Quoy ? te trouver encor & seule & sans maîtresse ? J’attens de jour en jour Madame la Comtesse, Qui depuis près d’un mois absente de Paris Abandonne à mes soins la garde du logis. On croit ne point tarder d’abord que l’on s’engage, Mais insensiblement on prend goust au voyage, D’Orleans on veut voir Saumur, Angers, & Tours, Et le retour ainsi se différe toûjours. Tant mieux pour toy, d’avoir liberté toute entiere De prendre du bon temps, & te donner carriere. Ah, si pour moi le cœur t’en disoit tant soit peu, Sote !     En faut-il douter ?         Le mien est tout en feu, Et depuis cette nopce où tu me fis tant boire, Je me suis si bien mis ta largesse en mémoire, Qu’aussi-tost que la soif commence à me presser, Pour en guerir plûtost je voudrois t’embrasser. Tout de bon ?         Tout de bon, & s’il t’en faut plus dire, Ecoute, en te voyant, de quel ton je soûpire. Tu te sens donc pour moy d’amour bien travaillé ? Ma foy, je n’en dors point quand je suis éveillé, Et si ton cœur sensible à la friponnerie… Lyse, ma chere Lyse.         Ah, point de brusquerie. Et que diroit Virgine à qui tu t’es promis. Y doit-on regarder de si près entre amis ? Tu n’es point scrupuleux.         Vois-tu ? j’aime Virgine, Mais ce qui m’en degouste elle est un peu trop fine, Et sçait tant de détours, qu’à ce que j’en entens, Avec elle un Mary passera mal son temps. Anselme aussi, voyant du trouble en sa famille, L’a depuis peu chassée en dépit de sa Fille. Olympe en sa disgrace a donc pris grande part ? Elle la garde encore au déceu du vieillard, Le temps rajuste tout.         Elle doit t’estre chere. Veux-tu de mon amour sçavoir tout le mystere ? Je suis homme d’intrigue, & tel que tu me vois, J’entreprens de servir deux Maistres à la fois, Ou plûtost près de l’un faisant le bon Apostre, Je tâche à le duper pour estre utile à l’autre. Ton marquis de Lorgnac est le sot ?         Justement. Jamais on ne fut sot si methodiquement. Comme il est de naissance & fort riche, il croit estre L’homme le plus parfait qu’on ait encor veu naistre, Et dans cette folie il est persuadé Qu’on meurt d’amour pour lui dès qu’on l’a regardé. Aussi fait-il le beau, le plaisant, l’agreable, Vain s’il en fut jamais, contrariant en diable, Grand parleur, curieux des affaires d’autruy. Le Chevalier, son Frere, est-il fait comme luy ? Comme luy ? Dieu l’en garde, il est son antipode. C’est un homme discret, civil, d’humeur commode, Poly, galand, qui fait les choses comme il faut, Et dont la gueuserie est l’unique defaut. La tache est un peu forte.         Et d’autant plus qu’il aime. Estre gueux en amour est un malheur extrême ; Mais aux beaux yeux d’Olimpe il n’a pu resister, A Virgine par là j’eus ordre d’en conter. Pour gagner quelque accès auprès de sa Maitresse Le Chevalier voulut…         Je comprens la finesse. Olympe par Virgine a sçeu sa passion ? Non pas, grace à l’excès de sa discretion, Depuis deux mois et plus que pour elle il soûpire, Il s’est fait remarquer, mais sans vouloir rien dire. Moy-mesme, il m’a falu faire le reservé. Cependant tout d’un coup le Frere est arrivé, Ce Diable de Marquis, qui s’en va d’importance Faire sonner partout son manque de finance. Peut-il le décrier sans qu’il se fasse tort ? Tort ou non, il le hait, & voudroit le voir mort. Pour détourner ce coup j’ay joüé d’artifice. Comment ?         Du chevalier j’ay quitté le service, Et cent sujets de plainte au besoin inventez Ont esté du Marquis avec joye écoutez. En moy par cette fourbe il a pris confiance, Et comme j’applaudis à son extravagance, Je suis chez luy le tout, je tranche, ordonne, agis. Ainsi…         Prens garde à toy, voicy nostre Marquis. Le cœur te bat-il point ?         Quelle rare figure ! Et bien ? Fait-il la mode ?         Il comble ma mesure, Quel attirail de points, de rubans, d’affiquets ! C’est de moy qu’on te parle ?     Ouy, Monsieur.         Bon, Laquais, A ce prochain détour que faisoit cette Belle ? Elle vous regardoit, Monsieur.         Tant pis pour elle. Elle s’en souviendra.         Je le croy. Celle-cy, Qui de loin m’envisage, a l’œil bien radoucy. Elle vient de la part de certaine Comtesse… Diable, il faut l’écouter. Tu nommes ta Maitresse ? La Comtesse d’Orgueil.         D’Orgueil ! le nom est grand. Vieille ou jeune ?     Elle n’a que vingt ans.         Bien luy prend. La jeunesse est mon goust, sans cela point de tendre. Avecque le Mary quelle mesure aprendre ? Est-il accommodant ?     Elle est veuve.         Tant mieux. Les Veuves, la plupart, sont mets delicieux. Et de quinze à vingt ans il en est d’égrillardes Qui donnent au Défunt de terribles nazardes. Pour moy, j’en ai tant veu de toutes les façons, Qu’au besoin je pourrois en faire des leçons. Et Fille, & Femme, & brune, & blonde, j’ay beau faire, Tout m’en veut.         Qui pourroit n’aimer pas à vous plaire ? Un Marquis qu’on fait gloire en tous lieux d’admirer ? J’écarte assez la foule afin de respirer, Mais toujours malgré moy j’ay quelque soûpirante. La Comtesse est jolie ?         Elle est vostre Servante. C'est-à-dire, son cœur en tient déjà pour moy ? Eh, vous pouvez penser…         J’en ay pitié, ma foy. Vint ans, veusve, & languir ! Viens, conduy moy chez elle Il faut la voir ; au moins tu me dis qu’elle est belle ? Elle a dans Orleans tout fait mourir d’amour, Mais vous en jugerez, Monsieur, à son retour. Elle n’est pas icy ?         Puis qu’il faut vous le dire, Pour vouloir fuïr le mal quelquefois ou l’empire. L’autre jour en passant la Comtesse vous vit, Vostre mine, vostre air, enfin tout la surprit, Et chez elle d’abord l’amour faisant ravage, Pour guerir par l’absence elle a fait un voyage, Mais de fiévre en chaud mal, son cœur par la tombé Est contraint avec vous de venir à jubé. Sa flâme impatiente en ces lieux la rappelle, Vous la verrez demain.         Je me souviendray d’elle. Seulement du retour prens soin de m’avertir. Vous viendrez donc ?         Oüy, va ; je puis m’en divertir Et selon… mais je voy mon impertinent frere. C’est là le Chevalier ?         Luy mesme, adieu, ma chere. Est-il original qui vaille ton marquis ? Peut-estre que je viens mal à propos ?         Tant pis. Qui vous force à venir ?         Vous voyant dans la rüe,     Passeray-je tout droit sans que je vous salüe ? Salüez-moy de loin, & ne me dites mot. Mais ceux qui me verront…         Vous prendront pour un sot, Que m’importe ?         Toûjours injure sur injure ? Vous estes mon aisné, je me tais, et j’endure. Et bien, n’endurez point, qu’est-ce que vous ferez ? Vous me chanterez poüille, et vous retirerez, C’est-là ce que je veux.         Grace à vostre injustice, Me voir et me parler est pour vous un suplice, J’en suis trop convaincu.         Ne l’ignorez donc pas. J’en suis content.         Ma peine a pour vous des appas, Et plus vous connoissez que le malheur m’accable… Il est vray, vostre vie est gueuse et miserable, Mais enfin sans appuy, sans resource, sans bien, Vous devriez mourir, et vous n’en faites rien. Est-ce ma faute ?         Au moins, si par le droit d’aînesse, Vous avez de grands bien, j’ay la mesme Noblesse. Vous estes Chevalier, mais quand il faut manger, Vostre Chevalerie est un mets bien leger, Et souvent la machoire est fort mal occupée, A qui n’a comme vous que la cape et l’épée. Et la cape et l’épée auront toûjours dequoy Faire considerer des gens faits comme moy. Joüissez de vos droits, l’aînesse vous les donne, Je n’y demande rien.         Vous me la baillez bonne. Si dans vostre chaumiere il vous eust plû rester, Vostre part de Cadet vous eust fait subsister, Mais on ne va pas loin avec petite somme. Vous avez voulu faire icy le Gentil-homme, Et n’ayant plus dequoy, vous voylà sur le point D’estre Franc Parasite, ou de ne disner point. Gueusez, servez, volez, ce n’est point mon affaire. J’ay fait quelque dépence, et crû la devoir faire, Ma gloire estant la vostre, il vous doit estre doux… Mais Carlin que voicy, mouroit de faim chez vous, Et s’il n’eust avec moy cherché ses avantages, C’estoit fait de sa vie ainsi que de ses gages. Sans Monsieur le Marquis j’estois sec, autant vaut. Oyez.         Mon peu de bien vous semble un grand defaut, Toûjours sur ce reproche ; et ne peut-il pas estre… Mon nom vous fait honneur, on me l’a fait connoistre, Il pourra vous servir à duper un Bourgeois. L’alliance d’Anselme est, dit-on, vostre choix ; Vous muguetez sa fille, elle a dequoy vous plaire. Et quand ce ne seroit que les grands bien du Père, Pour qui n’a pas de pain à mettre sous les dents, C’est un trait de beauté des plus accommodants. Puis que malgré moy mesme on a lû dans mon ame, Il est vray, mon dessein est de prendre une Femme, Et comme Anselme est riche, et qu’il manque d’appuy, Ma naissance m’a fait esperer tout de luy. La sienne, je l’avouë, est basse et fort commune. Ce n’estoit qu’un maraut, mais il a fait fortune, Puis qu’il a du douzain, il est démaraudé ? Sçait-il vostre amour ?         Non, c’est un secret gardé, Mais quand il l’apprendra, vueillez ne pas me nuire, Forcez-vous…         Laissez moy cette affaire à conduire. Moy parlant, moy faisant la demande pour vous, Je croy qu’il recevra cét honneur à genoux. Un Faquin qu’on a veu petit Clerc de Notaire, D’un Cadet de Marquis devenir le Beau-père, S’allier des Lorgnacs, peste !         M’offrir vos soins, Vous à qui je déplais !         M’en déplaisez-vous moins ? Je vous décrierois bien, mais si je vous décrie J’ay sur mon dos le faix de vostre gueuserie. Au moins quand du Bourgeois vous aurez les écus, Vous batrez en retraite, et ne me verrez plus. Allez, tout de ce pas, je vay luy faire entendre Qu’il choisit un brave homme en vous prenant pour gendre, S’il s’informe du bien, je suis preste à mentir, Reposez-vous sur moy.     Mais…         Mais sans repartir. J’agis de là. La fille est de vous fort éprise ? J’ignore encor pour moy quelle estime elle a prise, Mais vingt fois dans sa ruë elle m’a remarqué. Vostre amour autrement ne s’est point expliqué ? Le Père estant pour nous, il nous répondra d’elle. Je vous entens, l’argent vous plaist mieux que la Belle, Et pourvû qu’il vous soit bien et deuëment compté, Peu vous chaut du reste.     Ah !         Dites la verité ; Franchement aimez-vous ? car à moins que l’on aime, Taster du Mariage est la misere mesme, Et je ne voudrois pas qu’une Fille eust sujet… Non, Olympe est pour moy le plus charmant objet. Jamais rien de si beau ne s’offrit à ma veuë, Et de tant de merite on la trouve pourveuë, Que sa seule conqueste asseurant mon repos, N’eust-elle aucune dot, je…         Voyla de mes sots. Pour trois jours de douceur trente ans de gueuserie, Mais si vous l’épousez, dites-moy, je vous prie, Cadet, prétendez-vous avoir beaucoup d’enfans ? Peut-on…         Point de peut-on, car je vous le défens. La cause est qu’il n’est point de famille nombreuse Qui presque en moins de rien ne dégenere en gueuse, Et quand l’Oncle est Marquis et des plus apparents, Serviteur aux Neveux qui sont degenerants. J’auray soin que jamais aucune plainte à faire… Fort bien, et là-dessus je vay voir le Beaupere. Carlin.     Monsieur.     J’entens.         