Elle n’a point paru!... j’ai beau me consulterv ; De moment en moment, tout sert à m’agiter. De chez Dursé sa soeur ma femme est revenue, Cette nuit !... je souhaite et redoute sa vue. Du Marquis de Rosanne on la croit veuve ici. Mon cruel Oncle est seul auteur de tout ceci. Lui seul de mon Hymen prolonge le mystère, Et ma femme... elle veut que je cherche à lui plaire, Exige le secret, m’en à fait un devoir.... Enfin, après six mois, je vais donc la revoir ! Eh bien ! Où vas tu donc, et quelle impatience...? On a sur l’enveloppe écrit, en diligence.... Lisez...         Eh ! Donne donc. De Terville ! Comment !... Va, sors.     Ne faut-il pas ?         Point de raisonnement. « J’arriverai peut-être aussitôt que ma Lettre : Mais près de Montbrisson crains de me compromettre, En me désavouant de tout ce que j’ai fait. Verseuil, un tel Hymen te convient tout-à-fait ; Ton intérêt le veut, l’amitié le désire, Et j’ai dit en ton nom tout ce qu’il fallait dire ; Si tu n’en as rien su, c’est un soin de ma part ; Je n’osais d’un espoir te flatter au hasard. Je voulais te surprendre en faisant ces avances ; Et le succès peut seul couvrir mes imprudences. » Et voilà justement d’où naît mon embarras ? Je tremble de parler ... ou de ne parler pas. Quoi !... d’honneur, je m’y perds ; j’aime d’Hymen me lie, Et l’on compte sur moi pour épouser Julie ! Très bien ! Aussi Terville a-t-il perdu le sens ? Prendre pour cet Hymen les soins les plus pressanTs, Lui, de la liberté, défenseur intrépide !... Faire un sort à Julie est ce qui le décide. Que ne l’épouse-t-il ?     Ah ! me voilà perdu. Vous écoutiez, je crois.         Je n’ai rien entendu. J’entrais mais auriez-vous quelque chose à m’apprendre Tout ce que vous voudrez, je consens à l’entendre. Je suis prête, parlez.... que dis-je ? En ce moment, Ce qui doit se passer se devine aisément. Encore ?         Il est très clair que vous aimez Julie. Toujours avant la noce on aime à la folie ; Mais, tout prêt d’épouser, et de se voir lié, Le plus heureux Amant n’est heureux qu’à moitié : Sur les coeurs qu’il soumet l’Hymen agit d’avance, Et, même avant sa chaîne, on sent son influence ; On s’inquiète, on rêve, on songe à son destin, Et l’on est, comme vous, éveillé plus matin. A propos, pour la Fête un témoin nous arrive, Une femme agréable, une veuve assez vive, Madame de Rosanne.         Qui ? L’aime-t-on ici ? Que vous importe à vous ?         C’est pour être éclairci... Et Nérine, du moins, la trouve-t-elle aimable ? Mais elle est moitié gaie et moitié raisonnable. Moi, je n’y connais rien, et vous en jugerez. Pensez-en bien du mal : vous me le confierez. Oui : comptez là-dessus.         On dit qu’elle est jolie. Chez nous depuis cinq mois elle s’est établie. À peine elle connut Confier de Montbrisson, Qu’elle vint à Paris loger dans sa maison ; Lui, jamais il n’avait entendu parler d’elle. La Dame a du babil, de certains airs de zèle, Et vite pour Julie on demande ses soins ; J’avais peu de crédit, il m’en reste encor moins. Voilà ce que je sais.... et ce que je présage, C’est qu’elle accourt exprès pour votre mariage ; Il va la réjouir.         Je doute de cela. La Marquise aime assez tout ces incidents là. Oh ! Celui-ci, je crois, n’est pas fait pour lui plaire. Pourquoi donc parler bas ? autant vaut-il se taire ? C’est elle...     Dieu ! je fuis !         Je vous en sais bon gré. Montbrisson l’accompagne, il en est enivré. Sortons : malgré ma joie et mon impatience, Je dois pour le moment éviter leur présence. Ah ! je vous attendois avec empressement : Pour la tendre amitié, l’absence est un tourment. J’avais besoin de vous, j’ai du chagrin. Julie, De jour en jour, se livre à sa mélancolie ; Cette enfant m’inquiète, et sa moindre douleur Ne peut être, Madame, étrangère à mon coeur. Son père n’écrit point ; elle y songe sans cesse ; Voilà peut-être aussi l’objet de sa tristesse. A-t-elle enfin reçu de ses nouvelles ?         Non : Ce silence m’alarme, et c’est avec raison. Quel ami j’ai perdu !         Puis-je sans imprudence, Demander le motif d’une si longue absence ? Ce qui vous intéresse a droit de me toucher. Son malheur est de ceux qu’on ne doit pas cacher. Dorival, ( c’est le nom du Pere de Julie ), Dans un poste éminent honoroit sa patrie ; Mais il montroit des moeurs et de la probité : Il arracha l’estime.....il fut persécuté. Des délateurs puissans bientôt se réunirent : D’injurieux soupçons par degrés le noircirent, Mon ami succomba : coup sur coup accablé, De ses biens, de sa charge, il se vit dépouillé. La Cour fut prévenue, et la Cour fut séduite ; Contre un infortuné le crédit sollicite. Un long-temps se consume à détruire un méchant : Pour perdre un honnête homme, il ne faut qu’un instant. Dorival malheureux restait sans espérance : Je courus le trouver. « Tu m’aimas dès l’enfance : Je te dois tout, lui dis-je, et je viens te l’offrir : T’aider dans la disgrâce est mon plus grand plaisir... Non, me dit-il, je vais, loin de la perfidie, Armer contre le sort une noble industrie ; Plus libre et moins connu, je serai plus heureux. Mais, tu peux satisfaire au plus doux de mes voeux ; Il me reste une fille, elle sera la tienne : Je croyais l’élever, que ce droit t’appartienne. Je vais, pour elle seule, au moment du repos, Recommencer ma course, et chérir mes travaux. » Quel père !... et quel ami !         Ce récit est fidèle. Jugez combien Julie a de droits sur mon zèle ! Elle tient, dans mon coeur, de ses vertus épris La place de ma femme et celle de mon fils. Suis-je assez malheureux ?... Non, Madame, sans elle, Je ne survivrais pas à leur perte cruelle ; Depuis près de deux ans, je les pleure tous deux, Et toujours leur image est présente à mes yeux. Tout fuit autour de moi ; je n’ai plus que Julie : Ma sensibilité sur elle est réunie ; Et, dans cet abandon trop fait pour alarmer, Je tiens par elle encor à la douceur d’aimer. Elle en est digne au moins : attentive à vous plaire, Son âme se partage entre vous et son père : Vous êtes tout pour elle.         Ah ! n’allez point penser Que je nuise à ses goûts, ou veuille les forcer. Je n’irai point ici, captivant sa jeunesse, Enchaîner les beaux ans au fort de la vieillesse, Il faut que de son âge exerçant tous les droits, Elle soit très heureuse, et le soit par son choix. Je désire en secret pour ma tendre Julie Qu’un amour vertueux puisse embellir sa vie : Je protège et chéris tous les penchants du coeur, J’en ai senti long-temps l’innocente douceur : Elle doit en jouir : c’est la mon espérance, Et sa félicité sera ma récompense. Quel langage touchant ! que vous m’intéressez ! Et savez-vous sur qui ses voeux se sont fixés ? Sur personne, je crois ; mais depuis une année, Dans mon coeur, en secret, je l’avais destinée. Pour qui ?         Pour mon neveu : je croyais vaincre en lui Ce coupable travers qui l’égare aujourd’hui. Vous le ramènerez.         Je crains bien le contraire : Comme au meilleur principe, il tient à sa chimère. Il a dans Ion erreur, dans son illusion, L’inflexibilité que n’a point la raison. Il s’est déjà, Madame, offert dix mariages Qui lui garantissaient les plus grands avantages, La faveur de la Cour ; les grâces, les moyens De servir et son Prince et ses Concitoyens ; Il a refusé tout ; et puis, l’âge s’avance ; Il a passé trente ans, je n’ai plus d’espérance. S’il avait moins d’esprit, et s’il combinait moins, Je pourrais augurer le succès de mes soins ; Mais, un fou qui raisonne, un fou, qui se croit sage, Vient-on à le prêcher, le devient davantage. Il est né délicat, honnête, généreux ; Il fait taire son coeur ; il sera malheureux. Tranquille possesseur d’une fortune immense, Terville la dissipe avec indifférence ; Insensible à l’espoir d’être utile après lui, Il croit que par le faste on échappe à l’ennui. Eh bien, Monsieur, il faut, en plaignant sa folie. Chercher un autre époux à l’aimable Julie. Il veut la marier.         Qui ? Terville, Monsieur ! Comment ! Il s’en occupe.... il y met de l’ardeur ! Eh ! Quel est, s’il vous plaît, celui qu’il lui destine ? Il est jeune, placé, d’une ancienne origine, Ayant l’éclat d’un nom, sans en avoir l’orgueil, Charmant ; c’est en un mot, le Comte de Verseuil. Le Comte de Verseuil !         D’où naît cette surprise ? Dites-vous bien le nom ? N’est-ce point par méprise ? C’est le nom sous lequel il nous fut présenté, Et c’est celui dit-on, qu’il a toujours porté. Le connaîtriez-vous ?         On ne peut davantage. Il est aimable.     Fort.         Et je crois qu’il est sage. On l’assure.         Il suffit : votre suffrage est tout. Je désirais quelqu’un qui fut de votre goût : Verseuil réussira puisqu’il a su vous plaire, Madame, et vous pouvez avancer cette affaire. Monsieur, je vous déclare, et c’est avec regret, Qu’ici mon entremise aura très peu d’effet. Quoi que vous en disiez, vous voudrez bien, je gage, De concert avec moi, presser ce mariage. Vous m’en dispenserez.         Non, assurément, non. Votre sagesse aimable aidera ma raison. En vain à deviner mon esprit se fatigue : Je ne peux démêler le noeud de cette intrigue. Le Comte de Verseuil aurait pu !....         Le voici. Me trompai-je ? Comment !     Écoutez !         Vous ici ! Oui, le même toujours ; aussi vrai que fidèle, Détestant de mon coeur la contrainte cruelle Au gré de mes désirs que vous avez tardé ! Victime d’un ami, d’un soin trop hasardé... Mais pourquoi revenir sur les maux de l’absence ? La peine est déjà loin, quand le bonheur commence. Je reviens à propos pour votre hymen.         Un mot. Oh ! Cent, pour m’informer....         Vous le serez bientôt . Rien n’est plus sérieux.         Hé bien, daignez m’entendre. A peine eus-je formé le lien le plus tendre, Soudain, vous le savez, mon Régiment partit. L’honneur parle, il commande et l’amour obéit. D’un exil douloureux enfin le terme expire. Impatient, troublé, je pars sans vous l’écrire. Voilà mon tort : j’accours, et, plein d’un juste espoir, Je vais chez Montbrisson, comptant bien vous y voir. Mais, sachant qu’avec vous il était à sa terre, Je vis qu’on fait très mal en croyant très bien faire. Trompé dans mon attente, isolé dans Paris, Jugez de mes regrets ! Je m’accuse, et j’écris. J’allais fermer ma Lettre, on m’annonce Terville : De Montbrisson, dit-il, connais-tu la Pupille ? Charmante !... j’y souscris, et, vous sachant ici, Je brûle d’y venir : il le souhaite aussi ; Nous arrivons... le jour que vous étiez partie, Et l’on m’apprend alors que j’épouse Julie ! J’étais à mon insu tellement engagé, Qu’au silence du moins je me crus obligé ; Je ne l’ai point rompu : dans cette circonstance Je n’osais de Terville avouer l’imprudence. Il me quitte, il s’échappe : on m’invite à rester. Voilà d’où naît le mal, je n’ai pu l’éviter ; Et, si dans tout ceci ma conduite est blâmable, Qu’on s’en prenne à lui seul, qui m’a rendu coupable. Ah ! je respire enfin.         M’auriez-vous soupçonné ?... Puisque je vous revois, tout vous est pardonné. Ainsi donc dans votre ame et dans votre pensée, Julie et ses attraits ne m’ont point éclipsée. Vous !... mais combien de voeux je fais pour son bonheur Ses soins pour Montbrisson peignent si bien son coeur ! En la louant, Verseuil, on dit ce que j’en pense ; C’est la grâce naïve unie à la décence. Elle va me haïr, me détester.         Qui? vous ! Pourquoi ?         Je viens ici lui ravir son époux. D’une vaine frayeur cessez d’être frappée ; Non, je ne la crois pas de moi fort occupée. Si vous cédiez, au reste, au plaisir de changer, Je serais, je vous jure, en fond pour me venger. Tandis qu’on vous offrait de nouvelles conquêtes, Moi, pour mon compte aussi, j’ai fait tourner deux têtes. Et quelles, s’il vous plaît ?         Ceci devient prenant, Devinez.         Le premier n’est pas embarrassant ; C’est Terville.... c’est lui, n’est-ce pas ?... suis-je habile ? De ces énigmes-là j’en devinerais mille. Oui, puisqu’il vous a vue, il a dû s’enflammer ; Terville a trop de goût pour ne pas vous aimer. Il cache, et ce soupçon doit entraîner le vôtre, Dans ses aveux pour moi, ses amours pour une autre. Vous croyez...         