JUDITH TRAGÉDIE Peuples impatients étouffez ce murmure : Quelques maux, quelque soif que Betulie endure, Soumettez-vous toujours aux decrets éternels, Et soyez malheureux sans être criminels. Retirez-vous.         Craignez que ces peuples rebelles... Ne m’importunez plus par des plaintes nouvelles. Holoferne a par tout semé tant de terreur... Je crains vos lâchetez, et non pas sa fureur. Avant que de nous rendre, à force de victimes Faisons cesser enfin la peine de nos crimes ; Achevons les cinq jours qu’Israël m’a promis : Jusques-là qu’il resiste à nos fiers ennemis. Plus de replique ; allez, que son obeïssance Fasse un dernier effort sur son impatience. Mais instruit de nos maux et si longs et si grands, Quel tems demandez-vous à des Peuples mourans ? Est-ce un ordre à donner ? est-ce un conseil à suivre ? Ils comptent les momens qui leur restent à vivre. Abandonnez du Ciel, sans espoir de secours, Chaque jour est pour eux le dernier de leurs jours. Perissent, disent-ils le desespoir dans l’ame, Nos femmes, nos enfants par le fer, par la flâme, Plûtôt que de les voir expirer dans nos bras Par une douleur lente, et par un long trépas. Malgré leur desespoir n’en puis-je pas attendre Le delai de cinq jours avant que de se rendre ? Mille maux ajoûtez aux maux qu’ils ont soufferts N’ont rien de comparable à la honte des fers. Prions, importunons le Dieu de la victoire, Et de tous ses bienfaits rappellons la memoire. Mettons tout en usage, et si dans les cinq jours La colere du Ciel nous laisse sans secours, Dans cette extrémité ne pouvant nous défendre, Sans honte et sans remords Israël se peut rendre. Judith vient de mander nos Magistrats ; et moy Chef du Peuple, et jaloux du rang où je me voy Je les previens, et veux sçavoir par quel mystere La modeste Judith dément son caractere. Je l’ai fait avertir, elle m’a fait sçavoir Qu’elle seroit bien-tôt en état de me voir. Cet ordre me surprend, et c’est vous faire injure. Je me plains encor plus du Peuple qui murmure, Faites ce que j’ai dit.         Je brûle de sçavoir Par quel motif Judith usurpe mon pouvoir ; Et ne pouvant douter de sa sagesse extréme, Je ne puis retrouver Judith en elle-même. Pourquoy ce prompt retour ?         Je reviens étonné De voir par des soldats Achior emmené : Il vous cherche.         Achior ! lui chef des Ammonites, Lui qu’on pouvoit compter entre nos Proselites, Et qui fut de nos loix secret observateur ? Un si fameux guerrier trahy par son malheur A la garde du camp s’est-il laissé surprendre ? Le voicy.         Quel malheur que je ne puis comprendre, Ou plutôt quel bonheur vous conduit en ces lieux ? Le couroux d’Holoferne, un malheur glorieux. Chef d’un Peuple idolâtre, et né pour le conduire, Par ce commandement m’étant laissé seduire, Je servois Holoferne, et dans les grands emplois Cet honneur éclatant me retint sous ses loix. Depuis long-temps j’aspire au nom d’Israëlite, Et comme Misaël en a tout le merite, Ses leçons m’ont instruit de votre sainte loy. Au Camp des ennemis j’ai pris soin malgré moy De cacher dans mon sein le feu d’un si beau zele : Mais enfin il parut aux yeux de l’infidelle Et voiant à regret Betulie aux abois, J’affrontay le Tyran, et je haussay ma voix. Que l’impie Holoferne et s’irrite et s’offence, Quand ma bouche à ses yeux vante une autre puissance ; Qu’il nomme cette audace un transport insensé, Dieu qui me l’inspiroit, Dieu l’a recompensé. Vous voiez ce qui suit ce que je viens de faire. Holoferne aveuglé d’orgueil et de colere S’apprétoit à punir ce zele audacieux, Et déja des éclairs qui sortoient de ses yeux Paroissoient de ma mort la menace certaine ; Mais le maître des coeurs rend la menace vaine, Il fait que le Tyran forme un autre dessein, Sans discerner quelle est cette invisible main, Qui retient malgré lui sa rage impetueuse ; Et comme il ne croit pas sa victoire douteuse, Il m’envoie en ces lieux, plein de l’espoir cruel De me faire perir en perdant Israël. Ainsi plein d’une fiere et folle confiance Il vous laisse la vie, et suspend sa vengeance ; Et pour servir sa gloire autant que son couroux, Il vous envoye ici pour vous perdre avec nous. Quel orgueil !         Cet orgueil se nourrit et s’augmente Au milieu d’une Cour superbe et triomphante, Où sa gloire est toujours presente à ses regards. Des peuples à grands flots y vont de toutes parts, Les lampes dans leurs mains et les fleurs sur leurs têtes, Honorer ses exploits, ou grossir ses conquêtes. Il y voit dans la foule Ambassadeurs et Rois Attachez à ses yeux, attentifs à sa voix, Et pour mieux l’ébloüir il voit en sa presence Regner l’étonnement, la terreur, le silence. C’est ainsi qu’enyvré de gloire et de grandeur Il s’ôte et nous envoye un Chef plein de valeur. Je rends grace à sa haïne et benis ma disgrace, Quand j’attends avec vous le coup qui nous menace. Mais ce qui rend ce coup plus sensible aux Hebreux, C’est que nous ignorons par quel sort malheureux, Par quels crimes nouveaux, par quelle ingratitude, Au retour d’une dure et longue servitude, Ils attirent sur eux ces cruels châtimens. Vous voiez de quels cris, de quels gemissemens, Un long siege a rempli la triste Betulie ; Dans quel gouffre de maux elle est ensevelie. On voit au pié du mont un effroiable amas De tentes, d’étendards, d’armes et de soldats ; Tous fremissent de rage et brûlent de combatre, Tandis qu’environnez de ce Camp idolâtre Les Hebreux sont ici sans force et sans vigueur Abatus par la soif et défaits par la peur. Tout le peuple perit, ou se plaint, ou murmure, Ici tout manque, et l’eau s’y donne par mesure. Sur le moindre aliment qu’on partage entre nous, Tombent mille regards avides et jaloux. On voit plus d’une mere étouffant la nature Vouloir de son enfant faire sa nourriture. A tous ces malheureux je partage mes soins ; Prompt, ardent, mais trop foible à remplir leurs besoins. Mon zele, en divisant ces secours charitables, Devient presque inutile à tant de miserables. Mais pour comble de maux écoutez et tremblez. Veilles, prieres, pleurs et jeûnes redoublez N’ont pû forcer l’Oracle à rompre le silence. Pour lasser sa rigueur par la perseverance, Le Grand Prêtre a couvert de sang le saint Autel, Et des cris des enfans fatigué l’Eternel, Par un zele importun il combat sa colere, L’Oracle est inflexible et s’obstine à se taire. Ah ! que vous me frappez ! ce silence est affreux. Je ne m’étonne plus, si contre les Hebreux Nous voions aujourd’hui le grand Dieu des vengeances Susciter le vainqueur des plus fieres puissances, Le superbe Holoferne, à qui tout est soumis, Envoyé par un Roi qui se croit tout permis, Dont l’œil n’épargne rien et sans cesse devore Tout ce qui du Couchant s’étend jusqu’à l’Aurore. Mais quelque effroy que donne un si vaste pouvoir, Rien ne sçauroit m’ôter le courage et l’espoir, Je cherche Misael, cet amant trop fidele ; On dit que penetré d’une douleur mortelle Par l’injuste refus de la fiere Judith Il devore en secret sa honte et son dépit, Et renonce comme elle au commerce du monde : Mais il faut qu’ à nos voeux son courage réponde. Je connois sa valeur, et nous pouvons tous deux Contre nos ennemis conduire les Hebreux. Quand Holoferne croit nôtre perte infaillible, Souffrez qu’armez tous deux de ce zele invincible... J’attends ici Judith, quoi qu’il me soit permis D’accepter un secours contre nos ennemis, Obtenez son aveu ; ce discours vous étonne. Et par quel droit Judith...         Judith commande, ordonne, Je me rens auprés d’elle et je commence à voir Jusqu’où le Ciel étend sa gloire et son pouvoir. Vous pouvez tout ici. Par quel pouvoir supréme Se met-elle au dessus de vous et d’elle-même ? La vertu de Judith, un nom si respecté M’ont fait tout oublier, et rang et dignité ; Et je sens malgré moy, lorsque sa voix m’appelle, Certain charme secret qui m’entraîne vers elle. Plein du bruit de son nom vous respectez ses loix. Je respecte le Ciel qui parle par sa voix, Et qui fait de Judith dans sa sainte retraite, Quand l’Oracle se taît, son unique interprete. Vous flatez son orgueil.         Etranger en ces lieux Donnez-vous le loisir de la connoître mieux. Vous la verrez modeste, humble dans l’abondance, Et ne comptant pour bien que la seule innocence ; Belle, mais sans orgueil, et cachant sa beauté Dans le sein d’une austere et sainte obscurité, Pauvre pour elle-même et riche pour les autres, Insensible à ses maux et tendre pour les nôtres. Quand elle prend sur nous un souverain pouvoir, C’est un ordre du Ciel, Judith sçait son devoir. Elle vient.         