Pour ce coup votre affaire est faite ; Monsieur, je viens de voir Lisette, Elle m’a dit et répété Qu’Élise en la captivité Où la retient son fol de père, Est dans le dessein de tout faire, Si vous la jugez à propos, Pour assurer votre repos Guillot, l’agréable nouvelle Que m’apportes-tu de ma belle ! Quelle adresse trouverons-nous ? J’en ai mille; vous moquez-vous ? Guillot, il n’en faut trouver qu’une, Et je réponds de ta fortune. Tant mieux ; mais la ferez-vous bien ? Dis.         Non, celle-là ne vaut rien. Je m’en vais en trouver une autre. Où diable est donc l’adresse nôtre ? Ha ! J’en tiens une... Mais voici Votre Élise et mon cher souci ; L’une et l’autre de nous s’approche. Monsieur, je m’expose au reproche, Et peut-être à pis, pour vous voir. Mon heur ne se peut concevoir. Mon cher Guillot, je te rencontre ! C’est mon bon démon qui me montre. Je ne respire que pour vous. Vous faites mes soins les plus doux, Ainsi que mes inquiétudes. Que je passe de moments rudes Près d’un père capricieux ! C’est ce qui me rend malheureux. Hay, hay.         Quoi, Guillot, tu soupires ! As-tu quelque chose à me dire ? Devine ! Aussi bien je ne puis Te dire l’état où je suis ; Tâte-moi le pouls, je te prie. Il est ému.         C’est de furie. Toi furieux ! Depuis quel jour ? Depuis que j’enrage d’amour. Peux-tu n’enrager pas de même ? Pour peu qu’il soit vrai que tu m’aimes, Permets.         Arrête-toi, badin. Mon amour mourra donc de faim ! Ha ! Ne soupçonnez pas ma flamme, Je n’en sens que pour vous, Madame. Pour justifier votre foi, Agissez pour vous et pour moi Songez que je suis renfermée. Songez que vous êtes aimée, Et qu’il n’est rien dont un amant Ne vienne à bout fort aisément. Cette assurance me console. L’effet suivra cette parole. Je tremble en vous parlant ici. Te voilà donc bien radouci ? Ha ! Si tu voulais, ma Lisette, Ma moutonne, ma brebiette, Mon coeur, mon tendron, mon toutou. Tais-toi, Guillot, tu deviens fou. Si tu voulais, bête farouche, J’apposerais dessus ta bouche Le cachet de mes chauds désirs. Épargnez-moi les déplaisirs Que j’aurais, si j’étais surprise. Ne craignez rien, ma chère Élise. Mais mon père n’est pas bien loin ; Il m’observe avec tant de soin Que, sitôt qu’il me perd de vue, Il pense que je suis perdue : L’ombre d’un homme lui fait peur. C’est qu’il n’est pas de votre humeur. Finissez, j’entends Boniface ; Je crains bien pis que la menace. Il est rentré par le jardin. Madame, vous craignez en vain, Si vous ne vouliez pas l’attendre. Je n’oserais rien entreprendre. Hélas ! Sauvons-nous au plus loin ! Non, non, cachons-nous à ce coin, Et vous, Monsieur, prenez la fuite. En quel état suis-je réduite ! Vous abandonner au courroux De ce bizarre ?         Éloignez-vous. Il ne me connaît point.         N’importe, Retirez-vous devant qu’il sorte. Ha ! Monsieur, ne répliquez pas, Retirons-nous, doublons le pas Cet homme est prompt, il extravague, Il pourra donner de sa dague. S’il extravague, j’en rirai. Et s’il dague ?         Je périrai, Plutôt que perdre ce que j’aime. Ha ! Votre furie est extrême De risquer votre dernier jour Pour une chimère d’amour. Ma fille, ma fille, Lisette ! Elles ont plié la toilette : Hélas ! Je suis déshonoré. Il est au bas du grand degré, Il va sortir.         Je suis perdue, S’il me rencontre dans la rue. Au secours, voisins, au secours !... À quoi donc aurons-nous recours ? Il n’est ni servante, ni fille ! Cherchons partout, courons la ville. Lisette, rentrons au logis. Au secours, voisins, mes amis ! Ma foi, l’occasion est bonne. Quoi, tout le monde m’abandonne Maître Claude, maître Thomas, Hé quoi, ne m’entendez-vous pas ? Voisins, que Dieu puisse confondre, Vous ne daignez pas me répondre ! Les traîtres, les maudits voisins ! Qu’ils riront tantôt, les vilains, Apprenant ma déconvenue ! Hélas ! Je l’avais bien prévue, Et je devais, la prévoyant, Être beaucoup plus défiant. Ha ! Si j’attrape l’infidèle Je serai sa garde éternelle. Suis-moi je conçois un dessein Qui pourra réussir.         