Va, cours, le temps m’est cher. Si la Marquise vient, qu’on me fasse chercher. C’est encor un message à faire à quelque belle ? Grand mystere toûjours, et toûjours bagatelle. Mais où diable a-t’il sçeu vostre amoureux secret ? Un Amant bien épris est toûjours indiscret. J’ay trop parlé d’Olympe, il aura pû l’apprendre, Et soupçonné l’amour que ses yeux m’ont fait prendre ; Mais puisqu’à m’y servir il est si disposé, Le succez pour mes vœux en sera plus aisé. J’en doute, il n’eut jamais pour vous que de la haine. Ouy, mais me voir sans bien luy donne quelque peine, Et craignant d’en avoir un jour de l’embarras, Si mon feu touche Olympe, il ne me nuira pas. Il est homme pourtant à nous en donner d’une. Son cœur est plein pour vous d’une vieille rancune, Ainsi j’aurois voulu avant qu’il eust parlé, Vostre amour à Virgine eust testé revelé. Contre ce qu’il eust dit, comme elle a de l’adresse, Elle auroit préparé l’esprit de sa maîtresse, Mais vous m’avez fait taire, et tout estoit perdu Si j’eusse osé…         Je voy que j’ay trop attendu, Qu’il seroit bon qu’Olympe eust approuvé ma flame, Mais je ne sçavois pas qu’on dust lire en mon ame, Et que de mon secret malgré moy trop instruit, Le Marquis…         Pour ou contre, il va faire grand bruit, Et le Vieillard…         Tay-toy, je voy venir Oronte. Enfin donc il n’est rien que l’amour ne surmonte, Lucrece a pris sur vous un pouvoir absolu, Et pour elle à l’hymen vous voyla resolu ? J’ay pesté jusqu’icy contre le mariage, J’en tremble mesme encor lors que je l’envisage, C’est une marché terrible, et qui doit estonner, Cependant au torrent je me laisse entraîner. Le peril en est beau.         Telle est ma destinée. L’ordre vous en est doux, mais à quand l’hymenée ? Lucrece vous aimant…         Anselme son Tuteur Attend obstinément le retour de ma Sœur, Parce qu’elle est Comtesse, il s’est mis à la teste Qu’il faut pour plus d’éclat qu’elle honore la feste, Sans cela point de nopce.         Il aime à faire bruit. A trois jours seulement le delay se réduit. Vous croyez donc bien-tost voir icy la Comtesse ? Peut-estre dés demain, mais j’aperçois Lucrece, De grace, pardonnez aux transports d’un Amant, Si je cours où m’appelle un Objet si charmant. Sur tout autre devoir l’amour toûjours l’emporte. Olympe est avec elle.         Eloignons-nous, n’importe, Je ne luy veux parler qu’après que j’auray sceu Quel accueil du Vieillard ma flame aura receu. Quoy, sortir sans m’attendre ? Ah, j’ay lieu de m’en plaindre. Ouy, car je viens de faire une visite à craindre, Et ma Cousine sçait…         Que dans tout l’entretien Vous avez écouté de grands diseurs de rien. Qu’il est d’impertinents !         Olympe est difficile. Quoy, d’abord qu'on vous voit, recourir au doux stile, Prodiguer la fleurette, et vous assassiner, De cent offres d’un cœur qu’on n’a plus à donner ? Pour moy, je suis un peu delicate en merite, Plus le vray me sçait plaire, et plus le faux m’irrite, Et comme j’aime en tout qu’on soit de bonne foy, Les soûpirans d’office ont bien-tost fait chez moy. C’est l’usage du monde, et si toutes les Belles Traitoient ainsi que vous l’encens de bagatelles, A quoy seroient réduits nos Galants du bel air Qui par là prés de vous apprennent à parler ? Pour faire un honneste homme il n’est point d’autre école, Le beau sexe aux muets fait trouver la parole, Et par ce qu’à vous plaire ils prennent de soucy, Tout ce qu’ils ont de rude est soudain adoucy. La douceur s’étend loin.         Vous l’avez mandiée. Enfin c’est tout de bon vous estes mariée. Moy, mariée ?         Ouy, vous, quel malheur à souffrir ? M’en voicy hors d’haleine à force d’accourir. Pour prix d’une nouvelle à mes desirs si chere, Daignez faire ma paix avecque vostre Père, Faudra-t’il que de luy je me cache toûjours ? Ne t’inquiete point, encor deux ou trois jours, Son chagrin passera, j’en répons.         Mais, Virgine, Appren-nous quel époux mon Oncle luy destine. Un Marquis si charmé, dit-il, de ses appas, Qu’il se pendra demain s’il ne l’épouse pas, Le Marquis de Lorgnac.         Quoy, j’en serois aimée ? De vostre Cabinet, où j’estois enfermée, Je viens d’entendre tout ; sur mon ame il dit d’or. Vos attraits sont pour luy le plus riche tresor, Le bon homme se rend aux desirs qui le pressent, Et de l’heure qu’il est les articles se dressent. Sans m’avoir consultée ?         Eh, pour se marier, Est-il fille aujourd’huy qui se fasse prier ? Et puis quand il s’agit du grand nom de Marquise… Fort bien ; chez moy pourtant l’esprit seul est de mise, Et de quelque haut rang que l’on me pûst flater, Un sot qui m’en voudroit n’auroit qu’à déconter. Je crains donc bien qu’icy le Marquis ne déconte, Il donne lieu sans cesse à quelque nouveau conte, Et sur ce qu’on en dit, ce n’est pas son defaut Que d’avoir eu jamais plus d’esprit qu’il ne faut. Il croit charmer par tout, fait le beau, l’agreable. Que vous me faites peur !         Brusque, dit-on, en diable. Voilà ce qu’il me faut.         Moquez-vous du, dit-on. Voulez-vous un Epoux sage comme un Caton, Qui prétende en vertu de sa grave figure Qu’on marche par compas, et parle par mesure ? Virgine a l’humeur gaye, et pense que…         Ma foy, Bien d’autres là-dessus penseroient comme moye. Pour devenir Marquise il n’est esprit qui tienne, Le tiltre en plaist toûjours, de quelque part qu’il vienne, Et d’ailleurs, quelquefois, s’il faut tancher le mot, Il est avantageux d’estre femme d’un sot, Excuse, adresse, fourbe, il n’est rien qu’il ne croye ; Quoy qu’on fasse, il ne voit que ce qu’on veut qu’il voye, Et se laissant mener, au besoin, par le nez… C’est par où se prendroient des esprits mal tournez, Mais quand la vertu seule a pouvoir sur une ame… D’accord, c’est fort bien fait que d’estre honneste femme, Mais Dieu vueille du trop preserver tous marys. Laissons-là cette fole, et venons au Marquis, Le connoissez-vous ?         Non, mais je connois son Frere, Qui, s’il estoit plus riche, auroit bien dequoy plaire, Il a l’air si galant et si particulier, Qu’on ne peut…         Vous voulez parler du Chevalier ? De luy-mesme.         A sa mine on connoit sa naissance, Mais l’effet répond mal souvent à l’apparence, L’air ne fait pas l’esprit ; et je douterois fort Que le sien fust de ceux…         Ah, c’est luy faire tort. D’où vient qu’à ce soupçon vostre cœur s’abandonne ? C’est un secret qu’encor je n’ay dit à personne. Depuis plus de deux mois en cherchant à me voir, Ce brave Chevalier a paru m’en vouloir. Au Palais pour emplete, au Temple, dans la ruë, Je le trouve par tout, par tout il me saluë, Mais quoy qu’il ait eu lieu cent fois de m’aborder, Il n’a jamais plus fait que de me regarder. Jugez si c’est à tort que je le croy stupide. Un excez de respect l’a pû rendre timide, Et je vous plaindrois peu pour l’hymen arresté, Si le Marquis avoit mesme stupidité. Quoy qu’on ait fait sans moy, s’il est tel que vous dites, La puissance d’un Père a ses bornes prescrites, Et par précaution, avant que m’engager, Luy parlant en secret, je prétens en juger. En secret ? Et comment ?         Ce soir par ma fenestre. Un premier entretien vous le fera connoistre : Et si pour son début il n’a tous mots exquis, Madame, vous voulez refuser un Marquis ? Ma foy, si vous sçaviez combien…         Laisse-moy faire, Et l’attens au moment qu’il quittera mon Père, Le jour baisse déjà ; si-tost qu’il fera nuit, Dy-luy sous mon balcon qu’il se rende sans bruit. Mais si pour vous donner cette grande nouvelle, Lors que nous rentrerons, mon Oncle vous appelle, Et qu’à voir le Marquis, dont sans doute il fait cas… J’auray quelque migraine et ne paroistray pas, Fay ce que je te dis, Virgine.         Vous, Oronte, Rendez-moy du Marquis un plus fidelle compte, Informez-vous par tout en quelle estime il est. Il suffit, vous sçavez si j’y prens interest. N’allez-pas plus avant, Beau-père, il fait trop sombre, Et quoy que de la nuit mes yeux incaguent l’ombre, Chez vous de vos vieux ans le cours trop actuel Doit avoir affoibly le rayon virtuel, Et par là j’aurois peur qu’en marchant, quelque pierre Vous fist mal à propos donner du nez en terre. Seulement pour demain quand je vous iray voir, Préparez vostre Fille à faire son devoir. Dés mes plus jeunes ans un Chevalier de Malte M’aprit que quand l’honneur qu’on daigne nous faire…         Alte. Votre caducité de trop loin se souvient ; Si je vous fais l’honneur, le profit m’en revient. Du moins je vous répons d’une fille fort sage, Modeste, accorte, douce, à qui, dés son Bas âge Où l’esprit est toûjours de fadaise remply, Les Quadrains de Pybrac ont donné le bon ply. Elle les sçavoit tous, sur chacun, bonne glose. Les Quadrains de Pybrac ne font rien à la chose, Et vostre Fille, estant ce que je me la peins, Ne se mariera pas pour dire des Quadrains. Est-elle propre ?         Autant qu’une fille peut l’estre. Je vous eusse prié de la faire paroître, Mais j’ay craint, en suivant ma curiosité, Quelque soüillon d’habit qui m’en eust dégousté. J’aime l’ajustement.         La dépence est petite, Plus de cent mille escus dont elle seule herite, Tant en maisons, effets, comme en argent comptant… Ma terre de Lorgnac en vaut deux fois autant. Qu’elle est belle ! grands parcs pour vaches, bœufs, genices, Grandes foires au bourg, grandes-hautes Justices, Grands moulins, sans compter de grands fossez pleins d’eau Qu’on passe en ponts-levis pour entrer au château. Quand je ne vous verrois pour tout bien que la gloire D’estre sorty de Gens renommez dans l’Histoire, Mon choix seroit pour vous, et ne regardant qu’eux… Ah, que tous les Lorgnacs ont esté belliqueux ! La Race en est celebre, et d’abord qu'on la nomme… Beau-père, ainsi je croy que je suis gentilhomme, Hem ?         De vostre Noblesse on n’est guere en soucy. Vous avez pensé voir un amoureux transy, Mon Cadet qui sans moy, plein d’une sote flâme, Vous auroit demandé vostre Fille pour Femme. Vous touchant de si prés, il m’auroit fait honneur, Et l’on tiendra toûjours sa recherche à bonheur. Il est gueux, archigueux.         Mais son sang est illsutre ; Et par tout sa vertu luy donne tant de lustre, Que sur ce qu’on en dit…         Monsieur, on, est un sot. Mon Frere fait le doux, le benin, le cagot, A l’oüir, vous diriez qu’il n’est rien plus traitable, Cependant, entre nous il ne vaut pas le diable ; C’est un rieur sous cape, et tous ses beaux semblans, S’ils amorcent quelqu’un, le mettent en draps blancs. Dit-on, draps blancs, Beau-père, ou blancs draps ?         Il n’importe. Non, à ce qu’il paroît aux gens de vostre sorte, Mais parmy le beau monde où l’on parle correct, L’arrangement des mots veut un soin circonspect. L’esprit est un grand fonds. Vostre Fille en a-t’elle ? Chacun le croit.         Est-il de ruë, ou de ruelle ? Qu’appellez-vous de ruë ?         Un esprit trop bourgeois, Un esprit dandinant, de ces Filles sans poids, Qui pour tout réponce à ce qu’on leur peut dire, N’ont qu’un, vous vous moquez, et se mettent à rire. Ma Fille, en discourant, pourra vous étonner, Sur quoy qu’on luy propose elle sçait raisonner, Jamais de bagatelle, ou c’est la faire taire. Et vous l’auriez donnée à mon drille de Frere ? Quel dommage ! à demain, je verray ce que c’est, Et de la nopce ensuite on resoudra l’apprest. Les clauses du Contrat déjà sont arrétées. Il suffit qu’entre nous elles soient concertées, Et qu’un dédit signé, qui vous répond de moy, Quoy qui puisse arriver, m’engage vostre foy. Du reste, un peu de temps est assez necessaire A qui tout à la fois a deux nopces à faire. Deux nopces !         D’une Niéce on m’a fait le Tuteur. Pour l’épouser, Oronte attend icy sa Sœur, Demain elle y doit estre.         Il differe pour elle ? On luy doit cét honneur.         Et cette Sœur s’appelle ? La Comtesse d’Orgueil.         La Comtesse ! ma foy… Quoy ? vous la connoissez ?         Ah, si je la connoy ? C’est une jeune veufve, aimable, alerte, druë. On le dit, car pour moy je ne l’ay jamais veuë. Nous la gouvernerons. Elle est riche ?         Et tres fort. Un Vieillard a tout fait pour elle avant sa mort. Comme sur ses vieux ans il l’avoit épousée, Avec luy sa fortune à faire fust aisée, Son revenu, du moins, monte à dix mille escus. Dix mille escus de rente !         Et peut-estre encor plus. On fait florés à moins. Peste, quelle Commere ! Un Duc aussi, dit-on, cherche fort à luy plaire. Un Duc ?     