LES ENFANS DE BRUTE. TRAGEDIE Ouy Rome est inflexible, et cette criminelle Joint le titre d’injuste à celuy de rebelle, Elle ne rend jamais ce qu’elle a devoré, Ce Monstre insatiable est toujours alteré : Enfin son interest la rend inexorable. Ah ! malheureux Tarquin, ah ! Prince déplorable ! Où rencontreras-tu quelque fidelle appuy, Si tes meilleurs amis te quittent aujourd’huy ? Rome monstre formé de tant d’ames changeantes, Qui fais à nostre Estat cent faces differentes, Et t’osant dispenser de nos premieres lois : Esleves l’insolence, et dethrônes lés Roys. Si le dessein d’agir contre la tyrannie, Nous fait voir maintenant la Royauté bannie, Rend au moins, rend les biens aux Roys que tu bannis, Et ne fais pas contr’eux le mal que tu punis. Princes, souffrirons-nous que l’audace Romaine, Contre nos Souverains fasse esclater sa hayne ? Par des crimes plus grands et plus noirs mille fois, Que ceux dont sa malice ose charger nos Roys. Quel pretexte, quel droict peut avoir sa manie, D’estendre sur leurs biens sa lâche tyrannie ? Ce n’est plus l’interest de nostre liberté, Qui doit servir d’excuse à cette cruauté. Romains, Tarquin n’est plus sur ce thrône adorable, Que vos impietez ont rendu miserable : Mais quel droict avez-vous de retenir son bien ? En cessant de regner, il devient citoyen. Vous, si vous prenez part aux sentimens de Rome, Ne considerez plus ce que fut ce grand homme : Et si regner en luy n’est plus qu’un titre vain, Abandonnez un Ro ; mais servez un Romain. Cét orgueil insolent qui chasse nos Monarques, Laisse de la fureur d’assez sanglantes marques : Après avoir chassé les Tarquins de leur rang, Banny tous leurs parens, versé son plus beau sang, Le debris éclatant d’une illustre couronne Doit borner ses horreurs, et sauver sa personne. Quoy Princes verrons-nous un Roy précipité D’un thrône si superbe à la mendicité ? Verrons-nous ce Heros plus craint que le tonerre, Le favory des Dieux, et le Dieu de la terre, Le sang de tant de Rois, et de vos Fondateurs, Tout seul abandonné de ses adorateurs, Profanant mal-gré luy sa majesté de Prince, Mandier du secours, de Province en Province ? Et peut-estre privé d’un si honteux secours, Consommer lentement le reste de ses jours. Romains si vos rigueurs qui vont jusqu’à l’extréme, Refusent à ce Roy jusqu’à la pitié méme, Ma mort qui previendra ses suprémes malheurs, Armera mes amis, et touchera vos coeurs. Ceux à qui vous parlez, ne sont pas inflexibles, Nos coeurs pour les Tarquins ne sont que trop sensibles. Et nostre desplaisir s’accroist de la moitié, De n’avoir pour leurs maux qu’une vaine pitié. Car quoy qu’il soit nouveau que les Enfans de Brute, Travaîllent pour Tarquin et relevent sa cheute : Et que voyant en Brute une main qui les perd, On rencontre en ses fils une autre qui les sert, Toutesfois pour son bien, et pour vous satisfaire, Les fils ont combattu les sentimens du Pere ; Mais qui peut resister aux traits de sa fureur, Si le seul nom de Roy luy donne tant d’horreur ? Nous avons recognujusqu’où va cette hayne. Ce grand adorateur de la vertu romaine, S’arracheroit le coeur s’il avoit consenty A servir un tyran, et prendre son party, Voila de sa vertu l’illustre charactère. Seigneur, pour confirmer tout ce qu’a dit mon frere, Et que, ce qu’ont d’horreur les plus noirs assassins, Brute le trouve tout au seul nom des Tarquins ; Apprenez, qu’aussi-tost que l’ardeur de mon zele Eust parlé pour Tarquin, et fait Rome infidelle, Son austere vertu par un despit soudain, Interrompt mon discours, et blâme mon dessein : Quoy, dit-il, mes enfans osent accuser Rome ? Mes enfans ont parlé pour un si méchant homme ? Me forcent-ils d’aymer le tyran des Romains, Et d’élever son thrône avec mes propres mains ? Treuvez-vous la pitié d’un si facile usage, Qui ne sçauroit servir qu’à son desavantage, Qui ne fait des presens que pour s’empoisonner, Qui presse l’instrument pour nous assassiner, Et qui piquant nos coeurs d’une fausse clemence, Enrichit l’ennemy dont on craind la puissance ? Qu’on ne m’en parle plus, et qu’on sçache aujourd’huy, Que qui sert un tyran, ne l’est pas moins que luy. Vitelle, j’obëis à ce devoir severe, Qui soûmet les enfans aux volontez du Pere ; Mais s’il faut obeir à ses commandemens, S’il faut suivre les lois, mal-gré vos sentimens, Nous suivrons pour le moins Tarquin et sa fortune, Ne la pouvant changer nous la rendrons commune. Il nous sera permis, ne l’osant secourir, De partager un mal que l’on ne peut guerir. Ah ! Princes ces raisons que Brute vous oppose, Ce zele du public dont il soustient la cause, Dans cette extremité sont un foible devoir Contre les sentimens d’un juste desespoir. Vous interessez-vous pour cette republique, Dont la rebellioneffroyable et tragique, Plus loing que sur le thrône estalant ses horreurs, Dans le sang de Tullie a saoulé ses fureurs, Et tranchant tout l’espoir d’une illustre famille, En bannissant le Pere, a faict mourir la fille ? Voulez-vous maintenant pour comble de ses maux, Abandonner son Pere, et flatter ses bourreaux ? Helas !         Espargnez-vous ces inutiles larmes. Ayez, ayez recours à de plus fortes armes, Et changeant vos douleurs en un juste courroux, Vangez d’un mesme coup Tarquin, Tullie, et vous. Belle ombre de Tullie, amante infortunée, De tes plus chers amans Princesse abandonnée ! Ah ! Ce ne sont pas là ces efforts genereux, Que ta bouche en mourant demandoit à tous deux ! Et toy, ma Servilie espouse genereuse, Fille d’un malheureux, soeur d’une malheureuse ! Toy qu’un peuple mutin par un cruel effort T’arrachant de mes bras, mit dans ceux de la mort ! Ne me reproche plus que j’ay pû te survivre, La soif de te venger m’empescha de te suivre. Me voyant maintenant sans secours, sans espoir, Tu me dispenseras d’un si juste devoir. Le desespoir d’un bien qui bornoit mon envie, Precipite mon sort, et m’arrache à la vie. Princes, je vay mourir, et puis qu’il faut quitter Le glorieux espoir dont j’osois me flatter, Puis qu’à cette vengeance on ne peut vous resoudre, Je l’abandonne au ciel, je la remets au foudre, Je cours joindre Tullie, et flattant son courroux, Tascher de destourner ses yeux de dessus vous, Pour luy cacher l’horreur de vostre perfidie. Pourquoy me parlez-vous du malheur de Tullie ? Que vous avons-nous fait pour nous entretenir D’un object si cruel à nostre souvenir ? Frere ingrat à Tullie autant qu’à vostre gloire, Que vous a-t-elle fait pour bannir sa memoire ? Aymons un souvenir qui nous doit affliger, Et qui met dans nos coeurs l’ardeur de nous vanger. Ah ! que de vostre part ce reproche me touche ! Qu’un soupçon m’est cruel venant de vostre bouche, Vous que j’ay fait tesmoin de ma fidelité ! M’osez-vous soupçonner de quelque lascheté ? Je bannis de mon ame un souvenir que j’ayme, Et Tullie a voulu s’en bannir elle-mesme, Sçachant que cet object n’esleve dans mon coeur, Qu’un effroyable amas de tristesse, et d’horreur, Qu’un desordre impuissant, qu’une inutile rage Indigne de Tullie, et de nostre courage. Oseray-je penser à ce funeste jour, Qui fit évanoüyr l’espoir de nostre amour, Où mille factieux, où Rome toute en armes, Remplist tout le Palais et de sang et des larmes ; Et jusques sur Tullie eslevant son courroux, Porta dedans nos coeurs le plus grand de ses coups ? Quand cette belle morte à mes yeux se presente, Pouvons-nous voir coüler le sang d’une innocente, Sans qu’un amour outréluy fasse à mesme temps, Un sacrifice entier du reste des vivans ; Et qu’entre les bourreaux rencontrant nostre Pere, Son aveugle fureur tâche à se satisfaire ? Puisqu’un tel souvenir nous rend criminels, Mon frere, épargnons-nous des remords eternels : Et sans soüiller nos mains de crimes execrables, Apaisons d’un sang pur ses manes adorables. Mourons.         Mourons Tibere, et qu’un beau desespoir : Fasse sans plus tarder nostre premier devoir ; La vengeance nous plaist, mais l’amour est plus forte, Laissons le thrône à bas puisque Tullie est morte : En vain, et contre Rome, et mal-gré les destins, Je voudrois restablir la grandeur des Tarquins : Car quand avec mes mains je l’aurois restablie, Je hayrois un bien qui n’est pas pour Tullie ; Et je ne pourrois voir qu’avec la larme à l’oeil, Le Pere sur le thrône, et la fille au cercueil. Mourons.         Ah vous vivrés Princes, si vostre vie Par ma mort seulemen vous peut estre ravie. Ah ! mon frère ! ah Seigneur.         Mon frère ! justes Dieux ! Me méconnoissez-vous ?         Que voyez-vous mes yeux ? Est-ce nostre Princesse ?         