Quoy ma discretion vous est-elle suspecte ? Ignorez-vous encor combien je vous respecte ? Non, apprends d’un recit veritable & succinct La nature du mal dont mon cœur est atteint, Tu sçais que le Soleil depuis que je fus véve N’avoit à ses travaux que vingt fois donné tréve, Quand Cleanthe échauffé d’un feu sombre & mourant Que mes yeux n’avoient pû bien esteindre en pleurant Vint me faire visite, & d’un adroit langage Exagera les soins qu’enfante un long veuvage, Tu sçais encor comment d’un discours medité Il me galantisa sur mon peu de beauté. Et puis comme achevant ce compliment frivole Un soupir preparé lui coupa la parole. Vous pristes du plaisir à l’entendre, à le voir, Vostre esprit & vos sens vindrent à s’esmouvoir, Vous l’aimates enfin !         Oüy, d’un aveu tacite J’acceptay sa recherche ainsi que sa visite. On fit courir le bruit qu’hymen dans peu de jours Devoit de vos ardeurs authoriser le cours. Cleanthe m’en pria, mais ma pudeur blessee Rejetta sa priere & blasma sa pensee. Les manes d’un mary gisant dans le tombeau D’un si prompt hymenée éteindroient le flambeau, Luy, dis-je, & leur dépit joinct au courroux celeste Rendroit nostre alliance & sterile & funeste, Je veux pendant un An demeurer dans le deüil Et de ma continence honorer son cercueil. Cleanthe à ce propos montra de la tristesse, Mais bien-tost sa raison se rendit la maitresse, Il loüa mon dessein, & convint avec moy Que l’honneur & l’amour m’imposoient cette loy. En ce temps cet Auguste & glorieux Monarque Qu’avec estonnement tout l’Univers remarque, Pour se rendre justice & rentrer dans ses droits D’un siege bien formé pressoit les Dunquerquois, Cleanthe en attendant que j’essuirois mes larmes Se resolut d’aller paraitre sous les armes, De signaler son cœur, de servir son païs, D’oster à l’Espagnol des Estats envahis Et croistre de son Roy l’illustre Renommee En ajoustant un bras au corps de son armee, Il partit sans demeure, & dans fort peu de temps Dunquerque le compta parmi nos combattans. Mais helas dans le camp, soit par trop de fatigue, Ou soit que contre luy la fortune se ligue, Ses yeux auparavant si perçans & si clairs Sont d’un nuage obscur soudainement couverts, Ces naturels flambeaux demeurent sans lumiere, Sans rien perdre pourtant de leur beauté premiere, On diroit à les voir qu’ils lancent des rayons Qui des objets encor luy tracent les crayons. Ce malheur arrivé depuis une ou deux Lunes Peut-il causer encor vos plaintes importunes ? Non, ce trait qui du sort marque la cruauté Ne m’arracha des pleurs que dans sa nouveauté, Mais en ayant depuis interrompu la course Si tu m’en vois verser ils ont une autre source. Ce poinct est un secret qui ne m’est pas conu. Je vay t’en informer d’un discours ingenu. Aussi-tost que je sceu l’Accident de Cleanthe Mon amoureuse ardeur devint un peu plus lente, Et mon cœur chancelant dedans sa passion Eut un malin degoust de son affliction, Je combatis d’abord cette ingrate inconstance, J’en voulus étouffer la premiere semence : Mais sur le poinct qu’alloit triompher ma vertu L’on donna du secours à ce vice abbatu. Lidamas heureux fils d’un deplorable pere Vint pour me consoler de son destin sevère, Il me vid, je le vis, il parla, j’escoutay, Mon œil incessamment sur luy fut arresté, Sa grace me parut à nulle autre semblable, Il fit un beau recit d’un sujet lamentable, Enfin en Lidamas toute chose me plut, Et se rendit chez moy ce que son pere y fut. Cônut-il vôtre amour ?         Malgré ma retenuë Dés sa conception elle luy fut cônuë, Ce cavalier adroit, prudent, ingenieux, Subtil, & bien instruit dans l’entretien des yeux, Penetrant par les miens au fond de ma pensee Y vid en traits de feu son image tracee ; Cet indice assuré qu’il estoit mon vainqueur, L’obligea de s’ouvrir en me montrant son cœur, Madame (me dit-il) le pouvoir de vos charmes Ne m’a pas d’aujourd’huy fait mettre bas les armes, Depuis plus de six mois je suis dedans vos fers Et vos yeux sont les Rois & les Dieux que je sers, Mais d’un pere amoureux l’imperieuse flame M’imposoit de cacher la mienne dans mon ame. Je l’ay fait par respect jusques à ce moment Que je puis profiter de son aveuglement. Il finit, & mon cœur charmé de sa parole Se fit au mesme instant l’Autel de cet idole, Un regard languissant, un soupir estouffé Luy dirent doucement qu’il avoit triomphé. Lors certain de mes feux comme de sa victoire Il me dist qu’il falloit pour achever sa gloire Que je vinsse dans Blois faire quelque sejour, Jusqu’à tant qu’on y vid son pere de retour, Je fus pour Lidamas à ce poinct complaisante, J’y vins & descendis au logis de Cleanthe, Où donnant à ma flame une honneste couleur Je feignis d’arriver pour visiter sa sœur. Jusqu’icy quel sujet avez-vous d’estre triste ? Apprends de ce qui suit en quoy mon mal consiste. On attend le retour de Cleanthe aujourd’huy J’ay peur qu’il croye encor que je brûle pour luy Que ses yeux estans morts sa flame vive encore Que sa bouche me loüe, & que son cœur m’adore, Tu sçais que l’on void naistre un grand nombre de maux Quand le pere & le fils se rencontrent Rivaux. Voila le seul sujet ma fidelle Nerine, Du trouble qui me rend inquiette & chagrine. Je ne puis presumer qu’en son aveuglement Cleanthe veüille encor passer pour vôtre Amant, Son fils au pis aller par de promptes adresses Vous delivrera bien de ses froides caresses. Nerine, tu dis vray, l’esprit de Lidamas… Mais c’est luy que je voy qui s’avance à grand pas. Mon pere est arrivé Madame, & sa paupiere Ne void plus les beautez qu’enfante la lumiere, Ce n’est pas que ses yeux ne paraissent fort beaux, Mais c’est sans l’éclairer que brillent ces flambeaux, Par le malin effet d’une cause cachee, Leur action est morte, ou du moins empeschee, Dedans ce triste estat je ne puis concevoir Qu’il donne de l’amour ny puisse en recevoir. Mais ne peut-il pas bien ayant perdu la veuë Conserver une amour auparavant receuë. En vain auprez de vous je veux dissimuler, Mon pere brusle encor, & veut encor brusler, On l’avoit du carosse à peine mis à terre Qu’oubliant le malheur que luy cause la guerre, Lidamas, m’a-t’il dit, en me parlant de vous, Les Astres envers elle ont-ils esté plus doux ? N’a-t’elle point du sort senty la perfidie, Ou les aspres accez de quelque maladie ? Il n’en faut plus douter, il est encor atteint, Le feu que j’allumay n’est pas prest d’estre esteint, Ce peu que j’ay d’attraits sensiblement le touche, On n’est pas loin du cœur quand on est dans la bouche. A l’instant que ses soins se declarent pour vous Je juge qu’il n’est pas bien guéry de vos coups, Doncques d’une voix triste, Olimpe, mon cher pere, N’est plus, luy dis-je lors, en estat de vous plaire, De ce charmant objet les traits imperieux, S’ils furent le plaisir sont la peine des yeux, Cette rare beauté d’un chacun regardee N’est plus qu’un Estre feint, existant en idee, Un tragique accident, un rigoureux destin, A de tous ses appas fait un triste butin. Là par le prompt secours d’une adréte imposture Au gré de mon desir je forme une Aventure, Et tâche ainsi d’esteindre en vous defigurant Un feu qui me perdroit s’il devenoit plus grand. L’artifice est subtil, mais il n’est pas croyable Qu’il soit à nos desseins bien long-temps favorable, Vous verrez dedans peu Cleanthe detrompé Tant de vos vains discours soit-il préocupé ; Je veux qu’estant aveugle il ne puisse conaître Qu’au bal, sans me masquer, je puis encor paraître, Je veux que vôtre sœur ayde à nostre projet, Je crains pourtant tousjours avec juste sujet. Le valet qui par tout marche avec vôtre pere, Luy qu’on peut appeller le flambeau qui l’esclaire, L’Ange qui le conduit, l’Argus industrieux Qui veille pour sa garde, & luy preste ses yeux, N’est pas dans le renom d’estre si peu fidele Que sçachant nostre ruse il l’endure & la cele, Cleanthe par ses yeux verra tout nostre jeu, Il conaitra ma flame, & sçaura vostre feu, Il se rendra certain de ma prompte inconstance, Il apprendra d’un fils le peu de reverence, Il fera nos desseins tout d’un coup eschoüer, Et peut-estre joüera qui le croira joüer. Cette crainte est, Madame, une pure chimere, Je dispose à mon gré du valet de mon pere, Cet Argus est gagné, ses yeux sont ébloüys, Et j’ay sçeu l’endormir au son de mes Loüis. Donc sans vous allarmer d’une crainte si vaine, Attendez une issue agréable & certaine, Et quoy que mon rival ait à venir icy N’ayez à son abord ny crainte ny soucy. Ne luy pouvant long-temps cacher vostre venuë, Mon ame sur ce poinct s’est fait voir toute nuë, Mais j’ay dit pour tromper cet aveugle amoureux Que vous n’estiez icy que d’un jour ou de deux, Encor dans le dessein de rendre une visite Dont la coustume veut que vous demeuriez quitte. Mais encor dites-moy, si Cleanthe abusé M’oblige à raconter mon malheur supposé, Comment ne sçachant pas cet accident frivole Pourray-je avec la vostre accorder ma parole ? Je l’apperçois, passons dans cet appartement, Je vous en apprendray l’histoire en un moment. Quoy contre mon vouloir & contre ma defense Admettre en ma maison, Thelame en mon absence ? Fomenter si long-temps une inclination Qui nasquit & s’accrut sans ma permission, D’un homme dont le nom me déplaist & m’irrite, Entretenir l’espoir & souffrir la visite ? Ha Melice, est-ce là le respect qui m’est deu ? Et vostre jugement ne s’est-il pas perdu ? Ceux qui de ce rapport m’ont vers vous desservie, Sont portez contre moy de depit ou d’envie, Depuis que pour Dunkerque on vous vid quitter Blois. Thelame n’est ceans venu pas une fois, Qui peut s’emanciper de dire le contraire Fait à la verité…         Respectez vostre pere ; Ceux qui m’ont rapporté vos traits licentieux Cherissent vostre honneur, loin d’en estre envieux. Et bien pour ne vous pas en ce poinct contredire, Apres l’avoir souffert, croyez que j’en soupire, Non pas du repentir d’avoir receu ses vœux, Mais bien du doux plaisir que me causent ses feux, En suis-je pour cela moins loüable qu’une autre ? Sa maison en honneur cede-t’elle à la nostre ? Que s’il hérite peu de ses Ancestres morts, N’a-t’il pas des vertus qui sont les vrais tresors ? Taisez-vous indiscrette, insolente, effrontee, Ma bonté cede enfin, vous l’avez surmontee, Allez, retirez-vous, & ne me parlez plus D’un homme dont le bien consiste en ses vertus, Thelame, je l’avoüe, est de famille illustre, Mais son peu de fortune en efface le lustre. Il est tres-riche en biens de l’esprit & du corps, Mais on fait maigre chere avecque ces tresors . Sylvestre, si pour moy ton devoir ne sommeille Dy-moy ce que mon fils t’a tant dit à l’oreille, Sans qu’il m’ait soupçonné d’un feint aveuglement J’ay veu qu’il te parloit avec empressement. Quand je vous obeïs, je suis dedans mon centre, Si je ments d’un seul mot battez-moy dos & ventre, Quoy que pauvre garçon, je suis homme de bien, Et pour vous le montrer, il m’a dit, ne dy rien. Sylvestre continuë, & parle sans reserve. S’il a rien dit de plus, jamais je ne vous serve. Toutefois…         Cher Sylvestre acheve jusqu’au bout. M’ayant dit, ne dy rien ; il ajouste, & voy tout, Et sa langue n’a pas prononcé ces paroles Qu’il me fait dans la main couler quelques pistoles. Lidamas t’aura dit quelqu’autre chose encor Que tu me veux celer en faveur de son Or. Mais poursuis.         