Oui, ce que j’éprouve Nérine, Ce trouble de mes sens, ce désordre inconnu, Effet impérieux du sort qui me domine, L’enfer me l’annonçait, mon art l’avait prévu. Quand j’ai voulu des temps sonder la nuit obscure, L’enfer me répondait avec un long murmure : « Par toi doit s’accomplir un grand événement Tes voeux, ta volonté, ton âme toute entière, Des décrets du destin, sont l’aveugle instrument. » Jason vient d’aborder cette rive étrangère ; Je n’ai pu soutenir un regard de ses yeux : Frappé d’une soudaine atteinte, Mon cceur a trésailli de désir et de crainte. J’ai dit : voilà l’instant que m’annonçaient les Dieux. Eh bien ! Médée en ce désordre extrême, Qu’avez-vous résolu ? De triompher du sort et de moi-même ; De garder sur mes sens un empire absolu. Qu’une âme faible et sans courage Impute à la nécessité, L’erreur où son penchant l’engage. Qu’une âme faible et sans courage, Laisse enchaîner sa liberté. Le sort eût-il arrêté Que je vivrais criminelle, Ma constante fermeté Résisterait à la fatalité. Et se croirait encor plus immuable qu’elle. Jason en nous servant, vient d’illustrer son bras; Les Scythes sont défaits, l’indomptable Athamas Ne ravagera plus cette heureuse contrée Nous possédons en paix la dépouille sacrée, L’immortelle Toison, trésor de ces climats, Où restent attachés par la main des Dieux même, Du trône où je m’assieds, la fortune suprême Et le destin de mes États. Ce triomphe m’enchante il ne m’étonne pas. De quel prix votre justice Récompensera-t-elle un si noble service ? Les désirs du vainqueur ont réglé mes desseins ; Il t’aime, et veut t’unir à ses brillants destins. Ciel !         D’où peut naître ta surprise ? J’étais loin de prévoir un semblable projet. Ma fille, je l’approuve et ta main est promise. Ô mon père qu’avez-vous fait ? Je fuis d’importunes chaînes ; Ma vie exempte de peines, S’écoule comme un beau jour: Cette paisible jouissance, Ce doux repos de l’innocence, Faut-il les voir céder aux troubles de l’amour ? Cet effroi de l’amour, qui peut le faire naître ? Je redoute mon coeur, et crains de me connaître. Loin des périls que je prévois, Ma raison calme et souveraine, Tient mes passions à la chaîne, Et leur fait respecter ses lois : Mais dans cet esclavage où j’ai su les contraindre, Je sens ces fiers tyrans prêts à se soulever ; Leur silence menace, et m’avertit de craindre Tout ce que leur fureur peut me faire éprouver. Écarte une chimère Dont l’erreur te séduit. Cet effroi salutaire La raison l’a produit. L’hymen ne détruit pas la paix des coeurs sensibles. L’amour a quelquefois fait verser bien des pleurs ! Combien tu chériras des noeuds doux et paisibles. Combien vous gémirez d’avoir fait mes malheurs ! Ô sagesse ! Ô prodige Quand son refus m’afflige, Je suis contraint à l’admirer. Ô sagesse ! Ô prodige! Quand ton refus m’afflige, Je suis contraint à l’admirer. Ô tendresse ! Ô prodige ! Quand son pouvoir m’afflige. Je suis contrainte à l’adorer. Jeune héros, qui, des champs de la Grèce, Êtes venu dans un monde nouveau, Pour épargner à ma vieillesse, L’affront qui l’eût mise au tombeau : Je remets avec joie, au vengeur de l’empire, Le prix que son amour avait sollicité : Ce prix est la vertu, la grâce, et la beauté. Princesse, confirmez le bonheur où j’aspire. Aux ordres paternels, c’est à moi de souscrire ; Mais connaissez le coeur qu’à vos loix je soumets. L’hymen épouvantait ma fière indépendance, Et je ne pensais pas qu’un mortel dût jamais Triompher de ma résistance. Jason vous avez seul adouci ma fierté ; Mai lorsqu’à vos verras, je rends cette justice, Prêt d’engager pour