Voyez-la sans art et sans parure, Se bornant sagement aux soins de la Nature, Simple, et qui toutefois fait paroître à nos yeux Sur son auguste front un air imperieux. Mon erreur se dissipe à sa premiere vûë. Ozias, vous m’avez trop long-tems attenduë. Sur l’ordre surprenant que le Ciel m’a dicté, J’ai long-temps combatu mon incredulité ; De ses clartez enfin animée et remplie Je viens... Que vois-je ici ! quoy, vous dans Betulie ? Achior, quel motif vous amene en ces lieux ? Mais quelque ardent que soit ce desir curieux, Il faut que pour remplir le devoir qui me presse, Au Prince des Hebreux tout mon discours s’adresse. Si ma presence...         Non. Il n’est rien entre nous que ne puisse écouter un homme comme vous. Quand je commande ici j’en dois être confuse : Mais ne presumez pas que mon zele m’abuse, Ce que vous avez fait contre votre devoir, Si j’ai trop entrepris, m’en donne le pouvoir. Vous donc, Chef d’Israël, et si digne de l’être, Quel droit de nôtre sort vous a rendu le maître ? Quelle est votre pensée ? et quelle aveugle erreur, Quelle audace vous porte à tenter le Seigneur ? Hé quoy, si Betulie au vrai Dieu consacrée N’est par quelque secours dans cinq jours delivrée, Vous consentirez, vous, qu’elle se livre aux fers D’un homme qui se croit le Dieu de l’Univers. N’est-ce pas du Seigneur irriter la puissance, Que de vouloir prescrire un temps à sa clemence ? Est-ce à nous à marquer ce moment arrété Dans le profond secret de son éternité ? Sans chagrin, sans murmure endurons nos miseres, Et détournant nos pas du chemin de nos peres, N’attirons pas sur nous, pour comble de malheur, Les Serpents enflamez, l’Ange exterminateur. Condamnez à souffrir par des loix legitimes Songeons que nos malheurs sont moindres que nos crimes, Et toûjours dans nos maux, tranquilles et constans Laissons-en au Seigneur la mesure et le temps. Vos paroles font voir que la Sagesse même Que Dieu que vous craignez , Judith, et qui vous aime, Vient de vous inspirer ces saintes veritez, Votre destin est grand, et vous le meritez. Mon merite, Ozias, est tout dans ma foiblesse, Quand la main du Tres-haut releve ma bassesse , C’est pour mieux rehausser sa gloire et sa grandeur, C’est par lui, c’est pour lui que je sens dans mon cœur Se former un projet si nouveau, si terrible... Mais au Maître du Monde il n’est rien d’impossible. Je voy que l’un et l’autre interdit, incertain, Ne pouvant deviner cet étrange dessein Réve profondement sur cet affreux mystere. Ce que j’entens m’étonne et me force à me taire ; Non que ma foy timide en ces obscuritez Se refuse au secours que vous nous promettez. Quand je voy que Judith transportée, inquiette Se produit au grand jour, s’arrache à sa retraite, Je suis trop convaincu qu’une celeste ardeur Qu’un zele tout divin embrase vôtre cœur ; Des plus rares vertus le Ciel vous a comblée ; Souffrez ces veritez, et soyez moins troublée ; La modeste Judith doit enfin avouër... C’est perdre trop de temps à m’entendre louër, Israël a besoin d’une main secourable, Je l’entens qui gemit sous le poids qui l’accable Ne me demandez point par un zele indiscret Quel est ce grand secours ; c’est un profond secret, Je dois vous le cacher, et le Ciel me l’ordonne. Cet ordre est-il pour nous ?         Il n’excepte personne. Mais contre l’ennemi ce coup qu’on doit tenter, Ce dessein étonnant, qui doit l’executer ? Moy.     Vous !         Plus l’entreprise est hardie et nouvelle, Plus ma foy s’affermit quand ma raison chancelle. Quoy ! Judith, une femme, elle seule à nos yeux Ose tenter sans nous cet effort glorieux ! Nul autre n’aura part à ce fameux ouvrage ; Achior, je ne puis en dire davantage ; Vous, allez rasseurer un Peuple plein d’effroy ; Et du reste, Ozias, reposez-vous sur moi. Quel langage, Ozias ! Il s’agit de la gloire, Du salut d’Israël, d’une grande victoire ; Judith vous en répond. J’admire sa fierté ; Le Ciel s’explique-t-il avec tant de clarté, Qu’elle ose s’asseurer d’un secours infaillible ? Quand il faut triompher d’un ennemi terrible, Judith se promet-elle un si rare bonheur ? Dieu voudra-t-il l’armer de son foudre vengeur, Ou fera-t-il marcher la terreur devant elle ? Laissons au Ciel le soin de venger sa querelle, Et n’examinons point quels secours, quels ressorts Sa colere voudra tirer de ses tresors. Bien loin que dans un sexe impuissant et timide Je condamne en Judith une audace intrepide, J’en prends pour la victoire un presage certain. Respectons dans Judith l’Oracle souverain. Cependant quel que soit un espoir si sublime, Rien ne peut arrester le zele qui m’anime, Et quand Judith s’appréte à sauver les Hebreux, Je sens croître l’ardeur de combattre pour eux. Mais pour mieux contenter cette ardeur inquiete, Je vais de Misael découvrir la retraite, Exciter son courage, et charmer son dépit Par tout ce qu’on attend de l’illustre Judith. J’attens tout de Judith, mais le Peuple indocile Ne prenant pas sur elle un espoir bien tranquile : Je vais par vôtre exemple et par vôtre valeur Appaiser son murmure, et calmer sa frayeur. Quoy vous me prevenez ! ma tendre inquietude Cherchoit à vous tirer de vôtre solitude, Et vous, cher Misaël, par un prompt changement Vous venez me chercher avec empressement Au bruit de vôtre nom, une allegresse extréme Dissipe mes ennuis, et me rend à moy-même. C’étoit peu du plaisir de vous voir en ces lieux ; J’ay celuy de sçavoir qu’un zele glorieux, Même aux yeux d’Holoferne et d’un camp infidelle Vous a fait d’Israël soûtenir la querelle : Ainsi d’un culte impie illustre deserteur... Ah ! ne m’imputez point cette sainte ferveur. Si vous voyez qu’enfin aprés un long silence Elle brave Holoferne et parle en sa presence, C’est l’Oracle éternel qui force quelquefois Le plus foible mortel à lui préter sa voix, Et qui répand dans l’ame ignorante et grossiere, Avec un zele ardent un thresor de lumiere. Ce que vous avez fait en faveur d’Israël, Jette sur vôtre nom un éclat immortel. Si vous mettez si haut le zele qui m’enflâme, Admirez encor plus le zele d’une femme : Judith va triompher de tous nos Ennemis. Judith ? et quel secours...         Judith nous l’a promis. Sur la foi de Judith, sur cet espoir frivole. Quel gage , quel garand...         Sa vertu, sa parole. En faut-il davantage ? ici tout retentit Du miracle étonnant qu’on attend de Judith. Quel trouble, Misael...         Ah ! si j’ose vous croire, Achior, je suis presque affligé de sa gloire. Haïssez-vous Judith avec tant de fureur ? J’ai par des bruits confus appris vôtre malheur : Le refus de Judith est un affront sensible ; Mais d’un pareil refus l’excuse étoit plausible. Consacrée au Seigneur, pouvoit-elle...         Ecoutez. Le Ciel pourvût Judith de toutes les beautez, Manassés eut pour elle une tendresse extrême ; Il l’aima constamment, et je l’aimai de même. Manassés fut aimé : pour choisir entre nous, Judith avoit des yeux, elle en fit son époux. Il meurt, laisse Judith sans enfans, jeune et belle. Ma tendresse revient et l’espoir la rappelle, Parent de Manassés, né dans un même rang, Je dois remplir sa place et relever son sang : Tout flate mes desirs, et par la loy commune Je devois épouser sa veuve et sa fortune. Déja d’un si beau sort un chacun m’applaudit ; Et mes plus fiers Rivaux m’abandonnent Judith. Plein d’amour et d’espoir je triomphe dans l’ame ; Mais Judith est toûjours insensible à ma flâme ; Rien ne l’a pû flechir ; la mort de son Epoux Ne lui permettant pas de voir rien parmi nous, Qui puisse reparer la perte qu’elle a faite, Elle se fait chez elle une austere retraite ; Et moy desesperé, loin du monde et du bruit... J’ai plaint le triste état où vous étes reduit, Et ma tendre amitié justement indignée, Loin des yeux de Judith ne l’a point épargnée ; Mais dés qu’elle a paru, joignant à ses beautez Des discours tout remplis de saintes veritez ; C’est avec d’autres yeux que je l’ai regardée : J’ai pris de son merite une trop haute idée, Pour croire son orgueil injuste et criminel, Quand elle se refuse aux soupirs d’un mortel. Achior, rien ne peut consoler ma tendresse ; La perte que je fais me revenant sans cesse... Mais enfin, c’est trop loin pousser vôtre douleur Quand chacun doit ici faire agir sa valeur, Dans un honteux repos la vôtre ensevelie, Se refuse au secours qu’on doit à Betulie. Dans l’état où je suis, Achior, je me voy Si plein de ma douleur, si peu maître de moy... Ah Misael !         Parlez, qu’avez vous à nous dire ? Pour parler sans témoins, faites...         Je me retire. Ne vous éloignez pas.         