Ouy, qui voudroit…         Je croy qu’il voudroit, mais… Elle en est peu touchée.         Il ne l’aura jamais. Le temps…         Eh, je sçay trop où luy tient l’encloueure. Quatre mots à quartier, Monsieur.         Par avanture, Beau-pere, vous sçavez comme on rentre chez vous ? Si je nuis…         Preste ; icy vous gagneriez la toux, Bon soir.         Combien as-tu de poulets à me rendre ? La Marquise, chez vous, a passé pour vous prendre, J’ay voulu l’arréter, mais ne vous trouvant pas… C’est donc comme il en fait, fracas contre fracas, M’a-t’elle dit, dy-luy que puis qu’il me dédaigne, L’abbé qui luy déplaist va commencer son regne ; J’aurois pû me resoudre à ne l’écouter plus, Mais…         Ces diables d’Abbez la pluspart sont courus. Eh, n’en médisons point ; certains Abbez novices Ne sont pas à courir de méchants benefices. Les Belles trouvent là dequoy se régaler, Bijoux, cadeaux, bombance, elles n’ont qu’à parler, L’argent ne couste rien ; mais pour vostre Marquise, Que faire ?         Une douceur la rendra plus soûmise. Je le croy.         Ce Vieillard qui vient de me quitter, Tout Chahütan qu’il est, m’a-t’il pû resister ? Où l’on me voit tout céde.         Il se résout à prendre, Sur vostre bonne foy, le Chevalier pour Gendre ? Il m’a tout accordé.         Que vous estes heureux D’avoir pû vous défaire, à la fin de ce gueux ! Il l’eust falu nourrir, c’est toûjours vostre Frere, Que diable auriez-vous fait ?         Ce que je prétens faire, Ne le pas secourir du moindre verre d’eau. Olympe y supléera.         Tu l’entens. Quel cerveau ! J’aurois parlé pour luy ?     Pour qui donc ?         Pour moy-mesme. Ah, le traître ! Quoy donc vous aimez ?         Moy, si j’aime ? Point du tout, mais mon Frere ayant ce vilain mal, Pour le desesperer je me fais son Rival. Si vous luy souhaitez misere sur misere, Il veut le Conjungo, Monsieur, laissez-le faire, N’est-ce pas, quand luy-mesme il vous en vient prier, L’accabler de tous maux, que de le marier ? Qu’on ait volé, brûlé, causé famine et peste, Mariez-moy les gens, ils sont punis de reste : Mais la pitié vous prend, et tant de charité Pour vostre cher Cadet vous tient inquieté ; Que résolu sur l’heure à vous mettre en ménage, Il vous plaist d’enrager de crainte qu’il n’enrage. Pauvre ignorant ! aprens un tour d’homme d’esprit. J’ay sceu contraindre Anselme à signer un Dédit, Qui de dix mille écus tiens la somme assignée Sur celuy de nous deux qui rompra l’hymenée. Rien que cela ? bon, bon, vous voyla garroté. Contre le Chevalier c’est-là ma seureté. Par ces dix mille écus où son seing le condamne, Anselme pour sa Fille est bridé comme un asne. Vous connoit-elle ?         Non, l’entreveuë à demain, J’y diray de bons mots si je me mets en train ; Car je croy que je puis, sans peur d’engendrer noise, Pousser l’humeur gaillarde avec une bourgeoise ? Mais vous l’épouserez ?         Ouy, si le cœur m’en dit. Comment ?         Vivent, Carlin, vivent les gens d’esprit. Sans tenir jamais rien je promettray sans cesse, Tant qu’enfin la jaunisse entraîne la Maîtresse, Et que le Chevalier qui n’aura pas le sou S’aille de desespoir faire casser le cou. Les Turcs le devoient bien eschiner en Candie. Ils ont tort, mais pour luy, que voulez-vous qu’on die ? C’est l’ordre, chacun vit le plus long-temps qu’il peut. Tay toy, l’on vient à nous. Jour et nuit on m’en veut, C’est quelque Belle encor.         Je vay la reconnoistre. Carlin.     C’est toy, Virgine !         Ouy, qui cherche ton Maistre. Vous puis-je dire un mot, Monsieur ?         Quatre au lieu d’un. La honte vous fait donc choisir le moment brun, Et vous venez dans l’ombre en fine tapinoise Eprouver si mon cœur aisement s’apprivoise ? Du moins je vous apporte un advis important, Ce soir à la fenestre Olympe vous attends. Quoy, la Fille d’Anselme ?     Elle mesme.         La chate ! L’honneur de m’épouser terriblement la flate ; Dés ce soir seul à seul vouloir m’entretenir ? Vous voyez le balcon, y peut-elle venir ? La nuict se fait obscure.         Obscure, ou non, qu’importe ? Cours assembler mes Gens pour me servir d’escorte, Carlin, dans un moment, je te rejoins chez moy. On vous demande seul.         Quelque badaut, ma foy. Tiens-moy preste sur tout cette cotte de maille Qui me sert quand de nuit le cas veut qu’on chamaille. Que sçait-on quelquefois ce qui peut arriver ? Va viste.         Au rendez-vous je sçauray me trouver. Ne vous éloignez point, Monsieur ; à la fenestre Avec moy tout à l’heure Olympe va paroistre. Tu la peux advertir, je reviens sur mes pas. Si elle me connoit ?         Qui ne vous connoit pas ? Un homme dont par tout on parle avec éloge ? Il est vray qu’il faudroit estre pis qu’Allobroge. Je fais bruit si jamais aucun Marquis en fit. Vous estes beau, galant, gratieux, plein d’esprit. Tu te connois en gens. Pour l’esprit, d’ordinaire, J’en cache la moitié dont je ne sçay que faire, Sans cela je mettrois tout le monde en defaut. Olympe est donc, Monsieur, tout comme il vous la faut Vous pouvez pratiquer le haut stile avec elle, Luy parler serieux, d’un ton grave.         Est-tu belle, Car dans l’obscurité je ne sçaurois sçavoir Comme ton nez est fait, s’il est ou blanc ou noir ? Vous estes curieux.         Tu me parois friponne, Et comme en certains temps volontiers on raisonne, Si je te connoissois digne de raisonner… J’entens marcher, adieu.         Qui vient m’importuner ? Je vous ay par hazard apperceu dans la ruë, Je m’en allois chez vous.         Vous avez bonne veuë, Je ne vous voyois pas, moy.         L’amour est pressant, Et me fait vous…         Autant en un mot comme en cent. Vous venez demander l’effet de ma harangue ? Jamais je ne me suis mieux servy de ma langue, Et j’ay si bien presché, qu’à l’éclat de mon nom Le bon homme éblouy n’a pû me dire, non. Il me donne sa fille ?         Elle sera Lorgnaque. Quelle gloire !         Pour vaincre, il suffit que j’attaque. Que ne vous dois-je point !         Mon Dieu, je le sçay bien. Si mon sang…         Laissons-là vos compliments de chien, Je n’en veux point.         Il faut me taire, mais sans doute… Eloignons-nous d’icy de peur qu’on nous écoute. Puisque mes feux d’Olympe ont merité la main, Je voudrois…         Et bien, quoy ? jaser jusqu’à demain ? Venez, pour satisfaire à vostre impatience, Jusqu’au prochain détour je vous donne audience. Ne vois-je pas quelqu’un qui s’avance au balcon ? Si c’est Olympe ?         Enfin me suivez-vous, ou non ? Je n’entens plus personne.         Il ne tardera guere. Cousine, va de grace entretenir mon Père, Et l’amuse si bien par ce que je te dis, Que je trouve le temps de parler au Marquis. J’aurois à l’écouter une joye excessive, Mais pour tes interests il faut que je m’en prive, Tel qu’il puisse estre, au moins j’en attens le portrait. Repose-t’en sur moy, tu l’auras trait pour trait. N’en déplaise à quiconque a fait la médisance, Je maintiens le Marquis un Marquis d’importance. Si ce grand serieux n’est pas dans ce qu’il dit, C’est qu’il a l’humeur gaye et qu’il se divertit, Mais quand il veut il parle, et des mieux.         Je souhaite Qu’il n’ait pas les defauts…         Charitez qu’on luy préte. Croyez-moy, le mal est qu’à trop l’examiner, Vous estes prévenuë, et voudrez rafiner ? Mais tu sçais à quel point Oronte le méprise. C’est qu’il enrageroit si vous estiez Marquise, Et qu’il ne sçauroit voir sans en estre jaloux, Qu’en l’épousant, Lucrece ait moins de rang que vous. J’ay quitté mon Brutal pour chercher ce que j’aime. N’entens tu pas du bruit ?         J’écoute, c’est luy mesme. Son retour est bien prompt.         L’amour l’a fait voler. Mes vœux estant receus je puis enfin parler. Est-ce vous, belle Olympe ?         Ouy, parlez bas de grace. Un Père de ma flame authorise l’audace, Et fort de son adveu je pourrois m’applaudir Sur le flateur espoir qu’il luy plaist d’enhardir. J’en prens, je vous l’avouë, assez de confiance Pour ne balancer plus à rompre le silence; Mais cét adveu, Madame, asseure peu ma foy A voir tout ce qui doit vous parler contre moy. Quoy qu’il semble à mes vœux donner pleine victoire, Vous demeurez toûjours arbitre de ma gloire, Et l’espoir qu’il me souffre est pour moy sans douceur Si je n’ay merité de toucher vostre cœur. C’est luy qu’à cet espoir l’amour veut qui consente, Je ne suis point heureux si vous n’estes contente, Et le moindre soupir à vostre ame échapé Me reproche un pouvoir lâchement usurpé. Aurois-je le malheur de vous en faire naistre ? Madame, ce début ? hem ? m’y sçay-je connoistre ? Voyons la suite, il peut l’avoir étudié. L’Amour hait ce qu’il tient d’un secours mandié, Et tout autre peut-estre eust tâché de me plaire Avant que d’employer l’authorité d’un Père. N’importe, c’est beaucoup pour flater vostre espoir, Sa parole est donnée, et je sçay mon devoir. Si je m’en prévalois vous pourriez vous en plaindre ; Mais quoy qu’il m’ait promis, vous n’avez rien à craindre. Pressé de mon amour je ne l’ay fait parler Que pour estre en pouvoir de vous plus immoler. Incertaine autrement s’il agréeroit ma flame, Vous tiendriez vos vœux renfermez dans vôtre ame, Mais lors que mon respect vous soûmet son adveu, Je vous donne plein droit d’ordonner de mon feu, Sur luy, sur son espoir vous estes Souveraine ; Ainsi dites un mot, sa victoire est certaine, C’est de vous qu’il la veut, prest à la refuser Si vos desirs contraints s’y peuvent opposer. Ce n’est pas grand effort que de se rendre maistre D’un amour qui ne fait que commencer à naistre. Que commencer à naistre ? Ah, ne le croyez pas. Je brûle dés long-temps pour vos divins appas, Le respect, il est vray, jusqu’icy m’a fait taire, Mais je n’en ay pas eu moins d’ardeur de vous plaire, Et mes yeux ont trahy les ordres de mon cœur S’ils ne vous ont cent fois parlé de ma langueur. A vous chercher par tout leur soin estoit extréme, Au Temple, dans la ruë, à vostre balcon mesme, Et les vostres souvent par un regarde rendu Ont semblé m’avertir que j’étois entendu. Une ardeur si discrete a merité sans doute De me trouver sensible aux soins qu’elle vous coûte, Mais ma mémoire en vain vous cherche sur mes pas. Vous ne m’avez point veu ?         Je ne m’en souviens pas. Je m’en estois flaté ; pour moy je vous ay veuë, Mais cent fois, mais toûjours de tant d’attraits pourveuë, Que mes brûlants transports s’augmentant chaque jour, A peine tout mon cœur suffit à mon amour. Tout ce qui de mes sens fit d’abord la surprise, N’eut rien que ma raison aujourd’huy n’authorise. Sans cesse elle me dit qu’il faut vous adorer, Qu’à l’heur de vous servir rien n’est à préferer : Madame, je me pers pour avoir trop à dire. Pouvez-vous écouter ces fadaises sans rire ? Tay toy.         Ce n’est qu’un sot, il ne sçait ce qu’il dit. Il vous plaist donc ?     Que trop.         Il n’avoit point d’esprit. Vous consultez ensemble, helas, qu’en dois-je croire ? Parlez, resolvez-vous ou ma perte, ou ma gloire ? Vous venez de me peindre un cœur bien enflamé, Et quiconque aime ainsi merite d’estre aimé. Mais si d’un autre amour j’étois préoccupée ? Ah, quel desespoir j’aurois l’ame frapée ! J’en mourrois de douleur, mais dans mes déplaisirs Vous ne me verriez point contraindre vos desirs. Je vous l’ay déjà dit ; malgré l’aveu d’un Père Je renonce à l’espoir si je ne puis vous plaire, Un autre à vostre bien pourroit estre attaché, Mais ce n’est que de vous que j’ay le cœur touché, Et quand vous auriez eu le sort moins favorable Vous seriez à mes yeux également aimable, Vostre seule personne est tout ce que je voy. Ces nobles sentiments obtiennent tout de moy, Et rien ne sçauroit plus m’obliger à vous taire, Que quand vous ne seriez que ce qu’est vostre Frere, Trahy de la fortune ; avec la mesme ardeur Je voudrois vous donner et ma main et mon cœur. Ny le rang de Marquis, ny tous vos droits d’aînesse… Elle croit que je sois le Marquis ? Ah Dieux !         