Quoy, sans aucun respect, pour un leger outrage Accabler d’infamie un homme de son âge, Et démentant par là le sang dont vous sortez, L’avoir fait mal-traiter par des gens apostez ! Quel fruit esperez-vous de cette violence ? Quoy ! j’aurois plus long-temps souffert son insolence, Et qu’au sang des Guzmans on osast reprocher Qu’un murmure honteux n’auroit pû les toucher ! Il publie en tous lieux, ce Vieillard temeraire, Que l’artifice seul nous acquiert un beau-frere, Que l’hymen de Fernand est un hymen contraint, Qu’il n’épouse ma soeur que parce qu’il nous craint, Et qu’avec tant de bien il est hors d’apparence Qu’un tel choix eust enfin borné son esperance. Le Ciel ne souffre point de nœuds mal assortis, Et s’il pouvoit pretendre aux plus riches partis, Au moins de nostre sang la gloire est peu commune, Et vaut bien aujourd’huy la plus haute fortune. Si la chose est ainsi, j’advoüeray qu’il eut tort, Mais on vous aura fait peut-estre un faux rapport, Et de vos sens fougeux croire le fier tumulte… Dans ces occasions le lâche seul consulte, Reculer sa vengeance, est trahir son honneur, Et le plus prompt remede est toûjours le meilleur. Mais souvent à leur gré les violens courages, Pour se croire un peu trop, se forment des outrages, En vain la raison parle, ils ne l’écoutent plus, Et vangent des affronts qu’ils n’ont jamais receus. Enfin d’un vain discours dont vostre honneur s’offence, Au moins D. Lope eust dû partager la vengeance, Mais au deceu d’un frere…         Ah ! ne me blâmez point, Je sçais que son honneur à mon honneur est joint, Mais quel que soit l’affront qu’en reçoit sa famille, Pour se vanger du pere, il aime trop la fille, Et quand de cet amour j’aurois lieu de douter, Quoy qu’il me plaise faire, ay-je à l’en consulter ? Vous emporter ainsi dans ce qui l’interesse, C’est avec trop d’empire user du droit d’ainesse, Jacinte est fille unique, et l’éclat de ses biens Pour arrester un coeur a de puissans liens, Deviez-vous ruïner sa plus douce esperance ? Elle est basse, elle est vaine, et c’est dont je m’offence. Si le nom de Guzman marque un illustre sang, D. Sanche est estimé, D. Sanche a quelque rang, Et sans se faire tort, sans trahir sa famille, D. Lope aux yeux de tous peut épouser sa fille. Quoy, les Lares déja, les Mendoces confus, De ce Vieillard avare ont souffert des refus, Et D. Lope cedant à l’ardeur qui le dompte, Osera s’exposer à cette mesme honte ? Non, j’imagine encor un moyen plus certain D’empescher un amour aussi lâche que vain. Un de ceux dont l’audace a servy ma colere S’ira dire à D. Sanche employé par mon frere, Afin que par luy seul se croyant affronté, Il détruise un espoir trop long-temps écouté. Mais il aime sa fille ?         Ouy, je sçay qu’il l’adore, Mais je l’ay déja dit, et vous le dis encore, A quoy que cet amour pûst enfin l’obliger Ce sera le servir que de l’en dégager. Un refus en seroit l’indigne recompense. Pesez mieux un dessein d’une telle importance,     Car comment s’asseurer sur ces lâches esprits Qui mettent et leur vie et leur honneur à prix ? Leur commerce honteux, quoy que vous veüilliez croire, Déja d’un noir reproche a soüillé vostre gloire, Et vos emportemens qu’on leur oyt approuver, Me font craindre pour vous ce qui peut arriver. Et moy, quoy qu’on murmure et quoy qu’il en puisse estre, Seul de mes actions je veux estre le maistre, Mais puisque leur appuy vous semble hazardeux, Faites icy pour moy ce que j’obtiendrois d’eux. D. Sanche vous estime, il vous croit, et j’espere... Que me proposez-vous ? moy, trahir vostre frere ? Ce murmure insolent au mépris des Guzmans De ce Vieillard pour luy fait voir les sentimens, Et quoy que son amour ait pû luy faire croire, Le rendre sans espoir, c’est asseurer sa gloire. Enfin vous le pouvez, c’est par vous que j’attens L’infaillible succez de ce que je pretens, Et si vostre amitié s’obstine à s’en défendre, D’autres que vous peut-estre oseront l’entreprendre. Non, j’ay pû balancer, mais puisque je cognoy Qu’à D. Lope par là je signale ma foy, Pour abuser D. Sanche employer l’artifice, N’est pas, à mon advis, une grande injustice. C’est icy qu’il demeure, et je vay de ce pas Luy tendre un piege adroit qu’il n’évitera pas, Adieu, laissez-moy seul, je voy sa porte ouverte. Allez, ne perdons point l’occasion offerte, Rendez suspect mon frere, et s’il en est besoin Faites-moy de l’outrage et complice et témoin. Ouy, lâche et faux amy, j’accuseray ton frere, Mais plus pour le servir, que pour te satisfaire, Et tu verras bien-tost par quel heureux détour Sur tes propres conseils j’appuyeray son amour. Feignant de t’applaudir, j’empescheray peut-estre... Mais je voy Blanche.         Et bien, Blanche, que fait ton maistre ? Vous l’eussiez rencontré quelques momens plustost, Tout à l’heure...         Il suffit, je le verray tantost. Qui parloit avec vous, Blanche ?         Pour quelque affaire Alonse de Roxas demandoit vostre pere. Je ne m’étonne point qu’en cette occasion Ses amis prennent part à sa confusion, Alonse, dont chacun estime le courage, Venoit s’offrir sans doute à vanger son outrage, Et contre un ennemy dont le coeur est si bas... Madame, vous pleurez ?         Qui ne pleureroit pas ? Souffre à mon déplaisir dans d’inutiles larmes La funeste douceur de chercher quelques charmes, Et qu’au defaut du sang qu’exigent nos malheurs, A mes tristes ennuis mes yeux donnent des pleurs. Mais si je pleure, helas ! c’est le desadvantage Que reçoit en naissant nostre sexe en partage. Il semble qu’en effet la Nature en couroux, Mere par tout ailleurs, est marâtre pour nous, Les plus riches presens que nous obtenions d’elle, Sont de foibles appuis sur qui l’honneur chancelle, On flate nos beautez, nous croyons ce qu’on dit, Et nostre front alors n’est pas seul qui rougit, Nous en voyons la preuve, et tous les jours infame Un pere par sa fille, un mary par sa femme. Defaut honteux pour nous, pour eux injurieux ! L’honneur de tous les biens est le plus precieux, Et par un vieil abus difficile à comprendre, Nous le pouvons oster, et ne sçaurions le rendre. Tout le monde vous plaint, et blâme hautement D’un ennemy caché le vil ressentiment, On en parle par tout ; mais je voy qu’on ignore, Par ces gens apostez, quel bras vous deshonore, On en cherche l’autheur, sans le pouvoir trouver. Et c’est moy-mesme à quoy je ne fais que resver ; Mais quoy que sur ce point mon esprit se figure, Il dément aussi-tost sa propre conjecture ; Non qu’il ne soit trop vray que mon pere en ces lieux, S’il n’a des ennemis, a beaucoup d’envieux. Ce grand amas de biens qui regarde sa fille Dont un oncle en mourant enrichit sa famille... Helas ! ce souvenir réveille mes douleurs, Au sort de D. Alvar donnons icy des pleurs. Aux Indes vers cet oncle allant faire voyage, Ce frere infortuné perit par un naufrage, Et ces riches tresors à luy seul destinez Soudain à mon espoir furent abandonnez. Incommodes faveurs d’une fortune ingrate Qui m’est le plus contraire alors qu’elle me flatte, Et m’élevant trop haut s’oppose au plus beau feu Dont la vertu jamais authorisa l’adveu ! Tu sçais, Blanche, tu sçais si D. Lope en fut digne. Ainsi que son amour son respect est insigne, Et certes vous devez d’autant plus l’estimer, Qu’avant tant de fortune il daigna vous aimer, Que vostre vertu seule est ce qui sçeut luy plaire. Helas, cette raison l’est-elle pour un pere Qui de ces nouveaux biens goûtant l’indigne appas, Ne voit presque pour moy que des partis trop bas ? Ainsi d’un noble sang quel que soit l’advantage, Luy proposant D. Lope on luy feroit outrage. D’un amour si secret ne t’estonne donc plus, Il tâche à s’espargner la honte d’un refus, Et son feu que soûtient un rayon d’esperance, Attendant tout du temps se contraint au silence, Mais cessons d’y penser ; aussi bien aujourd’huy Mon coeur, ce triste coeur n’est plus digne de luy, Pour m’aimer dans la honte il aime trop la gloire, Et l’affront...mais que vois-je ! ô Dieux ! le puis-je croire ? Quoy D. Lope, est-ce vous dont l’abord indiscret, D’un amour si caché vient rompre le secret ? Entrer ainsi chez moy sans crainte de mon pere ! Sont-ce là ces serments d’aimer et de se taire ? Sont-ce là ces respects ? est-ce là cette foy ? Enfin D. Lope, enfin est-ce vous que je voy ? Ouy, Madame, et chez vous si j’ose ainsi paroistre, Ne me soupçonnez point d’estre parjure ou traistre. Toûjours ce grand merite est l’objet de mes feux, Toûjours mesmes respects accompagnent mes voeux, Et s’il m’étoit permis lors que j’ay tout à craindre... Parlez, parlez, D. Lope, et sans plus vous contraindre, Aussi bien ces respects sont pour moy superflus, Et qui n’a plus d’honneur ne les merite plus. Je vous entens, Madame, et le sort qui m’accable Cherche dans vos malheurs à me rendre coupable, Un vif ressentiment vous fait déja penser, Que qui sçait vostre honte auroit dû l’effacer, Et ce n’est pas pour plaire à vostre ame affligée Que m’offrir à vos yeux sans vous avoir vangée. Mais sur un bruit confus qui m’apprend vos ennuis, Jugez ce que j’ay pû, jugez ce que je puis, Car enfin si ce bruit, si ce confus murmure M’eust appris l’ennemi comme il a fait l’injure, Son trépas ou le mien vous eust déja fait voir Que D. Lope vous aime et qu’il sçait son devoir. Mais ne pouvant d’ailleurs en tirer de lumiere, C’est, Madame, de vous que j’attens grace entiere, Et qu’acceptant mon bras pour finir vos malheurs, Vous m’apprendrez quel sang doit essuyer vos pleurs. Et ne voyez-vous pas qu’en une telle offence Vous feriez peu pour nous d’en prendre la vangeance, Et qu’oser s’y servir d’un secours estranger, C’est en punir l’autheur et non pas se vanger. Ce sang de l’offenseur qu’un tel affront demande Il faut que l’offencé luy-mesme le répande, Que le sien tout émeu d’un spectacle si doux En le voyant couler boüillonne de couroux, Et qu’un tel mouvement dans sa source agitée, Purge l’indignité qu’il avoit contractée. Mais quand l’âge s’oppose...         Ah, cessez d’y songer, Pour vanger une injure il faut la partager, Et l’on voit rarement qu’un vieillard qu’on affronte Sur un autre qu’un fils puisse épandre sa honte. Comme un fils la partage, un fils peut l’effacer ? Sans doute qu’il le peut, mais que sert s’y penser, D. Alvar n’estant plus...         Ah ! permettez de grace Que de ce frere mort j’aille tenir la place, Et que m’offrant pour fils à D. Sanche outragé, Je tâche à rendre ainsi son malheur partagé. Il demande du sang, et brûlant d’en répandre J’en acquerray le droit si je deviens son gendre, Et le mien par l’hymen dans le sien confondu Devra celuy d’un lâche à son honneur perdu. Voila ce que pour vous l’amour me porte à faire, Et si jusques icy ma flame a dû se taire, Je crains peu qu’un refus fasse rougir mon front Quand je luy veux pour dot demander son affront. Si de ces sentimens vostre ame est prevenuë, Apprenez qu’en m’aimant vous m’avez mal cognuë, Et que je porte un coeur assez fier, assez haut, Pour se dérober mesme à l’ombre d’un défaut. Je vous aime, il est vray, mais l’auriez vous pû croire, Sans croire en mesme temps que j’aime vostre gloire, Et que de son éclat je suis jalouse au point De vivre sans bonheur pour n’en triompher point. Ne vous flattez donc plus d’une vaine esperance Qui blesse vostre honneur, dont ma vertu s’offence. Si j’eusse hier estimé le bonheur d’estre à vous, Je vous dois aujourd’huy refuser pour époux, Et ne pas m’exposer à ce reproche infame, Que le manque d’honneur me rendit vostre femme. Non, aucun n’aura droit de publier un jour Que D. Lope à ce prix achepta mon amour, Que bien qu’elle fut deuë à son merite insigne Je ne pûs estre à luy que quand j’en fus indigne, Et qu’enfin il fallut pour meriter sa foy Qu’il trouvast quelque chose à suppléer en moy. Quoy, vous refuseriez un coeur qui vous adore ? Quoy, je pourrois souffrir ce qui me deshonore ?         