Que ce que tu me dis m’embarasse l’esprit ! Est-il vray, Philipin ?         Beatrix me l’a dit. Que Lucrece en effet…         Ouy, que vostre Lucrece N’auroit jamais pitié de l’ardeur qui vous presse, Que vous faisiez en vain de l’amoureux transy, Et qu’elle avoit sujet de vous traiter ainsi. Enfin de ses mépris je devine la cause, Sans doute elle ayme ailleurs.         Je croy la mesme chose, Au discours de tantost je l’ay trop recognu ; Et si le bon vieillard ne fut point survenu, J’allois sçavoir, Monsieur, tout au long le mystere, Estre fille suffit pour ne se pouvoir taire, Puisqu’il n’en fut jamais qui dans l’occasion Peust garder un secret sans indigestion. Si bien que Beatrix…         Cessez d’estre en cervelle, J’en sçauray tout, vous dis-je, et je vous répons d’elle ; Car soit pour me trouver l’esprit un peu gaillard, Soit pour me voir comme elle assez grand babillard, J’ay le don de luy plaire, et sur tout la methode Dont nous traitons l’amour n’est pas fort incommode, Elle n’engage à rien : Mais, Monsieur, franchement ? Ne vous lassez-vous point d’aymer si constamment ? Autrefois en tous lieux vous disiez, Je vous ayme, A peine un demy-jour vous estiez à la mesme, Et cependant Lucrece avec tous ses mépris Vous tient depuis un mois de ses beautez épris ! C’est estre bien changé.         Philipin, je confesse Que je romps ma coustume en faveur de Lucrece : Mais écoute, c’est trop te laisser alarmé De ce qu’un mesme objet soit si long-temps aymé. Si l’Amour m’engagea d’abord à son service, Aujourd’huy cet amour n’est plus rien qu’un caprice, Son peu de complaisance à flatter mon espoir Est l’unique raison qui m’oblige à la voir ; Non pas que sa personne en effet me soit chere, Mais parce que je prends plaisir à luy déplaire, Et me vanger sur elle, en la persecutant, De la honte que j’ay qu’on m’estime constant. Quel tort je vous faisois faute de bien l’entendre ! Ainsi donc les devoirs que vous semblez luy rendre Ne sont plus un effet de vostre passion ? Je la sers seulement par obstination, Et si quand je luy dis le secre t de mon ame Avec moins de rigueur elle eust traité ma flame, Dans ma façon de vivre et suivant mon humeur Une autre eust eu bien-tost le present de mon cœur : Mais voir qu’à contre-temps on prenne un front severe, Qu’un soupir, qu’un regard fasse entrer en cholere, C’est lors que je m’obstine à faire les yeux doux. Qu’il fait mauvais, Monsieur, avoir affaire à vous ! Quoy ? quand de vous aymer on se trouve incapable On n’ose l’advoüer sans se rendre coupable ! Ah, Lucrece a grand tort avec tous ses refus. Mais quand pretendez-vous enfin n’y penser plus ? Lors que par ton adresse et par ton entremise Je cognoistray celuy pour qui l’on me méprise. C’est peut-estre D. Juan.     D. Juan ?         Ouy, ce D. Juan Qui, comme vous sçauez, la sert depuis un an. Vous riez !         Le party seroit pour elle honneste, Et ne m’a point encor donné martel en teste. Quoy que pauvre, il peut plaire.         Ah, ne présume pas Que jamais tant d’orgueil jette les yeux si bas. Elle a le cœur trop haut pour souffrir un tel maistre, Et chacun sçait icy ce que D. Juan peut estre ; Outre qu’il n’en receut jamais que des mépris.     C’est quelquefois par là que les plus fins sont pris, Ce peut estre une feinte.         Et la peux-tu comprendre ? Il a quitté la ville et doit passer en Flandre, Et malgré tout cela tu veux qu’ils soient d’accord ?  On voit assez souvent…         Tay-toi, Beatrix sort, Tâche à t’en éclaircir, fay qu’elle se declare, J’attends à ce détour l’heure qui t’en separe. Je sçay quel est mon roole, et je le joüeray bien. A quoy donc penses-tu ?         Moy ? je ne pense à rien. Resver en me voyant, en voyant ce qu’on ayme ! Mon maistre n’ayme plus, je n’ayme plus de mesme. Tout de bon, Philipin ?         Tout de bon, Beatrix. Tu veux m’abandonner, toy ?     Moy mesme.         Tu ris, Et peut-estre demain…         Cela va sans peut-estre, Un valet suit tousjours la fortune d’un maistre : Fay qu’on ayme le mien, et tu verras qu’apres, S’il faut mourir pour toy, je mourray tout exprés. Ne me demande point une chose impossible. Ta maistresse à l’amour est donc bien insensible ? Non pas tant, mais…     Quoy, mais ?         Mon pauvre Philipin, Tu m’avois tant promis…         Venons au mais enfin, Poursuy.     Que te diray-je ?         A quel dessein Lucrece Traite ainsi D. Fernand avec tant de rudesse, Et si l’aymer encore est pour luy temps perdu. Je te le dirois bien, mais il m’est défendu : Si pourtant tu jurois de garder le silence… Va, dy moy ton secret avec toute asseurance, Je suis fort taciturne, et tel que tu me vois Je ne conte jamais qu’une chose à la fois, Avec peu de raison ta crainte me soupçonne. Tu n’en diras donc mot ?     Mot du tout.         A personne ? Non.     Tu me le promets ?     Est-ce fait ?         Jure tost. Ouy, foy de Philipin, juray-je comme il faut ? Non pas mesme à ton maistre ?         Est-ce à dessein de rire ? Dy le moy tout d’un coup si tu me le veux dire, Pourquoy tant de façons ? vois-tu, sans te flatter Si je meurs pour l’oüyr, tu meurs pour le conter, Tant de précaution est icy ridicule. Tu sçauras donc enfin…         Parle sans préambule. Que si tu vois tousjours ton maistre mal-traité, C’est parce que Lucrece…         Ayme d’autre costé ? Tu devines !         Et bien ? le nom du personnage ? Acheve.         Tu veux donc en sçavoir davantage ? Ah, d’un homme d’honneur c’est trop se défier, Tu le nommes ?     D. Juan.         Ce pauvre Cavalier ? Luy-mesme; il est galand, noble, de bonne mine. Et la galanterie échauffe la cuisine ! Elle l’adore enfin.         Ma foy, tu m’interdis. Mais s’il en est aymé comme tu me le dis, Pourquoy l’abandonner pour s’en aller en Flandre ? Chacun le croit icy comme il l’a fait entendre, Mais dans un tel voyage, à te parler sans fard, S’il estoit pris des Turcs nous courrions grand hazard. A ce conte, il est donc en pays d’asseurance ? Entre nous deux il l’est, et plus qu’on ne le pense, Dans Madrid.     Dans Madrid !         Et n’en a point sorty. Qui diable eust jamais crû qu’il eust si bien menty, Et que pour mieux tromper tout autre que Lucrece, Il eust fait ses Adieux avecque tant d’adresse ! Ainsi depuis huict jours que tu le crois absent Il voit de nuict Lucrece, et Lucrece y consent. Juge que peut ton maistre esperer de sa flame. Mais ne craint-elle point qu’un voisin la diffame ? Car enfin il en est qui pendant tout un mois Comme des loups garous ne dorment qu’une fois. Leur curieuse humeur tousjours les inquiete, Et si dans le quartier il est quelque amourete, Du soir jusqu’au matin ils demeurent au guet Pour tenir bon papier de tout ce qui s’y fait. Pour s’en mettre à couvert, l’accord est fait de sorte, Qu’il va droit au jardin par une fausse porte, Je la laisse entr’ouverte, et là commodement Lucrece l’entretient de son apartement, Sa fenestre y respond.         La partie est bien faite ; Mais quand il l’a quittée, où fait-il sa retraite ? Chez D. Lope, où de jour il garde la maison, Sans que D. Lope mesme en sçache la raison, Sous un autre pretexte il le loge, et je pense Qu’ils ne m’auroient pas mis dedans leur confidence S’ils avoient eu moyen de se passer de moy, Mais Adieu, touche.     Adieu.         Tu me promets ta foy, Philipin ?     Quelle foy ?         Celle de Mariage. Va, je te la promets quand nous serons en aage. C’est donc là cet honneur qu’elle nous vantoit tant ! Ah combien en est-il de ce sexe inconstant Qui contrefont de jour une vertu parfaite, Et la laissent de nuict dormir sous leur toilete ! Donc l’amour à Lucrece a broüillé le cerveau ! Qu’un secret à garder est un pesant fardeau ! J’enrage pour le dire, et je me persuade, Pour peu que je l’ay teu, que j’en seray malade. Mais mon maistre revient, voicy ma guerison. Et bien ? de ma disgrace as-tu sçeu la raison ? Lucrece a-t’elle ailleurs engagé sa franchise ? Est-ce hayne, est-ce orgueil qui fait qu’on me mesprise ? Tu ne me répons rien, es-tu sourd, ou sans voix ? Pourquoy grincer les dents, et te serrer les doigts ? Parle, es-tu possedé ?         Monsieur, laissez-moy faire. Dy donc ce que tu fais.         Je tâche de me taire, On me l’a commandé, mais pour ne rien cacher, Des-ja, loing d’obeyr, je suis las de tâcher, Oyez. Ce Cavalier poly, galand, honneste, Qui ne vous a jamais donné martel en teste, Ce D. Juan dont tantost je vous avois parlé, Qui fait croire par tout qu’en Flandre il est allé, Par l’ordre de Lucrece, et sans qu’aucun le sçache, En secret dans Madrid chez D. Lope se cache. Que dis-tu, par son ordre ?         Il en est adoré. Quoy, D. Juan est icy ?         Rien n’est plus asseuré, Il a feint ce depart pour vous donner la baye. Si faut-il toutefois qu’un des deux me la paye. Et que resolvez vous ?         Le dessein en est pris, Je veux revoir Lucrece.         Ah, pauvre Beatrix ! Monsieur, vous parlerez, sa fortune est perduë. Non, croy moy.         Dequoy donc vous guerira sa veuë ? Je veux me rire d’elle, et pour me vanger mieux Luy jurer de nouveau que j’adore ses yeux : Si j’en suis méprisé, du moins j’auray la joye De la payer sur l’heure en la mesme monnoye, La railler doucement, et luy faire sentir Que je n’ay fait l’amant que pour me divertir. Mais d’un si rare amour acheve moy l’histoire, D. Juan la voit de nuict à ce que je puis croire ? Apres tout, son bonheur me rend un peu jaloux. Suffit jusqu’à tantost . D. Louys vient à vous. Laisse moy luy parler, et cours avec adresse T’informer d’un voisin si je puis voir Lucrece, C'est à dire…         J’entens. Vous craignez le vieillard ?  Va donc.         De vostre joye, amy, faites moy part. Vous me semblez tout gay. Pour moy je m’imagine Que Lucrece à present vous fait meilleure mine, Son cœur est adoucy, je le juge à vous voir. Au contaire, jamais je n’eus si peu d’espoir, Tout est perdu pour moy quelque effort que je fasse. Peut-on vous consoler d’une telle disgrace ? A vous dire le vray, je la perds sans regret, Et si vous estiez homme à garder un secret… Vous n’en pouvez douter sans me faire une injure. Sçachez donc en deux mots quelle est mon advanture. J’ay découvert pourquoy l’on m’a traité si mal ; Par ces mépris Lucrece obligeoit un Rival, Depuis un an elle ayme, on me le vient d’apprendre, Jugez si j’ay raison de n’y plus rien pretendre. Quoy, Lucrece aymeroit ?...         C’est de quoy s’estonner, Qu’on ait touché son cœur, qu’elle ait pû le donner, Elle qui se parant d’une vertu forcée Du moindre mot d’amour se tenoit offencée. Mais de grace, quel est cet heureux qui luy plaist ? Vous serez estonné quand vous sçaurez qui c’est. D. Juan.         Vous me raillez, ou bien on vous abuse. Croyez qu’il est ainsi, son depart n’est que ruse, Pour la voir sans soupçon il fait courir ce bruit, Voyez le digne choix, et pour qui l’on me fuit, Pour un homme sans biens.         Perdez cette croyance, Je cognoy trop Lucrece, et je sçay d’asseurance Que D. Juan en secret brûle d’un autre feu. Pour qui ?     Pour Leonor.     Vous la cognoissez ?         Peu, Et je sçay seulement qu’elle est assez galante, Qu’elle vit chez un Oncle, et que D. Juan la hante; Ce peut estre en effet par obligation Autant et plus encor que par affection, Il doit à Leonor beaucoup plus qu’on ne pense, Son plus intime amy m’en a fait confidence, Et se tiendroit heureux que l’on vous eust dit vray. Mais c’est de Beatrix enfin que je le sçay. J’en puis parler sans doute, et je me desespere D’estre pour l’amour d’elle obligé de me taire : Mais pour ne vous pas dire un secret à demy, Il se tient tout le jour caché chez vostre amy, Chez D. Lope.         