Oh çà, mon pauvre Thibaut, aie un peu à l’œil à tout, mon enfant, et prend garde qu’il ne se fasse aucun dégât dans la maison. Mais palsangué, Monsieu, comment l’entendez-vous, donc ? Vous n’avez qu’un arpent de veigne à Surêne, pour tout potage, et je crois, Dieu me pardonne, que la moitié de Paris viendra cheux vous en vendange. Sur ce pied-là, je n’avons que faire d’aller au pressoir, et j’aurons nos futailles de reste. Paix, tais-toi, j’ai mes raisons pour faire ces préparatifs, et je suis à la veille de conclure une bonne affaire. Oh, je ne dis plus rian. Je m’étonnais aussi que vous fissiais les honneurs de votre maison de si bon courage ; car vous êtes un tantinet ladre, de votre naturel : mais baste, il n’est chère que de vilain, comme on dit ; et quand vous vous y boutez une fois, tout y va par écuelles. Que dirais-tu si j’allais me marier, Thibaut ? Vous remarier, Monsieur ! Bon queu conte. Ce n’est point un conte, c’est une vérité. Vous vous gaussez, Monsieur, ça ne peut pas être. Cela est, te dis-je. Morgué tant pis ; vous êtes donc bian incorrigible ? Comment, que veux-tu dire ? Vous avez déjà eu deux femmes qui vous avons fait enrager. La première était diablesse, parce qu’alle avait trop de vartu. Vous avez fait le diable avec l’autre, parce qu’alle n’en avait pas assez. Queulle espèce de femme voulez-vous encore prendre ? La plus jolie personne du monde, douce, honnête, spirituelle. Hom, je crois bian que vous le voudriais : mais c’est un animal bian rare, qu’une femme comme ça. Je ne dis pas qu’il n’y en ait queuqu’une : mais je ne crois pas qu’on vous la garde. Tu changerais de sentiment, si tu avais vu celle que j’aime. Accoutez, faites-la-moi voir avant que de la prendre, je vous en dirai ce qui en sera, tout à la franquette. Voyez-vous, nous autres Paysans des environs de Paris, je nous connaissons mieux en femmes que parsonne, j’en voyant tant de toutes les façons. C’est morgué une marchandise bian trompeuse. Tu la verras, et dès aujourd’hui elle doit venir ici faire vendange. J’entends, bian, c’est pour elle que la fête se fait. Justement. Je boute d’abord le nez dessus, n’est-ce pas ? Mais, s’il vous plaît, Monsieu, en vous chargeant de l’embarras d’une femme, ne vous déchargez point de sty de votre fille : Alle est en âge d’être mariée ; et quand une poire est mûre, si on ne la cueille, alle tombe d’alle-même, comme vous savez. Je songe aussi à marier ma fille, et le mari que je lui destine devrait être ici, je l’attends de jour en jour. Et quelle acabie de mari lui baillez-vous, s’il vous plaît ? S’il n’est pas à sa fantaisie, alle en prendra queuque autre avec stila ; et s’ils se trouvont deux maris pour un, hem, ça fera du grabuge. Mariane est une fille bien élevée, qui fera toujours tout ce que je voudrai. Alle est une fille bian élevée, mais alle est une fille ; et j’ai queuque opinion qu’alle a queuque jeune drôle dans la fantaisie. Hé, qui t’a fait prendre cette opinion-là ? Oh, je sis un futé compère, voyez-vous. Il viant rôder ici depuis que vous y êtes, un jeune gars de Paris. Et tu crois que c’est pour ma fille ? Hé, pargué oui, c’est d’alle ou de moi qu’il est amoureux. Comment, amoureux de toi ? Drès qu’il me voit, il ne sait sur quel pied danser, il me fait plus de meines, plus de contorsions, plus de révérences qu’à alle-même. Tu ne sais ce que tu dis, tu perds l’esprit. Je ne pards pas l’esprit : accoutez, comme je sis dans la maison, il ne cherche peut-être qu’à faire connaissance : car pour avec Mademoiselle Mariane, la connaissance est déjà faite. Il a fait connaissance avec ma fille ? Oh, palsangué oui, Ils l’avont commencée drès Paris, je gage, et ils continuont ici par-dessus les murailles. Par-dessus les murailles ? Il est toutes les nuits, comme un hibou, dans la petite ruelle, au bout du jardin. Hé bien ? Et Mademoiselle Mariane grimpe comme une chatte tout au long du treillis de la palissade. Hé bien ? Hé bian, alle s’accote sur le haut de la muraille, et la chatte et le hibou jasont tous deux comme des marles. Est-il possible ? Il faut bien qu’il soit possible, car je les ai vus. Et ne les as-tu point entendus ? Oh que si fait. Et que disent-ils ? Tatigué, de jolies choses ! Allez, allez, ils avont la langue bian pendue. Et si par aventure le jeune drôle vient à grimper aussi de son côté : enfin, que fait-on, la poire est mûre, et les enfants de Paris aimons bian le fruit, prenez-y garde. Tu as raison, je ne puis trop me hâter de la marier, pour rompre le cours de cette intrigue. Je m’en vais lui parler un peu, et savoir d’elle… Bon, est-ce que vous croyez les filles assez sottes pour conter à leurs pères leurs petites fredaines ? Elles ne sont pargué pas si mal apprises : laissez-moi tout doucement l’y tirer les vars du nez, je le ferai bian donner dans le panniau, et je vous dirai tout, ne vous boutez pas en peine. Fais donc, Thibaut, et me rends un compte bien exact. C’est aujourd’hui qu’on m’a promis d’amener ma maîtresse ; je vais, en me promenant, au devant d’elle jusqu’au bois de Boulogne. Toi, va faire