Allez-moi de ce pas chercher la Waltoline, Et revenez.         D’où vient que vous êtes chagrine ? Qu’avez-vous ?         Juste-Dieu ! Qui ne le serait pas ? A-t-on rien dit de bon pendant tout le repas ? Sans façon, suivez-moi, si vous me voulez suivre : Mais je ne puis rester là-dedans ; je suis ivre. Pour peu qu’on ait de sens, se figure-t-on rien Qui soit plus fatiguant qu’un si sot entretien ? Votre ami le Marquis dont la langue estropie, Est un original qui n’a point de copie : Il emporte le prix sur les plus éventés, Et ne dit que fadaise, et qu’inutilités. Ce qu’il a d’assommant, quelque sot qu’il puisse être, Aux ouvrages d’esprit il prétend se connaître ; Et n’en croyant jamais que son faible cerveau, Ce qu’il loue est blâmable, et ce qu’il blâme est beau. Mal avec la raison, il n’est point de rencontre Où, sitôt qu’on en parle, il ne se ligue contre. J’ai de son entretien autrefois fait l’essai : Il est si plein de soi, qu’il en crève.         Il est vrai. Qu’il soit seul à manger, d’une mine adoucie, Il boit à sa santé, puis il se remercie ; À se complimenter passe le tiers d’un jour, Et croit qu’on s’aperçoit quand il manque à la Cour, Mais tout fat qu’il puisse être, une Dame galante Doit, quand elle régale, être plus complaisante. Je n’ai jamais rien vu qui fut mieux ordonné Que le pompeux repas que vous avez donné : Lorsqu’à charmer nos sens votre esprit s’étudie, Et qu’au Bal qui s’apprête il joint la Comédie, Faut-il qu’un étourdi, qui n’a point de raison, Avec si peu d’esprit en alarme un si bon ? Si vous le trouvez fat, riez-en.         Que j’en rie ? Et morbleu ! (car enfin il m’a mise en furie, Et s’il faut librement vous en faire l’aveu. Je ne puis en sortir, si je ne jure un peu. ) Riez-en, dites-vous ? Faudrait-il me le dire ? N’en aurais-je pas ri, si j’en avais pu rire ? À plusieurs méchants mots, qu’il garantissait bons, J’ai fait semblant de rire, et j’enrageais au fonds. Plein de son Despréaux, qu’en louant il déchire, (Car ce qui n’en vaut rien est ce qu’il en admire,) Il en parle sans cesse, et prétend fortement Que l’Univers en corps soit de son sentiment. J’ai bien affaire, moi, pour se faire de fête, Que de son Despréaux il me rompe la tête, Et qu’à brûle-pourpoint il m’attaque vingt fois Pour piller mon suffrage, et corrompre ma voix. Grâce au babil fécond d’un Marquis ridicule, Qui toujours se regarde, et toujours gesticule, Si Monsieur Despréaux n’eût servi d’entretien, Tant qu’a duré le jour, on n’eût parlé de rien : On l’a plus de cent fois conjuré de se taire, Mais le traître qu’il est, n’en a rien voulu faire : Despréaux qui l’entête, est si fort à son goût, Qu’il le mettait en œuvre, et l’enchâssait partout. Défaites-vous-en. Fi !         Je suis prêt de le faire. Il vous blesse la vue, et je cherche à vous plaire : Mais (et vous voulez bien que je vous parle ainsi) Il n’est pas le seul fat que vous souffriez ici. Le Marquis, à mon sens, est plus sage qu’Eudoxe, Qui se fait appeler la Marquise Orthodoxe ; Parce que dans Alger son aïeul fait captif, Pour la religion fut empalé tout vif : Cependant chaque jour vous souffrez sa visite ; Et, si je m’y connais, c’est un mince mérite Est-il rien de si fade, et de plus dégoûtant, Que les mots qu’elle affecte, et qu’elle estime tant ? N’est-ce pas à dessein faire rire le monde, Que toujours répéter que l’on couvre sa Blonde ; Pour dire aux gens de Cour, en des termes nouveaux, "Usez-en librement, et mettez vos chapeaux". Et puis-je honnêtement m’en débarrasser ? Dites : Puis-je sans l’offenser, refuser ses visites ? Et de la qualité dont vous savez qu’elle est, Lui dirai-je tout franc que son air me déplaît ? Par la même raison, sur la moindre matière, Voulez-vous qu’au Marquis j’aille rompre en visière ? Et du rang dont il est, (car dans tout cet état On trouverait à peine un plus illustre fat,) Son père qui descend d’un échappé de Prince, Met dans ses qualités, Gouverneur de Province, Duc, Vicomte, Marquis, Chevalier, Maréchal, Comte, Baron, Vidame, Écuyer, Sénéchal, À Paris Pair de France, à Madrid Grand d’Espagne, Trésorier d’Angleterre, Électeur d’Allemagne ; Et comme si pour lui c’était peu que cela, Il fait encor au bout mettre un et cetera, Après vingt qualités d’une telle importance, Comme font la plupart des grands Seigneurs de France. À des gens de sa sorte ira-t-on dire au nez, Qu’en théâtre public leurs pareils sont bernés ? Sûr qu’à vos sentiments c’est à tort qu’il s’oppose, Le Marquis est un fou, mais je n’en suis pas cause ; Et je suis étonné qu’avec tant de clartés, Vous vouliez me charger de ses iniquités. Vous l’avez amené.         Je l’ai dû, ce me semble : Accordés aujourd’hui, pour être unis ensemble, L’honneur dont vos bontés récompensent mes soins, Me paraît assez grand pour avoir des témoins. D’ailleurs, vous faire voir en l’état où vous êtes, À ce qui m’a charmé c’est mener des conquêtes ; Rien n’échappe à vos yeux, et je ne voulais pas Faire tort d’un hommage à vos charmants appas. Vous voulez m’adoucir, mais enfin je m’obstine. À la fin, grâce au Ciel, voici la Waltoline. Mon Dieu, comme il est fait ! Il s’est battu !         