Voyons t’un peu si je n’oublions rien : v’là ici la place le m’ame Savon, là au beau mitan, entre le marié et la nariée : ici, c’est Monsieur Thériaque, le compère, et pis en face, vis-à-vis de lui, la commère m’ame Laiguille ; à l’autre bout, le père et la mère du futur, et pis moi... Oh ! Moi, j’irons et je viendrons... Oui-da, v’là qu’est ben symétrique comme ça. I’ne manque que le fricot. Ah ! Gilles, mon ami, comme tu vas t’en donner ! Je crains tant seulement d’attraper zune indigestion : quand zon n’est pas stylé à manger tout son soûl, y a du risque. Ah ! Morguenne ! Aussi pourquoi qu’un jour de noce ne revient pas trois fois par semaine ? Bonjour, Gilles, te voilà bien occupé ! Et vous, morgue ! Vous v’là ben arrivé ! Jarniguoi ! Qu’ous avez le nez fin ! Je viens souhaiter la bonne année à ma voisine et à mam’selle sa fille. Ah ! Sainte Opportune, queue défaite ! Et au festin de la noce, est-ce que vous ne l’i souhaiterez rien ? C’est donc aujourd’hui le grand jour pour Suzette ? Ah ! Dame oui, i’n’y a pus à barguigner : c’est aujourd’hui qu’il faut en découdre. Es-tu bien sûr de ça, Gilles, que ça soit aujourd’hui ? Plus sûr que de mon père, voyez-vous. Eh ! Jarni ! Regardez donc c’te table. Crayez-vous que m’ame Savon se mette en dépense pour rien ? I’ gn’y a, morgue ! Pas de saint dans l’année qui la mette en ribote comme ça, n’était c’ti-là du mariage. Ainsi donc, mon cher Gilles, tu es sûr que mam’selle Suzette se marie aujourd’hui ? Ah ! Jarniguoi ! Vous me feriez tourner la tête, avec vos croyances du oui ou du non : je vous disons encore un coup que mam’selle, pisque m’ainselle y a, sera madame ce soir, à moins que le diable ne s’en mêle. Eh bien ! Il s’en mêlera ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Comment ! Y s’en mêlera ! Oui, mon ami, hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Ah ! çà, ne badinez pas, monsieur de La Plume ; est-ce que vous auriez queuque tripotage ensemble, queuque ?... Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Me v’là ben savant avec vos risées ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Rira bien qui rira le dernier. Eh ! Morgue ! Contez-moi donc ça : j’aimerions autant qu’on ne nous disît rien que de nous rien apprendre. Écoute-moi, Gilles, et promets-moi le secret : je te dirai tout ; aussi bien j’aurais besoin de toi pour glisser queuque mot à mam’selle Suzette. Dites toujours : je vous promets de garder le silence à bouche que veux-tu. Je t’ai déjà fait confidence que j’aimais m’amselle Suzette, mais tu m’as dit qu’elle était promise à Foulonet, et ce mariage a été si précipité que je n’ai pas eu le temps de trouver les moyens de l’empêcher... Eh ben ! I’ se fera donc, comme ça ? Écoute-moi, tu vas voir. Ah ! Voyons, voyons. Foulonet avait promis mariage à une autre fille avant Suzette, qui s’appelle tout comme elle, et ce matin il leur a écrit à toutes les deux, pour leur envoyer des étrennes. Il m’est venu trouver à mon bureau pour ça. Ne t’inquiète pas, Gilles, quand la lettre de Suzette va venir, tu verras de la besogne bien faite, va. Ah ! Ventregué ! Queue manigance ! Contez-moi donc ça de fil en aiguille. Tais-toi, voilà Madame Savon avec sa fille, je te conterai tout ça une autre fois : je vas leux faire non compliment. Allons donc, Suzette, tiens-toi donc : t’as un air gauche. Est-ce qu’on se laisse aller somme ça un jour de noce, donc ? T’as l’air d’un lendenain. Madame Savon, je vous présente bien mes petits respects. En qualité de voisin je viens vous la souhaiter bonne et heureuse, ainsi qu’à m’amselle Suzette, accompagnée de plusieurs autres, et