Si ma dague estoit bien émouluë J’ouvrirois à vos yeux ma poitrine veluë. C’est tout, ou jamais Vin n’entre dedans mon corps, Et cela c’est vouloir passer au rang des morts. Sylvestre je te croy. Fils insolent & lâche Ton crime se produit quand tu veux qu’on le cache : Ne dy rien. Ces trois mots m’apprennent clairement Ce que je ne sçavois qu’assez obscurément. Tu deviens mon rival, fils ingrat & perfide, Mais tu n’iras pas loin puis qu’un enfant te guide, Sylvestre, s’il est vray que la sincerité Bannit de toy la fourbe & l’infidelité, Garde de declarer à ce fils temeraire Que je me plains d’un mal qui n’est qu’imaginaire. Je veux encor un coup, si je ne suis secret Ne boire à l’avenir, ny vin blanc ny clairet. O l’horrible serment ! j’en ay l’ame opilee. Me garde d’un tel mal la gresle & la gelee, Apres avoir lâché ce moult grand jurement Me refuserez-vous un éclaircissement ? Touchant ?         Chose qui n’est d’autre que de vous sçeuë, D’où vient que vous feignez d’avoir perdu la veuë ? Pourquoy depuis six mois faire croire en ces lieux Que l’huile & le cotton ont manqué dans vos yeux ? Asseuré de ta foy comme de ton silence Je te veux honorer de cette confidence. A peine le Soleil avoit produit vingt jours Depuis que pour mon Roy j’eus quitté mes amours, Quand un de mes amis m’asseura dans l’armée Que Melice vivoit à son accoustumée, Et que pleine d’amour, & Thelame d’espoir, Leur entretien duroit du matin jusqu’au soir ; Mesme que l’on craignoit, puis qu’il te faut tout dire, Qu’il se passast entr’eux quelque chose de pire. On éprouve jamais le sort rude à demy ; Deux ou trois jours apres je sceu d’un autre amy     Que depuis mon depart mon fils chaque semaine Visitoit la beauté qu’Amour a fait ma Reine, Et qu’on soupçonnoit fort que dans son entretien Il ne luy parlast moins de mon feu que du sien, Je restay si surpris d’entendre cette histoire, Que quoy qu’on m’en jurast, je n’en voulus rien croire. Ma fille a trop de soin de garder son honneur, Me disois-je à moy-mesme, & mon fils trop de cœur ,  Je les croiray soumis à mon obeissance, Jusqu’à tant que mes yeux dementent ma croyance. Toutefois ma raison dissipant ce sommeil Je songe que l’amour est de mauvais conseil, Et regarde que ceux qui m’ont dépeint leur vie Ont pour eux & pour moy plus d’amour que d’envie. Mais pour mieux penetrer dans cette obscurité Et distinguer le faux d’avec la vérité. Je contrefaits l’Aveugle, on le croit dans l’Armee, Je passe ainsi par tout avec la Renommée, Chacun plaint ma disgrace, & l’ingrat Lidamas S’il ne s’en montre triste au moins n’en doute pas. Deux mois coulent pendant que cette erreur se glisse, Je reviens sans qu’aucun sçache mon artifice. On accourt m’accueillir en se moüillant les yeux, Je suis Aveugle enfin, & ne vy jamais mieux. Cher Sylvestre, voila l’adresse ingenieuse Par qui la vaine ardeur de ma fille Amoureuse, Et les brutaux desseins d’un fils lasche & pervers Bien-tost & sans travail me seront découverts. Ma foy si dans le monde on trouve un plus fin homme, Je partiray demain pour l’aller dire à Rome. Au Diable en ce mestier vous feriez des deffis. Silence, Olimpe vient avecque ce bon fils. La part que prend Olimpe en vostre sort funeste L’ameine ici, Monsieur.         Bonté rare & Celeste. Quiconque sçait vos maux, & ne s’en peut fâcher, Ne porte au lieu d’un cœur dans le sein qu’un rocher. Et qui void sans douleur vostre triste avanture Tout de roche en effect, n’est homme qu’en figure. Mais qui ne la void pas, n’a nulle occasion D’estre atteint de douleur & de compassion. Un semblable discours s’addresse à moy, Madame, Mais sçachez que le corps n’agit point sur mon ame, Et que si la clarté s’est esteinte en mes yeux Il m’en reste en l’esprit qui m’éclaire bien mieux. Autrefois mes regards admiroient ce visage, Mais leurs traits aujourd’huy penetrent davantage, Ils ne s’arrestent plus à ce butin du temps, Ils contemplent des biens meilleurs & plus constans, Ils voyent les vertus dont vous estes pourveuë, Et ma felicité consiste en cette veuë. Vous sçavez donc, Monsieur, par quelle aversité Mes attraits ont fait place à la difformité ? Mon fils m’a raconté ce succez lamentable, Mais faites m’en vous-mesme un recit veritable, Peignez cet accident de ses vives couleurs. Et que l’ayant oüy, je sente vos douleurs. J’estois à Bourges lors que par des feux de joye L’on celébroit les coups d’un bras qui tout foudroye, D’un Prince glorieux dont les fameux exploits Ont sceu ranger Dunkerque au pouvoir des François. Je me sentis saisir d’un desir héroïque D’applaudir & d’enfler l’allegresse publique, Donc je monte en carrosse, & par divers retours Je voy Mars & Vulcain en tous les carrefours, L’un depite le Ciel, & fait trembler la terre Par des bouches de fonte imitans le tonnerre Il exale & vomit des flames parmy l’Air ; Bref, d’une belle Ville, il fait un bel Enfer. L’autre perçant des Airs les orageux espaces Porte & loge le feu dans le sejour des glaces, S’y met en serpenteaux, puis s’y transforme encor, Tantost en fleurs de Lys, tantost en pluye d’or, Mesme il estend son vol, jusqu’aux celestes toiles D’où son orgueil tombant arrache les estoiles. Ah ! Ciel que ce qui suit est dur à raconter, C’est r’appeller mon mal que de le reciter. De ce fascheux recit soyez donc dispensee, Ne rendez point presente une peine passee, J’ay sceu de Lidamas en arrivant ici Comment un si beau jour vous a mal reüssi. Il m’a dit que de l’Air la patience usee Fit dans vostre carosse entrer une fusee, Dont la chaude vapeur aydant à son dessein Vous brusla le visage, & vous noircit le sein. Avoüez.         C’est ainsi qu’arriva ma disgrace, Mais, ô Dieu ! quand je croy que ma douleur se passe C’est alors que du sort le courroux renaissant Me fait sentir un mal plus aspre & plus pressant, Monsieur, je ne sçaurois plus long-temps me contraindre, Souffrez que j’aille ailleurs souspirer & me plaindre. Allez, Madame, allez, en vous seule je vis Et je vous vois encor de l’œil dont je vous veis. O d’une honneste femme indigne effronterie ! O d’un fils impudent insigne fourberie ! Allons, Sylvestre, allons & donnons plaisamment Une fin qui réponde à ce commencement. Mon espoir me trahit, & ma raison s’égare D’esperer de flechir ce naturel avare, Jamais de mon amour le respect sans égal Ne touchera ce cœur de terre & de metal, Pour luy faire trouver des ardeurs legitimes Il luy faut apporter le Soleil des abismes. Le bien est son objet, & ce riche indigent Estime & pese un homme au poids de son argent. Ah ! Madame, il le faut, mon mauvais sort l’ordonne ,  Que j’aille sou pirer loing de vostre personne. Un puissant desespoir qui combat mon amour, Me marque ailleurs un long & funeste sejour. Cessez de vous flater, l’avarice d’un Pere Ne s’abstiendra jamais de nous estre contraire. Adieu, de vostre aveu felicitez mes pas. Quoy me quitter ainsi ?         Quoy ne vous quitter pas ? S’absenter de ces lieux ?         On y hait ma presence. Mourir desesperé ?         Vivre sans esperance. Ne pas perseverer ?         Perseverer en vain. Ah Thelame !     Ah Melice !         Ha charmant inhumain. Si vous bruslez pour moy d’un veritable zéle, Si vous estes constant, genereux & fidelle, Si dans mes interests vous prenez quelque part, Si mes jours vous sont chers differez ce depart ; Le Temps de qui le cours renverse toutes choses Peut-estre changera nos espines en roses. Demeurez, cher Thelame, ou pour le moins craignez Qu’un autre ait par la force un cœur où vous regnez, Thelame songez-y, songez-y bien mon Ame, En un mot demeurez, ou je meurs cher Thelame. Puissamment esbranlé de vos ardents soupirs, Mais mieux persuadé de mes bruslans desirs, Madame, j’y consens, racourcissez mes chaisnes, De vostre prisonnier rendez les courses vaines. Deusse-je respirer sous des Astres plus durs Blois encor quelque temps me tiendra dans ses murs. Sylvestre acquitte-toy du róle que tu jouës. Si j’y manque d’un mot, couvrez-moy les deux jouës. Cleanthe arrive ici, Madame il m’a surpris, Son valet luy dira.         R’assurez-vos esprits, Vous n’avez seulement qu’à garder le silence, Ce valet a sa part dans nostre confidence, Mon frére l’a si bien pratiqué sur ce poinct Que s’il void quelque chose, il ne parlera point. Estes-vous seule ici Melice ?         