J’asseure vostre honneur, et c’est là vous aimer. Je conserve le vostre, et c’est vous estimer. Helas ! que cette estime est contraire à ma flame ! Accusez-en le Ciel sans m’en donner le blâme. Que vous secondez bien sa funeste rigueur ! Assez mal, et sans doute aux dépens de mon cœur, Mais ma raison s’égare, et ce coeur trop sincere... Madame.         Qu’est-ce Blanche ? Alonse et vostre pere... Entrons icy de grace, et sur tout gardez bien Que de cette entreveuë on ne soupçonne rien. Quel funeste conseil vous voulez que j’embrasse ! Consentir qu’il me voye, et qu’il me satisfasse ! Mais enfin cent raisons vous y doivent porter, Que serviroit encor de vous les repeter ? Outre que son pouvoir égale sa noblesse... Endurer qu’il triomphe ainsi de ma foiblesse ! Je vous l’ay déja dit, il est au desespoir Que par de faux rapports on l’ait pû decevoir. D’une indigne vangeance il dûst prévoir l’issuë, Il dûst moins s’emporter, mais l’offence est receuë. Et de grace, son nom ?         Quand vous m’aurez promis D’accepter un accord qui vous doit rendre amis. Quoy, mon lâche ennemy lors mesme qu’il s’accuse En seroit quitte ainsi pour quelque vaine excuse,     Et tant que je vivray l’on verroit sur mon front, Les traits mal effacez d’un si sanglant affront ? Donc s’il pouvoit s’offrir une voye assez prompte Par où de vostre injure il partageast la honte, Et qu’attirant sur luy l’affront qu’il vous a fait, De cette violence il démentist l’effet ? Comment la démentir, si loin de s’en defendre... Ne le pourroit-il pas se faisant vostre gendre ? Lors avec vostre honneur dans le sien interessé, Confondant l’offenceur avecque l’offencé, L’hymen ayant uny son sang avec le vostre, La pureté de l’un rendroit l’éclat à l’autre, Puisqu’on ne vit jamais dans un mesme sujet Subsister d’un affront et l’autheur et l’objet. Ah ! si par cette voye un sang impur se change, Il vaut bien mieux choisir un gendre qui me vange. Ne pouvant le choisir que sous de rudes loix, A moins que de descendre, estes vous seur du choix ? D’ailleurs cet ennemy que vous voulez cognoistre, Est d’un rang qu’on respecte et qu’on craindra peut-estre, Et ce rang dans la Cour luy donne un tel appuy, Que peu voudront pour vous s’engager contre luy. Quoy donc, c’est seulement en luy donnant ma fille Que je puis restablir l’honneur de ma famille ? Y croyez-vous trouver un remede plus doux ? Il est mon ennemy, j’en ferois son époux ! Ce remede est pour moy pire que le mal mesme. Il le faut violent quand le mal est extrême. Mais enfin resolvez, si je n’obtiens ce point, Son nom est un secret que vous ne sçaurez point. A quelle indignité me voulez-vous contraindre ? Je sçay ce que je fais, cessez de vous en plaindre. Mais ne m’en croyez pas, et d’un esprit remis Allez sur cet accord consulter vos amis. Je veux que leur adveu réponde à vostre attente ; Mais qui m’asseurera que ma fille y consente, Que son esprit soûmis cede sans resister ? Moy-mesme, puisqu’enfin vous en pouvez douter. Si du Ciel en naissant je reçeus quelque outrage, Au dessus de mon sexe il m’enfla le courage, Et ce doit estre un charme à mes tristes ennuis De vous vanger du moins autant que je le puis. Quoy, sans cognoistre à qui cet hymen te destine... Ah ! jugez mieux d’une ame où la vertu domine. >M’informez de son nom ce seroit balancer Sur ce grand sacrifice où je dois me forcer, Ce seroit à mon coeur par cette cognoissance,  Mandier lâchement un peu de complaisance Et souffrir qu’on doutast si m’aimant plus que vous Je satisfais un pere, ou choisis un époux ; Non non, et quel qu’il soit, je n’en suis point en peine, Je ne puis voir en luy que l’objet de ma haine, Et de tous les tourmens le plus affreux pour moy, C’est sans doute celuy de recevoir sa foy, Mais vous devant le jour et le sang qui m’anime, Je dois à vostre honneur une grande victime, Et croy ne pouvoir mieux en restablir le cours Qu’en luy sacrifiant le bonheur de mes jours. C’est trop, et je m’oppose à ce devoir severe Qui n’arreste tes yeux que sur l’affront d’un pere, Voy ce goufre de maux où tu veux t’exposer, Soûpire en le voyant, et crains de trop oser. Je voy tout ce que j’ose, et ma vertu se fâche Qu’en moy vous soupçonniez rien de bas ny de lâche, L’ardeur de vous vanger remplit trop mes desirs, Pour abaisser mon ame à de honteux soûpirs. Si mon sexe aujourd’huy m’avoit permis les armes, Vous auriez veu du sang où vous craignez des larmes, Mais je feray du moins tout ce qu’il peut souffrir, Et ne pouvant tuer, je sçauray bien mourir. Ta vertu me ravit, vien, vien, que je t’embrasse. Croyez-vous que par là nostre honte s’efface ? Ne perdez point de temps.         Allons voir nos amis, Et sçachons quel accord me peut estre permis. Prenez ce temps, D. Lope, et de peur qu’on me blâme, Si son retour trop prompt...         Je le prendray, Madame, Adieu, mais prenez garde au serment que je fais, Je vous quitte aujourd’huy pour ne vous voir jamais. Vous engagez ailleurs la foy qui m’est promise, On conspire ma mort, vostre adveu l’authorise, J’en viens d’oüir l’arrest, et n’ay point éclaté, Non qu’un reste d’amour m’en ait sollicité, Non que de mes respects je garde la memoire, Mais parce que j’ay dû cet effort à ma gloire, Et que j’eusse rougy qu’un mouvement jaloux Eust convaincu mon coeur d’avoir brûlé pour vous. Ah ! ne vous plaignez point où je suis seule à plaindre, L’effort est grand sans doute où j’ay sçeu me contraindre, Mais je n’ay pas jugé qu’un plus bas sentiment Meritast d’avoir eu D. Lope pour amant, Et comme vos vertus par leur éclat sublime Pour gagner mon amour s’acquirent mon estime, C’est par là seulement que j’espere à mon tour M’acquerir vostre estime, en perdant vostre amour. Vous l’acquerrez, Madame, et vous le devez croire, Si l’infidelité merite quelque gloire. Si mes feux aujourd’huy vous semblent inconstans, Suspendez vostre plainte, et laissez faire au temps. Le temps n’adoucit point des malheurs de la sorte. Le temps vous fera voir que vostre amour s’emporte, Et qu’enfin quel que soit le dessein qu’on ait fait, Pour en blâmer la cause, il en faut voir l’effet. Helas ! et quel effet dois-je attendre du vostre, Quand de ce qui m’est dû l’on enrichit un autre ? Ouy, mon rival triomphe, et mon espoir est vain, N’avez vous pas promis de luy donner la main ? Je le feray sans doute.         Et vous serez sa femme ? Moy ! cette lâcheté pourroit m’entrer dans l’ame ? Que m’avez vous donc dit, ou qu’est-ce que j’apprens ? Et comment accorder deux points si differents ? Si pour les accorder vous manquez de lumiere, Cognoissez aujourd’huy mon ame toute entiere, Et de l’heur d’un Rival cessant d’estre jaloux, Confessez que mon coeur estoit digne de vous. L’espoir de mon hymen n’est qu’une attente vaine, Sous ce trompeur adveu je le livre à ma haine, Et luy donnant la main, je séme un faux appas, Qui sans aucun soupçon l’attire dans mes bras, Où ma main dans son sang, au gré de mon envie, Vange avec mon honneur le repos de ma vie. Estes-vous satisfait ?         Helas ! si je le suis, Vous mesme jugez-en, jugez si je le puis. Par luy seul vostre honneur à l’outrage est en bute, Et quoy que contre luy vostre haine execute, Apres le noir effet de son lâche dessein Il mourra glorieux, s’il meurt de vostre main. Non, il faut que par moy sa mort vous satisfasse, Qu’elle soit un supplice et non pas une grace. Le plus rude trépas luy deviendroit trop doux S’il avoit pû se dire un moment vostre époux : Au nom de cette amour ferme, pure, sincere... Brisons-là, je crains trop le retour de mon pere, Esloignez-vous, de grace, et recevez ma foy Que je me souviendray de ce que je vous doy. Ah, Madame, adjoûtez...         Je n’ay plus rien à dire. Que mon Rival...         Sortez, ou bien je me retire. Rigoureuse vertu que l’on doit admirer ! Helas ! à quels tourmens me viens-tu preparer ! C’estoit peu que toûjours son devoir trop fidelle Contre ma passion eust combatu pour elle, Quand pour la meriter je croy voir quelque jour, Un fier motif d’honneur s’oppose à mon amour, Et quoy qu’à mes soûpirs son coeur soit favorable, Cet honneur, ce devoir, tout est inexorable. Dures extrémitez ! qui le croiroit, ma soeur, Que le Ciel me traitât avec autant de rigueur, Que pouvant esperer d’avoir pour moy le pere, La vertu de la fille à mes vœux fust contraire, Et seule mist obstacle au plus charmant espoir Que jamais un amant eust droit de concevoir ? Je la perds, mais helas ! perdant tout avec elle, La façon de la perdre est pour moy si cruelle, Que toute ma constance et fremit et s’abat Aux menaces d’un coup dont elle craint l’éclat. Ce n’est point un Rival dont l’amour preferée Me dérobe une foy si saintement jurée, Ce n’est point un vieillard dont l’ordre imperieux Arrache à mon espoir un bien si precieux. Sans qu’un Rival l’y porte, ou qu’un pere l’ordonne, Elle mesme s’engage, elle mesme se donne, Et par ce sacrifice, à son honneur offert, Veut estre digne au moins de l’amant qu’elle perd. Rigoureuse faveur ! tyrannique maxime ! Sa resolution merite qu’on l’estime, Et son coeur par l’amour vainement combattu M’oblige en vous plaignant d’admirer sa vertu. Vous devez davantage aux troubles de mon ame. Vostre amitié, ma soeur, a fait naistre ma flame, Et je n’ay pû la voir si souvent avec vous, Sans voir, sans découvrir cet éclat vif et doux, Cette vertu modeste, et ce rare merite Dont le charme à l’amour secrettement invite, Et de tant de beautez voyant l’illustre appas, Puisque j’avois un coeur, pouvois-je n’aimer pas ? Ainsi quelques ennuis où cet amour m’expose, M’ayant laissé la voir, vous en estes la cause, Et pour moy vos bontez agiroient lâchement, De pleindre en moy le frere, et negliger l’amant. Voyez-la donc, ma soeur, cette fille adorable, Montrez-luy ce respect toûjours inébranlable, Ce feu tenu secret avecque tant de soin, Qu’il n’a souffert que vous jusqu’icy de témoin ; Mais c’est ce qui me perd, sans ce fâcheux silence Alonse en eust receu l’entiere confidence, Et ne m’eust pas reduit par ces cruels advis A mourir de douleur si je les voy suivis.     C’est luy, ma soeur, c’est luy qui propose à D. Sanche Cet odieux hymen où l’un et l’autre panche : Mais si mon desespoir doit enfin éclatter, Pour mon Rival peut-estre il est à redouter. Quoy que de ses advis vous ayez à vous plaindre,     Voyez-le, cet Alonse, avant que d’en rien craindre, Il vous cherche par tout avec empressement. C’est à vostre priere ? advoüez franchement. Vous pourrez de luy-mesme apprendre le contraire. Vostre hymen prés de luy me rend injuste frere, Et les biens de Fernand n’ayant pû vous charmer, C’est moy qui vous contraints, c’est moy qu’il faut blâmer ? S’il vous peint mon malheur comme un malheur extrême, C’est sur ce que Fernand en dit tout haut luy-mesme, Qui tenant et l’amour et l’hymen à mépris, N’eust jamais rien conclu s’il n’eust esté surpris. Encor tout de nouveau j’apprens qu’il s’ose plaindre Qu’Enrique à cet hymen luy seul l’a sçeu contraindre, Et que sa violence et son emportement L’ont forcé par surprise à cet engagement. Il le fait bien paroistre, on a pris la journée Qui doit hâter ma mort par ce triste hymenée, Dans deux jours mon malheur sous ses loix me réduit, Et bien loin de me voir, il semble qu’il me fuit. Si pour une maistresse il porte un coeur sans flâme, Quel amour esperer quand je seray sa femme ? N’importe, c’en est fait, ayant receu sa foy Un lâche repentir est indigne de moy, Et de tous les malheurs, un coeur qui se possede Dans sa propre vertu voit toûjours le remede. Ce sentiment, ma soeur, est bien digne de vous, Je sçay que de tout temps vous fuyez un époux, Et vostre aversion nous a trop fait paroistre Que vous craignez en luy de ne trouver qu’un maistre. J’ay parlé pour Fernand, mais sçachez aujourd’huy Que vostre interest seul m’a fait parler pour luy. Enrique est violent, et voyant qu’il vous traite, Malgré tous mes avis, moins en soeur qu’en sujette, Appuyant un hymen qu’on l’a veu rechercher, Au pouvoir d’un tyran j’ay crû vous arracher, Et qu’enfin dans le choix d’un sort toûjours contraire Vous souffririez plûtost d’un époux que d’un frere. Je vous ay donc pressée, et je vois à regret Que j’ay lieu de m’en faire un reproche secret. La froideur de Fernand me surprend et m’afflige, Mais à quoy que pour vous la Nature m’oblige, Luy faire proposer de rompre cet accord Seroit porter Enrique à conspirer sa mort. Mais Dieux, vois-je Jacinte, ou si mon oeil s’abuse ? Les differens sont doux qui font naistre une excuse. Madame, quel dessein en ce lieu vous conduit ? Venez-vous voir l’estat où m’avez reduit, Et de mon desespoir joüissant sans obstacle Saouler vostre vertu d’un si triste spectacle ? Vous voyez les transports d’un coeur vrayment atteint, Il n’espere qu’en trouble et croit tout ce qu’il craint. J’avois fait un dessein dont sans doute il soûpire, Mais il estoit injuste, et je viens m’en dédire. Quoy ! se pourroit-il bien qu’apres tant de rigueur, Un reste de tendresse eust émeu vostre coeur, Que vous eussiez cognu qu’une injustice extrême Vous portoit à me perdre en vous perdant vous mesme, Et que l’amour enfin vous eust fait souvenir Qu’il faut vanger un pere, et non-pas vous punir ? Je sçay ce que je doix aux interests d’un pere, Pour l’oublier jamais sa gloire m’est trop chere, Mais au nom de l’époux qu’il m’avoit destiné, Contre moy tout à coup mon coeur s’est mutiné, Et soudain condamnant ma premiere entreprise, A sa rebellion ma raison s’est soûmise. Elle a dû s’y soûmettre, et son aveuglement Avec trop d’injustice immoloit vostre amant, Le Ciel qui l’a cognuë y daigne mettre obstacle, Et mon amour confus attendoit ce miracle. Mais puis-je demander quel estoit cet époux ? Le voulez-vous sçavoir ? vous, D. Lope.     