Je vous l’avois bien dit pour calmer vostre effroy, Que vous seriez tousjours à vostre aise avec moy. Et qu’assez de tresors vous auriez en partage, Si de me posseder vous aviez l’avantage ; Mentois-je ? Et le repos vous est-il asseuré, Ayant eu le bon-heur de m’avoir rencontré ! De semblables profits auriez-vous à pretendre, Si l’on vous eut laissée au pouvoir de Cleandre, Et si, par un destin à vos vœux pas trop doux, J’eusse jeté les yeux sur une autre que vous ? Quand je songe au mal-heur où je suis condamnée, J’ay regret d’estre à vous par les nœuds d’Hymenée, Et j’éprouve du sort les plus sensibles coups, Puis qu’il m’a fait tomber dans les mains d’un jaloux, Qu’est-ce que de ma part vostre cœur apprehende ? Mon honneur m’est trop cher pour vouloir…         Ah friande ! Que si je m’empeschois de vous estre cruel, L’honneur dont vous parlez deviendroit casuel; Et que sachant les tours dont les femmes sont dignes, On nous prendroit bien-tost dans le Ciel pour des Signes, Puisque de vos plaisirs un bon Frere garny Produiroit Capricorne, et feroit Gemini ! Sachez que de tout temps j’appréhende le blasme, Qu’au gré de mon désir je gouverne ma femme, Que sans en murmurer il faut suivre ma loy, Et que quand je vous pris ce ne fut que pour moy. Que si vostre Mary dans ce lieu vous enferme, C’est qu’il croit votre honneur n’estre pas assez ferme, Et que ne pas souffrir qu’on vous puisse approcher, C’est oster à vos sens les moyens de pecher. Vous, Monsieur, apprenez qu’un discours incommode, D’un crime qu’on ignore enseigne la méthode, Et que pour confirmer vos injustes soupçons, D’un prétexte inutile on se fait des leçons : Pour épargner du trouble à vostre ame allarmée, Peut-estre avec raison m’avez-vous enfermée, Car de la liberté si j’usois plainement, Qui doute de ma foy douteroit justement. Voyez-vous qu’en effet d’autres fassent paraitre… Les autres sont des sots et je ne veux pas l’estre ; Nous savons mieux que vous ce que ces autres font, Et ne pretendons pas devenir ce qu’ils sont. Faut-il point pour vous plaire à l’exemple d’un autre, Souffrir en mon absence un Galand qui soit vostre, Et qu’apres qu’en honneur cinquante ans j’ai vescu. Je sois d’intelligence à me faire Cocu ? Faut-il point, dis-je encor, que moy-mesme je brigue ? Que je pousse à la rouë, et conduise l’intrigue ? Et sur vos passions conformant mes desirs, Que l’Espoux ait la peine, et l’Amant les plaisirs ? Quand on vient pour vous voir, faut-il point que je sorte ? Sur vous, et vos Muguets que je ferme la porte ? Et que sous mon aveu vous ayiez le moyen D’acheter du Brocard d’autre argent que du mien ? Voilà ce qu’aujourd’huy tous ces autres observent, Ils se font des Amis dont leurs femmes se servent, Et ne murmurent pas quand pour faire l’amour, Elles courent la nuict, et reposent le jour. Ah ! qu’il vaudroit bien mieux que du nombre assez ample, De ces Martyrisez je devinsse l’exemple ! Que si l’on enfermoit chaque femme qui court Avec six cadenats, elle auroit le nez court ! Qu’on verroit de Marys marcher teste levée, Si ma regle par eux estoit bien observée ! Et que de quantité le destin seroit doux, Si leur plus grand mal-heur estoit d’estre Jaloux ! Et de tous les mal-heurs en est-il un plus rude Monsieur !         Il me le semble, ô Madame la prude ! Et qui de la sagesse a le moindre rayon, Prefere un sort d’Argus au destin d’Acteon. Quiconque peut avoir un rayon de sagesse, Dans les maux d’une femme à jamais s’interesse, Et loin qu’à l’outrager il puisse estre contraint, Il s’en veut faire aymer, et n’en pas estre craint. Qui d’avoir des soupçons ne pouvoit se deffendre, Devoit m’abandonner à l’amour de Cleandre, Et par l’éclat d’un bien dont je ne puis jouïr, N’abuser pas mon Pere, et ne pas l’éblouïr. Il vous plaisoit beaucoup ce Cleandre ?         Sans doute. Il avoit vostre estime ?         Encor mesme, il l’a toute. Vous voudriez, que je crois, estre à luy ?         Pleust aux Dieux, Mon sort…         On dit bien vray que l’amour n’a point d’yeux ! Vous aurez donc regret de vous voir ma conqueste Madame la Mignonne ?     En effet,         Bonne beste ! De vos mauvais desseins c’est assez m’avertir, Vous voudriez estre gueuse, et vous bien divertir. Je vois ce qui vous choque, et le ver qui vous pique, Il vous faut un Mary de nouvelle fabrique, Qui redoute une femme, et de crainte du choc, Laisse chanter la Poule, et plus haut que le Cocq. Il vous faut un Mary qui crût faire un grand crime, S’il ne donnoit dequoy pour joüer à la Prime, Et qui ne laisse pas de paraistre gaillard, Si l’on quitte la Prime, et qu’on joüe au Billard. Il vous faut un Mary qui confonde sa rente, Qui soit brave quatre ans, et gredin plus de trente, Et sur qui l’on saisisse au profit des Marchands, Et maisons de la ville, et revenus des champs. Oüy, je vous charmerois, ô Coureuse recluse, Si vos debordements ne trouvoient une écluse, Et du moins dans mes biens vous verriez des appas, Sans les doubles ressorts de mes six cadenats ; Mais quoy que contre moy vostre cœur se propose, Sachez qu’avant la nuict j’en veux croistre la dose, Et d’eussiez-vous cent fois vous en mettre en courroux, A vos six cadenats joindre autant de verroux, Rentrez ; car aussi bien je vois un Gentillastre, De vos yeux bien fendus il seroit idolastre, Rentrez donc.     Mais…         Rentrez, sans vous embarrasser. Diable ! que j’ay bien fait de la cadenasser. Monsieur, vous savez bien qu’on me nomme Cleandre ? Oüy.         Vous ne savez pas ce que j’ose pretendre ? Non.         Mais il vous souvient que je fus Amoureux ? Oüy.         Que je ne fus pas un Amant fort heureux ? Non.         Que votre merite emporta la balance ? Oüy.         Qu’enfin mon ardeur n’eut point de recompense ? Non.         Ainsi donc, Monsieur, ne trouvez pas mauvais Si je viens…         Vous, Monsieur, trouvez bon si je vais… Un si grand preambule est suspect à mon Ame, Parlez bref.     Mais Monsieur…         Mais Monsieur, mais Madame, J’ai des soins à donner autre part que vers vous, Avec mes cadenats j’ay besoin de verroux, Près de mon Serrurier il est temps de me rendre ; Pour pouvoir me parler il ne faut que m’attendre, Si je trouve mon fait, je reviens sur mes pas, Si je ne trouve rien, je ne reviendray pas. Bon jour.         De ce qu’il fait j’aurois tort de me plaindre, Avec moins de foiblesse il seroit plus à craindre, Si de quelque lumiere il estoit éclairé, En vain à le tromper je serois preparé. Je veux à Spadarille arracher Olimpie, Mais je sais que son ame est sans cesse assoupie, Et quand secretement j’ose agir contre luy, De sa brutalité je me fais un appuy. Mais comme Spadarille est sujet à l’ombrage Quoy que des cadenats il observe l’usage, Si pour vostre mal-heur il avient que ce fou, De sa femme Olimpie aperçoive le trou ? Si d’un sensible affront se sentant l’ame outrée, De ce trou favorable il occupe l’entrée, Et que de son pouvoir se servant à propos, De coups drus comme gresle il nous brise les os ? Plaist-il ?         Non, Spadarille a la teste trop seiche, Je n’apprehende pas qu’il découvre ma bresche, Si pour voir Olimpie en un coin fort obscur, On a fait de ma chambre une entrée à son mur, Tu sais qu’un lict superbe à ma flâme propice, Pour me favoriser cache mon artifice. D’ailleurs nostre vaisseau sur la fin de ce jour, Doit partir pour Marseille et quitter ce sejour, Cet anneau d’Olimpie est la marque secrette, Qui doit malgré l’Argus asseurer sa retraite, Et que pour accomplir d’équitables desseins, Par l’avis de son Pere elle a mis dans mes mains. Ainsi de mon Rival le deffaut effroyable… Je say que Spadarille est puant comme un Diable, Et que de son halaine il infecte tous ceux Qui de parler à luy sont assez mal-heureux ; Mais il est Gouverneur, et c’est dont je frissonne, Car son train…         A sa suite il n’a nulle personne, De peur que de sa femme on pût voir les attraits, Ce Jaloux hypocondre a chassé ses valets : Son Ame scrupuleuse, et tousjours deffiante Ne peut près d’Olimpie endurer de servante, Dans la crainte qu’il a que l’on eut supposé, Sous l’habit d’une fille un garçon déguisé. Si bien…mais il écoute, évitons ses reproches… Voicy pour des Polis empescher les approches ; Qu’ils s’y viennent frotter, ces Mignons, ces Poudrez. Quoy l’on ose ?         Oüy l’on ose, et ce sont des Madrez, Qui voudroient sur ma terre usurper droit de chasse, Vous qui d’un Chien couchant affectez la grimace, Estes-vous point aussi quelque Amant aux yeux doux, Qui pour plaire à l’Espouse entretienne l’Espoux ? Et lors…         Ne craignez rien de la part d’Olimpie, Tous mes voeux sont bornez à chérir sa copie. Sa copie ?     Oüy, Monsieur.         Bon, il semble à ce fat, Qu’on copie une femme aussi bien qu’un contrat. Et vous vous en allez ?         Avec une Patente Je suis prest…         Je vous puis rendre l’ame contente. Mais dans ce petit doigt vous avez un anneau Qui vous sied assez bien, et me semble fort beau ; Que je voye.     O mal-heur ! c’est…         Vous estes estrange, Pour le voir un moment croyez-vous qu’on le mange ? Non, Monsieur, mais…         Quoy mais ? A-t-il peur de mes yeux ? Où Diable avez-vous pris ce bijou précieux ? Respondez hardiment, et mentez comme un Diable. Je l’ay pris…         Parlez viste, ô l’Amant trop aimable, Où donc l’avez-vous pris ?         Où prend-on les bijoux ? Et j’ay tort, mon Cadet, de paraistre Jaloux, Est-ce pas ?         Je ne say s’il se peut qu’Olimpie… Et moy je say fort bien qu’Olimpie est impie, Et sans les cadenats à sa porte attachez, Qu’elle feroit souvent d’agreables pechez. Quelque doux traitement qu’à ce sexe on prepare, Une femme fidelle en ce temps est bien rare, Et qui peut s’en servir doit s’attendre à ce coup, D’acquerir peu d’honneur, et d’en perdre beaucoup ! N’esperez, cependant, passe-port ny Patente, Ou soyez resolu de remplir mon attente ; Et d’un Original que je dois soupçonner, Donnez-moy la Copie à collationner, Sinon…     Quoy vous voulez…         Oüy, je le veux, vous dis-je. Par ce commandement ce Jaloux vous oblige, Avant qu’il ait ouvert cinq ou six cadenats, L’anneau…         C’est ma pensée, et j’y vais de ce pas. Puis qu’il vous plaist, Monsieur, d’admirer ma Maistresse, J’obéïs.         Je vous tiens, ô la double Traistresse, Qui dans l’aspre dessein d’acquerir du renom, Avez l’air d’une Sainte, et l’esprit d’un Démon. J’apperçois tous les tours que vostre esprit enfante. Vous donnez librement des faveurs par la fente ; Mais malgré vos desseins contre moy conjurez, Les aiz de vostre porte en seront resserrez. Voyons un peu sa mine.         Approchez, la Matoise, Dont la vertu s’altere, et l’honneur s’apprivoise, Approchez.     De ma part, désirez-vous…         Moy ? Rien ; Je viens voir seulement si vous vous portez bien. Quoy, se peut-il, Monsieur, que mon mal-heur vous touche ? Vous n’en savez donc rien, ô la sainte Nitouche ! Non, daignez m’expliquer vos bizarres desseins. Je viens de voir Cleandre, il vous baise les mains. Quoy Cléandre est icy ?         Point du tout, je me moque, Je l’ay pris pour un autre, et c’est une equivoque. Pourquoy donc voulez-vous…         Belzebut incarné, Demon acariastre à me nuire obstiné, C’est à tort à présent que ton ame biaise ; Je say pour me trahir que tu fais la niaise, Et que de ton honneur prevoyant l’abandon… Cet outrage…         A vos yeux je demande pardon ! Quel que soit le forfait dont mon cœur vous soupçonne, C’est vous faire une injure, équitable friponne ; Et parmy vostre sexe outrageux à chacun, Faire un mary Cocu c’est le vice commun. Enfin, expliquez-vous, qu’avez-vous à m’apprendre ? Rien ; sinon que j’ay veu l’un des doigts de Cleandre. Un des doigts de Cleandre ?     Un des doigts.         Un des doigts ! Si vous m’en assurez, aisément je le crois, Mais qu’en concluez-vous ?         Et qu’en peut-on conclure ? Fin contre fin n’est pas bon à faire doublure La belle, et dans mon aage, il vous sied assez mal De vouloir me charger d’un brevet d’animal. Ce langage confus…         Vous rend l’ame éperduë, Et je suis confondu de vous voir confonduë. Je ne puis rien comprendre à tout vostre discours. Voicy pour mettre obstacle à tous vos petits tours, Les anneaux desormais n’iront plus en campagne, Et vous estes sevrée, amoureuse Compagne. Finissez ces discours, ils sont extravagants. Je suis donc fou ?     Du moins on le croit.         Bas les gands. Quoy, Monsieur…     Bas les gands.     Mais au moins…         Bas, vous dis-je. Si…     Bas, vous dis-je.         