Qu’est-ce ? Nous vient-on écouter ?         Non, Madame, achevez. Voylà les derniers coups qu’il m’avoit reservez, Je le voy trop, le lâche a parlé pour luy mesme. Non, vostre Marquisat ne fait pas ce que j’aime, Et pour gagner mes vœux sur le choix d’un Epoux, Vos soins n’avoient besoin seulement que de vous. Donc à ce que j’aprens vous connoissez mon Frere ? Quoy, vostre Chevalier ? il prétend à me plaire, Et je croy qu’il est bon de vous en advertir Bien moins par vanité que pour vous divertir. Vous le voyez souvent ?         Plus que je ne souhaite, Il me cherche en tous lieux, passe, revient, s’arréte, Jour et nuit fait la ronde, et je m’étonne bien Qu’il n’est déja venu troubler nostre entretien. Et ses empressements ne font que vous déplaire ? Je le dois épargner estant né vostre Frere. Non, vous m’obligerez de ne me point cacher D’où vient que tant de soins ne vous ont pû toucher ? Le trouvez vous mal fait ?         Sa personne est bien prise, Si j’en croy ses Amys, dans le monde on le prise, Mais puis qu’il vous en faut dire la verité, Il me paroist avoir grande stupidité : Et comme enfin le cœur a ses secrets suffrages, Eust-il et vostre bien et tous vos avantages, Si mon Père pour luy disposoit de ma foy, Mon devoir me seroit une fort dure loy , J’irois jusqu’à l’éclat plutost que m’y resoudre. Vous ne me dites rien ?         Ah, Dieux ! quel coup de foudre ! C’est qu’on fait quelque bruit, et qu’il écoute.         Allons ? Pour m’entendre jaser tiens-toy sur mes talons. Mille jolivetez qui dans l’esprit me viennent… Mon cocher, mes laquais ?     Ils sont-là.         Qu’ils s’y tiennent. Quelqu’un s’avance, adieu, Marquis separons-nous. C’est mon Frere.         Je crains l’insulte d’un jaloux, Je vous l’avois bien dit, qu’il passoit à toute heure. Qui va là ?     Moy.     Qui ?     Moy.         C’est mon Frere, où je meure, Carlin.     Qu’il se retire.         Et s’il fait le mutin ? Ah, Dieux !     Ne craignez rien.         Jusqu’à demain matin, Je veux estre icy seul, qu’on déloge.         Quoy, traistre, Tu prétens avec moy parler toûjours en maître ? Mes Gens.     Tu m’a fourbé.         Viste, mes Gens, à moy, Main basse.         Quoy, main basse ? Avance, et songe à toy. Tu recules, infame.         Où me vois-je réduite ? Monsieur le Chevalier prend galamment la fuite. Quel brutal ? contre un Frere ?         Il se sauve en larron ; Et cependant de jour il fait le fanfaron, A le voir, vous diriez que c’est la valeur mesme. Le nombre m’épouvante, et ma peine est extéme. Le Marquis est adroit ; comme il l’a relancé ! Ils sont déjà bien loin.         S’il faut qu’il soit blessé. Il se ménagera.         Retirons-nous, Virgine. Vous vous inquiétez, n’en faites point la fine. Je crains toûjours pour luy.     Vous l’aimez donc ?         Helas ! Je ne craindrois pas tant si je ne l’aimois pas Vous vous éloignez donc ?         La peine m’est cruelle, Mais il faut obeïr, l’ordre du Roy m’appelle. Au moins ce qui me rend ce malheur adoucy, J’espere, à mon retour, trouver ma Sœur icy, Et que tout sera prest pour l’heureux hymenée Qui doit à vostre sort unir ma destinée. Je crains un long sejour si l’ordre est important ; Je prens, pour moins tarder, la porte au mesme instant, Et j’obtiens, dans trois jours, le bonheur que je presse, Pourveu qu’en arrivant je trouve la Comtesse. L’amitié qui nous joint la fera se haster. Olympe cependant pourra se consulter, Je crains tout de l’Epoux qu’Anselme luy destine. J’ignore, en le voyant, ce que fera sa mine ; Mais l’ayant cette nuit long-temps entretenu, Elle veut que d’erreur chacun soit prévenu : Jamais, s’il l’en faut croire, on n’eut tant de mérite. Mais moy-mesme je viens de luy rendre visite. Vostre Oncle m’a mené luy faire compliment, Et puis que je l’ay veu, j’en parle sçavamment. Et que vous a-t’il dit ?         Sottise sur sottise, Qu’un Abbé luy fait piece avec une Marquise, Et que ma Sœur jamais ne luy pardonnera S’il néglige à la voir dés qu’elle arrivera. Il connoit la Comtesse ?         Il se le persuade. Où l’auroit-il pû voir ? pure fanfaronnade ! Le bon homme luy-mesme en est scandalisé. A cela prest encor a-t’il l’esprit aisé ? Rien moins, et l’on croiroit qu’il cherche à faire rire. Est-ce une verité que l’on vient de me dire ? Vous partez ?         Ouy, Madame, et par l’ordre du Roy. Mais vous m’avez promis…         Je sçay ce que je doy, Mon cœur qui vous demeure asseure ma promesse ; Cependant, belle Olympe, ayez soin de Lucrece, Tous les moments qu’icy je donne à mon amour Ne font que differer d’autant plus mon retour, Ainsi puis qu’il le faut je m’arrache à moy-mesme. Le chagrin de l’absence est cruel quand on aime, Cousine, je te plains.         Il doit si-tost cesser, Que je n’auray pas trop le loisir d’y penser. D’ailleurs, j’ay tant de part à prendre dans ta joye… Tu m’aimes, et je sçay ce qu’il faut que j’en croye. Mais que t’as dit Oronte ? Il a veu le Marquis. Que sert de te parler, si ton dessein est pris ? Il te plaist, c’est assez.         Mais quoy qu’il m’ait sceu plaire, Si tu m’ouvrois les yeux…         Vois-tu ? je suis sincere, Et je te dirois plus que tu ne veux sçavoir. Quels defauts a-t’il veus ?         Tout ce qu’on en peut voir, Une vanité forte, un esprit ridicule. Ah, pour l’esprit, permets que je sois incrédule, Je m’y connois un peu ; pour quelque vanité C’est un vice ordinaire aux gens de qualité, Et peut-estre est-il bon, quoy que le monde en cause, De croire quelquefois que l’on vaut quelque chose. Si le Marquis se juge un peu d’orgueil permis, Avec moy, pour le moins, il n’est rien plus soûmis, C’est un respect si grand, une ardeur si discrete, Que…         T’en voilà coifée, il t’a dit la fleurette, Mais ce qui me confond, c’est de voir qu’un moment Ait produit dans ton ame un si grand changement. Je veux qu’il ne soit pas ce qu’on le prétend estre, Ce n’est que d’hier au soir que tu le peux connoistre, L’entretien dura peu, tu parlas sans le voir, Et déjà sur ton cœur l’amour a tout pouvoir ? Voilà ce que sur moy fait l’esprit, c’est mon charme, Quoy que fiére, par luy ma fierté se desarme, Et pour estre le prix d’un don si precieux, Mon cœur n’a pas besoin du conseil de mes yeux. Sans ce rafinement, dy que ce qui t’a prise, C’est la douceur de voir que tu seras Marquise ; Cousine, un si beau nom couvre bien des defauts. Ah, tu me connois mal.         Je sçay ce que tu vaux, Le faste jusqu’icy ne t’a point ébloüie, Mais le Marquis peut bien…         Tu t’en és réjoüie, Soit ; au moins croy tes yeux plûtost qu’un faux rapport ; Je l’estime, il viendra, tu verras si j’ay tort. Ce n’est pas seulement son esprit que j’admire, Son courage l’égale, et l’on n’en peut trop dire. Si je te pouvois bien dépeindre de quel air Il repoussa son Frere, et le fit reculer… Madame, une visite où vous ne songiez guere. Ce n’est pas le Marquis ?         Non, c’est son brave Frere. Dequoy s’avise-t’il ?         Quoy que l’on t’en ait dit, Tu t’és préoccupée, il doit manquer d’esprit. Sur un pareil defaut quand je luy ferois grace, Ce qu’il fit hier au soir marque une ame si basse, Qu’au moins si je m’en tais, il sera malaisé Qu’il me trouve à l’estime un cœur bien disposé. De peur que le Vieillard luy-mesme ne l’amene, Je vay vous écouter de la chambre prochaine, Prenez l’occasion de faire enfin ma paix. J’employeray le Marquis, va, je te le promets. Madame, j’ay douté si ce seroit vous plaire Que venir prendre part au bonheur de mon Frere, Je suis né malheureux, et voy malgré mes soins Que souvent j’importune où je l’ay cru le moins. Mais l’honneur que sur moy fait rejallir sa flame, Avecque trop de force a penetré mon ame, Pour ne m’avoir pas fait à la fin surmonter Le scrupuleux respect qui vouloit m’arréter. Si d’un pareil devoir l’empressement vous gêne, Au moins daigner songer qu’un beau zéle m’améne, Et qu’il ne me faloit qu’avoir le sort plus doux Pour en rendre l’ardeur moins indigne de vous. Je dois trop aux bontez du Marquis vostre Frere Pour ne pas estimer ce qu’il vous plaist de faire, Et vous m’avez fait tort quand vous avez douté Si vous hazarderiez cette civilité. Non que je la merite, et que je deusse attendre Que vous pussiez si-tost songer à me la rendre ; Mais j’ay quelque lumiere, et sans rien éxiger, Je sçay ce que je dois à qui veut m’obliger. Ah, vous ne devez rien, et quoy qu’on puisse faire, On en est trop payé par l’honneur de vous plaire. Mais helas ! quels devoirs si pressans, si soûmis Pourroient jamais laisser ce doux espoir permis ? Vous plaire est une gloire au dessus de toute autre, Tout merite s’efface à voir briller le vostre, Et le bonheur d’un seul par ses flateurs appas, Cause bien des soûpirs que vous n’entendez pas. Est-il stupide ?         Non, j’en suis assez contente ; Mais le Marquis, c’est bien autre chose, il enchante. J’étois peu préparée à recevoir de vous Des éloges conceus en des termes si doux, Je les trouve un peu forts.         S’ils n’ont rien qui vous touche, C’est qu’ils perdent leur grace en passant par ma bouche ; Mais l’absence où je suis tout prest à recourir, Vous laissera de moy peu de chose à souffrir. Vous nous abandonnez ?         Paris m’est trop contraire, Le Ciel depuis long-temps m’y voit d’un œil severe, Et peut-estre qu’ailleurs j’auray le sort plus doux. Quel malheur assez grand vous éloigne de nous ? Celuy de trop aimer, et de ne sçavoir plaire. La Dame est bien cruelle.         Ah Dieux, qu’elle m’est chere ! Quoy que ses durs mépris me causent mille maux, Je n’ay point à m’en plaindre, elle sçait mes defauts, J’en dois subir la peine, en aimer la justice. Il n’est point de rigueur que le temps ne fléchisse, Voyez, parlez, pressez, pourquoy vous rebuter. Que je presse ! non, non, rien n’est plus à tenter. L’amour plus de cent fois m’a fait chercher sa veuë, Je n’en ay parlé qu’une, et cette fois me tuë, Dans cette seule fois elle m’a fait sçavoir Tout ce qui porte une ame au plus vif desespoir, Dans cette seule fois elle m’a fait entendre… Cette façon d’agir ne me peut trop surprendre. Le cœur doit estre libre à se laisser charmer, Mais on peut sans mépris se défendre d’aimer. Que je luy veux de mal !         Ah, non, quoy qui m’arrive, Qu’elle ait tout le bonheur dont sa rigueur me prive, Par là mon desespoir pour estre soulagé, Et tout ce que je crains c’est d’en estre vangé. Tant de respect gardé fait voir…         Adieu, Madame, A trop d’emportement j’abandonne ma flame, Et sans doute j’ay tort de mesler mes chagrins Aux sensibles douceurs de vos heureux destins. Dy tant que tu voudras que ton Marquis l’efface, Sa plainte m’a touchée.         Il la fait avec grace, Et sans ce qu’il fit hier qui témoigne un cœur bas, Son esprit, tel qu’il est, ne me déplairoit pas. Il a voulu toûjours épargner ce qu’il aime, Et d’abord je croyois qu’il parlast de toy mesme, Son œil estoit vers toy si tendrement tourné… Sur quelques soins rendus je l’aurois soupçonné, Mais pour luy quels mépris ay-je laissé paroistre ? Cette nuit au Marquis tu les as fait connoistre. Le Marquis est discret.         Ne te répons de rien. Mais avec luy jamais ay-je quelque entretien ? Il dit qu’il a parlé.         Ce n’est pas toy qu’il aime, D’accord ; on le maltraite, et tu ferois de mesme, Qu’importe quel Objet sa passion ait eu ? Voicy quelque message.     Approche.         Que veux-tu ? C’est Monsieur le Marquis, Madame, qui m’envoye… Le Marquis ?     Il est là.         Tes yeux brillent de joye. Qu’il entre.         Elles verront un rareOriginal. Enfin tu vas juger si je m’y connois mal. Je me tais.     