Le Ciel à propos me l’envoye, Je vay sçavoir de luy ce qu’il faut que j’en croye, Il m’advoüera le tout si je ne suis deçeu. Adieu, je vous diray ce que j’en auray sçeu. Et quoy ? tousjours resveur.         Et tousjours miserable. D. Lope, quel malheur de nouveau vous accable ? Pourquoy m’obligez-vous à vous redire encor Que depuis si long-temps j’adore Leonor, Et qu’un amy l’aymant, je suis dans la contrainte De n’oser seulement me permettre la plainte ? Il n’est point de tourments qui puissent égaler Celuy d’aymer beaucoup et n’oser en parler. Un semblable respect en vain vous embarasse, D. Juan par son depart vous a cedé sa place, L’occasion est belle, allez offrir vos vœux. Je n’en suis pas, amy, de beaucoup plus heureux. De vray, mais entre nous, quelqu’un me vient d’apprendre Qu’il termine en Madrid son voyage de Flandre. Qui peut vous l’avoir dit ?         Bien plus, il court un bruit Qu’il est caché chez vous, et ne sort que de nuict. Sans faire le surpris advoüez moy la debte. J’avois creu jusqu’icy l’affaire fort secrette. Elle l’est en effet, et vous craignez en vain : Mais que peut-il pretendre, et quel est son dessein ? Sans avoir penetré plus avant dans son ame J’ay sçeu que cette feinte importoit à sa flame, Et j’ose présumer à ce qu’il m’en a dit, Qu’un peu de jalousie embroüille son esprit, Et que par ce faux bruit d’une si longue absence Il veut sçavoir au vray ce que Leonor pense, Luy voir mettre pour luy ses sentiments au jour, Et par son déplaisir juger de son amour. Le bruit court toutefois qu’il adore Lucrece. C’est d’un peuple grossier l’ordinaire foiblesse. Parce qu’il est galand, et voit cette beauté, Quoy qu’il en soit tousjours assez mal écouté, On veut croire son cœur esclave de ses charmes, Et mesme Leonor en a versé des larmes ; Mais il a sçeu tousjours s’en défendre si bien, Qu’elle a trop recognu qu’il n’en fut jamais rien. Est-elle encor la mesme ?         Ouy, tousjours trop fidelle. C’est peu qu’il soit party sans prendre congé d’elle, Elle-mesme avec soing cherche à l’en excuser, Et m’oste chaque jour tout lieu de rien oser. Cependant, et c’est là que ma peine est extresme, Je luy rends des devoirs pour luy contre moy-mesme, Je la vois pour luy plaire, et pour l’entretenir D’un feu qui n’est que trop dedans son souvenir, Au seul nom de D. Juan elle- mesme ravie, Pour en parler souvent, à la voir me convie,  Et moy sans perdre espoir j’en attends le succez; Ce m’est tousjours beaucoup d’avoir chez elle accez, Et peut-estre qu’un jour si par quelque caprice Le Sort pour les broüiller use de sa malice, Elle se souviendra que l’on voit rarement Que qui fut bon amy soit infidelle Amant. Je le souhaite ainsi, mais Adieu, je vous quitte, C’est trop vous empescher de luy rendre visite. En quel fascheux estat me trouvay-je reduit ! Tout le soin que je prens m’est contraire et me nuit, O cruauté du Ciel qui n’eut jamais d’exemple ! Mais ne la voy-je point qui vient icy du Temple ? C’est elle, Amour, cessons de craindre son couroux, Parlant pour un amy, parlons un peu pour nous, Et s’il faut succomber sous le sort qui nous brave, Qu’elle apprenne du moins qu’elle a plus d’un esclave. C’est un bonheur pour moy de vous avoir trouvé. D. Juan à Sarragoce enfin est arrivé, Et du moins une lettre appaise ma cholere ? Madame, j’en attends tantost par l’Ordinaire. Si je m’en plains, D. Lope, au moins j’en ay bien lieu. M’avoir ainsi quittée, et sans me dire Adieu ! Daignez juger par là de l’excez de sa flame, L’eust-il pû prononcer, et ne pas rendre l’ame, Voir un si grand merite et des charmes si doux, Et dire sans mourir, Je prens congé de vous ? D. Lope, en sa faveur j’ayme que l’on m’abuse, Aussi bien mon amour fait assez son excuse, Mais par quelque motif qu’il ait pû s’éloigner, S’il m’aymoit, il a sçeu fort mal le témoigner. Je ne l’excuse point, Madame, il est coulpable, Je sçay de quels bienfaits il vous est redevable, Qu’à pleines-mains sur luy vous les avez versez, Que tousjours…         Brisons-là, D. Lope, c’est assez, Un bienfait perd sa grace alors qu’on le publie, Qui peut s’en souvenir merite qu’on l’oublie, Et pour moy, si je l’ose advoüer aujourd’huy, Je m’obligeois moy-mesme en m’employant pour luy, Je rendois seulement justice à son merite ; Je veux bien toutefois ne le pas tenir quitte, En juger comme vous avec plus de rigueur, Mais s’il m’est obligé, c’est du don de mon cœur, Et c’est de ce don seul qu’il faut qu’il se souvienne, Si son affection est égale à la mienne. C’est de ce don aussi qu’il fait le plus d’estat, Et pour n’en estre pas entierement ingrat, Dans la necessité de quitter ce qu’il ayme Il tâche à vous laisser la moitié de soy-mesme, Il vous laisse en partant D. Lope auprés de vous, Et comme l’amitié ne fait plus qu’un de nous, Si son éloignement vous tient lieu de disgrace, Je feray mon possible à bien remplir sa place, Des soûpirs continus vous peindront ses ennuys, Pour mieux estre D. Juan, j’oublieray qui je suis, Le beau feu qui l’anime échauffera mon ame, Et par le doux effort de cette vive flame… Il me suffit, je crains que sous cette couleur Vous ne parliez enfin avec trop de chaleur, Pour n’oüyr rien de plus, Adieu, je me retire, L’amitié vous surprend et vous en fait trop dire, D. Lope, une autre fois soyez plus moderé. Suivons le triste Sort qui nous est preparé. Madame, de nouveau je jure de me taire, Mais encore apres tout que pretendez-vous faire ? Que te puis-je répondre, et que demandes-tu ? De cent soucys divers mon cœur est combatu, En l’estat où je suis moy-mesme je l’ignore. Mais vous aymez D. Juan ?         Dy plus, que je l’adore. Voir en vous un amour et si prompt et si grand, Madame, à dire vray, c’est ce qui me surprend ; D. Juan plus de cent fois vous a fait voir sa peine Sans meriter de vous que mépris et que hayne, Ce n’estoient que froideurs, ce n’estoient que refus, Cependant en huict jours vostre cœur n’en peut plus ! Ah, si pour moy D. Juan depuis un an soûpire, Que n’ay-je point souffert sans oser t’en rien dire ! Car pourquoy plus tenir ce secret enfermé ? Dés l’instant qu’il me vit, s’il m’ayma, je l’aymay, Mais jugeant que mon pere en ayant cognoissance, Pour un homme sans biens auroit peu d’indulgence, J’accusay fort long-temps mes yeux de trahison, Cent fois à mon secours j’appellay ma raison. Helas, combien en vain me suis-je défenduë Avant qu’aymer en luy la vertu toute nuë ! Quels efforts n’ay-je faits, jusqu’à forcer mon cœur D’affecter des mépris et s’armer de rigueur ! Peut-on plus mal-traiter jamais ce que l’on ayme ? Tu l’as veu, tu le sçais, et que D. Juan luy-mesme Lassé de voir son feu recompensé si mal Fit dessein de quitter un sejour si fatal, Et qu’ennuyé d’aymer sans voir rien à pretendre, Il prit congé de moy pour s’en aller en Flandre. Ce fut lors que ce cœur n’osant se démentir Fit ses derniers efforts pour le laisser partir, Mais il n’estoit plus temps de s’armer de courage, D. Juan par sa presence avoit trop d’avantage, Et dans un tel rencontre en sçeut user si bien… Mais à quoy m’arrester, tu vis nostre entretien, Et que son bon Destin pour braver mes caprices Me fit en ce moment accepter ses services, Et malgré mon orgueil conclure enfin ce point Qu’il feindroit de partir, et ne partiroit point. Vous avez merité sans doute d’estre plainte ; Mais que peut à tous deux importer cette feinte ? Ce pretendu voyage avoit trop éclaté Pour l’oser ainsi rompre avec legereté, A force d’en chercher la veritable cause Peut-estre en eut-on pû deviner quelque chose, Quitte ainsi pour un temps à se cacher de jour, Et sous quelque couleur feindre apres son retour. Mais voicy D. Fernand. O la veuë importune ! J’accuse avec raison ma mauvaise fortune. On ne vous sçauroit voir ! tousjours seule chez vous ! De vous mesme à la fin je deviendray jaloux. La retraite me plaist, et chez moy solitaire Du moins je ne voy rien qui me puisse déplaire. Qui vous porte à troubler le repos où je suis ? Vous n’aurez donc jamais pitié de mes ennuys ? Plaignez-vous-en ailleurs, pour moy je les ignore. L’Amour…         Ne parlez point d’un Tyran que j’abhorre. Mais un amant qui souffre…         Ostez ce nom d’amant, Il me choque, il me blesse.         Ah, c’est injustement, Puisqu’avec moins d’appas le Ciel vous eust formée, S’il n’avoit pas voulu que vous fussiez aymée. Ne finirez-vous point cet importun discours ? Voulez-vous estre aymable et cruelle tousjours ? Que j’ay de passion pour de si grands merites ! Que j’ay d’aversion pour ce que vous me dites ! Que j’ayme ces beaux yeux ! qu’ils ont d’attraits pour moy ! Que je hay le Soleil qui fait que je vous voy ! Ouy la Lune en effet vous est plus favorable, Et vous fait voir sans doute un objet plus aymable. Que me voulez-vous dire ?         Ah, de grace, il suffit, A qui m’entend assez je n’en ay que trop dit. Par ce discours obscur vous voulez qu’on vous craigne. Je pourray l’éclaircir s’il faut qu’on m’y contraigne. Je me retire donc apres un tel advis, Vous estes en cholere, et je crains de voir pis. Sans oüyr mes raisons ?         Je ne puis les entendre. Malgré vous toutefois je vous les veux apprendre. C’est un procez d’amour où j’ay quelque interest, Je vous en fais le Juge, et j’attends vostre Arrest ; Mais ayant à loisir écouté ma partie, Et peut-estre du fait estant mal advertie, J’ose vous demander audience à mon tour, Puisqu’il l’a bien de nuict, je puis l’avoir de jour. Je ne dis pas pourtant que de la mesme sorte On me fasse couler par une fausse porte, Qu’on la laisse le soir entr’ouverte, et qu’enfin Tout bas par la fenestre on me parle au jardin, Que Beatrix au guet rompe toute surprise, Qu’un galand quoy qu’absent vienne à l’heure promise, Qu’un voyage à dessein soit long-temps publié. Il a bonne memoire, il n’a rien oublié ; Au diable soit le maistre avecque sa harangue. Où me suis-je adressé pour joüer de la langue ? Est-il vray, l’ay-je oüy ?         Monsieur, qu’avez-vous fait ? D’un injuste mépris tu vois le juste effet. Qu’on m’ait ainsi trahie ! helas, je suis perduë. Ah, Beatrix.     Croyez…         Tay-toy, tu m’as venduë. Malheur à qui se fie à de pareils esprits. Voyez, on va chasser la pauvre Beatrix. Pleust au Ciel que vous-mesme avec vostre cholere N’eussiez pas advoüé ce que j’avois sçeu taire, Et que par ce reproche…         Encore un coup, tay-toy. Je puis avoir bon dos, tout va tomber sur moy. Que veux-tu, c’en est fait, mais pour moy, pour toy-mesme, Tâ che à remedier à ce desordre extresme, Tu n’es que trop adroit pour en venir à bout, Invente, fourbe, ments, jure, j’advoüeray tout. C’est un point resolu, n’en dy pas davantage. Et bien, vous le voulez, il faut plier bagage, Mais je puisse à vos yeux si j’ay parlé de rien… Ah, l’innocence mesme ! ô la fille de bien ! Monsieur, j’ay grande peine à bien mentir pour l’heure, Celle-cy passera faute d’une meilleure. Bonne ou mauvaise enfin, parle, je t’ayderay. Deussiez-vous me chasser, Monsieur, je le diray. Madame, escoutez-moy, que ce couroux s’appaise. Vous me faites en vain signe que je me taise. Jamais de vostre amour Beatrix n’a parlé, Et le Ciel, oüy, le Ciel luy seul l’a revelé. Que dit cet importun ?         Vous en doutez peut-estre ? Mais sçachez en deux mots que D. Fernand mon maistre, Celuy qu’icy present vous voyez interdit, Pour l’esprit qu’il possede a le corps trop petit. Dedans l’Astrologie il n’a point son semblable, Enfin c’est un prodige, ou plustost un vray diable, Rien pour luy n’est secret, et sans de grands efforts, Je pense qu’il feroit mesme parler les morts. Ton maistre est astrologue !         