Si pres de cet Hymen qui vous donnant Camille, Joint le Sceptre de Naple à celuy de Sicile, Et de son Protecteur va faire son Epoux ; Quels sont vos déplaisirs dequoy vous plaignez-vous ? J’ay bien d’autres soucis que ceux de l’Hymenée, Quand mille maux secrets troublent ma destinée, Et d’un grand Roy, qu’on croit doublement couronné, Font de tous les mortels le plus infortuné. Quoy que dans vostre mal tout mon cœur s’interesse, Je l’ignore, et n’en prens qu’une aveugle tendresse. Il est bien vray, Seigneur, qu’il me souvient encor Des discours qu’en mourant me faisoit Léonor. Cette chere moitié, qui nourrit vostre enfance, Voulut d’un grand secret me faire confidence, A mon retour de Naple, où pour un grand employ, Le Roy secretement se défiant de moy, M’envoya, dés l’instant que vous pristes naissance ; Mais si pres de la mort, presque sans connoissance, Sa bouche par des mots confus, embarrassez, Me fit craindre pour vous, mais n’en dit pas assez, Pour pouvoir m’éclaircir cet important mystere. Ta Femme, Marcellin , fut ma seconde Mere ; Et si sa prompte mort t’a ravy ce secret, Ma bouche maintenant te l’apprend sans regret : Aussi bien sçache enfin qu’au mal qui me possede, Ce jour me doit donner,ou m’oster le remede. Mais helas! Marcellin, pourras-tu bien chérir Un Roy, qui ne l’est plus, s’il s’ose découvrir, Un lâche usurpateur, un imposteur, un traistre ? Ah! Seigneur.         Je suis tel, si je me fais connaistre. Expliquez vous, Seigneur, parlez plus clairement. Tu vas voir tout entier cet affreux changement. Tu sçais que par les Loix de ce Peuple indocile, Les Femmes ne sçauroient regner dans la Sicile ; Cet Empire en naissant établit cette Loy, Et ce Peuple jaloux d’obeïr sous un Roy, Croiroit se démentir, et passer pour infame, S’il souffroit un moment le regne d’une Femme. Seigneur, qu’a cette Loy de commun avec vous ? Escoute, Marcellin. Apres qu’aux yeux de tous Tous mes Freres mourans eurent laissé mon Pere Sans autre Successeur d’un Trône hereditaire, Estant le dernier fruit du conjugal amour ; On me destine au Trône avant que voir le jour ; Estant né, l’on m’éleve, on instruit mon enfance De tout ce qui prepare à la toute-puissance. Mon Pere meurt, je monte au Trône où je me voy ; On me traittoit de Prince, on m’y traitte de Roy. Je porte impunément le sacré Diadéme ; Mais helas! Marcellin, je suis toujours la méme, Tousjours Femme malgré ces premiers sentimens, Tousjours Femme malgré tous ces déguisemens. Ciel! que me dites-vous ?         L’horreur d’une injustice Força le Roy mon Pere à ce grand artifice, Craignant qu’apres sa mort le Prince d’Arragon, L’eternel ennemy de toute sa Maison, Ne se fit par l’appuy d’un droict imaginaire Du Trône de Sicile un Trône hereditaire. L’Admiral, de mon sort le Confident discret, Sçeut déguiser mon Sexe avec tant de secret, Qu’avant que la raison m’en intruisit moy-méme, J’avois conceu l’espoir de la grandeur supréme ; Et mon cœur s’asseurant que ce rang m’estoit dû, Couroit aveuglement à ce Trône attendu. Mais en vain mon erreur, et sa sage conduite, Me cachoit mon destin, j’en fus bien-tost instruite; L’amour, qui naist souvent plustost que la raison, M’informa le premier de cette trahison ; Ses transports, fussions nous privez de connoissance, Pour discerner un Sexe, ont trop d’intelligence. Valere, que son Pere élevoit avec moy, Me rendant tous les soins qu’on rend au Fils d’un Roy, Me sceut si bien gagner par ses tendres caresses, Qu’en peu de temps mon ame épreuva ces foiblesses Dont l’amour en naissant saisit un jeune cœur ; Pour celles de mon Sexe elle estoit sans ardeur, Et ce trouble qu’enfante une naissante flâme, Me fit bien pres de luy sentir que j’estois Femme ; Et la raison qui vint m’éclaircir à son tour, Me treuva pleinement instruite par l’amour. Quoy, vingt ans tous entiersauroient sans nul indice Caché jusques icy cet étrange artifice ? Quel charme a si longtemps trompé toute la Cour ? Ce charme dureroit encor sans mon amour. Oüy j’aime, je l’avouë, (à cet aveu si lâche Ma rougeur t’apprend bien le Sexe que je cache.) Juge apres ces discours, qui doivent t’alarmer, Si l’hymen de Camille a dequoy me charmer. Je feignois de l’aimer par l’ordre de mon Pere, Et par ce feint amour je cachois ce mystere ; Mais si cet artifice a couvert nostre jeu, Il ne sçauroit cacher un veritable feu. Je brûle pour Valere, et je n’ose le dire ; Depuis six ans ce cœur pressé de son martyre, A pressé mille fois ma bouche de parler. Que l’Amour, Marcellin, sçait mal dissimuler! Qu’un cœur libre, et bien né, deteste l’imposture, Et qu’on souffre de peine à trahir la nature! Valere que j’ay fait le plus grand de ma Cour, Impute à l’amitié ce qu’il doit à l’amour ; Et l’amour n’osant pas expliquer ses caresses, Sous un Sexe caché perd toutes ses tendresses. Regarde maintenant quel est mon desespoir ; Il faut abandonner ma flame,ou mon pouvoir ; Il faut cesser d’aimer, ou devenir Sujette. Aimons, ne forçons plus une flame secrette : Qu’on choisisse un Monarque, et qu’on oste à mon sang Par le defaut du Sexe, un legitime rang. Quoy! cesser de regner. Que faites-vous, Madame ? Laisse agir, Marcellin, les transports de ma flame, Donne toy tout entier à servir mon ardeur, Et laisse à l’Admiral le soin de ma grandeur ; C’est luy qui doit bien-tost mettre fin à ma peine. Mais Camille paroist.         Pardonnez, grande Reyne, Si je m’acquite mal de ce que je vous doy ; Imputez ces delais aux soins d’un nouveau Roy. Seigneur, de ces delais le pretexte est plausible ; Mais un Prince amoureux doit estre plus sensible. Depuis trois mois entiers je sollicite en vain Ce qu’une Reyne attend d’un puissant Souverain. J’allois tout obtenir du feu Roy vostre Pere, Quand sa mort me priva d’un secours necessaire : Depuis un mois, Seigneur, qu’il a finy ses jours, Pourquoy diferez-vous ce glorieux secours ? Vous devez me servir pour vous venger vous-méme, Et relever en moy l’honneur du Diadéme. Roger, ce fier mutin qui s’arme contre moy, Sçait profiter du temps, et se croit déja Roy ; Et par trop de lenteur à secourir ma gloire, Vous hazardez la vostre ainsi que ma victoire. Seigneur, expliquez vous: par l’ordre du feu Roy, Par vostre propre choix, vous deviez estre à moy : L’Hymen devoit unir Naples à la Sicile ; Et si j’en pris d’abord un espoir inutile, Par le trépas d’un Pere estant libre en ce jour, Vous pouvez disposer de vous, de vostre amour. Peut-estre que le Ciel n’a pas fait l’un pour l’autre ; Peut-estre que mon cœur n’est pas né pour le vostre. Reprenez vostre amour, je vous rends vostre cœur, Rendez moy promptement l’espoir de ma grandeur ; Oubliez d’estre Amant, si vous m’avez aimée, Et servez en Monarque une Reyne opprimée. Il m’est indiferent de tenir cet espoir Des soins de vostre amour,ou de vostre devoir. Je ne me defens point d’une si juste plainte : Mais si vous connoissiez avec quelle contrainte Je difere un secours que je vous ay promis, Et que par la rigueur des destins ennemis Ce Roy, qui doit s’armer pour le secours d’un autre, Soûpire pour un mal bien plus grand que le vostre ; Vous passeriez bien-tost d’un si juste courroux A la pitié d’un Roy plus à plaindre que vous. Dequoy vous plaignez vous dans l’estat où vous estes ; Dans un Trône si haut au dessus des tempestes ; Je ne puis deviner ces nouvelles douleurs Qui vous font negliger la fin de mes malheurs. Est-ce d’un Pere mort la récente memoire, Qui peut troubler encor tant d’heur, et tant de gloire ? Non, non ; et si j’osois ouvrir mon sentiment, Vous sçauriez que ce coup me toucha foiblement, Quand d’un Roy trop prudent la vieillesse importune Sembloit un long obstacle à toute ma fortune ; Non que l’avidité du Trône paternel M’arrachat pour sa mort un souhait criminel : Bien loin de souhaiter la grandeur souveraine, Prince,ou Roy, c’est ce rang qui fait toute ma peine : Entre les mains d’un Pere il contraignoit mon cœur, Dans mes mains il le fait avec plus de rigueur ; Et je souffre aujourd’huy,maistre de sa puissance, Le joug qu’il imposoit à mon obeïssance. Je crûs qu’apres sa mort le rang qu’il m’a quitté Rendroit à mes desirs un peu de liberté : Mais je connoissois mal l’orgueil du Diadéme ; Prince, j’estois captif ; Roy, je le suis de méme ; Et ce rang glorieux n’a qu’un éclat trompeur, Qui fait à mesme temps, et cache mon malheur. Mais pourquoy vous troubler d’une plainte si vaine, Quand vous n’entendez rien de l’excés de ma peine, Et qu’un respect plus fort que l’espoir d’en guerir, Me defend de parler, et de me secourir ? Seigneur, dans ce discours je ne puis rien comprendre ; Mais il est temps enfin qu’un Roy se fasse entendre, Et qu’alors qu’une Reyne implore son pouvoir, Il refuse,ou s’appreste à faire son devoir. Je n’examine point le secret de vostre ame, Si c’est raison d’Estat, ou bien quelqu’autre flame, Qui du cœur d’un Monarque arrache ces soûpirs. Quels que soient ces secrets et nouveaux déplaisirs, Ne souffrez plus enfin qu’un insolent nous brave ; Vous sçavez ses desseins par les advis d’Octave. Nos mutins devenus plus hardis, et plus forts, Viendront jusqu’en ces lieux prévenir vos efforts, Et vous feront rougir de tant de negligence. Nous sçaurons prévenirune telle insolence ; Et vous sçaurez peut-estre avant la fin du jour, Que j’aurois moins d’ennuis, si j’avois moins d’amour. D’une si foible amour, Seigneur, je vous dispense, Acquitez vous au moins des soinsde ma vengeance ; Federic vient, adieu ; sçachez, Seigneur, de luy Ce que me doit un Roy qui se fait mon appuy. Hé bien, cher Federic, qu’avez-vous à me dire ? Vous dois-je mon repos, ma gloire, et mon empire ? Tout rit à vos souhaits ; et cette vieille Loy Qui ne souffre en ces lieux que le regne d’un Roy, S’en va tomber par terre aux yeux de tout le monde. Apprenez moy sur quoy ce grand espoir se fonde. C’est sur ce grand secours qui fait regner les Roys, Qui fait la Loy par tout, et se moque des Loix, Sur la force, Madame. Oüy cette Loy severe Que consacre le temps, que le Peuple revere, Ne peut sortir des cœurs que par de grands efforts ; La brigue et l’artifice ont de foibles ressorts. Il faut en vous montrant, montrer tant de puissance, Que tout ce qui vous nuit tremble en vostre presence. S’il faut flaterle Peuple, en ostant cet abus, Il faut estre en estat de punir son refus. A ce dessein j’ay fait ramasser sur nos terres Les plus vaillans soldats de nos dernieres guerres ; Tous les Ports sont à moy, qui couverts de Vaisseaux Me donnent sous vos loix tout l’Empire des eaux. Mais par cet appareil et de Vaisseaux, et d’armes, De peur que nos voisins n’en prenent