sur les moindres soupçons qui regardent l’Estat ; Ce n’est pas, croyez-moy, sans raison que je tremble ; Il me souuient qu’vn iour nous discourions ensemble, Sur ce choix, sur vostre âge, & sur les soins ardens Que tesmoignoient déja les diuers pretendans ; Il regardoit de l’vn le merite & la grace Mais appuyant de l’autre, & la force & l’audace, C’est celuy-là que doit la Princesse choisir, Dit-il, si sa raison s’accorde à son desir. I’admiré les raisons qu’il dit sur chaque Prince, En suitte examinant les grands de la Prouince Qui pouuoient y pretendre, & me nommant entr’eux, Nostre destin, dit-il, n’est pas assez heureux Pour esperer ce choix quoy que j’en vaille vn autre, Ce n’est pas ma pensée, & ce n’est pas la vostre, Mais si Cassandre auoit jetté les yeux sur vous, Ie voudrois vous voir mort plustost que son espoux ; Ie ne veux pas, dit-il, donner prise à l’enuie, Ny que tant de jaloux qui regardent ma vie, Me puissent reprocher d’auoir eu le dessein, En éleuant mon fils, d’en faire vn Souuerain ; Ie ne replique point, & n’ose m’en deffendre, Tant pource qu’en ce temps je n’osois y pretendre, Que pource qu’en effect je croyois du danger A ne nous pas sousmettre au joug d’vn Estranger, Jugez aprés cela si j’ay sujet de craindre. Il doutoit de la gloire où je vous fais atteindre, Ignorant sa fortune, il parloit sagement, Vous luy verrez, Astolfe, vn autre sentiment, Si tost qu’en liberté vous luy ferez entendre, Que mon choix vous regarde, & qu’il s’y doit attendre. Sans incredulité vous n’en pouuez douter, Mon frere.         Son humeur est fort à redouter, Et toute ma fortune, Adorable Princesse, Enfin peut m’échapper par sa delicatesse. Pour rasseurer Astolfe, & fonder son bon-heur, I’abandonnerois tout excepté mon honneur : Suiuez toutes les loix que l’amour vous impose ; Allez, je permets tout, hazardez toute chose. O trop heureux Astolfe, Astolfe glorieux, Cette faueur t’égalle à la gloire des Dieux, Voicy le Duc mon Pere, il faut luy faire entendre, Les effets d’vn amour & si noble & si tendre, Il est dénaturé s’il n’en est satisfait. Qv’auez-vous auancé, mon fils, qu’auez-vous fait ? La Princesse à nos vœux est-elle inexorable ? N’auez-vous point trouué ce moment fauorable ? A-t’on presté l’oreille à vos sages aduis, Et peut-on esperer qu’on les verras suiuis ? Nous auons eu, Seigneur, vne longue audience, Mais je n’ay rien tiré de cette conference Qui flatte vos souhais, & jay lieu de juger, Que son choix ne regarde aucun Prince Estranger. Tant pis, vous m’annoncez vne triste nouuelle, Car entre ses sujets ce choix qui dépend d’elle, En regardera tel qui pourra nous troubler, Et la peur que i’en ay me fait déja trembler : D’vn estat chancelant j’aprehende la chutte, Entre les pretendans, tel Prince qu’on rebutte, Et qui de la Couronne auroit esté l’appuy, Peut vanger le mespris qu’on aura fait de luy. Mais puis qu’ils sont plusieurs d’vne égalle puissance, Et de merite égal, & d’égalle naissance, Sont ils pas tous à craindre, & sçait-on l’auenir, Pour juger qui d’eux tous nous peut mieux soustenir ? On n’en peut choisir vn, qu’on n’offence les autres ; Ie crains donc moins ce choix, s’il tombe sur les nostres. Enfin on doit auoir de plus nobles objets, Et pour mille raisons j’exclurois les sujets. Mais, Seigneur, aprés tout seroit-il bien possible, Que pour pas vn d’entr’eux vous ne fussiez sensible, N’en sçauez-vous pas vn qui puisse meriter L’honneur qu’aux Estrangers vous laissez contester ? Si par vn sentiment d’estime, ou de tendresse, Ie deuenois l’objet du choix de la Princesse ; Dittes moy je vous prie, y pourrois-je aspirer, Et serois-je de rang à pouuoir esperer ? Ouy, si la par la naissance on meritoit Cassandre, Personne mieux que vous n’auroit droit d’y pretendre, Mais ne vous flattez pas de cette ambition, Cherchez vn autre objet à vostre passion : Car cela ne se peut.         Et toutefois je pense, Vous pensez ; moy je sçay de certaine science, Que cela ne se peut, vous dis-ie, asseurement. Moy, je sçay mieux encore, & plus certainement, Que la Princesse m’aime, & m’aime auec tendresse. Vous vous flattez, mon fils, je plains vostre jeunesse, Vous vous l’imaginez par vne vanité, Qui vous monte à la teste, & vous a transporté. I’ay plus.     Et qu’auez-vous.         Vn plus seur temoignage. Sa parole & sa foy, m’en faut-il dauantage ? Sa parole & sa foy ?  bornez-là vos souhais, Gardez de passer outre, & n’y pensez jamais ? Comment puis-je oublier la moitié de mon ame, Vostre defence est vaine, elle est déja ma femme. Vostre femme ! qu’entens-je ? ô destin rigoureux, O Pere miserable, ô fils trop malheureux.         565 Quel mal-heur !         Ah mon fils, aprenez vne histoire, Qui vous couure de honte & destruit vostre gloire, Cassandre est vostre sœur.         Qu’entens-je ? ô justes Dieux. Descouurez si quelqu’vn nous escoute en ces lieux, Ce secret reuelé dont vous doutez encore, Astolfe, me perdroit, comme il vous deshonore. Lors que sur la frontiere en la fleur de ses ans Le Prince fut blessé parmy ses combattans, Voyant que l’on iugeoit sa blessure mortelle, Et que sa moitié chaste autant qu’elle estoit belle De neuf mois estoit grosse, & preste à mettre au jour, L’vnique & premier fruit qu’eust produit leur amour, Auant que la nouuelle en fust plus loin semée, Il assembla les grands & les chefs de l’armée, Et les fit tous iurer que sa mort arriuant, Ils presteroient serment à l’enfant suruiuant, Qu’à la Mere Regente on resteroit fidelle, Et me fit Gouuerneur de ses Estats sous elle. Dom Bernard de Rocas que sur tous il aimoit, Et qu’à l’esgal de moy son Astolfe estimoit, Fut encore nommé par ce preuoyant Maistre, Gouuerneur de l’enfant qui deuoit bien-tost naistre, N’osant pas me laisser toute l’authorité, Quelque preuue qu’il eust de ma fidelité. Or comme il plut aux Dieux, il en perdit la vie, Et cette perte encor fut d’vne autre suiuie : La Princesse accoucha parmy tant de douleurs, Que par sa mort cruelle elle accrut nos mal-heurs, Laissant vne orpheline & mourante & plaintiue, Qu’on ne crut pas trois jours deuoir demeurer viue ; Sa langueur fut connuë, & Dom Bernard & moy, Dans vn si grand peril nous vnismes de foy : La Duchesse ma femme en la mesme semaine, Accoucha d’vne fille & plus forte & plus saine, Et voyant qu’en l’armée on se mutinoit fort, Pour cét enfant mourant qu’on croyoit déja mort, Nous supposames l’autre ; & comme on faisoit ligue, Et que chaque party formoit déja sa brigue, Ie portay dans mes bras l’enfant viuant & sain, Et Dom Bernard & moy rompismes leur dessein. Connoissez, disions-nous, ô fidelle noblesse, Et vous braues soldats vostre vnique maistresse, Honorez-la viuante & saine entre nos bras, Et que son innocence appaise vos debats. Enfin cette rumeur par nous fut appaisée, Nous laissames regner ma fille supposée, Quoy qu’examinant l’autre on pust déja trouuer, Des signes euidens qu’on la pourroit sauuer : Enfin on la sauua : mais pourtant chose estrange, Nous n’auons plus osé toucher à cét eschange, De peur que des sujets prompts à se mutiner, N’eussent en mal iugeant lieu de s’imaginer, Qu’au lieu de replacer au trosne l’heritiere, On ne la supposast comme on fit la premiere. Ie voy que mon discours vous a percé le cœur : Mais il est vray, mon fils, Cassandre est vostre sœur. Fuyez auec horreur l’objet de vostre inceste, Abandonnez, mon fils, vn sujet si funeste, L’absence est vn remede aux maux les plus cruels, Prés d’elle, vos remors seroient continuels, Fuyez, preparez vous à partir dans vne heure, Et ne regardez plus cette horrible demeure. Helas ! qu’auez vous dit, helas qu’ay je entendu ? Si Dom Bernard captif nous peut estre rendu, Il vous confirmera ces veritez cruelles, De qui nous fusmes seuls les tesmoins trop fidelles. Partez, fuyez Cassandre, éuitez les Adieux, Et pour l’oster du Cœur, ostez-la de vos yeux. Abandonner Cassandre ! oster de ma memoire,      Cét objet de ma vie ainsi que de ma gloire ! Perdre à jamais l’espoir d’en estre possesseur ! Ah que fis-tu Nature en la faisant ma sœur ? M’en priuer, m’en bannir, helas m’est-il possible ? A ce charme diuin mon ame est trop sensible, L’esloignement tout seul ne me peut secourir, Ie ne voy que la mort qui me puisse guerir. Ie vous dy verité, Dom Pedre, il est certain, Que j’ay veu mon billet dedans la propre main D’Astolfe, qui tout haut en faisoit la lecture, Beralde m’a trahy.         