Quel est ce desespoir ? Vous pourrai-je exprimer ce que je viens de voir ? Voyez en quel estat je m’offre à votre vûë, Toujours prés de Judith modeste et retenuë, Par son ordre j’ay pris ces riches vestemens, Jugez par là, jugez quels sont ses sentimens. Est-ce une illusion dont l’honneur m’épouvante ? Ne laissez plus mon ame incertaine et tremblante. Cette sage Judith, et sur qui l’Eternel Sembloit se reposer du salut d’Israël, Passant subitement dans un desordre extrême... Non ce n’est plus Judith, ce n’est plus elle-même. Que me voulez-vous dire ? achevez promptement. Helas ! le croirez-vous ? quel affreux changement ! Vous sçavez que Judith du monde separée, Et que d’un feu si beau vous avez honorée, Repoussoit vos soupirs par son austerité, Opposoit à l’orgueil qu’inspire la beauté Aux flateuses douceurs, aux vanitez du monde De ses abaissemens l’humilité profonde. Vous sçavez qu’estant riche en habits precieux, En tous ces ornemens qui fascinent les yeux, Elle ne s’en servoit, qu’afin de satisfaire Un Epoux à qui seul elle avoit soin de plaire. Cependant aujourd’hui cette même Judith Je l’ai vûë... Ah ! j’en meurs de honte et de dépit, S’empresser à chercher quelques graces nouvelles Qui pussent augmenter ses beautez naturelles ; Et pour mieux disposer ses ornemens mondains, Appeller le secours de nos yeux, de nos mains. Je l’ai vûë à ses yeux timides et modestes, Demander des regards plus hardis, plus funestes, Des regards dont l’éclat allarme la pudeur, Et porte le desordre et le feu dans le cœur. Qu’entens-je ? quoi Judith modeste, humiliée, Relevant sa beauté qu’elle avoit oubliée Par de nouveaux attraits se plaît à l’augmenter ! Abra, s’il est ainsi, puis-je pas me flater Quand je la voy sortir d’une retraite austere, Et reprendre les soins et la gloire de plaire, Qu’elle revient au monde y choisir un Epoux. Je l’ai crû, Misael, et j’ai parlé pour vous. Je puis donc esperer...         Hé quelle est ta pensée ? M’a-t-elle dit, croirai-je une ardeur insensée ? Le salut des Hebreux occupe tout mon cœur. Je comprens son dessein et je voi mon erreur ; Je voi bien que sçachant le pouvoir de ses charmes, Elle veut obtenir le succés de nos armes, Exciter de nos Juifs le courage et les bras, En s’offrant elle-même avec tous ses appas. Il n’est point de mortels qui n’expose sa tête, Si la belle Judith doit être sa conquête ; Et comme pour ce prix tout doit être tenté, Holoferne en son Camp n’est pas en sureté. J’oseray tout pour perdre un Tyran infidelle : Si c’est là son dessein que ne s’explique-t-elle ? Elle a d’autres desseins qu’elle n’explique pas. Imitez le grand Prêtre, imitez Ozias : Tous deux d’un grand projet qui semble temeraire, Adorent le secret, respectent le mystere. Tous ces empressemens qu’elle a pour sa beauté Témoins de son desordre et de sa vanité, Jettent dans mon esprit une jalouse rage. Ne poussez pas si loin un soupçon qui l’outrage ; Pour juger de Judith, jugez-en comme moi ; Son changement me comble et de trouble et d’effroy. Loin d’elle vous voiez avec quelle colere Je condamne à vos yeux ce qu’elle vient de faire ; Mais dés que je l’approche, une vive splendeur Un trait ébloüissant de gloire et de grandeur D’un projet étonnant me donne une autre idée. Et si d’un noir soupçon votre ame est possedée, Dés que vous la verrez, condamnant votre erreur... Ah ! plûtost vous verrez redoubler ma fureur ; Et loin de m’ébloüir par cette vaine pompe, Par ce brillant dehors qui vous charme et vous trompe, De mon juste dépit tout mon cœur occupé... Je la voy. De quel trait son abord m’a frapé ! Vous me le disiez bien que ce n’est que loin d’elle... Non, Abra, ce n’est point une beauté mortelle. Permettez.     Levez-vous, Misael.         Laissez-moy A ces divins appas rendre ce que je doy. C’est un present du Ciel qu’en ces lieux il envoye Pour remplir les Hebreux d’esperance et de joye. Je ne puis soûtenir cét amas de beautez. Sous quels ornemens fragiles, empruntez, Me méconnoissez-vous ? Je suis toujours la même. Si c’est cette Judith que j’aimois et que j’aime, Par quel sort rigoureux de mon bonheur jaloux N’ay-je pû succeder à son illustre Epoux ? Ces graces, ces attraits qu’en vous le Ciel assemble, Ce qu’à peine je crois et que je vois ensemble ; J’ay dû les obtenir, la coutume, la loy, Le sang et l’amitié tout vous parloit pour moi. Et pour dire encor plus, vertu, zele, merite, Tout ce qu’on peut louer dans un Israëlite, Foy, constance, valeur, je les trouvois en vous : Vous pourriez reparer la perte d’un Epoux, Si d’un voeu solennel la chaine inviolable Ne m’avoit déjà fait un Epoux adorable, Un Epoux éternel et jaloux de ses droits. Mais ce divin Epoux digne de votre choix, Demande-t-il de vous cette riche parure Qu’un art vain et profane ajoûte à la nature ? Quand un Peuple affligé vous regarde aujourd’huy, Quand il voit tant d’éclat, quel spectacle pour luy ? Dans ces jours de douleur qui font cesser nos fêtes La superbe Judith va faire des conquêtes. Que me répondrez-vous ?         Attendez, admirez Sans rien approfondir, ce que vous ignorez. Apprenez seulement, et ce mot doit suffire ; Que si pour achever ce que le Ciel m’inspire J’employe à me parer ces tresors précieux, Et ce que l’art de plaire a de plus curieux, Je me laisse entraîner par un ordre supréme, Et me fais un effort qui m’arrache à moi-même. Ainsi pour achever un trop long entretien, Ne me condamnez point, ne me reprochez rien : Plaignez plutôt, plaignez la contrainte cruelle, Le violent effort que Judith fait sur elle, De passer d’un état modeste, humilié A ce luxe pompeux que j’avois oublié, De passer d’une vie obscure et penitente Aux pieges dangereux d’une vie éclatante, D’une sainte retraite au grand jour qu’elle fuit, Du repos au tumulte, et du silence au bruit. Mais ne pourrai-je au moins, pour calmer mes alarmes, Ne pourrai-je sçavoir où vous portez vos charmes ? En quels lieux vous allez....         Au Camp des ennemis. Dans le Camp d’Holoferne ? hé vous est-il permis D’exposer un tresor si charmant et si rare Aux brutales fureurs d’un ennemi barbare ? Seule sans suite....         Abra ne me quitera pas. Presumez-vous si fort de vous, de vos appas ? Presumez-vous si peu du Ciel qui me l’ordonne ? Mais ne sentez-vous point toute l’horreur que donne L’effroiable peril où vous vous exposez ? Qu’allez-vous devenir, si vous vous abusez ? Dans un camp ennemy, miserable, captive.... Si rien ne vous retient, souffrez que je vous suive. Non, je vous le défends.         Cet important secret Craint à ce que je vois un témoin indiscret ; Le salut d’Israël doit être votre ouvrage : Mais peut-être sans vous nous aurons l’avantage D’obtenir par nos mains le succés glorieux Que vous voulez devoir au pouvoir de vos yeux ; Et si vous osez tout sur la foy de vos charmes, J’ose tout esperer du secours de nos armes. Vous vous perdez.     Qu’importe ?     Arrétez.         Je ne puis. Et n’écoute que moi dans l’état où je suis. Vous esperez au camp une indigne victoire ? J’y seray devant vous pour sauver votre gloire ; Et pour vous épargner un triomphe odieux Mon bras va prevenir le crime de vos yeux. Quand pour aller au Camp l’ordre du Ciel me presse, Misael m’embarasse et je crains ma foiblesse ; Je cours executer un effort plus qu’humain : Lâche pitié qui rends mon devoir incertain Sors de mon cœur, cedons à la voix qui m’appelle, Mettons-nous au dessus du sort d’une mortelle, Allons. Mais où m’emporte une sainte ferveur ? La pitié n’est jamais indigne d’un grand cœur. Je voi tous les malheurs où Misael s’expose ; Misael se va perdre, et j’en serai la cause. Quelque ardeur que je doive au salut des Hebreux, Donnons quelque moment au soin d’un malheureux. Va chercher Achior, même soin le regarde, Voyant à quels perils Misael se hazarde, Abra, n’en doute point, dans ce pressant besoin Cet ami genereux...         Achior n’est pas loin, Je vais vous l’amener.         A quoi suis-je forcée, Quand de tant d’autres soins j’ai l’ame embarassée ? Que l’état où je suis m’étonne et me confond, Seigneur ! et qu’à mes yeux ce mystere est profond ! Quelles armes pour vaincre une fiere puissance Voulez-vous que Judith préte à votre vengeance ? Vous la force du foible, et d’un cœur innocent L’espoir le plus certain dans un pas si glissant, Secourez une Veuve à vos ordres fidelle, Dont le zele impuissant soutient vôtre querelle, Ajoûtez ce qui manque à ces traits empruntez Que pour plaire au Tyran le monde m’a prétez, Faites qu’il trouve en moy tout ce qui rend aimable, Et dans tous mes discours un charme inévitable : Qu’il en goûte à longs traits la mortelle douceur, Et que ses propres yeux soient un piege à son cœur. Qu’aux deux bouts de la terre à jamais on publie Qu’une femme elle seule a sauvé Betulie, Et qu’un peu de beauté fut le fatal écueil Où le Tyran a vû briser tout son orgueil. Achior m’a parlé, qu’en pouvez-vous attendre ? A de lâches conseils le ferez-vous descendre ? Nôtre amitié sur moi luy donne un plein pouvoir, Mais loin de condamner mon juste desespoir, Touché de mon malheur...         