trop d’alarmes, Vous sçavez le pretexte : Une Reyne en ces lieux Donne à cet armement un motif glorieux : J’ay fait dire par tout qu’on devoit cette Armée Au rétablissement d’une Reyne opprimée ; Qu’au péril de l’Empire, et de tout nostre sang, Il fallait forcer Naple à luy rendre son rang. Ce pretexte plausible, et si plein de justice, Du voisin défiant contiendra le caprice, Qui dans un autre temps surpris, épouvanté, S’ebranleroit sans doute à cette nouveauté. Donc je ne puis garder la supréme puissance Que par la seule force,ou par la violence. Federic, pardonnez à ma timidité; Je suis Femme tousjours sous ce Sexe emprunté. Si je ne puis regner sans jetter sur ma vie L’horreur de l’imposture,ou de la tyrannie, Sortons, sortons du Trône au moins avec honneur. D’où vous naist tout d’un coup ce remors suborneur ? Est-ce au Roy d’Arragon que vous cedez la place ? La crainte sur le Trône est de mauvaise grace ; Ce sont troubles qu’un Roy doit tousjours s’épargner, On n’est jamais Tyran, quand on sçait bien regner ; Suffit d’avoir regné pour rendre un regne juste : Quand on s’est revestu de ce pouvoir auguste, Quand le Ciel l’a souffert, quand le Sort l’a voulu, C’est assez pour garder le pouvoir absolu. Mais icy vostre Sexe a seul droict à l’Empire. Mais vous en estes digne, et cela doit suffire. Oüy ce Sceptre est à vous, et tout l’effort humain Ne sçauroit l’arracher d’une si digne main. Armez vous seulement d’une mâle asseurance. Si nostre Sexe aspire à la toute-puissance, Montrez luy que le vostre, aidé de vostre sang, Peut former un courage à soûtenir ce rang. J’en prens en ces beaux yeux le glorieux augure ; Cet Empire receu des mains de la Nature, Cet Empire sans Sceptre, et que fait la Beauté, Adjouste à vos grandeurs une autre majesté. Les Graces ont déja couronné vostre teste, Elles font de nos cœurs leur Trône et leur conqueste, Et l’effort amoureux de ces charmespuissans Est un regne visible étably sur nos sens. Ton zele, Federic, emporte la victoire ; Couronne promptement et mon Sexe, et ma gloire, Je brûle, je languis sous ce déguisement. Ah!que ne connois-tu l’excès de mon tourment! Allons, allons forcer toute ma destinée. Attendez, attendez cette grande journée, Où tout bien preparé pour un succés certain, Nous puissions sans péril tenter ce grand dessein. Octave doit regler toutes nos avantures ; Sur son retour de Naple on prendra ses mesures ; De l’estat des mutins instruits par son rapport, De Camille, et de vous, nous reglerons le sort. Haste donc ce beau jour, et sçache …         Quoy, Madame. Quel trouble …     Ignore encor le secret de mon ame.         Quel secret! Ah!Valere.Adieu ; mais souviens-toy, Si je regne en ces lieux, que je me dois un Roy. Tu t’émeus à ces mots, ardeur ambitieuse, Et de ce prompt espoir la flame impetueuse, Malgré le froid de l’âge, et le poids de mes ans, D’une noble vigueur allume tous mes sens. Ose, acheve, et regarde où mon courage aspire ; La Beauté sur le Trône, une Reyne, et l’Empire. Grand Roy, de tous nos Roys la gloire, et le dernier, Toy, que la juste horreur d’un injuste heritier Força de supposer un Fils à ta famille ; Sous le titre de Roy faisant regner ta Fille ; Toy, qui voulus fier à mon zele discret D’un Sexe déguisé le prétieux secret, Souffre une ambition que mon amour me donne ; La gloire est mon amour,et non pas la Couronne ; Je suis Maistre du Trône, et mon cœur enflamé Y cherche seulement la gloire d’estre aimé. Aimer en si beau lieu,c’est la gloire elle-méme ; Grand Roy, sous cet appas je cours au Diadéme. Ton orgueil fait regner ta Fille injustement ; Mon amour la fera regner innocemment : Tu veux que pour regner ta Fille se contraigne ; Et je veux couronner le Sexe qu’on dédaigne. Mais puis que sur le Trône elle se doit un Roy, Souffre un choix de sa part qui s’explique pour moy. Approchez, mes enfans.         Ah! Seigneur, que de gloire Vous appreste l’espoir d’une grande victoire, Quand vous vous disposez d’un effort glorieux D’aller rendre Camille au rang de ses Ayeux. Nous venons d’admirer sur l’onde, et sur la terre, Le pompeux appareil d’une si juste guerre ; Tous nos champs sont couverts d’armes, et de soldats, Et nos Ports herissez d’une Forest de mats. Tout le monde est ravy de voir que la Sicile Va relever par vous le Trône de Camille. Pour nous, qui vous voyons dans un employ si beau Vous preparer l’espoir d’un triomphe nouveau, Touchez d’un sentiment à vos vœux trop contraire, Nous portons quelque envie à la gloire d’un Pere. Quoy, Seigneur, ce grand cœur signalé tant de fois, L’effroy des ennemis, l’appuy de deux grands Roys, Luy qui de vostre nom a remply nos Histoires, Soûpire-t’il encore apres d’autres victoires ? Si vaincre fait encor ses plus ardens soûpirs, Déchargez vous sur nous de ces nobles desirs, Et faites de vos Fils au combat qui s’appreste Les premiers bras du corps dont vous serez la teste. Ah! Valere, ah! Fabrice, une si belle ardeur Est digne de mon sang, et digne d’un grand cœur. Vous aurez part tous deux à ce grand avantage ; Si je doy triompher, c’est par vostre courage ; Et j’attendois de vous ces nobles mouvemens, Pour verser dans vos cœurs de plus beaux sentimens. C’est peu de cette gloire où tout mon sang s’appreste, Un Trône relevé doit estre sa conqueste, Le fruit de cet employ, le prix de vostre bras ; Vous vous troublez, mes Fils, vous ne m’entendez pas. Sçachez donc qu’en servant une illustre Princesse, Il faut que l’un de vous s’en fasse une Maistresse, Et que luy redonnant le pouvoir souverain, Elle mette en vos mains le don de vostre main. Nous jusques à Camille élever nostre veuë! Quelque puissant respect qui la rende abbatuë, J’ose tout par vostre ordre, et n’apprehende rien. Pour aspirer si haut, je me connois trop bien. Si d’un si haut party la majesté t’étonne, Songe que tout mon sang est né pour la Couronne ; Prens d’un si digne adveu l’orgueil de ton aisné ; Ne crains rien du pouvoir d’un Amant couronné, Un obstacle eternel le dérobe à Camille. Naple aujourd’huy ne peut s’unir à la Sicile ; Ces Trônes sont forcez d’avoir chacun un Roy. D’un scrupule si vain reposez vous sur moy. Cet Hymen pretendu n’est qu’un adroit mystere Qu’un interest d’Estat a rendu necessaire. Donc, Seigneur, je n’ay plus à craindre un tel Rival. Puis que vous me sauvez d’un respect si fatal, Il est temps, il est temps de vous faire connaistre Un feu dont jusqu’icy j’avois esté le maistre ; Et qu’enfin mon orgueil par vous-mesme irrité Vous fasse un plein aveu de sa temerité. J’aime, j’aime Camille, et sans l’aveu d’un Pere, Ce cœur qu’on croit discret estoit un temeraire. Que j’aime en toy, mon Fils, un feu si glorieux! Car enfin c’est sur toy que j’ay jetté les yeux, Pour relever le sort d’une Reyne opprimée. Je voy que de ce choix vostre ame est alarmée, Valere.         Quoy, Seigneur, par quel sort aujourd’huy L’honneur de cet employ tombera-t’il sur luy ? Luy seul merite-t’il toute vostre tendresse ? Ou bien ce foible amour dont on flate l’aisnesse Voudroit-il dérober le Favory d’un Roy Aux glorieux périls d’un si fameux employ ? Mon Fils, pour te montrer toute l’amour d’un Pere, Je te destine un Sceptre, aussi bien qu’à ton Frere. Tu regneras un jour ; mais sans t’inquieter, Attends de moy le bien dont je t’ose flater. Va, ne me presse pas d’en dire davantage, Meritez l’un et l’autre un si grand avantage ; Et vous faisant au Trône un chemin glorieux, Conduisez tous vos pas où j’ay conduit vos yeux. Je vay vous preparer cette grande victoire. Toy va-t’en à Camille annoncer cette gloire, Et luy faire avoüer l’audace de ton feu. Allons le prévenir pour cet illustre aveu. Se flate qui voudra d’un Trône imaginaire, La faveur d’un grand Roy, les tendresses d’un Pere, Ne sont rien où je vois un Empire à gagner ; Et je préfere à tout le hazard de regner. Que je ressens de joye, Octave, à ton retour! Que j’en augure bien dans cet illustre jour! Tu vois de toutes parts se former l’assemblée Dont la Cour est surprise, et la Ville troublée, Et d’où tu verras naistre un grand évenement. Cependant, cher Octave, apprens moy promptement Ce qu’aux lieux d’où tu viens a produit ta presence. Tu m’as déja mandé par quelle violence, Et sous quelles couleurs la jalouse fureur A détrôné Camille,et détruit sa grandeur ; Et que l’ingrat Roger, pour attenter sans blâme, Décrioit hautement le regne d’une Femme. Dis moy ce qu’a suivy cet indigne attentat ? Roger s’éleve au Trône, arme avec grand éclat ; Mais tousjours menacé de ce Peuple indocile, Au dehors allarmé des forces de Sicile, Doutant mesme des siens ; dans cette extremité Il s’en va sur la Mer chercher sa seureté. Il remplit ses Vaisseaux de Sujets infideles ; Et comme il est mal seur de la foy des rebelles, Voulant s’en asseurer, il s’éloigne du Port, Et les force à chercher la victoire,ou la mort. Il s’avance vers vous, bien moins pour vous surprendre Que pour fuir le péril qu’il court à vous attendre, Voyant que le soldat par vos retardemens Laissoit languir l’ardeur de leurs commencemens. Cependant que Roger s’éloigne de sa Ville, Je m’y montre, j’agis, j’y treuve tout facile. Tout le Peuple ébranlé n’attend qu’un grand éclat, Et tout enfin dépend du succés du combat. Le succés est à nous, sois seur de la victoire ; Et pour t’apprendre enfin le comble de ma gloire, C’est peu d’un Trône, Octave, et l’orgueil de mes voeux Entre mes Fils et moy s’ose en promettre deux : Je destine mon sang au Sceptre de Camille ; Et moy j’ose aspirer à celuy de Sicile. Vous voulez détrôner son legitime Roy ? Oses-tu concevoir ce soupçon contre moy ? Il est temps de t’ouvrir cet important mystere ; Et si pres d’éclater, je ne te doy rien taire. Si dans Naple on couronne un Chef des factieux, Icy regne le sang d’un Pere ambitieux, Qui renversant nos Loix couronne sa famille, Et pour tout dire enfin, fait un Roy de sa Fille. Ciel! que m’apprenez-vous ?         Un secret étonnant; Mais voy combien mon sort est rare et surprenant. La Princesse voulant changer son avanture, Comme j’avois aidé moy-mesme à l’imposture, Je m’appreste à forcer le Peuple à faire un choix, Pour un Trône sans Roy, du seul sang de nos Roys. Ce dessein est hardy.         C’est l’Amour qui m’en presse. L’Amour!         