I’ay donc part à l’injure, Le fourbe m’aura fait sans doute vn mesme tour. Il vient tout à propos ce confident d’Amour, Si je souffre l’affront tenez moy pour vn lasche. Il faut sçauoir l’histoire auant que l’on se fasche, Peut-estre a-t’il raison.         Que leur diray-je, ô Dieux. Vous verrez qu’on le fourbe, & qu’on me traitte mieux. Dom Pedre, interrogeons-le ensemble je vous prie, Nous découurirons mieux toute la fourberie, Parlans l’vn aprés l’autre, allez mais sans courrous, Découurir le premier ce qu’il a fait pour vous, Puis nous nous rendrons conte aprés d’vne disgrace, Que je crains comme vous, je vous quitte la place, Et me tire à l’escart à quatre pas d’icy. He bien, Beralde, enfin auons nous reüssi ? A-t’on donné ma lettre, a t’elle esté receuë ? Nos desseins ont ils eu bonne ou mauuaise issuë ? Dans les mains d’Isabelle ainsi que i’ay promis, I’ay fort fidellement vostre billet remis. En main propre ?     En main propre.         O l’insigne imposture. Mais, Seigneur, en cecy je pleins vostre auanture, Son visage aussi-tost a changé de couleur, Et dans ses yeux en feu i’ay leu vostre mal-heur : Elle ne pouuoit mieux me monstrer sa colere, Qu’en donnant deuant moy vostre lettre à son frere. A son frere ? Ah l’ingrate.         Ou je suis abusé ; Ou de quelque autre objet son cœur est embrazé ? De cette auersion je ne suis pas la cause, Et ne pouvois pas mieux executer la chose. Mon amy je vous croy, par là j’ay trop compris, Que ma disgrace est vraye, ah j’en ay trop appris, Le mespris de la sœur respond bien au caprice, Du frere, dont je viens d’esprouuer l’injustice. Puis-je l’aimer encore ? Adieu, quoy qu’outragé, Beralde, ie me sens à vos soins obligé. Ie suis defait de l’vn, l’autre est encore à craindre, Mais ne luy disons rien qui l’oblige à se plaindre : C’est vn esprit fougueux, traittons-le doucement ; Puis qu’il faut feindre encor, feignons obligemment. Il vient.         He, bien Beralde a-t’il donné ma lettre, Qu’en doit-on esperer, que m’en puis-je promettre ? Seigneur, je l’ay donnée, & me suis aperceu, Qu’on l’a fort bien receuë, ou je suis fort deceu. En main propre, Beralde ?         Ouy je vous en asseure. Ce que vous m’asseurez, est-ce point imposture ? Pourquoy ? quelqu’vn, Seigneur, vous auroit-il donné Des preuues du contraire, & m’a t’on soupçonné, Moy qui m’ose vanter sur tout, d’auoir le zele, Et la sincerité d’vn homme fort fidelle. Non, je croy que Beralde en a fort bien vsé, Mais je suis défiant, & crains d’estre abusé : Dittes donc, cher amy, mais d’vn esprit sincere, Et sans déguisement, comme a passé l’affaire ; Quand vous auez rendu ce gage de ma foy, Les beaux yeux d’Isabelle ont ils esté pour moy ? Auez vous obserué l’air de son beau visage, N’auez-vous remarqué ny chagrin ny nuage ? Et le ton de la voix, n’a t’il point dementy Le bien que par cét air vous aurez pressenty ? Si je me sçay connoistre aux mouuements de l’ame, Seigneur, esperez tout de cette belle Dame ; Elle a pris de ma main la lettre en rougissant, Et l’œil m’a bien marqué que le cœur y consent : Enfin dans l’air serain d’vn visage adorable, Ie n’ay rien remarqué qui ne fust fauorable. Si je me trouue heureux & par vostre secours, Si l’effect, cher amy, respond à vos discours ; Si je suis preferé, ce que je n’ose croire, Asseurez-vous d’auoir bonne part à ma gloire. Adieu ; Pour arriuer au but où je pretens, Mettons tout en vsage & ne perdons pas temps. Croyez que i’employray toute mon industrie, Pour vous rendre content.         Amy je vous en prie. Ie me suis bien tiré d’vn pas fort dangereux, Mais on ne peut long-temps fourber deux amoureux. He bien qui de nous deux, Moncade, a l’auantage ? S’il faut du confident croire le tesmoignage, Mes affaires vont mal.         S’il l’en faut croire aussi, Ie voy que mon dessein n’a pas mal reüssi ; Elle a receu ma lettre, & d’vn œil fauorable. Vous estes bienheureux, & moy bien miserable. Moncade, il faut ceder à la rigueur du sort, Et n’y pretendre plus, vous sçauez nostre accord. Ouy, mais je veux auoir vn congé de sa bouche, Vous sçauez à quel point cette affaire me touche : Et vous n’ignorez pas de l’air dont vous viuez Que Beralde est vn fourbe & des plus acheuez. Dans le bruit qu’il en a, je ne serois pas sage, De ceder tout mon bien sur son seul tesmoignage. Nostre accord toutefois porte qu’on cedera, Sur son seul tesmoignage, & que l’on l’en croira. Beralde ne m’a dit rien qui me desespere, Disant qu’elle a donné mon billet à son frere ; Si tant d’impatience est iointe à vostre amour, Donnez moy seulement le reste de ce jour, Et je vous cederay l’adorable Isabelle, Sur le moindre mespris que je receuray d’elle. Vostre demande est juste.         Ah je la voy venir L’ingratte, & je ne puis ses regards soustenir ; Que je crains ses mespris.         La voulez vous attendre ? Ouy, quoy qu’à son amour je n’ose rien pretendre. Souffrez qu’auec respect je vous donne la main, Madame, & que mon cœur ait part à ce dessein. Quoy donc, ce que je hay me cherche, & ce que j’aime, Me fuit ?         Vous connoissez ma passion extresme Madame,         Ouy je la sçay D. Pedre, & sçay de plus, Que vous m’auez escrit.         Nos billets sont receus. Ouy, jusque dans mes mains vostre lettre est venuë, Et pour responce enfin sçachez que je l’ay leuë. Ah veritable amy, je te croiray toujours, Que ne te doy-je point aprés vn tel secours, Ie vous l’auois bien dit, je suis franc & fidelle. Aprés cette action que puis-je esperer d’elle ? Receuez donc ma main, Madame, & permettez. Moderez vos transports D. Pedre & me quittez ; Adieu, laissez moy seule.         He bien je me retire. Que tu souffres, mon cœur, vn estrange martire. Ingrat, que ton mespris me va couster de pleurs, Cessons de nous flatter, sans doute il aime ailleurs ; S’il approuuoit ma flame, il m’auroit abordée, Helas son cœur est plein d’vne plus noble idée. Il aime la Princesse, il s’est déja donné. Romps l’obstacle, mon cœur, qui te tient enchaisné, Quoy que de ton ardeur on face peu de conte ; Que tu n’esperes rien que mespris & que honte, Rends vn dernier hommage à sa fiere beauté, Et donne luy ta vie aprés ta liberté. Il s’esbranle à la fin,         O rigoureuse crainte ; Il vient : mais l’action me parest bien contrainte, La bienseance enfin ne luy permettroit pas, En destournant son cœur de destourner ses pas. Ie n’ose ouurir la bouche, & tremble deuant elle. Qu’il est gesné, bons Dieux.         