Genie incomparable, Esprit à qui la France                 Doit les sages Conseils qui la font admirer  Pour reparer mon impuissance, De ton secours qu’ay-je lieu d’espérer ? Tout, Divine Thalie, & je suis sans excuse,                  Si pouvant t’apuyer contre ce qui t’abat, Je néglige à servir la Muse De qui la Comédie emprunte son éclat. C’est toy qui fais paroistre avec pompe, avec gloire, Sur le Théatre des François,                      Ce qu’aux Etrangers quelquefois Le recit qu’on en fait rend difficile à croire. Je promettrois encor des Divertissemens Dont on aimeroit le spectacle, Si pour faire crier miracle                         J’en pouvois à mon choix régler les ornemens. Quand Semelé, Circé, la Toison, Andromede, Sur la Scene à l’envy se sont fait admirer, Par la Machine à qui tout cede, Chacun avec plaisir se laissoit attirer.                 Mais que pensera-t-on, si toûjours je m’obstine A faire voir Machine sur Machine ? Comme on se plaist à la diversité, Il est de Galantes Matieres Qui par les agrémens de quelque nouveauté                 Auroient des graces singulières. J’en feray tant voir à la fois, Que je pourray te satisfaire ; La nouveauté charme tous les François, Et ce m’est un moyen assuré de leur plaire.                 Je t’ay parlé déjà d’un Amant inconnu, Qui pour toucher une fiere Maistresse, Luy donnant des Festes sans cesse, En auroit enfin obtenu L’heureux aveu de sa tendresse ;                      Mais l’Amour aura beau le rendre ingénieux, Que fera-t-il de magnifique, S’il n’a pour l’oreille & les yeux Ny pompes de Balets, ny charmes de Musique ? Il peut se reposer sur moy                         Du soin de ses galantes Festes ; Pour plaire à ce qu’il aime, & luy marquer sa foy, Il les trouvera toûjours prestes. Ses desseins doivent estre heureusement conduits ; Si ta bonté les favorise.                         Il faut par un essay dont tu seras surprise, Te faire voir ce que je puis. Vois-tu cette inégale Masse Qui par tout n’est que pierre ? En ce mesme moment Je luy veux devant toy donner du mouvement,                  Et que les Corps divers qui naistront en sa place Attirent ton étonnement. Je brule de voir ces merveilles. Tu m’avoüeras peut-estre que jamais Il ne s’en est veu de pareilles ;                      Mais il est temps d’en venir aux effets. Animez-vous, Rochers, & changez de figure, Paroissez tout couverts d’Hommes & de Verdure, C’est moy qui veux ces divers changemens, Et voir de vostre sein naistre des Instrumens.                 Tu promets moins que tu ne donnes, Et ma peine déjà commence à s’adoucir. Quels Divertissemens, lors que tu les ordonnes, Peuvent manquer de réüssir ? C’est encor peu ; Je veux que vous fassiez paroistre          Un Berger dont les doux accens Suivent les tons ravissans De quelque Nymphe champestre. Amans qui vous rebutez                 De la fierté d’une Belle, Aimez, soufrez, méritez, La constance vous appelle Aux grandes félicitez. Languir pour une Inhumaine Que d’abord en vain on poursuit,                          C’est une cruelle gesne ; Mais regardez-en le fruit, Vous en aimerez la peine. Quand on differe à se rendre,                      Une Belle peut prendre De la fierté ; Mais contre un tendre Pourquoy défendre Sa liberté ? Achevez, & formez, pour Spéctacles nouveaux,                  Et des Buissons & des Berceaux. Hé bien, Muse, es-tu satisfaite ? Je t’admire, & me tais.         Après ce que tu vois, Des Festes dont l’Amour me doit laisser le choix,          Puis que j’en prens le soin, ne sois plus inquiéte.                 Ah qu’il est doux de s’unir à l’Amour !                 Avec l’Amour on peut tout faire ;                     La Beauté la plus severe A beau fuir ce qui peut l’enflamer à son tour ; Cherchez toûjours à luy plaire, Vous trouverez un heureux jour. Ah qu’il est doux de s’unir à l’Amour !                 Avec l’Amour on peut tout faire. Allons, c’est trop tarder, suy-moy.     Pour l’Inconnu j’attens beaucoup de toy.                 L’entreprise est un peu hardie,      Mais je n’ay rien promis dont je ne vienne à bout. Je le croy, ce n’est pas d’aujourd’huy qu’on publie Que les François ont un Génie Qui les rend capables de tout.                 Entrer dans ce Chasteau !     Le grand péril !         Je tremble, Que quelqu’un ne t’observe, & ne nous voye ensemble. Et quand on me verroit ? Monsieur, j’ay de l’esprit ; C’est vous qui m’employez ; je conduis tout, suffit,     Ne craignez rien.                             On peut remarquer ton visage.              Et n’en changeay-je pas à chaque Personnage ? Quand je suis déguisé, je le donne au plus fin, Si me voulant connoistre, il n’y perd son Latin. Ne vous inquiétez pour aucun de mes Rôles, Je les joüeray d’un air…Mais trève de paroles,                  Vous avez par l’effet déjà veu ce que vaut… N’as-tu rien oublié de tout ce qu’il nous faut ? Quand je vous fais en tout paroistre un zele extréme, Douter de moy qui suis la vigilance mesme,          Et qui toûjours sur pied pour servir vostre amour,              Depuis un mois & plus ne dors ny nuit ny jour ? Au moins si par hazard mon cerveau se démonte, Ce sera, s’il vous plaist, Monsieur, sur vostre compte. A force de veiller…                 Va, j’en répons.         Ma foy,         Je suis seûr qu’un Jaloux dormiroit plus que moy.             Avoir tout-à-la-fois tant de choses à faire, C’est assez pour… Allez, quoyque prompt à vous plaire,      Pour bien songer à tout, bien vous prend qu’au besoin Ma mémoire ait fourny dequoy nous mener loin.         Il ne manque plus rien à l’ordre de la Feste ;                  Et de l’air dont chacun sur mes leçons s’apreste, Ce que j’ay preparé de Divertissements,              Aura tout ce qu’on peut souhaiter d’agrémens. Ainsi la belle Veuve à qui vous voulez plaire,          Ignorant d’où luy vient ce qu’elle verra faire,                  Vous croira tout-au-moins demy Sorcier. Pour moy Je mets le Diable au pis, s’il brigue mon employ ;      C’est dequoy l’exercer, quelque adroit qu’il puisse estre. Mais tout cela n’est rien, si l’on me fait connoistre.     Prens bien garde au secret.     Il vous est seûr.                 Comment ?             La plûpart de mes Gens ne parlent qu’Allemand : Comme j’entens la Langue assez pour les instruire, J’ay voulu les choisir incapables de nuire. D’ailleurs que craindre d’eux, puisqu’ils ignorent tous     Que vous estes mon Maistre, & que j’agis par vous.             Je les paye, & c’est là tout ce qui leur importe. C’en est assez. Va-t-en, avant que quelqu’un sorte. Vous croyez donc qu’icy je sois venu pour rien ? Il me faut…     Quoy ? Dy viste.                      Attendez, c’est…         Hé bien !     Vous m’avez fait songer à ce que je prépare,                  Et souvent en courant ma mémoire s’égare. Veux-tu que…                 Laissez-la, Monsieur, se retrouver, En resvant…         Est-ce icy, Bourreau, qu’il faut resver ? La Montre qu’il faudra…Non, je l’ay.         Va-t-en, traistre,             Tu me perdras.         Hé bien Serviteur, mais peut-estre              Quelque chose manquant, vous en aurez regret. Non, sors.         Ah je le tiens ; Monsieur, vostre Portrait. Prens & t’éloigne. Quoy, tu reviens ?         Autre affaire, J’oubliois de l’argent, c’est le plus necessaire. Voila ma Bourse.     Mais…                         Redoute mon couroux.             Veux-tu sortir ?         Je sors. Combien me donnez-vous ? J’ay besoin tout-au-moins…         Quelqu’un icy s’avance.     Bon, c’est Virgine, elle est de nostre intelligence. Laisse-moy luy parler, & songe qu’il est temps         Qu’à faire ce qu’il faut tu prépares tes Gens.                 He bien, comment la nuit s’est-elle icy passée ? Que fait-on ?                         Ma Maistresse est fort embarassée ; Et ce que l’Inconnu fait pour la régaler, Luy donne à tous moments matiere de parler.     Olimpe, aussi-bien qu’elle, admire son adresse,     Sa manière engageante, & toutes deux sans cesse Font rouler l’entretien sur les soins d’un Amant Qui, sans se découvrir, aime si fortement. Si toujoûrs le succés répond à l’entreprise,     La suite aura dequoy mériter leur surprise.                 Ce qui m’en cause à moy, dont je ne reviens pas,          C’est de vous voir tranquile, & si peu d’embarras, Que quelque Feste icy tous les jours qui se donne, On en cherche l’Auteur, sans que l’on vous soupçonne.     Par où me soupçonner ? J’en ay peu de soucy.                 Je loge dans le Bourg à quatre pas d’icy.             Tous mes Gens, hors un seul qui sçait ce qu’il faut taire, Passent là tout le jour à rire, à ne rien faire ; Et cet unique Agent par qui tout se conduit,          Va porter dans un Bois mes ordres chaque nuit.                 Peut-on mieux assurer un secret ?                     Je l’avouë,     Tant de précaution mérite qu’on vous loue : Mais vous perdez beaucoup à vous cacher ainsy, Déjà pour vous Olimpe a le adoucy,          Et le galant Auteur de tant de belles Festes                 La mettroit aisément au rang de ses conquestes. Il est vray, j’ay connu par certains embarras Qu’elle seroit d’humeur à ne me haïr pas : Mais quand je serois moins à ma belle Comtesse,      Olimpe au Chevalier doit toute sa tendresse,                 Il l’adore, & je l’ay toûjours trop estimé, Pour luy ravir l’Objet dont je le voy charmé. Ma Maistresse aime Olimpe, & pour voir cette Belle, Permet au Chevalier un libre accés chez elle.         Depuis qu’elle est icy, par mille tendres soins,             De l’amour qui l’attire il rend nos yeux témoins : Mais plus on vous verra, plus je crains pour sa flame, Les devoirs qu’il luy rend ne touchent point son ame, Et ses regards sur vous à toute heure arrestez,         Ne parleroient que trop, s’ils estoient écoutez.             Mais vous, parquel motif vouloir toûjours vous taire ? A-t-on à se cacher, quand on est seûr de plaire ? Vos soins sous vostre nom auroient esté reçeus. Chacun a ses raisons, & j’en ay là-dessus.         Tout ce qui peut charmer se trouve en la Comtesse ;          Mais soit par défiance, ou par délicatesse, Le secret de son se ménage si bien, Qu’avec elle un Amant n’est jamais seûr de rien : Elle veut estre aimée, attire, écoute, engage,         Mais le plus avancé n’a pas grand avantage :                 La presser c’est se rendre indigne de sa foy, Et vingt fois, tu le sçais, elle a dit devant moy, Qu’on auroit vers son moins de chemin à faire, Plus, sans rien exiger, on feroit pour luy plaire.         D’abord qu’elle fut Veuve, un tendre & pur amour              M’engagea sans réserve à luy faire ma cour : Aucun autre avant moy n’avoit brulé pour elle, Et par toute l’ardeur qui peut suivre un beau zele, Je n’ay pû mériter qu’en faveur de mes feux         Elle ait daigné jamais refuser d’autres vœux.                 J’en vois qui se livrant, sans que rien les alarme, Aux malignes douceurs d’un accueil qui les charme, Sur la foy de ses yeux s’osent imaginer Que son est sensible, & prest à se donner ;         Mais je connois le piege, & plains leur imprudence.         Cependant pour agir avec plus d’assurance, J’ay voulu joindre aux vœux qu’elle reçoit par moy, L’amour d’un Inconnu qui prétend à sa foy. D’estime en sa faveur je la voy prévenuë,             Et de ce double appuy ma flame soûtenuë                 En aura moins de peine à me faire emporter Ce qu’en vain mes Rivaux me voudront disputer. Son aimant en moy mon amour, ma personne, Aime dans l’Inconnu les plaisirs qu’il luy donne :         Elle y resve, & mon feu par cet heureux secours          A trouvé les moyens de l’occuper toûjours. D’ailleurs j’ay la douceur ; quel plaisir quand on aime ! Que souvent elle vient me parler de moy-mesme, Et vantant l’Inconnu, sans le croire si pres,         Me montre un touché de tout ce que je fais.              Que t’en dit-elle à toy ? Parle.         Elle en est ravie, La gloire fut toûjours le charme de sa vie, Plus vos soins font d’éclat, plus elle s’applaudit De ce qu’à son mérite ils donnent de crédit :         Ce n’est point par sa flame une flame enhardie,             Elle reçoit des vœux sans qu’elle les mandie, Et puis, contre l’Amour…quoy qu’on est résolu, Le nombre des Amans n’a jamais trop déplû ; Et comme on veut plutost augmenter que rabattre,     Un avec un fait deux, & deux & deux font quatre ;          Les Femmes la plûpart en sont là. Mais voicy Dequoy changer de note ; Olimpe vient icy. Songez à vous, elle a grand dessein de vous plaire. Souviens-toy seulement de ce que tu dois faire,         Je m’en tireray bien.         Vous a-t-on fait sçavoir              Le petit différent que nous venons d’avoir ? Je voulois empescher qu’on ne vous fist l’outrage De souffrir avec vous un Rival en partage ;         Mais contre l’Inconnu je me déclare en vain,         La Comtesse…         Eh Madame, à quoy bon ce dessein ?              