Oüy, Princes ; c’est Tullie, Et c’est ce qui me reste encor de Servilie. Dans l’effroyable nuict du crime des Romains, C’est tout ce que je peus arracher à leurs mains ; Encore fallut-il qu’une esclave en sa place, Arrestast les fureurs de cette populace. Oüy, c’est vostre Tullie, elle que son bon-heur, Et Vitelle ont sauvé du destin de sa soeur. Et que son amitié sollicitoit de suivre, Si vostre souvenir ne l’eust forcée à vivre ; Et si pouvant par vous surmonter son mal-heur, Elle eust pû sans rougir escouter sa douleur. Mais vous vous estonnez ! d’où vient ce grand silence ? Quoy ? cette belle ardeur s’esteint en ma presence ! Estes-vous sans amour ou bien sans souvenir ? Rompez-vous vostre foy quand il la faut tenir ? Et ne me monstrez-vous cette ingratte foiblesse, Qu’alors qu’il faut remplir une illustre promesse ? Vivray-je pour souffrir la honte d’un refus Et n’ay-je vostre amour que quand je ne suis plus ? Allez, delivrez-vous du soin de ma vengeance ; N’y prenez plus de part, ma mort vous en dispense, Je puis estre mourant ce qu’autresfois je fus, Cruels ! vous m’aymerez quand je ne seray plus. Avecque trop d’ardeur vous blasmez un silence : Qui vient de nostre joye, et de vostre presence, Un esprit qu’a surpris un si grand changement ? Ne revient pas si tost de son estonnement. Est-ce vous ma Princesse ? et si je l’ose croire, Me considerez-vous sans coeur, et sans memoire ? Si vostre feinte mort a bien eu le pouvoir D’armer contre nous-méme un si prompt desespoir, ue fera vostre veuë au moment que les flammes, Avecque plus d’ardeur ressaisissent nos ames ? Et que l’impression d’un desir glorieux, Redouble son effort par celuy de vos yeux. Quel coeur, quel bras Madame auroient tant de foiblesse, Qui ne la surmontast aupres d’une maistresse ? Pour moy je sens desja qu’une pressante ardeur, Vient insensiblement s’emparer de mon coeur. Je brusle de servir et le Pere, et la fille. Sus, mon frere, vangeons cette auguste famille ! Et servans à Tarquin de victime ou d’apuy, Relevons sa fortune, ou tombons avec luy. Vangeons-les : mais Madame en cette conjoncture, Que direz-vous des fils qui forçans la nature; Et se laissans conduire à la seule fureur, Pour servir vostre Pere, abandonnent le leur ? Avant qu’on entreprenne, avant qu’on execute, S’il faut servir Tarquin, jettons les yeux sur Brute, S’il le faut rendre au thrône, et lui servir d’apuy, Considerons un Pere entre le thrône, et luy. Pardonnez, ma Princesse, un sentiment rebelle, Je ne manque envers vous ny de coeur ny de zele ? Mais.         Vous vous abusez, j’ayme trop vostre honneur, Pour vouloir par sa perte achepter mon bon-heur. Et je n’accepterois qu’avec un oeil timide, Le bien que m’offriroit une main parricide. Espargnez vostre Pere, et dans tous vos desseins, Princes, n’entreprenez que contre les Romains. Ayant banny Tarquin, et brisé sa couronne, Vous voyez que leur rage attente à sa personne, Et que l’avidité de leur brutale faim Jette dans l’indigence un Monarque Romain. Quoy que de son exil Brute ayt esté complice, Il n’avoüera jamais une telle injustice ; Et desja son remords blasme secrettement Les violens effects de son ressentiment. Car enfin pensez-vous qu’en ce besoin extréme, On abandonne ainsi l’honneur du diadéme ? Cent Roys pour prevenir un semblable revers, Viendrons jusques icy du bout de l’univers, Porter avec fureur le flambeau de la guerre, Contre une seule ville armer toute la terre ; Et remettant Tarquin dedans son premier rang, Par des degrez couverts de carnage, et de sang, Apprendre le respect aux sujets infidelles, Et les faire trembler du destin des rebelles. Quand nous verrons nos champs couverts de pavillons : Et fumer sous les pas de mille bataillons, Que fera Brute alors ? et pour sauver sa teste, Quel port trouvera-t-il contre cette tempeste ? Prevenez tant de maux par un coup genereux, Vangez-vous des Romains en combattant pour eux, Et par un soin utile au salut d’un seul homme, Sauvez à mesme temps Brute, Tullie, et Rome. Je n’y balance point, le sort en est jetté, Vous, Tite, souspirez d’avoir tant resisté. Je cede avec raison à ces raisons puissantes Qui rendent nos ardeurs et nos mains innocentes, Et qui sçachant unir l’amour de nos parens, Destruisent le motif de tous nos differens. Belle, et sage Tullie, en l’estat où nous sommes, Nous n’avons plus besoin que du secours des hommes. La vertu que les Dieux font éclater en vous, Nous persuade assez qu’ils combatront pour nous. Les hommes, et les Dieux tous conspirent de méme : A remettre en vos mains la puissance supréme, Et Rome envers nous-méme au moins juste une fois : Nous preste assez de mains pour secourir nos Roys. Cent illustres Romains pleins de coeur, et de zele, Qui s’offrent à vanger cette juste querele, Ayants par mille exploits signalé leur pouvoir, Soustiennent nos desseins d’un legitime espoir. Tout ce que l’Italie a de brave jeunesse, Dans la méme entreprise avec nous s’interesse. Cependant au sénat pour la derniere fois, On propose aujourd’huy la demande des Roys. Collatin nous y doit servir avec adresse, Mais pour vaincre sa hayne, il a trop de foiblesse. Quoy qui puisse arriver, allons écrire au Roy, Et qu’au moins nos écrits luy marquent nostre foy. Grands Dieux vangeurs des Rois conduisez cette trame Voyons les conjurez, vous cachez-vous Madame ; La hayne des Romains nous pourroit soupçonner. Au point d’avoir le thrône, ou de l’abandonner, Je ne paroistray point dans ce desordre extréme. Non, ne paroissez plus qu’avec le diadéme. Bien-tost, si ce grand coup ne depend que de nous, Vous pourrez sans rougir paroistre aux yeux de tous. Bien-tost si le succez repond à nostre attente : Tarquin sera remis, et vous serez contente, Vous verrés toute Rome, et la hayne des Roys Venir d’un pas tremblant se soûmettre à vos loix. Mes enfans, les Romains se rendent à vos larmes, Si l’orgueil des Tarquins leur fit prendre les armes, Les pitoyables pleurs que vous versez pour eux, N’ont pas moins sceu toucher ce peuple genereux: De Vitelle, et de vous il a souffert les plaintes, Et sçachant de quel coup vos ames sont atteintes, Il condamne l’excez de ce noble courroux, Qui perdant les tyrans, passa jusques à vous. Ce que vous voulez rendre aux manes de Tullie, Et ce que doit Vitelle à ceux de Servilie, Sollicitant pour vous, obtient de sa bonté, Ce que pour les Tarquins vous avez souhaitté ; On leur rend tout leur bien; quoy, Tite ? quoy Tibere ? Vous soûpirez !     Helas !     Ah ! mon frère !         Ah ! mon frère ! Quoy, Tibere ? quoy, Tite ? est-ce avec des soûpirs, Que l’on reçoit un bien qui bornoit vos desirs ? N’auriez-vous employé de si puissantes larmes, Et ce que la nature a de force et de charmes, A poursuivre un bon-heur dont le refus vous perd, Que pour en soûpirer quand il vous est offert ? Quoy ? Rome à vos desirs jusque-là complaisante ; Qu’elle en a negligé sa liberté naissante, N’aura-t-elle envers vous témoigné tant d’ardeur, Que pour en recevoir cette ingrate froideur ? Fils ingrats !         Ah ! Seigneur en l’estat déplorable ; Où nous met la rigueur d’un sort inexorable, Prenez pour vos Enfans des sentimens plus doux. Qu’a fait, Rome, Seigneur, qu’a-t-elle fait pour nous ? Ses mains fument encor du sang de ma Princesse, Tullie à mon esprit se présente sans cesse, Non pas comme autresfois avec la majesté Qui faisoit adorer sa divine beauté, Mais avec les horreurs d’une ombre miserable, Où la mort a gravé ce qu’elle a d’effroyable, Je le vois ce beau corps de blesseures couvert, Et je caresserois une main qui me perd. Ah ! que plustost, Seigneur.         Que dittes-vous Tibere ! Excusez la douleur qui fait parler mon frere : Nous sçavons bien, Seigneur, que la tragique mort Qu’il impute aux Romains, est un crime du sort. Et malgré cette ardeur qui tous deux nous consomme, Il fçait ce que pour nous a voulu faire Rome : Mais tout ce que pour nous elle a fait en ce jour, Ne nous redonne pas l’object de nostre amour. Soit ou crime de Rome, ou de la destinée, Nostre ame est pour jamais aux soûpirs condamnée ; Et de quelques bien faits qu’on flatte nos douleurs, Nous ne les recevrons qu’en rependant des pleurs. Puisque vostre douleur ne sçauroit se contraindre, Plaignez-vous, sans que Rome ait sujet de se plaindre. Elle n’a pas causé les maux que vous sentez ; Mais quandils luy seroient justement imputez, Si vous aviez pour Rome un veritable zele, Il vous faudroit cherir les maux qui viendroient d’elle ; Et loin de la blâmer par de lâches douleurs, Devorerpar respect vos soûpirs, et vos pleurs : Voyla d’un vray Romain le genereux langage. Ces vertus sont pour nous de difficile usage, Seigneur, mais le respect qu’on doit à vos bontez, Nous fera triompher de ces difficultez ; Nous vous obeyrons.         Eh bien voyez Vitelle: Donnez-luy de ma part cette heureuse nouvelle, Maintenant les Romains me demandent ailleurs, Adieu, prenez pour eux des sentimens meilleurs. Quel est vostre dessein !         