Adorable Isabelle, Souffrez que dans ce lieu je vous parle vn moment. La ciuilité seule a fait son compliment. Mais comme je connoy le sujet qui l’engage, Ie ne le puis tenir en suspens dauantage. Ie voy déja sa bouche ouuerte à la rigueur. Moncade je sçay bien ce qui vous tient au cœur, Vos secrets sentimens sont connus de la Dame, Qu’en vain vous adorez, elle a leu dans vostre ame ; Mais pour elle vos vœux sont des vœux superflus, Et si vous me croyez vous n’y penserez plus. Helas vous connoissez son cœur mieux que tout autre. Suiuez donc mes aduis, pour dégager le vostre, Aprenez que l’objet pour qui vous souspirez, S’attache à d’autres fers qui vous sont preferez ; Que cét engagement fait qu’elle vous mesprise ; Mais qu’vne autre beauté qui vaut bien qu’on la prise, Et dont je vous respons pour connestre son cœur, Ne vous traittera pas auec tant de rigueur ; Adieu songez en elle, & si vous estes sage, De vostre mal connu tirez vostre aduantage. Helas ! j’en ay trop dit, il m’a bien entendu. I’ay cherché ma ruine, helas ! je suis perdu : N’estoit-ce pas assez, trop ingrate Isabelle, D’accabler de mespris vn Amant si fidelle ? Sans vouloir esbranler encor sa fermeté, Luy proposant le change & l’infidelité. Enfin vous auez sceu qui de nous deux la touche, Vous auez tout appris, & de sa propre bouche. Me proposer le change ! ah mespris sans pareil. Vous feriez sagement de suiure son conseil, La beauté qu’on vous offre estant plus fauorable, Vous rendroit plus heureux.         Que je suis miserable. Vn cœur genereux cede aux volontez du sort, Adieu resoluez vous, vous sçauez nostre accord. L’objet qu’elle propose est sans doute Cassandre, Ses mots estoient obscurs, mais je les sçay comprendre : Et tout autre que moy degageroit son cœur, Pour s’attacher aux fers d’vn plus noble vainqueur ; Ouy sans doute Cassandre a pour moy de l’estime, Vn amant mesprisé peut l’adorer sans crime ; Ie deuois sans mentir l’obseruer vn peu mieux, I’eusse conneu son ame aux mouuemens des yeux. La voicy ; dans l’air gay qui brille en son visage, Ie voy de ma fortune vn asseuré presage ; Ma rencontre a causé ce transport amoureux, Si j’en sçay bien vser suis-je pas trop heureux ? Astolfe tarde bien, sa longueur importune, Retarde vn peu ma joye ainsi que sa fortune ; Mais ce retardement ne peut m’inquieter, Le Duc a consenty, je n’en sçaurois douter ; Il aime trop son sang, il aime trop la gloire, Sur tous ses concurrens Astolfe a la victoire : Et l’aise que je sens de sa felicité, Emeut si bien mon cœur qu’il en est transporté. Auançons nous vers elle, & luy faisons connestre Que l’on n’ignore pas l’amour qu’on a fait naistre. Adorable Princessse, oyez & connoissez. I’en sçay trop, brizez là Moncade, c’est assez, Puisque je vous voy seul, il faut que je vous die, Que j’ay quelque pitié de vostre maladie : I’ay regret qu’vn esprit d’ailleurs tres-accomply, Se soit si follement de chimeres remply ; On n’escrit pas d’amour si librement aux dames, Sans sçauoir si leur cœur approuuera vos flames : Ces choses ont pour prix souuent vn repentir, Auant que les tenter, il les faut pressentir, Affin de n’en auoir ny déplaisir ny honte. C’est d’vn Illustre Sang faire trop peu de conte ; Ah cette amour m’expose à trop de déplaisirs. Quand on n’a dans le cœur que de justes desirs, Madame, à mon aduis on n’est pas fort coupable. Moncade, agissés donc en Amant raisonnable, Car vous ne l’estes pas de parestre obstiné A seruir vn objet qui pour vous n’est pas né ; Amour engage ailleurs celle qui vous engage, Changez de sentiment, & si vous estes sage, Seruez vn autre objet que vous auez charmé, Et dont je vous respons que vous serez aimé, C’est foiblesse aprés tout d’aimer qui nous mesprise. Elle s’explique assez, j’admire sa franchise, Ie vous obeïray, Madame, aueuglement,      Ie suiuray vos conseils.         Vous ferez sagement, C’est justice, aprés tout d’aimer quand on nous aime. Dégageant vostre esprit de ce tourment extresme, Vous sentez bien à qui vous serez obligé. Ouy je le sens, Madame, & je suis dégagé, Elle confirme bien ce qu’a dit Isabelle ; Ie la cede à D. Pedre, il peut disposer d’elle. Adieu, songez Moncade, en reuenant icy, D’y reuenir plus sage & plus content aussi. Si mon œil ne s’ouuroit à si grande lumiere, I’aurois l’esprit bien foible, & l’ame bien grossiere ; Voila pourquoy sans doute on n’a peu l’obliger, De s’arrester au choix d’aucun Prince estranger. Astolfe enfin parest, quel chagrin l’accompagne, Et d’où vient qu’il parest en habit de campagne ? Quel bizarre équipage, Astolfe qu’est-ce cy Qu’auez vous, qui vous meut à m’aborder ainsi ? Qu’est-ce, auez vous querelle ? & pourroit il bien estre, Que dedans vn estat dont vous estes le maistre, Quelqu’vn de mes sujets eust l’audace & le front, De vous oser déplaire ? il en auroit l’affront. Parlez, car ces soupirs & ce trop long silence ? Enfin à mon esprit font trop de violence. Plust au Ciel que cét œil mon vnique vainqueur, Pust percer jusqu’au fonds le secret de mon cœur, Et me pust espargner la peine de vous dire, L’excessive douleur qui cause mon martire. Quelle douleur, qu’entens-je ?         Ah qu’allez-vous iuger, D’vn cœur qui vous adore & qui ne peut changer ? Helas qu’allez-vous dire ? helas qu’allez-vous croire ? I’atteste tous les Dieux dont i’ay blessé la gloire, Que mes respects pour vous sont bien moins limitez, Que ceux qu’on doit auoir pour leurs diuinitez ; Que seule vous bornez ma gloire & mon enuie ; Que je vous aime plus mille fois que ma vie ; Que hors de vostre veuë il n’est point de plaisirs, Ny de biens, ny d’honneurs qui flattent mes desirs. Si cette verité vous peut entrer dans l’ame, Si vous la conceuez, vous me plaindrez, Madame, Car vous participez à la bonté des Dieux, Et vous auez le cœur aussi doux que les yeux. Ie sçay que malgré moy je m’en vay vous deplaire ; Contre mon innocence armez vostre colere, Vous m’allez regarder comme vn grand criminel, Ie vay couurir mon nom d’vn opprobre eternel ; Vous m’allez accabler de reproches, & d’injures, Vous m’allez estimer le plus grand des parjures ; Quoy que j’aye abhorré toujours la trahison, Vous m’allez nommer traistre, & vous aurez raison ; Mais sans considerer vos sensibles atteintes, Sourd aux reproches vains qui vont suiure vos pleintes, Il faut que ie vous dise vn adieu surprenant : Et que je m’abandonne en vous abandonnant. Qui l’eust creu, ma Princesse ? helas je vay parestre, A vos sens estonnez, ce que je ne puis estre, Vous m’allez croire ingrat sans honneur & sans foy, Mais ce que vos fureurs vont vomir contre moy, Parestra d’autant juste en ma cruelle absence, Que je n’ose en partant monstrer mon innocence ; Quoy que sans expirer je ne puisse partir, Quoy que mon triste cœur n’y puisse consentir, Quoy que je sente bien qu’en ma douleur extresme, Me separant de vous je m’arrache à moy mesme, Il faut de vos beaux yeux me priuer desormais, Princesse, il faut vous dire vn adieu pour jamais. Est-ce Astolfe ? est-ce luy que j’ay veu disparestre, Quoy l’ingrat m’abandonne ? Ah cela ne peut estre, Quoy, c’est sa propre voix qui d’vn ton de mespris, Ainsi qu’vn coup de foudre a frappé mes espris ? Il alloit partager mon cœur & ma couronne, Et sans vouloir m’entendre, ô Dieux, il m’abandonne ; Il fuit de ma presence, il part en furieux, Et s’esloigne du cœur ainsi qu’il fait des yeux ; Quel caprice a produit cette fuitte soudaine ? Qu’on aille aprés ce traistre, & qu’on me le rameine, Il ne peut s’échapper à mon juste courroux ; Hola.         