Quand Misael s’emporte Quel frein peut retenir une douleur si forte ? Quoi-que dans cet état trop digne de pitié Il donne des terreurs à ma tendre amitié, Ne nous opposons point au torrent qui l’entraîne. Souffrons qu’un malheureux, pour soulager sa peine, Aille dans les combats exhaler sa douleur, Et qu’un beau desespoir seconde sa valeur. De quel œil voyez-vous ce que le Ciel m’inspire ? Si sans vous, si sans lui, seule j’y puis suffire, Pourquoi me viendra-t-il troubler par ses fureurs ? Achior, vous avez de pareilles ardeurs ; Votre nom fait du bruit, et je sçai quelle audace Dans le Camp d’Holoferne a fait votre disgrace ; Mais ne voyez-vous pas qu’en flatant Misael Votre zele se trompe et devient criminel : Ne vous abusez point dans son ardeur guerriere, Sa jalouse fureur se montre toute entiere. Sur mon ajustement nouveau, mystérieux Il forme des soupçons inquiets, curieux, Il cherche avidement ce que j’ose entreprendre, Et jusques dans le Camp il est prest de descendre. Misael, Achior parle en votre faveur, Et je veux comme lui flater votre douleur. Vous brûlez de combattre, et je vous le pardonne ; Mais ne traversez point ce que le Ciel m’ordonne, Ou puisse sur vous seul le celeste courroux Détourner tous les maux qu’il fait tomber sur nous. Si ma menace est foible, et n’a rien qui vous touche, Craignez le Dieu vivant qui parle par ma bouche. Juste Ciel quels discours terribles, menaçans ! Vous en sentez la force autant que je la sens, Misael, je le voi par ce morne silence : Tout ce que vous aviez d’ardeur, d’impatience En écoutant Judith, glacé subitement Vous laisse devant nous, sans voix, sans mouvement. Ah ! que vous jugez mal de l’état de mon ame ! J’examine en secret l’adresse d’une femme, J’admire de quel air son zele audacieux Oppose la menace aux soupçons curieux, Aux mouvemens jaloux qui m’agitent sans cesse ; Mais j’admire encor plus avec quelle foiblesse Vous vous laissez seduire à tout ce qu’elle dit. Ce n’est plus la modeste et sincere Judith ; Sa vertu sans fard, sa beauté naturelle, C’est la fausse Judith, c’est Judith l’infidelle... Arrétez, Misael : vôtre jaloux dépit Ose-t-il outrager la fameuse Judith ? Respectez sa vertu, le Ciel la justifie Par le hardi dessein que son choix lui confie. Combatons, j’y consens, mais au moins gardez-vous D’embarasser Judith par vos transports jaloux ; Ou plutôt pour sçavoir le parti qu’il faut prendre Attendons le succés....         Je ne sçaurois attendre ; Je veux sans differer, je veux être éclairci ; Judith hazarde tout, hazardons tout aussi. Des plus vaillans Hebreux prenons ce qui nous reste, De la soif, de la faim le ravage funeste Nous laisse encor la fleur de nos meilleurs soldats. Dés que j’aurai reçû les ordres d’Ozias Je me livre aux transports dont mon ame est saisie, Soit amour ou fureur, soit zele ou jalousie. Que le Camp en murmure, il faut qu’on obeïsse, Je veux que Betulie ou se rende, ou perisse. La soif me vange assez de sa temerité : Mais un succés si lent fait honte à ma fierté. La victoire vous plaît prompte et precipitée : Mais la sage valeur est-elle moins vantée ? Ces rapides succés, Seigneur, ont peu d’appas Quand ils sont achetez par le sang des soldats, Et cette soif de vaincre ardente, impetueuse, Aprés un long bonheur n’est pas toujours heureuse. Dois-je vaincre autrement pour remplir mon employ ? Le Roi que nous servons que diroit-il de moy, Si Chef de son armée, et chargé de sa gloire Je voulois ménager une foible victoire, Attendre ici du tems que reduite aux abois Une Ville sans nom, inconnuë à nos Rois Se rendît lentement par la soif qui la presse, Et me fît triompher par sa seule foiblesse ? Ce Roi, dont je dois prendre et l’esprit et le cœur, Me pardonneroit-il cette indigne lenteur ? Holoferne sans honte en Conquerant paisible Peut forcer sans combattre un mont inaccessible Herissé de rochers, d’où les Betuliens S’élevent fierement sur les Assiriens. Est-ce trop peu pour vous de reduire une Ville Qui peut braver la force et la rendre inutile, Et de sçavoir vous faire un triomphe certain Qu’à peine on obtiendroit les armes à la main ? Vous voulez ébloüir d’une belle apparence Et mon ambition et mon impatience. Je sers un Roi qui veut ardeur, activité, Vainqueur rapide, heureux, il veut être imité. Fier d’avoir sçû gagner une pleine victoire Sur le Mede jaloux et rival de sa gloire, Il veut au monde entier faire adorer ses loix. Pour en faire avertir les Peuples et les Rois, Ses ordres sont portez aux deux bouts de la Terre ; Mais quoi-que menacez d’une cruelle guerre, On vit Peuples et Rois sans presens, sans honneurs, Renvoyer fierement tous ses Ambassadeurs. Vous souvient-il alors par quel serment terrible Il jura de venger un affront si sensible, Il m’ordonna de vaincre et sans perdre un moment De sacrifier tout à son ressentiment. Pressé par sa fureur, armé de sa puissance, Je pars, sors de Ninive, et plein de confiance Je marche à la victoire, et suis par tout vainqueur ; Chaque moment grossit ce torrent de bonheur. Au nom des Rois, qu’on vit si fiers, si temeraires Je reçois des honneurs forcez ou volontaires ; L’encens fume par tout, tout est semé de fleurs ; L’air retentit de chants et d’éloges flateurs ; Tout m’applaudit, par tout joye et magnificence Honorent mon triomphe, élevent ma puissance. Mais vous voiez ici tout d’un coup arrétez Les flots impetueux de mes prosperitez, Au pied de ces rochers dont l’accés difficile D’un peuple desarmé fait le plus seur azile, Mon pouvoir retenu languit honteusement. Qu’un assaut general sans perdre un seule moment Ouvre un libre passage au cours de ma victoire : De ce retardement je dois compte à ma gloire ; Il est honteux pour moy que le Roy que je sers Soit un seul jour plus tard maître de l’Univers. Penetrons ces rochers, rien n’est inaccessible Aux vifs et prompts efforts d’une armée invincible. Mais quels cris m’ont frapé ?         Nos ennemis, Seigneur, Ont fait une sortie avec tant de vigueur, Que presqu’au haut du mont nos troupes avancées Par leurs premiers efforts ont été renversées ; Achior qui conduit un si hardi dessein Animoit ses soldats de la voix, de la main ; Tout plioit, et déja sa fureur insolente Tournoit comme ses yeux, ses pas vers votre tente ; Un autre de leurs Chefs plus furieux encor, Avec tant de succez secondoit Achior, Que la garde du camp ne resistoit qu’à peine. Mais la victoire alors devenant incertaine, Par de puissans secours sans cesse redoublez Les Hebreux sont enfin par le nombre accablez. Cependant Achior fier malgré sa défaite Rassemble ce qui reste, et combat en retraite ; Un gros de Juifs le joint, ardens, desesperez, Par mille maux soufferts si fort défigurez, Que nos soldats ont pris d’abord quelque épouvante : Mais voiant leur ardeur peu durable, impuissante, On poursuit...         Ton recit fait perdre trop de temps ; Allons, allons hâter le succés que j’attens. Achior est défait, et sa troupe affoiblie Aprés un long combat rentre dans Betulie : Mais voiant un des siens de la troupe écarté Qui s’éloignoit de nous d’un pas precipité, Je l’observe de loin, sa course impatiente Par un secret détour le mene à votre tente. Poursuivi des soldats que j’avois prés de moy, Accablé par le nombre il se rend sans effroy ; Son air ferme, intrepide, et sa mine hautaine, Font voir qu’un grand projet...         Commandez qu’on l’amene. Quel étrange dessein te conduit en ces lieux ! Quel secret attentat....         