Moy ?         Vous. Helas ! à ce discours que faut-il que je pense ? Que mon pere vous croit l’autheur de son offence. Que le perfide Alonse ait osé m’accuser    535 Du crime le plus noir qu’on me pût imposer ! Sur vous d’un coup si lâche il fait tomber le blâme, Et par vostre ordre seul...         Le croyez-vous, Madame ? Vous voir et vous parler sans faire agir mon bras, C’est vous montrer assez que je ne le croy pas. Dequoy que vous accuse un indigne murmure, L’amour que j’ay pour vous en convainc l’imposture, Et répond hautement à mon coeur abatu Et de vostre innocence et de vostre vertu. Cette amour dans son choix ne s’est point emportée, Ayant pû l’acquerir, vous l’avez meritée,     Et l’ayant meritée, il est à presumer Qu’une vertu sublime en vous me sçeut charmer, Que la mienne jamais ne peut m’avoir trahie, Que de fausses clartez ne m’ont point ébloüie, Et qu’enfin j’ay dû voir dedans un cœur constant Tout ce qu’un vray merite a de plus éclattant. Voila sur quels appuis mon amour osa naistre, Et si vous n’estiez pas ce que je vous crois estre, Si de bas sentimens vous tenoient partagé Je me voudrois punir d’en avoir mal jugé. Pour bien juger de moy, jugez-en par vous mesme, Ou pour dire encor plus, par ce coeur qui vous aime, Puisqu’on ne vit jamais les belles passions Sur des courages bas former d’impressions. Mais si vostre vertu jugeant mon innocence, Contre la calomnie entreprend ma deffence, Daignez ne pas laisser vostre ouvrage imparfait, Et de l’erreur d’un pere accordez-moy l’effet. Voyez de vostre hymen ce qu’on luy fait pretendre ; Pour effacer sa honte il vous demande un gendre, Et puisque son honneur vous doit seul engager, Faites tomber sur moy le droit de le vanger. Prenez l’occasion que le Ciel vous presente De remplir les devoirs et de fille et d’amante, Et ne me perdez pas quand il vous donne jour A satisfaire ensemble et l’honneur et l’amour. D. Lope, qu’est-ce-cy ? vous oubliez sans doute Que c’est vous qui parlez, et moy qui vous écoute ? Ou voulant que j’embrasse un projet si honteux, La gloire vous déplaist pour objet de nos feux ? Ainsi donc ma vertu doublement infidelle, Répondra lâchement à ce qu’on attend d’elle, Et je pourray souffrir qu’on me reproche un jour Que l’honneur me servit de pretexte à l’amour, Qu’abusant de l’erreur qui pût surprendre un pere, Je ne le satisfis que pour me satisfaire, Et que ma passion couvrit sa lâcheté D’un vain et faux éclat de generosité ! Comme toûjours ma flame a demeuré secrette, La peur d’un tel reproche en vain vous inquiete, On ne soupçonne rien de cette noble ardeur Qui m’acquit vostre estime en vous donnant mon coeur, Et chacun vous croyant dans cet hymen surprise, Personne ne sçaura que l’amour l’authorise, Qu’à des motifs d’honneur il mêle son appas. Et moy, D. Lope, et moy ne le sçauray-je pas ? Quoy ! dans ce haut dessein où la vertu m’engage, Estimez-vous si peu mon propre témoignage, Et ne suffit-il pas pour m’en faire une loy Que mon coeur en secret dépose contre moy ? Quoy qu’on cherche l’estime avec des soins extrêmes, Des belles actions le prix est en nous mesmes, Ce charme interieur qui nous sçait émouvoir, Est le plus doux encens qu’on puisse recevoir. Sans que nous dépendions de ce qu’on ose croire, C’est par nous que s’acheve ou détruit nostre gloire, Et l’éclat du dehors a peine à l’aggrandir Alors que le dedans refuse d’applaudir. Un coeur qui d’un grand coeur aspire à l’avantage, Doit s’oser dire tel par son propre suffrage, S’en répondre à soy-mesme, et sur un tel appuy S’abandonner sans crainte à ce qu’on croit de luy. Où me vas-tu reduire, ô vertu trop austere ? Mais vous estes encor l’ennemy de mon pere, On vous accuse enfin, convainquez l’imposteur, Et de nostre disgrace allez chercher l’autheur, Montrez-vous innocent en le faisant cognoistre. Quoy, c’est aussi par moy que son bonheur doit naistre, Par moy, qui découvrant son crime aux yeux de tous, Luy cede mon espoir, et le fais vostre époux, Et vous m’osez charger de cet employ funeste ? Faisons nostre devoir, le Ciel fera le reste. Il faut vous obeïr, mais souvenez-vous bien Que ce lâche cognû, je ne cognois plus rien, Et qu’à quoy que pour vous le respect me convie, Son bonheur est mal seur s’il me laisse la vie. Adieu.         C’est vous servir avec trop de rigueur Du pouvoir que l’amour vous donne sur son coeur. C’est montrer que l’amour n’est vertueux ou lâche, Que selon les objets où sa flame s’attache, Et que si rarement un courage abatu De cette passion se fait une vertu, Jamais une grande ame où la gloire préside, N’en prend dans ses desseins l’aveuglement pour guide. Ainsi ce grand pouvoir que vous gardez sur vous, Des plus âpres malheurs vous fait braver les coups. Que vous estes heureuse, et que je suis à plaindre ! Pouvant tout esperer, vous n’avez rien à craindre, Mais si vostre malheur estoit égal au mien, Vous auriez tout à craindre, et n’espereriez rien. En l’estat où je suis, que faut-il que j’espere ? L’hymen rend dans deux jours mon amour necessaire, Je le dois à Fernand, et presque au desespoir, Tout mon coeur se refuse à ce triste devoir. Au moins ce grand malheur qui cause vostre plainte, Peut estre surmonté par un peu de contrainte, Et quelque aversion qu’on ait au nom d’époux, C’est n’en haïr aucun, que de les haïr tous. Mais d’un revers si dur ma disgrace est suivie, Qu’écoutant le projet où l’honneur me convie, Il me faut étouffer les plus beaux sentimens Que la gloire jamais permit aux vrais amans. Car enfin c’est en vain que je le voudrois taire, D. Lope a des vertus dont l’éclat m’a sçeu plaire, Et je ne puis songer sans trouble et sans ennuy Que qui n’ose le perdre est indigne de luy. Apres un tel adveu vous oseray-je dire... Mais que ne dit-on point lors que le coeur soûpire, Et que dans ses soûpirs, interdit et confus, Il parle, il s’embarasse, et ne se comprend plus ? Il n’est pas mal-aisé d’entendre ce langage, Je voy contre l’hymen quel motif vous engage, Qu’on n’éteint pas sans peine un feu bien allumé, Et que vous aimeriez, si vous n’aviez aimé. Je l’advouë, et jamais une plus belle flame Pour un plus digne objet ne regna dans une ame, Mais las ! que la Fortune, au moins jusqu’à ce jour, Respecte rarement un vertueux amour ! Icy dedans Madrid, sous les loix d’une tante, Je menois une vie et paisible et contente, Et mes freres en Flandre, en de nobles emplois, Laissoient à mes desirs la liberté du choix, Alors qu’un Cavalier dans un peril extrême Osa m’en dégager en s’y jettant luy-mesme, Et par ce grand service engagea ma raison A souffrir de mon coeur l’aimable trahison, Il me vit, je le vis, et trop recognoissante, Pensant n’estre rien plus, je me sentis amante. Je ne vous diray point par quels soins, par quels voeux Il disposa mon ame à répondre à ses feux, Ny quel rapport d’humeurs l’une à l’autre assorties, Forma de nos esprits les douces sympaties, Ce seroit retracer dedans mon souvenir Des traits mal effacez qu’il tâche de bannir, Vous sçaurez seulement que quoy que je supprime, Rien de honteux pour moy ne m’acquit son estime, Et que l’ayant cognû genereux et discret, Je ne pûs refuser de le voir en secret. Mais quoy qu’il me jurast entiere obeïssance, Il sçeut avec tant d’art me cacher sa naissance, Que m’opposant toûjours quelque obligeant refus, M’ayant appris son nom, je ne sçeus rien de plus, Si ce n’est que pour vaincre un destin trop contraire, Un voyage d’un an se trouvoit necessaire, Et qu’alors plus heureux et plus digne de moy, Il se feroit cognoistre aussi bien que sa foy. Que vous diray-je enfin ? sans sçavoir davantage Il fallut consentir à ce triste voyage, Et sur un élement le plus traistre de tous, Abandonner aux vents mon espoir le plus doux. Il partit, et le Ciel pour comble de miseres Fit suivre son depart du retour de mes freres, Ah !     Si par ce recit...         Achevons, ce n’est rien. Jugez par ce retour quel malheur fut le mien. A me tyranniser leur amitié consiste, Un party se presente, ils pressent, je resiste, Ils parlent pour un autre, et par trop de rigueur Leur gloire s’interesse à garder une soeur. Je recule toûjours, tandis le temps se passe, Déja mon triste coeur fremit de sa disgrace, Et dans le sort douteux d’un amant qu’il attend, Met son moindre supplice à le croire inconstant, Quand sur moy la Fortune achevant son ouvrage, Par celuy d’un parent on m’apprend son naufrage, Ils s’estoient embarquez dans le mesme vaisseau, Et la mer de tous deux fut l’injuste tombeau. Ah Dieux !         Vostre douleur semble toûjours s’accroistre. Helas ! à tous momens je croy le voir paroistre, Je l’entens qui se plaint d’avoir esté trahy, Que quoy qu’apres deux ans j’ay trop tost obeï, Que Fernand...juste Ciel ! pardonnez ma foiblesse, A ce funeste nom ma constance me laisse, Approchez-moy d’un siege, et souffrez qu’aux abois Ma flame...         La douleur luy suffoque la voix, Flore vient de sortir, quel conseil dois-je prendre ? Flore, et viste.     Ah ! pardon, chere Ombre.         Voy, Cassandre... Ah ! Madame.     Qu’as-tu ?     Son amant...         Qui ? Fernand ? Non, mais par un destin tout à fait surprenant, Celuy qu’elle croit mort...     Et bien ?         Est là, qui presse... Que dis-tu ?         Qu’il demande à revoir sa maistresse, Mais le voicy luy-mesme, il entre.         Ah, justes Dieux ! C’est mon frere.         Ah, ma soeur, qui vous met en ces lieux ? Vous trouver à Madrid, et vous croire à Tolede ! Donc apres avoir crû nos malheurs sans remede... Je cherche icy Cassandre, excusez mon transport. Mais fuit-elle ma veuë, ou si c’est qu’elle dort ? Madame, c’est donc là cette innocente joye, Qu’au retour d’un amant une amante déploye ? Faut-il qu’apres deux ans et d’absence et de maux... Laisse-moy, D. Alvar, un moment de repos. Helas, de cet accueil que faut-il que j’augure ? C’est un leger accez, ne craignez pas qu’il dure, Il va donner relâche à ses sens assoupis. Ouvrez les yeux, Madame, et voyez que je vis. Songes-tu que deux ans m’ont trop justifiée, Et que veuve de toy je me suis mariée ? Que dit-elle, ma soeur ?         Elle revient à soy. Jacinte, helas ! où suis-je, et qu’est-ce que je voy ? Reprenez vos esprits.         Et les puis-je reprendre Si je voy ce qu’enfin je ne sçaurois comprendre ? D. Alvar vivroit-il ?         Apprenez-moy son sort, Vous le sçavez vous seule, est-il vivant ou mort ? Je sçay que sur un banc échapé du naufrage, Eschapé des rigueurs d’un étroit esclavage, Le Ciel qui l’en sauva le renvoyoit au jour, Mais vivroit il encor s’il n’a plus vostre amour ? Parlez, Madame.     