As-tu fais tes efforts pour dévoiler ma nièce ? Madame, j’ai perdu près d’elle mon adresse. Son air paraît ouvert, son cour ne l’est jamais ; On ne peut pénétrer dans ses replis secrets ; À le développer, vainement on s’attache ; C’est par timidité, peut-être, qu’il se cache. Non, c’est son naturel ; l’air d’ingénuité Ne sert qu’à mieux couvrir sa sombre obscurité ; Ce défaut, il est vrai, s’accroît par ses alarmes ; Elle croit que je suis jalouse de ses charmes, Que je veux lui ravir les cours qu’elle a conquis, M’attacher le Baron, ou gagner le Marquis. Entre ces deux amants qui lui rendent hommage, Son injuste soupçon en secret se partage; Et moi, pour l’en punir, j’aime à le redoubler, En affectant pour eux ce qui peut la troubler. Au Baron, le matin, mon coeur fait des avarices ; Le soir, pour le Marquis j’ai mille préférences. Je me plains du veuvage, et pour mieux l’effrayer, Je parle exprès tout haut de me remarier. Quand on est comme vous, jeune et belle, Madame, On peut former ce noeud, sans crainte qu’on le blâme. Orpheline, sans biens, espérant tout de vous, Vous peut-elle un moment disputer un époux ? D’une figure aimable en vain elle est ornée, Une Beauté sans dot se voit abandonnée. Le Baron, j’en suis sûre, aspire à votre main , Et le Marquis, lui-même, a le même dessein. Le premier, dans ses vers, célèbre vos conquêtes ; L’autre vous rend des soins et vous donne des fêtes. J’en reçois les honneurs, Lucile en est l’objet : Je n’en suis pas la dupe, et j’en ris en secret ; Mais surtout du Baron. Aux vers dont il m’honore Je feins d’être sensible, il croit que je l’adore. Une femme sensée, à se moquer d’un fat, Goûte, je te l’avoue, un plaisir délicat. C’est ma fête aujourd’hui, pour la rendre parfaite, Je veux la célébrer à leurs dépens, Lisette : Je m’en fais une, au fond, de les embarrasser, Et ma nièce avec eux.         On ne peut mieux penser ; Mais, de ces deux amants, qui croyez-vous qu’elle aime ? Voilà ce qu’elle cache avec un soin extrême, Et ce que mes regards brûlent de découvrir ; Avant la fin du jour, j’espère y parvenir. Ce n’est pas qu’à son choix je veuille être contraire ; Non : je veux, pour son bien, changer son caractère. Avant que d’assurer le bonheur de ses jours, Par ma ruse je veux combattre ses détours, L’obliger d’en rougir, et d’être enfin sincère. Le Marquis vient, jouons l’aimable à l’ordinaire. Madame, je préviens les pas de mon rival ; Si l’esprit a sur vous un ascendant fatal, Mes fleurs ne vaudront pas celles qu’il vous prépare ; Mais si le sentiment y met un prix plus rare, Je me flatte d’avoir l’avantage sur lui. Mes ordres sont donnés pour les jeux d’aujourd’hui, Agréez-en l’hommage, et soyez-en la Reine, J’accepte cet honneur, et j’en suis toute vaine. Pour soutenir l’éclat où je dois me montrer, Je vole à ma toilette, et je cours me parer. À la reconnaissance, un pareil choix m’invite ; Marquis, il recevra le doux prix qu’il mérite. Je dois vous présenter, Madame, auparavant, Cet homme merveilleux.         Quel est donc son talent ? Je puis, sans vanité , m’appeler un génie ; J’exerce innocemment tout l’art de la magie ; D’un seul coup de sifflet je bâtis un château, Je change un mont en plaine, une ville en hameau ; Maître des Éléments je fais trembler la terre, J’allume les éclairs, je lance le tonnerre : Au milieu de Paris je fais couler les mers, Et descendre les cieux, ou monter les enfers. Par un contraste, enfin, des plus inconcevables, Je fais danser les Dieux, et voltiger les Diables. C’est un art surprenant.         J’en possède un plus beau. La poudre, entre mes mains, devient un vrai pinceau ; Mes touches, mes couleurs sont si bien ordonnées, Mes croix de Chevalier, surtout, sont dessinées Dans un vrai si parfait, que l’oeil en est surpris, Et mes nombreux soleils sont toujours applaudis. La flamme, sous mes doigts, prend la forme de l’onde ; Tantôt c’est un jet d’eau qui jaillit à la ronde, Tantôt une cascade, et tantôt un torrent. J’offre, chaque semaine, un tableau différent. Aujourd’hui c’est.... l’Atlas, demain la Pyramide, Et pour faire un lieu plein d’un endroit souvent vide, J’ai produit un berceau, chef-d’oeuvre si vanté, Si couru, que le nom m’en est depuis resté. Vous, Monsieur du Berceau ? Cet homme qu’on renomme ! Ce grand artificier !         C’est ainsi qu’on me nomme ; Je suis en même temps machiniste parfait, Décorateur unique, et maître de ballet. Ah ! Ciel ! Que de talents cet étranger rassemble ! Je les veux dans ces lieux faire briller ensemble. Ah ! Je suis enchantée, et rends grâce au Marquis De vous avoir, Monsieur, conduit dans ce logis. Pour répondre, Madame, à cet accueil honnête, Et pour mieux célébrer le jour de votre fête, Je prétends vous servir trois plats de mon métier : Comme peintre d’abord, j’offrirai le premier ; Un Temple tout nouveau donnera cette entrée ; Il fera du fracas, s’il n’est pas de durée. Comme maître à danser, après, je donnerai Un divertissement que j’intitulerai Le ballet des oiseaux. Chaque espèce y figure ; Il vous amusera selon ma conjecture. Puis nous couronnerons un jour si solennel Par un feu d’artifice appelé l’arc-en-ciel. De vos talents, pour nous, vous êtes trop prodigue. Cet ouvrage, pour moi, n’est pas une fatigue ; S’il peut vous divertir, il me délassera. Je cours donc m’habiller pour voir tous ces jeux-là. Daignez ne pas tarder, car la première fête, Dans demi-heure au plus, Madame, sera prête. On n’a qu’à m’avertir dès qu’il en sera temps. Oui ; nous irons vous prendre.         Adieu, je vous attends. Mon hommage, en public, à la tante s’adresse; Mais j’offre tous mes voux en secret à la nièce. C’est à présent, mon cher, que j’implore vos soins, Pour forcer sa réserve à me voir sans témoins. Je veux, à la faveur d’un ballet que j’apprête, Je veux vous procurer un si doux tête à tête, Et la tromper si bien par un coup de mon art, Qu’il paraisse à ses yeux un effet du hasard. Je serai plus adroit qu’elle n’est pénétrante ; Fiez-vous en à moi.         