vous, ses voeux, sa liberté, Mon coeur s’étonne encor d’un si grand sacrifice. Ce sacrifice est doux quand il est mérité. Jour heureux ! Jour plein de gloire ! Tu combles tous nos désirs : À l’ivresse de la victoire, Tu joins l’ivresse des plaisirs. Jason, je vous dois ma couronne. Je tiens de vous un bien plus grand. Vous l’obtenez en conquérant, Et c’est l’amour qui vous le donne. Oui, c’est l’amour qui vous le donne. Jour heureux, etc. Sans Médée, et sans ses attraits, Ma stérile reconnaissance Ne pouvoir payer vos bienfaits. Sans Médée, et sans ses attraits, Tous les dons de votre puissance, N’étaient que des dons imparfaits. Jour heureux etc. Des beaux arts dont les Dieux ont enrichi la Grèce, Déployons sur ces bords, la pompe enchanteresse. Ô mère de la volupté ! Vénus ! Descends sur ce rivage ; Viens y couronner la beauté, Viens y sourire à ton image. Au nom de Vénus, l’air sépare La terre s’émaille de fleurs ; Et leurs parfums enchanteurs, Sont l’encens que la nature Offre à la Divinité Qui d’un seul regard lui procure Le calme, et la sérénité. Beaux-arts, enfans du ciel ! J’ai donc connu vos charmes : Vous prêtez à l’Amour ses plus puissantes armes. Par un magique enchantement, J’ai cru me voir en un moment, Loin de ces rives transportée ; J’avais franchi les vastes mers, J’habitais un aurre univers, Séjour des Dieux, terre enchantée ; Là, tout invite à s’enflammer, Et l’on ne vit que pour aimer. Beaux-arts etc. Venez, Jason, venez ; hâtons l’instant heureux, Qui par un noeud charmant, doit vous unir tous deux. Amis, n’êtes-vous plus les enfants de la gloire ? Ne sommes-nous venus dans cet affreux séjour, Que pour y consacrer des fêtes à l’Amour ? Ces jeux seront suivis des jeux de la victoire. Dis plutôt que Jason s’apprête à nous trahir. Lui !         L’amant de Médée est un Grec infidèle ; Prêt à s’unir avec elle, Il est traître envers nous, où va le devenir. Pollux ne sera pas complice De cette lâche trahison. Eh ! Que prétend ton injustice ? Sauver d’un amoureux caprice, La conquête de la Toison. Entre la Grèce et la Colchide Que le fils d’OEson se décide. Oui, qu’il prononce, et dès ce jour. Pourquoi cette épreuve inutile ? Le choix est-il si difficile ? Non ; qu’il prononce, et dès ce jour. Dieux ! Que je crains pour son amour ! Si ce faible guerrier balance. Nous commettons à ta vaillance, L’espoir de nos brillants succès. Ô douce ! Ô flatteuse espérance ! Quittez ces dangereux projets. Ô douce ! Ô flatteuse espérance ! Si le faible Jason balance Ne commettez qu’à ma vailance, L’espoir de vos brillants succès. Si le faible Jason balance Nous commettond à ta vailance, L’espoir de nos brillants succès. Jason vous verra avec prudence. Ne commettez qu’à ma vaillance. L’espoir de vos brillants succès. J’aime à voir sur ton front embelli par la joie, Cette sérénité que l’amour y déploie. Quelle était mon erreur ! D’un noeud plein de douceur, Vous me vantiez le charme et l’innocence ; Mon aveugle imprudence Se refusait aux leçons du bonheur. Les biens dont je jouis, vous les avez fait naître Pour un jeune héros mon coeur s’est enflammé J’ai honte des moments perdus sans le connaître, Je déteste les jours où je n’ai point aimé. Témoin de ton bonheur, je veux l’accroître encore. Non ; tout votre pouvoir le tenterait en vain. Prends ma couronne, et que ta main L’attache sur le front du héros qui t’adore. Conservez vos grandeurs, notre amour nous suffit. Quand je te place au rang suprême Au don de tes appas, j’ajoute un diadème À de pareil présents, l’amour même applaudit. Médée est votre souveraine, Obéissez tous