Que vous plaist-il, Madame, & qu’auez-vous ? Renferme dans ton cœur la douleur qui te presse, Et ne fais pas connestre en ce lieu ta foiblesse, Malheureuse Princesse, helas qu’esperes-tu ? Estouffe ton amour, & sauue ta vertu ; C’est ta facilité qui fait qu’on te mesprise, I’agis auec ce traistre auec trop de franchise, Ouy, ouy je fus trop prompte à luy donner les mains, Et je merité bien sa fuitte, & ses dedains. Son cœur paroist touché d’vne douleur extresme. Si tu m’aimes, ingrat, si tu vois que je t’aime : Pourquoy ce brusque adieu, dont mon cœur est surpris ? Sans demander ce cœur, ingrat, tu me l’as pris, Tu n’as non plus que luy demandé ma Couronne : Et tu vois cependant que je te l’abandonne. Si j’auois possedé l’honneur des Immortels, I’aurois auecque toy partagé mes Autels, Et tu quittes ta gloire, & tu fuis miserable, Vn objet adoré quand il t’est fauorable. Plus j’en cherche la cause, & plus je me confons, Reuien pour m’éclaircir, Astolfe, & me respons ; Est-ce point que ta joye estant démesurée, A causé ces transpors dans ton ame égarée ; Ouy c’est ce grand excez qui trouble tes espris, Que dis-je ! Ah ie me flatte, il s’en va par mespris. Ie ne le puis souffrir, cét affront est estrange, Hola je le veux perdre, il faut que je me vange. Perdre qui de ma vie est l’vnique soustien ? Que voulez-vous, Madame.         Helas je ne veux rien. Son esprit agité souffre vne estrange peine. Qu’on me cherche le Duc viste, & qu’on me l’ameine. Ie souffre autant que vous dans cét éloignement, Mais je ne le puis plus differer d’vn moment : Embrassez moy, mon fils, adieu fuyez en France : Et dans ce coup du sort montrez vostre constance, Vostre équipage est prest, pour vostre passeport, Ie m’en vay le signer.         Ah c’est signer ma mort. La Princesse, Seigneur, auec impatience, Vous attend.     Ie vous suy.         Mais faittes diligence. Ie marche sur vos pas, i’y suis dans vn moment, Elle ne peut souffrir aucun retardement, Seigneur, l’ordre est pressant, donc sans plus de demeure. Allons, tenez vous prest, je reuiens dans vne heure. Ovy, ouy, brize tes fers, esclaue malheureux, Porte ailleurs tes respects, & tes soins amoureux : Et sans plus t’exposer aux mépris d’Isabelle, Cherche vne autre prison & plus noble & plus belle. La fortune te rit aueugle, & tu la fuis, Ie sens bien qu’il est temps d’en recueillir les fruis, Elle ne s’est encor qu’à demy declarée, Mais je voy ma fortune, elle est bien asseurée. Ouy, je sens qu’elle m’aime, & je viens en ce lieu, Pour tirer de sa bouche vn clair & libre adueu, Ie pleins cette pudeur que j’ay trop reconnuë Qui la gesne, & l’engage à tant de retenuë, La voicy.         Malheureuse ! he n’as tu pas compris, Que ton humeur facile attira ces mépris, Pour m’estre à cœur ouuert librement declarée, Mon amour d’vn ingrat est peu considerée : Il destourne son cœur aussi bien que ses pas, Et ma Couronne mesme est pour luy sans appas. Elle me fait pitié ; que les grands sont à pleindre, Quand leur condition les force à se contraindre. Ouy, ouy j’en ay trop dit, ouy, j’en ay trop fait voir, Ma bouche m’a trahy, & c’est mon desespoir, I’ay trop donné de force au Dieu qui me commande. Ne vous repentez pas d’vne bonté si grande, Madame.         Quoy Moncade auroit sceu mon secret. Vous l’offenceriez trop d’en montrer du regret, Ouy, diuine Princesse, ouy, j’ay leu dans vostre ame, Vous la croyez cacher cette obligeante flame ; Qui me doit éleuer à la gloire des Dieux : Mais le secret du cœur a paru dans vos yeux, Quoy qu’en termes obscurs, j’ay sceu, j’ay sceu comprendre, La force d’vn amour où je n’osois pretendre. Ouurez donc vostre cœur, ses vœux sont exaucez, Et n’ouurez plus la bouche, elle en a dit assez, Vne confession nouuelle seroit vaine, Ie vous en viens sauuer & la honte & la peine. Si vous croyez Moncade espris de vos appas, Princesse, asseurement vous ne vous trompiez pas, Il est prest de respondre à l’espoir qui vous flatte, Vous ne pouuiez semer en terre moins ingratte, Et ce septre herité de vos braues ayeux, A moins d’éclat pour luy que n’en ont vos beaux yeux. Comme il s’est abusé, je m’estois abusée, Son nom a trop d’eclat pour seruir de risée, Comme il est homme enfin de merite, & de cœur, Ie ne veux point nourrir ny flatter son erreur, Vous me plaignez, Moncade, en croyant qu’on vous aime, Mais vous ferez bien mieux de vous pleindre vous mesme, Mieux que vous ne pensez i’ay compris vos desseins, Connoissez vous l’escrit que je tiens en mes mains : Et n’est-il pas de vous ! relisez-le.         Ouy, Madame, Adieu taschez d’en faire autant de vostre flame. Cette colere est juste, & j’ay mal fait ma cour, Puis qu’elle a veu ma lettre, auant que mon amour, Auec tant de ferueur se declarast pour elle, Ie luy deuois marquer vn oubly d’Isabelle  I’ay connu sa prudence, & je voy mon erreur. Voicy le Duc, Madame.         Eclatte ma fureur, L’amour dessus mon ame auoit trop pris d’Empire, Adieu sortez, Messieurs, que chacun se retire, Ie ne pers pas l’espoir de l’heur où je pretens : Mais je voy pour ce coup que i’ay mal pris mon temps. Duc faittes moy chercher Astolfe en diligence : Car nous auons icy besoin de sa presence ; C’est ce qui ne se peut, Madame, il est party. Quoy sans mes ordres, Duc, peut-il estre sorty ? Ah je ne vous croy pas, viste qu’on me l’apelle, Ou je le traitteray comme vn sujet rebelle, Commandez qu’on le cherche & qu’on l’ameine icy. Ie croy que vainement j’en prendray le soucy. Quoy, vous me resistez, me voulez vous deplaire ? A vos commandemens je voudrois satisfaire, Hola qu’on cherche Astolfe, & qu’on coure aprés luy, Helas s’il est trouué je vay mourir d’ennuy. Enfin nous voicy seuls ; vous pouuez prendre vn siege, Vostre age & vostre rang ont vn grand priuilege, Seyez vous.     Iobeïs.         Parlez c’est sans tesmoins. Depuis que mes Estats sont regis pas vos soins, Me tenez vous pas lieu de Tuteur & de Pere ? Outre qu’en Souueraine icy je vous reuere, I’ose vous dire encore auecques verité, Si le respect s’accorde auec ma liberté ; Que comme mon enfant je cheris ma Princesse, Auec le mesme amour & la mesme tendresse. Puis que mon Pere est mort, & mort entre vos bras, Parlez, Duc, aujourd’huy me connoissez vous pas Pour vostre Souueraine, & pour son heritiere, Et me deuez vous pas obeissance entiere. Ie vous ay déja dit auec sincerité, Que nous vous reuerrons en cette qualité, Et ne sçaurions pretendre vne gloire plus grande. Souffrez que je vous face encor vne demande, N’est il pas du deuoir d’vn homme genereux, Qui des Loix de l’honneur est vrayment amoureux, De proteger l’honneur des Dames qu’on offence. Quiconque y manque est lâche, & rien ne l’en dispence. Faittes moy donc raison d’vn lasche suborneur, Qui temerairement s’attaque à mon honneur, Et qui presqu’à vos yeux m’a si fort outragée, Que je mourray d’ennuy si je n’en suis vengée. De quelque rang qu’il soit, Madame, il doit mourir, Nommez-moy donc ce traistre, & je le fais perir. Ie n’attendois pas moins de ce noble courage, Qui mieux que la fortune eut la gloire en partage ; Et qui d’vn esprit ferme adroit & vigilent, A si bien soustenu mon Estat chancelant. Ie me doy souuenir tout le temps de ma vie, De la fidelle ardeur dont vous m’auez seruie, Ce que i’ay de sujets sont autant de tesmoins, Que si mon sort est doux, il est doux par vos soins, Et de ce sentiment mon ame est possedée, Plus de mes premiers ans je