En vain à cét appas vous voulez que je cede, C’est redoubler mon mal que m’offrir ce remede, Et le croire l’effet d’un chagrin bien leger, Si par l’éclat d’un Trône on peut le soulager. Quoy qu’aux plus vertueux la Couronne soit chere, J’aime à la voir briller sur la teste d’un Pere, Et l’orgueil de mes vœux ne s’est jamais porté Jusqu’à ce grand partage où panche sa bonté. De quel front accepter les droits du Diadême, Si je n’ay pas appris à regner sur moy-mesme, Et par quelle aspre soif du vain tiltre de Roy Prendre un Empire ailleurs que je n’ay pas sur moy ? Non, non, l’avidité de cette independance Ne m’en a point encor laissé voir l’esperance, Et quoy qu’elle fust juste au rang où je suis né, Je puis vivre content sans estre couronné. Seigneur, chacun connoit avec quel avantage Une entiere vertu regle vostre courage, Et trop de grands effets l’exposent à nos yeux Pour laisser croire en vous un Prince ambitieux ; Mais le Roy, que poursuit l’impatiente envie De rendre ce grand jour le plus beau de sa vie, Languira dans ses vœux, si pour les voir remplis Espousant Stratonice il ne couronne un Fils ; L’excez de son amour pour cette belle Reyne Veut tout ce qu’a d’éclat la grandeur Souveraine, Et croit mal seconder la gloire de son choix S’il ne la place au Trône au milieu de deux Roys. Souffrez donc que par là d’un auguste Hymenée Nous voyions avec pompe éclater la journée, Et que de tans d’apprests qui marquent sa grandeur Vostre Couronnement augmente la splendeur. L’éclat qui le suivroit n’a rien qui m’ebloüisse, Je sçay que Seleucus adore Stratonice, Qu’il ne vit que pour elle, et que jamais l’Amour Ne prit tant d’interest aux pompes d’un grand jour ; Mais lors qu’il luy consacre une ardeur toute pure, Sa bonté pour un Fils vers elle est une injure, Puisque par ce partage il la prive des droits D’étendre jusqu’à moy la gloire de ses loix ; Ainsi, mon cher Tigrane, à quoy qu’il se prépare, Il faut que mon refus pour elle se declare, Et mette un prompt obstacle à l’injuste projet Qui pour me couronner lui dérobe un Sujet. Seigneur, quand sous vos loix il met la Phenicie, Seleucus regne encor sur toute la Syrie, Et croit que plus d’éclat suit le don de sa foy S’il lui soûmet en vous les hommages d’un Roy ; Mais si de ce refus vous vous trouvez capable, C’est l’effet du chagrin dont l’excez vous accable. Déjà depuis long-temps une morne langueur Estale dans vos yeux l’ennuy de vostre cœur ; Rien n’en sçauroit forcer l’abatement funeste, La seule solitude est le bien qui vous reste, Et tout ce que jamais la Cour eut de plus doux Semble n’estre que gesne, et supplice pour vous. Chacun surpris de voir ce changement extréme… Helas ! Tigrane, helas ! j’en suis surpris moy-mesme, Et de ce noir chagrin les accez languissants Accablent ma raison, et confondent mes sens. En vain tout mon courage à leur trouble s’oppose, Plus j’en ressents l’effet, moins j’en trouve la cause, Et pour la découvrir, rien ne s’offre à mes yeux Que l’Astre qui nous force, ou le couroux des Dieux. Quoy, d’un Astre ennemy la dure violence… Ouy, Tigrane, aujourd’huy croyez-en mon silence. Si quelque ennuy secret me faisoit soûpirer, Pourrois-je si long-temps vous le voir ignorer, A vous dont l’amitié me fut toûjours si chere, Qu’il n’est rien que la mienne ait encor pû vous taire ; A vous à qui l’Estat par vos soins conservé Doit avec moy le jour que vous m’avez sauvé ? C’est trop vous souvenir d’un si foible service Quand par vous la Princesse à ma flame est propice, J’aimois, et ma raison condamnant mes desirs, Un respect trop severe estouffoit mes soûpirs. Niepce de Seleucus, et Fille de son Frere, Le rang d’Arsinoé les forçoit à se taire. Vous avez auprés d’elle authorisé mes vœux, Tiré le doux adveu qui doit me rendre heureux, Et les plus grands exploits que mon zele imagine Sont au dessous du prix que le Roy me destine ; Mais, Seigneur, si j’osois dans un estat si doux, Lors que je vous dois tout, me plaindre un peu de vous, Je dirois qu’en secret cette humeur sombre et noire Suspendant mon bonheur met obstacle à ma gloire ; D’un jour grand et fameux les superbes apprests Sont pour le reculer des pretextes secrets, Et la pompe qui manque à l’Hymen d’une Reine, C’est d’un mal inconnu la guerison certaine. Le Roy qu’alarme en vous un sort trop rigoureux, Si vous n’estes content, refuse d’estre heureux, Et comme un mesme jour également propice Doit m’approchant du Trône y placer Stratonice, Mes vœux les plus pressants en vain l’osent haster Quand vostre inquietude y semble resister Et c’est aussi par là que mon ame abatuë Se livre toute entiere au chagrin qui me tuë, J’en souffre d’autant plus que le bonheur du Roy Dépend de l’Hymen seul qu’il differe pour moy. Puisqu’enfin jusques là sa bonté l’inquiete, Voyez le pour luy faire agréer ma retraite. Peut-estre un mois ou deux dans un autre sejour Me rendront le repos que je pers à la Cour, Sa pompe m’embarasse, et mon inquietude Pour calmer ses transports veut de la solitude, C’est un bien que vos soins me peuvent obtenir. Moy, Seigneur, de la Cour chercher à vous bannir ? Ce volontaire exil que mon chagrin m’impose A droit seul de calmer la peine qu’il me cause, Icy tout m’importune, et le trouble où je suis Dans le bonheur d’autruy trouve un surcroist d’ennuis; Je m’en hay, mais mon cœur, quelques soins que j’emploie, Repousse malgré moy tous les sujets de joie, Je languis, je soûpire, et je ne sçay pourquoy ; Tigrane, encor un coup allez trouver le Roy, Et d’une Feste Auguste où seul je mets obstacle, Par mon éloignement pressez l’heureux spectacle. Mais, Seigneur, ce dessein…         Rien ne peut l’ébranler, C’est me servir enfin que d’oser luy parler, D’un Roy qui vous cherit craignez-vous la colere ? Mes vœux les plus ardents n’aspirent qu’à vous plaire , Et vostre seul desir servant de regle au mien, Je parleray, Seigneur, mais je n’obtiendray rien. Suy le juste projet où l’honneur te convie, Fuy de ces tristes lieux, ou plustost de la vie, Ingrat Antiochus, et du moins par ta mort Tâche de rachepter la honte de ton sort. Aussi-bien cét exil, où ton chagrin aspire, De tes sens revoltez te rendra- t’il l’empire ? Y crois-tu de ta flame écouter moins l’ardeur, Et pour changer de lieux, changeras-tu de cœur ? Non, non, ce cœur en vain croit vaincre sa foiblesse, Son destin est d’aimer, il aimera sans cesse, Et quoy que ta raison offre à le secourir, Il cherit trop son mal pour en vouloir guerir. Ah, lâche ! à quel orgueil ta passion t’entraine ! Porter insolemment tes vœux jusqu’à la Reyne, Adorer Stratonice, et violer la foy Qu’un Fils doit à son Pere, un Sujet à son Roy ! La sienne estant déja l’heureux prix de sa flame, Par ce gage receu n’est-elle pas sa femme, Et pour bannir un feu que tu nourris en vain, Faut-il attendre, helas ! qu’elle ait donné sa main ? Songe, songe à l’horreur de ce secret murmure Qu’à tes vœux insenses oppose la Nature, Et voy de ton amour les transports odieux Blesser également les hommes et les Dieux. Par ce fatal Portrait dont la perte t’accable Ces Dieux semblent t’offrir un secours favorable, Il nourrissoit ta flame, il en flatoit l’ardeur, Ce qui charmoit tes yeux se gravoit dans ton cœur, Et lors qu’à mille soins ce Portrait te convie, Tu pers en le perdant le seul bien de ta vie. Mais las ! en d’autres mains que sert qu’il soit passé, Si de ce triste cœur il n’est pas effacé ? J’y vois, j’y vois toûjours une adorable Reine Augmenter mon amour, et redoubler ma peine, J’observe avec plaisir ces merveilleux accords Des charmes de l’esprit, et des graces du corps ; Et sans cesse y trouvant mille sujets d’estime, Cette mesme raison qui m’en faisoit un crime, Contrainte de ceder à des traits si puissants, Se range contre moy du party de mes sens. Aimons-donc, puisqu’enfin c’est un mal necessaire, Mais aimons seulement pour souffrir et nous taire, Et cherchons dans l’exil qui seul est mon recours, La fin de cét amour par celle de mes jours. Là mon dernier soûpir poussé pour Stratonice D’un feu si criminel bornera l’injustice, Et mon secret caché justifiant ma foy Me rendra … mais ô Dieux ! c’est elle que je voy. Dans quel trouble me jette une si chere veuë ! Ma raison se confond, mon ame en est émeuë, Fuyons, ce seul moyen m’épargne le soucy … Quoy, Prince, c’est donc moy qui vous chasse d’ici ? Si vous fuir blesse en vous l’honneur du Diadême, On peut le pardonner à qui se fuit soy-mesme ; Jugez si de mes maux je puis venir à bout, Je tasche de me perdre, et me trouve par tout. Si vous trouver par tout est pour vous un supplice, Prince, resolvez-vous à vous rendre justice ; Et quoy que pour vos sens le chagrin ait d’appas, Vous vous consolerez de ne vous perdre pas. C’est par où ma raison redouble ses alarmes, L’habitude au chagrin y fait trouver des charmes, Et j’apprehende bien de ne guerir jamais D’un mal où malgré moy je sens que je me plais. Si vous vous y plaisez, vous estes moins à plaindre Que ceux à qui pour vous sa rigueur donne à craindre, Il leur oste un repos qu’il vous laisse acquerir. Helas ! est-ce estre heureux que se plaire à souffrir ? Un mal n’est-il plus mal s’il flate en apparence, Et pour nous estre cher perd-il sa violence ? Non, non, ses traits pour nous sont d’autant plus perçans Que pour surprendre l’ame, il abuse les sens ; Qu’à peine il nous fait prendre un chagrin volontaire Qu’un Astre imperieux nous le rend necessaire, Et force un cœur seduit par cette trahison Au refus du secours que preste la raison. Du mal pour qui le cœur à la raison s’oppose Le charme est dans l’effet beaucoup moins qu’en la cause, Et pour voir quel remede on y peut appliquer, Qui la connoist si bien la devroit expliquer. Triste,  confus, resveur, si ce mal peut me plaire, C’est sans sçavoir pourquoy la peine m’en est chere, Et quand un pareil trouble embarasse l’esprit, Qui sçait mal ce qu’il sent sçait bien peu ce qu’il dit. Le Roy trop vivement partage vostre peine, Pour ne pas faire efforts…         C’est-là ce qui me gesne, Son déplaisir m’accable, et comme un noir destin Par l’éclat de la Cour redoute mon chagrin, Je croy pour quelque temps qu’il luy sera moins rude De souffrir ma retraite en quelque solitude. Voilà ce qu’aujourd’huy je luy fais demander, Pour tirer son adveu daignez me seconder, Madame, et par vos soins …         Quoy, Prince, dois-je croire Qu’en secret ce chagrin porte envie à ma gloire, Et que dans vostre cœur un mouvement jaloux, Lors qu’on m’appelle au Trône…         Ah, que me dites- vous ? Qu’à l’ardeur de mes vœux le juste Ciel réponde, Et vous estes soudain la Maistresse du Monde ; Si le Sceptre en est beau, quoy que vous presumiez, Qu’il le mette en mes mains, je le mets à vos pieds. Dans ce degré pompeux, loin que l’éclat m’en gesne, Je ne veux qu’adorer, voir, et servir ma Reine, Elle seule en est digne, et pour mieux l’élever… Mais Dieux !         