Et le votre mon frère ? J’ay voulu par mes pleurs attendrir nostre pere, Et luy faisant quitter le party des Romains, Le rendre favorable à nos derniers desseins. Bien que pour les Tarquins sa hayne soit extréme, Je connoy ses bontez, et sçay comme il nous ayme : Mais par un mouvement qu’on ne peut excuser Vous avez :         J’ay tâché de vous des-abuser, Osez-vous esperer qu’à l’aspect de vos larmes, En faveur des Tarquins Brute prenne les armes : Et relève luy-méme avec ses propres mains, Le joug dont son courage affranchit les Romains ? Nous sommes arrivez dans une conjoncture, Où trouvans contre nous l’amour, et la nature, Pressé de deux devoirs si sacrez, et si saincts, Vous ne ferez des voeux que pour ce que je crains : Et dans ce triste estat quels voeux pouvez-vous faire ; Est-ce contre Tullie, ou contre vostre Pere ? Qui de deux pour victime a choisi vostre bras ? Est-ce Brute, ou Tullie ?         Ah ! ne me pressez pas. Je puis venger Tullie, et respecter mon Pere. Cessez de vous flatter d’un bien imaginaire ; L’espoir de ce bon-heur ne nous est plus permis, L’un ou l’autre, ou tous deux seront nos ennemis. La fatale rigueur du sort qui nous opprime, A levé le bandeau qui couvroit nostre crime. A nos derniers complots tout pretexte est osté, Rome rend aux Tarquins ce qu’ils ont souhaitté : Et pour comble de maux cette heureuse rebelle, Nous oste tout sujet de murmurer contre-elle. Et c’est de ses faveurs dont il la faut punir,                      23 J’ay donné ma parole, et je la veux tenir : Je remettray Tarquin, je vengeray Tullie. Que Rome à son secours apelle l’Italie, Que pour favoriser ce peuple revolté, Les Dieux dans les combats marchent à son costé, A servir mon amour ma main est toute preste, Que pour dernier secours Brute soit à leur teste, J’iray sans balancer.     Où mon frere ?         A la mort. Puisque mal-gré l’ardeur de ce boüillant transport : Avec quelques beautez que je la considère, Elle ne me sçauroit armer contre mon Pere. Ah que nostre destin est digne de pitié ! Sentimens estouffez d’amour, et d’amitié, Cher et sacré respect belle, et divine flame ; Triomphez l’un ou l’autre, et regnez dans nôtre ame : Ou puisque l’un et l’autre ont pour nous tant d’appas, En déchirant nos coeurs, donnez-nous le trespas. Que ne connoissez-vous trop aymable Tullie, De quels divins transports nostre ame est assaillie ! De quels combats l’amour reste victorieux ! Allons, mon frere, allons l’exposer à ses yeux : Sans doute que. Mais las quel destin est le nostre ? Sans sortir d’un malheur nous tombons dans un autre : Que deviendra Tullie à l’aspect de nos pleurs ? Quelque attendrissement qu’elle ait pour nos malheurs, Ce remede est pour nous pire que le mal méme, Puis qu’enfin vous l’aymez, et qu’avec vous je l’aime. Me considerez-vous comme vostre rival ? Je sçay qu’à tous les deux ce penser est fatal, Mais de quelque façon que je vous considere, Je ne puis separer mon rival de mon frere, Et si je veux pour vous la fin de vostre mal, Quand vous serez heureux, je verray mon rival. Ah ! ne vous faites point un sort si déplorable ; Tullie entre nous deux sera Juge équitable, Connoissant vos vertus, et le peu que je vaux, Je dois craindre pour moy ce dernier de nos maux. Oüy, sur moy doit tomber une telle disgrace ; Mais de quelque malheur que ce coup me menace, Puis qu’enfin la perdant, je dois perdre le jour, Je ne balance point à servir mon amour. Quand quelque autre que vous devroit m’oster Tullie, Pour la servir encor, je donnerois ma vie, Et pour la restablir dedans son premier rang, Pour elle, et mon rival je donnerois mon sang. Que si je la servois entre les bras d’un autre, Que ne feray-je point quand je la croyray vostre ? Trop heureux en mourant, et pour elle, et pour vous, Je verray vos plaisirs sans en estre jaloux. Que je merite peu cette amitié parfaicte ! Vous me la souhaitez, et je vous la souhaite ; Puis qu’il n’est de bon-heur que pour l’un de nous deux, Me choisisse le ciel pour estre malheureux, Et vous, belle Tullie, objet incomparable, A cette belle ardeur rendez-vous favorable, Et d’un frere si cher couronnant les désirs, Payez en mesme-temps ses pleurs, et mes soûpirs. Allons à ses genoux demander cette grace, Je l’obtiendray pour vous.         D’où vous naist cette audace ? Pouvons-nous esperer un si superbe prix, Nous qui pour l’acquerir n’avons rien entrepris ? Avant que demander une faveur si rare, Et que pour l’un de nous sa bonté se declare, Il faut par des exploits dignes de nostre ardeur, Tâcher à meriter cette insigne faveur. Il faut qu’à sa maison la Royauté renduë, L’insolence de Rome à ses pieds confonduë, Son Pere, et nos travaux portant son interest, Luy demandent pour nous ce glorieux Arrest : Allons y travailler, que tardons-nous mon frere ? Pouvez-vous approuver cet effort temeraire ? Pouvez-vous balancer après l’avoir promis ? Nous devions la servir contre ses ennemis, Contre des revoltez dont la fureurextréme Arrachoit à Tarquin plus que le diadéme : Mais Rome maintenant luy redonnant son bien, D’un superbe Tyran veut faire un Citoyen ; Tarquin le doit souffrir, puisque le Ciel l’ordonne : Pour n’y pas consentir la Princesse est trop bonne. Si tost qu’elle sçaura le dessein des Romains, Elle fera tomber les armes de ses mains; Et nous pourrons enfin dans cette conjoncture, Satisfaire à l’Amour, sans blesser la nature : Il ne faut que la voir.         Dieux ! quel aveuglement, Tullie écouteroit un si bas sentiment ? Elle perdroit l’espoir de se voir couronnée, Et verroit sa maison laschement déthronée Se soumettre au pouvoir de ce peuple mutin, Et souffrir les horreurs d’un si lasche destin ? Et vous et moy par qui cette belle affligée, Croit se voir sur le thrône et plainement vangée, Nous l’abandonnerons en cette extremité ; Et pour mieux signaler nostre infidelité, Devenus à ce poinct à nous-mesmes contraires, Nous irons luy parler de souffrir ses miseres ? Par ce lasche discours luy traverser le sein ? Suivez, suivez tout seul, ce barbare dessein, Je ne la verray point.         Vous la verrez, mon frere. Ah ! ce n’est pas l’aymer.         C’est perdre nostre Pere. Dures extremitez qu’on ne peut accorder ! J’aperçoy la Princesse, il la faut aborder. Arrestez.         Faudra-t-il qu’à ce poinct je m’oublie ! Et bien, Princes, quel est le destin de Tullie ? Et le vostre et le nostre, et celuy des Romains, Quoy qui puisse arriver, sont en vos seules mains : Oüy, sur Rome, et sur nous regnez en souveraine, Princesse prononcez son pardon ou sa peine, Et pour executer vostre commandement, Vous verrez l’un et l’autre agir aveuglément. Quelque sacré respect que Rome vous oppose, Quelque puissant demon qui défende sa cause, Ny force ny devoir ne sçauroient arrester, Ce qu’un zele boüillant brusle d’executer. Nous entreprendrons tout pour vanger vostre injure, Sourds à l’amour de Rome, et sourds à la nature, Nous n’avons d’autres voeux que ceux que vous ferés, Et porterons nos coups partout où vous voudrés. Mais, Madame, souffrez qu’au milieu de mon zele, J’ose vous annoncer une triste nouvelle, Sans doute qu’arestant le cours de vos desseins, Elle fera tomber les armes de vos mains ; Et vous donnant pour Rome un sentiment contraire, Vous pourrez.     Poursuivez.     Las !         Dites tout, Tibere. Ne me deguisez point l’excez de mon malheur ; Que vous perdez bien-tost cette aymable chaleur ! Tibere, dites tout.         Je ne sçaurois, mon frere J’en ay déja trop dit pour craindre sa colere. Achevez.         Quel malheur vous oblige à me fuir ? Ah ! Tibère arrestez.         Ce seroit vous trahir, Madame, je ne puis, vous l’aprendrez de Tite. Dans quel nouveau malheur le sort me precipite ! Auroit-il sur Tarquin porté ses derniers coups ? Que si mon pere est mort, Tibere, pensez-vous Que dans un sang si cher ma haine ensevelie, Puisse faire la paix entre Rome et Tullie ? Vous me connoissez mal. Tite, apprenez-moy tout. Ne vous l’a-t-il pas dit, de l’un à l’autre bout ? Prince songez à vous. Tibere m’a quittée. Pour fuir le déplaisir de vous voir irritée, Tibere sans parler s’est éloigné de vous, Et je dois comme luy craindre vostre couroux. Et bien, Tite, fuyez, fuyez impitoyable, Abandonnés Tullie au malheur qui l’accable : Mais pour le moins touché de sa forte douleur, Prince, en l’abandonnant, dites-luy son malheur. Ne me reprochez point que je vous abandonne, Je fais en vous quittant ce que l’Amour m’ordonne : Quand sans considerer, Brute ny ses desseins, Je cours braver sa haine et celle des Romains. Quel est donc ce malheur dont je suis poursuivie, Parlez Tite, Tarquin a-t-il perdu la vie ? Madame, Tarquin vit ; mais Brute et les Romains. Ah ! J’aperçoy le coup dont nous sommes atteins : Donc Brute et les Romains ont juré vostre perte ? Vous estes donc trahis, et je suis découverte, Brute épargne tes fils: et vous venés sur moy, Romains, Monstres voicy le sang de vostre Roy. Ah ! Madame perdés ces injustes alarmes. Cher Vitelle, est-ce assez de vous donner des larmes ? Et puisque je vous pers apres de tels malheurs, Devrois-je pas verser mon sang au lieu de pleurs ? D’où vous naissent ; ma soeur, des peurs si dangereuses ? Ah ! ne prodiguez pas ces larmes precieuses, Mesnagez des soûpirs dont nous aurons besoin, Les maux que vous pleurez sont encore trop loin, Vitelle, le malheur dont je l’ay menacée, Et pour qui je craignois de la voir couroucée. C’est que rendant au Roy le bien de ses ayeux Les Romains vont cesser de nous estre odieux. Leur bonté s’accordant avec nostre priere, Desarme nos desseins.         