Enfin tu ne peux plus différer de me dire, Le sujet important qui cause ton martyre, Et quelle occasion t’oblige de chérir, Ces Tarentins pressez, que tu viens secourir. Nous voila parvenus dans la Ville assiégée; Avant que d’aborder la Princesse affligée, De grace, éclaircy moi, favorise mes voeux, Dy moi ce qui nous meine.         Hydaspe, je le veux, Puisque je l’ay promis, il faut que je seconde Le desir de l’amy le plus discret du monde; Qui vivement touché de la peine où je suis, Ainsi que mes honneurs, partage mes ennuis: Mais amy, je ne puis contenter ton envie, Sans faire en abrégé l’Histoire de ma vie. Marchons vers le Palais tousjours au petit pas, Cependant Claridan, dispose nos Soldats, Rends de ces Calabrois l’entreprise inutile, Je te commets le soing du salut de la Ville, Qui pleint son brave Chef, perdu parmy les morts, Et qui n’espere plus en rien qu’en nos efforts, Jette les yeux par tout, tourne, et veille sans cesse, Tandis que nous irons visiter la Princesse. Vous pouvez sur mes soins reposer seurement. Puisque tu veux sçavoir l’estat de mon tourment, Et pourquoy retourné d’Afrique en la Sicile, J’en suis party soudain, pour sauver cette Ville, Par le congé du Roy, qui secondant mes voeux, M’aime au point que tu sçais, et veut ce que je veux, Apren cher confident, que depuis trois années, Par le vouloir du Ciel, & de mes Destinées, J’avois donné mon ame au Prince généreux, Qui n’aguère régnoit en ce lieu mal-heureux; Nous sentans presque égaux, d’esprits, de moeurs, & d’aages, J’avois gaigné son coeur en cinq ou six voyages, Que par l’ordre du Roy, ton Seigneur, & le mien, J’ay fait pour les unir par un ferme lien. Alors non seulement en des faveurs si grandes, J’obtins de luy l’effet de toutes mes demandes: Mais par son coeur encore il voulut m’acorder Un présent, que je n’eusse osé luy demander. Phalante, me dit-il, tu sçais que d’ordinaire, On nous peint la Fortune inconstante, et legere, Tu sçais que sa faveur s’écoule incontinent, Et qu’on ne void rien d’elle icy de permanent. Si jamais l’amitié de ton Roy t’abandonne, Vien partager icy mes biens, & ma Couronne. Je te jure, Phalante, une immuable foy; Depuis que je t’ay veu, mon coeur n’est plus à moy: Ta Vertu m’a charmé, je ne m’en puis deffendre, Tant que tu traicteras, ton Maistre n’a qu’à prendre; Tu m’as fait tout signer, comme il l’a résolu, Mes Estats seroient siens, si tu l’eusses voullu. A ce ressouvenir, Hydaspe, je me pâme, Je perds, en le perdant, la moitié de son ame; Dans mon deüil aujourd’huy rien ne peut m’égaller, Et rien dans ce mal-heur ne me peut consoler. Ce Prince, je l’advoüe, avoit beaucoup de charmes, Et cette grande perte est digne de tes larmes; Mais ton grand coeur, Phalante, invincible d’ailleurs, Veut-il se laisser vaincre à ses propres douleurs? En pleurant ton amy, veux-tu cesser de vivre? Pleust au Ciel que mon Sort m’eust permis de le suivre! Escoute, & tu verras que tant qu’il fut vivant, Son amitié pour moy passa bien plus avant: Par là tu jugeras du mal qui me transporte. Voullant s’unir à moy d’une chaine plus forte, Et que ce nom de Frere, entre de si doux noeuds, Fust avecque raison commun entre nous deux, Il voulut l’asseurer par la foy d’Hymenée; De ses deux Soeurs, Hydaspe, il me promit l’Aisnée, Mais j’avois pour la jeune, une secrette ardeur, Et ses yeux, où regnoient l’Amour, & la Pudeur, Sembloient si bien répondre à ma naissante flame, Que seuls ils eurent droict d’assujettir mon ame. Sans incivilité, je pouvois consulter, Sur l’honneur qu’il m’offroit, avant que l’accepter, Veu que j’avois un Maistre, et que sans sa licence, Je n’eusse ozé conclure une telle allience. Dans ce ressentiment, je marquay mes transports, Le respect me fournit des termes assés forts; Et je me composay de sorte, qu’ Iolante, Remarquant dans mes yeux cette ardeur violante, Où l’Amour de sa Soeur m’avoit precipité, L’imputa faussement aux traits de sa beauté. L’Amour tient cependant Liliane avertie, Qu’elle avoit de mon coeur la meilleure partie, Que j’estois son esclave, & que je n’aspirois Qu’a l’immortel honneur de vivre sous ses lois. Je touche au but, Phalante, & comprens le mistere, Tu viens servir la Soeur, aussi-tot que le Frere, Cette jeune merveille attire icy nos pas, Ton coeur asseurement languist dans ses appas. Suspend ton jugement, & si tu ne te lasses, Du recit ennuyeux de mille autres disgraces, A qui je fus en butte, accorde moy ce point, Escouttes en la suitte, & ne m’interromps point. Sur le point qu’ Iolante entroit en frenesie, Que nos feux mutuels fondoient sa jalousie, J’eus ordre de partir, non sans beaucoup d’ennuy; Ce Duc des Calabrois, qui nous presse aujourd’huy, Tenant comme tu sçais, des terres en hommage, Du Roy, qui justement redoutoit son courage, Je fus en Ambassade envoyé dans sa Cour, Où je fus obligé de faire un long sejour. Las! de mon sort bizarre admire le caprice, Je n’eu pas si tost veu sa fille Berenice, Cette rare Princesse, à qui cent Potentats, Ont consacré leurs coeurs, ainsi que leurs Estats, Ce miracle d’Amour, devant qui tout s’incline, Que me voila charmé de sa beauté divine; Et ce puissant Objet voulut m’oster du coeur Celuy de Liliane, & s’en rendre Vainqueur; Mais ce fort assailly, tenoit encor pour elle, Dans ma legereté je me trouvois fidelle; Et quand j’examinois ces deux charmes puissants, Tantost l’un, tantost l’autre, avoit droit sur mes sens. Toutefois Berenice estant la plus parfaite, Par la decision qu’Amour mesme en a faite, Il sembloit que mon ame errante en divers lieux, Inclinast davantage aux attraits de ses yeux. Un secret mouvement, que je ne pû comprendre, Apres un long combat, me força de me rendre: Son accueil obligeant, sa grace, & ses discours, Firent naistre en mon coeur mille nouveaux amours; Avecque nos desirs, nos yeux se rencontrerent, Qui de coups mutuels, nos ames penetrerent. Mais quoy que de ce feu je visse la grandeur, Je m’arrestois encore à ma premiere ardeur, Et conservois en moy certaines estincelles, Qui ne se perdoient point dans des flames si belles. Bizarre coup du Sort! étrange effet d’Amour! Ce dernier feu poûrtant croissoit de jour en jour; J’en voyois la lumiere, & j’en sentois la flame, Qui petit à petit s’allumoit dans mon ame. De mille attraits nouveaux, je me trouvois charmé, J’étois égallement, Amant, & bien-aimé; Et cette incomparable, & divine Princesse, A sa chaste amitié méla tant de tendresse, Qu’enfin ce rare Objet occupant mes esprits, M’eust fait avoir le Ciel, & le monde à mépris; Je la sollicitay d’accomplir l’Hyménée; Mais comme pour l’honneur cette Belle estoit née, Quoy qu’elle m’aimast fort, elle me fit sentir, Que son coeur à ce point ne pouvoit consentir. Phalante, me disoit cette aimable Princesse, Ce qui paroist de toy me plaist, je le confesse; Et si je n’estimois un si parfait Amant, Je serois sans courage, & sans ressentiment: Je ne rougiray point d’advouer que je t’aime, Et je croy que je suis maîtresse de moy-mesme, Et s’il m’est bien-seant de choisir un Espous, Je te donne la foy, je te prefere à tous; Mais puisque je depens des volontez d’un Pere, C’est en luy seul qu’il faut que ton amour espere. Tu vois qu’il te cherit, qu’il fait ce que tu veux; Flatte donc son humeur, Phalante, tu le peux, Rends, comme ta vertu, ta flame renommée, En un mot, charme-le, comme tu m’as charmée; Et s’il ne tient qu’à moy que tu ne sois heureux, Tu surmonteras l’heur de tous les Amoureux. Ainsi vivoit pour moy la chaste Berenice, Quand le sort ennuyé de m’étre si propice, Me vint séparer d’elle, avec ordre du Roy, De passer en Afrique, ou tu vins quant & moy. Je ne t’exprime point nos regrets, ny nos larmes, Juge de ma douleur par l’excez de ses charmes: Autant que m’occupa la guerre dans ces lieux, Cette Image toûjours fut presente à mes yeux. Tant que je fus absent de cette belle idée, Je sentis nuit & jour, mon ame possédée. Mais dans ce long sejour, je fus si malheureux, Que mon meilleur Amy s’en rendit amoureux; Et comme il ignoroit le secret de ma flame, Il enleva bien tost ce tresor de mon ame. Quoy? sans t’en advertir, la Belle se rendit, Et ne résista point?         L’honneur lui défendit; Et puis le Duc son pere en ce Prince admirable, Des partis qui s’offroient trouvant le plus sortable, Il le voulut d’abord aux autres preferer, Sans consulter sa Fille, & sans deliberer. D’ou vient donc qu’il luy fait une guerre mortelle? Voicy comme on m’écrit qu’arriva leur querelle, Le Duc des Calabrois, à certain jour precix, S’obligea par contract au Prince son beau fils, De livrer en ses mains, apres le mariage, Trois places qu’il avoit dedans son voisinage: Ce jour estant venu, ceux qui les commandoient Refuserent d’ouvrir; parce qu’ils attendoient, Nouvel ordre du Duc: ce refus temeraire, Du Prince de Tarente excita la colere: Il s’en plaignit au Duc, qui dit fort brusquement, Qu’il falloit que sa mort prévint ce changement. Lors que tu seras mort, lui repartit le Prince, Je seray possesseur de toute la Province; Attendant, dit le Duc, ce terme rigoureux, Tu possedes ma Fille, es tu pas trop heureux ? Ce mot plus que le reste anima sa vengence; Et comme il était chaud, & tout plein de vaillance, Ne voulant pas long-temps dormir sur cét affront, Il se mit en campagne, & ce coup fut si prompt, Avant qu’on eust ouy le bruit de ses machines, Il avoit pris d’assaut ces trois places voisines: Ce Duc plein de colere, & de ressentiment, Chercha de se venger aussi soudainement, Maudit son allience; & lui faisant la guerre, L’assiegea dans Tarente, & par mer, & par terre: Ce Prince magnanime, & surpris, & pressé, Ayant sçeu mon retour, au point d’étre forcé, Me demanda secours, me découvrit sa peine, Et voila cher amy le sujet qui nous meine: Mais Dieu! que le succez, est triste, & malheureux; Cette nuit ce Lion, ardent, & généreux, Nous sentant approcher de la Ville investie, Pour nous favoriser a fait une sortie, Où j’apprens qu’il a fait de merveilleux efforts, Mais qu’il est demeuré perdu parmy les morts: Voila le coup mortel dont mon ame est blessée, Et le soucy cuisant, qui trouble ma pensée. Tu perds, je le confesse, un amy genereux; Vengeons donc en ce lieu son Destin rigoureux, Et que ces Calabrois, d’humeur trop insolente, Apprennent aujourd’hui, qu’il revit en Phalante. Nous voicy, cher Hydaspe, aux portes du Chasteau; Et ce lieu, qui me fut si charmant, & si beau, Au temps que Liliane y fit naistre ma flame, Par la mort de son