retrace l’idée. Ah si cette innocence en mon cœur eust duré, Le dangereux Tyran qui s’en est emparé, Ne me forceroit pas toute honte banie, A chercher vostre appuy contre sa Tyranie. Vous n’ignorez pas, Duc, qu’auec moy vos enfans, Se trouuans éleuez dés leurs plus jeunes ans, Si tost que j’eus connu leur merueilleuse enfance, Ce que je ne souffrois que par accoustumance, Ie l’aimé par raison & l’aimé tendrement, Ie croiois les aimer tous deux égallement : Mais insensiblement sans cesser de me plaire, La sœur vint à ceder au merite du frere. Cét enfant agreable, à toute heure à mes yeux, Prompt, zelé, complaisant, ardant, officieux, Si du moindre soucy j’auois l’ame pressée, Preuenoit mes desirs, deuinoit ma pensée, Ne cherchoit qu’à me plaire : & certes ses respects, Ne pouuoient en cét age encor m’estre suspects. Comme à me bien seruir il mit tout son estude, Et que j’auois tourné ses soins en habitude, Ie ne m’aperceus pas qu’à ses regards pressans, Qui lors me paroissoient tous purs, tous innocens, Il mesla des soupirs dont l’ardeur continuë, En vn age plus meur enfin me fut connuë, Diray-je sans rougir qu’au feu qui s’alluma, Comme à ceux qui brilloient, mon cœur s’accoustuma, Et que je respondis à cette ardente flame, Sans preuoir les malheurs qui menaçoient mon ame ? Ouy, j’aimé cét ingrat, & l’aimé jusqu’au point, De luy donner vn cœur qu’il ne demandoit point, Croyant que son merite égalloit ma naissance, Ie l’ay fait Maistre enfin de toute ma puissance, Ie l’ay fait triompher des Rois qui m’adoroient, Et qui mieux qu’à mon Septre à ce cœur aspiroient. Ouy Duc, ce choix fatal dont on m’a tant pressée, Pour qui toute l’Espagne estoit interessée, N’a regardé qu’Astolfe au mespris de ces Rois, Et je ne pouuois faire vn plus indigne choix. Admirez le caprice & l’humeur de ce traistre : Dés que de ma fortune il s’est senty le maistre, Dés qu’il m’a veu sousmise, & qu’aux yeux de sa sœur : Il s’est veu de mon ame absolu possesseur, Oubliant cette amour si parfaitte & si tendre, Auec vn fier mespris que je n’ay peu comprendre, Le perfide en bizarre est sorty de ce lieu, Et m’a dit sans m’entendre vn eternel adieu. O Dieux, il l’a reueuë, & contre ma deffence. C’est contre cét ingrat que butte ma vengeance, Quoy qu’il soit né de vous cét enfant malheureux, Vous m’en ferez justice estant né genereux. Vous auez jusqu’icy, depuis vostre Regence, Tenu sur mes sujets vne égale balance, Le puissant & le foible auec mesme equité, Ont senty les effects de vostre authorité : Serois-je en mes Estats la seule miserable, A qui cette equité ne fust pas fauorable ; Non Duc, vous m’appuirez, vous me tendrez les bras, Vostre fils est injuste, & vous ne l’estes pas ; Ie sçay que la Iustice en cette conjoncture, Se trouuera plus forte en vous que la nature ; Vous me ferez raison de ce perfide amant ; Pouuoit-il me traitter plus inhumainement ? Quoy Duc, vous souspirez ; & n’osez me respondre ? Quoy ? tout ce que j’ay dit ne sert qu’à me confondre ; Ah ! considerez mieux celle qui parle à vous, C’est vostre Souueraine en pleurs à vos genous, Qui n’a recours qu’à vous dans sa peine infinie. Ah Duc, si vous laissez cette offence impunie, I’auray lieu de penser que tiran de mon sort, Vous voulez aujourd’huy proffiter de ma mort Et de mon desespoir, pour vsurper en traistre, Vn Estat desolé qui n’aura plus de Maistre, Si j’ay la bouche close, & les sens interdis, C’est par l’enormité du crime de mon fils ; L’action me parest & si lasche & si noire, Que d’vn autre que vous j’aurois peine à la croire. Quoy donc l’ingrat vous fuit, il est méconnoissant, D’vn honneur dont l’éclat le rendoit si puissant ? En quelque part qu’il aille, il perira, Madame, Quel lieu pourroit seruir d’Azile à cét infame ? Où fuira-t’il, le traistre, est-il Prince estranger, Qui n’embrasse auec soin l’honneur de vous venger ? S’il paroist à mes yeux, Princesse, je vous jure, Que ma main dans son sang lauera cette injure, Sa mort est resoluë, ouy, cette propre main, De cent coups de poignard luy percera le sein. Ie ne veux point sa mort, vous estes trop seuere, Comme je suis amante, enfin vous estes Pere, Ce seroit bien assez s’il me faisoit sentir, De son ingratitude vn leger repentir ; Qu’il vienne en suppliant, sa faute est pardonnée, Qu’il demande sa grace, elle est enterinée : A ce sanglant affront qu’on a fait à mon rang, Eussiez-vous, dittes moy, reconnu vostre sang ? Eussiez vous jamais creu qu’vne amitié si rare, Eust peu trouuer vn cœur si dur & si barbare ? Que celuy que j’auois jusqu’au trosne éleué. Ah l’ingrat, le perfide.         Astolfe s’est treuué, Madame,     Astolfe ?     O Dieux !         Qu’il approche, qu’il vienne, L’ingrat,         Quelle disgrace est pareille à la mienne. Sa presence a d’abord dissipé mon courroux. Dissimulez, mon fils, ou vous nous perdez tous. Que son visage marque vne horrible tristesse. Vien-ça meschant, dy moy, connois-tu ta Princesse ? Sçais-tu ce qu’elle peut, & ce que tu luy dois, Puis que nature enfin t’a soumis à ses loix ? De ce juste deuoir perdant la connoissance, Auecque ma raison j’oublirois ma naissance. Estant né son sujet tu ne peux ignorer, Qu’auecque tout respect, tu la dois honorer, Mais sçais-tu que tu dois à sa bonté supresme, Plus qu’à sa qualité, s’il est vray qu’elle t’aime, Et qu’elle ait dedaigné des Princes & des Rois, Pour s’arrester à toy par vn indigne choix ? Parle donc.         Ouy, Seigneur je sçay toutes ces choses. Cependant à ce chois on dit que tu t’opposes. Dy traistre, à son vouloir ne t’és-tu pas sousmis, Et te souuiens-tu pas de ce que tu promis ? Veux-tu pas l’espouser ?         S’il est en ma puissance, I’ay les mesmes respects, la mesme obeïssance. De ce tresor diuin je seray possesseur, Si vous me l’ordonnez.         Quoy meschant, de ta sœur ? L’extrauagance est grande, & je ne la puis taire, Il dit qu’il ne le peut, & qu’il n’en veut rien faire. Quoy l’insensé mesprise & mon Sceptre & ma foy. Ah c’est trop en souffrir, à moy gardes, à moy, Qu’on l’enferme en la tour, que le traistre y perisse. Cét ordre rigoureux est tout plein de Iustice, Madame, hola.     Seigneur.         Injuste effet d’amour. Saisissez vous de luy, menez le dans la tour, Et nous en respondez.         Dieux cét ordre m’estonne. Faittes ce qu’on vous dit, la Princesse l’ordonne. Ouy, ouy, c’est par mon ordre, asseurez-vous de luy. Rendez moy vostre espée.         Ah j’en mourray d’ennuy. Prenez la.     Suiuez moy.         I’obeis sans murmure. Cette rigueur, mon Pere, offence la nature, Si je n’ay point failly, Dieux par quelle raison, Marche, ton seul salut consiste en ta prison. Suiuons auec respect l’ordre de ma Princesse. Cette sousmission rappelle ma tendresse, Que j’ay peine à souffrir cette extresme rigueur, En luy faisant outrage on m’arrache le cœur ; Hola, ramenez moy cette ame criminelle, Ie le veux voir à part, ce meschant, ce rebelle, Ie veux l’interroger, car je n’ay pas compris, D’où peut naistre pour moy cét injuste mespris. Grands Dieux, qu’enten-ie icy, puis-je éuiter ma perte, Si par sa bouche enfin la chose est découuerte ? Approchez, malheureux, parlez volage amant, Qui feigniez autrefois d’aimer si constamment ; Quel plaisir auez vous de m’auoir offencée ? I’aimerois mieux mourir qu’en auoir la pensée. Ingrat, s’il est ainsi, pourquoy refusez-vous, De partager mon Sceptre, & d’estre mon espoux ? Refuser vn tel bien, le mespriser, Madame ! Ah sauuez mon honneur, de cét injuste blâme. Pourquoy donc me quitter, à quoy bons ces adieux ? Pourquoy si brusquement sortir en furieux ? Car enfin, malheureux, vous m’auez delaissée, Croyez vous l’auoir fait sans m’auoir offencée ? D’où naist ce grand soupir, reprenez vos espris, Astolfe, si l’on vient à sçauoir vos mespris ; Aprés tant de bienfais, tant d’amour, tant d’estime, Si l’on peut seulement soupçonner vostre crime ; Vostre mort est certaine, ouy, vous esties perdu, Songez donc mieux, Astolfe, au respect qui m’est deu, Quand bien vous oubliriez vos tendresses passées, Ou que vous les auriez de vostre ame effacées. Ie jure, & vous verrez l’effet de mon serment, Si vous ne promettez, mais determinement, Que par vous de mon choix la loy sera suiuie, Auant la fin du jour ; vous en perdrez la vie. Si mon Pere y consent de bon cœur, je le veux ; Et ma plus douce gloire est d’accomplir vos vœux. Qui peut l’en empescher ?         