J’y suis seule. Amy…         Ne craignez rien, j’auray fort bonne gueule. La rencontre s’accorde avecques mon souhait, Je viens pour vous parler d’un serviteur parfait Qui tient emprisonné beaucoup d’or dans ses coffres, Et qui rempli d’Amour vous addresse ses offres, C’est Rustique l’Aisnay fils du vieux Parmenon. Quoy ce noble d’un jour, grossier jusqu’à son nom ? Ah ! de grace, Monsieur, aymez plus vostre fille, Sçachez mieux maintenir vostre illustre famille, Ce seroit en tirer l’éclat dans le tombeau, Un peu de vilain sang tache & gaste le beau. Allez, fille indiscrette & desobeissante, Le soin de vostre honneur n’est pas ce qui vous tente, Un Demon moins splendide est vostre possesseur, Thelame vous gouverne avec plus de douceur : Mais si vous ne sortez de ce desert Empire Mon courroux deviendra quelque chose de pire, Je vous en advertis.         Amant infortuné ! Je ne sçaurois reprendre un cœur que j’ay donné. Ah ! c’est trop…         Hé, Monsieur, ô vous son pere unique, Car la defuncte estoit, à ce qu’on croit, pudique, Vous son vray geniteur, avez-vous entrepris De faire plus que Dieu, de forcer les esprits ? Laissez aller Madame où son amour l’appelle, Celuy qu’elle cherit n’est-il pas digne d’elle ? Sa flamberge l’a mis au nombre des plus preux, Il a l’esprit fort bon, & le corps vigoureux, Sa bonne mine enfin & sa naissance libre Mettent avec vos biens Thelame en equilibre. Impertinent valet, qui t’oses ingerer De me donner conseil & de me censurer, Tu seras satisfait de ta belle harangue, Je vais ou t’estrangler, ou t’arracher la langue, Temeraire, indiscret.         Sylvestre, justes Cieux Songe à tirer mon cœur des mains d’un furieux. Ha ah ! je n’en puis plus.         Insolent pédagogue ! Vous m’avez fait les yeux plus gros que ceux d’un dogue. Je ne sçaurois souffrir ce honteux traitement. Contraignez-vous pour moy, cher & fidelle Amant. Apprends à l’avenir, valet maussade & traitre, A ne te plus mesler de censurer ton maitre. Et vous fille rebelle à tout ce que je veux Pour un nouvel Amant ayez de nouveaux feux, Esteignez pour jamais vostre ancienne flame, Et recevez des loix d’un autre que Thelame. Pour me faire subir vostre injuste rigueur, Faites, pere cruel, que j’aye un autre cœur. C’en est trop endurer, ma patience eschape. Allez, sortez, fuyez, drillez qu’il ne vous frape. Je ne sçay si je doy nommer sa passion Ou du nom de constance, ou d’obstination, Mais soit-elle constante, ou soit-elle obstinee, Ma seule volonté fera son hymenee. Au reste tu m’as pleu dans ta naïveté, Tu t’és de ton devoir dignement acquitté, Si tu poursuis tousjours j’augmenteray tes gages. Je sçay friser la corde en de tels personnages. Assurez-vous de moy, je paye à temps prefix, Et dans l’art de fourber Sylvestre est un phœnix. Conduis moi vers Olimpe, & m’y fay reconnaitre Qu’aux experts en cet Art tu servirois de maitre. Tu sçauras en allant de mes ordres exprés Comment il faut mener mes intrigues secrets, Je t’instruiray du temps où ta naïve adresse Pourra si tu le veux répondre à ta promesse. Laissons l’aller, Madame, & nous entretenons De l’intrigue Amoureux que nous entreprenons. L’espoir est mal fondé que soustient une ruse, Plus je pense à la vostre, & plus je suis confuse, Elle est bien inventee & satisfait d’abord, Mais j’en prevoy la fin que j’apprehende fort, Je crains que ce broüillas ne fonde sur nos testes, Et que semant du vent nous cueillions des tempestes. Delivrez vostre esprit de ces fâcheux Accez, Un bon commencement attire un bon succez. L’ingenieuse erreur où j’entretiens mon pere Chaque jour esteindra son feu s’il persevere, Un prompt & vray degoust naitra de cet abus, L’amour dure fort peu quand son objet n’est plus, Vos yeux qu’il croit privez de leur premiere amorce, N’agiront plus sur luy qu’avecques peu de force ,  Il croira justement cesser de vous aimer, Ne trouvant plus en vous ce qui pût l’enflamer. Ainsi sa passion n’ayant rien qui la tienne Deslogeant de chez vous fera place à la mienne, Mais pour conduire tout au gré de mes desirs S’il soupire d’amour rejettez ses soupirs, Et dites que vos maux qui s’augmentent sans cesse Abhorrent les soupirs, s’ils ne sont de tristesse. Au reste si jamais son feu contraire au mien Vouloit vous engager dans un long entretien, Et que mon interest vous regarde & vous touche, Rompez son entreprise, & luy fermez la bouche, Je mourrois autrement d’une jalouze peur, L’oreille trop ouverte est un passage au cœur, Le voici, témoignez dedans cette occurrence, Que tout autre que moy vous nuit par sa presence, Deffaites-vous bien-tost d’un incivil Amant Qui vous entretiendra sans vous voir seulement. Mais si cet importun, quoy que je puisse dire, S’obstine à me compter son amoureux martire, Quel sera le moyen de m’en débarasser ? N’en prenez pas le soin, c’est à moy d’y penser. Nerine dont la voix imite tant la vostre, Qu’à vous ouïr parler on prend l’une pour l’autre, Me fournit un moyen facile & non commun Pour esloigner de vous cet Amant importun. On trouve en bien cherchant, la chose est bien certaine Ne fust-ce qu’un ciron égaré dans la plaine, Si celle dont l’absence accroist vostre souci N’est pas dedans sa chambre, on la rencontre ici. Madame…         Attendez donc que vous soyez vers elle, Vous ressemblez les chiens de chez Jean de Nivelle, Vous abbayez de loing. Avancez, Alte-là. Tournez-vous autrement, parlez, vous y voila. Quelque torrent d’ennuis qui roule dans mon ame J’entends tousjours parler mon devoir & ma flame, L’un & l’autre m’ont dict que je vinsse en ce lieu, J’y suis venu, Madame, accompagné d’un Dieu, Amour qui dans mon cœur en souverain preside M’a conduit par la main & m’a servi de guide, Luy seul jusques à vous a pris soin de mes pas Heureux en mon malheur s’il ne me quite pas. Mais plus heureux encor si le flambeau qu’il porte Vous faisoit voir combien ma passion est forte, Et si les traits ardents qui partent de sa main En vous frapant au cœur, vous enflammoient le sein. Monsieur, si l’amour propre, ou si la vaine gloire Me rendoit orgueilleuse & facile à tout croire, Je pourrois recevoir un pareil compliment Pour le sincere aveu d’un veritable Amant. Mais …         Toubeau, ce mais me tiendroit lieu d’injure, Je hay la flatterie, & je fuy l’imposture, Vous ne devez jamais concevoir le soupçon Que ma bouche & mon cœur parlent d’autre façon. Desja cet entretien me déplaist & me lasse. Tandis qu’ils jaseront, causons nous deux de grace. Quoy, vous arresteriez vos Amoureux projets Au plus deffiguré d’entre tous les objets ? Quoy vous pourriez encor adorer un visage De qui le seul aspect effraye & décourage, Non, non, vous avez trop de cœur & de raison, Vous ne sçauriez souffrir qu’une belle prison, Lors qu’un peu d’embonpoint, & quelque attrait passable, Aux yeux qui me voyoient me rendoit supportable ,  Je veux m’imaginer que par fois des soupirs Formez dans vostre cœur m’addressoient vos desirs, Mais depuis le moment qu’un accident funeste, Effaça ce crayon de la beauté celeste, Depuis que j’eus perdu ces traits de majesté Qu’imprima sur mon front la premiere beauté, Je ne sçaurois souffrir l’opinion trompeuse, Qu’on brusle encor pour moy d’une flame amoureuse, Tout homme m’en feroit des sermens superflus, L’on sort bien-tost d’un temple où les Dieux ne sont plus. Vous vous figurez donc qu’une vaine peinture ,  Qu’un foible & simple trait du pinceau de nature ,  Qu’un amas concerté d’agreables couleurs, Qui redoute l’abord du froid & des chaleurs, Que des regards lascifs confondent d’ordinaire, Et qu’efface tousjours la crainte & la colere, Enfin qu’une inconstante & legere beauté Jusqu’icy dans vos fers ait mon cœur arresté, Je pourrois devenir à ce compte idolatre D’une image de pierre, ou de toile, ou de plastre, Oüy si je m’attachois à ces frivoles traits, Les femmes me plairoient bien moins que leurs portraits. Ah ! ne croyez donc pas que sur ces apparences Mon inclination fonde ses esperances, Je pese les vertus, & ces sacrez tresors Me plaisent plus cent fois que les charmes du corps. Ce compliment trop long use ma patience. Vous me faites rougir par trop de complaisance, Fist le Ciel que vos yeux aussi bons qu’autrefois … Madame, c’est assez, croyez que je vous vois, Ma memoire entretient & revére l’image Et de vostre merite & de vostre visage, De tout ce qu’en naissant les Cieux mirent en vous De divin, de charmant, d’agreable & de doux, J’en suis encor épris, j’en ay l’ame enflamee, De pas un des mortels vous n’estes tant aimee, C’est peu de le montrer par des soins complaisans, Je vous en veux donner pour preuve des presens, C’est à quoy je m’oblige, & dont je seray quite Si vous me permettez encor une visite. Il croit parler à vous, le pauvre aveugle en tient. Monsieur vous m’honorez plus qu’il ne m’appartient, Reservez vos presens pour de plus belles Dames, Je ne merite pas ny vos dons ny vos flames, Et je puis assurer que si vous me voyez Vous plaindriez vos presens s’ils m’estoient envoyez. Madame, ce discours est un refus honneste, Mais encor une fois je vous fais ma requeste, Agreez que tantost je vous revienne voir, Et que vous revoyant je fasse mon devoir. Enfin si vous m’aimez que vostre amour se montre, En daignant accepter de ma main une montre, Que de ce bien encor je vous sois obligé, Promettez-le, Madame, & puis je prends congé. Nerine promets-luy d’accepter pour luy plaire. Monsieur tout mon desir tend à vous satisfaire, S’il vous plaist de m’offrir un present aujourd’huy, Ayant un cœur pour vous, j’auray des mains pour luy. Que mon bon-heur est grand ! ce discours me confirme Qu’Olimpe considere encor Cleanthe infirme. Adieu, Madame, adieu, vous m’avez satisfait, Sylvestre allons.         