Le voicy.         Quel excez de parure ! Il est tout englouty dedans sa chevelure. Que dis-tu de son air ? L’a-t’il galant et doux ? C’est celle-cy ?         Bon jour, comment vous portes-vous ? Comme ayant eu long-temps toute l’inquietude Où d’un malheur qu’on craint plonge l’incertitude. Ce combat impréveu…         Vous parlez d’hier au soir ? Ce n’est rien, en courant j’eus belle peur de choir. J’en tenois tout du long faisant la culebute. De nuit les plus vaillants son sujets à la chute. Comment aurois-je fait pour n’estre point vaillant ? Ce n’est que feu par tout, j’ay le sang pétillant. Ta, ta, ta, quand je voy que l’Ennemy recule, Et haye après.         D’où vient qu’il fait le ridicule ? Me veut-il éprouver ?         Je croy qu’en cét instant Vous avez à me voir le cœur bien palpitant. Que je taste.     Ah, grands Dieux !         C’est-là vostre Cousine ? Pourquoy le demander ?         On le voit à sa mine. Elle a le front ouvert, la bouche à l’avenant, Et visage jamais ne fut plus cousinant. C’est-là ce grand esprit ?         Ne me dy rien. J’enrage. Se peut-il faire…         Encor un mot de cousinage. Tout à l’heure en entrant j’ay trouvé deux blondins Qui pour me haranguer se sont dits vos Cousins. Je leur ay de mes Gens chez eux offert l’escorte, Baissé la teste en suite, et fait fermer la porte. Ils meritoient de vous plus de civilité. Je hay ces compliments à droit de parenté, Cent devoirs dans l’abord de peur qu’on se mutine, Grand-accueil au Cousin, et tout pour la Cousine. Quoy, vous serez jaloux ?         Ouy, si je deviens fou. Jaloux ! Je ne voy pas ny comment ny par ou. Diable, aprés qu’on m’a veu regarde-t’on personne ? Cét œil perçant ? ce tour de visage ? Ah, friponne ! Je vous voy me lancer un regard tendre et doux, Qui fait…         Vostre Cousine est plus belle que vous. Vous nous déconcertez, cela se doit-il dire ? Doive ou non, je m’en ris.         Mais pourquoy vous en rire ? Puis qu’enfin vous l’aimez…         C’est-là la question, L’amour me cause encor peu d’indigestion, Et j’ay le cœur…         Nier une flame advoüée ! Il m’en faut éclaircir, sans doute on m’a joüée. Estes-vous le Marquis ?     La buse !         Répondez. Vous mesme sçavez-vous ce que vous demandez ? Cousine, on me fait piece.         Elle seroit bien forte. Si je suis le Marquis ? Ouy, le Diable m’emporte, Je le suis.         Quoy, celuy qu’en qualité d’Epoux… Celuy qui cette nuit avoit le rendez-vous. Quel rendez-vous ! jamais je n’eus frayeur semblable, Mon Cadet dégainant a fait d’abord le diable, Et si je n’eusse pas promptement détalé, J’en avois tout au moins pour un bras avalé. C’est là comme tu dis qu’il a poussé son Frere ? A la fin je commence à percer le mystere, Vous n’avez pû me voir ?         Il m’avoit prévenu. Mais dites, l’avez-vous long-temps entretenu ? Il vous en a bien dit, car enfin il enrage D’avoir esté dupé sur vostre mariage. Ayant auprés d’Anselme imploré mon appuy, Il croyoit fortement que j’eusse agy pour luy ; Mesme pour me pouvoir divertir de sa flâme, Je l’avois asseuré qu’il vous auroit pour femme, Qu’on approuveroit ses feux. Vous l’aurez détrompé ? De quel étonnement mon esprit est frapé ! Oronte avoit-il tort ? ton Marquis ?         Je le quitte. Celuy dont je t’ay tant élevé le merite, Que j’ay crû le Marquis, c’estoit le Chevalier. Vous donnez toutes deux dans le particulier, Parlez haut, si l’amour à l’envy vous talonne, Vous m’avez vû, le mal n’a plus rien qui m’étonne. Quand avec le grand mot recevrez-vous ma foy, Resveuse ?     Rien ne presse.         Et je veux presser, moy. Un Amant prend toûjours l’ordre d’une maîtresse. Bon pour les non marquis.         Ah, ma chere Lucrece, Quel malheur est le mien ?         Lucrece est un beau nom, Est-ce par chasteté que vous l’avez pris ? non, Vous avez l’œil tourné…         Que me voulez-vous dire, Qu’une Lucrece en vous… regardez-moy sans rire. Si, comme il est encor des Tarquins, par hazard Vous en trouviez quelqu’un, joueriez-vous du poignard ? Je ne vous entens point.         Vous avez lû l’Histoire, Coquine, vous riez.         Qui l’eust jamais pû croire ? Mais vous ne riez point, vous ?         Moy rire ? et dequoy ? De la voir rire. Elle est grassette.         Laissez-moy. Je veux…     Ne veuillez rien.         Ah, petite doduë, Pour un peu d’embonpoint vous faites l’entenduë ! S’il ne faut pour cela que faire voir du gras, Je m’en vay vous montrer…         Ah, ne nous montrez pas. Mon Dieu, le vilain homme !         Où peut estre mon Père ? Il le faut appeller.         Nous n’en avons que faire, Ces bouquins du vieux temps ne sont propres à rien. Vous le traitez si mal…         Je le traite assez bien. Si le nom de bouquin est un nom qui le choque, D’où vient qu’il vieillissoit ? c’est pour luy, je m’en moque. Mais quand vous vieillirez…         Pourquoy vieillir ? les ans Ne sont faits proprement que pour les sotes gens. Qu’on ait l’air tel que moy, galant, fin, le visage Soustenu d’un brillant…c’est toûjours le bel âge. Voyez-moy bien, je suis des propres s’il en est. Mon habit vous plaist-il ?         Rien de vous ne me plaist. Rien de moy ne vous plaist ? la laide, la mauvaise. L’injurier !         Je veux que mon habit luy plaise, Il est bien entendu, chamarré haut et bas, Fort riche en points, pourquoy ne luy plaira-t’il pas ? Qu’il me donne la main ?         Vous ostant à mon frere, J’étois fort résolu de n’en vouloir rien faire, Mais puis que vous sçavez si peu me ménager, Je vous épouseray pour vous faire enrager. M’épouser ?     Dés demain.     Oüy, si…         Point de replique. Est-elle…         Contre vous gardez que je me pique, Je vous épouserois toutes deux.         Bon cela. Oh, oh, ma Reine, donc vous en voulez par là. J’en vay danser de joye.         Ah, vous voila, Beaupere. Je croy qu’en vostre temps vous étiez un bon Frere. Peste, l’heureux Grison ! qu’il est rablu !         Mais vieux, Et c’est…         Courrez-vous point quelque fois les bons lieux ? Vous en avez la mine, et tout vieux que vous estes… Pareilles questions n’ont jamais esté faites. Voilà les beaux discours, et les termes choisis Dont nous régale icy Monsieur vostre Marquis. C’est qu’il est gay, ma fille.         Et gay seul plus que trente. Je ne vois point icy paroistre de suivante. Ma Fille en avoit une, il l’a falu chasser. Certains tours trop rusez…         Je veux la remplacer, Vous en choisir moy-mesme une drôle, follete, C’est contre le chagrin une douce recepte, Et comme vostre Fille a l’air trop serieux, Ayant où m’égayer, je m’en porteray mieux. Ma Fille aura toûjours si grand soin de vous plaire… Est-ce depuis long-temps que vous estes son Père ? Que répondre à cela ? je l’ay toûjours esté. Toûjours ? quoy mesme avant vostre nativité ? Le stupide !         J’entens depuis qu’elle est au monde. C’est aussi là-dessus que je veux qu’on réponde. Quel âge a-t’elle ?     Elle a…         Quarante ans à peu prés. Elle raille.         Pourtant son teint n’est pas trop frais. Le laict de sa nourrice estoit-il bon ?         Courage. Pas là l’humeur des gens…         N’en ayez point d’ombrage. Et sa Mere ? soit dit sans vous desobliger, Vous faisoit-elle point quelquefois enrager ? Un Enfant tient de tout. Elle n’est pas la seule… De la Mere il ira jusqu’à la Bisayeule, Et si vous l’écoutez, vous courez grand hazard… Dequoy vous mélez-vous ?         Je dois y prendre part, Et ne pas endurer…         Vous devriez vous taire, Voyez, elle fera la leçon à son Père. Eh, qu’on me la… Suffit, j’y veux mettre la main, Concluons pour la Nopce.     Il est juste.         A demain. La comtesse d’Orgueil qu’on attend à toute heure Réglera…         J’ay reglé, l’un rit quand l’autre pleure, Si vostre Fille est sote, à son Dam.         Jusqu’icy L’heur de vous plaire a fait mon unique soucy. Mais si vous m’ordonniez d’accepter…         J’ay de l’âge, Taisez-vous.         Bon, voilà parler en homme sage. Plûtost que me resoudre…         A croire son dépit J’aurois dix mille écus portez par le dédit, Mais comme il ne faut pas que d’un honneste Pere… Dequoy diable vous estre avisé de la faire ? C’est un fruit de l’hymen.         Je vous en déferay, Elle a la teste creuse, et j’y remedieray. Ah, tu m’épouseras, guenonne.         Si ma vie Vous est…     Encore un coup, taisez-vous.         Je vous prie, Finirez-vous bien-tost vos lamentables tons ? Mais, mon Oncle, souffrez…         Voicy l’autre. Sortons, Beaupere, mon carrosse est là bas, et je pense Qu’on peut, tout en roulant, se donner audience. Il vaut mieux qu’icy seul…         Vous viendrez avec moy. J’aurois soin de calmer…         Vous y viendrez, ma foy, Je ne m’étonne pas si la Fille est testuë. Marchez.     Ah !         Marchez donc, là, quel pas de tortuë ! Sortiray-je avant vous ?         Ouy : le maudit Vieillard ! Qu’il aime à contester ! Les Belles, Dieu vous gard. A-t’on jamais parlé de pareille folie ? C’est encor pis cent fois que ce qu’on en publie. Pour se l’imaginer je le donne au plus fin. Le bon homme est sorty, je puis paroistre enfin. Ah, Virgine.         Ma foy, j’en suis toute interdite. Mais tu nous le vantois, où donc est ce merite ? Comment avois-tu pû luy trouver de l’esprit ? Les Foux semblent-ils foux quand on leur aplaudit ? J’avois bien hier connu m’acquitant du message, Que son humeur estoit portée au badinage, Mais devois-je le croire aussi blessé qu’il est ? Cousine, cependant le Chevalier te plaist ? Je l’avouë.         Et c’est toy dont le mépris trop rude Donne tant de matiere à son inquietude ? J’eusse eu peine à luy croire un esprit aussi doux. Carlin m’avoit appris qu’il soûpiroit pour vous, Mais outre qu’il avoit ordre de n’en rien dire, Sçachant son peu de bien je n’en faisois que rire. L’esprit répare tout, il m’aime, c’est assez. Attendant que ses vœux puissent estre exaucez, Tu peux luy faire dire en secret qu’il espere, Mais les dix mille écus arréteront ton Père, Il faudra qu’il les paye en trompant le Marquis. Ah, pour m’en dégager vint mille au lieu de dix. Moy l’épouser ?         Encor si nous avions Oronte, Qu’il pust…         Il n’est donc plus à Paris à ce conte ? Non, il vient de partir.         Attendant son retour, Il me tombe en l’esprit un assez plaisant tour, Je cours chercher Carlin.         Fais agir ton adresse. Ma frayeur est de voir arriver la Comtesse, Elle gasteroit tout.         Qu’est-ce que tu prétens ? Allons, vous le sçaurez quand il en sera temps. Estes-vous satisfait ?         Quelle aimable surprise ! Quoy, Madame, à l’espoir Olympe m’authorise ? Mes vœux sont préferez à ceux de mon Rival ? L’erreur du rendez-vous a causé tout le mal, Et la fourbe éclaircie, il ne faut plus vous taire Qu’autre que vous jamais n’aura droit de luy plaire. Le respect que pour elle a gardé vostre amour Meritoit la douceur d’un si charmant retour. Tandis qu’à d’autres soins ce changement l’appelle, J’ay voulu vous donner cette heureuse nouvelle, Et vous mander icy pour prendre vostre advis Sur le tour qu’on s’appreste à joüer au Marquis. Lyse de ce logis rend Virgine Maîtresse. Vous sçavez que j’attens Madame la Comtesse, Il faut de l’arrivée essuyer le hazard. Mais quand elle viendroit ce ne seroit que tard. En tout cas on n’a point à craindre de surprise, La porte de derriere icy nous favorise : Vous n’auriez qu’à sortir.         J’avois à t’assurer Que d’Olympe et de moy tu peux tout esperer, Et que son premier soin sera de reconnoistre Le zele Officieux que tu luy fais paroistre. Voilà ce qui sur tout ma fait venir icy. Je voudrois que déjà la chose eust reüssi. Le bon est que dés hier, par un pur badinage, Carlin à son Marquis me fist faire message, Ainsi tout ira bien.         