Jé bous bouffle, Monsieur Frac. Oh ! Je vous souffle, je vous souffle : un moment, ma dame n’est pas jouée. Eh bien ! Réposez en paix votre dame, et prenez, c’est votre métier... Non pas celle-la... Justement, nécessité pour ce côté. Eh bien ! J’en prends deux... Ah ! Misérable ! J’en donne trois. Moins qué cela, Monsieur Frac... Jé n’en prends qué cinq d’une main... Prenez encore cellé-ci... Bon, et moi jé mé contente dé ces deux seulettes... Un moment, Monsieur Frac, un moment de réflétion, uné fontange à cetté dame pour qu’ellé sé promène. J’ai perdu ! J’ai perdu ! Vous avéz dé grandes résources, Monsieur Frac : rétournéz-vous du côté de la lisière. Oh ! Vous avez beau plaisanter : si j’avais pris garde à mon jeu... Cé qué je dis est la vérité même. Oh ! Vous avez beau gasconner, si j’étais à mon jeu, vous dis-je... Lé fait est constant, vous êtes plus fort, mais bous avéz la distration contre vous, car, pour lé fond du jeu, qué je quitte la vie tout à l’heure si mortel lé posséde comme vous. Allons, le tout d’aujourd’hui. Non, je ne suis pas en train, j’ai la tête trop occupée : il faut que je coupe deux habits écarlates, et je n’ai que treize aunes d’étoffe. Miséricorde ! C’est donc pour le colosse de Rhodes ; ah ! Monsieur Frac, jé suppose que bous pouvéz, sur cette coupe, mé léver largement une ligature. Ah ! Ah ! Chacun sait son métier, M. Trépanillac. Malepeste ! Je consens qué vous possédéz lé vôtre : lé ciseau se joue dans votre main... Allons, encore uné partie. Non, pas davantage. Mme Lavade, écrivéz donc, si c’est votre bonté, trente-quatre tasses de café et vingt-neuf vabaroises pour le compté de Monsieur Frac, et au profit de botre serbiteur. Vous voilà nourri pour quinze jours. Un moment, garçon, ne perdons pas la tête, une bûche au poêle. Un verre d’eau et la gazette, n’est-ce pas ? Je vous apporterai demain, sans faute, cetté chanson qué je vous ai promise. Oh ! Pour des chansons, on n’en manque pas avec vous. Et le billet dé comédie, cé sera pour dimanche, sans faute. Après la grand... Que jé fondé près dé ce poêle comme la glace, si jé manque d’une seconde : quand jé vous dis qué jé lé dois recevoir de Mlle Sautreda, la première figurante de la comédie, qué j’ai guérie récemment, et qui doit lé demander à M. Pirouette, premier figurant, qui s’est chargé de l’obtenir à M. Piano, troisième violon dé l’orchestre, qui n’attend qué lé moment favorable pour lé réquérir dé la femme de chambre dé Mlle Camille. Oh ! Je vois que c’est immanquable. Eh bien ! Qué dit lé coeur ? Non, je suis trop distrait : je sens que je perdrais aujourd’hui jusqu’à ma perruque. Peste ! Vous jouez gros jeu. Il est vrai que je ne saurais trouver un perruquier qui me coiffe à l’air de mon visage. Madame Frac ne s’en mêle donc pas ? Taisez-vous, mauvais plaisant. Sérieusement, jé suis caution pour cette affaire ; si vous voulez, jé parlerai au meilleur coiffeur de Paris ; jé fus garçon major dans sa boutique tandis que j’étudiais à Saint-Côme. Madame le connaît, c’est Monsieur Tressant, lé voisin. C’est la vérité. Oh ! Pour celui-là, c’est un habile homme, mais c’est à savoir s’il voudra : il est si occupé ! Jé mé charge de la négociation. Il vient ici cé soir. S’il vous prend en amitié, votre affaire est bonne ; il faut lé flatter, entendez-vous ? Né l’a pas qui veut ; tenéz, lé voilà : il vient peut-être ici... Justement. Bonjour à la dame de céans : toujours charmante, quoiqu’un peu mal coiffée. Ah ! Monsieur Tressant, quand vous voulez bien en prendre la peine, cela allait mieux. Il y a longtemps, Mme Lavade, il y a longtemps de cela, mais je dis envoyez-moi votre coiffeur, je lui donnerai des conseils, si je puis en trouver le moment... Pas la minute à moi, ma chère, pas la minute : je sors un instant de mon atelier pour me dissiper, je ne sais auquel entendre : sept garçons, quatre apprentis, dix tresseuses ; trente perruqes à rendre toutes les semaines pour tous les ordres de l’État, sans compter les étrangers qui me persécutent, je dis ; c’est Vienne en Autriche, c’est Londres en Angleterre, c’est Madrid en Espagne : de tous les coins et recoins des quatre parties du monde ! si j’avais voulu la pratique du Grand Seigneur de Constantinople... mais je n’ai pas voulu de ces huguenots-là : pour la province, il y a