un tour aux vignes, et vois si nos Vendangeurs… Allez, allez, allez, Monsieur, et laissez-moi faire seul. Je ne sais ce que ça veut dire, mais il m’est avis que j’ai plus d’esprit que Monsieu Thomasseau : oh pour ça oui, j’ai meilleur jugement. Je ne sis pourtant qu’un paysan, mais il y a vingt ans que je le sers, et que je me moque de ly, et il ne m’en ferait morgué pas accroire seulement un quart d’heure. Vivrai-je encore longtemps dans la contrainte où je suis depuis quelques jours ? Voilà notre amoureux. Est-il possible que la liberté de la Campagne, et l’occasion des Vendanges ne me fourniront point les moyens de m’introduire dans la maison de Mariane. Il a la meine d’avoir bonne bourse, et notre connaissance pourrait avoir de bonnes suites. Si le jardinier, encore, était d’humeur un peu traitable, mais c’est un maroufle. Il parle de moi. Le voilà, lui-même. Il m’aperçoit. L’aborderai-je ? Oh, s’il s’en tient aux révérences, il n’y a rien à faire, je n’entends point les meines. Je suis votre serviteur, Monsieur le jardinier. Je vous baise les mains, Monsieur de la petite ruelle. Je suis découvert, tout est perdu. Comment vous en va ? N’êtes-vous point enrhumé ? Le vent de bise a soufflé cette nuit, et ça ne vaut rian, ni pour la veigne, ni pour les amoureux. Si vous étiez de mes amis, la bise m’incommoderait n peu moins, Monsieur le jardinier. J’entends votre affaire, je n’aurais qu’à vous ouvrir la porte, et vous faire un bon feu dans mon taudis, vous y causeriais plus chaudement que dans la petite ruelle. Vous seriez un homme adorable, d’être un peu dans mes intérêts. N’est-il pas vrai ? Je vous devrais la vie. Oui da : d’être comme ça les nuits dans cette petite ruelle, ça pourrait bian vous faire malade. Je te cherchais, mon pauvre Thibaut, pour te faire une confidence, d’où dépend absolument… Ah, vous vela ! Je parlions de vos affaires. Quoi ! Clitandre, vous paraissez en plein jour ici ? Si l’on vous voit dans le Village… Ne craignez rien, la saison des Vendanges y attire aujourd’hui tant de monde… Allez, allez, on n’y connaîtra pas à la meine ceux qui auront passé la nuit au clair de la Leune. Ah, Thibaut ! Je savons de vos fredaines, comme vous voyez. Je ne me plaignais que de votre peu de ménagement ; je ne voyais pas que votre indiscrétion… Je n’ai point parlé, belle Mariane… Oh parguenne, il ne m’a rien dit, mais j’ai vu, et quand il serait un tantinet jaseux, vela une belle affaire ! Aurais-je tort de vouloir le disposer à nous rendre service, et de chercher les moyens de vous voir plus souvent ? Et plus à son aise. Il n’est morgué pas sot, il aime ses commodités, voyez-vous, et il n’a pas tort : Il vaut bien mieux faire l’amour de plein pied dans la maison, que de haut en bas par-dessus la palissade. Thibaut parle en homme de bon sens. Oui ; mais n’avions-nous pas résolu que vous iriez passer les jours à Paris ? C’est l’amour qui me retient ici. Que vous reviendriez toutes les nuits, et que vous engageriez à force d’argent le maître du bac à être discret ? Je n’ai rien épargné pour cela, je vous assure. Oh, il ne sonnera mot, il est bon homme ; mais pour ce qui est de moi, je sis diablement babillard, je vous avartis. N’étions-nous pas demeurés d’accord que je parlerais à Thibaut de la passion que nous avons l’un pour l’autre ? Je craignais votre timidité, je vous l’avoue, je songeais à vous prévenir. N’étions-nous pas convenus aussi qu’il vous laisserait entrer dans le logis ? Oui. Qu’il vous recevrait dans sa chambre ? Vous avez raison. Et qu’il ne parlerait de rien à mon père ? Il est vrai, nous sommes convenus de tout cela. Oui, mais morgué, de quoi est-ce que je sis convenu, moi ? De rien encore ; mais il faut bien que tu conviennes des mêmes choses que nous. Non, palsangué, je n’en ferai rian. Ce sont des mesures que nous avons prises. J’entends bian : mais je sis plus mal aisé à gouvarner que le maître du bac, je vous en avertis. Tiens, voilà une montre d’or que je te donne. Oh non, tatigué, je ne veux rian de vous. Comment donc ? Quand il y a queuque frais à faire en amour, il faut que soit le Monsieu qui paie, à moins que la Madame ne soit vieille. Dans les Villages d’autour de Paris, je savons les règles. Je vous dis que Thibaut est un homme d’esprit. Tiens, voilà une bourse, tu n’as qu’à l’ouvrir, et y prendre tout ce que tu voudras. Oh, Monsieu. Comment ? Il n’y a point de nécessité de l’ouvrir, je la veux toute. Tu n’as qu’à la garder, je te la donne. Il est homme d’esprit, vous avez raison. Nous vela donc d’accord à présent, je serons trois têtes dans le même bonnet. Accoutez, vous n’avez pas mal fait d’y fourrer la mienne. Nous pouvons compter sur ton zèle, et sur ta discrétion ? Oh, pour cela oui, la peste m’étouffe, je ne dis jamais rian : vela votre père qui va se remarier, par exemple, il vian de me le dire, est-ce que je vous en ai parlé ? Mon père va se remarier ! Que cela ne vous chagraine point, il vous mariera itou. Il attend ici aujourd’hui son gendre et sa maîtresse. Que nous dis-tu là ? Pargué, ce qu’il m’a dit. Je vous