Comme elle craint sa tante, Qu’elle est d’ailleurs portée à se cacher par goût, Jusqu’au moindre regard, elle m’interdit tout. Bien plus, elle m’a fait une expresse défense De mettre un tiers ici dans notre confidence, Sous peine d’attirer son indignation. Soyez sûr aujourd’hui de ma discrétion. Vous en avez, Monsieur, un garant admirable. Quel garant ?         Votre argent : ce métal agréable M’a subjugué le cour. Oui, foi d’italien, Je ferai tout pour vous, vous me payez trop bien. Mes voeux...         Seront remplis, j’ose vous le prédire. Pour hâter l’entretien que votre amour désire, Je vais tout disposer. Dans peu, je vous rejoins ; Daignez ici m’attendre, et comptez sur mes soins. Je te trouve à propos.         Une affaire me presse. Écoute un seul moment, avant que je te laisse; Je veux savoir ton goût sur un écrit nouveau. Tu choisis mal ton temps : je roule en mon cerveau... Un air de violon ?         Non, c’est une musette ; Tu l’entendras bientôt : d’honneur elle est parfaite. Oh ! mes Vers ne sont pas moins séduisants.         Des vers ! Quoi ! Ne reviendras-tu jamais de ce travers ? Étouffe ou cache au moins ta rage poétique. Mais tu composes, toi, souvent de la musique. Quand tu chantes, je puis rimer.         Non, Baron, non. Mais les vers sont, je crois, d’aussi bonne maison. Point du tout. La musique est un talent aimable, Qu’un seigneur même apprend pour se rendre agréable ; Mais la rime, entre nous, est un art roturier, Qu’un homme comme toi doit rougir d’employer. La poésie, un art roturier ! Quel blasphème! C’est le don de l’esprit, le plus grand en soi-même. C’est la langue des Dieux. Chanter ré, mi, fa, si, Jouer du violon, est-il plus noble, dis ? À son point d’excellence il faut porter la Rime ; Ou...         Mes vers sont marqués au vrai coin de l’estime ; Et, pour mieux t’en convaincre, écoute ce morceau. Oui, tes vers sont frappés ; tu les prends dans Rousseau. Et les airs que tu fais, comme ceux que tu chantes, Marquis, sont la plupart dans les Indes galantes. Pour te prouver, Baron, le contraire à l’instant, Écoute un air de flûte aussi neuf que brillant. Prête plutôt l’oreille à ma nouvelle fable. Non, non ; écoute-moi, mon air est préférable. Un pigeon ressentait l’amour le plus ardent Pour une colombe discrète. Ah ! Suspends les accords de ta voix indiscrète : Entends, entends mes vers, sens-en tout l’agrément. Pour une colombe discrète, Un pigeon ressentait l’amour le plus ardent. Elle ignorait l’excès de sa flamme parfaite. Que le Diable t’emporte, exécrable chanteur ! Je bouche mon oreille, et je sors de fureur. Cesse de me poursuivre ; arrête-toi, barbare ! Pour éviter tes sons, je fuirais au Tartare. Par le musicien le poète est chassé : J’ai chargé le premier exprès pour m’en défaire. Quel fléau qu’un rimeur d’un pareil caractère ! C’est peu de rhabiller un poème emprunté , Il a la rage encore, ou l’inhumanité De vous assassiner de son cruel ouvrage, Et malheur à celui qu’il trouve à son passage ! Il ne le quitte pas qu’il ne l’ait assommé. Tout est prêt maintenant, Monsieur.         J’en suis charmé. Je saurai vous soustraire aux yeux de la Comtesse ; Vous allez bientôt seul entretenir la nièce, Sans qu’aucune des deux soupçonne notre accord. Je brûle...         Les voici, modérez ce transport. Vous allez en juger : sur votre goût, je compte. Meilleurs, je vous préviens.         Votre toilette est prompte. Le soin, de me parer m’occupe peu de temps. La parure est aisée avec tant d’agréments. II est temps de montrer si ma main est habile À bien construire un temple.         Ah ! Morceau difficile ! À qui le dressez-vous ?         C’est au Dieu du secret. Le Silence y conduit le seul amant discret. Ah ! Ce choix est heureux, on ne peut davantage, Et le Dieu du secret mérite notre hommage. II a surtout le vôtre, et c’est, au fond du coeur, Celui que vous servez avec le plus d’ardeur. Pouvez-vous m’en blâmer ? Ne doit-il pas nous plaire ? Le monde nous en fait un devoir nécessaire ; Et si, par lui, souvent notre sexe est frondé, C’est pour l’avoir trahi, non pour l’avoir gardé. Il n’est pas cependant, dans le siècle où nous sommes, L’idole du beau sexe ?         Encore moins des hommes. Plus d’un le sert encore, et même sans espoir. Décrivez-nous son temple, avant que de le voir. Madame, il est fondé sur la délicatesse; Servi par les amours, et fait pour la tendresse; Décoré par le goût, embelli par les jeux ; Et quiconque y parvient, est certain d’être heureux. Ah ! Je voudrais déjà qu’on m’en ouvre la porte. Les amants délicats s’y rendent sans escorte, Dès que le soleil luit, dès qu’on voit les coquettes, Et des marquis du jour les troupes indiscrètes : Mais, dès qu’avec fracas on entre dans ce lieu, Le temple disparaît aussi bien que le Dieu. Je trouve cette idée assez ingénieuse. Si l’exécution, Madame, en est heureuse, Je crois qu’elle plaira.         Voyons donc promptement. Votre désir sera rempli dans le moment, Madame, et vous, Monsieur,         Avancez-vous, de grâce, Pour bien voir le coup d’oil, voici la bonne place. Nous sommes en dehors, et le temple est fermé ; Je suis seule avec vous, j’ai l’esprit alarmé. Je ne vois point d’issue. Il n’est que cette porte : Et je ne puis l’ouvrir.         Je veux sortir, n’importe. Vous ne le pouvez pas. C’est un hasard heureux, Dont je dois profiter, pour savoir si mes feux.. Non, non ; n’attendez pas qu’ici je vous écoute ; Vous avez préparé cet incident, sans doute... C’est un tour...         Du soupçon, mon amour est choqué. Monsieur !         