longtemps que je l’ai remerciée, je n’y aurais pas suffi ; et puis, je dis, on voit tomber son ouvrage dans les mains d’un misérable barbier qui vous l’arrange en deux coups de peigne, cela ne fait aucun honneur. Voilà ce que c’est que la réputation ! Je voudrais bien que ma boutique fût achalandée comme la vôtre. Voilà Monsieur Frac qui né manque pas dé talent, et qui, sur la renommée dé votre réputation, Monsieur de Tressant, désire cultiver votré connaissance. Monsieur est artiste aussi, apparemment ? Je me pique d’habiller ce qu’il y a de mieux à la Cour. Monsieur est tailleur ; mais c’est z’un métier z’assez honnête, quoiqu’on en dise ; surtout, je dis, quand on z’y a de la réputation. Monsieur, souhaiterait-il me faire l’honneur d’accepter un doigt de bière ? Oui, Monsieur Tressant l’aime beaucoup ; holà ! Garçon ! N’entendéz-vous pas ? Monsieur démande dé la bière. Vous monterez tout de suite deux bouteilles, des échaudés. Prenez la corbeille, allez-en chercher, et vous diminuerez ceux qu’on a reportés ce matin. Ce n’est pas la peine, je boirai z’un verre de bière seulement. Vous avez raison, et moi j’aime mieux uné croûte de votre pain dé ménage. Cela est plus solide. Holà ! Ne faités pas tant mousser. Si Monsieur de Tressant voulait bien me permettre d’avoir l’honneur... Sur ma foi, d’honneur, jé né me lasse point d’admirer la grâce dé cetté coiffure dé Monsieur dé Tressant : c’est une simplicité, une élégance, un jé né sais quoi... C’est ce que me disait ce matin le prince de... qui se plaignait que les siennes n’allaient jamais bien ; mais, Monseigneur, je dis, c’est que vous autres grands, vous ne savez pas porter une perruque : il faut connaître la marche de cela, je dis : il y a un art à faire une coiffure, il n’y en a pas moins à la porter : c’est une tournure, un effet pittoresque, là, je dis... Eh ! Monsieur Tressant, comme vous avez un goût délicat, c’est ce que me disait tout à l’heure Monsieur Frac, Monsieur voudrait pour tout au monde que vous lui fissiez... Et le duc de... avec qui je déjeunais avant-hier, il me jurait qu’il n’avait jamais vu personne raisonner son art aussi... Là... Si c’était la bonté de Monsieur... Il est vrai que cela ne paye pas : il me doit dix-huit cents livres. Uné petite requête de la part de Monsieur Frac, quatre cheveux seulement arrangés dé votre main... Et le président de... Oh ! Il a du goût celui-là pour sa coiffure : il a profité des principes que je lui ai donnés, mais on n’en peut tirer un sou : il me doit près de mille écus. Moi, je suis dans le même cas ; mais cela n’empêche pas que je paye comptant, et sans marchander, quand une chose me plaît : si, par votre moyen, je pouvais espérer... Je vous vois venir, Monsieur Frac, je vous vois venir ; mais je vous préviens que cela serait long : je n’ai plus guère, pour cette année, que six cents coiffures à fournir, et vous voyez que je n’ai pas trop de marge. Eh bien ! Pour le nouvel an. Nous verrons, dans le temps comme dans le temps. Si vous vouliez toujours avoir la complaisance de me prendre une mesure, cela vous engagerait peut-être plus tôt. Une mesure ! Ah ! Ah ! Ah ! Une mesure ! Est-ce que le génie a besoin de mesure ? Oh ! Cela ne se traite pas comme une culotte, Monsieur Frac. Le génie n’a pas besoin de mesure, mais la tête est, je crois, comme le corps : il faut bien, pour connaître la proportion... Point du tout, je dis ; j’envisage une figure, je fixe les traits d’une physionomie, et je vois d’un coup d’oeil ce qui convient au caractère du visage. Tous nos compliments sont inutiles ; ceux qu’il se fait lui-même ne lui laissent seulement pas le temps de nous écouter. Laissez-moi faire. Ah ! Monsieur ; si Monsieur l’ambassadeur, pour qui vous faites cet habit ponceau brodé d’or, entendait raisonner Monsieur Tressant, qu’il serait content ! C’est un amateur de coiffure, c’est un curieux, celui-là ; né vous disait-il pas hier qu’il né trouvait qué des cruches pour lui faire des perruques ? En lui portant son habit, il faut lui dire qué vous avez trouvé son affaire : s’il sé coiffait une fois de Monsieur Tressant, Monsieur Tressant coifferait bientôt tous les étrangers. Oh ! Je connais Monsieur Frac, vous n’avez pas besoin dé lé regarder : il est l’homme à lé faire, jé né connais personne au monde