Oh ! je crois qu’il se trompe à plaisir, Et par lui-même ici je veux m’en éclaircir. Mais l’autre ? Un peu longtemps vous rêverez, j’espère ; Vous aurez de la peine à vous tirer d’affaire. Entrevoyez-vous ?     Non.     Cherchez bien.         Je me rends. Déjà ?     Dites-moi donc....         Monsieur de Saingérans. Mon Oncle ! oh, par exemple, il faut que j’en convienne J’étais loin d’y songer.         L’anecdote est certaine. Je ne plaisante point : il m’a toujours parlé Il n’a point trop dormi.         Vous l’aviez éveillé ; C’était sa passion qui l’occupait.         Sans doute : Il veut venir me voir.         Ici ? Je le redoute. Il connaît, m’a-t-il dit, Monsieur de Montbrisson ; D’exercice et d’étude il fut son compagnon ; Il arrive ce soir et l’a dû même écrire. Fort bien ! c’est sur le tard que mon Oncle soupire !.... Quand j’y pense pourtant, : il ne m’alarme pas, Et peut nous aider même à sortir d’embarras. S’il apprend qu’il s’agit pour moi d’un mariage, Notre homme, j’en réponds, va faire un beau tapage ; Et, grâce à son refus, dont vous serez témoin, D’autre explication nous n’aurons pas besoin. Mais, quand pourrai-je donc, me trahissant moi-même, A l’univers entier dire tout haut que j’aime ! M’abandonner sans crainte à des transports si doux, M’enorgueillir enfin du nom de votre époux, Obéir à l’amour ! Votre délicatesse D’un silence forcé m’imposa la promesse. Sans vous, à feindre ici rien ne m’aurait soumis ; Mon coeur me démentait quand ma bouche a promis. Par le même motif hâtant l’effet contraire, Je brûle d’avouer ce que vous voulez taire, Et, lorsque mon bonheur au comble est parvenu, Il me semble imparfait tant qu’il n’est pas connu. Vos charmes, vos vertus, tout, tout me justifie, Et je ne risque rien que d’exciter l’envie. Et cet Oncle entêté.         Le vieil extravagant ? Vous savez à quel point il est inconséquent. Quoique l’hymen toujours ait paru lui déplaire, Quoiqu’il soit, comme on fait, garçon sexagénaire Et libre dans ses moeurs : pouvez-vous oublier Qu’il voulût à sa guise un jour vous marier ; Et que, sur vos refus, sa bizarre colère Nommait à ses grands biens un autre Légataire S’il n’eut de vous, dit-on, arraché le serment Que vous rejetteriez tout autre engagement? Oubliez-vous aussi que la Cour elle-même Qu’il avoir su gagner par quelque stratagème, Désirait un hymen si contraire à nos voeux ? Vous déplairiez peut-être en déclarant vos noeuds ; Et pour moi quel reproche... Ah çà, point de méprise : Je conserve en ces lieux le titre de Marquise, La Comtesse se cache ; il le faut, songez-y : N’allez pas vous tromper et parler en mari. Chut ! On entre !         Elle arrive, et la voilà qui cause Avec un inconnu !... c’est une étrange chose Que ce babil sans fin !...         Ah ! Nérine, bonjour. Ta Maîtresse, dis-moi, sait-elle mon retour ? Oui, Madame, et je viens demander audience. Elle descend.     Pourquoi ?         C’est par impatience. Je vais la prévenir.         Écoutez donc, Monsieur... Où courez-vous si vite avec cet air d’humeur ? Bonsoir. Ce Comte là ressemble à la Marquise ; Ils s’entendent déjà ; je n’y serai plus prise. Ah ! le maudit séjour ! Ce Verseuil n’est qu’un fa Et Terville... est un sot avec son célibat. Vite, à boire au Courier ?         Oh ! c’est Lafleur, je pense ; Oui, je le reconnais à la soif : sa présence Va m’égayer au moins ; j’étais d’un morne affreux. Toujours sur les chemins ! c’est un métier fâcheux. Monsieur Terville ainsi me lasse à ne rien faire ; Toujours du mouvement, et jamais une affaire ! Ah ! friponne, bon jour !         Ce ton est cavalier. Ce sont de ces minois qu’on ne peut oublier. Je l’aime, ce Lafleur...         Ainsi ton Maître arrive ? Oui ; moi, j’ai devancé Jasmin, Germon, Lolive, Et me voilà, pestant, enrageant de mon mieux, Bien roué, bien brisé, mais toujours amoureux. Avec ce bel amour, tu courras donc sans celle ? Il faut bien, mon enfant. Terville est dans l’ivresse ; Il va, vient, s’étourdit. C’est ici, puis c’est là, Jamais de poste fixe ; et, malgré tout cela, Je ne jurerais pas qu’il n’eût au fond de l’âme Quelques chagrins secrets, quelque invisible flamme. Souvent je l’ai surpris poussant de longs soupirs... Bon !         Ses distractions ne sont pas des plaisirs. Mais encor ? Que sais-tu ?         Qui ? moi, je conjecture. Suffit... de ce train là quoiqu’ici je murmure, Mes courses cependant valent bien le repos. J’ai, pendant ma quinzaine, été dans dix châteaux. Des spectacles partout, des fêtes, grande chère. Oui-dà ? mais je veux, moi, qu’on soit plus sédentaire ; Sur ce principe là règle-toi désormais : Tu m’as placée ici, pour ne t’y voir jamais ; Point d’intrigue à mener, point d’amant, quel supplice! J’ai du zèle de reste, il est sans exercice ; Ma Maîtresse est charmante, et je la sers de coeur. Eh bien ! Elle m’évite et se tait. Quel malheur !         Il est désespérant.... je suis d’une colère ! . . . Songe à m’épouser vite, afin de me distraire ! T’épouser ! bouche close ; au moins baisse le ton : Mon Maître est inflexible et n’entend pas raison Sur cet article là.         Ni moi non plus, j’espère. Il faut, pour le servir, être Célibataire, C’est l’ordre ; et moi, sur-tout, comme premier Valet, Je dois m’assujettir à l’état qui lui plaît. Il me déplaît à moi.         Vraiment, c’est que tu m’aimes. Je ris de voir Lafleur adopter des systèmes : Rien n’est aussi bouffon.         Aussi prudent : enfin, Aujourd’hui marié, je suis chaste demain. L’une observe en ces lieux un silence tenace ; L’autre y défend l’hymen.... Que veulent-ils qu’on fasse ? Je te le dirais bien.         Et je n’entendrais pas. Quoi ?         L’amour conjugal a pour moi des appas, Ou le Notaire, ou rien.         Ou rien. Voilà le diable. Où vas-tu donc ?         Chercher un amant plus traitable Qui n’ait pas comme toi le goût de voyager, Et qui, jusqu’à l’hymen veuille bien déroger. J’ai le ton de mon siècle .... entre nous, sauf le blâme Je pense en esprit fort, toi tu parles en femme. D’accord.     Écoute-moi.     Non, pas un mot.         Je vais Déjeuner avant tout, et... nous verrons après. Ne me voyez-vous point ? Ne suis-je rien au monde ? Interrogez-moi donc pour que je vous, réponde. T’interroger ! Sur quoi ?         Parfaitement trouvé ! Comment ! Sur quoi ? Sur tout.... Terville est arrivé. On l’attendait.... eh bien ?         Eh bien, Mademoiselle... C’est qu’on est à l’affût de la moindre nouvelle, Il amené Lafleur .... riez donc une fois. Nérine, l’as-tu vu ?         Mais vraiment, je le crois J’ai vu Lafleur aussi         Nouvelle fort utile ! Plus que vous ne pensez.         La santé de Terville ?... Est très bonne.     Tant-mieux.     Un peu las.         Il court tant ! Eh ! oui : que voulez-vous ? Il s’amuse d’autant. Chacun a son plaisir et son goût dans la vie : Terville est enchanté quand son cercle varie ; De nos jeunes oisifs il et le plus errant : Mais cela, comme à moi, vous est indifférent ; Nous n’y prenons pas garde. Il court, grand bien lui fasse! Je serais comme lui fi j’étais à sa place ; On est libre et... l’on va... bon, je vous parle en vain, Vous ne m’écoutez pas ; maudit soit le destin ! Vous voyez à quel point va pour vous ma tendresse ; Et je ne sais jamais ce qui vous intéresse. Oui : je sèche sur pied... des soupirs !... et puis, rien. Quelques mots échappés vous soulageraient bien, Un seul... pour essayer.         Nérine, êtes-vous folle ? Oh ! Je le deviendrai... ce ton froid me désole. Jamais, quoi qu’il arrive, il ne faut s’oublier : Je n’ai rien à vous dire, et rien à confier. Justement. Quel travers ! triste, jeune et jolie.... Pourtant cela promet.         Finissons, je vous prie. Allons, me voilà bien. Vous parlerez, sinon Je n’y tiens plus, je pars et sors de la maison. Le voilà de retour.         Et très content de l’être. Je chéris cet asile....         Il est calme et champêtre. L’air naturel y règne, et cet air là m’est bon. Cette fois votre absence a plus duré.         Mais non. Trois semaines.     Au plus.         Ah ! J’en crois mieux Julie ; Elle compte les jours : ma Pupille s’ennuie ! Avec vous .... moi ! jamais.         D’un reproche flatteur Je connais tout le prix ; rien n’échappe à mon coeur. Oh ! Pendant mon séjour, je prétends la distraire. J’ai de très grands projets !... Verseuil a-t-il su plaire ? Bals sur bals !...     Bon!         Pourquoi tous ces plaisirs bruyants ? En effet, rire, aller, danser, à dix-huit ans, Rien n’est moins naturel... comme elle est raisonnable ! Sa rêverie est douce, et la rend plus aimable. J’aime à la retrouver.         Et vous partez toujours ! Où diable a-t-il été ?         Mais j’ai passé trois jours Chez Eglé, deux plus loin ; le reste, chez Mélite, Femme très agréable, et que par-tout on cite ; On est très bien chez elle ; on y vit librement, Comme l’on veut.         Aussi vous y voit-on souvent ! Cette Mélite est jeune ?     Assez.         Elle est jolie ? Qui ; mais bien moins que vous.         Point de plaisanterie ! Je ne plaisante point.         On vous a donc gardé Pendant tout ce temps-là ?         Malgré moi j’ai cédé. Prêt à recommencer demain... Ciel ! Quelle vie ! Monsieur a bien raison.         Oh ! C’est une manie : Car enfin, dites-moi, puisque je vous tiens là, Qu’est-ce que vous trouvez de plaisant à cela ? Que voulez-vous ? j’ai tort : peut-être je m’abuse. Je me distrais, au moins.....trop heureux qui s’amuse ! Heureux qui sent le prix de la simplicité, De la paix domestique et de la vérité ! Voilà les seuls plaisirs, tour le reste est folie. Mais je veux vous parler. Laisse-nous, ma Julie. Surtout, ne sois plus triste, et crois que ton bonheur Est le voeu le plus doux, le plus cher à mon coeur. Que j’aime ce maintien, cette grâce touchante ! Je la trouve embellie, et sa candeur m’enchante. Eh bien ! pour te fixer, que te faut-il de plus ? Tu vantes ses appas, tu crois à ses vertus, Et souhaites qu’un autre en soit dépositaire ! Obéis à ton coeur, cède au mien qui t’éclaire. Ma fortune est sa dot.         À quoi bon insister Sur ce que je ne puis ni ne veux accepter ? C’est ce dont je me plains, et c’est ce qui m’arrête, Car mon premier dessein roule encor dans ma tête ; Ton hymen...         Ah ! De grâce, oubliez ce projet. Pour vous en détourner, n’ai-je point assez fait ? Quand j’établis Julie et m’empresse pour elle, Je dois être à l’abri d’une instance nouvelle. Mais tu l’aimes, dis-tu?         Comment faire autrement ? Sans doute, elle m’est chère.         Esprit inconséquent ! Je n’entends rien encore au motif qui te guide, Tout dans elle te charme .... un travers te décide ! Consulte le bon sens.         Eh ! Lui seul est ma loi. Il te dit, n’est-ce pas, qu’il faut vivre pour soi, Ce qu’on nomme penchant, l’appeler tyrannie, Éluder le tribut qu’on doit à sa Patrie ; Et qu’un sage, un grand homme, un philosophe enfin, Devient un être à part qui n’a plus rien d’humain ? Il me dit d’être heureux, ou de chercher à l’être ; En garde courre moi, de m’en rendre le maître ; D’être libre sur-tout, de craindre et d’éviter Un fardeau que l’on prend pour ne le plus quitter. J’ai calculé les maux, pesé les avantages : Rêver sur le bonheur est l’étude des sages ; Ce fut aussi la mienne .... Qui, Monsieur, vous riez ! Mais je le prouverais si vous y consentiez. N’attaquez pas mon coeur : il est né très sensible ; Il est armé peut-être, et non pas inflexible. Ah ! J’étais confiant : mes premières ardeurs Me laissaient le bandeau des aimables erreurs. Fait pour croire à l’amour, pour sentir son ivresse, Je voulais un lien qui fixât ma jeunesse ; Mais j’éprouvai bien-tôt, et sus à mes dépens, Que le ton de nos moeurs éteint nos sentiments. On se charge en courant d’une chaîne légère ; L’enchantement d’aimer cède à l’orgueil de plaire ; On est sans passions où dominent les goûts, Et l’on se sent blesser dans les noeuds les plus doux : Ce coup d’oeil, j’en conviens, m’a rendu moins crédule ; Je m’épargne un chagrin, j’évite un ridicule ; Je les ai craints tous deux, et, dans mon juste effroi, Je me suis bien promis de dépendre de moi : La prudence a vaincu.         