de la santé par-dessus tout. Ben obligée, monsieur. Dame ! Suzette, v’là qu’est tourné : on voit ben que monsieur za la plume en main. Vraiment, ma mère, c’est que monsieur est versé dans l’écriture. Ah ! Mademoiselle, quand on voit des personnes comme vous et Madame votre mère, il est ben facile d’être versé dans la politesse. Tredame, ma fille, v’là qui nous surpasse. Pardine ! Oui, c’est le proverbe : dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu fréquentes. Madame Savon veut-elle bien recevoir ces deux fines oranges et permettre qu’on l’embrasse ? Ah ! Monsieur, de tout mon coeur... Gilles, portez ces oranges-là dans l’aute chambre : vous les mettrez dessus la cheminée. En voici deux autres pour m’amselle Suzette : veut-elle bien permettre aussi... Comment donc, monsieur de La Plume, vous vous êtes mis en dépense ! Tiens, Gilles. Fouillez-vous donc, monsieur de La Plume : est-ce qu’il n’y en a pas pour moi aussi ? Monsieur de La Plume, je ne savons comment vous remercier de vot’ politesse ; mais t’nez, c’est aujourd’hui le mariage de Suzette : j’allons faire la noce ici, faites-nous l’amiquié d’y rester. Vous êtes entendu, vous serez le garçon d’honneur ; pas vrai, Suzette ? Madame, c’est bien de l’honneur pour moi. Oh ! Monsieur, l’honneur sera pour nous. Eh ! Morgue ! Y aura pus d’honneur dans tout ça que de profit. Eh ! Bonjour donc, ma commère ; bonjour, mon enfant. Ah ! V’là la commère, et Monsieur Thériaque, l’apothicaire de feu mon homme. Bonjour, ma tante ; bonjour, monsieur. C’est pour vous la souhaiter bonne et heureuse, commère, et vous, ma belle enfant. Tenez, commère, v’là des dragées que je vous apporte. Vous êtes ben bonne, commère... Prends tout ça, Gilles : ça servira pour le repas. Tenez, commère, voilà des marrons de Lyon, de la bonne faiseuse : je les ai commandés exprès pour vous. Comme il est agréable, le compère ! Il a toujours le mot pour rire. Ah ! Mon Dieu ! Mon pauvre Gilles, cours donc bien vite... Eh ! Jarniguoi ! Quoi que vous avez donc ? Queu qu’c’est donc, ma tante ? Eh ! Mon enfant, nous causons là, et le fiacre qui est zà la porte ! Ah ! Morbleu, je n’y pensais pus ! Tiens, Gilles, porte-lui ces vingt-quatre-sous-là. Vous êtes donc venus ten carrosse? Hélas ! Oui, commère. Y a si loin de c’te porte Saint-Antoine ! I’semble qu’all’recule tous les jours. Et puis on danse aujourd’hui, il faut ben faire la fine jambe et le fin bas blanc. Vantez-vous-en : j’espère ben que je danserons ensemble, compère. Mais ça se doit : j’ouvrirons le bal. À propos de ça, tiens, Suzette, v’là zun petit présent de noce que je t’apporte. Ben obligée, ma tante... Ah ! Ma mère, c’est des rubans à l’anglaise. Avec des devises, da ! C’est du galant ! Feu mon homme m’en donnait comme ça de couleur de rose, avec les fontanges pareilles : ça m’allait, dame ! Fallait voir ! Aussi le garçon d’honneur quand il prit la jarretière de la mariée... À propos, je t’avertis de ça, Suzette : faut te laisser faire. Ah ! Dame ! Oui ! Mam’selle. Ne vous inquiétez pas, je me charge de l’opération. Eh ben ! Mais monsieur de La Plume, vous ne dites rien : vous êtes là comme une silence ! J’écoute, madame, j’écoute. Je crois me remettre d’avoir vu monsieur queuque part. Madame, c’est bien de l’honneur pour moi. Pardine ! C’est Monsieur de La Plume, qui a son bureau sous les Charniers, à trois pas de la boutique où c’qu’est ma fille. Ah ! Monsieur est un homme de lettres ! À votre service, Monsieur. Ah ! Dame ! Oui, monsieur est un savant. Eh ben ! Dites donc un peu, monsieur de La Plume, queu qu’ ça veut dire c’te devise-là ? Pardi ! C’est un coeur