Vous avez lieu de ne pas achever, Et le trouble sur vous peut prendre quelque empire, Quand la civilité vous engage à trop dire. Pourquoy de ce reproche affecter la rigueur ? Ma bouche ne dit rien sans l’adveu de mon cœur, Et ce brillant amas de vertus et de charmes… Madame, et de mon mal le Roy prend trop d’alarmes, Proposez ma retraite, et de grace, obtenez… Prince, je monte au Trône, et vous m’abandonnez ! Fuir d’en estre témoin est-ce cherir ma gloire ? Ah, si vous connoissiez tout ce qu’il en faut croire… Adieu, Madame, adieu, dans le trouble où je suis, Penser, fuir, et me taire, est tout ce que je puis. Ou j’ay peu de lumiere, ou le Prince, Madame, Cherche à cacher un mal dont la source est dans l’ame. Tandis qu’il vous parloit, ses timides regards, S’il rencontroit vos yeux, erroient de toutes parts, Languissant, interdit, plein d’un desordre extréme, Si j’osois m’expliquer, je dirois qu’il vous aime, Et que par tant d’appas s’estant laissé charmer… Quoy, Phenice, tu crois qu’il me pourroit aimer ? Je crains de dire trop, mais s’il faut ne rien taire, Je croy qu’il le pourroit, et ne pas vous déplaire ; De l’air dont vous parlez, c’est sans trop de couroux… Phenice, qu’as tu dit ?         Mais que me dites- vous ? Que te peut dire une ame estonnée, abatuë, Qui dans ce qu’elle doit voit tout ce qui la tuë, Et qui de son devoir redoublant les efforts, Plustost que le trahir, souffrira mille morts ? Ouy, Seleucus, Phenice, aura ce qu’il espere, Il a receu ma foy dans la Cour de mon Pere, Par là je suis sa Femme, et mon malheur en vain Fait trembler ma constance à luy donner ma main. Quand le bien de l’Estat conclut cét hymenée, Pourquoy deslors, helas ! ne fut-elle donnée ? Falloit-il pour la pompe en voir le jour remis, Et me laisser le temps de connoistre son Fils ? Tandis que Seleucus de retour en Syrie Songe aux apprets d’un sort qui va m’oster la vie, Le Prince Antiochus chez mon Pere à son tour En superbe appareil vient charmer nostre cour. Attendant qu’en ces lieux il doive me conduire, Mon repos à le voir commence à se destruire, L’air galant, l’ame noble, un courage élevé, Tout ce qui marque enfin un Heros achevé, Aux Courses, aux Tournois, pour luy toute la gloire, Son adresse par tout sçait traisner la victoire, Et je sens malgré moy que sans cesse vainqueur, En emportant le prix, il emporte mon cœur. Antiochus sans doute a tout ce qui doit plaire, Mais déjà vostre main estoit deuë à son Pere, Et lors que vostre cœur se sentit enflamer… Helas ! sçait-on qu’on aime en commençant d’aimer, Et l’Amour qui d’un cœur cherche à se rendre maistre, Tant qu’on peut resister, se laisse- t’il connoistre ? Non, non, et mon malheur aujourd’huy me l’apprend, C’est en se déguisant que l’Amour nous surprend. Avant qu’aucun soupçon découvre sa naissance Dans l’ame qu’il attaque il prend intelligence, Et de son feu secret l’industrieux pouvoir S’acquiert des partisans qui l’y font recevoir. D’un tendre et doux panchant l’appas imperceptible La dispose d’abord à se rendre sensible ; Un peu d’émotion qui marque ce qu’elle est Luy rend en vain suspect un trouble qui lui plaist, D’un merite parfait les images pressantes Luy peignent aussi-tost ces douceurs innocentes, Et des sens ebloüis par ce charme trompeur La vertu qu’elle admire authorise l’erreur, Le cœur qu’en ont seduit les flateuses amorces Pour se vaincre en tout temps se répond de ses forces ; Sur l’offre du secours que luy fait la raison Il laisse agir sans crainte un si subtil poison, Il en aime l’appas, il le gouste, il luy cede, C’est assez qu’au besoin il en sçait le remede ; Et quand le mal accreu presse d’y recourir, L’habitude est formée, on n’en peut plus guerir. C’est ainsi que d’abord mon imprudence extréme Me laissa consentir à me trahir moy-mesme, Dedans Antiochus je ne sçay quoi de grand Exigea de mon cœur le tribut qu’il luy rend. Ce cœur trop plein pour luy d’une estime empressée N’en crut ny mon devoir ny ma gloire blessée, J’admirois sans scrupule un Prince si parfait, Je voulois estimer, et j’aimois en effet, Et mon cœur de mes sens negligeant l’artifice Pensoit fuir une erreur dont il estoit complice. Mais de ce triste amour quel peut estre l’espoir ? Phenice, encor un coup, je feray mon devoir, Et quoy qu’Antiochus trouve trop à me plaire, Ma main suivra ma foy, je suis toute à son Pere ; Mais enfin je voudrois pouvoir croire aujourd’huy Qu’il ressentist pour moy ce que je sens pour luy ; Que le mesme panchant dont la force m’entraisne Par mon funeste Hymen luy donnast mesme gesne ; Que tremblant d’un devoir où je ne puis manquer, Il voulust me le dire, et n’osast s’expliquer ; Que sa fiere douleur par le respect contrainte A ses confus soûpirs abandonnast sa plainte, Et l’étoufast d’un air, qui dans ces durs combats Me laissast deviner ce qu’il ne diroit pas. Madame, tout est prest, et la Syrie en peine De rendre promptement son hommage à sa Reyne, N’attend plus que demain pour voir selon ses vœux, Et Stratonice au Trône, et Seleucus heureux : Un seul trouble s’oppose au comble de ma joye, Toûjours à ses chagrins je voy le Prince en proye, Et ne pouvant les vaincre, il tasche obstinement A m’arracher l’adveu de son éloignement. J’ay sans doute à rougir dans l’amour qui m’enflame, Que d’autres interests puissent trop sur mon ame ; Mais peut-estre ce Fils a-t’il des qualitez A rendre son malheur digne de vos bontez, J’implore leur secours, empeschez qu’il nous quitte, Si j’ay trop de tendresse, il a quelque merite, Et je vous devray tout, si rompant son dessein Vous obtenez qu’au Trône il vous preste la main Quel que soit vostre amour, il me feroit injure, Seigneur, s’il estoufoit la voix de la Nature, Et vous avoit seduit jusqu’à vous détacher Des soins où vous oblige un interest si cher. Jamais dans un destin à nos voeux si contraire Pour un Fils plus illustre on n’a veu craindre un Pere ; Mais en vain nos souhaits hastent la guerison Des inquiets transports qui troublent sa raison. Tandis qu’aupres de vous vous voulez qu’on l’arréte, Il m’employe à vous faire agréer sa retraite, Et l’éclat des apprets qu’étale vostre Cour, Blesse autant son chagrin qu’il flate vostre amour. Qu’esperer donc, Madame, et quel Dieu favorable Luy rendra le repos dont la perte m’accable ? Comme sur ses pareils l’ambition peut tout, Par là de ses ennuis j’ay crû venir à bout : Quand ma main vous appelle au Trône de Syrie, J’aime à luy voir remplir celuy de Phenicie, Et pense que sur luy dans un chagrin si noir La douceur de regner aura quelque pouvoir ; Mais bien loin qu’à ce charme il se montre sensible, Tigrane m’en rapporte un refus invincible, Et ne découvre rien qui puisse m’eclaircir D’un mal que tous nos soins ne peuvent adoucir. C’est par là que j’en voy la suite plus à craindre, Quoy que souffre le Prince, on ne peut que le plaindre, Et l’amour paternel vous fait en vain chercher Par où guerir un mal qu’il se plaist à cacher. J’ay déja fait effort pour vaincre son silence, Mais je l’ay veu s’aigrir par cette violence, Et craignant d’oser trop…         Ah, tout vous est permis, Et vous seule avez droit de me rendre mon fils. Vos soins y peuvent tout, employez-les, de grace, A détourner un sort dont l’horreur nous menace, Et pour lire en son cœur malgré son noir destin, Contraignez-vous encor à flater son chagrin. Quand vous le presserez, peut-estre aura-t’il peine A ne pas expliquer le trouble qui le gesne ; Sur tout, arrachez-luy ce dessein de partir, Madame, c’est à quoy je ne puis consentir. Tandis que vos bontes en rompront l’injustice, J’iray presser le Ciel de nous estre propice, Et par des vœux soûmis desarmant son couroux, Luy demander pour luy ce que j’attens de vous. Quoy, lors que sa langueur va jusques à l’extréme, Le trouble qui la suit fait connoistre qu’il aime ? Oüy, Barsine, et le Prince a beau se déguiser, L’amour seul à ce trouble a droit de l’exposer, Dans son cœur malgré luy mes soupçons me font lire. Ce peut-estre pour vous qu’Antiochus soûpire, Et par là, quoy qu’il cache, il vous seroit aisé De connoistre le mal que vous auriez causé . Tu crois qu’il m’aimeroit, luy dont l’ardent suffrage A des vœux de Tigrane authorisé l’hommage, Me l’a fait agréer, et sur l’adveu du Roy Asseure à son amour et mon cœur et ma foy ? Peu voudroient d’un Rival favoriser la flame, Mais, Madame, il n’est rien que n’ose une grande ame, Et Tigrane à son Prince ayant sauvé le jour, Tout me devient suspect quand il sert son amour. Pour triompher du sien, le forcer au silence, L’amitié s’est pû joindre à la reconnaissance, Et quoy qu’il se contraigne à soûpirer tout bas, L’excez de son chagrin ne le trahit- il pas ? Peut-il mieux expliquer qu’il cede ce qu’il aime ? C’est ce cruel effort qui l’arrache à luy- mesme, Mais lors qu’il se soûmet à cette affreuse loy, La Reyne en ce qu’il souffre a plus de part que moy. Stratonice ?     Elle mesme.         