Quelque machine, à coup sûr, a manqué, Ou le Décorateur a mal pris ses mesures. Attendant que son art en prenne de plus sûres, Et fasse disparaître à nos yeux ce parvis, Lucile, expliquez-vous. Dans le doute où je suis, Je ne saurais rester ; le supplice est trop rude. Je meurs vingt fois par jour de mon incertitude. Pour me faire parler, l’instant est bien choisi. Grâce à votre rigueur, je n’ai que celui-ci. Votre réserve outrée, et votre injuste crainte Tiennent toujours ma bouche et mes yeux en contrainte. Je n’ai, depuis six mois, que je vous aime enfin, Je n’ai pu parvenir à vous baiser la main. Oui ; mais vous la baisez, en parlant de la sorte. Partez.         Tout est fermé ; le moyen que je sorte ? Daignez donc m’éclaircir. Suis-je aimé ? Parlez, moi ? Je ne saurais, Monsieur, dans mon cruel effroi ; Ma tante est là-dedans, je crois qu’elle m’appelle. Elle a des soins plus doux, le Baron est près d’elle. Et je sais que ses vers l’emportent sur mon chant. Depuis deux ou trois jours,j’y vois du changement. Vous fixez ses regards, Marquis ; c’est vous qu’elle aime : Elle doit faire choix d’un époux, ce soir même, II tombera sur vous, ou je me trompe fort. Vous me faites trembler ; mais je m’alarme à tort. Et le Baron lui seul...         Non ; sur son cour volage Vos fêtes, aujourd’hui, vous donnent l’avantage. Je les donne pour vous ; la peur de l’épouser, M’oblige, en ce moment, à la désabuser. Vous allez me livrer à sa jalouse rage ; Un couvent éternel deviendra mon partage. Ne me cachez donc plus le sonde votre coeur ; Que je puisse un instant y lire mon bonheur: Et si je suis aimé, donnez-m’en quelque preuve. Faut-il me voir réduite à cette dure épreuve? À votre caractère il en coûte un effort ; Mais, les moments sont chers, décidez de mon sort. Pouvez-vous jusques-là me faire violence ? Mon coeur, pour vous punir, veut garder le silence. À la Comtesse, moi, j’irai tout découvrir. J’entends du bruit, le Temple est tout prêt de s’ouvrir. Je vais lui déclarer que pour vous je soupire. Arrêtez.     Parlez donc.         J’aime mieux vous écrire. M’écrire un billet tendre ?         Oui ; vous serez content. Trahissez mon secret, si ma bouche vous ment; Mais vous continuerez à tromper la Comtesse. Oui, j’en fais le serment après votre promesse. Le Parvis disparaît, et, dans l’éloignement, Je vois ma tante ; allez près d’elle promptement. Ah ! Je bénis l’instant qui vous rend à ma vue : J’ai maudit...         Pardonnez une saute imprévue. Les plus grands Maîtres sont sujets à se tromper ; Mes regards ont d’ailleurs eu de quoi s’occuper. Vos yeux sont-ils contents ?     Mais assez.         À merveille. Je vais présentement régaler votre oreille. Écoutez l’ouverture. Elle peint le secret. À la flûte, tout bas, joignons mon chant discret. Tendres amants, voilà la nuit ; Le jaloux dort, le critique sommeille ; Et pour vous l’Amour veille. Paix, chut ; marchez à petit bruit. Dans le Temple du Mystère, C’est l’instant d’être introduit. Venez, d’une ardeur sincère, Venez recueillir le fruit. Eh bien ! Mon art, Monsieur, vous a-t-il bien servi ? J’en suis très satisfait ; la preuve, la voici. Vous ne sauriez, Monsieur, m’en donner de meilleure. Pour la faire expliquer, je n’avais qu’un quart d’heure ; Mais mon amour pressant l’a su mettre à profit ; J’aurai bientôt du sien un garant par écrit. Elle vous écrira, sans doute, un poulet tendre ? Elle me l’a promis ; il faut, sans plus attendre, Il faut, pour mériter un si charmant billet, Nous surpasser, mon cher, par un second ballet. Oh ! Vous serez content d’un pas que j’imagine. Qui l’exécutera ?         Ce sera Coraline ; Elle est de mon pays ; je suis sûr de l’avoir. Tant mieux : nous serons tous enchantés de la voir. Je lui donne un danseur qui brille en caprioles, Et Monsieur le Baron m’a promis des paroles ; Je les aurai bientôt, vous les mettrez en chant, Chacun doit de concert m’aider de son talent. Les moments sont si courts, qu’on n’en est pas le maître ; Pressez donc le Baron ; mais je le vois paraître. Monsieur, voilà les Vers que vous me demandez. Par de bonne musique, ils seront secondés; C’est Monsieur le Marquis qui sait sort bien la gamme. Je crains ses airs de flûte.         Oh ! Rassure ton âme ; Je n’ai pas le loisir de jouer maintenant. Adieu ; je te vais mettre en musique à l’instant. Prends bien garde que l’air soit sait pour les paroles; De la gaieté surtout, elles sont des plus folles. Va, tu n’y perdras rien ; je souhaite aujourd’hui Que le musicien soit aussi bien servi. Quand l’ouvrage est goûté, c’est par notre art suprême ; S’il tombe, c’est toujours la saute du poème. Ce discours est injuste, et pourtant des plus vrais; Je veux réussir seul, ou tomber désormais: Rimons plutôt, rimons pour la seule Comtesse ; Sa main sera le prix... Non, préférons la nièce ; Elle est belle, et les vers pour elle ont des appas ; C’est-là l’unique goût qu’elle ne cache pas ; Elle en sait son étude, et m’a pris pour son maître ; Profitons de ce choix pour lui faire connaître.... Elle vient seule ici, l’instant est précieux, Et je vais le saisir.         Le Baron en ces lieux! Plus je le hais, et plus je lui fais politesse, Pour mieux cacher mon coeur et tromper la Comtesse. Je vous rencontre seule, et mon bonheur est grand. Baron, à mon égard, vous êtes négligent ; Vous ne m’avez rien lu de la semaine entière. Je vais tout réparer, ma charmante écolière : Voici des vers nouveaux. Comme le sentiment, Dont l’auteur paraît plein, y règne uniquement, C’est aux Dames, surtout, qu’il soumet son ouvrage. Son nom ?         