Enfin Redoublons ici les alarmes Au secours, aux armes, aux armes ! À quel secours faut-il aller ? Faut-il battre ? Faut-il parler ? À quoi faut-il qu’on remédie ? Est-ce rapt, larcin, incendie ? Faut-il avoir recours à l’eau, Au prévôt, au juge, au bourreau ? Est-ce duel ? Est-ce rencontre? Faut-il dégainer pour ou contre ? Qu’est-ce?         Ce n’est point tout cela, Mais bien une partie...         Holà, De vos maux allons à la source. Vous a-t-on coupé votre bourse ? Vous en reste-t-il les pendants ? Quel argent aviez-vous dedans ? Ce n’est pas ce que je regrette. Vous a-t-on donné de la brette ? Vous a-t-on donné du bâton, Ou bien des étrivières ?         Non. Ces affronts sont insupportables, Souvent ce sont maux incurables. Mais.         "Mais" est un terme importun. Étaient-ils deux ? N’étaient-ils qu’un, À vous faire une telle injure ? Je me plains...         De quelle aventure ? Mais vous m’interrompez toujours ! Mais pourquoi crier au secours ? Pourquoi ? Parce que l’on m’opprime. L’oppression est un grand crime, Et la justice en pareil cas Devrait bien ne s’endormir pas ; Car quand on néglige une affaire, Souvent on manque au nécessaire. Ainsi...         Laissez-moi donc parler. Ha ! Laissez-moi vous consoler : Je connais ce qui vous afflige. Ha ! Laissez-moi parler, vous dis-je. Mais, compère, vous avez tort Je viens vous secourir.         D’abord Je l’ai cru ; mais las j’en enrage. Vous êtes un sot personnage. Mon compère, mon cher voisin, Pourquoi vous plaignez-vous en vain ? Moi me plaindre en vain ! L’apparence, Après une si grande offense ! Je commence à souffrir pour lui. Ha ! Compère, je meurs d’ennui. Le sujet ?         J’ai perdu ma fille ! Adieu l’honneur de la famille ! Par quel accident, par quel sort ? Elle vient de prendre l’essor. Je vous l’avais bien dit, compère, Qu’il aurait été nécessaire De la garder soigneusement. Mais savez-vous certainement Qu’elle vous ait fait banqueroute ? Savez-vous aussi quelle route Elle tient, s’éloignant d’ici ? C’est de quoi je suis en souci. Connaissez-vous bien qui l’enlève ? Non, et c’est là ce qui m’achève ; Cependant je le veux chercher, Le prendre vif et t’écorcher. C’est bien résoudre; mais, compère, Il faut refréner la colère. J’estime donc qu’en cas pareil Tout homme a besoin de conseil ; C’est pourquoi je veux vous déduire Chose qui ne vous pourra nuire. Il n’en est pas besoin.         Les Grecs Jadis pour un pareil succès, Bon gré malgré les destinées, Guerroyèrent plusieurs années ; Hélène, que ravit Paris, De cette guerre fut le prix. À quoi bon ?...         Écoutez le reste. Secours importun et funeste ! Or la femme de Ménélas, Qui causa dix ans de combats... Ah ! L’insupportable boutade ! À quoi bon citer l’Iliade ? J’enrage...         Pour vous faire voir Tout ce que vous devez prévoir En vous armant pour votre fille; Car comme Ulysse, Hector, Achille, Patrocle, Achille, Ulysse, Hector. Je veux être votre Nestor, Et faire plus, par ma prudence, Que cent autres par leur vaillance. Hé, de grâce, maître Thomas, Souffrez...         