Un dessein glorieux. Je voulois par ta mort affranchir une Ville De la sainte Sion le principal azile. Dans le dernier combat Achior avec moy Nous avons tout osé pour aller jusqu’à toy. Tu sçais par quel malheur nous perdons la victoire ; Et moy par un transport et de zele et de gloire Seul je cours t’immoler, mais un si beau dessein A ma confusion attend une autre main. Le Ciel, quand Israël, lui demande justice, Se reserve lui-même un si grand sacrifice, Ou peut-être a choisi pour un si noble employ Un Hebreu plus illustre et plus heureux que moy. J’admire ton audace, et je commence à croire Qu’un siege qui sembloit matiere à peu de gloire, Peut se compter sans honte au rang de mes Exploits : Mais de ce Peuple fier, plus fier que tant de Rois Qui viennent tous les jours me rendre leurs hommages. Dy moy quel est le sort, quels sont les avantages, Dy moi quel est l’espoir d’un Peuple malheureux, Mais parle en ami sincere et genereux. J’atteste devant toy l’astre qui nous éclaire, Tabernacle sacré d’un Dieu que je revere, Que je ne dirai rien contre la verité ; Non que j’affecte ici cette sincerité, Pour racheter ma vie et mandier ta grace ; Quelque cruel que soit le coup qui me menace, Je suis trop malheureux pour craindre ton couroux. Sçache donc que le Ciel irrité contre nous Aiant mis dans tes mains sa gloire et son tonnerre, Fait tomber sur les Juifs tous les maux de la guerre : Mais la vertu des Juifs est capable de tout, Et leur perseverance ira jusques au bout. Malgré la soif, malgré la rigueur de tes armes, Consternez, accablez de mortelles alarmes, Nous voulons resister, seurs à force de pleurs De rendre enfin le Ciel sensible à nos malheurs, Et d’attirer sur nous des sources abondantes. Porte, porte plus loin tes armes triomphantes : Le Ciel en protegeant la sainte Nation, Livre le monde impie à ton ambition. On t’a vû par l’effort d’une noble furie Chez cent Peuples soumis briser l’idolâtrie ; On t’a vû foudroyer par tes puissantes mains Des chimeriques Dieux les simulachres vains, Reduire leurs Autels et leurs Temples en poudre, Embraser tous leurs bois si dignes de la foudre, Ces infames reduits, et dont l’obscurité Des forfaits les plus noirs cachoient l’impieté. Tu devois au vray Dieu faire ce sacrifice : Mais bien loin de servir sa gloire et sa justice, On dit que l’on a vû ton bras victorieux Renverser les Autels, exterminer les Dieux, Qu’a dessein seulement de déclarer ton Maître Le seul Dieu de la terre, et le seul digne de l’être. As tu pû l’ignorer ? ce vainqueur glorieux Réünit en luy seul tous les Rois, tous les Dieux ; Que si tu n’entens pas la voix de son armée, La voix des Nations et de la Renommée, C’est moy qui parle, et moy je t’apprens aujourd’huy Qu’il n’est plus d’autre Roy, plus d’autre Dieu que luy. Plus d’autre Dieu que luy : quel blasphême execrable ! Abuse-t’on ainsi de ce nom adorable ? Apprens que ce grand nom dit un Estre éternel, Et qu’il n’est d’autre Dieu que le Dieu d’Israël. Ne crois pas m’éblouïr par cette grande idée Que tu nous veux donner du Dieu de la Judée. Par pitié je fais grace à ce zele emporté. Plus tu m’oses braver, plus ton impunité Te fera voir combien je méprise ta haine, Et combien ta menace est inutile et vaine, Quand tu crois que ton Dieu peut armer contre moy Quelque Hebreu plus à craindre et plus heureux que toy. Un prodige étonnant vient de frapper ma veuë. Une femme, Seigneur, superbement vétuë S’enfuit de Betulie, et vient à vos genoux Par de profonds respects fléchir votre couroux. Qu’on la fasse venir.         Seigneur, je l’ai laissée Qui marchoit au milieu d’une foule empressée. Si-tôt qu’elle a paru, le Camp de toutes parts Vers elle seule a fait aller tous ses regards : Mais en nous attirant par un charme invincible, Je ne sçay quel éclat majestueux, terrible, Mêle un respect timide au plaisir de la voir. Chaque soldat oublie, ou suspend son devoir ; Et plein d’une merveille étonnante et nouvelle, Croit que la beauté même, en habit de mortelle, Avec tous ses appas vient se donner à vous. C’est Judith ; cache toy, mon desespoir jaloux. Qu’on aille satisfaire à mon impatience, Je brûle de la voir.         Que je crains sa presence ! Quel surprenant éclat vient de fraper mes yeux, Et porte dans mon cœur un charme imperieux ? Je voy dans tous ses traits tout l’air d’une Immortelle, Et toute ma grandeur disparoît devant elle. Pour flater son orgueil, affectons tant d’effroy, Un respect si profond.... je tremble, soûtiens-moy. Ah ! que de majesté ! tant de grandeur m’accable. Quel objet est icy pour vous si redoutable ? Reprenez vos esprits, et commencez à voir Que vos yeux sont icy plus craints que mon pouvoir. Vous étes en ces lieux souveraine maîtresse. Quelle flateuse voix rassure ma foiblesse, Et me rend tout à coup l’usage de mes sens ? Mais en ouvrant les yeux, que de troubles puissans Reviennent quand j’approche un thrône si terrible, Qui du thrône éternel est l’image sensible ! Seigneur, pour me sauver de ton juste couroux, Je sors de Betulie, et viens à tes genoux. Vous aux pieds d’Holoferne humblement prosternée, Vous que de tant d’appas le Ciel a couronnée ? Vive et regne à jamais ton Roy vainqueur des Rois, Que tous ses ennemis soient soumis à ses loix, Et que par le secours du bras que tu lui prétes Il porte encor plus loin son nom et ses conquêtes. Quand la terre s’étonne et se taît devant toy, Peux-tu pour m’écouter descendre jusqu’à moy ? On connoît ta sagesse, on vante ta conduite. Sur un nom si fameux j’ay hazardé ma fuite ; J’ay dû presumer tout d’un cœur comme le tien, Dans ton Camp, dans tes fers la vertu ne craint rien. J’aime mieux être icy captive, miserable, Qu’être en proye aux malheurs d’une Ville coupable, Que le Ciel irrité ne veut plus secourir, Et que ses jugemens condamnent à perir. En vain je leur fais voir la force de tes armes, On ne veut écouter mes conseils ni mes larmes ; Ils persistent toujours dans l’horrible dessein De souffrir jusqu’au bout et la soif et la faim. Ils sont si transportez de cette aveugle rage, Que sans se rebuter de l’horreur du breuvage, Ils veulent avaler le sang des animaux ; Même pour ajoûter le crime à tant de maux, On les voit d’une ardeur sacrilege, intrepide, Se jeter sur l’Autel, et d’une bouche avide Devorer les presens que nul impunément Ne peut jamais toucher de la main seulement. Sur tant d’impieté, sur tant d’impatience, Le Ciel se lasse enfin d’écouter sa clemence, Les livre entre tes mains, et bien loin aujourd’huy D’aimer un peuple ingrat et de veiller sur luy, Il veut exterminer cette race rebelle. Profite d’un avis important et fidelle.                         p. 55 Judith flatte Holoferne, et par de faux avis. Tu vois si tes conseils doivent être suivis. Misael en ces lieux ! j’ai prevû sa disgrace. On vient de l’arréter ; J’ai loüé son audace, Quand il m’a dit tout haut qu’il venoit m’immoler : Mais quand je luy permets de vivre et de parler, Ce lâche à l’attentat ajoûte l’imposture. C’est vous qui m’attirez cette mortelle injure. Par un discours trompeur vous démentez le mien, Achevez mes malheurs et ne ménagez rien, J’ay voulu par sa mort délivrer Betulie, J’ay tenté cet effort au peril de ma vie, Et j’ay même écouté ce genereux couroux Par d’autres interêts qui ne sont que pour vous. Qui ne sont que pour moy ! Suis-je votre complice ? Et puis-je souhaiter qu’Holoferne perisse, Quand je viens à ses pieds implorer sa faveur ? Judith le reconnoît désja pour son vainqueur ! O ! honte d’Israël ! vous serez satisfaite ; On ne laissera point votre gloire imparfaite. Holoferne éblouï par un charme trompeur. Je suis las d’écouter un traître, un imposteur. Quels noms pour Misael ! quelle horrible injustice ! Jouïssez de ma peine et de votre artifice. Je fais tous ses malheurs. Dure necessité ! Si tu ne me crois pas digne d’être écouté, Par une prompte mort...         Ouy, tu mourras, parjure, Moins pour ton attentât que pour ton imposture. Qu’on aille l’immoler à mon juste couroux. Non, il cherche à mourir : ce supplice est trop doux. Il faut que dans les fers il gemisse, il soupire, En voyant sur les Juifs étendre ton Empire. Qu’il vive, et qu’apprenant ta gloire et ton bonheur, Il en meure cent fois de rage et de douleur. Hé bien, que la prison commence son supplice. Dés que l’ordre du Ciel pour te faire justice Voudra que je te mene au thrône des Hebreux, Je te feray marcher triomphant devant eux. Je te les livreray sans armes, sans défense, Tous tremblans de respect et tous en ta presence Frappez d’une muette et divine terreur Viendront à tes genoux adorer leur vainqueur. Nul cry seditieux, nul murmure inutile Ne troublera la paix d’un triomphe tranquille. Ah ! c’est trop me flater; cependant je vous croy, Quoi-que vous promettiez, je l’attens malgré moy ; Votre vertu me force à croire ce miracle, Et donne à vos discours tout le poids d’un Oracle.                 p. 58 J’allois tout hazarder, et malgré nos soldats J’allois dans cent perils precipiter mes pas, Et m’ouvrir sur ces monts une sanglante voye ; Et vous, par le secours du Dieu qui vous envoye Vous m’offrez sans combatre un triomphe certain. Ah, si c’est votre Dieu qui vous préte sa main, Luy seul sera le mien, et déja je commence De le sentir en vous, d’adorer sa puissance. Ses plus beaux traits qu’en vous sa main a retracez M’inspirent des transports...         C’est assez, c’est assez. Tout flate mes souhaits ; je voy dans ce langage Des promesses du Ciel l’asseurance et le gage. Je vay le consulter pour apprendre quel temps, Quel secours il destine au succés que j’attends. Allez le consulter et hâter ma victoire, Et j’avouëray tout haut, pour payer tant de gloire, Que vainqueur tant de fois, un nom si grand, si doux, Me fera plus d’honneur si je le tiens de vous. Holoferne déjà se dispose à se rendre ; Vous allez triompher.         