Et vous le pouvez croire Dans le peu d’interest qu’il montre pour sa gloire ? Quand chacun à l’envy s’y fait voir empressé Du plus foible devoir il se croit dispensé, Jamais il ne luy parle, et la fuyant sans cesse … S’il l’a fuit, ce n’est pas son chagrin qui l’en presse, Il fuit, il craint des yeux trop sçavans à charmer, Et craindre un bel objet, Barsine, c’est l’aimer. Quoy, c’est-là de sa flame une preuve certaine ? Non, mais enfin j’en croy ce Portrait de la Reyne, Qui trouvé sur mes pas me laisse peu douter D’un feu que son respect empesche d’éclater. Depuis que le hazard m’en fait depositaire Sa perte est un malheur dont on aime à se taire, Et pour le recouvrer, tout autre qu’un Amant, N’ayant rien à cacher, s’en plaindroit hautement. Elle tire une boëte de Portrait qu’elle montre à Barsine. Voy de nouveau, Barsine, avec quel avantage Ce qui doit l’enfermer estale son ouvrage, Admire tout autour quels pompeux ornements Luy fournit à l’envy l’éclat des diamants : Tant de profusion, comme elle est peu commune, Marque en qui la peut faire une haute fortune, Et la Boëte est d’un prix qui ne fait que trop voir Qu’un Prince à l’enrichir a montré son pouvoir ; Outre que je la trouve en ce lieu solitaire Où l’on voit chaque jour Antiochus se plaire, Sous ces Arbres toufus dont l’agreable frais Pour qui cherche à resver a de si doux attraits, Croy moy, de mes soupçons la preuve est convaincante. S’ils ne vous trompent point, la disgrace est touchante, Car c’en est une enfin sous qui trembler d’effroy D’estre Rival ensemble, et d’un Pere, et d’un Roy, Mais d’un Roy qui d’ailleurs adore Stratonice. Il faut que cét amour aujourd’huy s’eclaircisse, Cette Boëte y peut tout, et pour m’en assurer Aux yeux d’Antiochus je n’ay qu’à m’en parer. De son trouble à la voir penses-tu qu’il soit maistre ? Le feu qu’il tient caché par là se peut connoistre, Mais n’oubliez-vous point ce que vous avez fait, Que par vous cette Boëte a changé de Portrait ? Pour celuy de la Reine elle enferme le vostre. C’est exprés que le mien tient la place de l’autre. A moins qu’un tel échange aidast à m’éclaircir, En vain par cét effay j’y croirois reussir. Le Prince auroit sur soy peut-estre assez d’empire Pour ne rien laisser voir de ce qu’il n’ose dire, Et sur quelque pretexte il pourroit trouver jour A reprendre un Portrait si cher à son amour ; Au lieu que par la Boëte ayant un seul indice Que je garde en mes mains celuy de Stratonice, L’ardeur de retirer ce depost precieux Luy fera découvrir ce qu’il cache le mieux, Ou s’il peut me laisser en quelque incertitude, Du moins je joüiray de son inquietude, Il parlera par elle, et quand …Mais je le voy, Pour le contraindre moins, Barsine, éloigne-toy. Seigneur, est-il possible, et pourra-t’on le croire, Que vous mesme ayez mis obstacle à vostre gloire, Et que lors que le Roy cherche à vous couronner Vostre adveu pour un Trône ait peine à se donner ? L’éclat du nouveau rang qui d’une pompe insigne… Sa bonté l’a surpris quand il m’en a crû digne, Mais mon zele à ses soins auroit mal répondu Si j’avois accepté ce qui ne m’est pas deu, Je suis né son Sujet, et fais gloire de l’estre. Dites que de vos sens le chagrin est le maistre, Et que tout vostre cœur s’en laissant accabler, Ce qui doit l’adoucir sert à le redoubler. Il est vray qu’il m’emporte, et qu’en vain mon adresse S’efforce de bannir ou cacher ma foiblesse, Malgré moy je luy cede, et son subtil poison D’une vapeur maligne infecte ma raison, Sans cesse s’abysme, et son trouble …de grace, Faites …         Et bien, Seigneur, que faut-il que je fasse ? Vous ne dites plus rien, et tout à coup vos yeux… J’examine un travail et riche et curieux, Et trouve en cette Boëte un chef-d’œuvre si rare Qu’il semble en l’admirant que mon esprit s’égare, La façon est nouvelle, et j’en estime l’art. Toute riche qu’elle est, je la tiens du Hasard. Quoy, Madame, en vos mains le Hasard l’a remise ? Oüy, Seigneur, et c’est là ce qui fait ma surprise, Que qui pour l’enrichir n’a rien fait épargner, Puisse en souffrir la perte, et n’en rien témoigner. J’admire comme vous qu’on la tienne secrete, Mais, Madame, attendant qu’on sçache qui l’a faite, Souffrez que j’en joüisse, et tâche à profiter De ce qu’en ce modele on peut faire imiter. Pour un travail charmant dont la garde m’est chere Un ouvrage pareil me seroit necessaire, Et je ne sçaurois mieux en regler le projet… J’estimois ce depost, et j’en avois sujet, Mais je vous l’abandonne, et ne veux pour partage Que reprendre un Portrait…         Ah, c’est me faire outrage, En me le confiant ne craignez rien pour luy, Et souffrez que sa veuë amuse mon ennuy, La Peinture eut toûjours dequoy me satisfaire. Si j’en croy ce qu’on dit, celle-cy doit vous plaire, Et comme enfin, Seigneur, vous vous y connoissez, Dites-moy d’un coup d’œil ce que vous en pensez, Les traits en sont hardis, et la main…         Non, Madame, Déja la resverie occupe trop mon ame, Et du moins devant vous c’est à moy d’éviter Tout ce que je prévoy qui pourroit l’augmenter, Du Peintre en ce Portrait examinant l’adresse J’oublierois malgré moy…         Seigneur, je vous le laisse, . Quoy que sur ce travail j’aye à vous consulter, La Reyne qui paroist m’oblige à vous quitter. Et bien, Madame, enfin le Roy me fait-il grace ? Consent-il au destin dont la rigueur me chasse, Et que loin de la Cour je tâche à retrouver La douceur du repos dont je me sens priver ? Seigneur, pour vous le rendre esperez tout d’un Pere, Il n’est rien qu’à son Fils sa tendresse prefere, Mais c’est trop vous flater de croire qu’aisément Il donne son adveu pour vostre éloignement. Ce dessein l’epouvante, en parler c’est un crime. Il faut donc qu’en mes maux sans cesse je m’abysme Que sans cesse une triste et mortelle langueur… Tout le monde avec vous partage sa rigueur, Mais quand pour l’adoucir vous cherchez la retraite, La Cour n’a-t’elle rien dont l’éclat vous arréte ? N’y voyez-vous par tout qu’Objets à dédaigner ? Ah, ce n’est pas par là qu’il m’en faut éloigner. S’il est rien dont l’appas ou me flate, ou m’attire, C’est-là que je le vois, c’est là que je l’admire, Et l’Univers entier n’a rien d’un si haut prix Qui vaille les douceurs dont je m’y sens surpris ; Mais dans le trouble obscur de mon ame abatuë, Mon bonheur fait mon mal, ce qui me plaist, me tuë, Et mon chagrin funeste a l’art d’empoisonner Tous les biens que le Ciel cherche à m’abandonner. Quoy ? toûjours ce chagrin sans m’en dire la cause ? J’avois creu que sur vous je pouvois quelque chose, Mais…         Si dans ce pouvoir vous trouvez quelque appas, Il ne va que trop loin, ne vous en plaignez pas. Vous me cachez vos maux, et je pourrois vous croire ? Mais, Madame, songez qu’il y va de ma gloire, Et que je la trahis si j’ose découvrir Ce qu’en vain ma raison a tasché de guerir. Quoy que pour un grand cœur la raison ait d’amorces, Où la passion regne elle reste sans forces, Et sur tout ses conseils font peu d’impression Quand le mal naist d’amour, ou vient d’ambition. Ah, pour l’ambition j’en crains peu la surprise, Plus je suis prés du Trône, et plus je le méprise, Et lors qu’on vous y place, il me seroit moins doux D’aller donner des loix que d’en prendre de vous. Cet illustre mépris sied bien aux grands courage, Mais chaque passion excite ses orages, Et tel qu’un plus haut rang ne peut inquieter, Aux troubles de l’amour a peine à resister. Helas !     Vous soûpirez !         Il est vray, je soûpire, Et dis peut-estre plus que je n’ay crû vous dire ; Mais si j’explique trop ce qu’en vain je combats, Songez que c’est à vous à ne m’entendre pas. Quoy, Prince ? il se peut donc que l’amour…         Ah, Madame, Vous avez arraché ce secret de mon ame, Et quand rien sur ce point ne pouvait m’ébranler, Vous blasmiez mon silence, il a falu parler ; Mais ne pretendez point pour finir mon martyre Que j’accepte l’oubly que vous m’allez prescrire, Et que ma passion puisse prendre la loy Du pouvoir absolu que vous avez sur moy. Avec toute l’ardeur dont un cœur soit capable J’aime ce que jamais on vit de plus aimable, Et trouveray toûjours un sort bien moins amer A mourir en aimant, qu’à vivre sans aimer. Quoy que de mes conseils vostre amour semble craindre, J’en croy le feu trop beau pour le vouloir éteindre ; Mais je ne comprens point quel bizarre pouvoir Le forçant au silence arme son desespoir. Outre qu’en vain sans cesse on veut qu’il se contraigne, Vous n’estes pas d’un rang qu’aisément on dédaigne, Ou si rien en aimant ne vous peut secourir , Du moins on plaint un mal qu’on ne sçauroit guerir. Non, non, à mon destin le Ciel veut que je cede, Madame, il faut mourir, mon mal est sans remede ; Ce n’est pas qu’en effet la douceur d’estre plaint Ne soulageast les maux dont mon cœur est atteint ; Mais pour flatter le trouble où leur rigueur m’expose, Il faudroit estre plaint de celle qui les cause, Et dans l’obstacle affreux qui s’offre à respecter, C’est estre criminel que de le souhaiter. J’ignore quel obstacle elle vous montre à craindre ; Mais pour vous soulager s’il ne faut que vous plaindre, Quelque austere vertu qui la force d’agir, C’est un bien qu’elle peut accorder sans rougir. Pour moy, si sur son cœur, quand elle a tout le vostre, Je puis…         Vous y pouvez sans doute plus qu’une autre, Et si je me souffrois l’espoir d’un bien si doux, Mon amour ne voudroit l’attendre que de vous, Mais si-tost que j’aurois…Je sçay trop que ma flame… Et bien Prince, achevez.         N’en parlons plus, Madame, J’oubliois un devoir que mon respect soûtient, Je m’allois égarer, mais ma raison revient, Et tant qu’un coup fatal borne enfin ma misere, Je voy qu’il faut languir, soûpirer, et me taire. Pour vous en pouvoir croire, il faut qu’auparavant… Madame, au nom des Dieux n’allez pas plus avant. Tant que j’aime en secret j’aime avec innocence, Mais enfin je la pers si j’en fais confidence, Et c’est peut-estre assez dans un sort si cruel De vivre malheureux, sans mourir criminel. Aprés ce que sur vous je dois avoir d’empire, Prince, c’est m’outrager que s’en vouloir dédire, Et soupçonner qu’un zéle aussi faux qu’indiscret… Madame, encor un coup laissez- moy mon secret. Vous mesme qui voulez qu’un libre adveu l’exprime, S’il eschape à mon cœur, vous m’en ferez un crime, Et sans voir par quel ordre il l’ose reveler, Vous me demanderez qui m’aura fait parler ; Ne vous exposez point pour vouloir trop connoistre… Vos malheurs sont au point de ne pouvoir s’accroitre, Et quand je n’agirois qu’afin de vous trahir… Enfin vous le voulez, il faut vous obeïr, Mais j’atteste les Dieux, si je romps le silence, Que vostre ordre à mon feu fait cette violence, Et que jusqu’au tombeau sans cette dure loy Ce seroit un secret entre mon cœur et moy. Puisqu’il faut expliquer pour qui ce cœur soûpire , Vous mesme dites-vous ce que je ne puis dire, Ce Portrait trop aimable, et trop propre à charmer Vous montrera l’Objet que je n’ose nommer. Cet excez de respect marque une ame incapable… Et bien, qu’ordonnez-vous d’un Amant déplorable ? A tout son desespoir faut-il l’abondonner, Ou le plaindre d’un sort qu’il n’a pû détourner ? Mais vostre teint se change, et ce front qui s’altere… C’en est fait, je le voy, j’ay deu, j’ay deu me taire, Et l’amour dont je suis l’indispensable loy, Quand j’en nomme l’Objet, est un crime pour moy . Vostre choix me surprend, et quelque haut merite Que cet amour se peigne en l’Objet qui l’excite… Ah ! si par le merite il pouvoit s’excuser, Qui n’approuveroit pas ce qu’il me fait oser ? A l’orgueil de mes vœux ne faites point de grace, Mais épargnez l’objet qui les force à l’audace, Jamais rien de si beau ne parut sous les Cieux, Jamais rien de si vif ne sceut charmer nos yeux, De la Divinité c’est l’image visible, Pour ne l’adorer pas il faut estre insensible, Et quand ce libre adveu presse vostre couroux, Le malheur est pour moy, mais le crime est de vous . Quoy que prest d’expirer sous l’horreur du silence, J’ay voulu de mon feu cacher la violence, J’ay voulu déguiser à quels charmes soûmis… Pourquoy ce long silence à qui tout est permis ? Je dois à ce Portrait l’adveu de vostre flame , Et sur ce qu’il m’apprend …         Rendez- le moy, Madame, Mon Amour le demande, et dans son desespoir… Ce n’est pas de ma main qu’il doit le recevoir. Quoy, me le refuser ! O rigueur impreveuë ! Et bien, privez mes yeux d’une si chere veuë, Vous n’empescherez point que gravé dans mon cœur Du beau feu qui m’embrase il n’augmente l’ardeur. C’est-là que malgré vous j’adoreray sans cesse Les traits d’une charmante et divine Princesse, Qu’un hommage secret luy soûmettant ma foy… Prince, adieu, c’en est trop.         