Helas !         Soûpirer et se taire ? Ah ! ma sœur.         Que dit-il ? D. Alvar vostre frere ? Ouy, vous voyez ce frere...         Ah ! c’est trop me géner, Dites-moy ce qu’enfin je n’ose deviner. J’eus tort de vous quitter, vous seriez-vous vangée, Un autre est-il heureux, estes vous engagée ? Vous vivant, dites-moy comment je l’advouëray ? Mais le puis-je nier s’il n’est rien de plus vray ? Quoy, plus d’espoir pour moy ?         La parole est donnée, Et ma main dans deux jours acheve l’hymenée. Ce terme peut encor rétablir mon bonheur. Ce terme est peu de chose à qui cherit l’honneur. Et vous m’avez aimé ?         Mon heur seroit extrême D’oser dire, j’aimay, sans pouvoir dire, j’aime. Ah, s’il vous reste encor...         Ne me demandez rien, Je sçay ce que se doit un coeur comme le mien. Tant que vostre retour flatta mon esperance, En vain l’on essaya d’ébransler ma constance. Le bruit de vostre mort a dégagé ma foy, Il vous perd, il me perd, plaignez vous, plaignez moy, Ou plûtost pour sauver l’éclat de votre gloire, Acheptez par l’absence une illustre victoire. D’un feu jadis si beau perdez le souvenir, Et fuyez un objet qui peut l’entretenir. Adieu, vous me perdez si mes freres surviennent. Que ne rompez-vous donc les noeuds qui me retiennent ? Je les croy toûjours voir, tirez-moy de soucy. Et bien, si vous craignez de me parlez icy, Au moins faites qu’ailleurs je puisse vous apprendre... Ne pouvant rien pour vous, je ne dois rien entendre, Je ne vous verray plus.         Comment donc vous quitter ? Le peril croist toûjours, c’est trop vous écouter, Je me retire.         Helas ! ma soeur, quelle injustice ! C’est donc ainsi qu’au port il faut que je perisse. Ah, que ne suis-je mort, ou pourquoy l’a-t’on crû ? Ce faux bruit en deux ans ne s’est que trop accrû, Aussi me destinant le grand bien qu’il possede, Mon pere sur ce bruit voulut quitter Tolede, Esperant qu’à Madrid...         Ah, puisqu’il me croit mort, Promettez-moy, ma soeur, de luy cacher mon sort ; Car enfin si le Ciel s’obstine à me poursuivre, Mon espoir estant mort je ne veux point revivre. Adieu, vous seule icy me pouvez secourir, Touchez pour moy Cassandre, ou me laissez mourir. Enfin instruit d’un nom que vous brûliez d’apprendre, D’un ennemy secret vous allez faire un gendre ? Au moins suis-je ravy que contre mon espoir Vos fidelles conseils m’en donnent le pouvoir. Le conseil est fâcheux, et j’ay veu l’assemblée, Sans pouvoir que resoudre, également troublée, Mais quoy qu’avec des yeux de juges rigoureux, Ne regardant en vous qu’un vieillard malheureux, Que la fuitte de l’âge a mis dans l’impuissance D’effacer par le sang la honte d’une offence, Voyant d’ailleurs Alonse à se taire obstiné A moins qu’à cet accord on vous eust condamné, Et vous mesme sur tout témoigner de vous rendre... Je n’en usois ainsi que pour mieux le surprendre, Sçachant qu’à ne me voir ébranlé qu’à demy, Il m’eust toûjours caché quel est mon ennemy. Il me l’a donc nommé devant ma fille mesme, Et pour mieux déguiser encor le stratagême, J’ay voulu devant luy ne luy donner qu’un jour A disposer son ame à ce funeste amour, Luy-mesme il l’en a veuë et surprise et confuse, Mais il est juste enfin que je la desabuse, Et qu’elle sçache au moins que mon juste couroux Dedans mon ennemy ne peut voir son époux. Quoy, vostre procedé n’estoit qu’un artifice ? J’ay fait ce que sans doute il falloit que je fisse. Si toûjours la vangeance occupe vos esprits, Le Ciel plus à propos n’eust pû vous rendre un fils, D. Alvar est vivant.         Quoy, mon fils, D. Ramire, Mon fils seroit vivant ?         Ouy, D. Alvar respire, A deux cens pas d’icy je viens de le quitter. Un plus foible rapport m’en laisseroit douter. Mais qui l’empesche donc à mes yeux de paroistre ? Est-ce qu’en ma disgrace il me veut mécognoistre, Que mon honneur blessé touche peu son esprit, Ou qu’il ignore encor mon sejour à Madrid ? Il l’ignore sans doute, et j’allois l’en instruire, Quand surpris tout à coup au nom de D. Ramire, Sans me laisser parler, se tirant de mes bras : Ah ! si l’on me croit mort, on ne s’abuse pas, M’a t’il dit, et la mer ne m’a laissé la vie, Qu’afin que par l’amour elle me fust ravie, Il a donné l’arrest, il faut l’executer. A ces mots s’échapant, sans vouloir m’écouter, Son pas précipité, le détour d’une ruë, L’ont sçeu presque aussi-tost dérober à ma veuë. Quoy, le croyant revoir, il m’est encor ravy ! Ne vous alarmez point, un des miens l’a suivy, Mais l’ayant retrouvé, que luy pourray-je aprendre ? Ce malheur dont le bruit a pû si-tost s’épandre. Mais ignorant l’autheur...         Il l’apprendra de moy Quand sur un tel secret j’auray receu sa foy. Car enfin pour punir une action si noire, Si j’employois un fils, je trahirois sa gloire, Mon mal veut un remede et violent et prompt, Et je dois mesurer la vangeance à l’affront. Ne pouvant avec luy m’expliquer davantage, Il vaut mieux par vous seul qu’il apprenne l’outrage, Ainsi par un billet que je feray tenir, Sur un affront receu, pressez-le de venir. Et bien, sans perdre temps, allons chez moy l’écrire, Ce billet...         Ah ! ma fille, à la fin je respire, Et dans l’heureux succez qui flate mes desirs, Tu peux donner relâche à tes tristes soûpirs. Ta vertu s’est montrée entiere, pure, pleine, Joüis de son éclat sans en craindre la peine, Enfin ne songe plus à l’hymen proposé, Je le pressois moy-mesme, on m’avoit abusé, J’avois presté les yeux à de fausses lumieres, A des illusions sans doute trop grossieres, Mais sans qu’il soit besoin de trahir ton bon-heur, Le Ciel m’offre un moyen d’asseurer mon honneur, Il m’est plus glorieux, et pour toy moins funeste, Adieu, le temps sçaura te découvrir le reste. Que veut-il dire, Blanche, et que m’imaginer De ce confus advis qu’il vient de me donner ? S’il vous paroit confus, au moins j’en conjecture Qu’il ne croit plus D. Lope autheur de son injure, Il doit cognoistre au vray quel est son ennemy. Mais par où son honneur peut-il estre affermy ? Quel sera ce moyen que le temps doit m’apprendre ? C’est ce qui comme à vous me fait peine à comprendre, Si ce n’est qu’à la Cour son malheur estant sçeu, On y doive étouffer l’affront qu’il a receu, Et par son ennemy le faisant satisfaire, Forcer et sa vangeance et l’envie à se taire. Quelque espoir que mon coeur me presse d’en former, Une obscure frayeur vient toûjours m’alarmer. Du sort de D. Alvar ayant eu cognoissance, Peut-estre il se tient seur par luy de sa vengeance, Et que contre D. Lope animant sa fureur... Pourquoy contre D. Lope ? il est sorty d’erreur, Par ce qu’il vous a dit, il vous l’a fait cognoistre. Que n’est-ce un faux soupçon que l’amour fasse naistre ? Mais Cassandre paroit, et s’advance vers nous. Et bien, qu’a sçeu D. Lope, et que m’apprendrez-vous ? Pourra-t’il obliger Alonse à se dédire ? Ne l’ayant pû trouver, il se plaint, il soûpire, Et croit que de luy-mesme il peut se défier Si son meilleur amy l’ose calomnier. Cependant pour luy plaire il faut que je vous voye, Il m’est aisé, dit-il, de restablir sa joye, Et de vous détourner de cet hymen fatal Qui tous deux vous immole au bon-heur d’un rival. Si de ce seul malheur la crainte l’inquiete, Qu’il se mette en repos, il a ce qu’il souhaite. D. Sanche à cet hymen n’a donc pû consentir ? Tout à l’heure en passant il m’en vient d’advertir, Et si j’ay bien compris ce qu’il m’a fait entendre, Il sçait que pour D. Lope on l’a voulu surprendre. J’admire en sa fortune un si prompt changement. J’ay sçeu cette nouvelle assez confusément. Avec luy D. Ramire estant en conference, Luy qui de ses secrets reçoit la confidence, J’ay dû me contenter de ce qu’il m’en a dit ; Mais je sçay comme il faut ménager son esprit, Et mettant le détour et l’adresse en pratique Je n’auray pas de peine à faire qu’il s’explique. Allez donc, les effets nous ont souvent fait voir Qu’un secret sçeu trop tard ruïne un bel espoir. Ainsi tout se prepare au bonheur de mon frere. Ainsi, si vous cessiez de vous estre contraire, Vous n’auriez pas à craindre...         Ah Flore, que dis-tu ? Que tout vostre heur dépend d’un peu moins de vertu. Des mépris de Fernand la preuve est trop certaine, Si proche de l’hymen il ne vous voit qu’à peine, Et vous faites encor un scrupule si grand De reprendre une foy que sa froideur vous rend ? Quand de ce changement j’aurois esté capable, Sçachant ce que je sçay, seroit-il excusable ? Il l’eust esté peut-estre, et du moins bien plus beau Avant que D. Alvar fust sorty du tombeau, Mais aujourd’huy qu’il vit, donner lieu qu’on soupçonne, Qu’aux dépens de ma foy mon lâche coeur se donne, Que je romps...         Le voicy, souffrez-luy quelque espoir. Non, Flore, éloignons-nous, je ne veux point le voir. Me fuyez-vous, Madame, et portez-vous envie A ce foible bonheur, le dernier de ma vie ? Dans ce qu’il fait pour moy n’ayant aucune part, Pourquoy vous opposer aux faveurs du hazard ? Est-ce qu’en vostre coeur l’excez de ma disgrace Fait succeder la haine à l’amour qu’elle en chasse, Ou que ce mesme coeur pour moy trop rigoureux, Croit que s’il n’est cruel il n’est point genereux ? Mon coeur n’est point cruel, et ce n’est pas sans peine Qu’il vous entend parler et d’amour et de haine, Car enfin quelques maux qu’il puisse ressentir, L’une n’y peut entrer, mais l’autre en doit sortir. C’est donc ce qu’à mes feux, apres deux ans d’absence Vous reserviez pour prix de ma perseverance ? Encor si vostre coeur moins sensible à ces feux Par quelque aversion échapoit à mes voeux, Si la haine m’ostoit ce qu’il faut que je quitte, Je n’en accuserois que mon peu de merite, Et sur mes seuls defauts jettant un oeil jaloux, Je me plaindrois du Ciel sans me plaindre de vous : Mais par une rigueur qu’on aura peine à croire, M’arracher de ce coeur fait toute vostre gloire, Et ces traits que l’amour luy-mesme y sçeut tracer, C’est en les déchirant qu’il les faut effacer. Dans le triste revers dont je souffre l’atteinte, Si ma juste conduite attire vostre plainte, Songez qu’il est bien dur de la voir condamner A qui ne peut avoir d’excuse à vous donner. Quoy, vostre fier devoir jusques-là vous abuse, Que vous me refusiez la douceur d’une excuse ? C’est ce que vostre amour ne doit point exiger. Qu’auroit-elle aussi bien qui le pûst soulager, Qui pûst donner relâche au trouble qui l’agite, Puisque je n’en ay qu’une, et que je vous l’ay dite ? Ah, si cette raison vous la fait supprimer, Que vous cognoissez peu ce que c’est que d’aimer ! Jamais, jamais l’amour n’eut d’excuse frivole, Il sçait charmer cent fois par la mesme parole, On a beau la redire et beau la repeter, De nouvelles douceurs s’y font toûjours goûter, L’appas en est secret et le pouvoir extrême, Et si pour qui la dit elle est toûjours la mesme, Bien qu’elle semble l’estre, il est certain pourtant Qu’elle n’est pas la mesme à celuy qui l’entend. Dites-la donc encor cette excuse charmante, Qui soulage mes maux quand elle les augmente, Et meslant vos regrets à mes vives douleurs, Presse mon desespoir de finir mes malheurs. Et vous pourriez souffrir qu’aux depens de ma gloire J’écoutasse une amour que je ne dois plus croire ? Quand d’abord vostre veuë a troublé mes esprits, L’ame toute en desordre et les sens interdits, J’ay pû m’abandonner dans ma surprise extrême A ce que pense un coeur quand il perd ce qu’il aime, Et que prest de subir un redoutable sort Il regrette vivant ce qu’il a pleuré mort. Mais enfin à present qu’un peu mieux eclairée, Ma raison sert de guide à mon ame égarée, Et que mon coeur honteux de se voir abatu Avec plus de vigueur rappelle sa vertu, Loin de suivre l’erreur qui m’avoit abusée, Si je dois m’excuser, c’est de m’estre excusée, Et d’avoir fait paroistre avec quel desespoir L’amour que j’eus pour vous s’immole à mon devoir. Ainsi vous détrompant du bruit de mon naufrage, Confessez qu’à mes feux j’oste un grand avantage, Et qu’il vaudroit bien mieux qu’ainsi qu’auparavant, Vous m’estimassiez mort que de me voir vivant. Au moins pourrois-je encor me dispenser sans honte A pousser des soûpirs pour une mort trop prompte, Et sans examiner si dans de tel malheurs L’amour ou la pitié feroit couler mes pleurs, Pour flater mon ennuy je trouverois des charmes A me croire permis de répandre des larmes ; Mais lors que vous vivez, des sentimens si doux Sont trop pour mon devoir s’ils sont trop peu pour vous, C’est à les étouffer qu’il faut que je m’applique, Et comme vostre veuë en est l’obstacle unique, Je fuis un ennemy qu’en mon ennuy secret Je combats avec peine et ne vaincs qu’à regret. Vous me quittez, Madame ?         