C’est vous, mon bel Hiver ! Votre retour m’enchante : Vous voilà mis d’un goût divin. En Hiver de Paris, qui te pare à dessein, Pour vous faire sa cour, Frivolité charmante. Mon âme était impatiente De vous revoir dans ce brillant séjour. Pour avoir ce plaisir, j’ai pressé mon retour, Tout cède à ma froideur constante : Pour vous, j’étends mes droits sur les autres saisons ; Je raccourcis l’automne, et souvent je recule Les roses du Printemps, qu’alarment mes glaçons. Te fais trembler l’Été, quelque feu qui le brûle ; Et pour vous je ramène ici les aquilons Dans le fort de la canicule. C’est me faire un honneur qu’on trouve ridicule, Vous faites murmurer Paris Par ce contre-temps qui le gèle. Je vous dirai bien plus : votre glace mortelle Depuis un temps passe dans les esprits, Et se répand surtout jusques sur les écrits. Les spectacles souvent en sont si refroidis, Qu’on voit le jour d’une pièce nouvelle , Tous les Spectateurs engourdis Bâiller à l’unisson , et sortir tout transis. Votre tyrannie est extrême, Et le Public s’en plaint.         Il n’est jamais content. Il sifflait autrefois, il bâille maintenant : Au fond, cela revient au même ; Et l’Auteur, qui plus est, gagne à ce changement; Car la manière est moins brutale. Il tombe au moins plus doucement, Et sa pièce meurt fans scandale. Mais qu’il s’en prenne aux éléments , Et qu’avec lui l’Univers me condamne , Je ris de ces emportements, Pourvu que vous soyez toujours ma partisane. Oui, vous êtes pour moi plus beau que le Printemps, Et vous ferez toujours ma Saison favorite. Votre arrivée accroît mes agréments ; De mes sujets vous ramenez l’élite, Et vous réunissez cent plaisirs différents ; Spectacles, Jeux , Bals, Soupers ravissants, Qui font briller tout mon mérite. D’un si rare bonheur, l’Hiver se félicite. Mais vous brillez dans tous les temps. Votre destin est des plus surprenants. C’est la légèreté qui forme votre empire. Votre trône fragile est assis sur les vents, Et toutefois rien ne peut vous détruire. Mon trône est dans les airs par les Sylphes porté ; Mais les Gnomes, qui sont l’appui de ma puissance, L’attachent à la terre avec solidité. IL a pour base l’opulence, Et mon règne est fondé sur la réalité. Au milieu de Paris, j’ai pris, en conséquence, La figure et les traits d’une jeune Beauté, Veuve d’un Héros de finance, Qu’elle épousa par préférence, Pour rehausser sa qualité , De tout l’éclat d’une fortune immense : Et dans son riche hôtel, je fais ma résidence, J’attire ici toute la France, Dont je suis la Divinité. Légère, vive, gaie, étourdie et coquette, Je fixe les désirs de ce peuple brillant : Les ris composent seuls le culte qu’il me rend ? Et mon Autel est ma toilette, Où je reçois ses voeux, en minaudant. Comme vous présidez aux talents agréables, Danseurs , musiciens, poètes, tour atour, Doivent faire, pour vous, éclater leur amour, Et former un concert de tous les arts aimables. Les États les plus sérieux, Les personnages les plus graves Sont également mes esclaves ; Même le plus frivole est souvent le plus vieux. Le Magistrat que je délasse, Vient me rendre le soir son hommage badin, Au Militaire, il dispute la place De mon premier menin ; Et le jeune Marquis qui tous deux les surpasse, Sur le beau Sexe même a le pas dans ma Cour, 1I taille mes pompons, il leur donne la grâce ; Et j’en fais ma coiffeuse, ou ma Dame d’atour. Il le mérite bien,         Dans ce jour d’importance, Pour mieux étendre ma puissance, Et mon nom dans tous les pays, Je viens de me parer de mes plus beaux habits. J’ai pris mon sceptre en main, et je donne audience À tous les étrangers qui viennent à Paris, Pour former leur maintien, pour polir leur science, Et donner aux talents ce brillant coloris Qui les met dans leur jour, et qu’on ne prend qu’en France. Je veux, de mes attraits, qu’ils connaissent le prix, Et qu’à mon éventail, ils soient tous asservis. Votre victoire est trop certaine : Pour mieux la célébrer, je vais, ma souveraine, Rassembler tous mes jeux, qui vous doivent le jour, Et je reviens après signaler mon retour, Par un bal singulier, dont vous