Astrologogissime. Sa fourbe va bien-tost me mettre en bonne estime. Quoy, maraut…     Ouy, Monsieur.         Pleût à Dieu qu’on le crût. Vous estes Astrologue, ou jamais il n’en fut. Je sçay qu’en l’advoüant je perds tous mes services, Mais j’ayme Beatrix Reyne des Beatrices, De tout soupçon icy j’ay deu la dégager. Depuis plus de huict jours il me fait enrager, Il contemple le Ciel mesme aux nuicts plus obscures, Il feuillette un grand livre, et fait mille figures, C’est sans doute par là qu’il a sçeu vos amours. Donc, jaseur insolent, tu causeras toûjours ! T’a-t’on icy gagé pour conter une fable ? Je n’ay rien dit, Monsieur, qui ne soit veritable. Ne me fistes-vous pas encore hier au soir Remarquer un jardin dedans un grand miroir, Et quelque temps apres n’y vis-je pas paroistre Un homme qu’attendoit Madame à sa fenestre ? Je ne le pûs entendre alors qu’il vous parla, Mais parmy plus de cent je dirois, Le voilà, Tant je me remets bien son air et son visage. Il me perdra d’honneur s’il en dit davantage, Et bien-tost à l’oüyr vous me croirez Sorcier : Mais puisque je voudrois en vain vous le nier, Madame, j’advoüeray qu’en mon voyage en France Du grand Nostradamus j’acquis la cognoissance, Avec tant de bonheur qu’il m’enseigna son Art, Et n’eut point de secrets dont il ne me fit part. Ce fut donc à hanter ce rare et grand Genie Qu’en assez peu de temps j’appris l’Astrologie : Mais pour oser icy m’en servir librement Je cognoy trop le peuple et son déreglement, Il hait cette science, et croit que qui l’exerce Doit avec les démons avoir quelque commerce ; Ainsi craignant sa langue et d’en faire l’essay, J’ay tousjours avec soing caché ce que je sçay, Tant que las de souffrir vostre rigueur extresme, J’en ay voulu sçauoir la cause de moy-mesme, J’ay consulté le Ciel, et l’ay trouvée enfin, J’ay trouvé la fenestre avecque le jardin, Du trop heureux D. Juan j’ay sçeu la feinte absence. Mais n’apprehendez rien de cette cognoissance, Mon interest m’oblige icy d’estre discret, Nostre sort est pareil, c’est secret pour secret, On vous a dit le mien, j’ay découvert le vostre, Asseurez-moy de l’un, je vous répons de l’autre. O l’habile homme !         Et bien, vous avois-je menty ? La verité, Madame, enfin prend mon party. Pour moy j’avois bien sçeu par un confus murmure Qu’il se mesloit un peu de la Bonne-advanture ; Mais je vous ay venduë, il a tout sçeu de moy. J’avois assez de peine à soupçonner ta foy, Mais enfin, Beatrix, sans son Astrologie Eust-il rien pû sçauoir à moins qu’on m’eust trahie ? Tout va bien, Philipin, la fourbe a reüssi. La bonne Dame en tient, et n’est pas sans soucy, Vous verrez son orgueil reduit à la priere. Genereux D. Fernand, esprit plein de lumiere, D’un amant dédaigné je craindrois le couroux S’il falloit faire excuse à tout autre qu’à vous, Mais dans le haut degré de science où vous estes Vous cognoissez du Ciel les pratiques secrettes, Et qu’agissant en nous d’un pouvoir absolu On ne sçauroit changer ce qu’il a resolu. Madame, brisez-là, j’apperçois vostre Pere. Ah, que cette rencontre estoit peu necessaire ! Quelle affaire avez-vous avec ce Cavalier ? C’est curiosité, je ne le puis nier, Depuis deux ou trois jours j’ay sçeu par une amie Qu’il estoit fort expert dedans l’Astrologie, Et je le consultois pour sçavoir au certain A quel espoux le Ciel a destiné ma main. Elle veut esprouver si ma science est vraye. Souvent un Astrologue en mensonges nous paye, Et l’effet rarement confirme son raport, Mais que vous a-t’il dit qui vous trouble si fort ? Je luy parlois, Monsieur, de certaine disgrace, Dont je voy clairement que le Ciel la menace, Elle s’en fâche un peu, comme vous pouvez voir. Mais en si peu de temps qu’avez-vous pû sçavoir ? Que l’époux trop heureux que le Ciel luy destine Est pauvre, et pour tout bien n’a que sa bonne mine. Il ne faut pas ainsi craindre legerement, Ma fille.         De quel front le bon Cavalier ment ! Cette prédiction me met beaucoup en peine. Ne vous alarmez point, je la puis rendre vaine. Toutefois D. Fernand qui me prédit ce point Est un grand Astrologue, et ne se trompe point, Bien d’autres en ma place auroient inquietude. Certes, l’Astrologie est une grande estude, Bien digne d’occuper un esprit curieux, Et noble d’autant plus qu’elle s’attache aux Cieux. Si vous la possedez dans le degré supréme Peu sçavent les moyens d’y reüssir de mesme, La speculation n’est pas bonne pour tous. Quoy qu’il en soit enfin, Monsieur, je suis à vous. J’eus tousiours grande ardeur pour ceux dont la science Releve le bon sang qu’ils ont de leur naissance, Et s’il faut librement vous en faire l’adveu, Dans mon jeune âge aussi je m’en meslois un peu, Mais differents soucys, l’embarras des affaires M’ont fait prendre depuis des soings plus necessaires. Dites-moy cependant. Auriez-vous pour suspect SaturneregardantVenus d’un trine aspect, Et peut-on justement tirer un bon augure De la conjonction d’Hecate avec Mercure ? Il parle Hebreu pour moy, je suis pris, c’en est fait. Il auroit besoin d’estre Astrologue en effet. N’importe, efforçons-nous, et payons d’impudence. Pour vous dire en deux mots, Monsieur, ce que j’en pense, Venus aux amoureux promet beaucoup de biens, Et Saturne peut tout sur les Saturniens : Mais la triplicité de cette conjoncture Ainsi que l’union d’Hecate avec Mercure Combinant leurs aspects, ou les retrogradant Sur l’horizon fatal d’un bizarre ascendant, Pourroit paralaxer sur un cerveau si tendre… Ce discours est si haut que j’ay peine à l’entendre, De grace, en ma faveur pour esclaircissement Expliquez-vous un peu plus populairement. Ce sont termes de l’Art.         Pardonnez à mon aage Qui n’en conserve plus qu’une confuse image, Ces termes en mon temps n’estoient pas fort connus, Mais la science augmente, et ce temps-là n’est plus. Tout s’y voit si changé depuis quelques années, Qu’en autre caractere on lit les destinées, Mesme Nostradamus mon maistre en ce grand Art Avoit et son langage et ses regles à part, C’est pourquoy le discours où mon esprit s’applique, Tient un peu de l’obscur et de l’enigmatique, Je dois suivre ses pas comme son escolier. Mais si vous vouliez estre un peu plus familier ? Monsieur.     Que me veux-tu ?         Vostre esprit s’évertuë Monsieur, c’est tout de bon.         Tu vois comme j’en suë. Le galimathias ira-t’il encor loin ? Philipin, un amy se cognoist au besoin. Fay-moy quelque message, et par un tour d’adresse Dans un pas si mauvais…         C’est affaire qui presse, Monsieur, excusez-moy, je vous quitte à regret, Et bruslois de sçavoir ce langage secret, Mais nous nous reverrons touchant cette science, Et nous pourrons ensemble en faire experience. Adieu.         Sans ton secours le peril est passé. Que tout à l’heure, amy, j’estois embarrassé ! Mon advanture est rare et digne qu’on l’admire. Sçachez que Philipin m’en a desja fait rire, Et qu’à dix pas d’icy nous escoutions comment Le vieillard vous parloit Astrologiquement. J’ay respondu de mesme et l’ay fait perdre terre. Mais vous ne l’avez pas vaincu de bonne guerre, Il vous entendoit mal.         Je m’entendois bien moins. Pour vous mieux expliquer, vous prendrez quelques soings, Et sur ces mots nouveaux vous luy rendrez visite ? Par celle d’aujourd’huy j’en pretends estre quitte. Mais un grand Astrologue, ou pour tel advoüé… Il cognoistra bien-tost que je l’auray joüé. Les belles questions cependant qu’il m’a faites A moy qui ne cognois ny Signes ny Planettes ! Ouy, mais en recompense un discours si hardy S’il ne l’a terrassé l’a si bien étourdy, Que j’oserois gager qu’en ce qui vous regarde Vous le pourrez long-temps mettre encor hors de garde. De grace achevez donc, joüez-le jusqu’au bout, Faites la piece entiere, il admirera tout ; Il vous seroit honteux qu’elle fust imparfaite, De vostre haut sçavoir je seray le trompette, J’en vay semer le bruit, et s’il apprend d’ailleurs Que vous ayez de l’Art les secrets les meilleurs, Si ce bruit surprenant de vos fausses merveilles Par la ville espandu vient fraper ses oreilles, Comme il en a desja l’esprit préoccupé, Jamais plus galamment homme ne fut dupé. Non, mais ce passe-temps un peu trop me hazarde, Au peril qui le suit vous ne prenez pas garde, Et que c’est engager ma gloire et mon repos. Aussi nous cognoistrons combien il est de sots, Et quand mesme on sçaura que ce soit raillerie, Le tout ne passera que pour galanterie. Mais quelque bon succez que j’en puisse esperer Ce plaisir apres tout ne peut long-temps durer ; Car si publiquement ce bruit par tout se coule, On viendra chaque jour me consulter en foule, Mes responces bien-tost m’acquerront grand renom. Qu’importe ? vous direz tantost ouy, tantost non, Vous aurez quelque esgard à l’âge, à la personne, Et du reste, Monsieur, Dieu la leur donne bonne, Jamais un Astrologue est-il garand de rien ? Le hazard fait souvent prophetiser fort bien. Vous devez seulement mettre beaucoup d’estude A ne rien affirmer avecque certitude, Du present, du passé discourir rarement, Tousjours de l’advenir parler obscurement, Examiner la chose, en peser l’importance. Mais j’apperçoy de loing D. Lope qui s’advance, Laissez moy, c’est par luy que je veux commencer. Je m’abandonne à vous.         Qui l’auroit pû penser ? O surprenant prodige ! incroyable merveille ! N’est-ce point quelque songe, est-il vray que je veille ? Qu’avez-vous, D. Louys ?         A peine en sçay-je rien, Et je doute aujourd’huy si je me cognois bien. Effets miraculeux !         Ne puis-je les apprendre ? Je crains…         Nous sommes seuls, on ne peut vous entendre. Mais il faut du secret.         Fiez-vous sur ma foy. Sçachez que D. Fernand vient de s’ouvrir à moy. Et bien ?         Et qu’il a fait en suite en ma presence Des choses que j’advouë estre hors de croyance, J’ay peine à m’en remettre.         Achevez, qu’a-t’il fait ? Je ne cognus jamais un esprit si parfait. Dans un degré si haut il sçait l’Astrologie Que je l’accuserois volontiers de magie. Il a sçeu de ma vie, et presque en un moment, Ce qu’on n’en peut sçavoir que par enchantement ; Et cela, de ma main tirant des conjectures, Et puis sur du papier traçant quelques figures. Qui croiroit à le voir si galand…         N’est-ce pas Cet esprit enjoüé, D. Fernand Centellas, Dont on prise à l’envy les graces nompareilles ? Ouy, c’est luy dont je parle, et qui fait ces merveilles. Certes il faut qu’il aye un secret incognu. Je crois deux ou trois fois l’avoir entretenu, Mais je remarquois bien, non qu’il eust cognoissance De cette merveilleuse et divine science, Mais du moins qu’il estoit homme de grand esprit. Vous serez donc encor beaucoup plus interdit Si vous m’accompagnez un jour chez ce rare homme Qu’il me doit faire voir une Dame de Rome, Qui pendant que j’y fus me voulut quelque bien. Se peut-il qu’en effet…         Ce n’est encor là rien ; Car pour vous dire au vray toute mon advanture, Il a fait devant moy parler une peinture, C’est ce qui me confond au point que vous voyez. Vous croiray-je, est-il vray ?         Si vous ne me croyez, Vous avez de bons yeux, et les croirez peut-estre. Je vous en prie, amy, faites-le moy cognoistre, Sans doute il m’apprendra si D. Juan est jaloux, Et par quelle raison…         J’ay sçeu cela pour vous, Il trompe Leonor, et voit de nuict Lucrece. Pour certain ?     Pour certain.         