Quelle bizarrerie ? De ta fausse raison, que ton coeur se défie. Lorsque de la nature on combat l’ascendant, Terville, on est barbare, et l’on n’est pas prudent. Les femmes... entre nous, quelle idée as-tu d’elles ? Sans doute tu n’y vois, dans tes voeux infidèles, Que de faibles jouets que l’on feint d’adorer, Et que, sans nuls remords, on peut déshonorer ? Ah Dieu ! que dites-vous ? Que c’est mal me connaître ! Nul autre plus que moi ne les aime peut-être. J’appréciai toujours leur commerce enchanteur, Délices de l’esprit et le besoin du coeur. L’Amant piqué s’en plaint, le sot les calomnie. Pour moi, je leur devrai le charme de ma vie. Mais pourquoi sous le joug languir emprisonné ? Pour être délicat, faut-il être enchaîné ? Un encens libre et pur est bien plus fait pour elles. Quel qu’il soit, l’esclavage a des fuites cruelles ; Il amène les torts, les langueurs, les dégoûts. Pour devenir tyran, il suffit d’être époux. Mille exemples fameux ont trop su nous l’apprendre. L’homme, armé du pouvoir, néglige d’être tendre : Impérieux et froid, même au sein des desirs, En acquérant des droits, il perd tous ses plaisirs. Illusion d’un coeur qui s’abuse lui-même! Ah ! C’est un sentiment beaucoup plus qu’un système. Je ris d’un être vain, inquiet, soucieux, Qui se charge, au hasard, d’en rendre un autre heureux. C’est bien assez, hélas ! pour nos forces bornées, D’avoir à soutenir nos propres destinées. Oui, l’on est peu sensé, lorsqu’aux pieds des Autels On va courber son front sous des noeuds éternels, Et, du moment qui naît à peine étant le Maître, On ne peut garantir le moment qui doit naître ; C’est une opinion, c’est la mienne : après tout ; L’attrait seul nous décide, et chacun suit son goût : Sauf l’égard que je dois à ces noeuds qu’on renomme, On peut, sans être époux, être fort honnête homme. Mon cher Oncle, d’ailleurs, pourquoi vous plaindre ainsi? Contre ce chaste hymen, j’ai beau m’être endurci, Je le vois quelquefois sans qu’il me scandalise. Le Comte, par exemple, est un choix que je prise, Fait pour votre Pupille : eh bien ! moi, je consens Qu’ils s’embarquent tous deux sur la foi des serments : Ce bonheur, contre qui mon âme est révoltée, Est, je le vois, le seul qui soit à leur portée. Verseuil est justement l’homme qu’il nous falloir ; Verseuil, aux qualités joint la grâce qui plaît.... Mais, cet hymen conclu, j’en puis empêcher mille, Et c’est au moins, Monsieur, un moyen d’être utile. Puisque ton coeur s’oppose à mon plus cher espoir, Et qu’enfin tu le veux, il faut bien le vouloir. Mon Oncle, faites plus ; contentez mon envie : N’en assurez pas moins votre bien à Julie ; Ce sera m’enrichir que de lui tout donner. Comment ?         Ce coeur si froid voudrait la couronner. De l’héroïsme, allons... mais Verseuil doit dépendre... Son Oncle à vos désirs ne pourra que se rendre. Quel est-il ?     Saingérans.         Quoi ! Ce fou suranné ; Vieux garçon bien oisif qu’on croit bien fortuné, Dameret sémillant dans un corps tout débile, Qui promène à grands frais son asthme par la ville, Et chez qui, malgré l’âge appesanti sur lui, Rien n’est encor profond que le vice et l’ennui. Lui-même.         Il nous arrive ; il vient de me l’écrire : On a besoin de lui ; qu’il vienne.         On peut en rire ; Il vous amusera.         Non pas, assurément : Mais je me munirai de son consentement. Il ignore donc tout ?         Oui ; du moins je le pense. Sa Lettre dit qu’il veut renouer connaissance. Où peut être Verseuil ? Ceci va le charmer, Connaissant mieux Julie... Ah ! Comme il doit-l’aimer ! Je l’ai laissé tantôt seul avec la Marquise. Comment seul avec elle ! et Julie autorise... Elle est donc de retour ?         Eh ! Mais apparemment. Et Verseuil la connaît ?     Beaucoup.         Infiniment, Cela m’en a tout l’air... la Marquise l’estime ? Oui, oui.         Je vois d’ici quel intérêt l’anime. Il ne perd pas son temps.         L’éloge qu’elle en fait M’a même pour Verseuil prévenu tout-à-fait. J’honore cette femme on ne peut davantage : La sagesse indulgente est son heureux partage. Et se connaissent-ils depuis longtemps ?         Ma foi, Je n’en sais rien du tout : tu te moques de moi Avec tes questions.         C’est que j’avais envie... Je vais chercher Verseuil, et parler à Julie. Vous m’enverrez le Comte ?         Oui, vraiment ; il le faut. Il est essentiel qu’il s’explique au plutôt. Votre exemple déjà l’aura gagné peut être ; On fait bien des progrès avec un si bon Maître. Je vous réponds que non : je le déciderai.... Et je vous garantis que je le marierai : J’ai mes raisons.     Adieu.         Bon! à ce qu’il me semble, La Marquise et Verseuil sont assez bien ensemble. Le moyen de souffrir un tort aussi marqué ! Je ne suis point jaloux, mais je suis très piqué. Ah ! Monsieur de Verseuil, vous allez un peu vite ; De vos pouvoirs ici vous passez la limite. Calmez-vous s’il vous plaît, réprimez cette ardeur.... Et laissez-moi du moins de quoi tromper mon coeur ; Même alors qu’il s’immole, et qu’il la sacrifie, Je ne sais quel attrait me ramène à Julie ; Je dois m’en défier, renfermer mon secret, Et me réfugier aux pieds d’un autre objet ; Refroidi par l’Hymen je me verrais moi-même... Comment peut-on risquer d’épouser ce qu’on aime ! Si la Marquise veut, elle va me sauver ; Et d’un attachement un goût peut préserver. Mais, quoi !... Si je déplais, si mon espoir l’offense... Je m’en consolerai par mon indépendance. Ah ! Terville, bonjour !         Ah ! Monsieur, vous voilà. Que veut dire, mon cher, le ton que tu prends-là ? Je voulais vous parler.     Eh bien, parle.         Julie Est jeune, intéressante.         Eh ! qui est-ce qui le nie ? J’en conviens volontiers.         Julie a de ces traits, Qui, dès qu’on les a vus, ne s’effacent jamais : On veut les retrouver dans ceux que l’on adore ; On croit n’y plus songer, et l’on y rêve encore : C’est un ... je ne sais quoi, plus doux que les appas, Et le coeur qui le sent, ne le définit pas. Comment donc ! ce portrait, plein de délicatesse, Est digne d’un Amant, et ressemble à l’ivresse! L’amitié peint souvent aussi bien que l’amour. Tu m’étonnes au moins !     Au but.         Oui, sans détour. Julie a tout, beauté, grâce... une ame si pure ! Emparez-vous d’un bien qu’un ami vous assure. Ou, vous ne savez pas ce qu’ici vous perdez... Ou, vous manquez, Monsieur, à tous les procédés... Eh ! bon Dieu ! quels grands mots !         Non, non, ce sont des choses. Écoutes : ce trésor qu’ici tu me proposes, Ce bien que d’accepter tu me fais une loi, Que ne t’en saisis-tu ?         Que dites-vous ? Qui ? moi ! Il le faut avouer.... La tyrannie est forte. Faut-il que pour cela ton amitié s’emporte ? Je n’aime point Julie.....et vous pouvez le voir Mais quand je l’aimerais, je voudrais la pourvoir Je voudrais.....     Calme-toi.         Me parler mariage ! D’honneur, vous êtes fou.         D’honneur, tu n’es pas sage. Croyais-je t’offenser ? Et puis, en vérité, Je vois à cet hymen quelque difficulté. Nulle. Votre Oncle vient.     Je le sais.         Quelle encore ? D’abord c’est qu’on me hait.         Eh ! point, on vous adore. Le contraire est visible, et j’en suis très certain. Voilà bien les amants !... des ombrages sans fin ! Mais, pour croire à cela, quel motif est le vôtre ? Là... pourquoi vous haïr ?         Pour en aimer un autre. Un autre ! Et qui ?         Ma foi, je ne te dirai pas ; Mais je m’éclaircirai ; je veux.....         Bel embarras ! T’es-tu persuadé dans le fond de ton ame Qu’on doit avec délire être aimé de sa femme ? Ce serait un peu loin pousser l’illusion. L’hymen est, tu le sais, un Dieu plein de raison, Et l’amour même est sage à l’aspect d’un Notaire. Mais tu ne dis pas tout : allons, trêve au mystère Conviens-en ; la Marquise a paru dans ces lieux, Et seule a tout brouillé : parle vrai, je le veux, J’ai droit de l’exiger.... tu l’aimes, je parie ! Parbleu ! Tu gagnerais, et . ...         Point de raillerie ? Il s’agit d’amitié, je pense ; sans cela Je serais très choqué de ce procédé là. Julie en ce séjour est ton unique affaire ; Je sais pour vous unir tout ce qu’on m’y voit faire Voilà ta million et mon arrangement : Tu n’y peux de ce but t’écarter un moment ; Et, s’il faut m’expliquer avec pleine franchise, Tu dois, presque pour rien, y compter la Marquise. Comment ? Presque pour rien !     Oui.         Demande un peu moins. C’est me contrarier que lui rendre des soins : Puisqu’il faut dire tout, j’ai des projets sur elle ; De l’objet que je cherche elle est le vrai modèle : Elle a de la gaieté, des moeurs, le meilleur ton ; Elle pense, elle est veuve, et moi, je suis garçon : Tout convient.         Grand-merci de cette confidence. Mon coeur, à tous égards, t’a dû la préférence. Eh ! mais, avances-tu ?         Mais.... j’augure assez bien ; J’ai déjà même écrit.     Et pour réponse.         Rien. Progrès encourageant !         Je saurai la réduire. Par cent nouveaux secrets je prétends la séduire ; J’en inventerai tant, qu’elle n’y tiendra pas ; Je te dirai ma marche et tu m’applaudiras. Peut-être.         Il faudra bien : oui, malgré ton peut-être, Apprends qu’on est aimé lorsqu’on s’obstine à l’être. Mais sois discret, afin que mon bonheur soit pur. Tu ne pouvqis choisir un confident plus sûr. Il est essentiel, tu vois, de nous entendre ; Aux voeux de l’amitié j’ai le droit de prétendre ; Tu dois me servir même, au lieu de me croiser ; Fais que l’on m’aime, et moi, je te fais épouser. Par des soins mutuels, tenons avec adresse, Toi, ta femme, de moi ; moi, de toi, ma Maîtresse, Vraiment, tu dois m’aider.         Modère ce transport. Tu t’en trouveras bien, mettons-y de l’accord. Dis, me le promets-tu ?         Mais, non ; en conscience. Tu ris ?         Ce que tu dis est plein d’extravagance. Voilà de nos amis !         Tes discours sont si fous ! Vous faites tout pour eux, ils ne sont rien pour vous. Mais la Marquise approche ; et je vais, sans mystère, Lui déclarer un feu que je ne puis plus taire. Devant moi ?     Pourquoi non ?         Cela serait plaisant. Et...         Monsieur aujourd’hui trouve tout amusant. Oui     Les propos sont gais.         Plus qu’on ne peut le croire : Terville me contait la plus plaisante histoire. Madame, pardonnez, si mon empressement....         Paix donc... J’allais monter dans votre appartement J’ai rencontré Verseuil.         Point de cérémonie. Ô Ciel ! Des compliments auriez-vous la manie ? Non ; mais, il est des soins... il m’a seul arrêté ; Il est sur un article à tel point entêté !... Va-t-en donc.         Hem ? Comment ? Qu’est-ce que vous lui dites ? Oh ! C’est qu’aux environs il doit quelques visites ; Je le pressais d’aller.         J’y vais ; il le faut bien : Je ne veux point troubler un si doux entretien. Allez-vous me gronder ? êtes vous courroucée? Pourquoi ? Pour une Lettre, il est vrai peu sensée, Mais qui m’a réjouie : en vérité, Monsieur, Tout cela n’est point fait pour donner de l’humeur. Votre démarche est folle, et pourtant naturelle. J’en ai ri ; voilà tout.         Voilà ce qu’on appelle Un sang froid admirable !         Il en faut quelquefois. Vous avez vos écarts, et nous avons nos loix. Vous avez cru, sans doute, et je vous le pardonne, Qu’à distraire un moment je pouvais être bonne ; Que je préférerais des liens plus aisés À ces noeuds solennels qui nous sont imposés. Vous vous êtes conduit en vrai Célibataire, Fort bien ! il faut en tout garder son caractère. Mais j’ai le coeur, l’esprit, la tête mal rangés ; Et je vous ennuierais avec mes préjugés. Je tiens aux vieilles moeurs, aux décences antiques. C’est ma façon de voir ; elle est des plus gothiques : Je me déclare au moins, et ne me masque pas. Le mariage même eut pour moi des appas, J’en aimai les devoirs, les égards volontaires, Je suis un composé de petites misères Qui ne vous iraient pas, dont vous seriez honteux, Et l’amour nous rendrait infortunés tous deux. Eh quoi ! L’Hymen en vous trouve une apologiste. Vous aimeriez ce joug et ce contrat si triste, Qui condamne à s’aimer ceux qui s’aiment le moins Assujettit deux coeurs que l’attrait n’a pas joints ; Gêne et lasse bientôt la femme la plus sotte, Fait deux dupes toujours, et souvent un despote! Ainsi, vous serez donc ( disons-le... sans détour, ) Épouse sans bonheur, ou veuve sans amour ? Justement, sans amour ; moi, c’est ma fantaisie, Et je m’en trouve bien...         