Mais par où me flater Qu’Anselme à son defaut daignera m’écouter ? Les grands bien de mon Frere auront touché son ame. Ce n’est pas ce qui doit allarmer vostre flâme, N’ayez point là-dessus l’esprit inquieté, Tout Gendre luy plaira s’il est de qualité, Et l’estime d’ailleurs qu’il a pour vous conçeuë, De nos prétentions facilite l’issuë. L’obstacle le plus fort vient des dix mille escus. Il est grand, mais enfin nous ne le craindrons plus, Si Virgine pour vous poussant le stratagême, Peut forcer le Marquis à rompre de luy-mesme. C’est dequoy divertir Oronte à son retour. Vous aurez cette joye avant la fin du jour. Il ne part point ?         Chez vous vous le verrez se rendre. Les ordres sont changez, on vient de me l’apprendre. N’importe, il sera bon que la piece ait effet Avant qu’il sçache rien de ce qu’on aura fait. Je craindrois son scrupule et sa delicatesse A voir qu’on se servit du nom de la Comtesse, Ainsi jusqu’au succez cachez-luy ce dessein. Mais pour joüer ce rôle…         Il est en bonne main, Virgine a de l’esprit, croyez-moy. Que fait-elle ? Virgine.         L’on y va. Voyez si je suis belle. Ay-je perdu mon temps ?         Tu m’ébloüis les yeux. Quel éclat !         Je feray la Comtesse des mieux. Je crains ta folle humeur, garde-toy bien de rire, Tu sçais…         J’ay veu le loup, Madame, c’est tout dire De l’air dont je soûtiens certains tendres soûris Je broüillerois le tymbre aux plus sages Marquis. Jugez de celuy-cy, sa conqueste m’est deuë. Mais s’il te reconnoit. J’oubliois qu’il t’a veuë. Il est vray qu’avec luy j’eus hier quelque entretien ; Mais se voit-on de nuit ? n’en apprehendez rien. Qu’au besoin seulement ma Suivante m’observe. Dame.         Je payerai bien, mais j’entens qu’on me serve. Va, je sçay les respects deus à ta qualité. Souviens-toy du message entre nous concerté. Autre embarras, qui peut mettre à bout ton adresse. Depuis hier qu’au Marquis je nommay la Comtesse, Sur ce qu’il croit pour luy qu’elle brûle en secret, S’il s’en estoit fait faire à peu prés le portrait ? Adieu ton étalage en prétendu merite. Elle est grande, fort blonde, et toy brune et petite. Quoy qu’elle ait l’air galant, tu l’as plus dégagé. C’est à quoy je répons qu’il n’aura pas songé. Voicy Carlin.     Et bien ?         Monsieur ? quittez la place. Le Marquis, d’un ruban corrige la grimace. Il est sur l’escalier où ce coin le retient. Allons trouver Olympe. Adieu, prens garde…         Il vient. Dépeschez.         Là dedans j’attendray le message, A sortir gravement mon nouveau rang m’engage. C’est l’entendre.         Il croit donc que par excez d’amour Pour luy seul la Comtesse est icy de retour ? S’il le croit ? a-t’on veu jamais de ridicule Qui n’eust entr’autres dons celuy d’estre crédule ? Pour le voir, il croira, si tu veux, qu’à grand frais La Reine de Congo vient icy tout exprés. Voy dans ces nœuds toufus quel amas de merite. Qu’en dis-tu ? Suis-je exact ? J’ay promis, je m’acquite. La Comtesse ?         Je vay l’avertir de ce pas. Qu’elle en aura de joye !         Ah, je n’en doute pas. J’ay quité sans mot dire un Trio de Marquises Pour venir… Mais encore à diverses reprises Car j’ay, de ruë en ruë , esté forcé de voir Vingt carrosses à qui j’ay donné le bon soir. Pour m’avoir, à l’envy chacun faisoit instance. Vous en serez payé largement.         Je le pense. Cette maison est belle.     Et le meuble ?         Encor plus. La Comtesse a pris soins d’amasser des escus ; Il la faut mitonner.         Grace à ma destinée, Je la tiens déjà prise, et toute mitonnée. Elle m’a veu, suffit.         Faites bien le transy. Les Veusves d’ordinaire aiment le radoucy. C’est par là qu’on les prend.         Pour peu qu’elle m’entende, A moins que d’estre beste il faut qu’elle se rende. Beste ? et quoy son esprit fait la nique aux plus prompts. Il est toûjours en l’air, et ne va que par bonds. Vous en serez charmé.         S’il a ces avantages, Nous pourrons elle et moy faire de grands voyages. Je vay haut quand je veux.     La voicy.         L’air m’en plaist. Rentrez page.         Du reste il faut voir ce que c’est. Qu’aujourd’huy mon étoile est heureuse !         Madame, Je m’étois fait de vous un portrait…Sur mon ame, C’estoit si bien vostre air qu’à la parole prez Mon imaginative avoit pris tous vos traits. Un agréement de taille, et certain caractere… Dieu me damne, je croy que vous me pourrez plaire, Il entre en vostre corps petit, mais bien troussé, Je ne sçay quoy de grand dont je me sens blessé, Et vos yeux ont sur tout la physionomie… Leur clarté doit pourtant estre bien endormie. Les Veilles, la fatigue…         Ah, je suis enchanté. Que des yeux, la fatigue endorme la clarté. Voylà ce qui s’appelle un tour beau, grand, facile. L’enfleure de l’esprit paroist dans le haut stile. L’Enfleure !         Qu’avec vous je ferois de profit ! Ah !         Vous ne dites rien qui ne soit si bien dit… Qu’on me donne deux mois, et je vay vous apprendre Ce qu’un autre en dix ans ne seroit pas comprendre. Mais quand vous le sçauriez autant de bien perdu, On parle à des lourdauts, il faut estre entendu. Dites un mot nerveux, vous trouverez des asnes… Il est, je l’avouëray, peu d’esprits diaphanes, De ces esprits, à jour bien ouverts.         C’est pitié ! Aussi pour la plus part j’en rabats de moitié.  J’y trouve une épaisseur…         Que vous estes à plaindre ! Si je le suis ? bien plus qu’on ne croit, sans rien feindre De cent Belles à qui je parois en conter, Je ne sçache que vous digne de mécouter. Au lieu qu’en m’admirant les gens d’esprit s’écrient, Je ne trouve par tout que des sottes qui rient, Point de raisonnement.         Pourquoy les voyez-vous ? Qui donc voir ? il faut bien hurler avec les loups. On me cherche, on me court, je suis bon, comment faire ? Vous soufrez bien, je pense, à force de trop plaire. Si je voulois tenir papier de tous les cœurs… Qu’on vous fait chaque jour paroîstre de langueurs ! Que d’amoureux transports qui s’échapent !         Je meure, Je suis sourd des soûpirs que j’entens à toute heure. Il en est qui pour vous auroient pû s’enhardir, Mais puis que l’on connoit que c’est vous assourdir… M’assourdir ? non pas vous.     Ah !         Ma belle Comtesse, Soûpirez à vôtre aise, et que rien ne vous presse. Diable, vous n’estes pas à mettre à tous les jours. Carlin, son mal en moy prend déjà mesme cours. Mon cœur palpite.         Ailleurs où trouver qui la vaille ? A dissiper mon trouble en vain mon cœur travaille. L’assaut que sa langueur me livre à l’impourvû… Ah, Monsieur le Marquis, pourquoy vous ay-je vû ? Ne vous repentez point, Comtesse de mon ame, Si vous estes en feu, je me sents tout en flâme, Et pour prix des soûpirs que j’ay sçeu vous tirer, Escoutez, je commence à contre-soûpirer. Ah !         Monsieur le Marquis, voulez-vous que je meure ? Non, pourquoy tant souffrir ? guerissez-vous sur l’heure Et sans mettre avec moy cent soûpirs bout à bout, Rognez, taillez, coupez, me voyla prest à tout. La Comtesse d’Orgueil seroit assez heureuse Pour meriter le choix…         Ouy, ma belle Orgueilleuse, Mon cœur de tous les cœurs l’inévitable écueil, Ne veut s’énorgueillir qu’auprés de vostre Orgueil. Je pourrois vous avoir tout à moy, sans partage ? Tout.         Il ne faut donc point differer davantage. L’ordre est donné chez moy de cacher mon retour, Pour témoin de nôtre heur ne prenons que l’amour, L’hymen peut dés demain nous unir l’un à l’autre. Ordonnez du Contract, tout mon bien est le vôtre. Carlin, si je conclus, après le mot lâché Tu diras que de moy je fais trop bon marché ? Sans les meubles elle a dix mille écus de rente. Vous pourriez trouver mieux.         J’en trouverois cinquante. Mais l’esprit ?         C’est à vous, Monsieur, à vous sonder. Les autres avec moy semblent guoguenarder. Celle-cy parle juste, est accorte, et sçait vivre. Se promettre n’est rien à moins qu’on ne se livre. Je m’y resous, demain, tout comme il vous plaira. Mon cher Marquis.         De joye elle se pâmera. Qu’au brillant de mon astre on va porter envie ! J’en sçay qui creveront.         Que j’en seray ravie ! Garde aussi le poison, si l’on sçait que mon choix… Qu’est-ce ?         Monsieur le Duc pour la dixiéme fois… Qu’il vienne trente encor, je n’y suis pour personne. On a suivy vôtre ordre.         Il vous trouve mignonne, Ce Duc ?         Malgré l’ardeur de son empressement… Vous en voudroit-il concubinalement ? Concubinalement.         Sans couroux, ma Comtesse. Vous sçavez que Nature est un peu larronnesse, Que par tout elle pille, et qu’on voit de nos ans Plus d’amours concubins qu’il n’en est d’épousants. Le Duc est grand amy de mon frere.         D’Oronte ? Quoy, vous le cognoissez ?     Ah !         Que j’en ay de honte ! A certaine Lucrece…         Admirez le beau choix. Un homme comme luy donner dans le Bourgeois ! Si j’eusse pû de vous me priver davantage, Il eust eû beau presser la fin de mon voyage, Son hymen pour six mois m’eust fait fuïr de Paris. Cette Lucrece est roche, et c’est ce qui l’a pris. Est-elle belle ?         Non, c’est un nez…une bouche… Des yeux…un teinte…Enfin elle n’a rien qui touche, Vous la verrez.         Trop tost, j’en meurs déjà de peur, Car enfin le bourgeois me fait si mal au cœur… Aussi fait-il à moy.         Passe encor pour Lucrece, Son bien repare assez le manque de Noblesse, Mais il est une Olympe…     Et bien ?         Que t’a-t’on dit, Lyse ?         Dans son quartier tout le monde s’en rit. Un Campagnard fort riche et de bonne famille, Est si sot que d’Anselme il épouse la Fille. Le Voyla bien logé.     Comment ?         Elle n’a rien. Ne dit-on pas qu’Anselme…         Ouy, qu’il a quelque bien, Mais il se fait honneur de celuy de Lucrece, Il en a la tutelle, et comme avec adresse Des grands deniers qu’il touche il ébloüit les yeux, Une Dupe à trouver…         On en trouve en tous lieux, Ne nous vantons point, Carlin.         C’est vôtre affaire. Cette Olympe a d’ailleurs la tache de sa Mere, Qui tombant du haut mal…         Du haut mal ? j’en dit fy. Cependant de superbe elle a le cœur boufy, Et selon qu’on la trouve en son humeur verveuse, On luy voit quelquefois faire la dédaigneuse. Je plains la pauvre dupe, il faudroit l’avertir. Ce Mariage est trop…         Comment l’en garantir ? Le dédit est signé d’une fort grande somme. Monsieur, voylà ce tour, disiez vous, d’habile homme. La Comtesse demain vous épouse en secret, Mais les dix mille écus, Anselme a vostre fait, Comment le retirer ?         Il faut pourtant le faire. Quel bruit faisoit-on là ?         Rentrez, c’est vôtre Frere. Oronte ?     Adieu la fourbe.         Il monte ; promptement. Et quand il la verroit ?         C’est pour vous seulement Qu’elle rentre à Paris, voulez-vous qu’il le sçache ? Suivez viste.         Il faut donc aussi que je me cache ? Entrez.         Il n’est plus temps, il m’a vû, le voicy. Ah, Monsieur le Marquis, que faites vous icy ? Je venois m’informer si la belle Comtesse… Ainsi pour son reourtr mesme desir nous presse. Lyse, aucun de ses Gens n’est-il encore venu ? Non, Monsieur.         Un Portier qui ne m‘est pas connû M’a fait façon là bas quand je t’ay demandée. Du Duc, et de ses Gens je me trouve obsedée, Il vient icy sans cesse, et pour m’en garantir Je fais dire souvent que je viens de sortir. Ce Duc n’a pas le goust dépravé ; la Comtesse Fait bien enrager ceux qui n’aiment pas la presse. C’est un œil attirant…         Le Duc lui fait honneur. Lui fait honneur ? là là.         Quel est-ce bon Seigneur ? Des contes qu’il me fait je suis toute surprise. C’est un fou toûjours prest à dire une sottise. La Comtesse par tout emportera le prix. Dans sa petite taille elle a l’air si bien pris… Petite ?     Il va tout perdre.         