Laissons à son panchant liberté toute entiere. Pour moy…                         La complaisance est un peu singuliere ;     Un Rival rend des soins, la Comtesse en fait cas… S’ils luy plaisent, pourquoy ne me plairoient-ils pas ?     Et s’il faut qu’à l’aimer enfin elle consente ?                 Qu’elle l’épouse ?                         Hé bien, elle sera contente ? C’est tout ce que je veux.         Ah puis qu’il est ainsy, Marquis, j’ay tort pour vous de m’en mettre ensoucy. Puis que pour l’Inconnu vous avez tant de zele,         Pour vous plaire, je vais le servir aupres d’elle.             Je ne m’en plaindray point, favorisez ses feux, Peut-estre son bonheur me rendra-t-il heureux, L’Amour a des douceurs & pour l’un & pour l’autre. Un mérite aussi-bien étably que le vostre,             Peut prétendre beaucoup, &…         Je sçay bien aimer,          C’est là mon seul mérite.         On le doit estimer, Et j’en connois fort peu qui comme la Comtesse         Ayant de vostre attiré la tendresse, Voulussent consentir au chagrin sans égal         Où vous peut exposer l’obstacle d’un Rival.                 Ce chagrin n’a sur moy qu’un assez foible empire ;     Et sans m’expliquer mieux, je puis icy vous dire         Que j’auray veu remplir mes souhaits les plus doux, Si la Comtesse prend l’Inconnu pour Epous.         Adieu, Madame.         Il sort, & veut bien que je croye          Qu’en perdant la Comtesse il aura de la joye,         D’un pareil sentiment que dois-je présumer ? Aurois-je sçeu luy plaire ? & pourroit-il m’aimer ? Quoy, vous le soufririez ?         Qu’il est bien fait, Melisse !     Oüy, mais au Chevalier il faut rendre justice.             Scavez-vous que Dorante arrive icy ce soir ? Avoüez que déjà vous brulez de le voir. Je ne le cache point, j’en auray de la joye. Je ne sçay plus de vous ce qu’il faut que je croye :         Les devoirs du Marquis ne vous déplaisent pas,             Dans ceux de l’Inconnu vous trouvez quelque appas ; Et d’autres Soupirans, aussitost qu’ils arrivent, Peuvent prétendre au que tous les deux poursuivent. C’est aller un peu loin.         Dequoy vous étonner ?     Pour prétendre à mon , me le font-ils donner ?          Croyez-moy, pour n’avoir nul reproche à se faire, Il faut de sa conduite éloigner le mistere, S’acquerir des Amis sans trop les rechercher, Se divertir de tout, & ne point s’attacher.             C’est ainsi que j’en use, & je m’en trouve heureuse,          Point d’affaire de qui me tienne resveuse. Tous ceux qu’un peu d’estime engage à m’en conter, Me trouvent sans façon preste à les écouter, Je vois avec plaisir leur différent génie,             Et j’appelle cela, recevoir compagnie.                     Mais en vous contant, ils vous parlent d’aimer ?         Je n’y voy pas contre eux dequoy se gendarmer. Est-il quelque entretien, hors de là, qui n’ennuye, Et nous parleront-ils de beau temps, ou de pluye ?     Nostre Sexe par tout fait des Adorateurs,                 Et fust-ce la plus laide, on luy dit des douceurs. Pour moy qu’aucun aveu sur l’amour n’effarouche, A personne jamais je ne ferme la bouche, Et grossissant ma Cour d’Esclaves différents,         J’écoute les soûpirs, & ris des Soûpirans.                 Ce n’est pas, apres tout, leur faire grande injure ; Ils ont beau de leurs maux nous tracer la peinture, Tous ces empressemens de belle passion Souvent font moins amour que conversation ;         Et le plus languissant alors qu’il nous proteste,             A, tout prest d’expirer, de la santé de reste. Si sur nous quelquefois le murmure s’étend, C’est pour ce que l’on fait, non pour tout ce qu’on entend ; Et ces Miroirs d’honneur, ces Prudes consommées,     Qui du seul nom d’amour se trouvent alarmées,                 Succomberoient bientost à la tentation, Puis qu’un mot sur leurs s fait tant d’impression. Jamais à prendre feuje n’ay l’ame si prompte, Les declarations ne sont pour moy qu’un conte ;         Et quoy que mes Amans par là se soient promis,             Je ne voy, ne regarde en eux que mes Amis ; Je prens sur leur esprit un empire commode, Et s’ils m’aiment, il faut qu’ils vivent à ma mode : L’un veille à mes Procés, l’autre à mes Bastimens.     Et comment accorder ce grand nombre d’Amans ?              Si c’est estre Coquette, au moins quoy qu’on en croye,     C’est l’estre de bon sens, & vivre pour la joye. Chacun cherche à me plaire, & ne promettant rien, Je fais amas de s, sans engager le mien.         Comme à fuir le chagrin tous mes soins aboutissent,             Il n’est pas jusqu’aux Sots qui ne me divertissent, Et dont le ridicule à pousser des soûpirs Ne me soit quelquefois un sujet de plaisirs. Quoy que Veuve, je suis peut-estre encor d’un âge     A suivre l’humeur gaye où mon panchant m’engage :             J’en veux joüir, jamais je n’auray meilleur temps ; J’ay du bien, des Maisons à Paris comme aux Champs ; Ma personne a dequoy ne pas déplaire, on m’aime ; Et tant que je voudray me garder à moy-mesme,     Ne point prendre de Maistre en prenant un Epous,             Mon sort égalera le destin le plus doux. C’est ce qu’encor longtemps vous aurez peine à faire ; Le Marquis n’est point fait d’un air à ne pas plaire ; Et vous estimez tant ce qu’il vous rend de soins,         Qu’il n’y va pour l’aimer, que du plus, ou du moins.              L’Inconnu peut d’ailleurs avoir touché vostre ame, Et si par ce qu’il fait on juge de sa flame, Il est bien mal-aisé qu’un si parfait Amant N’ait merité de vous un peu d’engagement.         Son impatient de vous voir attendrie,             Joint la magnificence à la galanterie, Et les porte si loin, qu’on y voit chaque jour Briller également & l’Esprit & l’Amour. Il faut l’avoüer, l’Inconnu m’embarasse,             Ce qu’il ordonne est fait avecque tant de grace,         Que je m’en sens touchée, & craindrois de l’aimer, Si je le voyois tel qu’on peut le présumer. J’admire chaque jour les détours qu’il employe Pour me faire agréer les Bouquets qu’il m’envoye ; Jamais si galamment rien ne fut concerté,                 C’est toûjours de l’adresse & de la nouveauté. Cependant j’ay beau faire afin de le connoistre, Tous ses Gens sont muets sur le nom de leur Maistre ; Et mesme comme ils sont Etrangers la plûpart,         Son secret avec eux ne court point de hazard ;                 C’est en vain qu’on les suit, on n’en peut rien aprendre, Ce sont Acteurs instruits qui sçavent où se rendre, Et qui se séparant quand ils sortent d’icy, Par leur prompte retraite augmentent mon soucy.     Qui peut les employer ?                             J’en voy tant qui font gloire              De soûpirer pour vous, que je ne sçay qu’en croire. Quel qu’il soit, c’est de vous un Amant bien épris. Mes soupçons sont d’abord tombez sur le Marquis,     Il m’aime, il est galant ; mais ses Gens qu’on épie,     Demeurent en repos dans son Hostellerie ;                 Et n’y passeroient pas tout le jour sans employ, Si leur Maistre faisoit tant de Festes pour moy. D’ailleurs qu’a-t-il besoin d’user de cette adresse ?     Je souffre que son m’explique sa tendresse ;     Et depuis mon Veuvage à me plaire attaché,                 Quand il m’a divertie, il ne s’est point caché. Soupçonner le Marquis ! Non, non, quoyqu’il pût faire, Son amour si longtemps auroit peine à se taire,         Et voyant vostre peine, un soûrire indiscret         De ses soins aplaudis trahiroit le secret.                     Il vous parle à toute heure.         Et si nostre Vicomte S’estoit avisé…         Luy ?                         Que j’en aurois de honte ! C’est un fatigant Homme.         Il va jusqu’à l’excès. Il doit venir m’instruire icy de mon Procés.     Vous pouvez seule à seul luy donner audience,                 Car pour moy je deserte, & suis sans complaisance. Et ne pouvez-vous pas en rire comme moy ? Non, ces sortes d’Amans…Mais qu’est-ce que je voy, Madame…                                     Vous voyez l’Amour & la Jeunesse,     Qui viennent admirer la charmante Comtesse,                 Et luy dire à l’envy, qu’estre de ses plaisirs, Fait l’unique bonheur qui flate leurs desirs. Et qui les a conduits ?                 Ce More qui jargonne     Certains mots qui ne sont entendus de personne :     Ils sont tous deux entrez, demandant à vous voir.             C’est encor l’Inconnu.         Nous allons le sçavoir.             Nous n’avions pas besoin que l’on nous vinst conduire,         Et d’eux-mesmes jusqu’à ce jour Jamais dans aucun lieu la Jeunesse & l’Amour         N’ont eu de peine à s’introduire.                     L’aimable Couple !                         Il n’est rien de si beau.     De leur petite Mascarade                 Le dessein est assez nouveau. Il faut les écouter, car je me persuade             Qu’ils nous vont de l’Amour faire un joly tableau.         Quoy que vous nous voyiez ensemble,                 C’est assez rarement que nous sommes d’accord. Comme tout me cede, il me semble Que me ceder aussi ne vous feroit pas tort.     Moy, vous ceder ! & pourquoy je vous prie ? Si vous avez des charmes assez doux,                 Qui plaisent en coqueterie, Je me fais aimer plus que vous. Jamais je ne quitte personne, Qu’on ne s’en fasse un dur tourment.                          Helas ! dit-on, faut-il si promptement                 Que la Jeunesse m’abandonne ? Mais quand le noir chagrin de vos transports jaloux Force deux s à la rupture, On y trouve un repos si doux,                     Qu’on vous laisse aller sans murmures     Et je ne sçache que les Fous,                 Qui mal guéris de leur blessure, Veüillent renoüer avec vous.     Et quand on ne rompt point, est-il douceurs pareilles ?                 C’est un miracle dont le bruit                 Vient rarement à mes oreilles, Mais regardons le degoust qui le suit. Ce n’est pas comme la Jeunesse Qui se trouve aimable en tout temps,                     Vous n’avez point d’agrément qui ne cesse             Pour peu que vous alliez au dela du Printemps.             Quand l’age vient, la belle chose Que les soupirs de deux Amans Barbons !             A quoy peuvent-ils estre bons Qu’à plaindre leur métamorphose ?                             Ce n’est plus en douceurs qu’ils passent tout le jour,         L’un dort tandis que l’autre gronde ; Et jamais on ne vit au monde                 Rien de si sot qu’un vieil amour. De vos jeunes attraits vous faites bien la fiere.             On la feroit à moins ; par tout je saute aux yeux, On me nomme par tout des Beautez la premiere, Et c’est en quoy sur vous je l’emporte encor mieux :         Car enfin pour me vaincre, employez ruse, adresse, Cherchez artifice, détours, Il n’est point de laide Jeunesse, Mais il est de vilains Amours. Vous croyez que je me chagrine De vous voir ravaler mes droits ?     Il n’est point défendu de faire bonne mine,             Quoy qu’on enrage quelquefois. Pour moy je n’aime que la joye ; Et malgré nos debats qui durent trop longtemps,         Il faut qu’à danser je m’employe. Danser ! Ignorez-vous qu’on a…             Je vous entens ;         Mais je puis tout comme Déesse, En vain on croiroit m’arrester : D’ailleurs rien ne sçauroit contraindre la Jeunesse,             Et qui voudroit l’empescher de sauter,     La feroit mourir de tristesse. Songez-y bien, j’appréhende pour vous. Chacun doit soûtenir son Rôle. Il est vray, la Jeunesse est toûjours un peu folle,             Et l’on ne prend pas garde aux Foux. La cadence à trouver ne luy fait point de peine.     Elle est née à la Danse, & peut s’en faire honneur. Tandis qu’elle reprend haleine, Approchez, nostre Conducteur,             C’est à vous d’entrer sur la Scene.                     Occhi neri, il cui splendore Hora uccide, hora da vita, Al mio cuore Che si muore Deh, pietosi date aita. Quel sol di gioventù ch’in voi risplende,                 Quei raggi ridenti onde ognun s’accende, V’insegnano pietà, non gia rigore. Occhi neri, il cui splendore Hora uccide, hora dà vita, Al mio cuore Che si muore Deh, pietosi date aita. Con sguardi lusinghieri, sftrali di fuoco                 Begli occhi, nel petto colto m’havete,     S’ajuto cortese non mi porgete,                 Ahime, ch’io vo morendo à poco à poco. Sù, sù, dunque che fate, Pupille adorate ? Con sguardo amoroso, Non piu disdegnoso,                         La piaga sanate D’un’ alma ferita. Ahi che troppo tardate. Deh, che non mirate     Che già nel moi seno                         Lo spirio vien meno, E stà fu l’uscita. Occhi neri, il cui splendore Hora uccide, hora dà vita, Al mio cuore Che si muore Deh, pietofi date aita. En toute Langue on vous dit des douceurs.     