en avais averti, Clitandre, vous ne m’avez pas voulu croire. Quelle apparence que votre père vous fît épouser un homme que vous n’avez jamais vu, qu’il ne connaît pas lui-même ? C’est le fils de ses anciens amis, le Bailli de Gisors ; il y a près d’un an qu’il me menace de ce mariage, et voilà ses menaces à la veille d’être accomplies. Il faut en empêcher l’effet. Comment s’y prendre, Thibaut ? Il faudrait pour bian faire, que vous épousiez sti-ci, et que vous n’épousissiez point sti-là. Oui, justement. Accoutez, ça est difficile, mais pourtant ça n’est pas impossible. Ne pourrais-tu point nous aider à trouver quelque moyen ? Oh, pour ça non, je n’y entends goutte : mais attendez… Hé, oui… justement vela votre affaire ? Quoi ? Oh, palsangué, vous êtes plus heureux que sages ; j’ai une couseine dans le village, qui sera bian notre fait. Comment ? C’est une grosse Madame, au moins, et ce sont les mariages qui avons fait sa forteune. Alle en a tant fait, tant fait, et ça sans curé, ni tabellion : alle n’y cherche point tant de façons, aussi alle a la presse. Il extravague, avec sa cousine. Non morgué, je n’extravase point : rentrez dans la maison seulement, j’allons ensemble charcher la couseine, et mettre les fers au feu, ne vous boutez pas en peine. N’épargnez rien, Clitandre, pour détourner le malheur qui nous menace, et songez que mon bonheur dépend entièrement du vôtre. Tatigué, vela un friand morceau. Ne perdons point de temps, allons prendre avis de ta cousine. Allons venez. Hé, pargué la vela, c’est queuque bon vent qui nous la souffle envars ici, j’aurons bonne issue. Comment ! Et c’est Madame Dubuisson, je pense ? Oui, justement, c’est son nom de Paris que stilà, et la grosse Cato, c’est son nom de Village. Je ne me trompe point, c’est Clitandre ? Ma chère Dubuisson, que je t’embrasse. Cette couseine-là connaît tout le monde. Bonjour, cousin. Votre valet, couseine. Que je suis heureux de te rencontrer en ce pays-ci, ma chère enfant ! Peut-on vous y rendre quelque service ? J’allions vous chercher pour ça, je vous l’amenais, et je ne savais pas que vous fussiais si bons amis. Hé, vraiment, c’est le neveu de Madame Desmartins. De cette belle Madame qui a été tout ce Printemps cheux vous ? Ma tante a passé le Printemps chez toi ? Elle y a été quinze jours ou trois semaines à prendre du lait, Monsieur. Bon, palsangué du lait, vous vous gaussez de nous : alle y prenait bian de bon vin de Champagne, que de bian gros Monsieur apportiont de Varsailles. À la vérité drès que son mari le venait voir, alle était toujours malade ; quand il n’y était plus, tatigué qu’alle se portait bian ! Oh, je ne m’étonne plus que vous soyais si fort amoureux, vous êtes de bonne race. C’est un extravagant, ne prenez pas garde à ce qu’il dit. Ce sont les affaires de mon oncle, Madame Dubuisson, ce ne sont pas les miennes. C’est bian dit, je ne sommes pas ici pour ça, j’y sommes pour notre compte. Ce ne sont pas les Vendanges qui vous amènent à Surêne, c’est l’amour qui vous y amène apparemment ? Oui, ma chère Madame Dubuisson, vous voyez le plus amoureux de tous les hommes. N’est-ce point à Mademoiselle Thomasseau à qui vous en voulez ? Ça n’est pas malaisé à deviner, puisque je sommes ensemble. C’est elle-même que j’adore. Vous n’êtes pas seul ici pour elle ; il y a chez moi un de vos rivaux, je vous en avertis. Un de mes rivaux ? Et qui vient pour l’épouser même, il en a parole de son père. C’est l’homme en question, ce gendre qu’il attend. Ça se pourrait bian, il faut que ce soit ly-même. Ah, ma chère Dubuisson, je suis perdu, si nous ne trouvons moyen de rompre ce mariage. Que faire pour cela ? Je le voudrais de tout mon cœur. J’ai toujours été de vos amies, et je ne connais point ce nigaud-là ; c’est un provincial que la maîtresse des coches m’a adressé, parce qu’il n’a point voulu d’abord aller chez son beau-père, il ne l’a jamais vu, non plus que sa maîtresse. Je savons tout ça. Ne pourrions-nous pas berner ce faquin-là ? C’est une figure assez bernable. Le rebuter de son mariage, dégoûter de lui Monsieur Thomasseau, et le renvoyer à Gisors avec les étrivières ? Morgué, que ça est bian pensé. L’exécution est difficile. Votre l’Olive, n’est-il point ici ? Non, je suis seul, et je n’ai personne. Mort de ma vie, nous aurions bon besoin de lui, c’est un joli homme, et notre provincial entre ses mains aurait été bien régalé. Bon, morgué faut-il tant de façons ? Vous dites que c’est un nigaud, n’est-ce pas ? Il y a aux trois Rois une vingtaine d’égrillards qui ne demandont qu’à se divartir ; ils avont des Musiciens, des menêtriers : ce sont de bons enfants qui avont la meine d’aimer à rire : lâchons-les après ce benêt-là, ils le feront désarter, sur ma parole. Cela n’est pas mal imaginé : mais cela ne suffit pas. Je m’en vais toujours leux en parler, tout coup vaille ; si cela vous duit, je le mettrons en besogne. Et venez-vous-y-en, Monsieu, vous en connaîtrez queuqu’un peut-être. Je vais te suivre, tu n’as qu’à attendre. Oh çà, ma chère Dubuisson, je n’ai rien de caché pour toi. Je