Ne portons pas Plus loin nos pas, Arrêtons-nous dans ces belles retraites : Les arbres des routes secrètes, Sans art avec ordre plantés ; Le cristal des eaux, la fraîcheur des herbes, Font assez voir que ces bois enchantés, Conduisent aux Palais superbes De quelques Divinités. Dans ce séjour chéri des Dieux, Troupe aimable, qui vous attire ? N’est-ce qu’un désir curieux D’y voir les beautés qu’on admire ? Sage druide, apprenez-nous Quels sont les beaux lieux où nous sommes, Quelle Divinité par vous Reçoit ici l’encens et l’hommage des hommes. Bénissez le sort heureux Qui dans ce Palais vous amène ; Hâtez-vous d’offrir vos vœux À notre AUGUSTE SOUVERAINE. C’est la Vertu qui tient ici sa Cour ; Mais ce n’est point cette Vertu sauvage Qui fuit l’innocent badinage Des jeux, des ris, et de l’amour : C’est la Vertu dans son bel âge, Qui dans cet aimable séjour, Des doux plaisirs permet l’usage, Et qui sait les prendre à son tour. Elle aime à sa suite Que le vrai mérite Brille chaque jour. Minerve se plaint qu’on la quitte, Pour lui venir faire la cour ; Et de Vénus la Troupe favorite, Des Grâces l’élite, Y retient la jeunesse et l’amour. Parbleu je suis ravi que cela soit comme vous le dites, et… Nous sommes aussi nous autres l’élite d’une Troupe favorite, non pas de Vénus, mais de Comus, et si peu que rien d’Apollon… Comédiens pour vous rendre service, Monsieur le Druide. Et puisque le hasard… nous conduit heureusement dans une Cour aussi charmante que celle-ci, auprès d’une Souveraine si agréablement vertueuse, nous vous prions de lui faire agréer que… nous ayons, s’il vous plaît, l’honneur de lui donner… un petit plat de notre métier. Je ne sais pas parler en musique comme vous… moi ; mais cela n’empêche pas que je me réjouisse quelquefois en parlant autrement, par exemple… je suis le Comique… et nous sommes tous camarades ; enfin c’est ce qui fait que comme nous n’avons point de maître, nous ne sommes pas toujours bien d’accord… Mais ce qu’il y a de constant… c’est que l’on s’accorde pour contribuer au plaisirs de l’AUGUSTE SOUVERAINE chez qui nous sommes, et dans l’objet que nous avons d’y réussir, nous sommes tous d’une docilité, d’une tranquillité d’esprit… enfin, expliquez-lui cela, s’il vous plaît, Monsieur le Druide, et n’oubliez pas de parler surtout du zèle et du respectueux attachement que nous avons tous, et de bien marquer… là… combien nous nous estimons heureux de trouver la moindre petite occasion de tâcher de nous rendre dignes de l’honneur de sa bienveillance et de sa protection. Allons, Messieurs, Mesdemoiselles, achevez, s’il vous plaît, votre façon de prologue, et nous commencerons notre Comédie. Que les Grecs soient glorieux, D’avoir chez eux le Parnasse, Cet aimable coteau parmi nous tient sa place, Et nous élève au-dessus d’eux. Ici la moindre fontaine Vaut tout l’eau d’Hypocrène. Depuis le jour qu’Apollon Quitta le sacré vallon, Sur ces coteaux il réside ; Et la Muse qui dans ses lieux Seule au lieu des neufs Sœurs préside, N’est point une Piéride, Elle est du sang de nos Dieux. Aux bords de la Seine Une Souveraine Gagne tous les cœurs, Ses charmes vainqueurs Triomphent sans peine. En portant son aimable chaîne, On ressent mille douceurs. De Paphos la Reine À son char entraîne Moins d’Adorateurs. L’île de Cythère À Vénus si chère Cède à ses beaux lieux ; Tout charme les yeux, Tout est fait pour plaire. La Déesse qu’on y révère Est l’objet qui plaît le mieux. Hé ! Se peut-il faire Qu’on ne les préfère Au séjour des Dieux ? Si cette Cour charmante Est contente Des soins que nous avons pris, Le succès passe notre attente, Est-il un plus digne de prix ? Que la troupe diligente Des plaisirs, des Jeux, des Ris, Vienne dans ces lieux chéris, Finir cette fête galante. Si cette Cour charmante Est contente Des soins que nous avons pris, Le succès passe notre attente, Est-il un plus digne de prix ? De ce séjour aimable Je crains de m’éloigner, On ne voit point ailleurs régner Des plaisirs la troupe agréable. Ici les jours Sembleraient trop courts, Si quand l’œil du monde Dans le sein de l’Onde Va finir son cours, Sa sœur qui le chasse, Et qui prend sa place, N’offrait à d’innocents désirs Les plus doux loisirs : Et souvent l’Aurore Nous surprend encore Parmi les plaisirs. De ce séjour aimable Je crains de m’éloigner, On ne voit point ailleurs régner Des plaisirs la troupe agréable. Qui s’ennuie Dans la vie, N’a ni bon sens, ni raison, Suivre en tout sa fantaisie, Vivre sans soins, sans envie, Ô, l’heureuse opinion ! Qui s’ennuie Dans la vie, N’a ni bon sens, ni raison. C’est là la Philosophie, Qui jadis fut si chérie Des disciples de Zénon. Qui s’ennuie Dans la vie, N’a ni bon sens, ni raison. Elle est depuis moins suivie, Cela dépend du génie, Heureux, quiconque l’a bon ! Qui s’ennuie Dans la vie, N’a ni bon sens, ni raison. Dès qu’elle nous est ravie, Du retour je me défie. Qui deux fois vit l’Achéron ? Qui s’ennuie Dans la vie, N’a ni bon sens, ni raison. Quoi que la Mythologie Du fils d’Alcmène publie, Des sombres bords revient-on ? Qui s’ennuie Dans la vie, N’a ni bon sens, ni raison. Comme la rose fleurie, En peu de temps est flétrie, Ainsi nos beaux jours s’en vont. Qui s’ennuie Dans la vie, N’a ni bon sens, ni raison. Puisque sitôt elle est finie, Aux plaisirs tout nous convie, Sans craindre prenons-en donc. Qui s’ennuie Dans la vie, N’a ni bon sens, ni raison.