Mon pauvre Ménélas, En une occasion pareille, Il est bon que je vous conseille. Pour assiéger un Ilion Il faut de gens un million, Il faut avoir des dieux propices Il faut des Ajax, des Ulysses, Il faut des démons familiers, Des chevaux de bois, des béliers, Et cent mille autres ustensiles Propres à renverser des villes. Au diable soit le conseiller ! Vous n’aimez point à batailler ? Hé bien, conseillons d’autre sorte. Que le grand diable vous emporte ! Si je puis parler une fois, Je parlerai pour plus d’un mois. Il faut donc pour... mais, non, je pense... Pourtant, enfin, l’expérience. Voyez-vous, je conseille bien. Au diable si j’y comprends rien ! Maudite soit la tête folle ! Tâchons à prendre la parole. Oui, quant au traître d’enleveur, Je veux en être l’étrangleur. S’il tombe sous mes mains, je jure De lui déchirer la fressure. Si quelque diable familier Je l’enverrai voir son grand-père Par delà la fleuve Styx. Moi seul j’en pourrais battre dix. Quand la colère me transporte, Je suis vaillant de telle sorte Que devant moi les plus hardis... Je suis aussi...         Les Amadis, Ces paladins si redoutables, Ceux que l’on vante dans les Fables, Les demi-dieux, les Gérions, Les Encelades, les Tiphons, Ceux de fabrique plus nouvelle, Les petits-fils de Gargamelle, Roland, Ogier le Danois, Rodomont, l’honneur des Gaulois, Fierabras, et toute leur suite, Ne sont bons qu’à prendre la fuite. C’est trop en dire pour un coup. Vous ignorez.         J’ai vu le loup. Sachez qu’à la fleur de mon âge J’étais un rude personnage À la guerre des Guéridons Je battais les plus furibonds, Je donnais leçons aux soudrilles, J’étais grand enleveur de filles Parce que j’étais furieux, On m’appelait le dangereux. Mais admirez, mon cher compère : Ce que jadis j’aimais à faire, Sans pitié du malheur d’autrui, Je me le vois faire aujourd’hui. Or...         Je vous plains, pauvres familles, Qui nourrissez de belles filles ! Qu’heureuses sont les nations Fertiles en précautions ! Donc.         Qu’il fait sûr en Italie ! Qu’il fait encor bon en Turquie ! Que l’on y garde bien l’honneur ! Que ne suis-je le Grand Seigneur ! J’aurais des gardes très fidèles, Qui répondraient de mes femelles. Quoi, je ne pourrai plus parler ! Au diable puissiez-vous aller ! Au diable soit votre infortune ! Au diable soit qui m’importune ! Mais on a fermé ma maison. Cela sent bien la trahison ! Gardez-vous donc, mon cher compère, De faire ici le téméraire. Aurais-je bien, dans mon effroi, Tiré cette porte après moi ? Qui va là ?         Qui va là ! La peste ! L’intelligence est manifeste. Le suborneur a pris son temps Pour mettre garnison dedans ; Si j’entre, je veux qu’on m’étrille. Quelqu’un paraît à cette grille : C’est la femme du commandant. Quel est ce sot, cet impudent, Qui heurte avecque tant d’audace ? C’est un ami de Boniface. N’est-il pas bien Monsieur pour vous ? Compère, halte à votre courroux ! Votre fille s’est retrouvée. On ne l’a donc pas enlevée. Descends.         Mais l’avais-je rêvé ? D’un grand mal vous voilà sauvé ; Votre fille vient de paraître, Et je l’ai bien su reconnaître. Ouvrez, ouvrez, ma fille, ouvrez. Entrez, Monsieur, Monsieur, entrez. Dois-je la quereller, compère ? Avez-vous sujet de le faire ? Hé bien donc, ne lui disons rien. Rentrez, sotte. Par quel moyen Me suis-je abusé de la sorte ? C’est que le soupçon vous transporte. Ce soupçon n’est point mal fondé Un de mes amis m’a mandé Que j’observasse bien ma fille. Le scandale est dans ma famille, C’est ce qui me rend indigné ; Sans doute qu’elle a forligné. Mais n’avez-vous point quelque idée Des gens dont elle est obsédée ! Non, je crois que c’est un sorcier De qui je me dois défier. Bien courir est un avantage Qui me tire d’un grand naufrage Grâce au ciel me voilà sauvé. Comment ne m’ont-ils point crevé ? Comment ai-je évité le piège De cette graine de collège ? Mais, après tant de coups rués, Suis-je point au rang des tués ? M’ont-ils laissé la vie entière ? Je suis vif devant ; par derrière Ne m’auraient-ils point amorti ? Non, ou je n’en ai rien senti. Appropinque, mon galant homme. Ha ! Ce mot de latin m’assomme. Qu’as-tu ?         