Je l’ay sceu de Tibere ; Et j’ay sceu qu’à ce poinct vous osiez vous flater, De croire que Tarquin s’en pourra contenter. On veut que vous perdiez l’espoir de la Couronne, Et l’on veut que Tarquin, comme vous, l’abandonne, Et ce Prince de qui vous faisiez tant de cas, Tite le veut, Madame.         Ah ! ne le croyez pas. Princesse que plustost.         Cher Vitelle, de grace Prevenons les malheurs dont le Ciel nous menace, Plustost que d’exposer ces Princes genereux, Soyons persecutez et toujours malheureux. Que nous soyons bannis, et que toute la terre En faveur des Romains nous declare la guerre ; Que tous mes tristes jours soient pires que la nuit, Où pendant les horreurs d’un effroyable bruit, Et d’un Palais en feu l’objet épouvantable, Je vis couler le sang d’une soeur trop aymable. Que tous mes jours soient tels, ils me seront plus doux, Que s’il falloit pleurer, et pour eux et pour vous : Ne me reduisez pas à ce malheur extréme. Donc vous prenez party pour nous contre vous-méme, Et thrône, et pere, et soeur vous sont moins chers que nous : Helas ! avec quel oeil me regarderez-vous ? Ha ! Princesse, oubliés ce que j’ay voulu faire, Ne vous souvenez plus que j’ay chery mon pere ; Ou s’il vous en souvient, songez que c’est pour vous, Que je choque un devoir et si saint et si doux : Allons, Vitelle, allons.     Ah ! Vitelle.         Princesse, Ces indignes frayeurs marquent trop de foiblesse ; Prenez des sentimens plus hardis et plus forts, Et du moins par vos voeux secondez nos efforts : Aussi bien à tel poinct l’entreprise est venuë, Qu’il nous faut malgré nous en attendre l’issuë. Les chefs des conjurez, sans desordre et sans bruit, Chez les Aquilienss’assemblent cette nuit, Pour choisir le signal, l’ordre et le temps propice, A punir des Romains l’orgueilleuse malice, En advertir Tarquin, qui sans perdre un moment, Déja suivy des siens s’avance sourdement : L’affaire en cét état, que voulez-vous qu’on fasse ? La pousser jusqu’au bout, reparer sa disgrace La vanger des Romains.         Et pour le moins songer, Prince, à vous conserver autant qu’à nous vanger. Que je merite mal une bonté si rare ! Princesse, Adieu ! La nuict veut que l’on se separe. Advertis-la, Livie, il sera fort aisé, De dissiper l’ennuy que ce songe a causé : He quoy ! mon frere, he quoi ! Lors que tout favorise, Et conduit à sa fin nostre illustre entreprise, Faut-il faire paroistre un visage estonné ? Ah ! laisse soûpirer ce coeur infortuné, Et dans un attentat qui n’est pas legitime, Souffre que le remors amoindrisse le crime. J’ayme, j’ayme Tullie, et le Ciel m’est témoin, Que je n’ay de plus cher ny de plus noble soin, Qu’à son moindre interest j’immolerois ma vie, Et mourrois trop content apres l’avoir servie : Mais je ne puis sans trouble écouter un couroux, Qui nous fait attaquer un ennemy si doux, Funeste conjoncture, et qui me desespere, Que ne faut-il agir contre un autre qu’un pere ! Ah ! ne nous rendons point criminels sans sujet, Brute de nos efforts n’est point icy l’objet, Et si Tullie osoit nous demander sa teste, Ma main à la servir maintenant toute preste Traverseroit mon sein plustost que d’obeyr, Et je ferois effort pour la pouvoir hayr. Nous voulons seulement par nostre obeyssance, Remettre la Princesse aux droits de sa naissance. Et relever l’éclat de ce thrône abbatu, Que le Ciel avoit fait le prix de sa vertu. Cessons de nous flater, et connoissons mieux Brute, L’ennemy des Tarquins, et l’auteur de leur cheute. De quel oeil verra-t-il que son sang ait osé Remettre Rome au joug que sa main a brisé ? Il a crû suggéré par un cruel Genie, En bannissant les Rois bannir la tyrannie : Ainsi blesser l’objet de sa plus tendre Amour, C’est plus que luy ravir la lumiere du jour. Oüy dans son sentiment estre à Rome perfide, C’est estre plus qu’impie et plus que parricide. Que fera donc Tullie en ce pressant besoin ? Voulez-vous de sa cause abandonner le soin ? Et violant la foy que nous avons donnée, Ne prester que des voeux à cette infortunée ? Enfin que ferons-nous ?         Mon frere sur ce point, Quoy qui puisse arriver, je ne balance point : En faveur du pays ma raison s’interesse ; Du combat qu’elle rend naist toute ma tristesse : Mais pour ne pas trahir l’espoir de sa maison, Je veux par son amour surmonter ma raison, Pour l’eslever au thrône, aller au precipice, Et de ce qui m’est cher, luy faire un sacrifice. Tullie, objet ensemble et doux et rigoureux, De tes tristes vangeurs plains-toy si tu le peux ! Ou plustost moderant l’excez de ta cholere, En faveur des enfans, ne hay pas tant le pere : Nous luy sommes plus chers que la clarté du jour, Et nous luy preferons ta gloire et nostre amour : Mais apres cét effort ne trouve point étrange, Sortant de te vanger qu’un mesme bras le vange ; Et que pour l’apaiser t’ayant gardé ma foy, Je répande le sang que j’expose pour toy. C’en est fait, il nous faut satisfaire Tullie, Il faut que jusques-là l’un et l’autre s’oublie, Qu’elle regne mon frere: et vous vivez heureux J’expieray le crime et mouray pour tous deux. Que je meure plûstost, et vous vivez mon frère, De si beaux sentimens vous la rendront prospere : Et je croirois Tullie injuste au dernier poinct, De voir tant de vertus, et de ne les aymer point : Mais quel nouveau sujet ramene icy mon pere ? Ses yeux estincelans nous font voir sa colere, Sa garde l’accompagne, ah ! grands Dieux qu’est cecy ? Qu’on saisisse Vitelle, et qu’on l’amene icy : Le Ciel a mis au jour ses lâches artifices ; Il mourra le perfide ainsi que ses complices, Mes bontez ont causé son horrible attentat, Mais ma justice enfin en vangera l’Estat. Je veux pour apaiser mes transports legitimes, D’autant de conjurez faire autant de victimes ; Et sans considerer alliance, ny rang, Estreindre la revolte en un fleuve de sang. Fils ingrats, n’aviés vous corrompu mon Genie, En faveur de Vitelle, et de la tyrannie, Et n’avoit-il tâché d’en conserver les biens, Que pour en suborner nos meilleurs Citoyens ? Ah ! Dans la juste rage où mon ame est reduite, D’un projet si fatal je rompray bien la suite, Et vangeray sur eux avec severité, Leur noire perfidie et ma facilité. Rome j’ay par mes soins brisé ton esclavage, Mais croy que je sçauray soustenir mon ouvrage, Et pour le faire choir, il faudra qu’aujourd’huy, D’un semblable revers Brute tombe avec luy. Seigneur.         M’oseriez-vous parler en leur defense, Voyez en quel peril nous met trop d’indulgence : Tresor si precieux et qui m’as tant cousté, Bien le plus grand des biens, charmante liberté ! Rome par les effets d’une fraude impreveuë, Sortant de t’acquérir, t’a donc presque perduë ! Helas ! à ce penser je sens avec terreur, Couler dedans mes os une secrete horreur Et vous restez confus aprés cette nouvelle ? Tout coupable qu’il est regrettez-vous Vitelle ? Ah ! de grace, perdés pour un homme sans foy, Cette tendresse indigne et de vous et de moy. Par un noble courroux soustenez mon estime, Qui plaint le criminel, prend la part de son crime ; Et nous devons enfin loin d’en avoir pitié : Pour un perfide amy perdre toute amitié. Oüy, bien que vostre esprit aujourd’huy s’interesse, Pour un homme autresfois cher à vostre maistresse, Au zele du pays immolés tous vos soins : La victime estant moindre, il éclateroit moins : Que si malgré l’ardeur qu’un Pere vous inspire, Vostre bouche en sa perte et gemit et soûpire ; Si Rome est la plus foible et ne l’emporte pas, Plaignés-le pour son crime et non pour son trespas : Mais plustost, mes Enfans, imités vostre Pere, Monstrés que de vous deux aucun ne degenere Et pour venir à bout de ce monstre nouveau, Si le fer ne suffit, portons-y le flambeau : Suivés les mouvements d’une si belle audace. Lasches à ce discours vous paroissés de glace ! Honte de ma famille, allés