Vous le saurez, s’il a votre suffrage. J’en dirai mon avis. Voyons sans plus tarder. Personne mieux que vous ne peut en décider. Pour une colombe discrète, Un pigeon ressentait l’amour le plus ardent ; Elle ignorait l’excès de sa flamme parfaite, Tant il brûlait secrètement : Il était moins hardi que ceux de son espèce. Quoiqu’il souffrit de son tourment, Il n’osait faire entendre auprès de sa maîtresse Son amoureux roucoulement. Que ce Pigeon est sage ! Il prend la bonne route ; Un oiseau si discret, mérite qu’on l’écoute. Pour lui, dans ce moment, vous me donnez du coeur. Lisez ; son ton prévient d’abord en sa faveur. Pour une colombe discrète, Un pigeon ressentait l’amour le plus ardent ; Elle ignorait l’excès de sa flamme parfaite, Tant il brûlait secrètement : II était moins hardi que ceux de son espèce. Quoiqu’il souffrit de son tourment, Il n’osait faire entendre auprès de sa maîtresse Son amoureux roucoulement. II bornait toute sa tendresse À contempler son agrément. Son trop d’amour le rendait bête ; Mais il vint un moment qu’il sut mettre à profit. Ils se trouvèrent tête à tête, Et l’occasion l’enhardit. Colombe de mon coeur, agréez mon hommage, Lui dit tout bas l’oiseau craintif : Je n’ose vanter mon plumage, On en peut voir dont l’éclat est plus vif ; Mais, dans cet instant décisif, Prêtez l’oreille à mon langage, Il n’en est point qui soit plus expressif. L’amour, le tendre amour lui-même Ne pourrait pas gémir d’un ton plus doux. Pour rendre mon bonheur extrême, Et le concert plus parfait entre nous, Roucoulez avec moi, roucoulez, je vous aime. Tout sage qu’il paraît, le pigeon est pressant, Mais, que dit la Colombe?         Eh ! Rien précisément ; Le timide Pigeon attend qu’elle réponde. Sa réplique...         Sera la plus douce du monde. Ah ! Faites-la pour elle. Il sera trop content. Que je la sasse, moi ? Ce discours me surprend. Oui ; sans votre bonté, tout son espoir succombe, Vous voyez le Pigeon aux pieds de la Colombe. Son chant n’est pas nouveau. Punissons aujourd’hui L’audace du copiste, en nous moquant de lui. Je pourrais m’offenser d’un aveu sait en prose ; Mais tout s’excuse en vers ; un rimeur quoiqu’il ose, Obtient notre indulgence ; il a le droit charmant De dire ce qu’il veut toujours impunément : Tout ce qui me chagrine, et qui doit me confondre, Je n’ai pas le talent, Monsieur, de vous répondre. Nous pouvons soupirer tous deux à l’unisson. Ma Tante rompt l’accord. Adieu, charmant Pigeon. Avant que de sortir, un seul mot favorable. La Colombe, aujourd’hui, veut payer votre fable ; Au moins d’une chanson, et court y travailler. À ma nièce, Monsieur, vous venez de parler. Elle sort interdite, et vous l’êtes vous-même. On ne saurait, sans trouble, aborder ce qu’on aime. Quel est donc ce papier qu’avec soin vous cachez ? Des vers pour votre fête. Ils ne sont qu’ébauchés. N’importe ; voyons-les.         L’ouvrage est trop informe Avant de vous l’offrir, souffrez que je réforme... Ah ! Vous faites l’auteur. Lisez, ou bien je lis. Le cruel embarras ! Madame, j’obéis. Dans ce beau jour...     Après ?         Marqué pour votre fête, L’amour...     Eh bien ! L’amour...         Vous offre cette fleur. Je voudrais que ce soir... au gré de mon ardeur... Au gré de mon ardeur, est mis là pour la rime. Il exprime pourtant le beau feu qui m’anime ; Et vous excuserez...         Monsieur, finissez donc, Vous m’impatientez.         Malgré moi, je suis long. L’endroit est raturé. C’est-là ce qui m’arrête. J’y suis.         Dans ce beau jour marqué pour votre fête, L’amour vous offre cette fleur. Je voudrais que ce soir, au gré de mon ardeur ; Je voudrais que l’Hymen en parât votre tête, Et que ce sût en ma saveur. Et que ce fût, est dur.         Le souhait est flatteur : Je veux avoir ces vers, les relire moi-même. Colombe de mon coeur... ramagez, je vous aime. Ah ! Voilà pour ma fête un sort joli bouquet : Je ne m’étonne plus qu’on m’en fît un secret. La Colombe discrète a tout l’air de ma nièce, Madame, un tel soupçon offense ma tendresse. Le trouble de vos yeux sert à le confirmer. Votre amour, sur ces vers, a tort de s’alarmer ; Puisqu’il faut devant vous dévoiler ce mystère, Sachez, pour un ami, que je viens de les faire. Le Pigeon circonspect, est un abbé prudent, Et qui, dans la Musique, est surtout fort savant. Pour la colombe, c’est une jeune chanteuse ; Comme l’abbé lui trouve une voix très flatteuse, Et que le son en est extrêmement touchant, Il lui veut, en secret, donner le goût du chant. Par un conte, Monsieur veut excuser sa fable. Croyez...         Votre conduite est doublement coupable ; Car vous êtes d’abord criminel, comme auteur. Comme auteur ! Moi, Madame ?         Oui, comme auteur, Monsieur. Votre Pigeon discret, est l’exacte copie D’un Serin que j’ai vu dans une comédie, Qu’on a représentée au Théâtre Français. Cette pièce, Madame, est un de mes essais. Comme d’un bien à moi, j’en ai pu faire usage ; Et ce n’est pas voler, que piller son ouvrage. Chacun vous le dira. Ce droit nous est acquis : Nos plus grands auteurs...         Oui ; mais vous est-il permis, En qualité d’amant, de trahir ma tendresse, De rechercher ma main, quand vous aimez ma nièce ; Et de choisir l’instant où j’allais être à vous ? Ce procédé m’indigne, et mon juste courroux... Mais, non ; dans ce moment je ne veux pas l’en croire. J’écouterai plutôt ma raison pour ma gloire. Je prétends me venger de vous plus noblement. À votre amour, Monsieur, je donne un libre champ. Puisqu’aux fers de ma nièce un doux penchant vous livre, Ma bonté, dans ce jour, vous permet de le suivre : Je veux porter plus loin mon effort généreux. Si son coeur se déclare en saveur de vos feux, Je promets à son choix de donner mon suffrage : L’amour est un noeud libre, et non un esclavage. Adieu ; je sens, Monsieur, d’autant moins cet affront, Qu’il est ici des coeurs qui m’en consoleront. De ma feinte bonté, le fat sera la dupe. Son erreur va servir au projet qui m’occupe. J’aurais trouvé mon compte à me voir son mari ; Mais on renonce au bien, pour un objet chéri. Lucile est adorable, et je prends auprès d’elle. N’y pensons plus ; je dois mon coeur à la plus belle. Je viens vous retrouver, dans l’appréhension Que ma