O Ciel, que d’allegresse ! Adieu, mais prenez garde à ne parler de rien, On pourroit l’accuser d’estre Magicien. En voicy du moins un desja dedans le piege. En quel estonnement aujourd’huy me trouvay-je ? A peine puis-je encor rassembler mes esprits Tant mes sens sont ensemble et confus et surpris. D. Fernand Astrologue, et D. Juan infidelle ! Je te rends grace, Amour, l’occasion est belle. J’imagine un moyen qui peut me rendre heureux, Et D. Fernand l’inspire à mon cœur amoureux. Allons voir Leonor, vantons-luy sa science, Et de D. Juan en suite examinant l’absence Faisons naistre en son cœur le desir de le voir Par l’effet merveilleux de son divin pouvoir. Que si pour s’y resoudre elle est assez hardie, Elle apprendra de luy toute sa perfidie, Verra que c’est un fourbe, et qu’il est à Madrid, Et lors, que ne peut point la honte et le dépit ? Ouy, de sa folle erreur estant desabusée, Son cœur sera sans doute une conqueste aisée, Et je puis esperer, si je prends bien mon temps, De voir dans peu de jours tous mes desirs contents. Ne differons donc plus, et sans perdre courage     Allons quoy qu’il en soit commencer cet ouvrage. Astrologue excellent, miraculeux esprit, Vous faites aujourd’huy l’entretien de Madrid, Comme il ne fut jamais de fourbe mieux conceuë, Jamais avec plus d’heur fourbe ne fut receuë, Chacun également en est persuadé, Avec respect desja vous estes regardé, Et si quelque incident ne vient troubler la feste, Vous passerez bien-tost pour un nouveau Prophete. Aussi pour confirmer ce que l’on croit de moy, Je ne perds point de temps.         Ces livres en font foy, Voyez.         Un Almanach, un traité de la Sphere. Il en disputeroit s’il estoit necessaire, Vous ne vistes jamais Astrologue pareil. Vous cognoissez du moins les maisons du Soleil ? Je cognois mesme encor le Zenith, l’Ecliptique, Le Tropique du Cancre, et le Pole Antarctique, Ces termes de Jupin s’opposant à Venus, Grace à mon Almanach, ne m’épouvantent plus, Et mesme en un besoin par quelque préambule Je broüillerois l’esprit d’une femme credule. Je n’ay fait toutefois dans ce commencement Qu’un effort de memoire, et non de jugement, Il me faut fuyr encor le pere de Lucrece. Avez-vous cependant poussé bien loing la piece ? Assez loing, et peut-estre en rirez-vous un peu. J’ay sçeu trouver d’abord une maison de jeu, Où j’ay tout debité dans une troupe amie De ceux qu’on nomme là piliers d’Academie, De ces presteurs à poste, et comme tout le jour Attendant la rencontre ils tiennent là leur cour, Vous sçavez que de tout curieux ils s’informent, Que sur chaque nouvelle ils taillent, ils reforment ; Jugez si je pouvois m’estre mieux adressé. Chez les Comediens de là je suis passé, Où pour mieux faire croire une telle merveille J’en ay dit à beaucoup le secret à l’oreille, Et cette confidence a si bien pullulé, Que d’oreille en oreille il s’est par tout coulé. Au sortir de ce lieu (souffrez qu’encor j’en rie) Un amy m’a conté ma propre menterie, Avec tant de serments que c’estoit verité, Que moy-mesme à l’oüyr j’en ay presque douté. Enfin le jour manquant j’ay passé par la Place, Où pour vous un certain mentoit de bonne grace, Et recitoit, tout prest d’en jurer au besoin, Cent choses dont luy-mesme il se disoit témoin. Cinq ou six l’écoutoient, je m’approche, et pour rire J’ay sur ce qu’il disoit voulu le contredire, Mais luy plein de cholere et d’indignation, M’interrompant soudain avec émotion, Je dis ce que j’ay veu, m’a-t’il dit, et peut-estre Vous en parlez ainsi faute de le cognoistre, Ou vous portez envie aux hommes de vertu ; Et moy sur ce ton-là craignant d’estre battu, Je me suis retiré pour en rire à mon aise. L’histoire est excellente.         Elle n’est pas mauvaise. Que l’on trouve à Madrid d’impertinents menteurs ! Les nouveautez par tout trouvent des sectateurs, Mais ce qui me surprend dedans cette advanture… Une Dame, Monsieur, d’assez belle stature Demande à vous parler sans témoins un moment. Amy, retirez-vous dans cet apartement, Ne s’agiroit-il point icy d’Astrologie ? Pleust à Dieu, j’en aurois l’ame toute ravie, Aussi-bien vous faut-il par un effort d’esprit En tromper deux ou trois pour vous mettre en credit. Quoy que ce soit, d’icy vous le pourrez entendre. Une telle visite a droit de vous surprendre. Elle m’honore trop, et j’en suis tout confus. Pour vous voir, D. Fernand, j’aurois fait encor plus, Puisqu’avec passion j’ay souhaité cognoistre L’homme le plus sçavant qu’on ait jamais veu naistre. Ah, Jacinte, je tremble, et n’ose m’expliquer. Madame, à ce discours je ne puis repliquer, Un éloge si haut m’en met dans l’impuissance : Je possede en effet quelque foible science, Mais…         Non, non, c’est en vain que vous vous ravalez, Je sçay vostre merite et ce que vous valez, Et que faire parler un corps privé de vie N’est que le moindre effet de vostre Astrologie. Ce que vous en croyez m’est trop advantageux, Mais puis-je vous servir ? je m’en tiendrois heureux. Ah, D. Fernand.         D’où vient que vostre cœur soûpire ? Vous pourriez m’espargner la honte de le dire. Puisque ce haut sçavoir dont chacun est jaloux Vous fait cognoistre assez ce que je veux de vous. Et par cette raison vostre raison est vaine, Car enfin si je sçay le sujet qui vous méne, Ce que vous me direz en cette occasion Ne sçauroit augmenter vostre confusion. Mais que vous servira d’entendre ma foiblesse ? Vous ne sçavez que trop le desir qui me presse, Me monstrer à vos yeux, c’est vous ouvrir mon cœur : Ne me traitez donc point avec tant de rigueur, Et puisqu’à vous parler je suis si peu hardie Faites ce que je veux sans que je vous le die. Elle dit bien, Monsieur, songez à l’obliger. Je croy qu’elle a dessein de me faire enrager, Deviner sa pensée ! est-elle raisonnable ? Et suis-je pour cela Magicien ou Diable. Payez encor un coup de galimatias, Et dites de grands mots qu’elle n’entende pas. Sans vouloir feindre icy, je confesse Madame, Que je puis penetrer les secrets de vostre ame, Voir à nud vostre cœur, lire dans vostre sein, Mais sçachez que pour vous je m’employerois en vain, Si vous ne témoigniez par un recit sincere Vostre consentement à ce qu’il faudra faire. Peut-estre tâchez-vous de voir par cet essay Si je suis ce qu’on dit, et si ce bruit est vray, Mais gardez d’empescher l’effet de ma science, Car enfin il y faut beaucoup de confiance, J’ay mes règles à part, et n’agis pas tousjours Selon qu’apparemment les Astres ont leur cours. La force de mon Art passe un peu l’ordinaire, Et pour vous en donner une preuve bien claire, Je vay vous découvrir, si vous le souhaitez, Quelle est vostre pensée, à quoy vous la portez, Si vostre cœur est libre, ou quel objet l’enflame, Et ce que vous avez de plus caché dans l’ame : Mais cela fait aussi, ne me demandez rien, Je ne puis rien pour vous.         Quel malheur est le mien, Qu’il faille me resoudre à vivre infortunée, Ou rougir d’un recit où je suis condamnée. J’ayme, et le digne objet qui regne sur mon cœur Par cent et cent devoirs s’en est rendu vainqueur, Mais encor que pour luy j’eusse une amour fort tendre, Il m’a quittée enfin pour s’en aller en Flandre, Avec tant de mépris que sans me dire Adieu Il a pû se resoudre à partir de ce lieu. On m’en vient toutefois d’apporter cette lettre Qui me promet encor ce qu’il m’osa promettre, Et m’asseurant pour luy d’une immüable amour Me fait avec ardeur souhaiter son retour. Je brûle de le voir, et quoy qu’en apparence L’effet de ce desir passe toute puissance, J’ay sçeu que par vostre Art de tous si fort vanté Vous pourriez surmonter cette difficulté, Et dés ce mesme soir faire à mes yeux paroistre Celuy qui de mon ame a sçeu se rendre maistre. Ainsi, si d’un beau feu jamais la noble ardeur Pour un objet aimable échauffa vostre cœur, Par l’Amour, par ce Dieu que chacun apprehende, Ne me refusez point ce que je vous demande. Que luy pourray-je enfin respondre là dessus ? Appellez au secours le grand Nostradamus. Le viellard Astrologue estoit moins redoutable. Dites qu’il luy faut faire un pacte avec le Diable. Madame, je ne sçay pour qui vous me prenez, Ny ce que de mon Art vous vous imaginez, Car où pretendez-vous que je puisse aller prendre Un homme que vous mesme advoüez estre en Flandre ? Ah, vous faites encor des prodiges plus grands, J’en suis bien informée et j’en ay bons garands. J’en eusse osé jurer.         Croyez qu’on vous abuse, L’impossibilité fait seule mon excuse, Mon Art pour vous servir n’est point assez puissant S’il faut faire à vos yeux paroistre un homme absent, C’est ce qu’on ne fait point par simple Astrologie, Ces Fantosmes parlants ne vont que par Magie, Dont la noire science estant sujette aux loix D’un courage bien noble est rarement le choix ; D’ailleurs, la vision est fort melancholique D’un esprit enfermé dans un corps fantastique, Cette apparition pleine d’horreur en soy Fait pâlir bien souvent les plus hardis d’effroy, Et vous y manqueriez sans doute de courage. Non, non, de mon amant si ce spectre a l’image, Dans cette vision, dans ce charme trompeur, J’auray plus de plaisir que je n’auray de peur. Mais vous vous défiez peut-estre d’une femme, Et croyez qu’un secret soit mal seur…         Non, Madame, Car je confesse enfin puisque vous m’en pressez, Que pour vous obeïr j’en sçay peut-estre assez, Et si j’ay dit d’abord qu’il m’estoit impossible C’est parce que j’y trouve un obstacle invincible ; Vous m’avez dit qu’en Flandre est cet amant heureux, Ainsi je ne puis rien, la mer est entre-deux, Cet élement sauvage à mes charmes s’oppose, Et fait de mon refus la vraye et seule cause. Cet obstacle de mer est facile à lever, Car de long-temps en Flandre il ne peut arriver, Puisque depuis huict jours ayant quitté la ville A Sarragoce encor sa presence est utile, Un procez l’y retient.         A ce coup m’y voicy. Chacun croit depuis peu D. Juan party d’icy. Si c’estoit luy, Monsieur ?         Cela pourroit bien estre, Sans nous trop engager tâchons de le cognoistre. S’il est ainsi, Madame, il reste seulement A me faire sçavoir le nom de vostre amant, C’est une circonstance où vous manquez encore, J’en dois estre informé, non pas que je l’ignore, Car enfin advoüez qu’estant né de bon sang Il a fort peu de bien à soustenir son rang, Que nous sommes tous deux environ du mesme âge. Je ne le puis nier.         C’est luy-mesme, courage. Peut-estre croirez-vous qu’avec peu de raison Puisque je le cognois je demande son nom ? Mais si je ne l’apprens de vostre propre bouche Je ne puis satisfaire au desir qui vous touche, Nostre Art de ce tribut se rend un peu jaloux. Helas, qu’à prononcer ce nom me sera doux ! Il s’appelle D. Juan. Que faut-il encore dire Pour obtenir de vous le bonheur où j’aspire ? Puisque la mer enfin ne m’embarasse plus, Madame, il ne me reste aucun lieu de refus. Regardez-moy l’œil fixe.         O fillefortunée ! Monstrez-moy vostre main. Quel jour estes-vous née ? L’onziesme de Juillet.         Enfin vous voulez voir Cet amant si chery ?         S’il se peut dés ce soir. De ce desir mon ame est si fort possedée… Il me faut faire un pacte avecque son Idée, Ce charme est innocent, mais pour un tel dessein J’ay besoin d’un billet écrit de vostre main. Puis-je rien refuser pour ce que je souhaite ? Je le déchireray ma figure estant faite. Depesche, Philipin, de l’encre et du papier. Et bien, qu’en penses-tu ?         Madame, il est Sorcier, Et si vous escrivez, c’est chose indubitable Qu’il portera soudain vostre billet au Diable, On parlera de vous ce soir dans le Sabat, Je l’en refuserois.         