Ignorant qui me les adresse,                     Ce sont d’assez vaines ardeurs. Mais laissons parler la Jeunesse. Hé bien, de moy que dites-vous, Amour ? A danser, à sauter, employez tout le jour,             Cela n’a rien qui m’intéresse ;                     Mais puis qu’aucun de nous n’est d’humeur à céder,     Il faut de moins nous accorder, Pour loüer dignement cette belle Comtesse. La loüer ? ce n’est point mon fait,                             Je ne pourrois assez élever son mérite,                     Et j’aime mieux en estre quite                                 Pour ma Guirlande & ce Bouquet. Prenez, d’une Déesse il n’est rien qu’on refuse. Pour moy qui cherche à voir tous les s sous ses loix, Je sçay comme il faut que j’en use, Et veux mettre à ses pieds mon Arc & mon Carquois.     Qu’il est bien fait ! Mais Dieux ! A l’aimable Comtesse. Madame, c’est à vous que ce Billet s’adresse. Lisons.                                     De l’Inconnu j’admire le talent, Tout ce qu’il fait enchante.             Il n’est rien plus galant.              Quoy que ma passion extréme Me fasse un souverain bonheur Du plaisir de vous dire à quel point je vous aime, Permettez que l’Amour vous parle en ma faveur,     Avant que je parle moy-mesme :                  J’ose attendre beaucoup d’un entretien si doux. Eh, qui sçait mieux que luy ce que je sens pour vous ? C’est s’exprimer avec tendresse.     On dit plus qu’on ne sent ; mais je veux à mon tour     Faire présent à la Jeunesse.                         J’accepte cette Bague, attendant l’heureux jour Où vous sçaurez pour qui je m’intéresse. Je ne donne rien à l’Amour ;                                 Il se vante, & je crains ses contes ordinaires.     Par luy-mesme l’Amour trouve à se contenter ;                 Et tant qu’il se fait écouter,                 Il n’est pas mal dans ses affaires. On les a bien instruits.                     Tâche à les amuser. Virgine ; Les Enfans n’aiment point à se taire,         Et de nostre Inconnu par eux…                 Laissez-moy faire, En badinant je les feray jaser.                 Ainsi par une veuë au Chevalier fatale,         La Comtesse en ces lieux trouve en vous sa Rivale ?     Il est vray, c’est icy que j’ay pris malgré moy Ce qui vers le Marquis a fait pancher ma foy.                 A le voir, à l’entendre à toute heure exposée, J’ay crû ne risquer rien, & me suis abusée : Son Esprit engageant, son air plein de douceur,                          Sa mine, tout pour luy m’a demandé mon . Pour peu qu’on se hazarde aupres d’un vray mérite,         Que la raison est foible, & que ce va viste ! D’un tendre mouvement l’appas flatteur & doux M’a fait voir la Comtesse avec des yeux jaloux.         S’il luy parle un moment, je m’en sens inquiéte, Et trop pleine du trouble où ce chagrin me jette,          Dans ce Bois frais & sombre où je la viens trouver, Je la cherche à pas lents, & n’aime qu’à resver. Mais vous n’ignorez pas qu’il aime la Comtesse ?         Nous pouvons l’un & l’autre avoir mesme foiblesse ; J’aimois le Chevalier, avant ce changement,                 Du moins je le soufrois en qualité d’Amant : Cependant le Marquis fait balancer mon ame, Et quoy qu’à la Comtesse il ait montré de flame,         Que sçait-on si l’Amour, pour m’assurer sa foy, N’aura pas fait en luy, ce qu’il a fait en moy ?                 Tu sçais ce qu’il m’a dit ; loin qu’il en prenne ombrage. Il voit avec plaisir que l’Inconnu l’engage, Qu’il s’en fasse estimer, & voudroit que l’Amour,     Pour les unir ensemble, eust déjà pris le jour. Me découvrir ainsi le secret de son ame,                     Melisse, n’est-ce pas me parler de sa flame, Et me dire à demy que son tout à moy N’aspire qu’au bonheur de dégager sa foy ?     Gardez de vous flater, on croit ce qu’on désire, Mais souvent…                     Ne crains rien ; Si pour luy je soûpire,          L’Amour qui m’y contraint, se conduira si bien, Qu’aux yeux de la Comtesse il n’en paroistra rien.     Tout ce que je prétens, est de vanter sans cesse         Les soins de l’Inconnu, son esprit, son adresse ;         Et si de cet amour son hymen est le prix,                 Je pourray faire alors expliquer le Marquis. Ainsi le Chevalier n’a plus rien à prétendre ?     Le voicy ; je ne puis refuser de l’entendre ;     Mais son amour du mien s’est un peu trop promis.     Madame, apprenez-moy quel espoir m’est permis.             Mon chagrin ne peut plus se forcer au silence ; Je vous vois, vous retrouve apres un mois d’absence,     Et vous me recevez d’un air froid, sérieux…     Je resve, & j’en ay pris l’habitude en ces lieux :     A me bien divertir quelques soins qu’on employe,             Il y manque toûjours quelque chose à ma joye, La Campagne n’a point les charmes de Paris.         Quelle réponse helas ! C’est donc tout ce qu’emporte     Cette parfaite ardeur…                     Je l’avoüe elle est forte,         Vos feux par cent devoirs m’ont esté confirmez ;              Mais de grace, est-ce vous, ou moy, que vous aimez ?     Je parois à vos yeux bien faite, belle, aimable, Vous me cherchez ; dequoy vous suis-je redevable ?     Forcez-vous en cela vostre inclination ? Et quand vous me parlez d’ardeur, de passion,                 Si le secret panchant qui pour moy vous inspire,         Ne vous attiroit pas autant qu’il vous attire, Ne trouvant rien en moy qui pût vous enflamer,         Pour mes seuls intérests me pourriez-vous aimer ? De vos prétentions voyez l’abus extréme ;                 Parce que je vous plais, il faut que je vous aime,         Et je dois vous payer de la nécessité Qui vous tient malgré vous dans mes fers arresté.     Tachez de les briser, si leur poids vous étonne, Sinon, mon est libre, attendez qu’il se donne ;              Et quoy qu’enfin pour vous sa conqueste ait d’appas,     N’exigez point de luy ce qu’il ne vous doit pas. Ah contre mon amour je voy ce qui s’apreste,         On veut…         Finissons-là, j’ay quelque chose en teste ; Et comme je vous crois généreux & discret,                 Je veux bien avec vous n’en pas faire un secret. L’Inconnu par ses soins offre icy son hommage, A luy vouloir du bien quelque intérest m’engage.     Qu’entens-je ? L’Inconnu ! Madame l’aimez-vous ? Me quittez-vous pour luy ? sera-t-il vostre Epoux ?              Vous a-t-il fait parler ?         Voila de jalousie             Comme souvent sans cause on a l’ame saisie. Il est galant, je voy que vous en faites cas ;         Vous dédaignez mes vœux, & je ne craindrois pas ?     Non, puis que si pour luy ma bonté s’intéresse,                 Ce n’est que pour luy faire épouser la Comtesse. Favorable assurance ! En des maux si pressans, Pardonnez si d’abord l’Inconnu…         J’y consens,         Mais à condition que pour servir sa flame Vous verrez la Comtesse, & ferez…         Moy, Madame !              Le Marquis qui l’adore est mon Amy.         Fort-bien,     Le Marquis vous est tout, & je ne vous suis rien. Madame…         A l’Amitié l’on voit un fidelle,         Prompt, ardent ; pour l’Amour, c’est une bagatelle. Mais si du Marquis…                 Non, faites-vous son appuy,     Je veux bien qu’il l’emporte, & vous laisse avec luy. Adieu.         De quel chagrin vous vois-je atteint ? Il semble Qu’elle sort en colere ; estes-vous mal ensemble ?     Oüy, Marquis, & jamais Amant ne fut traitté Avec tant d’injustice & tant de cruauté. C’est peu que je la trouve icy toute changée, A nuire à vostre amour elle s’est engagée, Et veut me voir servir l’Inconnu contre vous.     Si vous la refusez, j’approuve son couroux ; Qui se déclare Amant, doit tout à ce qu’il aime.             Contre un parfait Amy ; contre un soy-mesme ? L’Amour n’excepte rien.         Pour ne pas l’irriter,         Je vous trahirois ! Non, laissons-la s’emporter ;     Le temps, & la raison, éteindront sa colere. Une Maistresse ordonne, il faut la satisfaire ;                 Parlez pour l’Inconnu : tous vos soins employez Peut-estre me nuiront moins que vous ne croyez.     La Comtesse l’estime, & son ame incertaine         Peut malgré vostre amour…         N’en soyez point en peine, Sur elle, sur son je fais ce que je puis.                 Comprenez-vous assez quels seroient mes ennuis,     S’il falloit que par moy…         Vous n’avez rien à craindre, Empeschez seulement Olimpe de se plaindre. Plus je vous vois agir en Amy genéreux, Plus j’ay de répugnance à combattre vos feux :                 Je m’oppose pour vous à ce qu’Olimpe exige Et crains tant d’obtenir…         Ne craignez rien, vous dis-je ; Et sans examiner le péril que je cours,         Assurez, s’il se peut, le repos de vos jours,             Je le verray sans peine.         O bonté que j’admire !             Que ne vous dois-je point, & que puis-je vous dire ? Je vay rejoindre Olimpe, & malgré sa froideur Luy jurer d’un Amant la plus soûmise ardeur,                     Je luy promettray tout ; mais malgré ma promesse J’auray tant de reserve en voyant la Comtesse,             Que ce qu’à l’Inconnu je presteray d’appuy, Faisant peu contre vous, ne fera rien pour luy. Virgine ?                     Vous riez ? D’où vous vient cette joye ? De voir contre elle-mesme Olimpe qui s’employe. Le Chevalier, d’erreur comme elle prévenu,             Va tâcher, pour luy plaire, à servir l’Inconnu. J’ay quelque part sans doute à ce qu’on luy fait faire.     Qu’on est dupe souvent !         Le plaisant de l’affaire, C’est qu’Olimpe qui croit par là me conserver, Brigue pour moy le qu’elle veut m’enlever.              Cependant vous aviez besoin de mon adresse,         Quand j’ay suivy tantost l’Amour & la Jeunesse. Et qu’as-tu dit pour eux ?         Qu’ils ont d’abord couru         Se jetter en Carosse, & qu’ils ont disparu.         Et la Comtesse ?                 Elle est dans une peine extréme,              Et semble partagée entre vous & vous-mesme. Je viens de lui vanter vos tendres sentimens,  Elle a rendu justice à leurs empressemens ;     Puis avec un soûpir que l’Amour a fait naistre,                         Que n’est-il l’Inconnu, m’a-t-elle dit !         Peut-estre                 Si je me déclarois, son sans embarras, Quoy que touché pour moy, ne le sentiroit pas. Ne précipitons rien.             C’est l’humeur de la Dame, Le mérite la charme, il peut tout sur son ame ; Mais il faut luy laisser vouloir ce qu’elle veut.                 L’Amour est consolé, quand il fait ce qu’il peut. Elle paroist ; je vay pousser le stratagème,         Et faire quelque temps le jaloux de moy-mesme ;     C’est le plus seûr moyen d’affermir mon bonheur. Madame, je vous trouve un air sombre, resveur,                 Il me gesne, il m’alarme, & cependant je n’ose Permettre à mon amour d’en demander la cause,     Peut-estre quand mon s’attache tout à vous,     Le vostre cherche ailleurs des hommages plus doux. Vous ne répondez point ? Je le voy trop, Madame,             Un autre feu sans doute est contraire à ma flame ; Malgré ce que le temps m’a dû prester d’appuy, C’est l’Inconnu qu’on aime, & vous pensez à luy. Vous l’avez deviné. Ses galantes manieres, Si propres à gagner les Ames les plus fieres,                 M’obligent tellement, qu’à ce qu’il fait pour moy, Un peu de resverie est le moins que je doy :         Je puis me la souffrir sur tout ce qui se passe. Quoy, Madame, un Rival…         D’un ton plus bas, de grace. S’il m’occupe l’esprit, vous devez présumer                 Que c’est pour le connoistre, & non pas pour l’aimer.     Apres ce que pour moy ses soins marquent de zele, La curiosité n’est pas fort criminelle ;                             Et vous-mesme déjà vous auriez dû tâcher D’éclaircir le secret qu’il aime à nous cacher.                 Je vous l’éclaircirois : Promettez-moy, Madame,     Que vostre main sera l’heureux pris de ma flame ; Et pour le découvrir, je fais ce que je puis.     Cherchez à me tirer de la peine où je suis, Vous me ferez plaisir, & je vous le conseille.                 Est-il contre un Amant injustice pareille ?         Si l’Inconnu par moy se découvre aujourd’huy, Voudrez-vous point encor que je parle pour luy ?         Qu’en faveur de son feu le mien vous sollicite ? Il peut, je le confesse, avoir plus de mérite,             A l’ardeur de ses soins donner un plus grand jour,     Mais jamais, quoy qu’il fasse, il n’aura plus d’amour. Je le veux croire ainsy, mais puis-je avec justice                         De son attachement vous faire un sacrifice, Avant qu’avec luy-mesme une civilité                 Marque au moins que je sçay ce qu’il a mérité ?     Le détour est adroit autant qu’il le peut estre, Il faut estre civile afin de le connoistre ;             Et vous donnant à luy, quand vous le connoistrez, L’Etoile est le garand où vous me renvoyrez.                 Ainsi c’est de nos s l’Etoile qui dispose ?     