Pardi ! Un Laquais par deux fois dit que j’avre menti : Par mon foi, moi d’abord que lui tourne son tête, Je tiens mon Halibarde en mon main toute prête, Et quand il ne voit rien, pardi tout à l’instant J’en donne un coup bien fort dessus son dos qu’il tend. Mais le Laquais, mon foi, qui n’est guère pagnote, Me prend mon Halibarde, et pardi m’en tapote ; De son main qu’il fait poing, me casse tous les dents. Mon foi, le maison s’ouvre, et j’ai sorti dedans : J’aime encore plus que mieux qu’il déchire mon manche. Voudrais bien maintenant un petite fil blanche Pour deux liards.     Et faquin, faut-il se battre ?         Ho, ho ! Voulez-vous que j’endure un menti tout de go ? Non par mon foi !         Viens ça ; tu sais lire, je pense ? Point, pardi !     Point !         Ah, ah ! j’avre la souvenance Que si fait. Oui pardi. Foi de Suisse d’honneur. Tu sais lire ?         Mon foi, savre lire par cœur, Et fort pien.         Viens-ça donc. La noblesse ambiguë Qui traîne le désordre, et qui fait la cohue, Me fatigue, m’assomme, et tout en sera plein, À moins que de bonne heure on n’y tienne la main : C’est pourquoi, songes-y, je prétends qu’aucun n’entre, Hormis ceux dont les noms sont là-dessus.         Oh, diantre ! Si quelqu’un vient : Qui tape ? Ami. Dis votre nom ? Moi, je veux pas le dire ; et moi, j’ouvre point.         Bon, Retourne, et souviens-toi de ce que je t’ordonne. Oh pardi ! J’avre moi la souvenance bonne : S’il ne cline son nom, personne entre aujourd’hui. Dis-moi vous ; l’écriture est-ce pas le noir ?         Oui. Grand-merci.     Chevalier.         Me revoilà chagrine ; L’étourdi de Marquis, dont la langue assassine, A dessein de nous joindre, et je crains son caquet. Chevalier !     Paix.         Ma foi, je vous prends sur le fait ; Vous voilà l’un et l’autre à ma miséricorde : Comment Diable ? À l’écart dès le jour qu’on s’accorde ? À vous dire le vrai, si je m’y connais bien, Deux amants comme vous, ne sont pas là pour rien : Pour fausser compagnie, il faut avoir affaire, Dieu me damne !         L’Amour, n’est jamais sans mystère, Tu le sais.         Dites-moi, dansera-t-on bientôt ? Je m’en suis autrefois démêle comme il faut. Dolivet, et Beauchamp, m’en faisaient la grimace. Les gens faits comme vous ont partout bonne grâce. Assurément.         La danse est votre vrai talent ; Vous avez le corps souple, et de plus l’air galant. Pour souple, il est certain que je n’ai pas les gouttes ; Je saute...     À quelle danse excellez-vous ?         À toutes. Par ma foi.         Vous dansez les Menuets ?         Oh, qu’oui, Et qui plus est, j’espère y piper aujourd’hui. Mais à propos de danse, as-tu su des paroles Que je fis l’autre jour, et qui sont assez drôles ? Sur quel air ?         Sur quel air ? Sur l’air des Menuets. Des vers de ta façon sont, je crois, bien mal faits. Les auteurs de ta sorte effarouchent les Muses. Dieu me damne, mon cher, pour le coup tu t’abuses. Pour des vers cavaliers, qui toujours sont mauvais, Je n’en ai jamais vu de plus joliment faits. Les voici. « Un jour Lisis au bord de l’onde Parlait d’amour à Rosemonde ; Mais cette Blonde, Qui toujours gronde, Et que jamais le Berger ne choqua, Sans raison du monde S’en estomaqua ; Depuis, par dépit, le Berger la troqua. »     Qu’en dis-tu ? « Mais cette Blonde, Qui toujours gronde, Et que jamais le Berger ne choqua, Sans raison du monde S’en estomaqua ; Depuis, par dépit, le Berger la troqua. »         M’en croyais-tu capable ? Non.         Tu vois bien par là que je suis véritable. Les trois vers de la fin sentent l’homme de Cour. « Sans raison du monde S’en estomaqua ; Depuis, par dépit, le Berger la troqua. » N’est-ce pas, Chevalier, que j’y mets le beau tour ? Et que sans le secours des préceptes frivoles, Je fais passablement de méchantes paroles ? Dis donc ?         Passablement ? Sans te flatter en rien, Tu fais de méchants vers admirablement bien. À merveille.         Oh, parbleu ! Modérez la louange Touchant votre repas, je vous rendrais le change : À vous congratuler je serais occupé ; Mais je pense jamais n’avoir plus mal soupé, J’en enrage.         Et pour moi, ce reproche me pique. Je n’ai jamais rien vu qui fût plus magnifique. On a même trouvé bien des mets superflus ; Il se moque.         Ma foi, ce que j’aime le plus Y manquait.         Sait-on bien quels ragoûts tu souhaites ? Non ; mais dans un repas n’avoir point d’alouettes, C’est pour moi, qui les aime, un supplice cruel ; Parbleu !         Prenez-vous-en à mon maître d’hôtel. C’est un manger de Prince ; elles font succulentes... C’est en cette saison qu’elles font excellentes, Il a raison.         Comment ! C’est en cette saison ! Oui ; car durant l’été l’on n’en mange point.         Bon ! Veux-tu que je te prouve, et par raisons fort nettes, Qu’au plus fort de l’été l’on voit des alouettes ? En l’air donc.     Comme il dit, en l’air donc ?         Point du tout. Voyons comme il fera pour en venir à bout, Et comme il prouvera par des raisons fort nettes, Qu’au plus fort de l’été l’on ait des alouettes. Il ne saurait.         Parbleu, nous allons voir cela. As-tu lu Despréaux ?         