Hé, que puis-je prétendre D’un triomphe honteux dont j’ay lieu de trembler ? Si j’ay vû le Tyran s’attendrir, se troubler, Vois-tu pas quel scrupule empoisonne ma joye ? Tu vois pour le succés ce qu’il faut que j’employe, Quels ornemens, quels soins, quel langage flateur. Quel chemin ai-je pris pour entrer dans son cœur ? Et pour y faire naître un amour execrable ? Quel employ pour Judith ! Quelle honte m’accable ! Misael est icy, pour comble de douleur, De tout ce que je fais le triste spectateur : J’aigris son desespoir par un lâche artifice ; Je rachette sa mort par un autre supplice ; J’exerce contre luy la derniere rigueur ; Et quand de toute part je luy perce le cœur, Je travaille à gagner un Tyran que j’abhorre : Et vous y consentez, puissant Dieu que j’adore. Mais pourquoy ces remords et ces scrupules vains ? J’ay flechy le plus grand, le plus fier des humains. Goutons le doux espoir d’une pleine victoire. (Malheureuse Judith) quelle yvresse de gloire, Quel orgueil insensé te fascine les yeux ? Quoy-que l’espoir de vaincre un Tyran odieux Soit un motif illustre, et que le Ciel l’ordonne, Détestons à jamais l’amour que je luy donne. Que de troubles cruels s’élevent dans mon cœur ? De tout ce que prevoit la timide pudeur J’ay peine à soûtenir l’épouvantable idée. Helas ! que dira-t-on du Dieu de la Judée ; Si par un artifice infame et criminel Il faut perdre Holoferne, et sauver Israël ? Pour le faire perir, pour en purger la terre, Le Ciel, le juste Ciel n’a-t-il pas son tonnerre ? Allons hors de ce Camp dont l’air est infecté, Où tout est corrompu par son impieté, Allons prier le Ciel que sans blesser sa gloire Il me fasse achever cette affreuse victoire. Que nul n’entre en ces lieux. Toy ; demeure avec moy. Je cache mon desordre à tous autre qu’à toy. Jamais trouble pareil n’est entré dans mon ame. Occupé, penetré des charmes d’une Femme, Je n’entens, je ne sens que ce qu’elle me dit ; Je croy la voir par tout, tout est plein de Judith. Cette image en tout temps m’obsede et m’environne, Un charme surprenant qui sort de sa personne A jusques dans mon cœur, jusques dans ma raison Fait passer tout d’un coup un funeste poison. Quand je voy de quel coup ma gloire est menacée, Et de quel air Judith regne dans ma pensée, Indigné contre un mal que je ne puis souffrir, Je suis presque tenté de la faire perir. Prenons nos seuretez contre cette Captive, Qu’est-ce qu’une beauté suspecte et fugitive ? Sacrifions sa vie au repos de nos jours. Voulez-vous recourir à ce sanglant secours ? Votre amour a-t-il pû vous ôter la memoire ? Judith vous a promis une grande victoire, Et sans qu’il vous en coûte un séul de vos soldats. Mais sçais-tu jusqu’où va ce fatal embarras ? Je voy bien qu’il te faut ouvrir toute mon ame, Et te faire trembler des fureurs de ma flâme. Pour dégager mon cœur d’un amour insensé, J’embrasse tous les temps, l’avenir, le passé ; Je rappelle les noms des Nations soûmises, Des Princes subjuguez, des Provinces conquises ; Je tâche à m’occuper de mille soins divers Qu’exige la grandeur du maître que je sers ; Et tout ce que m’impose un devoir necessaire, Ce que j’ay déja fait, ce qui me reste à faire, L’embarras de régler à chacun son employ, D’écouter tant de voeux qui s’adressent à moy, Toute l’attention assiduë et profonde Que je dois au projet de conquerir le monde ; Tout celà ne sauroit bannir de mon esprit, Eloigner un moment l’image de Judith. Et pourquoy l’éloigner, cette image si chere, Et contre tant d’appas armer vôtre colere ? Maître de la Beauté dont vous étes charmé, Aimez, Seigneur, parlez, et vous serez aimé. Si pour plaire à Judith il faut que je m’explique, Apprens jusques où va son pouvoir tyrannique. Pressé de la plus forte et violente ardeur Que l’amour ait jamais fait naître dans un cœur, J’ay voulu me livrer à toute la licence Que donne à mes transports la suprême puissance ; Mais je ne sçay quel trouble a glacé mes desirs, Et m’a presque interdit l’usage des soupirs. Jusqu’icy j’ignorois ce qu’on souffre à se taire, Quand j’aimois je parlois, et j’étois seur de plaire ; Mais en voyant Judith, frappé d’un trait perçant, Accablé d’un respect timide, embarrassant, Et que jamais mon cœur n’a senti qu’auprés d’elle, A peine de ma flâme une foible étincelle, Telle que je la sens, s’est montrée à ses yeux ; Elle impose un respect que je refuse aux Dieux. Le Ciel ou les Enfers par un charme sensible Donnent à ses appas une force invincible. Je n’ose l’approcher, la gloire et la pudeur Qui regnent sur son front, donnent de la terreur ; Et cependant tout plein d’amour, d’impatience, Je brûle de la voir pour rompre le silence. Elle ne paroit point, que fait-elle ? en quel lieu... Loin du monde et du bruit elle implore ce Dieu Qui luy promet pour vous... La voici qui s’avance. A peine mes regards soutiennent sa presence. En sortant de prier le Dieu que vous servez, Par un nouvel éclat vos attraits relevez, Dans mes sens étonnez font couler une glace Qui m’ôte la parole et retient mon audace. Quoy qu’au nom d’Holoferne on puisse tout risquer, Je ne sçay de quel air je pourray m’expliquer. On m’a vû hautement, sans art et sans prieres, Expliquer mes soupirs aux Reines les plus fieres ; Je tremble devant vous, et si mon foible cœur Avoit pû retenir cette fatale ardeur, Qui veut paroître au jour en dépit de moy-même Judith auroit long temps ignoré que je l’aime. Où me voy-je reduite ?         A de pareils discours Les modestes beautez s’alarmerent toûjours. A quoy m’expose, helas ! notre grande entreprise ? J’en frissonne d’horreur.         Je voy votre surprise : Mais elle va si loin, votre desordre est tel Que vous semblez vous faire un deplaisir mortel De ce qui vous éleve à la gloire supreme. Songez, quand je vous dis qu’Holoferne vous aime, Que ce mot vous promet les tresors, les honneurs Qui peuvent assouvir la soif des plus grands cœurs. Des Rois et des Heros les flames sont trop belles Pour faire quelque injure à des beautez mortelles ; Rien ne peut de leur part offenser la vertu. Que d’un scrupule vain votre cœur combatu Ne se refuse pas cette grande victoire, Et sachez, pour jouïr de toute votre gloire, Que l’aveu que je fais met un Prince à vos pieds Qui voit à ses genoux cent Rois humiliez ; Il se fait tant d’honneur d’être vôtre conquête, Qu’il veut que dés ce soir un grand festin s’apprête, Où devant tout le camp on vous voye aujourd’huy Au milieu de nos chefs assise auprés de luy. Luy refuserez-vous, Madame, cette grace ? Hé qu’est-ce que Judith pour avoir cette audace ? Peut-elle refuser un si rare bonheur ? Je veux tout ce que veut mon Maître et mon Vainqueur. Mais quand vous me flattez par un si doux langage, Je voy sur votre front quelque sombre nuage Qui fait voir, à travers ce dehors éclatant, Que votre cœur se trouble, et qu’il n’est pas content. Judith n’a-t-elle pas tout ce qu’elle souhaite ? Vous forcez un vainqueur d’avouër sa défaite, Et luy donnant des fers qui luy sont precieux, Vous trouvez pleinement grace devant ses yeux ; Mais pour vous en donner une marque éternelle, Je veux qu’en votre nom une feste nouvelle De ce qu’il sent pour vous instruise l’Univers. Je connois tout le prix de tant d’honneurs offerts : Mais demain j’ose attendre une plus grande gloire, Et quand j’auray pour vous obtenu la victoire, Ce jour sera pour moy le plus beau de mes jours. Quoy, tout ce que j’attens de vôtre seul secours, Le succés étonnant d’une illustre entreprise, Cette prompte victoire à mes armes promise, Doit être pour Judith le comble du bonheur ! Aprés tant de bontez il n’est rang ni grandeur Qu’on n’obtienne pour vous dans la cour d’Assyrie. Même si vous voulez regner dans Betulie, Je mettray dans vos mains le Sceptre d’Israël ; Et pour y joindre encore un éclat immortel, Ayant brisé les Dieux adorez sur la terre, Et voulant à jamais leur declarer la guerre, Pour placer dignement un nom si glorieux, Vous seule et vôtre Dieu vous serez tous mes Dieux. Ah Seigneur ! c’en est trop, tant de gloire m’accable. Pour vous faire un destin plus grand, plus honorable, Je veux vous épouser.     M’épouser !         Avez-vous Tant d’horreur pour un noeud si pretieux, si doux ? Tant d’honneur m’épouvante.         