Ce sentiment sied mal à ma vieillesse : Mais aussi que sçait-on si cette passion, Qui me semble l’Amour, n’est point l’ambition. Le Trône jusqu’icy n’a point touché mon ame ; C’est sans doute l’Amour qui fait toute ma flame, Oüy, tout âge est sujet à ce maistre absolu, Et tout cœur peut aimer, quand le Ciel l’a voulu. L’Amour tient sous ses loix toutes nos destinées, Son Empire s’étend sur toutes nos années ; On doit dans tous les temps craindre ses trahisons Et l’Amour est un Dieu de toutes les saisons. Oüy, je veux couronner la Princesse elle-mesme ; Pour redoubler mes soins, j’ose croire qu’elle aime ; Je l’entens m’adresser ces grands mots: souviens-toy Si je regne en ces lieux, que je me dois un Roy. Ce charmant souvenir émeut toute mon ame. Allons la couronner aussi bien que ma flame. Tu connois mon credit, mon pouvoir, mes amis. Un seul trouble me reste en faveur de mon Fils ; Fabrice aime Camille, et je voy que Valere Aspire à sa Couronne aussi bien que son Frere. Fais voir à mon aisné, sans luy rien expliquer, Qu’un Empire apres moy ne luy sçauroit manquer ; Que la faveur du Roy l’attache à sa personne, Et qu’il peut dans ce rang attendre une Couronne ; Qu’il luy sera plus doux de regner apres moy … Mais Camille paroist.         Hé bien, enfin le Roy Va-t’il presser pour moy cette grande victoire ? Par son aveu Fabrice aspire à cette gloire. Et la valeur d’un Roy se repose sur luy. Le Roy, d’un tel Sujet veut faire vostre appuy. Il peut mesme ceder, sans en craindre du blâme, A de pareils Sujets et mon Trône, et ma flame. Fabrice se connoist, et pour ce grand espoir … Qu’il me mette en estat d’user de mon pouvoir. Vous l’aurez tout entier, n’en soyez plus en peine ; Le Roy neglige trop l’interest d’une Reyne ; Et vous sçaurez bien-tost, vous reposant sur moy, Que ma parole icy vaut bien celle d’un Roy. Tu vois qu’à mon party, dans un sort si contraire, J’engage adroitement les Enfans, et le Pere. J’apprens de Federic que Fabrice est pour moy, Valere vient aussi de m’engager sa foy ; Et cette ombre d’espoir que ma bonté luy donne, Inspire à son orgueil l’espoir d’une Couronne. Ainsi l’amour du Roy vous est indiferent. Non, je doy l’avoüer, sa froideur me surprend ; La pitié qu’il me doit, par l’Amour enflamée, Eut vengé doublement une Reyne opprimée : Il sembloit que le Sort qui s’est joüé de moy, Me jettoit de mon Trône entre les bras d’un Roy ; Et qu’il n’ostoit un Sceptre à cette infortunée, Que pour m’en rendre deux par ce grand Hymenée. Cet espoir estoit doux ; mais il le faut quitter, Avec le mesme orgueil que j’ay sçeu l’accepter. A ce grand changement j’ay preparé mon ame ; Je sçavois que l’aveu qu’il me fit de sa flame, Dessus le choix d’un autre avoit un foible appuy ; Son Pere la fit naistre, elle est morte avec luy. Voila ce que je veux que tout le monde sçache : Mais par un sentiment qu’à moy-mesme je cache, Je t’avouë entre nous, que je sens qu’en secret Mon orgueil pour ce coup conçoit quelque regret ; Non de perdre l’amour d’un grand Roy qui me quitte Mais de peur qu’on l’impute à mon peu de merite. Voila dequoy mon cœur se plaint secretement. Il est fâcheux de perdre un si parfait Amant; Et déja dans la Cour on vous croit destinée A l’éclatant honneur d’un si grand Hymenée. Fut-il maistre du Monde, et dans un rang plus haut, S’il ne m’aime, il n’est rien avec un tel defaut. Suffit que deux grands cœurs, et de tout leur courage Et de tout leur credit, daignent me faire hommage. Si l’un est sans amour, il m’offre son appuy ; Pour Fabrice, il m’adore, et j’attens tout de luy. Quoy, Fabrice vous aime ?     Oüy, sa flame est extréme.         Qui vous l’a dit ? Ses yeux m’ont dit cent fois qu’il m’aime. Vous fiez-vous si fort au langage des yeux ? C’est le plus seur langage, et rien ne parle mieux. Mais, Madame, aimez-vous ou Fabrice, ou Valere ? Fabrice dans mon cœur l’emporte sur son Frere ; Mais comme je dédaigne un Roy qui n’aime pas, Un Amant sans Couronne a de foibles appas. Il est vray qu’attachée aux soins de ma Couronne, Dans l’estat malheureux où le Sort m’abandonne, Ma fierté me permet d’engager deux grands cœurs De soûtenir ma gloire, et vaincre mes malheurs ; Et je puis obtenir d’un devoir trop severe, Que je flate les Fils, quand j’attens tout du Pere ; Que je souffre leurs feux, mais sans les ressentir ; Que j’écoute leurs vœux, mais sans y consentir. Aussi pour mieux flater leur esperance vaine, Je veux rabatre un peu cette fierté de Reyne, Et baisser pour ma gloire un rang si glorieux ; Et si trop de respectleur fait baisser les yeux, Avec quelques regards porter dedans leurs ames Une innocente audace à leurs timides flames ; Et sans trahir l’orgueil du rang où je me voy, Aider à leurs soûpirs à venir jusqu’à moy. Mais pouvez-vous flater ou Valere,ou Fabrice, Sans qu’enfin vostre cœur s’oublie, ou se trahisse. Je puis aimer l’un d’eux, sans trop baisser mes yeux ; Je voy dans l’un et l’autre un destin glorieux. Déja par mes bontez l’ambitieux Valere A conceu tant d’espoir … Mais j’apperçoy son Frere ; Tu vas voir si je sçay d’un air assez adroit Faire parler un cœur, quand il aime en secret. Le temps vient, grande Reyne, où le Ciel plus propice Par un puissant secours vous va faire justice ; Par l’aveu de mon Pere, et par l’aveudu Roy, Je me vois honoré de cet illustre employ. Je sçay qu’aupres de vous mon Frere sollicite L’aveu de cet honneur avec plus de merite ; Et sa vertu peut-estre emporte dessus moy Tout ce que j’obtenois et d’un Pere, et d’un Roy. Je n’ay pû refuser mon suffrage à Valere ; Mais vous avez pour vous celuy d’un Roy, d’un Pere, Et s’il m’estoit permis de faire quelque choix, Je resoudrois bien-tost à qui donner ma voix. Mon aveutout entier suit cette noble envie, Et d’un plus doux succés ma disgrace est suivie, Lors que pour remonter au pouvoir souverain Un Héros comme vous me doit prester sa main. Ah! qu’un si digne aveu me va combler de gloire! J’en sens presque déja l’espoir de la victoire : Mais dans ce beau succés puis-je vous declarer Que je tremble des biens que j’en ose esperer ? Oüy, Madame, charmé de l’employ qu’on me donne Et d’aller par ma main vous rendre une Couronne, Je sens naistre au milieu de cet espoir si doux Les mortelles frayeurs de vous voir loin de nous. Quand le Ciel par nos mains mettra fin à vos larmes, Quand un Trône rendu nous ravira vos charmes, Que deviendra Fabrice ? et dans ces tristes lieux Quel charme loin de vous consolera mes yeux ? Vous suis-je en cet estat sans trop de complaisance, Assez chere à vos yeux pour craindre mon absence ? Flaterd’un air si doux celle qu’on veut venger, Fabrice, c’est sçavoir doublement l’obliger. Avec moins de bonté recevez cette plainte ; A des vœux plus hardis imposez plus de crainte ; Reprimez leur audace, et ne m’arrachez pas L’aveu de ce qu’on craint, quand on perd tant d’appas. Ah! je sens qu’à ce cœur qui n’ose vous déplaire, Ces yeux vont dérober un aveu temeraire. Armez les, ces beaux yeux, de toutes leurs fiertez. Hé ne voyez vous pas, qu’aupres de ces bontez Ce cœur audacieux va tomber dans le crime ? Retenez mes desirs sur le bord d’un abyme. Je sens par ce regard mes respects ébranlez ; J’y tombe, c’en est fait, puis que vous le voulez. Madame, le voilà cet Amant miserable, Tombé par vos bontez dans un crime effroyable ; Son cœur, ce triste cœur, soûpiroit en secret ; Il estoit malheureux, mais il estoit discret ; Et pour comble aujourd’huy de son malheur extréme, Il devient criminel en avoüant qu’il aime. Faites, faites justice à ses temeritez, Sans y considerer l’effet de vos bontez ; Ou pour les achever, perdez ce temeraire, Madame, il aime mieux et mourir, et se taire, Qu’adorer sans espoir toute la majesté Que jettent à la fois le Trône et la Beauté. Quoy, cette majesté desespere Fabrice! Le Trône et la Beauté n’ont rien qui m’ébloüisse ; Il est trop pres du Trône, et la Cour de ces lieux Aux plus grandes Beautez accoustume ses yeux. Vous avez tort de craindre avec tant d’avantage ; Et songez, pour en prendre un peu plus de courage, Que l’amour de Fabrice est heureux en ce poinct, Qu’une Reyne le sçait, et n’en murmure point. O Miracle d’amour, que l’Amour n’ose croire! Belle temerité, qu’a suivy tant de gloire! Mais mon Frere paroist.         A ce beau mouvement Je reconnois l’espoir d’un bienheureux Amant. D’où vient ce beau transport qui dans vos yeux éclate ? D’un peu d’espoir, mon Frere,un malheureux se flate. Vous vous flatez sans doute, apres ce qu’on m’a dit ; A ces douces erreurs donnez moins de credit. Je sçay que vous avez l’honneur de son suffrage. Vous pretendez sans doute un plus grand avantage. Moy, je ne prétens rien.         Vous faites le discret ; Et sous cet air modeste on triomphe en secret. Vous voulez me surprendre, et tenter ma foiblesse. Camille l’a pû faire, elle a beaucoup d’adresse. Je croy quand il luy plaist qu’elle n’en manque point, Mais nous serons bientost éclaircis sur ce poinct. Il faut que cet espoir abuse l’un ou l’autre. Avec mon peu d’espoir je vous laisse le vostre. Quel que soit cet espoir que vous m’osez vanter, C’est en dire un peu trop à qui peut vous l’oster. Gardez plus de respect à ce double avantage Que me donnent sur vous et mon rang et mon âge. Si de deux Fils mon Pere ose faire deux Rois, Regnez, si vous pouvez, mais laissez m’en le choix. Un Sceptre s’offre à moy dans l’hymen d’une Reyne ; Et son amour n’est pas ce qui me met en peine. Separez, s’il se peut, sa Couronne et son cœur ; La seule ambition fait toute mon ardeur. Aimez, je veux regner, vous regnez par un autre, Mon Pere m’offre un Trône, et ce sera le vostre. J’attache mes desirs à celuy que je voy, Et ne hazarde point la gloire d’estre Roy. Ah! cruel, ce n’est pas l’éclat d’un Diadéme Qui charme mes desirs, c’est Camille que j’aime ; Je ne veux que son cœur, et l’espoir de regner, Au prix de sa conqueste, est trop à dédaigner. Ah! si vous connoissiez la grandeur de ma flame, Et les belles ardeurs qui regnent dans mon ame … Ah! si vous connoissiez quelle est la passion D’un cœur qui fait regner la noble ambition, Quelle est l’avidité d’une grande victoire, Quel est l’amour du Trône, et celuy de la gloire ; Vous ne m’enviriez pas l’ambitieux employ Qui m’offre une victoire, et le titre de Roy. Ces desirs ont-ils rien de si grand que ma flame ? Rien n’égale l’ardeur qui consume mon ame. La Terre a plus d’un Trône où vous pouvez regner ; Mais elle n’a qu’un cœur que je veüille gagner. Naples est le seul Trône où j’ay lieu de pretendre. On vous en promet un que vous pouvez attendre. Gardez, gardez pour vous ces belles visions; Cedez tout vostre espoir à ces illusions ; Mais c’est trop contester ; si vous m’estes contraire, Sçachez que je perdray toute l’amour d’un Frere ; Et cette ambition dont vous estes jaloux, Commencera sa gloire à triompher de vous. Je sçay quel est le rang qu’un Monarque vous donne ; Mais quel qu’il soit enfin, il n’a rien qui m’étonne. Sçachez que j’ay du cœur autant que j’ay d’amour, Et que pour me l’oster, il faut m’oster le jour. Ce cœur qui vous paroist foible par sa tendresse, Ignore ce que c’est que crainte et que foiblesse ; Et le vostre sçauroit, s’il aimoit comme moy, Qu’un grand amour peut tout, quand il agit pour soy. Nous verrons si le Roy vous souffre tant d’audace. J’ay de vostre crédit prévenu la menace : Ouy, mon Frere, et sçachez que j’ay l’aveu du Roy ; Je ne m’en vantois point, Camille estant pour moy. Son aveu me suffit pour n’avoir rien à craindre. Nous verrons qui de nous aura lieu de se plaindre. Il vient.         