Encor, quel dessein vous oblige… Bas, vous dis-je, et tantost votre esprit esclaircy… Mais vertu-bieu que vois-je ? Et que Diable est-ce cy ? Que cét anneau ressemble à celuy de Cleandre ! Ils sont bas.         Sur ma foy je n’y puis rien comprendre, Et ces anneaux tous deux ont un rapport si grand, Que plus on les regarde, et plus on s’y méprend. Vous pouvez cependant, rechausser la mitaine, Puis apres de rentrer il faut prendre la peine, Aussi bien un vieillard adresse icy ses pas. Amour…         Entrez, entrez, et ne raisonnez pas. Monsieur le Gouverneur dont je suis le beau-pere, Je viens…         Beau-pere, ou non, laissez nous un peu faire, Quand nostre huys une fois sera clos à plaisir, De vous voir pleinement nous aurons le loisir ; Taisez-vous donc.     Monsieur, mais…         Mais Monsieur vous mesme, Dont le morne visage est passablement blesme. Je pretendois de vous qu’en faveur de mes soins… Un peu trop pretendant, pretendez un peu moins, Et souffrez, s’il vous plaist, qu’à mon tour je prétende… Mais Monsieur…         Hé bien donc, ô Diseur de Legende, Dont je suis obligé d’enfermer le present, Si le cœur vous en dit, raisonnez à present. L’heur dont vostre alliance a comblé ma famille, Fait que je viens icy m’informer de ma fille, Dites-moy donc comment elle se porte.         Bien. Et de ses mœurs, Monsieur, ne m’apprendrez-vous rien ? Dites-moy, si par fois son humeur vous contente, Si par fois cette humeur est pour vous complaisante ; Tirez-moy de soucy, comment vit-elle ?         Mal. Mal, bons Dieux ! ce mal-heur est pour moy sans égal. Où peut-elle avoir pris de mauvaise teinture, Elle, que de ses dons a comblé la nature ? Pour me faire un outrage elle a donc le sang…         Chaud. C’est l’amour chaud sans doute, et plus chaud qu’il ne faut : Mais n’est-ce point à tort qu’envers vous je la blâme ? Ne luy faites vous rien qui chagrine son ame ? Lors que vous la voyez, quel est son accueil ?         Froid. D’en user de la sorte elle a bien peu de droit. D’accord ; mais de vous deux, moy l’Epoux et le Gendre, Qui pour faire l’Amant pris le droit de Cleandre, Sachez que j’aurois lieu de paraistre marry, Si par droit reciproque il faisoit le mary. Cleandre, oseroit-il suborner…         D’Olimpie, Il ayme, à ce qu’il dit, seulement la copie ; Cependant d’un anneau je le trouve pourveu ; Autre part qu’en ses doigts je le crois avoir veu ; Aussi-tost par ma bouche Olimpie appellée, A mes aigres propos contrefait la troublée ; Veut voir par mes discours son esprit esclaircy ; Fait semblant d’ignorer que Cleandre est icy ; Me soustient à mon nez que souvent j’extravague ; Puis soudain se degante, et me montre sa bague ; Et je croy là dessus, consultant mon cerveau, Que qui la copia copia son Anneau. De Cleandre pourtant je crains peu la finesse, Il doit en ce lieu mesme amener sa Maistresse, Je l’attends, nous verrons ; mais tenez je les voy. Il amene Olimpie.         En effet, je le croy. La seroit-ce ?         Ce l’est ; quelle erreur vous domine ? Ma foy, si ce ne l’est, elle en a bien la mine. Olimpie !     Ah Cleandre !         Ah daignez tenir bon, Madame.         Ou je me trompe, ou j’auray du baston. Olimpie ! ah j’enrage.         Il s’eschauffe la bile. Vous me parliez tantost de m’envoyer en Ville Monsieur.     Poltron fieffé.         Tout cecy me confond. Olimpie ! écoutez comme elle me répond ! De ce tracas, Beau-pere, en un mot que vous semble. J’ay peur que ce ne soit Olimpie.         Et j’en tremble : Mais on pourroit sortir aussi-tost de l’Enfer, Sa cheminée est close, et de grilles de fer, J’ay de mesme matiere estoffé sa fenestre, Beau-pere !         S’il est vray, ce ne peut donc pas l’estre. Assez adroitement je la vais pressentir ; Je vous crois Olimpie, et ne crois pas mentir, Si vous ne l’estes pas pour le moins sa jumelle, Daignez quelque moment discourir avec elle ; Entrez jusqu’en sa chambre, et trouvez à propos… Monsieur…         Vous luy direz seulement quatre mots, Je vous en prie.     Il faut…         Il ne faut autre chose. Des plaintes d’Olimpie elle ignore la case, Ainsi…         Mon Dieu, Monsieur, parlez à vostre écot. Ce n’est pas…         Vous aussi, taisez-vous, idiot. Pour moy, Monsieur, le Ciel me deviendroit propice, S’il m’offroit un moyen de vous rendre service ; Mais enfin sur le point de partir…         Par ma foy Vous entrerez, Madame, ou vous direz pourquoy. Je puis…         Entrez, vous dis-je, ou bien point de Patente. Vous pouvoir obliger c’est me rendre contente ; Mais envers Olimpie agréez mon respect, Un visage inconnu luy peut estre suspect, Durant donc un adieu qu’à l’instant je vais faire, Sachez si ma visite aura droit de luy plaire, Et tandis que Cleandre attendra mon retour… C’est fort bien dit, allez.         Je prépare un detour, Et quoy que de ma part ce perfide pretende… Que luy dites-vous là ?         Je luy dis qu’il m’attende. Bon cela.         J’obéïs, et n’y contredis pas. Cascaret, d’Aspasie accompagne les pas. Or ça, notre Beau-pere, et vous Sire Cleandre, Qui jadis malgré luy vouliez estre son gendre, Je vais vous faire voir Olimpie à l’instant. Si j’en suis crû, Monsieur, ne vous hastez pas tant. Et pourquoy ?         Tout l’amour que Cleandre eut pour elle Pourra se rallumer à l’aspect…         Bagatelle. En effect la beauté que je vous ay fait voir, De tout autre visage affoiblit le pouvoir : Et s’il faut que mon ame à vos yeux se découvre, Rien ne m’est échapé que mon cœur ne recouvre, Puisqu’à l’object que j’ayme avec tant de raison Pour paraistre Olimpie il ne faut que le nom. C’est pour ce seul object qu’en secret je soupire, Pour sa seule pensée je languis.         C’est tout dire, Et pour l’amour de vous je m’en vais de ce pas Réveiller les ressorts de mes six Cadenats. Parlons bas. Enfin brave Cleandre Ma fille en peu de temps en vos bras se va rendre : Si d’avec ce brutal son hymen se détruit, De vos soins genereux vous aurez tout le fruit. Mais surtout que l’honneur.         Je vois peu d’apparence A pouvoir affranchir d’une injuste puissance ; Mais enfin quelque effet qui succede à mes yeux, L’interest d’Olimpie est plus fort que mes feux. Nul espoir ne me flatte, et mon cœur avec joye, La derobe aux tourmens dont le sien est la proye ; Et c’est le moindre effort qu’en semblable danger La vertu mal-heureuse ait le droict d’exiger. Ainsi…         Mes cadenats sont ouverts. Hola la Belle, Venez-ça. Pourquoy donc se frotter la prunelle ? Qu’avez-vous ?         Du sommeil, les pavots gracieux Assoupissent mon ame, et me sillent les yeux ; Depuis une heure ou deux, leur douceur pour confondre… Elle avoit bien raison de ne pas me répondre Vraiment ! ça la dormeuse au sommeil un peu dur, Qui n’avez pû m’entendre à travers de ce mur, Ouvrez les yeux.         Mon Pere ! ô destin quelle grace ! Ma fille !         Et celuy-cy, Bel enfant, qui sera-ce ? O Dieux !         Souffrez qu’icy je me regle sur vous, Et que de cét Objet je devienne jaloux ; Je crois voir Aspasie, et mon Ame confuse Voudroit…         Le tour est bon ; Peste soit de la Buze. C’est un peu vainement que vous estes surpris, C’est elle.         Il veut sans doute égayer nos esprits, Pauvre Butor !         Et quoy, de la part de Cleandre, Est-ce là tout l’accueil que j’ay droit de pretendre ? Aspasie est-ce vous dont les yeux éclatants… Quand les gens sont si sots, ils le sont pour longtemps, Je le trouve bouffon avec sa jalousie. Daignez donc me répondre, est-ce vous Aspasie ? Dissipez le chagrin qui me rend assoupy, Et pour le moins.         Beau-pere, et pecora campi. Quoy, vous n’en riez point ?         Esclaircissez mon ame, Monsieur, ne l’est-ce pas ?         Non ma foy, c’est ma femme. Veuillez donc m’excuser si pour m’estre mépris… A vostre indifference ajouster le mépris, Cleandre, et feindre icy de ne pas me connaistre ? J’ay toûjours tout l’amour que vos yeux firent naistre ; Mais si mon cœur soupire, apprenez qu’il m’est doux De le voir soupirer pour une autre que vous : De ce cœur enflammé la langueur est extrême, Mais cette autre que vous est une autre vous-mesme ; Et mon amour éteint seroit tout consumé, Si vos mesmes appas ne l’avoient rallumé. Quel niais compliment ce badin luy va faire ! Il est fou.         Quelque Objet a donc l’heur de vous plaire ? Ouy, Madame, et de plus cét Objet plein d’appas En merite, en vertu ne vous cederoit pas : Quelque chose de plus est dans celle que j’ayme, Et…         Ne disons point plus ; mais disons tout de mesme. Et quoy, pour vous vanger du refus qu’on vous fist, Vous osez…     J’ay raison d’oser dire…         Il suffit, Je connois vos desseins, et vous estes un lasche, Dont l’indigne mépris, et me choque, et me fasche : Ne croyez pas pourtant que l’outrage soit grand, Vostre amour, vostre choix, tout m’est indifferend : Et ne presumez pas…     Quoy, Madame…         Quoy, Traistre, Vous avez pu m’aymer, et m’osez méconnaistre ? Et pretendez me faire un outrage odieux, Qu’estaller par mépris vostre choix à mes yeux ? Je dédaigne à mon tour vos indignes approches, Allez.         Il est penaut comme un fondeur de cloches. C’est qu’il ayme…     Et qu’importe ?         Il importe fort peu ; Mais je veux vous monstrer à l’Objet de son feu : Bien-tost dans cet endroit nous aurons sa presence. Moy, Monsieur, me resoudre à cette complaisance ? Que je puisse…         Mon Dieu, forcez-vous de la voir, Et taschez…         Sur mes sens j’ay trop peu de pouvoir, A m’expliquer ainsi son dédain m’authorise, J’ay peu de complaisance envers qui me méprise ; Et quoy que mon Espoux, c’est avoir le cœur bas Qu’exiger de mon ame un respect qu’il n’a pas. Mais enfin Aspasie…         Aspasie ou Cleandre, Je ne veux ny les voir, ny jamais les entendre, Et prefere aux dédains de ce couple outrageux L’inflexible rigueur d’un Espoux soupçonneux. Renfermez-moy.     Ma fille, est-il juste…         Mon Pere, Je ne fais rien icy qui ne soit nécessaire. De Cleandre en un mot je connois le desir, Dans ce lieu de me voir il a peu de plaisir : De ses vœux mes souhaits precipitent le terme, C’est assez l’obliger que vouloir qu’on m’enferme ; Mais ce qui plus me charme, et que j’ayme le mieux, C’est priver mes regards d’un Objet odieux. Je vous le dis encor, Aspasie ou Cleandre, Je ne veux ny les voir, ny jamais les entendre, Souscrivez sans murmure aux plus doux de mes vœux, Adieu.         Pauvre Galand te voilà bien chanceux ! Vous voyez.         Oüy, Monsieur, je voy ce qui se passe : Si je m’en repentois j’aurois l’ame trop basse. J’apperçois qu’Olimpie a pour moy de l’horreur : Mais l’amour d’Aspasie adoucit cette aigreur. J’ay sujet de gouster une joye assez pleine, Si l’une a de l’amour quand l’autre a de la haine ; Ou plustost j’aurois tort de me plaindre à mon tour, Quand des preuves de haine ont des marques d’amour. Mais je vois Aspasie.         A Present pour vous plaire Sur ce que j’ay promis je vous viens satisfaire. Je puis voir Olimpie, et je suis sur le point De luy rendre…         A present, vous ne la verrez point, Vous voila ce me semble assez bien attrapée. Vous rendez en effect mon attente trompée, Me manquer de parole, et depuis un instant… Olimpie en un mot, ne vous ayme pas tant, Si vous ne m’en croyez pas, demandez à Cleandre. Quel sujet auroit-elle…         Il pourra vous l’apprendre. Lors…         De vous écouter je n’ay pas le loisir, Partez, ou demeurez, vous n’avez qu’à choisir. Et quoy…         Tant de discours me font mal à la teste, Voulez-vous partir ?     Mais…         Mais la Patente est preste, Et qui plus est pour vous je la donne gratis, Tenez.         Puisqu’il vous plaist, nous voila donc partis, Mais si pour m’acquitter de l’excez de vos graces Je puis…         N’affectons point d’importunes grimaces, Si vous voulez partir, partez.         Adieu Messieurs. Nostre Beau-pere et moy sommes vos serviteurs, Adieu         L’occasion ne peut estre plus belle, Allons.         Le pauvre Diable ! il n’a plus de femelle, Je le donne en dix coups à qui fourbera mieux. Hastez-vous.         Mais mon Pere, il fait signe des yeux, S’il n’est hors de ses mains, mon soucy n’est pas moindre. N’en soyez point en peine, il saura nous rejoindre, Nous avons rendez-vous, et j’en suis avoüé, Allons.         De tout cecy le bon Dieu soit loüé ! J’ay hors du pied, Beau-pere, une vilaine épine ; De me tromper Cleandre avoit toute la mine, Il faisoit tout exprés le petit complaisant ; Dieu say si vostre fille est joyeuse à present. Et si, loin de l’object, qui lui porte bissestre, Ses transports d’allegresse auront lieu de pareistre ! Du depart de Cleandre allons la resjoüyr, Allons.         