ne roule dans le monde depuis quelque temps que par un excès de savoir faire ; les affaires de ma famille sont terriblement dérangées, ce mariage-ci peut les rétablir. J’aime Mariane, elle est riche, l’affaire est sérieuse, il ne faut pas la manquer, tu seras contente. Que pouvons-nous mettre en usage pour cela ? Commençons par écarter le provincial, et gagnons du temps. Si nous avions quelque habile fourbe qui pût nous aider encore, je répondrais bien… Oh, par ma foi, vous êtes né coiffé, en voici un que le hasard nous adresse le plus à propos du monde. Hé, comment ! C’est Monsieur de Lorange, le plus habile empoisonneur qu’il y ait à Paris ! Hé, serviteur, Monsieur Clitandre : hé, comment vous en va ? Vous connaissez mon compère Lorange. C’est un de mes intimes. Hé, que diantre viens-tu faire ici ? Voulez-vous que je vous parle franchement ? Je ne le dirais pas à d’autres, mais à ma commère et à vous… Il amène quelque petite Grisette en vendange à Surêne, je gage. Non, par ma foi, je viens faire emplette de bon vin de Champagne. Emplette de bon vin de champagne à Surêne ? Oui, parbleu, nous sommes plus de trente à Paris, qui tirons nos vins de Champagne de ce pays-ci, et nous allons chercher les vins de Bourgogne par delà Étampes. Mon compère Lorange est de bonne foi, comme vous voyez. Tu es un effronté maroufle ! Oh ! Ne vous fâchez point ; vous ne buvez point de ces bons vins-là, vous autres ; on n’en donne qu’à ceux qui les patent le mieux, et qui s’y connaissent le moins. À de petits-maîtres de Paris, par exemple, à des filles de qualité de leur connaissance, à des enfants de famille qui prennent crédit, à des abbés qui font porter des soupers en ville ; il faut bien que tout passe. Tu en es bien fait passer l’année dernière à ce petit homme-là… Qui ? Ce petit homme à grande perruque, cet apprentif Magistrat qui faisait son cours de Droit chez toi, et qui donne à présent des audiences dans l’amphithéâtre de l’Opéra. Je ne sais qui vous voulez dire. Il y en a tant comme cela dans le monde, que Monsieur de Lorange ne peut pas se souvenir qui c’est. Hé ! Comment gouvernes-tu ce grand inutile, qui a l’air si déterminé ; qui attend que la paix soit faite pour se mettre dans les Mousquetaires. Il me doit de l’argent, mais il se déniaise. La peste ! Il soupe quelquefois chez la veuve d’un partisan qui a arrêté ses parties. Cela est heureux, des parties arrêtées ! Quand il vous plaira, vous qui avez tant d’aventures, vous vous acquitterez de la même manière, de huit cent francs que vous me redevez. Moi ? Je ne t’en paierai que la moitié, tu m’as fait boire du vin de Surêne. Nous avons affaire de lui, ne lui rabattez rien. Je me donne au diable, ce serait conscience. Qu’il vous aide à faire réussir votre affaire seulement, vous serez bientôt quitte, sur ma parole. Parbleu, de tout mon cœur. De quoi s’agit-il ? Il s’agit de tromper un père, et de berner un sot. De me faire épouser une fille riche et jolie, et d’être payé de ce que je te dois. Il n’y a rien que je ne fasse, vous n’avez qu’à dire. Voici votre rival, allez rejoindre Thibaut ; vous avez tous trois de l’esprit, vous concerterez ensemble ce qu’il faudra faire ; et pour moi, je vous livre votre homme dans quelque panneau que vous puissiez lui tendre. Allons, Bastien, ne me quittez pas, et marchez bien derrière moi, vous êtes mon laquais, au moins. Aga, votre laquais, Monsieur Vivien, je sis votre cousin, ne vous en déplaise, et quoique je sois rouge vêtu… Oui, vous êtes mon cousin à Gisors ; mais Paris, et chez le beau-père, vous serez mon laquais, entendez-vous ? Oui, mon cousin. Oui, mon cousin ! Il faut dire : oui, Monsieur ; ce benêt-là ! Hé bien, oui, Monsieur, je le dirai, mon cousin Vivien. Voilà un petit fripon qui me ferait quelque affront, il vaut mieux que j’aille sans laquais chez le beau-père. Rentrez, et ne sortez point que je ne sois revenu. Non, non, je m’en vais tant seulement panser nos cavales, et je les mènerai boire, mon cousin Vivien. Vraiment, Monsieur, vous avez là un petit domestique bien affectionné, et qui a bien soin de vos montures. Ah ! Bonjour, Madame. C’est un petit gueux du pays que j’ai amené à Paris par charité pour le déniaiser seulement. Cela est bien louable, d’avoir ainsi de la charité pour vos parents. Oh ! Il n’est mon parent que de fort loin. C’est le petit-fils de la fille d’une bâtarde de notre famille. Voilà une belle généalogie ! Vous voyez bien qu’il n’est mon cousin que du côté gauche. Nous peuplons beaucoup du côté gauche, nous autres. Je vous en félicite. C’est pour m’empêcher de peupler comme ça, que mon père m’envoie à Paris de si bonne heure ; car je n’ai encore que trente-huit ans, afin que vous le sachiez. C’est le bel âge pour se mettre en ménage. Comme il n’y a que moi de mâle légitime dans la maison de la Chaponnardière, on veut se dépêcher d’avoir de la race. On a bien raison de ne pas laisser périr une si belle famille. C’est une des bonnes de la Province, voyez-vous ; nous avons eu tout de suite quatre Baillis de Gisors, et autant de médecins, tous