enfans sans coeur, Je sçauray bien sans vous soustenir mon honneur. Le voicy, le voicy ce dangereux rebelle, Bien-tost vous entendrés sa sentence mortelle ; Et puisque son salut borne vostre desir : Je hasteray sa perte avec plus de plaisir. Vitelle ? car enfin le soin de la vangeance M’oste les sentimens que donne l’alliance ; Dans cette occasion cessez d’estre estonné, Si j’use du pouvoir que Rome m’a donné. De vostre perfidie elle est assez instruite, Et le Ciel de sa gloire ayant pris la conduite, Luy donne les moyens de pouvoir triompher, Des Titans orgueilleux qui veulent l’estouffer. C’est par son ordre exprés que ma main vous arreste, Ou justifiez-vous, ou livrez vostre teste : Mais comment pourrez-vous vous laver d’un dessein, Que vous avez osé tracer de vostre main. J’en porte avecque moy les funestes indices, Et par là nous sçavons le nom de vos complices. Chez les Aquiliens un serf plus serf que vous, Et de sa liberté mille fois plus jaloux, A decouvert enfin la fatale entreprise, Qui du peuple Romain attaquoit la franchise : Et les Ambassadeurs qui portoient vos escrits, On esté par Valere heureusement surpris. Le Tyran que nos maux auroient fait pasmer d’aise, N’en apprendra jamais un succés qui luy plaise, Il aura le dépit de voir d’un oeil trompé, Ses Partisans frappez du bras qui l’a frappé. Je veux resolument sans que rien m’en dispense, Aux siecles avenir transmettre ma vangeance, Et pour chers qu’ils nous soient, il faut qu’également Tous subissent l’arrest d’un juste chastiment. Et bien Brute.         Osez-vous irriter sa cholere ? En faveur de Vitelle appaisez vous mon frere. Rome usant envers moy d’une telle rigueur, N’imprime en mon esprit ny surprise ny peur. Je n’ay pas seul senty sa rage envenimée, A de tels attentats elle est accoustumée, Et je me sens heureux si son cruel effort, Fais que de nos Tarquins je partage le sort. Il est vray j’ay voulu d’un coup digne d’estime, Redonner à son peuple un Prince legitime ; Et par ce grand dessein l’affranchir aujourd’huy ; De ceux qui sont plus fiers et plus Tyrans que luy. Car en un mot fust-il un Monstre sur la terre, Digne d’estre embrasé par le feu du Tonnerre, Est-ce à vous à punir, est-ce à vous à juger ? Les Dieux portent la foudre, et sçavent se vanger. Pourquoy si leurs bontez et leurs soins nous conservent, Voulez-vous usurper un droit qu’ils se reservent. Quelque rude qu’il fust, c’est avoir trop osé D’avoir rompu le joug qu’ils nous ont imposé ; Et nos zeles icy sont des zeles profanes. Souvent de leur couroux nous sommes les organes, Les Dieux ne daignans pas les fraper de leurs mains, Ont voulu se servir de celles des Romains ; Et s’ils eussent voulu condamner nostre ouvrage, Son restablissement en rendoit témoignage. Ah ! ne vous flatez point d’un faux raisonnement     Puis qu’ils n’ont désiré ce restablissement, Que pour mieux faire un jour éclater leur justice, Et pour avoir sujet d’agrandir le supplice ; Qui semble d’eux sans cesse exiger par ses cris, Le sang des innocens cruellement meurtris. Ah ! chere Servilie à mes yeux egorgée, Les Dieux n’ont pas permis que ma main t’ait vangée, Mais s’ils laissent la vie à nos persecuteurs, Croy qu’eux-mesmes sans doute en seront les vangeurs : Mes complices et moy bien-tost verrons ton ombre, Et quand nous serons joints dans le Royaume sombre : Le Ciel pour appaiser nostre sang repandu, Lancera sur leur chef son foudre suspendu. Ne desirez donc plus de punir ce beau crime, Brute, portez le coup, vous voyez la victime, Je n’apprehende point la fureur de vos mains, C’est pour vous seulement, c’est pour vous que je crains, Enfans infortunez d’un si dangereux Pere, Qu’un mesme sort expose aux traits de sa colere, Et que je vay plonger dans ce mortel danger, Après qu’en mon dessein j’ay pû vous engager. Cruel, s’il faut du sang pour assouvir vos haines, Pour épargner le tien prens celuy de mes veines, Que ton brulant couroux en soit desaltéré. Quoy ? donques mes enfans ont aussi conspiré ! Mes enfans ont conçeu cét attentat horrible ! Grands Dieux me faites-vous un destin si terrible ? Comment avez-vous pû choisir dans ma maison, Les lâches partisans de cette trahison ? Comment par vos decrets ais-je pû naistre Pere, De ces fiers vipereaux qui dechirent leur Mere ; Et qui par les efforts de leurs cruels desseins, Songent à renverser l’ouvrage de mes mains ? Ah ! non, non; mes enfans ont une ame plus pure, Esloignez-vous de moy, Monstres de la nature ! Elle se donne icy des soins trop superflus, Elle me nomme Pere, et je ne le suis plus. Ah ! Valere, en cachant un crime espouvantable, D’une lâche pitié m’avez-vous crû capable, Doncques pour m’avoir veu trop zelé pour leur bien, Vous m’avez estimé si mauvais Citoyen ? J’effaceray bien-tost cette honteuse tache, Vous n’aurez plus pour moy de sentiment si lasche, Vous le verrez bien-tost ce Brute infortuné, Luy-mesme se punir pour vous l’avoir donné. Oüy puisque vostre esprit à ma gloire si traistre, Croid qu’il est trop bon Pere, il cessera de l’estre. Vitelle cessés d’être et surpris et fasché, Pour avoir découvert ce qu’on n’eust pas caché, Il devoit eclater par quelque conjecture. Vous, si vous méprisez la voix de la nature, Et si pour nous convaincre il en a dit trop peu, En qualité de juge écoutez nostre aveu. Vous le sçavez, Tullie est l’objet de nos flames, Toute morte qu’elle est, elle embrase nos ames : Son ombre qui gemit sous la nuit du tombeau, Seule à cette revolte a presté le flambeau : Son sang ne pouvoit estre apaisé par des larmes ; Il falloit recourrir à de meilleures armes, Perdre les destructeurs de son illustre rang, Rendre affront pour affront, et du sang pour du sang. Nous ne l’avons pas fait : mais mal-gré nostre Pere, Nous le ferions encor si nous le pouvions faire. Ayons mon frere, ayons un esprit plus sousmis, Et mourons innocens, autant qu’il est permis. Mais mon frere plustost cessons de nous contraindre ; Si nous n’esperons rien, nous n’aurons rien à craindre : Par un illustre trait de generosité, Faisons que nostre flame agisse en liberté : Et monstrons aux Romains de qui l’orgueil nous brave, Qu’on peut cherir des Rois sans qu’on devienne esclave : Il faut que Brute voye en ce funeste jour, Dedans toute sa force éclater nostre amour : Il faut que jusqu’au bout l’un et l’autre l’irrite, Et justifie ainsi le crime qu’il medite. Brute, je vous declare icy tous nos desseins, S’il nous estoit permis, nous perdrions les Romains. Ah ! c’en est trop, fuyez, Monstres remplis d’audace, De peur qu’en ce moment ainsi qu’un autre Horace, Je ne fasse aveuglé du zele de l’Estat, D’un acte de Justice, un horrible attentat, Et que je monstre à tous par un crime contraire, Et contre mon dessein, que je suis vostre Pere. Epargne-toy ce crime, esprit denaturé, Le Ciel te donne plus que tu n’as désiré. Pour te donner encore moyen de me poursuivre, Et pour te mieux saouler, voy qu’il me fait revivre; Si tu veux sur Tarquin redoubler ta fureur, Commence par sa fille à luy percer le coeur. Cét illustre ennemy n’est pas en ta puissance, Desja tous nos voisins s’arment pour sa défense : En me faisant mourir tasche à mieux meriter Le supplice qu’un jour tu ne peux eviter. Mais de dessus tes Fils destourne la tempeste. Pour prix de mon amour quand j’ay voulu ta teste, Ils n’ont pû se resoudre à cette cruauté, Ne leur sois pas plus dur, qu’ils ne te l’ont esté ; Et me voulant punir dans ta fureur extréme, Cruel ne punis pas ton pays et toy-mesme. Que vois-je, justes Dieux ! veillay-je ou si je dors ! Du tombeau pour ma peine arrachés-vous les morts ? Apres avoir du Pere authorisé la cheute, Souffrez-vous que sa fille encor nous persecute ? Fils, qu’une aveugle ardeur à ce crime a conduits, Je vois bien qui vous perd, et qui vous a seduits. Fille du vray Tarquin, c’est ton intelligence, Qui m’oste mes enfans leur ostant l’innocence : Mais tu perdras bien-tost ton infame larcin, Ce coup d’art affété sera leur assassin : Ils seront exposez à toute ma cholere, Parce que tu leur plais, et qu’ils ont pû te plaire. Qu’avez-vous fait Princesse, et que demandez-vous ? Seigneur, n’irritez point un injuste couroux : On n’en peut contre un Pere avoir de legitime, Ne nous donnez pas lieu d’accroistre nostre crime. Sous l’horreur des tourmens faites-nous expirer, Nous en écouterons l’arrest sans murmurer ; Mais n’attaquez jamais l’honneur de la Princesse, Pour elle l’un et l’autre à ce poinct s’interesse; Que s’ils l’osoient choquer d’un mot injurieux, Nous nous revolterions mesme contre les Dieux. Moderez ces transports et rentrez en vous-mesmes, Toy loin de condamner ces innocens blasphemes  : Prens Brute, prens pitié de leur aveuglement, Leur amour aujourd’huy me sert de truchement Vien-t-en jusqu’en mon sang en chercher l’origine, Et pour oster le mal en couper la racine Puisque seul j’ay causé leur illustre attentat, Fay que je serve seul de victime à l’Estat. Ce qui doit vous punir, est tout vostre refuge, Je me modere icy parce que je suis Juge, Et pour mieux balancer vostre noire action, Brute veut envers tous agir sans passion. Qu’on veille sur Tullie, encor qu’elle me brave : Je ne veux pourtant pas la traiter en esclave, Que Rome seulement luy serve de prison, C’est de vous qu’au Senat on me fera raison, Qu’on oste de ses yeux mes Enfans et Vitelle. O rigoureux arrest !         