De grâce, brisons-là ; Laissons-là Despréaux, et les vers qu’il compose ; On n’a tout aujourd’hui discouru d’autre chose. Je suis lasse à la fin d’ouïr citer son nom. Tout de bon ?     Oui.         Ma foi, soyez-en lassé, ou non ; Je prétends vous prouver, et par raisons fort nettes, Qu’au plus fort de l’été l’on a des alouettes ; Vous m’en avez, tous deux défié.         Mais, Marquis, Ne peux-tu le prouver, sans citer ses écrits ? Tu n’en as pas besoin pour ce que tu souhaites. Et quel autre écrivain a parlé d’alouettes, Dis, benêt ?         Croyez-moi ; laissez-le discourir. C’est un mal qui le tient dont il faut le guérir, Despréaux qui le charme, est dans sa fantaisie ; Et j’en vais tant parler, que je l’en rassasie. Des sièges, Laquais. Ça.         Je vous tiens, par ma foi. N’as-tu pas les écrits de Despréaux ?         Sur moi ? Non.         Les voici. Je ris de ton extravagance. As-tu lu le repas qu’il décrit ?         Oui, je pense. Fort bien. Te souviens-tu des mets qu’il fait venir ? Confusément.         Je vais t’en faire souvenir. "Sur un amas confus de viandes entassées, Régnait un long cordon d’Alouettes pressées." Mot pour mot. Que t’en semble ? Avais-je le goût bon ? Mange-t-on en été des alouettes ? Non.         Comment ? C’est Despréaux qui dans une Satire... D’accord, mais c’est peut-être en hiver qu’il veut dire. Bon ! Par ce faux-fuyant vous croyez m’échapper. Mais parbleu ! Sans courir, je vais vous rattraper. Dans le même repas, pour comble de disgrâce, "Par le chaud qu’il faisait l’on n’avait point de glace ; Point de glace, bon Dieu ! Dans le fort de l’été !" Ah mois de Juin ! Voyez, ai-je rien inventé ? Voilà l’endroit, lisez.         Que veux-tu qu’elle lise ? Tant pis pour Despréaux, s’il met une sottise. Comme ami de l’auteur, tu pourrais répliquer ; Qu’il fait ce repas, qu’il rétend s’en moquer ; Que c’est un fat qui traite, et qu’on peut sans scrupule Orner d’un méchant plat, un festin ridicule, À cela je répons pour te pousser à bout, Qu’en Mai, Juin, et Juillet, on n’en voit point du tout ; Que chez les rôtisseurs pas une âme n’en trouve ; Que c’est en ce temps-là que l’alouette couve ; Et que tout fat qu’il fut, le maître du logis N’avait pas envoyé dénicher les petits. Mon pauvre Chevalier, que ta réponse est sotte ! Tu sais, quand je m’y mets, de quel air je te frotte : Sur le raisonnement, je suis plus fort que toi. Qu’est-ce ? La Waltoline, où rêvas-tu ?         Mon foi, Je vas apprendre à vous, qu’une personne il tape. Qui se nomme ?         Bour... Bour... son nom me chape, Lui trois fois l’avre dit, mais je m’en dessouviens. As-tu bien consulté le papier que tu tiens ? Est-ce Acante, Licas, Oriane, Caliste, Damon, Tirsis...         Mon foi, lui n’est point sur mon liste ; Cartinement.     Hé bien, n’ouvre donc point.         Pardi ? Lui voudrait vous, Madame, un peu voir un petit ! Ouvre donc.         Voule-vous ? Moi, suis votre serfice. De quel endroit de France est Monsieur votre Suisse ? S’il vous plaît.         Hé, mon Dieu ! Point de subtilité, Parlons de Despréaux, vous l’avez souhaité ; Ou je dirai partout, pour vous faire la guerre, Que dès qu’on vous résiste, on vous jette par terre. Défendez ce qu’il fait, je suis contre, et vous pour ; Voyons.         C’est un peu tard venir faire ma Cour, Madame ?     Était-ce vous qui heurtiez ?         Oui, Madame. Un siège.         Songez-vous à notre épithalame ? L’hymen où j’aspirais, est conclu d’aujourd’hui : Et vous m’avez promis que vous la feriez.         Oui. En vers ?     Monsieur en fait de fort beaux.         On le nomme ? Monsieur Boursault.         Ah fi ! Ce n’est pas là mon homme. Un pareil compliment lui doit sembler nouveau : Mais des méchants auteurs, je suis parbleu, le fléau : Je n’en puis souffrir un, s’il n’excelle.         Il se moque. Point, par ma foi.     Point ?     Non.         Mais ton discours le choque. Moi ? Comment voulez-vous qu’il trouve mes vers beaux ? Monsieur est partisan de Monsieur Despréaux ; Je le connais.         Ma foi, c’est un charmant génie. "Lorsque d’un froid rimeur il dépeint la manie, Ses vers, comme un torrent, coulent sur le papier : Il rencontre à la fois Perrin, et Pelletier, Bardou, Mauroy, Boursault." Au moins sans artifice, Boursault.     C’est vous, je crois ?         Pour vous rendre service ; C’est moi-même.         Pour moi, quand je lis Despréaux, Je trouve en des endroits quelques vers assez beaux ; Mais ce qui me déplaît de sa veine féconde, Elle est trop satirique, et nomme trop de monde. C’est pour un galant homme, un peu s’être oublié : Plus son nom fait de bruit, plus il est décrié ; On court à ses écrits, mais chacun les achète, Moins pour voir ce qu’il fait, que les gens qu’il maltraite. Caressé d’un Libraire, à qui va le butin, Aux dépens de sa gloire, il enrichit Barbin ; Et sûr que sans nommer son génie est aride, Pour un honneur frivole, il en quitte un solide, S’il avait des amis, il devrait le savoir. Avec tout le respect que je crois vous devoir, Ce que vous dites là, Madame, est ridicule ; Parbleu. Despréaux nomme ! Ô le plaisant scrupule ? C’est qu’il est franc.         