de père en fils. Cela est beau, Madame ? Comment, beau ! Je ne sache rien de plus noble. Monsieur Thomasseau sera bienheureux, d’avoir pour gendre Monsieur Vivien de la Chaponnardière. Sa fille est-elle jolie, Madame ? J’aime les jolies filles. Vous en jugerez par vous-même. Elle est sage, au moins ? Car à Paris, on dit que les filles sont diablement égrillardes. Mais à Paris, comme dans votre famille, on peuple quelquefois du côté gauche. Bonjour, Madame Du buisson. Voilà une figure assez drôle. C’est Lorange, je pense. On m’a dit que mon petit mari de Gisors était chez vous, Madame Dubuisson. Pourquoi ne me vient-il pas voir cet animal-là ? Voilà un plaisant sot ! Oh ! Que je m’en vais lui apprendre à vivre ! Allons, Monsieur, voilà votre maîtresse ; saluez-la donc. Comment, Madame ! C’est Mademoiselle Thomasseau, que vous venez épouser. Quoi, ce l’est-là ? Elle-même ; abordez-la donc ? Vous vous moquez de moi. Qui est cet original-là, Madame Dubuisson ? C’est votre petit mari de Gisors, Monsieur Vivien de la Chaponnardière que je vous présente. Ah, le plaisant visage ! Il faut donc que j’épouse ce gobin-là ? Quel animal ? Quel brutal ! A-t-il une langue ? Sait-il parler, ce pauvre benêt ? Elle est folle, Madame ; comme elle me traite ! Les filles de Paris sont vives, comme vous voyez ; et c’est bien autre chose quand elles sont femmes. Hé bien, me fera-t-il honnêteté ? Me fera-t-il compliment ? C’est une bûche, je pense : Je ne veux point d’un mari comme celui-là ; il ne remue non plus qu’une souche. Elle a raison : démenez-vous donc un peu, parlez-lui. Que voulez-vous que je lui dise ? À deux de jeu ; si elle ne veut point de moi, je ne veux point d’elle. Adieu, Mademoiselle Thomasseau. Holà, hé, Bastien, bride nos bêtes. Non, Monsieur de Gisors, non, vous ne partirez pas comme cela, il faut que vous voyez mon papa Thomasseau auparavant : votre mine le réjouira, car elle est fort drôle. Parbleu, la vôtre est plus ridicule que la mienne ; je n’ai ni suros, ni malandre. Vous êtes un peu tortu-bossu : mais on vous redressera, ce n’est pas une affaire. Redressez-vous vous-même le corps et l’esprit, avant que de parler des autres. Que je me redresse, moi ? Moi ? Que je le redresse ! Que veut-il dire cet impertinent-là, Madame Dubuisson ? Je lui pourrais bien donner de mon bâton sur les oreilles ? Hé, Mademoiselle, ne vous emportez pas, c’est un Provincial qui ne sait ce qu’il dit. Patience, patience, qu’il m’épouse, je le frotterai bien quand je serai sa femme. Oh, par ma foi, je lui permets de m’assommer, si cela arrive. Ah ! Vous voilà, papa Thomasseau, venez-vous-en un peu moriginer votre gendre, il perd le respect, je vous en avertis. On viant de me dire qu’il est arrivé, et il m’est avis qu’il devrait être cheux nous. C’est un petit impoli qui ne sait pas vivre ; ses grossièretés me font quitter la place. Votre servante, Madame Dubuisson ; jusqu’au revoir, Monsieur de la Chaponnardière. Alle est un peu mièvre, parce qu’alle est jeune : mais en grandissant, ça changera. Votre valet notre gendre. Monsieur, je suis votre serviteur. Quoi, Madame, c’est là Monsieur Thomasseau ? Ce l’est-là ? Oui, lui-même, votre beau-père. Par ma foi, voilà une vilaine famille. Hé bian, qu’est-ce, à qui en avez-vous donc ? Comment se porte le bon homme de père ? Est-il toujours aussi libartin, aussi ivrogne que de couteume ? Mon père, ivrogne ? Vous ly ressemblez comme deux gouttes d’iau, et n’an dit que vous ne valez pas mieux que ly. Mais ma fille est une diablesse qui vous rangera, ne vous boutez pas en peine. Je n’y comprends rien, c’est une espèce de Paysan, que le beau-père. Oh, dame, la maison de Thomasseau n’est pas si noble que la vôtre, il y a bien à dire. Ouais. Le gendre n’est morgué pas content d’avoir fait le voyage. Ce n’est point avec ces gens-là que mon père a conclu mon mariage assurément, il y a quelque autre Thomasseau, Madame. S’il y en a, c’est donc comme chez vous, du côté gauche : mais les Thomasseau, en ligne directe, sont de Surêne ; je n’en connais point d’autres. Voilà mon cousin l’Officier que j’amène voir mon prétendu. Comment, têtebleu, voilà un garçon bien fait, et de bonne mine ; par la corbleu, il a bon dos pour porter le mousquet dans notre Compagnie ; jarnibleu, que vous avez bien choisi, mon oncle ! Serviteur, cousin. Cousin… Je vous baise les mains, Monsieur. Est-ce encore là un Thomasseau, Madame ? Comment ! C’est le chevalier Thomasseau, ce fameux, ce brave Officier aux Gardes, de son métier ? Anspessade de la Colonelle, qui tue régulièrement deux hommes toutes les semaines. Deux hommes toutes les semaines ! Oui, tout au moins, cela va bien là, l’un portant l’autre. Miséricorde ! Où mon père m’a-t-il envoyé ? La vilaine famille ! Parbleu, mon oncle, il faut que j’enivre le cousin pour faire connaissance. Oui da, il faut bian commencer par queuque chose. Allons, ventrebleu, cousin, allons boire ensemble. Monsieur, je vous remercie : mais… Oh, par la sambleu, vous viendrez, car j’y ai regardé. Je ne bois jamais, Monsieur. Mais, vous fumez