En est-il de plus grandes ? Ou diable a-t’il les yeux ? s’il en est ? et par bandes. Pour vous, estant Geante, elle auroit plus d’appas. Geante !         Il parle d’elle, et ne la connoit pas. Je ne la connois pas dites vous ? par exemple, Elle a les cheveux bruns, le nez court, le front ample, Les sourcils bien taillez, l’air fripon, l’œil perçant, Le teint des plus unis, le regard languissant, La gorge…         Ce portrait est le plus beau du monde, Mais si je vous disois que la Comtesse est blonde ? Et si je vous disois que j’ay l’œil de travers, Le visage de singe, et la mine à l’envers, L’équipage et l’habit d’un pauvre Gentilhomme, Vous ne me croiriez pas, mon tres-cher ? c’est tout comme. Voulez-vous disputer contre un fou ?         Je le voy, Ma sœur vous est du moins connuë autant qu’à moy. Sçay-je peindre ?         On n’en peut conserver mieux l’idée, Mais où l’avez-vous veuë ?         Où je l’ay regardée. Encor, quelle rencontre…         Il n’importe comment. Ces Freres curieux parlent si lentement. Laissez-moy mes secrets, je vous laisse les vôtres. J’admire…         Admirez donc, vous en verrez bien d’autres. La compagnie est belle.     Ah, Monsieur.         Où va-t’il ? Ce diable de Beaupere a l’odorat subtil ? Il nous sent de bien loin.         En passant par la ruë, Le hazard sur vos gens m’a fait jetter la veuë, Et c’est d’eux que j’ay sceu que vous estiez icy. J’ay receu nouvel ordre.         Ils me l’ont dit aussi. Et puisque vous restez, l’affaire qui nous presse Est de voir arriver Madame la Comtesse. Qu’en avez-vous appris ?         Lyse l’attend toûjours, Mais à certaine amie elle écrit tous les jours, Et pour m’en informer j’allois passer chez elle. Tandis que vous irez, sur quelque bagatelle Pourrions-nous sans témoins parler mon Gendre et moy ? Je le trouve à propos.         Lyse, retire toy. Vous pouvez tout icy.         Le Beaupere demeure. Monsieur, défaites-nous du Vieillard.         Tout à l’heure. Carlin, s’il va parler ?         Comme on ne peut trop tost Appaiser les debats qui…         Le reste à tantost, Serviteur.     Quatre mots.         En maison étrangere, N’en eust-on qu’un à dire, il est bon de se taire. Puisqu’on sçait que pour vous ma Fille…         On ne sçait rien, Décampez.     A quoy bon me pousser ?         Je sais bien, A quoy bon m’étourdir, vous ?         L’avis est utile. Je ne veux point d’avis.     Ecoutez.         L’imbecille ! Faire écoutez les Gens.         N’entrez point en couroux ; Si vous sçaviez…         Tantost j’iray sçavoir chez vous, Ne vous suffit-il pas ?     Peut-estre…         Allez m’attendre. Vous estant tout de mesme offert à moy pour Gendre… Tu ne te tairas point, vieux loup-garou ?         Pourquoy ? Vous ne vous moquerez d’Olympe ny de moy, Je ne suis que Bourgeois, mais…         Qui te le conteste ? Chacun vaut ce qu’il vaut, je ne dis pas le reste. Adieu.     Qu’il est mutin !         Le traistre m’a perdu. Je croy que la Comtesse aura tout entendu. J’enrage.         La voicy qui sort toute éplorée. Ah, Monsieur le Marquis, je suis desesperée. Ma Reine, un peu de cœur.         Non, laissez-moy mourir. Ne vous pressez point tant, j’ay dequoy vous guerir. Vous ?     Moy.         De ce Vieillard n’estes vous pas le Gendre ? Olympe…Ah non fatal, que me viens-tu d’apprendre ? C’estoit donc vous…         En vain je l’ay dissimulé, Je suis le Campagnard dont on vous a parlé, Et pourtant pas trop dupe.         Olympe a sceu vous plaire ? Ah !         Je n’ay fait le sot que pour berner mon Frere, Certain Cadet qu’au monde on voit mince et leger, Et qui pour mes peschez n’en veut point déloger. Charmé de cette Olympe il croit qu’à ma requeste On tiendroit sa recherche un party fort honneste, Mais comme, à le bien prendre, il n’est bon qu’à noyer, Au diable si pour luy je voulus m’employer, Loin de cela, craignant qu’il n’obtint ce qu’il aime, Je courus m’asseurer du party pour moy-mesme. C’est là mon desespoir, qu’une Bourgeoise…         Non. En m’offrant au Veillard parlois-je tout de bon ? Mais le dédit signé…         Quitte à l’aller reprendre, Deux mots, et trop heureux encor de me le rendre. Vous iriez chez Olympe ? ah, ne me quittez pas. Si l’ardeur de ma flâme a pour vous quelque appas, Pour ne troubler en rien l’heur de ma destinée, Avant que voir personne achevons l’hymenée, Après, s’il faut payer le dédit, j’ay du bien. A quoy qu’il puisse aller, pour tous deux ce n’est rien, Mais, Madame, en payant voulez-vous que l’on dise Qu’un Marquis d’un Bourgeois soit la dupe ?         Quoy, Lyse, Tu veux donc hazarder…         Que hazarderez-vous ? L’amour n’est guere fort quand il n’est point jaloux. Olympe vous voyant essayera de vous plaire. Je sçay sa tache, il faut y rembarquer mon Frere. Ma foy, je riray bien si pour don nuptial Je le voy regalé d’un broüet de haut mal. Mais ne peut-elle pas vous paroistre si belle… Rien n’est plus laid.         Enfin vous me serez fidele ? Le dédit rendu nul, je suis à vous ce soir, Touchez, foy de Marquis.         Je vis sur cét espoir, Mais si vous me trompez…         Vous tromper ! je n’ay garde. Craignez tout, il n’est rien où je me hazarde. Eclat, emportement, fer, poison.         J’auroy soin En pressant mon retour qu’il n’en soir pas besoin. Adieu, mon Astre, adieu.         Tout va le mieux du monde. Auprés de ton Vieillard, pourveu qu’on te seconde, Les vœux du Chevalier pourront avoir effet. Viens sçavoir avec moy ce qu’Olympe aura fait. Demeurez-en d’accord, Madame, quand on aime On trouve grand plaisir à se gêner soy-mesme. Des rebuts du Marquis vostre Père en couroux Semble estre encor de luy plus dégousté que vous, Et ce qui doit sur tout flater vostre esperance, Avec le Chevalier il est en conference. Cependant on diroit à vos frequents soûpirs Que tout se montre icy contraire à vos desirs. Quoy que du Chevalier les vœux puissent me plaire, Par où te répons-tu qu’ils plairont à mon Père ? Que sur luy son merite aura mesme pouvoir ? S’il ne l’agréoit pas, l’auroit-il voulu voir ? Je ne vay pas si viste en ce qui m’interesse. Ma foy, je me repens d’avoir esté Comtesse, De n’avoir pas laissé la chose au mesme point. Vous ne meritez pas…         Ne me querelle point. Et le moyen ? N’estoit que je vous considere Pour avoir fait ma paix avecque vostre Père, Vous n’en seriez pas quitte.         Au moins tu m’avoüeras Que de pareils soucis causent de l’embarras. Le bien pour les Vieillards est une douce amorce, A consentir à tout c’est par là qu’on les force, Le Chevalier en manque.         Et celuy du Marquis ? A ce Frere déjà je le tiens tout acquis. Imperieux, fantasque, et plein d’extravagance Qui voudroit l’épouser ? Ce seroit conscience, Et j’en détournerois… S’il me vouloit pourtant Je prendrois le party d’un cœur assez content, Et ferois ce me semble, avecque plus d’adresse, La Marquise à bon jeu, que la fausse Comtesse, Lors à bon chat, bon rat ; s’il vouloit estre sot, Peut-on pas contenter les gens sans dire mot ? Tu seras toûjours folle.         Et bien, quelle nouvelle, Le Marquis ?         Ton air fin luy broüille la cervelle, Du grand don d’estre beau tout entesté qu’il est Il voit rire toûjours quand on luy dit qu’il plaist, Ton serieux le charme, et ce soir il se conte D’aller, en t’épousant, gagner le nom de Comte. Son fait à retirer le met seul en soucy. Doit-il venir bien-tost ?         Je le croyois icy. Il aura sur ses pas trouvé quelque Marquise. Mais par le Chevalier s’il voit la place prise, N’aura-t’il point d’ombrage ?         Il n’en est plus jaloux, Et cela, grace au bien que l’on a dit de vous. Madame la Comtesse, outre la gueuserie, Vous a donné d’un plat sa matoiserie, Si vous ne le sçavez, vous tombez du haut mal. A se rendre credule il n’a point son égal. Ces pretendus defauts peuvent tant sur son ame, Qu’avec joye à son Frere il vous cede pour Femme. Mais dégagé d’icy, quand il voudra ce soir Aller chez la Comtesse essayer son pouvoir, Et qu’au lieu d’y trouver un accueil amiable On luy dira neant ?         Ce sera bien le diable. Tu l’iras consoler.         Peste, il y feroit chaud. Il n’est pas toutefois plus méchant qu’il ne faut, J’en viendray bien à bout, et pourveu que Virgine… Tu prétens l’épouser, et je te la destine. Jamais en me servant on ne perd avec moy. Ah, ma chere Comtesse.         Enfin, réjoüis-toy,                1560 Cousine, dans tes vœux tu n’as rien de contraire, L’esprit du Chevalier plaist si fort à ton Père, Que pour l’avoir pour Gendre, au hazard du dédit, Si faloit éclater il n’est rien qu’il ne fist. Ainsi des deux côtez la parole est donnée, Et c’est de ton aveu que dépend l’hymenée, On t’attend pour cela.         Courez donc promptement. J’ay déjà répondu de ton consentement. Mais enfin pour la forme il est bon qu’on te voye, Viens.         Vous craignez, je croy, d’en montrer de la joye, C’est bien fait, vostre honneur par là seroit noircy. Tu ne changeras point.         Je vous attens icy, Allez, sur le grand ouy faites bien la grimace. Tu n’oses donc encor…         Je suis remise en grace, Et sans plus de façon, je me montre au Vieillard, Mais je crains le Marquis.         C’est une affaire à part. S’il m’avoit icy veuë en habit de Suivante, Comme la fourbe alors deviendroit apparente, Piqué de cet affront, dans son secret dépit, Penses-tu qu’il voulust renoncer au dédit ? Il tiendroit bon sans doute, et feroit de la peine. Cependant n’ay-je pas dequoy faire la vaine ? Mon rôle de tantost ne se peut mieux joüer, Me suis-je démentie ?         Il le faut avoüer, Tes charmes rehaussez m’ont fort chatoüillé l’ame, Mais avec ton talent de faire la grand’ Dame, Quand tu seras à moy, ne va pas t’aviser De devenir Comtesse, ou de t’emmarquiser. Il est, sans chercher loin, certains Marquis et Comtes Qui sur la gaye intrigue ont les démarches promptes. Et je n’aimerois pas que s’adressant à toy, Ma Race de par eux fust plus noble que moy. Le beau raisonnement !         Quand on craint la disgrace, Il fait bon…         Va là-bas sçavoir ce qui se passe, Et lors que tu verras le Marquis arriver… Mais…         Cours dire au vieillard qu’il me vienne trouver, Que je pretens icy m’expliquer teste à teste. C’est luy, tout est perdu, Dieux !         Ne fay pas la beste, Il se faut comme on peut tirer d’un mauvais pas. Me trompay-je, Carlin ?         Ne me découvrez pas, Marquis.     C’est la Comtesse. Ah, ma chere.         Courage. Vous trouvez chez Anselme, et dans cét équipage ! Je vous aime, et l’amour cause bien du soucy. Carlin, dy luy pourquoy je me déguise ainsi. Monsieur, c’est qu’elle a craint qu’Olympe… Dans son ame. Si vous connoissiez bien ce que l’amour… Madame, Vous direz mieux vous-mesme à Monsieur le Marquis… Ne le juge-t’il pas ? J’aurois fait encor pis Si pour remedier au mal qui me tourmente Il n’avoit pas suffy de me faire suivante. Olympe en cherchoit une, et j’ay sans hesiter Employé mon adresse à me faire accepter. Restant chez moy sans vous, mon amour en alarmes Eust de vostre Bourgeoise apprehendé les charmes, Et pour peu de pitié que son malheur vous fist, Vous croyant son époux, j’aurois perdu l’esprit. Icy presente à tout je soûtiendray peut-estre Les bontez que déjà vous m’avez fait paroistre, Voyant ce que je fais vous me prefererez. J’ay de ravissement les sens tous égarez. Carlin, ay-je le don de charmer les mieux faites ? Des Comtesse pour moy se changer en soubretes, Se resoudre à servir plûtost que hazarder Qu’une autre seul à seul puisse me regarder ! Je vaux trop, Dieux me sauve.         Ay-je l’heur de vous plaire Par ce que vous voyez que l’amour m’a fait faire ? Il vous a fait choisir un employ des plus bas, Mais enfin c’est pour moy, vous ne le perdrez pas. Pourvû que vous rompiez, et qu’Olympe ait la honte… Laissez faire, à present la Bourgeoise à son compte, Mais pour la faire rire, et vous mettre en repos, Je pretens devant vous luy dire quatre mots, Elle les entendra.         