Madame, avancez, s’il vous plaît ; J’ai pris la bonne route, et c’est ici qu’elle est ; Avec l’époux futur je la vois qui s’amuse. Ne font-ils rien de plus ? Je sais comme on en use : Je m’en irais.         Entrez, nous vous en prions tous ; Si vous n’avez dessein que l’on coure après vous. Que prétendez-vous donc que nous fissions ?         Que sais-je ? Les Amants de sa sorte ont un grand privilège. Et puis, à le bien prendre, ayant trouvé son fait, Quand on est accorde, n’est-ce pas quasi fait ? C’est en deux oui qu’on dit que tout l’Hymen consiste. Et parmi le grand nombre on n’est point formalise : Dès qu’on est accordé, la pudeur prend l’essor. Que je vous baise un peu, je vous en prie : encor, Et Monsieur l’accordé veut-il que je le baise ? S’il le veut ? De sa vie on ne l’a fait plus aise : Vous moquez-vous ?         Bon Dieu ! qu’il s’en acquitte bien ! Je vous en congratule.         Et moi, n’aurai-je rien ? Et Monsieur ; quel est-il ?     Bel esprit.         Il se raille. C’est un auteur.         D’accord, qui ne fait rien qui vaille. J’avoue ingénument que j’ai fort peu d’esprit, Mais, si vous le savez, il faut qu’on vous l’ait dit. Vous enragez, parbleu, de ce qu’on vous terrasse : Le parti de l’esprit est celui que j’embrasse ; Par un vœu solennel je m’y suis engagé. En vérité, l’esprit vous est fort obligé. C’est être généreux autant qu’on le puisse être, Que prendre son parti, sans même le connaître. Des sièges donc, Laquais ; faut-il dire cela, Petit sot ?         Hé, mon Dieu, ne demeurons point là ; Ou du moins, car pour moi j’aime la comédie, Avant qu’on la commence, ordonnez qu’on le die. Quels Comédiens sont-ce ? Est-ce pas Molière ?         Oui, Et Tartuffe.         Ma foi j’en suis bien réjoui. Je ne l’ai jamais vu.     Ni moi, certes.         La France, Allez voir de ce pas quand la pièce commence : Vous viendrez nous chercher, si les acteurs sont prêts. Évangélisez mieux votre petit laquais, De grâce.     Asseyez-vous ; cela suffit.         Marquise, Savez-vous qu’elle et moi, nous venons d’avoir prise ? Je vous donne le droit sans rêver. Fais-je bien ? Je l’ai toujours.         Sur quoi roulait votre entretien ? Sur Despréaux.     Oh oui !     Qu’en dites-vous ?         Qu’en dis-je ? Qu’il ravit tout le monde, et que c’est un prodige : Quand je lis ce qu’il fait, j’ai l’esprit si content ! Despréaux !         Par ma foi, j’en disais tout autant ; Mais, Madame, et Monsieur, deux fâcheuses personnes, De cent sottes raisons ont combattu mes bonnes. Sans leurs cruelles mains le bon sens est martyr. Pour moi, je ne crois pas devoir te repartir : Mais respecte Madame, elle est si délicate... Il est vrai. Dieu me damne ! Elle approuve l’Astrate. Quoi ! l’Astrate ?     L’Astrate.         Ah, mon Dieu ! je l’ai vu ; Que les vers en sont forts, et que tout m’en a plu ! J’en revins satisfaite autant qu’on le puisse être ; Un ouvrage si beau, part de la main d’un maître ; Bien des gens qu’il charma l’applaudirent tout haut. Dites-moi, s’il vous plaît, qui l’a fait ?         C’est Quinault. Bon, Quinault !         Oui, vraiment ; voudrait-il vous le dire ? Quoi ! Le même Quinault que Despréaux déchire, A composé...         L’Astrate, où l’on donne un anneau. Je suis au désespoir de l’avoir trouvé beau. Il me parut charmant, j’en admirai le tendre ; Mais si jamais j’y vais, j’en dirai pis que pendre : Il ne doit rien valoir ; car Despréaux le dit. Quoi que ce soit.         Tout beau, Quinault a de l’esprit. Et du beau.         Monsieur raille, ou Madame le flatte. S’il avait de l’esprit, aurait-il fait l’Astrate ? Parle mieux de l’Astrate, ou du moins n’en dis rien ; Il a charmé Madame.         Ah ! Je m’en repens bien ; À tous les beaux endroits que l’acteur y rencontre, Je fis le brouhaha, mais je proteste contre. On doit me pardonner, si je le fis tout haut ; Ce fut innocemment que j’applaudis Quinault. Si l’auteur par l’ouvrage avait pu se connaître, Je l’aurais trouvé laid, tout galant qu’il puisse être, En conscience.         Et vous, depuis quand, et pourquoi, Êtes-vous gendarmé contre l’Astrate ?         Moi ? Oui, vous, oui.     J’aime assez depuis quand.         Il me semble Que dans sa nouveauté nous le vîmes ensemble : Je ne sais depuis quand vous vous êtes dédit ; Mais je sais qu’à mes yeux vous l’avez applaudi, Et qu’en vous démembrant pour louer cet ouvrage Comme font la plupart des Marquis de votre âge, De vos bras fatiguants vous donnâtes cent coups À ceux qui par malheur s’étaient mis près de vous ; Vous trouvâtes la pièce admirablement belle. Elle était belle aussi, quand elle était nouvelle ; Mais elle ne l’est plus à présent.         Ah ! Fort bien. Pompée est déjà vieux, il ne vaut donc plus rien ? Dans deux ans l’Alexandre et sa soeur l’Andromaque Ne seront donc plus beaux, si quelqu’un les attaque ? Le Cid, dont tout Paris admira la beauté, A donc perdu sa grâce avec sa nouveauté, À ce compte ?         Oh ! Le Cid ! Quel Poème en approche ? Y songez-vous ?         Ma foi, ta comparaison cloche. Le Cid est de Corneille, où Diable as-tu l’esprit ? Il ne vaudrait plus rien, si Despréaux l’eut dit ; J’en demeure d’accord : mais d’assez fraîche date, Il approuve le Cid, et : condamne l’Astrate. Les ouvrages d’esprit cessent donc d’être beaux, Dès qu’ils sont attaqués par Monsieur Despréaux ? Qui doute de cela, Sieur Boursault ?         