Ah ! faites que je voye Que vous le recevez avecque plus de joye, Ou craignez qu’un amant que vous desesperez... J’accepte avec transport l’honneur que vous m’offrez, Et le cœur plein de joye et de reconnoissance, Quand vous poussez si loin vôtre magnificence J’ose même en faveur d’un Enfant d’Israël... Ne me demandez point grace pour Misael, Il a fait à Judith une mortelle injure. Verra-t-on impunie une lâche imposture ? Laissez pour vôtre gloire agir tout mon couroux. Judith s’est trop flatée, et croyoit prés de vous, Quand pour un malheureux elle vous sollicite, Que son humble priere auroit plus de merite. Vos bontez m’ont trompée, et mon credule espoir... Ah, mon amour sur moy vous donne un plein pouvoir. Que Misael soit libre, et que l’ingrat apprenne Quand vous parlez pour luy, quand vous rompez sa chaine, Et que j’attens de vous un triomphe certain, Que l’un et l’autre enfin tient tout de vôtre main. Je vous laisse ; le Camp demande ma presence ; Mais s’il faut vous quitter, ma juste impatience Me rendra promptement cet entretien si doux Que mon devoir m’arrache en m’éloignant de vous. Que de biens apparens flatent vostre esperance ! Dis plûtôt, que de maux accablent ma constance ! Que je prevois d’horreurs dans l’état où je suis ! Vos regards égarez m’expliquoient vos ennuis, Tandis que le Tyran vous parloit de sa flame. Que de transports divers ont dechiré mon ame ! Je voulois, et craignois l’aveu de son amour, Et j’attens en tremblans la fin de ce grand jour. Où suis-je ? où me conduit cette étrange avanture ? Je marche sans clarté dans une route obscure, Moy, je l’épouserois, le Tyran d’Israël, Amant foible et soûmis, mais ennemy cruel ? Ah ! s’il faut à ce prix acheter la victoire... Ah ! de plus grands perils menacent vostre gloire. Craignez, dans un Tyran qui soupire pour vous, Un insolent vainqueur, et non pas un époux. Je crains tout ; cache moy cet affreux precipice. La voix du Ciel m’appelle, il faut que j’obeïsse. Mais ne voyez-vous pas de quels noms odieux Vous chargera bien-tost un camp seditieux ? Il court déjà des bruits qui doivent vous confondre, Tout parle contre vous, qu’avez-vous à répondre, A ces bruits outrageans qui me comblent d’effroy. Ne crains rien, l’Eternel leur répondra pour moy. Je sens ce qu’un grand cœur souffre de violence De voir par des soupçons souïller son innocence. On me reprochera la folle vanité, Toute l’ambition qu’inspire la beauté. L’horreur d’un tel reproche et de tant d’injustice, S’oppose puissamment à ce grand sacrifice : Mais le feu que mon zele allume dans mon sein Devore tout obstacle et tout respect humain. Que l’honneur du Tres-haut l’emporte sur tout autre, Ayons part à sa gloire en luy donnant la nostre ; Tombent, tombent sur moy, j’y consens à ce prix, Mille confusions, l’opprobre et le mépris. Cependant Misael trouve une ample matiere A pousser contre vous sa fureur toute entiere. Il ne voit rien en vous, s’il n’en croît que ses yeux, Qui ne soit criminel, effroyable, odieux. Aux yeux de Misael rien ne me justifie ; Tout me couvre à ses yeux d’horreur, d’ignominie, Je fais tous ses transports, ses perils, son erreur ; Libre par mon secours, il va dans sa fureur De tout ce qu’il a veu, de ce qu’il ose croire, Faire aux Betuliens l’image la plus noire. Il paroist.         Ah ! quel est le trouble où je le voy ! Je vis et je respire encore malgré moy. Vous changez mon supplice au gré de votre haine, Vous m’avez mis aux fers, et vous brisez ma chaîne. Cruelle, il vous est doux d’aigrir mon desespoir ; Votre bienfait m’apprend quel est votre pouvoir, Et me découvre enfin cet important mystere, Ce secret étonnant que vous me vouliez taire. Votre beauté triomphe ; Holoferne est à vous, Et quelque nom qu’il prenne ou d’amant ou d’époux, Vous cedez aux appas d’un Vainqueur qui vous aime. Un Conquerant paré de la grandeur supreme, Environné de gloire a tenté votre cœur. Quoy, voulez-vous toujours plein de votre douleur, Juger de mes desseins par la seule apparence ? Ah ! s’il m’étoit permis de rompre le silence... Hé ! que me diriez vous qui pût vous excuser ? Au Camp des ennemis venir vous exposer ; A flater un Tyran indignement descendre ; Allumer un amour qui peut tout entreprendre ; Sur vous seule assembler ce que l’art imposteur A de plus seur pour plaire et s’emparer d’un cœur ? Ne rougissez-vous point de l’indigne artifice... Hé ! pourquoy, Misael, faut-il que j’en rougisse ? Si par de tels discours Holoferne trompé, Des soins de son amour paroist plus occupé, Que des soins de son Camp et de ceux de sa gloire ? N’est-ce rien que d’avoir arresté sa victoire, Et d’avoir trouvé l’art d’enchaîner sa valeur ? Mais osez-vous si loin pousser cet art flateur, Jusqu’à vouloir risquer l’honneur, et l’innocence, Dans un festin profane où regne la licence, Où le dereglement devient souvent fureur, Et fait évanouïr la honte et la pudeur ? Quand Judith se verra sous une riche tente Du Chef Assyrien Maitresse et triomphante, Au milieu des honneurs, des concerts, des plaisirs, L’objet de mille voeux et de mille soupirs, Le spectacle et l’amour de toute l’assemblée, N’en sera-t-elle point éblouïe et troublée ? Quand on forme un dessein aussi grand que le mien, Sous les ordres du Ciel on n’apprehende rien ; On se met au dessus de l’humaine foiblesse. Dans les moindres perils j’ay vû vostre sagesse Trembler, et dans le fond d’un sejour écarté, Loin des yeux des mortels chercher sa seureté. Cette vertu modeste et qui fut si timide, Est devenuë enfin orgueilleuse, intrepide. Avec un peu de temps vous en jugerez mieux. Faudra-t-il démentir ma raison et mes yeux ? Madame, on vous attend, tout est prest, tout vous presse, La pompe du festin, la commune allegresse, Le superbe appareil du Camp et de la Cour, Tout ce qui doit enfin honorer ce grand jour. Holoferne sur tout impatient d’attendre... Je vous suis.         A cét ordre il est temps de se rendre, Vous balancez. Allez étaler promptement A cette table impie un objet si charmant ; Et moy, je vous verray dans cette grande feste, Triompher lachement d’une indigne conqueste. Non, non, épargnez vous ce spectacle odieux. Quelque ennuy, quelque horreur qu’il en coute à mes yeux, Je veux developper cet étrange mystere. Ah ! c’est trop écouter un soupçon temeraire, Allez dire aux Hebreux que je touche au moment... Moy, que j’aille aux Hebreux vanter impudemment Ce projet criminel, cette infame victoire, Dont on doit à jamais detester la memoire ? Moy, que j’aille pour vous trahir la verité, Et vous faire jouïr de ma credulité ! J’iray par un recit horrible, mais fidelle, Allumer contre vous une haine mortelle. Votre fureur s’augmente, et je plains votre erreur ; On m’attend et j’y cours avec trop de lenteur. Allez, je vous suivray, j’ay même impatience. Voyez tout. Loin de craindre icy votre presence, J’aime à vous voir toûjours curieux et jaloux ; Ma gloire avoit besoin d’un témoin comme vous. Me trompay-je ? Judith seroit-elle innocente ? Je commence à douter, sa fierté m’épouvante. Allons nous éclaircir. Puisse le Dieu vengeur Confondre mes soupçons, et punir mon erreur. A peine on voit briller la lumiere naissante, Qu’impatient, et l’ame incertaine et tremblante, Je cours auprés de vous, et viens me rasseurer Sur tout ce que Judith nous fait esperer. Misael va troubler ce qu’elle ose entreprendre ; De ses jaloux soupçons ne pouvant se défendre Il la suit, et se livre aux mains des ennemis. L’espoir de leur retour ne nous est plus permis. Rien depuis leur départ, nul avis favorable, Nul espoir ne console un peuple miserable. Le Ciel nous abandonne.         Hé, quel est ce discours ? Entendray-je gemir et murmurer toujours ? Quand on croit de nos maux la mesure comblée ; Esperons...         Achior l’ame toute troublée... Helas, le croirez-vous ? l’infidelle Judith... Ozias, écoutez cet étrange recit. Un deserteur du Camp, et mon ami fidelle, Est venu m’annoncer cette affreuse nouvelle. Il m’a dit que Judith ayant par sa beauté Desarmé le Tyran, et vaincu sa fierté, Luy promet sur les Juifs une entiere puissance, Et que pour les punir de leur impatience Elle les livreroit au pouvoir du vainqueur. Holoferne charmé d’un si rare bonheur, Avec tout l’appareil de la plus belle feste, Celebre dans son camp l’espoir de sa conqueste. Judith le doit conduire au pied de nos remparts, Et si-tost qu’on verra floter ses étendarts, Le peuple, sans tenter un effort inutile, Recevra le vainqueur dans le sein de sa Ville. Les ennemis instruits et charmez de ce bruit, Ont fait par mille feux un grand jour dans la nuit, Et l’on entend par tout la triomphante joye, Les cris victorieux que le Camp nous envoye. Achior, osez-vous porter par ce recit Une atteinte mortelle à l’honneur de Judith ? Je le tiens d’une bouche sincere et fidelle. Qui pourroit vous comprendre, ô Sagesse éternelle ? J’ay douté comme vous, mais je voy Misael : Son desordre...         