Ton cœur trop tost s’abat, Et pour mon interest tu te mets trop en peine. Je m’en vay vous dicter, écrivez.         Et bien, Reyne ? Que ton maistre est sçauant !         Bien plus qu’il ne paroit. Je pense qu’avec luy tu peux bien marcher droit, Puisqu’il lit dans les cœurs en voyant les personnes. Quand il en sçait le nom, c’est assez.         Tu m’estonnes, Comment se peut cela n’en sçachant que le nom ? C’est que tousjours en poche il a quelque Démon. Un Démon ! et tu sers un tel maistre ?         Qu’importe ? Un Diable quelquefois n’est pas mauvaise escorte, J’entens un familier, ne t’épouvante pas. Vostre nom manque encore, il faut le mettre au bas. Est-ce assez ?     Ouy, Madame.         Adieu, je vous le laisse, Souvenez-vous de moy.         Je tiendray ma promesse. Faut-il qu’il me regarde ! Helas, je meurs de peur. Tu te caches les yeux, et je vois dans ton cœur. Si vous sçavez, Monsieur, le secret où je pense, Que ma maistresse au moins n’en ait point cognoissance, Elle feroit chasser Fabrice asseurément. Enfin m’en voilà quitte, et sans enchantement. Un si bon tour joüé vous va donner la vogue D’un sçavant personnage, et d’un grand Astrologue, Vostre renom bien-tost s’en accroistra par tout. J’ay bien encor sué pour en venir à bout, Je ne souffris jamais un plus cruel martyre. J’avois beaucoup de peine à m’empescher de rire, Et sur tout mon plaisir ne se peut exprimer Alors qu’elle a détruit vostre obstacle de mer. J’estois lors, je l’advoüe, en mauvaise posture. Vous aviez fort mal pris aussi vostre mesure, On va par terre en Flandre aussi bien que par eau. Et que sçait une fille ? il seroit fort nouveau Qu’elle fust plus sçavante en la Cosmographie Que je ne suis moy-mesme en mon Astrologie. J’avois encor dequoy me sauver à demy Sur ce qu’il faut passer en pays ennemy, Ce passage eust détruit la force de mes charmes. Elle vous a pourtant donné bien des alarmes ? Jusques à me voir presque au bout de mon Latin. La plaisante advanture ! et son billet enfin ? Lisez, ce ne sont pas choses pour vous secrettes. D. Juan, je sçay bien où vous estes, Venez me voir dés cette nuict. L’artifice est assez bien conduit, Et vous pouvez beaucoup avecque cette lettre. Dans les mains de D. Juan il faudra la remettre, Qui sans doute croyant qu’on l’a fait espier Ira voir Leonor pour se justifier, Se trahira luy-mesme ; ainsi par cette adresse Je me vange, et détruis les plaisirs de Lucrece. Si d’ailleurs Leonor trop credule en ce point Le prend pour un Fantosme et ne l’écoute point, On ne peut inventer fourbe plus accomplie Pour confirmer le bruit de mon Astrologie. Reste à faire tenir maintenant ce billet. De ce soucy, Monsieur, chargez vostre valet. Mais il le faut donner en main propre.         A luy-mesme, J’en sçay bien les moyens.         Et par quel stratagême ? Il n’est pas grand, Monsieur, et vo us l’allez sçavoir. Dans son jardin Lucrece attend D. Juan ce soir, Voicy mesme à peu prés l’heure qu’il s’y doit rendre, C’est là que de ce pas je veux l’aller attendre, Et si je ne luy fais changer de rendez-vous… Cet advis en effet est le meilleur de tous. Va donc viste. Je meurs d’en sçavoir des nouvelles. Vous en sçaurez bien-tost, Monsieur, et des plus belles, La porte du jardin n’est pas bien loing d’icy. Quel intrigue jamais a valu celuy-cy, Et que j’ay bien dequoy faire aujourd’huy le rogue D’avoir fait ériger mon maistre en Astrologue ! Que l’on croit de leger, et qu’à ce que je voy Il en est à Madrid de plus badauts que moy ! Mais j’enrage desja d’avoir fait mon message, D. Juan en pestera je croy de bon courage, Et n’aura pas grand soing de me bien regaler Lors que de Leonor il m’entendra parler. Bon, voicy le jardin, occupons-en la porte, Il ne peut m’échapper soit qu’il entre ou qu’il sorte, N’en estant point cognu, je ne hazarde rien ; J’entens marcher quelqu’un, si c’est luy, tout va bien. Qui va là ?         J’y venois, Monsieur, pour vous attendre. Leonor m’a donné ce billet à vous rendre, Et vous prie instamment de la voir cette nuict, Voylà quel est mon ordre.         Où me vois-je reduit ! Amy, de grace, écoute.         Il fuit, il m’abandonne, Et dans l’obscurité, je ne vois plus personne : Quel Démon ennemy, quel infidelle esprit A pû lui découvrir que je suis à Madrid ? Ah, je n’en puis douter, la preuve en est trop claire, Don Lope m’a trahy pour tâcher de luy plaire, Il l’adore, et j’ay trop recognu pour mon mal Qu’en luy j’avois bien moins un amy qu’un Rival. O disgrace ! ô malheur à qui tout autre cede ! Mais il faut s’il se peut, y donner prompt remede, L’aller voir de ce pas, pour détruire l’espoir Qu’un amy desloyal peut desja concevoir. Si ce billet aussi n’estoit qu’une imposture ? Voyons auparavant si c’est son écriture, Et s’il est de sa main allons au rendez-vous, Et tâchons dés ce soir d’appaiser son couroux. Je vois de la lumiere, advançons, l’heure presse. Mais croyez-vous encor qu’il tienne sa promesse, Et qu’en si peu de temps D. Fernand au besoing Puisse obliger D. Juan à venir de si loing ? Pauvre esprit ! esprit foible ! avec ton ignorance Voudrois-tu limiter cette haute science, Qui pourveu que la mer ne fust point entre-deux Produiroit des effets cent fois plus merveilleux ? Sans doute qu’il viendra, non luy mais son Image, Un spectre tout pareil de port et de visage. Et quel plaisir, Madame, aurez-vous de le voir ? Pourquoy le souhaiter ?         Tu ne le peux sçavoir Si tu ne sçais qu’Amour, ce charmant adversaire, Luy-mesme est la raison de tout ce qu’il fait faire. Et bien, vous le verrez, je veux vous l’accorder. Mais si c’est un Fantosme, un corps qui n’est que d’air, N’aurez-vous point de peur ?         Point du tout : mais on frappe. Vous pâlissez, Madame, un soûpir vous échape ! Vous croyez que c’est luy peut-estre ?         Aucunement, Mais va voir ce que c’est. D’où vient ce changement ? Quelle secrette horreur s’empare de mon ame ? Je tremble, qu’ay-je à craindre !         Ah Madame, ah Madame, C’est luy-mesme, sinon qu’il est beaucoup plus grand. Ah Ciel, Ah !         Cet accueil, Leonor, me surprend. Ma curiosité ne sert qu’à me confondre, C’est la voix de D. Juan, mais je ne puis répondre, Et quand j’ay pris dessein de le faire appeler J’ay souhaité le voir, et non pas luy parler. Que je crains que ce spectre, ou bien plustost ce Diable Ne me vienne chercher jusques sous cette table. Quelle confusion, et quel charme est-ce cy ! Leonor, c’est donc moy que vous traitez ainsi ? Moy qui vient tout exprés vous donner asseurance Que sur mon cœur vous seule avez toute puissance ? Je ne veux point de toy, j’abhorre ce pouvoir, Et c’est le vray D. Juan que je souhaite voir. Je suis tousjours le mesme, et ma foy n’est point fausse. Fantosme, laisse-moy, retourne à Sarragoce. Et de grace, écoutez mes raisons de plus prés. Leonor. Est-ce feinte, est-ce jeu fait exprés ? Que fais-tu là, Jacinte ?         A l’ayde, je suis morte, C’en est fait.         Qui jamais fut receu de la sorte ? Ay-je perdu l’esprit ? Suis-je moy-mesme encor ? Jacinte, à m’écouter oblige Leonor. Leonor. L’une et l’autre est sourde à ma priere, Personne ne répond, et je suis sans lumiere. Qui la peut obliger à se cacher de moy ?     Est-ce hayne ? est-ce horreur pour mon manque de foy ? En quels doutes mon ame est-elle ensevelie ! N’importe, laissons-la joüyr de sa folie, Et cependant allons à l’autre rendez-vous Tâcher d’y recevoir un traitement plus doux. Un chagrin si profond me surprend et m’afflige, Madame, à soûpirer quel sujet vous oblige ? Doutez-vous de mon cœur ? doutez-vous de ma foy ? Je crains tout, je l’advouë, et pour vous et pour moy, Et ne puis empescher ma vertu de s'abatre, Voyant quels ennemis nous avons à combattre. Songez-y bien, D. Juan, un amant méprisé Jamais à sa vangeance a-t’il rien refusé ? Croyez-vous D. Fernand plus genereux qu’un autre ? Son interest sur luy peut-il moins que le nostre ? Il sçait que j’ay de nuict souffert vostre entretien, Jugez si pour nous perdre il épargnera rien, S’il pourra se dompter jusques à ne point nuire Au bonheur d’un Rival quand il le peut détruire. Ses efforts seront vains si vous m’aymez encor. Je n’en dis pas autant de ceux de Leonor. Ah, Madame ! c’est faire un outrage à ma flame. Qu’est-ce qu’un premier feu ne peut point sur une ame ? Nommez si vous voulez cet amour un devoir, Enfin elle est aymable, et vous la devez voir, Et si vous refusez vostre cœur à ses charmes, Le refuserez-vous à l’effort de ses larmes ? Ah, ce doute cruel me touche au dernier point, Et bien, si vous voulez je ne la verray point. Qu’elle menace, tonne, éclate de cholere, Je mettray seulement tout mes soings à vous plaire, Et de quelque malheur que je sente les coups Je vivray trop heureux estant aymé de vous. Mais d’une autre douleur je sens la vive atteinte, Et si j’ose à mon tour vous expliquer ma crainte, Que ne tentera point vostre pere alarmé S’il apprend que de vous D. Juan soit estimé ? Que n’employera-t’il point pour chasser de vostre ame Tout ce qui peut nourrir une si belle flame ? Il vous menacera, vous craindrez son couroux, Et lors peut-estre, et lors m’abandonnerez-vous, Et direz comme luy que c’est une foiblesse Où le bien a manqué, d’estimer la noblesse, D’aymer un bon courage…         Ah, jugez mieux de moy, La vertu suffit seule à soustenir ma foy, Et je ne porte point un cœur assez esclave Pour effacer par crainte un portrait qu’elle y grave, J’y conserve le vostre.         O trop heureux amant ! Pour gage de ma foy prenez ce Diamant, Seur que je suis à vous, et que quoy qu’il advienne Jamais sa fermeté n’égalera la mienne. Dans l’excez du plaisir je ne me cognois plus, Et de tant de bontez et surpris et confus Ne sçachant que vous dire, et ne pouvant me taire… Vous poursuyvrez tantost, voicy venir mon Pere. Ne voy-je pas D. Juan ? quoy, desja de retour ? Un procez impréveu me renvoye à la Cour, Et me fait differer mon voyage de Flandre. Je viens de Sarragoce.         Et que fait-là mon Gendre ? D’un favorable accueil je luy suis obligé, Il vous avoit écrit, et m’en avoit chargé : Mais je me suis muny d’un valet si fidelle, Qu’il m’a volé ma malle et la lettre avec elle. Ainsi vous avez fait un retour malheureux. Ainsi pour moy le Ciel est tousjours rigoureux ; Car enfin ce malheur m’est d’autant plus contraire Qu’il ne vous écrivoit que touchant mon affaire, Vous priant de m’ayder en ce dont il s’agit Et de vostre conseil et de vostre credit. Je n’ay credit, amis, ny conseil qu’avec joye, Si je puis vous servir, au besoing je n’employe, Je m’offre sans reserve, et si vous m’épargnez Ce sera me monstrer que vous me dédaignez. C’est faire trop de grace au peu que je merite : Mais vous m’excuserez, Monsieur, si je vous quitte, Quiconque a des procez est à soy rarement, J’ay quelque ordre à donner où je cours promptement, Pardonnez si j’en use avec tant de franchise. Il n’en est point, D. Juan, qu’un procez n’authorise. Quoy, contre ton humeur tu resveras tousjours ? D’où ce pesant chagrin peut-il prendre son cours ? Tire-moy de soucy.     Ce n’est rien.         Mais encore ? Ne me le cele point.         Moy-mesme je l’ignore, C’est peut-estre un effet de mon temperament. Ah, Lucrece !         S’il faut l’advoüer librement, J’ay perdu quelque nippe, et c’est la seule cause Qui fait en mon humeur cette metamorphose. Et bien, qu’as-tu perdu ?         J’en suis toute en couroux. Dy donc.         Ce diamant que je tenois de vous. Ne t’inquiete point, un peu de patience, On le retrouvera.         