serez la Reine, Je donne le bonjour à tous vos agréments. Madame, vous voyez un Socrate moderne, Qui, pour ne rien savoir, étudia vingt ans, Et qui honteux d’avoir perdu son temps, De dépit est parti de Berne, Pour devenir en France un aimable ignorant. Tout ce que j’ai, Madame, appris certainement, C’est qu’ici-bas tout est frivole, Que la réalité n’est que l’amusement, Et pour apprendre promptement Ce joli savoir-là, je viens à votre école. Votre sincérité me plaît. Vous voyez, quoique tard, le monde tel qu’il est. Son globe entier n’est que superficie : Un ballon gonflé d’air, décoré de clinquant, Tout est, à mes pompons, soumis par conséquent, Et dépend de ma Monarchie. Elle est universelle, et je n’ai qu’à vouloir. Le Sage en vain déclame contre, Il est comme le fou, sujet à mon pouvoir. Il a beau m’éviter, partout il me rencontre. Qu’il mesure la Terre, ou soit qu’il vole au Ciel, Soit qu’il sonde la Mer, je suis toujours son guide; Et l’Anglais si profond, ou qui passe pour tel, Creuse dans le frivole, et tombe dans le vide. Le Français, qui tout haut s’honore de mes fers, Est plus raisonnable et moins dupe, Son esprit léger ne s’occupe Qu’à parer ses dehors, à varier ses jeux, Qu’à goûter le plaisir, sans rechercher sa cause, Et qu’à prendre, en passant, la fleur de chaque chose. Par ce système avantageux, Il en est plus aimable, et cent fois plus heureux. C’est ce que j’ai senti. Pour marcher fur sa trace, Donner dans le léger, voler fur la surface , Je compose un roman : j’ose vous supplier D’en agréer la dédicace.. Un roman Suisse ! Et me le dédier! L’honneur est rare, et je m’en glorifie. Je l’écris en Français, d’un style fort léger, Il contient votre éloge, ou votre apologie, Et vous devez le protéger. Le Héros, dont j’écris la vie, Est un Héros paisible ; et son plus grand danger Est celui de tomber dans une Comédie, Ou de voir de trop près une actrice jolie. Mais, vu par ce côté, votre ouvrage me rit. Quel est le titre, je vous prie ? C’est le Suisse qui rêve, ou la Philosophie Réduite à rien par un homme d’esprits. Suisse spirituel, et qui rêve à profit ! Ce paradoxe vous étonne. Il choque ouvertement le proverbe reçu. Il est vrai que l’esprit n’est pas une vertu Dont le grand nombre vous soupçonne. Voilà précisément ce que j’ai combattu Dans mon discours préliminaire. J’y compare d’abord l’esprit, qui nous éclaire, Au bel Astre du jour, qui répand sa lumière Sur tout le monde également ; Et je fais voir après par des preuves réelles, Qu’on le transplante en commerçant, Que du Français, il passe à l’Allemand, Qu’il s’embarque sur mer, franchit les Dardanelles, Et circule comme l’argent. Voilà pourquoi chaque peuple varie, En trafiquant dans les autres climats, II en prend l’air, les façons, le génie, Communique le sien à ces mêmes États. Les moeurs ainsi partout se mêlent en partie, Et forment, par degrés, un monde tout nouveau ? Nous sommes les témoins d’un prodige si beau. L’Europe maintenant, et, qui plus est, l’Asie Présentent à nos yeux un différent tableau. Le beau Sexe n’est plus esclave en Italie ; Et l’on boit du vin en Turquie. En France, l’on s’est mis à l’eau ; Et l’on fait des vers en Russie. Des vers Russes, je crois, doivent être jolis. Votre commerce et vos ouvrages Nous ont polis, nous ont éclairés tous ; Et pour vous vaincre, un jour, dans tous vos avantages, Nous prenons des armes chez vous. Votre idiome ailleurs fait du progrès fans cesse On le parle dans tout pays, Comme celui de Rome et de la Grèce. À Copenhague, on le professe , Et, jusqu’en Amérique, il fait des Beaux-Esprits. Puissent-ils venir mieux dans la nouvelle France, Que, depuis quelque temps, ils ne viennent ici ! La révolution n’est pas si loin qu’on pense. Le règne de l’Esprit peut, comme la Science, Passer dans nos Cantons, et puis au Potosi. Notre bon goût se forme, et le vôtre commence À s’altérer dans vos écrits. Le savoir, parmi vous tombé dans le mépris, Fait dans le Nord sa résidence, Et, pour les Arts qu’il récompense ; Berlin déjà le dispute à Paris. Nous honorons d’un accueil favorable , Plus que jamais, tous