De son erreur je le laisse joüyr, Mais…         Il n’est plus icy ce Cleandre, Mamie, Venez, venez.         Beau-pere ; elle s’est rendormie. Je ne la vis jamais si souvent sommeiller ; Mais entrons l’un et l’autre, et l’allons réveiller, Loin d’en estre marrie, elle aura de la joye, Entrons.         De me vanger je découvre une voye ; Je tiens.     Sus, Beau-pere, entrez donc.         Ah ! Monsieur, Je say trop…         Je say trop qu’on me doit de l’honneur, Mais entrez.         Moy commettre une faute si grande ! Entrez, vous dis-je.     Mais…         Mais je vous le commande. De grace…         Obéissez, Courtisan mal éclos. Monsieur…         S’il en fait rien qu’on me brise les os. Ce que je suis, Monsieur, me permet de vous rendre. Vous estes mon Beau-pere, et je suis vostre Gendre, Avec vos pieds de veau, passez donc.         Si jamais… Sans tant dire de si, ny de car, ny de mais, Courtois souple-jaret qui semblez par bravade Pour me faire enrager vouloir faire gambade, Entrez.         Mais quand je songe aux respects que je doy… Respectueux Beau-pere, entrez donc apres moy, Puis qu’en vos sentiments vous demeurez si ferme. Un cadenat sans clef aisément se refferme, Il est pris.     Suivez donc.         Je n’ay pas le loisir. Vous m’enfermez !     D’accord.     Pourquoy ?         Pour mon plaisir. Ah trigaut malfaisant, si je sors je te jure… Tu ne sortiras pas, c’est moy qui t’en assure ; Mais sans tenir icy d’inutiles propos, Tu peux par ta fenestre écouter quatre mots. Execrable Barbon que ne puis-je descendre, Tu verrois.         Olimpie est aux mains de Cleandre, Mais de quelques desirs dont il soit combattu, Il est trop genereux pour soüiller sa vertu. Gueux par moy revestu, que Dieu puisse confondre, En ses mains !         En ses mains, et je puis t’en répondre, Mais l’horrible deffaut que chacun connoit bien, Pour rompre un mariage est un trop seur moyen. La cruelle fureur dont tu l’as poursuivie, De vous l’oster des mains m’a fait naistre l’envie ; Et si j’ay des regrets le plus rude de tous, Est de voir qu’un Barbare ait le titre d’Epoux. En entrant le premier tu m’as mis hors de peine, Adieu.         Tu t’en vas donc, Marchand de Chair humaine, Au voleur, au voleur.         Le traistre est échapé, Il court comme un beau Diable, et je suis attrapé. Jamais fusté Renard dans sa propre tasniere, Se vit-il enfermé de semblable maniere ? Et peut-on en finesse égaler ce Grison, Qui m’enleve sa fille, et me met en prison ? Si la meilleure femme en malice est feconde, Peuples qui m’écoutez, laissez perir le Monde ; Et disant à ce sexe un éternel adieu, Songez que qui s’en passe est bien-aymé de Dieu. FIN OUY, la peste m’estouffe, il luy fait les doux yeux. Railleur.     Je raille donc ?     Je le croy.         Pleut aux Dieux ! Mais de la verité c’est la voix que j’emprunte, Quand je dis que pour vous la Donzelle est deffunte, Et que par un destin plus funeste que doux, Elle vit pour un autre, en trépassant pour vous. Quoy, Gusman, Lazarille aimeroit Stephanie ? Tu feins.         De mon discours toute feinte est bannie, Dés hyer, les écoutant, sans qu’aucun m’apperçeut, L’un s’offrit pour Espoux, et l’autre le reçeut : Vous, Monsieur, qui poussez la harangue muëtte, De l’objet qui vous charme, il faut faire diète ; Et sans de vostre part qu’on entende du bruit, Souffrir que de vos feux Lazarille ait le fruit. Point, Lazarille m’aime, il me l’a fait paraistre, Il n’a point de secret qui pour moy le doive estre ; Si quelque amour pour elle il avoit ressenty, Gusman, il est sincere.         Et mes yeux ont menty ? Mais si je puis surprendre et Monsieur et Madame, Et que tous deux ensemble ils parlent de leur flâme : Si je puis vous monstrer qu’ils s’entraiment tous deux, Qu’elle est de luy charmée, et luy d’elle Amoureux, Que direz-vous alors ?         Je loüeray ta conduite. Allons nous en disner, et revenons en suite : Dans une heure au plus tard dans ce mesme jardin, Nous verrons qui des deux doit passer pour Badin : Mais de l’objet aymé le Pere icy se monstre. De ce fascheux Vieillard évitons la rencontre. Es-tu là Stephanie ? Ostes-moy de soucy : Répons. Ah ! te voila.     Sans doute.         Et me voicy ; Mais de là jusqu’icy l’espace estant si grande, Il faut que dans ce lieu ta personne descende, Pour d’une Ame tranquile écouter mon discours. Descends-donc.     J’obeïs.     Mais haste-toy.         Je cours. En t’appellant, sçais-tu quel succèz j’en espere ? Non, Monsieur.         Tu sçais bien qu’on me nomme ton Pere ? Oüy, Monsieur.         Sçache encor qu’il n’est rien de cela, Que ce n’est que de nom que je fus ton Papa, Et malgré ta vertu dont tousjours l’éclat brille, Que je ne voudrois pas que tu fusses ma fille. Ce n’est pas qu’en effet, durant prés de vingt ans, Je t’aymay comme un Pere aymeroit ses enfans, Et voyant les beautez dont le Ciel te partage, Mon cœur depuis un mois t’ayme encor davantage. Aussi quoy que sur toy j’eusse assez de pouvoir Pour te casser la teste en faisant ton devoir, Bien loin de te causer une douleur amere, Je t’ay tousjours traitée en enfant de ta mere. Mais pour venir au poinct qui m’a fait t’appeller, Je crois que tu sçais bien que c’est pour te parler ; Et puis qu’en ce jardin c’est ma voix qui t’attire, Qu’il faut que j’aye aussi quelque chose à te dire. C’est donc pour te parler que je t’ay fait venir ; Et pour te dire aussi qu’il est temps de t’unir, Avec quelque Gaillard dont la mine te plaise, Et qui soit en estat de te mettre à ton aise. Sers-toy donc à present du pouvoir de tes yeux, Qui dans trois ou quatre ans deviendront chassieux : Que veux-tu me répondre à ce que je propose ? Que pour vous obeïr je feray toute chose, Je suis preste, ordonnez.         Ta haute humilité, Ne me charme pas moins que feroit ta beauté : Mais au bon-heur offert devenir si sensible, De ton pressentiment c’est l’effect infaillible, Et je ne doute pas que tu vois aisément Que qui n’est plus ton Pere, est enfin ton Amant. Vous Monsieur, mon Amant ?         Oüy, moy-mesme à toy-mesme, Je découvre mon Ame, et te dis que je t’ayme, Et qu’il est necessaire à l’ardeur de mes feux, Que par un Mariage on nous joigne tous deux. Si dans mes jeunes ans je n’aymay que les Armes, Et si dans ce moment tu fourmilles de charmes, Nostre premier enfant, estant fille ou garçon, Sera plus beau qu’un Ange, ou plus fort qu’un Sanson. Quoy, Monsieur …         A ton tour tu veux m’ouvrir ton Ame, Et répondre au plaisir que te cause ma flâme, Mais pour toy ma bonté qui te sert de secours, Veut à ta modestie épargner ce discours. Ah daignez m’écouter : et souffrez que j’embrasse… Quoy, te mettre à genoux pour mieux me rendre grace ? Crains-tu que je t’eschappe ? Ah ! Ne t’allarme pas, Quoy qu’il puisse arriver apprends que tu m’auras : Mais rentre promptement, car je vois Lazarille, Il s’avance.         Oh mal-heur ! Que ne suis-je sa fille. De tous vos serviteurs estant le plus soûmis, Un libre accez chez vous me fust toûjours permis, Monsieur, et vous m’avez à toutes mes visites Fait des civilitez par delà mes merites. Couvrez-vous.         Mais enfin, apres tant de bontez, Mes yeux de Stephanie ayant vu les beautez, D’adorer ses attraits je ne pûs me deffendre ; Si bien que dans l’espoir de me voir vostre gendre, Je viens d’un zele ardent embrasser vos genoux, Afin que vous souffriez que je sois son Espoux. Fort bien.         Je ne dis rien d’une ardeur infinie, Suffit que chaque jour vous voyiez Stephanie, Peut-on ne pas l’aymer sans manquer de raison ? Vous ne pouviez venir en meilleure saison. Donc à ma passion vous estes favorable ? Donc je puis esperer cét objet adorable ? De vostre affection je suis trop éclaircy ; Quoy vous me preparez…         Un refus, Dieu-mercy. Un refus ?     Un refus.         Ah ! Du moins que je sçache Si parmy mon ardeur vous trouvez quelque tache. Nenny, mais par un sort qui pour vous est fatal, Vous avez le mal-heur de m’avoir pour Rival. Vous aymez vostre fille ? Ah ! Si par quelque ruse… Tout chacun m’en croit Pere et tout chacun s’abuse, Je vous crûs de tout temps un Amy si discret, Que je puis à vos yeux exposer un secret : Mais il faut toutesfois m’asseurer de se taire. De ce triste secret quel que soit le mystere, Parlez, de vos Amis je suis l’un des plus grands. Il y peut bien avoir prés de cinq fois quatre ans, Qu’une Dame à cheval, qu’avoit un homme en croupe, Passa par cette ville, allant à Gadaloupe, Et pour ne pas vous faire un trop long entretien, Du logis que j’occupe en vint faire le sien. Après que de cheval elle fut descendüe, Je vis qu’elle étoit pasle, et toute morfondüe, De son maigre visage on eût compté les os, Ses bras étoient petits, mais son ventre étoit gros, Et s’il faut devant vous que sans fard je m’explique ; Durant une heure ou deux je la crûs hydropique : Mais peu de temps apres mon esprit fut certain, Que ce n’estoit pas d’eau que son ventre estoit plein. Quoy que dans mon logis elle n’eut rien à craindre, J’entendis sur le soir cette Dame se plaindre ; D’abord prestant l’oreille à sa voix, j’en oüis : Voy de quels tristes biens à present tu jouïs, Puis que tu t’es fiée à des promesses vaines, Qu’un moment de plaisir te coûtera de peines ! Que le Ciel en courroux te prepare de maux ! Void-on quelques mal-heurs à tes mal-heurs égaux ? Ton fruict qui void le jour rend-il ta douleur moindre ? Là j’oüis une voix à la sienne se joindre, Dont l’extreme foiblesse, et le ton delicat, Avoit bien du rapport aux cris d’un petit Chat. Lors pour voir ce mystere ayant ouvert la porte, Je trouvay cette femme en langueur ; demy-morte. Un enfant à ses pieds qui venoit d’estre fait, Et qui quoy que petit estoit beau tout à fait. En un rude courroux j’eus dessein de me mettre, Mais la mere à l’enfant ne pût me le permettre, Et d’un gros Diamant le brillant gracieux, Sçeut me fermer la bouche, et m’éblouïr les yeux : Si bien que l’Accouchée ayant par son adresse Apaisé ma colere et surpris ma tendresse, Sans rien apprehender des médisans propos, A son enfant tout nû je donnay des drapeaux, Qui la mesme nuitée ayant eu la migraine, Fit chercher au plus viste, et Parain et Maraine. Car dans sa maladie on craignoit qu’il mourut ; Et Dôna Stephanie est le nom qu’il reçeut. O Ciel ! Après ce coup que faut-il que j’espere ? Helas !         Vous voyez bien si j’en fus jamais Pere. Je ne le vois que trop.         Pour vous donc abreger, Stephanie en huict jours ne fut plus en danger, Et la mere pour lors pleinement satisfaite, La commit à ma charge, et sonna sa retraite, Et m’ayant ses joyaux deposez dans les mains, Avant que de partir m’expliqua ses desseins. Monsieur, dit-elle alors, connoissant vostre zele, Je vous laisse ma fille, et vous laisse avec elle Dequoy l’entretenir, et payer ses dépens Tant que pourra durer la longueur de sept ans. Environ ce temps-là j’envoiray la reprendre ; Sur tout je vous enjoints de jamais ne la rendre, Qu’à celuy qui pour elle ayant quelque amitié, A cét anneau rompu joindra l’autre moitié. Cela dit, elle part, et sa fille demeure, Qui durant son enfance amandoit d’heure en heure, Et qui vécut si bien, qu’encor mesme elle vit, Qui des charmes qu’elle a tout le monde ravit. Comme elle est à present dans un aage à produire, Ma violente ardeur je luy-viens de deduire, Et trouvant dans ma flâme un plaisir assez doux, Pour mieux m’en rendre grace elle estoit à genoux : Mais comme à mon esprit sa pudeur est connüe, Je l’ay fait retirer voyant vostre venüe ; Et pour conclusion je vous faits assavoir, Qu’elle borne sa gloire au bon-heur de m’avoir. Adieu.         Peut-on souffrir une douleur plus dure ! Voir de mes propres yeux son indigne posture, Et lors que par son ordre on peut tout esperer, Embrasser les genoux, de qui doit l’adorer ! L’ingratte ! Elle paroist.         Quelque espoir qui vous flatte, Empeschez que pour moy votre flamme n’éclatte, Et quoy que vostre amour ait pour vous des appas, Faites que pour me plaire il ne paroisse pas. Car enfin …         C’est assez, de la loy qu’on m’impose, Mon esprit tout confus vient d’apprendre la cause, Ferdinand…         Ferdinand vous a donc tout appris ? N’en doutez pas.         Hé bien, les avez-vous surpris ? S’ayment-ils ?         Stephanie estre avec Lazarille ! Ecoutons.         Du vieillard, vous n’estes plus la fille. O Dieux !         