J’en ay peu d’esperance ; J’ay fait chercher par tout, sans doute il est perdu. M’eust-il cousté le double, et me fust-il rendu ! L’occasion peut-estre à quelqu’un s’est offerte, Mais il est fort aisé d’en reparer la perte, Il en est de plus beaux, en travail, en valeur. Ils me consoleroient fort peu de ce malheur, Celuy-là me plaisoit.         L’attachement estrange ! Pour beau que fust un autre elle perdroit au change. Va, quitte ce chagrin, je vay tout maintenant Sur cet anneau perdu consulter D. Fernand. Pour excuser l’humeur qui vous rend si resveuse, Vous avez tout gasté.         Que je suis malheureuse ! Taisez-vous, il revient.         Dy moy, ce diamant, De quand est-il perdu ?         D’aujourd’huy seulement. L’heure ?     Entre neuf et dix.         Quel conseil dois-je prendre ? De ce chien d’Astrologue il s’en va tout apprendre, Pour moy je tiens desja vostre amour découvert. Ce n’est que D. Fernand en effet qui me pert, Mais quoy qu’il entreprenne, et quoy qu’il puisse faire, Mon amour craindra peu l’authorité d’un pere, Mon cœur est à D. Juan, rien ne le peut forcer, Et son espoir est vain s’il prétend l’en chasser. Que ne peut une fille ayant l’amour en teste ! Mais il faut divertir l’orage qui s’appreste, Instruire Philipin de ce qui s’est passé, De peur que D. Fernand ne soit embarassé, Et que rompant commerce avec l’Astrologie Il n’apprenne au vieillard toute la tromperie. En quelle extremité me vois-je icy reduit ! Mais c’est par vostre adveu que j’ay semé ce bruit. Ouy, de l’Astrologie, et non pas d’autre chose ; Cependant de l’Enfer on croit que je dispose, Peu s’en faut qu’en la ruë on ne me monstre au doigt. Un mensonge tousjours en moins de rien s’accroit, On y change, et chacun le debite à sa mode : Mais qu’a pour vous encor ce bel Art d’incommode ? Dequoy vous plaignez-vous ?         De voir petits et grands Me venir proposer cent doutes differents, Je ne me vis jamais en pareil exercice ; Et comme je répons seulement par caprice, J’auray bien-tost acquis le renom d’imposteur. Le meilleur Astrologue est le plus grand menteur, Et c’est tousjours beaucoup que par ce tour d’adresse Vous vous estes vangé des mépris de Lucrece, Vostre Rival vous craint, vous troublez ses plaisirs, Et tout semble d’accord avecque vos desirs. Croyez que sans regret je luy cede la place, Je ne travaille point à causer sa disgrace, Et mon amour esteint, il m’importe fort peu Que Lucrece aujourd’huy recompense son feu. Que n’advoüyez-vous donc le tout avec franchise, Sans vous faire Astrologue ?         Admirez ma sottise ; Car à dire le vray je ne me comprends pas, De m’estre mis moy-mesme en un tel embarras, Sans que la piece ait eu cause plus importante Que la crainte de voir chasser une servante. J’avois bien pour ce coup la cervelle à l’envers. Cessez d’en murmurer, puisque je vous y sers J’ay part à l’imposture, et je prens pour mon conte En l’osant divulguer la moitié de la honte. Mais y peut-on trouver rien indigne de nous ? J’ay bien lieu, D. Fernand, de me plaindre de vous. Voicy pour m’achever, l’incommode personne ! Vous, Madame, de moy ! ce reproche m’estonne. En quoy le puis-je avoir depuis hier merité ? Si D. Juan en effet ne s’est point absenté, S’il estoit à Madrid, puisque vostre science Des plus obscurs secrets vous donne cognoissance, Dites, à quel dessein me l’avez-vous celé ? Je l’ignorois encor lors que je vous parlay, Et ne l’ay découvert qu’en faisant ma figure, Mais à bien regarder toute cette advanture Rien n’y sçauroit tourner à ma confusion ; Au lieu de son Fantosme et d’une illusion, Si quoy qu’il se cachast avec un soing extréme, A vous aller trouver je l’ay contraint luy-mesme, Puis-je mieux témoigner la force de mon Art, Et qu’il n’est ni trompeur ni sujet au hazard ? Cette raison l’emporte, il faut que je luy cede ; Mais à mon déplaisir donnez quelque remede. Le parjure au mépris de tant de vœux offerts D’une beauté nouvelle ose porter les fers, C’est pour elle aujourd’huy qu’à Madrid il s’arreste, J’ay sçeu tout le détail de cette amour secrette, Et que les Astres seuls à qui vous commandez Sont les témoins du feu dont ils sont possedez : Puisqu’à vostre science il n’est rien d’impossible, Empeschez ce commerce à mon cœur trop sensible, Rompez les tristes nœuds de cet attachement, Aux yeux qui l’ont surpris dérobez mon amant, Faites qu’il se repente, et que pour ma vangeance Ma Rivale à son tour pleure son inconstance. Ayez de vostre amant des sentiments meilleurs, On vous trompe sans doute, il n’ayme point ailleurs, Et quoy qu’il soit un peu blasmable en sa conduite, Du sujet qui l’arreste on vous a mal instruite, Vous en estes la cause, et son esprit jaloux A voulu se guerir en se cachant de vous, Pour vous faire observer il a feint ce voyage ; Mais, Madame, cessez d’en avoir de l’ombrage, Car enfin il vous ayme, et toute sa rigueur Asseure à vos beautez l’empire de son cœur, D’un faux mépris peut-estre il couvrira sa flame, Mais quoy qu’il dissimule, il vous adore en l’ame. Agreable asseurance ! helas, pardonne-moy, D. Juan, si sans raison j’ay douté de ta foy. Le Ciel, ô D. Fernand, vous soit tousjours propice, Adieu.         La pauvre Dame est toute sans malice, Et de vostre réponse a grande joye au cœur. Sa priere à ce coup ne m’a point fait de peur, Et je me doutois bien, comme elle est fort credule, Que je l’endormirois d’un espoir ridicule. Me voicy libre enfin.         Non pas trop libre encor, Et quelqu’un…         Ah, c’est là bien pis que Leonor. D. Fernand.         Ah, Monsieur, quel sujet vous améne ? Je viens pour vous prier de me tirer de peine. Que sera-ce ?         Excusez si j’agis librement, Et commence par là mon premier compliment, Avecque mes amis c’est ainsi que je traite. Une telle franchise est ce que je souhaite. Un certain diamant qu’on a perdu chez moy Fait soupçonner mes gens, et douter de leur foy, Et comme ce desordre y cause grand murmure, Daignez en ma faveur faire quelque figure, Pour découvrir au vray ce qu’il est devenu. O qu’en bonne saison le vieillard est venu ! Pour durer plus d’un jour la fourbe est trop grossiere, Je vous l’avois bien dit.         Il resve à ma priere, Sans doute il l’examine avec attention. Ce mestier a besoin de speculation, Et je l’ay veu souvent en rencontre semblable Dans une resverie à peine concevable, Il semble que l’esprit abandonne le corps. Aussi faut-il en faire agir tous les ressorts, Et que jusques au Ciel sa vivacité monte. Ouy, le vouloir fourber c’est me couvrir de honte, Je n’en puis esperer qu’un embarras plus grand. Voyez pour m’obliger quelles peines il prend. A vous rendre content sans doute il se dispose. Et bien, m’en allez-vous apprendre quelque chose ? Comme à vous abusez je n’ay point d’interest, Sçachez qu’on croit de moy beaucoup plus qu’il n’en est. Je ne le cele point, j’ay bien quelque principe De cette Astrologie où tant de monde pipe, Et sur ce fondement mes amis indiscrets Ont feint d’en avoir veu de merveilleux effets ; Mais quoy qu’on en publie, et quoy que l’on en pense, Aucun n’en vit jamais la moindre experience, Et si par leur exemple à cette feinte instruit Moy-mesme quelquefois j’ay confirmé ce bruit, Ce n’a jamais esté que quand la raillerie Loin de passer pour crime estoit galanterie : Mais icy qu’il s’agit de vous parler sans fard, Quel que soit le renom que m’ait acquis cet Art, La reputation ne m’en est point si chere, Que pour la conserver je vueille vous rien taire. Ainsi croyez qu’en vain touchant ce diamant Vous attendez de moy quelque éclaircissement, En quelque main qu’il soit, et quoy qu’il en puisse estre, Par le peu que je sçay je n’en puis rien cognoistre. Quand je n’aurois pas sçeu par le raport d’autruy Que vous estes l’honneur des sçavants d’aujourd’huy, Et que l’on fait de vous par tout un cas extresme, Cette humilité seule à parler de vous-mesme Me persuaderoit de ce que vous sçavez. Perdez ces sentiments pour moy trop relevez, Je ne sçay rien du tout, et je vous le proteste. La preuve du contraire est par là manifeste. Ainsi les plus sçavants, ainsi les plus parfaits Doivent estre tousjours modestes et discrets, Et ne pas obscurcir l’éclat de leur science Par le faste insolent d’une vaine arrogance. Il passe bien son temps.         O le vieillard maudit ! Si j’estois en effet ce que l’on vous a dit, Quand mesme je voudrois me cacher à tout autre, Je donnerois icy mon interest au vostre, Et je vous en dirois la pure verité. Je vous le dis encor que cette humilité Plus que vostre science est en vous estimable, Elle est d’un grand esprit la marque indubitable ; Quiconque sçait beaucoup présume peu de soy, La vanité jamais ne luy donne la loy, Il descend en soy-mesme, il tâche à se cognoistre, C’est n’estre pas sçavant que s’imaginer l’estre, Et quelque Art que ce soit, pour en discourir bien, Qui croit y tout sçavoir sans doute n’y sçait rien. Mais pour venir enfin à ce qui me regarde… Il me va rendre fou, si je n’y prends bien garde. Ce diamant perdu sembloit d’autant plus beau Qu’il servoit de cachet aussi-bien que d’anneau, Je l’avois fait graver. Et s’il est d’importance Que vous sçachiez encor cette autre circonstance, C’est entre neuf et dix qu’on croit l’avoir perdu. Monsieur, l’autre ce soir vous doit estre rendu. C’est prétexte, écoutez.         D’où vient qu’il me refuse ? Peut-estre de Magie il craint qu’on ne l’accuse, On est prompt à médire, et le peuple ignorant Attribuë aux Démons tout ce qui le surprend, C’est par cette raison que vous le voyez feindre. Je sçay ce qu’il faut taire, il n’a pas lieu de craindre. C’est ce que maintenant m’a conté Beatrix. Ton secours vient à temps, et sans toy j’estois pris. Pardonnez devant vous si j’ay receu message, Je sçay bien le respect que l’on doit à vostre âge, Mais l’affaire pressoit.         Vous me rendez confus : Mais de grace avec moy ne dissimulez plus. Si j’en sçavoit assez…         L’excuse est inutile, Une bague perduë, est-il rien plus facile ? Monsieur, encore un coup, je vous le dis sans fard… Monsieur, encore un coup laissons la feinte à part, Et m’apprenez enfin ce que je veux apprendre. De peur de vous fâcher je voulois m’en défendre, Mais vous m’y contraignez.         Rien ne me peut fâcher. Oyez donc ce qu’en vain j’ay voulu vous cacher, Et sçachez que desja resvant à vostre affaire J’ay fait en mon esprit ce qu’il a fallu faire. Celuy qui ce matin vous a fait compliment En habit de campagne, a vostre diamant. Qui l’auroit soupçonné d’une si noire tache, Et qu’estant si bien fait il eust l’ame si lâche ? Mais quoy ! c’est un effet de la necessité Qui du sang le plus pur rend un sang tout gasté. Vous voyez, D. Fernand, qu’en vain vous vouliez taire Ce dont sur vostre front je vois le caractere. Quand je dis une fois, Cet homme a de l’esprit, C’est un sçavant du siecle, il l’est sans contredit, Adieu.         Sans Philipin il vous la bailloit belle. Mais rencontrant D. Juan, s’il faut qu’il le querelle, Comme l’ayant volé, ce sera bien le bon. Qu’importe s’il le prend pour gendre, ou pour larron ? C’est bien la mesme chose, et l’un et l’autre en somme Pour en avoir le bien veut la mort du bon-homme. Quoy que tout jusqu’icy m’ait succedé fort bien Je suis las d’un mestier où je ne cognois rien, Mais afin d’en sortir avecque plus de gloire, Puisque je vois le pere en humeur de tout croire, Je veux faire si bien, loing d’en estre jaloux, Que D. Juan de Lucrece aujourd’huy soit l’époux, Et confesse devoir à ma feinte science De son fidelle amour la juste recompense. Mais quelqu’un entre encor.         