à sa loi. Médée est notre Souveraine, Obéissons tous à sa loi. Que sous son joug heureux le devoir vous enchaîne. Médée est notre Souveraine. Conservez lui l’amour que vous eûtes pour moi. Médée est notre Souveraine. Médée est votre Souveraine,. Et Jason sera votre roi. Oui, que Jason soit notre roi. Jason nous devient nécessaire ; Il fixe dans ces lieux Le don mystérieux Que Phrixus a daigné nous faire. Gage longtemps disputé, De notre félicité, Fais le bonheur de la Colchide ; Repose en sûreté, Sous le bras redouté Qui te couvre de son égide, Non, peuples jusques-là je ne puis vous servir, Et ma bouche et mon cceur sont loin de le promettre : Le trésor qu’à mes soins vous prétendez commettre, Je ne viens à Colchos que pour vous le ravir. Qu’entends-je !     Ciel !     Ô ciel !         Adorable Princesse, J’offense vos appas; Mais un serment me lie, et je dois à la Grèce Le service éclatant qu’elle attend de mon bras. Je n’aurai pas du moins trompé votre tendresse, Pour usurper un bien que je dois conquérir : Je puis vous affliger, mais non pas vous trahir. Veilié-je ? Est-ce un songe ? Dans quel nouveau malheur ce discours me replonge ? Perdons un ennemi Qui contre nous conspire. De mon père il sauva l’empire. Par lui mon trône est raffermi. Il cherche à le détruire. Perdons un ennemi Qui contre nous conspire. Peuple ingrat ! Que veut ta fureur ? C’est contre ton vengeur Que ta voix éclate et menace. C’est contre ton vengeur Que ta voix éclate et menace. Il n’est point, ô Jason ! De bienfait que n’efface La criminelle audace Qui veut nous ravir la Toison. Cessez, troupe séditieuse ; Les maux que vous craignez, je puis les empêcher. Dépouille chere et précieuse ! Je dévoue au trépas la main ambitieuse Qui t’oserait toucher. Qu’un dragon rugissant te couvre et te protége : Contre un attentat sacrilège, J’arme des taureaux furieux ; Leur haleine empestée obscurcira les cieux ; Leurs cris jusqu’aux enfers iront se faire entendre ; Et du sein de la terre ouverte sous leurs pas, Naîtront des moissons de soldats Toujours prêts à te défendre. En faut-il plus encor ? Non, non ; Vous parlez, notre crainte cesse. Je reconnais mon sang ; jamais nulle faiblesse N’a flétri ta vertu, ni troublé ta raison. Laissez-moi seule entretenir Jason. Pour détruire un projet à notre amour nuisible, J’ai voulu que mon art le rendit impossible. Hélas vous n’avez imploré Qu’un secours faible et stérile ; Peut-être le succès devient plus difficile, Mais mon projet n’est pas moins assuré. Vous oseriez encor...         Ah ce que n’a pu faire La crainte de vous déplaire, La crainte du péril le doit-elle opérer ? Qu’oses-tu donc espérer ? Le triomphe.         Insensé ! Renonce à ce langage. De cet espoir je me sens animé. Contre toi l’enfer est arnté. J’aurai pour moi, le ciel et mon courage. Les feux que tu viens d’allumer, Jason, veux-tu les éteindre ? Jason, veux-tu me contraindre À cesser de t’aimer ? Tu vois jusqu’où va ma faiblesse, Devant toi je répands des pleurs ; Ingrat, partage ma tendresse, Et prends pitié de mes douleurs. Ah ! Toi-mème, plutôt, suis un époux fidèle ; Ne vois plus que là Grèce où mon amour t’appelle. Pour ces climats, favorises des cieux, Quitte ce sauvage empire, Où la nature, à tes yeux,. Jamais n’a daigné sourire. Ici tout peint encor, de l’antique chaos, Le silence immobile, et l’éternel repos. Est-ce là le séjour d’une reine charmante, Dont les arts, les plaisirs la volupté touchante, Doivent accompagner les pas ? Ici la Cour la plus brillante, Est un exil pour tes appas. Ah ! Sous un ciel plus doux, que l’amour te