Il y va de ma gloire. Et d’un amour si pur vous perdrez la memoire ? J’y feray mon pouvoir.         Oyez donc jusqu’au bout, A quel point ...     Non, c’est trop.         Je vous suivray par tout, Et si vous me quittez, il n’est respect ny crainte Qui m’empesche chez vous d’aller porter ma plainte. Si je dois l’écouter, sçachez auparavant Ce que s’en doit promettre un espoir decevant. Quand celuy d’estre à vous authorisa ma flame Je ne vous cachay point les secrets de mon ame, Et vos feux n’ayant rien qui blessast mon devoir, Je vous aimay sans doute et vous le pûstes voir. Par un funeste bruit ma fortune changée Ayant crû vostre mort je me suis engagée, Ce bruit m’a fait ailleurs disposer de ma foy, Vous sçavez qui je suis et ce que je me doy, Que l’honneur a ses lois que l’on ne peut enfraindre ; Plaignez-vous là dessus, si vous osez vous plaindre. Ouy, je l’ose, Madame, et si vous n’esperez... Mais las ! que puis-je dire alors que vous pleurez ? Si mes yeux par des pleurs attentent sur ma gloire, Ce sont des imposteurs que l’on doit point croire. Quoy donc, vos passions sont tellement à vous Qu’un moment peut changer la tendresse en couroux ? Est-il possible, helas ! qu’avec si peu de peine Vous reduisiez l’amour aux effets de la haine, Et qu’exposée aux coups des plus rudes combats Vous puissiez soûpirer et ne soûpirer pas ? Ah, si jamais pour vous ma flame eut quelques charmes, Enseignez-moy comment vous vous servez des larmes, De ces larmes toûjours si prestes d’obeïr, Qui prennent loy de vous, qui n’osent vous trahir, Et que par un pouvoir que je ne puis comprendre Je vous vois essuyer aussi-tost que répandre. Quand de ce que je fus j’ose me souvenir, Mon coeur comme en tribut s’appreste à m’en fournir, Quand par ce que je suis il cognoit qu’il s’abuse, Mon coeur ce mesme coeur soudain me les refuse, Et par ces sentimens l’un à l’autre opposez Deux partis se formants dans mes sens divisez, Sans permettre aucun calme à mon ame inquiete, La douleur les attire et l’honneur les arreste, Ne pouvant consentir qu’en un sort si nouveau Le plus bas sentiment triomphe du plus beau. Enfin c’est à regret qu’entre les bras d’un autre... Si l’adveu de mon mal peut adoucir le vostre, Ouy, je souffre à vous perdre, et mon coeur alarmé Ne se souvient que trop de vous avoir aimé, En vain pour l’oublier il se fait violence. Donc je puis...         N’en tirez aucune consequence. Esperer que peut-estre...         Injuste et vain espoir ! Mon amour...         Ne pourra corrompre mon devoir, Et plustost que...     Madame.         O disgrace impréveuë ! Empeschez qu’on me suive, ou bien je suis perduë. Ne vois-je pas ma soeur ? elle me fuit en vain Si...         Vous m’obligerez de changer de dessein, Cette Dame me touche.         Et plus que vous peut-estre Moy-mesme elle me touche, et je la veux cognoistre. J’y pourray mettre obstacle.         Ah Dieu, me menacer ! Voicy, voicy par où je le sçauray forcer. Vous reculez pourtant.         Helas ! que dois-je faire ? Quel funeste combat d’un amant et d’un frere ! On les separera, ne craignez rien pour eux. Ce quartier est desert, D. Alvar malheureux, Et la nuit qui survient...         Retirons nous, Madame. Que de troubles divers s’élevent dans mon ame ! Encor si nous pouvions trouver quelque secours. Nous ne les voyons plus, ils s’éloignent toûjours, Mais D. Lope…         Ah, ma soeur, la funeste nouvelle ! Qu’est-ce, mon frere ?         Alonse est un amy fidelle, Et cette trahison dont j’osois murmurer, M’asseuroit le seul bien que je puis esperer ; Mais jugez quel espoir me doit rester encore Quand Enrique me perd, quand il me deshonore, Et qu’autheur d’un affront que je croyois vanger, Malgré moy dans son crime il a sçeu m’engager. Mais qui vous trouble ainsi ? vous semblez toute émeuë. Un bruit d’armes oüy dans la prochaine ruë, D’un effroy si subit vient de saisir mon coeur... Je l’entens en effet, éloignez-vous, ma soeur. Je verray ce que c’est.         Ta mort suivra la sienne. Que ne l’empeschiez-vous, comme je fais la mienne, Lâches ?         Quoy, trois contre un ! donnons, je suis à vous, Mon cavalier, courage.         O Dieu, les rudes coups ! Ah ! D. Lope...         Mon nom dans la bouche d’un lâche ? Sçachez...         J’ay déja sçeu ce qu’il faut que je sçache. Craignant quelque disgrace, évitons sa fureur. Vous fuyez, assassins, ce secours vous fait peur. Laissons-les s’échapper, quoy qu’indignes de vivre, Ils ne meritent pas qu’on daigne les poursuivre. Cependant je dois tout à ce bras genereux, Sans vous ma resistance estoit vaine contre eux, Vous seul par un secours...         Espargnez-moy, de grace, J’ay fait ce que vous mesme eussiez fait en ma place. Au moins j’aurois montré que je sçay mon devoir, Mais enfin où vous puis-je entretenir ce soir ? Il faut que je vous quitte, et ma disgrace est telle Qu’ayant tué d’abord l’autheur de la querelle, Quoy que sa mort soit juste après sa lâcheté, Je serois criminel si j’estois arresté. Je ne laisseray pas mon secours inutile, Ne craignez rien, chez moy je vous offre un azile, Allons, et soyez seur qu’au besoin contre tous Je sçauray vous défendre, ou perir avec vous. Mais sans doute on vous cherche.         O malheur redoutable ! Voyez nos soins, D. Lope, à trouver un coupable, Enrique, helas !     Et bien ?         Vient d’estre assassiné. Enrique !         Et l’assassin par icy détourné, Tâchant de garantir sa teste par sa fuitte, Attire sur ses pas nostre juste poursuitte, On l’a veu reculer les armes à la main. Par vostre diligence empeschez son dessein, Je vay pourvoir au reste.         Et vous devant la vie, Ce n’estoit pas assez...         Brisons-là, je vous prie. Sçavez-vous qui je suis ?         C’estoit pour le sçavoir Que je vous demandois à vous parler ce soir. Sçavez-vous contre qui je viens de vous defendre ? Non.         Sçavez-vous quel sang vous avez sçeu répandre ? Aussi peu, seulement vous répondray-je bien Que mon coeur sur ce point ne se reproche rien, Mais ne me cachez plus un secret qui m’importe. D. Lope de Guzman est le nom que je porte. Je cognoy ce grand nom, et le malheur m’est doux Par qui je tiens le jour d’un homme tel que vous. Gardez bien-tost de prendre un sentiment contraire. Pourquoy ?         Si je vous dis que le mort est mon frere ? Vostre frere !         Ouy, mon frere, et vous pouvez juger Si je puis vous deffendre ayant à le vanger. Mais vous m’avez promis...         La promesse est frivole, Jamais contre soy-mesme on ne donne parole. Que pretendez-vous donc ?         Monstrer par vostre mort Que le devoir du sang est toûjours le plus fort. Et bien, me voicy prest à vous rendre une vie... Non, je sçay mieux à quoy la gloire me convie, Et ce n’est pas icy qu’au milieu du secours J’aspire sans peril à terminer vos jours. Adieu, retirez-vous, j’ay peur qu’on vous arreste, Allez en seureté chercher une retraite, J’ay soin de vostre vie et l’ose conserver, Mais sçachez qu’en effet c’est me la reserver, Et qu’il n’est point de lieu, quoy que vous puissiez faire, Où sur vous mon devoir n’aille vanger un frere. Croyez-vous que son sang qu’a répandu ma main Soit l’effet criminel d’un injuste dessein ? Par soy-mesme un grand coeur juge toûjours d’un autre, Mais c’est le sang d’un frere et je luy dois le vostre. Me soupçonneriez-vous le courage assez bas Pour n’oser en tous lieux affronter le trépas ? Je vous ay veu combattre, et j’advoüeray sans feindre Que je ne puis avoir d’ennemy plus à craindre. Donc sans plus balancer c’est icy que je doy Me monstrer tel pour vous que vous estes pour moy. Que pensez-vous resoudre, et quelle est vostre envie ? De fuir un ennemy qui m’a sauvé la vie, Et faire voir qu’au moins, si le Ciel l’eust permis, Nous n’étions pas peut-estre indignes d’estre amis. C’est ce qui ne se peut apres la mort d’un frere. Aussi l’éloignement est pour moy necessaire. Quoy, vous pourriez me fuir ?         Je fuis avec éclat, Quand j’évite en fuyant le peril d’estre ingrat. Vous me verrez pousser ma vangeance à l’extrême, Je vous suivray par tout.         Je vous fuiray de mesme. Je sçauray vous chercher.         Et moy vous éviter. Quoy, je ne tâche icy que de vous irriter, Et je ne puis enfin forcer vostre cholere D’accepter un combat qui me doit satisfaire ? C’est que songeant à fuir si vous me poursuivez, Je fay ce que je doy, vous, ce que vous devez. Contentez ce devoir qui presse ma vangeance. Il vous porte à combattre, et le mien m’en dispense. Vous m’avez offencé, je dois vous en punir. Vous m’avez obligé, je dois m’en souvenir. Nous nous verrons pourtant.     Jamais.         Et ma poursuitte ? Ne m’en mettray-je pas à couvert par la fuitte ? Peut-estre, mais enfin si nous nous rencontrons Il faudra lors combattre.         Et bien nous combattrons. Je l’avois bien préveu, que tant de violence Pourroit enfin du Ciel lasser la patience, Et qu’à suivre toûjours son seul emportement, Enrique par ses mains creusoit son monument. Toutefois il respire, et son reste de vie Rend de quelque douceur sa disgrace suivie, Puisqu’il nous laisse lieu d’esperer qu’au besoin     Luy-mesme contre luy servira de témoin. Ah, sans me déguiser ce qu’on ne me peut taire, Dites qu’on doit rougir d’avoüer un tel frere, Et que sa lâcheté dans ce dernier combat N’a fait aux yeux de tous qu’un trop honteux éclat. Il est vray qu’on le blâme, et qu’un noble courage Du nombre contre un seul dédaigne l’avantage, Cependant chacun sçait pour ménager ses jours Qu’il a pû s’abaisser à souffrir du secours. C’est au milieu de trois qui luy prestoient main forte Que ce jeune incognu l’a blessé de la sorte, Il est tombé mourant, et de sa fausse mort Tout le peuple amassé me faisoit le rapport, Quand luy voyant encor quelques signes de vie A ne le point quitter l’amitié de convie, On arreste son sang, il revient lors à soy, Estant déjà tout proche on le porte chez moy, Où vous mesme avez veu dans l’ennuy qui l’accable Que de tout son malheur il se tient seul coupable. Helas ! et plûst au Ciel qu’en déplorant le sien Je n’eusse pas sujet de l’accuser du mien, Car enfin dans la loy que la fille m’impose, La promesse d’un pere est pour moy peu de chose, Et je n’ay plus sans doute à songer qu’à mourir, Puisque vostre amitie n’a pû me secourir. J’avois crû jusqu’icy qu’il estoit impossible Qu’avec tant de vertu l’amour fust compatible, Et vous sçachant aimé j’apprehendois fort peu Que Jacinte nous pust refuser son adveu. Mais s’il faut que ma crainte avec vous s’éclaircisse, D. Sanche m’est suspect luy-mesme d’artifice, Je l’ay reveu tantost, et cognu malgré luy Que l’accord accepté redouble son ennuy. Luy parlant de vous voir, il n’a pû si bien faire Qu’un mouvement d’aigreur n’ait trahy sa cholere, Elle a paru couverte et m’a trop fait juger Que rien n’éteint en luy l’ardeur de se vanger. Qu’il se vange ; aussi bien, quoy que j’ose entreprendre, Apres ce que je sçay je n’ay rien à pretendre, Pour paroistre innocent mon effort seroit vain ; Si c’est le mesme sang, qu’importe quelle main ? C’est ce malheur du sang dont je suis responsable, Qui me rendra toûjours également coupable, Puisqu’ayant à combatre un destin rigoureux, C’est estre criminel que d’estre malheureux. La vertu de la fille à nos desseins contraire, Semble avoir commencé la vangeance du pere, Et