Quel est ce bon vieillard ? Depuis plus de trente ans il sert chez Leonard. Ah, Mendoce.         Ah, Monsieur, en faveur de Lucrece, Lucrece nostre bonne et commune maistresse, Si j’osois vous prier.         Parle, acheve, dequoy ? De peu de chose.         Dy, je feray tout pour toy. Las de servir tousjours, il m’a pris une envie De revoir mon pays pour y finir ma vie, J’y porte quelque argent, le fruit de mes sueurs : Mais comme les chemins sont remplis de voleurs, Pour y tenir ma bourse à couvert du pillage, Et mesme pour gagner les frais d’un long voyage, Je voudrois bien, Monsieur, que par enchantement Vous me fissiez chez moy porter en un moment. Vous pouvez voir par là ce que l’on me croit estre. Il suffira de moy sans employer mon maistre, J’en sçay trop pour cela, je t’y feray porter. Mendoce, pour ce soir va tousjours t’apprester, Philipin aura soing de ce qu’il faudra faire. Monsieur, je m’en défie.         Il n’ose me déplaire, N’en apprehende rien.         Il est tout satisfait. Allons en rire un peu dedans mon cabinet ; Feins que je suis sorty si quelqu’un me demande. Fay pour moy ce qu’il faut, ton maistre le commande, Mais tu te mesles donc aussi de son mestier ? Depuis que je le sers, je suis demy Sorcier. Mais est-il si sçavant ?         Plus qu’on ne s’imagine, C’est un terrible esprit.         Il en a bien la mine. On diroit à l’ouyr quand il parle d’autruy, Qu’il lit dedans les cœurs, ou le Diable pour luy. Qu’un valet est à plaindre avec tel personnage ! Ainsi si quelquefois allant faire un message Un amy par hazard te vient prendre en defaut, Et t’oblige à tarder un peu plus qu’il ne faut, Tu n’oses luy donner cette bourde legere : Le Courrier est venu plus tard qu’à l’ordinaire, J’ay long temps attendu que Monsieur eust écrit, J’ay veu chez le Tailleur s’il faisoit vostre habit, Et ce que nous fournit en diverse rencontre La peur d’estre chassez, ou de recevoir monstre. Pour moy, j’aymerois mieux et gueuser et pâtir, Que de servir un maistre et n’oser luy mentir. D’abord ainsi qu’à toy cela m’estoit bien rude, Mais on se fait à tout avec un peu d’estude. Tu n’oserois d’ailleurs, quoy qu’avec gens discrets, Ny médire de luy, ni conter ses secrets, Ou s’il arrive enfin quand sa bile le presse Qu’à bons coups de baston il te fasse carresse, Tu n’oserois t’en plaindre, et dire à quelque amy     Qu’il est fantasque, et plus que Lutin et demy, Ou si le cas escheoit, avecque ses semblables Le donner de grand cœur à trente mille Diables. Quelques coups dont jamais j’aye esté regalé, Quand j’avois fait cela j’estois tout consolé. Le mien est indulgent.         Facile, ou difficile, En une belle nuit ma foy je ferois gille. Ne sçauroit-il pas bien mon dessein en ce cas ? Autre incommodité que je ne contois pas. Mais où je trouve encor de grands desavantages S’il voit dedans les cœurs et lit sur les visages, Le moyen en servant d’amasser un teston ? Remplit-on le gousset sans le tour du baston ? Et pouvons-nous avoir dequoy faire débauche Sans ces menus profits qui nous viennent à gauche ? Tu sçais que de l’argent qui tombe en nostre main Selon l’occasion on retient le douzain, Et que peu de valet en font quelque scrupule. C'est à dire en deux mots que tu ferres la mule ? C’est un bon revenu dont il me faut passer, Mon maistre hait le vol plus qu’on ne peut penser, Et je croy pour cinq sols que sans misericorde Il me feroit apprendre à danser sous la corde : Mesme je te plains fort de l’estre venu voir, Te servant du talent et l’ayant fait valoir, Car comme en te voyant il l’aura pû cognoistre, Il pourra bien tantost en advertir ton maistre. En advertir mon maistre ! helas, je suis perdu. Pourquoy ? ton pis aller n’est que d’estre pendu. Hé de grace, en faveur d’un compagnon d’office, Empesche si tu peux qu’il ne l’en advertisse. As-tu bien dérobé ?         Peu de chose à la fois. Mais souvent ?         Environ vingt ou trente par mois. A te dire le vray, je n’y sçay qu’un remede. Dy-le-moy promptement afin que je m’en ayde. Mon maistre a maintenant tant de soins en l’esprit, Que sans qu’il pense à toy tu peux quitter Madrid : N’attends donc point ce soir à faire ton voyage, Cours viste de ce pas dresser ton équipage. Que ton vieillard apres soit de tout adverty, T’envoyera-t’il chercher quand tu seras party ? Estant en mon pays je ne le craindrois gueres, Mais c’est bien loing d’icy.         Donne ordre à tes affaires, Je t’y rends aujourd’huy quelque loing que ce soit, Mais il te faut munir en l’air contre le froid ; Là soufflent certains vents ennemis de nature, C’est l’incommodité d’une telle voiture, Mais le voyage est fait en moins d’une heure, ou deux. Et la monture ?         Douce ainsi que tu la veux. Va cependant m’attendre au jardin de ton maistre, Je m’y rendray bien-tost.         Que ce soit sans peut-estre. Soit tout prest à partir.         Aussi, si tu n’y viens ? Je m’y rendray, te dis-je. Ah, vieux loup, je te tiens. Enfin ma prison cesse, et par cette retraite En vain j’ay creu tenir ma passion secrette, Ma mauvaise fortune a sçeu la reveler ; J’ay dequoy toutefois encor m’en consoler, Sous ce pretexte faux de procez et d’affaire Mon retour à Madrid passe pour necessaire, Et malgré mon Rival cette feinte me sert A trouver chez Lucrece un accez plus ouvert. C’est en vain, Leonor, que ton cœur en murmure, Je ne suis point ingrat, je ne suis point parjure, Mes sentiments pour toy sont les mesmes encor, Leonor à mes yeux est tousjours Leonor, Cent bienfaits dans ton sort font que je m’interesse, Tu les versas sur moy tousjours avec largesse, Mais quoy qu’ils n’ayent pas mis mon cœur dans tes liens, Ils ne sont pas perdus puisque je m’en souviens, N’exige rien de plus, j’ay pour toy grande estime, Mais je ne puis t’aymer sans me noircir d’un crime, Lucrece a sur mon ame un absolu pouvoir, Mes visites en vain ont flatté ton espoir, Pouvois-je moins te rendre, et par recognoissance Ne te devois-je pas un peu de complaisance ? Je vous cherchois, D. Juan.         Mes vœux sont satisfaits, Et l’heur de vous servir fait mes plus grands souhaits, Que me commandez-vous ?         Ah, que c’est grand dommage Que cette lâcheté noircisse un bon courage, Et qu’un homme sorty d’un sang dont on fait cas L’ose deshonorer par un vice si bas ! Qui le prendroit jamais pour voleur à la mine ? D’où vient qu’en parlant seul des yeux il m’examine ? Auroit-il pû desja découvrir nostre amour, Et que pour l’abuser je feins un faux retour ? O Destin ! ô Fortune à me nuire trop prompte ! Je ne puis me resoudre à le couvrir de honte. Parlons-luy, mais feignons de croire seulement Que de quelqu’autre main il tient mon diamant. Pour vous dire en deux mots le sujet qui m’améne, C’est pour certain bijou dont je suis fort en peine, On me vient d’asseurer qu’il est entre vos mains. Qu’en peu de temps le Sort renverse mes desseins ! Le voilà tout confus.         Que je suis miserable ! Je ne dis pas, D. Juan, que vous soyez coupable, Mais la main seulement de qui vous le tenez. Qu’à me persecuter les Cieux sont obstinez ! Non, je ne doute point, quoy qu’on m’ait voulu taire, Que qui vous l’a donné n’ait eu droit de le faire, Cessez de prendre soing de vous justifier, Vous l’estes avec moy.         Je ne le puis nier, J’ay vostre diamant, et veux bien vous le rendre : Mais sans doute, Monsieur, on tâche à vous surprendre, Et si la verité doit icy s’exprimer, Je suis le seul coupable et le seul à blâmer. Plutost mourir cent fois que d’accuser Lucrece. Plus je cache son crime, et plus il le confesse. Ouy, de ce procedé moy seul j’ay tout le tort, Et vous dire autre chose est faire un faux raport. A quel point son erreur le seduit et l’abuse ! e tâche à l’excuser, et luy-mesme s’accuse. Je vous le dis encor, quand je pris ce dessein… Contre la verité vous disputez en vain, Elle ne vous peut nuire encor que je la sçache. Puisque vous la sçavez, en vain je vous la cache, Et veux dissimuler en cette occasion. Je le confesse donc à ma confusion, Mon vol est trop hardy, je suis un temeraire, Mais si mon crime est tel qu’il puisse vous déplaire, Pour ma défence au moins sçachez que malgré moy D’un Astre dominant j’ay reconnu la loy, Dont la necessité m’a mis dans la contrainte De vous donner enfin juste sujet de plainte. Si le peu que je vaux me défend d’esperer, Par vos bontez, Monsieur, j’ose vous conjurer… Non, non, je ne suis point un juge inexorable, Je cognoy trop dequoy la jeunesse est capable, Et que l’occasion force la volonté. Puisque vous l’excusez avec tant de bonté, Pour me justifier authorisez mon crime, Rendez de mes erreurs la cause legitime, Et daignez consentir qu’à Lucrece demain En qualité d’époux D. Juan donne la main. A ma fille ? à quel droit ose-t’il y pretendre ? Faites-moy grace entiere en m’acceptant pour gendre, J’ay le cœur franc et noble, et si j’ay peu de bien, Au moins suis-je d’un sang qui ne redoute rien, Mon mal sans ce remede ira jusqu’à l’extréme. Est-il dans son bon sens, ou suis-je fou moy-mesme ? Resvay-je, ou se peut-il qu’il parle tout de bon ? Trouvant trop de peril au mestier de larron, Aux dépens de mon bien il veut se rendre sage, Et m’ose demander ma fille en mariage. O le plus plaisant fou qui jamais se verra ! Qu’il vole, qu’il dérobe autant qu’il luy plaira, Sans me desobliger il peut se faire pendre, Mais qu’il n’espere pas estre jamais mon gendre. D. Juan, je vous promets, quoy que vous m’ayez dit… Vostre fille, Monsieur ?         Le secret, il suffit, Adieu.         Vit-on jamais une telle surprise ? A luy confesser tout luy-mesme il m’authorise, Et quand il sçait le feu dont je me sens brûler, Il promet de se taire, et de n’en point parler ; O trop bizarre effet de ma triste fortune ! Mais que mal à propos je vois cette importune ! Tâchons de l’éviter.         Arrestez un moment, D. Juan, et recevez du moins mon compliment, La civilité seule à cela vous convie. Une autre sous ses loix tient vostre ame asservie, Et ce cœur si long-temps captif de ma beauté, Trouve enfin des appas dans l’infidelité : Et bien, ce changement est assez ordinaire, Je le vois sans regret puisqu’il a pû vous plaire, Mais fuyr à ma rencontre, et faire le surpris, C’est de l’indifference aller jusqu’au mépris, Souvenez-vous du moins que vous m’avez aymée. Dites mieux, que de moy vous fustes estimée. Ouy, Madame, si j’ose enfin parler sans fard, L’Amour dans mes devoirs n’eut jamais grande part : Je vous devois beaucoup, et faisois mon possible Pour vous monstrer un cœur à vos bienfaits sensible, Mais il n’est plus saison de vous rien déguiser, Cessez d’estre credule et de vous abuser, D’un si charmant objet je recognois l’empire Qu’avant que de changer il faudra que j’expire. Avec combien d’adresse il feint pour m’éprouver ! Par vos commandements je fus hier vous trouver, Vous ne voulustes lors ny me voir, ny m’entendre, Apres ce traitement rien ne vous doit surprendre, Ne vous estonnez point de ce que je vous fuis, C’est vostre ordre, Madame, et je vous obeïs. Il meurt d’amour pour vous, vous le croyez encore  ?  Lors qu’il me traite mal c’est alors qu’il m’adore. D’un autre feu luy-mesme il se confesse épris. C’est exprés qu’il affecte un si cruel mépris, Il feint, et ne me donne un peu de jalousie Que pour mieux voir l’amour dont mon ame est saisie. Je voy ce qu’il pretend, et j’en croy D. Fernand. Si j’ose avec franchise en parler maintenant, Ce n’est qu’un imposteur, à fourber il est maistre, Et par son procedé vous le pouvez cognoistre, Ne vous y fiez plus, quoy qu’il vous en ait dit, Il vous trompe, Madame, et D. Juan vous trahit : En doutez-vous encore, et sans trop de foiblesse Pouvez-vous ignorer qu’il adore Lucrece ? D. Lope vous l’a dit.         