O sentence mortelle ! Si nous mourons tous seuls, que nostre sort est doux ! Je ne vivray jamais un moment apres vous. Un Pere peut flechir.         Ah, frivole esperance ! Ne m’as-tu pas fait voir qu’elle est sa violence, Et la boüillante ardeur dont son zèle effronté, Precipite l’effet de son impieté ? Pour la mort de ses fils il monstre plus d’envie, Qu’un Pere moins cruel n’en auroit pour leur vie. Il les veut perdre enfin, mais las ! il fait bien pis, Sa bouche parricide a condamné ses fils. La voix de la nature a d’invincibles charmes. Sa soif ne s’esteint point avec l’eau de nos larmes ; Pour la des-alterer ce Tigre veut du sang. Que ne viens-tu Barbare en puiser dans ce flanc ? Esteins du sang des Rois cette fureur avide, Et du moins sauve-toy du nom de parricide. Mais ce n’est pas à toy d’ordonner de mon sort, J’auray seule l’honneur de ce dernier effort. Livie, il faut mourir : à ce malheur extréme, Nous devons apporter un remede de méme. Tombons avec le thrône, et son dernier appuy, L’espoir me faisoit vivre, et je meurs avec luy : Ne pouvant me venger, je renonce à la vie. Perdez au nom des Dieux cette funeste envie, Si Brute est sans pitié, Rome en aura pour luy. Dieux ! quel est notre espoir, si Rome est son appuy ? Le Senat estonné de sa rigueur extreme, De la mort de ses fils plus touché que luy-mesme, A son impieténe consent qu’à regret, Et son aveu contraint marque un remors secret. Puis la voix des Parens, et sur tout d’une Mere, Qui par de tendres pleurs combattent sa cholere ; Malgré l’amour de Rome, et l’honneur de son rang, Obtiendront sur son coeur la victoire du sang. Cette derniere grace exprime sa tendresse, Puis qu’il leur a permis de revoir leur Princesse. Helas ! nous nous verrons pour faire nos Adieux, N’importe voyons-les, et mourons à leurs yeux : Mais helas ! de quel air verray-je ces victimes, Que pour m’avoir aymée on veut charger de crimes ? J’aperçoy Tite.         He bien chers Princes je vous perds, Et c’est moy, qui vous livre à tant de maux divers : J’ay hazardé vos jours pour restablir mon Pere, Pour regner à mon tour, et pour me satisfaire ; Et si j’osois au sort imputer nos douleurs, Le cruel non content de mes derniers malheurs, Ose encor sans respect s’attaquer à ma flame, Il vient porter ses traits jusqu’au fonds de mon ame : Et voyant que mon coeur s’interesse pour vous, Soudain il vous destine au plus grand de ses coups. Il est vostre ennemy, parce que je vous ayme, Comme mon amitié, sa fureur est extreme; Ou plustost condamnant ce que vous estimés, Il est votre ennemy, parce que vous m’aimez. Pour punir une ardeur contraire à son envie, Quand vous me faites vivre, il vous oste la vie ; Et lors que vous servez ma gloire et mon bon-heur, Il vous frape d’un coup, qui vous oste l’honneur. Ne faites point coupable une ardeur legitime ; Et sauvez nostre amour de reproche et de crime ; Respectez un devoir qui force tous les coeurs D’avoir pour vos beautez de pareilles ardeurs. Que s’il faut que le sort par une lâche envie, Pour punir nos ardeurs attente à nostre vie, Si cette sainte amourle fait nostre ennemy, Sa rage pour le moins n’agira qu’à demy. Rome plus complaisante aux douleurs d’une Mere, Par la mort d’un seul fils assouvit sa colere, Et nous faisant justice et grace à mesme jour Elle sçait contenter sa haine et vostre amour. Donc, Tibere n’est plus, et vous osez survivre Un frere si charmant que je brule de suivre ? S’il est mort, et si Tite a bien pû le souffrir, Tibere devoit vivre, et Tite a dû mourir. Tibere vit, Madame, et le Ciel plus propice Remet entre vos mains sa vie et son supplice : Vous pouvez avancer, ou reculer sa fin. Comment ?         Apprenez donc quel est nostre destin. Le Senat trop jaloux du sang de nostre race, Veut sauver l’un de nous, et luy donne sa grace : Cependant nostre Mère aux pieds de son Espoux, Tasche de le flechir et vaincre son couroux : Mais Rome ne sçachant quel prendre pour victime, Nous en remet le choix dans un semblable crime : C’est donc à vous, Madame, à regler nostre sort, Vous portez dans vos mains et la vie et la mort : C’est à vous à choisir ou l’un ou l’autre frere. Rome qui sur tous deux se pouvoit satisfaire, N’en immolant qu’un seul, conserve l’un de nous, Et par cette pitié se degage envers vous. Helas ! que sa pitié me doit estre funeste, De deux frères si chers quel faut-il qui me reste ! Dans la necessité de faire un malheureux, Sa pitié redoubloit à les perdre tout deux. Rome, il te sufisoit pour comble de ma peine, Que ma cruelle amour les livrast à ta haine, Sans que ta cruauté m’obligeant à ce choix, Je les fisse perir une seconde fois. Tite à quoy songez-vous ? qu’est-ce qui vous oblige D’irriter mes douleurs par un choix qui m’aflige ? Venez-vous pourun choix faire espreuve d’un coeur, Qui brule pour tous deux d’une pareille ardeur ? M’y voulez-vous forcer, et par vostre presence, Faire pancher vers vous cette juste balance ? Estes-vous vers un frere infidele ou jaloux, Est-ce là l’amitié qu’il attendoit de vous ? He bien, Tite : mais las !         Prononcez, ma Princesse, Prononcez contre moy, puisque ce choix vous blesse : Si vous me soupçonnez de trop peu d’amitié, Je merite la mort et luy vostre pitié. Donnez à son ardeur le prix qu’elle merite ; Mon amour y consent et vous en sollicite, Conservez par ma mort un frere genereux, S’il meurt pour me sauver, vous nous perdrez tous deux : Et l’estroite amitié, qui m’attache à sa vie Me va faire perir sans vous avoir servie. Souffrez donc que ma mort luy conserve le jour, Et me rende part là digne de vostre amour. Adieu, s’il m’est permis d’expliquer vos pensées, Qu’un reste de pitié tient encor balancées,  Je lis desja l’Arrest que vous devez porter, Et pour vous obeyr, je vay l’executer. Arrestez, arrestez, Prince trop magnanime, Si vous cherchez la mort ; monstrez moy vostre crime, Il faut pour meriter la mort que vous voulés, Me cacher vos vertus et ce que vous valés : Puis qu’un frere rival si proche du suplice, Envers un frere absent garde cette justice ; Et puisqu’à tous les deux ce choix est destiné, Je vous rend le pouvoir que vous m’avez donné. Prince, pour me sauver d’un deplaisir extréme, Faites, faites ce choix, je le laisse à vous-mesme ; Je ne soupçonne point celuy que vous ferés, Et j’accepte l’Arrest que vous prononcerés. Dieux ! de quel nouveau coup mon ame est abbatuë, Pour vous faire justice, il faut que je me tuë ! Et n’osant refuser d’ordonner de mon sort, Vous voulés dérober cét éclat à ma mort. Que je mourois content si cette bouche aymable Disposoit à son gré du sort d’un miserable ! Il est vray que l’Arrest qui m’impose ce choix, M’apprend vostre justice, et ma mort à la fois ; Eh bien ce sera moy qui seray la victime. Ah ! Ce choix me surprend, il n’est pas legitime Je reprend le pouvoir que je vous ay rendu, Je ne rougiray point de vous avoir perdu, Non vous ne mourrez point.         Que deviendra Tibere ? N’en soyez point en peine, il mourra pour son frere, Cher Tite consentez à ce juste projet, Par ce Dieu de nos coeurs, par ce charmant objet, Par l’illustre vangeanceoù l’amour vous engage, Et que le Ciel reserve à vostre grand courage, Par un Roy malheureux que vos vaillantes mains Rendront heureusement au thrône des Romains. Quoy l’un et l’autre icy conspirent pour m’abatre ; Assez foible contre un, j’en ay deux à combatre ? Mais sans rien hazarder qui blesse mon devoir, Je n’oppose que vous à ce foible pouvoir. Mon frere qu’ay-je fait pour meriter la vie, Vous Princesse à quel point vous puis-je avoir servie, Pour meriter de vous toute vostre pitié ? Avez-vous l’un pour l’autre une moindre amitié ? Pour faire à tous les deux une entiere justice, Faites que par ma mort nostre combat finisse. Helas ! que ce combat a pour moy de rigueur ! Où la mort seulement est le prix du vainqueur. Grands Dieux ! en quel estat me vois-je icy reduite ! Je ne puis faire un voeu sans en craindre la suite, La grace que je fais ; me procure un malheur, Si je fais un present, c’est avecque douleur: Et la mesme pitié qui pour vous s’interesse, Par un contraire effet frappe l’autre et me blesse. Qui me delivrera d’un si pressant soucy ? Sera-ce vous que j’ayme, ou vous que j’ayme aussi ? Romains, si vos rigueurs veulent une victime, Rejettez en le choix sur l’autheur de leur crime. Faites cheoir sur mon chef ce foudre suspendu, Et renversez sur moy ce qu’ils ont attendu. Que cent foudres plustost tombent dessus nos testes. A les souffrir pour vous, elles sont toutes prestes : Pourveu que nostre mort vous garde de perir Qu’importe, quel de deux le sort fera mourir ? S’il faut une victime à ce grand sacrifice : Ce choix n’est pas à nous, que Rome la choisisse. Ah ! si tu connoissois Rome combien ce coeur Au delà de tout autre, a pour toy de l’horreur ! Ton choix determiné par cette difference, Tu te ferois justice au gré de ta vangeance, Et je pourrois.     