ce trouble confus qu’il m’a fait remarquer, Me fait craindre pour vous à l’oser expliquer ; Mais le meilleur remede en ce malheur extrême, C’est de porter Enrique à s’accuser luy-mesme, A demander D. Sanche, et ne luy point cacher Ce que je sçay déja qu’il s’ose reprocher. Pour peu qu’on soit sensible, il n’est rien qu’on refuse Au triste repentir d’un mourant qui s’accuse, Et quoy qu’ait resolu ce vieillard outragé, Par le malheur d’Enrique il se tiendra vangé, Il croira que le Ciel, à ses voeux favorable, Aura pris soin pour luy de punir un coupable, Et j’ose m’asseurer du succez de vos feux Quand cet hymen pour luy n’aura rien de honteux. Qu’Enrique obtinst sur luy cette haute victoire ? Il l’obtiendra sans doute, et j’ay lieu de le croire, Puisqu’au nom de Fernand par hazard prononcé, Si Cassandre se plaint de son hymen forcé, (M’a-t’il dit d’une voix et languide et mourante, ) Je ne l’oblige à rien, qu’elle vive contente. Ah, si son repentir s’étendoit jusqu’à moy. Vous en verrez l’effet tel que je le prévoy. Adieu, pour vous servir je vay mettre en usage Tout ce qui peut abatre un orgueilleux courage. Cependant dans l’espoir de quelque mot d’advis, Je vay resver une heure autour de ce logis, Si je suis apperceu, Blanche pourra paroistre. Et si quelqu’autre aussi vous alloit recognoistre, Et que la force en main le vieillard adverty, Malgré tout nostre accord vous fist mauvais party ? Vous parlez d’un peril que mon amour méprise. Ce n’est pas sans sujet que j’en crains la surprise. Voyez, la Lune brille avec tant de clarté, Que la nuit n’eut jamais si peu d’obscurité. Ne vous exposez point si vous m’en voulez croire. J’auray soin de ma vie, ayez soin de ma gloire, Et puis qu’un fier destin s’oppose à mon bon-heur, Par l’adveu du coupable asseurez mon honneur. Enfin, Fortune, enfin quoy que ta rage ordonne, Mon coeur à ton caprice aujourd’huy s’abandonne, Et de son desespoir il tire au moins ce bien, Qu’il se trouve en estat de ne craindre plus rien. Mais si dans sa clarté la Lune m’est fidelle, Je voy cet incognû contre qui j’ay querelle, C’est luy-mesme, parlons, puisqu’il s’ose approcher. Me recognoissez-vous ?         Je vous allois chercher, Et quelque rigoureux que mon destin se montre, Je luy suis obligé d’une telle rencontre. Quoy, croyez-vous ainsi pouvoir impunément Braver et ma colere, et mon ressentiment ? Il ne vous souvient plus que l’honneur vous convie De fuir un ennemy dont vous tenez la vie ? Cette obligation est dans mon souvenir, J’en ay donné parole, et sçauray la tenir. Me chercher n’en est pas une preuve trop forte. C’est pour mieux l’observer que j’agis de la sorte. Mais vous n’ignorez pas qu’un devoir assez fort M’oblige sans reserve à vouloir vostre mort ? Je cognoy ce devoir, mais qu’ay-je lieu d’en craindre Quand je viens le suspendre et non pas le contraindre, Et qu’à vostre couroux j’épargne en ce projet La honte d’éclater contre un indigne objet ? Ce discours est obscur.         Pour vous le faire entendre Oyez par un billet ce que je viens d’apprendre. Un injuste ennemy par un noir attentat, Envieux de ma gloire, en a terny l’éclat, L’outrage par le sang ne s’efface qu’à peine, On m’en donne l’advis, voila ce qui m’améne. Et que pensez-vous faire ?         En pouvez-vous douter, Et dans de tels malheurs a-t’on à consulter ? Je ne balance point, quelle que soit l’offence, Tout mon sang indigné m’en demande vangeance, Mais ce bien le plus grand qu’on puisse concevoir, D. Lope, c’est à vous que je le veux devoir. Quoy que mon ennemy, j’ay peu de peine à croire Que l’appuy de mes jours le sera de ma gloire, Et le moyen aussi de juger d’un grand coeur Qu’il fist tout pour ma vie, et rien pour mon honneur ? J’ose donc vous revoir sans qu’un respect frivole Me fasse apprehender de manquer de parole, Puisque loin de braver vostre juste couroux J’en recule l’effet moins pour moy que pour vous. J’ay promis de vous fuir, mais je veux que ma fuite D’un si grand ennemy merite la poursuitte, Et n’auriez-vous pas lieu si je fuyois ainsi, De dédaigner un sang par un autre noircy ? On m’a fait un affront, j’ay tué vostre frere, La vangeance à tous deux aujourd’huy nous est chere, Mais quoy qu’en ce rencontre elle ait pour vous d’appas, Si vous la differez, vous ne la perdez pas. Devenons donc amis tant que le sang d’un lâche De ma gloire obscurcie ait effacé la tache, Et que par son trépas mon honneur affermy, Je puisse meriter d’estre vostre ennemy ; Car enfin j’ay pour vous une trop pure estime Pour vouloir abuser d’un coeur si magnanime, Ma vangeance est la vostre, et je n’en suis jaloux Que pour rendre mon sang moins indigne de vous. Je ne sçay que répondre, et c’est par mon silence Que vous laissant juger de tout ce que je pense, Je croy mieux expliquer dans mon sort rigoureux Ce que peut la vertu sur un coeur genereux. Mais où cette vertu me va-t’elle reduire ? Vous sçavez m’obliger quand je cherche à vous nuire, Et pressé d’un devoir que je n’ose trahir, Je voy que vous m’ostez le droit de vous haïr. Ce devoir toutefois que presse la Nature Se trahiroit soy-mesme à souffrir vostre injure, Il y prend interest, et dans vostre ennemy Par un dessein bizarre il vous donne un amy. Je le suis, j’en fais gloire, et d’un aveugle zele En tous lieux, contre tous, je prens vostre querelle, A vanger vostre affront servez-vous de mon bras, Un amy tel que moy ne vous manquera pas ; Mais cet affront vangé, mon coeur quoy qu’avec peine Dépoüille l’amitié pour reprendre la haine, Et l’interest d’un frere est un respect trop fort, Pour oser voir en vous que l’autheur de sa mort. Au moins dans cet instant, que l’amitié receuë Tient pour moy dans ce coeur la haine suspenduë, Souffrez qu’impatient de m’acquitter vers vous, D’un amy si parfait j’embrasse les genoux. Rendrois-je un moindre hommage à qui je dois la vie ?         Mais on veut vous parler, ou bien l’on nous épie. Ah ! Blanche.         Qu’à propos je vous ay recognû ! L’on m’envoyoit chez vous.         Quoy, qu’est-il survenu ? Venez, on vous attend.     Moy, Blanche ?         Ouy, ma maitresse Veut resoudre avec vous une affaire qui presse. Que je crains...         Craignez tout d’un couroux déguisé. Sans doute le vieillard n’est point desabusé, C’est ce qu’on veut m’apprendre ?         Il est vray qu’il s’emporte. C’est assez, je te suy, va m’attendre à la porte. Voyez que l’amitié se croit beaucoup permis. Souffre-t’on la contrainte entre les vrais amis, Vous m’avez obligé, mais quel est ce message ? D’autre que d’une fille il m’auroit fait ombrage, Vous estes tout resveur.         Peut-estre en ay-je lieu, Mais enfin il est temps que je vous dise adieu. Quoy, sans me découvrir ce qui vous inquiéte ? D. Lope, c’est donc là cette amitié parfaite, Je me découvre à vous, vous vous cachez de moy. Avec peu de raison vous soupçonnez ma foy, Et s’il faut éclaircir le sujet de ma peine J’ay receu rendez-vous, et c’est ce qui me gesne. La faveur vous déplaist ?         J’aime et je suis aimé, Mais un pere fâcheux tient mon coeur alarmé, Et contre mon espoir cette faveur offerte Est moins faveur pour moy que l’arrest de ma perte : Il me hait, et la fille attendant son aveu D’une vertu si fiere accompagne son feu, Que je n’en dois prévoir qu’une atteinte mortelle Puisqu’elle se dispense à m’appeller chez elle. Ainsi de ce vieillard redoutant le couroux J’accepte avec chagrin un pareil rendez-vous, Non, parce qu’au malheur dont ma flame est suivie, Si je suis découvert, il y va de ma vie, Mais parce que surpris dedans son entretien Tout mon sang exposé n’asseure pas le sien Mais je vous quitte enfin, c’est trop la faire attendre. Je vous escorteray.     Vous ?         Quoy, vous en deffendre ! Craignez-vous que ce bras ne vous manque au besoin ? Un amour si secret fuit un nouveau témoin, Et je dois ce respect à l’objet de ma flame, De...         Vous abandonner c’est me couvrir de blâme, Et mon coeur est pour vous injuste au dernier point S’il vous souffre un peril qu’il ne partage point. Non, non, je vous suivray.         Vous ne prenez pas garde A ce qu’en ce projet vostre amitié hazarde, Et que dans ma disgrace oser vous engager, C’est vous mettre en estat de ne vous point vanger, Que devient cette ardeur d’effacer vostre injure ? Sur l’occasion seule un grand coeur se mesure. Allons, nous perdons temps.     Mais...         C’est trop contester, Sçachant ce que je sçay je ne puis vous quitter. Sur tout, je suis discret.         Je n’ay plus rien à dire, Mais je vous devray trop, et mon coeur en soûpire, Puisqu’apres cet accord que l’honneur rend permis, Ce mesme honneur nous force à cesser d’estre amis. Ne songeons maintenant qu’à ce qui vous importe. Nous n’irons pas bien loin, voyez d’icy la porte, J’y dois estre attendu.     Blanche.         Entrez et sans bruit, De peur que...mais que vois-je ?         Un amy qui me suit, Ne crains rien, sa vertu dans mon sort l’interesse. Vous me perdez, Monsieur, que dira ma maistresse ? Va, je t’excuseray, n’en sois point en soucy. Amy, j’en use mal de vous laisser icy, Seul, de nuit, sans clarté, mais...         Cette excuse est vaine, Un desir curieux n’est pas ce qui m’améne, Je vous attens, allez, et ne m’oubliez pas Si vous avez besoin du secours de mon bras. La chambre où je vous mene ayant double sortie, Contre toute surprise asseure la partie, D’ailleurs l’appartement est assez reculé. De quel sort plus étrange a-t’on jamais parlé ? Quand un pere offencé dont j’ignore l’outrage, Au soûtien de sa gloire appelle mon courage, Pour ne me pas monstrer genereux à demy Il faut que je m’engage avec mon ennemy, Et dans cet ennemy que mon malheur me laisse Je trouve à respecter le sang d’une Maistresse. O haine, amour, vangeance, ô doux et puissans noeuds, Qui déchirez mon ame et confondez mes voeux, Finissez un combat qui me rend trop à plaindre, Ou cachez-moy les maux que vous me faites craindre. Mais j’ois marcher quelqu’un, ne sçachant où je suis, Songer à la deffence est tout ce que je puis, Ne nous découvrons point si l’on ne nous découvre. Mais Dieux ! n’entens-je pas une porte qui s’ouvre ? La lumiere paroist, enfin tout est perdu, Que feray-je ?         Un bruit sourd vers la porte entendu, Dans l’attente d’un fils à mes souhaits si chere... Mais ne le vois-je pas ? Ah, mon fils !         Ah, mon pere. Je puis donc te revoir ?         C’est donc vous que je voy ? Ah, qu’avecque raison tu doutes si c’est moy ! Dans l’affront que je pleure et qui me desespere, Tu peux, tu peux, mon fils, mécognoistre ton pere. La rougeur de mon front t’empesche d’y trouver Ces traits que la Nature y sçeut jadis graver, Tu les cherches en vain, mais seur de ma vangeance, Si je dois aujourd’huy t’expliquer mon offence, J’ay l’avantage au moins qu’en ton ressentiment Tu n’auras de ma honte à rougir qu’un moment. Ce moment est trop long, hastez-vous de m’apprendre Quel sang pour l’effacer il faut aller répandre. Te diray-je, mon fils, que l’affront est si bas, Qu’il seroit trop vangé, s’il l’estoit par ton bras ? Pour un lâche ennemy capable de surprise La generosité n’est pas mesme permise, Ne t’inquiéte point de mon honneur perdu, S’il luy faut une vie, on m’en a répondu, Il perira, le traistre.         Ah, que voulez-vous faire ? Te remettre en estat de m’advouër pour pere. Me reserveriez-vous à cette lâcheté, De souffrir...         Il aura ce qu’il a merité. Où l’offence est indigne et basse et lâche et noire Tout ce qui la repare est toûjours plein de gloire, Fer, poison, tout est beau, quand il n’est point douteux, Et pourveu qu’on se vange il n’est rien de honteux. Expliquez-vous enfin, et sçachons cette offence. Elle est...Ah, tout mon sang en fremit quand j’y pense, Il se trouble, il s’indigne au nom de l’offenceur, Si tu le veux sçavoir, apprens-le de ta soeur. Où courez vous, mon pere ?         Il faut que je l’appelle. Pensez vous...         Ouy, mon fils, tu sçauras mieux tout d’elle. Peut-estre...         