tante n’ait vu les Vers en question. Dissipez la frayeur dont vous êtes émue, Et souffrez que je donne une libre étendue Au violent amour que je ressens pour vous : La Comtesse, Madame, approuve un feu si doux. Mon sort ne dépend plus que de votre réponse ; J’attends dans ce moment que votre coeur prononce. J’aime la poésie à l’adoration : Mais, je viens d’éprouver dans cette occasion, Que le goût, sans talent, nous devient inutile. L’amour que j’ai pour elle, est une ardeur stérile, Et mon esprit, Monsieur, n’a pu, quoiqu’il ait fait, Pour répondre à vos vers, produire un seul couplet. Je suis piquée, au fond, plus que je ne puis dire. Une chanson n’est pas ce que mon cour désire ; Quelques lignes de prose, un seul mot de douceur, Suffirait pour me mettre au comble du bonheur. Par un méchant billet, par de mauvaise prose, Payer de jolis vers ! La pitoyable chose ! Ah ! j’en rougis, Monsieur : je veux absolument Me taire, ou par des vers, m’acquitter joliment. Mais on peut s’arranger. Je vous offre ma veine ; Je m’écrirai pour vous. Vous n’aurez que la peine. De souscrire à l’ouvrage, et de le copier. Ce que vous proposez est neuf et singulier. Mais, vous iriez trop loin.         Non ; daignez me prescrire Ce que vous souhaitez que je vous fasse dire ; Je m’y renfermerai sans y rien ajouter. À ces conditions, je veux bien m’y prêter. La réponse...         Comment ! Faut-il que je l’exprime ? Dites...         Vous me serez répondre avec estime, Et même tendrement...     Tendrement !         Monsieur, oui. Aux doutes d’un jeune homme amoureux et chéri, Et chéri ! Quel bonheur !         Dès longtemps, je confesse Que je désire avoir des vers de cette espèce. Vous serez satisfaite, et je suis trop heureux ; L’amour, le tendre amour récompense mes feux. C’est lui seul que j’implore, et je sens qu’il m’enflamme ; Toute sa vive ardeur a passé dans mon âme. Elle se livre entière à des transports si doux, Et je vais mettre au jour des vers dignes de vous. Mon esprit...         Profitez du beau feu qui l’inspire ; Pour ne pas l’interrompre, adieu, je me retire. Écris, Mon cher Baron, écris-toi tendrement ; Les talents de l’auteur doivent servir l’amant. Je veux.... de mon secret vous faire confidence : Confidence... surtout, de la discrétion. Mon estime.... paraît par cette confiance. Il me faut à présent une rime en ion. Un jeune homme charmant c’est moi : l’expression Est flatteuse, mon cher, et c’est un peu trop dire. Ma maîtresse le pense, elle peut donc l’écrire. La modestie, au fond, est la vertu d’un sot, Et je ne dois plus être arrêté par ce mot ; Mais un poète assis, perd du feu qui l’anime ; Levons-nous, et marchons, pour mieux saisir la rime. Poursuivons la rebelle, elle suit vainement. Pour le coup, je la tiens.         Ah ! Monsieur, doucement. Quel est donc le transport dont votre âme est émue ? Vous êtes constamment l’objet de mes désirs, Et votre rencontre imprévue, Me donne de certains plaisirs Que je ne sens qu’à votre vue Fort bien ; je suis en verve.         II me dit des douceurs ; Ces messieurs les Français sont tous des cajoleurs. Oui ; des hommes, Monsieur, qui cherchent à me plaire ; Vous êtes, en secret, le seul que je préfère. Qui ! Moi ! Je suis un homme ? Ah ! Que je le voudrais. Je suis fille, et je dois m’observer de plus près. Ah, ah ! L’aimable brune ! Oh ! Je crois qu’il compose, Ou bien qu’il extravague. Eh ! C’est la même chose. La décence est pour nous un tyran absolu, On doit la respecter autant que la vertu. Tout au mieux, soyez sage.         Oh ! Quoique je badine, Je la suis fort, Monsieur.     Qui parle ?         Coraline. Ma charmante, c’est vous, dont j’adore les pas. Oui ; vous faites des vers, et moi, des entrechats. De votre art et du mien, faisons un doux mélange. Excusez; malgré moi, Monsieur, je vous dérange : Mais, c’est ici la salle où nous devons danser. Vous êtes du ballet ?         Oui ; l’on va commencer ; On s’accorde déjà pour jouer l’ouverture; Et comme la première, aujourd’hui, j’y figure, Que, par un pas brillant, je dois me surpasser, Je suis votre servante, et cours le repasser. La danse, par malheur, a mis la rime ensuite : Au diable, mille fois, cette fête maudite. Voilà mon Apollon dérouté tout-à-fait. Du Journal amoureux, je me rappelle un trait, Qui pourra terminer l’embarras que j’éprouve. Le célèbre Marot, précisément s’y trouve, Dans la position où je suis maintenant. Ses vers adoptons-les ; dans ce besoin pressant, C’est le plus court chemin, c’est le meilleur à suivre. Je puis lire l’endroit, car j’ai sur moi le livre. Ah ! ah ! J’ai déjà pris plusieurs vers en détail ; Prenons-les tous en gros, j’abrège le travail. Si ce vol se découvre.... il est permis en France, Et l’on n’y fait plus rien que par réminiscence. Ce n’est pas notre faute ; en prose comme en vers, Tout est, depuis longtemps, écrit dans l’Univers : Nous sommes, malgré nous, échos les uns des autres. Messieurs, volez mes vers, si je pille les vôtres; Ne vous contraignez pas, et faites comme moi. Monsieur, je vous remets vos paroles,         Pourquoi ? Les désapprouvez-vous ?         