C’est ce qui doit vous causer du tourment Cessant d’estre mon Pere il devient mon Amant. Ferdinand l’ayme aussi, Gusman !         Belle demande ; Manque-t-on d’appetit prés de si belle viande ? Ferdinand doit donc faire un obstacle à mes vœux ? Pouvez-vous en douter, et connaistre ses feux ? Elle ne l’ayme pas.         Mon Dieu, quoy qu’elle die, Elle a l’esprit mâdré, croyez-moy, fou s’y fie. Lors qu’il a declaré l’amour qu’il a pour vous, Pour y répondre mieux vous estiez à genoux ; Ainsi…         Cette posture où j’ay sçeu me contraindre, Monstre ce que de luy vous avez lieu de craindre. Entends-tu ?         Qui pis est, suivant ce que je vois, Mon esprit indupable est dupé par sa voix. Cependant, animé d’une ardeur assez grande, De vous à mon Rival j’ai tenté la demande ; Et suivant les conseils que de vous j’ay receus, Je me suis attiré la rigueur d’un refus. J’en suis ravy, Gusman.         Vous voyez, l’ayme-t-elle ? Je n’en puis que juger.         O fortune cruelle ! Vous m’avez demandée ?         Et suivy vos avis. Trop tost à mon mal-heur vous les avez suivis : Quand je crûs vous donner un conseil necessaire, Ferdinand de ma part estoit veu comme Pere ; Mais n’estant pas sa fille, et sçachant son amour, Je n’apprends qu’à regret que le vostre est au jour. L’ayme-t-elle ? Tu vois.         Comment Diable la croire ? Ses discours sont pour moy des feüillets du Grimoire. J’entends du bruit, fuyez, et de peur que de vous Le Rival qui vous nuit ne devienne jaloux, Le plus que vous pourrez évitez ma presence. Adieu, je laisse au Ciel à punir cette offence. Moy, je suy vostre exemple, et j’invoque les Dieux, Pour me voir delivrer d’un Amant odieux. Tout va bien.         Profitons ; il sort tout en colere. Poussez donc.         Lazarille aura pû vous déplaire, Je l’ay veu qui d’icy sort assez brusquement ; Mais vous pouvez en moy recouvrer un amant, Puis que depuis long-temps mon cœur pour vous soupire, Sans que dans mes respects, j’aye osé vous le dire. Quoy, vous m’aymez, Fabrice ?         Oüy, foy d’homme d’honneur, Il dit que c’est de vous que dépend son bon-heur ; Et vous pouvez penser que sa flâme est bien forte, Puis que j’ose vous faire un serment de la sorte. Vous m’aymez !         Le moyen de ne vous aymer pas, Et de pouvoir sans cesse admirer vos appas. S’il est vray que pour moy vostre ardeur soit sincere, Pourquoy vous obstiner si long-temps à la taire ? Loin que par vostre aveu vous puissiez m’allarmer, Qui se fust veuë aimée auroit pû vous aymer. Au reste, Lazarille eût tousjours tant d’adresse, Qu’au lieu de me déplaire, il auroit ma tendresse ; C’est à luy seulement que l’Hymen doit m’unir, J’en ay fait la promesse, et je la veux tenir. Adieu, ce sentiment est selon qu’il doit estre. Ah, Gusman mon Valet !         Ah, Fabrice mon Maistre ! Que je suis mal-heureux !         Point, point, rayez ce mot, Vous seriez plus heureux si vous estiez moins sot. Maraut insuportable…         Et vous teste étourdie, Dont le cœur est de flâme et la langue engourdie, Ce qui vient d’arriver ne vous sied que trop bien ; Avoir chaud comme un Diable, et ne parler de rien, Brusler dans sa chemise à l’exemple d’Hercule, Et puis apres cela devenir ridicule, Jusqu’au poinct de souscrire au plaisir d’un Rival, Si ce n’est estre sot, c’est paraistre Cheval. Au plaisir d’un Rival que jamais je souscrive ! Qu’il possede un objet qui mon ame captive ! Et que sans écouter un amour violent … Et que pretendez-vous, ô Maistre un peu trop lent ? Puis que si mon Rival n’eut usurpé ma place, Mon aymable Maistresse approuvoit mon audace, Apprends que je m’appreste à le priver du jour, Pour la contraindre encor à souffrir mon amour. Je ne luy déplais pas, je le viens de connaistre, Elle sçaura m’aymer quand il cessera d’estre, Je puis donc, supportant que je vange un affront, Le forcer à se battre, et t’avoir pour Second. Moy Second ?         Quoy, Gusman, tu veux estre pagnotte ? Quoy tueur de Rivaux, vous voulez qu’on me frotte ? Et moy qui de la Parque apprehende la faux, J’ose vous soûtenir que cela sera faux. Ah ! Gusman, souviens-toy que j’ayme Stephanie, Qu’elle doit, à mon sort, par l’Hymen estre unie, Et que dans le mal-heur qui talonne mes pas, N’en pas estre l’Espoux, c’est souffrir le trépas. Trépassez.         Mais mourir, apres tant de souffrances, C’est donner à ma peine une foible allegeance. Ne trépassez donc pas.         Donne m’en le moyen ; Crois-tu qu’on puisse vivre, et ne pretendre rien ? Et que quand la fortune est pour nous rigoureuse, Un trépas soit moins doux qu’une vie odieuse ? Trépassez-donc.         Gusman, c’est mal me secourir, Un Amant veritable a trop peur de mourir, Penses-tu qu’au moment qu’on adore une belle, Il soit aisé de faire une absence éternelle ? Et qu’un cœur que l’amour asservit sous ses loix, Puisse expirer sans peine apres un noble choix ? Vivez-donc, si la mort est pour vous effroyable. La mort aux mal-heureux est tousjours agreable. Mourez-donc.         Quelque sort qui nous puisse arriver, Il n’est rien de si doux que de vivre, et d’aymer. A vostre cher Valet, apprenez vostre envie ; Avoir peur de la mort, et puis craindre la vie ; C’est, sans qu’il soit besoin de tousjours discourir, Vouloir vivre sans vivre, et mourir sans mourir. Mais à quoy resvez-vous ?         Au mal-heur qui m’afflige, De momens en momens Lazarille m’oblige, Il m’aime, et toutesfois je ne puis l’épargner, Et je dois, ou le perdre, ou du moins l’éloigner. Un si grand preambule estoit-il necessaire ? Vous sçavez, grace à Dieu, que je suis bon faussaire, Et que sans vanité, je pourrois me vanter, Qu’au mestier de matois nul ne peut m’imiter. Si bien qu’à mon talent il n’est pas difficile De forcer Lazarille à sortir de Sevile : Laissez vostre fortune à ma discretion. Il me souvient encor d’une autre invention, L’Ambassadeur d’Affrique est icy.         Qu’il s’y tienne. Sa personne à peu prés est égale à la tienne. Pour cela ?         Vous avez chacun de mesmes traits. Qu’en est-il ?         Les plus fins confondroient vos portraits. Que m’importe ?         Pour peu que ton zele s’applique A vouloir me servir aux despens de l’Affrique, Tu peux en secondant les desseins que je faits, Contenter mon ardeur, et remplir mes souhaits. Moy que je vous oblige aux despens de l’Affrique ? Tu le peux.         Justement ; c’est bien là ma pratique, Quoy, Monsieur, dans l’Affrique ay-je quelque pouvoir ? Point du tout.         A-t-elle eu le bon-heur de me voir ? Nullement.         De l’Affrique ay-je la dependance ? Encor moins.         Fléchit-elle à ma moindre ordonnance ? Elle ? Non.         Comment donc avez-vous pretendu, Qu’un service à ses frais pût vous estre rendu : Car enfin quoy que j’aye un rapport fort sincere Avec un qui peut-estre est bastard de mon pere, D’icy jusqu’en Affrique un chemin raccourcy, Ne peut estre plus long que de là jusqu’icy ; Et puis qu’à vous connaître il faut que l’on s’exerce, Gusman avec l’Affrique ayant peu de commerce, Pour raison concluante il conclud de bon cœur, Que tousjours de l’Affrique il sera serviteur. Tu n’entends pas mon sens.         Comment Diable l’entendre ? Je veux dans mon logis te le faire comprendre ; Puis donc que nous avons des sujets à choisir, Entrons, et sur chacun consultons à loisir. Fin du premier Acte. Incomparable amy dont tousjours la tendresse, Dans tout ce qui me touche aisément s’interesse, Approche, et si jamais tu me crûs mal-heureux, Si jamais mon destin te semblast rigoureux, Juges par ce billet qui fait naistre ma plainte, Si d’un tourment plus rude on peut sentir l’atteinte. Mon Neveu je me plains de mon triste devoir, Qui malgré-moy m’oblige à vous faire sçavoir Une fort mauvaise nouvelle : Mon Frere, votre Pere ayant fini son sort, Pour de vostre Maison devenir le support, Vostre Mere affligée en ce lieu vous appelle. DOM RAYMON DE GALAS         Hé bien ! Parfait amy Dont la noble chaleur n’agit point à demy ; Tu vois.         Ce coup fatal me surprend, et m’estonne, Il est mort !         Juges-en par l’avis qu’on me donne. De tout autre qu’un Oncle à qui l’on doit respect, Un billet si fascheux pourroit m’estre suspect : Mais voy le caractere ; Est-ce point imposture, Examine.         Non, non c’est la mesme écriture. Pourtant, ou je me trompe, ou tu dis hier au soir, Que ton Pere en ce lieu te pourroit bien-tost voir ; Et pour, à son enfant ne pas estre inutile, Qu’il partoit de Tolede, et venoit à Sevile. Il me l’avoit mandé, cet espoir m’estoit doux, Mais de tous mes plaisirs mon destin est jaloux. Il s’oppose sans cesse au cours de ma fortune, Et comme à tout momens sa rigueur m’importune, Et que de son caprice il me fait le joüet, J’ay des biens en idée, et des maux en effet. Ton sort est deplorable.         Ajouste encor, Fabrice, Que tout m’est rigoureux, que rien ne m’est propice, Et pour connaistre mieux jusqu’où va mon tourment, Au tendre nom de Fils, joints le tiltre d’Amant ; J’adore une beauté, je dois estre auprés d’elle, Et la mort de mon Pere à Tolede m’appelle. Si j’avois veu l’Objet qui te tiens sous ses loix, Je l’irois de ta part visiter quelquesfois. Comme pour te servir j’ay le cœur tout de flâme, A répondre à tes feux, j’exciterois son ame, Et ta vertu sans cesse étalée à ses yeux, Te rendroit favorable un sejour ennuyeux. Si tantost j’eusse appris cette triste nouvelle, J’aurois crû m’éloigner d’une fille infidelle ; Mais ce coup à mon ame est d’autant plus cruel, Qu’elle honore mes feux par un feu mutuel. Helas !         A mon ardeur daigne donc estre utile, Puis qu’il faut qu’à regret j’abandonne Sevile, Et qu’au moins Stephanie une fois chaque jour, Apprenne par ta voix l’excez de mon amour. Stephanie !     Elle-mesme.         O destin implacable ! Tu te plaints.         Je me plaints du mal-heur qui t’accable, L’Ambassadeur d’Affrique est ton Rival.         O Dieux ! Il ayme Stephanie ?         Il en est amoureux ; Comme il est courageux, comme il est magnanime, Que chacun le respecte, et que chacun l’estime, Que son credit est rare, et que dans cét Estat, Il tient, et sçait garder le rang d’un Potentat, En vain à ce qu’il veut tu ferois resistance. Il l’ayme !         De sa flâme il m’a fait confidence ; Et si je ne m’abuse il vient lui-mesme exprès, Pour parler de ses feux.         Suivez-moy mes valets, Ou d’abord faites gile. Hé bien l’avez-vous veuë, Celle dont les attraits m’ont donné dans la veuë ? Non, Seigneur.     Et pourquoy, Maistre fat ?         Je n’ay pû Seigneur…         Que pleust à Dieu que vous fussiez rompu ! Cependant de l’amour je sens la tyrannie, Traistre.         Quoy donc, Seigneur, vous aymez Stephanie ? Elle vous charme ?         Un peu si vous le trouvez bon. Mais je vous trouve encor un fort joly mignon, Pour mettre vostre nez jusques dans mon affaire. Je n’ay pas crû, Seigneur, que ce fust vous déplaire. Vous deviez l’avoir crû, car un Ambassadeur, En parlant avec vous abaisse la grandeur ; Tirez vos chausses, viste, ou bien-tost par la teste… Je sçay que vostre force égale une tempeste, Et que le rang supréme où le Ciel vous a mis, Donne de la terreur à tous vos ennemis : Je ne le fus jamais, et n’ay garde de l’estre, Vous vous abaisseriez si vous estiez mon Maistre : Mais la Posterité publieroit vos hauts faits, Si de vostre vertu j’éprouvois les effets, Et si vostre Excellence à ma perte animée, Vouloit rendre le calme à mon ame allarmée ; Et soûtenant toûjours la grandeur de son sang, Me ceder un Objet qui n’est pas de son rang. Vous estes trop obscur, je ne puis vous entendre. Vous servir, est-ce un bien que je puisse pretendre ? Il n’est rien que pour vous je n’osasse embrasser. Pour estre vostre Maistre il me faut abaisser, Plaist-il ?     Je vous l’avouë.         Il est donc necessaire, Que chacun se maintienne en sa forme ordinaire, Aussi bien tous vos soins me sont indifférends. Fabrice !     Monseigneur.         Est-il bon prés des Grands ? Le dois-je retenir ?         Il en est beaucoup digne. N’estes-vous point sujet au sirop de la vigne ? Quoy que je sois, Seigneur, vous le connoissez bien, Vostre esprit penetrant n’ignorast jamais rien. Il est vray, mais enfin quelque fois on oublie. Ah ! de vostre Grandeur l’ame est trop accomplie. Et quoy que la vertu cherche à s’humilier, Un esprit si fameux ne peut rien oublier. Vous avez la science en un degré supréme… Vous me connoissez mieux que je ne sais moy-mesme Et les vertus qu’en moy vous trouvez à tous pas, Sont de hautes vertus que je ne voyois pas. Fabrice.     Monseigneur.         