Fausse philosophie ! Quoi que vous en disiez, j’en ai de temps en temps... Pour mes opinions, non pour mes sentiments. J’aime assez votre esprit, et même plus qu’un autre : Mais ne me parlez point d’un coeur tel que le vôtre. Je m’en défierais trop.         Eh, pourquoi, s’il vous plaît ? Quoiqu’il soit très solide, il a l’air trop distrait. À force de raison vous n’êtes pas trop sage : Guidé par le caprice, emporté par l’usage, L’amant qui vous ressemble est toujours très léger, Où, s’il devient profond, c’est dans l’art de changer ; Il trompe par état, cède à la plus nouvelle, Est séduisant, parjure, et gaiement infidèle. Ah ! Peignez-moi, de grâce, avec d’autres couleurs : Ce ne sont là mes voeux, mes penchants, ni mes moeurs. Malheur à qui ne voit dans l’état le plus sage, Que le droit de céder à son humeur volage ! L’amant qui me ressemble, heureux de s’enflammer, Veut aimer librement afin de mieux aimer : De s’engager ailleurs il est toujours le maître, Mais son coeur est confiant pour le plaisir de l’être. Des gens dont vous parlez, si j’avais les défauts ; Si j’étais indiscret, léger, cruel ou faux, Prétendrais-je à vous plaire ? en aurais-je eu l’envie ? Lorsque vous m’accusez, mon choix me justifie. Quant à l’extérieur, convenez cependant, Qu’on peut être à la fois et sensible et galant. Vous ne m’approuvez pas ! eh quoi ! Serait-ce un crime, De venger les attraits d’un noeud qui les opprime ; D’offrir au juste orgueil d’un sexe idolâtré, Ce culte si flatteur des maris ignoré, Entre mille Beautés de n’en exclure aucune, Et, toutes les aimant, de n’en préférer qu’une, De cacher... jusqu’au choix qui peut enorgueillir, Et d’enchaîner l’amour sous les lois du plaisir ? Ce langage est joli ; le croyez-vous bien tendre ? A Ce reproche-là. je n’ai point dû m’attendre. Vous êtes, dites-vous, épris de mes appas ; Et moi, je vous préviens que vous ne m’aimez pas. Qui, moi ? Lorsqu’un aveu...         Je n’en suis pas la dupe. J’ai cru même entrevoir qu’une autre vous occupe. Si vous vous déguisiez vos véritables feux !... Souvent on est fripon, de peur d’être amoureux : Là, consultez-vous bien.         Que veut-elle me dire? C’est un prétexte vain que je pourrais détruire. Ah ! Je vois ce que c’est : Verseuil apparemment Vous aura conseillé ce cruel enjouement : Au reste, il faudra bien que votre coeur l’oublie ; Car vous savez, je crois, qu’enfin je le marie. Oh ! C’est à faire à vous.         J’y compte, et, dans ce cas, Vous voyez clairement qu’il ne vous convient pas. Si vous continuez, comme lui, je vais rire. De lui ? je le veux bien.         Adieu. Je me retire. Ah ! de grâce, un moment... s’il faut être jaloux, J’en suis capable, au moins, très capable.         Qui ? vous ! Vous le dites d’un ton persuasif.         Madame, Ne m’en défiez pas, je connois bien mon ame : Si je n’ai pas de quoi faire un mari charmant, J’aurai, quand je voudrai, les défauts d’un Amant. On entre ; c’est votre Oncle.         Ah ! Du moins, je vous prie Ne l’instruisez de rien.         Allons ! quelle folie! Moi, j’ai presque oublié ce que vous m’avez dit. Quoi ?... ma foi, je m’y perds, sa gaieté m’étourdit. Aidez-moi de vos soins ; je viens de voir Julie, Madame, et, sur Verseuil quand je l’ai pressentie, Elle a marqué soudain la plus vive douleur. Quelque chose l’agite et tourmente son coeur. J’ai voulu la presser, connaître ses alarmes, Ses yeux, en se baissant, se sont mouillés de larmes ; Elle évitéit les miens, et n’osait me parler. Ce silence pénible est fait pour me troubler. Madame, elle vous aime, et surtout vous écoute, Vous saurez arracher l’aveu que je redoute. Je veux qu’elle s’explique, efforcez-vous.         J’y cours, Le coeur le plus caché ne se tait pas toujours. Dans chaque occasion fiez-vous à mon zele ; Il est égal, Monsieur, et pour vous, et pour elle. Combien je vous devrai ! je ne peux voir souffrir Cette ame intéressante et qui craint de s’ouvrir. La raison est toujours imposante à mon âge. L’amitié sous vos traits obtiendra davantage. Celle que vous aimez à l’instant vous cherchait. Vous étiez, m’a-t-on dit, dans le petit bosquet ; Seule à vous affliger : ma foi, Mademoiselle, Quand on a tout pour soi, que l’on est fraîche et belle, S’attrister est bien fou.         Je pense comme toi. Mais vous avez pleuré ?     Quel conte !         Je le vois. Tu vois toujours fort mal.         Fort bien ; j’en suis très sûre. Ce n’est plus le dépit, c’est le coeur qui murmure. Je voudrais avoir part du moins à vos chagrins. Nérine ...         Tous vos jours devraient être sereins, Marquez par cent plaisirs, embellis par vos charmes. Qui peut dans ce séjour vous arracher des larmes? Ah ! que je hais l’ingrat qui cause son souci ! Si vous ne m’instruisez ; je vais pleurer aussi. Eh ! De quoi ?         Mais... de rien. La douleur est permise ; Le motif vient toujours... j’abhorre la Marquise, Elle me souffle tout ; le plaisir de parler, D’entendre, de répondre et de vous consoler. Ne la voilà-t-il pas ?     Laissez-nous.         Sans reproche, On me chasse toujours dès que Madame approche. Eh ! Quoi ! Toujours rêveuse ! À la fleur de vos ans, Au sein de vos amis !         Je ris de temps en temps. Ce rire là, Julie, est étranger à l’âme. La vôtre souffre.     Non.         Je n’en crois rien. Madame !         Je prétends et je dois respecter vos secrets : Mais les déguisements pour vous ne sont pas faits ; Et vous vous trahiriez, en voulant vous contraindre ; Soulagez votre coeur ; vous n’avez rien à craindre ; Vertueux, délicat, et du mien appuyé, N’oserait-il paraître aux yeux de l’amitié ? Ah ! si vous me louez, je n’oserai rien dire. Ce seul mot là dit tout, et suffit pour m’instruire. Comment ?     Rassurez-vous.     Ciel !         C’est moi maintenant Qui vais vous confier votre secret tourment. De grâce...         Vous aimez ; voilà tout le mystère. Ouvrez-moi votre sein.         Un aveu reste à faire. Je le ferai pour vous.         Ah ! Ne poursuivez pas. Pourquoi donc ? il faut bien vous tirer d’embarras. N’allez, point le nommer.         Vraiment si ; c’est Terville.... Avouez qu’à présent vous voilà plus tranquille ? Madame, puisqu’enfin vous avez deviné, Voyez combien mon coeur doit être infortuné ! Victime d’une erreur qui le perdra lui-même, Je ne peux sans rougir nommer celui que j’aime ; Je ne peux espérer d’être jamais à lui, Tour ce qui m’enchantait, me désole aujourd’hui. Je le vis en ces lieux dès ma plus tendre enfance, Et trouvai par instinct du charme à sa présence. Quelquefois il venait se mêler à mes jeux ; Il semblait pressentir jusqu’à mes moindres voeux. Même avant de l’aimer, je cherchais à lui plaire. Pouvais-je alors prévoir cet affreux caractère, Qui de mes plus beaux jours corrompra la douceur, Et m’offre l’avenir sans l’espoir du bonheur ? Hélas ! J’ignorais tout, et l’amour et moi-même, Cette douce ignorance était mon bien suprême. La raison vint trop tôt me dessiller les yeux ; Mon coeur fut qu’il aimait et cessa d’être heureux. Il me fallut combattre un penchant trop aimable ; Le premier voeu du coeur pour moi devint coupable, Et Terville, adoré de moments en moments, Mêlait de l’amertume aux plus doux sentiments. Combien de fois, ô Ciel ! dans les bals, dans les fêtes, M’osa-t-il raconter ses nouvelles conquêtes ! En croyant me distraire, il venait m’accabler ; Il riait.... et mes pleurs étaient prêts à couler. D’après, ce libre aveu, vous connaissez ma flamme ; Cachez-en le secret dans le fond de votre âme, Sur-tout à Montbrisson ; qu’il n’en soupçonne rien. C’est trop de mon tourment sans y joindre le sien. Ordonnez... je vous plains ; mais, croyez-moi, Julie, Ne désespérez pas des soins de votre amie. Terville est inquiet, et flotte dans ses voeux. Au premier jour offert il ouvrira les yeux. S’il osait persister, il serait trop barbare. Puisqu’il ne m’aime pas, se peut-il qu’il répare ?... C’est lui-même, c’est lui qui me cherche un époux ! Ce chagrin est pour moi le plus cruel de tous. Il va me marier, il le veut ! quel supplice! Et d’un si noir complot Verseuil est le complice ! Terville, ah ! Dieu! Prétend qu’il m’épouse aujourd’hui ; Il croit que je vivrai pour un autre que lui. Ma situation est-elle assez affreuse ? Aimez-moi, guidez-moi ; je suis bien malheureuse. Que je hais ce Verseuil !         N’en dites point de mal. Quoi ! De lui qui consent à cet hymen fatal? Écoutez : cet hymen ne peut jamais se faire. Est-il vrai ?     J’en réponds.         Et sur quelle lumière ?... Non ; quand tout s’unirAit pour vous le proposer, Jamais, jamais Verseuil ne peut vous épouser. Je suis dans le secret.         Depuis cette assurance, Je ne le hais plus tant.         Votre haine l’offense. Il ne peut m’épouser !... Mais, Madame, pourquoi ? Comment ?         C’est un mystère entre Verseuil et moi. Monsieur de Montbrisson sera-t-il en colère ? Je me sacrifierais plutôt que lui déplaire ; Je l’aime tant !         Non, non : Monsieur de Montbrisson Cédera... comme un autre, il entendra raison. Par vous seule mon coeur veut se laisser conduire. Mais, si Verseuil s’obstine.....         On saura le réduire. Et Terville ? Ah ! Jamais ....         C’est ce qu’il faudra voir. Ayez plus de courage et sur-tout plus d’espoir ! Terville.....         Mais, Madame, il me vient une idée Qui trouble tout-à-coup mon âme intimidée. Terville vous regarde et vous parle souvent : Si....         Je vous jure encor qu’il n’est pas mon amant. Mais vous jurez toujours ; faut-il toujours vous croire ? Comment ? Vous le devez ; il y va de ma gloire. A son retour vers vous, moi, j’irais m’opposer ! Verseuil, je vous l’ai dit, ne peut vous épouser, Et rien, ( c’est une énigme encor plus difficile ) Ne peut, j’en fais serment, me faire aimer Terville. Je ne vous conçois pas ... ! Mais à quoi songez-vous ? Ceci vaut qu’on y pense.     Ah ! Madame !         Entre nous.... Un Amant raisonneur est une étrange chose : L’effet est ridicule, et ressemble à la cause. Vous sentez-vous dans l’âme un peu de fermeté ? Contre lui ?         Quoi ! déjà de la timidité ? Madame, expliquez-vous ?         Il faut feindre, Julie, D’aimer .... même Verseuil ; il le faut.         De ma vie Je n’y consentirai. Songez donc quel tourment !... Je ne connais point l’art de feindre un sentiment. Je me charge du crime : en un mot, je l’exige, Je n’ai point de pitié d’un coeur qui vous afflige. Puis-je compter sur vous ?         Je ne pourrai jamais. D’ailleurs que servira ?...         Vous le saurez après. Je crains trop.         Il faut bien obéir à son guide. Mais.....     Je sers votre amour.         L’amitié me décide. Ferme ! Verseuil approche, essayez-vous toujours. Composez devant lui votre air et vos discours. Secondez-moi du moins : un mot peut me confondre ; Et de moi-même encor je n’ose vous répondre. Enfin, à quand l’hymen ? Va-t-il encor traîner ? Julie est à la fin toute prête à signer. Vous devez lui trouver un maintien moins sevère, Plus enjoué, plus libre.... on aspire à vous plaire. Mettez-moi donc au fait.... je ne si pas .... hé bien.. Quoi ! Monsieur, vous voilà déconcerté pour rien ? Vous n’êtes point aimé, soyez, soyez tranquille. Il ne s’agit ici que de tromper Terville, Et j’ai besoin de vous.... il faut sonder ses voeux. Allons, de la gaieté ?         Je fais ce que je peux. Hé bien, dites, voyons.....         Terville vous marie ; Soyez donc plein d’ardeur en parlant à Julie. Voilà l’essentiel .... oui, des transports, des soins. Ah ! j’entends.... vous voulez....         Prenez-y garde au moins ? Mais que dites-vous donc ?         C’est encore un mystère. Je trompe... il doit m’aider, et vous, nous laisser faire. On vient, l’air empressé .... c’est Terville.         En effet. Lui-même.         