Non ; elles sont parfaites: Mais, Monsieur, avant vous, un autre les a faites; Et l’air, depuis six mois, a couru tout Paris. C’est le malheur du genre, et j’en suis peu surpris : Ce sont les mêmes mots que toujours on rassemble ; Indispensablement, il faut qu’on se ressemble. Par bonheur, il me reste un air qu’on chantera; Le ramage, Monsieur, surtout y régnera; II y rime à bocage, et convient à la fête. Demeurez, elle vaut la peine qu’on s’arrête. J’y vais faire, à vos yeux, danser tous les oiseaux ; Par troupes vous verrez sauter les étourneaux; Le Ramier figurer avec la Tourterelle. Vous verrez le Pluvier qui poursuit l’Hirondelle ; Le Paon s’étale seul, de lui-même amoureux ; La Caille et le Perdreau forment un pas de deux ; Le Serin y voltige autour de la Linotte ; Le fripon de Moineau survient et l’escamote ; Le Faucon et l’Autour sondent du haut des airs Sur ce Peuple qui suit plus prompt que les éclairs ; Une Faisane reste, ils se livrent la guerre ; Quand l’Aigle tout-à-coup l’arrache de leur serre, S’applaudit avec elle, et l’élevant aux cieux, II danse un tambourin, et disparaît aux yeux. Mais, avec le Marquis, la Comtesse s’avance. Partez, Messieurs, partez ; il est temps qu’on commence. Nous ; saisissons ce temps pour aller copier Les vers en question, et pour les envoyer, Le plaisir de m’écrire au nom de ma maîtresse, Est la fête pour moi la plus enchanteresse. "Volez, Oiseaux , volez de toutes parts ; Rassemblez-vous dans ces bocages : Beaux Perroquets du jour, étalez aux regards, L’agrément singulier de vos nouveaux plumages : Modernes Rossignols, brillez par vos écarts ; Étonnez l’univers de vos bruyants ramages. Volez, Oiseaux, volez de toutes parts ; Rassemblez-vous dans ces bocages. Oui, Lisette, c’est toi que je viens d’appeler ; Vois ma nièce, et dis-lui que je veux lui parler. Non, le Baron n’est pas l’Amant qu’elle préfère. Il se cacherait mieux, s’il avait su lui plaire : L’amant qu’on favorise est plus discret en tout. Pour le Marquis plutôt, je crois qu’elle a du goût. Rarement il lui parle, ils s’évitent sans cesse. Elle vient. Opposons l’artifice à l’adresse. Comme infailliblement elle me mentira, Je croirai l’opposé de ce qu’elle dira. Lucile, à vous parler, votre intérêt m’engage ; La raison vous conduit, et vous êtes dans l’âge, Où, pour votre bonheur , vous devez faire un choix. Quand je me remarie, il est juste, et je dois Assurer votre sort par un noeud convenable; Il s’offre ici pour vous plus d un parti sortable ; Je laisse votre cour le seul maître aujourd’hui, Trop sûre que son choix sera digne de lui. Que vos clartés, Madame, et que votre sagesse, Dans ce pas hasardeux, conduisent ma jeunesse : La livrer à son goût, ce serait la trahir; Vous devez prononcer, et je dois obéir. Je vous prendrais au mot, si vous m’étiez moins chère; Ouvrez-moi, sans détour, votre coeur la première ; Ma bonté veut sur lui régler votre union ; Consultez bien, surtout, votre inclination. Madame, uniquement je la borne à vous plaire. Vous déguisez toujours ; je serai plus sincère : Sachez dans votre coeur que j’ai su pénétrer. C’est un piège ; gardons de lui rien déclarer. Vous aimez en secret.         Ma Tante, quelle idée ! Quand je vous parle ainsi, croyez qu’elle est sondée. Votre réserve même, et vos soins défiants, Servent à l’affermir, Lucile, en ces instants. Je vais, pour vous prouver que j’ai lu dans votre âme, (Vous peindre d’un seul trait l’objet de votre flamme. Aurait-elle, en effet, découvert mon amant ? J’ai surpris, ce matin, un pigeon tout charmant, Qui, près de vous ici, roucoulait en cachette Son amoureux tourment. Hem ! Colombe discrète, Votre coeur, par son ton, n’est-il point attendri ? Et, n’ai-je pas nommé votre oiseau favori ? Je respire à présent.         Vous paraissez surprise ? Ah ! Par un faux aveu, confirmons sa méprise. Vous devez reconnaître à ces traits le Baron ; Vous êtes interdite, et confuse à ce nom. On le serait à moins ; épargnez-moi, Madame. J’approuve votre choix, bien loin que je le blâme, Et lui-même avec vous, il brûle d’être uni. L’aimez-vous en effet ? Parlez donc, ma Nièce ? Oui.     Tu mens.         Elle n’est pas ma rivale ; son trouble Me l’annonce trop bien, et ma joie en redouble. Bon ! Ma fausse tristesse abuse ses esprits; Je suis sûre, à présent, qu’elle aime le Marquis. Madame, pardonnez, si...         Je suis enchantée Qu’en faveur du Baron votre âme soit portée ; J’ai craint que le Marquis ne fût votre vainqueur; Puisqu’il faut l’avouer, il a touché mon coeur ; Je puis, présentement, me déclarer sans crainte. Sa douleur, à ces mots, perce à travers la feinte, Et doit me confirmer dans mon opinion. Adieu ; je vais presser notre double union. Ciel ! Dirait-elle vrai ? Me serais-je déçue ? Non ; ma Tante, plutôt, se déguise à ma vue : Elle a, de mon aveu, gémi secrètement, Et j’en crois, de son coeur, le premier mouvement ; Mais, si son artifice a trompé ma finesse, Écrivons au Marquis ; voilà l’instant qui presse : Ses doutes, mes frayeurs, tout m’en sait une loi. Le voir, l’entretenir est un besoin pour moi ; Je dois le consulter dans mon inquiétude, Et l’arracher, lui-même, à son incertitude. Notre intérêt commun.... mais, que veut ce valet ? Madame, on m’a chargé de vous rendre en secret, Ce papier ! Le Baron, à propos, me l’envoie. Que dirai-je à Monsieur ?         Attendez, que je voie ; Je vous envoyé, ma Déesse, les vers où tout mon espoir est renfermé ; j’en attends la copie de votre main, comme le sceau de mon bonheur. Je vous nomme sans que j’y pense, Votre entretien me charme , et je crains votre absence. J’aime à causer tous vos désirs, Et votre rencontre imprévue, Me donnent de certains plaisirs Que je ne sens qu’à votre vue. Vous m’avez seule appris l’usage des soupirs ; Je songe à vous, malgré moi-même ; Je crois vous voir la nuit, je vous cherche le jour. Si ce n’est pas là comme on aime, Apprenez-moi ce que c’est que l’amour. . . . . . . . . . . . . . L’ouvrage est justement tel que je le souhaite ; Assurez le Baron que j’en suis satisfaite. Je n’en suis pas surpris, car je l’ai corrigé ; Arlequin, autrement, ne s’en sût pas chargé. Votre Maître est discret ; il vous a lu sa pièce ? II me consulte en tout ; souvent je le redresse. Dites-lui qu’au plutôt je vais la copier, Et que j’aurai grand soin après de l’envoyer. Ses Vers vont, pour le coup, obtenir leur salaire. Sans doute, il les aura par un autre émissaire. Dans ma poche, en voici qui sont de ma façon ; Je les ai composés pour un minois fripon, Un joli petit nez qu’on nomme Coraline ; C’est ma compatriote, et de plus, ma cousine; Je suis impatient de les lui faire voir ; Mais, je crois en ce lieu, je crois apercevoir Quelqu’un qui lui ressemble. Oh ! C’est une bévue. En croirai-je mes yeux ?         