Frere est funeste à mon ame. Si tu l’aimes encor, console sa douceur. Je suis plus qu’elle à plaindre, en ce dernier mal-heur: L’amitié d’Iolas faisoit toute ma gloire, J’en dois jusqu’à la mort affliger ma memoire; Ce n’est pas tout, Hydaspe, au trouble où je me sens, J’ay bien dans mon esprit des combats plus pressans; Je ne doy voir icy rien qui ne contribue, A croistre infiniment la douleur qui me tue. Trois objets tous divins occupent dans ces lieux, Déjà diversement mon esprit, & mes yeux. Iolante, qui sçait que je l’ay méprisée, Ma Berenice en deuïl, Liliane abuzée, Me font fremir de crainte, & ce funeste abord, Où je suis obligé, m’est plus dur que la mort. Cher & parfait amy, m’eusses-tu creu capable, De l’infidelité, dont je me sens coupable ? Aurois-tu peu penser, que mon coeur engagé, Eust pu courir au change, & se fust partagé ? Donc Liliane encore occuppe ta pensée ? Mon ame, je l’avoue, en est toûjours blessée; Et quand je reverray cette Divinité, Je cederay sans doute aux traits de sa beauté. Chose estrange, qu’Amour parmy tant de traverses, Se plaise à me brûler de deux flames diverses ! Helas! mon inconstance à ma honte parest; Mais quoy qu’elle m’étonne, Hydaspe, elle me plaist. Un mouvement secret, dont mon coeur est complice, Me donne à Liliane, & puis à Berenice. Si l’une a plus d’atraits, l’autre a plus de douceur, J’aime l’une en Maistresse, & cheris l’autre en Soeur; Mais en toutes les deux, j’adore une merveille, Et pour le choix en vain la Raison me conseille. Si faut-il te resoudre où tu veux t’engager. Auecque Berenice allons nous affliger, Et je consulteray mon amour, & leurs charmes, Quand le temps, & nos soins auront séché leurs larmes. Ces propos superflus aigrissent ma douleur, Souffrez qu’en liberté je pleure mon mal-heur, Amys laissez-moi seulle; & parmy tant d’atteintes, Ne venez point méler vos soupirs à mes pleintes, Je suis inconsolable, en l’estat où je suis, Vos consolations augmentent mes ennuis. Hé! de grace, Madame, en ce mal-heur extréme, Ayez pitié de nous, ayez en de vous mesme. Nostre espoir est tombé, mais vous le relevez: Nous ne perdrons pas tout, si vous vous conservez; Voyez que vostre Pere, avecque ses Cohortes, Tout boüillant de courroûs est déjà dans nos portes; Qu’ordonnez-vous, Madame en cette extremité ? Flechirons nous le coeur de ce Prince irrité, Qu’on ne peut implorer, sans repos, & sans honte ? Que voulez-vous qu’on face ?         Il faut le perdre, Aronte, Les Manes d’Iolas m’ont ce crime permis; Mon Pere est le plus grand de tous mes ennemis: Esloignons ce Tyran, reprimons son audace; Ce que nous ne pouvons, que Phalante le face, Puisqu’il est dans nos murs entré si puissamment, Et qu’il veut prendre part à mon ressentiment, (Ah! je meurs, quand je pense à mon sort misérable) J’ay beau pleurer ma perte, elle est irreparable, Apres ce coup funeste, il faut, il faut perir; Mais je vous vengeray, premier que de mourir, Faisant du camp d’Iarbe une Scene sanglante. On me vient advertir, Madame, que Phalante, Entre dans le Palais, & demande à vous voir, Pour s’acquitter vers vous de son premier devoir. La douleur m’a du tout de raison dépourveuë; Je n’aurois pas le coeur de soutenir sa veuë. Pour quelque temps, Aronte, allez l’entretenir, Quand mes yeux seront secs, vous le ferez venir: J’ay besoin de son bras, & je suis soulagée, De penser que par luy je puis estre vangée. Grace aux Dieux, je suis libre, & le Ciel a permis, Que je me sois tiré du camp des Ennemis, Ou m’avoit à tel point engagé la vengeance, Que je suis, presque vif, tombé sous leur puissance, Mon bras à ces Tyrans m’avoit bien accusé; Mais la nuit est venue, & m’a favorisé. Malheureux est le chef animé, qui s’engage, Secondé seulement de son propre courage: Au plus fort du danger, les miens m’ont délaissé: J’en sort par un Miracle, & ne suis que blessé: Toy seul, brave Cleonte, en ces perils extrémes, M’as fait voir ton courage, & monstré que tu m’aimes, Je ne me serois pas sans toy débarrassé, De ce monceau de corps, où j’éstois entassé. Je mets vôtre salut au nombre des merveilles, On ne courut jamais de fortunes pareilles: Cela vous doit instruire, o Prince glorieux, En autre occasion, à vous mesnager mieux; Et ne pas exiger de ce coeur invincible, Qui n’a cedé qu’au nombre, une chose impossible. De tous tes compagnons n’est-il resté que toy ? Vos bons soldats sont morts, le reste a pris l’effroy. Si Phalante a peuplé mes murailles desertes, Le Ciel soit loué, je ne plains point mes pertes, Ce genereux amy repare mon mal-heur, Il cognoist le besoin que j’ay de sa valleur; Et que le Calabrois, qui vous fut infidelle, Passe pour l’aggresseur d’une injuste querelle, Ce qui plus me travaille en la peine ou je suis, C’est que ma Berenice, au fort des ennuys, A peine à supporter l’injustice d’un Pere, Qui me traite, & m’attaque en mortel adversaire; Surprenons au Palais ceste chaste Beauté, Qui doit avoir l’esprit de douleur transporté, Et qui sur le faux bruit de ma triste adventure, Pleint sans doute mon corps, privé de sepulture. Nous voicy pres des murs, que j’ay tant deffendus, Et qui sans mon Phalante alloient estre perdus: Alons voir cét amy, genereux, & fidelle, Je suis veu du Soldat, qui fait la sentinelle. Il doit estre abuzé du bruit de vostre mort. Detrompe son esprit, découvre moy d’abord; Et puis qu’on ne peut pas ignorer dans Tarente, Par où je dois passer ma fortune presente, Cours au Palais, Cleonte, & garde qu’en ma Cour, Quelqu’un n’aille devant annoncer mon retour A ma Belle Princesse, à qui je veux l’apprendre, Car j’auray grand plaisir tantost à la surprendre. Fin du premier Acte. Non non, je ne sçaurois vous accorder ce point, Vous n’avez point failly, ne vous excusez point: J’estois, je le confesse, indigne de vos charmes; Ne considerez point mes regrets, ny mes larmes, Le Ciel a bien montré qu’il prenoit soing de vous, Au choix qu’il vous a fait d’un plus parfait Espous; Et s’il vous l’eust laissé (Princesse genereuse), Il vous eust fait justice, en vous rendant heureuse: Mais injuste qu’il est, vous le vient de ravir, Et me ravit aussi l’honneur de le servir: Le cruel à vos yeux n’en a fait que la monstre, Et par une funeste, & fatale rencontre, Ce jaloux devers luy l’a voulu retirer, Voyant que sa vertu le faisoit adorer. Dieux! que viens-je d’entendre? est-il vray que je veille? Encor que ma douleur, qui n’a point de pareille, Dans ce coup de mal-heur, qui nous a tous surpris, Occupe entierement mon coeur, & mes espris; Et que le Desespoir, tout prest de me confondre, Ne me deust pas permettre icy de te répondre; Je te diray pourtant, pour consoler ta foy, Que par la loy d’honneur j’ay peché contre toy: Il est vray qu’Iolas, n’a rien veu qui l’égale, Et je serois ingrate, insensible, & brûtale, Si je me consolois jamais de son trépas, Et si l’ayant vangé, je ne suivois ses pas: Mais quand il n’eust pas eu les vertus, ni les graces, Dont la Posterité suivra toûjours les traces; Quand il n’eust pas charmé les coeurs, & les esprits, Imparfait, sans honneur, sans biens, je l’aurai pris, De la main de celuy, dont l’entiere puissance Demandoit ce tribut à mon obeyssance. Il est vray que d’abord mon ame y resista, Lors qu’à mon souvenir ta foy se presenta, J’inclinois bien vers elle, et je l’aurois gardée, Si l’honneur m’eust permis d’en conserver l’idée: Mais par sa Loy, Phalante, il te falloit trahir, Je dependois d’un Pere, il falloit obeyr. La chaste Berenice est l’objet de sa flame ? Les Dieux me sont témoins, Princesse de mon ame, Que la mort d’Iolas faict toute ma douleur, Que je suis plus que vous sensible à ce mal-heur, Que sa perte en mon coeur est plus considerée Que celle de la foy que vous m’avez jurée; Que je viens pour pleurer en cette extremité, Non pour vous reprocher vostre infidelité. Elle m’est bien assez par tes yeux reprochée; Et tes sages discours, dont je me sens touchée, Aggravent d’autant plus mon offence envers toy, Qu’ils font voir ta constance, & condamnent ma foy. Mais, Phalante, dy moy que veux-tu que je face ? Ne vien point à ma peine adjoüter ta disgrace: Il suffit de mon deüil, pour me faire mourir; Au lieu de me resoudre, & de me secourir, En l’estat ou je suis, par tes funestes plaintes, Tu donnes à mon coeur de nouvelles attaintes: Vangeons ensemblement la mort de mon Espoux, Contre un injuste Pere, animé contre nous: Aussi bien nos douleurs ne feront pas revivre Ce Prince Genereux, que je veux bien-tost suivre. Pleust au Ciel, qui mes voeux a souvent exaucé, Qu’avant sa mort, je l’eusse une fois embrassé! Il ne tiendra qu’à toy, me voila plein de vie, Contente, cher amy, contente ton envie. O Dieux !         O iustes Dieux, puis-je voir mon Espoux ! Ouy, tu le vois mon ame, & les destins jalous De me voir possesseur d’une chose si belle, N’ont pas gardé leur haine, en me separant d’elle, Ils ont cognu mon zèle, & ma fidelité, Et se sont repantis de leur severité: Je te revois encore.         