Tout s’arrange, à ce qu’il me paraît. Julie est, ce me semble, un peu moins inhumaine. Je rends grâce vraiment au hasard qui m’amène : L’instant est bien choisi : quand on doit être époux, Tout veut que l’on se livre à des transports si doux, Vous l’ayez donc enfin décidée ?         Oui, Terville ; C’est ce que tu voulais ? Dis...         Demande inutile. Tant de plaisir revient à l’auteur d’un bienfait ! Comme l’on doit sourire à l’heureux qu’on a fait ! Monsieur doit refleurir le bonheur qu’il procure. Ma joie est concentrée, et n’en est pas moins pure. Il faudra, s’il vous plaît, ne pas vous éloigner. On vous appellera.     Pourquoi donc ?         Pour signer. Pour signer !... Je suis prêt.         Oui, c’est moi qui t’en prie Vous signerez, Monsieur, comme ami de Julie. Comme ami !         Convenez, vous, homme à sentiment, Que leur hymen vous offre un spectacle charmant. Vous qui savez aimer, vous du moins qui le dites ; Vous devez.....         Admirer des flâmes si subites ? je les admire aussi..... Julie a l’air très gai. Oh ! je ne montre pas tout le plaisir que j’ai. Il y prend part.         Monsieur, trêve aux discours frivoles ; Le temps fuit, il échappe et se perd en paroles. Venez chez Montbrisson, et prenons un moment, Qu’aussi bien que Terville, on désire ardemment. Mademoiselle, un mot.         Suis-nous pour l’en instruire. Non, je voudrais ici....         Qu’avez-vous à me dire ? Combien je suis heureux ! j’ai fait votre bonheur, Mais pourquoi cachiez-vous le fond de votre coeur ? Vous ne voyiez Verseuil qu’avec indifférence, Et cela m’affligeait.         La raison, la décence, M’empêchaient de parler : discrète, à mes dépens, Je savais renfermer mes secrets sentiments ; Je me suis quelquefois imposé ce supplice ; Ce n’est point là, Monsieur, mon premier sacrifice ; Mais enfin, à risquer l’aveu que j’avais fui, L’aveu de Montbrisson m’autorise aujourd’hui. Votre âme est donc enfin satisfaite ?         Oh ! Ravie C’est vous qui répandez ce charme sur ma vie : Mais.... quoi qu’enfin je doive à vos soins obligeants, Quelle rage avez-vous de marier les gens ? Vous croyez-vous le seul que l’hymen intimide ? Il ne peut qu’être heureux,quand l’amour y préside. Le Comte est jeune.     Après ?     Il est riche.         Ah ! fort bien. Et si pour moi, Monsieur, tout cela n’était rien ; Si, redoutant un coeur trop sensible et trop tendre, Je m’étais condamnée à ne jamais dépendre, Ne conviendrez-vous pas que vos soins indiscrets Me livreraient alors à d’éternels regrets ? J’aurais pu !..     Qu’ai-je dit ?         vous n’avez rien à craindre. Mon bonheur est visible, et c’est trop le contraindre. Je fuis reconnaissante... eh ! ne le dois-je pas ? J’aime mes bienfaiteurs, et je hais les ingrats. Souvent on l’est bien moins que l’on ne paraît l’être. Souvent... mais votre choix se fait enfin connaître, Et le Comte... j’approuve un pareil sentiment. Cet hymen vous convient... Oui, Verseuil est charmant. Je n’ai garde, Monsieur, d’oser vous en dédire. Moi, je dois le louer.         Moi, je dois y souscrire. Vous l’aimez, n’est-ce pas ?         Puisqu’il m’est destiné... Votre coeur, je le vois, est très déterminé. Qu’il m’en coûte !     Oui, Monsieur.         Je vous en félicite. Verseuil...         Ciel ! cachons lui le trouble qui m’agite, Je le dois à vos soins, vous me l’avez donné, Mon destin pourrait-il n’être pas fortuné ? Le cruel ! il le croit...         Eh bien, Mademoiselle Je vais presser moi-même une fête si belle. Je tremble... où suis-je ?         Eh bien, qui peut vous retenir ? J’allais hâter l’instant où l’on doit vous unir, Et de votre tuteur dissiper les alarmes. Cet hymen....         Vous voyez qu’il a pour moi des charmes, Heureuse, mille fois, celle qui peut, Monsieur, S’abandonner sans crainte à l’attrait de son coeur, S’enorgueillir des voeux, du nom de ce qu’elle aime, S’applaudir et s’aimer dans un autre soi-même, Lui devoir son état, ses sentiments, ses moeurs Partager ses plaisirs, consoler ses malheurs ; Dans ses yeux attendris lire sa destinée ; Exister dans lui seul, à lui seul enchaînée ; Chérir ces doux liens qu’on se plaît à serrer, Et ne regretter qu’eux, au moment d’expirer! Terville... infortuné ! Qui croyez être un sage, D’un noeud, formé par vous, telle est pour moi l’image. Vous ; insultez aux soins de deux coeurs bien unis ; Par ces soins mutuels, croyez qu’ils sont punis ; Embrassez une erreur que je ne puis comprendre ; Dans un monde brillant cherchez à la répandre : Peu jaloux du repos, amoureux des succès, Effleurez le bonheur sans l’obtenir jamais. Que vous importe une âme ou la vôtre jouisse, Qui soupire avec vous, avec vous s’attendrisse ?... Soyez libre, cédez à de vagues désirs ; Mais... Puisse aucun remords ne troubler vos plaisirs ! Moi, je vous devrai tout, je vous en remercie... Que vous avez bien lu dans le coeur de Julie ! Enfin, c’en est donc fait ; son coeur s’est engagé !... Son coeur peut être heureux... le mien est soulagé. J’aurais crains sa douleur autant que ma tendresse. Mais elle aime Verseuil... Oui Verseuil l’intéresse. Quant à lui... je puis bien répondre de ses feux. Le moyen de la voir sans en être amoureux! Sa simplicité même est son art de séduire... L’amour sur elle encor n’avait eu nul empire... Et même je doutais que son coeur sut aimer. Je croyais... pour Verseuil, elle a pu s’enflammer ! Sitôt ! Oui, c’en est fait : rien ne m’est plus contraire. Pour me tranquilliser, il fallait qu’il sut plaire ... Il plaît !... J’en suis ravi... Félicitons-nous bien De voir qu’en s’enchaînant elle aime son lien. Son âme au repentir ne sera point ouverte, Et son bonheur certain va m’adoucir sa perte. Ou tous les gens sont-ils ? Picard ! Germon ! Lafleur ! D’où vient donc cet effroi ?         Vous le saurez, Monsieur ; On tremblerait à moins ; l’alarme est assez vive. Un vieil écervelé dans ce moment arrive ; Saingérans est son nom : à peine descendu, Vers l’endroit où j’étais il a vite accouru. Je me tranquillisais ; oisive et solitaire, Je goûtais le plaisir de n’avoir rien à faire. Le voilà qui m’observe.         Oh ! Vraiment, je le crois. Sa lorgnette à la main, il rode autour de moi : Je veux fuir ... il me suit ; son air me déconcerte ; La peste ! quel vieillard, et comme il est alerte ! Dieu ! c’est lui ! je me sauve ...         On n’est point au salon : On a cherché partout Julie et Montbrisson. Ah ! Terville, bonjour, cette terre est fort belle ; Mais c’est un vrai désert. Que la poste est cruelle !... Je suis tout essoufflé.         Je ne vous vis jamais L’air plus délibéré, sur-tout un teint plus frais. Vous trouvez !... il est vrai ; mon asthme à lâché prise. En effet, on voit bien qu’il n’est plus dans sa crise. Non. Je n’étouffe plus que six heures par jour. Vous devez être encor formidable en amour ! Tel que vous me voyez, je vaudrais la jeunesse ; Mais ce chien de mal-là m’ôte un peu de vitesse : Je le mate pourtant avec un train réglé, Du marasquin, du punch, et du vin d’Auvilé : Je fais le libertin, et cela vous étonne : Mais c’est, je vous assure, un air que je me donne ; Car je me range enfin.     Oui !         Très décidément. Je vais prendre un parti.     Raisonnable ?         Et décent, Il faut trancher le mot... Je permets qu’on en ri, Tout m’y force ; je sens de la mélancolie, Des vapeurs sombres.         Vous ! Ce discours vous sied bien ! D’honneur, je suis confus de ne tenir à rien. De ne tenir à rien ! Si tout échappe, on s’aime ; On rit du genre humain, et l’on tient à soi-même. Oh ! L’amour-propre s’use.     Y songez-vous ?         Ma foi Je suis assez souvent au plus mal avec moi. Eh ! d’où vous viennent donc ces ténébreux caprices Je vous vois très fêté.         Parfois, dans les coulisses, À titre d’amateur.     Ailleurs encor ?         Mais, oui ; Je vais dormir le soir chez quelque ancien ami, A la société je suis toujours fidèle ; Et, comme vous voyez, j’ai des égards pour elle. Ne vous plaignez donc pas ; soyez gai ; tenez bon. La vieillesse d’un Sage, est sa belle raison. Propos. Je n’y crois pas ; et vous, pas davantage. On sent mieux la fatigue à la fin du voyage. Envahi je me dissipe et j’ai recours à l’art : La nature se venge, et je m’en plains trop tard. Je ne fais plus ma cour.         Ces regrets là sont minces. On ne me voit plus guère aux soupers de nos Princes ; Mon Docteur m’interdit la chasse avec le Roi ; Je n’ai point de crédit, n’ayant aucun emploi. J’ai beau parler, conter, disputer à merveille, Et voir le lendemain ceux que j’ai vus la veille Nul retour, pas un soin. C’est dégoût sur dégoût. L’expérience afflige et le temps corrompt tout. Vous le saurez trop tôt. Quant au train de la vie Que l’on fait.... vient un âge où tout cela s’oublie ; Et j’en enrage, au moins.. car, Dieu-merci, tous deux, Nous sommes, n’est-ce pas, tant soit peu vicieux ? Mais le comble des maux, c’est dans mon domestique. Chez moi, pas un valet qui ne soit despotique. On me vole, on me pille, on me battrait, je crois, Sans un vieil Intendant qui se fâche pour moi. Ces inconvénients ont dessillé ma vue ; Ma liberté me pèse, et mon bonheur me tue ; On ne nous entend pas.         Quelle précaution ! Tenez, le mariage à quelque chose est bon. C’est un meuble amusant qu’une femme jolie ; On l’obstine, elle gronde, et cela désennuie. Plaisantez-vous ?     Moi ! non.         Vous marier ? ô Ciel ! Et qui peut vous donner un conseil si cruel ? Qui ! vous du célibat, le soutien et l’Apôtre, Vous allez sous le joug vous ranger comme un autre ; Sur le plus noble état déchaîner le brocard ? On bâille chez sa femme, aussi bien qu’autre part. Serez-vous plus heureux d’avoir une coquette Qui rira d’un vieillard dormant à sa toilette ; Aura des soupers fins d’où vous serez exclus ; Des amis, qui bientôt ne vous salueront plus ; Et, vous tenant pour mort, feront voeu dans leur âme ; Du vivant de Monsieur, de consoler Madame ? Quant au pillage, eh ! mais, où vous embarquez-vous ? Votre nouveau projet, vous dis-je, est des plus fous. Le train d’une maison, les fêtes, l’étiquette, Le jeu, que sais-je enfin ?... Oh ! l’épargne est complète. Le luxe est à tel point, qu’une femme à présent Pourrait vous ruiner.... en économisant. Soit ; j’en ferai l’essai : mais, allons, je vous prie, Pour me distraire un peu, joindre la Compagnie ; On sera sûrement enchanté de me voir. Peut-être.     Pourquoi donc ?         Vous voyez tout en noir. J’ai, dans ce moment-ci, le projet d’être aimable. Oh ! Nous sommes perdus.         Un objet adorable !... Quel est donc cet objet auquel vous prétendez ? Vous saurez le détail que vous me demandez : C’est trop me retenir, je crains votre éloquence. Verseuil est dans ces, lieux.         Je le savais d’avance. Pour une grande affaire.         Oui, oui, je suis au fait, Il est dissimulé, mais je sais son secret. Il vent se marier, tant mieux... c’est à Julie. D’une certaine femme, elle est, dit-on, l’amie ; Bon incident pour moi ! c’est que ... mais sans façon Je vous quitte, et je vais saluer Montbrisson. Hâtez surtout un noeud vraiment fait pour vous plaire. Verseuil n’attendait plus qu’un aveu nécessaire. Je l’apporte.         Oui ? fort bien. Cet hymen arrêté, Ainsi que le repos, me rend la liberté. Eh bien, nous l’emportons ; et, grâce à votre zèle, Verseuil est, je le vois, allez bien avec elle : Vite, il faut les unir.         Allons, autre embarras ! À moins de me trahir je n’en sortirai pas. J’entrevois à présent d’où venait son silence ; C’était timidité, plutôt qu’indifférence. Je ne sais... mais, Verseuil... il aurait à son tour À vous prier.         Je vais couronner son amour, Le donner pour modèle à ces hommes volages, Corrupteurs déguisés fous le titre de sages. Qui, détachés de tout, n’ont que des voeux distraits, Pensent, pensent toujours, et ne sentent jamais. Égarent la beauté, savent, avec adresse, Vers la réduction attirer sa faiblesse ; Se font de la tromper un honneur inhumain, Et s’emparent du coeur, quand un autre à la main. Pardon, mon âme souffre et j’aime à la répandre ; Mais je puis vous parler : la vôtre fait m’entendre. Revenons à Verseuil ; qu’il soit moins agité : Son hymen se fera : c’est un point arrêté. Notre vieux fou consent, et vraiment il me semble, Que tout ce qu’il nous faut, son neveu le rassemble ; Les moeurs, l’âge, l’état.         