Moi, peut-être ; Qui sais rendre justice, et qui crois m’y connaître. Il ne faut pas avoir l’esprit fort délicat, Pour nommer l’un fripon, appeler l’autre fat. Qu’a-t-il fait jusqu’ici, qu’exciter des murmures ? Insulter des auteurs, et rimer des injures ? Quelle honteuse gloire, et quel plaisir brutal, De ne pouvoir bien faire, à moins de faire mal ? À quel homme d’honneur a-t-il vu sa manie ? Qui jamais à médire a borné son génie ? Quand d’un si grand génie on a l’esprit doué, Sur la même matière est-on toujours cloué ? À la Satire seule est-il beau qu’on s’amuse ? Et n’en peut-on sortir, sans égarer sa Muse ? Sorti d’assez bon lieu, c’est vouloir sans raison Prostituer sa race, aussi bien que son nom : Si par malheur pour eux, ses écrits sont durables, Ce qu’il a de parents, en seront crus coupables : Nos neveux après nous, ne distingueront pas Qui de cette famille avait le cœur si bas : Et l’erreur populaire, ou la haine publique Confondra l’honnête homme avec le satirique. Si l’Astrate qu’il blâme, est un monstre à ses yeux, Comme il est du métier, il devrait faire mieux. Mais je pense, ma foi, qu’il ne l’ose entreprendre. S’il voulait s’en mêler, que d’auteurs s’iraient pendre ! Corneille le premier, quoiqu’auteur assez bon ; Je crois, s’il ne fait rien, que c’en est la raison ; Sûr qu’il est de ravir, et de faire merveille, Il veut bien faire grâce au bonhomme Corneille ; Et lui laissant en paix achever tout son sort, L’empêcher de mourir que de sa belle mort. C’est ma pensée.     Au vrai ?     D’homme d’honneur.         Je meure, Si je n’allais songer de penser tout à l’heure La même chose.     Oh, oui ?         Oui, foi de veuve.         Allez, Il est aisé de voir que vous me ressemblez ; Vous crevez d’esprit.     Moi ?         Pour un si grand service. Je veux que Despréaux vous accole la cuisse. D’où vient qu’il ne dit rien de cet auteur galant Qui compose à la glace, et qui rime en tremblant ? Je ne le connais point ; quel auteur est-ce ?         Diable ! Je le connais, la peste ! Il est bien agréable. C’est Boyer.         Bon, Boyer, vous le connaissez peu. Boyer, quand il compose, est toujours tout en feu ; Dans ses moindres discours on voit ce feu qui brille ; Et dans les vers qu’il fait, le salpêtre pétille. Quand d’un crime parfois il exprime l’horreur, La fureur poétique est sa moindre fureur. S’il faut peindre Bellone au milieu du carnage, Son Pégase bondit, et sa Muse fait rage ; Il sait camper, résoudre, assaillir, effrayer, Et dans ses vers pompeux étaler tout Boyer : Mais s’il faut de vers doux embellir quelques scènes, On le saigne d’abord de trois ou quatre veines, Pour faire évaporer par ces canaux ouverts, La grandeur du génie, et la force des vers. Boyer fait mal des vers à ce compte ?         Au contraire, Il serait mal aisé de pouvoir en mieux faire ; Il écrit nettement ; et pour dire encor plus, Ses vers ont de la pompe, et ne sont point confus ; Car enfin, cher Marquis, et souvent on s’y trompe, Le galimatias est voisin de la pompe. La plupart des grands vers qu’on devrait supprimer, Ressemblent à ces gens que je n’ose nommer ; À ces sots du bel air, dont l’esprit est sans force ; Avec qui le bon sens est toujours en divorce, Et qui de trois grands mots ornant leur entretien, Parleront tout un jour, pour ne se dire rien. Que ta comparaison est absurde !         Et de grâce. Revenons à l’auteur qui compose à la glace, Je vous en prie.     Ah ; ah ! C’est sans doute...     Qui ?         Non, Ce ne l’est pas.         Mon Dieu, qu’ai-je fait de son nom ? C’est un auteur galant, mais qui ferait scrupule De se lever sans feu pendant la canicule. C’est Gilbert.         Que Madame en parle comme il faut ! Quelque chaleur qu’il fasse, il n’a jamais eu chaud : Apollon et Gilbert sont toujours mal ensemble, Quand tout le monde brûle, on le trouve qui tremble : Un de ses bons amis que je vis hier au soir, Me soutint par deux fois que l’étant allé voir, Il trouva son Laquais qui lui chauffait Dimanche L’épingle qu’il lui faut pour attacher sa manche. Est-il possible ?     À l’autre ! Il la croit.         Ce Galant À pour se faire croire un mérite assez grand : J’ai l’honneur, tu le sais, de grossir ses conquêtes ; Et d’ailleurs...         Hé, morbleu, que les amants sont bêtes ! Regardez, que Gilbert s’il avait ce défaut, Pour chauffer une épingle, en aurait bien plus chaud. Nullement, mais à tort ton esprit se gendarme ; Que cela soit ou non, la figure m’en charme : Quand parfois à Gilbert le froid livre un assaut, Pour chauffer une épingle, il n’en a pas plus chaud, D’accord : mais notre ami, sans t’échauffer la soie. Le plaisant de l’affaire, est que Gilbert le croie : Et qu’il ait prétendu se morfondre le bras, S’il osait s’en servir, et ne la chauffer pas. Le méchant raisonneur !         Il faut bien qu’il conteste : Qui reprend Despréaux, peut médire du reste. Ma foi, je voudrais bien, pendant qu’il est ici, Qu’il censurât encore un endroit que voici, Jamais dans aucun siècle on n’a vu mieux écrire ; Et je le maintiens fou, s’il y trouve à redire. C’est l’endroit de Cotin, l’as-tu vu ?         