O Destin favorable ! O faveur sans exemple ! O bien incomparable ! Mais qu’ay-je ouy, Phalante, en m’approchant d’icy ? Je t’ay veu plain d’angoisse, & comblé de soucy, Reprocher d’une voix qui sembloit alterée, Je ne sçay quel Amour, & quelle foy jurée: Je t’ay veu joindre au deuïl de ton amy perdu, La perte d’un tresor justement pretendu, Qui (si de tes secrets j’eusse pris cognoissance) Seroit fort aisement tombé sous ta puissance. Dans nos civilitez il nous aura surpris, Il a nos chastes feux de nos bouches apris. Quoy ? mon frere, est-ce ainsi qu’on m’ouvre sa pensée ? Les traits de Berenice ont ton ame blessée: Tu les as soustenus, tu les as peu sentir, Sans me montrer ta playe, & sans m’en advertir ? Bien que mon coeur brûlât d’une flame pareille, Sçache que la Raison, qui toûjours me conseille, Et qui fait mon bon-heur de tes propres plaisirs, M’auroit fait preferer tes voeux à mes desirs: C’est sur ton amitié que ma gloire se fonde, Et je n’ay rien de cher, ny d’agreable au monde, Que je ne te cedasse, au premier mouvement, Que je verrois paroistre en tes yeux seulement: Pourquoy doncques, cruel, m’as-tu caché ta peine ? Quand tu trouvois en moy ta guerison certaine ? Pourquoy m’as-tu celé tes transports amoureux, Quand mon consentement te pouvoit rendre heureux ? Il m’estoit impossible, ô Prince magnanime, De découvrir mon coeur, sans découvrir mon crime, Avecque mon secret, j’eusse manifesté Vers toy ma perfidie, & ma déloyauté; Et j’ay bien mieux aimé t’oster la cognoissance, D’un coeur que tu croyois, entier en ta puissance, Que te le faire voir, traistre, inconstant, & faux, Et te le découvrir avec tant de deffaux. Cét Enigme est obscur, fay qu’on le puisse entendre. A ma confusion tu le dois bien comprendre: Ne te souvient il point, que quand tu me permis, De prendre place au rang de tes meilleurs amys, Pour m’en donner encore un plus grand témoïgnage, Ta Soeur me fut par toy promise en mariage? Dy moy, sans t’estre ingrat, la pouvois-je oublier? Impunement ailleurs me pouvois-je lier? Et sentant pour une autre une flame si prompte, Voulois tu qu’à tes yeux j’exposasse ma honte? Me devant ton secret, pourquoy le cachois-tu ? C’estoit cacher le Vice à la mesme Vertu. Tout ce que fait Phalante, est éloigné du Vice. Il a contre sa foy recherché Berenice. T’ayant promis ma Soeur, contre ton sentiment, Ton coeur a peu changer, & l’a faict justement. Ayant de mon amy méprisé l’âliance J’ay blessé son honneur, avec ma Conscience. J’ay seul esté coupable, en te tyrannisant. Et moy j’ay seul esté coupable, en t’abusant, Aussi le Ciel te vange, & te rend la Justice, Accordant à tes Voeux la chaste Berenice. Phalante, il m’est témoin qu’elle seroit à toy, Si tu m’eusses faict voir ton amour, & ta foy. De ma possession tu fais bien peu de conte: D’ou te vient, cher Espoux, une froideur si prompte? Ne peux tu témoigner en cette occasion Ton zele à ton amy, qu’à ma confusion? Est-ce quelque soupçon, conçeu sans apparence, Qui m’acquiert ce mépris, & cette indifference? Depuis l’heureux moment que je suis dans ta Cour, Ay-je manqué de foy, de respect, ou d’amour? M’as-tu jamais trouvée à tes désirs contraire? Ay-je favorisé les desseins de mon Pere? Me suis-je consolée au bruict de ton trépas? Non, non, mon cher Espoux, j’alois suivre tes pas, Lors que le juste Ciel pitoyable à mes larmes, A par son prompt retour dissipé mes allarmes. Sont-ce là les transports, & les ravissemens, Que tu devois, cruel, à mes ressentimens? Mon coeur à ton abord, n’esperoit que caresses, Que soupirs, que baisers, qu’amoureuses tendresses; Mais comme si déjà tu te lassois de moy, Tu souhaittes qu’une autre ait le poids de ta foy: Tu m’as dedans ton coeur à Phalante cedée, Et te repens quasi de m’avoir possedée. Reçoy mieux mes discours, & mes intentions, Reyne de mes desirs, & de mes passions: Tu cognois mon amour, & sçais bien en ton ame Que pour toy je nourris une eternelle flame: Mais tu ne cognois pas (ô ma chaste moitié!) Quels sont les doux transports d’une ardente amitié: Toutefois tu cognois la vertu de Phalante; Et s’il te fit sentir une amour violente, Sçache que l’amitié que je vy naistre icy, De son rare merite, est violante aussi. S’il m’eust en t’adorant découvert sa pensée, (Je le dis librement, n’en sois point offencée) Je ne l’eusse peu voir plaintif, & languissant, Dans les premiers accès de mon amour naissant. Puis donc qu’à son Destin le mien fut si contraire, Pleins avec moi sa perte, & l’aime comme Frere. Ouy, je le cheriray (puis qu’il te plaist ainsi) D’un amour fraternel: mais qu’as-tu, mon soucy? D’une pâleur de mort je voy ta face peinte. Je me croyois frappé d’une legere atteinte, Mais le coup est plus grand que je n’avois pensé. Qu’on cherche un prompt secours,         Je me sens fort blessé. Viste, les Medecins.         Ma playe s’est fermée, Et je croy que la fleche estoit envenimée: De plus, toute la nuict j’ay fait de grands efforts, Pour me développer d’un grand tas de corps morts, Ou j’ay presque tout vif, trouvé ma sepulture. Cela doit bien avoir augmenté ta blessure; Retire toy, mon Frere, & sans plus de propos, Songe que ta santé depend de ton repos. Ne fay point la dolente, & la dissimulée, Je sçay que de nos maux ton ame est consolée, Ton mignon est venu, l’objet de tes amours, Est icy pour toy seule, on te doit son secours: Il n’eust pour Iolas que des tendresses feintes, Toy seule, Liliane, as fait naistre ses plaintes, Son feu perseverant, ses transports amoureux, Et tu l’éleves seule au rang des Bien-heureux: Puis que notre salut dépend de sa conduite, Prens pitié du mal-heur où Tarente est reduitte: Montre à ce beau Guerrier tes plus charmans appas, Caresse le ma Soeur, ne l’abandonne pas, Tu peux par tes faveurs animer son courage, Qui de nos maux pressans dissipera l’orage, Le deuïl te sieroit mieux que cette belle humeur; Montre plus de prudence, en un age si meur: Est-il temps de railler en si triste fortune? Ta jalousie enfin se rend trop importune: N’iritons point Phalante il est notre suport, Et de nostre cher Frere il veut venger la mort: Si le bon-heur succede à sa honte entreprise, Il se souviendra bien que tu luy fus promise, Et te conservera cet Estat qu’il maintient, Et qui par droit d’ainesse aujourd’huy t’appartient. Je ne veux rien tenir des mains de cét Infame, Qui n’a point mérité de avoir pour sa femme: Ma soeur tu connois mal ce lache suborneur: Qui tend impudenment le piège à ton honneur, Tu luy prestes l’oreille, & te tiens asseurée De la fidélité qu’il t’a cent fois jurée: Mais il te trompera, credule, & quelque jour, Tu maudiras le traistre, & son perfide amour. Son coeur t’est plus caché que sa naissance obscure, Je prevoy de tes feux la fatale aventure; Et ne puis m’empescher, t’aimant comme je fais, De te montrer l’erreur de tes voeux indiscrets: Quelle est notre mal-heur, ô tristes que nous sommes? Esperer nostre appuy du plus abjet des hommes? Mais Dieux! qu’Aronte est guay, qui l’ameine en ces lieux? Mes dames tout vous rit, rendez graces aux Dieux: Iolas de retour, a surpris la Princesse, Et dedans le Palais remplit tout d’allegresse. Mon frere de retour? Aronte, que dis tu? Que tu releves bien notre espoir abattu! Mon Frere vit encore? ah! je mourray de joye, Mais l’as-tu veu toy-mesme? est-ce luy qui t’envoye? Je porte à nos Soldats un ordre de sa part, Il est vivant, & sain; hormis un coup de dart, Qui luy perce le bras; maintenant il repose Selon mon jugement, son mal est peu de chose. As-tu point rencontré Phalante avecque luy? J’ay sçeu qu’il l’a surpris dans un excès d’ennuy, Reprochant tendrement à sa chaste Princesse, Un manquement de foy, dont il eut la promesse. Berenice à Phalante avoit donné la foy? Tu te trompes amy.         Madame excusez moy, Il n’est bruit au Palais, que de cette nouvelle; Mais il est temps d’aller, où mon ordre m’appelle. Hé bien, Fille credule, as-tu l’esprit contant De ce beau Cavalier, si zelé, si constant? Veux-tu de sa franchise une preuve plus claire? Ce genereux Amant ne songe qu’à te plaire, Il n’adore que toy sans doute, & ta beauté Est l’objét & le prix de sa fidelité? L’Ingrat jusqu’à ce point m’auroit-il méprisée? Apres tout j’ay regret de te voir abuzée; Et je m’estonne bien qu’ayant veu son mépris, Avecque moy d’abord tu ne l’as pas compris: S’il eust esté fidelle à ton rare merite, T’auroit-il pas rendu la premiere visite? T’auroit-il pas montré que l’éclat de tes yeux Auroit seul attiré ses armes dans ces lieux? Mais tu sçais qu’au contraire il a veu Berenice, Qu’il a bien sçeu tromper, par un mesme artifice: Je l’aperçoy qui vient t’abuser à ton tour: Je luy quitte la place, accepte son amour; Il se repentira, si-tost qu’il t’aura veuë, Ne crains plus rien, ma Soeur, Berenice est pourveuë. Le fuyray-je? ah! mon coeur, ce Volage me plaist, Et tu le veux aimer, tout inconstant qu’il est. Puisque les iustes Cieux ont entendu mes plaintes, Que le retour du Prince a dissipé mes craintes, Que tout rit, & succede à mes esprits contens, Il ne manque plus rien au bon-heur que j’attens; Sinon d’apprendre icy, Princesse que j’adore, Si dans vos belles mains mon coeur demeure encore, Et si certainement vous ne dédaignez pas Cét Esclave d’Amour, qui meurt pour vos appas. Si tu ne te sentois extrémement coupable, Ce coeur qui s’est trouvé d’inconstance capable, Sçachant comme autrefois il me fut precieux, Et comme je l’aimois à l’égal de mes yeux, Tu n’en requerrois pas un nouveau témoignage, Et me tiendrois, Phalante, un tout autre langage: Non, non, n’abuse plus de ma simplicité, Je cognois ta foiblesse, & ta legereté: Je sçay que ton discours, tout remply d’artifice, Aussi bien que ton coeur, s’adresse à Berenice; Et que des doux liens qui nous devoient unir, Tu conserves à peine un triste souvenir. Ingrat, que t’ay-je fait, pour t’obliger au change? Si je n’ay merité l’excés de ta loüange, Quand tu m’as exaltée au dessus des flambeaux, Qu’on void parestre au Ciel, si luisans, & si beaux; Au moins, coeur infidelle, au moins suis-je certaine, Que je n’ay merité ton mépris, ny ta haine: Je t’ay toûjours gardé ce que je t’ay promis, Autant que sans faillir l’Honneur me l’a permis: Je n’ay rien eu que toy de cher à la pensée, Ame ingrate, & parjure; & tu m’as délaissée? Je sçay que Berenice a plus d’atraits que moy, Mais elle a moins d’amour, mais elle a moins de foy: Tu l’adores pourtant, cruel, pour ce qu’il semble, Qu’elle a l’humeur legere, & qu’elle te ressemble: N’irrite point le Ciel par un nouveau serment De ta fidelité, je sçay ton changement: Je sçay ton inconstance, & je te la pardonne, Pourveu qu’au premier feu ton ame s’abandonne; Et que te repentant, tu veüilles m’asseurer D’un amour sans reproche, & qui puisse durer. Ma chere Liliane, helas! puis-je sans honte, (Ayant de ta beauté tenu si peu de conte) T’appeller mienne encore, & si je te promets, D’estre tien, pourras tu me croire desormais? Ta bonté toutefois m’en donnant la licence, Je mets tout de nouveau ce coeur en ta puissance; Qui confus de sa honte, & de son peu de foy, Avecque repentir s’accuse devant toy. J’ay failly, je l’avoue, & je sçay que mon crime, N’a point devant tes yeux d’excuse legitime: Quand ils n’eussent pas eu dequoy me retenir, J’avois promis la foy, je la devois tenir: J’atteste le Soleil, l’Amour, & la Nature, Que j’ay toujours dans l’ame abhorré le parjure; Et que je ne voy rien qui me soit odieux, Comme un coeur divisé, qui soûpire en deux lieux: Cependant je sens bien dessus ma conscience, Que par une secrette, & fatale influence, Dont j’ignore la cause, on me trouve aujourd’huy, Coupable du peché que je blâme en autruy: Berenice apres toy m’a pris, je le confesse, Et par tout ou je voy cette rare Princesse, Je palis, je languis, je meurs pour ses apas, Je redoute leur force, & ne m’en deffends pas: Je jure toutefois par tes yeux que j’adore, Qu’au travers de ce feu je te regarde encore, Comme l’objet divin, qui captive mes sens, Par des ressors cachez, & toutesfois puissans. Bref je croy qu’en l’aimant je puis t’étre fidelle, Et m’attacher à toy, sans me separer d’elle. Et tu n’es pas volage, & perfide en ce point? Mon ame, asseure toy que je ne le suis point. Je sens pour Berenice une innocente flame, Dont l’ardeur pure & sainte échauffe bien mon ame, Mais ne la peut corrompre.         