Madame, écoutez-moy . Si je ne puis forcer mon amour à se taire, J’ay du sang à répandre, il peut vous satisfaire Je vous l’offre, et mon mal deviendra plus leger… Tigrane qui paroist sçaura le soulager, Comme il peut tout pour vous, vous luy pouvez tout dire. Pour adoucir les maux dont vostre cœur soupire, Seigneur, se pourroit-il que mon zéle et mes soins… Mon chagrin pour resver ne veut point de témoins. Accordez ce relasche à mon ame abatuë. Quoy, vous me déguisez la douleur qui vous tuë ? Et l’amitié, Seigneur, vous y fait consentir ? Je vous l’ay déja dit, Tigrane, il faut partir, C’est tout ce que je sçay.         Je n’ose vous promettre Que le Roy sur ce point vueille rien vous permettre, D’un congé si funeste il condamne l’espoir, Et plein d’impatience il demande à vous voir. Mais si je m’en rapporte à ce qu’a dit la Reyne, Il semble que je puis soulager vostre peine, Et qu’à me l’expliquer vous faisant quelque effort … Voyons le Roy, Tigrane, et laissons faire au Sort. Prince, n’esperez point que jamais je consente A ce cruel depart qui flate vostre attente. S’il faut de vos ennuis partager le tourment J’en prefere la peine à vostre éloignement, De vostre veuë au moins laissez-nous l’avantage ; Mais enfin se peut-il que rien ne vous soulage, Et qu’un Roi qui peut tout, et fait cent Rois jaloux, Avec ce plein pouvoir ne puisse rien pour vous ? Seigneur, je me condamne, et n’ai rien à vous dire, A l’exil qui m’est dû c’est par là que j’aspire, Je rougis de troubler par mon fatal chagrin Le triomphe éclatant de vostre heureux destin, Et pour vous épargner la gesne où vous expose… Vous me l’épargneriez à m’en dire la cause. Qu’avez-vous fait pour moy ? Vous avez veu mon Fils, Madame, et de vos soins je me suis tout promis, Dans le trouble où l’engage un destin trop contraire A-t’il pû vous cacher ce qu’il aime à nous taire ? S’il estoit quelque soin qui le pust adoucir, Les bontez de la Reyne auroient dû reüssir, Mais dans mes sens confus, Seigneur, tel est ce trouble, Que plus on le combat, plus je sens qu’il redouble, Et malgré moy sans cesse interdit, estonné… A d’éternels ennuis il se croit destiné, Mais quel que soit le mal à qui sa raison cede, Peut-estre est-il aisé d’en trouver le remede, Et l’on n’ignore pas où l’on doit recourir Quand on n’a dans un cœur que l’amour à guerir. Quoy, mon fils aimeroit ?         Qu’avez-vous dit, Madame ? Ouy, Seigneur, son chagrin est l’effet de sa flame, Son cœur de son secret obstinément jaloux… Ah, Madame, est-ce là ce que j’ay crû de vous ? N’en rougy point, mon fils ; si l’adveu t’en fait honte, Voi qu’il n’est point de cœur que l’Amour ne surmonte, Et pour authoriser celuy qui t’a surpris, Songe que ton Pere aime avec des cheveux gris. Quelques brulants transports où cette ardeur t’entraine, Puis-je les condamner quand j’adore la Reyne, Et prefere en l’aimant la gloire de ses fers A celle de me voir Maistre de l’Univers ? Aime donc puiqu’enfin aimer n’est pas un crime, Mais aime pour te rendre un secours legitime, Quelque cœur que l’amour te force d’attaquer Pour voir finir tes maux tu n’as qu’à t’expliquer. Seigneur, trop de bonté pour moy vous interesse, J’aime, en vain je voudrois vous cacher ma foiblesse, On vous en a trop dit, mais enfin c’est du temps Que dépend dans mes maux le secours que j’attens, Vaincre ma passion en est le seul remede. A tant d’aveuglement se peut-il qu’elle cede Que dans ce qu’authorise un absolu pouvoir, Tu n’oses luy souffrir la douceur de l’espoir ? Voy dans toute l’Asie, a-t’elle aucune Reyne Qui dédaignast l’honneur d’avoir causé ta peine ? Ou s’il te plaist d’aimer dans un destin plus bas, Pour l’élever à toy choisy qui tu voudras Ma tendresse y consent, et tu n’as rien à taire. Je me vaincray, Seigneur, c’est tout ce qu’il faut faire. Hastez la guérison d’un Amant trop discret, Madame, vous sçavez le reste du secret ? Ouy, Seigneur, et je puis…         Ne dites rien, Madame, Vous n’avez que trop fait d’avoir trahy ma flame, Bornez-la des malheurs qu’on ne peut reparer, Et laissez-moy mourir sans me desesperer. Souffrir que sous l’amour un si grand Prince expire ! Ce Portrait vous dira ce qu’il n’ose vous dire, Seigneur, voyez pour qui son cœur est prevenu. Enfin, l’on sçait mon crime, et tout vous est connu, L’Astre qui m’en a fait un destin necessaire Dérobe à mon respect la gloire de me taire, Et pour comble d’horreur dans un mal si pressant Il ne m’est plus permis de mourir innocent ; C’estoit par là pourtant que je flatois ma peine, Et si j’ay découvert mon secret à la Reyne, J’avois quelque sujet de croire qu’à son tour Elle voudroit m’aider à cacher mon amour. L’adveu qu’elle en a fait demande mon suplice, Ordonnez-le, Seigneur, et vous faites justice, Déja ce que pour vous j’y prenois d’interest Par l’exil que je presse avoit fait mon arrest. O vertu sans exemple ! Ô cœur trop magnanime ! Ne parle point, mon Fils, ny d’exil ny de crime, Quoi qu’oppose à ta flame un scrupuleux devoir, C’est trop, c’est trop long-temps luy deffendre l’espoir, Je répons du succez, aime sans plus rien craindre . Que pour moy jusques-là vous vueillez vous contraindre ! Ah, plustost qu’abuser de vos rares bontez, Puissent croistre ces maux que j’ay trop meritez, Puissent…         Je sçais à quoy ton grand cœur te convie, Tu dois tout à Tigrane, il t’a sauvé la vie, Mais le trouble où t’abysme un long et dur ennuy, Quoi qu’il ait fait pour toy, te rend quite vers luy, Tu n’as que trop payé ce fidelle service. Je crains peu qu’en mon cœur jamais rien l’affoiblisse, Mais pourquoy m’advertir de ce que je lui doy ? Tigrane…         Le voicy, laisse parler ton Roy. Pour arracher ton Prince au tourment qui l’accable, D’un grand et rare effort sens-tu ton cœur capable ? Au prix de tout mon sang j’aspire à le montrer, Seigneur…         Dans ses ennuys on vient de penetrer, Il en cachoit la cause avec un soin extréme, Mais tout est éclaircy, te le diray-je ? Il aime, Et son feu qu’au silence il a toûjours contraint, A causé tous les maux dont tu le vois atteint, Puisque d’Arsinoé dépend son seul remede, Il faut qu’à son amour ton amitié la cede, Et qu’un heureux hymen commence dés demain A luy rendre un repos qu’il attend de sa main. Moi, Seigneur ? La Princesse ! Ah Dieux ! Qu’à l’hymenée, Tigrane…         Son malheur tient ton ame estonnée, Tu crains de luy ravir ce qui plaist à ses yeux, Mais enfin à l’Estat tes jours sont precieux. Quelque atteinte qu’il sente à ce grand coup de foudre, Pour conserver ta vie il sçaura s’y resoudre, Je répons de son zele, et connoy trop sa foy. Vous le pouvez, Seigneur, je dois tout à mon Roy. On s’abuse, Tigrane, et c’est en vain qu’on pense… Allez et trop long-temps tu t’es fait violence, Laisse enfin éclater un amour trop discret, Va voir Arsinoé, je te rends son Portrait, D’un gage si charmant la garde est toûjours chere. Confus, hors de moi-mesme, et contraint de me taire… Dans l’excez du bonheur les sens sont interdits, Enfin je n’ai plus rien à craindre pour mon Fils. Madame, c’est à vous que j’en dois l’avantage, Mais ne dédaignez pas d’achever vostre ouvrage, Et puisqu’à la Princesse il faut tout declarer, Par un premier advis venez-l’y preparer. Madame, se peut-il…         Ouy, perdez vos alarmes, Vos vœux pour la Princesse auront assez de charmes, Et si pour la toucher quelque soin m’est permis, Je vous y serviray comme je l’ay promis. Je ne demande plus d’où partoit le silence Qui de vostre secret m’ostoit la connoissance, Seigneur, il est donc vray qu’un revers trop fatal M’apprestoit la douleur de vous voir mon Rival, De voir tout ce qu’on craint dans un malheur extréme Porter sur mon amour…         Quoy, Tigrane, et vous-mesme Vous croyez que mon cœur pour la Princesse atteint… Ah, ce n’est pas dequoy ma passion se plaint. Arsinoé sans doute a tous les advantages Dont l’éclat puisse plaire aux plus nobles courages. Et comme rien n’échape à qui peut tout charmer, Puisque vous la voyiez, vous avez dû l’aimer ; Je me plains seulement que l’adveu de ma flame Ne m’ait pas attiré le secret de vostre ame, Mon respect joint alors à ce que je vous doy Eust esté pour me vaincre une assez forte loy. Dans ces commencemens, quelque ardeur qui nous presse, Des sens encor soûmis la raison est maistresse, Et contraint en naissant d’en estouffer l’appas, Si le cœur en soûpire, il soûpire tout bas ; Mais avant qu’éclater vous m’avez laissé prendre Tout l’espoir qu’un beau feu puisse jamais attendre, Vous avez consenty que ce cœur amoureux Touchast le doux moment qui m’alloit rendre heureux, Demain l’Hymen devoit couronner ma victoire, Demain je devois estre au faiste de la gloire, Et par l’affreux revers d’un trop funeste sort, Le jour de mon triomphe est celuy de ma mort. Non, non quoi qu’il arrive, aimez en asseurrance, Les maux dont vous tremblez ne sont qu’en apparence, C’est de mon