les Arts d’agrément. Nous n’estimons pas moins l’abstrait que l’agréable. Nous préférons l’Algébre à la Danse souvent. Newton, plus que Dupré, nous paraît admirable; Et l’électricité nous frappe uniquement. Ses invisibles coups, qui tiennent de la fable, Comme ceux de l’Amour, exercent à présent Un empire aussi sort, qu’il est inexplicable. Nous l’employons universellement, Et, dans notre fureur, jusqu’au feu du tonnerre, Nous électrisons tout impitoyablement. Nouveaux Titans, dans cette guerre, Nous voulons désarmer le Roi du Firmament, Et soumettre le Ciel au pouvoir de la Terre. Vous regardez cela comme un amusement. C’est comme il faut tout voir, par le côté charmant. Pour l’érudition, dont la lourdeur accable, Si nous la négligeons, le mal n’est pas bien grand. Le gros savoir fait un pédant. L’esprit lui seul fait l’homme aimable, Qui chez nous est le vrai savant. L’Esprit en fait partout.         Et qui doivent nous vaincre. Votre exemple , Monsieur, suffit pour nous convaincre. Le tort me sait sentir le vrai sens de ces mots. Il dit, en bon Français, que nous sommes des sots. Vous l’interprétez mal.         Non, j’entends l’ironie. Vos pièces de tout temps, ainsi que vos propos, De la bêtise, en tout, nous ont fait les Héros ; Et votre raillerie, aux spectateurs crédules, Offre un Tableau chargé de nos vieux ridicules, Tels qu’ils n’existent plus que dans vos seuls cerveaux. Moi, plus juste, d’une âme franche, Je ris de vos travers nouveaux, Et je viens prendre ma revanche. Comme Berne, Paris a ses originaux. Cette Ville qui, toujours franche, Ne doit plus se moquer de nos treize cantons, Madame ; et vos Marquis valent bien nos Barons. Aux étrangers toujours nous donnons l’avantage. Madame, s’il vous plaît, trêve de persiflage. Non, en votre faveur, nous sommes prévenus. Lé défaut du Français est d’outrer là-dessus. Les moeurs de ses voisins sont toujours les plus sages. Il adopte leurs Arts, leurs écrits, leurs usages. Fait, pour servir en tout de modèle brillant, II en perd le mérite, et par cette manie D’un bon original, il devient très souvent Une fort mauvaise copie. Je blâme cet excès vraiment. Il forme en elle un autre ridicule. Lorsqu’un voisin fait bien, on doit prendre son ton, Ou plutôt enchérir sur ce qu’il a de bon. Mais, quand servilement on le suit sans scrupule, On est alors son singe, et non pas son émule. Au portrait du Français j’ajouterai ce trait, Dans mon Roman que je retouche: Je vous implore à ce sujet. Adoucissez, pour moi, le critique farouche. Les Dames aujourd’hui sont le sort d’un écrit ; Et, dès qu’il est vanté par une belle bouche L’ouvrage a de la vogue, et l’Auteur réussit. Sans avoir lu, je donne mon suffrage ; De maison en maison, j’irai prôner l’ouvrage. Je forcerai tous mes amis, Les uns à l’acheter, les autres à le vendre, Pour mieux l’accréditer, je doublerai le prix. En même-temps, j’aurai foin de répandre Qu’il est d’un étranger. C’est pour le faire prendre, Monsieur, un titre qui suffit. Je réponds du succès, ou du moins du débit. L’un a de l’air de l’autre, et l’on peut s’y méprendre La réussite, ou le grand bruit, Aujourd’hui, d’une Comédie, Du seul manège est en secret le fruit. La première semaine, en foule on s’extasie ; La seconde, elle baisse, et n’offre rien de neuf, La troisième, elle perd la vie. Voilà, j’en excepte Génie, Voilà nos grands succès depuis quarante-neuf. Mille remerciements. Une Dame s’avance. J’attendrai qu’elle ait fait, pour vous dire bonsoir, Et je m’éloigne un peu par bienséance. C’est une Anglaise, et de ma connaissance. Je ne saurais trop bien la recevoir. Vous faites aujourd’hui les honneurs de la France, Recevez donc ma révérence. Avant que de partir j’ai voulu vous revoir, Madame.     Vous partez, Miss-Blar !         En diligence, Et sans avoir le temps d’aller même en Provence. Mais pour dissiper, pour bannir l’esprit noir, Qui vous travaille dès l’enfance, L’air de Paris est l’air par excellence. Vous l’avez dû sentir déjà.         