Inconstant, que dis-tu? Que cette extravagance altere ta vertu! Tu veux aprofondir un secret que j’ignore; Mon coeur, contente toy qu’en l’aimant je t’adore; Et pour bannir de toy ces soupçons superflus, Si je puis desormais, je ne la verray plus. Non, non, voy sa beauté, puisqu’elle te contente, Pourveu que ton amour réponde à mon attente: Sois libre en tes desirs, ne te contrains pas tant, Je t’estime fidelle, & je t’ayme inconstant: Berenice me plaist, d’autant qu’elle t’est chere, Et je la veux servir, afin de te complaire; Je ne la puis plus voir d’un oeil triste & jalous, Sçachant de quelle ardeur tu cheris son Espoux: Aime la, cher Amant, & j’auray trop de gloire, Que mon feu se conserve encore en ta memoire, Et qu’au défaut d’une autre, à qui tout doit ceder, Je puisse ton amour, & ta foy posseder: Mais Phalante, le mal de mon Frere m’effraye, Et je crains que la Mort ne se cache en sa playe. L’appareil te fera juger plus sainement. Conduy moy, s’il te plaist, vers son appartement. Fin du deuxiesme Acte. Ne me déguisez point ce qu’il faut que je sçache; Je connois mon mal-heur, en vain on me le cache, Et je suis resoluë à tout évenement. Que sert de la flatter? parlons luy franchement. Madame, tout va mal, la fleche envenimée A perdu tout son bras, la cangrenne est formée, Le Prince est bien malade, on fait un vain effort; Nostre art ne le sçauroit garentir de la mort: Nous ne vous pouvons plus flatter en conscience, Songez à vostre Estat, & prenez patience. O Dieux! ô justes Dieux!         Amys, je comprens bien, Qu’en mon mal sans remede on n’espere plus rien. Vous le cachez en vain, je ly sur vos visages De la fin de mes jours les funestes presages; Et je m’estonne fort, que connoissant ce coeur, De qui nul accident ne fut jamais vainqueur, Vous me cachiez la mort, & certaine, & connuë, Comme si j’étois homme à craindre sa venuë. Si son visage affreux ne m’a jamais troublé, Et si devant sa faux je n’ay jamais tremblé, Quand je l’ay veu rougir tous les champs de Bellonne, Pensez vous qu’en ce lieu sa presence m’étonne? Puis que l’arrest du Sort ne se peut divertir, Si mon jour est venu, si je suis prest à partir, Et sçachez qu’Iolas sent approcher ce terme, D’un visage constant, & d’un courage ferme. Ce jour n’est pas si prompt, mon ame, espere mieux Des forces de ton aage, & du secours des Cieux; Si le Sort aujourd’huy disposoit de ta vie, Ta fin seroit bien-tost de la mienne suivie. N’attendry point mon coeur, en l’estat ou je suis, Tu vois bien que mes pleurs naissent de tes ennuys: N’obscurcy point mes yeux de ce triste nuage, Au moment qui me reste à voir ton beau visage. C’est pour ta beauté seulle, & pour ton seul amour, Que je quitte à regret la lumiere du jour: Fay donc que de ma mort ton ame se console, Si tu veux que la mienne en liberté s’envole. Quoy! mon coeur, d’un oeil sec je verrois ton trépas? Je te verrois mourir, & je ne mourrois pas? Penses-tu qu’apres toy Berenice demeure? Non, non, mon cher Espoux le Ciel veut que je meure, Je me croirois sans coeur, & sans ressentiment, Si je te survivois d’une heure seulement, L’Amour conclud ma mort, la Raison l’authorise, Pour toy j’ayme le jour, sans toy je le méprise. Si mon coeur d’un noeud ferme au tien se trouve joint, Croy, tant que tu vivras, que je ne mourray point: Conserve donc, mon ame, en ceste departie, De ton Espoux mourant la meilleure partie: Souffre qu’en toy je vive; & juste en ta pitié, Fais durer d’Iolas la plus belle moitié: Le Ciel, pour te payer de ton amour extréme, Te destine aujourd’huy pour un autre moy-mesme: Mon Phalante t’adore, il te le faut choisir, Nous ne faisons qu’un coeur, qu’une ame, & qu’un desir; En luy tu m’aimeras, & dans ces chastes flames, Tu feras subsister l’union des trois ames: Cét amy genereux s’offre tout à propos, Vy pour luy, si tu veux que je meure en repos. Quoy, mon cher Iolas, ta perte est manifeste? Rien ne s’offre à mes yeux, qui ne me soit funeste. Le desespoir me suit, un excés de mal-heurs Emprisonne mes sens, d’ennuys & de douleurs; Et dans cette cruelle & fatale journée, Tu voudrois disposer mon coeur à l’Hymenée? Non, non, puisque nos jours n’ont qu’un mesme flambeau, Il faut que Berenice épouse le tombeau. Si tu nourris en toy cette cruelle envie, Et si tu parles plus d’attenter à ta vie, Sçache que ton Epoux mourra desesperé, Dont tu peux establir le repos asseuré. Détruire de nos Dieux le plus parfait ouvrage! Défaire un tel chef-d’oeuvre? ah! quelle aveugle rage! Parle mieux, ma Deesse, & songe que les Dieux Sentent de ces discours les traits injurieux. Je sçay combien mon sort sensiblement te touche, Je lis dedans ton coeur ce qu’exprime ta bouche. Cede donc à ton deüil, regrette mon trépas, Pleure moy, si tu veux, mais ne me blâme pas: Voicy, chere moitié, qui mon défaut repare; Ce genereux Amy, si constant, & si rare, Qui t’a déjà donné des preuves de sa foy, Occupera ma place, il t’aime autant que moy; S’il me reste sur toy quelque ombre de puissance, Si jamais ton esprit aima l’obeissance, Donne m’en cette preuve, & d’un voeu solemnel, Promets à ton Phalante un amour eternel; Si je te voy répondre à sa flame amoureuse, Mon ame de ce corps partira bien-heureuse, Autrement:     Mon desir?         Ne me replique point. Comment veux-tu que j’ayme, en ce funeste point Où je me voy reduite?         Eh! mon frere, de grace, Ne force point ce coeur, que ta perte menace, Et ne me prouve point ta parfaite amitié, Aux dépends de ta chaste & fidelle moitié. Puis que je sens son mal, plus que ma peine mesme, Penetre dans mon ame, & juge si je l’ayme: Mais las! comment veux-tu, quand tu quites le jour, Que parmy tant d’ennuys nous songions à l’amour? Crois tu mourir sans moy? tu ne peux ce me semble; Marche quand tu voudras; nous partirons ensemble. Qui du fier Calabrois vengeroit l’attentat? Qui sauveroient mes Soeurs, ma Femme, & mon Etat? Non, demeure apres moy, tu m’offences, mon Frere, En méprisant ta vie, elle m’est necessaire; Et ton Roy, dont l’appuy consiste en ta valeur, Maudiroit ma memoire, en pleurant ton mal-heur: Vy doncques pour sa gloire, autant que pour la mienne, Et conserve sa vie, en conservant la tienne: Que si tu me veux plaire en cette extremité, Où tu vois de mes jours le terme limité; Et si vous deferez tous deux à ma priere, Ecoute d’Iolas la volonté dernière; Puis que ma Berenice autresfois t’a charmé; Et puis que tu fus d’elle Amant, & bien-aimé, Je ralume en vos coeurs cette premiere flame; Prens le pour ton Espoux, reçoy la pour ta femme; Au moins si vous voulez que mes voeux soient parfaits, Et s’il vous plaist de voir mes Manes satisfaits: Que ces discours du mal dont je me sens atteinte, Augmentent la douleur, & redoublent ma crainte! Resistez vous encore à mon contentement? Ne me répondez vous que des yeux seulement? C’est fait, vous consentez, ce silence m’arreste, Et ces beaux yeux moüillez, m’accordent ma requeste. Est-il pas vray, mon coeur? ne te resous tu pas? A mourir, à te suivre, à marcher sur tes pas, Avant que je consente, & que l’obeissance Me porte à cette lâche, & dure complaisance. Helas!     Le coeur me fend;         Pourquoy me cedes-tu Ce tresor accomply d’Amour, & de vertu? Qui suivra comme moy ta mort inevitable? O la belle alliance! ô le party sortable! J’oblige peu Phalante, en luy voulant ceder Un tresor que mon coeur ne peut plus posseder: Ne parle pas ainsi, mon frere, tu m’affliges; Et pense, en l’acceptant, que c’est toy qui m’obliges. Mais pour accompagner ce present qui te plaist, Je te donne mon bien, engagé comme il est, Sçachant que ta valeur, à qui tout fait hommage, Reparera bien-tost ma perte, & mon dommage. O Dieux!         Reçoy ma Femme, & mes Estats aussi, Pourveu que de mes Soeurs tu prennes le souci: Fay les de ta moitié les compagnes fidelles, Et leur procure encor des partys dignes d’elles: Sus, sus, ratifions & l’un & l’autre accort, Je veux que le contract s’en face avant ma mort; Ne perdons point le temps, l’affaire est resoluë, Et je la veux passer de puissance absoluë. Quoy cét homme inconu, que j’abhorre sur tous Sera maistre absolu de nos biens, & de nous? Tarante subira le joug de cét infame? Mon Frere peut encor disposer de sa Femme, Mais il ne sçauroit pas disposer de mon bien; Je m’y veux opposer, non il n’en sera rien; Avant qu’il puisse voir sa volonté suivie, Et qui m’oste l’Etat, il m’ostera la vie: C’est prendre avec grand soin l’interest de sa soeur, C’est choisir de sa gloire un digne successeur, C’est faire un bel honneur à son illustre Race, Mais j’aperçoy ma Soeur, il la faut advertir Du mal qui nous menace, & qu’elle doit sentir; Il faut l’interesser dans ma juste vengeance, Et par elle à mes maux chercher quelque allegeance. Ah! ç’en est fait, ma Soeur, nous perdons Iolas. Nous perdons plus encor, nous perdons ses Estats: Je ne le puis pleurer parmy tant d’injustice, Il vient de tout donner, avec sa Berenice, A son amy Phalante; & ce beau Suborneur, Triomphe de nos biens, comme de nostre honneur. Ah! ma Soeur, que dis-tu? tu leur fais une injure, Et ton discours trop libre offence la Nature. Je dy ce que mes yeux seulement m’ont appris, Et j’eusse à peine creu d’un autre ce mépris: Iolas à ma perte, aussi bien qu’à ta honte, (Charmé des faux appas d’un Traistre qui l’affronte) Luy vient devant mes yeux, de tenir ce discours: Cher amy, qui me vois à la fin de mes jours, Si tu veux que content je parte de ce monde, Repren ce cher Objet, qui ta flame seconde; Je te donne ma femme, & mes Estats aussi, Pourveu que de mes Soeurs tu prenes le soucy; Fay les de ta moitié les compagnes fideles, Et leur procure encor des partys dignes d’elles. Ils ont feint quelque temps tous deux d’y resister, Mais qu’enfin, pour luy plaire ils vouloient l’accepter. Ah! ma Soeur, puis-je croire une telle disgrace? Entre, si tu veux voir le contract qui s’en passe: Mais avant qu’on le suive, & que contre nos lois Il soit effectué, je mourray mille fois: Si pour rompre ce coup, nous nous liguons ensemble, Nous l’empescherons bien; dy moy ce qui t’en semble: Iolas, & Phalante, injustes contre nous, Ont tous deux excité nôtre juste courrous; Si l’un nous tyrannise, & nous fait une injure, L’autre est traistre par tout, infidelle, & parjure; Vangeons nous, Liliane, en sauvant nostre bien. Quel remede, & comment?         