Sçachez-le de sa bouche, L’obstacle vient de luy, car pour ce qui me touche, Ie jure par l’éclat qui sort de vos beaux yeux, Que j’ay plus de respect pour vous, que pour les Dieux : Que je vous aime plus mille fois que ma vie, Et que suiure vos loix est mon vnique enuie. Duc, que vins-je d’entendre, & qu’ay-je découuert, Pour me joüer tous deux, seriez vous de concert ? D’où vous naist cette humeur ou bizarre, ou jalouse, Il ne tient plus qu’à vous, dit-il, qu’il ne m’espouse, O Dieux ! le méchant homme, ô l’esprit dangereux, Ne tiendroit qu’à moy ! l’as tu dit malheureux : Eh songe à nostre honneur, songe à ta conscience, Et tasche d’oublier cette horrible alliance. Ce grand mal dans mon ame est trop enraciné, Ie n’en sçaurois sortir, je suis trop enchesné. Voyez l’extrauagance où l’emporte sa rage, Il ne dit pas vn mot qui ne tende à l’outrage ; Ah, nous le chastirons cét insolent mocqueur, Qui déguise sa langue aussi bien que son cœur. Découurez, s’il se peut, d’où naist sa frenesie, Et si quelqu’autre objet trouble sa fantaisie. Rappellez vos espris, mon fils, songez à vous : Et des Dieux irritez éuitez le courroux. Peuuent-ils condamner vne si sainte flâme ? Mais elle est vostre sœur, la voudriez vous pour femme ? Ouy, puis que de ce mal je ne sçaurois guerir : Ie voudrois l’espouser, & puis apres mourir. N’attens que la moitié d’vn souhait si funeste, Demon incestueux, n’espere pas le reste, Pressé sur cét hymen, l’ingrat m’a respondu, Qu’il aime mieux mourir.         Ie l’ay bien entendu, Mourir ? Ah c’est vn songe, & je ne le puis croire, Quoy preferer la mort à ton bien, à ta gloire, Méchant ! quoy je te suis vn objet odieux ? Qu’on l’enleue d’icy, qu’on l’oste de mes yeux ; Qu’on l’entreine en prison cét objet de ma haine, Qui croid impunement brauer sa Souueraine, Gardes qu’on s’en saisisse.         Ah dure extremité. Monstre d’ingratitude & d’infidelité. Helas vous sçauez bien mon Pere.         Quoy, barbare ? Souffrez que je luy parle auant qu’on m’en separe. Non non, tu ne ferois qu’augmenter ses douleurs, Viste emmenez ce traistre autheur de nos malheurs, Gardes ne souffrez pas qu’il parle dauantage. Duc, vous nous respondrez de cét esprit volage : Il a voulu la mort, mais j’en auray le choix ; I’entens qu’il soit jugé dans la rigueur des loix. Vous m’estonnez, Beralde, Astolfe ose m’escrire ? Pour se justifier.         Et que me peut-il dire ? En ouurant ce pacquet qu’il vient de me donner, Vous ne le pourrez plus de crime soupçonner ; Va, m’a dit en pleurant ce captif miserable, Va trouuer ma Princesse, elle me croid coupable, Mais ouurant ces billets, & jettant l’œil dessus, Dy luy que dans son cœur je ne le seray plus, Pour la derniere fois je prens cette licence, Et je n’y suis forcé que par mon innocence. Quelle innocence, ô Dieux. Hé bien voyons que c’est, Et si j’ay mal iugé reuocquons nostre Arrest. Mais je voy deux billets écrits. A la Princesse : Ie croy que c’est à moy que ce premier s’addresse, Lisons. Vous cependant, allez, mais promptement Me chercher Isabelle en son appartement. Lettre d’Astolfe à la Princesse. Si deuant que me condamner, Vous lisez cét escrit qui me vient de mon Pere, Madame, vous aurez quelque peine à le faire ; Et vous me pourrez pardonner. Sa juste violence a borné mes souhaits, Ie pars pour esuiter le blâme, Et sors de vos Estats pour n’y rentrer jamais, Iugez de la douleur que doit souffrir mon ame. Ce sens est bien obscur, ouurons l’autre, & voyons S’il n’esclaircira point ce que nous ignorons. LETTRE DV DVC DE CARDONNE A ASTOLFE. Qvand j’ay souffert, mon fils, qu’on vous fist violence, Ie me la faisois plus qu’à vous, Et contre vostre resistance, Ie n’ay monstré qu’vn feint courroux. Receuez cette clef d’vne porte secrette, Que vous verrez dans le pié de la tour, Derobez vous auant le jour, Et dans Paris, cherchez vostre retraitte, Vostre sœur trop facile à vous donner sa foy, Doit gesner vostre esprit d’vne peine terrible, Ce crime noir m’est bien sensible, Quoy qu’il ne soit sceu que de moy. Fuyez, mon fils, & s’il vous est possible, Oubliez vne amour horrible, Que ie regarde auec effroy. Dans vn gouffre nouueau cette lettre me plonge, Ay-je leu, justes Dieux, ou si j’ay fait vn songe. Ah ! si j’ay veu l’horreur dont je me sens fremir, D’vn sommeil eternel puissé-je icy dormir, Mais d’vn sens plus rassis relisons cette lettre, O Ciel tu vois son crime, & tu l’as peu permettre, De ton foudre vangeur fait il si peu de cas ? Il gronde sur ce monstre, & ne l’escrase pas : Ciel tu le laisses viure, & ta vaine tempeste Se perd sur des rochers pour espargner sa teste. Vostre sœur trop facile à vous donner sa foy, Doit gesner vostre esprit d’vne peine terrible ? Fuyez, mon fils, & s’il vous est possible, Esuitez vne amour horrible, que ie regarde auec effroy. La chose est trop visible, il a seduit sa sœur, Pour elle il m’abandonne, il en est possesseur ; A sa seule Princesse il n’a pas fait iniure, Ce monstre auec l’amour outrage la nature. Il estalle son crime, il me le fait sentir, Et croid en estre quitte auec vn repentir. Mais, je la voy venir cette impudique femme, Qui m’a volé le cœur de cét Amant infame. Auez vous bien le front de parestre en ces lieux, Ostez vous, miserable, ostez vous de mes yeux. Ie ne puis sans pleurer la voir ainsi troublée, Ie souffre les douleurs dont elle est accablée, Et je serois sans cœur l’aimant si tendrement, De ne tesmoigner pas ce grand ressentiment. Ah ! je voy de ces pleurs la source criminelle ; Sa douleur la conuainc ; vous pleurez, Isabelle, Mais vous blamez en vain les Astres rigoureux, Enfin il est party ce frere malheureux. Il est party, Madame, ah l’infame, ah le traistre. Et ces emportemens que vous faittes parestre, Ces larmes, ces souspirs, ce visage interdit, Ne confirment que trop ce qu’on m’a déja dit ; Ce discours, Isabelle, est facile à comprendre, Mais vous feindrez encor de ne le pas entendre, Sans donner auec art le change à vos douleurs : Pleurez vostre disgrace, & vos propres malheurs, Plus que l’esloignement de ce frere barbare, Que dit-elle, grands Dieux, son jugement s’égare, D’où vient que son venin rejaillit jusqu’à nous, Qu’est cecy, ma Princesse, où vous emportez vous, Deuez vous jusqu’à moy porter vostre colere ? Connoissez cette lettre.         