Sur tout sans plus attendre Déchirons le dédit.         Je sçay par où m’y prendre : Mais pour m’encourager…         Ah, point d’emportement. Ma Comtesse.     Arrestez.         Un baiser seulement, Je vous en tiendray compte, et…         La piece est galante, Vous fuyez la Maistresse, et courez la suivante ? J’en veux par là. Cassé, vieux, et prest à mourir, Vous enragez assez de ne pouvoir courir. Continuez, le jeu commençoit à vous plaire. Ne croyez pas, Monsieur…     Tay-toy.         Pourquoy se tayre ? Je veux qu’elle raisonne, et quand il me plaira Malgré vous et vos dents elle raisonnera. Vous prenez son party d’un air…         Je veux le prendre, Qu’en est-il ?     Si Monsieur…         Encor ? il faut t’entendre. C’est depuis un moment qu’on t’a receuë icy, Et déjà…c’est assez, n’en sois point en soucy. Rentre.     Pourquoy rentrer ?     Rentre te dis-je.         Ventre. Gardez de m’échaufer, je ne veux pas qu’elle entre. Quoy, toûjours vos je veux ?         Ma foy, j’en suis d’avis Qu’un pied plat comme vous glose sur un Marquis. Vous l’estes, et je sçay ce qu’est vostre famille, Mais d’où vient ce mépris quand vous aimez ma Fille ? Son hymen avec vous n’est-il pas résolu ? Vous le vouliez tantost         Je veux l’avoir voulu, Bon pour lors, à présent il me plaist de m’en rire. Mais dans ma Fille encor que trouvez-vous à dire ? N’est-elle pas…         Elle est tout ce qu’il vous plaira, Je n’en veux point.         Demain cette humeur passera. Point. Comme il parle doux !         L’affaire est donc concluë ? Ouy, plaignez-vous, pestez.         La plainte est superfluë. Je diray seulement sans plus d’émotion Que nous avions tous deux la mesme intention, Et que je ne venois que pour vous faire entendre Que jamais, moy vivant, vous ne seriez mon gendre. L’occasion est belle, au dédit, promptement. Je vous sçay fort bon gré d’enrager doucement. Sus, rendez-moy mon fait, voicy le vostre ; viste. Vostre Madame Olympe où fait-elle son giste ?     Il nous la faut icy, je la veux pour témoin. Pour rester quitte à quitte on n’en a pas besoin. Non, ce vous semble ; va, fay venir ta Maitresse, Dépesche.         Pardonnez, ma divine Comtesse, Pour duper le barbon il faut vous tutoyer. Vous attendrez fort peu, je vay vous l’envoyer. Ce coup inopiné vous rabatra la hupe. Franchement vous pensiez que je fusse une dupe, Et que m’estant laissé bonnement prendre au mot Avec vous tout de grand j’allois faire le sot ? Quand vous m’auriez tenu…         Je sçay de vos nouvelles. Diable, quel maistre Sire avecque ses tutelles ! Sur ces cent mille escus dont on m’a crû leurrer. Dites, combien la Niéce a-t’elle à retirer ? De quoy me parlez-vous ?         On m’a dit le mystere. Pour la Fille, elle a trop herité de sa Mere. Tombe-t’elle souvent… Là, vous m’entendez bien ? Est-ce donc que ses yeux ne luy servent à rien ? Tomber !         Ce vilain mal, puisqu’il faut qu’on s’explique, En quel temps devient-il plus ou moins domestique ? Hem ?         J’ignore à quoy tend ce galimatias. Ne voulant point entendre, il ne répondra pas. Voicy sa Geniture.         Approchez, nostre Prude. Je vous ay dit tantost quelque chose de rude, Vous en estes choqué, mais si vous estiez prest A recevoir l’excuse…         Alte-là, s’il vous plaist, Tantost, faute d’avoir oüy de moy fleuretes, Vous avez fait la folle, et c’est ce que vous estes ; Mais quand vous auriez eu l’accueil benin et doux, Vous parlant d’épouser, je me mocquois de vous. Outre qu’à droite, à gauche, et devant, et derriere, Vostre race a l’honneur d’estre fort roturiere, Vous possedez encor tres personnellement Tout ce que la laideur peut avoir d’ornement ; Vous estes sote, vieille, impertinente, gueuse, Sans esprit, sans talent que celuy de grondeuse, Et le Diable qui loge avecque les Hyboux, Voulant se marier, ne voudroit pas de vous. Ma Comtesse.     J’entens.         Vous ne pouviez mieux dire. Qu’elle m’en dise autant, je n’en feray que rire. On me connoit.         Autant ! à vous le beau des beaux ! Afin de m’adoucir vous direz mots nouveaux, Point de rapatriement ; cela vaut fait, rupture. Viste.         Pour déchirer déployons l’écriture. Allons, vieux Roquentin, les armes à la main. Donnez-moy, vous seriez d’icy jusqu’à demain. Bon, voyla ton dédit, Bourgeois.         Et voyla comme Je fais estat du tien, Monsieur le Gentilhomme. La colere vous prend, ne vous contraignez pas, Enragez à vostre aise, et faites du fracas. Fort bien, il vous faloit des Marquis ?         Je l’avouë, J’ay touchant vostre hymen merité qu’on me jouë. Mais vous trouverez bon que fort modestement Je vous fasse à mon tour un leger compliment, Et ne vous cache plus que si prendre une femme Est un dessein fixé que vous ayez dans l’ame, Vous estes obligé par beaucoup de raisons D’en aller choisir une aux petites maisons. Vous avez le cerveau…         Tout doux, ma Colombelle, Je sçay que je vous fais une injure mortelle, Vous laisser encor Fille est un tort des plus grands, Mais ne vous fâchez point, tout vient avec le temps. De peur qu’à trop garder ce vieux nom qui vous choque, Vostre virginité vous presse et vous suffoque, Demain, je vous amene un Galant achevé, Joly, beau.         J’ay sans vous un Gendre tout trouvé, Qu’on le fasse venir.         Ah, voyons donc ce Gendre. Trois jours après l’hymen c’est un homme à se pendre. Et la chere Lucrece, elle n’est point icy ? Je la cherchois des yeux.         Vous met-elle en soucy ? Virgine, promptement.         Vous l’appellez Virgine ? Pour Monsieur le Marquis adverty ma Cousine. Elle l’advertira si je veux. Demeurez. Vous vous faites servir, ma foy ; vous en aurez Des valets qui plus hauts que vous de trois estages, Quand vous commanderez se mettront à vos gages. Il est fort pour Virgine, et ne sçauroit souffrir… Demain, vous en pourrez tout au long discourir. Bouche close aujourd’huy, Compere.         Elle est heureuse, Et tandis que ma Fille est sote, vieille, gueuse, C’est pour elle un sujet d’orgueil…         Voyla le point, Vous y touchez du doigt, et ne l’entendez point, Laissez faire à l’Orgueil, il vous promet miracle. Monsieur le Chevalier n’y mettra pas d’obstacle. Venez, on vous attend pour un ordre assez doux, J’ay repris ma parole, et ma Fille est à vous. Donnez-luy vostre main.         L’aurois-je pû prétendre ? Quel heur !         C’est mon Cadet, bon jour, Monsieur le Gendre, Je suis ravy du choix, quand je la régalois De l’offre d’un Amant, c’est luy dont je parlois. A l’obtenir pour moy vous avez eu grand zele. Trop heureux de l’avoir quand je ne veux plus d’elle. Te voila bien, Cadet, tiens-y-toy.         Je pretens Que tous trois nous auront sujet d’estre contents, Et qu’entre nous jamais ny discorde ny guerre… Et quand il la verra se debatre par terre, Faire des cris, hurler, rira-t’il bien ?         Dequoy ? Dequoy ? Le fin Renard.         C’est de l’Hebreu pour moy. Ne craignez rien, je sçay ce qu’il faut qu’on luy cache, Ils sont bien assortis, chacun d’eux a sa tache. Mon Cadet est sans bien, je vous l’ay déjà dit, Mais…         Il aime la gloire, et cela me suffit. Si quelque qualité peut en luy me déplaire, Puis qu’il faut parler franc, c’est qu’il est vostre frere. S’il ne tient qu’à cela, pour vous rendre content Je me défraternise, il en peut faire autant, Laisser du nom Lorgnac la noblesse en arriere, Et se faire appeller Monsieur de l’Anselmiere. La Seigneurie est belle, et bien digne de vous, Pere Anselme.         Le père et la Fille sont fous, Qu’en dites-vous, ma Belle ? Il vous faut que je pense Pour les pouvoir souffrir, grand fond de patience ? Vous me croyez peut-estre encor plus folle qu’eux ? Vous croire folle ? Ah non, c’est bien assez de deux, Et d’ailleurs j’ay pour vous…         J’en devine la cause, On m’a dit que je dois vous estre quelque chose Que vous épouserez la Comtesse.         Comment, Qui vous l’a dit ?     Qu’importe à quand l’hymen ?         Vrayement ? La Comtesse ! c’est bien mon amour qu’elle brigue. Pourquoy non ?         Demande à nostre vieux Rodrigue Si la plus miserable accepteroit mon cœur. Vous pensez-vous railler ? Je plaindrois son malheur, Et si j’en estois crû, quoy que le bien nous tente, Virgine que voilà qui n’est qu’une Suivante, Quand vous la voudriez…         Il est bon, sur ma foy, Virgine ! le moyen qu’elle voulust de moy ? Mon bel Ange, parlez, que faut-il que j’en croye ? Jugez-en.         Je vous viens faire part de ma joye, Ma sœur est arrivée enfin selon mes vœux, Et demain je me vois en estat d’estre heureux. Je me cache un moment afin de le surprendre. C’est d’elle pour l’hymen que le jour se doit prendre. Pour surcroist d’allegresse on m’a là bas appris Ce que doit vostre amour à Monsieur le Marquis. S’il daignoit honorer ma Sœur d’une visite, Elle est civile, douce, et connoit son merite. Vous ne m’apprenez rien, n’en soyez point jaloux, Je l’ay veuë, et sçavois son retour avant vous. Vous l’avez veuë ?         Hola, qu’on appelle Virgine. Que j’en vay voir icy qui feront grise mine ! On a besoin de moy, qu’est-ce ?         Ne dites mot. D’où vient que…         Nous verrons qui de nous est le sot. Motus.         Garde mon dos, ce n’est plus raillerie. Va, ne crains rien.         Tandis que chacun se marie, Si j’en faisois autant ?         Virgine a de l’esprit. L’exemple tout d’un coup la met en appetit. J’ay promis en secret, puis-je tenir parole ? Vous allez voir à qui.         C’est la fin de mon rôle, Touche, Carlin.     Mon tout, ma Virgine !         Maraut. Elle se divertit.         Je n’ay pas le cœur haut. Si pourtant vous pouviez vouloir d’une Suivante, Je suis vostre tres-humble et tres-tendre Servante. La Suivante m’a pleu, me plaist, et me plaira. Quel est donc ce mystere ?         Oronte le dira. Je m’y perds comme vous.         Il veut pousser la piece, La Virgine est sa sœur, Madame la Comtesse. Ma Sœur ?         Qui nous rendra raison de tout cecy ? Depuis un an et plus Virgine sert icy, Après l’avoir chassée on vient de la reprendre, Et c’est une Comtesse ! y peut-on rien comprendre ? Carlin.     Monsieur.         Je puis débroüiller ce cahos. Si l’on veut m’écouter j’auray fait en deux mots. Le Marquis pretendant épouser ma Maitresse J’ay pour l’en dégouster contrefait la Comtesse Et par là luy faisant pour moy tout oublier J’ay levé tout obstacle aux vœux du Chevalier. M’avoir fourbé ?         J’ay tort ; mais Carlin qui me gaste… Ah, coquin, tu mourras.         Moy ? je n’ay point de haste. Ce Valet est à moy, point de bruit, s’il vous plaist. D’un gibier de bourreau tu prens donc l’interest, Cadet maudit ; et toy rieuse ridicule, Epouse-le, j’en dois avaler la pillule ; C’en est fait, je voy bien qu’en pensant l’attraper Moy-mesme je me suis enfin laisser duper. Pour un fat comme luy qui n’avoit pas la maille, Cent mille écus sont beaux, il en fera gogaille : Mais puisse-t’il se voir plus marqué sur le front Que cent des mieux tymbrez ensemble ne le sont. Que le nombre d’enfans vous rendant miserables Vous fasse chaque jour donner à tous les diables ;     Puissiez-vous en saize ans en avoir trente-deux Tous borgnes, tous bossus, tous tortus, tous boiteux ; Si-tost qu’ils seront grands, que chacun d’eux vous crache, A toy sur la criniére, à toy sur la moustache, Et pour l’achevement d’un malheur consommé, Qu’ils soient haïs par tout comme je suis aimé. Vous en voilà défaits.         Et tout par mon adresse. Quel present fera-t’on à la fausse Comtesse ? Il m’en faut un de nopce, et des plus beaux.         Suy-nous, C’est moy qui dois payer, et je répons pour tous.