Mais…         Je hay les raisons quand je veux quelque chose ; Et j’avois toûjours crû que la soûmission             D’un véritable Amant marquoit la passion. Oüy quand il peut…                 Marquis, voyez ce que vous faites ;          J’aime en qui m’ose aimer, des volontez sujettes, Et qu’on m’estime assez, pour croire aveuglément, Que tout ce que je veux, je le veux justement.     Mon malheur est certain. J’ay de bons yeux, Madame, Vous cherchez un prétexte à rejetter ma flame ;             Si je desobeïs, ç’en est fait, plus d’espoir ; Et si de mon Rival… Moy, vous le faire voir ? Non, qu’il cherche luy-mesme à se faire connoistre, Ce ne sera jamais que trop tost, & peut-estre…     Suffit ; j’aime à sçavoir, Marquis, ce que je sçais ;             Vous m’osez refuser, & je m’en souviendray. Quoy que j’ignore encor quel spéctacle on appreste, Je puis vous préparez à quelque grande Feste,     Madame ; dans ce Bois j’ay veu des Gens épars,         Qui pour vous la donner, viennent de toutes parts.          Ils s’avancent vers vous.         Vous devez les attendre, Madame, & l’Inconnu ne sçauroit moins prétendre ; Il connoist mieux que moy ce que c’est qu’estre Amant, Par tout il vous régale.         Et toûjours galamment ; Du moins j’ay tout sujet d’en estre satisfaite.                 Vous pouvez l’écouter, voicy son Interprete. Madame, par hazard, si Comus est un Dieu         Qui soit de vostre connoissance,                             Vous le voyez en moy qui parois en ce lieu Pour vous jurer obeïssance.                         Je suis un grand Maistre en Festins, A les bien ordonner on connoist mon génie ;         Et l’amour dont le goust fut toûjours des plus fins,     Voulant en bonne compagnie Vous donner un Régal approchant des Divins,                 M’a fait Maistre d’Hostel de la Cerémonie. C’est un Dieu, quoy que tres-petit,                             A qui l’on peut céder sans honte :             Marchez sous sa conduite, & rendez-vous plus prompte A faire tout ce qu’il vous dit,                         Vous y trouverez vostre compte. Sur l’espérance des douceurs                                 Dont l’Amour doit combler nos s,     Quand une fois il s’en empare, Je suivrois volontiers ses pas :                     Mais comme il est Enfant, j’ay peur qu’il ne s’égare Et j’aime à ne me perdre pas.             Avancez, il est temps, Viste, que l’on commence.     Tant de Galanterie a droit de vous charmer, Madame.         N’épargner ny peine, ny dépense,             Pour fournir des plaisirs toûjours en abondance,     C’est là ce qui s’appelle aimer. Madame, il ne faut point différer davantage :     Quand l’Amour, dont je prens icy les intérests, Par ce Régal vous rend un tendre hommage,         Vous connoissez à quel usage                                 En sont destinez les apprests. Je ne veux pas les laisser inutiles,         Olimpe y prendra part ainsi que son Amant. Volontiers ; les refus sont assez difficiles,              Quand on agit si galamment. J’ay besoin d’une main, la vostre est-elle preste, Marquis ?         Vous vous moquez, je croy.     Non, vous me conduirez.         Je renonce à la Feste, Elle n’est pas faite pour moy.                         Point d’excuses, point de défaites, Je veux que vous veniez.     Eh Madame.         Eh Marquis, Sans façon, croyez-moy, faites ce que je vous dis ;     Vous vous montrez plus jaloux que vous n’estes. Justement.         Je connois vostre mieux que vous,          Et c’est si rarement que le trouble y peut naistre… Oüy, Madame, j’ay tort de paroistre jaloux, Car je n’ay pas sujet de l’estre.     On diroit qu’il sort en couroux. Il aura tout loisir de s’en rendre le maistre :             Cependant divertissons-nous.     Tandis que vous ferez une épreuve agreable Des douceurs que ces fruits offrent aux Curieux,     L’Amour qui m’employe en ces lieux, M’a fait chercher ce qu’il a crû capable              De pouvoir attacher vos yeux.                 Allons, faites de vostre mieux, Et qu’à l’envy chacun se montre infatigable. On voit avec plaisir de semblables combats         Qui ne font craindre pour personne.                      Il seroit mal-aisé qu’ils manquassent d’appas,     Quand c’est l’Amour qui les ordonne : Mais il est d’autres Dieux que moy, Qui se sont meslez de la Feste ; Vertumne y prend part, & je voy                     Qu’ainsi que Pomone il s’appreste A raisonner sur son employ. De quel chagrin, Pomone, as-tu l’ame saisie ?     Si Vertumne a des yeux doit-il le demander ? Je suis, quoy que Déesse obligée à céder ;     Puis-je le voir sans jalousie ?     Quand en faveur d’un Amant inconnu J’ay promis de venir régaler cette Belle,                 L’avois crû ne trouver en elle Que les appas d’une simple Mortelle, Pour qui l’Amour estoit trop prévenu ;                 Mais les Divinitez n’ont rien qui la surpasse, Il n’est éclat qu’elle n’efface,                 Et je viens d’avoir la douleur Qu’aupres d’elle mes Fruits ont changé de couleur.     Apres un tel affront puis-je estre sans colere ?     J’aurois la mesme plainte à faire.                 J’ay beau, comme Dieu des Jardins,                             Chercher à luy fournir toûjours des Fleurs nouvelles : Son teint en a de naturelles,     Dont l’éclat ternit mes Jasmins.     L’aveu que nous faisons augmente sa victoire. Le moyen de s’en dispenser ? Elle est toute charmante, il faut le confesser. Baissons donc nos voix, & chantons à sa gloire,                 Heureux, heureux l’Amant, dont la tendre langueur, Pour meriter son choix, aura touché son  ! Vous avez beau vous défendre,             Vous aimerez quelque jour A l’Amour,     Sans attendre, Pourquoy craindre de vous rendre ? Chacun lui cede à son jour. On n’ a point de plaisirs sans tendresse, Sans amour on n’a point de bonheur. Si d’un , En langueur, Les soucis partagez vous font peur,             Rendez-vous au beau feu qui le presse, Vous verrez qu’ils sont pleins de douceur. L’Amour est à suivre, Laissez-vous charmer ; Tout dois s’enflamer : Quel plaisir de vivre, Sans celuy d’aimer ? Les plus belles chaines Font voir mille peines A qui n’aime pas :             Mais quand on aime, Ce n’est plus de mesme,     Tout est plein d’appas. L’un & l’autre a la voix charmante. On auroit peine à mieux chanter.     La beauté de la Feste a passé mon attente. L’Inconnu l’ordonnant, aviez-vous à douter                 Qu’elle ne fust toute galante ? Hé bien, pour toucher vostre , Comus a-t-il sçeu satisfaire, En Dieu d’importance et d’honneur, A tout ce que l’Amour l’avoit chargé de faire ?                 Comus peut s’assurer par tout de son bonheur, Si Comus s’en fait un de plaire. Mais comme en Terre quelquefois                         La Divinité s’humanise, Le Dieu Comus pourroit m’apprendre à qui je dois              Le divertissement dont il me voit surprise. C’est un secret qu’à conserver     Ma qualité de Dieu m’engage.                             Si de ses soins l’Amour qui veut vous éprouver, Peut espérer quelque avantage,                         Il m’attend dans le Ciel où je le vay trouver, Employez-moy pour le message. Je ne m’explique pas ainsy,                             Je veux connoistre avant qu’entrer en confidence. Ma Suite est disparuë, & je suis seul icy.                 Bon-soir, vivez en espérance De sortir bientost de soucy. Se taire ! se cacher si longtemps quand on aime !     J’avois crû par l’un deux, en luy parlant tout-bas, Déveloper ce stratagéme.                     Mais apres quelques mots que peut-estre luy mesme, En les disant, n’entendoit pas, Il a, d’une vistesse extréme, Pour s’éloigner, doublé le pas. Pour moy je ne sçay plus qu’en dire.                     Le temps éclaircira l’amour de l’Inconnu, Un peu de patience.         Il faut tâcher d’en rire,     En attendant que ce temps soit venu. Nommez ce sentiment fierté, chagrin, caprice,     Quand je parle une fois, je veux qu’on obeïsse,                 Et je ne prétens point, parce qu’on est jaloux, Renoncer fortement aux plaisirs les plus doux, Des vœux de l’Inconnu si le Marquis s’offence,         Il en doit redoubler ses soins, sa complaisance ; Et trop faire éclater l’ennuy qu’il en reçoit,                 C’est servir son Rival beaucoup plus qu’il ne croit. En vain un peu d’aigreur contre luy vous anime ; L’Inconnu, je le sçay, partage vostre estime,         On ne peut condamner ce qu’il s’en est acquis, Mais enfin vous devez vostre au Marquis.                 Moy ? je ne luy dois rien.                             Et qu’a donc fait, Madame, Ce long & tendre amour qui vous soûmet son ame ? Pour vous rendre sensible il a tout essayé ;         Mille devoirs…         Hé bien, n’en est-il pas payé ? Comment, est-ce qu’à luy vostre foy vous engage ?             Il me voit quand il veut, que faut-il davantage ? Quoy, pour quelques soupirs, pour un peu de langueur, Vous croyez bonnement qu’il faut donner son  ?     S’engage qui voudra, je ne vay pas si viste, Avec tous mes Amans chaque jour je m’acquitte,             Et prétens que des vœux qui me sont adressez, Le plaisir de me voir les a récompensez. Tant qu’ils en usent bien, je leur fais bonne mine,     J’écoute leurs douceurs, prens mon humeur badine ; Je raille : mais aussi quand on fait un faux pas,             J’ay l’air sombre, je resve, & ne regarde pas, D’ailleurs point de caprice ; & c’est par où j’engage Cette foule d’Amans dont je reçois l’hommage :     Ma Cour est toûjours grosse, on y chante, on y rit ; Et quand l’un me déplaist, l’autre me divertit.             J’avois crû qu’au Marquis une secrette flame Assuroit, quoy qu’on fist, l’empire de vostre ame ; Et plaignois l’Inconnu, dont les soins amoureux     Ne pouvoient mériter qu’il fust jamais heureux. S’y prendre de la sorte est un grand avantage ;                 Il doit n’estre qu’esprit, tout ce qu’il fait engage ; Et sans doute il faudroit, quand on l’a sçeu charmer Se mal connoistre en Gens, pour ne le point aimer.     Je ne sçay si pour luy j’ai plus que de l’estime, Mais de ce que je sens je me fais presque un crime,             Et rougis en secret d’avoir tant de témoins Du trop de complaisance où m’engagent ses soins. Rien n’est plus obligeant, j’en dois chérir la cause, Mais enfin il se cache, & c’est pour quelque chose. Tout galant qu’il paroist, qui pourra m’assurer             Qu’il mérite l’amour qu’il tâche à m’inspirer ? Il est de Riches Sots, qui pour certains usages Tiennent un Bel Esprit quelquefois à leurs gages,         Et qui dans les Plaisirs qu’ils semblent inventer N’ont de part que l’argent qu’on leur a fait couster.             Que si tout au contraire il estoit geux ?         Madame, Tant de Festes d’éclat qui vous prouvent sa flame…     Il peut vivre d’emprunt, & sur le bien d’autruy     Faire, pour m’attraper, ce qu’il ne peut de luy : Malgré moy quelquefois cette crainte m’occupe ;             Je n’ay point encor eu le talent d’estre Dupe, Et pour m’en garantir, je n’épargneray rien.         Mais si vous connoissiez sa naissance, son bien,     Qu’a tout dans sa personne…         Et le Marquis ? De grace, Si j’aime l’Inconnu, que faut-il que j’en fasse ?                 Il n’est pas sans mérite, & doit estre écouté,     Par luy-mesme, ou du moins par l’ancienneté : De tout mes Protestans c’est le premier.                 J’avoue             Qu’il a des qualitez bien dignes qu’on le louë, L’air noble.             Qui des deux me conseilleriez-vous,             Puis que j’en ay le choix, de prendre pour Epoux ? Moy ?     Vous vous étonnez ?     Si…         Parlons d’autre chose. On vous trouve chagrine, aprenez-m’en la cause,     Le Chevalier s’en plaint, & ne sçait que penser De voir qu’il ne fait plus que vous embarasser.                 D’où naissent les froideurs dont son amour s’alarme ?     A ne rien vous cacher, la liberté me charme ; Je tremble, & s’agissant d’un Maistre à me donner, Un choix si hazardeux commence à m’étonner. Ce Maîstre à recevoir, dont le choix vous étonne,             Ne fait pas tant de peur, quand l’Amour nous le donne : C’est par nostre tendresse un mal bien adoucy. Hé, Madame pourquoy me parlez-vous ainsy ? Le trouble de vos yeux me fait beaucoup entendre ; Et quand le Chevalier…         Vous voulez m’entreprendre, Je quitte, & me sentant trop foible contre vous, Je vay chercher ailleurs des Ennemis plus doux. Elle a beau déguiser, je l’ay trop sçeu connoistre,     Elle aime le Marquis.         Cela pourroit bien estre.         Je n’ay point à m’en plaindre ; avant que s’expliquer,              Avec un autre Amant elle veut m’embarquer ; Et si jamais l’Hymen à l’Inconnu m’engage, Je luy dois du Marquis abandonner l’hommage.     Elle y gagneroit peu ; les Cœurs que vous prenez,         A soûpirer pour vous sont longtemps destinez,                 Et le Marquis…         Je croy, sans trop faire la vaine, Qu’à m’oublier si-tost il auroit quelque peine. Mais enfin l’Inconnu que je brule de voir,         Qu’en arrivera-t-il ?         