Je perds un bon métier : Depuis dix ans je suis portier Du collège de Crassinaille ; Mais une maudite canaille Que l’on instruit mal dans ce lieu, Soit par rancune, soit par jeu, Externes et pensionnaires, Se sont montrés mes adversaires, Et m’ont fait tant de maux divers, Que, las de les avoir soufferts, Afin de vivre d’autre sorte, Je renonce à garder la porte ! Pourquoi, si tu t’y trouvais bien, Y renonces-tu ?         Quel moyen De rester parmi tant de diables Qui sont irréconciliables ? Je les ai trop désobligés, Ils en voudront mourir vengés Las ! Ils me poursuivent en poupe. Gros boursouflé, gros ventre à soupe, Pourquoi les désobligeais-tu? Pourquoi suis-je homme de vertu ? Ah ! Si j’avais souffert leurs vices, Leurs impudences, leurs malices, J’aurais été portier chéri ! Mais las ! Je serais bien marri D’avoir gagné leur bienveillance Par une lâche connivence. Combien ai-je empêché le cours De leurs criminelles amours ? Combien arrêté de commères, De revendeuses, de fruitières, Et d’autres gens qui, sous tels noms, Venaient friponner les fripons? Cet homme est bien mon fait, compère Qu’en dites-vous?         Rien de contraire. Ami, voudrais-tu me servir ? Monsieur, je suis prêt d’obéir. Je suis veuf, et n’ai qu’une fille Qui met le trouble en ma famille, Parce qu’elle a l’esprit coquet, Et qu’elle aime fort le caquet. Ce qui me met plus en cervelle, Plusieurs coquets sont aimés d’elle ; Ainsi je crains à tous moments De naturels événements, Et que quelque ardeur sensitive Ne porte à la copulative. Pour prévenir ces accidents, Et suivre des conseils prudents, Soit que ma fille, ou non, s’en fâche, Je veux donner à cette vache Des Argus pour la surveiller. Je n’aime point à sommeiller, Ou je dors la paupière haute ; Ainsi je ne puis faire faute. Mais la gardant, garderas-tu Ce que l’on appelle vertu ? Oui, monsieur.         Je te tiens habile ; Mais, vois-tu, l’honneur d’une fille Est un oiseau prompt à partir. C’est bien fait de m’en avertir. Après cela, laissez-moi faire : Je suis grec eu pareille affaire. Allons le mettre en faction. Ça, viens prendre possession De ton emploi.         J’en meurs d’envie. Compère, attends-moi, je te prie. Je le veux ; mais je suis un fat, De ne pas songer que le chat Pourrait bien desservir ma table. C’est trop faire le secourable. Voici quelqu’un de ses voisins. Allons-nous, bourrer les boudins Avec notre grand voisin Cosme. D’où diable est sorti ce fantôme? Si je fais ici le rétif, Je vais être empalé tout vif Fuyons.         Monsieur, restez de grâce. Je n’oserais le voir en face. Daignez me parler un moment. Ah ! Monsieur le Mahométan, Je suis un pauvre misérable, Qui craint un Turc autant qu’un diable. Sortez de votre illusion : Je suis de votre nation. Quoi que mon habit me déguise, Ma naissance me déturquise. Vous n’êtes pas Turc ?         Non, monsieur. Je ne sais si c’est une erreur, Ni même ce que j’en dois croire. Un petit bout de mon histoire Vous en instruira pleinement. J’aime l’histoire horriblement : Apprenez-moi la toute entière. J’y trouverais trop de matière. Très volontiers ; prêtez silence. Mais je vois quelqu’un qui s’avance. C’est mon voisin, ne craignez rien. Ha ! Compère, que tout va bien ! Mais quelle est cette étrange trogne ? Chut, chut!         