Frappé d’un desespoir mortel, Livrant à la douleur mon ame toute entiere, J’ay marché dans la nuit sans guide et sans lumiere, Et m’égarant sans cesse, aprés un long détour, Le jour naissant à peine a pû voir mon retour. Je reviens, le Tyran malgré moy me fait grace, Helas ! que ne m’a-t-il puni de mon audace ! Je voulois l’immoler à mon jaloux dépit, Et prévenir ainsi la honte de Judith. Surpris par ses soldats, las et honteux de vivre, Je m’accuse, à la mort mon desespoir me livre ; Je presse contre moy le Tyran irrité : Mais Judith de mon crime obtient l’impunité, Et sa pitié cruelle, en me laissant la vie, M’a rendu le témoin de son ignominie. Ah, qu’une prompte mort m’eust épargné d’horreurs ! Expliquez-vous enfin ; quels sont ces grands malheurs ? Judith sur Holoferne emportoit la victoire ; Je l’ai vûë en partant s’en promettre la gloire ; Son orgueil l’a perduë, et je l’avois predit ; Holoferne a son tour triomphe de Judith. Je ne vous diray point par quelle complaisance Elle a sçû du Tyran gagner la confiance ; Par quels discours trompeurs secondant sa beauté, Pour le mieux captiver sa bouche l’a flaté. Si voulant le seduire, elle a mis en usage Tout ce qui peut toucher le cœur le plus sauvage, Elle a pris quelque soin de se justifier : Ma raison l’oublioit, et vouloit l’oublier. A tout ce qui pouvoit servir à la défendre Ma foiblesse cherchoit à se laisser surprendre. Même dans le festin où la joye en fureur Pouvoit faire oublier et sagesse et pudeur, Sa conduite endormoit un peu ma défiance, Sur tout quand Holoferne avec trop de licence Faisant voler vers elle et regards et desirs ; Elle sans écouter ny regards ny soupirs, Negligeoit sagement ces ardeurs empressées, Et tournoit vers le Ciel ses yeux et ses pensées. Mais si tous mes soupçons avoient pû s’abuser, Ce que je viens de voir ne sçauroit s’excuser. Misael, se peut-il que Judith criminelle... Mais ne nous laissez point dans l’attente cruelle... Que d’horreurs ! quand je voy ce qui suit le festin, Holoferne accablé par la vapeur du vin Cherche à se reposer ; là chacun se retire. Judith pouvoit sortir, Judith, le puis-je dire ? Demeure, et moy cedant à l’ordre souverain, Je sors la honte au front, la rage dans le sein ; J’abandonne le Camp, qui se donnoit en proye, Pour honorer la feste, aux transports de sa joye. C’est ainsi que Judith pour remplir nos souhaits Obtiendra d’Holoferne une odieuse paix. Dure à jamais la guerre, et qu’Israël perisse S’il faut le delivrer par un tel sacrifice. Il faut donc, Misael, croire sur ce recit Que tout ce grand projet qu’avoit formé Judith, Ne sert qu’à nous donner une paix plus funeste, Que tout ce qu’a d’affreux la colere celeste. Ah ! plûtost démentez le rapport de vos yeux, Et lors qu’en nous faisant ce recit odieux, Vous faites à Judith une offense mortelle, Croyez que c’est l’erreur d’un soupçon infidelle Et d’un jaloux dépit la vaine illusion. Plût au Ciel qu’il fallût à ma confusion Donner à mes soupçons cette horrible aventure, Et verser tout mon sang pour laver cette injure. Que ne puis-je douter de tout ce que j’ay dit ! Mais j’apperçois Abra.         Quoy seule, et sans Judith ? Judith est de retour, vous l’allez voir paroître : Mais sçachant le respect qu’elle doit au Grand Prestre, Elle a crû qu’il falloit, revenant en ces lieux, L’instruire le premier d’un secret glorieux ; Et c’est vous, Ozias, à qui Judith m’envoye Annoncer son retour, et haster votre joye. Hé, que me direz-vous, si j’en croy Misael ? Est-ce ainsi que Judith veut sauver Israël ? Osez-vous nous vanter une infame victoire ? Estois-je au Camp sans yeux, suis-je icy sans memoire ? Au sortir d’un festin plein de déreglement, Judith demeura libre auprés de son Amant, Vous avez pû tout voir, et n’étant pas loin d’elle, Vous vîtes concerter cette paix infidelle. Quand Israël instruit d’un si honteux traité Apprendra de quel prix Judith l’a racheté, Elle va devenir sous cette affreuse idée L’opprobre et le mépris de toute la Judée. Quoy, toujours l’outrager ? ah c’est trop s’emporter. Quand je parle en son nom, vous devez m’écouter. J’avouërai que Judith m’a fait trembler moy-même, En me peignant l’horreur de ce peril extrême. Elle avoit tout à craindre au milieu des plaisirs D’un Tyran emporté par d’injustes desirs ; Mais le Ciel a voulu faire de sa foiblesse Un chef-d’œuvre étonnant de force et de sagesse. Cette immortelle main que l’homme ne voit pas Ecartoit les perils et conduisoit ses pas. Ce qui suivit la feste excita votre plainte ; Judith vît vôtre trouble, et vous vîtes sa crainte. Seule avec Holoferne et tremblante d’effroy, Judith à tous momens tournoit les yeux sur moy. Quoy-que l’occasion dût flater son attente, Je la vis balancer, et sa foy chancelante La laissant sans courage et presque sans espoir, Condamnoit l’entreprise, et tentoit son devoir Mais ce devoir enfin s’opposant à sa fuite, Judith demeure, et vous, sans attendre la suite... Pouvois-je demeurer transporté de fureur ? Ecoutez ce qui reste, et voyez votre erreur. Holoferne au sommeil s’étant laissé surprendre, Donne à Judith l’audace et le temps d’entreprendre. Son sommeil nous offrant l’image de sa mort, Puisse, dis-je aussi-tost par un soudain transport, Puisse, pour avancer sa perte toute entiere, Un sommeil éternel luy fermer la paupiere. Mais pour ce dernier coup que Judith doit porter, Quelles armes le Ciel luy voudra-t-il préter ? Là le fer d’Holoferne à ses yeux se presente. Elle le prend d’abord, mais d’une main tremblante. Cette horreur que l’on sent pour les assassinats, Luy glace le courage, et luy retient le bras. Pour surmonter sa crainte et rasseurer son ame, Vers le Ciel elle lance un regard tout de flame : Ses voeux sont exaucez : et le Ciel dans son cœur Verse subitement une sainte fureur ; Ses yeux brillent d’un feu plus vif que de coûtume Et d’un éclat plus fier son visage s’allume. Holoferne endormy se livrant au trépas, Judith sans balancer sur luy leve le bras, Et prenant ses cheveux d’une main asseurée, Le frappe, et de son corps la teste est separée. Quoy, vous doutez encor de cette verité ! Que je confonde enfin votre incredulité. Un succés glorieux a rempli notre attente. La tête d’Holoferne encor toute sanglante, Par l’ordre de Judith, sur le haut des remparts, Offre un spectacle affreux qui charme nos regards. Qu’entens-je ?     Juste Ciel !         Que pouvez-vous répondre ? C’est ainsi que le Ciel se plaît à nous confondre.                 p. 92 Ah, jalouse fureur, dans quel aveuglement Plonges-tu la raison d’un malheureux Amant ! Allons chercher Judith, la voicy qui s’avance. Pourras-tu Misael soutenir sa presence ? Ozias, c’en est fait, Israel est vainqueur. Abra vous a sans doute annoncé ce bonheur. Son recit a calmé des soupçons effroyables. L’apparence a rendu ces soupçons excusables, N’en parlons plus. Songez qu’Holoferne immolé Livre aux Betuliens tout le Camp desolé. Le jour a revelé la perte qu’il a faite. Vous, Ozias, allez achever sa défaite. Vous, suivez Ozias.         J’y cours avec ardeur. Allons par mille morts expier notre- erreur. Qu’ordonnez-vous de moy dont la jalouse rage Fait à la vertu même un si sanglant outrage ? Moy, soupçonner Judith, elle à qui l’Eternel A voulu confier la gloire d’Israël ? Quelle étoit mon erreur ! quel assez grand supplice De mes emportemens vous peut faire justice ! Qu’avec tous nos malheurs, dans un profond oubly, Ce que vous avez fait demeure ensevely. Vos soupçons m’offensoient, perdons-en la memoire, Et revoyez Judith avec toute sa gloire. Si malgré le penchant que j’eus toujours pour vous, J’ay pû vous preferer un immortel Epoux ; Un choix si glorieux n’est pas sans recompense. Voyez quel est le fruit de cette preference, Et prenez part vous-même à ce rare bonheur. Une femme a défait un superbe vainqueur, Nos malheurs sont finis, Betulie est sauvée, La tête du Tyran sur nos murs élevée Instruira l’Univers qu’Holoferne n’est plus. Ainsi vous triomphez, et moy, triste et confus, En horreur aux Hebreux, à Judith, à moy-même, Je vivray malheureux, privé de ce que j’aime, Et coupable envers vous, pour comble de douleur, D’un crime qui me rend digne de mon malheur. Ecoutez, et voyez ce qui suit ma victoire. Vous ne me verrez point fiere de tant de gloire Retenir cette pompe, et m’offrir aux honneurs, Aux applaudissemens qu’on prodigue aux vainqueurs. Je vay me dépouïller d’une parure vaine, Ornemens empruntez à la grandeur humaine, Heureuse d’avoir fait, aux yeux du Tout-puissant, D’un art si dangereux un usage innocent. Vous fûtes le temoin de ma peine secrete, Grand Dieu, quand je laissay la cendre et la retraite. Pour vous je les quittay, je les reprens pour vous, Et me rens toute entiere à mon divin Epoux. Que de gloire ! Judith triomphe par ses charmes, Et retourne aussi-tôt à la retraite, aux larmes. Je la perds pour jamais ; mais malgré mon malheur La vertu de Judith console ma douleur.