Oüy, maistre, en un pas c’en est fait. Vous son unique fils, mon zele vous exhorte De venir avec moy, parce qu’il vous importe. Suivez-le, Lidamas, quelquefois ses pareils A de plus sages qu’eux donnent de bons conseils. Maintenant que je puis m’exprimer sans contrainte, Permetez que mon cœur se montre à vous sans crainte, Madame, voulez-vous acquerir un renom Qui ternisse à jamais l’éclat de vostre nom ? Voulez-vous, negligeant l’amitié de Cleanthe, Qu’on die à l’avenir, Olimpe est inconstante, Sa passion luy pleut avant son mauvais sort, Et l’œil sec maintenant, elle le verroit mort. Ah ! Madame, évitez ce reproche sensible, Laissez-vous surmonter à sa flame invincible, Malgré les faux rapports que l’on luy fait de vous, Sa plus ardente envie est d’estre vostre espoux, Ce constant serviteur vous aime en toute forme, Heureuse,  infortunee, agreable ou difforme, Reconaissez, Madame, un zele si parfait, Et dans vos premiers feux persistez comme il fait. Nerine, ce discours est de mauvaise grace, Tu me prescris à tort ce qu’il faut que je fasse, Je conais mon devoir, je sçay m’en acquitter, Sans te donner le soin de m’en solliciter. Cleanthe, je l’avoüe, a regné dans mon ame, Mais en l’estat qu’il est, merite-t’il ma flame, Certes si je pouvois l’estimer aujourd’huy Je me declarerois plus aveugle que luy. Ouy je l’ay rencontré cet Amant deplorable Maudissant les rigueurs d’un pere inexorable, Se plaignant du destin, de soy-mesme & de vous, Et comme un furieux se meurtrissant de coups. Lucille, m’a-t’il dit, aussi-tost qu’il m’a veuë, C’en est fait, je me rends, ma constance est vaincuë, Je ne puis plus lutter contre mon mauvais sort, Il triomphe, & l’espoir qui me reste est la mort : Va-t’en, ajouste-t’il, trouver hors de Thelame Son cœur & ses desirs, ses pensers & son ame ; J’entends le digne objet qui me tient dans ses fers, Que je vois à toute heure, & pourtant que je pers ; Ce superbe Démon qui poursuit les offences, Qui suggere & qui prend de sanglantes vengeances, L’honneur, esprit mouvant de tout cœur noble & prompt, Me crie incessamment, vange-toy d’un affront. Son empressante voix & m’émeut & me pique ; Mais afin d’éviter un accident Tragique, Je veux dés aujourd’huy m’absenter de ces lieux, Avertis-en Melice, & luy fay mes adieux. Ces tristes mots finis, le cœur plein de tristesse, Et l’œil noyé de pleurs, il s’enfuit & me laisse. Lucille à ce surcroist de malheurs sans esgaux, Laisse-moy chercher seule un remede à mes maux, Souffre que sans secours je combatte ma peine. Cependant attends-moy dans la chambre prochaine. L’Esprit envelopé d’un nuage d’ennuis Je m’égare en moy-mesme, & ne sçais où je suis, Mon destin rigoureux m’a mis dans une route Où de tous les costez ma raison ne void goute, Ou si mon jugement y trouve quelque jour, Il ne m’est envoyé que du flambeau d’Amour. Thelame possedé d’une cruelle envie Veut aller loing d’ici finir sa triste vie, Il veut loing de ces lieux transporter ses malheurs, Mais allons soulager ses larmes par nos pleurs Dans quelque affreux desert où la douleur le meine, Faisant mesme chemin endurons mesme peine, Car mon amour enfin troublant mon jugement Me force à consentir à mon enlevement, Au lieu de m’opposer à cette violence, Je la souffre & luy cede avecques complaisance, Je me laisse emporter au cours de ce torrent, Et Thelame excepté tout m’est indifferent. Oüy, Thelame, vous seul regnez dans ma pensee, Pour vostre interest seul, je suis interessee, Et si vous en voulez un indice certain Vous allez voir mon cœur dans les traits de ma main. Lasse de supporter l’incurable caprice D’un esprit infecté d’une sale avarice, Je vay par un escrit exciter vostre amour A m’enlever bien-tost de ce fâcheux sejour, Je faciliteray cette grande entreprise Avecque la prudence & l’addresse requise, Ce papier où je vais escrire mon dessein Vous dira plus au long ce que j’ay dans le sein. Mais déplaisant abord, arrivee importune, Lasche tour que me jouë encore la fortune, A peine ay-je assemblé les lettres de deux mots Qu’il faut quitter la plume & changer de propos. Toutefois je m’abuse, il n’est pas necessaire, Je crains hors de saison ce valet & mon pere, Qu’importe que tous deux dressent vers moy leurs pas, Puisque l’un ne peut lire, & l’autre ne void pas. Elle est seule, Monsieur, le temps vous est propice. Trouveray-je à present ma fille dans Melice ? Ne ferme-t’elle plus l’oreille à son devoir ? Reconaist-t’elle enfin mon absolu pouvoir ? En cette occasion recourons à la feinte. Ah ! Monsieur, ajoustez la vengeance à la plainte, Usez des droicts d’un pere, & me faites sentir Que je m’excuse mal avec un repentir, Ma desobeissance est de telle nature Qu’on ne peut m’imposer une peine assez dure, J’ay trop insolemment choqué vos volontez, Montrez-moy vos rigueurs, cachez moy vos bontez, Je dois estre de vous severement punie D’avoir de Thelame souffert la tyrannie, Cette indigne souffrance est une lâcheté Qui ne se doit toucher que d’un bras irrité. Ma fille un repentir si grand & si visible Aux transports de courroux me rend inaccessible, Je ne vous demandois que ce juste dédain D’un infertile amour conceu sans mon dessein, Je prejugeois tousjours malgré vos resistances, Que Thelame formoit de vaines esperances, Et que voulant avoir de plus riches liens Son merite en oubly, vous songeriez aux biens. Le succez est d’accord avecque mon attente, Ce noble incommodé n’a plus rien qui vous tente, Vous ne desirez plus d’en faire vostre espoux, Ses talens ne sont pas de bon alloy pour nous, Sa taille, sa parole, & son maintien aimable, S’ils remplissoient le lict, couvriroient mal la table. Celuy que je destine à vos pudiques vœux, A d’autre or que celuy qui jaunit les cheveux, Son pere tous les jours malgré nos longues guerres A cent coutres tranchants fait déchirer ses terres, Que s’il n’est pas issu d’Ayeux fort renommez, Il tient dans son buffet des Nobles enfermez, Au Temps où nous vivons ces qualitez sont rares Et doivent adoucir les cœurs les plus barbares ; Le vostre pourroit-il encor deliberer De s’y laisser fléchir, & de les adorer ? Sans regarder les biens, le rang ny la personne, Je reçois un époux que mon pere me donne, S’il l’estime il me plaist, & d’un esprit soumis Je l’ayme dés cette heure autant qu’il est permis. C’est ainsi que répond une fille bien née, Allez, je vous prédis un heureux hymenée, Acceptant un espoux de ma main seulement, Le pire de vos jours coulera doucement . Que le vieux Parmenon aura de joye en l’ame Aussi-tost qu’il sçaura que son fils vous enflame, Et que le Ciel propice aux vœux que nous faisons D’un sacré nœud d’hymen unira nos maisons  !  Il luy faut sans demeure addresser une lettre Qui l’assure d’un bien qu’il n’osoit se promettre, Prenez viste la plume, & couchez par escrit Une suite de mots qui me vient dans l’esprit. Servons-nous de ce temps, afin d’achever celle Que je veux envoyer à mon Amant fidelle. Mettez, Monsieur sçachez que ma fille veut bien … Attendez, s’il vous plaist, ma plume ne vaut rien. Elle ne marque pas, je n’escris rien qui vaille, Si je m’en veux servir il faut que je la taille. Attendant qu’elle soit plus commode à sa main, Confabulons nous deux touchant un mien dessein. Quel secret important as-tu donc à m’apprendre ? Que depuis ce matin j’enrage de me pendre. De te perdre meschant, n’és-tu pas yvre ou fou ? J’en ay jetté la pierre & lancé le caillou, Sur ce poinct desormais ma volonté s’obstine, Je veux estre pendu, mais au cou de Nerine, Ce gibet me plaist tant, je le dis sans peché, Que je seray ravy de m’y voir attaché. Me contredirez-vous en ce que je propose ? Sylvestre de ma part espere toute chose. Mais sçachons si Melice a mis sa plume au poinct De peindre ma pensee, & de ne broüiller point. Mon canif tranche mal, & jusqu’icy ma peine A la rendre meilleure est inutile & vaine. Je m’en vais essayer pour la derniere fois A la mettre en estat d’obeïr à mes doigts. Tellement que Nerine a ravi ta franchise ? Oüy, ses regards filoux d’aujourd’huy me l’ont prise, Mais si vostre credit se joint à mes efforts J’auray bien-tost sur elle une prise de corps. Ces lignes suffiront, finissons la presente Par vostre tres-acquise & tres-fidelle Amante. N’est-ce pas fait Melice ? ah Ciel quelle longueur. Oüy, Monsieur, mon pinceau se trouve un peu meilleur, J’espere d’en former quelque bon caractere Qui maintiendra l’honneur de la fille & du pere. Dictez.         Monsieur, sçachez que ma fille veut bien Qu’un celebre hymenée à vostre fils l’unisse, Qu’il vienne promptement, & n’apprehende rien, Comme il plaist à Cleanthe, il agree à Melice. Il suffit de ces mots, pliez, & le dessus Soit au vieux Parmenon, prez de Tours, & rien plus. Bon Dieu que vous serez heureuse avec cet homme, On dort sur de l’Argent d’un agreable somme, Le duvet le plus mol n’a rien de doux au prix, Le bien est le repos des corps & des esprits, Mais cachetez le mot que vous venez d’escrire. Monsieur je ne sçaurois, n’ayant ny feu ny cire. Va querir un flambeau, mon fidelle valet. Vous prenez cette clef, ouvrez mon cabinet, Sans qu’il soit de besoin que je vous accompagne, Vous y rencontrerez de la cire d’Espagne. L’impudente se trompe en me pensant tromper, J’ay levé par deux fois la main pour la frapper, Mais voulant éprouver sa fourbe toute entiere J’ay retenu mon bras & contraint ma colere, Sans que les siens se soient deffiez de mes yeux J’ay veu de son écrit les traits pernicieux, Lors qu’elle me croyoit repaistre d’impostures Je lisois mot à mot ses folles escritures, J’en sçay le contenu, mais pour les détester Je veux bien estant seul tout haut le réciter. Pour le vieux Parmenon, cette fille insensee A suivy son caprice, & non pas ma pensee. Monsieur ce mot d’escrit est pour vous avertir Que vostre fils n’est pas un party pour ma fille, Tout mon sang se revolte, & ne peut consentir Qu’une goute du vostre entre dans ma famille. La perfide ! ô Ciel qu’auroit-ce esté Si j’eusse eu tant soit peu plus de credulité ? Cette autre est de sa part addressee à Thelame Voyons les beaux projets que forme cette infame. Seul & doux espoir de mes yeux Puis que le desespoir vous bannit de ces lieux, Apprenez que je vous veux suivre ;    54 Meditez mon enlevement, Comme sans vous je ne puis vivre J’y souscrit volontairement. Melice, vostre acquise & tres-fidelle Amante. Je rendray sans effect cette envie insolente. Mais la voicy qui vient, remettons ces escrits A l’endroit qu’ils estoient lors que je les ay pris, Et comme auparavant contrefaisant l’infirme Que sa fourbe à nos yeux jusqu’au bout se confirme. J’apporte de la cire.         