J’en sçay bien le moyen Livrons dans ceste nuict nostre Ville affligée, Au pouvoir de ce Duc, qui la tient assiégée: C’est un genereux Prince, & j’estime en effect, Quand il sçaura l’outrage, & le tort qu’on nous fait, Qu’il ne se servira d’un si bel advantage, Que pour nous restablir dedans nostre heritage. Dieux! que proposes-tu? ce discours plein d’horreur, Ne part que d’un esprit agité de fureur; Ce remede, ma Soeur, blesse ma conscience, Il est trop violant, donne toy patience, Peut estre que le Ciel, par des ressorts cachez, Détournera ces maux qu’attirent nos pechez. O foible & lâche esprit! ô coeur tout plain de glace! Que tu merites bien le coup qui te menace! Puis que ce feu te plaist, & puis qu’aveuglement Amour te precipite en cét embrazement, Je t’y laisse perir; pour moy je m’en délivre: Mais songe encore un coup que tu devrois me suivre; La Ville est en mes mains, j’ay déjà regardé Vers l’endroit le plus foible, & le plus mal gardé; De qui les assiegeans n’ont point de cognoissance; Le Duc dans cette nuict, l’aura sous sa puissance. Eh! de grace, ma Soeur, ne t’abandonne pas Aux coups du Desespoir;         Que ton courage est bas! Pense que si j’outrage, on m’outrage de mesme, Qu’à mon extréme mal mon remede est extréme; Et que c’est lâcheté, qui t’oblige à ceder, A celuy qui travaille à nous déposseder: Il faut avant le jour, que ma vengeance éclate, Et je conçoy déjà, dans l’espoir qui me flate, Qu’il n’en peut arriver qu’un succès tres-heureux, Car toujours la Fortune aide aux coeurs genereux: Pour toy, suy ce Mignon, autheur de ta ruine, Resous toy desormais d’étre sa Concubine: Berenice est déjà femme du Subordoneur; Je me vengeray seule, & j’en auray l’honneur. Iolante, ma Soeur, où va cette insensée? Détournez, iustes Dieux, sa cruelle pensée, Qui dans le desespoir! va se precipiter; Détournez ce Torrent, qu’on ne peut arrester: Carinte, de mon coeur fidelle secretaire, Qui vois mes déplaisirs, qui connois ma misere; Adoucy par tes soins l’amertume & le fiel, Que vomit contre moy la colere du Ciel: A tant de maux pressans cherche quelque remede, Soulage ma douleur, je reclame ton aide. Eh! Madame, je meurs de vous voir affliger; Que puis-je, pour vous plaire, & pour vous soulager? Pleust au Ciel, qui connoist mon coeur, & mon envie, Que je vous peusse aider aux dépens de ma vie. Tu peux, sans qu’il t’en couste un soupir seulement, Vaincre mon infortune, & guerir mon tourment: Si tu n’as oublié ce secret admirable, Qui du plus fort venin, & du plus incurable, Aneantit la force; ah! Carinte, peux-tu Pour un sujet plus digne employer sa vertu? Je sçay bien que le suc de cette herbe divine, Des maux desesperez porte la medecine; S’il arrestoit celuy de mon frere mourant, Qu’on te devroit de voeux! que ce coup seroit grand! Je ne te cele point, ma chere Confidente, Que je soupire encore apres le beau Phalante; Parmy tous ses defauts, son merite me plaist, Je l’aime, tout volage, & tout ingrat qu’il est: En cette extremité ton secours je reclame, Si tu sauves mon Frere, il gardera sa femme; Et ce volage Amant n’y pretendant plus rien, Retournera peut-estre, à son premier lien: C’est de toy que dépend l’honneur de la Province; Le bien de Liliane, & le salut du Prince. S’ils dépendent de moy, comme vous le jugez, Madame, c’est à tort, que vous vous affligez: Puis qu’ayant sur Carinte une entiere puissance, Vous connoissez son zele, & son obeissance: Il est vray qu’en mourant mon Pere m’a laissé Ce souverain remede, & souvent exercé, Qui détruit du venin la qualité mauvaise; Pour subtil qu’il puisse estre, aussi tost il l’apaise. La preuve en mille endroits, ne m’a jamais manqué, Et quand j’ay de ce mal veu le Prince attaqué, Madame, vous sçavez que je me suis offerte, Pour sauver à l’Etat une si grande perte, Et que les Medecins, de ma gloire ennemis, Et jalous de leur Art, ne m’ont jamais permis D’employer mon remede; ils m’ont tous rebutée, Si tost qu’à ce devoir je me suis presentée, Sans souffrir que j’entrasse avec eux en conseil, Lors qu’ils ont applicqué leur premier appareil, Ces pauvres Ignorans ne se sont mis en peine, Que de penser le bras, & guerir la gangrenne, Sans prevoir que d’ailleurs le Prince estoit perdu, Car le poison subtil s’est par tout espandu; Mon herbe toutefois, dont je sçay la puissance, En deux heures luy peut donner toute allegeance, Nos esprits sur ce point seroient déjà contens, Si l’on m’eut laissé faire, il en est encor temps. Quoy? tu peux empescher que mon Frere ne meure? Un doux rayon d’espoir encore te demeure? Tu le pourras guerir?         Ouy, je vous le promets, Si je ne le gueris, ne me voyez jamais: Dans l’Art des Medecins sa perte est resoluë, Vous m’y pouvez mener de puissance absoluë, Et vous admirerez l’effect de mon secours, Avant que cette nuit ait terminé son cours. Allons, si de l’effect ta parole est suivie, Je te devray les biens, & l’honneur, & la vie. Mais il faut sur son mal Aronte consulter, Puis qu’il sort de sa chambre, & vient de le quitter. Eh bien, que fait mon Frere?         Ah! ç’en est faict, Madame, Ce Prince glorieux, est prest de rendre l’ame, Ce venin espandu fait par tout son effort; Il n’atend plus au Lict, que le coup de la mort; Phalante, que son dard d’un mesme coup menace, Tout plain de desespoir, vient de quitter la place, Ne se pouvant resoudre à voir ainsi mourir, Son genereux amy, qu’il ne peut secourir: La seule Berenice, entre ses bras pasmée, Demeure aupres de luy, de douleur consommée. O spectacle funeste! Carinte, je meurs. Ne nous amusons point à d’inutiles pleurs; Sur tout la diligence à nos soins est requise: Ne perdons point de temps, en si belle entreprise. Fin du troisiesme Acte. Quoi, vous estes en doute encore sur ce point ? Madame, il est guery, non, non, n’en doutez point, Je connois mon remede.         Helas! est-il posible ? Croiray-je à ce miracle ?         Il est assez visible; Mon frere le confesse,         Et je crains toutefois; Carinte en as-tu fait l’épreuve une autrefois ? J’en ay fait cent, Madame, & toutes favorables, Cette herbe a sans mentir, des vertus admirables; Carinte mon espoir, delices de mes jours, Qui de tous nos mal-heurs viens d’arrester le cours, Qui viens de rétablir mon repos & mon aise, Que mille & mille fois je t’embrasse, & te baise. Qu’eussions nous fait sans toy, qui nous as preservez, En preservant le Prince, et nous a tous sauvez; Par toy, de son salut naist nostre delivrance; Tu fais revivre en luy, toute nostre esperance, Ma fidelle Carinte, ah! combien ta vertu Releve puissamment ce courage abattu! La moitié de mon coeur, par tes mains m’est rendue, Je te dois tout mon bien, sans toy j’estois perdue. Fille miraculeuse, on ne peut en effect Recognoistre un si digne, & si rare bien-faict: Nous te serons ingrats, ces faveurs sont trop grandes, Il te faut des Autels, il te faut des Offrandes. Ne flatez point mes sens par ces excez d’honneur, Mes Dames, c’est à vous qu’on doit tout ce bonheur, Vous m’avez fait agir; c’est par vostre industrie, Que je viens de sauver mon Prince, & ma patrie, Et qu’un si beau laurier me couronne le front; Qui croiroit que mon herbe eust un effect si pront? La secrette vertu d’une telle racine Ne confond elle pas toute la Medecine? Mais ne vantez pas tant ce service rendu; J’ay l’honneur d’estre à vous, j’ay fait ce que j’ay deu; Vous prodiguez en moy vostre recognoissance, L’heur d’un si grand succés m’est trop de recompense. Je sçay bien que ton coeur, noble & grand comme il est, En la seule vertu cherche son interest: Aussi pour te payer de ce bien-fait extréme, Je te fay seulement un present de moy-mesme. Reçoy mon coeur encore, & dispose de moy, Puis que tous nos tresors sont au dessous de toy; Et croy que je n’auray, ny gloire, ny fortune, Dans le cours de mes ans, qui ne te soit commune. Je n’abuseray point d’un heur si precieux; Jugeant que tout me vient de la faveur des Cieux; Mais songez qu’il est tard, genereuse Princesse, Apres tant de travail, de peine, & de tristesse; Puis qu’Iolas est pris des charmes du sommeil, Allez dormir, au moins jusques à son réveil. Puis qu’en effect le Prince a la paupiere close, Et que nostre esprit calme avec lui repose, Je croy, ma chere Soeur, qu’il est bien à propos, Qu’apres tant de travail nous prenions du repos: Qu’on sçache cependant qu’est devenu Phalante, Sans qui mon Iolas n’a rien qui le contente: Croyant son amy mort, il s’en est separé; Le coeur tout plain d’angoisse, & tout desesperé: Carinte, qu’on le cherche, & qu’on luy face entendre, L’heur que sur nous le Ciel par tes mains vient d’épandre: J’ay peur que mon Espoux n’en soit inquieté, Et le moindre accident peut nuire à sa santé: Bon soir, ma chere Soeur;         Bon soir, belle Princesse; Allez l’accompagner.         Non, non, je vous la laisse, Ce Page me suffit, mon coeur, demeure icy. Disposez-vous, Madame, à reposer aussi; La nuict tantost passée enfin vous y convie. Voicy de qui j’attens mon repos, & ma vie. D’ou?         Le demandes-tu ? vois-tu pas mon Amant? Qu’il est pâle, & transi!         Mais Dieu, qu’il est charmant! Il va revoir le Prince.         Il me suivra sans doute, L’ingrat qui m’a manqué, va prendre une autre route, Pour ne pas soustenir les regards enflammez, Des yeux qu’il a trahis, & qu’il a tant aimez, L’infidelle aura peur de leur juste reproche. Madame, cependant le voilà qui s’approche. Que dirons nous Carinte?         