Les moeurs, l’âge .... oui, fort bien. Mais Julie.....         On ramène un coeur comme le lien ; Doux, honnête, empressé, Verseuil saura lui plaire, Elle voudrait peut-être un aveu de son père, C’est ce qui la retient.         Calmez cette frayeur. Tenez, je crois enfin lire au fond de son coeur, Je m’en flatte du moins ; elle pense sans doute Qu’elle va me quitter, voilà ce qui lui coûte ; Mais avec un seul mot, je puis la rassurer ; Je vais l’unir au Comte, et non m’en séparer ; Ses soins depuis longtemps ont consolé ma vie, Et je veux que mes yeux soient fermés par Julie. Ils logeront chez moi.         Monsieur... si cependant...         Achevez..... Si Julie a quelque autre penchant ? Tranquillisez-vous donc. Qui voulez-vous qu’elle aime ? Est-ce Terville ?... Hé bien ?... Quoi ? victime elle-même... Le coeur de ma pupille est de vous mal connu : Pour nourrir de tels feux, elle a trop de vertu, Je vous dirai bien plus, et la preuve est facile : Elle est depuis six mois plus froide avec Terville, Le cherche beaucoup moins, s’occupe moins de lui : Ce soupçon est injuste, et sur-tout aujourd’hui. Concevez donc ma peine en cette circonstance : Si ce que vous craignez avait quelque apparence, Je suis loin d’y songer.         Laissons lui son erreur ; Je crains, en l’éclairant, de déchirer son coeur. On m’attend... j’oubliais que Saingérans me presse ; Malgré moi je diffère et tiens mal ma promesse. Julie en ce moment emporte tous mes voeux. Ce n’est que son bonheur qui peut me rendre heureux, Périsse l’âme froide, insensible et stérile Que n’enflamma jamais le plaisir d’être utile ! Ma situation est étrange vraiment ! Parler est un péril, me taire, est un tourment. Je compromets Verseuil en rompant le silence, Et c’est, en le gardant, Montbrisson que j’offense ; Ce maudit Saingérans ! Il a de la raison Pour la première fois !... Elle est hors de saison. Et, jusque à ce jour, ardent célibataire, Il fait cas de l’hymen, dès qu’il nous est contraire. Terville maintenant est mon unique espoir. Des feux qu’il dissimule, essayons le pouvoir. Irritons son amour, piquons sa jalousie : Il aime... qu’il épouse et qu’il cède à Julie. Vous paraissez troublé !         Je le suis en effet. Eh ! pourquoi ?         Savez-vous ce que Verseuil a fait ? Voyons : vous m’effrayez.         Quelle tête légère ! Et vous viendrez encor vanter son caractère ! Montbrisson, moi, vous-même, il nous compromet tous ; On sait que de Julie il doit être l’époux ; Montbrisson le veut bien, son Oncle le désire, Ici, dans cet espoir, mon amitié l’attire, Par votre empressement vous secondez nos voeux, Et Monsieur, m’a-t-on dit, rompt soudain tous ces noeuds ! Vous sentez à merveille à quoi cela m’expose. Julie ainsi traitée ! et quelle en est la cause ? C’est moi, moi seul ! Julie!... ah ! Madame, pardon. Devait-elle éprouver un pareil abandon? Je vois avec chagrin que cela vous désole. Et...     Vous riez, je crois ?         Moi ! Non. Je vous console, Que voulez-vous, Terville ? on adopte vos moeurs, Et l’exemple d’un sage est puissant sur les coeurs. Verseuil craint une chaîne.         Il fallait donc le dire... J’ai cru voir des rapports... le zèle qui m’inspire... Par exemple, en mille ans, moi qui connais vos goûts, Je ne vous l’aurais pas destiné pour époux ; Il n’existe, entre vous, rien qui soit compatible. Vraiment ?         J’ai là-dessus le coup d’oeil infaillible ; Mais, j’ai cru qu’à Julie il pouvait convenir, Et ma tendre amitié brûlait de les unir. Votre amitié ?         Sans doute. Au reste, je réclame L’équité, l’honneur même, et j’espère, Madame, Qu’après l’affront cruel qu’il nous fait aujourd’hui, Sans nuls ménagements vous rompez avec lui. Oh ! Divorce total.     Il le faut.         Je le pense, Et vais, je vous assure, agir en conséquence. Non, je n’en reviens point. Quoi ?...         Le pire de tout, C’est que Julie, enfin, pour Verseuil a du goût, Mais un goût décidé : son coeur est très sensible. C’est ce qui m’a paru....         C’est une chose horrible Sans exemple ?         Oh ! vraiment, vous avez bien raison ; Verseuil....         Moi, je ne puis croire à sa trahison. Que vous en dit Julie ?         Elle en parle sans cesse. Avec gaieté ?         Comment ! Dites avec tendresse. Mon Dieu ! très volontiers : ajoutons seulement Qu’un amour aussi vif est venu brusquement. Tenez, sur l’heure encor je louais la tournure De son esprit, son ton, sa douceur, sa figure, Et même, franchement, j’exagérais un peu. Eh bien, à mes discours elle a joint son aveu. À merveille !         Et d’un mot ne m’a pas démentie. Le Comte trouve en vous une excellente amie. Oui, je lui veux du bien ... mais, c’est vous le premier Qui formâtes le noeud dont il va le lier : Car... il n’est point changé, non, son âme est trop belle, Et croyez qu’à Julie on n’est pas infidèle ... Mais, écoutez-moi donc avec moins d’embarras, Puisqu’enfin il est clair que vous ne l’aimez pas. Quand un autre à sa main eut le droit de prétendre, Oui, j’irais, n’est-ce pas, m’aviser d’être tendre ? Tout ce qu’un zèle vrai peut inspirer de soins, Vous, mon oncle et Verseuil, vous en êtes témoins, Je m’y soumets pour elle, et je le dois peut-être. Sans doute il faut l’aimer, quand on sait la connaître. Vouloir ce qui lui plaît est habitude en moi. Je ne pourrais prévoir son malheur sans effroi. Si j’osais m’enchaîner, j’aurais brigué ses chaînes, Partagé ses plaisirs, et ressenti ses peines. Quant à l’amour... oui, oui, j’ai su m’en préserver, Et je suis maintenant bien sûr de le braver. On ne peut se méprendre au motif qui m’anime, Et vous ne doutez pas qu’il ne soit légitime. Je m’en flatte du moins : j’ai banni pour jamais, Ces feux nés dans le trouble et suivis des regrets. C’est... c’est comme une soeur que je chéris Julie ; Je serai trop content de l’avoir pour amie. Eh ! mais, pour ses appas n’étant point enflammé, Vous êtes trop heureux de n’être point aimé. Je sens....         Si vous l’étiez, vous seriez trop coupable Votre obstination serait inexcusable. Concevez à quel point il deviendrait cruel ; Figurez-vous alors le désespoir mortel, Les tourments inouïs d’une amante égarée De tout ce qu’elle adore à jamais séparée. Combien je vous plaindrais!         Oui, Marquise, en effet, Ce serait pour mon âme un éternel regret. Ce reproche toujours viendrait troubler ma vie, Et je dois... m’applaudir des froideurs de Julie. Je vous dirai bien plus : lorsqu’un moment d’erreur M’a flatté quelquefois d’avoir touché son coeur, J’étais contraint, honteux, je me craignais moi-même, Et j’avais l’air soumis, que l’on a quand on aime ; Par bonheur, sur mon doute, elle m’a rassuré ; Son penchant pour Verseuil m’est assez démontré.... Ce Verseuil est heureux ! avouez-le, Madame. Mais ...         Tout lui réussit... Il règne sur son âme, On l’aime !... Il le mérite !... Il conviendra du moins, S’il obtient ce trésor, qu’il le doit à mes soins... Il m’a bien secondé, j’aurais tort de me plaindre. Sûr d’être indifférent, je n’ai plus rien à craindre ; Allons... je jouirai, moi qui sais leurs destins, En voyant que Julie aura des jours sereins. Ce voeu de l’amitié n’est point un voeu stérile.... Vous voyez maintenant que mon coeur est tranquille ; J’ai su l’accoutumer à disposer de soi, Et le bonheur d’autrui n’est point perdu pour moi. Que j’aime ce transport ! il peine une ame honnête. Le coeur est bon : mais reste à réformer la tête. Pensez-vous que Verseuil ?...         Oh ! brisons là dessus .... De votre amour pour moi vous ne me parlez plus. L’aveu fut indiscret.         L’amour imaginaire. Moi ! Je n’aurais pas eu le désir de vous plaire ? Rassurez-vous, j’y crois ; on vient. Ah ! vous voici.     Demeurez.         J’espérais vous trouver seule ici. N’êtes-vous pas charmé ? Quel enjouement !.....         Madame, C’est plus que de la joie : oui, lisez dans mon âme. Mon père !... Quel bonheur m’attendait aujourd’hui ! Je viens de recevoir une lettre de lui. J’en ai baisé cent fois les sacrés caractères ; De mon attachement les marques lui sont chères ; Mon souvenir, dit-il, adoucit tous ses maux, Puissé-je de mes jours racheter ses travaux ! Pourquoi faut-il, hélas ! contraignant ma tendresse, Consumer loin de lui mon oisive jeunesse ; Sur des bords étrangers le laisser sans soutien, Et, quand je lui dois tout, ne m’acquitter de rien ? Mon coeur le cherche au moins ; dans son impatience, Des climats qu’il habite il franchit la distance : Je le vois, je l’entends, je lui peins mes regrets.... Eh! qu’est-ce que des pleurs pour payer ses bienfaits? Quelle âme !         Embrassez-moi. Vous m’avez attendrie. Pour le coup, à Verseuil, il faut porter envie ! Mademoiselle, ainsi la nature et l’amour Semblent d’accord tous deux pour vous faire un beau jour ? Votre hymen, je le vois, va bientôt se conclure, Il semblait incertain, mais Saingérans l’assure. De ce vieux Monsieur là nous avions bien besoin ! Je voudrais, comme vous, le voir déjà très loin. Toutes deux contre lui ! quelle en est donc la cause ? De son séjour ici craignez-vous quelque chose ? Si je crains !         Contre vous que peut-il proposer ? Vous ne savez donc pas qu’il vient pour m’épouser? Plus de délais, te dis-je ; un tel hymen m’enchante. Est-ce parler cela ? Vous voilà bien contente. Monsieur !....     Quelle pudeur !         Allons donc ; finissez : Ne voyez-vous pas bien que vous l’embarrassez ? Avec quelque autre ici la leçon serait bonne ; Mais, moi, je n’ai jamais embarrassé personne. Vraiment, il y paraît !         C’est un de mes talents. Dans la société, je vais, je viens, j’entends ; Je me glisse à travers toutes les aventures, Et vois tout, sans rien voir ... Ce sont là mes allures Aussi, c’est pour cela, ( je dis la vérité ), Que par-tout, comme ici, je suis fort bien traité. Ah ça ! répondez net à ce que je propose. On dit que je suis vieux, il en est quelque chose ; Mais enfin, je suis riche, en dédommagements : Tenez, vous êtes veuve et le seriez longtemps, Vous avez peu de biens ; joignez-y ma fortune : Une maison doit plaire, et vous en tiendrez une, Où vous vivrez, ma foi, comme il vous conviendra ; Sous vos prodigues mains l’or y circulera. Je ne suis point gênant : sans que rien me déplaise, Vous jouerez, jaserez, rirez tout à votre aise : Je reviendrai le soir ... pour causer seulement, Puis, je me sauverai sans aucun compliment. Qu’est-ce donc ?     Ce n’est rien.         Cette vie est tentante. La peinture en est vive.         Et vraiment séduisante. Allons, décidez-vous, acceptez le marché ; Il n’est pas si mauvais : loin d’en être fâché, Verseuil, demandez-lui, brûle au fond de son âme, D’applaudir à mon choix, et de vous voir ma femme. Mais... votre toux !     Paix donc.     Mais votre asthme !         Tais-toi. Je fais ce qu’il me faut, et j’aurai soin de moi : L’amour me guérira.         Je n’y tiens plus : Julie, Voici pour nous parler l’heure qu’on a choisie. Ne perdons point de temps.         Je ne vous quitte pas. De grâce.         Parbleu, non. Je m’attache à vos pas ; Vous m’en voudriez trop. Les petits soins !.... Mesdames, C’est avec ces rien-là que l’on séduit les femmes. Nous voilà seuls, osons ; profitons du moment, Et faisons le rougir de son aveuglement. Où donc, Monsieur le Comte, est la galanterie ? Quoi ! Sans l’accompagner, laisser sortir Julie ! Comment vous reconnAître à ce procédé-là ? La campagne permet et souffre tout cela. Julie est indulgente !         