seul repos que le Sort est jaloux, Tigrane, croyez-m’en, la Princesse est à vous. Elle est à moy, Seigneur ! Et le puis-je pretendre Quand c’est me l’arracher que me la vouloir rendre, Et que vostre vertu par cét illustre effort M’expliquant mon devoir fait l’arrest de ma mort ? Au peril de vos jours chercher à vous contraindre, C’est combattre mon feu, c’est m’apprendre à l’éteindre, Et croistre d’autant plus de si sensibles coups Qu’il ne m’est pas permis de me plaindre de vous. Encor si vous disiez qu’à l’espoir qu’on me vole Vous voulez que pour vous ma passion s’immole, Et qu’un ordre absolu me forçast d’étoufer Un feu dont vostre cœur n’auroit pû triompher, Je vous demanderois si vous auriez dû croire Que j’obtinsse plustost cette triste victoire, Et si pour renoncer à l’espoir le plus doux J’aurois ou plus de force, ou moins d’amour que vous. Je vous demanderois par quelle grandeur d’ame Je pourrois plus sur moy que vous sur vostre flame, Et pourquoy jusqu’au jour où j’attens tout mon bien On m’auroit tout promis pour ne me donner rien ; Mais plus vous me cedez, moins ce bien me demeure, Quand vous voulez mourir, l’honneur veut que je meure, Et meure au desespoir d’estre encor vers le Roy Coupable des ennuys que vous souffrez pour moy. Ils sont grands, je l’advouë, et j’ay lieu de m’en plaindre, Mais s’il m’estoit permis de ne me point contraindre, Et de vous faire voir à quels rudes combats… Parlez, parlez, Seigneur, ne vous contraignez pas, Dites que la princesse agrée en vain ma flame, Qu’elle a tout vostre cœur, qu’elle a toute vostre ame, Qu’avant que la ceder vous verrez tout perir, Je mourray de l’entendre, et je cherche à mourir. Quoy ? Vous me reduirez à vous dire sans cesse Que je ne pretens rien au cœur de la Princesse, Que loin que mon espoir combate vostre feu, Je suis prest…         Ah, Seigneur, pourquoy ce desaveu ? N’avez-vous pas au Roy déclaré quel empire… J’ai parlé sans sçavoir ce que j’ay voulu dire, Ou plustost dans les maux dont je suis attaqué, On a crû mon silence, il s’est mal expliqué. Et ce Portrait, Seigneur ?         En vain on me l’oppose, S’il semble avoir trop dit n’en cherchez point la cause, Mon cœur dont ce mystere augmente l’embarras, Ne vous peut éclaircir ce qu’il ne conçoit pas. Je le conçois, Seigneur, mon desespoir vous gesne, Vous m’en montrez l’exemple, il faut ceder sans peine, S’applaudir en donnant ce qu’on a de plus cher, Et démentir l’amour qu’on ne peut s’arracher. Et bien, quoy que sur nous son pouvoir soit extréme, Si vous y renoncez, j’y renonce de mesme. Dequoy que la Princesse ait paru me flater, Vous engager son cœur c’est ne me rien oster. Si j’eus lon-temps l’espoir que le Roy vous asseure, Je le pris sans amour, je le perds sans murmure, Sa main pour mon bonheur n’avoit rien d’important, En est-ce assez, Seigneur, et vivrez-vous content ? Pour l’esperer jamais ma disgrace est trop forte. Madame, retenez un Amant qui s’emporte, Sa mort sera l’effet d’un ordre qu’il reçoit, Son desespoir la presse, et c’est luy qu’il en croit. Quoy que de Seleucus le Ciel m’ait fait dependre, Tigrane sçait de moy ce qu’il a droit d’attendre ; Mais comme enfin cét ordre a droit de l’étonner, De grace, apprenez-moy ce qui l’a fait donner. Qu’avez-vous dit, Seigneur, dont son ame abatuë… Qu’il meurt d’amour pour vous, que cét amour le tuë, Et que pressé d’ennuys, la langueur qui les suit Est l’effet de l’estat où vous l’avez reduit. Sous quelque dur soupçon que Tigrane languisse, Je me connoy, Seigneur, et je vous rends justice, Ce qui le fait trembler étonne peu ma foy ; Mais encor une fois qu’avez-vous dit au Roy ? Luy deviens-je suspecte, et m’avez-vous nommée ? Non, Madame, et sa flame en vain s’est alarmée, Le nom d’Arsinoé ne m’est point échapé, Et si le Roy se trompe, il veut estre trompé. Hélas ! Pour exprimer tout l’amour qui l’inspire, Montrer vostre Portrait n’est-ce pas assez dire, Et sur l’heureux depost d’un gage si charmant Peut-il moins advoüer que le tiltre d’Amant ? M’a-t’on dit vray, Seigneur, qu’expliquant vostre peine Vous ayez laissé voir mon Portrait à la Reyne, Et souffert que le Roy…         Madame, vous sçavez Que plaignant les ennuys qui me sont reservez Vous-mesme…     Et bien, Seigneur ?         Que cherchez-vous, Madame ? Son trouble n’est-il pas le témoin de sa flame ? Vous faut-il un témoin plus fort, plus asseuré, Et Tigrane a-t’il tort s’il meurt desesperé ? Ses transports iront loin si vostre amour n’arreste L’injuste desespoir où ce Portrait le jette, Il est vray qu’on l’a veu, mais sans trop s’alarmer, Qu’il attende…         Je voy ce qu’il faut presumer, Et penetre à la fin sous quel secret empire… Ah, Madame, sur tout gardez-vous de ne rien dire, Ou plustost du silence où je dois m’obstiner Gardez-vous malgré moy d’oser rien deviner, Loin d’adoucir mes maux ce seroit les accroitre. Pour ne les guérir pas ils se font trop connoistre, Et d’un amour contraint le dur accablement, Sans qu’on devine rien, parle assez clairement. O devoir, ô respect dont la loy trop severe Quand je veux m’expliquer me condamne à me taire ! Je ne vous dis plus rien, mais pour m’en consoler Les effets parleront si je n’ose parler. Madame, c’est donc là…         Vous n’estes pas à plaindre Autant que vostre amour vous engage à le craindre. Quelque ordre dont l’éclat menace vostre espoir, Il suffit que c’est moy qui dois le recevoir. Contre l’ordre du Roy que peut vostre constance ? Par lui, par son adveu ma flame a pris naissance, Tigrane, et c’est assez pour m’acquerir les droits D’appuyer hautement la gloire de son choix. A suivre ce projet quand le Prince vous aime, Songez-vous que déjà sa langueur est extréme, Qu’on en voit chaque jour redoubler les accez, Qu’on tremble de la suite ?         Attendez le succez. Il y va de sa vie, et quand le peril presse, Vous voulez…         Sa vertu bannira sa foiblesse, Ou s’il essaye en vain de contraindre ses vœux, Le Roy n’a qu’à vouloir, et le Prince est heureux. Et ne le veut-il pas quand son ordre m’arrache… Vostre heur est toûjours seur, quelque ombre qui le cache, Ne vous alarmez point.         Quoy ? Garder quelque espoir ? Quand pour le rendre heureux le Roy n’a qu’à vouloir ? Je vous le dis encor malgré vostre surprise, La guerison du Prince au Roy seul est remise, Mais il est dangereux en de tels embarras D’oser trop s’expliquer ce qu’on ne comprend pas. C’est sans m’expliquer rien que je puis vous entendre, Qu’a mon malheur d’obscur pour ne le point comprendre ? Ne vois-je pas…         Adieu, gardez toûjours ma foy, Je vous en diray plus quand j’auray veu le Roi . Flateuse illusion que j’ay trop osé croire, Doux abus de mon cœur par mes desirs trompé, Cessez pour me punir d’opposer à ma gloire Le pouvoir que sur luy vous avez usurpé. D’un vray merite en vain j’eus peine à me deffendre, En vain je l’écoutay sur la foy de l’amour, S’il triompha par là de ce cœur foible et tendre, Le noble et juste orgueil qui cherche à me le rendre, En doit triompher à son tour. Ouy, pour en arracher cette estime enflamée Dont mon devoir trop tard se sentit alarmer, Il suffit de l’affront de n’estre point aimée A qui sur cét espoir s’estoit permis d’aimer. Voy donc avec mépris tout ce qu’eut d’estimable Ce prince qui sur toi prenoit trop de pouvoir ; Mais d’un pareil effort est-on si-tost capable, Et pour cesser d’aimer ce que l’on trouve aimable, Helas ! N’a-t’on qu’à le vouloir ? Je sçay que le dépit qu’un autre Objet l’emporte Semble jusqu’à la hayne attirer tous nos soins, Qu’à nos yeux la plus rude à peine est assez forte ; Mais pour vouloir haïr on n’en aime pas moins. L’ardeur de se vanger par là de ce qu’on aime Hausse le prix d’un cœur vainement attaqué, Et sentir dans ce trouble une colere extréme C’est moins le dédaigner, que vanger sur soy-mesme La honte de l’avoir manqué. Ainsi ne prétens point avoir éteint ta flame Par ce brûlant couroux qui te defend d’aimer, Le vif ressentissement qui l’étouffe en ton ame Ne fait que l’assoupir pour mieux se rallumer . La seule indifference est la marque certaine D’un cœur que la raison ou soulage, ou guerit, Et loin que les transports de colere et de hayne De ce cœur indigné puissent calmer la peine, C’est dequoy l’amour se nourrit. Cependant quand l’Hymen étonne ta constance, Que ta lâche vertu fremit de ton devoir, T’oseras-tu vanter de cette indifference Qui fait seule acquerir ce que tu crois vouloir ? T’apprend-elle à ceder à l’oubly nessessaire De tans de vœux secrets que tu te crus permis, Et dans l’instant fatal qu’un destin trop severe T’advertit que demain tu dois ton cœur au Pere, Peux-tu ne point songer au Fils ? Dures extrémitez où l’ame partagée… Madame, sçavez-vous que vous estes vangée ? En vain Antiochus se flatoit d’estre heureux, La fiere Arsinoé n’en peut souffrir les vœux, Et si le Roy pretend user de sa puissance, Elle sçait comme il faut signaler sa constance, C’est assez qu’à Tigrane elle ait donné sa foy, Voilà ce qui se dit.         