qui s’envole, et un chien qui court après. Je le voyons ben ; mais l’énigme de ça ? Madame, on appelle ça un anglème : ça signifie la fidélité et la persévérance. Oui, ma foi, c’est bien trouvé. Ah ! Dame, oui, v’là ce que c’est que l’esprit : c’est zune sentence. De la part de Monsieur Foulonet, madame. Ah ! C’est le valet de mon gendre. Entrez, mon ami. Madame, je viens de la part de mon naître, qui dit comme ça qu’il vous souhaite une bonne année, ainsi qu’à mam’selle, et comme par lequel il vous envoie ces oranges-là pour vos étrennes, en attendant qu’il vienne lui-même vous apporter le présent de noce. C’est fort ben, mon enfant ; dites à vot’ maître que je l’attendons tretous avec impatience... Gilles, emmène-le avec toi au cabaret du coin, où ce qu’on fait le repas, et fais-l’i boire un coup à not’ santé. Grand merci, madame ; pour qu’ail’soit meilleure, j’en boirons ben deux. Gilles, ne t’éloigne pas, j’allons tavoir besoin de loi. Eh ! Morgue ! Je n’ons garde : je ne sortirons pas du cabaret. Ah ! Tenez, mam’selle, v’là me letttre que mon maître m’a chargé de vous remettre. Écoutez donc, faut-il zune réponse ? Une réponse ?... Eh ! Jarniguoi ! Si t’attends la réponse, n’y aura pus de quoi boire, viens toujours. Eh ben ! Je la prendrons en sortant du cabaret : vous n’avez qu’à la tenir prête. Ah ! Ciel ! Ma mère !... Que que t’as donc, mon enfant ? Te v’là toute comme une surprise ! Ah ! L’indigne ! Est-il possible ! De de quoi que c’est donc. Queu qu’ça dit donc, ce chiffon-là ? Voyons un peu, monsieur de Ls Plume, débrouillez-nous ça. « Mademoiselle, je profite de l’occasion de la nouvelle année, pour vous la souhaiter bonne et heureuse ; mais je suis trop honnête-homme pour vous laisser ignorer ce qui se passe...» Eh ben ! Qui donc qui se passe ? « Je vous avertis que j’ai une inclination ailleurs...» Ah ! Le scélérat ! Queu noirceur ! « Je vous ai promis mariage, je ne suis plus en pouvoir de vous tenir parole...» Tredame ! On peut ben l’y forcer. Ah ! Vantez-vous-en que le chien n’ei sera pas quitte pour se dédire... Allez, monsieur de La Plume, continuez. « Pour vous dédommager de la perte de mon coeur, je vous prie d’accepter cette douzaine d’oranges que je vous envoie... » Ah ! Qu’elles t’égranglent, tes chiennes d’oranges, ailes mettraient la peste dans la maison. Lisez toujours, monsieur de La Plume. « Au reste, quoique vous soyez ben aimable, vous n’étiez pas de compétence faite pour épouser le fils d’un chapelier. Votre serviteur, FOULONET. » Ah ! Ma mère ! Ah ! Ciel ! Queu blasphème ! Le fils d’un chapelier ! Tredame ! V’là-t-il pas zune famille ben relevée donc ! Parce que son père étale des chapeaux retournés sous le petit Châtelet. Eh pardine ! Si son père fait des chapeaux, ma nièce est coiffeuse, ça va de pair. Pour ça, oui. Madame valait ben monsieur. Ah ! Ma tante ! Me faire un affront comme ça ! À une fille d’honneur ! Apparemment, c’est que t’en as trop pour lui. Jour de Dieu ! Qu’il ne se montre pas devant moi, car je l’étranglerais mort ou vif. Console-toi, va, ma nièce, si tu ne coiffes pas c’ti-là, t’en coifferas queuque autre. Pardine ! Oui, que jeté voie pleurer pour un gueux comme ça ! As-tu peur d’en manquer ? Mam’selle n’est pas faite pour ça. Assurément, et si mam’selle voulait, y a ici des personnes qui aimeraient ben mieux payer les violons pour leux compte que de voir danser les autres. Tiens, v’là-t-il zune proposition qu’on e propose déjà ! Ah ! Va, va, pour un de perdu cent de •Retrouvés. Eh ! Bonjour, madame Savon. Bonjour, mon enfant. Eh ! Mon Dieu ! Ne vous blessez donc pas. Vous êtes ben complimenteux