Cette fille vient-elle ? Non, Seigneur.         Qu’elle est sotte ! Allons donc qu’on l’appelle ! Debiteur de Phebus, c’est vous dont je fais chois, Pour haranguer l’objet qui me met aux abois, Et pour faire un portrait qui chatoüille son ame, Où vous representiez la grandeur de ma flâme ; Mais parlant de mes feux il se faut animer, Et par vostre discours la contraindre à m’aimer. Moy, Seigneur ? Ah ! Sçachez…         Je sçay que je m’abaisse, Mais l’esprit le plus ferme est sujet à foiblesse : Forcer mon Excellence à me servir de vous, Si c’est une folie, il en est de plus fous. Sur tout, à Stephanie, étallez l’Ambassade, Poussez-luy des soûpirs, affectez la boutade, Et faites-luy sçavoir par un terme attractif, Que l’honneur de ma couche est un bien sensitif. Je m’acquitteray mal…     Point, point.         Ciel ! On l’ameine ! Disposez-vous …     Helas !     Bon, bon.         Quelle est ma peine ? Monseigneur, les respects …         Monsieur le langoureux, Pay ; ce n’est pas de vous que je suis amoureux. Mais, Monseigneur l’espoir…         Mais Monsieur, pas plus outre, Je suis grand personnage, et mal-heur à qui m’outre. Ce n’est pas vous outrer…         Ah vieux barbon testu ! Qui faits en me parlant enrager ma vertu, Porte plus loin l’odeur de ton nez qui refrongne ; Et vous le beau parleur faites vostre besogne, Dégoisez.     Stephanie, Helas !         Ah ! L’autre sot, Qui tout d’abord soûpire, et n’a dit qu’un seul mot. Ce digne Ambassadeur qui n’a rien que d’illustre, Veut de sa passion augmenter vostre lustre : Il n’a pû resister à tant d’appas flatteurs, Qui des cœurs les plus durs sont vos adorateurs : Il n’a pû resister aux sensibles amorces Qui maistrisent nostre ame, et surmontent ses forces : Il n’a pû resister au pouvoir de vos yeux : Il vous adore, helas !         Ce soupir là va mieux. Mais c’est trop la flatter ; vantez-lui mon adresse, Pour plaire à ma Grandeur surprenez la tendresse ; Loüez mon Excellence.         Il vous doit estre doux, De voir qu’un si grand homme ait de l’amour pour vous. Jugez par ses vertus, par son rang, par sa mine, De la gloire éclatante où le Ciel vous destine ; Moy dont son Excellence a daigné faire choix, Pour vous representer qu’il revere vos loix, Je devrois ressentir de la joye en mon ame ; D’avoir pû le premier vous parler de sa flâme ; Et mon cœur devroit estre et tranquile, et content, A l’aspect du bon-heur qui déja vous attend ; Mais helas !         Mais helas ! Soûpirant incommode, Des helas éternels ne sont plus à la mode. Pleut-on parler d’amour sans qu’on soûpire ?         Non, Mais il faut soûpirer de plus d’une façon. Pour bien complimenter contemplez-moy, Novice. Hola, quasi ma femme, et presqu’Ambassadrice, Venez ; car je vous ayme, et je suis cependant Ambassadeur d’Affrique, et bien Ambassadant ; Mais contre vos attraits n’ayant point de parade, Pour vous faire l’amour je me des-Ambassade : Car des Ambassadeurs estant fort au dessous, L’Ambassade est à eu quand on parle avec vous. Aï ! De ce soûpir, Patron que vous en semble ? Il est doux !     Il est vray, Respondez-donc.         Je tremble. Pour connaistre aisément vostre rang glorieux, Il ne faut qu’un moment regarder dans vos yeux, On y remarque un air qui de vostre Excellence Découvre les vertus, et fait voir la naissance : Aussi, d’un rang si haut je sçay trop le pouvoir, Pour vouloir abuser du bon-heur de vous voir, Et j’en faits trop d’estat pour oser jamais croire, Que d’un honteux amour vous soüilliez vôtre gloire. Songez, Seigneur, songez que mon rang est trop bas, Il vous faut…         Mon enfant, je ne l’ignore pas ; Je sçay ce qu’il me faut, mais quoy que je le sçache, Pour vous faire m’aymer je me faits une tache ; Mais beauté printaniere apprenez qu’il m’est doux, D’estre noir comme un Diable, et d’estre aymé de vous. Mais un Ambassadeur vouloir…         Point de scrupules, Souvent les Grands Seigneurs sont les plus ridicules ; Aussi donc vostre esprit ne doit pas s’allarmer, De voir mon Excellence avoir pû vous aymer. M’aymer ?         Oüy vous aymer, vostre beauté m’enyvre, Vous me verriez mourir si je cessois de vivre ; Car, par exemple, un homme, oüy je tiens pour certain, Qu’un homme qui se meurt est si prés de la fin, Qu’il s’en faut peu souvent que la mort ne l’atrape, Et quand la mort nous tient rarement on échappe, Partant si vous estiez insensible pour moy, Vous me verriez mourir, et sans sçavoir pourquoy : Mais si pour m’obliger vous vouliez vous resoudre, A m’aymer tant soit peu, nous pourrions en découdre, Et dès ce mesme jour l’un et l’autre conjoints, A grossir nostre race appliquer tous nos soins. Quel brutal !     Sur ce point…         Hibou, dont le cœur gronde, Taisez-vous.         Sur ce point il faut que je réponde. Pay, vous dis-je.     Seigneur…         C’est trop Seigneurier, Je suis Ambassadeur, et me veux marier. Mais Seigneur comme pere il faut …         Monsieur son Plege, Loin de vous accorder un plus grand privilege, Je suis vostre ennemy si pour luy vous parlez ; Pour vous la belle Alix parlez si vous voulez. Un Hymen entre nous a si peu d’apparence, Que je n’ose, Seigneur en former l’esperance ; Vous pouvez donc pretendre en me faisant la Cour, D’attirer des respects, et non pas de l’amour. Vous m’aymez ? Vous, Seigneur ? Moy qui suis…         Esprit cruche, Nourrisson d’un vieillard qui semble une guenuche, Apres que noblement j’ay dépeint mon ardeur, N’a-t-elle encore pû penetrer vostre cœur ? Je vous ayme, vous dis-je, et mon ame abatuë, Cede au cruel effort de l’amour qui me tuë, Et je suis à present, tel que des Matelots Que le destin expose à la mercy des flots, Et qui sur le dos vert du compere Neptune, Pensent journellement établir leur fortune, Quand au mal-heur pour eux un vent rude et fatal, Enfle…rompt…calme…brise…enfin je suis fort mal. Douterez-vous encor que je cherche à vous plaire, Puis que je vous étale une preuve si claire ? Et m’alleguerez-vous de vos sottes raisons, Puisque je vous confonds par des comparaisons ? Il suffit, un grand cœur n’est jamais hypocrite ; Mais, Seigneur, quand je songe à mon foible merite, Je croy peu, quelques feux dont vous soyez épris, Qu’un Esprit si sublime ait pû s’estre mépris. Donc si vostre Excellence a pour moy quelque zele, Souffrez qu’elle m’en donne une marque plus belle, Et cachant ce qu’en vous je dois voir de suspect, Faites naistre un amour qui succede au respect. Monseigneur, excusez si pour m’estre fidelle… Tu peux suivre sa piste et courir apres elle. Mais…     Mais.     Et quoy, Seigneur, faut-il …         Est-ce à ton tour A me rompre la teste, Interprete d’amour ! Comme amy…         Comme amy…Sçais-tu bien que j’abonde… Sors te dis-je : Et pour toy. Belzebut te confonde. Bon jour.         Quoy donc cét homme à qui rien n’est égal, A si peu de vertus et paroist si brutal ? C’est là ce rare Esprit à qui l’on rend hommage, Qui d’un grand Potentat represente l’Image ? Et tu m’oses parler d’étouffer mon amour ? Et tu peux te resoudre à luy faire la Cour ? Toy qui m’as dit cent fois que tu hais la bassesse, Tu peux par complaisance aplaudir sa foiblesse ? Sa grandeur t’éblouit, et tu n’aperçois pas, Qu’avec toute sa pompe il n’a rien que de bas : Si d’abord j’ay souscrit aux souhaits de ce Rustre, J’ay crû qu’un rang suprême occupoit un Illustre ; Mais je prens de l’audace en quittant mon erreur, Puisque tout son mérite est d’avoir du bon-heur. Ce cœur farouche…         Amy, sois un peu moins credule, C’est à force d’aymer qu’il paroist ridicule, Et je vois aysément par un tel procedé, La violente ardeur dont il est obsedé. Si tu pouvois l’entendre au moment qu’il s’explique, Et qu’il parle au profit de la chose publique, Ton oreille charmée, et tes sens interdits, Deviendront les garants de ce que je te dis. Monsieur, je viens …         Tantost tu me diras le reste. Quel qu’il soit à son sort je veux estre funeste, De cét Ambassadeur je méprise le rang, Je pretens luy planter un poignard dans le flanc. Fy.         Qu’il soit genereux, qu’il ait l’esprit sublime, Que chacun le respecte, et que chacun l’estime, Pour souffrir que ce bras luy devienne fatal, Il suffit qu’il m’outrage, et qu’il soit mon Rival. Il verra ce que c’est qu’attaquer Lazarille. Diable, que j’ay bien fait de quitter la Roupille. Mais considere Amy…         Tout est consideré, Mon voyage à Tolede est déja differé : Dans l’estat où je suis je n’ay plus d’autre envie, Que d’assouvir ma rage aux dépens de sa vie. Et s’il estoit icy dans ce mesme moment, Je sçaurois l’immoler à mon ressentiment. Monsieur : ah !     Ne crains rien.         S’il me jette une œillade, Et qu’il remarque en moi quelques traits d’Ambassade. Cede, cede à celuy qui combat ton ardeur, Souviens-toy que d’Affrique il est Ambassadeur. Songe….         Pour m’appaiser vainement tu t’efforces, Loin d’esteindre mon feu tu redoubles ses forces, Et si tu n’avois pas la bonté de m’aymer, C’est toy qui contre luy me devrois animer. Puis-je en un mesme jour sans mourir de tristesse, Sçavoir la mort d’un pere et perdre une Maistresse ? Non, non quelques effets qu’il en puisse avenir, L’ambassadeur me choque, et je veux l’en punir. Toy qui de ce Rival a veu naistre la flâme, Ôste si tu le peux ce dessein de son ame ; Sinon sa mort est seure, et je te le promets. Adieu.         Vas-t’en au Diable, et ne reviens jamais. Peste quel avaleur de pois gris ! Dans sa bouche Je ne ferois non plus que feroit une mouche. D’un autre stratageme il nous faut essayer : Car, suivant ma pensée, il vient de t’effrayer, Et tu ne veux plus estre Ambassadeur d’Affrique ? Cy-fait.         A m’obliger, ton soin si fort s’applique ? Et quoy donc !         Dés ce soir, tu peux donc, cher Valet… Vous souhaiter au Diable avec l’autre Argoulet. Que vostre esprit est preste aux desseins qu’il se forge : Qu’au cousteau d’un meurtrier j’aille tendre la gorge, Et que dans un amour qui me touche fort peu, Quand le cœur vous en dit, je sois mis sur le jeu ; Nescio vos, Seigneur, car Gusman n’est pas homme, Qui pour vostre plaisir soit content qu’on l’assomme, Et puis qu’en vostre amour vous n’estes pas plus Grec, Pour des Ambassadeurs torchez-en vostre bec. L’intrigue estre si belle, et ne pas la poursuivre ! Vouloir obstinément que je cesse de vivre ! Mais Gusman…         Mais, Monsieur, je ne suis point d’avis, De me faire étriller dessous de beaux habits. Quel plaisir peux-tu prendre à commettre ces fautes ? Un plus grand que de voir qu’on me brise les costes, Car qui d’un coup motel me feroit un present, Me feroit ce me semble un plaisir peu plaisant. Au moins sois moy propice au dessein que j’invente, De l’Hoste à mon Rival tu connois la servante ? A peu prés.         Tu sçais bien si par quelque Loüis, On peut charmer ses yeux et les rendre ébloüis. Et si dans mon dessein je me puis servir d’elle. Preparer de l’argent, c’est une bagatelle, On la baise gratis.         Répons mieux à mon sens, Et sois plus favorable à l’ardeur que je sens. Ma plus pressente envie est de voir Lazarille, Quitter l’Andalousie et marcher en Castille, Tandis que Stephanie écoutant mes soûpirs, Deviendra plus sensible à mes justes desirs ; Pour donc precipiter son voyage de Tolede, Voyons cette servante, et demandons son ayde. Mais avant que Gusman fasse rien de nouveau, Je veux le faire boire à regorge museau. De quel vin.     Du meilleur.         Vous avez bien la mine, De me faire avaller de ce casse poictrine, De ce vin baptisé, que l’on donne aux lacquais, Qui fait du mal au ventre, et n’enyure jamais. Point, je veux que ce soir tu manges à ma table. Moy ?     Toy.         Pour vous servir j’affronterois le Diable. Allons jetter les yeux sur des mets délicats, Et caressons ensemble et les pots et les plats. Fin du second Acte. Monsieur, vous voyez bien qu’estant l’heure qu’il est, On se loge où l’on peut, et non où l’on se plaist, Dans cette Hostellerie aucun bouge ne chome, Et je ne pense pas que dans tout le Royaume On rencontre un Hostel qui soit plus frequenté, Dans un logis si grand un lict seul est resté ; Des deux que vous voyez, le lict vert est le vostre, Un jeune homme habillé repose dessus l’autre, Il est plein de tristesse, allez au petit pas, Et faites s’il se peut qu’il ne s’éveille pas. Puis que dans le lict vert il faut que je repose, De vos soins cette nuict je ne veux autre chose, Emportez la chandelle, et me laissez icy. Et vous deshabiller ?         