Elle est du Duc mon pere. Lisez-la, malheureuse, & voyez si j’ay tort, De detester l’horreur d’vn si funeste sort. Vostre sœur trop facile à vous donner sa foy, Doit gesner vostre esprit d’vne peine terrible, Ce crime noir m’est bien sensible, Quoy qu’il ne soit sceu que de moy, Plus je ly cette lettre, & moins je sçay comprendre, Quel est ce sens caché que vous croyez entendre. De ce grand coup de foudre elle a l’esprit frappé. Ie viens vous aduertir qu’Astolfe est eschappé. Commandez promptement qu’on courre apres ce traistre, I’en suis fort innocent, pour le faire connestre, Ie consens qu’on l’ameine en ce lieu vif ou mort, Qu’il meure s’il resiste, & fait le moindre effort. Duc, il n’est pas besoin qu’on prenne tant de peine, Ordonnez qu’on le sauue, & non pas qu’on l’ameine. Connoissez cette lettre, elle est de vostre main, Vous auez ignoré sa fuitte & son dessein, Vous n’y trempez en rien, l’osez vous dire encore ? Puis qu’enfin vous sçauez son crime que j’abhorre, Puis que vous connoissez son malheur & le mien, Madame, il ne faut plus qu’on vous deguise rien, De cette fuitte donc ne soyez point troublée, Vous auez tout sujet d’en estre consolée. Consolez vostre fille, apres vn tel malheur, C’est elle qui doit seule en mourir de douleur. Qu’enten-je icy, grand Dieux ! on s’emporte, on m’outrage, Ah, Seigneur, hastez vous de calmer cét orage, Expliquez vostre Lettre, & la tirez d’erreur ; Ce fol emportement me fait fremir d’horreur. Ie n’ay rien déguisé, ma lettre est veritable. Quoy d’vn crime si noir, vous me croiriez coupable ? Cassandre est seule à pleindre, & son sort rigoureux, Deshonore auec-elle vn Pere malheureux, Puis que la verité ne se sçauroit plus taire, Sçachez qu’elle est ma fille, & qu’Astolfe est son frere. Moy je suis vostre fille ?         Ouy j’en jure les Dieux. Croyez vous qu’il en soit, esprit pernicieux ? Dans vne fausseté l’on vient de vous surprendre, Imposteur, qu’est-ce encor qu’on me veut faire entendre, Moy je suis vostre fille ?         Ouy, Madame, escoutez Vn recit surprenant, mais plein de veritez, Ouy vous estes ma fille, encor je vous le jure, Iuriez vous pas n’aguiere, esprit fourbe & parjure, Qu’Astolfe de la Tour sans vous estoit sorty ? Et j’auois vostre escrit qui vous a dementy, Vous m’osez soustenir apres qu’il est mon frere, Mon cœur qui vous dement m’asseure du contraire. Il est grand, il est ferme, il est noble, il est franc, Astolfe est fourbe & lasche, il n’est point de mon sang : Et je sens malgré vous que j’ay toutes les marques, Que la nature imprime en l’ame des Monarques. Ne vous emportez pas, Madame, examinez, D’vn esprit plus rassis, ce que vous condamnez, Si ce que je vous dis estoit vne imposture, Il faudroit auant moy condamner la Nature, Ce que j’oste à mon fils prouue assez clairement. Qui donc m’oste le sceptre ?     Isabelle,         Et comment ? Quand elle vint au monde elle y vint languissante, Et la frayeur qu’on eut en la voyant mourante, Faisant parmy les grands vn dangereux éclat, Fit qu’on vous supposa pour le bien de l’Estat, Auec plus de santé mesme jour estant née ; Par D. Bernard & moy vous fustes promenée, Au Camp parmy nos Chefs qui déja reuoltez, Cherchoient sur cette mort party de tous costez. Ainsi l’on fut contraint apres la mort du Prince, D’abandonner son sang pour sauuer sa Prouince, La Princesse guerit, mais on n’osa toucher, A ce change fatal qu’on me va reprocher, Non pas pour l’auoir fait lors qu’il fut necessaire : Mais pour auoir depuis manqué de le défaire, En laissant à ma fille vn injuste pouuoir, I’ay trahy mon honneur, j’ay trahy mon deuoir ; I’ay trahy ma Princesse, & j’ay trahy l’Empire, Aussi triste & confus chez moy je me retire, Et n’ay plus en ce lieu de conseils à donner, Qu’on pourroit d’injustice encore soupçonner. Ce grand coup me surprend, mais plus qu’il ne m’estonne, Ie deuois perdre ensemble Astolfe & la Couronne. Destins qui vous plaisez à me persecuter, Nous sçaurons sans foiblesse & sans nous emporter, Souffrir vostre colere & brauer vostre haine, Malgré vous sur mes sens je seray Souueraine, Et je vous confondray par cette fermeté, De m’auoir fait vn trosne & me l’auoir osté. Quand vous le cederiez apres ce tesmoignage Madame, malgré vous nous vous rendrions hommage. Non, non, il faut ceder aux loix que nous suiuons, Il faut rendre justice à qui nous la deuons, Le Duc nous a dit vray, déja je m’en console, Mon malheur me le prouue autant que sa parole. Auroit-il refusé qu’vn fils qu’il aime tant, Receust auec mon cœur vn honneur éclattant, Dans cette ambition qu’on void qui le transporte, Si nature en son cœur n’eust esté la plus forte ? Il m’a laissé regner tant que son attentat, Et son ambition n’ont blessé que l’Estat, Mais il n’a peu laisser durer cette imposture, Au moment qu’il a veu qu’on blessoit la nature. Quoy qu’il aimast sa gloire & son authorité, Par l’horreur de l’inceste il s’est espouuenté, Sa retraitte fait voir fuyant le diademe, Qu’il aime la justice encor plus qu’il ne s’aime, Que la pieté borne vn cœur ambitieux, Et que qui ne craint rien, craint quelquefois les Dieux. Faittes dans le Palais assembler la Noblesse Mon Pere, il faut ceder, voicy nostre Princesse, Il faut la replacer dans ce trosne vsurpé, Que trop injustement nous auons occuppé. Ie vay vous obeïr.         Dans cette obeïssance, Vous allez voir finir mon regne, & ma puissance : Et vous verrez, Princesse, en vous la remettant, Et mesprisant du sort le caprice inconstant Dans ma sainte retraitte où ma gloire se fonde, Combien je la prefere à la gloire du monde. Conseruez vous, Madame, en l’estat glorieux, Que vous m’abandonnez contre le gré des Dieux : Pour vn si grand éclat je ne me sens pas née ; Connoissez vos vertus, qui vous ont couronnée Plus que vostre fortune, & vous font meriter Ce haut dégré de gloire où ie n’ose monter. Toute la Catalogne en est déja charmée, Puis qu’à vos douces loix elle est accoustumée, Ne désesperez pas des sujets bien-heureux, Qui sont si iustement de leurs fers amoureux. Quand vous embrasseriez cette sainte retraitte, Ie vous y voudrois suiure encor comme sujette : Vous ne pouuez quitter l’Estat sans le trahir, Ny me faire regner sans me faire hayr. Prenez des sentimens, genereuse Isabelle, Plus dignes de la gloire où le Ciel vous appelle, En vous cedant l’Estat, ie ne vous cede rien, C’est restitution, ie vous rends vostre bien : Mais vous cedant Astolfe, il faut que ie confesse, Que ie vous cede tout, excusez ma foiblesse ; Ie ne puis me defaire encor du sentiment, Qu’inspiroit dans mon cœur vn si parfait Amant, Il le fut dés l’enfance, & ne le considere, Que depuis vn moment en qualité de frere. Ie renonce à ce bien que vous me presentez ; Et m’arreste, Madame, où vous vous arrestez. Enfin, vous connoissez qu’Astolfe est vostre frere ; Mais ie l’ay creu le mien, & ne puis me defaire De certains mouuemens qui viennent malgré moy M’effrayer de l’horreur que i’aurois de sa foy. Ce scrupule est bien juste, & s’il gesne vostre ame, Moncade est vostre Amant, bornez vous à sa flâme, Enfin, vous estes libre, & vous pouuez choisir, Celuy qui charmera le plus vostre desir. Pour nostre souueraine, on va vous reconnestre ; C’est à vous maintenant à nous donner vn maistre ; Et quand vous choisirez ce bien-heureux Espoux, Ie seray la premiere à flechir les genoux, On fait dans le Palais assembler la Noblesse ; Rentrons, non non, passez vous estes ma Princesse. Ie viens vous aduertir qu’Astolfe est de retour, Que D. Bernard est libre, & le rameine en cour Malgré luy.         Dom Bernard ? l’a-t’il pû reconnestre? Il m’a plûtost connu, qu’il n’a connu mon maistre. Bernard depuis quinze ans detenu ?         