Et que resout le Roy ? Pour vaincre ses refus on croit qu’il l’ait mandée, Mais dans le pur amour dont elle est possedée, Les ordres violents qu’elle va recevoir N’en feront dans son cœur qu’affermir le pouvoir. Qu’importe du succez à mon ame alarmée ? Pour refuser d’aimer n’est-elle point aimée, Et quoy que sa fierté brave l’ordre du Roy, En vois-je moins ailleurs ce que je crus à moy ? L’amour d’Antiochus n’a pû trop vous surprendre. Mais comme à son Hymen vous ne pouviez pretendre, C’est du moins quelque charme à vostre esprit jaloux De le voir dans ses vœux aussi trompé que vous. Que tu penetres mal l’ennuy qui me surmonte ! Si le Prince est trompé, Phenice, il l’est sans honte, Et n’a point à rougir de s’estre répondu Du succez qu’à sa flame il croyait estre deu. Il sçavoit qu’à Tigrane Arsinoé fidelle Verroit avec chagrin qu’il soûpirast pour elle, Et poursuivant un cœur pour un autre enflamé, Il aimoit asseuré de n’estre point aimé. Mais qui n’auroit point crû qu’une secrete flame M’avoit abandonné l’empire de son ame ? De ses yeux interdits la confuse langueur Sembloit de son destin m’expliquer la rigueur, A ses souhaits pour moy rien ne pouvoit suffire, Il parloit, s’égaroit, et craignoit de trop dire. S’il alloit quelquefois jusques à m’admirer, Se taisant tout à coup je l’oyois soûpirer, Et de son feu secret j’avois pour asseurrance Ses regards, ses soûpirs, sa crainte, et son silence. Cependant j’ay trop crû ce silence trompeur. Ah, si tu connoissois tout ce que souffre un cœur, Quand au gré de ses vœux se flatant d’estre aimée On croit oüir son nom, et qu’une autre est nommée ! C’est sans doute un chagrin qu’on ne peut concevoir, Mais dequoy peut se plaindre un amour sans espoir ? Que perd-on en perdant ce qu’on n’a pû prétendre ? Lagloire d’avoir pris ce qu’on avoit crû prendre, Et de pouvoir du moins ne se point reprocher Qu’on ne meritoit pas ce qu’on n’a sçeu toucher. Outre que dans le rang où le Ciel m’a fait naistre, Je rougissois d’un feu que je sentois s’accroistre, Et pour en consoler ma severe fierté Je voulois m’excuser sur la Fatalité, Voir le mesme Ascendant par une égale amorce Forcer Antiochus de mesme qu’il me force, Et pouvoir imputer mes vœux trop enflamez Au panchant invincible où nous estions formez ; Mais lors qu’à mon destin le sien est si contraire Il semble que ma flame ait esté volontaire, Et que mon cœur exprez pour mandier le sien Se soit permis des vœux dont je n’attendois rien. Peut-estre, hélas ! peut-estre à m’expliquer trop prompte, De ces vœux indiscrets j’ay découvert la honte, J’ay pû luy donner lieu de s’en apercevoir, De voir toute mon ame, et c’est mon desespoir. Sur ce scrupule en vain vostre fierté s’alarme, Il aime Arsinoé, cét amour seul le charme, Son cœur à cette idée entierement rendu, Quoy que vous ayez dit, n’aura rien entendu, Et loin de voir pour luy que vostre ame enflamée… Ah, pour le remarquer que ne m’a-t-il aimée, Et quand à s’enhardir mon feu luy donnoit jour, Que ne l’ay-je pû voir éclairé par l’amour ? N’y pensons plus, Phenice, ou croyons qu’il s’obstine A braver l’Ascendant qui pour moy le domine, Et que pour l’en punir, les Dieux l’ont fait pancher Où d’autres vœux receus l’empeschent de toucher. Mais sans doute frapé d’une mortelle atteinte Tigrane que je voy vient m’adresser sa plainte, Tandis que sa douleur se soulage avec moy, Va sçavoir, s’il se peut, les sentimens du Roy. Un revers trop cruel traverse vostre flame Pour pouvoir m’étonner du trouble de vôtre ame ; Mais du moins c’est beaucoup que malgré sa rigueur D’un triomphe secret vous goustiez la douceur. J’apprens que de vos feux la Princesse charmée Fait vanité d’aimer autant qu’elle est aimée, Et que sur sa constance on ne sçauroit gagner D’en immoler la gloire à celle de regner. Madame, le Destin m’est d’autant plus contraire Qu’au moment qu’il m’accable il consent que j’espere, Et par de faux appas ébloüissant ma foy Me force d’appuyer ce qu’il fait contre moy. Antiochus renonce à m’oster ce que j’aime, D’Arsinoé pour moy la constance est extréme, Et quoy qu’on fasse enfin, si je les croy tous deux, Rien ne peut mettre obstacle au succez de mes feux. Du Prince cependant le déplaisir s’augmente, Son chagrin est plus noir, sa langueur plus traisnante, Et si de sa vertu j’ose me prévaloir, Sa mort presque certaine étouffe mon espoir. Jugez si mes ennuys en ont moins d’amertume. Peut-estre il n’aime pas autant qu’on le presume, Et puisqu’à son bonheur il cherche à resister On peut croire…         Ah, Madame, il n’en faut point douter, La Princesse le charme, il l’adore, et son ame Peut à peine suffire à l’excez de sa flame, Jamais un plus beau feu ne regna sur un cœur, Mais un foible service en arreste l’ardeur ; Il ne peut oublier qu’un sort digne d’envie M’a fait sauver ses jours au peril de ma vie, Et par reconnoissance il s’obstine à son tour A donner aujourd’hui la sienne à mon amour. Je voy ce qui vous gesne, une amitié si pure Vous force à refuser ce qu’elle vous asseure ; Mais au moins vostre amour dans ce revers fatal N’a point à redouter le bonheur d’un Rival, Puisqu’à vous preferer la Princesse constante Sçaura trop …         C’est par là que mon malheur s’augmente. On m’apprend que le Roy de tant d’amour surpris M’impute pour son choix ce qu’elle a de mépris, Et que si jusqu’au bout il la trouve obstinée A refuser l’honneur de ce grand Hymenée, Comme il m’en croit la cause, il veut que dés demain Moy-mesme je choisisse à qui donner ma main. La Princesse par là de sa foy dégagée N’aura plus dans ses vœux à rester partagée, Et voyant mon devoir porter ma flame ailleurs, Cedera sans scrupule à des destins meilleurs. S’il est vray qu’on m’appreste un si cruel supplice J’implore vos bontez contre tant d’injustice, Par pitié de mes maux détournez-en l’effet, Il suffit de l’effort que mon devoir s’est fait, Pourquoy presser l’éclat d’un desespoir funeste ? Ma douleur le commence, elle répond du reste, Et n’aura pas besoin, pour terminer mes jours, De souffrir que mon bras luy preste du secours. Si le Prince …         A ses yeux il faut cacher mon trouble, Et puisque mon malheur par sa vertu redouble ; Je vous laisse empescher qu’une vaine pitié N’immole dans son cœur l’amour à l’amitié. Prince, enfin il est temps que ce chagrin s’efface, Tigrane sans murmure accepte sa disgrace, Et pour finir vos maux renonçant à l’espoir… Pour les finir ? helas ! en a-t’il le pouvoir ? Non, non, ces tristes maux dont ma flame est suivie N’auront jamais de fin qu’en celle de ma vie, Et pour quitter ces lieux je me voy dispensé D’attendre le congé que vous avez pressé. Demain le Roy vous place au Trône de Syrie, J’en seray le témoin, mon devoir m’y convie, Mais ma fuite suivra la pompe de son choix, Et je vous parle icy pour la derniere fois. L’hymen d’Arsinoé…         Je le voy bien, Madame, Vous consentez pour elle au beau feu qui m’enflame, Mais l’excuseriez-vous si de ce feu charmé J’advoüois que c’est vous qui l’avez allumé ? Moy, Prince ?         Il n’est plus temps, Madame, de vous taire Qu’Arsinoé n’a rien de ce qui peut me plaire. Ne me demandez point quel fatal contre-temps M’a fait luy donner part aux ennuys que je sens, Comme un malheur toûjours est la source d’un autre, Vous donnant son Portrait j’ay crû montrer le vôtre, Et sur le faux rapport de vos yeux abusez On l’accuse des maux que vous m’avez causez. Et vous ne craignez point d’exciter ma colere ? Qu’elle éclate, Madame, elle m’est necessaire, Et quoy que mes ennuys doivent trancher mes jours, Pour en haster l’effet il leur faut du secours. Dure necessité de mon malheur extréme ! J’aspire à la douleur d’irriter ce que j’aime, Et pour mourir plustost, forcé de me trahir, J’ay besoin de chercher à me faire haïr. Par là mon desespoir pressant sa violence… Ce transport va trop loin, et dit plus qu’il ne pense, Mais je dois excuser ce triste excez d’ennuys Qui vous fait malgré vous oublier qui je suis. N’excusez point mon crime, il n’a rien que j’ignore, C’est vous qui me charmez, vous que mon cœur adore, Et ce cœur qu’à vous voir un prompt amour surprit, En vous l’osant jurer, sçait trop bien ce qu’il dit. Si c’est sans vostre adveu qu’il s’en est rendu maistre, Vous devriez au moins l’empescher de paroistre, Et ne me pas reduire à songer à punir Quand la pitié de moy voudroit tout obtenir. Pour moy dans mes malheurs la vostre seroit vaine, D’autres cherchent l’amour, je cherche vostre haine. Pour prix des plus beaux feux à qui l’on pûst ceder, Après ce que je souffre, est-ce trop demander ? Quoy que vostre douleur de cette haine espere, Ne la meritez point si vous me voulez plaire, Et me cachant l’amour qui tient vos sens seduits, Laissez-moy la douceur de plaindre vos ennuis. Plaindre d’un malheureux la disgrace inhumaine C’est montrer quelque pente à soulager sa peine, Et pour flater la mienne au point qu’elle se voit, Si c’est moins qu’il ne faut, c’est plus qu’on ne luy doit. Si le Ciel à mon choix… Mais qu’est-il necessaire… N’achevez point si-tost.         C’est à moy de me taire, Mon destin le demande, il luy faut obeir. Mais enfin si le Ciel vous eust laissé choisir ? Que vous estes cruel ! ah !         Vostre cœur soûpire ? Ce soupir eschapé…         Parlez, que veut-il dire ? M’apprend-il que mes vœux des vostres secondez… Que me demandez-vous puisque vous l’entendez ? Quoy ? vostre hymen me livre au plus cruel supplice Sans que de mes malheurs vostre cœur soit complice, Et si vostre seul choix avoit reglé vos vœux, J’aurois pû par mes soins meriter d’estre heureux ? Prince, n’abusez point d’une pitié trop tendre Qui m’a fait dire plus qu’on ne devoit entendre, Et sans quelque soûpirs n’a pû me laisser voir L’aspre necessité de suivre mon devoir. Il pourra tout sur moy, mais en l’osant promettre J’avoüeray qu’en secret je tremble à m’y soumettre, Et que l’ordre à mon cœur auroit esté plus doux Si le Ciel m’eust souffert d’en disposer pour vous. C’est alors qu’on m’eust veuë en recevant le vostre… Ah, Madame, il en a disposé pour un autre, Et dequoy que pour moy vous vous sentiez presser, Vostre main est promise, il n’y faut point penser. Je suis deuë à l’Estat, il me fait sa victime. C’est à moy cependant à payer pour ce crime, A soûpirer sans cesse, et languir consumé De l’ennuy de pouvoir, et n’oser estre aimé. Pour en cacher l’excez blasmerez-vous ma fuite ? Non, Prince, et dans l’estat où mon ame est reduite J’y consens d’autant plus que sa triste rigueur Sauvera ma vertu des troubles de mon cœur. La pitié de vos maux dés l’abord y fit naistre Un chagrin inquiet que je n’osay connoistre ; Mais si le charme en plut à mes sens alarmez Il se rend plus sensible à voir que vous m’aimez, Malgré moy je succombe à ce qu’il a d’amorce, J’aime l’appas flateur dont le pouvoir m’y force, Et quand je vous estime, un sentiment confus M’engage à soûpirer de n’oser rien de plus. Allez, Prince, et daignez m’epargner une veuë Qui me fait oublier à qui ma main est deuë, Non qu’enfin ma raison en ait moins de pouvoir, Mais j’écoute, et c’est trop pour qui sçait son devoir. De vos bontez pour moy ce dernier témoignage Pour ce cruel devoir est sans doute un outrage, Mais enfin par ma mort s’il peut se reparer, Consolez-vous, Madame, il n’a guere à durer. Si vostre éloignement s’est rendu necessaire, Songer que vostre vie a lieu de m’estre chere, Et que l’honneur toujours permettant d’estimer… Helas ! Madame, helas ! je vivrois pour aimer. Pourriez- vous à ce prix consentir à ma vie ? Vivez pour n’aimer plus, c’est moy qui vous en prie, Ou si ce triste effort passe vostre pouvoir, Prince, vivez du moins pour ne le plus vouloir. Ainsi, quelques ennuis que j’aye encor à craindre, Vous n’aurez qu’à vouloir pour cesser de m’en plaindre ? Vostre cœur aussi-tost se rendant tout à soy… Prince, adieu plus j’écoute, et moins je me connoy. Et bien, il faut survivre à cet adieu funeste, Il faut voir vostre Hymen, j’ordonneray du reste ; Mais au moins si l’honneur apres ce triste jour N’ose plus vous souffrir de plaindre mon amour, Attendant que ma mort en efface le crime, Madame, asseurez-moy de toute vostre estime, Me la promettez-vous ?         