La reine de Pologne S’en allant pour trouver son roi Comme elle avait besoin de moi Pour l’entretien de sa coiffure, (Car je coiffe mieux qu’en peinture) Me voulut avoir dans son train Sous espérance de grand gain, Je suivis cette grande reine Qui m’a bien payé de ma peine. Las d’être si loin engagé, Je lui demandai mon congé, Afin de retourner en France ; Je l’obtins, puis en diligence Je m’embarquai pour mon retour. Mais, hélas ! Dès le premier jour, Venant d’éviter un naufrage, Je tombai dedans l’esclavage ; Par un vieux corsaire d’Alger, De chaînes je me vis charger, Ainsi conduit droit en Turquie, Où je croyais passer ma vie Dans le serail du Grand Seigneur, Où je fus placé par bonheur, Pour y coiffer toutes les belles, Et même pour veiller sur elles. La Gazette a parlé de vous ; Et je vais gager entre nous Toutes les richesses d’Espagne Que vous êtes monsieur Champagne. Vous l’avez deviné, monsieur : Je suis Champagne le coiffeur. Votre aventure est admirable ! Elle m’a rendu misérable ; Ha ! Que les Turcs sont inhumains ! Vous ont-ils fait sentir leurs mains ? Hélas !         Mais encor, quel martyre Vous ont-ils fait ?         À vous le dire, J’aurais trop de confusion : Ha ! La barbare nation ! Mais ils n’empalent plus le monde. Leur rage est pourtant sans seconde. Las ! Que ne m’ont-ils empalé, Écorché tout vif et brûlé ! J’aurais assouvi leur envie, Sans regret de quitter la vie. Vous croyez donc qu’il est un sort Beaucoup plus rude que la mort ? Serait-ce point ? Mais j’appréhende De faire une sotte demande. Ils vous ont donc, les inhumains, Rendu léger de quelques grains ? Monsieur, vous...         Votre langue hésite Vous êtes de ces gens d’élite Dont tout le sérail est rempli ? Votre teint en est embelli. Avouez entre nous la chose, Et je vous promets bouche close. Qu’est-ce qui le rend si craintif ? C’est qu’il n’est plus génératif. Ce secret demande le vôtre. Ha ciel ! Quel bonheur est le nôtre Mon ami, dites franchement, Voudriez-vous présentement Prendre emploi ?         C’est bien mon attente Si l’occasion s’en pésente. He bien donc, sans autre raison Je vous offre dans ma maison Une charge, avec un asile: La charge est de garder ma fille. Vous entendez bien le détail. Ayant servi dans le Sérail, Je sais ce qu’il faut que j’observe, Et je suis à vous sans réserve. Devant que d’entrer au logis, Un petit mot de votre avis Comme je sais l’humeur d’Élise, De crainte qu’elle soit surprise De ces domestiques nouveaux, Trouverez-vous pas à propos Que j’ôte à son âme crédule Et le soupçon et le scrupule Qu’elle pouvait sans doute avoir D’un juste et rigoureux pouvoir ? Car les filles sont ombrageuses : La mienne aime fort les coiffeuses : La Durancey, la Jeanneton La Poulet et la Bariton, L’attirent chaque jour chez elles Au bruit des coiffures nouvelles. Or c’est un prétexte qu’elle a D’aller courir par-ci par là. Donc, pour flatter sa fantaisie, D’une façon fort adoucie, Je veux lui faire pressentir Que Champagne est pour la servir ; Que, comme en cet art il excelle, Je l’ai pris tout exprès pour elle. Ainsi, de son consentement, Il fera sa charge aisément, Sans que jamais on le soupçonne. Certes votre raison est bonne La suivant on ne peut faillir. Çà donc, je m’en vais l’avertir. Hola, hola, hola, Lisette ! Monsieur, je mettais la toilette ; Mademoiselle attend après. Quand elle le ferait exprès, La chose ne pourrait mieux être. Que vous plaît-il donc, mon cher maître ? Ouvre la salle promptement, Et qu’Élise au même moment S’y rende, et Guillot avec elle ; Et surtout dis lui pour nouvelle Que j’ai pris pour mon serviteur Champagne, l’illustre coiffeur. Penses-tu que cela lui plaise ? Monsieur, que je vais la faire aise ! Puisque vous retournez chez vous, Comme tout est libre entre nous Trouvez bon que de même j’entre En ma maison, comme en mon centre, Certain qu’au premier carillon, Aussi vite qu’un tourbillon., Je fondrai sur vos adversaires, Si...         J’ai mis ordre à mes affaires. Bonsoir et bonne nuit.         