N’ayez point ce soucy. Mais vous ne verrez goutte, et je crains…         Il n’importe, Laissez-moy seul vous dis-je, et fermez cette porte. Sur tout n’oubliez pas d’aller chez Ferdinand. Il suffit, son logis est du nostre attenant, Je ne vous promets rien qu’aisément je ne tienne. Il faut qu’un grand matin faire en sorte qu’il vienne, Et que de Stephanie il soit accompagné. C’est assez que vous m’ayez enseigné Ce qu’il faut faire.     Allez.     J’obeïs.         La courriere Qui du flambeau du jour commence la carriere, N’est pas encore preste à faire son retour, Il faut donc dans ce lieu que j’attende le jour, Et que dessus ce lict je fasse un petit somme : Mais de peur qu’en marchant je n’éveille cét homme, A ne pas le troubler appliquons nostre effort, Et ceddons au pouvoir du frere de la mort. Peste tout tourne, où suis-je ? Ô Cambrouse endiablée ! Qui pour quatre Louys rend ma teste troublée, Que Lucifer t’emporte avec ton chien de trou, Qui n’est qu’un engin propre à me tordre le cou, Je ne puis manier cette lanterne sourde, Falloit-il faire Esprit une teste si lourde, Loin d’estre courageux, je crains une vapeur, Et je tremble de peur de donner de la peur, Pourtant quoy que je fasse il faut tout entreprendre, Sinon pour en donner en tout cas pour en prendre. Voyons, Mon Fils, ton Pere Henriquez de Galas, Mourut le mesme jour qu’arriva son trespas : Or comme il ne vis plus et qu’il est sous la tombe, De peur que chez le Diable en peu d’heure il ne tombe, Il faut sans balancer que tu partes demain, Pour rendre mille escus dérobez de ma main ; Mais responds à ma voix, c’est ton Père…         Ah ! Mon Pere, Dont le trépas funeste à causé ma misere, Demeurez.     Quelque sot.     Vous fuyez.         Je sais bien, Aussi bien avec toy je ne gagnerois rien. Pourquoy me fuïr ?         A tort son esprit s’embarrasse, Je fais le mesme bien que je veux qu’on me fasse, Ne m’approche non plus que je veux t’approcher. Peut-estre icy quelqu’un est venu se cacher, Cherchons.         Où faudra-il qu’à present je me niche, Si tantost chaque coup vaut escu, je suis riche, Je vais estre assommé s’il me peut entrevoir. Rien ne s’offre à mes yeux que pour me decevoir, Et dans l’abisme affreux où mon mal-heur me plonge, Je ne vois rien de vray que l’image d’un songe, Afin que ma douleur puisse un peu s’apaiser, Encore quelques moments taschons de reposer, Et gardons à causer du trouble aux autres chambres. Je ne prétendois pas remporter tous mes membres, Et pour m’empescher d’estre Henriquez de Gallas, J’aurois volontiers mis les oreilles à bas ; Qu’un poltron a de peine à donner de la crainte ! Employ de faire peur je te prens par contrainte ; Pourtant tu n’as pas lieu de te plaindre de moy, Tu veux espouvanter, espouvantable employ ; Et pour mieux faire voir que ta force est extreme, Qui te doit exercer s’espouvante luy-méme, A parler franchement l’avantage est petit, D’avoir peu de cervelle et de faire l’Esprit, Ou plutost jusqu’icy l’avanture est nouvelle, De trouver un esprit qui n’a point de cervelle. Cœur poltron, sois cœur brave et t’arme jusqu’au point, De donner de la peur et de n’en prendre point, En faveur de Fabrice, ô cœur prends cette peine, Sois moins cœur de Gusman, que cœur de Capitaine, Ou bien à ce dormeur faits connoistre à son dam, Un cœur de Capitaine en un cœur de Gusman ; Me le promets-tu cœur ? Oüy j’entens ta responce, Desja le nez m’en enfle, et le sourcil m’en fronce, Et ta haute asseurance asseure asseurément, Un trembleur qui trembloit d’avoir du tremblement Pour la seconde fois faisons peur. Lazarille, Quiconque fait un fils ne fait pas une fille, Si bien que je conclus qu’alors que je te fis, Ne faisant point de fille, il fallut faire un fils. Pour donc à mon repos estre utile et prospere, Il faut restituer les larcins de ton Pere, Et partir de Seville à la pointe du jour, Pour aller à Tolede establir ton sejour. Ton Pere …         Quoy, mon Pere ? Ah ! Si mon sort vous touche, Pour dire encore un mot, daignez ouvrir la bouche, Adoucissez l’ennuy dont je suis travaillé, Parlez.         Adieu le cœur, puis qu’il est éveillé. En quel trouble mon ame est-elle ensevelie ? O bizarre destin ! Sort fatal !         C’est folie, Pour animer mon cœur j’ay beau faire un effort, Je ne suis point vaillant si ce n’est quand il dort. Au moins permettez donc que mon œil se desille, Et cessez s’il se peut d’affliger Lazarille. Lazarille, bons Dieux ! Ou je suis insensé ; Ou ce nom dans ce lieu vient d’estre prononcé. Je souhaitte une chose impossible, Qui n’est plus ce qu’un Esprit ne peut estre visible : Mais à mon triste sort soyez moins endurcy, Et dites pour le moins si vous estes icy. Oüy, j’y suis Lazarille.         Ô surprise effroyable ! Les Enfers pour me perdre ont vomy quelque Diable, Qui pour vanger ma fourbe employant ses efforts, Chastiera mon esprit aux despens de mon corps. Adieu Gusman.         Suffit, mais soulagez ma peine, Dites si dans ce lieu c’est moy qui vous ameine. Nullement.         En effet, Belzebut je le croy, Tu ne viens pas pour luy, tu ne viens que pour moy. Enfin donc ma douleur à vostre ame soûmise, De pouvoir vous toucher la faveur m’est permise, Je vous tiens.         Pauvre Esprit ! Où te fourreras-tu ? Vous voyez Lazarille à vos pieds abattu, Je veux vous obeïr, rien ne m’est difficile, Je sçay que vous voulez que je quitte Sevile, J’y consens pour vous plaire, et immole en ce jour, L’amour à la nature, et moy-mesme à l’amour. Quel discours ambigu ?         Que le Diable te gratte, Grace au bon Jupiter je suis hors de ta patte, Attrappons quelque coin.         Je te tiens mon cher fils. Le plus infortuné de la troupe d’Esprits, Où t’es-tu là rangé ?         Quel ennuy te possede ? Il est vray que je veux te revoir à Tolede : Mais loin qu’en tes projets je te veüille trahir, Obeïr à l’amour c’est assez m’obeïr. Enfilons la venelle.         Ô fortune prospere, Obeïr à l’amour, c’est vous plaire mon pere, Sans doute.         En quel endroit pourroit estre mon trou, Si j’ouvre ma lanterne ils me rompent le cou, Il faut donc se resoudre, ô trop sourde lanterne, A ne te pas ouvrir de peur qu’on me discerne. Parle-moy.         Pour respondre à l’amour paternel, Je dois vous souhaiter un repos eternel ; Et qu’à mes vœux ardans le Ciel estant propice, Vous sentiez sa clemence, et non pas sa justice. C’est mal prendre son temps pour ce triste propos. Quelle gresle de coups va tomber sur mon dos. C’est bien fait, aussi bien je suis trop temeraire, Et j’eus trop peu d’esprit quand je le voulus faire. Touchant les mille escus autrefois mal acquis, Que de restituer je suis par vous requis, Puis que pour estre heureux il faut estre sans tache, Et qu’à vous contenter fortement je m’attache, Vostre ombre vagabonde aura droit desormais De gouster des douceurs qui ne cessent jamais. Il a perdu le sens, quelle angoisse mortelle ! Depuis quel temps, mon fils, n’as-tu plus de cervelle ? Helas !         Si mon esprit vous paroist alteré, C’est depuis vostre mort qu’il est donc esgaré ? Ma mort !         D’estre rossé je sens approcher l’heure. Je sçay que dans mon aage il est temps que je meure, Nous naissons pour mourir ; mais malgré cette loy Mon jour n’est pas venu, je vis.         Pardonnez-moy ; Vous estes mort mon Pere, et la chose est certaine. Pour si peu qu’il est mort ce n’en est pas la peine. Si je suis mort, c’est donc sans m’en appercevoir : Mais de quelle personne as-tu pû le sçavoir. Je tiens de Dom Raymond cette triste nouvelle. Il faut le détromper, hola de la chandelle. De la chandelle, helas ! La feinte va finir, J’ay si bien fait le mort qu’il le faut devenir. De la clarté, fus donc, hola ! viste mon Maistre, Dés que tu me verras, tu sçauras me connoistre. Cependant ma frayeur est sans comparaison. S’il faut faire l’Esprit, faisons le par raison, Et tâchons d’éviter les coups qu’on nous prepare. Pourquoy faire Messieurs un si grand tintamare ? D’où vient que du sommeil…     Mon fils.         Helas mon Dieu ! Quel horrible fantosme est gisté dans ce lieu ? A moy viste garçons, de la clarté.         Je pasme ! Une peur effroyable a coulé dans mon ame. Je vois d’autre chandelle.         Ah ! Messieurs qu’est-cecy ? Parlez.     Je n’en sçais rien.         Je n’en sçais rien aussi, Tout me devient fatal, Ciel quelle est ma misere ! Est-ce en vous que je vois l’ombre de feu mon pere. Tu vois ton pere en vie.         Hé bien, j’en suis d’accord, Vous qui donc estes-vous ?         Je suis ton pere mort, Oüy, je suis, ô garçon ! Qui de moy voulus naistre, Aussi bien trespassé qu’aucun autre puisse estre. Tout me confond, mon trouble est plus fort que devant ; Enfin mon pere mort, ou mon pere vivant, Si de vous, ou de vous je receus la naissance, Donnez-m’en l’un ou l’autre une claire apparence. Dans les traits de ton pere envisage les tiens. La mort que j’ay soufferte a changé tous les miens, C’est un monstre infernal revestu de ma forme. Est-il vray que je veille, ou si c’est que je dorme. Tu te laisses surprendre, et ne m’escoute pas. Que direz-vous, mon pere a souffert le trespas, J’en suis certain.     D’accord.         En vain donc je te presche, De rentrer dans mon trou l’un et l’autre m’empesche, J’en enrage.         Il est temps de finir ma douleur, L’un des deux est sans doute, ou Sorcier, ou Voleur. C’est ma pensée, et l’ombre en a bien l’encolure. Ah ! Gros ventre de son, qui me fais une injure, Mal-heur sur la maison de qui choque les morts. Qui des deux soit mon pere, excusez mes efforts. A mon secours, mon Maistre, on me veut mener pendre. Ne crains rien, je parois, et je viens te deffendre. Fabrice ! Ô juste Ciel !         c’est Fabrice en effet, Qui fut de tes amis tousjours le plus parfait ; Mais qui cesse de l’estre en son mal-heur extréme, Puis qu’il trouve un Rival dans un autre soy-mesme. Celuy qui cette nuict t’a causé de la peur, Dés hier estoit d’Affrique un faux Ambassadeur ; C’est Gusman mon Valet dont tu vois la figure, Qui de ton oncle mesme imita l’escriture, Et qui pour t’esloigner d’un objet plein d’appas, De ton pere vivant t’annonça le trespas. Desloyal confident d’une ardeur infinie, Quoy ! Ton cœur en secret brusle pour Stephanie ? Tu l’aymes !     Stephanie !         Oüy ! J’en suis amoureux, Cette beauté charmante est l’objet de mes vœux. Je l’ayme aussi Fabrice, et je sçay qu’elle m’ayme, Et j’attends des Dieux la puissance supréme… Point de serments, mon fils, vous Fabrice esperez. Quoy vous voulez ma perte et vous l’en asseurez ? Un Pere m’opprimer, consentir à ma peine : Mais, ô Dieux ! j’aperçois Ferdinand qui l’ameine, Qu’est-cecy !     Juste Ciel !         Approchez bon Vieillard. Vous ay-je pas, Monsieur, desja veu quelque part ? Cela se peut.         J’ignore en quel lieu ce peut estre. Cette moitié d’anneau vous le fera connoistre. Qu’entens-je ?         C’est donc vous ? Ah ! Je vous reconnoy. Ne cherchez desormais vostre Père qu’en moy, Je le suis, Stephanie.     Ô bon-heur !         Ô disgrace ! Vous, mon Pere !     Luy-mesme.         Ah ! Que je vous embrasse Ma Fille. Lazarille amortis ton ardeur, Au lieu d’une Maistresse envisage une Sœur. Une Sœur, je la tiens…         Quoy, vous estes son Pere ? Il l’est ; De vostre Amant je deviens vostre Frere, Quel besoin aviez-vous de cacher si long-temps… Ailleurs je t’en diray les secrets importans, Ce bon homme sçait tout. Cependant de Fabrice, Ma chere Stephanie acceptez le service. Mais, Monsieur, j’esperois …         il est juste, esperez. Mon ardeur     M’est connuë.         Et de plus vous sçaurez… Il suffit ; vous verrez que je suis raisonnable. Que plutost ne te vois-je emporter par le Diable : Ah ! Je suis mort.         Fort bien, nostre espoir decevant, Te fait le Vivant Mort, et moy le MORT VIVANT. FIN N’insultez point de grace au mal-heur de Lucresse, Je say qu’elle a pour vous une forte tendresse ; Mais enfin de son pere elle craint le pouvoir, Et ne peut se resoudre au plaisir de vous voir. Une fille bien née a tousjours de la crainte. Que veux-tu, la douleur dont mon ame est atteinte, Rend ma plainte équitable, et me fait murmurer Contre un Objet charmant que je dois adorer. Mais Lise à sa fenestre une prompte escalade Peut m’ouvrir une voye …         Elle fait la malade, Monsieur, et le vieux Reistre est party du matin Pour chercher par la ville un expert Medecin. Sans rien escalader, pour voir une Maistresse Un Amant dans sa manche a tousjours une adresse ; Mettez tout en usage, et puissance, et savoir, Sans choquer son honneur essayez de la voir, Il n’est point de moyens que l’amour n’autorise, Sur tout…mais du vieillard je crains une surprise, Adieu, pensez à vous, et vous ressouvenez, Qu’il n’est rien d’impossible aux cœurs passionnez. Aux cœurs passionnez il n’est rien d’impossible, Je l’avouë ; et je trouve un moyen infaillible De donner à mon ame un moment de repos ; Il faut…mais ô Crispin que tu viens à propos. Je vous cherche partout pour vous rendre réponce Monsieur.         