dans la famille ! Laissez-moi, Madame. Où va donc la petite ? Au fait ben. All’ sent qu’ail’ n’est pas faite pour le fils d’un chapelier. Mais qu’avez-vous donc, madame Savon ? Faut être ben traître pour venir encore embrasser les gens. Fi! cela n’est guère honnête ! Comment ! Mais que voulez-vous donc dire ? Demandez-le à votre fils. En attendant, portez-l’i ses oranges, et recommandez-l’i ben de ne pas regarder ma porte en face, ou sinon je vous le repasserai, moi, votre fils de chapelier. C’est-i pas ici cheux Mme Savon? Eh ben ! Quoi que c’est ? C’est le repas de noce. Tout est prêt. Tu te trompes, mon ami. Quiens porte-les cheux ce beau monsieur-là. Vois-tu sous le petit Châtelet, à gauche, à l’enseigne du Ben-Rotapé. C’est la noce de Monsieur son fils. Mais, madame Savon, perdez-vous la tête ? Allez donc, monsieur, trop d’honneur ; vous avez oublié queuque chose chez vous. Vot’ fils vous dira l’mot du guet. Ah ! Mon ami, vous ne voyez pas qu’on nous insulte. Allons-nous-en ou je vas me trouver mal ici. Mais, vraiment, je ne vous y trouvons déjà pas ben. Allez, vous serez mieux dehors. Mais, Madame, où mettrai-je-t-i’ ces plats ? Eh ! va-t’en au diable avec tes plats, cuisinier de malheur. Doucement, commère. Va-t’en , mon ami : tu vois bien qu’on n’en veut pas. Ma foi, le v’là toujours. Je m’en vais dire ça à Madame Rognon : vous vous arrangerez avec elle. Attends,attends-moi ; je te vas conduire. Eh ben ! Vous autres, est-ce que vous plantez là l’piquet ? Allez, allez tourner vos vieux chapeaux. Ah ! Madame Savon, voilà qui est trop ! Vous vous souviendrez de celle-là. Allons-nous-en, femme, allons-nous-en. Bon voyage. Écoutez donc, si vous rentrez les violons, faites-vous jouer la conduite de Grêle, ça vous égayera sur le chemin. Ma foi, Madame Savon, c’est affaire à |. Vous leux avez ben donné la monnaie de leur pièce. La commère a raison : j’en aurais ben fait autant. Oh ! Oui, ça valait ça. Parlez donc, m’ame Savon, c’est-i’ du vrai qu’ous ne voulez pus du festin ? Dame ! Vantez-vous-en. Que c’ti-là qui se marie le mange. Répétez-nous donc ça : je n’entendons pas de c’t’oreille-là. C’est pourtant du clair : quand z’i gn’y a pas d’ noce, i’gn’y a pas de festin, p’t.-êt’. Tout ça m’est égal, à moi. Mon festin zest commandé : qu’on le mange ou non, faut qu’on l’paye. Ah ! ça ne sera pas du vrai. Non-da. Écoute un peu François, je n’ons pas le temps de disputer : va-t’en me chercher un commissaire. Mais écoutez donc, madame Rognon faut être raisonnable, faut vivre avec les vivants. D’abord qu’on ne le mange pas, vous pourriez le reprendre, moyennant queuque bénéfice. Quiens ! Monsieur Jocrisse ! Eh ! Que bénéfice voulez-vous que j’y fasse ? Est-ce que ça aura de la vente ça ? Tenez v’ià-t-il pas un gigot qui a bonne mine! Ah ! Si Mme Savon voulait, il y aura bien une manière d’arranger tout cela : il ne faudra renvoyer ni le repas ni les violons. Eh ben ! Mais, voyons ; queu qu’i’ faudrait pour ça ? Il ne faudrait dire qu’un mot. Qu’un mot ! Ça n’est pas la mer à boire. Expliquez-vous donc, monsieur La Plume. Tenez, madame Savon, l’occasion, comme a dit, fait le larron : j’aime mam’selle votre fille depuis longtemps, et je pourrais faire un bon parti pour elle. Le contrat, la noce et les violons sont commandés : si vous voulez me la donner en mariage, il n’y a que faire ne rien renvoyer, je payerai tout. Ah ! Dame, oui, v’là qu’est ben comode. Monsieur de La Plume, v’là qui demande réflexion. Bon, réflexion ! Et le repas qui est tout chaud. Ma foi, commère, si j’étais que de vous, je ne barguignerais pas : je prendrais Monsieur de La Plume