Ai-je donc la berlue ? Non ; c’est elle.     C’est lui.     Coraline!         Arlequin ! Eh ! Bonjour, ma Cousine!         Eh ! Bonjour, mon Cousin ! Qui vous a donc conduite en cet hôtel, ma chère ? C’est Monsieur du Berceau.         Mais, qu’y venez-vous faire , Parlez.         Je suis venue y danser, et je pars. Arrêtez ; un cousin mérite des égards. J’ai fait des vers pour vous.         Toi ? La chose est comique. Je sers un bel esprit ; le mal se communique. À propos de ton Maître, il va se marier. À qui donc ?     À Lucile.         Ô ! Bonheur singulier ! Il épousera donc la beauté qu’il adore ? On prépare la noce, et son valet l’ignore ? Il n’en sait rien lui-même, et je vais le charmer. Que je vous lise avant que de l’en informer. Scapin m’attend. Adieu.         Je pars en diligence. D’entendre votre éloge, ayez la complaisance. En place, un seul instant, je ne saurais rester. En courant, en sautant, je pourrais l’écouter ; En capriolant, toi, tu pourras me le lire. Madame, j’aurai donc l’honneur de vous conduire. Qu’à Paris Coraline a fait d’heureux progrès ! Et que ses yeux bien vite ont su parler Français. Continuez mon cher. Ce début m’intéresse. Dès qu’on la voit, son feu, sa gentillesse, Son enjouement excite un battement de main. Tout le public devient le rival d’Arlequin, Et la suivante éclipse la maîtresse. . . . . . . . . . . . . Mon cousin, ces vers-là ne sont pas si mauvais. La preuve qu’ils sont bons, c’est que je les ai faits. Que sais-tu si longtemps ? Je me lasse d’attendre. Ah ! Juste Ciel ! Scapin vient ici nous surprendre ! J’ai vu quelqu’autre part, j’ai vu ce grand coquin. À qui parles-tu là ? Dis?         C’est à mon cousin. Quel est cet animal ?     C’est mon frère.         Qu’entends-je ? II ne respecte rien dans son humeur étrange. Vous n’aviez point de frère, et je suis étonné. Depuis quand, dites-moi, vous l’êtes-vous donné ? Il l’est depuis huit jours.         Quel est donc ce colloque ? Laisse-là ton parent ; il m’a l’air équivoque. Votre nom ?         Est fameux. Je m’appelle Scapin. Le mien l’est encore plus ; je me nomme Arlequin. Arlequin ? Le sot nom ! Il me met en colère. Et le tien me révolte.         Adieu ; pour suivre un frère. On quitte son cousin.         Je vais vous escorter. Si vous venez, j’aurai l’honneur de vous frotter Les oreilles, mon cher, comme j’ai fait à d’autres. Et moi, j’aurai celui de vous couper les vôtres. Mais j’aperçois mon maître, et je l’entends pester. Madame, son abord m’oblige à vous quitter. Toi, rends dans ce moment grâce à son arrivée ; Ma valeur, sans cela... tu l’aurais éprouvée. De la mienne, reçois ce gage en attendant. Si j’avais le loisir, je t’en rendrais autant. Tu t’amuses, maraud, quand je suis dans l’attente. A-t-on reçu mes vers ?         D’une façon charmante. Eh ! Lucile, dis-moi, les a-t-elle transcrits ? Au plus tôt, de sa part, ils vous seront remis ; Car, actuellement, elle en fait la copie. Mon cher, que je t’embrasse.         Arrêtez, je vous prie ! Si je vous apprends tout, vous allez m’étouffer. En cet instant flatteur, puis-je trop triompher ? Je vais, je vais donc voir ce caractère aimable, Et baiser chaque trait de sa main adorable ; Mes vers en recevront un prix qu’ils n’avaient pas. Vous, qui de nos talents faites si peu de cas, Apprenez, ignorants, à respecter la rime, Jugez par nos succès ce qu’on lui doit d’estime. Je lui dois un bonheur qui passe mon espoir, Ce trait la justifie et prouve son pouvoir. Qu’aujourd’hui, mon exemple, Auteurs, vous encourage, Au sexe connaisseur, consacrez votre hommage, Il lit, il accrédite, il chérit vos écrits, Et ses tendres saveurs en deviennent le prix. Monsieur, de tout côté, le sort vous favorise. C’est peu que de vos vers Lucile soit éprise ; Sa Tante vous l’accorde. Oui, rien n’est plus certain. Je veux, si je vous mens, je veux être un coquin. Vous allez, qui plus est, l’épouser ce soir même. Quoi ! Je posséderais ce soir l’objet que j’aime ? J’en mourrais de plaisir. Mais de qui le sais-tu ? On travaille aux apprêts. Coraline l’a vu ? Je te cherche, Baron, et je suis dans l’ivresse ; Écoute.         Je ne puis, un autre soin me presse. J’implore ton secours, tu peux seul me servir , Et tu dois, sur le champ, me faire ce plaisir. Ce sont des vers pour moi qu’il faut que tu composes. Des Vers ! Fi donc, Marquis ; qu’est-ce que tu proposes ? Je t’en prie.         Ah ! La rime est un art roturier, Qu’un homme comme moi doit rougir d’employer. Les vers sont à présent un don que je révère. Oh respecte un talent, qui devient nécessaire. Fais trêve, cher Baron, à ton ressentiment. Je demande ces vers pour un objet charmant, C’est un devoir pour moi, j’ai besoin de ton aide. La Comtesse est sans doute....         Ami, je te la cède. J’en aime un autre.     Puis-je apprendre qui c’est ?         Non ! Il ne m’est pas permis de te dire son nom : Pour de justes raisons j’en dois faire un mystère. La seule confidence ici que je puis faire , Est que ce bel objet, qui craint d’être nommé, M’aime secrètement autant qu’il est aimé : Je viens d’en recevoir la preuve convaincante, Dans ces vers amoureux dont le style m’enchante. Sur le doute pressant que j’en avais marqué, Son coeur, son tendre cour s’est enfin expliqué ; Ce billet me surprend presqu’autant qu’il me flatte. Tu lui peux, en réponse, écrire une sonate. Oh ! ne plaisante pas, Baron , à cet égard : Un écrit si galant veut des vers de ma part ; C’est la cause, entre-nous, de ma peine secrète ; Je suis fidèle amant, mais fort mauvais poète. Voilà ce qui m’oblige à recourir à toi. Pour te déterminer à travailler pour moi, Je vais te lire, ami, les vers de ma maîtresse ; C’est l’ouvrage tout pur de la délicatesse, Et pour le bien sentir, il faut avoir aimé. Écoute, tu vas être et surpris et charmé. Je vous nomme sans que j’y pense ; Votre entretien me charme, et je crains votre absence. J’aime à causer tous vos désirs. Ai-je bien entendu ? Je suis d’une surprise... Elle sera plus grande : attends ; que je te lise. J’aime à causer tous vos désirs ; Et votre rencontre imprévue Me donne de certains plaisirs, Que je ne sens qu’à votre vue. Vous m’avez seul appris l’usage des soupirs. Oh ! Ce sont eux.         