Quels differens s’agitent entre vous ? Fabrice transporté d’un aveugle courroux, Est devenu si fier par la faveur d’un Pere, Qu’il m’ose disputer tout le bien que j’espere. Fabrice, sçavez-vous jusqu’où va la fureur, Qui s’en prend à l’objet de toute ma faveur ? C’est s’en prendre à moy-méme; et si le nom de Frere Vous permet de manquer de respect à Valere, Considerez son rang, sa gloire, et son appuy. Mais quel ressentiment vous aigrit contre luy ? Seigneur, je reconnois le bonheur de Valere. Mais quand j’ay vostre aveu, quand j’ay celuy d’un Pere, Est-ce avec ce secours manquer à mon devoir, De soûtenir mes droicts contre tout son pouvoir ? M’avez-vous pas, Seigneur, accordé la licence De regarder Camille avec quelque esperance ? Luy vanter cet espoir, c’est vanter vostre aveu; Et c’est prendre de vous l’audace de mon feu. Pourquoy veut-il ravir à mon amour extréme La gloire de servir une Reyne que j’aime ? Mes soûpirs avoüez m’imposent cette Loy ; Et son orgueil jaloux murmure contre moy. L’impatiente ardeur d’une ame ambitieuse A toutes vos bontez devient injurieuse ; Et cherchant sur le Trône un peu plus de grandeur, Il se veut dérober à toute sa faveur. Est-ce par ce motif que Valere s’emporte ? Cherche-t’il à regner, et d’une ardeur si forte, Qu’il expose aux périls d’un combat incertain Le prétieux bonheur qu’il tient dedans sa main ? Laisse à ton Frere un soin pour luy si plein de charmes, Et daigne m’épargner de mortelles alarmes. Regne avec moy, Valere, et calme ce transport Qui met tout ce que j’aime entre les mains du Sort. Quoy, vous aussi, Seigneur, d’accord avec mon Pere, Vous estes aujourd’huy contre moy pour mon Frere ? Je vous verray former le glorieux projet D’honorer d’un employ la valeur d’un Sujet ; Je verray tout l’espoir d’une grandeur certaine, Un Empire asseuré dans l’Hymen d’une Reyne ; Je verray tant de gloire ; et vous voudriez, Seigneur, Laisser à mon esprit échaper tant d’honneur ? Seigneur, est-ce m’aimer ?         Ah! Valere , je t’aime, J’en atteste le Ciel beaucoup plus que moy-méme. Veux-tu quitter un Roy qui t’a mis dans son cœur ? Luy qui t’a revestu de toute sa faveur, Et t’a presque accablé de sa magnificence ? Quelle amitié jamais eust plus de violence ? Que faut-il faire encor pour te la témoigner ? Aimer moins mon Rival, et me laisser regner. Je le voy bien ingrat, vous adorez Camille ; Les beautez, les grandeurs de la Cour de Sicile, Ne sçauroient arrester ce cœur ambitieux ; Une Reyne a charmé vostre cœur, et vos yeux. Voulez-vous estre Roy ? que vous faut-il pour l’estre ? De mon rang, de mon cœur, n’estes vous pas le maistre ? Pour un espoir douteux qui charme vos desirs, Me voulez-vous couster d’eternels déplaisirs? Ah! je voy dans ces yeux cette ardeur infidelle, L’ingrate avidité d’une grandeur nouvelle. Hé bien, brûle à jamais de cette passion, Donne-toy tout entier à ton ambition, Je te feray regner, puis que c’est ton envie ; Je te feray regner sans hazarder ta vie, Donne-moy seulement le temps d’agir pour toy. Et cependant mon Frere ira se faire Roy. Pardonnez ces transports dont la chaleur vous blesse, Aux vœux impétueux d’une ardente jeunesse. Rien ne peut égaler l’amitié de mon Roy : Mais quand vostre faveur m’oste un si grand employ, Puis-je estimer l’honneur d’une si haute place, Et croire que l’on m’aime apres cette disgrace ? Hé bien, ambitieux, abandonnez ma Cour ; Fuyez vostre bonheur, mes yeux, et mon amour. Soûpirez pour le Sceptre, et le cœur de Camille, Mais ne vous flatez pas d’un espoir inutile : Fabrice, c’est à vous que je rens cet espoir. Ah! Seigneur.         C’est assez. Vous cessez de me voir, Je ne veux plus rougir de vostre ingratitude. Il fuit, et m’abandonne à mon inquietude. Et vous l’allez reduire au dernier desespoir. Que ne se resout-il à faire son devoir ? Madame, est-ce y manquer, quand son grand cœur l’entraine Au glorieux espoir d’acquerir une Reyne ? Je souffre à ce grand cœur le desir de regner ; Mais ce cœur à l’Amour se peut laisser gagner ; Il peut aimer Camille, et souffrir dans son ame, Avec l’amour du Trône, une si belle flame. Va suivre cet ingrat pour calmer mes ennuis, Dis luy tout mon amour, et tout ce que je suis ; Va pour finir son trouble, aussi bien que ma peine, Opposer une Reyne à l’espoir d’une Reyne. Moy, que j’aille à ses yeux trahir vostre secret ? Hazardez vostre rang.         Non, Valere est discret. Mais enfin ce secret peut sortir de son ame. Il peut aimer Camille en ignorant ma flame. Hazarde ma fortune, et mets ma flame au jour ; On peut vivre sans Trône, et non pas sans amour. Mais sans Trône avez-vous dequoy charmer Valere ? Helas! pour mon amour enfin que faut-il faire ? Consultez Federic, Madame, c’est à luy D’estre de vostre sort et l’arbitre et l’appuy. Va donc à Federic ouvrir toute mon ame. Qu’on ne ménage rien pour secourir ma flame ; Moy je vay de Valere appaiser la douleur, Empescher son depart, luy rendre ma faveur. Federic fait pour vous une brigue puissante ; Craignez le contretemps d’une ardeur trop pressante. Pour les périls du rang cesse de m’alarmer; S’il est doux de regner, il est plus doux d’aimer. Que me dis-tu ?         Seigneur, c’est Valere qu’elle aime. Son extréme couroux marque une amour extréme. Mais que ne peut oser cet amoureux transport, Puis qu’elle t’a fié le secret de son sort ? Elle a pû sans péril m’en faire confidence ; Et j’ay trop d’interest à garder le silence. Elle a pû tout fier à ta fidelité ; Mais il faut plus de force, et plus de fermeté, Quand par le seul secret on garde un Diadéme. On peut mal-aisément se taire, quand on aime. Que ne préfere-t’elle un Trône à son amour ? Mais puis que ce secret s’en va paroistre au jour … Il n’est pas encor temps ; et l’ingrate Princesse Me devoit consulter plustost que sa tendresse. Mais si nostre Princesse a trahy son secret. Va prévenir l’effet d’un amour indiscret. Dis luy que j’auray soin d’en instruire Valere, Mais d’un air qui pourra l’obliger à se taire. Mais Seigneur …         C’est assez ; dis luy que cet amour Bien-tost aux yeux de tous pourra paroistre au jour ; Et qu’elle oppose enfin à tant d’impatience Le péril où sa flame expose sa puissance. Qu’est-ce cy, Federic ? ce n’est donc pas pour toy, Ce n’est que pour ton Fils qu’on veut choisir un Roy. Pour un autre que moy la Princesse soûpire ? J’ay couronné son Sexe, abuse tout l’Empire, J’ay trompé tout l’Estat pour la faire regner ; Et j’auray la douleur de m’en voir dédaigner. Me croit-elle à ce poinct imprudent et facile, Que de luy conserver le Sceptre de Sicile, Et la mettre en estat dans ce rang souverain, De choisir un Monarque en luy donnant la main ? Non, non, regnons, mon Sexe a droict à la Couronne, Et sur tout autre enfin la force me la donne : Amour trahy, soustiens mon indignation, C’est pour toy que mon cœur a de l’ambition. Quelle secrete voix reproche à ma memoire L’ingrat oubly d’un Roy qui m’a comblé de gloire ? Grand Roy, je t’ay juré de conserver ton rang Malgré l’horreur du Sexe, aux restes de ton sang. Oüy ton sang regnera ; mais puis qu’il me dédaigne, Voulant m’en faire aimer, souffre aussi que je regne. Voulant m’en faire aimer! helas déja son cœur Soûpire, et pour mon Fils soûpire avec ardeur. Tu sçais, sans y penser, trop aimable Valere, Te bien venger du choix que j’ay fait pour ton Frere. Octave, sçais tu bien …     Quoy, Seigneur         Qu’un moment Renverse mon espoir.         D’où vient ce changement ? La Princesse a conceu de l’amour pour Valere. Voila ce que m’apprend l’éclat qu’il vient de faire. Octave, m’a-t’il dit, j’ay tout ce que je veux, Ma fortune est changée, et je suis trop heureux. Il me quitte à ces mots tout brillant d’allegresse. Je venois de le voir accablé de tristesse, Quand pour vous obeïr j’ay pressé son devoir ; Je l’avois veu reduit au dernier desespoir, Murmurant contre vous, contre un Roy, contre un Frere. L’amour de la Princesse, un Trône qu’il espere, Ont calmé ses ennuis, et font voir dans ses yeux Les superbes transports d’un espoir glorieux. Nous pouvons nous tromper ; mais sur cette apparence Que pouroit vostre Fils contre vostre puissance ? Veux-tu que contre un Fils, pour garder mon espoir, Je me serve en Tyran d’un absolu pouvoir, Et que j’aille forcer le cœur de ma Princesse ? Hé bien, Seigneur, regnez ; obligez sa tendresse De s’attacher au choix d’un Amant couronné. L’Amant qu’on aime ainsi, le crois-tu fortuné ? Hé bien, regnez sans elle, et devenez son Maistre. Ah! je hay trop les noms de parjure et de traistre, Le feu Roy m’engagea d’un serment solemnel De conserver sa Fille au Trône paternel ; Et sans jetter sur moy l’horreur d’un infidelle, Je ne puis sur son Trône oser regner sans elle. Je ne vois donc, Seigneur, qu’un moyen à tenter : Découvrez vostre amour, il est temps d’éclater, Appliquez tous vos soins à gagner la Princesse : Peut-estre que Valere ignore sa tendresse ; Elle a le cœur trop bon, pour ne la cacher pas. Qu’un Amant de mon âge a de foibles appas, Et qu’un Fils est puissant contre l’amour d’un Pere! Il faut en cet estat n’aimer plus, ou se taire. Mon cœur aimant un choix qu’il ne sçauroit charmer, Ne rougit qu’en secret de la honte d’aimer. Pour sauver mon orgueil de cette honte extréme, De n’estre pas aimé, quand j’avoûray que j’aime, Je veux me faire aimer sans declarer mon feu, Ou de tant de grandeur soûtenir mon aveu, Que tout ce qu’a d’appas la plus belle jeunesse, Cede au solide éclat d’une illustre vieillesse. Faites vous promptement un sort si glorieux. Levons auparavant l’obstacle de mes vœux ; Et rendant à Valere un espoir plus facile, Ostons-le à la Princesse, en luy donnant Camille. Que Fabrice en murmure, on ne ménage rien Pour l’interest d’un choix aussi beau que le mien. Voicy Valere : ô Ciel! que sa joye est extréme! Ah! je voy bien qu’il sçait que la Princesse l’aime. Hé bien, mon Fils, le Ciel a changé vostre sort. Vous le pouvez juger,Seigneur, à mon transport. Le cœur comblé de joye, et de