Le voulez-vous sçavoir ? Un je-ne-sçay quel bruit a frapé mes oreilles,                 Que des Bohémiens font icy des merveilles : Si vous les consultez, peut-estre ils vous diront De quel costé vos vœux à la fin tourneront.     Envoyez-les chercher.         Sottise toute pure. Ils sont sçavans, dit-on sur la Bonne-Avanture.                 Par des Bohémiens éclaircir mon destin !     Comment ? Vous allez bien chez Madame Voisin ? En sçait-elle plus qu’eux ?         J’y vais par compagnie. Mon Dieu, comme à beaucoup, c’est là vostre manie. Les Femmes ont ce foible, on ne les peut tenir,             Elles courent par tout où se dit l’avenir : Et pour une réponse ou fausse, ou véritable, J’en sçay qui volontiers iroient trouver le Diable.     Les avertira-t-on ?         Fay ce que tu voudras. Vous en rirez.     He quoy, toûjours chagrin ?         Helas !         Madame, ignorez-vous les ennuis qu’on me donne ? On ne le voit que trop, Olimpe m’abandonne ;         Pour moy, pour mon amour, il n’est plus de secours.     Ecoutons les Amans, ils se plaignent toûjours : La moindre vision, un rien, une chimere,                 C’est assez, leur chagrin nous en fait une affaire. Nous sçavons mal aimer.             J’ay voulu comme vous Traiter de noir chagrin mes sentimens jalous ;                     Mais (& vous l’avez pû vous-mesme assez connoistre) Olimpe fuit si-tost qu’elle me voit paroistre :                 Mon amour n’offre icy que des vœux superflus ;     Depuis qu’elle est chez vous, je ne la connois plus. Si j’obtiens qu’un moment elle souffre ma veuë,     C’est un froid qui me glace, un dédain qui me tuë ; Et sur ce qu’à toute heure elle cherche à resver,                 Je soupçonne un Rival que je ne puis trouver. Qu’on est fou quand on aime !         Oüy, blâmez-moi, Madame. Quoy, vous ne sçavez pas ce que c’est qu’une Femme, Et que lors qu’elle veut mettre sa flame au jour, Ses inégalitez sont des marques d’amour ?                 Souvent elle est chagrine, incommode, bizarre, Pour voir à quoy contre elle un Amant se prépare, Et juger de son cœur par la soûmission             Où cette rude épreuve a mis sa passion. Pour vaincre ses froideurs, il parle, il presse, il prie ;             Et la paix succédant à cette broüillerie, Ce qu’il montre de joye à se racommoder, Acheve pleinement de la persuader.     Que je devrois chérir ce qui m’arrache l’ame, Si l’on n’avoit dessein que d’éprouver ma flame ?             Mais qui m’assurera qu’on me garde sa foy ? Qu’on ait le cœur touché de ma tendresse ?         Moy. Ne vous alarmez point, Olimpe est mon Amie ; Et quand vostre espérance encor mal affermie         Du succés de vos feux vous laisseroit douter,                 J’ay quelque droit icy de me faire écouter ; Ses chagrins passeront.         Vous me rendez la vie. Souffrez, lors qu’à l’espoir cette ofre me convie,         Que j’en marque ma joye, &…         Le transport est doux. Il ne me déplaist pas.         Que ne poursuivez-vous ?         Quoyque l’Usage ait mis les façons hors de mode,     Je me retireray, si je vous incommode. Vous le prenez d’un ton fort agreable.             Moy ?         Je me fië à mes yeux, & croy ce que je voy. Ce sont garants mal seûrs, & souvent l’apparence…              Ne dites rien, de grace, il faut voir ce qu’il pense. Ce que je pense ?     Hé bien ?         Que pourrois-je penser ? Il vous baisoit la main.                 Il peut recommencer Est-ce là tout ?         Quoy donc, je puis estre si lâche, Que de…         Continuez, j’aime assez qu’on se fâche.         Là, Monsieur le Marquis, emportez-vous, pestez, Je voudrois bien de vous oüir des duretez. Le respect me retient, malgre vostre injustice ;     Mais au moins avoüez qu’en deux ans de service Jamais à mon amour un traitement fi doux…             Hé bien, le cœur m’en dit plus pour luy que pour vous : Croyez-vous l’empescher, & vous en dois-je compte ? M’abandonner ainsi sans scrupule, sans honte,     Après que tout mon cœur…         Et quel engagement M’oblige de répondre à vostre attachement ?             De quels sermens faussez suis-je vers vous coupable ? Qu’ay je promis ? Vrayment je vous trouve admirable. Madame, permettez…         Non, voyons jusqu’au bout ; L’emportement est noble, il faut entendre tout. J’ay donc tort de me plaindre, & trop osé prétendre.              Vous me faites pitié.         Je n’y puis rien comprendre.         Tantost à vous oüir parler de l’Inconnu,             Je croyois que ses soins avoient tout obtenu,         Qu’à mon feu, de son cœur vous prefériez l’empire : Maintenant…         Croyez-vous n’avoir plus rien à dire ?              Non, Madame, sinon que j’avois mérité,     Pour prix de ma tendresse, un peu plus de bonté. Vous quittez l’Inconnu, vous me quittez moi-mesme ;     Et ce qui me confond, le Chevalier vous aime, Luy qui tantost chagrin, & d’Olimpe jaloux…                 Quoy donc, le Chevalier a de l’amour pour vous,         Madame ? Un si beau choix redouble mon estime, Et ce que vous valez le rend si légitime,             Que loin de l’en blâmer, je veux bien aujourd’huy Vous céder tous les droits que j’eus d’abord sur luy.         L’effort est genéreux.                         Et vous croyez, Madame… Est-ce une nouveauté, qu’une nouvelle flame ? Un pareil changement est glorieux pour vous,     Il marque…         En vérité, je vous admire tous.     Voila comme souvent sur de pures chimeres,                 Pour aller un peu viste, on se fait des affaires. De vostre froid accueil le Chevalier surpris, M’est venu demander raison de vos mépris ;     J’ay flaté son espoir, & rassuré sa flame,     Un vif transport de joye en a saisi son ame,                 Il m’a baisé la main, embrassé les genoux ; Le Marquis le voyant, s’en est montré jaloux. Vous l’avez entendu, voila toute l’histoire.     Quoy, c’est…                 Je vous conseille encor de n’en rien croire. Ne faites pas le fier de voir tout éclaircy,                 Je n’agis que pour moy lors que j’en use ainsy. Mais rien n’est débroüillé, si trop de défiance Vous fait toûjours tenir vostre choix en balance.     De moy, de l’Inconnu, qui le doit emporter ? Le Marquis a raison de s’en inquiéter ;                     Et l’éclaircissement que vous venez de faire, Ne vous rend pas à tous le repos necessaire, Puis qu’Olimpe, bien loin de m’aimer innocent,         Fait lire dans ses yeux l’ennuy qu’elle en ressent. Je n’ay point à répondre à qui se plaint sans’ cesse :             Mais voyez ce qu’icy le hazard nous adresse. Pour des Bohémiens, cet équipage est beau. On les a rencontrez qui venoient au Chasteau. Rien n’est si propre qu’eux.         La Bande est fort complete. Elle vaut bien la voir.         J’en suis tres-satisfaite.                 Nous ne faisons qu’arriver de Paris, Où pour avoir dit des nouvelles Assez agreables aux Belles,                                 On nous a fait présent de ces riches Habits ; Mais rien n’approche là de ce qu’on voit paroistre,              Où vos divins attraits cessent d’estre cachez :         Comme de tous les cœurs leur éclat se rend maistre, Souffrez qu’en l’admirant nous vous fassions connoistre     Combien nous en sommes touchez. La figure est galante.         Et fort bien ordonnée.                  Par tout où vous irez le prix vous est certain : Mais voyez cette belle main, Et nous dites à qui l’Amour l’a destinée. Puis que vous le voulez, il faut y consentir. Comme nous sommes Gens de qui la connoissance             Sçeut de l’erreur toûjours se garantir, C’est sur nous seuls qu’on doit prendre assurance, Les autres ne font que mentir.     Dans vos plus grands projets vous serez traversée, Mais en vain contre vous la brigue emploîra tout ;             Vous aurez le plaisir de la voir renversée, Et d’en venir toûjours à bout. Vous avez quelques fois de flateuses manieres     Qui feroient pour l’espoir un motif bien pressant, Si pour les balancer vous n’en aviez de fieres                 Qui le font mourir en naissant. Cette ligne qui croise avec celle de vie, Marque pour vostre gloire un murmure fatal :     Sur des traits ressemblans on en parlera mal, Et vous aurez une Copie Qui vous fera croire l’Original D’un honneur ennemy de la cerémonie. N’en prenez pas trop de chagrin : Si vostre Gaillarde Figure Contre vous quelque temps cause un fâcheux murmure,          Un tour de Ville y mettra fin, Et vous rirez de l’avanture. Vostre cœur est brigué par quantité d’Amans, Mais le premier de tous pouroit s’en rendre maistre, Si le dernier, sans se faire connoistre,                 Ne vous inspiroit pas de tendres sentimens : Cependant vous aurez beau faire, Mesme prix, mesme gloire est acquise à leurs feux, Vous les épouserez tous deux, C’est du Destin un Decret nécessaire.                 Tous deux !         Si pour constant ce Decret est tenu, Madame, du Marquis nous demandons la vie, Il vous a le premier servie : Quand vous serez Veuve de l’Inconnu, Vous pourez l’épouser, s’il vous en prend envie.                 Non, non, je prens sur moy le soin de démentir La nécessité du Veuvage Laissons-là tout ce badinage,                             Et songeons à nous divertir ;                             Point de mort, ny de marriage.                         Leur raport ne peut rien que sur les scrupuleux Qui s’en font un fâcheux augure. Et ces Enfants qu’ils menent avec eux, Disent-ils la Bonne-Avanture ? Croyez-vous qu’on nous mene en vain ?                     Si vous voulez, je vous diray la vostre. Je vous écouteray plus volontiers qu’un autre, Venez, j’abandonne ma main.         Pour découvrir plus à mon aise         Ce que j’y vois de plus caché,                         Avant toute autre chose, il faut que je la baise, C’est là ce que je mets toûjours à mon marché. Il peut garder son privilege, Sans qu’on songe à le contester. Il est doux de vous en conter,                         Mais il faut se garder du piege ; Vous estes fine, fine, & vous ne dites pas Tout ce que vous avez dans l’ame.                             Un Amant déclaré brule pour vos appas ; Mais comme un autre en secret vous enflame,             De ce premier, ma bonne Dame, Vous avez peine à faire cas. Vous le voyez, Madame, un Enfant vous accuse,     Condamnez mon jaloux dépit.         A faire un conte en l’air l’âge luy sert d’excuse,                 Il parle comme il peut, sans sçavoir ce qu’il dit. Pour moy, dont la science encor n’est pas si grande, Que de tout comme luy je puisse discourir Si vous me le voulez souffrir,                                 Je vay dancer la Sarabande.                     Voyons. Quel passe-temps plus doux pouroit s’ofrir ? Il faut aimer, c’est un mal nécessaire Quand le bel âge attire les Amours.     Qui fait la fiere Dans ses beaux jours, N’est pas toûjours Seûre de plaire. On court toûjours où brille la Jeunesse,             Ménagez bien cet aimable printemps. Pour la tendresse Il n’est qu’un temps, Et les beaux ans S’en vont sans cesse. Si l’Amour tost ou tard Nous met sous son empire, A ce qu’il désire Prenons quelque part, Et fuyons le martyre D’aimer par hazard. Choisissons un Cœur tendre, Fidelle, amoureux. Il est trop dangereux De se laisser surprendre ; Et pour trop attendre,         On est malheureux. J’admire également et la voix & la danse, Il n’est rien dont par là vous ne veniez à bout, Et vous méritez tous que par reconnoissance… Vous avoir divertie est une récompense     Qui nous doit tenir lieu de tout.     Mais je veux qu’un présent…         Non, Madame, de grace, Reservez vos présens, & nous laissez aller. Ils sortent.             Suivez-les, Virgine, & que l’on fasse     Tout ce qui se pourra pour les bien régaler. Pour des Gens de leur sorte, il n’est pas ordinaire         D’agir ainsi sans interest. C’est là ce qui n’arrive guére ;                             Mais n’ay-je point deviné ce que c’est ? Ils vous auront volée ; & dans la juste crainte De se voir sur le fait honteusement surpris,                 Leur genérosité peut-estre est une feinte Pour cacher ce qu’ils vous ont pris ;                         Ils ont la main subtile, & l’un d’eux, ce me semble, S’est assez approché de vous. J’ay peine. . Mais ô Ciel !         Seroit-ce un de leurs coups              Et vous ay-je dit vray ?                     J’en tremble. Non, c’est leur faire tort, qu’avoir ces sentimens, Mais voyez ce que je rencontre,                                 Un Billet, avec cette Montre. Quel éclat ! ce ne sont par tout que Diamans.             