Je songe a vous malgré moi-même; Je crois vous voir la nuit ; je vous cherche le jour. Si ce n’est pas là comme on aime, Apprenez-moi ce que c’est que l’amour. Qui croirait, juste ciel ! Qu’une jeune personne Pût porter à ce point ?...         Oh ! Tant d’esprit t’étonne ? N’est-il pas vrai, Baron, qu’un talent si parfait Est rare en une fille ?         Oui, très rare en effet ; Mais j’en veux, par mes yeux, voir la preuve bien claire. Qu’est-ce donc que tu sais ?         C’est là son caractère ; Je reconnais sa main. Ah ! Le tour est sanglant ! Peut-on jouer un homme aussi cruellement ? Quel tour ? Est-ce l’effet d’un transport poétique ? J’étouffe.     Explique-toi.         L’aventure est unique. Je ne puis concevoir, ni digérer ce trait. C’est moi qui suis l’auteur de l’aveu qu’on lui fait ; Quand je crois sottement travailler pour moi-même. Perfide !         Toi, l’Auteur ! De quoi ? De ce poème ? Je m’écris en son nom : elle me l’a permis ; Et c’est pour envoyer mon ouvrage au Marquis ! Quoi ! Ton cerveau pour moi s’est donné la torture ? Il a produit les vers dont j’ai sait la lecture ? Mais rien n’est plus charmant, mais rien n’est plus poli ! Voilà ce qui s’appelle un service d’ami. Mon cher, éclaircis-moi ce surprenant mystère. Ah ! Je t’en ai trop dit ; et ma juste colère... Voilà ces Dames. Paix. Elles viennent à nous. Je sens, à son aspect, redoubler mon courroux. Messieurs, je viens tenir à tous deux ma promesse. Votre hommage, Baron, a su plaire à ma nièce ; Elle m’a fait l’aveu de ses vrais sentiments, Et j’unis votre sort au sien dans ces moments. Mon estime pour vous n’a plus rien qui m’arrête. Ma main sera, Marquis, le prix de votre fête. Que vois-je ? À ce discours, vous reculez tous trois ! On dirait que vos cours répugnent à ce choix. Votre esprit m’a joué d’une façon cruelle, Et pour rendre aujourd’hui ma vengeance éternelle, PerFide, je vous vais épouser à l’instant. Juste ciel ! J’en frémis, quel supplice effrayant ! Vous soupirez, ma nièce, et votre amant murmure D’un caprice pareil, que faut-il que j’augure ? Mais le Marquis lui-même est consterné comme eux. Leur silence me lasse ; et, pour former ces noeuds, Lucile, approchez-vous ; il est temps de conclure. Je me jette à vos pieds, ma Tante, et vous conjure De ne pas achever un noeud mal assorti. Je vous donne l’époux que vous avez choisi. Non ; un autre est l’objet de ma secrète flamme. À ce sincère aveu l’effroi force mon âme. Comment ! Vous n’aimez pas en effet le Baron ? Ah ! C’est donc le Marquis ?         Ah ! Madame, pardon. Avec lui dans ce jour vous allez être unie. Par cet hymen cruel je suis assez punie. N’étendez pas plus loin votre rigueur sur moi. Votre bouche est sincère, et j’en crois votre effroi : C’est l’effort, où mon art a voulu vous contraindre. J’ai dévoilé votre âme, et je cesse de feindre. Vous outrez la réserve, et d’un si grand défaut, J’ai voulu vous punir, ou corriger plutôt. Ma Nièce, à l’avenir soyez moins défiante, Vous avez mal jugé du coeur de votre Tante ; Et pour vous le prouver, je veux qu’un doux lien Vous unisse au Marquis, et j’y joins tout mon bien. Quelle bonté !         Ce mot doit calmer vos alarmes. Je ne suis point, Messieurs, éprise de vos charmes. J’ai feint de l’être, exprès pour éprouver son coeur, Et je borne mes voeux à faire son bonheur. Vous comblez tous les miens par ce bienfait, Madame... Comment le reconnaître ?         Ah ! S’il change votre âme, J’en serai trop payée.         Oui, je vous le promets. Vous serez mon conseil, mon guide désormais ; Et vous m’ouvrez les yeux sur mon erreur extrême . . . . . . . . . . . . . . De son trop de réserve , on est dupe toujours ; Et la sincérité sert mieux que les détours. Mon chant a le dessus, et de ta poésie Je recueille le fruit, dont je te remercie. Moi, j’ai pu disposer des vers que vous rimez. Dans Villedieu, Monsieur, ils sont tous imprimés ! Et la plaisanterie est le juste salaire Que méritent les soins d’un auteur plagiaire. Copiste, selon vous, je puis, à d’autres yeux, Paraître original, et vous fais mes adieux. Au pigeon, pour le coup, la colombe est ravie. Certaine tourterelle, en secret mon amie, Va m’en dédommager, et je cours la trouver. L’hymen est une cage ; heureux de s’en sauver ! De Monsieur du Berceau que tout l’art se déploie : Qu’il célèbre ma gloire, et qu’il peigne ma joie. Me voici prêt, Monsieur, vous serez satisfait. Pour ne laisser nul vide, agréez qu’un ballet Précède l’artifice.         Étant fait à la hâte, Sera-t-il bon, parlez ?         Oui, Monsieur, je m’en flatte. Je n’ai garde, vraiment, d’en donner de mauvais ; On n’accorde ce droit qu’à Messieurs les Français. Que des artificiers la Troupe se signale, Et que leurs entrechats remplissent l’intervalle. Favoris de Vulcain, secondez-moi, morbleu ! Tonnons, lançons la foudre, et mettons tout en feu. Forçons ici la nuit à nous prêter ses voiles : Faisons, en plein midi, saisons voir des étoiles ; Qu’une horrible comète épouvante les yeux. Non ; désarmons mon bras, à l’exemple des Dieux. Que le calme et le jour succèdent au tonnerre ; Que la charmante Iris les annonce à la terre ; Que son arc soit nué des plus tendres couleurs, Et qu’il soit applaudi de tous les spectateurs.