au mot ; ça vengerait vot’ fille, et ce gueux de Toulonet en crèverait de dépit. Qu’en pensez-vous, monsieur Thériaque ? Moi, je suis assez de c’t avis-là. En fait de mariage, il ne faut jamais faire venir l’eau à la cruche d’une fille pour rien. Eh bien ! monsieur de La Plume, v’là c’est conclu : je vous prends pour mon gendre. Vous, commère, allez un peu disposer Suzette à c’te petite vengeance-là. Oui, oui, laissez-moi faire : je vais sonder sur c’t article-là. Ah ! Madame, que je suis heureux d’être au monde !... Combien vous faut-il pour le repas, madame Rognon ? Tenez, à cause de l’occasion, je vous ferai bon marché. Dame ! Oui, c’est du hasard : il ne faut vendre ça comme neuf. Écoutez, parce que c’est vous, donnez-moi dix écus, et j’allons vous repasser ce gigot-là dans la sauce. Tenez, v’là toujours quinze francs à compte. Faites-nous tenir les plats bien chauds. Il n’y a qu’un pas d’ici chez nous : je m’en vas vous chercher votre reste. Je suis t’a vos ordres : vot’ servante, messieurs et dames. Et moi, madame Savon, en chemin faisant, je m’en vais passer chez le notaire et lui dire d’apporter le contrat. Allez, monsieur de La Plume, pendant c’ temps-là j’allons couler ça à Suzette, et quand vous reviendrez, all’ sera prête. Venez-vous-en, monsieur Thériaque. Quoi que ça signifie donc tout ça ? J’avons vu les garçons remporter le festin. Ah ! Morgue ! Queu crève-coeur ! Je nous verrions passer devant le nez un gueuleton comme c’ti-là, et je n’en aurions que la fumée !... Non jarniguoi ! ça ne se passera pas comme ça... C’est c’te chienne de lettre, tenez. Au diable soit M. de La Plume avec son invention, qui fait jeûner les gens. Je l’i avons promis le secret ; mais, morgue ! Je n’en savions pas la conséquence. Encore s’il donnait pourboire, là, queuque dédommagement; mais il ne sonne mot et l’on remporte les plats... Ah ! Jarnonbille ! J’allons tout découvrir à Madame Savon. Ah ! Mon ami Gilles, que je te trouve à pr•opos sous ma main. Dis-moi, queu qu’ Mme Savon veut donc dire ? Elle a chanté pouille à mon père, elle a dit des sottises à ma mère, et elle veut m’étrangler. Moi. Je l’avions ben dit : c’est la lettre Monsieur de La Plume. Réponds-moi, mon ami, et tire-moi de l’embarras, de l’inquiétude où le silence de ton obstination est capable de me plonger. Écoutez, i’ ne tient qu’à moi de vous tirer tout ça zau clair. Ah ! Mon cher Gilles, achève. Tiens, prends ma bourse, prends ma fortune ; prends, mon ami. V’là le profit de ma dernière semaine. Prends-les, et donne-moi queuque consolation dans la douleur de mon affliction. Ah ! Monsieur Foulonet, cet argent a les manières trop nobles : on n’y peut pas tenir, vous n’êtes pas fait pour être susplanté par un vilain chiffonneur de papier... Mais v’là mam’selle Suzette: je vais vous expliquer tout ça devant elle. Non, c’est énutile ; je veux pus entendre parler de mariage. Ah ! Ma chère Suzette ! Comment, monsieur, vous avez la hardiesse d’avoir l’impudence... Doucement, mem’selle doucement... Zun peu de sang-froid. Y a ici du quiproquo, et je venais pour vous débrouiller tout ça... Vous, monsieur, n’avez-vous pas t’écrit ce matin des lettres ? —Oui-da, Gilles ; mais comme il m’est survenu zun mal d’aventure au pouce, j’ai prié M. de La Plume de me les écrire. Eh ben ! Monsieur, il vous a joué un tour pour faire rompre votre mariage. Oh ! Ciel ! Est-il possible que ça se puisse. Tenez, monsieur, la v’là vot’ belle lettre. Lisez-la: vous y avez peut-être oublié queuque chose. Ah ! Queue trahison ! Il a changé l’adresse. C’te lettre n’était pas pour vous : c’est z’un congé que je donnais