Moi ! point ; jusqu’ici, Madame, il a mal réussi. Vous méritez que je vous gronde. Que ne me croyez-vous ? C’est votre faute aussi. Il fallait vous répandre au milieu du grand monde, Me suivre dans son tourbillon. Dans l’espoir de ma guérison, Madame, je m’y fuis jetée en furieuse ; J’ai d’abord entrevu quelque petit rayon ; Mais pst, il s’est éteint. J’ai trouvé, malheureuse ! Que malgré tous ses airs et sa prétention, La bonne compagnie est la plus ennuyeuse. La tristesse est assise à côté du bon ton. C’est dans son sein pourtant que le plaisir habite, Avec les jeux badins qui marchent à sa suite , Et la gaieté, son adorable soeur. La sienne n’est point vraie, et puisqu’il faut le dire, Elle est au fond de l’âme aussi triste que moi. C’est l’ennui déguise, qui s’efforce à sourire, Et non pas la gaieté qui rit de bonne foi. Voulez-vous qu’elle éclate en bourgeoise maussade ? Oui, c’est la meilleure façon : Quand elle a besoin d’art, la joie est bien malade. Sa plus grande ennemie est la réflexion. Pardon, si je me mêle à l’entretien, Mesdames. Mais je suis Médecin, surtout celui des femmes. Sans être de la Faculté, J’ai traité bien des fois, guéri plus d’une belle. De votre mal, d’un coup d’oeil, je démêle, L’origine et la qualité. Milady pense trop. La pensée est mortelle. Elle fait haïr la clarté, C’est le poison de la santé. Savoir quel est mon mal, c’est une bagatelle, Mais le guérir, Monsieur, c’est la difficulté. La recette en est simple autant que naturelle. Sitôt que de la vie on se sent dégoûté, On se doit sur le champ débarrasser la tête Du jugement qui nous maigrit ; Déraisonner beaucoup, parler sans être instruit, Rire sans cause, aller sans que rien nous arrête, Se réduire à l’instinct qui nous guide à profit. Ah ! Peut-on exister si l’on ne refléchit ? Votre recette est révoltante : C’est végéter comme une plante. Le grand nombre l’imite, et le bon sens nous dit Qu’il vaut mieux vivre sot que mourir plein d’esprits. Pour moi je suis votre servante. Ne vivre que pour mettre une coiffe, un panier, Ah ! J’aimerais autant orner un espalier. Ne pensez donc qu’à l’agréable, Et ne faites, je cherche un terme favorable, Ne faites que frivoliser, Si de ce mot il m’est permis d’user. Voilà depuis trois mois ce qu’ici je lui crie, Dissipez votre esprit sans jamais l’occuper. Vous m’impatientez ; comment me dissiper ! Rien ne m’amuse, et tout m’ennuie. II ne faut pas se rebuter : Comme l’oiseau que rien ne lie, Parcourez, sans vous arrêter, Le cercle des plaisirs que chaque instant varie. Ces plaisirs ! Je les cherche, et je n’en trouve point. La promenade est un remède... Qui me fatigue au dernier point. La table ?...     M’est à charge.     Et le bal ?...         Il m’excède. Le jeu ?...     M’est odieux.     Le spectacle ?...         Importun. Votre mal est tenace. En cet état funeste, À votre place, moi, je jouerais de mon reste. C’est peu de folâtrer pour chasser l’esprit brun : Il faut extravaguer jusqu’à la frénésie. Eh ! Je n’ai pas le sens commun Depuis que j’ai quitté le sein de ma Patrie. C’est un mauvais contrepoison. J’étais malade à Londres à force de raison, Et je meurs à Paris d’un excès de folie. Madame, il vaudrait mieux mourir Cinquante fois plutôt d’un excès de plaisir, À ce propos, parlez, je vous supplie ; À Londres n’avez-vous rien aimé ?         Non, jamais, Et j’ai porté chez moi la froideur à l’excès. Contre votre mélancolie, Je sais donc en ce cas un remède certain. Prenez...         Quoi donc ? Achevez, je vous prie. Prenez vite un amant pour votre médecin ; Ses soins sauront bientôt, je vous le certifie, Vous donner du goût pour la vie, Et faire succéder le plaisir au chagrin. Il est de bon conseil. Ah ! Je l’en remercie ; Le remède, Madame, est pire que le mal. Mais comment jugez-vous qu’il vous fera fatal, N’ayant point effrayé ?....         Non pas, Monsieur, à Londres. En France, Milady, l’auriez-vous éprouvé ? Me taire, c’est assez répondre. Chère Miss, votre coeur s’en est-il bien trouvé ? Au mieux le premier jour. Je crus alors renaître. Il se fit, dans mon âme, un changement nouveau. Pour la première fois, le jour me parut beau, Et je goûtai le bonheur d’être. Le second jour ?         