Et Sylvestre un flambeau. Donnez à cette lettre un ply juste & nouveau, Et puis de mon cachet imprimant la figure Contre les curieux armez cette escriture. Que je doy rendre au Ciel de graces & de vœux De vous trouver si soupple à tout ce que je veux ! La pieté m’oblige, & le Ciel me convie D’obeïr à celuy duquel je tiens la vie, Tousjours de vos desirs je hasteray l’effect Avec tout le plaisir & le soing que j’ay fait, Recevez vostre lettre.         O fille obeissante, Qu’un semblable propos me plaist & me contente, Allez, je n’ay pour l’heure aucun besoin de vous. Forçons nostre destin à devenir plus doux, Lucille m’a promis son silence & sa peine, Allons la retrouver dans la chambre prochaine, Et d’un pas aussi prompt que mon commandement, Envoyons-la porter ce mot à mon Amant. Et puis fiez-vous-y, parbieu ce sexe est drôle, Il a la ruse en main ainsi que la parole, Monsieur songez à vous, Melice a du dessein. Il m’est conu, Sylvestre, & je le rendray vain. Parlons de Lidamas, esperes-tu qu’il vienne ? S’il ne vient pas, il faut que le Diable le tienne, Mais il ne le tient pas, je l’apperçoy qui vient, Comportons-nous tous deux, ainsi qu’il appartient. Préparons le présent que j’ay promis de faire Au Soleil animé qui m’échauffe & m’éclaire, Et qui malgré la nuit de mon aveuglement Eslance ses rayons dans mon entendement, Je ne pouvois d’un don plus seant ny modeste Honnorer un visage autrefois tout celeste. Par beaucoup de rapports, une montre est un Ciel. Reglé dedans son cours, bien qu’artificiel, Plus benin que ce globe où sont cloüez les Astres, Sans y contribuer il marque nos desastres, Et si comme ce corps il ne fait pas le Temps Il en marque du moins l’espace & les instans. Ne soyez pas craintif dedans cette rencontre, L’occasion vous rit, escamottez la montre. Sylvestre, approche, escoute, est-il l’heure d’aller Vers les yeux que j’adore & paraitre & brusler. Usons en ce moment de l’avis de Sylvestre. Monsieur vostre raison est sans doute en sequestre, A quoy bon dites-moy de faire des présens A des attraits passez, à des masques présens ? Reçoy, mauvais censeur, homme plein d’insolence D’un plus grand chastiment un soufflet par avance. Olimpe pour ta veuë est un objet trop haut, Ce qu’elle a d’accomply te paroist un defaut. Je n’ose dire mot, cher Sylvestre de grace Tesmoigne du despit, & te plains en ma place. Si jamais…         Si jamais je suis vostre valet Que l’on m’estrille en asne, en cheval, en mulet, Que le plus froid des Vents sans cesse au nez me souffle, Qu’on me prenne par tout pour sot & pour marouffle. Vostre bras à fraper n’eut jamais de pareil, Quoy ? sans vous informer si l’on craint le Soleil Et si l’on ayme moins le temps clair que le sombre, Vostre main met ainsi les visages à l’ombre, Sans trancher du sçavant, ny sans passer pour fol Je puis d’oresnavant la nommer parasol. Ces façons de parler bouffonnes & fantasques T’attireront encor…         Quoy ? d’autres demy marques. Pendant leur different qui flatte mon desir Pour la seconde fois tâchons à reüssir. Adieu, je ne veux plus conduire qui m’outrage, Il vous faut un valet qui n’ait point de visage. Sylvestre qu’est-cecy, veux-tu m’abandonner ? Oüy, je ne fus jamais enclin à pardonner. Voy ma condition, & regarde la tienne. Enfin j’ay pris sa montre, & supposé la mienne, Allons trouver Olimpe, & faisons aujourd’huy Un commerce amoureux des richesses d’autruy. Monsieur il est sorty, la feinte est superfluë, En se pensant brancher ce bel oyseau s’engluë. Parmy les mouvemens dont je me sens toucher Je ne sçay si je dois ou rire ou me fascher, Qu’en ce siecle de fer où le vice prospere L’on trouve peu d’enfans qui respectent leur pere, Et que j’espreuve bien en ma juste douleur Que n’en avoir jamais est un heureux malheur. Sylvestre poursuivons l’intrigue de la montre, Prouve encor ton esprit dedans cette rencontre, Ne te relâche point.         Par Nerine & ses yeux Je me comporteray tousjours de bien en mieux. Mon cœur refuse-t’il ce que ma main luy donne ? Qui neglige mes dons, dédaigne ma personne, Rejetter un present, c’est le visible effet Du degoust que l’on a de celuy qui le fait. Pour guerir vostre esprit d’une telle croyance, Je peche expressement contre la bienseance, Le refus des présents est de nostre devoir, Mais qui donne son cœur peut bien tout recevoir. Cette montre est, Madame, une montre commune, Je ne croy pas pourtant que mon pere en ait une… Il vient, n’achevez pas.         O Ciel qu’il me déplaist, Jamais homme ne fut plus importun qu’il l’est. Apres que j’ay promis ma memoire me presse De faire succeder l’effet à ma promesse, C’est le premier motif qui me conduit icy, L’autre est d’y soupirer mon amoureux soucy. Monsieur épargnez-moy, quoy mes beautez péries Meriteroient vos dons, feroient vos resveries ? Tant de présomption ne me possede pas, L’on ne peut beaucoup plaire avec si peu d’appas. Ah que vous vous donnez & me causez de peine, Sur moy plus que jamais vous estes souveraine, Ce que jamais vos yeux eurent de ravissant, Ce qu’ils eurent de doux, de noble & de puissant, Tout ce qu’Amour peignit sur vostre front d’yvoire ; Au moment que je parle est peint dans ma memoire, Je vous en apprendrois & l’empire & les coups Si mes discours n’estoient écoutez que de vous. Personne n’est icy que Sylvestre & Nerine. Qu’ils s’en aillent tous deux dans la chambre prochaine. Madame faites-en un prompt commandement. Sortez.         Que je te vay cajoler diablement. Madame, je disois que tous les avantages Que vous eustes jamais sur les plus beaux visages, Que ces charmes divins dont je fus asservy Vivent dans mon idée, & que j’en suis ravy, Encor que mon tourment surpasse toute chose J’en deviens idolastre ainsi que de sa cause, Et souhaite qu’hymen nous arreste tous deux Dans des liens tissus d’indissolubles nœuds. Si je n’avance rien dont vous soyez faschée, Si mes soupirs ardents vous ont un peu touchée, Et si vous desirez de m’en rendre certain Que ce soit en prenant ce present de ma main. Qu’est-il dedans l’honneur que pour vous je ne fasse, Je le reçoy, Monsieur, & je vous en rends grace. Ainsi vous m’obligez beaucoup plus mille fois Que si vous soumettiez tout le monde à mes lois. Je tiens cete faveur & glorieuse & chere, Que je baise la main qui me la vient de faire. Hé ! Monsieur.         Quels transports ? ô Ciel je n’en puis plus. Encor un peu de temps, & j’expire dessus. Chaste albastre animé, belle main que je touche, Tu peux prendre mon cœur, il est dedans ma bouche. Monsieur encor un coup.         Ah Madame, laissez, Je reçoy du plaisir plus que vous ne pensez. Si quelqu’un nous voyoit que ne pourroit-on croire ? Rien qui ne peust beaucoup augmenter vostre gloire, Rien qui ne témoignast vostre inclination, Vostre rare merite & vostre affection. Mais je crains d’abuser de vostre patience, Et d’estre deplaisant à vostre complaisance, Remply de vos faveurs, je prends congé de vous, Adieu de mes pensers, objet cruel & doux. Sylvestre.         A te quitter faut-il donc me resoudre, Joly moulin à vent où j’ay dessein de moudre. Que vouléz-vous de moy ?         Rien qu’en estre conduit. Allons, je suis le jour & vous estes la nuit, Suivez vostre falot.         Il en tient le bon-homme, Il va benir tout seul le feu qui le consomme, Il croit avoir baisé cette adorable main. Deux Dames dans la sale attendent à dessein De vous faire aujourd’huy compliment & visite. Je les vay recevoir.         Adieu donc je vous quitte. Madame, s’il vous plaist revenez sur vos pas, Ce n’est qu’un faux semblant, on ne vous attend pas. Explique-donc pourquoy tu m’as dit le contraire ? Pour tromper Lidamas, & pour vous en défaire, Pour vous prier encor de garder vostre foy A qui vit plus en vous qu’il n’est vivant en soy, A cet infortuné, mais Amant veritable, Qui vous croit monstrueuse & vous tient adorable. L’amour des jeunes gens d’ordinaire est leger, Ce n’est à bien parler qu’un oyseau passager, Qui ne peut demeurer long-temps en une place Que le Printemps ameine, & qu’un jour d’hyver chasse. Cruelle à quel dessein me tiens-tu ce propos ? Pourquoy traverses-tu ma flame & mon repos ? Quelle haine couverte, & quelle noire envie Te fait en mon amour attenter sur ma vie ? D’où te naissent ces soins que je n’approuve pas Et qui te porte enfin à blâmer Lidamas ? Mon zele seulement & la peur raisonnable Qu’un faux & feint amour en trompe un veritable. Celuy que vostre cœur cherit si constamment Dans d’infames liens s’engage indignement. Depuis un mois entier certaine Courtisane Est le Temple & l’Autel de cet Amant profane. Il y va tous les jours sacrifier ses vœux, Et puis vous vient offrir ses impudiques feux. Cette femme qui vit des offenses des hommes, Cet opprobre public du sexe dont nous sommes A fait de cette montre en plus de mille lieux Un criminel appas pour attirer les yeux. Cette infame avant vous s’en est souvent ornée, Mais à son bienfaicteur elle l’a redonnee, Afin de ruiner le vertueux dessein Que Cleanthe pour vous entretient dans son sein. Qu’entens-je, juste Ciel, & que dis-tu Nerine ? Ce que m’a dit Sylvestre en la chambre