Les Voicy ? Où s’est fait leur rencontre ?         A mille pas d’icy, Voyant quel desespoir l’emportoit vers la France, Il la fait reuenir auecque diligence, I’en ay fait aduertir le Duc diligemment, Et suis vers vostre Altesse accouru promptement. He bien, nous les verrons auecque la Noblesse, Pourray-ie bien le voir sans monstrer ma foiblesse ? Pourquoy me ramener malgré moy dans ces lieux ? Nous allons contenter vostre esprit curieux, Ie vay vous détromper, Astolfe, & vous surprendre ; Mais ie le dis encor, si le Duc & Cassandre Ne prennent comme vous part à cét entretien, Vous me pressez en vain, je ne vous diray rien. Qvoy mon fils de retour.         La chose est tres certaine. Et le vray D. Bernard malgré luy le rameine ? Captif depuis quinze ans, il reuient en ces lieux ? Ouy, Seigneur, les voicy.         Quel bon-heur, justes Dieux ! Ne suis-je point deceu par vne fausse joye, Est-il vray, cher amy, qu’encor je vous reuoye ? Embrassez moy, mon fils, vous venez à propos, Pour rendre à nos espris le calme & le repos. Et pour combler le mien d’ennuis & de disgrace, Toute nostre noblesse est déja dans la place, Et je croy, D. Bernard, que vous ne sçaurez pas, Pourquoy nous assemblons icy tous les Estats. Astolfe en reuenant m’en a dit quelque chose, Et je sçay son chagrin dont il m’a dit la cause. Voici Cassandre, ô Dieux ! le puis-je encore reuoir, Cét objet de ma rage & de mon desespoir, Cette sœur que j’adore ?         Ah ! tout le cœur me tremble, Puis-je bien voir mon frere, & mon Amant ensemble ? Ainsi que nostre cœur destournons-en nos yeux, Forçons vn mouuement qui blesseroit les Dieux. Et bien, mon Pere, enfin, sont-ils prests à parestre, Ces Estats assemblez pour receuoir vn Maistre, Et pour voir couronner plus solemnellement, Celle à qui cét Estat appartient justement. Ouy, Madame, au Palais ils viennent tous se rendre. Ils vont voir ma justice, elle les va surprendre, Et je me réjouis de voir que Dom Bernard, Chez nous se trouue libre afin d’y prendre part ; Sortez de mon esprit vanitez passageres, Trosnes, Sceptres, Grandeurs, vous m’estes des chimeres : Ie ne vous connoy plus foiblesses des mortels ; Et je n’aspire plus qu’à l’honneur des Autels, De ce fais dangereux j’auois l’ame accablée. Auant que la Noblesse icy soit assemblée, Madame, & qu’on s’explique en presence de tous, I’ose vous demander audience entre nous. Ce n’est plus, D. Bernard, à moy qu’on la demande ; Et voicy maintenant celle qui nous commande, Ie m’en vay luy remettre & Sceptre & dignité. Maintenez vous, Madame, en vostre authorité : Ne plaise aux justes Dieux qu’elle vous soit rauie, Ny qu’on perde l’éclat d’vne si belle vie, A vous seule appartient de regner justement, Le Duc vous croit sa fille, & le croit vainement. Dieux que me dittes vous ?         Vne verité pure, Et quand vous aurez mieux consulté la nature, Et gousté mes raisons, vous le sentirez bien. Astolfe en ce cas là ne me seroit donc rien ? Non, Madame, escoutez, s’il vous plaist vne histoire, Qui vous surprendra tous.         Quel moyen de vous croire, Dittes moy, Dom Bernard, ne m’aydastes vous pas, A supposer l’enfant qui finit nos debas ? Ouy, Duc, j’y consentis, le mal de la Princesse Mettant l’Estat en proye, ouy, je vous le confesse, Mais vous vous souuiendrez, quand pour la garantir, De l’air contagieux j’eus ordre de partir Du camp, qu’auec l’Enfant que nous mismes au trosne, Ie menay la malade encore à Barcelone. Quand je la vy guerie, & vous toûjours absent, Dans son rang je remis cét Enfant innocent, Iugeant qu’on ne pourroit discerner, ny connestre, Au retour, deux Enfans qui ne faisoient que naistre. Les nourrices & moy fismes secrettement, Vn juste coup d’Estat faisans ce changement : Car on n’eust peu laisser dans le trosne sans crime, Celle qui n’en fut pas Maistresse legitime. Vous reuintes enfin, & ne manquastes point, Me faisant confidence encore sur ce point, Et croyant que Cassandre encor fust vostre fille, De me parler toûjours d’interests de famille, Car vous m’auiez promis auant vostre retour, Qu’Astolfe espouseroit ma fille quelque jour. Croyant qu’on m’abusoit auec cét artifice, Et que l’ambition causoit cette injustice, Qui vous faisoit sortir des bornes du deuoir, I’entretins vostre erreur, craignant vostre pouuoir. Vous me faittes vous mesme vne injustice estrange, Vous sçauez qu’on n’osa toucher à cét échange, Voyant tant de mutins, & tant de mécontens. Ce furent vos raisons, & qu’il n’estoit pas temps, Enfin quoy qu’il en soit, je n’osé vous rien dire, Et vous laissay flatter des douceurs de l’Empire, Quand dans ce grand traitté qu’on commit à ma foy Le Roy de Portugal ne demandant que moy, Le Conseil m’engagea dans ce cruel voyage, Qui m’a cousté quinze ans de peine & d’esclauage : Car je fus pris sur mer & mené dans Tunis, Où l’on m’a fait souffrir des tourmens infinis ; Tant que le nouueau Roy moins dur & plus auare, Que feu son Pere Acmat qui me fut si barbare, Pour ses vaisseaux qu’on prit dont je fus le martir, A receu ma rançon, & m’a laissé partir. Estant mon Gouuerneur, & craignant la regence, Du Duc dont vous voyez l’éclat & la puissance, Comment me laissiez vous sous son authorité ? Ie n’avois rien à craindre en cette extremité : Car vous croyant sa fille auec le diadesme, Il n’eust peu vous manquer, sans manquer à soy-mesme ; Sur cette confiance enfin je m’embarqué Et comme je pouuois sur mer estre attaqué, Preuoyant que de plus en vn si long voyage, Ie pouuois estre pris, ou bien faire naufrage, Duc, s’il vous en souuient, je fis mon testament, Que je creus vous pouuoir laisser confidamment. Il m’en souuient fort bien, & j’ay vostre Cassette. Faittes-la donc venir, vous serez satisfaitte, Madame, en la voyant, de ma fidelité, Elle ne contient rien que cette verité Qu’alors je n’osé dire, & que je ne pus taire, Au lieu du testament, que je feignis de faire. La justice du Ciel visiblement parest, Dans ce procedé franc où je prens interest, Elle eust paru toûjours apres vostre voyage, Si vous m’eussiez plustost rendu ce tesmoignage, Que j’en eusse eu de joye.         Oublions le passé Sans condamner l’erreur où l’on vous a laissé, Vous auez dignement gouuerné ma Prouince, A vostre Sang Illustre elle deuoit vn Prince, Au lieu d’vne Princesse, aussi veux-je donner, Mon Sceptre à vostre fils que l’on va couronner : Et puis que l’on n’a peu couronner Isabelle, Ie partage ma gloire & mon cœur auec elle, Et luy donne Moncade.         O ! regne heureux & doux. O bonté sans exemple.         On n’attend plus que vous, Madame.         Allons, Moncade, on vous a fait justice : Car de Beralde enfin on a sceu l’artifice, Isabelle auoit creu que vous pensiez à moy : Mais elle est detrompée, & reçoit vostre foy. Croiray-je ce miracle !         Ouy, vous le deuez croire. Aux douceurs de l’amour faisons ceder la gloire, S’il est vray que nos vœux ne soient pas mesprisez. Beralde auant partir nous a desabusez, Si mon Pere y consent, que vostre peine cesse. Ie veux auec plaisir ce que veut ma Princesse. Allons, puis que le Ciel nous veut fauoriser, Et consoler Dom Pedre & le desabuser. S’il sent bien les douceurs que le Ciel nous enuoye, Il noira ses douleurs dans la publique joye. Puis que tous nos Estats enfin sont assemblez, Allons rendre le calme à leurs espris troublez. Suiuez moy, hastons nous de leur donner vn Prince ; Et par ce digne choix rasseurons la Prouince.