quelquefois, du moins ? Oh, point du tout, je vous assure. Maugrebleu, voilà un sot animal de cousin, il ne sait rien faire. C’est un nigaud, qui est frais émoulu de la Province ; mais vous me le dégourdirai, cousin. Ah, ah ! Palsambleu, je vous en réponds. Vous ne prétendez pas faire sitôt la noce, mon oncle ? Non, palsangué, rian ne presse. Faut auparavant qu’il fasse trois ou quatre campagnes dans notre Régiment : ne vous mettez pas en peine, je le ferai assommer, ou j’en ferai quelque chose. Trois ou quatre campagnes, moi ! Ma chère Madame. Voilà comme le Chevalier Thomasseau fait des recrues. Allons : hé, marchez à moi, cousin. Au secours ! À moi, Bastien, miséricorde ! Comment ? Palsambleu, vous faites rébellion ! Ma chère Madame, revanchez-moi. Faites ce qu’il vous dit, ne le mettez pas en colère ; il n’a encore tué personne, et voilà bientôt la fin de la semaine. Le maudit pays, le maudit pays ! Donnez-moi la main, mon petit mari, ne vous faites point tirer l’oreille. Voilà Monsieur Thomasseau, tout est perdu. Ma tante et ma sœur sont avec lui. Qu’est-ce que cela signifie ? Je vous en rendrai compte, allez-vous-en : qu’elles ne vous voient point dans cet équipage. Hé ! Te voilà, Madame Dubuisson : j’ai fait mettre mon carrosse chez toi. Apparemment, Madame, M. Thomasseau m’ôte l’avantage de vous y donner un appartement ? Je me partage, Madame Dubuisson ; j’ai passé tout le printemps chez toi, je viens passer les Vendanges avec ma nièce, et en équipage de Vendangeuses, comme tu vois. C’est bien de l’honneur que vous me faites, Madame, et vous serez toujours la maîtresse de tout ce qui dépendra de moi. Il faut avouer que Monsieur Thomasseau est la politesse et la galanterie même. Ah ! Madame. Il a assez vécu pour savoir vivre. Mais, Madame, cette jeune personne est donc votre nièce ? Oui, ma chère. Allons ma nièce, saluez Madame Dubuisson, c’est une bonne personne que vous ne serez point fâchée de connaître dans la suite. Il suffit qu’elle soit de vos amies, pour me donner bonne opinion de son mérite. N’est-ce pas là un aimable enfant, Madame Dubuisson ? On ne peut l’être davantage. N’est-il pas vrai ? Oh çà, Mesdames, voilà la maison de votre petit serviteur, nous y serons plus commodément qu’ici. Je meurs d’impatience d’embrasser Mademoiselle votre fille. Elle sera ravie d’avoir l’honneur de vous faire la révérence. Nous nous verrons, Madame Dubuisson. Votre servante, Madame. Attends-moi ici, ma voisine, j’ai quelque chose à te dire. Le pauvre Monsieur Thomasseau est en assez bonne main. Madame Desmartins, et sa petite nièce le mèneront loin, s’il veut les suivre : elles ne s’attendent pas à trouver Clitandre en ce pays-ci : mais il est bon Prince. Son rival et son amour l’occupent trop pour lui laisser le temps de songer à troubler la fête. Mais voici déjà le bon homme, quelle confidence me veut-il faire ? Oh çà, ma chère voisine, tu connais les Dames qui sont chez moi ? Oui, Monsieur. Madame Desmartins, c’est la plus vertueuse personne du monde, sage, honnête, douce, complaisante, l’esprit bien fait, l’humeur enjouée, les manières engageantes. Je ne sais où vous avez pêché cette connaissance-là : mais vous avez fait là une bonne trouvaille. Je choisis bien mes gens, dis, n’est-il pas vrai ? Et la petite nièce, qu’en dis-tu ? Je ne la connaissais pas : mais j’en ai ouï parler mille fois à sa tante. C’est un petit modèle de perfection, c’est la sagesse en mignature, une fille élevée comme une Princesse, un cœur de Reine. Elle possède elle seule assez de talents pour rendre une douzaine de filles des plus accomplies. Tu me ravis, Madame Dubuisson, de m’en parler de cette manière. Comment donc, Monsieur, quel intérêt prenez-vous… Je te prie de la noce, Madame Dubuisson. Quoi, vous épousez la petite nièce ? Oui, mon enfant, ne suis-je pas bien heureux ? Ah ! Que ce parti-là vous convient bien, Monsieur ! Et que vous allez passer agréablement le reste de vos jours ! Je t’en réponds. Je me défais de ma fille, et je l’envoie dans le fonds de la Province. Quelle conduite ! À l’aide ! Au secours ! À la force ! Quel bruit confus est-ce là ? Ah ! Monsieur de la Chaponnardière est échappé ; nous allons voir de belles affaires. Hé par charité, Monsieur, Madame, ayez pitié de moi. Qu’est-ce qu’il y a, Monsieur, à qui en avez-vous ? Ah ! Je n’en puis plus. Voilà le gendre et le beau-père aux prises ; allons avertir Clitandre des sentiments où Monsieur Thomasseau est pour sa famille. Que vous a-t-on fait ? Qui êtes-vous, Monsieur ? Je suis un honnête homme de Normandie, Monsieur. De Normandie ? Oui, Monsieur, et pour mes péchés je suis venu ici dans le dessein d’épouser la fille d’un Monsieur Thomasseau, qui est le plus grand coquin, le plus grand maraud… Comment donc, Monsieur, prenez garde à ce que vous dites. C’et la vérité, Monsieur, il a une fille qui est la créature la plus maussade, et la plus effrontée… Monsieur… Un coquin de cousin qui est un homme à pendre : c’est bien la plus détestable famille que cette famille-là. Vous êtes un fripon, et un insolent, de