Bonsoir. Turc, faites bien votre devoir. Ma fille, êtes-vous satisfaite De l’élection que j’ai faite ? Cet homme entend l’ajustement, Mieux que La Prime assurément. On m’a tant vanté son adresse, Que déjà le désir me presse De voir mes cheveux en ses mains. Quoi que chacun ait ses desseins, Je fais toujours que ma méthode Est le modèle de la mode. Sur tout je donne des leçons. Je sais natter en cent façons Je coiffe en coquette, en Diane, En impératrice, en sultane En cheveux longs en cheveux courts, Selon la taille et les atours. Je sais prendre l’air du visage, Selon les traits et selon l’âge Je sais taper, je sais friser, Je sais posticher et raser, Je tourne la boucle à merveille ; Bref, mon adresse est sans pareille. En Pologne j’ai réussi, Et dedans le sérail aussi, Si bien que je prétends encore Vous coiffer mieux que n’est l’Aurore. Que dites-vous de mes cheveux ? Ils sont beaux et déliés.         Je veux Que vous défrisiez mes moustaches. Madame, on vous les tient trop laches, La papillote pend trop bas. Pour ce coup il n’importe pas. Voyez, l’une en l’autre se fourre. Tournez-les bien en tire-bourre. Bon, c’est ainsi que je l’entends Pour le reste prenez du temps. Cependant je m’en vais écrire Quelques dépêches pour l’Empire. Après ce que j’ose pour vous, Madame, mon sort serait doux, Si l’occasion opportune Pouvait achever ma fortune. La chose est en votre pouvoir, Vous n’avez donc qu’à le vouloir. Ha, ne me pressez point, Cléandre, Lorsque je ne puis me défendre . Usez en généreux vainqueur De la conquête de mon coeur. Votre foi fait mon assurance, Mais faisons tout avec prudence. Madame, vous parlez trop haut, C’est là toujours votre défaut Votre père a l’oreille bonne. Comme je sais qu’il vous soupçonne, Et vous observe incessamment, Il faut parler plus nettement, Pour conclure votre retraite, Qui déjà devrait être faite Mais comme il est bon de presser, Entre vous daignez y penser. Mignonne, dis-moi, la toilette... Hé bien, qu’est-ce ?         Est-elle complète ? Tant que nous en avons besoin. En la mettant, as-tu pris soin D’y ranger toutes les denrées Par qui beautés sont réparées ? As-tu mis sous ce taffetas Le magasin des faux appas? Insensé,que me veux-tu dire ? Penses-tu que je veuille rire ? Je te prie, aimable animal, Ne prends pas les choses si mal. Avec mon humeur ingénue, Je n’ai pas toujours la berlue, Et je sais de fort bonne part Qu’il est peu de beautés sans art, J’entends, qui ne se débarbouille Ou bien plutôt qui ne s’enrouille, Quoi qu’il en soit, qui pourrait bien Paraître sans employer rien Mais, pour être plus regardées, Toutes veulent être fardées. Vois-tu, je le sais mieux que toi, Et tu dois croire, sur ma foi, Quoi que ta maîtresse soit belle, Que sa fraîcheur soit naturelle, Que son teint soit blanc et rosé, Qu’elle n’ait point le cuir bronzé, Que sa bouche soit bien meublée, Qu’elle ait la taille bien taillée, Je crois que dessous ce satin Elle a mille drogues et son train. Ça, visitons cette toilette. Que tu fais la sotte, Lisette ! Laisse-moi voir à mon loisir. Bon, voici du noir à noircir ; C’est pour les sourcils.         Tu te moques ? Que garde-t-on en cette coque ? Des pépins de coins, et de l’eau. Pour gommer, le secret est beau, Parce que la gomme arabique Est trop forte en cette pratique. Qu’est ceci ?         C’est un peu d’alun. Et là ?         C’est du rouge commun. Le vermillon et la céruse Seront là, si je ne m’abuse Ouvrons ces papiers : j’ai bien dit. Ne crèves-tu point de dépit? Ha ! Guillot, laisse-là le reste. Crie, ou prie, ou menace, ou peste, Je veux me satisfaire enfin. Qu’est-ce que je sens sous ma main ? Un ratelier de dents, sans doute ; Il faut le voir, quoi qu’il en coûte. Non, c’est un bracelet de prix ; Pour ce coup je me suis mépris. Est-ce ici que l’on prend la mouche? Tu peux bien voir ce que tu touches. Tu prends plaisir à bégayer. Elles sont de la Mestayer : Je les connais bien à la taille ; Les autres ne sont rien qui vaille. Lisette, approche ton menton, Que je t’y mette ce gros ton. Sans doute en cette boîte noire, Sont yeux d’émail, et dents d’ivoire Ha ! J’ai tort, ce sont des cheveux. En voici pour plaire à tous yeux. Quoi qu’en brun j’estime ta mine, Approche que je te blondine. À quoi sert ce petit outil ? C’est pour arracher le sourcil. Voyons tout le reste à la hâte De l’opiate, de la pâte, Tant pour les mains que pour les dents. Que renferme-t-on là dedans ? De la brique pulvérisée ! Ma vue est ce coup abusée C’est plutôt du sang de dragon, Ou du coral en poudre ; bon ! Ha ! Voici la fine pommade Dont on guérit le teint malade ; La boîte aux peignes, la voilà. Je crois qu’il s’en faut tenir là. Hé bien, Lisette, dis encore Que tant de beautés qu’on adore Sont sans emprunt et sans défaut, Et je te croirai, s’il le faut. Si j’osais croire mon courage, Je déchirerais ton visage Mais je crains de faire du bruit. Voyez à quoi je suis réduit, Et puisque la feinte est propice, Profitons de cet artifice Allons, Madame, éloignons-nous. Oui, je consens à tout pour vous. À la charge que l’hyménée Nous unira cette journée. J’accepte la condition. Donnons dedans l’occasion. La porte est ouverte, la belle, Enfilez vite la venelle. Sauvez-moi d’un père irrité. Fiez-vous en ma probité. Ha ! Monsieur, que faut-il qu’on fasse ? Voici l’ami de Boniface. Quoi, Turc, vous quittez la maison ? Tais-toi.         Trahison, trahison ! Comment sortir de ces alarmes ? Aux armes, Boniface, aux armes ! Maraut, vois-tu bien ce poignard ? Je t’en perce de part en part, Si tu t’opposes à ma retraite. La mienne sera bientôt faite,; Monsieur, je ne m’oppose à rien, Car j’aurais tort.         Tu feras bien. Si vous avez besoin d’escorte... Je t’en remercie.         À ma porte, Et devant moi me maltraiter Je devais bien les arrêter. Hé quoi, coquin, tu nous regardes ! As-tu point peur qu’on te poignarde ? Monsieur, je ne regarde pas. Vois-tu, si...         Je mets armes bas. Boniface en tient pour son compte. Allons réparer notre honte. Où sont-ils ? Qu’est-ce qui va là ? C’est donc vous, traistre !         Hola, hola. Morbleu, je ne fais point de grâce. Doucement je suis Boniface. Avecque ce maudit outil Vous m’avez blessé le nombril. Mon pauvre ami, c’est chose faite, Les enleveurs ont fait retraite J’en suis encor tout plein d’effroi. Quoi, l’on abuse ainsi de moi ! Qu’en dira-t-on parmi la ville ? Pourquoi refuser votre fille À des partis avantageux ? Hélas, que je suis malheureux Je me vois sans fille et sans gendre. Que n’acceptais-je ce Cléandre Qu’un ami m’avait proposé ! Ah ! Que je fus mal avisé ! Voisin, notre mort est certaine. Monsieur, pour vous tirer de peine, Je viens...         Ha traître, il faut mourir. Je saurai bien m’en garantir, Si l’on me force à me défendre. Dites que vous êtes son gendre; Aussi bien il s’en faut très peu. Je n’ose me mêler au jeu. Apprenez que je suis Cléandre, Qui veut devenir votre gendre. N’est-ce point encor m’abuser ? Mon dessein me peut excuser. Pour rendre t’excuse parfaite, J’offre aussi d’épouser Lisette. Je suis d’accord de l’union. Je suis plein de confusion. Mais vous étiez tantôt Champagne. Champagne est mon nom de campagne. Mon cher père, pardonnez-nous. Acceptez-moi pour son époux. Mon maître est homme de mérite ; D’ailleurs je vous en sollicite. Hé bien donc, je consens à tout. Lisette, nous sommes au bout De nos travaux.         Oui, que t’en semble ? Que nous serons bientôt ensemble, Et que devant trois fois trois mois Tu chanteras à pleine voix Des petits pâtés.         Tu folâtres. Tu te feras tenir à quatre, Quand viendront ces petits marmots. Que nous en aurons de Guillots La race de ta Guillotière Sera comme une pépinière.