conduise ; Les fleurs vont devant toi parfumer les chemins. Viens, dans nos tempies admise ; Près de Vénus même assise, Viens t’enivrer en paix, de l’encens des humains. Non non, il n’est plus rien ici qui te retienne ; L’amour a brisé tes liens : L’un pour l’autre formés, ma patrie est la tienne, Et mes triomphes sont les tiens. Allez, Jason, allez votre amour qui m’outrage, Quand vous me connaitrez changera de langage. Malheureuse, que résous-tu ? Entre le crime et la vertu, Vas-tu traîner l’opprobre de ta chaîne ? Victime de l’amour, victime du devoir, Sécher dans les remords, ou languir dans la peine ; C’est je sort le plus doux qui te reste à prévoir : Ah ! plutôt... Non, l’amour me défend d epoursuivre ; Je cesserais d’aimer Jason ! Non cette seule idée a troublé ma raison ; En prononçant ces mots, j’ai cru cesser de vivre. Sans lui, quel serait mon sort, Mes désirs, mon espérance ? Mes jours filés avec indifférence, Ressembleraient au sommeil de la mort. Cependant, de mon père il trame la ruine... De la nécessité, l’empire le domine ; C’est à moi de le plaindre, et non de le haïr... Mais s’il combat enfin, s’il s’obstine à périr. Image horrible et sanglante ! Eh quoi ! de tous le côtés, À mes yeux épouvantés, L’affreuse mort se présente ! Ah ! Qu’elle tranche mes jours ; Plus heureuse et plus contente, Je bénirai son secours. Médée, en ce eéduit m’ordonne de me rendre Quel est doncT.pour me voir, le lieu qu’elle a choisi l Et que dois-je enfin attendre Du magique appareil qui se présente ici ? Amour ! Ô mon Dieu tutélaire Préside à ce doux entretien ; Allume au coeur d’une amante si fière, Toute l’ardeur qui consume le mien. Mais peut-elle approuver le dessein qui m’engage ? Je viens briser le trône où régnaient ses aïeux. L’éclat d’un tel exploit en déguise l’outrage. Courrons nous à ses yeux De palmes immortelles ; Étonnons son coeur orgueilleux. Enchaînons ses penchants rebelles ; Que Médée en donnant sa foi, Fière de régner sur mon âme, S’enorgueillisse de sa flamme, Et trouve de la gloire à soupirer pour moi. C’est elle ; je la vois paraître. Dans ce réduit secret je t’ai fait appeler ; Pour la dernière fois j’ai voulu te parler, Éprouver ton coeur, le connaître, Et sur tes sentiments, moi-même me régler. Tu doutes de ma foi ?         Je 1e croirai sincère, Si d’un projet téméraire, Qui nuit à notre bonheur, Tu veux bannir de ton coeur L’ambitieuse chimère. Satisfais ce juste désir ; Au lieu d’un vain trésor, je deviens ta conquête ; Dis un mot seulement, l’hymen va nous unir : Cet autel est paré, la flamme est toute prête. Ô comble inattendu d’une injuste rigueur ! Eh quoi ! Tu me chéris, et veux mon déshonneur ! Il suffit ; je t’entends. Sors.         Que prétends tu faire ? Sur cet autel qui t’engageait ma foi, Où l’amour t’appellait pour un plus doux mystère, Je vais par un secours affreux, mais nécessaire, Éteindre tout l’amour dont je brûle pour toi. Quoi ! Tu veux me haïr ?         Tu m’y contrains, barbare. Que me sert de t’aimer, quand ta mort se prépare ? Eh ! Quand il serait vrai que je dusse périr ; Me laisserais tu mourir, Chargé de tes dédains, de ton indifférence ? Ah ! Si ta tendre prévoyance Cherche à me conserver le jour, Du moins ne trahis pas les soins de ta prudence ; N’abrège pas ma vie en m’ôtant ton amour. J’espérais que Médée et sensible et fidèle, Quand la mort m’eût separé d’elle, Garderait de nos feux, un long ressouvenir ; Ingrate, l’amant qui t’adore, Il respire ; il te parle encore, Et déjà de ton coeur tu prétends le bannir. Où suis-je ? Hélas ! Quel trouble est venu me saisir ? Ingrate l’amant qui t’adore, Il respire, il te parle encore, Et déjà de ton coeur tu prétends le bannir. Je n’ai pu l’écouter sans répandre des larmes. Par quel enchantement Oubliai-je en un moment, Ma résolution, mes projets, mes alarmes ? Je ne vois que l’amour, je ne sens que ses charmes : Malheureuse Médée, où vas-tu t’engager ? Ah tu cours à ta perte, et chéris ton danger. Vers le céleste empirée, Médée, éleve les yeux ; Vois le conseil des Dieux, Vois leur troupe sacrée Applaudir à nos feux. L’Amour sur tous ces Dieux préside ; Il est ton maître, il fut mon guide ; Il t’appelle j’entends sa voix : Viens à l’autel amante moins timide, Viens de l’hymen subir les douces lois. Sitôt qu’il a parlé tout mon courage expire ; De la fatalité l’irrésistible empire L’enchaîne et le tient abattu... Montrons dans ce péril encor quelque vertu. Hécate !     Arrête.     Hécate !         Arrête ; que fais-tu ? J’invite les enfers à prendre ma défense. Ah ! Tu n’as pas besoin de ce triste secours ; Mon amour envers toi fut ma plus grande offense : Je vais la réparer en terminant mes jours. C’est donc trop peu des maux qui remplissent ma vie, Tu veux de ton trépas me rendre le témoin ! Tu cherches à briser la chaîne qui nous lie ; Je veux te délivrer de ce funeste soin. Aux tourments affreux que j’éprouve, Ton inflexible orgueil ne sait point campâtir. À des noeuds que le ciel approuve, Ton injuste rigueur ne veut pas consentir. Ô Medée !     Ô Jason!         Dans ce malheur funeste, Quel autre espoir me reste, Que de te perdre et de mourir ? Quelle vive clarté commence à se répandre ? Quels magiques concerts, ici se font entendre ? L’Amour est présent en ces lieux, Et tout y ressent sa puissance ; Cette clarté des cieux, Ces chants harmonieux ; Tout vous annonce sa présence. Le trouble de mon coeur me l’annonce encor mieux. Cédons, il faut enfin que mon sort s’accomplisse : Si c’est un crime, hélas ! Le ciel en est complice. Divinité des amants, Reçois nos tendres serments. Oui, l’Amour les reçoit ; que le ciel les entende, Que des rapides vents le soufle les répande Jusques au bout de l’univers ; À la célébrité d’une action si grande, J’intéresse le ciel, et la terre, et les mers. Apprends le sort qui te menace Pollux et le fier Telamon, De ta gloire jaloux, vont ravir la Toison. Je cours prévenir leur audace. Arrête ambitieux Jason. De ses pas suivons la trace ; Et s’il faut qu’à mes pleurs il résiste aujourd’hui, Imitons son courage, et mourons avant lui. Où cours-tu malheureux ?         Où la gloire m’appelle. Dis, où la mort t’attend.         La mort me semble belle ; L’honneur, le devoir m’y conduit. Barbare ! Voilà donc le triste et premier fruit Des serments que j’ai faits, du beau noeud qui nous lie ! L’instant qui nous unit, va donc nous séparer ! Ingrat ! Tu n’as voulu me consacrer ta vie, Que pour me la faire pleurer. Mais quel bruit, tout-à-coup, vient de se faire entendre ? À ce signal, Médée, il faut me rendre. Tu n’iras point ; non, les Dieux ennemis Ne t’ont pas pour Médée, inspiré tant de haine ; Leur rigueur inhumaine Ne t’a pas commandé des forfaits inouis. Les périls où tu cours, mon art les a produits : Si tu suis les projets où ta fureur te guide, Tu me rends, de tes jours, la barbare homicide. Condamne un juste effroi, Ose me reprocher des alarmes trop vives. Que me demandes-tu, cruelle ?         