Ouy, je vous la promets, Fuyez, et s’il se peut, ne me voyez jamais. Ah, si c’est pour jamais que le Ciel nous separe, Madame, soustenez ma raison qui s’égare, Et qu’un moment encor…elle fuit, et je voy… Seigneur, le Roy me mande, et vous sçavez pourquoy. Avant que luy parler j’ay crû devoir m’instruire De ce que vous jugez que je luy doive dire, J’agiray par vostre ordre, et viens le recevoir. Qu’ay- je à dire, ou plustost qu’avez-vous à sçavoir ? Rendez Tigrane heureux, vous l’aimez, il vous aime. Je sçay ce que je dois à son amour extréme, Mais quand le Roy prétend disposer de ma main, Est-ce à moy de braver le pouvoir Souverain ? Mon refus vaincra-t’il, et puis-je, quoy que j’ose, Soûtenir un espoir où le vostre s’oppose ? Moy, je m’oppose au feu dont vous estes charmez ? Quoy ? n’avez-vous pas dit au Roy que vous m’aimez, Que pour moy vostre cœur secretement soûpire ? Ah, Madame ! pourquoy me l’avez-vous fait dire ? Vostre Portrait, helas !         Seigneur, il me suffit, Je voy ce que sans vous je m’estois déja dit, Vous brûlez pour la Reyne, et l’amour…         Ouy, Madame, Vous avez malgré moy penetré dans mon ame, Et ce qu’obstinément j’aurois toûjours caché, De ce cœur amoureux vous l’avez arraché, J’adore Stratonice, et l’ardeur qui me presse M’est un ordre absolu de l’adorer sans cesse. Cependant par l’erreur de son Portrait changé A vivre sous vos loix on me croit engagé, Tigrane me condamne, et telle est ma contrainte Qu’il faut par mon silence authoriser sa plainte. C’est à vous qui causez le trouble où je me voy A rompre l’injustice où s’emporte le Roy, A montrer pour Tigrane un cœur assez fidelle… Je sçay vos interests, vous connoistrez mon zele. Quelque excez qu’à son feu le Roy semble souffrir, Son âge…         Ah, gardez-vous de luy rien découvrir. Pour mettre auprés de vous mon crime en évidence Le Destin par surprise a trahy mon silence ; Mais si vous m’accusez, il n’est rien que ma foy Pour se justifier ne tente contre moy. Pour démentir l’ardeur de mon ame embrasée J’advoüeray que c’est vous qui me l’aurez causée, Et que l’honneur me force à mourir de langueur Pour ne pas à Tigrane arracher vostre cœur. Mais que diray-je au Roy qui veut que j’obéïsse ? Obtenons que demain son Hymen s’accomplisse, Tandis qu’un peu de temps, malgré vos premiers feux, Disposera vostre ame à couronner mes vœux. Regardant ce delay comme un bonheur supréme, Promettez tout alors, je promettray de mesme, Et l’hymen achevé, quoy que vueïlle le Roy, Je vous rends à Tigrane en me rendant à moy. Mais ne refusez point, pour soulager ma peine, De remettre en mes mains le Portrait de la Reyne, Sa veuë adoucira …         J’ay sujet d’en douter, Mais ce n’est point à moy, Seigneur, à resister, Ce Portrait est à vous, je sçauray vous le rendre. Tandis je vay sçavoir quel conseil je dois prendre, Voir à quoi l’on aspire, et sur l’ordre du Roy Regler et ma réponse, et ce que je vous doy. Princesse, enfin c’est trop vous en vouloir defendre, Il est temps de ceder, il est temps de vous rendre, Le beau feu dont pour vous mon Fils est consumé Ne le rend pas peut-etre indigne d’estre aimé. Ne dites point qu’ailleurs vostre main est promise, Pour le bien de l’Estat l’inconstance est permise, Et Tigrane à son Prince immolant son espoir Par ce trait de vertu vous en fait un devoir. Tigrane de vostre ordre a beau voir l’injustice, Vous parlez, commandez, il faut qu’il obéïsse ; Mais, Seigneur, nostre Sexe a souvent le malheur D’embrasser la revolte avec plus de chaleur. Comme au rang que je tiens c’est une peine extréme De pouvoir se resoudre à prononcer qu’on aime ; Quelques charmes d’ailleurs qui flatent nos souhaits, Qui l’a dit une fois ne s’en dédit jamais. Par d’invincibles nœuds, par de secretes flames, Sans nous, sans nostre adveu le Ciel unit nos ames, Et sur l’heureux rapport qui fait ce doux lien Tigrane est vostre choix, j’y puis regler le mien. Il le fut, je l’advouë, et j’avois lieu de croire Que vostre Hymen pour luy n’estoit point trop de gloire, La sienne qu’élevoient mille fameux exploits, Pour grand que fust ce prix, authorisoit mon choix ; Mais plûtost que ceder quand luy-mesme il vous cede Verrez-vous tout perir sans secours, sans remede, Et mon Trône pour vous est-il d’un si bas prix Qu’il ne merite pas que vous sauviez mon Fils ? S’il est quelque remede où le mal semble extréme Vous le cherchez en moy quand il l’a dans luy-mesme, Et que de ses ennuys il voit la guerison S’il ose consentir à croire sa raison. C’est en vain qu’il l’écoute, en vain qu’il la veut suivre, Plustost que n’aimer plus il cessera de vivre, Pour étouffer sa flame il n’est rien qu’il n’ait fait, La langueur qui le tuë en est le triste effet. Tout à l’heure en mes bras pasmé, plein de foiblesse, Chacun l’a veu ceder à l’ennuy qui le presse, On craint tout pour sa vie, et contre vostre Roy… Mais pour donner mon cœur, ce cœur est-il à moy ? Si vostre amour se plaint d’un effort si funeste, Accordez vostre main, le Ciel fera le reste, Et le temps au devoir prendra soin de fournir La force du panchant qui n’a pû vous unir. D’un Prince infortuné prevenez la disgrace, Il y va de ses jours, son destin les menace, Sauvez-le, sauvez-moy, pour l’obtenir de vous Faudra-t’il qu’on me voye embrasser vos genoux ? Ce seroit trop, Seigneur, et ce haut caractere… Si c’est trop pour un Roy, c’est trop peu pour un pere, Qui d’un Fils aux abois plaignant le triste sort Abandonneroit tout pour empescher sa mort. J’en voy le coup certain dans ces dures contraintes Dont vostre ingrat refus redouble les atteintes, Ce n’est qu’abatement dans ses sens desolez, Et s’il perit enfin, c’est vous qui l’immolez. Cét amour qu’à nos yeux il tâche de contraindre Merite la pitié qui vous porte à le plaindre ; Mais par quel droit, Seigneur, m’exposer aujourd’hui A l’horreur d’un tourment dont vous tremblez pour luy ? Mesme sort est à craindre où regne mesme flame, Ce qui perce son cœur doit déchirer mon ame, Et dans l’ardeur d’un feu qui n’ose attendre rien, S’il languit sans repos, qui répondra du mien ? J’aime, et quand cét amour par vostre ordre a sçeu naistre, Je n’ay point à rougir de le laisser paroistre, Tigrane a des vertus dont le secret pouvoir Par mes vœux les plus doux prevenoit mon devoir, Mon cœur sur un appuy si fort, si legitime, Se livra sans scrupule à toute son estime, Et ces je ne sçay quoy dont je me vis charmer Sont des nœuds que vous mesme eustes soin de former. Pour me promettre ailleurs puis-je en rompre la chaisne ? L’effort est grand sans doute, et j’en conçois la peine, Mais lors qu’Antiochus à la mort se résout, L’Estat souffre en sa perte, et vous luy devez tout. L’amour qu’on a flaté jusqu’à luy tout promettre Aux maximes d’Estat a peine à se soûmettre, Et pour sauver un Fils quoy que tout semble doux, Je n’en veux point, Seigneur, d’autre juge que vous. Stratonice vous charme, et vous sentez pour elle Tout ce qu’un rare Objet attend d’un cœur fidelle, Dans cét excez d’amour, prest à la posseder, Si le Prince l’aimoit, la pourriez-vous ceder ? Je répons de me vaincre, asseurez-m’en l’exemple. Jamais douleur n’auroit de matiere plus ample, J’oseray l’advoüer, mais le Ciel m’est témoin Que pour sauver mon Fils j’irois encor plus loin, Je ne reserverois Sceptre ny Diadême. C’est promettre en grand cœur le feriez-vous de mesme ? Me punissent les Dieux s’il m’en falloit presser. L’exemple vous est seur, qui vous fait balancer ? Songez qu’un Fils si cher sans qui je ne puis vivre… Si l’exemple est certain vous n’avez qu’à le suivre, Vostre tendresse en vain me l’offre pour époux, Le Prince aime la Reyne, et tout dépend de vous. Il aime…         Et quoy, Seigneur ? Vous promettez sans peine, Et quand il faut agir, l’engagement vous gesne. Vostre amour prend le change, et croit m’inquieter, Mais sur l’adveu du Prince on n’a point à douter, Et de vostre Portrait l’éclatant témoignage Fait trop voir qui des deux attire son hommage. Ce Portrait me convainc d’avoir touché son cœur, Mais quand vous le voudrez vous sortirez d’erreur, De tout ce que je dis j’ay la preuve certaine. Quoy ? Dans sa passion a-t’il nommé la Reyne ? Non, et trop de respect captive ses souhaits Pour craindre qu’il s’échappe à la nommer jamais. Son secret étouffé n’en fera rien connoistre, Je le tairay de mesme, et vous en estes maistre. C’est à vous seulement à penser, à bien voir Ce que de cét amour il vous plaist de sçavoir, Je vous laisse en resoudre, et pour plus d’asseurance Que le Prince pour moy n’a rien de ce qu’on pense, Quoy que sur ses ennuys on vueille m’imputer, J’abandonne ma main s’il la veut accepter. Promettez-la, Seigneur, c’est sans trahir Tigrane Qu’à cét effort pour vous mon devoir me condamne ; Mais si l’offre en déplaist à son esprit confus, Gardez-vous de douter d’où partent ses refus. Ah, pour ne point douter de son indigne flame Il suffit du desordre où se plonge mon ame, Et la tremblante horreur sous qui mon cœur gemit, Sans qu’on m’explique rien, ne m’en a que trop dit. Et bien, Roy malheureux, qu’un excez de tendresse Dans le sort de ton Fils en aveugle interesse, La cause de ses maux te rendoit inquiet, Tu la voulois sçavoir, te voyla satisfait. Un feu pareil au tien l’attache à Stratonice, Ton bonheur fait sa mort, le sien fait ton supplice, Et quoy que sa vertu triomphe du desir, Il meurt si tu ne meurs, c’est à toy de choisir. Quoy ? Le flateur appas de ce feu temeraire Luy peut-il donner droit d’estre Rival d’un Pere, Et voyant à quel point on m’avoit sçeu charmer, N’a-t’il pas dû, l’ingrat, se defendre d’aimer, De ses vœux par respect arrester l’injustice ? Mais si son devoir cede, il cede à Stratonice, Et quelque effort qu’il fist pour se faire écouter, Qui la voit et l’admire a-t’il à consulter ? Non, non, il faut qu’il aime, et si tu tiens