voisine. Ce que mal-aisément on peut s’imaginer, Mais Sylvestre n’est pas garçon pour en donner. Apprends-moy plus au long cette facheuse histoire. Telle qu’il me l’a dite elle est dans ma memoire, Mais j’apperçoy quelqu’un qui pourroit écouter, Venez ailleurs qu’icy l’entendre raconter. Je ne vay qu’en tremblant retrouver ma maitresse, Elle a juste sujet de punir ma paresse, Sans causer nulle part je devois revenir, Mais le sexe coëffé ne s’en peut abstenir, Pour quelque grand dessein qu’on envoye une fille Il faut ou qu’elle meure, ou bien qu’elle babille, C’est en cet animal une imbecillité Que la suite du Temps change en necessité. J’en fais en ce moment une preuve certaine, Il semble que mes pieds soient liez d’une chaine,     Et bien que mon devoir appelle ailleurs mes pas Je parle toute seule, & ne l’escoute pas. Mais evertüons-nous, & luy prestons l’oreille, Allons nous-en d’icy puis qu’il nous le conseille, Ma maitresse jamais n’eut guére de rigueur, J’espere en obtenir pardon de ma longueur Pourveu que le destin n’ait pas voulu permettre Que l’abord de Thelame ait devancé sa lettre. Mais obstacle nouveau, voici venir quelqu’un, C’est Cleanthe, évitons cet Aveugle importun, Et parce que Sylvestre avecque luy s’approche, Glissons en esquivant ce papier dans ma poche. Aspre à vous satisfaire autant & plus qu’aux pots, N’ay-je pas inventé ce mensonge à propos ? Va, tu merites trop, cette adraite imposture Me remet vers Olimpe en meilleure posture ; Elle est à Lidamas un coup triste & fatal Qui doit dans peu de temps changer son bien en mal, Rien n’excita jamais le dépit d’une femme A l’égal du mespris que l’on fait de sa flame, Et son courroux éclate avec juste sujet Quand qui la sert s’applique à quelqu’indigne objet. Si Nerine t’a creu, je ne fay point de doute Qu’à cette heure à l’escart Olimpe ne l’escoute, Et que voyant ses feux si laschement trahis Elle ne foule aux pieds le présent de mon fils. Si Nerine m’a creu ! Ce mot de si, me picque, Elle tient mes discours reglez comme Musique, Plus qu’à pas un mortel elle se fie en moy, Et mes songes luy sont des Articles de Foy. Je gage qu’à present tout son caquet s’efforce A faire qu’à l’accord succede le divorce, Et qu’Olimpe abhorrant l’ardeur de Lidamas A vous seul desormais destine ses appas. Ce qui peut l’obliger d’agir de cette sorte C’est que j’ay desiré que sa langue fust morte, Et que l’entretenant d’un Amant indiscret J’ay feint que j’en faisois un important secret ; D’ailleurs par le motif d’une reconnoissance Cette fille vous sert de toute sa puissance, Elle m’a declaré que son frere sans vous Eust esté le repas des corbeaux & des loups, Et que bravant la mort d’une façon hautaine Il eust dansé dans l’air jusqu’à perte d’haleine. Il est vray que sans moy, ce pauvre malheureux Auroit suby la loy d’un Arrest rigoureux, Il s’estoit declaré deserteur de Milice, Et le conseil de guerre en eust fait la Justice. Mais laissons ce discours, & ne ramenons point La memoire d’un acte où tant d’opprobre est joint Suffit que par mes soins je sauvay ce coupable. Revenons à Nerine, elle te plaist ?         Sans fable. Elle sçait donc de toy mon feint aveuglement ? Je suis trop vieux Renard pour cet aveuglement, Quand le Ciel m’auroit mis dedans le corps cent Ames Je n’en découvrirois pas une seule aux femmes, Je ne parle qu’en crainte à ces fiers Animaux ,  Se taire fut tousjours le pire de leurs maux, Et s’il faut clairement exprimer ma pensee, Pour garder un secret la femme est trop percee.    1130 Ce discours est encor un trait de ton esprit. Mais qui dans cette sale a laissé cet escrit ? Donne-le-moy, Sylvestre, il faut voir ce qu’il porte, La plume de Thelame escrit de cette sorte, L’addresse est à Melice, ó Ciel ce suborneur Tend infailliblement un piege à son honneur. Madame j’ay leu vostre lettre Qui veut m’obliger à promettre De marquer mon depart par vostre enlevement, Je suis vostre sujet, mais je tiens pour maxime Que quand un Roy commande un crime On desobeit justement. Ce soir à la faveur de l’ombre Accompagné d’ennuis sans nombre, J’iray selon vostre ordre à dessein de vous voir, Mais au lieu de ceder à votre injuste envie A vos yeux je perdray la vie Ou vous suivrez vostre devoir. Thelame.         Transporté de tristesse & de joye Comme entre deux chemins mon esprit se fourvoye, Deux divers mouvemens me tirent devers eux, Et je doute lequel je doy suivre des deux. Mais c’est trop balancer, dissipons cette doute, Suivons la plus plaisante & la meilleure route, Et destournant les yeux d’une fille sans cœur Envisageons celui qui sauve son honneur. Il doit bien-tost venir, car desja les estoiles Desployent parmi l’air leurs tenebreuses toiles, Je veux recompenser sa veritable amour, Et paraitre envers lui genereux à mon tour, Sa vertu m’a surpris, avant que le jour vienne Je le veux à l’envy surprendre par la mienne, Mon esprit occupé dans un dessein si beau M’en fournit un moyen agreable & nouveau. Esperez donc, Thelame, & n’ayez plus de crainte Que je choque l’ardeur dont vostre ame est atteinte, Je vous promets ma fille, & par dedans mes biens, Vous avez des tresors qui surpassent les miens. La voici cette fille, indigne de ma grace Rejettons ce papier, & luy cedons la place. Madame la voici, ne vous tourmentez plus, Vostre pere & Sylvestre avoient les pieds dessus. Mais l’un estant aveugle, & de bonne aventure L’autre n’ayant jamais rien sceu dans la lecture, Je ne m’estonne point s’ils n’ont pas amassé Cet escrit que Thelame a lui mesme tracé. Donne-le-moy, Lucille, & permets qu’à mon aise J’en admire les traits, je les lise & les baise. Ciel que viens-je d’apprendre ! & que viens-je de voir ! Donc ma seule esperance a trahi mon espoir, L’objet de mon amour neglige, fuit, & blâme, Le noble excez d’amour qu’il excite en mon ame. Ah ! Thelame, apres tout ce refus m’est suspect, La crainte vous l’inspire, & non pas le respect, Vous preferez le vostre au repos de Melice, Il n’est rien qu’en aimant un grand cœur n’accomplisse. Lucille, si l’ingrat en qui j’espere en vain Se ressouvient des traits qu’a figurez sa main, L’air que l’obscurité de la nuit environne, Me doit bien-tost ici faire voir sa personne, Va l’attendre en la ruë, & l’ameine sans bruit, Juger du triste estat où mon cœur est reduit. Si vous le commandez je ne m’en puis defendre, Mais je croirois meilleur de ne le point attendre, Il a, vous le sçavez, une clef du jardin, Il peut en y passant accourcir son chemin, Et sçachant du logis jusqu’à la moindre addresse Il peut encor sans bruit venir voir sa maitresse, Comme je l’ay preveu l’affaire a reüssi, Mes yeux se sont trompez, ou c’est lui que voici. Non jamais vostre main n’écrivit cette lettre, Vostre rare vertu ne l’auroit pû permettre, Je crois absolument qu’un folastre demon A comme vostre main emprunté vostre nom. Si chez vous la raison a repris son Empire, Vous ne blâmerez pas ce que je viens de dire, Et prendrez mes discours pour d’assurez tesmoins Qu’on flatte davantage alors qu’on aime moins. Vostre vertu, Thelame, a réveillé la mienne, Vous ne m’avez rien dit dont je ne me souvienne, J’ay receu des clartez de vous avoir oüy, Mon jugement les void sans en estre ébloüy, N’apprehendez donc point que je vous mes-estime, Si vous me reprenez sur le projet d’un crime, Je vous en aime mieux, & je mets mon bonheur A mourir pour celuy qui m’a sauvé l’honneur. Mourir ! ah qu’ay-je dit, gardons-nous de poursuivre, Pour qui me chérit tant ne songeons plus qu’à vivre. Et tâchons de reduire un pere sans pitié A céder aux ardeurs de sa chaste amitié. L’Amitié ne peut rien sur cet homme barbare Ce beau feu n’agist pas dessus un cœur avare Donc au lieu de nourrir un espoir superflu Permettez mon départ que le Ciel a conclu Adieu.         Je ne sçaurois vous dire adieu Thelame On manque de parolle au poinct de perdre l’Ame Recevez un soupir au defaut de la voix. Mais qui conduit icy, ce valet que je vois. Madame concluez de ce que je vay dire Si vous avez sujet de pleurer ou de rire, Si vous devez bénir ou maudire le sort, Bref si ce changement vous fait plaisir ou tort : D’un plein saut comme on dit, & toute à l’impourveuë Mon Maistre a recouvré la moitié de la veuë Par de secrets ressorts, infernaux ou divins Son visage a tourné le dos aux quinze vingts, L’un de ses deux luisans a quitté la débauche, Bref il void clair d’un œil, & cét œil est le gauche, Il m’a dit qu’il viendroit dans peu de temps icy, Il tient ce qu’il promet Madame le voicy. Si j’en suis apperceu, je pressens ses outrages. Vous pouvez aisement éviter ces orages Hastez-vous de courir vous cacher dans ce coin, Du reste n’ayez peur, j’en veux prendre le soin. Ma fille prenez part à la soudaine joye Dans qui mon cœur se plonge & mon ame se noye, J’ay pour l’heure un bon œil.         Sylvestre me l’a dit Le Ciel quand il luy plaist agit sans contredit. Puisqu’il a commencé de vous rendre la veuë Ce grand commencement doit avoir pleine issuë, Et certes si l’on peut recueillir quelque fruit Des avertissemens que nous donne la nuict Si l’on peut quelque fois s’asseurer sur les songes Et si tous leurs rapports ne sont pas des mensonges L’on vous verra bientost dans mon pressentiment Tout à fait garanty de vostre aveuglement. Quel prophetique instinct, ou quel heureux augure Entretient vostre esprit dans cette conjecture ? Quand Sylvestre est venu m’apprendre que le Ciel Ne versoit plus sur vous tant d’absinthe & de fiel Et qu’avec l’un des yeux sa colere assouvie Vous rendoit le plus pur des plaisirs de la vie, L’esprit ensevely dans un profond sommeil Vostre front m’a paru couronné d’un Soleil Dont les rayons épars dessus vostre visage Le tiroient tout brillant du milieu d’un nuage. Ce phantosme charmant auroit beaucoup duré Si Sylvestre en parlant ne l’eust point effaré. Tel est en peu de mots, mon songe & ses peintures, Tâchons s’il est menteur d’en voir les impostures Et s’il présage vray dans ses obscuritez Tâchons pareillement d’en voir les veritez. Il n’est pas mal-aisé d’en venir à l’épreuve S’il plaist de vous servir d’un moyen que je treuve. Volontiers.         