Extrêmement ! ... au reste... Écoute, point d’humeur ; c’est pour toi que je reste. Serait-ce aussi pour moi qu’on vous a vu soudain Éloigner un hymen qui semblait si prochain ? J’ai tort. Mais, les soucis, les tourments du ménage, Les maux qui, selon toi, suivent le mariage.... L’hymen peut, par hasard, assembler deux heureux. J’ai cru que ce hasard vous regardait tous deux ; J’ai cru voir entre vous certaine sympathie, Qui semblait m’assurer le bonheur de Julie. L’aurais-je donc risqué, moi, Monsieur (j’en conviens) Qui donnerais mes jours pour embellir les siens. On vous offre des soins, on presse, on sollicite, Et d’un zèle si vrai voilà quelle est la suite !... Rien n’est plus sérieux, je vous en avertis. Monsieur le Comte, on tient ce que l’on a promis. Je ne m’alarme pas ; j’ai de quoi te confondre. Je t’embarrasserais, si je voulais répondre. Répondez.     Tu le veux ?         Je l’exige.         Entre nous, Des maris que tu fais, je te crois fort jaloux... Vous êtes clairvoyant : moi, de la jalousie! Sans en être jaloux, on peut chérir Julie. Ce soupçon est plaisant.         Ce courroux singulier. Je ris.         Peut-être aussi veux-je me marier ? Que sait-on?     Poursuivez.         Tout, jusqu’à ta colère Dépose contre toi, te condamne et m’éclaire. Et sur quoi, s’il vous plaît ? expliquez-vous donc mieux. Ah ! C’en est trop enfin... Terville, ouvre les yeux. Je ne plaisante plus ; ton intérêt l’emporte. On doit plaindre l’erreur, mais la tienne est trop forte ; Je t’y dois arracher. Gênant tes propres voeux, Tu prétends au bonheur, et te rends malheureux ! Tremble ; si tu ne l’es, tu le seras sans doute. C’est l’avenir, sur-tout, que pour toi je redoute. Une forte d’orgueil, un faux et triste honneur Jette, pour le moment, un voile sur ton coeur ; Le sentiment s’y cache et ne peut s’y détruire : Mais, quand il va renaître, il fera ton martyre. Tu te trouveras seul, inquiet, accablé, Errant, toujours à plaindre et jamais consolé. Eh ! ne te vante point d’avoir un caractère. Crois-tu que c’en soit un d’être Célibataire ? Pur écart de l’esprit, abus de la raison, Préparant les ennuis de l’arrière saison. Laisse ton âme aller où son attrait la mène. Pourquoi contrarier le penchant qui l’entraîne ? Que ce jour à Julie unifie mon destin, Ton coeur désabusé peut me haïr demain. L’aspect de mon bonheur deviendra ton supplice : Aigri par tes chagrins, tu m’en croiras complice ; Et pleureras bientôt, sage mal affermi, Le présent qu’à regret tu fais à ton ami. Vous ne me vaincrez point, votre éloquence est vaine. S’il en coûte à mon coeur, je suffis à ma peine... Vous ; n’en suivez pas moins, docile à vos penchants, La trace fraîche encor des premiers sentiments. Tant que vous le pourrez, prolongez leur ivresse, Et ce tumulte heureux de l’aveugle jeunesse ; Je l’ai connu, chéri... le calme est arrivé, Et, sur-tout aujourd’hui, je crois l’avoir prouvé. De mes réflexions je n’ai pas été maître. C’est un tort, si l’on veut ; c’est un malheur peut-être, C’est ce qu’il vous plaira ; mais j’y tiens, j’y tiendrai. Je me suis fait des lois, et je les remplirai. Aux dépens du bonheur !... je vous laisse à vous-même. Bon par instinct, craignez d’être dur par système. Il en est temps encor. Ce coeur trop fortuné, Va vous remettre un bien qui vous fut destiné... Prononcez ; de votre âme écoutez le murmure. La raison peut tromper, mais jamais la nature. Laissant de vains calculs, ne suivez que ses lois ; Aimez, soyez heureux, et rentrez dans vos droits. Je n’ai rien à répondre, il a lu dans mon âme. Il y voit mes combats et l’amour qui m’enflamme. L’amour, est-il bien vrai ? j’aime, je suis jaloux ! J’aime Julie, ô Ciel ! et lui donne un époux ! Je veux, pour me sauver de ma propre faiblesse, Moi-même, à mon rival marier ma maîtresse ! Oui... mon bonheur dépend de cet effort cruel. L’amour est passager, l’hymen est éternel : Mais Julie est si belle !... Eh bien ! Fuyons ses charmes. Peut-être, en m’en privant, je m’épargne des larmes : La sensibilité, par son impression, Détruirait-elle en moi ce qu’a fait la raison ? L’homme ne peut-il donc former une entreprise ? Et qu’est-ce que l’esprit quand le coeur le maîtrise ? De contraires désirs tour-à-tour agité, Sans celle loin de moi je me sens emporté. Je veux, et ne veux plus ; je crains ce que j’exige, Et fais tout... pour hâter un hymen qui m’afflige. Je souffre, et j’en rougis... qui me l’eut dit, qu’un jour Tout le plan de ma vie échouerait par l’amour ? Oui ; j’aime avec fureur. Quel trouble, quelle guerre, Quand c’est l’âme qui lutte avec le caractère ! Lui seul doit triompher ... rien ne me changera. Eh bien ? Quel soin t’amène, et que faisais-tu là ? Monsieur peut deviner l’objet de ma visite. Dépêche : allons.         Souffrez... l’occasion invite !.. De quoi donc s’agit-il ?         Mais de l’hymen prochain, De Julie aujourd’hui Verseuil reçoit la main. Aujourd’hui !         Dans ces lieux il n’est bruit d’autre chose ; Et c’est vous, Monsieur, qui.. .permettez donc que j’ose Franchir le même pas à son exemple.         Non. Non, Monsieur le coquin ; vous resterez garçon. Oui, la noce est au diable... il n’est plus d’espérance, Il me met de moitié dans son indépendance, Et, comme il parle haut, il m’a déterminé, C’est fait ; au célibat me voilà condamné. Tu peux en revenir, et malgré moi j’espère ; Car l’hymen de Verseuil n’a pas l’air de se faire. Julie est renfermée, elle est seule, elle écrit, Montbrisson est rêveur, Saingérans perd l’esprit. Il se démène, il jure, on se regarde, on cause, On va... ce mouvement cache encor quelque chose. Quoi qu’il en soit, mon maître au milieu du fracas Est fixé en ses vouloirs ; il n’en démordra pas. Et voilà ce que c’est que la philosophie ! J’en suis pour mon amour.         Ainsi donc, pour la vie Tu renonces à moi ?         Ne va pas m’attendrir. Mais...         Respecte mon plan, et songe à m’acquérir! Ton plan est de m’aimer, laisse-là ta folie. D’abord le Célibat est mon antipathie, Je n’en vois pas le fin. N’avons-nous pas un coeur? A quoi pensai-je aussi d’aimer Monsieur Lafleur ? Un esprit fort ?     Mais oui.         Je ris de ta grimace : Çà, point de temps perdu : voyons ce qui se passe Et défais-toi, sur-tout, de tes airs importants. Si tu n’oses parler, observe, écoute, entends. L’état d’incertitude est un état funeste ; Et, par ce que je sais, on peut savoir le reste. Le moyen de s’attendre à ces accidents-là ? Je suis bien avancé... les neveux ! Les voilà ! Moi ! Qui la croyais veuve !     Expliquez-vous.     Qui donc ?         Le traître ! Qui ? Qui ? Verseuil.         J’apprends à le connaître. Son hymen avançait, il paraissait conclu, Et Monsieur s’y refuse après l’avoir voulu. Quoi ! Quel hymen ?         Eh ! Mais, vous le savez de reste. Et vous ne savez rien ; la chose est manifeste. Dans ces secrets, enfin, soyez initié. Depuis plus de six mois Verseuil est marié. Lui ! Quel conte ! À qui donc ?         J’en enrage dans l’âme. À celle justement que je voulais pour femme.... À la veuve.     Propos !         Oui : propos est fort bon. Vous ne plaisantez pas ?         Eh ! Non, vous dis-je, non. Quoi ! Comment ?... Et Verseuil m’en a fait un mystère ? Vous êtes seul, dit-il, coupable en cette affaire. Votre indiscrétion malgré lui l’engagea ; Fort bien ! vous mariez ceux qui le sont déjà. Verseuil est marié! qu’ai-je fait? et Julie... Et son amour trompé qui peut troubler sa vie ! Ce qu’elle aime, est hélas ! dans un autre lien ! Quel tourment pour son coeur! quel remords pour le mien! Verseuil est marié ! je n’y puis rien comprendre... Et, sans vous emporter, vous avez pu l’apprendre ? Je ne dis point cela. J’ai crié, j’ai tonné, Et puis, le pathétique.... et puis, j’ai pardonné. Ah ! contre mon bonheur je vois que tout conspire. Contre le mien plutôt.         Voyons : qu’aurai-je à dire ? Quand Montbrisson...         Bel embarras, vraiment ? Parbleu, vous conterez le fait tout simplement. Saingérans, écoutez : prenons un parti sage ; On peut, si vous voulez, casser ce mariage. Le casse qui voudra : car, s’il faut parler net, Je crois au fond du coeur que Verseuil a bien fait : Et je veux pour mon compte imiter sa folie. Vous ! Encor ?         Mon espoir se rabat sur Julie. Vous, qui savez si bien faire épouser les gens, Je compte, mon très cher, sur vos soins diligents. Ce choix vaut encor mieux pour moi que la Marquise, Ma tendresse en ces noeuds sera moins compromise : Quand d’un premier époux on regrette le ton, Un autre perd souvent à la comparaison. Et...         Les vapeurs d’hymen à coup sûr vous égarent. Point du tout, et mes feux aujourd’hui se déclarent. Mais Vous extravaguez... laissez-là ce projet. Je n’extravague point, et suivrai mon objet. Il vous échappera... vous y serez sensible, Et ce qui n’est qu’un jeu vous deviendra pénible. Au temps plus fort que nous il faut savoir céder, Et renoncer aux droits qu’on ne peut plus garder. Le temps, toujours le temps, trêve à ce verbiage. Que vous importe à vous, paisible personnage, A vous beau raisonneur ?         Modérez ce courroux. Vous voyez, la colère allume encor la toux. Ah ! ne me parlez point d’un vieux Célibataire : Tout s’en détache enfin, et rien ne lui prospère. Si j’avais une femme, un état, des enfants, Je prétendrais encore à quelques doux instants. Rassemblant près de moi tout ce que le coeur aime, Je serais des heureux, je le serais moi-même, Et n’irais point au loin, dans mes tristes loisirs, Mendier mon bonheur et quelques faux plaisirs. L’abandon, les rebuts, la vague inquiétude, Et cette noire humeur qui fuit la solitude, Oui, voilà tôt ou tard, les profits d’un garçon : J’en crois l’expérience, et.. plus que la raison. Même sort vous attend ; un jour viendra, je gage, Où vous serez bien sot d’avoir été si sage. Ce jour ne viendra point. Secret rare et plaisant ! Rendre heureux l’avenir par les maux du présent! Vous avez de l’humeur et l’humeur exagère. En quoi donc, juste ciel ! l’hymen peut-il vous plaire ? Loin de les affaiblir, il accroît nos malheurs, Pour échapper au sort, pour tromper ses rigueurs, Il ne faut point sur nous lui donner trop de prise ; Seul, on pare ses coups, ou bien on les méprise ; Mais aux fers que je crains s’est-on abandonné, C’est doublement alors qu’on est infortuné. Pourquoi donc à Verseuil destiniez-vous Julie ? Chacun a sa morale, et suit sa fantaisie ; La sienne est pour l’hymen, on peut le présumer D’après les noeuds secrets qu’il lui plut de former. Mais, vous, homme de sens.         Tout ceci me déroute. Mes principes par là sont dérangés sans doute. Oh ! Ma foi, ce n’est pas l’instant d’y revenir. Il me faut une femme, et je veux l’obtenir ; Dans ce ferme dessein, vous m’aiderez, j’espère ; Et si je n’obtiens rien, si le sort m’est contraire, Le public en dira morbleu ce qu’il voudra..... Mais, il ne dira rien, et tout réussira. Adieu. Chez Montbrisson voudrez-vous bien m’attendre ? Volontiers .... aussi bien ... il s’agit de s’entendre. Il se trouble aisément l’honnête Montbrisson ; Je saurai le calmer ; moi j’ai cela de bon, Tout s’arrange avec moi ; sa pupille s’avance ; Disposons-la ... Du coeur j’ai quelque intelligence .... Vous rêvez, bel enfant !         Eh ! Quoi ? C’est vous, Monsieur ? Je ne vous voyAis pas, et vous m’avez fait peur. Oui-dà ; rassurez-vous et comptez sur mon zèle. L’ardeur de vous servir est assez naturelle. Hem ! Vous en convenez ? Moi j’en conviens aussi, Tout exprès pour cela, le sort m’amène ici, Et votre coeur, d’après ce que je me propose, Aux révolutions gagnera quelque chose. Je vais tout préparer, je le veux et j’y cours. Oh ! Je ne prétends pas vous effrayer toujours, Et.. suffit.... vous verrez que l’on peut encor plaire. Elle est parbleu jolie, et c’est bien mon affaire. Que dit-il ? Que veut-il ? Rien pour moi n’est changé. On m’évite, on se tait, et ce coeur affligé .... Pour tromper ma douleur, la Marquise a beau faire ; Au reproche, aux tourments, rien ne peur me soustraire. Et j’ai pu feindre ! Ô ciel... Je sens mes pleurs couler. Quand Monbrisson saura... Je n’ose lui parler, Et ce billet funeste arrosé de mes larmes, Va d’un si triste aveu m’épargner les alarmes. Bienfaiteur adoré, souffre ces voeux cruels !... . Le quitter ! Moi ! Pour prix de ses soins paternels ! Toujours, comme sa fille, il aima sa pupille. Voudrais-je en l’affligeant ressembler à Terville ? Malheureuse ! quel nom m’échappe malgré moi ? Le charme qu’il m’inspire augmente mon effroi. Terville ! Ah ! Dieu ! L’ingrat !... Combien je l’aime encore ? Ah ! mourons loin de lui d’un chagrin qu’il ignore. S’il le savoit.. .peut-être... Où suis-je ! Qu’ai-je dit ?... Avant de l’envoyer relisons cet écrit. Verseuil que j’estime, et qui m’avait su plaire, A peine je conçois la démarche légère : Que dis-je ? Il n’est pour rien dans un pareil projet ; Lui-même en a souffert, et Terville a tout fait : Mon neveu devient fou.     