Je l’améne icy dans un moment. Puis-je encor me cognoistre en cet évenement ? D. Lope aime ma soeur, et moy-mesme à ma honte J’asseure un rendez-vous au feu qui le surmonte. Ah, suivons...mais hélas ! ne précipitons rien, S’il offence mon sang, j’ay répandu le sien, Et lors qu’avecque luy ma parole m’engage, Consentir à sa perte est manquer de courage ; Et puis, si ce point seul nous rendoit ennemis, Que luy puis-je imputer que je n’ay point commis ? Il brûle pour Jacinte, et j’adore Cassandre. Mais qu’il tarde à venir ! l’auroit-on pû surprendre ? Si j’ay bien entendu d’un et d’autre costé Une porte au besoin le met en seureté. Puisqu’il peut s’échapper, quel obstacle l’arreste ? Amy, nostre vieillard m’oblige à la retraite, Sortons, et vous sçaurez...         Amy, je le cognoy ; Je viens de luy parler, ne craignez rien pour moy. Vous ?         M’en voyant surpris j’ay feint sur quelque affaire Qu’une lettre de luy m’étoit fort necessaire, Il est allé l’écrire, et dans cet embarras Je me rendrois suspect à ne l’attendre pas. Mais...         Je l’entens déjà, le rendez vous funeste ! Sortez viste.         Demain je vous diray le reste. Quoy, sans sçavoir pourquoy je dois tant me haster ? En croiras-tu tes yeux ? tu les peux consulter, Recognois-tu ce fils que le Ciel me renvoye ? Juste Ciel, se peut-il qu’enfin je le revoye ? Ah, mon frere, est-ce vous ?         Mon déplaisir, ma soeur, Me laisse de ce nom mal goûter la douceur. Quand un pere offensé...         Dy-luy, dy-luy, ma fille, Cet affront si honteux à toute ma famille, Et si dans mes ennuis tu veux me soulager, Nomme-luy l’ennemy dont je dois me vanger. Quand l’outrage est mortel, qu’il va jusqu’à l’extrême, C’est s’en faire un nouveau que l’expliquer soy-mesme. Par ces tristes soûpirs l’un par l’autre pressez, Epargne cette honte à qui rougit assez. Tu te tais ; ouy ma fille, à conter mon injure Ton sang pourroit du mien contracter la soüillure, Il est encor sans tache, et ton pere affronté N’en corrompt pas si-tost toute la pureté. Défens-toy, j’y consens, d’un recit qui t’outrage, Si ton refus me gêne, il montre ton courage, Tu ne peux t’abaisser à parler d’un affront Dont par moy l’infamie éclate sur ton front, Mais s’il faut que moy-mesme enfin je le declare, Mon fils, souffre un moment que mon coeur s’y prépare. Son fils, Madame ?     Ouy, Blanche.         O Dieu que ferons-nous ! Il escortoit D. Lope, il sçait le rendez-vous. Que dis-tu ? c’estoit luy qui luy servoit d’escorte ? Luy mesme.         Enfin je cede au soupçon qui m’emporte, Parlez, ou je croiray...         Croy tout ce que tu peux, L’affront dont je rougis est encor plus honteux. Cognois-tu les Guzmans ?         Ouy, ce nom est illustre. L’un d’eux par mon offence en a terny le lustre, D. Lope...enfin c’est fait, j’ay nommé l’offenseur. Quoy, D. Lope...         Ah ! mon fils, daigne épargner ta soeur. Voy comme trop sensible à l’outrage d’un pere, Le nom d’un ennemy l’enflame de colere. Voy de quels mouvemens son coeur est combatu, Et plaignant ma disgrace, admire sa vertu. J’en suis surpris sans doute encor plus que vous n’étes. D. Lope...         Voy son trouble au nom que tu repetes, Et juge à ces effets de haine et de couroux Si j’ay dû consentir d’en faire son époux, On me l’a fait promettre, et j’ay feint... Ah ! mon pere. Non, quand ce seul moyen me pourroit satisfaire, Ne croy pas, quelque éclat que mon malheur ait eu, Que j’abuse jamais de ton trop de vertu. Je sçay que tu le hais, je sçay que la vangeance T’ayant mis dans le coeur toute sa violence, Tu souffrirois bien plus à luy donner la main, Qu’à luy plonger toy-mesme un poignard dans le sein. A ces grands mouvemens abondonne ton ame, Donne-toy toute entiere à l’ardeur qui l’enflame, Et s’il faut...         Cet advis ne nous rend pas l’honneur, Mon pere, et vous gênez la vertu de ma soeur. Ah ! si tu connoissois quel noble sacrifice… Elle sçait de nous deux qui luy rend mieux justice. L’apparence, mon frere, est trop à soupçonner... Il n’est pas temps, ma soeur, de rien examiner. Ouy, c’est trop en effet luy dérober la joye Que luy permet le Ciel au bonheur qu’il m’envoye, Estouffe ce chagrin où ton coeur s’est plongé, Encor un peu, ma fille, et ton pere est vangé. Vous, mon pere, et de qui ?         De cet ennemy mesme Dont pour toy le seul nom est un supplice extrême. Croy-le déja sans vie, et par un doux transport Tâche de t’advancer le plaisir de sa mort. Peins-le-toy tout sanglant, blessure sur blessure Par son dernier soûpir expier nostre injure, Repais de cette image...         Elle a beaucoup d’appas, Mais il perit en vain s’il ne vous vange pas. S’il ne me vange pas ? apprens, apprens l’offence, Et sçache que luy mesme a reglé ma vangeance, Si je ne la veux perdre, il le faut imiter. Par des gens apostez il m’a fait affronter, Et lors que pour ma gloire il doit cesser de vivre, Son exemple est pour moy le seul exemple à suivre. J’ai préparé le piege, et c’est dans cette nuit Que des Braves…         O Ciel, où me vois-je réduit ? Et je m’arreste encor, c’est trop.         Que vas-tu faire ? Défendre un ennemy pour mieux vanger un pere. Quoy ? tu peux condamner…         Vous m’arrestez en vain, Son sang est mal versé si ce n’est par ma main. O l’indigne scrupule où son cœur s’abandonne ! Helas !         Ainsi que moy sa foiblesse t’étonne, Mais quoy qu’il ose enfin, cesse d’en soûpirer, Ma partie est bien faite, et tu peus esperer. Dans un pareil malheur que veut-on que j’espere ? Que peut-estre déjà l’on a vangé ton pere. Vien, suy-moy, quelques maux que je puisse prévoir, Mon plus grand déplaisir se console à te voir. C’estoit pour m’en donner la funeste nouvelle Que Jacinte hier au soir m’osa mander chez elle, Il n’en faut point douter ; son trouble à mon abord, Ce discours preparé des caprices du Sort, Ces sermens exigez d’obeïr sans murmure, Estoient de ma disgrace une marque trop seure, Et quoy que du vieillard presque aussi-tost surpris, J’eusse dû la quitter sans avoir rien appris, Au desordre confus qu’elle me fit paroistre Devinant aisément ce qui le faisoit naistre, J’eusse pû me soustraire à ce noir attentat Si pour prévoir l’orage on en fuyoit l’éclat. Mais de tant d’assassins la troupe découverte, Prest de rentrer chez moy marquoit déja ma perte, Et je ne combattois, asseuré de perir, Que pour vanger ma mort avant que de mourir, Quand une voix de loin à ce bruit de nos armes Me remplissant d’espoir et nos traistes d’alarmes, Prens courage, D. Lope, à moy lâches, à moy, Nous dit-on, et ces mots redoublent leur effroy. Me voyant secondé, la victoire en balance, Ces braves attaquans demeurent sans deffence, Et leur fuitte aussi-tost dans ce manque de coeur Me laisse rendre grace à mon liberateur. Certes, je tremble encor à vous oüir redire Avec quelle fureur contre vous on conspire ; Croyant vous avancer, Alonse vous a nuy, Et sa feinte à vos feux preste un mauvais appuy. C’est ainsi que le Sort par un dernier outrage, Dans un calme apparent me fait faire naufrage, Et trompant d’un amy le zele officieux N’éleve mon espoir que pour l’abattre mieux. C’est le dernier des biens dont sa rigueur nous prive. Vous en jugez, ma soeur, par ce qui vous arrive, Et d’un fâcheux hymen qui faisoit vostre mort, Enrique avec Fernand ayant rompu l’accord, D’un si prompt changement le revers favorable Vous en fait pour ma flame esperer un semblable. Mais qu’en vain jusques-là je voudrois me flatter ! D. Sanche veut ma mort, je ne puis l’éviter, Et quoy qu’on fasse enfin, je n’ay point à pretendre Qu’apres l’avoir jurée il m’accepte pour gendre. Mais il vous croit coupable.         Il le croira toûjours. La verité cognuë est un puissant secours, Vous n’estes criminel que pour la vouloir taire. Chercher mon innocence en accusant un frere, Un frere, dont l’estat trop digne de pitié, Me feroit soupçonner d’un secours mandié ! D’un si lâche dessein je me sens incapable, Et puisque son adveu ne le rend point coupable, Qu’à s’accuser soy-mesme il n’a pû consentir, Je ne publieray point ce qu’il peut démentir. Esperez tout d’Alonse, il l’observe sans cesse, Et dans la juste ardeur qui pour vous l’interesse, Sans doute il tentera cent moyens superflus, Ou trouvera celuy de vaincre ses refus. S’il a pû l’obliger touchant mon hymenée A reprendre pour moy la parole donnée... Ah, le foible motif pour pretendre à mon tour, Qu’avec mesme succez il serve mon amour ! Que dans vos interests Enrique ait pû le croire, Cet effort ne va point jusqu’à trahir sa gloire, Dégageant une soeur il oblige un amy, Mais s’advouër coupable à son propre ennemy, S’exposer à rougir du plus honteux reproche Que...         Vous ne voyez pas Jacinte qui s’approche. Apres le dur revers qui détruit mon espoir, Pouvois-je encor pretendre au bonheur de vous voir, Madame ? vos bontez par un effort insigne Semblent croistre pour moy plus on m’en croit indigne, Et j’aimeray le sort le plus injurieux, Puisqu’il peut m’acquerir un bien si precieux. Je hazarde beaucoup, mais je n’ay pû moins faire Pour me justifier du procedé d’un pere, Qui se consultant seul, seduit par son erreur, N’écoute contre vous qu’une aveugle fureur, Mais le Ciel qui toûjours veille pour l’innocence, Pour la faire avorter prit hier vostre défence, Et monstre sa justice à qui sçait par quel bras Il sçeut vous garantir d’un attentat si bas. Je sçay qu’aucun jamais ne luy fut redevable D’un secours ny plus prompt ny plus considerable, Mais si j’en tiens le jour qu’on me vouloit ravir, J’ignore de quel bras il daigna s’y servir. Ce vaillant incognu, quelque effort que je fisse, Me refusa son nom apres ce grand service, Et ce n’est qu’aujourd’hui que je le dois sçavoir. Pouvez-vous l’ignorer si vous le pustes voir ? La nuict n’estoit pas sombre.         Elle estoit assez claire Pour voir ce mesme amy qui trompa vostre pere, Qui m’escortant chez vous, n’en sortit qu’apres moy, Mais son visage seul est ce que j’en cognoy. Et bien, quel qu’il puisse estre, obtiendray-je une grace ? Madame...         A l’expliquer mon esprit s’embarrasse, Mais c’est ce qui m’améne, et ce fut hier au soir Ce qui me fit encor souhaitter de vous voir. Parlez, et puisqu’enfin il s’agit de vous plaire, Fallut-il me soûmettre à la fureur d’un pere, Et perdre...         Ah, jugez mieux d’un coeur qui tout à vous Deteste les effets d’un injuste couroux. Vous voir recognoissant est toute mon envie, Un incognu pour vous a prodigué sa vie, Et ce qu’à vostre amour je demande aujourd’huy, C’est que jamais ce bras ne s’arme contre luy. Me le promettez-vous ?         Je puis vous le promettre, Puisque l’honneur enfin semble me le permettre, Et que sans lâcheté je ne puis à mon tour Combattre un ennemy par qui je vois le jour. Mais qui vous peut si-tost avoir dit la nouvelle D’une si surprenante et secrette querelle, Et qu’un frere mourant, pour vanger son trépas Contre cet incognu sollicite mon bras ? C’est ce que j’ignorois dans le malheur d’Enrique. Pourquoy donc cette alarme et vaine et chimerique, Et par quel mouvement vous croyez-vous permis De craindre quelque jour de nous voir ennemis ? Comme l’honneur peut tout et sur l’un et sur l’autre, Si vous n’estes le sien il peut estre le vostre, Et par ce que j’ay sçeu je prévois à regret... Mais je le voy qui vient vous dire son secret, Me tiendrez-vous parole et puis-je le prétendre ? Doutez-vous de mon coeur ?         Laissons-les seuls, Cassandre, Et quoy qu’icy pour nous tout soit à redouter, Sçachons leurs sentimens avant que d’éclatter. Je me rendray suspect sans doute de foiblesse D’advouër qu’à regret je vous tiens ma promesse, Et que s’il se pouvoit il me seroit plus doux De me faire cognoistre à tout autre qu’à vous. Il en est peu pourtant qu’avec plus d’asseurance Vous pûssiez honorer de cette confidence, Avant que j’en abuse on me verra perir. Enfin sommes-nous seuls, puis-je me découvrir ? Je crains d’estre écouté.         