reconnoissance, Je viens mettre à vos pieds toute mon esperance. D’un lieu qui m’est bien cher je prens un bien si doux ; Mais il est imparfait, s’il ne me vient de vous. Au moment que j’ay crû ma disgrace certaine, On me rend tout d’un coup tout l’espoir d’une Reyne. D’une Reyne! mon Fils, bas. Elle a tout révelé, Octave, et qui pis est, son amour a parlé. Voyez par ce billet si j’ay lieu d’y pretendre. De mon transport jaloux je ne me puis defendre. J’espere vostre aveu, quand j’ay celuy du Roy. Du Roy, mon Fils ? tu peux tout esperer de moy. Valere, ma tendresse a surmonté ma haine ; Garde mesme credit, mesme rang dans ma Cour ; Et pour te faire voir jusqu’où va mon amour, Aspire hardiment à celuy d’une Reyne ; Mais fais que Federic avant la fin du jour Mette fin à ma crainte aussi bien qu’à ta peine. La Princesse à mon Fils se promet elle-méme, C’est le sens du billet ; voy son amour extréme. Le Roy me rend Camille, achevez mon bonheur. L’apparence le trompe, achevons son erreur. Puis que le Roy le veut, aime, espere Camille. Oüy, mon Fils ; et c’est peu d’estre grand en Sicile, Il faut regner dans Naple, et sur un revolté Venger l’honneur du Trône, et de la Majesté. Je vay tout disposer pour haster ta victoire. Ton Frere seul te peut envier tant de gloire : Mais enfin ton aisné doit avoir cet employ ; Il pourra commander sous ton ordre, et sous moy. Toy pour venger Camille, et punir un rebelle, Par de nobles motifs embrasse sa querelle ; Aime, adore une Reyne ; et contre son malheur, Par les soins de l’Amour, excite ta valeur. Que j’adore une Reyne! à ce seul mot mon ame Se sent toute embraser d’une si belle flame : Un cœur ambitieux peut-il aimer ailleurs ? Et peut-il concevoir de plus nobles chaleurs ? Mais quel trouble impréveu confond mon esperance ? Ce que m’offre mon Pere est-il en sa puissance ? Si Camille aime ailleurs, si mon Frere est aimé, Que deviendra l’espoir dont mon cœur est charmé? Plus je semble approcher du Trône que j’espere, Plus je sens le péril d’un espoir temeraire. Mais le Roy vient. Allons embrasser ses genoux, Et réverer la main qui m’offre un bien si doux. Federic m’a promis d’en éclaircir Valere. Ah! Seigneur, se peut-il …         Excuse ma colere, J’ay crû que satisfait de toute ma faveur, Tu devois renoncer à tout autre bonheur : Mais je connoissois mal le destin de Valere, Et ma tendre amitié songe à te satisfaire. Mais dis-moy, tout remply de cette ambition, Ton grand cœur blâme-t’il toute autre passion ? Ta fierté croit honteux lejoug d’une Maistresse, Traitte l’Amour d’enfant, ses transports de foiblesse L’orgueil d’un honeste homme, et sur tout dans la Cour Peut compatir, Valere, avec un peu d’amour : L’Amour se vengera de cette indiference. J’ignore encor, Seigneur, jusqu’où va sa puissance ; Et peut-estre l’orgueil dont on m’ose blâmer, Peut luy seul me defendre, et m’empescher d’aimer. J’ay de l’ambition, Seigneur, je vous l’avouë ; Et c’est vostre faveur qui fait que je m’en louë. Elevé par vos soins au faiste des grandeurs, Je croy par cet orgueil honorer vos faveurs : Plein de cette fierté j’aspire au rang supréme, Je ne puis rien aimer au dessous de moy-méme ; Et je croy dans le rang où m’éleve mon Roy, Que tout choix est trop bas s’il n’est plus haut que moy. Cependant au milieu d’une belle esperance Je ne sçay quelle peur m’en oste l’asseurance ; Et quand j’ose pousser d’ambitieux soûpirs, Je sens qu’elle rabat le vol de mes desirs. Vous n’aviez pas tantost ces scrupules dans l’ame ; Vous avez crû pouvoir justement, et sans blâme, Contre mes sentimens demander un employ Qui promet une Reyne, et le titre de Roy. Maintenant, si tantost j’estois trop temeraire, Je voy mieux la grandeur du bonheur que j’espere ; Soûtenu par mon Pere, et par vous, mon espoir Frappé d’un si haut rang, n’ose se faire voir. Valere a donc appris le secret de son Pere ; Parlez enfin, parlez ; expliquez-vous, Valere. Mais, Seigneur …         Ah! c’est trop se contraindre tous deux, Vous sçavez qui je suis, et je connois vos vœux. Mais ne sçavez-vous pas que mon audace extréme … Esperez tout de moy, d’un Pere, et de vous-méme. Appuyé de l’aveu de vostre Majesté, Dois-je croire mon Pere, et ma temerité ? N’est-ce point me flater d’un espoir inutile, De pretendre au bonheur d’estre aimé de Camille ? Quoy, vous aimez Camille ?         Oüy, je l’aime, Seigneur. O d’un espoir trompé trop sensible douleur! Seigneur.         Allez, ingrat, indigne de ma grace. Ambitieux, Amant, vous avez mesme audace. Quoy, cet ordre si doux écrit de vostre main ? A-t’il dû me laisser un espoir incertain ? Aspire hardiment à l’amour d’une Reyne, Ces mots m’ont-ils flaté d’une esperance vaine ? Oüy, lors que vous rendez tout mon espoir confus, Si ce billet fut vray, sçachez qu’il ne l’est plus. Vous perdez tout, ingrat, en adorant Camille : Tous les biens que le Ciel vous gardoit en Sicile, Tout ce que vous avez de grandeur dans ma Cour, Tout a péry pour vous par cet indigne amour. Quoy, mon amour est-il digne de tant de haine ? Ne m’ordonniez-vous pas d’esperer une Reyne ? Non, je vous le deffens ; et mon juste transport Hait vostre ingratitude à l’égal de la mort. Pour vous plaire, Seigneur, que faut-il que je fasse ? Renoncer à Camille, et meriter ma grace. Aimez-vous la Beauté dont mes yeux sont charmez? Je la hay, je vous hays autant que vous l’aimez. Quel est donc ce transport que je ne puis comprendre ? Cruel, c’est ton amour qui ne veut pas l’entendre : Mais pour confondre enfin ton ingrate froideur, Il faut t’ouvrir moy-méme et mon sort et mon cœur. Sçache donc que je suis …         Helas! qu’allez-vous faire ? Tu ne le sçais que trop ; sors, et fuis ma colere. Seigneur, écoutez moy.         Non, je n’écoute rien. Laissez-moy.         Ciel! quel sort est comparable au mien ? Voy quel est de mon sort l’injurieux caprice ; Ce billet que j’ay crû me rendre un bon office, Authorise Valere à trahir mon espoir. Pour l’entendre sçait-il tout ce qu’il faut sçavoir ? Peut-estre Federic cache encor ce mystere. Tu m’as dit qu’il devoit l’expliquer à Valere. Sans doute qu’il le sçait, et feint de l’ignorer, Pour adorer Camille, et me la préferer. Afin de le convaincre, allons faire paroistre Un destin que l’ingrat feint de ne pas connoistre. Gardez-vous bien encor de l’aller mettre au jour, C’est avec vostre rang exposer vostre amour : Vostre Trône en péril, vous hazardez Valere. Quoy, tousjours se cacher, soûpirer, et se taire ? C’estoit peu que mon rang contraignit mes soûpirs, L’Amour mesme s’oppose à ses propres desirs. Esclave d’une gloire à mon amour fatale … Ne voy-je pas passer ma superbe Rivale ? Venez, venez vanter le pouvoir de vos yeux, Valere a ressenty leurs traits victorieux. Vous me l’ostez, Madame, et quand ma main s’apreste D’aller de vos mutins dissiper la tempeste, D’aller mettre à vos pieds vos cruels ennemis, Vous m’ostez le repos que je vous ay promis. Est-ce pour m’arracher le seul bien où j’aspire, Que le Ciel en couroux vous dérobe un Empire ? Je perdray plus par vous que vous n’avez perdu ; Si vous perdez un Sceptre, il vous sera rendu ; Et pour vous consoler d’un destin si contraire, Vous regnez cependant sur le cœur de Valere. Vous parlez en Amante au lieu d’agir en Roy. Les transports de mon Sexe échapent malgré moy : Mais forçons la fureur dont mon ame est saisie. Le Roy m’aimeroit-il ? tu vois sa jalousie. Feignant d’aimer Valere, irritons son amour. Madame, triomphez au milieu de ma Cour : Joüissez de ma peine, et de vostre victoire ; Mais au moins gardez-vous d’oublier vostre gloire ; Escouter un Sujet, c’est descendre trop bas ; Et c’est mal ménager l’honneur de tant d’appas. Devenez-vous si-tost à vous-méme contraire ? Vous vantiez ma conqueste, et l’amour de Valere Vous sembloit racheter la gloire de regner. Vous paroist-il si-tost un choix à dédaigner ? J’ay d’abord oublié l’orgueil du Diadéme, Ce que je dois au Trône, à ma gloire, à vous-méme : Mais pour me rendre enfin tout ce que je me doy, Je change de langage, et je vous parle en Roy. Je me sens obligé d’advertir vostre gloire De ne se flaterpas d’une indigne victoire : Je rougirois pour vous, si Valere aujourd’huy Vous faisoit foiblement descendre jusqu’à luy. Vous prenez trop de soins, et leur excés m’étonne; J’ay crû qu’ils se bornoient au bien de ma Couronne Mais à ce que je voy cette nouvelle ardeur S ’interesse à ma gloire autant qu’à ma grandeur. Songez que quand le Sort m’oste le rang supréme, Je doy porter mes yeux plus bas qu’un Diadéme ; Je l’ay fait, et j’y treuve un choix digne de moy, Et dequoy me venger de la perte d’un Roy. Valere peut toucher la vertu la plus fiere, Et du rang Souverain l’orgueil le plus severe Ne s’empressa jamais à demander des Rois, Quand un si grand Héros se presente à son choix : Elever jusqu’à nous un merite sublime, Faire un Roy d’un Sujet, ne fut jamais un crime ; Et j’aime mieux un choix, à qui l’on sert d’appuy, Que s’il falloit monter pour aller jusqu’à luy. Si vous vantez si fort cette belle victoire, Vous vous ferez sans doute envier tant de gloire. On peut me l’envier, mais non pas me l’oster. Une Reyne s’appreste à vous la disputer. Cette Rivale encore ne nous est pas connuë. Vous la verrez bien-tost forcer sa retenuë, Et contre vos appas essayer son pouvoir. Mais il est temps enfin qu’elle se fasse voir. Elle se fera voir trop tost pour vostre gloire. Si vous la secondez à m’oster ma victoire, J’ay du moins la douceur de rendre un Roy jaloux. Je le suis, il est vray, mais ce n’est pas de vous. Je suis jaloux d’un Homme à l’Estat necessaire ; Je veux garder pour moy tout le cœur de Valere, L’attacher à mon Trône, et l’interest d’autruy Ne doit pas m’arracher ce glorieux appuy. Hé bien, pour le garder avecque moins de peine, Sauvez-le promptement des charmes d’une Reyne ; Eloignez moy d’icy pour ne hazarder rien, Et servez vostre Trône, en me rendant le mien : Aussi bien l’ennemy commence de paraistre, Et vous devez enfin aller punir un traistre. Je voulois tout devoir à vos illustres soins; Mais grace à mon destin, je vous doy beaucoup moins ; Mon depart vous importe, et ces yeux qu’on méprise, De vostre cher Valere enlevant la franchise, Vous menacent au moins, tandis qu’on me retient, D’oster à vostre Trône un bras qui le soustient. Vous voyez qu’elle agit en Amante en colere : Vous, feignez de l’aimer en Rival de Valere ; D’une Reyne en couroux l’ambitieux desir, Entre un Sujet et vous, sçaura bien-tost choisir ; Poussez de feins soûpirs, versez de fausses larmes, D’un Amant comme vous elle a senty les charmes. Lors que vous