Laissant donc les discours superflus Vostre œil gauche est le bon, mettez la main dessus Ainsi vous jugerez avec plus d’assurance Si des objets présens le droict a connoissance Et si de mon sommeil, les bijares tableaux Estoient remplis de traits veritables ou faux. Subtile invention, industrie agreable ! Sortez.         Vous avez fait un songe veritable Melice je vous voy, je voy Thelame aussi O Ciel ! qu’heureusement ce songe a reussy. Que je suis estonnée.         Il faut crier miracle. Monsieur ne croyez pas qu’en dépit de l’obstacle Qu’oppose à mes ardeurs vostre avare courroux Je vienne revolter vostre sang contre vous Ce coupable dessein, n’entre pas dans mon ame J’en jure.         Brisez là. Je le sçay bien Thelame Les traits de vostre main, m’ont fait voir vostre cœur Et passant jusqu’au mien ont tüé ma rigueur ,  Plus touché de respect que cette ingratte fille Vous avez conservé l’honneur de ma famille. Moy Monsieur ! espargnez.         Vostre discretion Vous fait desavoüer cette bonne action. Mais je suis esclaircy de toute cette histoire Vos nobles sentimens sont peints dans ma memoire. Vos molles lâchetez y sont peintes aussi, Mais s’il en faut parler, c’est autre part qu’icy. Cependant s’il est vray que vous l’aymiez encore Scachez que vos vertus font que je vous honore, Et qu’avecque plaisir je permets que demain Elle vous donne au Temple & le cœur & la main. Je ne puis recevoir plus d’honneur en ma vie. Je conduiray l’affaire au gré de vostre envie, A la charge pourtant, que vous ne direz point Qu’à mon Aveuglement tant d’artifice est joinct, Je veux encor joüer par cette ruse adraitte Un temeraire fils, une Amante indiscrette Sçavoir jusqu’à quel poinct leur fourbe peut aller, Et comment ils pourront enfin s’en démeller, Je commets ce secret à vostre confidence Songez à le tenir sous la clef du silence. Que puissions-nous mourir, si nous le declarons. En jurez vous tous deux.         Ouy nous vous en jurons. J’aurois fait cette injure à l’objet que j’adore ? Aprés tant de sermens, le croyez-vous encore ? Faut-il incessamment vous les reïterer ? Tout l’Element du feu me vienne devorer, Et si j’ay merité les soupçons où vous estes L’Air s’arme contre moy d’Esclairs & de Tempestes ,  La Mer me creuse un lict au profond de son Eau Et la Terre entr’ouverte en son centre un tombeau, Tout l’Univers enfin me donne des allarmes Si j’ay si mal traité vostre amour & vos charmes, Et si depuis l’instant que je les admiray Pour d’autres que pour eux, mon cœur a souspiré. Lasche & perfide autheur d’un rapport qui m’offence, Tu ne te peux soustraire à ma juste vengeance Sans mettre en contrepoids ma naissance & ton rang, Pour laver ton forfait je verseray ton sang, La justice du ciel contraire à l’Imposture M’ameine cette ingrate & vile créature, Le voicy le menteur qui vous en a tant dit Remarquez à quel poinct il paroist interdit, Ma rencontre l’estonne ; & son maintien timide En me justifiant accuse ce perfide. Avance malheureux, & sans aucun détour Parle & rend promptement la vie à mon Amour, Quelle autre que Madame est sur moy souveraine ? Quelle autre me retient d’une invisible chaisne ? Quelle autre me remarque entre ses courtisans ? Et quelle autre a jamais receu de mes presents ? Respond, il te sied mal de craindre & de te taire Ta crainte & ton silence augmentent ma colere. Monsieur promettez moy que vos mains en courroux, Ne me chargeront pas d’une gresle de coups, Et j’ose m’engager aprés cette promesse De vous remettre bien avec vostre Maitresse. Parle donc viste, & sois sans apprehension. Madame auparavant soyez sa caution. Ne crains rien, je responds qu’il te tiendra parolle. Le discours que j’ay fait n’est qu’une pure colle. Qu’une poudre à soufler dans les débiles yeux, Qu’un mensonge de ceux qu’on nomme officieux Vostre pere qui sçait que les yeux de Madame Sont depuis quelque temps les Soleils de vostre ame, Et que par un succez à son repos fatal Ces globes d’argent vif vous ont fait son rival ,  Jaloux que ce beau feu qui s’allume en vos veines Rende en le supplantant ses esperances vaines, D’un plein commandement m’a fait vous desservir Vers le plus digne objet qui vous pouvoit ravir. Quoy le mauvais party que tu m’as voulu faire Est un trait envoyé de la part de mon pere ? Il sçait que j’ayme Olimpe ? & que cette beauté Ne m’a point jusqu’icy fait voir de cruauté ? Quel ennemy couvert ? quelle bouche indiscrette ? A pû luy découvrir une amour si secrette ? Luy seul l’a descouverte, & luy seul desormais S’il en a le dessein vous jouëra de bons traits. Parle plus clairement, explique tes paroles. Parce qu’on me fait taire à force de pistolles. Vostre raisonnement vous fait-il soupçonner Que je ne parle pas, lors qu’on m’en veut donner ? Sylvestre je t’entends, prends cecy par avance. Qui donne de l’argent, preste bien du silence, Escoutez-moy parler ; je voy clair ?         Je le croy. Vostre pére, Monsieur, voit aussi clair que moy. Tu me veux abuser d’une autre menterie. Si je ments, jettez-vous dessus ma fripperie. Cleante verroit clair ! depuis quand justes Cieux ? Depuis que dans le monde il apporta des yeux, Et que debarassé du ventre de sa mére, Il vint avecque l’Air respirer la lumiere. Il n’est donc pas aveugle ?         Et jamais ne le fut. Apprens nous de sa feinte & la cause & le but. Un semblable recit est de trop longue haleine, Vous l’entendrez pourtant n’en soyez pas en peine, Je vous diray tantost d’un langage naif De ce déguisement la fin & le motif, Cependant vous & moy, prenons la hardiesse De faire à cét aveugle entre nous quelque piéce, Si vous donnez croyance aux avis d’un valet, Vous aurez un plaisir qui ne sera pas laid ; Joint qu’il est à propos que par quelque industrie Tout vostre procedé passe en galanterie, Il faut que vostre pere entre en un sentiment Que vous n’ignoriez pas son feint aveuglement, Et que les libertez prises en sa presence N’estoient que des essays d’user de patience . Blois ny le monde entier n’eut jamais ton pareil, Charmé de ton esprit, j’approuve ton conseil, Desja pour reüssir dedans cette entreprise Je n’ay besoin de rien que de ton entremise. J’imagine un moyen facile à pratiquer Par qui sera moqué, qui pretend nous moquer. Assurez-vous de moy, je vous donne parole D’apporter tous mes soins à bien joüer mon rôle. Il suffit, en ce lieu sans plus nous arrester Dans la chambre prochaine allons nous concerter. Allez & trouvez bon qu’icy seul je demeure Nostre piéce en sera plus secrette & meilleure. Adieu, nous te laissons la chose estant ainsi. Ton salaire est tout prest, mais sers nous bien aussi. Par quel autre moyen détourner la tempeste Qui menaçoit mon dos aussi bien que ma teste ? Lidamas irrité m’eust accablé de coups, Se plaire à se voir battre est le plaisir des fous, Pour moy quand honoré de sacrez characteres J’escouterois des cœurs les plus secrets mysteres Plustost qu’au beure noir avoir les yeux pochez, D’un chacun en public je dirois les pechez. A quelque si haut poinct qu’un affaire me touche Je ne puis arrester ce maudis flux de bouche, Sur tout lors que je sçay qu’avecque mon caquet A qui me traite mal, je puis rendre un pacquet. Depuis le grand matin, mon Maistre & ses caprices, M’ont employé sans tréve à de fascheux services Et ce qui plus encor, me paroist importun C’est qu’à l’heure qu’il est je dormirois à jeun. Ce jeu ne me plaist pas, & la main sur la pance J’enrage de bon cœur aussi tost que j’y pense. Moy n’avoir aujourd’huy rien humé que du vent ! Ma foy j’éviteray ce mal d’orénavant. Plustost que de jeusner, j’iray la teste nuë, Estocader du bras les passans dans la ruë ,  Mon Maistre me deusse-t -il… il vient à petits pas. N’ay-je pas entendu la voix de Lidamas. Cela se peut, il sort.         Avec celle que j’ayme ? Justement.         Aucun d’eux ne sçait mon stratageme ? Je demeure confus à cét interrogat Il me frappe à l’honneur je vous le dis tout plat. Il semble à vous ouyr, que je sois la gazette, Mais pour vos interests j’ay la gueule muette. Miroir des bons valets, & des vrays confidents. Au reste Lidamas en tient droict la dedans. Mais du fer asseré d’une si rude fléche Que sa raison ne peut en reparer la bresche, Il faut qu’il ayt Olimpe au plus tard dans demain     Ou qu’à s’oster la vie il occupe sa main Par d’horribles sermens son amoureuse rage A promis d’exercer ce criminel outrage, Monsieur avisez-vous, prevenez ce malheur Et donnez quelque chose à sa jeune chaleur. Ton conseil en cecy ne m’est pas necessaire, J’ay desja resolu ce qu’il est bon de faire, Mais sans me défier de ta discretion, Je te tais sur ce point ma resolution. Donc sans qu’à la sçavoir tu te rompes la teste, Va t’en tenir mon lict & ma toilette preste, Ce livre cependant sera mon entretien. Je l’estimeray bon, si vous le goustez bien. La suitte du Menteur. Lisons du premier acte. Et faisons de ces vers une censure exacte. Quoy le livre à la main ?         