Asseurons le d’abord, Que le Prince est par nous garanty de la mort; Observant bien son coeur, il faut qu’on l’eclaircisse, Et qu’il perde l’espoir d’épouser Berenice. Où peut aller Phalante, ainsi triste & pensif? D’où luy vient ce chagrin, & ce deuil excessif, Lors que tout est ravy d’un excez d’allegresse? Ma rencontre peut estre a causé sa tristesse? Quoy, les jours d’Iolas sont à leur occident Madame, & l’on peut rire, en si triste accident? C’est de sa guerison que provient nostre joye, Prenez part au bon-heur que le Ciel nous envoye. Nous l’avons cette nuict par nos soings préservé, Et tu devrais baiser la main qui l’a sauvé. Helas! vous vous mocquez; la nouvelle est trop grande, Pour estre si tost creue; il faut que je me rende, Pres du lict d’Iolas, pour éclaircir ce point, A moins que de le voir, je ne le croiray point. Quoy? je verrois la mort de mon Frère asseurée, Et je serois si lâche, & si denaturée, Au lieu de le pleurer, au lieu de ressentir Ses poignantes douleurs, de rire, & de mentir? Tu ne me crois donc pas, Phalante, & mes paroles Passent dans ton esprit pour des contes frivolles? Ah cruel! je sens bien pourquoy tu ne veux pas, Que mon Frere par nous soit sauvé du trépas; C’est pource que sa mort t’asseure Berenice, Et tu crois qu’on te l’oste avec cét artifice; Tu crois que je travaille à dégager ta foy, Va, tu n’aimas jamais ny mon Frere ny moy: Pour luy ton amitié naist d’une source infame, Tu ne le caressois qu’à cause de sa femme, Et tu nous as tous deux abusez lâchement, Foible & mauvais Amy, traistre, & perfide Amant. Excusez de mon coeur l’innocente foiblesse, Et ne vous fachez pas, je vous croy ma Princesse. Tu fais un grand effort, je t’ay creu mille fois, Quand par tes actions tu dementois ta voix, Je n’ay point revoqué tes paroles en doute, Quand ton coeur les fuyoit, pour suivre une autre route; Et tu doutes Ingrat, de la sincerité De mes propos naifs, & pleins de verité? Tantost avec des pleurs, coulans par artifice, Tu jurois que pour moy tu fuirois Berenice, Volage, & tu t’es pris dans les mesmes appas, D’ou tu me prometois de detourner tes pas: Pourquoy m’as-tu trompée, infidelle & parjure? Crains tu point que les Dieux ne vangent mon injure? Priray-je pour celuy qui m’a voulu trahir? Ouy, tout ingrat qu’il est, je ne le puis haïr: S’il s’est contre sa foy promis à Berenice, C’est par legereté, plutost que par malice: Je veux croire qu’il m’aime.         Ah! cruelle, en ce point Tu m’estimes coupable, & je ne le suis point: Je ne me suis promis, contre ma conscience, Que pour laisser mourir le Prince en patience, Voyant qu’il s’obstinoit à me rendre enflammé De cét objet divin que j’avois tant aimé. Si tu crois que mon coeur cede sans resistance, Va de sa propre bouche apprendre ma constance, Au fort du desespoir qui troubloit mes espris, Comment eussay-je aimé? j’avois tout à mépris; Mon coeur estoit outré d’une douleur extresme, Tout m’estoit odieux, je l’estois à moy-mesmes; Et tu veux qu’en l’estat d’un si mal-heureux sort, L’Hymen charmast mes sens dans l’effroy de la mort? Tu fais certes, mon ame un peu trop criminelle, Ta clemence est injuste, & ta pitié cruelle: Ta main r’ouvre ma playe apres sa guerison, Et le miel qu’elle m’offre est meslé de poison. Si de ces lâchetez tu m’estimes coupable, Je suis de ton amour un objet incapable, Les Dieux me sont témoins toutefois que mon coeur, Bénit tousjours les traits de son premier vainqueur; Que depuis que mon ame, à te plaire occupée, T’a promis tous ses soins, je ne t’ay point trompée: Croy moy, que Berenice en ce funeste jour, M’a beaucoup plus touché de pitié que d’amour; Que ses chastes attraits n’ont point blessé tes charmes, Depuis que j’ay lavé mon crime dans mes larmes. Cecy n’est qu’un effet de mon Sort rigoureux; J’ay paru complaisant, & non pas amoureux: Puis qu’en toy j’avois mis toute mon asseurance, Doux port de mes desirs, & de mon esperance, Pourquoy t’ay-je fait peur, quand j’ay mal evité, L’escueil où mon amour avoit déja heurté? Non, non, chaste Beauté, tu n’avois rien à craindre; Vois-tu pas que celuy qui me vouloit contraindre De m’engager ailleurs, contre mon sentiment, Par miracle est sauvé, pour sauver ton Amant? Allons pour son salut faire des feux de joye; Je meurs d’impatience, il faut que je le voye, Et que je luy découvre encore devant toy, L’honneur que tu me fais, de recevoir ma foy, Pourveu qu’il s’en contente, & qu’il nous favorise, Dans ces justes projets que le Ciel authorise. Croiray-je, mon Phalante, à ce que tu me dis? Tous mes sens d’allegresse & d’amour interdis, Ne me trompent-ils point, en la gloire éclatante, De cét heureux succez, qui passe mon attente? Quand tu me charmerois par une illusion, Quand je te devrois croire, à ma confusion, Tes propos dans mon coeur ne trouvent point d’obstacles, Et j’y donne la foy, comme à de vrays Oracles. Tu le peux, ma Princesse, asseure toy d’avoir, Sur l’esprit de Phalante un absolu pouvoir; Et qu’il t’en va donner une preuve asseurée, Par sa fidelité d’eternelle durée. Mais tu ne me dis point comme on a peu guerir Le Prince abandonné, qui s’en alloit mourir? Carinte cette nuit accouruë à son aide, Dans la vertu d’une herbe a treuvé son remède, Et j’en ay veu le prompt & merveilleux effect. J’adore ce miracle, & la main qui l’a fait, Mais que tardons nous plus? voyons que fait le Prince, Et sauvons apres luy sa ville & sa Province. Je sçay bien la dessus un important secret, Qu’il faut que je revele, & non pas sans regret. Puis que dedans l’ardeur du corroux qui m’enflame, J’ay si mal menagé le secret de mon ame, Puisqu’elle s’est ouverte à cette ingrate Soeur, Qui flate de nos biens l’infame ravisseur, De peur que mon malheur en fin ne me surmonte, Et que tous mes desseins n’avortent à ma honte, Fuyons la tyrannie, & l’horreur de ces lieux, Où ce qui me charmoit est funeste à mes yeux: Dans le peril extréme où je me voy reduite, Je n’ay ny seureté, ny salut qu’en la fuite, La nuit me favorise, allons en liberté, Commettre nostre vie à la fidelité: Puisque seule elle sçait la descente secrette, Par où j’ay resolu d’asseurer ma retraite, J’ay sondé vainement les coeurs de nos sujets, Et j’ay fait parmy vous d’inutiles projets: Mais le Duc de Calabre a bien receu ma Lettre, Et de son seul appuy j’oze tout me promettre: Puisqu’il est mon refuge, & mon unique espoir, Et puis qu’il nous promet de nous bien recevoir, Sauvons nous dans sa tante, & quitons de bonne heure, Une si detestable, & si triste demeure. He bien, que dirais-tu des caprices du Sort? Me voila par miracle affranchy de la mort: Cette divine fille, au gré des Destinées, Pour quelque temps encor prolonge mes années: Mon cher frere, il faudra que par necessité, Tu bannises l’espoir dont je t’avois flaté: La vie, & Berenice aujourd’huy me demeurent, Je connoy ton regret dans tes yeux qui la pleurent, Mais je connois aussi cette rare vertu, Qui mesprise le vice à tes pieds abatu; Et qui ne souffrant rien contre ta conscience, Te fera supporter ta perte en patience: Je suis honteux de vivre, & de t’oster un bien, Que tu pouvois déja regarder comme tien: Cette Fille te tuë, en conservant ma vie, Qui peut estre sera de ton trépas suivie, Mais las si je croyois, qu’en ton ennuy secret, Tu sentisses ta perte avec tant de regret, Je me lairois mourir de deuil & de tristesse, Pour te laisser en paix posseder la Princesse. Tu peches contre moy par exceds d’amitié, Mon frere, & je te treuve injuste en ta pitié, Pren garde que mes pleurs ne coulent que de joye, En l’heur inesperé que le Ciel nous envoye, T’ayant veu tout à coup sortir de ce danger, Quelle perte aujourd’huy me pourroit affliger? Puis que je te retreuve avec cette asseurance, De t’embrasser vivant contre toute esperance? Connois mieux ta vertu pour connoiste mon coeur, Et ne me traitte plus avec tant de rigueur, Je me sçay moderer, & mieux que tu n’estimes, Mettre à mes passions des bornes legitimes: Je confesse qu’amour de tous ses traits armé, Par l’oeil de Berenice autrefois ma charmé, Il est vray, ta moitié fut celle de mon ame, Et dans les sentiments de ma pudique flame, Mon coeur pour sa beauté fit des voeux infinis, Avant qu’un chaste Hymen vous eust tout deux unis, Mais j’ay sceu respecter cette union sacrée. Dés l’heure que j’ay sceu quelle estoit asseurée, Et sans me consommer d’inutiles desirs, J’ay jusques dans mon coeur estouffé mes soupirs, Quand tu me l’as cedé avec tant de confiance, Ta douleur t’empeschoit de voir ma resistance, Et que je n’acceptois un si rare present, Que pour estre à tes voeux de tout point complaisant: Voicy, cher Iolas la beauté qu’Hymenée, M’a sous ton bon plaisir aujourd’huy destinée, Auant que Berenice eust fait sur mes esprits, Un si puissant effort, celle cy avoit pris, Elle a sans murmurer connu ma perfidie, Et ma legereté ne l’a point refroidie, Les Dieux me sont tesmoins qu’un secret mouvement, M’a porté malgré moy dedans ce changement, Sans offance pourtant, car j’aime par estime, La Princesse & ta Soeur d’une ardeur legitime, Par tout où je revoy cette chaste Beauté, Sans desir je suis d’aise, & d’amour transporté, Et dedans ce penser plutost Saint que prophane, Je conserve toujours mon coeur à Liliane: Souffre que je l’adore, & permets qu’en l’aimant, Je repare envers toy mon premier manquement, Aussi bien envers elle, il est trop veritable, Que d’un si grand honneur je me sens incapable, Je n’ose encore pretendre à ce tresor exquis, Que mon service au moins ne me l’ayt mieux acquis: Je parleray tantost avec plus de licence, Et si je te sers bien, voila ma recompence. Aurois-tu ce dessein, & pour elle & pour moy? Songeay-je ce plaisir, ou si je le reçoy? Certes si j’ay le Ciel à ce point favorable, Il n’est Prince en bon-heur qui me soit comparable: Mais qu’en dit Iolante? & qu’en dis-tu ma Soeur? Que s’il vous plaist ainsi, Phalante est possesseur De ce coeur que je mets entier en sa puissance, Et dont il a raison d’estimer la constance. Pour ma Soeur, il est vray qu’un jalous desespoir L’a tantost fait sortir des bornes du devoir, Concevant pour vous deux une haine mortelle: Elle vous veut trahir.         Que l’on s’asseure d’elle. Si j’eusse un peu plustost son dessein recognu, Grand Prince, asseurement je l’aurois prevenu; Avant que j’eusse appris son crime de Phalante, Elle estoit échappée.         O Fille violante! O dangereuse humeur! esprit pernicieux! Crois-tu que le party d’Iarbe en vaille mieux? Hé quoy, tu sçavois donc ce qu’elle avoit dans l’ame, Mon Frere?         Cét object de ma pudique flame, M’ayant dit que sa Soeur contre vostre maison Machinoit pres du Duc certaine trahison, J’ay creu qu’il importoit d’en advertir Cleonte, Afin qu’il la veillast; mais une fuite prompte Avoit desja portée au camp des ennemis: Cher frere, (puisqu’en fin ce doux nom m’est permis) Laisse moy meriter l’heur de ton alliance, Repose ton esprit dessus ma vigilance, L’honneur de ton estat me touche autant qu’à toy, Parmy les Calabrois je vay semer l’effroy; Et par des actions d’eternelle memoire, Asseurant ton repos, j’asseureray ma gloire. Le Duc d’un grand assaut nous menace aujourd’huy, Prevenons son dessein, allons jusques à luy: Avec mille des miens ce matin je me vante, De l’aller affronter jusques dedans sa tante. Tu n’entreprens jamais rien que bien à propos, Va, j’iray cependant prendre un peu de repos, Pour me mettre bien tost en estat de te suivre, Puisqu’auecques tant d’heur le Ciel me laisse vivre, Carinte à qui je dois la lumiere du jour, Le bien de mon Estat, & l’heur de mon Amour; Que feray-je pour toy dans ce bien-fait extréme? Faisant pour vostre Soeur, vous faites pour moy-mesme, Asseurant son bon-heur, vous asseurez le mien, Apres son amitié, je ne souhaitte rien, Que vos prosperitez.         