à crime Qu’un Fils n’ait point borné cét amour à l’estime, Songe à tant de beautez dont les charmes pressans Pour t’enflamer sur l’heure ébloüirent tes sens, Songe à ce noble amas de vertus et de graces Qui sçeut de tes vieux ans fondre soudain les glaces. Ce fils pour adorer ce qui surprit ta foy N’avoit-il pas un cœur et des yeux comme toy ? Mais pourquoy rappeller dans mon ame insensée Le penetrant appas des traits qui l’ont blessée ? Pour soustenir tes vœux par les siens traversez Crains-tu, lâche, crains-tu de n’aimer point assez ? Songe, songe plustost que sous le poids de l’âge L’amour ne peut offrir qu’un ridicule hommage, Et que sous le silence un Fils prest d’expirer T’apprend à la raison comme il faut deferer. O combat, dont le trouble oppose dans mon ame L’Objet de ma tendresse à celuy de ma flame ! De mon cœur l’un et l’autre attire tous les vœux, Et sans estre à pas un il est à tout les deux. S’il ose consentir que l’Amour s’en asseure, C’est un triomphe amer dont tremble la Nature, Et quand vers la Nature il a quelque retour, C’est un triomphe affreux qui fait trembler l’Amour. Mais d’où vient qu’à l’espoir cét amour se refuse ? Arsinoé peut-estre ou s’abuse ou t’abuse. Esclaircy-toy d’un mal qu’elle aime à découvrir ; Mais quand tu l’auras sçeu, le voudras-tu guerir ? Dure necessité d’une ame combatuë ! Je veux croire ma gloire, et ma gloire me tuë, Et mon cœur que toûjours trop de tendresse émeut Voulant tout ce qu’il doit n’ose voir ce qu’il veut, Pour conserver mon Fils il faut perdre la Reyne, Il faut … mais le voicy que son chagrin amene . Dieux, qui voyez le trouble où je suis abysmé, Ne se pourroit-il point qu’il n’eust jamais aimé ? Prince, ostez-moy d’un doute, il ne faut plus rien taire, Si ce que l’on m’a dit est un rapport sincere, Vous nous trahiriez tous à cacher plus long-temps… Seigneur.         J’en ay receu des advis importants, Et vous seul pouvez tout pour me tirer de peine. J’apprens qu’au vif éclat des beautez de la Reyne… Ne me déguisez rien, que dit-on à la Cour Des pompes que pour elle appreste mon amour ? Seigneur, qu’en peut-on dire ? On vous aime et respecte. L’aveugle deference à ma gloire est suspecte, Elle en forme un scrupule, et me fait presumer Qu’avec des cheveux gris il m’est honteux d’aimer, A moy-mesme en secret mes vieux ans me font peine Quand j’ose soûpirer pour une jeune Reyne, J’aime à fuir le murmure, et c’est sur vos advis… Seigneur, oubliez-vous…         Non, non, parlez, mon Fils, Je ne demande point que vous flatiez ma flame, Ouvrez-moy vostre cœur, je vous ouvre mon ame ; Je puis avoir trop crû ce doux empressement Qui m’a fait accepter la qualité d’Amant, Mais si l’âge où je suis repugne à l’Hymenée, Quels qu’en soient les apprests, ma main n’est pas donnée, Et je veux qu’aujourd’huy vous resolviez pour moy S’il faut que j’abandonne, ou retire ma foy. Comme de ma raison le desordre est extréme, Vous prendrez mieux, Seigneur, ce conseil de vous-mesme, Ou plustost l’Amour seul a droit de decider Ce scrupule de gloire où je vous voy ceder, C’est luy qu’il en faut croire, il connoit seul vostre ame, Mais apres tout l’éclat qu’a cherché vostre flame, Croiray-je qu’à vos yeux la Reyne moins aimable … Douter si Stratonice est toûjours adorable ! Elle pour qui le Ciel par de rares efforts Semble avoir épuisé ses plus riches tresors ! Elle à qui tous les cœurs, gagnez sans resistance… Et croy ton Pere prest à reprendre sa foy, S’il faut ce sacrifice à la gloire d’un Roy. Non, non, aimez, Seigneur, je voy trop quel empire A sur vous cét amour qu’il vous plaist d’en dédire, En tout âge il est beau de brûler de ses feux, Vivez pour Stratonice, et rendez-vous heureux. Aussi bien dans l’accord qu’il vous faudroit enfraindre Demetrius son Pere auroit lieu de se plaindre, Et la guerre aussi-tost…         Afin de l’empescher Il faudroit…         Quoy ! l’affront s’en pourroit-il cacher, Et manquer de parole où l’on voit que la sienne… Vostre main supléeroit au defaut de la mienne, Et sans rompre l’Accord…         Que dites-vous Seigneur ? Je sçay quel coup, mon Fils, c’est porter sur ton cœur, Un changement si dur l’arrache à la Princesse, Mais…         J’ay promis, Seigneur, de vaincre ma faibloisse. Non, si tu souffres trop par ce nouveau projet, Je consens que ton feu ne change point d’objet, Et pour t’en épargner le funeste supplice, Je suis prest, s’il le faut, d’épouser Stratonice. J’ay mesme à t’annoncer le bonheur le plus grand, Comme Tigrane cede, Arsinoé se rend, Pour couronner tes vœux sa main est toute preste. Tigrane a de son cœur merité la conqueste, Et luy voler sa main quand il garde sa foy, C’est le desesperer sans rien faire pour moy. Quoy, lors que sur tes sens l’amour prend tant d’empire… J’ay dit sur cét amour ce que j’avois à dire, Quelque éclat qu’il ait fait, laissons Tigrane heureux, Le temps fera pour moy, c’est tout ce que je veux ; Je sçay qu’il peut beaucoup, mais quitte l’artifice, Et m’apprens…     Quoy, Seigneur ?         Aimes-tu Stratonice ? Si j’aime Stratonice ! Ah Dieux, qu’ay-je entendu ? Mon hommage sans doute à Stratonice est dû, Je la dois reverer, Stratonice est ma Reyne, Mais que vers Stratonice un fol amour m’entraisne, Que Stratonice ait pû m’ébloüir, m’enflamer  ! Tu la nommes souvent pour ne la point aimer. Helas ! Pour écouter un feu si temeraire Oublierois-je, Seigneur, que vous estes mon Pere ? Ah, plustost mille morts…         Va, c’en est trop, mon Fils, Je découvre l’abysme où ton respect t’a mis, Quelques charmes d’abord avoient sçeu me surprendre, Mais puisque ton amour peut dégager ma foy, Sans que j’en souffre rien, Stratonice est à toy, Aime-la j’y renonce, et me souviens à peine Que mon Hymen conclu te la donnoit pour Reyne. D’un cœur aussi content que le sort m’en est doux Je verray l’heureux jour qui t’en rendra l’Espoux, J’ay déjà sans effort banny de ma memoire… Gardez, Seigneur, gardez d’oser trop vous en croire, Quoy que vostre bonté s’offre à sacrifier Oublier tout si-tost c’est ne rien oublier. Mais pourquoy m’en promettre une preuve si vaine ? Vous le sçavez, Seigneur, je n’aime point la Reyne, Espousez-la, de grace, et si ce n’est assez… Mais, ô Dieux !         A la voir, Prince, vous rougissez, Parlons-luy, cette épreuve est encor necessaire, Vous sçavez mieux apres ce que vous pourrez faire. Seigneur, Tigrane a crû devoir encor par moy Vous donner aujourd’huy des preuves de sa foy, Et malgré les ennuys dont la rigueur le presse, Il vient vous asseurer que si de la Princesse Vos souhaits dés l’abord ne peuvent obtenir… Son zele m’est connu, qu’on la fasse venir. Seigneur…         Lors qu’à Tigrane on voit tout si contraire, Madame, vous pouvez ordonner qu’il espere, Quoy que d’Arsinoé le Prince soit charmé Il sçaura l’oublier s’il est ailleurs aimé ; Mais il faut qu’il le soit d’un Objet adorable, Et cet Objet si rare, et préferable à tous, S’il faut m’expliquer mieux, ne peut estre que vous. Seigneur, dans ma surprise agréez mon silence, J’ay cedé sans murmure aux loix de ma naissance, Par elles je vous dois et ma main et ma foy, L’une est à vous déja, l’autre est encore a moy, Et si mon Hymenée est pour vous une gesne, Je puis…         Dans mes Estats vous devez estre Reyne, Et je ne manque à rien si mon Fils couronné Vous asseure le rang qui vous est destiné. Mon amour s’en esmeut, mais je voy qu’à mon âge L’Hymen où j’aspirois est pour vous un outrage, Et d’ailleurs il y va d’étouffer tant d’ennuis… Mon devoir a toûjours reglé ce que je puis ; Seigneur, apres cela je n’ay rien à vous dire. A ce que veut le Roy gardez-vous de souscrire, Pour moy de sa tendresse il croit trop les appas, Madame, il vous adore.         Et ne l’aimes-tu pas ? Aimer la Reyne ? Ô Ciel !         Et bien, il t’en faut croire, Mais si de son Hymen tu rejettes la gloire, Fay qu’elle-mesme au moins puisse apprendre de toy Que ses charmes sont peu pour surprendre ta foy Qu’un mépris…         Moy, j’aurois du mépris pour la Reyne ! Seroit-il pour ce crime une assez rude peine ? Jamais tant de beautez n’eurent droit de charmer, Mais, Seigneur, je ne dois ny ne la veux aimer, J’en atteste les Dieux, et si de ma foiblesse, Vostre ame…         Accepte donc la main de la Princesse, Je la laisse à ton choix.         Elle est à luy, Seigneur, S’il peut pour l’accepter faire suivre le cœur, Mais la Reyne…         Ah, Madame ! et vous-mesme osez dire… Mais, Seigneur, vous voyez à quoy sa flame aspire, Pour épargner Tigrane elle veut m’imputer… Il est temps de resoudre, et non de consulter, Puisqu’elle offre sa main c’est à toy de la prendre, Je n’en croy que ce gage.         Et bien, il me faut rendre, Ceder à mon destin. Donnez, Princesse, hélas ! Seigneur, c’est de Tigrane asseurer le trépas, Des jours qu’il m’a sauvez est-la récompense ? Ce Portrait confondra son obstiné silence, L’ayant trouvé, Seigneur, sans qu’il en ait sçeu rien. Pour lire dans son cœur j’ay supposé le mien, On m’impute par là ce qu’il sent pour la Reyne. Connois-tu ce Portrait.         Ordonnez de ma peine, Il faut punir le crime où l’amour m’a fait choir, C’est tout ce que je puis et connoistre et sçavoir. Non, mon Fils, contre toy ne crains rien de ma flame, La Reyne, je l’advoüe, avoit touché mon ame, Mais apres les efforts que s’est fait ton amour Il est beau que du mien je triomphe à mon tour, Je t’en fais possesseur et Roy de Phenicie. Que tout vostre heur s’immole à celuy de ma vie ! Non, non, plustost, Seigneur, abandonner un Fils, Je vaincray ma foiblesse, et je vous l’ay promis. Cesse d’en vouloir croire un respect qui me tuë, Tu dois vaincre ta flame, et la mienne est vaincuë. Je vous l’avois bien dit, que pour sauver ses jours Je n’attendois plus rien que de vostre secours, Madame à son espoir vous rendrez-vous contraire ? Ma réponse, Seigneur, dépend du Roy mon Pere, Ses seules volontez ont droit de m’engager. A donner son adveu nous sçaurons l’obliger. Seigneur, encor un coup…         Obey sans replique, C’est tout ce que je veux que ton devoir m’explique. O bonté sans égale, ô vertu dont l’éclat Loin de punir un Fils récompense un ingrat ! Madame…         Apres l’ennuy des plus rudes alarmes Tigrane de l’espoir goustera mieux les charmes, S’y rendra tout entier ; attendant l’heureux jour Qui remplissant ses vœux, couronne vostre amour.