Si tu savois ce que Lise m’annonce, Cher Crispin…         Il m’a dit que tantost sur le soir… Quand on a de l’amour, et qu’on a de l’espoir… Je vous dis, et redis qu’il m’a dit de vous dire… Pour des charmes si doux lors qu’une ame soupire. Vous plaist-il que je parle, ô babillard maudit ? Ou ne diray-je mot ?         Tu m’en as assez dit. Le temps m’est precieux, et ma flame me presse ; Raisonnons entre nous ; je me meurs pour Lucresse. Mourez-vous.         Son visage a des attraits puissants, Elle asservit mon ame, elle charme mes sens, En un mot je l’adore, et son pere me l’oste, Tu le vois.         Il est vray, mais ce n’est pas ma faute. D’accord, de mon mal-heur je ne puis t’accuser, Mais tu connois son père, il le faut abuser, Qu’en dis-tu ?         Moy, Monsieur ? abusez, que m’importe ? Il la tient enfermée, et je veux qu’elle sorte : Mon cœur pour cét effort ne s’adresse qu’à toy, Car enfin…         A present il m’importe, ma foy. A moy, Monsieur ?         A toy, rends mon ame charmée. Ne me dites-vous pas qu’il la tient enfermée ? Oüy.         Je n’y puis que faire. En quel lieu du logis ? C’est dessus le derriere.     Ouy ?     Ouy.     Ouy ?     Ouy.         Tant pis. Je t’ay dit ma pensée, instruis-moy de la tienne. Elle est enfermée.     Ouy.         Que la belle s’y tienne, Voila ce que je pense.         Ah ! c’est trop s’amuser ; Ecoute, sans scrupule il te faut déguiser. Me déguiser, Monsieur, et pourquoy ?         C’est pour cause. Je veux bien en ce lieu t’informer de la chose ; Pour faire pleinement reüssir mon dessein, Il faut estre aujourd’huy Medecin.         Medecin Bons Dieux !         Sans perdre icy d’inutiles paroles, Ce service rendu te vaudra six pistoles, Si le gain t’encourage, avise, les voila, Examine.         Mon Dieu, ce n’est pas pour cela. Medecin !         Medecin, je n’ay point d’autre ruse. Mais il faut de l’esprit, et je suis une buse, Et de plus…         C’est à tort que tu prends de l’effroy, Le père de Lucresse a moins d’esprit que toy, Ce vieillard chassieux connoit peu ton visage, Et tu sais…il avance, il me void, j’en enrage, Je le vais aborder, vas m’attendre chez moy, J’auray soin de m’y rendre aussi vite que toy. Mais à moins de m’instruire apprenez…         Va te dis-je, Je te suy.         La douleur de Lucresse m’afflige, Monsieur, quoi que mes soins lui soient indifferens, Je viens vous informer de la part que j’y prens : Heureux quoy que tousjours sa beauté me captive, Si pour d’autres que moy j’apperçois qu’elle vive, Et tousjours trop heureux, si le vœu que je faits D’un secours necessaire avance les effets. Adieu.         Ma pauvre fille, elle va rendre l’ame Philipin.         C’est à vous que j’en donne le blasme, A la pourvoir d’un homme on a trop retardé, Un pucelage nuit quand il est trop gardé, C’est cela qui l’étouffe, et ces sortes de choses… Point, point, sa maladie a de plus justes causes : Mais retourne au plus viste, et va voir Philipin Si l’on attend bien-tost ce savant Medecin : J’apprehende si fort que Lucresse ne meure… S’il estoit de retour il viendroit tout à l’heure, On l’a dit.         Il est vray, mais apprends mon soucy, D’autres peuvent l’attendre, et l’emmener aussi, Et pour lors tout mon cœur accablé de tristesse Si Lucresse enduroit…         Peste soit de Lucresse, Elle a le choix de vivre, ou du moins de mourir ; Quel plaisir elle prend à me faire courir. Sur tout ne revient point que tu ne me l’ameines, Je t’en prie.         En mon âge, ô bons Dieux que de peines ! Et que dans mes vieux ans…         Pythagore, Platon, Masche-à-vuide, Pancrace, Hesiode, Caton… Quel seroit ce Docteur ? écoutons.         Caligule, Polieucte, Virgile, Anaxandre, Lucule… O Dieux !         Robert Vinot, Scipion l’Affricain, Jodelet, Mascarille, Aristote, Lucain, Medecins de Cesar, Assassins d’Alexandre, Vous voyez un Phenix qu’a produit vostre cendre. Seroit-ce un Médecin ? il en parle.         Approchez, Venez voir grands Docteurs les mysteres cachez De l’Enciclopedie, et de la Medecine. C’en est un.         Venez voir ce que c’est que racine, De la Mer Arabique, et le flux et reflux. Monsieur…         Que voulez-vous ? Ego sum Medicus, Medecin passé Maistre, Apprenty d’Hippocrate, Je compose le baume, et le grand Mitridate, Je say par le moyen du plus noble des Arts, Que qui meurt en Fevrier n’est plus malade en Mars, Que de quatre saisons une année est pourveuë, Et que le mal des yeux est contraire à la veuë. Je ne saurois douter d’un si rare savoir, Si j’osois vous prier…     Dequoy ? parlez.         De voir Une fille que j’ay que chacun desespere. Vous avez une fille ! Et vous estes son pere, A ce compte ?         Ouy, Monsieur, et j’ay peur de sa mort. Elle est donc fort malade ?     Ouy, Monsieur.         Elle a tort. Je luy veux conseiller qu’elle cesse de l’estre ; Qui domine sur nous s’en veut rendre le maistre. Or le mal dominant par d’occultes ressorts, Il corrompt la matiere, il ravage le corps, L’individu qui souffre au moment qu’il s’épure D’un peu d’Apoteose entretient sa nature, La vapeur de la terre opposée à ce mal, Dans l’humaine vessie establit un canal. Le Cancer froidureux, rend l’humeur taciturne, Le vaillant Zodiaque envisage Saturne, Et s’il faut qu’avec eux j’en demeure d’accord Rien n’abrege la vie à l’esgard de la mort. Ce sont de ces Auteurs les leçons que j’emprunte. Votre fille, à propos, seroit-elle deffuncte ? Non, Monsieur.     Mange-t-elle ?         Un petit, grace aux Dieux. Elle n’est donc pas morte ?     Elle ? Nenny.         Tant mieux, Je m’en réjouys fort.         Et dequoy ? Cette vie Avant la fin du jour luy peut être ravie. Tant pis, l’a-t-on fait voir à quelque Medecin ? Nullement.         Elle a donc quelque mauvais dessein, Puis qu’elle veut mourir sans aucune ordonnance, De ces sortes de morts nostre Ecole s’offence : Quand un homme se trouve en estat de perir Tousjours un Medecin doit l’ayder à mourir, Et c’est faire éclater des malices enormes Que vouloir refuser de mourir dans les formes. Instruisez vostre fille, et luy dites du moins Pour mourir comme il faut qu’elle attende mes soins, Son ame à deloger est trop impatiente, Monsieur.         Permettez-moy d’appeller sa Suivante. Appellez. Je le tiens, ô le franc animal. Hola, Lise.         Ah, Monsieur, vostre fille est fort mal ! Que fait-elle ? Je tremble.         Elle se plaint du ventre, Elle sort de son lict, puis apres elle y rentre, Se promene, se sied, veut dormir, veut veiller, Malgré-moy de ce pas je la viens d’habiller… D’habiller !         D’habiller ; sa boutade m’estonne, Je croy…         Mais ce Gredin vous demande l’aumône, Monsieur.         Ah juste Ciel quel blaspheme tu fais ! C’est l’exemple parfait des Medecins parfaits, Que j’ay bien du sujet de loüer sa rencontre. Medecin ?         Medecin, ma soutane le monstre. Mais sans perdre ma peine à prouver qui je suis, Par ma seule doctrine aisement je le puis. De la fille égrotante apportez de l’urine, Apportez.     Allez viste en quérir.         J’examine Ce que cette malade à peu prés peut avoir ; Mais je vois de l’urine, et je vais le savoir. Approchez.         De frayeur j’ay mon ame allarmée. En voilà.         Voyez-vous, comme elle est enflamée ? Mauvais signe.     O bons Dieux, il en boit.         Je croy bien ; Mais qui boit pour si peu ne comprend jamais rien, Allez en querir d’autre.     Allez viste.         Mon Prince, Assez d’autres Docteurs d’une estoffe plus mince Se seroient contentez du rapport de leurs yeux ; Mais à croire sa langue on en juge bien mieux : Bois-Robert nous enseigne en sa belle Plaideuse Que le goust est solide, et la veuë est trompeuse, Et qu’un grand Medecin quand il fait ce qu’il doit, Il sent mieux une chose à la langue qu’au doigt. A ces fortes raisons je n’ay point de replique. A pisser comme il faut ma Maistresse s’applique, Monsieur, et cependant je n’en ay qu’un filet, Voyez.     Pauvre pisseuse !         Allez au Robinet En tirer.     Mais Monsieur…         Mais que cette pisseuse Fasse une ample pissée, et qui soit copieuse, Copieuse.         Ma foy, ma Maistresse ne peut, On n’a pas le pouvoir de pisser quand on veut. C’est donner à Lucresse une peine trop grande Que vouloir…         Dites-luy que Monsieur le commande, Courez viste.         Monsieur, vostre fille n’a pû, Mais enfin pour vous plaire à l’instant elle a bû, Si Monsieur veut attendre à luy rendre service, Au plus tard dans une heure il faudra qu’elle pisse. Elle a raison.         De plus pour chasser son soucy Elle s’est resoluë à venir jusqu’icy. Elle vient.     Ah mon pere !     Ah ma fille !         Courage. Je me meurs.         Je luy trouve un passable visage ; Serviteur ; Si pour vous nos remedes sont vains, Vous aurez le plaisir de mourir par mes mains, Consolez-vous.     Helas !         Vostre bras, que je taste Si pour vous il est vray que la mort ait si haste, Donnez dis-je.         Tu Dieu ! comme il bat vostre poux, J’aurois bien de la peine à répondre de vous, Et vostre maladie est sans doute mortelle, Prenez-y garde.         O Dieux ! quelle triste nouvelle ; Je suis donc bien malade, ô Monsieur ?         Vous, pourquoy ? Vous n’avez pris le bras à personne qu’à moy. Et cela vous estonne ! Une tendresse extréme Rend la fille le pere, et le pere elle mesme, Entr’eux-deux la nature est propice à tel point Que le sort les separe, et le sang les rejoint ; Estant vray que l’enfant est l’ouvrage du pere, Sa douleur sur luy-mesme aisement reverbere, Et le sang l’un de l’autre est si fort dependant, Que l’enfant met le pere en un trouble evident. Il est vray.         Cependant quoy que mon savoir brille, Je veux bien me resoudre à taster votre fille ; Vostre bras.     Le voila.         Je m’en estois douté, Il ne vous manque rien que beaucoup de santé, Sans cela…         J’ay la mort sur le bord de la levre, Monsieur.         Que je retaste. Avez-vous de la fievre ? Je ne say.     Non ?     Non.     Fy.     Dequoy ?         Mauvais régal, Par fois sans qu’on le sache on se porte fort mal, Voyez-vous.         De ses maux que je sache la cause. C’est la fievre, ce l’est, si ce n’est autre chose, Mais soit fievre, ou migraine, ou cancrene ou mal-chaud, Allez, pour la guerir, je say bien ce qu’il faut. Une plume, de l’encre.     Et pourquoy ?         L’Ordonnance, Monsieur…         Vous vous mocquez, je les fais par avance. Je me tiens tousjours prest contre tous accidents ; En voila pour les yeux, pour le flux, pour les dents ; Mais ignorant son mal il luy faut, ce me semble Une ordonnance propre à tous les maux ensemble ; Il faudra que le sien se rencontre parmy. Charitable Monsieur, c’est agir en amy Cela ; quel honneste homme.         En quel lieu couche-t’elle ? Elle a sur le derriere une chambre assez belle. Ouy vrayment, une chambre assez belle en effect, Si sombre.         Croyez-moy, le devant est son fait, Qu’on l’y mene, aussi bien la journée est mal saine. Philipin, ayde à Lise.         A la fin je l’amene, Le voicy.     Qui donc ? qu’est-ce ?         Un savant Medecin. Medecin, male-peste.         Excusez, ce matin L’intendant d’un Seigneur m’a contraint de me rendre Monsieur…         Mon bon Monsieur, je n’ay pû tant attendre, Au retour de chez vous pour causer mon repos Ce fameux Medecin s’est offert à propos, Je l’ay pris.     Monsieur ?         Ouy, mais qu’il a du merite, Si vous saviez …         Je louë, et je plains ma visite, Je me tiens mal-heureux d’avoir pû me ravir Au plaisir que j’aurois de pouvoir vous servir, Et de voir la fortune à mes vœux trop cruelle M’arracher au bon-heur de vous prouver mon zele. Mais à voir qui pour vous a daigné s’occuper, Je me tiens trop heureux qu’il ait pû m’eschaper ; Le plaisir que je gouste est meslé dans le vostre, Si je perds d’un costé je recouvre de l’autre, Puis qu’enfin de Monsieur le sublime entretien D’estre un jour tout à vous m’offrira le moyen. Mais, Monsieur pardonnez, ce n’est point par audace, Je n’ay garde avec vous d’occuper cette place, C’est à vous qu’elle est deuë.     Ah !     Monsieur…         Palsambleu, Ah !         