Mon plaisir s’altéra. Mon amant fut absent, mon coeur en soupira. Le troisième, il revint, et chassa ce nuage. Le quatrième, il parut moins ardent, Et mon amour troublé s’alarma vivement. Le cinquième, il devint volage, Et tout mon bonheur disparut. Une rivale eut l’avantage. J’en fus témoin. Mon désespoir s’accrut, Et, dans mon coeur trahi, ne laissa que la rage. Vous êtes mal tombée, et c’est un grand dommage. J’en connais un, qui serait plus constant. En quatre mots, voilà mon histoire finie. Tout calculé bien justement, Je n’ai vécu que trois jours dans ma vie. D’un noeud léger, tissu pour un moment, Il fallait, avec lui, vous lier seulement. Vous avez , contre ma défense, Formé le sot lien d’un tendre attachement ; Et vous en recevez le juste châtiment. Mais quel est donc le Petit-Maître ?... C’est votre favori, ce fripon de Marquis Qu’ici, pour mon malheur, vous m’avez fait connaître. Adorateur de mon pays, Dans ma personne, il en parut épris, Nous fûmes joints d’estime, autant qu’on le peut être, Par un moyen qui réussit souvent, Je me flattais de fixer fa tendresse. Malgré tout mon amour , j’ai très exactement Conservé toute ma sagesse. C’est un effort bien surprenant. Cela tient un peu du miracle, Monsieur, particulièrement Dans une fille de spectacle. De cet aveu vous êtes étourdi !         Le préjugé sur vous...         Non ; je sais le combattre ; Mais je vous croyais Milady. Souvent je le fuis au Théâtre. Vous pourriez l’être ailleurs par un titre plus fort. Jamais je ne m’allie avec aucun Mylord, Notre profession à Londres est glorieuse. Le défaut de mérite est seul déshonorant. Une Actrice de nom , quand elle est vertueuse, Peut aspirer chez nous au parti le plus grand. On y rougit du vice, et non pas du talent. Moi, je l’honore infiniment. Il devient, entre nous, un noeud de sympathie. Si vous jouez la Comédie, En plusieurs Langues, moi, j’en fais facilement, En Français, en Anglais, tout comme en Allemand, Nous sommes étrangers, Le hasard nous rassemble. Marions nos accents et nos talents ensemble. Tout-à-coup, dans mon coeur, je sens naître pour vous, Mestris , une estime amoureuse. Que faites-vous ?         Devant une actrice fameuse, Un auteur doit toujours fléchir les deux genoux. Nous devons, à votre art, nos fuccès les plus doux. Ah ! Levez-vous, Monsieur. J’aperçois mon perfide. La colère, à sa vue, est mon seul sentiment ; Et, pour savoir ici quelle raison le guide, Je m’en vais dans ce coin me cacher un moment. Acceptez ma main, je vous prie. Je vous y tiendrai compagnie. Je viens verser ma joie en votre sein ; Madame, elle est immense, et rien ne peut la rendre : Ils ne partiront pas. Ils demeurent enfin. Nous allons les revoir ; nous allons les entendre. Qui donc ? Expliquez-vous. Je crains de me méprendre. La charita, la charita.         Comment nous entendrons encor, Bella mia, Se son tuo sposo. Demain, ma souveraine, Ils reparaîtront sur la scène. J’irai donc, avec eux, y triompher demain. Ma joie, au moins, à la vôtre est égale. Ah ! Vive l’Italie et son Trio divin. La mandoline, la timbale. Et le violon, zin, zin, zin. Pa, ta, pon, et trin, trin. Ce prompt retour que je n’osais attendre, Est une victoire pour nous. Puis-je la célébrer par des transports trop fous ? Ah ! ah ! Bouffonnons, rions tous. Moi pour modèle je veux prendre, Dans ses plaisants éclats, l’agréable Joueur. Moi, Serpilla , dans son souris moqueur. Elle, que je chéris, dont l’adieu fut si tendre Qu’elle versa des pleurs, et nous en fit répandre, Écoutez tout bas, tout bas, Je fuis fou de ses appas ; Et, pour faire un grand fracas, Nous irons tous à l’Opéra. Ma main la cla, claquera. Quel secret dites-vous-là ? Je lui disois, en confidence , Que je vous adore , MifT-Blar, C’est Serpilla plutôt qui vous lie à son char, Vous voulez déguiser en vain votre inconstance. Votre coeur ne doit pas en paraître jaloux. Je folâtre avec elle, et soupire avec vous. Mon coeur veut tout ou rien. Ce partage m’offense. Sur le choix, il faut prononcer. Je ne prononce point entre Londres et Florence, De vos talents divers je ne puis me passer. J’apprends à chanter d’elle, et de vous à penser. C’est ainsi, de vos dons, que j’enrichis la France. Ciel ! Quel injuste Arrêt ! Mais j’en appelle.         