tà une autre personne pour ne conserver tout entier tà ma chère Suzette. Zhélas ! Puis-je croire ce que vous me dites ? Que la foudre !... Que les éclairs !... Qu’un tremblement !... Que cinq cent mille diables !... Eh ! Ne jurez pas, je réponds de tout... Ce La Plume m’est venu conter ça tout chaud... Mais, mais ! Queulle invention diabolique ! I’ faut, morgue ! Qui ait l’esprit pus noir que sa bouteille à l’encre. Quen scélérat ? Sa vie ne tient plus qi un fil ! Arrêtez, cher zamant !... Ne vous emportez pas tà des violences qui ne serviraient zà rien. Venez-voùs-en plutôt faire entendre raison à ma ch’ mère et toute ma famille qui est dans une colère de chien contre vous. Vous avez raison, ma chère Suzette, j’aurai toujours le temps de lui couper le nez et les oreilles ; mais, comme dit le proverbe, charité bien ordonnée commence par soi-même. N’ai-je- pas entendu la voix de c’t indigne renégat ? Ah ! Madame, je viens taux pieds dé vot’ compassion... Ôte-toi de devant mes yeux, affronteur, enragé, suborneur ! Retenez-moi, compère ; car, tenez, pour un rien, je déferais un scélérat comme ça. Allons, m’ame Savon, allons, remettez vous dans vot’ tranquille. Fi ! C’est indigne. Vous devriez rougir. Ah ! Ma tante. Ah ! Madame, écoutez-moi seulement une parole. Queu qu’tu diras, langue de serpent ? Qu’eu qu’ tu diras ? N’en as-tu pas tassez t’écrit ?... Et, Suzette, faut que t’aies ben peu de coeur, après sa lettre. Ah ! Ma mère, c’est zune trahison. Hélas ! Oui, madame : rien n’est pus faux. Pas vrai, Gilles, tu sais la vérité de ça. Eh ! Ventreguenne ! Oui, not’ maîtressé, c’est zun startagème de Monsieur de La Plume, donc que vous avez donné dedans comme une bête. Oui, madame : ce matin je l’ai prié d’écrire une lettre pour ma chère Suzette, et une: aut’ pour une fille qui voulait m’épouser, mais que je ni tant seulement pas regardée depis que je connais ma chère Suzette. Je lui déclarais qu’elle ne devait pas songer zà moi, et ce coquin de La Plume a mis texprès, l’adresse de l’une sur l’aut’, et voilà ce qui a fait vot’colère, mais dont je suis tinnocent, et dont je vous en demande mille pardons, à la tendresse de l’amour que j’ai pour vot’ chère fille, pour vous, madame ; et pour toute vot’ chère et aimable famille. Ah ! Ma mère, vous voyez, ça n’est pas sa faute. Allons, commère, faut l’i pardonner : pi, ça m’attendrit, que j’en avons la larme à l’oeil. Allons, commère, allons, laissez-vous . Eh ben ! Not’ maîtresse, irons-je-ti chercher les violons ? Ah ! Queu scélérat que ce La Plume l’ me le payera, ou je ne serons pas Mme Savon ; voyez-vous le serment que je fais... Monsieur, puisque vous aimez toujours ma fille, i’ gn’y a rien de gâté. Gilles ! Va-t’en ben vite chercher Monsieur et Madame Foulon, ramène-les dans un fiacre, et dis-leux ben que c’est un malentendu ; mais que dans tout çà i’ gn’y a pas de quoi fouetter zun chat. Ah ! Madame, vous mettez le comble au bonheur de ma satisfaction. Eh ! Voilà Monsieur de La Plume qui monte. Ah ! L’indigne ! Je vas le mettre à feu et à sang. Ah ! Ciel, mon cher zamant, ne vous exposez pas à la trahison d’un traître. Ne craignez rien, ma chère Suzette : je vous jure, par l’épée que je porte, que je vas l’y enfoncer la garde au travers du corps. Il a raison, ça ne mérite pas de vivre. Sans doute, mais il est plus prudent de prendre les voies de la prudence. C’est ben dit : écoulez, mon cher enfant, c’est un vilain ladre : il vaut mieux le prendre par son avarice, ça l’i sera plus sensuel. Cachez-vous j’allons l’i faire payer tous les frais de la noce, et quand si sera temps, vous vous montrerez. Oui, morbleu ! À bon chat bon rat ! Il a voulu vous attraper, il faut qu’il le soit lui-même. Oui, cachez-vous, mon gendre, et laissez-nous mener tout ça. Eh bien ! Mesdames, je remets entre vos mains mon amour et ma vengeance. Tout est arrangé, madame : j’ai payé le repas, et voilà le notaire et la musique que je vous amène. Peste ! C’est affaire à vous, monsieur de La Plume. Monsienr a l’air d’un vivant qui ne s’endort pas sur le rôti. Il a raison : faut battre le fer quand il est chaud. Voilà, mam’selle Suzette, une tite paire de bracelets faits des propres cheveux de ma perruque, avec mon chiffre : c’est un petit présent de noce que je vous prie d’accepter. Monsieur... Prends, prends, ma fille... Monsieur est trop honnête, on ne peut rien l’i refuser. Madame, le contrat était tout fait dès tantôt, il n’y avait plus que les noms à remplir ; si vous voulez me les dicter... Avec plaisir : venez ici, monsieur... Ma commère, faites compagnie à Monsieur de La Plume en attendant. Oui, oui, commère, faites toujours... La vérité, Suzette, faut convenir que t’es née coiffée, zavoir trouvé comme ça zun épouseux à point nommé. C’est moi, madame, qui suis trop heureux que l’occasion m’ait été si favorable : aussi je me suis empressé de la prendre au vol, comme l’on dit. Au vol ! Oui, ma foi, c’est bien trouvé ! Morbleu ! Monsieur de La Plume, vous en savez long !... Allons, mes enfants, voilà qui est fait : il n’y a plus qu’à signer. À vous, Monsieur de La Plume. Ah ! Madame, y a ben longtemps que j’ai tenu la plume pour la première fois, mais je n’ai jamais rien écrit qui m’ait fait tant de plaisir ! À merveille, monsieur de La Plume. V’là qu’est pis qu’un compliment... À toi, Suzette.. Vous, compère, et pis moi.... Allons, morguenne ! Y a pus à s’en dédire. Êtes-vous payé, monsieur Bonnefoi ? Oui, madame. Eh ben ! Emportez tout ça. Ah ! Madame, quel plaisir ! Quel bonheur !... Allons, violons, voilà de quoi boire. Jouez-nous toujours un menuet, nous allons danser en attendant le repas. C’est ben pensé : de la joie, mes amis. Allons, Suzette, faut commencer le bal avec mon gendre. De tout mon coeur ; mais je vous retiens pour mon second, m’ame Savon. Zun instant, mon cher monsieur de La Plume. Chacun à son tour : vous avez fait le mariage pour moi et maintenant je vas danser pour vous. Comment ? Que voulez-vous dire ! Ah ! Monsieur de La Plume, vous arrivez trop tard : vous êtes le plus habile à mettre les adresses, mais pour les contrats, vous n’y entendez rien. Qu’est-ce que cela signifie ? Ça signifie que vous avez signé pour témoin, vous, mais qu’v’là l’épouseux. Comment donc, Gilles !... Hélas ! Oui. J’ons découvert le pot au noir. Ah ! Ventrebleu ! De la modération, monsieur de La Plume : avalez ça en douceur, ou sinon... Oui-da, vous v’là tout porté. Si vous voulez t’être de la noce, vous aurez toujours la jartière de la mariée, c’est toujours ça. Pas vrai donc, Monsieur Thériaque ? Sans doute. Et si c’te cérémonie-là vous fait mal au coeur, je vous donnerai encore une petite médecine par-dessus le manche. Dame ! Tout ça fait ben intérêt de vot’ argent. Morbleu ! Je mérite ça. Grand merci, messieurs et dames, et vot’ serviteur... C’est à toi que j’ai l’obligation de ça, mon ami Gilles ! Eh ben ! Not’ maître, payez-nous pendant que vous êtes en train. Je n’ai pas d’argent sur moi, mais si jamais je te rencontre, maraud, je te promets vingt coups de bâton. Eh ! Je ne sommes pas intéressé. Prenez ne je vous ayons servi gratis. Allons, mes enfants, divertissons-nous, et que Monsieur de La Plume nous apprenne que la tricherie et revient toujours à son maître.