Sans ceremonie on vous doit le milieu, Et de grace Hippocrate…Hé Monsieur je vous jure, Qu’au lieu de m’obliger, c’est me faire une injure ; Je vous prie. Hippocrate…A quoy bon tout cela, Conservez vostre place, hé Monsieur, la voila, Empeschez à vos yeux que ma honte n’éclate. Je reprends ma parole, et je dis qu’Hippocrate, Qui de la Medecine est l’illustre ornement, De cét Art salutaire a parlé doctement. Medecine est, dit-il, une longue science, Tout à fait dangereuse en son experience, Car touchant nostre vie elle passe si tost Qu’on n’a pas le loisir d’en juger comme il faut. Vita brevis, ars vero longa, occasio autem praceps, Experimentum periculosum, Judicium difficile. Je me plais à l’estude, et j’ay l’ame assiduë A vouloir de cét Art penetrer l’estenduë : Mais dedans cét abisme un esprit se confond, Plus on l’approfondit, plus il semble profond ; Cette utile science en enferme tant d’autres, Qu’il faudroit que mes yeux égalassent les vostres, Ou que de leurs rayons vous puissiez m’éclairer. Pour m’offrir le moyen de ne pas m’esgarer. Ho, ho, ho.         De plaisir on a l’ame ravie Alors que d’un malade on prolonge la vie, Et d’un grand Medecin rien n’égale le sort Quand sa seule presence intimide la mort ; Quand il est l’ennemy que la Parque redoute, Quand sa haute science en detourne sa route, Et qu’enfin le trépas qui nous fait tous trembler, Pour ne le pas combattre ayme mieux reculer. Mortem medicamentis removet medicus expers. Je ne puis approuver l’importune metode… Mais peut-estre, Monsieur, je vous suis incommode, Car enfin comme vous les esprits eslevez Aux emplois importants sont tousjours reservez. Ho, ho, ho.         Je sors donc, mais j’ose me promettre Qu’estant mieux occupé vous pourrez me permettre De chercher un pretexte à me faire jouyr Du plaisir qu’on reçoit quand on peut vous oüyr. Hé bien, ce Medecin, vous voyez comme il cause, Qu’en dites-vous ?         Il sait quelque petite chose. Daignez-moy je vous prie informer de cela, Touchant la Medecine est-il expert ?         Là, là, Passable.         Il n’a pas donc la science parfaite ? Pour qui passeroit-il prés de vous ?         Pour Mazette. Mais durant qu’il parloit vous ne disiez mot ?         Moy ? Dites-vous ?     Ouy vraiment je dy vous.         Je le croy. Pour pouvoir de cét homme éprouver la science, J’ay voulu me resoudre à garder le silence : Mais enfin si le drosle eut voulu s’arrester, Allez, vous m’auriez veu diablement caquetter. A dessein d’empescher qu’un malade ne meure, J’allois debagouler du Latin tout à l’heure, Voir quel temps il fera dans un vieil Almanac, Reciter tout par cœur les Quatrains de Pybrac, Et pour mieux vous monstrer qu’il est vray que j’excelle, Je say qu’un lavement fait aller à la selle, J’ay cent fois en ma vie acheté du Séné, Et je dy que le Diable est un Diable damné : Je soustiens que le corps est le frere de l’ame, Que Seneque et Pauline estoient l’homme et la femme, Que Narcisse en personne autrefois se noya, Et semper quoniam tuos alleluya. Je ne puis rien comprendre à ces phrases d’élite. Je m’en apperçois bien, mais adieu je vous quitte, Je verray votre fille ou ce soir, ou demain. Monsieur…     Ah !         Recevez ces Louys de ma main. Je n’ay garde.         Prenez, je vous dois recompense, Monsieur.         Je ne suis pas un Marchand de Science. Hé de grace.         Non non, je vous suis serviteur. Que cét homme est habile, et qu’il est grand Docteur ! Ne point prendre d’argent pour des choses si bonnes ! Il ne ressemble pas ces tueurs de personnes, Ces meschants Medecins qui par un triste sort, En curant nostre bource enrichissent la mort. Voyons ce qu’au logis la science a fait naistre, Et sachons …         Au plus viste, attrapons nostre Maistre, Réjoüissance…ô Dieux ! C’est Fernand que je croy ! C’est luy-mesme !         Est-ce pas mon Docteur que je voy ? C’est lui-mesme, c’est lui : Votre mine est pleureuse, Qu’estes-vous ?         Moy Monsieur ? un pauvre homme qui gueuse. Quoy, tu gueuses ?         Monsieur, mes malheurs sont si grands… Mais dedans cette ville as-tu point de parens ? Ah ! Monsieur des parens on n’a guere de grace, Je suis frere à mon frere, et c’est luy qui me chasse. Il faut donc que sans doute il en ait le sujet ; Qu’as-tu fait ?         Respandu la moitié d’un Julet. Il est donc Medecin ?     Ouy, Monsieur.         Il me semble Que ce frere en colere à peu prés te ressemble. Ouy, Monsieur.         Penses-tu qu’on le puisse appaiser ? Non, Monsieur.         Si tu veux je luy vais proposer…  Il ne souffrira pas que jamais je le voye, Monsieur.         Si je m’en mesle, il aura de la joye ; Je le viens de quitter, il est fort mon amy. S’il est vray je ne sens ma douleur qu’à demy, Car Monsieur, je vois bien que vous estes brave homme, Vous aurez de la peine à souffrir qu’il m’assomme. Attends-moy, de ce pas je m’en vais le chercher. Moy, Monsieur ? Point du tout, je m’en vais me cacher. Mais il faut te monstrer.         Ah ! Monsieur, je ne l’ose, Sans savoir si vos soins auront fait quelque chose : Je m’en vais s’il vous plaist vous attendre à l’escart. Ce garçon mal-heureux est venu sur le tard ; Deux minutes plustost je l’accordois sur l’heure ; Foin de moy; je ne sais où son frere demeure : Mais tousjours je l’attends sur le soir…         Ah Maraut ! Je vous jure…         Ah ! Monsieur, vous venez comme il faut :  Vous pouvez en ce lieu m’accorder une grace. Moi, Monsieur ? Il n’est rien que pour vous je ne fasse, Commandez.         Vostre frere, il a tant de douleur, Que j’ay droict d’esperer…         C’est un Coquin, Monsieur. Il a tort, je l’avouë, il se nomme coupable ; Mais, Monsieur, une faute est tousjours pardonnable Desormais il en jure, il veut estre meilleur, Vous aymer, vous servir.         C’est un fripon, Monsieur. Ne vous puis-je resoudre à la misericorde ? C’est un Pendart, Monsieur, qui merite la corde. C’est manquer de parole aux plus rares Amis. S’il vous en ressouvient vous m’avez tout promis, Monsieur, ce n’estoit donc qu’une pure grimace ? Il est vray, ma parole en effet m’embarrasse, C’en est fait, je pardonne à ce traistre, il vous plaist. Il ne tiendra qu’à vous de le voir comme il est. Moy, Monsieur, Moy le voir en presence du monde ! Quand je vois ce Coquin mon courroux se debonde, Je ne puis.         Hé, Monsieur, il ne faut qu’un instant… Je ne le puis, vous dis-je, un malade m’attend : Mais touchant ce Maraut je consens qu’il revienne. Serviteur.         Quelque effect qui jamais en avienne A ce pauvre garçon qui frissonne d’effroy, Je veux faire accorder le pardon devant moy : Que son frere est honneste, il s’en vient de l’absoudre, Et j’ose…         Hé bien, Monsieur, a-t-il pû s’y resoudre ? Dois-je devant ses yeux ne paroistre jamais ? Dois-je …         Ne pleure point, j’ay seu faire ta paix. Vous croiray-je, Monsieur, n’est-ce point moquerie ? Quoy, tu peux …         Ah ! Monsieur, je connois sa furie, Il a bien de la peine à pouvoir pardonner. Aussi ne veux-je pas te laisser retourner ; Je veux qu’il te pardonne en ma propre presence Du pardon de ma faute avez-vous l’asseurance, Monsieur ?     Ouy.         C’est assez que mon frere ait parlé, De vos soins obligeans je serois querellé, Monsieur, votre bonté pourroit mal me remettre. Mais il peut oublier ce qu’il vient de promettre, Puis apres…         Point, Monsieur, je le vois fort exact, Quand on a sa parole, elle vaut un contract ; Desormais de sa part je ne crains nul outrage, Monsieur.     J’ay resolu d’achever.         J’en enrage. Entre sur ce derriere.         Hé, Monsieur, où le voir A cette heure ?         En tous cas, il viendra sur le soir, Entre, dis-je.         En ceci ma charité se monstre ; Mais de notre Docteur recherchons la rencontre, Il faut battre le fer cependant qu’il est chaud. Me voilà, grace à Dieu, raisonnablement haut. Trop obligeant Grison ta douceur m’assassine, Maudit Moi, maudit Maistre, et maudite Doctrine, Et maudite Lucresse, et maudits six Loüis, Par qui mes yeux tentez se sont veus ébloüis ; Maudit …quoy ? je commence à connoistre ma faute : Teste-bleu ! d’icy là, le moyen que je saute ? Il le faut toutesfois, Taupe à tout.         A Present Je viens dire…ma foy, ce sauteur est plaisant : Mais il sort de chez nous, il n’a rien que je sache, Il faut pour l’épier qu’un moment je me cache. Mais j’entends que l’on parle, attrapons quelque coin. Pour un gueux comme luy vous prenez trop de soin ; Il mériteroit bien qu’on punist son audace, Le Vaurien.         C’est là haut qu’il attend vostre grace ; Moi je vous la demande, à la charge d’autant Si jamais…         En quel lieu dites-vous qu’il m’attend Le Coquin.         Voyez-vous cette grande fenestre ? Il m’entend, le bourreau ; mais il n’ose paraistre, De m’avoir offencé l’insolent est confus : Je n’ay pas le pouvoir de vous faire un refus, Ouvrez, j’entre.         Avec vous, faut-il pas que je monte ? Pour le bien chastier faisons-luy cette honte, Montez ; ouy, montez…Non, épargnons ce Maraut ; Escoutez seulement je luy parleray haut, C’est assez.         Je le veux ; Refermons cette porte, Et voyons…         Quoy, Monsieur, vous craignez qu’il ne sorte ? Malepeste le Drille, il sait bien d’autres tours Le Manœuvre !         Pourquoy me tiens-tu ce discours ? Ou respecte cét homme, ou redoute ma cane. Quand on est Baladin, porte-t’on la soutane  A propos ? dites donc : Vous riez.         Si je ry Sot.         Vostre ensoutané saute mieux qu’un cabry, Je le say, mais chez vous que peut-il aller faire ? Respondez, s’il vous plaist ?         Pardonner à son frère ; Il estoit en courroux pour certain accidens… A ce compte, son frère est aussi là dedans ? Est-ce pas ?     Ah fripon friponnant…         Tien, écoute. Voyez ce qu’aujourd’huy vostre faute me coûte, J’aurois eu le plaisir de jamais ne vous voir, Si Monsieur dessus moy n’avoit pas tout pouvoir, Mais je l’honore plus que personne du monde. Tu vois bien.         Pour le moins que son frere responde, Il le doit.         Vostre frere à son tour ne dit mot, Qu’il parle.         Entendez-vous, beau pleureur, maistre sot ? Si ma juste colere est si tost adoucie… Monsieur je vous rends grace, et je vous remercie, Je n’ay pas à dessein respondu…Taisez-vous. Si jamais…Pay, vous dis-je, et craignez mille coups. Je puis…Taisez-vous donc. Mais mon cher frere… Encore ? Comment diable fait-il, le fusté ? je l’ignore. Ils sont deux.         Il le semble ; il n’en est pourtant rien, Mais de bien le savoir je découvre un moyen, Dites que devant vous il embrasse son frere. N’estoit Monsieur Fernand que je veux satisfaire Pecore…         Il auroit tort de vous plus offenser. Mais, Monsieur, pour me plaire il le faut embrasser, Et tousjours…     L’embrasser !         Que cela l’embarrasse, Voyez.         De vostre part je pretens cette grace. Il seroit trop honteux si ce bien peu commun… Je vous jure, ma foy, qu’ils ne sont ma foy qu’un ; Le Mâdré ! gardez-vous des finesses qu’il brasse. Seras-tu trop honteux si ton frere t’embrasse, L’enfermé ?         C’est à luy…Pay, Monsieur le Badaut, Pay fripon, pay belistre, et venez icy haut : C’est moins par amitié que ce n’est par contrainte, Venez, dis-je.         Tu vois, ce n’est pas une feinte. Je n’y vois ma foy goutte, et ne say ce que c’est. A present…         A present descendez s’il vous plaist, Je vous ouvre.         Epions ; car ou bien je suis yvre, Ou bien…         J’ay fait défense au Coquin de me suivre, J’en aurois de la honte, il viendra par apres, Adieu.         Je suis ravy d’avoir fait cette paix : Mais faisons sortir l’autre.         Ah, je tiens votre guesne, Doctissime.     Est-il loin ?     Assez loin.         Que de peine, Monsieur !     Hé bien ?     Hé bien, sont-ils deux ?         Ah vrayment … Voila l’un, voila l’autre.     Ah ! grands Dieux !         Quoy ? comment ? Que dis-tu ?         Qu’à merveille il grimpe une fenestre. Ah perfide…         Ah ! Monsieur, sachez tout de mon Maistre, Le voicy.         C’est Cleon ! c’est ma fille ! Ah rusé Ce Cleon l’a seduite, et tu m’as amusé Medecin de mal-heur.     Quoy, Monsieur…         Je le jure Que tu l’espouseras, ou je te défigure. Daignez…         Point de quartier, il sera ton Epoux, Ou du moins…         Cet Hymen a des charmes si doux, Monsieur…         Sans affecter compliment, ny surprise, Vous le fait de Lucresse, et moy le fait de Lise, Confondant tout ensemble et nos biens et les leurs, Faisons des Medecins ou Volans, ou Voleurs. FIN