À qui ? À la raison, qui prendra ma défense. La raison, comme vous, est étrangère ici. J’implore donc votre puissance. C’est mon esprit qu’il a suivi, Et je confirme la sentence. Je n’attendais pas moins de la Frivolité, Protectrice de l’inconstance, Et digne soeur de la légèreté. Voilà bien le François, dont elle est le génie. La nommer, c’est la définir. Son transport, l’autre jour, était l’Anglomanie, Rien, sans l’habit anglais, ne pouvait réussir. Au-dessus de Corneille, il mettait Shakespeare. Une nouvelle frénésie Aujourd’hui vient de le saisir ; C’est la fureur des accords d’Italie. Ce mal épidémique a gagné tout Paris. J’en enrage.         Et moi j’en ris. La chose est en effet très-digne de risée. Vous y perdez.         Nous y gagnons. En changeant de plaisirs , nous les multiplions. Quelle rivale, ingrat, m’avez-vous opposée ? Mais, mais, j’admire en vous ces exclamations ! Cette Musique Italienne Que vous rabaissez tant, soumet tous les pays. Elle est, par conséquent, et la sienne et la vôtre. Non, je la méconnais défigurée ainsi. Nous voulons justement en embellir la nôtre. Cet alliage a déjà réussi. Ah ! Plutôt par ce pot-pourri, Vous la dénaturez, et gâtez l’une et l’autre. C’est un chef-d’oeuvre ailleurs ; mais un vrai monstre ici. Pour vous guérit de cette idée étrange, Je la veux toute seule établir sans mélange ; Et je veux qu’à fa gloire un Autel soit dressé Sur les derniers débris et d’Armide et d’Issé. François dénaturé, quel transport vous égare ! Priver la Nation d’un si bel ornement ! Pouvez-vous, fans frémissement, Former un projet si barbare : Cet Opéra de sentiment Dont la mélodie est si tendre, Vous les sacrifiez, Monsieur ?         Oui, forcément. Nous n’avons plus d’acteurs aujourd’hui pour les rendre, Le dernier des Romains est prêt à nous quitter. Nous n’avons pas le temps d’attendre Qu’il ait des successeurs pour les représenter. De cette perte-là, toi seul, tu nous consoles, Orphée Italien ! Pour exprimer ton chant, Notre Orchestre suffit : un accompagnement, Un coup d’archet dit plus que deux cents mots frivoles. Tu vas nous procurer encore un bien plus grand. Nos Opéras nouveaux, par ton moyen charmant, Pourront à l’avenir se passer de paroles. On en fait joliment encor. Les Fêtes de l’Hymen, Monsieur, et Zélindor. Pour les Ballets Français sont deux bonnes écoles. Vous serez donc réduits au concert seulement, Quand vous supprimerez leurs actions falotes. Non, la plaisanterie est toute dans les notes. Je dois à leurs accords un nouvel agrément, Oui redouble, pour eux, le zèle qui m’allume : Ils sont dialogués si merveilleusement , Que, dans l’Orchestre seul, je trouve heureusement Un acteur accompli, qui jamais ne s’enrhume. Mais rire à l’Opéra ce n’est pas la coutume. On rit tous les jours, sans façon, Aux Français que je crois d’aussi bonne maison. Ah ! Ne plaisantez pas : c’est commettre une offense Contre sa dignité qui proscrit le badin. La dignité du magasin ! Oui, je rougis pour lui de l’indécence. L’indécence de l’Opéra Est dans la mauvaise musique. Celle qu’un amateur, toujours admirera, Est la plus noble sans réplique. Tous ces prétendus amateurs Qui la vantent par air, avec un ton de maître. À Paris en font les honneurs, Sans avoir bien souvent celui de la connaître. Vous avez contre nous trop de prévention. Pour être juge en notre cause, Monsieur est d’une nation, Qui, toujours neutre, agit sans passion. Je m’en rapporte à lui, qu’il décide la chose. Je crains...         Monsieur, point d’appréhension. Vous ne pouvez jamais que m’être favorable. Je vais, en ce cas-là, tâcher d’être équitable. Votre Opéra Parisien Me fait priser Lulli ; mais Quinault davantage. L’intérêt de la scène est son premier soutien, Et le poète sait si bien, De la tendresse, exprimer le langage, Que le coeur avec lui devient musicien. À l’égard du chant italique, Comme j’ai calculé les accords séducteurs, Et vu son action d’un oeil philosophique, J’applaudis tout haut sa musique, Et ris tout bas du jeu de ses acteurs. Rire tout bas ?         