He bien ! Madame.         Il faut mourir. ……………………………………………………………………………… Est-ce un d’eux ou Tullie ? est-ce tous trois ensemble ? Triste éclaircissement !         Ha je frémis ! je tremble ! Délivrés-vous enfin d’un si cruel soucy. C’est vous Tite.     Ah ! rigueur.         Et vous Tibere aussi. Oüy je vous perds tous deux.     Vos deux fils ?         L’un et l’autre. O comble de malheur !         Quel bon-heur est le nostre ? Mes pleurs et les Romains sauvoient l’un de vous deux ; Mais Brute pour pouvoir s’acquiter envers eux, Leur fait de tous les deux un entier sacrifice. Ce zele officieux enfin nous fait justice, Nous voila delivrés d’un si funeste choix. Adieu Princesse.         Adieu, pour la derniere fois. Princesse nous mourrons sans vous avoir servie ; Mais au moins c’est pour vous que nous perdrons la vie ; Trop heureux si pour vous, allant perdre le jour, Nostre dernier soûpir est un soûpir d’amour. Adieu, Princes, Adieu, je meurs pour l’un et l’autre, Vous estes ma victime, et je seray la vostre. Ah ! vivez : va Julie, et prens soin de ses jours, On nous garde, et sans toy Tullie est sans secours. Mes fils, je ne viens pas vous arracher des larmes,  Ny jetter dans vos coeurs d’inutiles alarmes, Vostre Pere insensible à toutes nos douleurs, A veu cheoir à ses pieds le reste de mes pleurs. Je regarde vos maux d’un oeil constant et ferme, Et voyant mes enfans si proches de leur terme, Je force la nature et par un noble effort, J’apprens à tous les deux à mespriser la mort. Sur tout qu’aucune plainte injuste ou legitime N’oste rien à l’honneur d’un trespas magnanime : Qu’un si beau sang versé par l’effort des Romains, Fasse rougir leurs fronts, aussi bien que leurs mains : Si Brute a pû faillir, et si vous l’osez croire, Sauvez l’honneur du nom et soustenez sa gloire : Monstrez envers un Pere autant de pieté, Que son zele envers vous monstre de cruauté,     Qu’il admire en ses fils dans ce peril extréme, Quels sont les droits du sang, qu’il mesprise luy-méme. Ne pouvant triompher de son inimitié, Rendez-vous pour le moins dignes de sa pitié, Et que d’un front égal vostre peine soufferte Luy fasse voir enfin la grandeur de sa perte. Helas !         Quelle douleur mes fils ! quels deplaisirs Font sortir devant moy ces indignes soûpirs ! Madame.         Craignez-vous d’abandonner la vie ? Oüy, puis que nous mourons sans secourir Tullie. Elle n’est pas vangée et nous perdons le jour, Souffrez donc qu’un soûpir échape à nostre amour, Que je mourrois heureux, si le coup qui m’accable Faisoit à ma Tullie un sort plus favorable ! Que le mien seroit doux si mon sang répandu Luy pouvoit redonner tout ce qu’elle a perdu ! Voir perir à nos yeux l’honneur de sa naissance,                  70 La voir sans aucun rang, sans nom, sans esperance, La laisser en mourant exposée au malheur, N’est-ce pas le sujet d’une extréme douleur ? Pour comprendre à quel point le sort nous persecute ; Ne considérez pas l’horreur de nostre cheute, Ny le coup, ny la main dont nous devons perir ; Regardez seulement ce qu’elle doit souffrir. Puis qu’à vos propres maux vos coeurs inaccessibles, Pour les malheurs d’autruy paroissent si sensibles, Il faut dans un malheur qui nous afflige tous, Qu’une égale pitié s’interesse pour vous. Qu’on trouve rarement une Mere constante, Quand la mort de ses fils luy paroist si presente ! J’ay veu le cher Vitelle, et ses derniers malheurs, Ont a peine à mes yeux arraché quelques pleurs. Helas ! que les enfans sont chers au prix d’un frere : Une soeur est sans pleurs, où gemit une Mere, Et cette amour de Mere agit si fortement, Qu’elle estouffe en mon coeur tout autre sentiment. Ciel ! faut-il que le sang m’inspire des tendresses, Qui font voir à mes fils ces indignes foiblesses : Lorsque ces sentimens dans un Pere assoupis Ne sçauroient obtenir un pardon pour ses fils. Quel Astre si malin dedans cette occurrence, Entre les deux parens met cette difference ? Et pourquoy mes enfans faudra-t-il qu’aujourd’huy, Le sang si fort sur moy soit si foible envers luy ? Ah ! mes fils.         En faveur d’une vertu si rare, Quelque suplice affreux que Rome nous prepare, Quelques maux que Tullie ait encore à souffrir, Vous ne rougirez point en nous voyant perir : Mais.         Que vois-je ? grands Dieux ! je lis sur ce visage, De nos derniers malheurs l’infaillible presage. Que veux-tu Marcellin ?         Princes il faut partir, L’ordre presse, et je vien pour vous en advertir. Brute, qu’on voit assis au milieu de la place, Assemble autour de luy toute la populace, Qui tantost dans ses yeux contemple avec horreur Les presages affreux d’une noire fureur. Et tantost s’aperçoit qu’un reste de tendresse, Dessus le coeur d’un Pere imprimant sa foiblesse, Et si prés du peril redoublant ses douleurs, A son aspre vertu veut arracher des pleurs. Mais quelque sentiment qui regne sur son ame, Il demande ses fils.     Cruel !         Adieu, Madame ; Nous nous quittons, la mort nous esloigne de vous. Vivez, Madame, au moins plus heureuse que nous. Faites, faites pour moy des voeux plus legitimes : Vous allez donc mourir innocentes victimes ? Adieu, pour vous laisser toute vostre vertu, Je derobe à vos yeux un courage abbatu. Adieu mes fils.         Alors qu’il faut aux yeux des hommes, Signaler nostre amour et monstrer qui nous sommes, On me verra perir d’un courage si fort, Que j’en feray trembler les auteurs de ma mort. Qu’on redouble la honte et l’horreur du supplice, Rien ne peut m’esbranler au bord du precipice : Dans ce moment affreux à tout autre qu’à nous Ma constance et ma mort feront mille jaloux. Laisse-moy preparer au coup qui me menace, Et ne m’entretien plus de l’espoir de leur grace. Quand le Ciel se dispose à finir leur mal-heur, Vous laisser si long-temps en proye à la douleur, C’est vous rendre, Madame, un dangereux office. Et bien dy moy leur sort rigoureux ou propice : Mais ne deguise rien.         Si tost que vos deux fils D’un nombre d’affligez confusement suivis, Ont paru sur les bords de la place publique, La foule qui fermoit ce theatre tragique, S’est ouverte soudain :Brute les voit venir : Et mal-gré des soûpirs qu’il ne peut retenir, Il les voit ; mais d’un oeil tout ardant de colere, Qui leur fait voir leur Juge, et leur cache leur Pere. Le Peuple, que Vitelle et d’autres conjurés, Qui si prés de la mort se monstroient asseurez, Remplissoient du regret de voir tant de noblesse, Payer si cherement un crime de jeunesse, Jetant de cét objet ses yeux de toutes parts, Sur les fils de son Brute attache ses regards. Une fiere douleur sur leur visage peinte Faisoit naistre autour d’eux le respect et la crainte, Et leur maintien superbe imprimoit à l’abord, Aux coeurs les plus Romains l’image de leur mort. La crainte et la douleur erroient dans cette place, Où les seuls condamnez exprimoient de l’audace ; De sorte qu’il sembloit à nos sens estonnés, Que les seuls assistans estoient les condamnés. Cependant à l’aspect d’un objet si terrible : Parmy tant d’affligez leur Pere est insensible, Son visage est égal, et sa masle fierté Dans le coeur des Romains porte la fermeté : Il voit son plus beau sang prest à couler par terre : Il peut ou retenir, ou lancer le tonnerre ; Mais plus pour ses enfans il souffre des combats, Plus son zele cruel demande leur trespas. De tous les sentimens les plus tendres d’un Pere, Il dresse un beau Trophée à sa vertu severe : Et quand sur son esprit le sang est le plus fort, Il prononce à ses fils la sentence de mort. Il presse les bourreaux de haster leur supplice, Et lors qu’ils semblent lents à faire leur office, Ces enfans trop soûmis d’un Pere trop cruel, Demandent à l’envy le premier coup mortel. Ils s’offrent l’un et l’autre au coup qui les menace ; Mais Tite le premier occupant cette place, Aprés quelques soûpirs donnez à son amour, Adresse ces propos aux peuples d’alentour : Voicy l’unique Autheur du crime de Tibere, Sauvez un fils à Brute, et que ce soit mon frere : Tibere est innocent, et pour perdre deux fils, Vostre Brute, Romains, vous a trop bien servis. Empeschez malgré luy le mal qu’il se veut faire. Le peuple estoit tout prest d’accorder sa priere, Quand Tibere indigné contre son amitié, Refuse également leur grace et sa pitié. Tite plaind son malheur, et soudain il s’appreste D’obeir à son Pere en luy donnant sa teste : L’executeur tout prest à faire son devoir. Leve le bras.         