Ciel ! Montbrisson !         Julie ; Qu’est-ce que vous lisiez ?     Monsieur.....         Mais, mon amie, Vos larmes ont coulé.         Souffrez .... Quel entretien. Vous ne m’aimez donc plus ? Vous ne me dites rien !... Quel chagrin avez-vous ?         Si vous daigniez permettre .... Non : demeurez ....     Hélas !         Quelle est donc cette lettre ; A qui s’adresse-t-elle ?     À vous.     À moi ! Donnez.         Je ne puis. Je le veux.         Ah ! Monsieur, pardonnez. La grâce que du moins j’implore avec instance, C’est que vous voudrez bien la lire en mon absence. Tout ce que tu voudras ; oui, je te le promets. Je vais...     Julie !         Adieu.... vous saurez mes secrets. « Un cloître va cacher mon infortune affreuse ; Je ne puis plus, Monsieur, jouir de vos bienfaits ; Mais au fond de mon coeur ils ne mourront jamais : Puisse finir bientôt une vie odieuse ! Terville .... ( je rougis d’avoir pu le nommer ), Votre neveu ! Terville ... Il a su me charmer ; Je vous avouerai tout, votre âme est généreuse ; Je l’aime ; et vous savez que lorsqu’on peut l’aimer, Il faut vivre coupable, ou mourir malheureuse ». ........................................... Qu’ai-je lu ! Dieu ! Mes pleurs inondent ce papier. Quelqu’un ?...         Cherchez Terville, il faut me l’envoyer. Quel malheureux travers ! En voilà donc la fuite ! Julie ! Ah ! Dans quel piège un ingrat ta conduite! Touchante vérité, répands sur mes discours, Ce charme impérieux qui désarme toujours. Éclaire mon neveu, laisse-le sans défense ; Il entendra ta voix, c’est ma seule éloquence. Terville !         Je sais tout... Vos sens sont agités ? Ils le sont, il est vrai.     C’est Verseuil...         Écoutez. Je dois sur vous encor, tout m’y force et m’en presse Essayer aujourd’hui les droits de ma tendresse. Quoi?         Tenez-vous toujours au funeste parti Où vous étiez fixé ?     Laissons.     Répondez.         Oui. Je veux agir, penser, sentir à ma manière. Enfin .... vivre pour moi.... d’où vient votre colère ? Où donc as-tu puisé ces principes affreux, Garants d’un esprit faux et d’un coeur malheureux ? Moi ; toujours moi ! Quel mot ! Quelle philosophie ! Quels hommes as-tu vus ? Telle est donc la manie De ces sophistes vains, ces adroits imposteurs, De la société hardis législateurs, Qui, d’orgueil enivrés, feignent dans leurs systèmes, D’aimer le genre humain, pour n’aimer rien qu’eux-même Dont l’aride sagesse en impose aujourd’hui, Et qui n’ont su jamais exister dans autrui ? Voilà de leur morale ! apprends que l’Egoïste Est, et sera toujours le mortel le plus triste ; Surtout le plus cruel... Dis, dis, quel est son frein? L’honneur !         C’est un grand mot dont il s’étaie en vain. Nomme-moi ses rapports ; en a-t-il ? Il végète Dans un monde étranger où le hasard le jette. Que fait il à l’armée, au barreau, dans ses champs ? Il glace ses amis, révolte ses parents ; Sa vie est un scandale, et sa mort salutaire N’enlève, en le frappant, qu’une charge à la terre. D’un repentir tardif épargne-toi l’affront : Regarde Saingérans, les regrets t’instruiront. Souffrant, abandonné, martyr de son système, Son inutilité l’épouvante lui-même ... Crains un tel sort, rougis de languir sans lien, Reprends l’esprit, les voeux, le coeur d’un citoyen. Citoyen ? je le suis. Pour l’hymen je le brave ; J’ai la prétention de n’être point esclave. Tu l’es de ton système et de ton préjugé. Va, c’est le même effet, le nom seul est changé. Le mariage ainsi vous semble un joug utile ? Il produit peu de mal, des biens, il en fait mille. C’en est trop ! regardez, c’est tout ce que je veux. Sur la société jetez enfin les yeux. Considérez, Moniteur, les malheurs qu’il entraîne : Combien d’infortunés ont pleuré sur sa chaîne! Voyez de tous côtés les scandaleux éclats, ( Je ne dis rien des maux que l’on n’aperçoit pas. ) Quels motifs parmi nous règlent les mariages ? L’orgueil, l’intérêt vil, quelques vains avantages ; Et qu’attendre d’un coeur, s’engageant sans attrait, Dans un âge, où promettre est... au moins indiscret. Dans ces arrangements si froids, si légitimes, Nous sommes, tour-à-tour, oppresseurs et victimes. De là, tant de Beautés que l’on voue aux douleurs, Qui perdent leur jeunesse, et vont perdre leurs moeurs Les enfants égarés par l’exemple des pères, Les regrets, le désordre et l’opprobre des mères, Les maris bafoués, et même par des sots, Des noms d’époux, traînés dans tous les Tribunaux, La femme qu’on accable après l’avoir vendue, Et que la loi renferme après l’avoir perdue : Celle qui, d’un jaloux redoutant l’oeil vengeur, Craint jusqu’à sa pensée, et l’enferme en son coeur, Celle enfin qui, suivant un charme involontaire, Cherche confusément l’objet qui doit lui plaire. Voyez quelle est la fin même des plus prudents, Des séparations au bout de quarante ans, Mille soucis secrets, d’éternelles alarmes, Les affronts, le mépris, le malheur et les larmes... Voilà pourtant, voilà l’effet le plus commun D’un noeud souvent horrible et toujours importun. Eh bien ! À qui s’en prendre ? À ces mortels sans âme, Qui bravent, comme toi, l’état qui les réclame, Rompent l’ordre établi, divisent les époux, Leur enlèvent la paix, leur trésor le plus doux, Éveillent les soupçons, égarent sa tendresse De l’amour paternel trompé dans son ivresse, Et, bientôt refroidis, ailleurs portant leurs voeux Ne laissent que les pleurs et la honte après eux ? Plus d’un coeur en a fait les funestes épreuves : Mais des exceptions ne sont jamais des preuves : Vois, pour quelques abus à l’hymen reprochés. Sous son voile combien d’avantages cachés ! La naïve Beauté que pare la décence, Dans le sein du bonheur gardant son innocence ; L’échange pur des coeurs, les mutuels désirs, Douce communauté des soins et des plaisirs, Épanchement heureux des larmes solitaires, Sacrifices touchants, et ; toujours volontaires ; Les caresses d’un fils, ses jeux et ses progrès, Et l’espoir de renaître en de vivants portraits ; Voilà quel fut un temps mon fortuné partage ; Voilà de mon hymen l’attendrissante image. Oui ; vous fûtes heureux, je le sais, je le crois ; Mais, ce bonheur passé parle aujourd’hui pour moi. Où sont-ils, ces transports, ces touchants sacrifices, D’un lien qui n’est plus passagères délices? Que vous en reste-t-il ?         Il est vrai, je perdis Tout ce qui me fut cher, mon épouse et mon fils : Mais j’aime mieux ces pleurs, ce souvenir si tendre, Ces tributs douloureux que je dois à leur cendre, Tous ces déchirements d’un coeur bien pénétré, Revolant vers le bien qu’il avoir adoré ; Oui, je les aime mieux que le bonheur frivole, D’un coeur que rien n’émeut, et que l’orgueil isole. La nature a des maux qu’il faut savoir chérir. La peine qu’elle cause est encor un plaisir. Beau prestige !...         Ah ! Barbare ! Entre sous la chaumière Où vit l’infortuné qui laboure la terre, Expiant notre luxe ; existant pour souffrir, Environné d’enfants qu’à peine il peut nourrir ; Sous le prétexte faux d’une pitié cruelle, Arrache de son sein sa compagne fidèle, Qui l’aide chaque jour par des efforts nouveaux, Et dont l’amour au moins l’encourage aux travaux.. ; Ses cris te répondront ; tu verras ses alarmes. L’oeil ardent de fureur et noyé dans les larmes, Il te disputera ce malheureux trésor, Que tu voudrais hélas ! qu’on lui ravit encor, Et, succombant toi-même à sa juste colère, Tu connaîtras le coeur d’un époux et d’un père... Tu restes interdit ! Mon cher Terville, eh ! Quoi ? Des tableaux aussi vrais ne peuvent rien sur toi ? Je saurai t’accabler, je saurai te confondre. Jamais, et puisqu’il faut.         Attends pour me répondre. Voyons : que dirais-tu, si ta funeste erreur Condamnait à la honte, et livrait au malheur Un être intéressant, doux, sensible, estimable, Un objet vertueux, que tu rendrais coupable, Qui rougirait toujours, loin de toi retenu, De prononcer ton nom, et de t’avoir connu ; Qui verrait dans les pleurs s’éclipser sa jeunesse, Détesterait son sort, maudirait sa tendresse, Voudrait fuir tes regards, loin de toi s’exiler, Et que tu n’aurais plus l’espoir de consoler ? Qu’osez-vous supposer ? Ah ! C’est moi, c’est moi-même Qui veux fuir, qui frémis de mon désordre extrême... Apprenez mes tourments, et concevez les tous, J’immole avec regret le penchant le plus doux ; J’excite mon courage, et chaque effort me blesse... Même en la surmontant, je chéris ma faiblesse. Oui, j’adore Julie, et, dans ce triste jour, C’est l’effroi d’un lien qui m’arrache à l’amour. Qu’entends-je ! Et tu pouvais !... Et ton horrible zèle... Tu crois peut-être encor qu’un autre est aimé d’elle. Ciel ! Et c’est sur ma foi que son coeur s’est livré. C’en est trop !     Je crains tout.         Tu crains d’être éclairé. Conviens-en ; sors enfin d’une erreur volontaire. Je sais, Monsieur, je sais ce qu’il me reste à faire, Et je vais...     Demeurez...         Je n’écoute plus rien. Détruis donc à la fois ton bonheur et le mien. Je connais mes devoirs...         Non ; ton coeur les oublie. Je pars, mais mon amour laisse un père à Julie. Hé bien ! Pars, pars, mais lis.         Est-il vrai !... Justes Cieux ! Un cloître ... je frémis...         Terville... Ah ! Malheureux ! Il a su me charmer... votre âme est généreuse... Il faut vivre coupable... ou mourir malheureuse. Terville !...     Laissez-moi...     Terville !         Ô trouble affreux ! Je triomphe ... des pleurs échappent de ses yeux. Approche... Ne crains rien.     Monsieur. ..         Sois plus tranquille. C’est elle !         Mon billet dans les mains de Terville ! Vous me trahissez !         Vous ! Je n’y survivrai pas. Que vois-je ?     Ton ouvrage.         Ah! c’est trop de combats. Mon âme déchirée... Écoutez-moi, Julie ! Ciel !     Terville !     À vos pieds.         Il vous offre sa vie. N’est-ce qu’un songe !         Non : c’est Terville confus, Qui fut barbare, hélas ! .... qui ne le sera plus. Détrompé par l’amour et par la vertu même, Terville repentant, qui rougit, qui vous aime Qui vous aima toujours : oui, même en vous cédant Je brûlAis, malgré moi, du feu le plus ardent. Jaloux, désespéré, j’idolâtrais vos charmes. Jugez de mes remords, lorsque j’ai vu vos larmes ! Je renais... vous venez de me créer un coeur, Et vous m’avez rendu tous mes droits au bonheur. Je ne raisonne plus, je suis tout à l’ivresse, A l’orgueil de vous plaire, aux soins de ma tendresse ; Dans des principes faux je m’étais engagé, Le sentiment m’éclaire, et seul m’a corrigé. Je ne sais où je suis. .. qu’ai-je entendu ! Madame... Ah! cruel !... Dieu ! quel poids est de moins sur mon âme ! Je sens mieux en ce jour le prix de vos bontés ; Mon père manque seul à mes Félicités. Mais quoi ? Quel trouble encor se mêle à leurs délices ? Je veux des retours vrais et non des sacrifices. Si le regret succède à ces voeux du moment, De mes premiers destins j’aime mieux le tourment. Pour que je sois à vous, soyons tout l’un pour l’autre. Sentirais-je un bonheur qui pourrait nuire au vôtre? Ah! croyez à l’amour que je vous ai juré ; Je ne regrette rien que d’avoir différé. Il déteste ses torts.         Et moi, je les oublie. Bon ! ne voilà t-il pas qu’il en veut à Julie ? Je l’adore ! ....     Vivat !         Viens, mon cher neveu, viens. Redevenu sensible, il ne te manque rien. Madame.....     Eh ! oui, j’entends.         Pardonnons l’un à l’autre. Jouis de ton bonheur.         Il s’accroît par le vôtre. Je vois, qu’excepté moi, tout le monde est heureux. Rien n’est plus consolant.         Je sais ce que tu veux. Épouse : j’étais fou, n’imite pas ton maître. Dépendant, enchaîné, j’ai du plaisir à l’être. Je vais tout réparer, et prouver hautement Qu’on peut être mari, sans cesser d’être amant.