Sans doute. Un homme raisonnable Craint d’éclater, Monsieur, et rit modestement. Est-ce en bien ? Est-ce en mal ? Un arrêt sagement S’interprète toujours dans un sens favorable. Il s’en tire fort joliment, Et sa décision est d’autant plus louable, Qu’au fond chaque parti doit en être content. Adieu. Je sors moins triste, après ce jugement. Amenez une troupe anglaise, Et revenez ici pour y jouer. Qu’elle soit bonne, ou qu’elle soit mauvaise, Vous verrez tout Paris déserter la Française, Et vous venir en foule applaudir et louer. La proposition me touche, Madame, j’attendrai que vous sachiez l’anglais. Il ne faut que paraître aux regards du Français ; Il est au fait avant qu’on ait ouvert la bouche. Comme vous aimez le badin , Nous jouerons donc la pantomime, Et nous approcherons, Monsieur, du baladin. Pour mieux mériter votre estime. On est sûr de l’avoir dès qu’on est singulier. Nous avons tant pleuré qu’il faut nous égayer. Je ne vous offre pas ma main pour vous conduire. Vous avez dans Monsieur un meilleur écuyer. Madame, avec tranSport j’accepte cet office Un autre plus charmant, dont j’oSe vous prier, Comblerait tous mes voeux ; si vous m’étiez propice, Je m’en acquitterais. Que l’hymen nous unisse. Nous sommes faits pour nous lier. La raison est Anglaise et le bon sens est Suisse. Et l’esprit est Français ; qui n’en est point jaloux ? Il fait compliment à l’époux, Quand sa maîtresse se marie, Sûr que le lendemain, apaisant son courroux, Elle sera sa bonne amie. Monsieur, je vous donne ma main. Pour vous, qui tournez tout, Marquis, en raillerie, Vous n’aurez point de lendemain. Je pars, de tous vos traits parfaitement guérie. Le dépit seul vous dicte ce discours ; Quand je blesse quelqu’un, c’est pour toute la vie. Non, je vous fais, Monsieur, mes adieux pour toujours. Rien ne m’attire plus au sein de cette ville. Des talents étrangers, votre esprit amateur N’en saisit, dans sa folle ardeur, Que le frivole ou l’inutile. Il prend, des miens, la licence facile, Sans en avoir la profondeur : Le battelage d’Italie, Sans en posséder l’harmonie. Opulent par lui-même, il néglige son bien, Pour faire un sot emploi du nôtre qu’il envie ; Et, croyant s’enrichir, il se réduit à rien. Vous partez mécontente ?         Oui, puisqu’il faut répondre : J’étais venue en France apprendre expressément La décence, le goût, la grâce et l’agrément, Pour les joindre à la force, où nous primons à Londres ; Mais je me suis méprise infiniment. Vos Spectacles changés ne sont plus une école, On ne voit plus régner chez eux Qu’un plagiat qui me désole, Et qu’un déplacement affreux. C’est l’Opéra que partout on copie. On chante au Théâtre François; Ou comme lui plutôt on crie Des vers bouffis, faits pour mugir exprès. La troupe Italienne en tout le parodie ; Et, lui dérobant ses moutons Ne quitte plus la Bergerie. Pour avoir sa revanche, il a pris leurs bouffons. L’amour, qu’on a pour eux, devient le goût unique. Tout paraît travesti, tout est lazzis, chansons. Comme on outre le jeu, l’on charge la Musique, Et tout Paris n’est plus qu’un Opéra Comique. Pour moi, qui de sang-froid, vois tout également, Je vous quitte, Monsieur, plein d’estime et de zèle. Je sais que votre esprit ne s’égare un moment, Que pour reprendre après plus sûrement Le chemin du bon goût dont il est le modèle. Pour être bien, Messieurs, restez toujours Français, N’imitez que vous-mêmes, et vous ferez parfaits. Je reviens sur mes pas vous dire une nouvelle Tout-à-coup il s’élève une aurore si belle, Qu’elle a rendu le jour à votre chant. Nouveau Tithon, il rajeunit par elle, Embelli des accords que vous chérissez tant, En conservant toujours sa grâce naturelle, Le beau sexe surtout est son grand partisan. Je vous félicite. Adieu. Bonjour, bon an. Pour combattre l’éclat de cette réussite, Redoublons nos transports pour notre favorite Célébrons son retour par un brillant duo. Souffrez plutôt, par un trio, Que notre amour envers elle s’acquitte. À deux un trio ? Rêvez-vous ? II est de la façon d’un serin de Bergame. Mais le voici qui vient, Madame, Pour l’exécuter avec nous. Ouf ! Madame, pardon. Souffrez que je respire. Je n’en puis plus, je viens d’être le spectateur D’un combat qui tient du délire. On m’a même forcé d’y devenir acteur. L’image encore est présente à mon coeur ; J’en frémis d’épouvante, et j’en crève de rire. Quel combat ?         