Je le crois ; Mais Cotin, tu le sais, est en bien des endroits : Quand je lis quelquefois ses satires malignes, Je rencontre Cotin presqu’à toutes les lignes ; Et mes yeux voltigeants de Cotin en Cotin, Sans m’en apercevoir, je me trouve à la fin, Apprends-moi quel endroit tu veux dire.         Il est juste ; C’est l’endroit, tu sais bien, où Despréaux l’ajuste ! Quand "chacun, malgré soi, l’un sur l’autre porté Faisait un tour à gauche, et mangeait de côté : Juge si dans ce lieu Despréaux put si plaire, Lui qui ne compte rien, ni le vin, ni la chère, Si l’on n’est plus au large assis dans un Festin, Qu’aux Sermons de... ou de l’Abbé Cotin". Que cet endroit me plaît.         Il me plairait, je pense, Si j’avais pour l’entendre assez d’intelligence. Bien des gens comme vous en font assez de cas ; Mais, j’ai l’esprit si lourd, que je ne l’entends pas. Despréaux hait Cotin, et ce qui m’a surprise. On ne sait s’il le loue, ou s’il le satirise, N’est-il pas vrai ?         Sans doute, et vous avez bien dit, On ne sait s’il critique, ou bien s’il applaudit, Je le soutiens.         Et moi, je soutiens le contraire. Moi qui ne compte rien, ni le vin, ni la chère, "Si l’on n’est plus au large assis dans un festin, Qu’aux sermons de Cassaigne ou de l’Abbé Cotin". Il veut dire par là, j’en fais juge Madame, Qu’aux sermons de Cotin il n’y va pas une âme. Voilà ce qu’il veut dire.         Oh ! D’accord, en ce cas ; Il le veut dire, bon ; mais il ne le dit pas : Au contraire, à l’entendre, on dirait qu’on s’y tu ; Que la foule y fatigue, et que chacun y sue. Vouloir plus être au large assis en ce lieu-ci, Qu’au Tartuffe qu’on joue on ne fut Vendredi, Ce n’est, je crois, pas dire, au rapport de Madame Qu’au Tartuffe qu’on joue il n’y va pas une âme. C’est bien de même ?         Oh ! Non ; cela n’y vient pas bien. Comment voudrais-tu dire autrement ? Voyons.         Tiens ; Si j’avais son esprit, j’aurais mis, pour mieux faire ; "Moi qui ne compte rien ni le vin, ni la chère", À moins d’être à mon aise "assis dans un Festin", Comme... il aurait pu dire aux Sermons de "Cotin", S’il l’eût voulu ; mais là, sans faire l’habile homme, En la place de "plus", il fallait mettre "comme" ; Sans contredit.     Oui ?         Oui. Rêves-y quelque temps. En tout cas rien n’y manque, excepté le bon sens. La belle affaire !         Et si, je pense qu’il se moque ; Il n’y manque autre chose, et cet endroit le choque ! Du bon sens, plus ou moins, n’y fait rien.         C’est bien dit. Laissez-moi lui citer un endroit plein d’esprit, C’est au discours au Roi. Rien n’est plus agréable ; Je n’en lis pas un vers qui ne soit impayable. L’endroit que je veux dire, est un endroit nouveau, Si galamment tourné...         Madame, qu’il est beau ! Il m’enlève.         Avouez que c’est un coup de maître. Il ne me souvient pas quel endroit ce peut être. Mais à mon gré, Madame, il est beau ! Ris, mon cher. Qui Diable, en t’écoutant, pourrait s’en empêcher ? Quand on loue un endroit qu’on nomme un coup de maître, On doit dire du moins quel endroit ce peut être : Cet endroit si galant que tu dis qui te plaît Peux-tu le trouver beau, sans savoir ce que c’est ? Et c’est donc de cela que tu ris ? Je t’admire. Qu’ai-je dit de bouffon, qui t’ait dû faire rire ? Je vois dans ses écrits cent endroits délicats : Il doit peu t’importer, s’il ne m’en souvient pas ; Celui que dit Madame, en doit être un, je gage. Monsieur a le sens bon.         Point du tout ! Mais j’enrage, De voir rire de rien un esprit égaré : Je suis des idiots l’ennemi déclaré. La Marquise Ortodoxe aurait dit des merveilles, Sans ce perturbateur du repos des oreilles. Pour le désarçonner, reparlez-nous ici, De l’endroit qui vous charme ; et qui me charme aussi : Je n’ai rien vu de beau, qu’aisément il n’efface ; Qu’il le censure après, s’il le peut.         Qu’il le fasse, Je l’en défie.         Allons, mortifiez-le un peu. Despréaux parle au Roi.     Bon.     Et lui dit...         Morbleu ! Cela me touche !     Et quoi ? Qu’a-t-on dit ? Rien.         N’importe ; Je ne vois point d’auteurs s’exprimer de la sorte. Despréaux parle au Roi, ne saurait se payer. J’ai beau lire Corneille, et Racine, et Boyer, Je ne vois rien d’égal.         Pour cela, je l’avoue. Quand donc il parle au Roi, voici comme il le loue. "Et tandis que ton bras, des peuples redouté, Va, la foudre à la main, rétablir l’équité, Et retient les méchants, par la peur des supplices, Moi, la plume à la main, je gourmande les vices". Ces vers sont d’une force à jamais n’égaler. Justement : c’est l’endroit dont je voulais parler ; Sur des vers si pompeux, je m’arrête sans cesse. Ils sont si beaux. "Tandis que ton bras..." Comment est-ce ? "Et tandis que ton bras, des peuples redouté, Va, la foudre à la main, rétablir l’équité, Et retient les méchants, par la peur des supplices"... "Moi, la plume à la main, je gourmande les vices". Censure donc.     Peut-être.         Et censure, crois-moi, Blâme des vers royaux qui sont faits pour le Roi, Tu dois, pour ton honneur, les censurer.         Écoute. On le pourrait.     