Parlez sans vous contraindre, Quel que soit ce secret, vous n’avez rien à craindre. Apres les differens survenus entre nous, En quelle qualité me considerez-vous ? D’amy, pour un grand coeur ce doute est un peu rude, Si mon devoir m’est cher je hay l’ingratitude, Je l’advoüeray par tout, sans vous j’estois perdu. Ce que je vous devois, vous l’ay-je assez rendu ? Le Ciel vous est propice autant qu’il m’est contraire, Je meditois sur vous la vangeance d’un frere, Et de son sang versé je voy qu’il vous absout. Suis-je quitte envers vous ?         C’est moy qui vous dois tout. Mais de ce procedé mon amitié s’offence, Est-ce que vous doutez de ma recognoissance ? Non, mais aucun malheur n’approcheroit du mien, Si vous ne m’advoüiez que je ne vous dois rien. Qu’a cet adveu de propre à flatter vostre envie ? Tout, puisqu’il faut qu’enfin j’attaque vostre vie, Et qu’un coeur genereux doit estre au desespoir, Quand le moindre scrupule estonne son devoir. Tout mon sang malgré moy se trouble à vous entendre, Qui le défendit hier veut aujourd’huy l’épandre, Et m’enviant des jours par luy seul conservez... Vous sçavez encor peu ce que vous me devez, Et comme un tel secret n’a plus rien qui m’importe, Chez qui croyez-vous hier que je vous fis escorte ? Je n’ay pas oublié si-tost qu’avec le jour Je dois à vos bontez l’appuy de mon amour, Je craignois pour Jacinte, et vostre grand courage Voulut ou dissiper ou partager l’orage. Vous trouvant attaqué quand vous fustes sorty, Sçavez-vous contre qui je pris vostre party ? Contre des assassins employez par son pere. C’est ce que je voudrois qu’ils eussent pû vous taire, Puisque n’ayant plus lieu de vous déguiser rien, Je dois vous advoüer que son pere est le mien. Quoy, Jacinte...         Est ma soeur, et c’est assez vous dire Quel devoir veut par moy que nostre tresve expire... Ouy, c’est me dire assez qu’une injuste rigueur Fait un crime pour moy de l’amour d’une soeur, Mais j’atteste le Ciel ennemy du parjure, Que je brusle d’un feu dont l’ardeur est si pure, Que si...         Vous jugez mal de mon ressentiment D’en croire cet amour l’unique fondement. Je ne condamne point une ardeur legitime, Et comme je cognoy qu’on peut aimer sans crime, Jacinte estant ma soeur, j’ay lieu de presumer Que sans blesser sa gloire elle a pû vous aimer, Que cet amour n’a rien dont sa vertu rougisse. C’est m’obliger ensemble et luy rendre justice, Mais si ma passion n’arme point vostre bras, Quelle offence incognuë expieroit mon trépas ? Ce long déguisement redouble ma colere, Ne vous ay-je pas dit que D. Sanche est mon pere, Et par ce seul adveu n’avez-vous pas appris Que je dois le vanger puisque je suis son fils ? Son malheur est de ceux dont la surprise accable. Quoy, ne sçavez-vous pas qu’il vous en croit coupable ? Ouy, je sçay qu’il le croit, mais aussi je sçay bien, Quoy qu’il vous en ait dit, que vous n’en croyez rien. Vostre sang cette nuit exposé pour ma vie M’a trop justifié de cette calomnie, Et sçachant son affront, loin de me secourir, Qui m’en eust crû l’autheur m’auroit laissé perir. Je l’eusse fait sans doute, et j’aurois dû le faire, Puisqu’enfin je souscris aux sentimens d’un pere, Apporter quelque obstable à ce qu’il a tenté, C’est l’accuser d’erreur et non de lâcheté. Il faut, quoy que d’abord un grand coeur s’en offense, Pour le dernier affront la derniere vangeance, L’assassinat est juste où l’outrage est sanglant, Et le meilleur remede est le plus violent. Puisque vostre suffrage en ma faveur s’explique, Quel crime est donc le mien ?         L’opinion publique. C’est peu pour negliger un devoir si pressant Que mon coeur en secret vous declare innocent, A l’erreur du public c’est peu qu’il se refuse, Vous estes criminel tant que l’on vous accuse, Et mon honneur blessé sçait trop ce qu’il se doit Pour ne vous pas punir de ce que l’on en croit. Quoy, sur un bruit si faux...         Vous m’en devez répondre, Avant que vous revoir j’ay voulu le confondre ; Mais en vain en tous lieux je me suis informé, On ne nomme personne, ou vous estes nommé. J’affoiblis ma vangeance à la voir differée, Sortons.         Et l’amitié que vous m’aviez jurée ? Telle est de mon honneur l’impitoyable loy, Loin qu’un amy l’arreste, il n’a d’yeux que pour soy, Et dans ses interests toûjours inexorable Veut le sang le plus cher au defaut du coupable. S’il faut donner le mien, changez au moins l’arrest, Qu’aimer soit tout mon crime, et le voici tout prest : Ouy, punissez en moy ce respect temeraire Qui poussé par l’amour ose paroistre et plaire, Et donnant sans regret ce qu’il faut m’arracher... Ah, que je punirois un crime qui m’est cher ! Vous l’avoüeray-je enfin ? j’aime, helas ! et nos ames Avec mesme secret brûlent des mesmes flames. Mesme objet asservit et l’un et l’autre coeur, Si vous aimez ma soeur, j’adore vostre soeur... Et bien, cruel amant, decouvre mes foiblesses, Je viens les avoüer puisque tu les confesses, Mais je demande aussi que de justes effets Montrent ton coeur d’accord de l’aveu que tu fais. Ce beau feu dont l’ardeur dûst estre si certaine Ne s’explique pas bien par des marques de haine, Et poursuivre le frere avec tant de rigueur C’est prouver assez mal ton amour pour la soeur. Respecte en luy mon sang si j’ay droit d’y pretendre, Ou dy que tu me hais si tu le veux répandre, Et dans tes sentimens un peu mieux affermy, Sois amant tout à fait, ou bien tout ennemy. D. Lope, c’est ainsi qu’avec toute asseurance J’ay pû de mon secret vous faire confidence ? Ne me reprochez rien quand mon coeur abatu Soûpire du long temps que vous me l’avez teu. Quoy, ta haine est pour luy déja si violente Qu’elle a peine à souffrir l’obstacle d’une amante, Et quand elle s’apreste à luy ravir le jour, Pour la faire trembler c’est trop peu que l’amour ? Helas ! et plûst au Ciel qu’une si belle flame Vous éclairast assez pour lire dans mon ame. Vous m’y verriez encor preferer hautement Au tiltre d’ennemy la qualité d’amant, Detester autant l’un que je respecte l’autre, Mais enfin ma vertu se regle sur la vostre ; Malgré tout mon amour son ordre imperieux Sur mon affreux destin vous fait fermer les yeux, Et cette ombre de gloire a pour vous tant de charmes Que ma mort vous arrache à peine quelques larmes, Je n’en murmure point, et pour vostre interest Sans rien tenter pour moy j’en accepte l’arrest. Contre vous pour le mien faites la mesme chose, Et sans vous opposer à ce qu’il faut que j’ose, Souffrez à mes desirs le pitoyable espoir D’expirer sans remords sous l’horreur du devoir. Cruel, et si le mien t’a paru trop severe, Devrois-tu te vanger de la Soeur sur le frere, Et prendre avidement une fausse couleur Pour le faire garand de ton propre malheur ? Car enfin je voy trop quelle offense t’anime, C’est ma seule vertu qui fait icy son crime, Tu te le peins coupable afin d’armer ton bras, Mais si j’avois pû l’estre, il ne le seroit pas. Ah, si vous pouviez voir avec quelle contrainte De mon honneur blessé j’ose écouter la plainte, Vous n’en trouveriez pas le tourment si leger, Qu’il vous dûst estre encor permis de m’outrager. Non, je ne poursuis point D. Lope en temeraire, Je me regarde amant pour le voir vostre frere, Et m’accusant pour luy de sentimens ingrats, Je luy preste mon coeur pour desarmer mon bras. Mais, helas ! c’est en vain que je le justifie Quand je viens à revoir toute nostre infamie, Contraint à cet objet de me desabuser Je voy que c’est luy seul que j’entens accuser, Et qu’en l’obscurité d’un sort si déplorable Il me doit, ou son sang, ou le nom du coupable. Que je le sçache ou non, je cognoy mon devoir, Et si par moy quelqu’un avoit dû le sçavoir... Mais, ô Dieu, c’est icy que l’espoir et la crainte... Ah ! mon fils.         Suspendez de grace vostre plainte, Vous venez condamner ce coeur trop partagé, Mais je mourray, mon pere, ou vous serez vangé. Nous pourrons nous revoir, adieu D. Lope.         Arreste, Et voy le precipice où ton erreur te jette, D. Lope est innocent.         Pour en avoir douté Le procedé d’un traistre a trop de lâcheté. Mais enfin avec vous ayant part à l’outrage, Si je n’en sçay l’autheur...         Tu sçauras davantage, Puisque le Ciel propice à mon ressentiment, Au crime qui le cause a joint le châtiment, On m’a déja vangé.         Quel bras l’auroit pû faire ? Jamais autre qu’un fils ne vange bien un pere. Non, mais quand vous sçaurez qui l’avoit outragé, Peut-estre advoüerez-vous qu’il est assez vangé. Ouy, mon coeur de vangeance assez insatiable, La trouve toute entiere au remords du coupable, Qui blessé par rencontre, et craignant de mourir, Chez Alonse à moy-mesme a pû se découvrir. Qui l’auroit jamais crû, que cette ame si fiere Eust pû jusqu’au pardon abaisser sa priere, Que l’orgueilleux Enrique...         Apres l’avoir nommé, Quelque juste sujet qui vous tienne animé, Songez qu’il est mon frere et m’épargnez la honte. Quoy, vostre frere ! ô Ciel, que ta justice est prompte ! Il nous la montre en luy.         Mais vous ne sçavez pas Que le voulant punir il l’a fait par mon bras. Sans sçavoir vostre affront j’en ay tiré vangeance. Quoy, mon fils auroit pû reparer mon offence ? D. Lope en est témoin, luy dont l’heureux secours S’employa pour ma gloire et conserva mes jours. Ah, si vous cognoissiez sa vertu toute entiere ! Elle offre à vostre estime une foible matiere. De ce qui s’est passé j’ay sçeu tout le secret, Et de cette vertu pleinement satisfait, Ravy qu’à ma vangeance un fils ait mis obstacle, Confus de mon erreur, surpris de ce miracle, Je venois l’asseurer qu’un regret éternel... Pourquoy tant d’indulgence envers un criminel ? Puisque vous sçavez tout, il n’est plus temps de taire, Et que j’aime Jacinte, et que j’ay sçeu luy plaire, Et quoy que la vertu soûtienne un si beau feu, Il est à condamner n’ayant pas vostre adveu. Ce m’est beaucoup pourtant que vous puissiez cognoistre Que sur cet appuy seul la raison le fit naistre, Et que mon coeur s’offrant à de si doux liens, N’y fût point engagé par l’éclat de vos biens, C’est à quoy rarement un grand courage cede, Le Ciel vous rend un fils, que ce fils les possede, Aussi charmé que vous de son heureux retour, Un coeur me suffira pour payer mon amour. Si je demande trop, punissez mon audace, La mort sans un tel prix me tiendra lieu de grace, Et purgé d’un soupçon qui m’eust peu diffamer, Je mourray satisfait si je meurs pour aimer. C’est trop, pour couronner une flame si pure, Mon pere, attendez-vous qu’un fils vous en conjure ? Non, de ce feu secret si j’ay blâmé l’ardeur, Alonse en a déja justifié ta soeur. Surprise et par mon ordre et par son stratagême, Je sçay ce qu’elle a fait contre D. Lope mesme, Et pour ce grand effort le moins que je luy dois, C’est d’oublier sa faute et d’approuver son choix. Puisque par le succez cette faute s’efface, J’en viens benir le Ciel, et recevoir ma grace. Quoy, voir icy ma fille !         Avant que m’accuser, Songez à quoy pour vous j’ay pû me disposer, Ne soupçonnez point ny crime ny foiblesse, Dans une passion dont je suis la maistresse. C’est vostre interest seul qui plus fort que le mien... Va, je te ferois tort si j’examinois rien, Ta vertu me répond de l’amour qui t’engage. Dieux, que le calme est doux qui succede à l’orage ! Il est bien doux, helas ! à qui peut esperer. Quoy, chacun est content et tu peux soûpirer ? Ah, soûpirs indiscrets d’avoir osé paroistre ! Puisque j’ay sçeu par vous que ma soeur les fait naistre, Pour les faire cesser, voulez-vous bien par moy Recevoir tout ensemble et son coeur et sa foy ? Une foy qu’à Fernand vous-mesme avez promise ? Je ne m’engage à rien que Fernand n’authorise. O Dieux, se pourroit-il ?         Tu l’aimes donc, mon fils ? Dans mon ravissement je doute si je vis. Mon pere...         Je t’entens, obtiens-là d’elle-mesme. Consentez-vous, Madame, à mon bonheur extrême ? Voir vos voeux tout à coup par un frere exaucez, Et n’y resister point, c’est m’expliquer assez. O favorable arrest !         C’est le Ciel qui le donne, L’ordre de ses decrets n’est cognu de personne, Et souvent de ses soins l’infaillible ressort Se plaist par le naufrage à nous conduire au port.