Que tu vives. Indigne de la Grèce, et du jour, et de toi ? Dieux ! Soutenez ma force qui chancelle. Ce bruit a ranimé mon courage expirant. L’as-tu bien entendu, ce signal éclatant ? C’est la victoire qui m’appelle ; Médée, en l’écoutant, Prends une âme nouvelle D’un destin plus noble et plus grand, Conçois l’espérance immortelle. Je tombe à tes genoux, et les baigne de pleurs. Non, je n’en croirai point tes honteuses douleurs ; Je saurai te servir en dépit de toi-même, En illustrant mon nom, illustrer ta beauté, Et me montrer aux yeux de l’épouse que j’aime, Tout rayonnant des feux de l’immortalité. Jason !... Que sert, hélas ! Que ma voix gémissante Le suive au fond de ces déserts ? Il n’entend point mes cris, sourd aux voeux d’une amante. Mais déjà les taureaux, de leur bouche fumante, Ont vomi le feu des enfers ; L’intrépide Jason devant eux se présente ; Il va périr.... Arrêtez-vous, Monstres qu’à créés ma puissance, Respectez mon amant, respectez mon époux ; Devant son bras vainqueur, demeurez sans défense... Livrez-lui le trésor dont il fut trop jaloux ; Et vous que j’ai commis à la garde fidèle D’une dépouille, et si riche, et si belle, Hécate, Némésis, Cerbère, Phlégéton Vous me répondez tous du salut de Jason. Qu’ai-je dit ? Qu’ai-je fait et que devient mon père ? Mon père !... Je le vois, c’en est fait, je me meurs. Ma fille, tu prévois le plus grand des malheurs ; Ton amant va périr : dans ta douleur amère, Il reste au moins, à ton coeur abattu, Deux recours consolant, ton père, et ta vertu. Terre ! Ô terre ! Ouvre-moi ton plus profond abîme ; Dieux ! Mon père applaudit aux vertus de mon coeur. Viens...         Sa voix est pour moi celle d’un Dieu vengeur ; Et son amour trompé me punit de mon crime. Calme tes sens troublés.         Fuyons de cette Cour ; Quittons cet horrible séjour : Aux yeux de vos sujets gardez vous de paraître ; Ils frémiraient de voir la honte de leur maître. Qu’entends-je ? Quel discours !... Mais le ciel s’obscurcit, La terre sous mes pas, et s’ébranle, et mugit. Craignez-vous d’expliquer ce terrible présage ? Mon silence, mes cris, ma douleur, et ma rage, Et le ciel, et l’enfer tout parle, tout vous dit Que votre fille vous trahit : Du salut de l’empire, elle a Iivré le gage. Toi ! Ma fille.         Fuyons, les moments nous sont chers ; Cherchons les plus lointains déserts. Où veux-tu m’entraîner, effroyable furie ? Oui, mon crime est affreux ; mais mon remord l’expie. Contemple tous les maux qu’a causés ta fureur : Ces marbres sont brisés, ces tombes se renversent ; Des Princes, tes aïeux, les cendres se dispersent ; La nature en désordre, accuse tes forfaits : Tu veux ma mort, je la désire ; J’ensevelis ma honte et mes regrets, Sous les débris de mon empire. Ciel !         Jason, des enfers, est demeuré vainqueur. Mon père !         Célébrons ce héros magnanime. Ces chants révoltent ma douleur. Hélas ! Leur triomphe est mon crime. Jason, tranquille et désarmé, Vers un objet aimé, Que l’Amour te serve de guide. Je te suis, mon père, et descends Par les chemins sanglants, Que t’ouvrit mon bras parricide. Que fais-tu ? Jusques-là pourrais-tu me haïr ? D’un forfait odieux, laisse-moi me punir. Jason, à ton bonheur ma puissance préside ; Que ton vaisseau s’apprête à voguer sur les flots ; Bientôt j’y conduirai ton amante chérie : Qu’elle fuie avec toi, compagne d’un héros Qui doit lui tenir lieu de père et de patrie. Puisse-t-elle, pour ton repos, Être aussi chère à ta tendresse, Dans les champs fortunés de la riante Grèce, Qu’au milieu des rochers de l’aride Colchos. J’obéis à ta voix, et vole au sein de l’onde. Volons au sein de l’onde, Et remplissons le monde Du bruit de nos exploits ; Que l’univers apprenne, Qu’aux ordres de l’Amour, à sa voix souveraine, Le Phase a vu tomber le trône de ses Rois.