O genereuse Fille! Je mets entre tes mains l’honneur de ma Famille, Ta vertu me ravit, va t’en voir de ma part, Ce que fait la Princesse; elle a veillé bien tard, Et croy qu’au jour naissant, cette chere merveille, Avec un doux repos repare cette veille. J’y vay.         Ne tarde point, retourne promptement, Liliane sans toy ne peut vivre un moment. J’admire les effets de vostre providence, Grands Dieux, qui vous moqués de l’humaine prudence; Et qui par des ressorts cachez à l’Univers, Produisez châque jour cent miracles divers; Puis qu’il vous plaist sauver le Prince par mon ayde, Daignant guider ma main, & benir mon remede, Faictes la grace entiere aux pauvres Tarentins, Lassez de la rigueur de leurs mauvais Destins; Accordez leur la paix qu’ils ont tant desirée; Qu’une felicité d’eternelle durée Par tout les accompagne; & si vos bras puissans Les rendent bien-heureux, qu’ils soient recognoissans. Fin du IV. Acte. Ouy, si je trouve icy toutes choses prosperes, Je vous restabliray dans le bien de vos Peres; Recevez en ma foy, qui ne manqua jamais; Je suis inviolable en ce que je promets. Je n’esperois pas moins de l’honneur de nostre aage, De ce franc, magnanime, & genereux courage. Mais Dieux! est-il bien vray qu’en son aveuglement, Berenice envers moy se porte insolamment? Et que jusqu’à ce point cette Ingrate s’oublie Que de nous menacer?         J’admire sa folie, Elle se promet tout de ce nouvel Epous, Qui pense triompher bien-tost d’elle & de nous: Sur la mort de mon Frere, & sur leur foy jurée, La Calabre déja leur est bien asseurée: Déja ces vains esprits charmez dans leurs liens, Estiment qu’ils joindront vos Estats à vos biens. S’ils ont fait ce projet, ils l’ont fait à leur honte, Ces Amants aveuglez sont bien loin de leur conte, J’ay dequoy reprimer leurs folles vanitez, Et retrancher l’espoir dont ils se sont flattez; Il est temps envers vous enfin je me dispence D’un secret dont Menandre a seul la cognoissance; Ma Fille se croit seule, & se repaist de vent; Mais j’ay, graces aux Dieux, un Heritier vivant; Et je vous veux Madame, apprendre l’avanture, Qui fit qu’en l’esloignant, j’offençay la Nature. Quoy? vous avez un fils incognu parmy nous? Il m’est sage Princesse, incognu comme à vous, Mais au camp dans ce jour vous le verrez parestre, Car l’ordre en est donné; Menandre, où peut-il estre? Vient-il pas?         Monseigneur, s’il sort de ma maison, Il hazarde sa vie, avant sa guerison. En quelque estat qu’il soit, je veux qu’on me l’ameine, Quel plaisir prennez-vous de me laisser en peine? O mal-heureux Menandre! ô Destin rigoureux! Vous sçavez que sans luy je ne puis estre heureux: Je vous l’ay dit cent fois; mais quoy que je vous die, Vous m’allez alleguer tousjours sa maladie: Allez, sans repliquer, vous-mesme le querir; Deust-il par les chemins entre vos bras mourir, Je le veux voir enfin, quelque mal qui l’accable, Et sans plus de remise.         Ah! que je suis coupable, De laisser eschapper ce gage precieux, Que j’avois conservé quinze ans, comme mes yeux: Il faut, il faut mourir.         Que dittes vous Menandre? Qu’il faut vous l’emmener.         Vous ne pouvez comprendre, Ces discours ambigus, & pleins d’obscurité. Non,         Je leur vay donner, le sens, & la clarté. Sçachez que mon dessein, pour croistre mes desastres, M’a rendu curieux de cognoistre les Astres; Et que ce vain sçavoir, qu’un grand Mage m’aprit, Dés ma tendre jeunesse, a charmé mon esprit: Mais las! je m’en servis à ma propre ruyne, Pendant l’accouchement de ma chaste Amerine, (De deux enfans jumeaux d’un beau couple innocent, Qui cousteront la vie à leur Mere en naissant) Au fort de ma douleur, j’eus encore la puissance, D’en tirer l’Horoscope, au point de leur naissance: Et j’eus horreur de voir l’Ascendant furieux, Qui menaçoit leurs jours d’un inceste odieux! Sous le voile d’Hymen (horrible en ce mistere) Je treuve que la Soeur brûleroit pour le Frere: Qui s’iroit d’un brazier, tout pareil échauffant: Je découvrois de plus, que cét ingrat enfant; Viendroit un jour, poussé, d’une damnable envie, Les armes à la main, attenter à ma vie; Et sortant plein de honte, & de confusion, J’aprehenday l’effect de ma prediction. Pour détourner ce mal de ma triste famille, Je crus qu’il suffisoit de declarer la fille; Pour mon fils, je voulus que Menandre en eust soing, Le connoissant fidelle, & qu’il l’emmenast loing, Dans un lieu de plaisir, qu’il a dans la Province, Sans luy faire sentir qu’il fust né fils de Prince, De peur avec le temps, il ne s’enquist pourquoy Estant mon fils unicque, on l’éloignoit de moy. Il a donc en ce lieu, sous le nom d’Anaxandre, Passé jusques icy pour le fils de Menandre, Avec des qualitez si rares, qu’en effect, J’ay grande occasion d’en estre satisfait. Ma fille toutes fois estant chez moy nourrie, A seule esté de moy si tendrement cherie, Que sans l’ingrate humeur d’elle, & de son Espous, Sans doute que mon fils en eust senty les coûs: Je l’aurois oublié chez Menandre; & pour elle Perdu tous les respects de la loy naturelle. Dés l’heure que mon gendre eust fait sur mon Estat, Les armes à la main, un si grand attentat. Voyant les Astres faux, du costé de l’inceste, Où ma credulité avoit esté funeste, Et ne presumant pas qu’un Fils tant estimé, Deust jamais contre moy paroistre envenimé, Je le voulus tirer de cete solitude, Pour punir Iolas de son ingratitude; Mais Menandre, qui veut qu’il guerisse à loisir, A jusques a present retardé mon plaisir. Maintenant je le presse; & pour m’oster de peine, Tout malade qu’il est, je veux qu’il me l’emmene. Vrayement cét accident que vous me racontez, Estonne mes esprits, & les tient enchantez; D’un autre que de vous j’aurois peine à le croire, Car il sent aussi-tost la Fable que l’Histoire: Mais depuis qu’Anaxandre est chez ce Gouverneur, Qui doit l’avoir instruict dans les loix de l’honneur, Pour estre le témoin vous-mesme de sa vie, Je m’estonne comment vous avez eu envie De le faire venir devant vous inconnu? Le desir de le voir bien-souvent m’est venu; Mais j’ay (me figurant une vaine disgrace) De son Astre malin redouté la menace. Differez donc encor, jusqu’à tant que les Dieux Vous le rendent entier, & qu’il se porte mieux. Puis qu’il doit rétablir mon bon-heur & ma joye, Quoy qu’il puisse arriver, il faut que je le voye: Cependant ma Princesse, allons disposer tout, Pour l’assaut de Tarente, & si j’en viens à bout, (Comme vous me donnez grand sujet de le croire) Seule vous en aurez le profit & la gloire. Seigneur tout est perdu, vos gens épouvantez, Sans attendre les coups fuyent de tous cottez, Phalante qui n’a point de pareil sur la terre, (Sorti de la Cité comme un foudre de guerre) Abat vos Esquadrons, ravit vos Estendarts, Et seme dans le Camp l’effroy de toutes parts: Tous nos retranchements cedent à son courage. Allons nous opposer à sa bouillante rage, C’est un torrent qui passe, & qui ne peut durer, Il n’est pas temps encor de rien desesperer. Vos meilleurs Officiers, qu’à Tarente l’on meine, Sont déja prisonniers de ce grand Capitaine: Rien ne peut resister aux forces de son bras; Si vous ne raliez vous-mesme vos Soldats, Vous perdez vostre Armée, en ce peril extresme, Et vous courez fortune en vostre tente mesme. Sus, courage Soldats, il me faut secourir. En ceste occasion, il faut vaincre, ou mourir, Je l’extermineray, fut-il le Dieu de Thrace. Détournez, justes Dieux, ce mal qui nous menace. Mourons, pour obéir à la rigueur du Sort, Mais finissons au moins par une belle mort: Vangeons en perissant l’honneur de la patrie; Attacquons ce Lyon, dont on craint la furie, A moy, mes Compagnons, quelle honte est-cecy? Vostre Prince vous voit, le servez-vous ainsi? Poltrons, ou fuyez-vous? en vain je me travaille, L’épouvante a saisy cette vile Canaille; Il n’importe, ayant faict le dessein de mourir, Que me serviroit-il qu’on me vint secourir ? Je suis lassé de vivre, allons vanger le Prince, De nostre lâcheté, fatalle a sa Province: Tourne, teste Phalante, à moy brave Guerrier, Adjouste a ton triomphe encore ce laurier. Tu cours à ta ruïne, insencé temeraire, Qui ne peut resister à ma juste colere. O justes Dieux que voy-je; ah mon Pere est-ce vous, Que la rigueur du sort fait perir sous mes cous? Faut-il, pour obscurcir l’éclat de ma victoire, Qu’une telle rencontre arreste icy ma gloire? Menandre, mon cher pere, est-ce vous que je voy? Embrassez, embrassez, votre Anaxandre & moy, Qui sortant par caprice hors de vostre puissance, Sous le nom de Phalante a caché sa naissance, Qui se doit sa fortune, & qui comblé d’honneurs, Se void consideré de tant de grands Seigneurs. Arrestez Compagnons.         Ah! je meurs de joye, Est-il vray que je veille, & que je vous revoye, Glorieux Anaxandre? & que Dieu m’ait rendu, Le gage pretieux, depuis six ans perdu? Vous n’estes point mon fils, comme vous pensez l’estre, Vous estes mon Seigneur, & mon Prince, & mon Maistre, Souffrez donc aujourd’huy que Menandre à genous, En cette qualité s’incline devant vous. Son plaisir est extrème; & comme il se redouble, Il altere l’esprit du bonhomme, & le trouble, Que faites vous, bons Dieux!         