Madame, on le pourrait !         Sans doute. Ne me presse point tant de te rendre confus. Parbleu ! Je t’en défie.         Et pour moi je fais plus, Je l’en conjure.         Hé bien, il faut vous satisfaire. Qu’ont de si beau ces vers, qui vous puisse tant plaire ? Toi qui crois posséder un esprit plus qu’humain, Dis-moi, dit-on "qu’un bras va la foudre à la main" ? Et qu’on le dise, ou non ; que t’importe ?         Il m’importe. Le dit-on ?     Non.     Ta foi ?         Non, le Diable m’emporte. Tu peux, sur ma parole, être sur de cela. Mais, pourquoi, s’il te plaît, cette question-là ? Despréaux le dit-il ?     Oui vraiment.         Imposture. Je le crois, moi.         Ses vers font encore en nature. "Et tandis que ton bras, des peuples redouté, Va la foudre à la main..." Je n’ai rien inventé ; Vous le voyez.         Marquis, on le dit, ou je meure. Je m’en viens, comme vous, d’aviser tout à l’heure. Il est vrai, l’on le dit ; il est même fort bon ; Malepeste !         Pour moi, je ne dis oui, ni non. Je condamne avec peine, et sans peine j’admire : Peut-être est-ce bien dit ; mais il eut pu mieux dire ; Et les vers dont on parle, auraient moins d’embarras, S’il eût mis la Personne en la place du Bras. Pour parler nettement, par exemple, on peut mettre, "Que la foudre à la main, le Roi tout va soumettre" ; Par exemple, on peut dire, en parlant de son Bras, "Qu’il va lancer la foudre au milieu des combats" ; En parlant de lui-même, on peut dire avec grâce, "Que suivi de la foudre, il va punir l’audace" : Mais dans cette occurrence, un meilleur écrivain, N’aurait pas dit qu’un "bras va la foudre à la main". Je suis du sentiment de Madame.         Et de grâce, Diminutif d’auteur, exilé du Parnasse, Laissez-nous seuls.         Ho, ho ! C’est parler un peu haut ? Chez de plus grands Seigneurs on endure Boursault : Ce qu’il a dit est juste, et n’a rien que je blâme ; C’est prendre un bon parti, que celui de Madame. J’en suis aussi.     Vous ?     Oui.     Tant pis.     Tant mieux.         Ma foi, C’est un faible ennemi, qu’un censeur comme toi. Viens au sens, notre ami ; c’est le sens qu’on admire. Qui chicane des vers, ne saurait plus que dire. "Et tandis que ton bras..." C’est-à-dire, "Grand Roi, Nous allons faire rage à présent, vous et moi. On nous craindra tous deux ; vous, de peur des supplices ; Moi, de peur de mes vers qui gourmandent les vices ; Et pourvu que tous deux nous nous entendions bien, Votre nom ira loin, aussi bien que le mien. Quand je bats des auteurs, vous gagnez, des batailles." Voilà ce qui s’appelle être sensé.         Tu railles. Ces vers, de son bon sens, font de faibles témoins. Jamais rien n’en eut tant.         Jamais rien n’en eut moins. Vous avez l’un et l’autre, ou je sois misérable, Une absence d’esprit que je trouve effroyable ; Que voit-on là dedans qui soit hors de raison ? C’est avec un grand Roi faire comparaison. Simplement. Tu dirais, si tu savais l’Histoire, Que ce sont les auteurs qui dispensent la gloire ; Que les Rois du vieux temps qui les ont révérés, Ont souffert qu’avec eux ils se soient comparés : Mais ces comparaisons ne se sont jamais faites Qu’entre de petits rois, et d’excellents poètes : Au lieu que dans l’exemple allégué tant de fois, C’est un petit poète, et le plus grand des Rois. Et bon, bon !         Quoi ! Bon, bon ? Cela ne veut rien dire, Mon cher Marquis.         Bon, bon, doit pourtant vous suffire ; Je ne vous dirai rien autre chose.         Il fait bien. À cent bonnes raisons on ne lui répond rien. Par-ci, par-là, du moins, le bon sens doit paraître. Je gage que Boursault, tout Boursault qu’il puisse être, De l’endroit qu’on censure est lui-même content. Un tailleur Béarnais en fit un jour autant : Il se nommait Barangue, et disait à quelqu’autre, Que ceux de son pays ne faisaient rien au nôtre : Que pour lui, grâce au Ciel, il avait le bonheur, Quoique né Béarnais, d’être maître-tailleur : Qu’ils étaient dans Paris, d’une ville commune, Deux adroits Béarnais, compagnons de fortune : Mais qu’en France jamais, quoiqu’ils eussent d’appui, Nul n’avait fait fortune, hors Henry-Quatre et lui, Cette comparaison est égale.         La peste ! Soit du traître d’auteur, qui sans cesse conteste ! Je n’ai jamais rien vu de plus extravagant. J’allais encor citer un endroit élégant, Où Despréaux du Roi dit tout ce qu’on peut dire : C’est l’endroit le plus beau qui soit dans sa Satire : Mais je n’en dirai rien, Dieu me damne.         Et pourquoi ? Pour vouloir m’en priver, que vous ai-je fait, moi ! À Monsieur Despréaux je sais rendre justice. De ses vers, bons ou non, je suis l’admiratrice : C’est peut-être un endroit que je n’ai point ouï. Vous m’en aurez donc, seule, obligation ?         Oui. Jamais à Despréaux rien n’acquittant de gloire ; Jamais plus à propos on n’a cité l’Histoire ; Lorsqu’au grand Alexandre il compare le Roi ? Il me charme.         On dirait qu’il s’entend avec moi. Les endroits qu’il admire, ont tous eu mon suffrage. Que vous avez d’esprit ! On ne peut davantage. Vous vous y connaissez ; en ai-je ?         Autant que dix. Vous tombez dans mon sens sur l’endroit que je dis ; Sur la comparaison d’Alexandre.         