la verrez pour vous se declarer, A Valere irrité vous pourrez vous montrer : Pour gagner son amour ce moyen est facile. Soyons donc la Rivale, et l’Amant de Camille, Servons un feu caché par de fausses amours. Amour, fais reüssir ce bizarre secours ; Si ma feinte à Valere oste une grande Reyne, Ne punis pas au moins ma flame de sa haine. La Princesse s’obstine à conserver un choix Que Camille a surpris, et retient sous ses loix. Laissez à vostre Fils la gloire de luy plaire. J’aime encore mon amour un peu plus que Valere. Quelques soins que le sang m’inspire pour un Fils, Que peut-il sur un cœur que l’Amour a surpris ? C’est luy qui l’a remply de toute sa tendresse ; J’attache tous mes soins à gagner la Princesse. Si mon âge déplaist à des yeux si charmans, Couvrons sous ma grandeur l’horreur de mes vieux ans ; Et voyons si ces traits, qu’impriment les années, Déplaisent sur le front des Testes couronnées. La jeunesse, Seigneur, plaist à de jeunes yeux. Un vieux Roy peut toucher des cœurs ambitieux. Allons par ma presence achever l’assemblée ; La Princesse en doit estre et surprise et troublée ; Elle croit que je veux, avant tout autre effort, Aller venger Camille, et relever son sort : Mais changeant de dessein, je connoy pour ma gloire, Qu’estant Roy, j’auray plus de part à la victoire ; Que ce delay pourrait trahir tout mon dessein, Et que tout est facile avec un Sceptre en main. Mais regnant, au feu Roy vous estes infidelle, Il faut que la Princesse …         Et c’est aussi pour elle Que je songe à regner, et conserver la foy Du serment solemnel qu’il exigea de moy. Loin de vouloir regner par une perfidie, A peine un Trône offert me feroit quelque envie : J’ay vieilly dans les soins du Trône et des grandeurs. Je suis las de la pompe, et fatigué d’honneurs ; Ces titres éclatans n’ont rien qui m’ébloüisse. Apprens que Federic … Mais que me veut Fabrice ? Ah! Seigneur, est-ce ainsi qu’on traitte mon amour ? C’estoit peu que Valere esperât à son tour ; Ce Roy qui me flatoit, et trompoit ma tendresse, Rallume ses soûpirs aupres de la Princesse. Contre l’amour d’un Roy que peut faire le mien ? Je te le dis encor, Fabrice ne crains rien. Enfin pour ton repos je n’ay qu’un mot à dire ; Je suis Pere, je t’aime, et cela doit suffire : De Valere et de toy les vœux sont trop ardens, Laisse faire à Camille, à Federic, au temps. Toy va faire ta Charge, et te rens à l’Armée ; Suspens tous les soucis d’une amour allarmée; Avant la fin du jour tu pourras tout sçavoir : Le temps me presse, adieu ; Va, songe à ton devoir. Va, songe à ton devoir. Helas! ay-je dans l’ame Un soucy si pressant que celuy de ma flame ? Quel devoir m’est plus cher que ce tendre devoir ? Pourquoy me flatiez-vous d’un inutile espoir, Pere et Roy trop cruels ? Si j’estois temeraire, Si j’aspirois trop haut, mon cœur sçavoit se taire ; Et mon juste respect d’un silence eternel Punissoit en secret un amour criminel. Pourquoy m’arrachiez-vous à ce profond silence ? Je ne me plaignois pas d’aimer sans esperance. S’il vous estoit permis, cruels, de m’en flater, Pensez-vous qu’il le soit aussi de me l’oster ? Et vous, dont la bonté trop sensible à ma peine … Mais je la voy venir.         Vous voyez, grande Reyne, Un malheureux Amant tout d’un coup renversé De ce Trône de gloire où vous l’aviez placé. Heureux par vostre aveu, malgré l’espoir d’un Frere, Ravy de vos bontez, et de celles d’un Pere, Accablé de bonheur, je n’en puis retenir Que la seule memoire; et c’est pour m’en punir. Je soûtenois trop mal un espoir trop sublime, Le Roy, qui m’en flatoit, a reconnu son crime ; D’un remors amoureux tous ses sens transportez, J’ay veu ce grand Monarque adorer vos beautez. Cet excés étonnant d’ardeur et de tendresse Dans ce prompt changement étonne ma foiblesse ; Et surpris d’un retour qui vous est glorieux, J’admire en soûpirant le pouvoir de vos yeux. J’ay bien crû que Fabrice en prendroit quelque allarme; Mais pensez-vous qu’un Roy, d’un soûpir, d’une larme, Que laissent échapper d’inconstantes ardeurs, Efface tout d’un coup ses ingrates froideurs ? Un si tendre retour a droict de me surprendre ; Mais mon cœur s’en defend, et je viens vous l’aprendre. Ces bizarres transports, cette inégalité, M’asseurent mal d’un feu dont j’ay tousjours douté. Ah! c’est trop me flater dans ma trop juste crainte ; L’amour de ce grand Roy ne vient point de la feinte ; Et c’est trop de bonté, de vouloir à mes feux Déguiser par pitié la gloire de vos yeux : Mais en vain vous voulez dissiper mes allarmes; Madame, je connois le destin de vos charmes: Rendez, rendez au Roy toute vostre amitié; Vous me donnerez trop, si j’ay vostre pitié. Du moins dans mon malheur j’auray cet avantage De m’attacher à vous par un double esclavage ; Ma flame et mon devoir n’ayans qu’un mesme objet, L’un vous donne un Captif, comme l’autre un Sujet. Madame, quelquefois de ce Trône adorable Daignez jetter les yeux sur ce cœur miserable ; Et sans que vostre amour puisse rougir du sien, Souffrez luy des soûpirs qui n’aspirent à rien. Florise, sa douleur a pour moy tant de charmes, Que mon orgueil est foible à retenir mes larmes. Ah! Fabrice, c’est trop, cachez moy des douleurs Plus fortes sur mes sens que mes propres malheurs. C’est vous en dire assez ; et le sort qui m’outrage M’oste la liberté d’en dire davantage. Graces à mes malheurs, j’en suis trop glorieux, Puis qu’ils ont fait sortir des pleurs de ces beaux yeux ; Puis qu’à mes déplaisirs ma Reyne s’interesse, Au moins le Roy n’a pas toute vostre tendresse. C’est assez, et c’est trop pour cet infortuné ; Par ce trait de pitié que vous m’avez donné, Vous avez de mes maux calmé la violence ; Malgré mon desespoir, j’en prens quelque esperance ; Et sans examiner quel est ce foible espoir, Je vay pour vous servir me rendre à mon devoir. Quoy qu’il puisse arriver, au moins j’auray la gloire De servir mon amour, d’aider vostre victoire, Et peut-estre d’avoir un destin assez doux, Que de vous rendre un Trône en expirant pour vous. J’ose au moins esperer sur la foy de vos larmes, Que si ma vie enfin tombe parmy les armes, Ces beaux yeux qui déja pleurent mon triste sort, Donneront une larme au recit de ma mort. Adieu, Madame.         Adieu. Si le Ciel, cher Fabrice, Exauce tous mes vœux, il vous fera justice. Quoy, ce cœur qui tantost sembloit si genereux, Va quitter pour Fabrice un Monarque amoureux, Et dement tout d’un coup l’orgueil d’une Princesse ? Je doy te l’avoüer ; Fabrice a ma tendresse, Et sans ce fier orgueil qui contraint mes desirs, Le genereux Fabrice auroit tous mes soûpirs : Mais quelque instinct pour luy que mon astre me donne, Tousjours mon premier soin se doit à ma Couronne. Pour regagner ma place, il faut aux yeux de tous, Que mon cœur pres du Roy force un penchant si doux ; Et que mon Trône à bas, qu’un Tyran me dispute,     Employe un autre Trône à relever sa chute. Destin, pour me venger des maux où je me voy, Que n’as-tu mis Fabrice à la place du Roy ? Ou puis qu’enfin un Roy m’en doit faire justice, Que ne luy donnes-tu tout l’amour de Fabrice ? Le Roy vient de montrer une si belle ardeur. Tu vas voir à ses feux succeder sa froideur. Non, non ; mais vous verrez si pres d’une victoire, Qui vous va rendre un Sceptre, et toute vostre gloire, Son amour menacé de vostre éloignement, S’éveiller, s’empresser dans ce fatal moment, Et voulant s’épargner le déplaisir extréme … Mais le voicy qui vient vous l’expliquer luy-méme. Madame, je reviens ou toucher vostre cœur, Ou mourir à vos pieds d’amour et de douleur. Quand contre vos mutins pressant vostre vengeance, Je vay vaincre, et vainqueur craindre pour vostre absence, Pour retenir un bien dont mon cœur est jaloux, Mon cœur laisse échaper tout ce qu’il sent pour vous. J’atteste de l’Amour la puissance supréme, Que rien n’est comparable à mon ardeur extréme : Que ce Dieu de nos cœurs tient sous vostre pouvoir Tout mon sort, tout mon bien, et mon plus doux espoir. Vous estes tout l’appuy de ce cœur miserable ; Le Dieu de mon amour est-il impitoyable ? Et fera-t’il périr l’espoir de mes desirs, Le fruit de tant de maux, et de tant de soûpirs ? Florise, j’aurois tort de douter de sa flame. Ah! si vous connoissiez les tourmens de mon ame, Vous ne laisseriez pas, malgré tout mon pouvoir, Au bienheureux Valere un glorieux espoir. A ce nom je rougis de dépit et de honte, Je rougis quand je voy qu’un Sujet me surmonte. Si vous aviez pour luy cette extréme rigueur, Vous seriez moins aimée, et je serois sans peur. Vous ne me dites rien ?         Que pourray-je vous dire ? Quand je vois un grand Roy qui brûle et qui soûpire, Il n’est pas malaisé d’expliquer mes desirs, Si j’ose en ma faveur expliquer vos soûpirs. En vain d’un doux espoir vous me flatez, Madame, Si Valere ose encor pretendre à vostre flame ; Je doy vous l’avoüer, Valere a des appas, Des Reynes comme vous ne s’en defendent pas ; On peut l’aimer sans honte ; et si j’estois Princesse, Je me pardonnerois cette digne foiblesse. Je ne veux point icy surprendre vostre cœur ; J’implore pour ce choix toute vostre faveur ; Et tout Roy que je suis, ce grand Rival m’étonne. Qu’est-ce qui vous fait craindre un Rival sans Couronne ? Parce que vous l’aimez, présumez vous, Seigneur, Que nous avons pour luy mémes yeux, méme cœur ? Ce qui vous ébloüit n’a rien qui me surprenne, Et vous connoissez mal la fierté d’une Reyne. Je vay par tant d’orgueil rabatre ses soûpirs, Qu’il pourra vous venger de tous vos déplaisirs. Allez, Madame, allez ; et moy plein d’esperance, Je vay d’un prompt effort haster vostre vengeance. Pardonne, cher Valere, à ce déguisement ; Je t’arrache une Reyne, ambitieux Amant: Mais je te rens aussi Couronne pour Couronne. Je te rens encor plus, moy-méme je me donne. Camille n’aime en toy que la faveur d’un Roy ; Elle aime son vengeur, et je n’aime que toy ; Elle songe à regner, et je songe à te plaire ; Elle aime ton pouvoir, je n’aime que Valere. Marcellin, c’en est fait ; et Camille est pour moy ; Valere est dans son cœur trop foible contre un Roy ; Je n’ay plus rien à craindre, il est temps de paroistre. En vain vous cacheriez ce qu’on vient de connoistre : Madame, en plein Conseil l’Admiral a tout dit. Mais vous sçavez quel est son zele, et son credit ; Federic est pour vous ; cessez d’estre surprise. Quoy, sans m’en advertir, presser cette entreprise ? J’ay crû qu’on s’assembloit pour le prochain combat. Il a trouvé le temps propre à ce grand éclat. Son zele m’est connu ; cessons, cessons de craindre ; Regnons sans imposture, aimons sans nous contraindre ; Allons sans plus tarder mettre ma flame au jour. Et couronner enfin Valere, et mon amour. Mais quel trouble s’oppose aux ardeurs de ma flame ? Qu’est-ce qui vous retient ? que tardez-vous, Madame ? Je sens je suis Reyne en ce fatal instant ; Et me voyant enfin sur ce Trône éclatant, Veux-tu que j’aille dire à mon Sujet que j’aime ? Reyne, à quoy pensois-tu ? mon cœur, rentre en toy-méme. Tandis que la Couronne a paru devant moy, Comme un bien usurpé qui demandoit un Roy, Dans ce déguisement à moy-méme contraire, J’ay descendu plus bas qu’une Femme ordinaire ; Et sans m’examiner, aussi-tost un Sujet M’a paru de mon choix un assez digne objet ; Mais me voyant sans feinte au rang de Souveraine, Tout mon cœur se remplit de sentimens de Reyne ; Il se retire enfin par les mains du devoir, Comme d’un grand abyme, en l’amour l’a fait choir. Du beau feu de regner mon ame est embrasée, J’estois Fille en effet en Prince déguisée ; Mais renversant en moy tous ces déguisemens, Il me vient maintenant de mâles sentimens ; Et quand mon foible Sexe est forcé de parestre, Je me sens devenir ce que je cesse d’estre. Mais vaincrez-vous un feu si long-temps combatu ? Je ne te répons pas de ma foible vertu; J’en auray pour le moins pour garder le silence. A Valere déja j’en ay fait confidence ; J’ay crû vous obliger par ce zele indiscret. Qu’as-tu fait ? A Valere ouvrir ce grand secret ? Tout estant découvert, j’ay crû le pouvoir faire ; Mais si je l’ay flaté d’un bien imaginaire, Je vay le détromper.         