Ouy mon fils & j’avoüe Que le Ciel en ses soings merite qu’on le louë, Sylvestre de ma part vous est allé chercher Et sa longueur passoit au poinct de me fascher. Que desirez vous donc de mon obeissance. Rien sinon que vous faire escrire ma despense. Et dresser un memoire en qui soit contenu L’Argent à mon valet donné par le menu, Je veux m’instruire au vray jusqu’à combien il monte, Tenez, cherchez du blanc dans ce livre de compte, Puis d’une main habille & d’un trait assuré, Peignez y nettement ce que je dicteray. La rencontre est plaisante, il faut que je le die, Vostre livre de compte est une Comedie ! Vous me joüez mon fils, mais finissez ce jeu, Qui vous sied assez mal, & me déplaist un peu. Qu’il dissimule bien, & qu’il abonde en ruses. Monsieur si j’avois tort , j’en ferois mes excuses. Mais que puisse le Ciel, ou l’Enfer en courroux, En ce mesme moment, m’aveugler comme vous. Si je vous en impose, & si c’est fantaisie, Que ce livre de compte est une poësie. On le vend dans Paris en vingt lieux au Palais, Cent fois ce qu’il contient s’est dit dans le Marais, J’ay souvent pris plaisir à l’entendre moy-mesme, Et contre les censeurs defendu ce poëme. Il est intitulé la suitte du Menteur Et sort du cabinet d’un excellent Autheur. Seroit-il bien possible ?         Il est tres véritable. Qu’avec un tel valet, un Maistre est miserable, Ce coquin de Sylvestre à tous coups s’estourdit, Et ne fait jamais bien les choses qu’on luy dit Je veux compter à luy, puis le mettre à la porte. Moy l’accabler de coups auparavant qu’il sorte Je suis icy venu pensant l’y rencontrer, Mais le Ciel à mes yeux ne le veut pas montrer ,  Quelque endroit de la ville où je puisse l’atteindre, Je sçauray le reduire au terme de se plaindre, Il n’obtiendra de moy ny trêve ny cartier Et ne luy restera pas un seul os entier. Qu’a t’il fait qui merite une telle menace ? Une action, un trait d’insuportable audace, Un rapport si perfide, un mensonge si noir Et si bien coloré que l’on n’y peut rien voir. Cét intrigue incognu conduit par mon organe, Resulte de la montre & de la Courtisane, J’ay mieux esté servy que je ne l’esperois ; Mais ne feignons pas moins que si je l’ignorois. Monsieur que dittes vous ? vous parlez ce me semble. J’accuse & je defends mon valet tout ensemble, Tantost jusques à luy ma colere descend, Puis je me ressouviens que c’est un innocent Qui parle sans raison, sans cause, & sans mesure, Et qui croit obliger alors qu’il fait injure. Ainsi vostre courroux se pourroit assouvir Du Sang d’un Animal qui pensoit vous servir. C’est donc un Animal, bien cruel & bien traitre, Qui poursuit & qui mort les enfans de son Maistre. Certes si je le puis rencontrer où je vais, Je l’empescheray bien de les mordre jamais. Hô Dieux ! je vay tomber, accourrez je vous prie. Mon pied s’est enlassé dans la tapisserie . Je suis à vous Madame, & vous craignez en vain, Qui donne bien le Cœur, peut bien prester la main. Monsieur, j’estois sans vous de secours despourveuë, Donc les Cieux adoucis vous ont rendu la veüe ? N’en faites pas, Madame, un si bon jugement, Je suis plus que jamais dedans l’Aveuglement. Comment doncques d’un pas aussi ferme qu’habille, M’avez-vous fait trouver vostre presence utile ? Certes nul ne pouvoit s’offrir plus à propos, Et je croy qu’il faut voir pour estre si dispos. Ah ! Madame, quittez cette vaine croyance, Et pour le vray tout pur, laissez la vray-semblance. Si j’ay paru si prompt à vous rendre un devoir, Et fait ce qu’avec peine on peut faire sans voir N’en jugez rien, sinon qu’en mes ardeurs parfaites, Un naturel instinct me conduit où vous estes. De ce sincére âveu concluez que vos yeux, Sont encore des miens les Astres & les Dieux. Je puis apres le trait que vous venez de faire Conclure encor qu’Amour vous guide & vous esclaire. Et qu’en tous vos besoins, sensible & pourvoyant, Quand il luy plaist d’Aveugle il vous rend clair-voyant. Ce discours m’est suspect. Je confesse Madame, Que ce Dieu se declare en faveur de ma flame, Aussi reconaist-on quel que soit son excez ,  Que mon cœur n’en ressent que d’honnestes accez. Doncques puis qu’envers moy vostre Amour est si pure, Tout interest à part, vangez moy d’une injure : Un insolent m’a fait un affront signalé. Quel qu’il soit autant vaut qu’il vous soit immolé, Son Nom ?     C’est Lidamas.     Lidamas !         Ouy luy-mesme. Vous a fait un affront, charmant objet que j’ayme, Oser se prendre à vous c’est s’attaquer à moy, Mais apprenez m’en l’heure, & comment, & pourquoy ? Il m’a fait par priére accepter une montre… Juste Ciel à mes yeux permets-tu qu’il se montre, Il s’avance, le lasche, & marque son mespris En mal traitant celuy par qui j’ay tout appris. Fay bien l’espouventé.         Vous ne cessez de dire ,  Je réüssiray mieux que vous qui sçavez lire. Ah ! Madame au plus fort de mon cuisant soucy, Je me répute heureux de vous trouver icy, Voyez cét imposteur. Je veux que dessus l’heure Il me fasse connoistre innocent, ou qu’il meure ,  Je veux qu’en ce lieu mesme il declare à genoux Que je n’ay jamais eu que des respects pour vous. Et s’il veut tout à fait appaiser ma colére, Qu’il die alors qu’il ment, quel esprit le suggére. Prends garde sur ta vie à ne me pas nommer. Veux tu par ton silence encor me diffamer, Parle donc malheureux, ou ma pitié lassée… Voulez-vous le contraindre à trahir sa pensée. Le perfide qu’il est par un motif couvert, Craint de desavoüer un rapport qui me perd. Mais puisque par l’effet d’un respect qui le touche, La verité ne peut s’apprendre de sa bouche, Puissamment transporté de mon juste dessein, Je m’en la vay chercher jusque dedans son sein. Arrestez, Lidamas, hé ! que pensez-vous faire ? Depuis quand dittes moy, voyez vous clair mon pére ? Qu’en cette nouveauté, je me sens resjouy,         Et que je voy mon deüil bientost esvanoüy. Tout beau, tout beau mon fils, moderez vostre joye, C’est un abus à vous de croire que je voye, Je n’ay quand j’ay retint vostre bras & ce fer, Qu’entre-veu seulement une lueur dans l’Air, Au reste resistez à ces chaudes Allarmes Qui vous font sans sujet avoir recours aux Armes, En quoy que ce Maraut ait pû vous offencer, La meilleure vangeance est de n’y plus penser . Parler à contre temps n’est que son ordinaire ,  Comme de declarer les choses qu’il faut taire, L’innocent m’a bien dit, mais je ne le croy point, Que vostre cœur aymoit Olimpe au dernier poinct, Que vous brusliez pour elle, & qu’elle mesme encore, Avoit quelque pitié du feu qui vous devore. Sylvestre en ce rapport a dit la Verité, Je ne le cele point Olimpe m’a dompté, Et bien que cét aveu vous choque & vous irrite, Je n’ay pû sans l’aymer cognoistre son merite. Mais qu’une telle Amour m’a fait souffrir de mal, J’ay mille fois rougy d’estre vostre rival, Et mille fois encor ne sçachant plus que faire, Je me suis opposé que vous estiez mon pére, Ce vertueux combat d’Amour & de respect, Entre Madame & moy s’est fait à vostre aspect, N’osans par le discours vous découvrir nos Ames, Nostre geste a tasché d’en mettre au jour les flames, Vous le sçavez, Monsieur, tout s’est fait devant vous, Et vos yeux s’ils parloient, le diroient mieux que nous. Vous me venez de faire un discours bien estrange ! Olimpe qui m’ayma me néglige & me change, Un fils que je croyois en vertu sans esgal, Son devoir en oubly, s’est rendu mon rival ? Et ce qui plus encor me surprend & m’offence, Si l’on croit vos discours, j’en ay pris connoissance. Mes yeux par plusieurs fois ont pû me rapporter, Des feux que vostre aveu n’osoit manifester. Falloit-il fils ingrat & plein de barbarie, A la brutalité joindre la Raillerie ? Et d’un discours picquant, impie & concerté, Vous rire insolamment de mon infirmité ? A d’Autres desormais tenez un tel langage ; Vous mettez hors de temps les feintes en usage, Ne dissimulez plus, vostre Artifice est sçeu,     Et qui pensoit tromper, s’est luy-mesme deçeu. Nos traits divertissants, nos galantes addresses, Prouvent que nous estions instruits de vos finesses. Et si vous desiriez que je m’explique mieux, Olimpe est sans attraits, ainsi que vous sans yeux. Lasche, tu m’as trahy.         Pardonnez-moy, mon Maistre. La verité de soy se fait assez connaistre. Cependant je vous puis justement accuser De promettre beaucoup, & de tout refuser. Je devois posseder vostre corps & vostre Ame, Lidamas toutesfois en joüira, Madame. Mais dittes pour excuse en Proverbe commun, Que le pere & le fils, ne sont reputez qu’un. Je diray bien plustost dedans la bienseance, Que mon jugement seul a fait mon inconstance, Sçachant que vous feigniez d’estre aveugle vers moy, J’ay creu que mon abord vous donnoit de l’effroy. Et que vous ne faisiez cette feinte impreveuë, Qu’afin de m’advertir d’éviter vostre veuë. Donc si mon procedé vous a mal satisfait, Blasmez-vous seul d’un mal que vous vous estes fait. La response est adroitte & l’excuse plausible, Pour ce nouvel amant tesmoignez-vous sensible. Je me repute heureux qu’ayant à me quitter, Vos yeux dessus mon fils ayent daigné s’arrester, Apres ce sentiment de mon Amour esteinte, Apprenez-moy de qui vous avez sçeu ma feinte ? Ils me vont declarer, je tremble de frayeur. Le fils de Parménon est arrivé, Monsieur, Et le voicy qui vient vous offrir son service. Ma fille il n’est plus temps, on sçait mon artifice, Mon faux aveuglement a perdu son credit Et s’explique autrement que je ne l’eusse dit, Laissons la feinte à part, & reglans mieux les choses, Tirons de vrais plaisirs, de veritables causes, Disposez-vous tous quatre à vous donner demain, Devant les saincts Autels le cœur avec la main. Quoy donc l’Aversion conceuë envers Thelame ? … Ainsi que vostre amour est dehors de mon Ame. Dittes-nous quel remede a pû vous en guerir. Son insigne vertu qu’on ne peut trop cherir, Mais vous, dittes comment ma feinte est reconnuë. Nous en ferons ailleurs l’histoire toute nuë, Qui vous obligera d’avouer en l’oyant, Que nous avons joüé, l’Aveugle Clair-voyant. Entrons.         Toubeau Monsieur, où courrez-vous si viste Vous arriverez bien, où vous irez au giste, Avez-vous oublié mon Amour copieux ? Vostre suivante a pris mon valet par les yeux, Madame consentez à ce beau mariage. J’y consens.         J’auray soing de la paix du Mesnage, Et sans que je t’oblige à payer ma façon, J’essairay dés demain à te faire un garçon.