parler des gens d’honneur comme vous faites, et je vous donnerai mille coups de bâton, afin que vous le sachiez. Que la peste m’étouffe, si je ne vous dis vrai. Vous ne connaissez point ces gens-là, Monsieur, si vous les aviez vus seulement. Et savez-vous bien que je suis Monsieur Thomasseau, moi qui vous parle ? Non, non, Monsieur, ce n’est pas vous, je viens de le quitter, il est aux trois Rois avec sa fille et des Soldats aux Gardes. Voilà un maraud qui a perdu l’esprit, ou qui vient ici pour m’insulter. Tenez, il est borgne et boiteux, Monsieur Thomasseau ; je viens de le quitter, vous dis-je. Il y a ici quelque chose que je ne comprends point. Et sa fille a le visage de travers, elle est bossue, naine et boiteuse. C’est une pièce qu’on m’a voulu faire. Vous avez l’air d’un honnête homme, Monsieur, je vous demande votre protection contre ces canailles-là. Il faut en rire malgré moi. Oui, je vous l’accorde, c’est une plaisanterie qu’on vous a faite. Vous êtes un nouveau débarqué en ce pays-ci, quelques égrillards ont voulu rire à vos dépends et aux miens. Il y a de méchantes gens. Pour moi, Monsieur, je suis sans malice. Je le vois bien. Oh çà, c’est moi qui suis Monsieur Thomasseau, encore une fois. Et moi, Monsieur Vivien de la Chaponnardière. Ma fille est jeune et belle, et n’est ni naine, ni bossue. En ce cas-là je viens pour être votre gendre, et voilà une lettre de mon père. Je reconnais son seing et son écriture. Cela est comme je vous le dis, entrez dans ce logis, votre tante et votre sœur y sont, et vous ne risquez rien. Mais si ce gendre malotru… Il ne le sera pas, je vous en réponds : le voilà encore avec Monsieur Thomasseau ; entrez, vous dis-je, et nous laissez faire. Hé bien, avez-vous su ce qu’avait cet honnête Monsieur, pour faire tant de bruit ? C’est le fils d’un de mes amis, ma voisine, qui vient ici pour être mon gendre. Je vous le disais bien, moi, que le Thomasseau de tantôt n’était pas le véritable, et qu’il y en avait quelque autre. Je vous félicite de l’avoir trouvé. Si je vous en avais cru pourtant… Écoutez, je crois que vous êtes une friponne, Madame. Comment, mon gendre ? Elle était de complot avec vos cadets, ces vilains Thomasseaux que je vous ai dit. Votre gendre est un peu fou, Monsieur, il est bon de vous en avertir. Ah ! Vous vela, Monsieur, n’avez-vous point vu par hasard une Madame de Paris qui vous charche ? Une Dame de Paris ! Que me veut-elle ? Alle m’a dit de vous dire qu’alle veut vous dire queuque chose, qu’alle dit qui est de conséquence. Quand elle viendra, nous saurons ce que c’est. Ah, ah, ah, ah. Cet homme-là se moque de moi, je pense ? Tatigué, que vela un drôle de corps ! Ah, ah, ah, ah. Te tairas-tu, maraud ? C’est mon gendre. Ah, ah, ah, ah, comme il se gausse, couseine. Il ne se gausse point, c’est la vérité. Quoi, c’est là ce mari qu’ous avez fait venir exprès pour Mademoiselle Mariane ? Oui, lui-même, qu’en veux-tu dire ? Morgué, votre fille choisit mieux que vous, je me donne au diable, le gars de la petite ruelle vaut trente maris comme stila ; je vous l’avais bian dit qu’ils se trouverions deux. Je m’en vais vous l’amener, vous varrez vous-même. Madame Dubuisson, vous avez un cousin qui devient bien insolent, je le mettrai dehors si cela continue. Tenez, beau-père, j’ai dans la pensée que ce paysan-là est le Thomasseau de tantôt, hors qu’il n’est plus borgne. Lui ! Point du tout, c’est mon jardinier. Pargué, je revians sur mes pas, et je m’en retorne de même ; vela cette Madame de Paris qui vous demande. Monsieur, je suis votre très humble servante. Je suis votre serviteur, Madame. Voilà une grande fille qui n’est pas mal faite. Hé, comment, c’est Mademoiselle Duhazard, si je ne me trompe ? Oui, ma chère Madame Dubuisson, c’est moi-même. Tu connais cette personne-là, ma voisine ? Vraiment oui, c’est une de nos amies, une fort honnête fille, qui postule pour chanter gratis à l’Opéra, afin de se faire connaître. Hé, qui vous amène en ce pays-ci, Mademoiselle ? Trois Officiers de Dragons de mes bons amis m’ont engagée d’y venir en Vendanges ; et comme j’ai su par occasion que Monsieur Vivien de la Chaponnardière y était pour épouser la fille de Monsieur, j’ai cru ne pouvoir me dispenser de mettre empêchement à ce mariage. Mettre empêchement à mon mariage ! Et de quel droit, Madame ? Comment de quel droit, petit perfide ? Que veut dire ceci, mon gendre ? Le Diable m’emporte, si j’en sais tien, je ne connais point cette créature-là. Tu ne me connais point, traître ? Je te dévisagerai, si on me laisse faire. Hé, ne vous emportez pas de la sorte. Tu ne me connais pas ? N’est-ce pas toi qui m’as mise dans mes meubles ? Moi ? Mon gendre ? Avant que je connaisse ce libertin-là, ma réputation flairait comme baume dans tout le quartier du Palais-Royal. Je vous le disais bien, elle a toujours passé pour une fille très sage. Si vous saviez, Monsieur, comme il m’a attrapée. Cela ne vaut rien, mon gendre ; voilà de mauvaises manières. Je vous proteste, Monsieur Thomasseau. Tenez, Monsieur, il venait quelquefois chez une