Puis que l’excès de ma tendresse Rend mes jours par vous seule ou plus, ou moins charmans, Souffrez que cette Montre, ô Divine Comtesse,                             Vous en offre tous les momens. Qu’elle avance, qu’elle demeure,                     Consultez-la souvent si mon feu vous est doux ; Quelque heure qu’elle marque, elle marquera l’heure Où vous m’aurez aupres de vous.         O Ciel, que de galanterie ! Jamais par cette voye a-t-on fait des présens ?                 Se servir pour cela des Gens Qui mettent à voler toute leur industrie ! Rappellez-les, allez.         Madame, il n’est plus temps,     J’ay descendu, couru, les ay priez d’attendre,         Ils n’ont rien voulu m’accorder.                         Mais la Montre, je la veux rendre. Pour moy, je la voudrois garder,             L’Inconnu le mérite, & tout ce qui se passe     Montre un cœur à vos loix si bien assujetty…     Vous estes fort dans son Party.                     Laissons-là l’Inconnu, de grace. Le Marquis est chagrin, d’avoir veu malgré luy Un Divertissement que son amour redoute ;     Il ne le croyoit pas de son Rival.             Sans-doute Je me ferois épargné cet ennuy.                     Il peut encor trouver lieu de s’accroistre, Mais faisons un tour de Jardin ; Et comme l’Inconnu cache trop son destin, Cherchons à le forcer de se faire connoistre ; L’Avanture embarasse, & j’en veux voir la fin.                 Ne me le cachez point, vous voila resoluë, L’Inconnu seul vous touche, & ma perte est concluë. Vous montrer de vostre ombre à toute heure jaloux,     Ce n’est pas le moyen de m’attacher à vous. L’Inconnu s’y prend mieux ; sans contraindre mon ame,          Par les plus tendres soins il fait parler sa flame, Et peut-estre ay-je tort de vouloir plus longtemps Que mon cœur se refuse à des feux si constans.     Hé bien, il faut ceder ; mais ce qui me console, Quand à vostre bonheur ma passion s’immole,             C’est qu’au moins je pourray, malgré mes feux jalous, Montrer qu’en vous aimant je n’ay cherché que vous. Je ne vous croyois pas l’ame si genéreuse. L’Inconnu vous mérite, il faut vous rendre heureuse. Le coup vous touchera plus que vous ne pensez.                 N’importe, vous vivrez contente, & c’est assez. En deux ans je n’ay pû réüssir à vous plaire ; Apres un mois de soins, l’Inconnu l’a sçeu faire ; Vostre panchant pour luy ne peut se démentir, Je voy qu’il vous emporte, il faut y consentir.                 Vous le dites d’un air si plein de confiance, Qu’il semble…         Je le dis, parce que je le pense. Un si beau sacrifice est digne d’un Amant ; Mais d’où vient que tantost vous parliez autrement ? Inquiet, alarmé, vous me faisiez un crime                 De ce que l’Inconnu m’avoit surpris d’estime. Le loüer, c’estoit faire outrage à vostre foy.     C’est qu’alors mon amour ne regardoit que moy ;     Il a veu son erreur ; & la secrette honte D’écouter pour luy-mesme une chaleur trop prompte,              L’a rendu si conforme à tout ce qui vous plaist, Qu’il fait de vos désirs son plus cher intérest.     C’est trop ; pour l’Inconnu je les feray paroistre ; Je dois chérir sa flame, & dés demain peut-estre, Puis que c’est pour vos vœux un spectacle si doux,             Vous aurez le plaisir de le voir mon Epoux. J’auray ce plaisir ?         Oüy, rien n’y peut mettre obstacle, Mon choix sera pour luy.         J’attendray ce miracle. Ainfi donc le voyant, d’abord vous l’aimerez ? Si je ne l’aime pas, vous m’en accuserez.                 Hé bien ? Olimpe ?         En vain ma passion se flate, Toûjours mesme fierté dans sa froideur éclate ; Et ce qui rend sur tout mon esprit abatu, C’est ce qu’elle m’a dit, & que je vous ay tû. Si je veux qu’elle soit favorable à ma flame,                 Il faut pour l’Inconnu que je touche vostre ame, Je ne puis estre heureux, s’il n’obtient vostre foy. Et contre le Marquis vous prenez cet employ ? C’est trahir l’amitié qui vous unit ensemble. A vous parler ainsi, je l’avoûray, je tremble,                 Et me tairois encor, si l’aveu du Marquis Ne m’autorisoit pas à ce que je vous dis. Seûr que rien ne peut nuire à son amour extréme, A satisfaire Olimpe il m’a porté luy-mesme, Et j’auray tout gagné, si je puis obtenir                     Que vos bontez pour moy la daignent prévenir. Dites-luy qu’envers vous j’ay tout fait pour luy plaire. Madame…         Je commence à percer le mystere ;     Olimpe au Chevalier fait paroistre à vos yeux Tout ce qu’a le mépris de plus injurieux ;                 A servir l’Inconnu son adresse l’engage ; Et loin de murmurer d’un si sensible outrage, A ce mesme Inconnu, faussement genéreux, Vous-mesme vous osez sacrifier vos feux ? Chevalier, je ne sçay si je me fais entendre,                 Mais le nœud de l’Intrigue est facile à comprendre ; Olimpe & le Marquis, l’un de l’autre charmez, Me craignent pour obstacle à leurs cœurs enflamez. Le Marquis aimeroit Olimpe ?         Moy, Madame, Vous le croyez ?         L’Ingrat ! il trahiroit ma flame !             Olimpe à qui mes soins tendrement attachez… Ah, si je le croyois…         Quoy, vous vous en fâchez ? Vous regretez un cœur que l’inconstance entraine, Vous en plaignez la perte ? Il n’en vaut pas la peine. Faites mieux, dédaignez ce manquement de foy ; On nous quitte tous deux, riez-en comme moy ; Vous m’en voyez déjà tellement consolée, Que si…         Des trahisons c’est la plus signalée. Le Marquis !                 A quoy bon ces mouvemens jaloux ? Je sors, pour ne me pas échaper devant vous :                 Mais en vain vostre exemple à souffrir me convie, Avant qu’il m’oste Olimpe il m’ostera la vie ; C’est à luy d’y penser.         Allez, ne craignez rien, Quelque emporté qu’il soit, je l’appaiseray bien. Pour Olimpe, je croy que l’on n’ignore guére                 Que j’ay quelque pouvoir sur l’esprit de sa Mere. Je l’employray pour vous ainsi que je le doy. Vous avez de la joye à mal juger de moy.     Je vous juge point mal, Olimpe est jeune & belle, Et quoi qu’on risque un peu d’aimer une Infidelle,             Elle a de quoy vous faire un destin assez doux, Mais je douterois fort qu’elle pût estre à vous. Moy ? je n’y prétens rien.         Mettons bas l’artifice. Madame, quelque jour vous me rendrez justice. Je vous la rens entiere ; & pour vous obliger,                 A choisir l’Inconnu j’ay voulu m’engager. C’est à quoy vous seriez peut-estre un peu moins promte, Si vous preniez l’avis de Monsieur le Vicomte. Le voicy qui paroist.         Hé’ bien, mon Raporteur ? J’ay pour le convertir, parlé mieux qu’un Docteur, Et n’ay pas, Dieu-mercy, mal employé mes peines. Il ne vous vuidera de plus de trois semaines, Et pour solliciter il vous donne le temps D’attendre le retour de nos deux Arcs-boutans : Par, là n’en doutez point, vostre affaire est gagnée. Je puis donc de Paris me tenir éloignée ? De Paris ? Vous avez, la chose allant ainsy, Encor quinze grands jours à demeurer icy ; Goustez-y les plaisirs que donne la verdure. Mais il faut vous conter quelle est mon avanture,             Voyez-m’en rire encor.         Cela ne va pas mal. Il n’est rien si plaisant.         Le franc Original ! Enfin cette Avanture ?         Elle est aussi gaillarde.     En rirez-vous toûjours ?         La chose vous regarde, C’est à vous là-dessus à vous l’imaginer.                  Devinez-la.             Jamais je ne sçeus deviner ; On me dit tout au long ce qu’on veut que je sçache. On croit duper les Gens, à cause qu’on se cache ;     Mais j’ay si bien tourné, que j’y suis parvenu. A quoy ?             Vostre Inconnu ne m’est plus inconnu.             M’auroit-il découvert ?         Vous pourriez le connoistre ? Moy, qui vous parle, moy.         Cela ne sçauroit estre. Non, parce qu’il vous plaist que cela ne soit pas. Son amour fait honneur sans doute à vos appas ; C’est, sans luy faire tort, une aussi franche Beste…             Comment ? vous l’avez veu ?         Des pieds jusqu’ à la teste. Il est basset, grosset, a les yeux hebétez. Mais où cette rencontre, & comment ?         Ecoutez.     Resvant à vos beautez dont j’avois l’ame pleine, Je me suis égaré dans la Forest prochaine,                 Et voulant accourcir, mon Cheval m’a mené Dans le sentier confus d’un endroit détourné. Quelques pas me montroient une Route tracée, J’ay suivy, tant qu’enfin une Tente dressée M’a fait appréhender le plus grand des malheurs ;             J’ay crû qu’elle servoit d’Auberge à des Voleurs. La peur prendroit à moins ; dans un Bois ! une Tente ! Tout-franc, la vision n’est point divertissante. Ainsi donc la frayeur a bien fait son devoir ? J’aurois esté fâché de mourir sans vous voir,                 Car pour du cœur, je crois que j’en avois de reste. Mais j’ay bientost sorty d’un doute si funeste ; Mon Cheval tout-à-coup s’élançant malgré moy,     J’ay connu mon erreur, & ry de mon effroy. Au lieu de Mousquetons, j’ay veu dans cette Tente             Les apprests différens d’une Feste galante ; Et ceux qui la gardoient, de mon abord surpris, Parloient certain jargon, où je n’ay rien compris. C’estoient, pour la plûpart, visages à la Suisse ; Chacun, selon son rôle, avoit là son office ;                 L’un, d’un Bohémien quittoit l’habillement ; L’autre, d’une Coiffure ajustoit l’ornement ; Force mains autour d’eux paroissoient occupées     A noüer des Rubans sur des branches coupées. J’ay dans un certain coin remarqué le débris                 D’une Colation qui valoit bien son prix, Grands Citrons, Fruits exquis, Confitures choisies. J’ay veu des Violons, des Lustres, des Bougies, J’ay veu…là, des…enfin j’ay tant veu, que jamais On n’eut tant d’attirail dans les plus grands Balets.             J’ay donné droit au but, & deviné l’affaire. Mais pour mieux m’éclaircir, panché vers l’un deux ; Frere, Ay-je dit, n’a-t-on pas preparé tout cecy Pour un certain Chasteau qui n’est pas loin d’icy ? Je l’embarassois fort, il ne sçavoit que dire ;                 Mais c’estoit dire assez, que se taire & soûrire. Je luy serrois toûjours le bouton de fort prés, Quand, comme si la chose eus testé faite exprés,     Ce Grosset, ce Basset, commençant à paroistre Vous estes curieux, parlez à nostre Maistre,                     Le voila, m’a-t-il dit, tout-à-propos venu. N’ayant point à douter qu’il ne fust l’Inconnu, J’ay contemplé longtemps sa grotesque figure : Il avoit sur son nez jetté sa chevelure ; Et pour embarrasser mon curieux soucy,                 Sous une fausse-barbe il cachoit tout cecy. Alors plein d’un chagrin que d’assez justes causes… Madame, pardonnez si j’ay poussé les choses ; Quand on voit qu’un Rival cherche à se rendre heureux, Et qu’on peut l’épargner, on n’est guére amoureux.             Et qu’avez-vous donc fait ?         Ce que j’ay fait ? Silence, Je diray tout par ordre, un peu de patience. J’ay demandé d’où vient qu’il campoit dans ce Bois ? Pourquoy la fausse-barbe ? Enquis deux & trois fois, Et pressé de parler, plus il se vouloit taire ;                 Pourquoy je campe icy ? qu’en avez-vous à faire ? C’est mon plaisir, m’a-t-il sottement répondu. Alors d’un grand coup d’œil qu’il a bien entendu,     Luy marquant fiérement que je l’allois attendre,     Je me suis éloigné.         C’estoit fort bien le prendre.             Me battre là ! par tout j’aurois esté blâmé, Il avoit vingt Valets qui m’auroient assommé. Il est bon quelquefois de voir comme on se fâche. Et qu’est-il arrivé ?         Je n’ay trouvé qu’un lâche, Qu’un farouche Animal, sans cœur & sans vertu,             Qu’un…cela fait pitié.         Vous l’avez donc batu ?     Vous me la baillez bonne ; il s’est en Beste fiere Tenus clos & couvert toûjours dans sa taniere ; Et moy, m’estant lassé de l’attendre à l’écart, D’un coup de Pistolet j’ay marqué mon depart.                 C’est pousser la bravoure aussi loin…         Sur mon ame, Tout y va, quand il faut dégainer.         Ah, Madame, J’ay trouvé l’Inconnu.     Vous ?                     Oüy moy, dans ce Bois. Justement.         Vous sçavez que j’y vais quelquefois. Le plaisant Personnage ! il vous a bien fait rire.                         Luy ?     Sans-doute, écoutez ce qu’elle va vous dire. Jamais je n’ay rien veu de si…         Tranchez le mot ? De si beste ?     Comment ?         Quoy, ce n’est pas un Sot ? Quels contes vous fait-il ?         Ecoutons-la de grace. Qu’elle parle à son aise, apres je retiens place.             Vous aurez audiance à vostre tour.             Tant-mieux. J’ay peine à croire encor au raport de mes yeux. Je resvois dans le Bois, quand pour joüir de l’ombre M’avançant lentement vers l’endroit le plus sombre, Je trouve un Cavalier, qui surpris de me voir, Me rend d’un air civil ce qu’il croit me devoir. Quels traits pourront suffire à luy rendre justice ? Peignez-vous Adonis, figurez-vous Narcisse,                         Et tout ce que jamais on vanta de plus beau, C’est ne vous en offrir qu’un imparfait tableau.             