Je fay ce que je doy, Je l’avouë, il est vray, je suis tout hors de moy; Mais troublé que je suis, je vous connois encore, Pour le seul fils du Duc, que la Calabre adore, Qui voulut qu’inconnu, pour certaine raison, Vous fussiez comme mien nourry dans ma maison: Magnanime Phalante, à ce nom plain de gloire, Je me veux arrester; mais Dieux! le puis-je croire? Ouy, je n’en doute plus, ces traits charmans & dous, Retracent Monseigneur, je les reconnois tous: Ah! que vostre Fortune est de tout point heureuse, Et que vous pouvez faire une paix glorieuse! Tout cede au coup fatal de ce bras indompté, Le camp de vostre Pere est tout épouvanté, Si vous ne détournez promptement cét orage; Par vous seul excité, son honneur fait naufrage. Dites vous vray, Menandre? ou si vos sens charmez, Veulent tromper les miens d’alegresse pâmez? Aydez vous, aydez vous, en cette cognoissance, Et par vostre grand coeur sentez vostre naissance. Menandre me surmonte, & dans mes hauts desseins, Un Vieillard fait tomber les Armes de mes mains: Mais puis que vous voulez que je sente ma joye, Puisqu’à tous vos discours vous voulez que je croye, Faites tant que je sçache au moins pour quel peché, On m’a tenu chez vous si longuement caché. Venez trouver le Duc, que cette affaire touche, Grand Prince, & l’aprenez vous-mesme de sa bouche: Venez sur ma parole, il n’est pas loin d’icy; Ou si ses Legions vous tiennent en soucy, Si vous vous défiez, souffrez qu’il se hazarde, Et qu’il me suive icy seul avecque sa garde. Je vous croy, cher Menandre, & vous veux obeyr: Celuy qui m’a nourry me voudroit il trahir? Allons à sa rencontre, ah! que j’ay l’ame esmeuë, D’une si glorieuse & si chere entre-veuë: Cependant, doux tesmoin de mes prosperitez, Et qui fus compagnon de mes adversitez, Hydaspe, cher amy, vole dedans Tarente, Et fay qu’à ce bon-heur (qui passe nostre attante) Iolas prenne part, & tous les siens aussi; Sa santé permet bien qu’il vienne jusqu’icy. Il voit du haut des murs mon succez manifeste, En l’emmenant au camp, raconte luy le reste: Dy qu’on luy promet tout, si pour l’amour de moy, Il pardonne à celuy qui luy manqua de foy. J’y cours.         Dy cependant, en deux mots, cher Menandre, Pourquoy l’on te commit la garde d’Anaxandre; Eclaircy promptement mon esprit curieux, En gaignant la fraicheur, qui parest en ces lieux, Où j’attendray le Duc, mon Seigneur, & mon Pere. Allons, en peu de mots je vous vay satisfaire. Peut-on voir sur la terre un homme plus vaillant? Admire avecque moy ce courage bouillant, Qu’en dis-tu, ma Princesse?         Il est inimitable. Rien ne peut resister à ce bras indomptable. Voyez que d’ennemis à ses pieds abattus! Certes, j’ay de tout temps admiré ses vertus, J’ay tousjours eu pour luy je ne sçay quelle estime, Qui n’a point offencé nostre amour legitime; Et ne l’ay jamais sçeu, ny hair, ni blasmer, Que quand tu m’as voulu contraindre de l’aimer. Le respect que je porte à son amitié saincte, M’ordonna dans mon mal cette douce contrainte; Ne la reproche plus à ta chaste moitié; Je suis sain, & l’Amour a vaincu l’Amitié. Mais as-tu bien pris garde à l’action derniere, Que nous avons veu faire à cette ame guerriere; Lors qu’arrestant les siens, son casque il a haussé, Devant un des vaincus, qu’il a tant embrassé? Puis vers cét arbre ensemble ils ont tourné visage. Quelqu’un, qui s’est soumis à ce jeune courage; A merité de luy ce trait d’humilité; Je cognois sa franchise, & sa civilité. Seigneur, les principaux de l’armée ennemie, Dont Phalante a trouvé la valeur endormie, Par luy faits prisonniers, sont sous vostre pouvoir, On les vient d’emmener, vous plaist-il de les voir? Non, va les consoler un peu dans leur disgrace, Et qu’on les traitte bien; la prosperité passe, Le Sort en autre temps les peut favoriser, Le Sage, de son heur ne doit point abuser. Hydaspe, que Phalante appelle son fidelle, Vous porte de sa part une grande nouvelle: Il vient tout en fureur d’entrer dans la Cité. Sçais-tu pour quel sujet il s’est si fort hasté? Il dit que le bon-heur de Phalante est extréme, Mais il veut reserver ce secret à vous mesme. Allons à sa rencontre.         Ah! grands Dieux, que je crains, Que ce Duc malheureux ne tombe sous ses mains; Tout injuste qu’il est, il est toujours mon pere, Grands Dieux; & vos faveurs ont calmé ma colere. Il n’est pas vray-semblable; Anaxandre, dis-tu, Arrivé dans le camp, a des-ja combatu? Ouy, grand Prince, & de plus, il a vaincu Phalante, Comme il se preparoit de forcer vostre Tante. Il a vaincu Phalante?         En ses plus hauts dessains, Il luy vient d’arracher la victoire des mains. Quoy! mon Fils, auroit eu tant d’heur, & tant de gloire, Que d’emporter d’abord une telle victoire? Tu le faisois malade, & dans l’extremité, Comment en ce peril s’est-il precipité? Comme a t’il-pû si tost, dans nostre Camp se rendre; Explique ton discours, que je ne puis comprendre. Quand il vous contera ce succez glorieux, Luy-méme, croyez moy, vous le comprendrez mieux. Apres tout, s’il est vray j’en benis l’avanture, Menandre, & te sçay gré de cette nourriture; Les Astres ont menti, du crime incestueux, Dont ils ont menacé cét Enfant vertueux; Et quand je le bannis, soupçonné de ce vice, Et d’un noir attentat, je luy fis injustice. De mon credule esprit Saturne s’est joüé, Sa vertu me ravit, le Ciel en soit loüé, Allons vers luy Menandre, allons en diligence. Allons, doy-je advoüer icy ma negligence? Non, devant son cher Fils je me veux accuser: Dans l’excez de sa joye il pourra m’excuser. Mais les Astres peut estre on predit de mon Gendre, Ce qu’à faux j’imputois à mon cher Anaxandre: Cét Ingrat m’a tenu lieu d’enfant jusqu’icy, Et c’est luy seulement que le Ciel a noircy De ce grand attentat, qui provocque ma haine. Je le veux éclaircir, & le tirer de peine; Toutefois j’attendray que Phalante present, (Puis qu’il a fait le mal) m’excuse en s’accusant; Le voicy qui s’avance, ah! que j’ay l’ame esmeuë. Quel est ce Cavalier qui paroist à ma veuë? Grand Prince il n’est plus temps de vous rien déguiser, Phalante est vostre Fils, qui se vient accuser D’avoir des-honoré son bras, & sa naissance, En s’armant contre vous, le voila qui s’avance, Pour tâcher d’obtenir son pardon, & le mien. Tu te fais plus obscur, je ny comprend plus rien. Quand j’ay dit qu’Anaxandre en sa valeur extréme, A surmonté Phalante, il s’est vaincu soy-mesme, Ce genereux Lion a calmé son courrous, Dés qu’il a sceu par moy qu’il estoit né de vous. As-tu l’esprit troublé, que dis-tu là Menandre? Qu’en Phalante aujourd’huy vous voyez Anaxandre, Et qu’un discours menteur vous a toûjours trompé; De puis six ans qu’il s’est de mes mains eschappé, Sous ce nom glorieux, il a fait des merveilles, Le bruit en est venu cent fois à vos oreilles! Vous avez admiré, vous mesme en vostre Cour, Et si pendant le temps qu’il y fit du séjour, J’eusse esté pres de vous, j’aurois fait recognestre, Ce Prince glorieux, ignorant de son estre. Mais j’estois arresté malade en la maison, Qui luy servit quinze ans d’inutille prison: Le voila prosterné, mon offense le touche, Et j’ose en demander le pardon par sa bouche. Confus détonnement ie ne sçay que penser. Relevez vous mon Fils, & venez m’embrasser. Le Ciel m’a t’il bien faict de ce crime capable? Ne vous excusez point, je suis tout seul coupable, Ma superstition a fait tous vos pechez, Je voy les découverts, & je crains les cachez: Je connoy la moitié des menaces des Astres, Et l’Inceste sans doute, acheue mes desastres: Par la mort d’Iolas vous estes possesseur, Des appas criminels de vostre propre Soeur. Ne craignez, pas mon pere, une telle disgrace, Le Ciel s’est contenté de sa seule menace, Ce dangereux Hymen reste autant imparfaict, Que mes sanglants desseins, qui n’ont point eu d’effect. Menandre m’a tout dit, vous avez par prudence, De mon astre malin détourné l’influence. Ah! mon Fils, ce sçavoir est vain, & dangereux, Si je l’eusse ignoré, j’eusse esté trop heureux: Quoy vous avez donc pas espousé la Princesse, Par la mort d’Iolas?         Que vostre crainte cesse, Iolas, dont le mal m’a comblé de soucy, Est guery par miracle, & doit venir icy. Aussi-tost que j’ay sçeu l’honneur de ma naissance, J’ay mis en vos bontez toute ma confiance; J’ay creu que j’obtiendrois l’effect de mes souhaits, Si pour ce cher amy je demandois la paix: Mais le voicy qui vient la demander luy-mesme, Par sa rare vertu, jugez combien je l’aime, Oubliez vostre haine en ce jour solemnel, Et lions nous à luy d’un amour eternel. Ouy, je le veux aymer, ouy mon cher Anaxandre, Juge-le par ces pleurs que tu me vois respandre. En l’excez de la joye, où je me vois plongé, Je suis tout seul coupable, il est seul outragé; Et ta Soeur eut raison, puis qu’il l’a tant cherie, De seconder sa haine; ayde moy je te prie, A regagner le coeur de ces parfaits Amans, Et prevenons les tous par nos embrassemens. Quel miracle est-ce cy? quelle grande fortune Banit de nos destins la rigueur importune? Quel heur inesperé nous surprend en ces lieux? Rendons mes chers Enfans, rendons graces aux Dieux, Ne nous souvenons plus de nos fautes passées, Et que le seul amour regne dans nos pensées. Chere & parfaite Soeur, je ne m’estonne pas, D’avoir eu tant d’amour pour tes chastes appas. Ta Liliane eut tort dans son amitié pure, De blâmer un instinct qu’enseignoit la Nature: Mais ce divin Objet, qui soupïre pour toy, Sera-t-il pas en fin le seul prix de ta foy? Mon coeur hors ce desir n’a rien qui le contente, Favorisez mon pere une si douce attente, Secondez le vouloir de ce parfait amy, Sans ce bien, vostre Fils n’est heureux qu’à demy. Que me demandes-tu?         Cette aimable Princesse, Pour qui depuis deux ans je soupire sans cesse, Et dont vous apprendrez la constante amitié, Apres que de mon feu vous aurez eu pitié. Iolas y consent?         Ouy de toute mon ame. Que le Ciel de vos coeurs eternise la flame, Je veux une autre grace, Iolante a failly; Mon fils noyez son crime au fleuve de l’oubly, Un jalous desespoir la rendit criminelle, Mais elle s’en repent, j’ay de l’amour pour elle, Et si vous m’accordez cette chaste beauté, Je vous respons à tous de sa fidelité. Vous luy faites, mon pere, un honneur qui m’estonne, Ouy, j’excuse sa faute, & je la luy pardonne, Puisque vous l’ordonnez, je pers le souvenir, Du mal quelle m’a fait.         Qu’on la face venir. Lors que je suis sorty qu’as-tu fait ma Princesse? Mon esprit a suivy ta fortune sans cesse, Mon coeur à ton espée a tousjours esté jointe: Mais il mouroit de peur & tu n’en avois point. J’estois à la faveur de cet arbre cachée, De regret & d’ennuy sensiblement touchée, Mais sur vostre parole, & celle d’Iolas, Confuse je me viens jetter entre vos bras. Ne crains plus rien, ma Soeur, ton offence est remise, Tu ne verras icy qu’amour & que franchise. Ah mon frere, je meurs de t’avoir offensé. De nos espris contens ton crime est effacé, Un pardon general signé de part & d’autre, Abolit pour jamais ton malheur & le nostre, Mais apres tant d’ennuits & de si longs travaux, Allons dedans Tarente ensevelir nos maux, La nous nous conterons toutes nos avantures, Et mettrons ordre à tout pour les nopces futures. Allons, & que mon Fils, partout victorieux Face connoistre au Roy, son destin glorieux. Fin.