honnête Marquise qui donne à jouer ; il me vit, je lui plus ; je le vis, il me plut. Il vous proposa quelques parties de plaisir ? Vraiment, nous soupâmes ensemble dès le soir même ; il me fit boire tant de ratafia, et tant manger de truffes. Oh, pour cela l’argent ne lui coûte rien, il fait bien les choses. Cet homme-là est d’une grande dépense, au moins. Oui, cela n’accommode point un ménage. Il ne faut pas demander si le lendemain il alla vous rendre visite ? Oui, Madame, et deux jours après il m’envoya une tapisserie de brocatelle, un petit lit de damas feuille morte, avec la petite oie. Un lit de damas ! Cela est violent. Si j’ai jamais vu cette coquine là, si je sais ce que c’est que tout ce qu’elle dit. Oh, tu as beau nier, il faut que tu m’épouses, ou que tu sois pendu. Je vous épouserai, moi ? Oui, par la ventrebleu, tu m’épouseras ? Ne vous tourmentez donc point, Mademoiselle, vous vous ferez malade. Ah, je veux que cinq cents diables me tordent le cou, Madame, si… Voilà, une effrontée carogne. Allez, Monsieur, vous devriez mourir de honte de faire des présents à des filles qui jurent comme cela. Tenez, Monsieur, vela le mari que votre fille a fait venir de Paris, et vela sti que vous avez fait venir de campagne. Alle veut sti-ci, et ne veut point sti-là, est-ce qu’alle a tort ? Regardez-les bian, qu’eux comparaison ! Approchez, ma fille, approchez. Souffrez, mon père, que je me jette à vos genoux, pour vous conjurer instamment de ne me pas forcer… Ne me priez de rien, ma fille, l’affaire est conclue dans ma tête. Ah, mon père ! Votre mariage est déjà rompu avec Monsieur, c’est une affaire faite ; je ne veux point de débauché dans ma famille. Quoi ! Vous croyez, Monsieur Thomasseau… Voilà qui est fini, vous dis-je, j’écrirai à votre père. Oserai-je me flatter, Monsieur… Pour terminer quelque chose avec vous, Monsieur, il faut savoir qui vous êtes. Il ne sera pas malaisé de vous en instruire, voilà ma tante et ma sœur… Vous êtes le frère de cette adorable personne ? Si vous êtes toujours dans le dessein d’épouser ma nièce, il faut consentir au bonheur de mon neveu, pour le faire consentir au vôtre. Sur ce pied-là, c’est une affaire faite, et nous serons bientôt d’accord. Hé, qu’est-ce donc, me faire venir exprès de Gisors pour se moquer de moi ? Consolez-vous, Monsieur ; jeune et nigaud comme vous êtes, vous ne manquerez pas de bonne fortune. Quelle musique est cela ? C’est un petit bal de campagne que Mademoiselle Duhazard a préparé pour Monsieur Vivien, apparemment. Comment donc ? Comme fille postulante d’Opéra, il faut qu’elle donne un plat de son métier à la compagnie. Et comme maître de l’Épée de bois, si vous voulez, je ferai le festin des deux mariages. Mademoiselle Duhazard est un cabaretier. Fort à votre service. Je vous le disais bien, moi, qu’on me faisait pièce. Sans rancune, Monsieur Vivien, nous vous avons empêché de vous marier, ce n’est pas vous rendre un mauvais service. Allons, gai, Messieurs de la symphonie : honneur à Monsieur Vivien, et à nos vendanges. Amis Vendangeux, Ayons le cœur joyeux. J’avons des Vendanges nouvelles, Qui sont des plus belles, Nargue du vin vieux. Amis Vendangeux, Ayons le cœur joyeux. Amis Vendangeux, Ayons le cœur joyeux. Darlu, Rousseau, Fitte et Forelle. En avons dans l’aile Avec leur vin vieux. Amis Vendangeux, Ayons le cœur joyeux. Amis Vendangeux, Ayons le cœur joyeux. Serviteur à Monsieur Vivien De la Chaponnardière. Serviteur à Monsieur Vivien De la Chaponnardière. Qu’il est docile ! Et qu’il prend bien Le bon parti dans cette affaire ! Serviteur à Monsieur Vivien De la Chaponnardière. Serviteur à Monsieur Vivien De la Chaponnardière. Morgué, morgué, point de mélancolie, J’ons bon vin et femme jolie, N’est-ce pas pour vivre contents ? Tout ce qui peut me chagriner l’âme, J’ons du vin nouviau tous les ans : Mais j’ons toujours la même femme. Amants, qui venez en vendange, L’Amour ne trouve point étrange Qu’au Dieu du vin vous fassiez votre cour. Dans une heureuse intelligence Ces Dieux se servent tour à tour, L’Amour aide à Bacchus, et par reconnaissance, Bien, souvent Bacchus avance Les affaires de l’amour. Les plus habiles Vendangeuses, Quoi qu’ordonne le Dieu du Vin, Ne sont jamais assez soigneuses Pour bien cueillir tout le raisin. Mais aux Vendanges de Surêne, Avec les Jeux et les Ris, Le Dieu des Amours amène Des grappilleuses de paris. Profitez bien, jeunes fillettes, Des moments faits pour les amours ; Quand on a passé ses beaux jours, Adieu paniers, Vendanges sont faites. Cachez bien les faveurs secrètes, Amants, dont vous comblés. Sitôt que vous les révélez, Adieu paniers, Vendanges sont faites. Il faut savoir en amourettes Se saisir des tendres moments : Pour les trop timides Amants, Adieu paniers, Vendanges sont faites. Faites bien vos marchés, Grisettes, Avant qu’aimer les grands Seigneurs : Sitôt qu’ils ont eu vos faveurs, Adieu paniers, Vendanges sont faites. Défiez-vous de ces coquettes, Qui n’en veulent qu’à vos écus ; Sitôt que vous n’en aurez plus, Adieu paniers, vendanges sont faites.