Je voudrois l’ébaucher, & n’en suis point capable ; Il a le port divin, la taille incomparable, Et le Ciel pour luy seul semble avoir reservé Ce qu’il eut de plus rare & de plus achevé. Il marchoit tout resveur, & m’ayant apperçeuë,                 Il a voulu d’abord se soustraire à ma veuë : J’en ay compris la cause ; & pour ne perdre pas L’heureuse occasion de sortir d’embarras,     Je voy par quel soucy vous suivez cette Route, Une aimable Comtesse en est l’Objet sans doute, Ay-je dit. A ce nom surpris, troublé, confus, Il m’a parlé longtemps en termes ambigus. J’ay remis le discours sur l’aimable Comtesse, Et ménagé son trouble avecque tant d’adresse, Que trahy par luy-mesme, il n’a pû me cacher                 Qu’il estoit l’Inconnu que vous faites chercher : Mais son nom est encore ce qu’il s’obstine à taire ; J’ay voulu l’amener, & je ne l’ay pû faire, Il ne paroistra point, qu’il ne puisse juger Que son attachement ait sçeu vous engager.                 Sa conversation ravit, enchante, enleve, Sa personne commence, & son esprit acheve. Que ne m’a-t-il point dit du bonheur qu’il se fait, De ressentir pour vous l’amour le plus parfait ? Ses manieres en tout sont douces, agreables ;                 Et si nous nous trouvions encor au temps des Fables, Je croirois que pour vous quelque Dieu tout exprés Seroit venu du Ciel habiter ces Forests. Quand pour un tel Amant on prend de la tendresse, Si c’est foiblesse en nous, l’excusable foiblesse !                 Vous peignez assez bien, le Portrait n’est pas mal, Les traits beaux, mais neant pour son Original. J’ay veu l’Inconnu, moy, le vray, ce qui s’appelle L’Inconnu Régalant ; le vostre, bagatelle, C’est un Fourbe qui veut causer de l’embarras.                 Tout Rival est suspect, on ne vous croira pas. Mais le Vicomte a veu des marques de la Feste ; Les mesmes Gens qu’icy…         J’ay veu de plus la Beste, Le tres-vilain Monsieur…             Il ne sçait ce qu’il dit. Soit qu’on s’attache au Corps, soit qu’on cherche l’Esprit,         L’Inconnu passe tout ce qu’il faut qu’on attende… Madame.     Que veut-on ?         Un Monsieur vous demande. Voyez qui c’est, Virgine & l’amenez icy. Je n’iray pas bien loin, Madame, le voicy. Ayant plus d’une fois eu l’honneur de paroistre                 Devant Leurs Majestez, je croirois mal connoistre     Ce que l’on doit, Madame, à vostre qualité, Si m’estant pour ce soir dans le Bourg arresté, Je ne vous venois pas faire la revérence. Je suis fort obligée à vostre complaisance;                 Mais ne sçachant à qui…             Je suis Comédien, Madame. Ah, Serviteur, ne vous manque-t-il rien         Pour nous pouvoir icy donner la Comédie ? Non, Monsieur.             Il faudroit quelque Piece applaudie, Où l’employ des Acteurs répondist…         Laissez-nous             Le soin de la choisir.         Et Circé, l’avez-vous ? Nous Circé ? Non, Monsieur, Paris seul est capable… Les Singes m’y charmoient, leur Scene est admirable.     C’est là le bel endroit.         Il plaist à bien des Gens. Et comment joüerez-vous ?             Avec des Paravents.              Un moment suffira pour dresser un Théatre. La Comédie enchante, & j’en fus idolâtre. J’en voudrois retrancher ces grandes Passions ; On y pleure, & je hais les Lamentations. Vous estes gay.         Jamais aucun chagrin en teste,     Je ris toûjours.         Tandis que la Troupe s’apreste, Nous avons parmy nous des Voix dont on fait cas ; Vous plaist-il les oüir ?         Qui ne le voudroit pas ? Ce début de Chanteurs servira de Prologue. Avancez, vous allez entendre un Dialogue             Dont j’ay veu jusqu’icy tout le monde charmé. Voyons ce Dialogue.         Il est fort estimé. Quoy, vous aimez ailleurs ? vous pouvez me haïr ?         A des ordres cruels vous voulez obéir, Et sans pitié de l’ennuy qui me presse, Vous oubliez cette tendresse Que vous m’avez juré de ne jamais trahir ? Vous gardez le silence ? ah c’est assez me dire,     Ma mort est resolue. Hé bien, il faut vouloir Ce que vostre rigueur desire.                             C’en est fait, je me meurs, j’expire, Goustez le plaisir de le voir. De grace, moderez vos plaintes, Je n’ay pas moins d’amour que vous, Et la mesme douleur dont vous sentez les coups,                 Porte sur moy les plus vives atteintes ; Elle m’abat, elle m’oste la voix, Et ne peut rien sur ma tendresse.     Quoy, toûjours dans mon sort l’amour vous intéresse ? Vous avez merité mon choix ;                         Et si c’est le seul bien qui touche vostre envie, Rien ne vous devroit alarmer, Quand on a commencé d’aimer : N’aime-t-on pas toute sa vie ? Ah, puis que toûjours vostre cœur                     Est le prix du beau feu qui regne dans mon ame, Tout doit ceder à mon bonheur. Vous avez douté de ma flame. Helas ! m’en pouvez-vous blâmer ? Ma foy vous répondoit de mon amour extréme.                 Qui ne craint point de perdre ce qu’il aime, Sçait peu ce que c’est que d’aimer. Aimons-nous à jamais, aimons ; & si l’envie Qui s’oppose à des feux si doux, Nous condamne à perdre la vie, Mourons en disant, aimons-nous. Il n’est guére de Voix plus douces, ny plus nettes. D’accord, mais quant à moy, vivent les Chansonnettes ; Aux Airs trop sérieux je prens peu de plaisir. Ils en sçavent de gays, vous n’avez qu’à choisir.                 Allons, Voyons un peu comme ce Gay s’entonne ; Nostre jeune Mourante a la mine friponne. Ҫa, point de tons dolens, je ne les puis soufrir ;     Sur tout plus de Mourons, j’en ay pensé mourir. Quand l’Amour nous attire,                         Les maux sont dangereux, Qu’on souffre en son empire ; Mais si l’on en soupire, Un seul moment heureux Repare le martyre                                 Des Cœurs bien amoureux. Il est des Inhumaines Qui d’un cœur enflamé Laissent durer les peines, Ce sont de rudes gesnes ;                             Mais d’un Amant aimé Plus on serre les chaines, Plus il en est charmé. Voila mon amitié.         La Chanson est jolie.         Mais en chantant toûjours, le Théatre s’oublie.                 J’en auray soin.         Allons-y faire travailler, Et leur choisir un lieu commode à s’habiller. Si j’ay de l’Inconnu vanté l’amour extréme, Vous n’en devez, Marquis, accuser que vous même Je ne l’aurois pas fait, si vous ne m’aviez dit                  Que cet amour n’a rien qui vous gesne l’esprit, Et que las d’étaler une vaine tendresse, Vous luy verriez sans peine épouser la Comtesse. Madame, je l’ay dit, & ne m’en dédis pas, Leur union pour moy ne peut manquer d’appas,             Je trouve en cet Hymen tout ce que je souhaite ; Mais pour m’en rendre encor la douceur plus parfaite, J’ose vous demander une grace.             Parlez, Je veux dés ce moment tout ce que vous voulez. Vous servez l’Inconnu ; promettez-moy, Madame,             Qu’après que la Comtesse aura payé sa flame, Vous prendrez un Epoux de ma main.         Doutez-vous     Que je n’en fasse pas mon bonheur le plus doux ? Je crains quand vous sçaurez…         Cette crainte est frivole ; Fiez-vous-en à moy, je vous tiendrai parole ;                 Et pour pouvoir plutost répondre à vos desirs, L’Inconnu n’a que trop poussé de vains soûpirs. Je veux que dés demain la Comtesse le voye. Mais par où l’informer…         J’en trouveray la voye,     Il n’est pas difficile, & si j’en juge bien,                     Le Comus de tantost fait le Comédien. A la taille, à la voix, j’ay crû le reconnoistre ; Je prétens luy donner un Billet pour son Maistre, Qui luy fera sçavoir, que galant, amoureux,     Il n’a qu’à se montrer, pour devenir heureux.                 Mais si de son Portrait la Comtesse ébloüie, Se plaint, en le voyant, d’avoir été trahie ? Car vous aurez plus dit…         Il est vray, j’ay voulu         Fixer en sa faveur son cœur irrésolu : Mais un Homme galant remplit toûjours sans peine             L’attente qu’en fait naistre une estime incertaine, Et la Comtesse en luy…         Parlons sans le flater.     Luy trouvez-vous assez dequoy la mériter ? Est-ce un Homme si rare, & pour qui la Nature… Ne m’en demandez point une exacte peinture,                 Il suffit que dans peu le succès fera foi Que vous avez sujet d’estre content de moy. Je le connois, Madame, & ne puis trop vous dire… Vous sçavez quel Billet j’ay résolu d’écrire, Avant la Comédie, il est bon qu’il soit prest. Quittons-nous un moment.         Je veux ce qui vous plaist. Olimpe s’abusant, vous en estes coupable.     Mais je ne luy dis rien qui ne soit véritable. Voy ce qu’à l’Inconnu, pour haster son espoir, Par nos Comédiens elle faisoit sçavoir.                     POUR LE GALANT INCONNU. Vos manieres pour nostre aimable Comtesse sont si engageantes, que je n’ay pû me defendre d’entrer dans vos interest . J’ay feint que je vous avois rencontré dans le Bois, où vous m’aviez fort exageré la passion que vous avez pour elle, & j’en ay pris occasion de faire de vous une peinture qui ne vous a pas nuy dans son cœur. Il est à vous si vous vous hastez de le venir demander. Profitez de l’avis que je vous donne. Il m’est important que vous ne diferiez point davantage à vous découvrir, & vous devez peut-estre assez au soin que je prens de faire reüssir vostre amour pour faire au plutost ce que je souhaite. C’est là contre soy-mesme employer son adresse. Je l’en plains, mais dy-moy, que pense la Comtesse. Tout ce qu’on peut penser dans un dépit jaloux.     Elle en a mieux senty l’amour qu’elle a pour vous ; Et quoy qu’elle déguise en quel trouble la jette             L’ardeur que vous montrez de la voir satisfaite, Elle ne peut soufrir le feint détachement Qui semble la céder aux vœux d’un autre Amant. Ainsi ne doutez point que vous montrant pour elle, Contre son espérance, & galant, & fidelle,                 Elle n’accorde enfin à de si tendres feux, Le doux consentement qui vous doit rendre heureux. L’ordre est déjà donné pour me faire connoistre ;     Apres ce qu’on a sçeu, je dois enfin paroistre. Malgré moy dans le Bois on iroit rechercher                 Des véritez qu’en vain je prétendrois cacher ; On sçait par le Vicomte où la Tente est dressée. Nostre Chevalier ?                 Sa colere est passée, L’Amour par l’espérance est bien-tost adoucy. Il a pû voir pourtant qu’Olimpe…         La voicy.             Laisse-nous un moment.             Ma joye est sans seconde, Marquis, & grace au Ciel tout va le mieux du monde. Nostre Comédien, comme je l’avois crû, S’est trouvé l’un de ceux qui servent l’Inconnu ; Il a pris mon Billet, & l’envoye à son Maistre,                 Seûr, dit-il, que demain il se fera connoistre. Le terme n’est pas long.         Pour moy, j’ay suposé Qu’il a suivy la Troupe en habit déguisé. L’entreprise pour luy ne seroit pas frivole. Si dans la Comédie il avoit pris un Rôle ?                 Mais vous en connoissez le visage ?         Il ne faut Qu’un leger changement pour me mettre en defaut. Qu’il vienne, c’est à luy de se tirer d’affaire.     Je ne parleray point, & le laisseray faire ; Mais s’il est bien reçeu, vous empescherez-vous,     Quoy que vous m’ayez dit, d’en paroistre jaloux ? Madame…         Il ne vous faut que deux mots de tendresse,     Pour faire de nouveau balancer la Comtesse, J’en crains dans vostre cœur le dangereux retour. Non, si de l’Inconnu je traverse l’amour,                 Me punisse le Ciel ; mais j’ay bien lieu de craindre Que de moy son bonheur ne vous porte à vous plaindre, Et qu’apres son hymen vous n’accusiez ma foy… Répondez-moy de vous, je vous répons de moy, Mais la Comtesse vient.     Si mon cœur…         Je vous prie,             Point d’amour aujourd’huy, voyons la Comédie. Sont-ils prests à joüer ?         Ils repassent leurs Vers ; S’ils n’ont un peu de temps, tout ira de travers. Avant que de les voir, si vous m’en voulez croire,     Nous souperons ; je sçay quelques Chansons à boire,              Où le Verre à la main, je vaux mon pesant d’or, Dieu me damne. Apres tout, la joye est un Trésor, J’en fais provision en quelque lieu que j’aille. C’est bien fait.         Vous ferez Chorus, vaille que vaille, Je donneray le ton.     Quelle cervelle !         He’ bien,             Avance-t-on ? vos Gens n’ont-ils besoin de rien ?     Je viens demander grace encor pour nos Actrices, Leurs Coifures toûjours sont pour moy des suplices, Jamais elles n’ont fait : j’en suis au desespoir. Laissons-leur tout le temps qu’elles voudront avoir.             Vous aurez bien choisy ? La Piece…         Sera bonne. Qui l’a faite ?         Jamais nous ne nommons personne. Nous voulons, si l’Ouvrage a quelque Approbateur, Qu’il l’ait pour son mérite, & non point pour l’Autheur ; Par là point de cabale ; on condamne, on approuve,             Selon ou le mauvais, ou le bon qui s’y trouve. Quelquefois à Paris telle Piece fait bruit, Dont l’éclat en Province aussitost se détruit. Il peut avoir raison.             