dé plus serviable. Ce n’est pas cela que j’examine : je regarde que Monsieur Frac porte une figure qui invite à le coiffer. C’est ce que me dit tous les jours Madame Frac. Regardez-moi z’en face.. Là.. Pas tout à fait bien... Tournez à présent la tête de trois-quarts. Comment dites-vous ? Vous trouvez que ma figure a trois-quarts de long ? Eh ! Non, mon cher ami ! Que l’on voie les trois quarts de votre figure... Bon !... De profil à présent ; vous savez ce que c’est qu’un profil, peut-être... Fort bien ! À merveille ! Je dis, votre tête est là. Je vous ferais mille coiffures sans en manquer une. Cela serait bien long. Pas tant que vous croyez, un instant, je dis, un instant. Tout juste. Holà ! Trotin, allez-vous-en à la maison, dites à mon premier commis qu’il m’apporte, là... Ce petit bonnet indécis, commandé pour Monsieur l’Abbé C... lorsqu’il sort à pied le soir... Il sait bien ce que c’est... Au surplus... Oui, justement, c’est le numéro 784. Il faut avoir tout cela dans la tête, je dis ; si l’on n’avait pas un certain ordre, on n’y tiendrait pas. Ah ! Monsieur, vous me faites le plus grand plaisir ; dites-moi, s’il vous plaît... Eh ! Non, ce n’est pas la question ; c’est qu’il fallait m’apprivoiser avec votre figure : il fallait saisir, vous comprenez bien ; z’à présent, c’est la plus petite chose du monde et je me flatte que vous allez convenir que j’ai mon coup d’oeil juste. Oh ! Pour cela, c’est mon fort que le coup d’oeil, et le coup de peigne : voila tout mon secret. Oh ! Vous né dités pas tous vos autrés coups. Dépouillez cette infamie. Point de façon, je dis, c’est mon usage, je ne coiffe pas autrement tous nos seigneurs. Levez-vous et regardez dans cette glace. Eh ! Monsieur, si vous voulez m’en faire une, il n’y a rien que... Fi donc ! je ne travaille point par intérêt ; j’aime mon art, et je suis charmé qu’il soit utile à un galant homme. Eh bien ! Le malheureux, qu’est-ce qu’il veut faire ? Mais votre garçon attend pour la remporter. Eh ! Non, vous dis-je, elle est sur votre tête, elle y va passablement, il faut qu’elle y reste : on en fera une autre. Ah ! Monsieur Tressant, il faut que je vous embrasse : tenez, mon ami, Voilà pour avoir des aiguilles ; Trotin, garçon, Mme Lavade, vite une topette d’eau des Barbades, de Scubac, d’huile de Vénus, ce qui fera le plus de plaisir à Monsieur Tressant. Allons donc, garçon, des biscuits, des massepains, des macarons, ce que Monsieur Tressant aime le mieux... Ma femme va être bien contente, car nous avions toujours querelle sur ma coiffure : oh ! Elle ne me connaîtra pas. Et cetté rélique, où l’enchâsserons-nous ? Ma foi, où il vous plaira. Tiens, garçon, tu né diras pas qué jé né té donne jamais rien. Bien obligé, gardez-la pour vous. Mon avis est qu’on en fasse un sacrifice en l’honneur dé la gloire de Monsieur Tressant : allons, un holocauste. Voilà qui est fort bien, mais parlons d’affaires. Fi donc ! Vous dis-je, fi donc ! C’est une misère. Mais, Monsieur, encore faut-il... Eh bien ! Nous arrangerons cela ; la plus petite chose du monde, un rien : vous me ferez une culotte de velours noir. Pardonnez-moi, c’est que... Oh ! J’entends : c’est qu’il faut que vous me preniez la mesure, vous, n’est-ce pas ? Non, monsieur, c’est que... Vous êtes pressé d’ouvrage, tant mieux ; je ne le suis pas moins ; à votre aise, Monsieur Frac, à votre aise. Ce n’est pas tout à fait cela, c’est que... C’est que vous trouvez que ce serait trop cher peut-être ; mais je vous avertis qu’il ne sort point de coiffure de chez moi à moins de quatre louis, et je vous traite, comme vous voyez, en ami, en artiste. Oh ! Monsieur, bien de l’honneur à moi, je n’y regarde pas de si près ; c’est seulement... C’est que, c’est que ; expliquez-vous donc. Excusez-moi, Monsieur, si je prends la liberté de vous dire..., mais c’est que je vous dirai que je ne travaille que pour des seigneurs. Comment, Monsieur Frac ! Que pour des seigneurs ! Et moi, jamais pour un manant de tailleur. Vous allez faire un rhume, Monsieur Tressant, et puis il faudra qué jé vous guérisse : mettez dessus sans façon, point dé cérémonie. L’insolent me le payera quelque jour, tôt z’ou tard. Un instant, permettez : je suppose en cette occurrence que c’est vous qui avez tort, car vous ne pouvez ignorer le proverbe.