Arreste, Marcellin, Je voy bien qu’il faudra se rendre à mon destin, Et que j’oppose en vain mon orgueil à ma flame. Je te diray bien plus, je sens déja mon ame D’un scrupuleux devoir affranchir mes soûpirs ; Cet orgueil ennemy de mes tendres desirs Murmure foiblement contre un cœur qui soûpire, Quand il peut s’épargner la honte de le dire ; Et qu’enfin ton aveu soulage ma pudeur De l’indigne soucy d’expliquer mon ardeur. Madame, triomphez sur l’espoir qui vous flate; Le Ciel venge ma gloire, et punit une ingrate ; Et mon ambition, par un change bien doux, Va retrouver ailleurs plus qu’il ne perd en vous. Ah! tout mon cœur s’émeut à l’aspect de Valere. Dois-je croire au rapport que l’on vient de me faire ? Madame, se peut-il que mes yeux et mon cœur Se soient laisser charmer d’une si longue erreur ? D’un sort si surprenant la merveille étonnante Rend mes sens incertains, et ma foy chancelante. Mais puis-je encor douter, voyant briller en vous Tout ce que le beau Sexe a de charmes pour nous ? Il n’en faut plus douter, ma bouche vous l’assure. J’admire vostre sort ; mais dans cette avanture Un prodige plus grand fait mon étonnement: Quand je découvre en vous un objet si charmant, Un merveilleux transport suit cette connoissance ; J’en prens … mais mon respect me condamne au silence. Parlez, parlez, Valere, et me faites sçavoir Si Camille tousjours est vostre unique espoir. A la faveur d’un Roy je préferois Camille ; Mais quand je vous connois, ce choix est bien facile : Me pardonnerez vous l’ingrate ambition Qui répondoit si mal à vostre affection ? Apres des sentimens dignes de votre haine, Puis-je encor meriter les bontez de ma Reyne ? Et quand j’ose songer à ce tendre courroux, Que vous faisiez tantost éclater contre nous, Puis-je esperer en vous, pour comble de surprise, Cette Reyne à mes vœux par vous-méme promise ? Mais las! vous vous troublez, Madame, pardonnez Des transports qu’en secret j’ay déja condamnez. Ah! cruel Marcellin, est-ce ainsi qu’on me joue ? Non, Valere; et bien loin que je le desavouë, Il m’épargne un aveu qui m’auroit trop cousté ; Je ne vous cache rien sous ce Sexe emprunté ; Et comme si j’estois à moy-méme inconnuë, Mon Sexe sous cette ombre a moins de retenuë. Oüy, Valere, ce Roy capricieux, jaloux, Qui tantost s’expliquoit pour vous, et contre vous, Sous des transports meslez de tendresse et de haine, Vous cachoit malgré moy l’amitié d’une Reyne. Mais il est temps enfin d’expliquer ce grand feu, Mon orgueil me doit bien pardonner cet aveu: Six ans entiers d’ennuis, de crainte, et de silence, Ont sans doute à ma flame acquis cette licence. J’accepte avec transport ce surprenant espoir. Donc, Madame, six ans n’ont pû me faire voir Ce Trône glorieux que j’avois dans vostre ame ; Je cherchois une Reyne, et j’avois vostre flame ; J’ignorois ma fortune estant dans vostre cœur ; Et j’estois malheureux avec tant de bonheur. Pourquoy me laissiez-vous, adorable Princesse, Dans un aveuglement fatal à ma tendresse ? Qu’il m’a fait perdre ailleurs de soins, et de soûpirs, Et qu’une telle erreur m’a volé de plaisirs! Ah! si depuis le temps que vous n’osez paroistre … Quel est ce trouble, Octave ?         On vient de vous connoistre. Ce mal est-il si grand ?     Ah! Seigneur.         Qu’est-ce enfin ? Vous cessez de regner en changeant de destin. O Ciel!     Qu’entens-je ?         En vain par faveur, par adresse, Federic veut gagner le Peuple, et la Noblesse ; En vain il a vanté le seul sang de nos Rois ; Tout le monde s’attache à la rigueur des Loix. Hé! qu’a fait Federic contre un Peuple rebelle ? Il a perdu ses soins, son credit, et son zele. Le Sort qui vous flatoit, s’obstine à vous trahir ; Valere, et vostre espoir, vient de s’évanoüir. Vous aimiez une Reyne, et je cesse de l’estre. Non, non, vous regnerez, et vous serez sans Maistre : Madame, cette Loy n’est pas faite pour vous ; Et si de ces abus nos Peres trop jaloux Eussent pû jusqu’à vous porter leur connoissance, Vostre Sexe auroit part à la Toute-puissance. Ou dans le choix des Roys le Ciel n’a point de part, Et ce supréme rang n’est qu’un don du hazard; Ou bien tant de vertus meritent la Couronne ; En dépit de vos Loix ce titre vous la donne. Ah! si l’on connoissoit l’aimable authorité Qu’exerce la Vertu jointe à tant de beauté, Nostre Sexe auroit moins de pouvoir en Sicile. Le beau Sexe est traitté de foible, et d’imbécile ; Mais le Sceptre des Roys, le Timon des Estats, Se doit-il gouverner par la force des bras ? L’adresse, non la force, évite la tempeste, Et le bras sur le Trône agit moins que la teste. Mais qui destine-t’on au Trône de nos Rois ? J’ay laissé le Conseil opinant sur ce choix ; Et comme j’en sortois, la nouvelle est venuë Que déja l’ennemy s’offroit à nostre veuë, Que Roger approchoit, et menaçoit nos bords, Et qu’il falloit enfin prévenir ses efforts, Avant que de songer à se choisir un Maistre. Meure quiconque aura l’ambition de l’estre : Que l’Estat ébranlé par ses grands mouvemens Se renverse aujourd’huy jusqu’à ses fondemens, Avant que de souffrir qu’un autre ose y pretendre. Tombe le Trône enfin, s’il vous en faut descendre. Mais pour mieux preparer ce glorieux éclat, Allons contre Roger tenter ce grand combat ; Et de ce bras vengeur du Trône de Camille, Je reviens vous placer dans celuy de Sicile. Je prise peu ce rang, si Valere est pour moy ; Mais Valere perd tout, à moins que d’estre Roy. C’est pour vous seulement que j’en cherche la gloire. Camille pour regner n’attend qu’une victoire. Camille en me quittant est trop à dédaigner ; Et je vay la servir, pour vous faire regner. Mais ayez soindes jours plus chers que mon Empire. Mes jours me sont moins chers que le bien où j’aspire. De vos seuls interests tout mon cœur est jaloux. Je ne veux vivre, vaincre, et mourir que pour vous. C’est à quoy l’obligeoit la Puissance supréme ; Yoland est son nom, et bien-tost elle-méme Viendra vous excuser un tel déguisement. Pour son seul interest je m’en plains seulement, Puis qu’enfin Federic en a tout l’avantage. Il regne dans ces lieux par le commun suffrage ; Mais lors que le Conseil précipite ce choix, Pour appaiser le Peuple, on obeït aux Loix. Si pres d’un grand combat ayant besoin d’un Maistre … Il en usera bien, estant digne de l’estre. Va, dis luy de ma part que je plains son malheur. Helas! je sens le mien avec plus de douleur. Que de trouble, Florise! Un Roy cesse de l’estre ; On donne une Bataille, on change icy de Maistre ; Je trouve une Princesse où j’avois un Amant; Un jour peut-il produire un si grand changement ? Tu me faisois, Fortune, un peu trop de caresses, Pour ne soupçonner pas tes perfides tendresses ; Et ce dernier effet de tes vœux inconstans, Me force de douter du succés que j’attens. En esperant un Roy, j’esperois la victoire ; Ce Roy s’évanouït, je tremble pour ma gloire ; Et reglant mon espoir sur un tel changement, D’un combat hazardeux je crains l’évenement. Par là le Sort vous fait une foible menace ; D’un Roy qui vous vengeoit, Federic prend la place ; Pour le bras d’une Fille, il vous offre le sien ; Recouvrez vostre Empire, et le reste n’est rien. Ses deux illustres Fils aident vostre victoire ; L’un le doit pour sa flame, et l’autre pour sa gloire : Vous sçavez que Fabrice a tant d’ardeur pour vous … Je le sçais, et j’en sens un transport assez doux ; Je sens que c’est un bien que mon malheur me laisse, De pouvoir me livrer à toute ma tendresse. Fabrice en ce moment devenu Fils de Roy Me paroist plus aimable, estant plus pres de moy ; Et mon orgueil luy-mesme ouvre toute mon ame A l’apparent éclat d’une si belle flame : Déja ce grand amour est si fort sur mon cœur, Que je crains … mais il vient, et peut-estre en vainqueur. Madame, c’en est fait, vous avez la victoire ; Au bras d’un nouveau Roy vous devez cette gloire ; Nous l’avons veu combattre avec tant de chaleur, Que ses Fils ont souvent rougy de sa valeur. Il sembloit que pour vous il ressentoit ces flames Dont Mars avec l’Amour brule les belles ames ; Qu’il avoit mes ardeurs, et qu’un plus grand espoir Que la gloire de vaincre, animoit son devoir. Il a voulu sans doute, en vengeant une Reyne, Montrer qu’il meritoit la grandeur Souveraine ; Et qu’il fallait devoir la grandeur de ce choix, A sa vertu, plustost qu’à la faveur des Loix. Mais, Madame, au milieu d’une grande victoire, Qui sur tout nostre sang fait tomber tant de gloire, Quand je puis m’applaudir du bonheur sans égal Qui couronne mon Pere, et m’oste un grand Rival ; Parmy tant de douceurs que le Ciel nous envoye, C’est vostre seul bonheur qui fait toute ma joye. Prince, vostre bonheur me touche également ; Et pour ne rien cacher d’un si doux sentiment, Je dois vous avoüer, qu’icy toute ma gloire, Qu’icy le plus beau prix qui suit cette victoire, Est de me voir par vous, et pour vostre bonheur, Reyne de ma fortune ainsi que de mon cœur. Voyez par quels moyens vostre gloire s’acheve, Par quel chemin le Sort jusqu’à moy vous éleve ; Il me chasse du Trône, il me mene en ces lieux, Il me fait voir en vous un appuy glorieux ; Il flechit mon orgueil avec vostre