Bon, est-ce qu’en Province On a le sens commun ? Ce sont Gens d’esprit mince.              A dire leurs avis s’ils sont trop ingénus, Leurs sufrages du moins ne sont point retenus ; Point d’extases chez eux pour une bagatelle. La Piece d’aujourd’huy comment se nomme-t-elle ? L’Inconnu.     L’Inconnu ?         Si c’éstoit le Grosset,                 Madame ?         C’est Psyché, grand & pompeux Sujet. Tant-pis, le sérieux en moins de rien m’ennuye. Et n’y joindrez-vous point quelque Crispinerie ? J’aime tous les Crispins.         Vous en aurez le choix. J’ay veu le Medecin, je croy, plus de cent fois.                 Ce Pendu qu’on étend sur la Table, il m’enchante. C’est avecque justice.         Et cet autre qui chante, Fa, sol, fa, sol, fa re, mi, fa. Quand il entonne ainsi son re, mi, fa, je ris… Vrayement.         Il a toûjours ses endroits favoris. Pour ne point perdre temps, voulez-vous que je fasse             Mettre icy le Théatre où j’ay marqué sa place ? On dit qu’il est joly voyons.         Nostre Chanteur A quelque Scene à faire avant que d’estre Acteur, Vous la pourrez entendre, elle est preste. Allons viste, Ouvrez, & que chacun de son employ s’acquite.                 L’Invention est drole ; un Theatre roulant ! J’admire de le voir si propre, si galant. La Décoration en est bien entenduë. Sans-doute, elle a dequoy satisfaire la veuë. S’ils prenoient le Marais que la Roque a laissé,         Les Troupes de Paris auroient le nez cassé. Amour, à qui tout est possible, Enflame, anime tout ; & pour mieux faire voir Qu’il n’est rien pour toy d’invincible, Fais aimer cette Insensible                             Qui se rit de ton pouvoir. L’Amour punit les Cruelles,  Aimez pour fuir son couroux. Que pourroit servir aux Belles D’avoir des charmes si doux,                          S’ils n’estoient faits que pour elles ? Tous deux ensemble. L’Amour punit les Cruelles , Aimez pour fuir son couroux. Soyez tendres & fidelles, Il s’armera contre vous,                             Si vous faites les rebelles.     Tous deux ensemble. L’Amour punit les Cruelles, Aimez pour fuir son couroux. On nous trompe, & jamais Comédiens qui passent N’eurent cet appareil.         Ceux-cy vous embarassent ?             Non, je voy bien que c’est un Regal concerté, La Feste finira par cette Nouveauté. Mais enfin les Acteurs que l’on nous fait connoistre, Comédiens, ou non, commencent à paroistre, Il faut les écouter.         Soyons donc écoutans ;                 Mais j’en tiens, s’il les faut écouter bien longtemps. Quoy, tout-de-bon, vous estes en colere D’un secret qui ne peut encor se revéler ? Oüy, c’est m’offencer, que se taire, Quand je cherche à faire parler.                     Il n’est intention meilleure que la mienne ; Si vos desirs ne sont pas exaucez, C’est qu’un ordre d’Enhaut…         Il n’est ordre qui tienne,     Je prie, & ce doit estre assez. Encor n’est-ce pas un grand crime                     De vous cacher le nom de l’Amant de Psyché, Quand vous voyez que l’amour qui l’anime A chercher à luy plaire est sans cesse attaché.     Tout ce qui peut charmer les yeux & les oreilles, Se prodigue pour elle en ces aimables lieux,                 Et jamais…         Oüy, ce sont merveilles sur merveilles,             Mais nostre Sexe est curieux.                             C’est peu pour nous de voir des Festes ordonnées Avec un éclat sans pareil. On compte à rien leur superbe appareil,                 Si l’on ne sçait par qui ces Festes sont données.     Que prétend un Amant tant qu’il est inconnu ?     Sur le secret d’autruy je n’ay rien à vous dire ; Quant au mien, on ne peut estre plus ingénu, Et dés qu’avecque vous je suis icy venu,                     Je vous ay découvert qu’on me nommoit Zéphire. Vous estes du nombre des Vents, Nous l’avons assez veu, quand par l’air enlevées Avec vous en ces lieux nous nous sommes trouvées ; Mais pour Zéphire, je prétens                         Par tout ce que de vous vous me faites connoistre, Que vous ne l’estes point, & ne le sçauriez estre.     Je ne suis point Zéphire ! & d’où vient ?         En tous lieux Zéphire se fait voir doux, complaisant, traitable, Et vous estes des Vents le plus inéxorable,                 Ou Borée, ou quelque autre encor moins gratieux.     Vous voulez que je sois Borée ? Adieu, je vay soufler si froidement pour vous, Que vous aurez sujet d’en croire le couroux Qui contre moy vous tient si déclarée.                     D’où vient, quand on me voit, que l’on vous quite ainsy ? Je suis broüillée avec Zéphire ; Je l’avois prié de me dire Le nom de l’Inconnu qui nous met en soucy : Sur ses refus j’ay perdu patience,                     Et me suis échapée à quelques mots d’aigreur. Croyez-moy, vous cherchez, ma Sœur, Une fatale connoissance. Pour quoy ce desir curieux ? Manquons-nous de plaisirs & de galantes Festes,             Depuis qu’avec Psyché nous habitons ces lieux ?     Et quand vous aprendrez qui les tient toûjours prestes, Prétendez-vous en estre mieux ? Il est fort naturel de chercher à connoistre Un Amant qui s’obstine à se tenir caché.                 Mais s’il est connu de Psyché, Voyez-vous quel mal en peut naistre ? Sa main payera des feux si tendres & si doux, Et par leur paisible hymenée, La Feste aussitost terminée                         Ne charmera plus que l’Epoux. Alors, où pour nous, je vous prie, Seront & les jeux & les ris ?  Car enfin fole est qui s’y fie. Quand les Amants sont Marys,                         Adieu la Galanterie.     Non, l’Inconnu doit estre né Pour s’en faire toûjours un plaisir nécessaire ; Et son amour par l’Hymen couronné, N’aura pas moins d’ardeur de plaire.                     Si vous me répondez que Mary comme Amant,     Nous le verrons toûjours le mesme, Je sçauray son secret.         Vous le sçaurez ! Comment ? Est-ce que Zéphire vous aime ? Le beau sujet détonnement !                         Croyez-vous sa conqueste une si grande affaire ? Et quand on me voit plus d’un jour, N’ay-je pas assez dequoy plaire Pour mériter un peu d’amour ? Voila toûjours vostre folie,                         La plus Belle jamais n’eut tant de bonne foy. Je ne suis si l’on veut, ny belle, ny jolie, Mais j’ay certains je-ne-sçay-quoy Qui me font préferer à la plus accomplie. Vous le croyez ?         Si je le croy ?                         Avec mon humeur enjoüée, Je fais faire naufrage à qui m’en vient conter ; Et dés qu’on a pû m’écouter, C’est une franchise échoüée :                             Mais quand je trouverois Zéphire indifférent,                 Le pressant de parler, s’en pourroit-il défendre ? C’est la manière de s’y prendre, Qui fait qu’un obstiné se rend. Le voicy, laissez-moy, s’il vous voit éloignée, Il me viendra soudain faire icy les yeux doux.                 Ce sera pour Psyché, s’il s’explique avec vous, De l’inquiétude épargnée. J’en attens le succés, adieu. A la fin, ta Compagne a quité la partie.             Pour te voir, proche de ce lieu                         J’attendois qu’elle fust sortie. Je me souviendray quelque temps Qu’elle a tantost osé me traiter de Borée. Sçais-tu qu’il est certains instans                             Où moy-mesme de toy je suis mal assurée ?                 Tu t’en nommé Zéphire icy, J’en doute à voir ta toille.         Alors que je t’adore, De cette verité tu peux estre en soucy ?     De grace, estois-tu ainsy Lors que tu soûpirois pour Flore ?                 J’estois fort délicat, & le ferois encore, Mais le temps m’a tout épaissy. Tu pourrois bien m’avoir trompée,                             La Jeunesse a souvent trop de crédulité, Et l’amour dont pour toy je suis préoccupée…                 Non, foy de Vent d’honneur, j’ay dit la vérité Je suis Zéphire.         Hé bien, je le veux croire. Mais quant à l’Inconnu, son nom ? regarde-moy. J’ay promis à Psyché de le sçavoir de toy. Je dois tenir parole, il y va de ma gloire.                     Ne me presse point là-dessus, J’ay des raisons…             Pures chimeres ! Je ne sçaurois parler.         Abus, Tu m’aimes ; s’il me faut essuyer tes refus, Tu n’es pas bien dans tes affaires.                     Je prendrois grand plaisir à ne te rien cacher ; Mais veux-tu, parce que je t’aime, Que l’Inconnu me vienne reprocher Que ma langue ait fait tort à son amour extréme ? C’est de tous les Amans le plus passionné,                 Rien ne sçauroit égaler sa tendresse ; Mais il veut estre seûr du cœur de sa Maistresse, Avant que son secret luy soit abandonné. Qu’il ne craigne rien, Psyché l’aime, Tant de soins de luy plaire ont vaincu sa fierté.                 Si tu me disois vray, me voila bien tenté. N’en doute point je le sçay d’elle-mesme. Mais enfin je commence à prendre pour affront Une si longue resistance. Attens, pour ne rien faire avec trop d’imprudence,             Il est bon que l’Amour me serve de Second. Quoy, l’Amour déguisé parmy nous !         Que t’en semble ? Je voy bien que c’est luy qui commande en ces lieux, Et cours dire à Psyché…         Non, Cephise, il vaut mieux Que nous l’allions trouver ensemble.                     J’attens tout de l’Amour, s’il daigne s’en mesler. Madame, puis qu’il faut enfin que l’on vous die… A moy ? cela n’est pas de vostre Comédie. Vous estes la Psyché dont nous voulons parler ;     L’Amour en est croyable ; & quand je vous l’amene… Oüy, Comtesse, l’Amour vous veut tirer de peine,     Et du Ciel tout exprés il est icy venu Pour finir l’embarras où vous met l’Inconnu. Chacun depuis longtemps aspire à le connoistre. Je n’ay qu’à dire un mot, vous le verrez paroistre.             L’Amour peut sans scrupule user de son pouvoir.     Il faut donc me haster de vous le faire voir ; Regardez ce Portrait.         Si rien ne le deguise,     Vous y verrez des traits…Vous en estes surprise. Hé bien, a-t-il l’air bon ? qu’en dites-vous ?         Je dis…             Voyez.     C’est le Marquis.     Le Marquis ?         Juste Ciel ! Quoy, c’est vous, dont l’adresse cachée Cherchoit à me toucher ?         En estes-vous fâchée ? Je ne m’étonne plus si vos feux trop soûmis Aux vœux de l’Inconnu laissoient l’espoir permis.             Tant d’amour ne peut-il mériter de vous plaire ?     Ne vous rendez-vous point ?         C’est une grande affaire. D’ailleurs deux Inconnus…         Je n’en dois craindre rien ; L’Inconnu du Vicomte est le Comédien, Il ne s’est pas trop mal acquité de son Rôle.                 Il est vray, je cherchois le son de sa parole, Et sur Monsieur Grosset je me remets sa voix. Et l’Inconnu qu’Olimpe a trouvé dans le Bois ?     J’ay dit ce que j’ay veu, sans sçavoir davantage. Quelque Amy du Marquis a fait ce Personnage ;                 Pour l’Inconnu par elle il vouloit vous toucher. Qui l’auroit crû qu’en vous il l’eust falu chercher ? Non, ne m’en croyez pas ; mais, aimable Comtesse, Croyez-en ce Présent que m’a fait la Jeunesse. C’est là mon Diamant, vous estiez destiné                 A recevoir enfin la main qui l’a donné ; Il est juste, & j’en fais le prix de vostre flame. O bonheur qui remplit tous mes vœux ! à Olimpe. Mais, Madame, Vous souvenez-vous…         Oüy, je ne puis oublier Que je vous ay promis d’aimer le Chevalier ;                 Vous avez de l’honneur, c’est assez vous en dire.     Doux & charmant aveu qui finit mon martyre ! Madame, je puis donc prétendre à vostre foy ? Si ma Mere y consent, répondez-vous de moy ? Je vous voy là tous quatre en bonne intelligence.                 Et moy, que devenir ?         Vous prendrez patience.     Oüy, de mes pas pour vous c’est donc là le succés ? Se charge qui voudra du soin de vos Procés. Adieu.         Le prendrez-vous, Marquis ? il vous regarde. Que ne ferois-je point ?             La retraite est gaillarde.             C’est un Extravagant dont nous sommes défaits. Allons.         Puisse l’Amour ne nous quiter jamais. Si Claudine Ma voisine S’imagine Sur ma mine                                 Que je ne suis bon à rien, Qu’en cachette La Folette Me permette La Fleurette,                         Elle s’en trouvera bien. Ne frippez paon mon bavolet, C’est aujourdy Dimanche. Bis. Je vous le dis tout net,                             J’ay des épingues su ma manche ; Ma main pese autant qu’al est blanche, Et vous gaigneriez un soufflet, Ne frippez poan, &… Attendez à demain que je vaze à la Ville,                     J’auray mes vieux habits,                 Et les Lundis Je ne fis pas si difficille.                     Mais à present   Tout franc Si vous faites l’impartinent, Si vous gastez mon linge blanc, Je vous barray comme il faut de la haste.             Je vous battray, Pinceray,     Piqueray,                     Je vous moudray, Grugeray, Pilleray, Menu, menu, menu la char en paste ; Oum voyez-vous, j’ avons une taribe taste             Que je cachons sous noute bounet, Ne frippez paon, &…