Elle est belle. Et Madame qui rit, comment la trouve-t-elle ? S’il lui plaît.     Comment ?     Oui.         Je la trouve là-là. J’ai pensé me douter qu’elle dirait cela. Vraiment !         Et moi de même, ou je me donne au Diable. Et si, Morbleu ! Madame, êtes-vous raisonnable ? Lors qu’au grand Alexandre on compare le Roi, Dire là-là, Tudieu ! Qu’en dites-vous ?         Qui ? Moi ? Pour blâmer un endroit contre qui chacun peste, Le là-là de Madame, est un là-là modeste. Quoi qu’en pense l’auteur, il a tort, selon moi. Lorsqu’au grand Alexandre, il compare le Roi ? Il a tort !         Oui-da, tort ; et le bon sens en gronde. Non de le comparer à ce vainqueur du Monde. Je sais bien que Louis qui paraît si galant, Est bien plus équitable, et n’est pas moins vaillant ; Et qu’un Roi comme lui, dont la gloire est extrême, Ne se peut sans erreur comparer qu’à lui-même ; De Despréaux pourtant l’on souffrirait cela, Si son fougueux génie en fût demeuré là : Mais au plus fameux Roi que la Grèce ait vu naître, Comparer le plus grand que l’on puisse connaître, Et dans un autre endroit, par de sottes raisons, Vouloir mettre Alexandre aux Petites Maisons, N’est-ce pas du bon sens avoir perdu l’usage ? Et crois-tu qu’Alexandre ait toujours été sage ? Il était quelquefois presque aussi fou que toi. Il ne fallait donc pas lui comparer le Roi ; Ce Monarque intrépide, en qui tout est auguste, Et qui sert de modèle à qui veut être juste. L’Univers étonné de ses faits éclatants, Sait qu’en lui la sagesse a devancé les ans ; Et que pour faire voir ce qu’il aurait l’heur d’être, Les vertus avec lui commencèrent de naître. Après ces vérités, vois ta comparaison. Ma foi, si tu n’as point de meilleure raison, Tu n’es qu’un fat.         Pour fat, pas tant fat que l’on pense. En vérité, Madame, il l’est : à toute outrance. Je veux qu’avec raison vous blâmiez Despréaux, Mais des flots d’encenseurs trouvent ses écrits beaux ? On se fait par le monde un tort irréparable. Tout le monde qu’on voit n’est pas déraisonnable. Despréaux d’encenseurs eût-il même des flots. On doit par charité désabuser les sots. Les endroits qu’on reprend font bien voir sa conduite ; Il fait quelques beaux vers, mais le reste est sans suite ; C’est un jeune emporté, qui dans ce qu’il écrit, Prise le jugement, moins que le bel esprit ; Et pour courre un bon mot, que par fois il attrape, Du bon sens qu’il néglige, à tout moment s’échappe ; Ses amis les plus chers, n’en disconviennent pas. Vous êtes, vous et lui, deux aussi francs ingrats... Nous, ingrats !         Oui, morbleu ! Despréaux versifie, Et les fruits de sa veine, il vous les sacrifie : Clairvoyant dans le Code, et savant dans les Lois, Il pouvait obscurcir Montauban, et Langlois ; N’était qu’il a changé, pour vous mieux faire rire, Ses cornes d’avocat, en cornes de satyre. À ce que dit Monsieur, il donne un tour d’esprit. Tout de bon ?     Oui.         Ma foi, bien des gens me l’ont dit ; Que ma discrétion ne veut pas que je nomme. Toi, qui parles, as-tu vu la Satire de l’homme ? Oui, je l’ai vue.     Hé bien, l’endroit de l’Âne ?         Ah, si ! À tous les écrivains je vais faire un défi, Tant à ceux qui font mal, qu’à ceux qui font merveille, Comme depuis Boursault, jusqu’à l’aîné Corneille, D’en faire autant.         À peine en viendraient-ils à bout. Si vous dites si là, dites donc si partout ; L’Âne de Despréaux me ravit, Dieu me damne. Il est vrai, pour cela, que c’est un plaisant âne. Tout-à-fait. Près de lui, s’il avoir dit un mot, Feu l’Âne de la Fable eût passé pour un sot : Je crois qu’en droite ligne il descend de sa race. Jamais façon d’écrire a-t-elle été plus basse ? Y songez-vous ?         Pour moi, je ne m’y connais pas, Ou, comme dit Madame, il n’est rien de si bas. Cet âne sociable, et qui n’est point farouche, Ou plutôt Despréaux qui parle par sa bouche, Dit-il rien de passable, et n’eût-il pas mieux fait, D’être comme un autre âne, imbécile et muet ? Par les bas sentiments de sa dernière page, Il avilit sa plume, et salit son ouvrage : Qui veut satiriser, doit moins être étourdi. Et comment prétends-tu qu’un âne parle ? Dis. Quoique pour s’expliquer, il emprunte un organe, Ne soutient-il pas bien son caractère d’âne ? Lui voit-on démentir ce qu’il est ? Va, parbleu, À la beauté de l’art, tu te connais fort peu. Si cet endroit n’est fin, pour qui veut du risible, Je suis un sot.         Écoute, il n’est rien d’impossible. Je te crois habile homme, et puis m’être mépris : Cet endroit...         Les acteurs ont mis leurs beaux habits, Madame, ils vont bientôt commencer.         Ah ! Madame ; Allons ouïr des vers qui vous raviront l’âme : Jamais dans une pièce on n’en mit de si beaux. Vous demandez quartier, concernant Despréaux, Je le vois bien.     Non pas.     Tu le dois.         Je le nie : Non qu’enfin Despréaux n’ait beaucoup de génie ; Quand il aura plus d’âge, et les yeux mieux ouverts, Pour venger ceux qu’il choque, il relira ses vers : Devenu raisonnable, et ravi qu’on le croie, Il fera son chagrin de ce qui fait sa joie ; Et sentira dans l’âme un déplaisir secret, D’avoir pu si bien faire, et d’avoir si mal fait.