tendresse ; D’un Roy vostre Rival il fait une Princesse ; Il fait de vostre Pere un Monarque, un vainqueur, Et par ces beaux degrez il vous met dans mon cœur. Ah! Madame, est-il vray ce que je viens d’entendre ? Jusqu’à cette bonté ma Reyne a pû descendre ? Mais puis-je vous donner mon Trône avec mon cœur ? Et puis-je pleinement m’asseurer ce bonheur ? Roger estant défait, tout vous devient facile. Des Deputez de Naple ont abordé cette Isle, Qui regardant de loin le succés du combat, Viennent pour se soûmettre au nom de tout l’Estat. Le Roy dessus le Port les tient en conference ; Que vous faut-il encor apres cette asseurance ? Mais il paroist, Madame, et vous allez sçavoir Tout ce qu’ont fait pour vous son zele et son devoir. Par quels remercimens faut-il que je m’acquitte ? Seigneur, ce que le Ciel donne à vostre merite, Ce Trône dont il a prévenu vos exploits, Suffit-il pour payer celuy que je vous dois ? La Fortune m’accable; et peut-estre, Princesse, Répondra-t’elle mal au desir qui me presse ? Au moment qu’ elle rend tous mes desirs contens, Je crains sa trahison sur un bien que j’attens : Mais quelques biens enfin que m’offre la Fortune, Il faudra qu’entre nous la gloire en soit commune. Cependant, apprenez quel est nostre bonheur. A peine aux yeux de tous les Loix et la faveur M’avoient en plein Conseil accordé la Couronne ; Qu’alarmé tout d’un coup sur un bruit qui m’étonne, Que le hardy Roger venoit fondre sur nous, Je cours à nos Vaisseaux plein d’un ardent couroux, J’anime tous nos Chefs contre cette insolence. Desja mes deux Enfans brulans d’impatience, Avoient tout disposé pour ce combat naval, Et n’attendoient de moy que l’ordre et le signal. Roger, quoy qu’asseuré qu’on ne peutnous surprendre, Songe à nous attaquer plustost qu’à se defendre ; Et comme se flatant d’un succés glorieux, Il pousse avec les siens des cris victorieux. Nous allons tous à luy ; mes deux Fils me secondent ; A l’espoir que j’en ay leurs courages répondent : D’abord nous accrochons son vaste Galion, Comme le Trône affreux de la rebellion. Nous entrons, et forçons toute la resistance Des premiers que Roger commet à sa defense. Là Roger seul fait ferme, abat plusieurs des miens. La valeur, qui par tout abandonne les siens, Semble se retirer au cœur de ce rebelle. O toy qui d’une Femme embrasses la querelle, Ose seul m’attaquer (me dit-il fierement) Je répons à sa voix par des coups seulement. Il se defend si bien, que d’abord j’ose croire Que sa défaite enfin me vaudroit quelque gloire : Je redouble mes coups; luy se sentant blessé, M’approche, me saisit, et me tient embrassé ; Jusqu’au bord du tillac son desespoir m’entraine : A ce Monstre mourant je m’arrache avec peine ; Luy qui craint d’estre pris, s’élance dedans l’eau, Et son orgueil périt dans ce vaste tombeau. C’est par ce dernier coup que vous vengez ma gloire. Mais voyez ce qui suit cette grande victoire. Au nom de vos Subjets ils députent vers moy ; Et me voyant vainqueur, ils me veulent pour Roy. Quoy! vous vous alarmez, ce discours vous étonne. Non, non, vostre valeur a conquis ma Couronne ; Le droict d’en disposer, Seigneur, n’est plus à moy. Mais est-ce à vos Subjets à se choisir un Roy ? Est-ce à moy de joüir d’une telle injustice ? C’est de leur politique un grossier artifice, Qui pour mettre à couvert de lâches revoltez, Contre vostre pouvoir cherchent ces seuretez. Vostre haute vertu se fait par tout connaistre ; Mais souffrez ( car enfin vous en estes le Maistre) Que puis qu’à vos Estats il faut donner un Roy, J’en fasse un aujourd’huy pour regner avec moy. En refusant pour vous l’offre d’un Diadéme, Ne le refusez pas pour un autre vous-méme, Mon Estat et mon cœur me demandant ce choix ; Et c’est dans vostre sang qu’il faut choisir des Rois. Ah! qu’un si digne aveu… Mais j’aperçoy Valere. Viens, approche mon Fils, et d’une main si chere De ton illustre amour vient recevoir le prix. Quoy, je vous voy tous trois également surpris ? Ah! Seigneur, permettez …         Ne craignez rien, Madame. Vous sçavez quel estoit le motif de ma flame ; Apres vos traittemens, dont je suis trop confus, Je sçauray prévenir la honte d’un refus. Oüy, cette grande Reyne enfin s’est fait justice, Seigneur, et son amour me préfere Fabrice : Mais j’ay dans ce moment, si vous y consentez, Dequoy me consoler de toutes ses fiertez. Que j’aime son couroux!         Ah! mon Fils. Ah! Madame. Quel est donc mon espoir ?         Quel soin trouble vostre ame ? Fabrice comme luy n’est-il pas vostre sang ? Seigneur, en sa faveur disposez de mon rang ; Je vois avec plaisir l’ambitieux Valere Ceder une Couronne en faveur de son Frere. Je vois avec plaisir que mon Frere a dequoy Consoler vostre orgueil de la perte d’un Roy. Il suffit que Fabrice a merité de l’estre ; J’aime mieux faire un Roy, qu’avoir un Roy pour Maistre. Dans le choix que j’ay fait je trouve tant d’appas … Mais avoüez au moins qu’un Trône n’en est pas. A tant d’appas le Roy sera juste et fidele ; Il doit tout à ma Reyne, et n’est Roy que pour elle. Je luy doy tout, mon Fils, bas et c’est là ton malheur : Mais il est temps enfin de le tirer d’erreur. Mon Fils … Mais j’aperçoy le sujet de ma flame. Me pardonnerez-vous …         Oublions tout, Madame. Vous me voyez encor sous ce déguisement ; Honteuse de souffrir un triste changement, Je me cache à moy-méme …         Excusez, grande Reyne … Me rendez-vous déja le nom de Souveraine ? Monté dans ce haut rang par vostre propre choix, Plustost que par le droict que vous donnent les Loix ; En faites-vous si-tost un départ volontaire ? Parlez, quel jugement enfin en dois-je faire ? Dois-je honorer en vous cette grande action, Et donner un beau nom à vostre ambition ? Vous le pouvez, Madame, et mon obeïssance S’est conservée entière avec tant de puissance. Par mes profonds respects, Madame, connoissez … Je vous connois enfin, Federic, c’est assez. Que ne vous dois-je point ?         Tu triomphes, ma flame. Vous ne me devez rien, connoissez mieux mon ame. Je devrois en cedant le souverain pouvoir, Le rendre tout entier à mon juste devoir ; Au respect du serment, au bonheur de l’Empire ; Et peut-estre ce cœur (il est temps de le dire) Oüy peut-estre ce cœur qui cede un bien si doux, Ne le rend qu’à l’espoir de regner avec vous. O Ciel!     Quoy ? Federic.         Ne croyez pas, Madame, Que trop ambitieux, j’aspire à vostre flame. Si je l’avois esté, mon rang et mon employ, Depuis que vous regnez, m’auroient pû faire Roy. Naples m’offre son Trône apres une victoire ; A Camille, à mon Fils, j’en veux ceder la gloire ; Et vous pouvez juger apres cette action, Si mon cœur a brulé de quelque ambition. Vous sçavez que ce feu qui jamais ne s’arreste, Peut par le crime méme aller à sa conqueste ; Et qu’un cœur embrasé par un si vaste espoir, Ne se refuse rien, quand il peut tout avoir. Mais j’avois pour le Trône un feu plus legitime, J’y monte par la gloire, et non pas par le crime, Et ne m’offre en ce rang aux yeux qui m’ont charmé, Que par l’ambition d’aimer et d’estre aimé. J’ay crû que n’ayant rien dans mon peu de merite, Dont la voix aujourd’huy pour moy vous sollicite, Qu’il falloit emprunter un attrait plus puissant, Et couvrir cet espoir sous un charme innocent. J’ay crû qu’une Couronne en soustiendroit l’audace, Et qu’à vous l’expliquer j’aurois mauvaise grace, Si le premier soûpir qui vous montre ma foy, Ne sortoit de mon cœur par la bouche d’un Roy. C’est là le beau pretexte, et le noble artifice De vostre ambition, et de vostre injustice. Ces éclats de vertu que vous m’avez fait voir, N’avoient donc d’autre but qu’un si superbe espoir ? Car enfin vous sçavez que j’ay choisi Valere. Hé bien, regnez; gardez le Trône de mon Pere; Gardez par des sermens indignement trahis, Un rang que mon amour gardoit pour vostre Fils. De mon mauvais destin triomphe, cher Valere, Aime moy sans Couronne, et fais rougir ton Pere ; Je beniray du Sort l’aimable trahison, Si du Trône mon cœur te peut faire raison. Madame, j’ay pour vous un respect trop sincere, Pour vous cacher icy qu’un Trône a pu me plaire ; Et qu’un autre qu’un Pere apprendroit aujourd’huy Que qui perd ce haut rang, peut tout perdre avec luy. Mais preferé par vous à la Couronne offerte, Je puis par vostre amour reparer cette perte ; Et si vous n’estiez pas mon espoir le plus doux, Je me croirois indigne et du Trône, et de vous. Madame, triomphez du Sort qui nous outrage ; Vous Fabrice, regnez, quand j’en perds l’avantage. Je borne mes desirs à ce choix glorieux. Ce choix peut contenter les plus ambitieux. Ciel! qu’est-ce que je vois ? nostre grande Princesse Prefere à sa fortune une indigne tendresse ? Elle fait d’un Empire un genereux mépris, Et mon Trône vaut moins que l’amour de mon Fils. A cent Trônes mon cœur préfereroit Valere. Ne soyez point jaloux d’un Fils qu’on vous préfere ; Il est glorieux d’avoir donné le jour A qui sçait mieux qu’un Roy meriter mon amour. Mon Fils, et vostre amour, n’auront pas la victoire ; Ce cœur qui fut tousjours amoureux de la gloire, Qui du Trône et de vous ne se sent enflamé Que pour avoir enfin la gloire d’estre aimé, Ne leur cedera point en merite, en courage : Je puis de vostre amour perdre tout l’avantage ; Mais j’auray, si je perds l’espoir de vous charmer, La gloire au moins d’aimer autant qu’on peut aimer. Par un beau sentiment digne d’une Couronne, Vostre amour me la cede, et le mien vous la donne. Icy, devoir, serment, rien n’y peut m’obliger ; En vous offrant mon rang, j’ay sçeu m’en dégager. J’écoute seulement la gloire de ma flame : Toute sorte de gloire a contenté mon ame, La gloire des emplois, des grandeurs, des combats, Celle de bien aimer ne m’échapera pas. Regnez, regnez, Madame, et pour regner sans peine, Recevez de mon Fils la qualité de Reyne ; Et puis que le beau Sexe est sujet parmy nous, Vous regnerez par luy, comme il regne par vous. Ah! d’un si digne Fils illustre et digne Pere. Ah! Roy trop genereux. Ah! trop heureux Valere. Ah! Seigneur.         Vous comblez nos souhaits les plus doux. N’estoit-ce pas assez de regner apres vous ? Non, non, je puis regner en un autre moy-mesme ; Puis que mon Fils vous aime autant que je vous aime, Souffrez que mes transports s’expliquent par les siens, Prenez dans ses soûpirs tout l’hommage des miens. Vous, mes Fils, rendez-vous dignes de ces Princesses, Meritez leurs grandeurs ainsi que leurs tendresses ; Je seray trop heureux de me voir par mon choix, Et par vostre vertu, Pere de deux grands Rois. Vous, au Trône de Naple allez placer Camille, Vous, montrez nostre Reyne aux Peuples de Sicile.