Au Café. C’est le Champ de bataille. Les deux partis, Madame, en sont venus aux mains. D’abord on s’escarmouche, on raille. Sur notre Musico, tombent les traits malins. L’un dit que ce chanteur, pour qui l’on se chamaille, Miaule dans le haut, et jaPpe dans le bas. L’autre, avec nos accords, exalte ses éclats. C’est une grande voix, pour peu qu’on la travaille. Nos railleurs insistaient ; mais ils ont du dessous, Dans l’instant qu’une basse-taille, Qui sortait du gros corps d’un Lulliste jaloux, Crie : aux pieds de Lulli, profanes, tombez tous, Et devant lui baissez la nuque. Ah ! Taisez-vous, vieille perruque, Lui réplique un cousis, qui s’échauffe pour nous. Ne parlez plus de musique française. Votre petit Lulli ne va pas aux genoux Du grand, du divin Pergolèse. Petit Lulli, dit l’autre écumant de courroux, Un tel blasphème est indigne de grâce. À la tête, à ces mots, il lui jette une tasse. Ô Ciel ! Pour nos amis je frémis de l’affront. Notre Gascon l’esquive, et son bras furibond Lui lance un tabouret, au milieu de la face, Qui nous venge et qui le terrasse. À ce beau coup ? Notre parti vainqueur Bat des mains, pousse un cri de joie, Et l’ennemi confus en pousse un de douleur. Je respire.         Ce n’est qu’un prélude, Monsieur. De la Guerre aussitôt le signal se déploie. Le Café se divise. Ils jurent, nous chantons. Leur bataillon ferré vient fondre sur nos troupes. On voit bientôt voler les verres, les soucoupes, Les carafes, les carafons, Les biscuits et les macarons. De toutes parts le sang coule et se mêle Parmi les flots de thé, d’orgeat et de cannelle. Ce récit, sur mon front, fait dresser mes cheveux. Pour arrêter l’horreur d’un combat ruineux, La Reine du Cassé sort de son trône en larmes. Loin de se rendre à son aspect, Ils la décoiffent sans respect Ni pour son rang ni pour ses charmes. Dans la mêlée, elle perd son bonnet, Et son mari, qui veut leur arracher les armes, Est inhumainement plongé dans un baquet. Voilà du grand tragique.         Au fort de la bagarre ; Que faisiez-vous, Signor ?         Tapi seul dans un coin J’étais de la bataille un paisible témoin, Quand ce Chantre maudit, ce Lulliste barbare M’aperçoit par malheur, et dit : ah ! Le voilà Cet Amphion en A , mi, la, Qui de nos démêlés est la cause bizarre. Assommons ce coquin. Aussitôt dit, aussitôt fait. Il se jette sur moi comme un tigre farouche. Pour me justifier, je veux ouvrir la bouche : Il me la ferme d’un soufflet. Tout son parti l’imite, et me rosse à forfait. Et le nôtre ? Achevez, votre malheur me touche. II vole à mon secours, m’arrache de leurs mains, Et m’élevant malgré leurs efforts inhumains, Sur ses bras, qui pour moi font un char de victoire, Il me porte en triomphe, au milieu de Paris, Jusques dans ce Palais où, quittant mes amis, J’entre, chargé de coups, et tout couvert de gloire. Se peut-il qu’on vous ait aussi peu respecté ? Ah ! J’en rougis pour ma patrie ! Quoi ? Vous êtes, Monsieur, ce fausset si vanté ? Non, Madame, je suis une taille accomplie. Chanteur, danseur, rimeur en même-temps, Il compose lui seul des Opéra burlesques, Il fait des vers Gascons , des airs Toscans, Madame, et des ballets tudesques. J’en tiens ici de sûrs garants. Voilà pour vous, Madame, une chanson d’élite. Et voici pour nous trois un morceau triomphant. Nous y parodions chacun un instrument. Pour assurer la réussite, Il faut l’accompagner d’un ballet allemand. En attendant, Madame, un danseur moscovite. Coumo l’ausel près ol niou, Mon cor crido que fa pierat. Auzi que sa, piou, piou, Per aber la libertat. Que la Vielle, Instrument de ma gloire, La flûte, le Basson célèbrent ma victoire. Que la Vielle, Instrument de ma gloire, La flûte, le Basson célèbrent ma victoire.