D. Lope m’est suspect, Tu sçais pour son amy qu’il n’a plus de respect, Qu’il me parle d’amour sans craindre ma cholere, Le raport d’un Rival est rarement sincere, Et quoy que de D. Juan il puisse me conter, J’ay tousjours lieu de craindre et sujet de douter. Ne doutez plus, Madame, et croyez qu’au contraire Le raport de D. Lope est un raport sincere. Mon amour quoy qu’extrême écoute la raison, Je ne vous pretends point par une trahison, Je n’ay ny le cœur bas, ny l’ame interessée, Et bien loin d’avoir eu jamais cette pensée, Tant que j’ay crû D. Juan à vos charmes soûmis, Qu’ay-je fait ? qu’ay-je dit ? que me suis-je permis ? D’un silence obstiné j’ay suby la contrainte, Je me suis défendu mesme jusqu’à la plainte, Et si quelque soûpir m’échappoit quelquefois, Comme un enfant mal né je le desadvoüois. Mais puisque d’un amy le change illegitime Me permet aujourd’huy de soûpirer sans crime, Souffrez que je découvre aux yeux qui m’ont charmé Le beau feu qu’en mon ame ils avoient allumé, Et qu’un fâcheux respect me contraignoit de taire Jusqu’à m’estre moy-mesme à moy- mesme contraire, Vous parler pour un autre, et faire mon effort Pour haster un Hymen dont j’attendois la mort. Mais me dites-vous vray ? D. Juan n’est-il qu’un traistre ? Un violent amour de son cœur est le maistre. Il me quitte ?         Peut-estre il vous quitte à regret, Mais par son propre adveu je trahis son secret. Et pour Lucrece enfin l’ingrat m’est infidelle ? Encor tout maintenant il vient d’entrer chez elle. Puis-je m’en asseurer ?         Je l’ay veu de mes yeux. O le plus lâche amant qui soit dessous les Cieux ! Ne nous aveuglons plus, punissons son offence, Qu’il ne soit plus pour moy qu’un objet de vangeance. D. Lope, m’aymez-vous ?     Madame !         Suivez-moy. Leonor est à vous, je vous promets ma foy, Mais pour servir ma hayne, et vanger mon injure, Je ne vous la promets que devant ce parjure, Ruinant son amour, et vous donnant la main, Je veux qu’il se repente, et se repente en vain, Qu’il me voye à regret entre les bras d’un autre, Que son bonheur détruit establisse le vostre, Et que perdant l’espoir dont il s’ose flatter Il regrette ce cœur qu’il n’a sçeu meriter. Adieu, Madrid, Adieu, sans regret je te quitte, Le desir du repos enfin m’en sollicite, Je préfere le chaume à tes plus beaux Palais, Et te dis derechef un Adieu pour jamais. J’abandonne tes murs, on n’y vit qu’avec trouble, A peine bien souvent y gagne-t’on le double. Quoy que j’aye tousjours servy par interest, Ma bourse est si legere…         Et bien, es-tu tout prest ? Tu vois, la grosse cappe avec de bonnes bottes. Mets-toy dedans ce rond.         Qu’est-ce que tu marmotes ? C’est desja fait, il reste à te bander les yeux. Pourquoy !     Laisse-moy faire.         En voleray-je mieux ? Tu pourrois t’éblouyr, et tomber cul sur teste. Bande donc, mais dy-moy, la monture ?         Elle est preste, Je n’ay rien qu’à siffler, on me l’amenera. Une mule ?     Une mule.         Et qui me conduira ? Si j’allois m’égarer ?         O la vision bleuë ! Quelque Diable Folet suyvra ta mule en queuë. Il est donc, Philipin, des Diables muletiers ? Doutes-tu qu’il n’en soit presque de tous mestiers ? Il en est de Sergents, il en est de Notaires, Il en est de Barbiers comme d’Apotiquaires, Il en est de Greffiers, il en est de voleurs, Il en est de devots et de Monopoleurs, Il en est de tout poil, il en est de tous âges, Il en est d’Usuriers et de presteurs sur gages, De souffleurs d’Alchymie et de rongneurs d’escus, Il en est de jaloux, et mesme de cocus. De cocus ?         Sans cela d’où leur viendroient les cornes ? Il en est de lourdauts, de hargneux, et de mornes, Il en est d’enjoüez, il en est de grondants, De danceurs sur la corde et d’arracheurs de dents, Il en est de village, il en est du grand monde, Il en est à la mode, il en est à la fronde, Enfin, que te diray-je ? il en est de galands, De breteurs, de filoux, et de passevolants, Il en est de mutins, il en est d’amiables, Il en est de méchants ainsi que tous les Diables. Mais c’est trop s’arrester, voicy le mien venu, Monte.         Débande-moy, pour voir s’il est cornu, J’ay curiosité de voir un Diable en face. Il t’épouvanteroit, il fait laide grimace, Suffit qu’il te conduise.         Ah, Monsieur le Lutin, Ne m’abandonne pas au milieu du chemin, Tu me ferois donner bien-tost du nez en terre. Tout ira comme il faut.         Au Diable comme il serre, Relâche tant soit peu.         Te voilà bien ainsi. Qui me détachera ?         N’en sois point en soucy, Et sçache seulement qu’alors que l’on arrive L’on entend une voix et dolente et plaintive, En suite de grands cris, mais va, quitte ce lieu, Adieu, marche. Ah Mendoce, Adieu Mendoce, Adieu. O comme tu fens l’air !         Je sens bien que je vole, Car à peine j’entens le son de sa parole. Quel bonheur ! je verray mon païs aujourd’huy. S’il est volé, je m’offre à répondre pour luy. Cette Mule endiablée est sans mentir bien douce, Elle va toute seule et sans que je la pousse, Elle n’ébranle point, j’y suis comme en mon lit. Je croy que l’on acquiert en l’air grand appetit. Mais il m’en avoit bien adverty, le maroufle, Diable, qu’il fait de froid, et quel vilain vent souffle ! J’en ay la barbe prise et le nez tout gelé. On vient dans le jardin, et quelqu’un a parlé. Medaille du vieux temps, on te la sauve belle. Quoy, si-tost découverts ! ô la triste nouvelle ! Cessons de nous flatter, tout espoir est perdu. Il me l’a demandé, je l’ay soudain rendu Ce gage precieux d’une amour toute pure : Mais à ce déplaisir donnez quelque mesure, Je ne sçaurois me plaindre encor de sa rigueur, Il m’a parlé tousjours avec grande douceur, Et peut-estre, Madame, il sera moins farouche, Quand il sçaura de vous que mon amour vous touche. S’il ne tient qu’à cela, D. Juan, soyez certain Que Lucrece est à vous peut-estre dés demain. O charmante parole !         Enfin je vous la donne D’estre à vous pour jamais, ou de n’estre à personne. Que je me tiens heureux de vivre sous vos loix ! Je discerne avec peine un bruit confus de voix, Je passe asseurément sur quelque grande ville. Ainsi le Ciel pour vous en miracles fertile… Madame.         Que veux-tu ? quelqu’un vient-il icy ? Ouy, nostre bon vieillard, et l’Astrologue aussi, Ils entrent au jardin.         Quel obstacle à ma joye ! Ne puis-je m’échaper ?         Non pas sans qu’on vous voye, Cachez-vous promptement, et croyez qu’en tout cas, S’il faut parler pour vous, je ne me tairay pas. Que ce jardin est beau !         C’est l’amour du bon-homme, Et comme je m’y plais, tout mon soin s’y consomme. Sur tout de ce ruisseau le murmure est charmant. Ma fille, approche-toy, voicy ton diamant. Faut-il souffrir icy cet objet de ma hayne ? Rends grace à D. Fernand qui nous tire de peine. Madame, si le Ciel répond à mes souhaits, Vous cognoistrez mon zele à de plus grands effets. Vous m’obligez, Monsieur, plus que je ne merite. Que nous veut cette Dame ?         O que je vole viste ! Je passe sur un lieu de l’autre differend, Et le bruit qu’on y fait est de beaucoup plus grand. Ne vous estonnez point si j’ose icy paroistre, Je n’y viens, Leonard, que pour chercher un traistre, Et pour vous advertir qu’au mépris de ses feux Un parjure insolent nous affronte tous deux. S’il ayme vostre fille, il est adoré d’elle, Ce reciproque amour me le rend infidelle, Il est caché céans ce lâche suborneur, Faites-m’en la raison et vangez vostre honneur. O malheur impréveu !         J’entens la voix plaintive, Sans doute à mon pays c’est signe que j’arrive. Un homme icy caché !         Dequoy m’accusez-vous ? Sois sans crime, autrement redoute mon couroux. Mais je veux me purger de ce soupçon infame, Il faut chercher par tout, allons, venez, Madame. Voyons tout le jardin.         Seroit-il point icy ? Ne cherchez plus D. Juan, Madame, le voicy. Ingrat, traistre.         Ah, cessez de me faire une injure En me donnant les noms d’ingrat et de parjure. Le destin de ma fille agit bizarrement, Je rencontre un voleur en cherchant son amant. Vous pretendiez encor joüer un tour de maistre, Et pour nous dérober vous vous cachiez peut-estre ?  On perd icy l’esprit, ou je n’y cognoy rien. Pour qui le prenez-vous ?         Madame, il m’entend bien. Si je vous entends bien, certes au moins j’ignore Pourquoy j’ay merité que l’on me deshonore. Je ne suis point voleur, et j’ay le cœur trop haut Pour souffrir qu’on m’impute un si lâche defaut, Pour me justifier d’une telle bassesse Il faut qu’aux yeux de tous la verité paraisse. Ouy, j’ayme vostre fille, et cet objet vainqueur Depuis un an entier dispose de mon cœur, Cette bague tantost que je vous ay renduë,                        139 C’est de sa propre main que je l’avois receuë, Et si vous luy donnez liberté de parler, Elle m’estime assez pour ne le pas celer. Dit-il vray ? l’aymes-tu ? parle sans craindre un pere. Puisque vous m’ordonnez de ne vous plus rien taire, J’advoüeray ma foiblesse, et que depuis un an J’ay donné mon estime aux vertus de D. Juan. De grace, D. Fernand.         Il ne le faut pas croire, Il ne fait que fourber.         Pour conserver ma gloire Que faut-il que je fasse ?         Ouvrez enfin les yeux, Et ne resistez plus aux volontez des Cieux. Je vous en ay tantost desja dit ma pensée, Que d’un semblable Hymen elle estoit menacée : Puisqu’un homme sans biens doit estre son époux, Pour faire un meilleur choix, où le chercherez-vous ? D. Juan est de sang noble et d’illustre famille, Puisqu’avec tant d’ardeur il ayme vostre fille, D’un mot de vostre bouche authorisant son feu Donnez à cet Hymen un genereux adveu. Suivant l’ordre du Ciel on ne se peut méprendre. Embrassez-moy, D. Juan, je vous reçois pour gendre. O joye inesperée ! ô supréme bon-heur ! Est-ce ainsi, Leonard, qu’on vange mon honneur ? Le mien interessé demandoit ce remede. Escoute aveuglement l’ardeur qui te possede, Va, traistre, rends hommage à l’infidelité, Le Ciel me vangera de ta desloyauté. Allons, D. Lope, allons, je vous tiendray parole. D’une femme en couroux la menace est frivole. Ah je suis arrivé, de ce coup je le croy, J’entends force grands crys, Lutin, débande-moy. Quel spectacle est-ce-cy.         La tromperie est bonne. C’est nostre voyageur, que rien ne vous estonne, Il se croit desja loin.         O qu’il est ingenu ! Il faut le deslier.         Enfin je suis venu, Et je ne fis jamais voyage tant à l’aise. O ma terre natale, il faut que je te baise. C’est Mendoce, est-il fou ?         Que mes yeux sont ravis ! Vous estes donc aussi, Monsieur, en mon pays ! Mais pour vous y porter, ostez-moy de scrupule, Le Diable vous a-t’il aussi fourny de mule ? As-tu l’esprit troublé, c’est icy mon jardin, Ne le cognois-tu pas ?         Ah, traistre Philipin. Le charme t’a manqué.         Sont-ils fous l’un et l’autre ? Excusez un valet qui s’est joüé du vostre. Tout s’excuse aisément vous ayant pour amy. Vous ne me cognoissez encore qu’à demy. Vostre Art si merveilleux…         Brisons-là je vous prie, Je vous entretiendray de mon Astrologie, Mais il faut que ce soit avec plus de loisir. Je vous écouteray tousjours avec plaisir. Tandis pour dégager ma parole donnée, Il faut de nos amants terminer l’Hymenée, Allons y donner ordre, et d’un esprit content Asseurer à D. Juan le bonheur qu’il attend.