Helas ! quel est donc nostre espoir ? Doncques Tite n’est plus, Brute, Rome, Tullie, Qui de vous trois m’enleve une si chere vie ? Cher Tite.         Il vit encor, moderez ce transport. Et quel Dieu favorable a destourné sa mort ? Sur le bras du bourreau l’on voit sauter Tibere : Arreste luy dit-il, et me laisse mon frere : Pendant que je vivray, Tite ne peut mourir. Ah ! ce n’est pas ainsi qu’il les faut secourir, Tendresse, Amour, Pitié, que la Nature inspire Sur un Pere cruel estendez vostre Empire, Autrement vos efforts ne les sçauroient sauver. Oyés ce que les Dieux font pour les conserver, On voit douze licteurss’avancer vers la place : Au respect que leur rend toute la populace : On connoit Collatin, qui fait signe des mains, Pour imposer silence, et parler aux Romains. Que faites-vous, dit-il, quel dessein est le vostre, Brute a fait son devoir ; mais nous manquons au nostre, S’il immole ses fils au devoir de son sang, Nous sommes obligés à conserver son rang. Par ce pressant discours cette grande assemblée, Comme d’un coup de vent puissamment esbranlée, Se pousse enfin vers Brute, et tous humiliez, Luy font voir pour ses fils toute Rome à ses pieds. Cét objet l’attendrit, et l’on voit ce grand homme Sourd à la voix du sang, prester l’oreille à Rome : Il ne se defend plus, et d’un air plus remis, Il alloit accorder le pardon de vos fils, Quand pour vous delivrer de douleur et de crainte, Sachant le desespoir dont vous estiez atteinte, Mon zele m’a ravy le loisir de l’oüir. Doux espoir dont mon coeur ose à peine joüir, Dont la triste clarté tient encor des tenebres, Succede heureusement à des pensers funebres : Marcelle, mon salut estoit desesperé, Pour peu que ton secours eust esté differé. Pour arracher Tullie a l’ennuy qui l’accable, Allons luy faire part d’un sort si favorable : Je le dois à mes fils.         Madame, je la voy. On me garde, Madame, et je ne sçay pourquoy, Brute m’avoit promis liberté toute entiere ; Cependant je connois que je suis prisonniere. Madame, l’on vous tient ce qu’on vous a promis, On vous garde, mais c’est contre vos ennemis ; Ceux qui sont prés de vous, y sont pour vous defendre. Et de qui ?         Des Romains qui vous pourroient surprendre. Les Romains contre moy ne sçauroient faire pis, Je suis en leur pouvoir puis qu’ils tiennent vos fils, Et par leurs cruautés et vostre bonté méme, Je souffre icy, Madame, et prés de ceux que j’ayme. Veuillés pour amoindrir les peines que je sens, Que je ne souffre rien qu’auprés de vos Enfans ; Permettez que je sorte, et que par ma presence, Je puisse des Romains divertir la vengeance. Quelque attendrissement qu’ils monstrent pour vos fils Des sentimens si doux sont rarement suivis ; Le sacrifice est prest pour expier ce crime, Et leurs Dieux rarement se passent de victime, J’iray sur les autels de ce peuple mutin : Pour les Enfans de Brute offrir ceux de Tarquin : Je m’offriray pour eux, ou plustost pour moy-méme, Pour expier mon crime, et sauver ce que j’ayme. Ah ! Madame perdés cét injuste transport, Pensez-vous les sauver en courant à la mort ? Ils ne vivent qu’en vous, et leurs dernieres larmes, M’ont assez confirmé le pouvoir de vos charmes, Laissez faire aux Romains, à Collatin, aux Dieux, Vous les verrez encor soûpirer à vos yeux : Et se plaindre du sort qui leur sauvant la vie, Leur ravit le bon-heur de mourir pour Tullie. Las ! de quelque succez que je m’ose flater, Mon coeur sent des frayeurs qu’il ne peut surmonter ! De leur injuste amour le bizarre caprice A mon timide espoir n’offre rien de propice. Et deux freres rivaux si fortement unis Se verront l’un par l’autre également punis, L’un de se voir privé du bon-heur qu’il espere, Et l’autre d’estre heureux par le malheur d’un frere. Si bien qu’à peine encore echapés de leurs mains, Ils ont des ennemis pires que les Romains. C’est à vous à regler leur destin et le vostre, Vous pouvez hardiment couronner l’un et l’autre : Sans craindre que l’arrest qui partira de vous, En faisant l’un heureux, fasse l’autre jaloux : Ne me le cachez plus.         Faut-il que je m’explique ? Madame, Marcellin.         O fin vrayement tragique ! Qu’est cecy Marcellin ?         Helas ! tout est perdu. Quoy ! mes fils.     C’en est fait.         O Dieux ! qu’ay-je entendu ? Ne me demandés point un recit si funeste. Brute vient, et luy seul vous peut dire le reste. Laisse-moy soûpirer tyrannique vertu, Je t’ay donné mes fils, Rome, que me veux-tu ? J’ay donné tout mon sang à tes moindres alarmes, Souffre qu’à tout mon sang je donne quelques larmes. Donc ces Princes si chers.         Ils ont perdu le jour. De Brute et des Romains l’esperance et l’amour, Par son ordre aux Romains ont servy de victime. Ah ! Marcelle est-ce la cét espoir legitime ? Tout le monde, Madame, esperoit comme vous, Brute exprimoit déja des sentimens plus doux : D’un Juge rigoureux la Majesté severe, Sembloit avoir fait place aux tendresses d’un Pere, Quand au lieu du pardon qui flatoit nostre espoir, Il commande aux bourreaux de faire leur devoir : Tout le monde en fremit, Collatin s’en offense ; Mais malgré leurs frayeurs, malgré sa resistance, Il fait mourir ses fils en Juge rigoureux, Et pleure aprés leur mort en Pere malheureux. Ah ! Tygre.     Ah ! mes enfans .         Mais helas ! C’est leur Pere, J’entre dans vos respects cher Tite, cher Tibere, Freres qui partagez mon amoureux desir, Vous m’ostez en mourant la peine de choisir, Mais aussi vostre mort trop prompte et trop cruelle, Me laisse envers tous deux ingrate, et criminelle. Effaçons dans mon sang ces tiltres odieux; Chers Princes, je vous suis, et vous suis en des lieux, Où malgré les Romains, Brute, et mon malheur mesme, Vous me possederez et j’auray ce que j’aime. Qu’as-tu fait de ton sang, Brute ?         Je l’ay versé, Femme viens achever ce que j’ay commencé : Viens expier mon crime et viens te satisfaire, Il me poursuit par tout, je ne m’en puis defaire : Ce rigoureux remors, et ce grand desespoir, M’aprennent, mais trop tard quel estoit mon devoir : Je le connoy, mes fils, quand je ne le puis faire : Quand je ne le suis plus, je sens que je suis Pere, Et toujours pour moy-mesme, et pour vous inhumain Je ne suis, quand il faut, ny Pere ni Romain. Rens-moy mes fils, cruel.         Ils ont perdu la vie, Et la mienne par toy me doit estre ravie. Helas !         Que tes douleurs font un puissant effet, Qu’estes vous devenus mes enfans, qu’ay-je fait ? Combien leur triste mort dans les pleurs d’une Mere, Grave l’enormité du crime de leur Pere. Mere, voy le bourreau des enfants que tu plains, Est-ce qu’apres tes fils pour toy-mesme tu crains ? Tu me fuis, et l’horreur dont me couvre ce crime, Fait un monstre à tes yeux d’un Espoux legitime, Fuis de moy, femme, fuis et cachant tes douleurs, Souviens-toy qu’un Romain punit jusques aux pleurs. He bien puny-moy donc.         Ah ! Pere impitoyable ! De ton zele cruel voy la suitte effroyable : La Princesse n’est plus, songe à son desespoir, Et lis dedans son sang ton crime et ton devoir. Et vous de ses Amans Mere trop affligée, Si d’un crime innocent ce fer vous a vangée, Ne vous souvenant plus qu’elle a fait vos malheurs, Oyez ce qu’en mourant vous demandent ses pleurs : Qu’aux cendres de vos fils sa cendre confonduë, Monstre qu’en les perdant, son amour l’a perduë. Je deplore sa perte autant que mes malheurs, Mais aussi je rougis d’avoir versé des pleurs. Dans ce pressant peril, dans ce desordre extreme, Pour servir ma vertu Brute revient luy-mesme. Femme, permets-moy donc de jouyr d’un honneur Achepté par mon sang et par tout mon bon-heur. Si mon repentir dure il destruira ma gloire : Souffre que nos neveux adorent ma memoire, Et qu’ils disent de moy voyant ce que je fis, Il fut Pere de Rome, et plus que de ses fils. Mal-gré le desespoir qui regne dans mon ame, Je prens tes sentimens, et suis enfin ta femme. Ta vertu rend icy mon esprit confondu, Et me redonne enfin plus que je n’ay perdu. Allons à ces Amants donner la sepulture, Et pour quelques momens prestés à la Nature, Pour rendre nostre nom venerableaux humains, Faisons que tous nos jours ne servent qu’aux Romains.