Serviteur à Monsieur Gargot. Que vois-je ! C’est le Dieu Mercure. Je vous amène un bon écot. C’est quelque galante aventure. Non. Jupiter vient en ce jour. Chez vous avec toute sa Cour. Nous y venons célébrer les noces de Thétis et de Pelée. Vous y verrez Pallas, Junon, Vous y verrez Pallas, Junon, Et la Mère de Cupidon : Dondaine, dondaine, Et mainte autre Dondon. Olympienne. Le Grand Jupiter fait trop d’honneur à ma Guinguette. Je vais me mettre en quatre, pour contenter une si belle compagnie. Ils ont déjà dîné. Ils viennent pour passer ici l’après-dinée, et y souper ensuite. Tenez. Voilà l’ordre du repas. Mettez vite la main à la pâte. Je ne perdrai point de temps. Holà ! Garçons ! Vous placerez ces deux Bourgeoises avec ces deux Officiers dans la chambre sur le devant. L’ordre est judicieux. Ils avaient retenu celle-ci qui est plus particulière. Ils choisissent bien les logements. Ce sont apparemment deux Maréchaux des Logis. Garçons ! Mettez du vin au frais. Oui ; mais point de chasse-cousin, s’il vous plaît. Oh ! Nous n’avons que du bon. Eh ! Mon enfant, à qui vendez-vous vos coquilles ? Ce n’est pas le vin qu’on vient chercher ici. D’accord, mais j’en ai d’excellent. Il faudra qu’il soit exquis pour piquer des gosiers accoutumés au nectar. Un peu trop de douceur ou d’âcreté les dégoûtera. De l’âcreté ! Loin de trouver mes vins trop acres, Je réponds que Messieurs les Dieux. S’en retourneront tous aux Cieux Plus ivres que des Fiacres. Si cela arrive, les Déesses seront aussi bien conditionnées, sur ma parole. Ma foi, le Sexe féminin Aujourd’hui fait honneur au vin, Lon-lan la, derirette. Qui le voit mieux que nous ici ? Lonlan la, deriri. Mais, voici Jupiter. Allons, allons, allons À la Guinguette, allons. De la joie, mes enfants, de la joie.Je suis en train aujourd’hui. Divertissons-nous.Du vin, du vin comme de l’eau. Vous en aurez bientôt de frais. Et des violons, n’y en a-t-il pas ici ? D’excellents. Bon. Tant mieux. Je veux danser, et me réjouir comme un compère. Ce Jupiter me paraît bonhomme : Je le crois même un peu bête. Vous lui faites grâce du peu. Dansons. Chantons. Morbleu ! Qu’il est doux de laisser sa qualité à la porte d’une Guinguette, et de goûter des plaisirs à la croque-au-sel ! Aussi, cela se fait assez souvent. Mais, Dame Vénus, je ne vois point ici votre fils. Où est-il donc, ce petit coquin ? Je ne sais. Il ne suit que sa fantaisie. Vous ne l’attendrez pas longtemps. Le voici. Hé, d’où venez-vous donc, petit fripon. Oh, dame ! Chacun a ses affaires. Comme vous répondez ! Qu’avez-vous donc ? Quelle mine vous faites ? Je ne saurais la faire meilleure, tant que je verrai devant moi ce benêt d’Hymen. C’est ma bête. En vain vous faites la grimace ; Je triomphe en cet heureux jour. Cédez le pas de bonne grâce. Cédez-le vous-même à l’Amour. Ha, ha, ha ! Regardez un peu ce nigaud, avec sa face de papier mâché. Ah ! Voyez donc comme il est fait ! Avec ton air plat et discret. Tu fais trop le Dieu d’importance. Y-avance , y-avance, y-avance, Avec ton habit d’ordonnance. Mes enfants, point de querelle. Je suis fâché d’être venu ici, puisque je l’y trouve. Tout beau, Seigneur Cupidon. Ma compagnie vous fait honneur, au moins. Malgré cette humeur vaine, Dans plus d’une maison, Boudrillon, Vous ne pouvez,, sans peine, Entrer que sous mon nom, Boudrillon. Petit boudrillon, Boudrillon, dondaine, Petit boudrillon, Boudrillon, dondon. Il est vrai que vous êtes un prête-nom. Mais sans moi, mon ami, vous auriez l’air d’attendre longtemps la pratique. Pourquoi donc, sans vous ? J’aveugle les amants Qui prennent votre chaîne ; C’est moi qui vous les mène, Qui, cachant vos tourments, Leur peins vos noeuds charmants, Après tout, vous n’avez que mes restes. Oh ! Je me passe de vous assez souvent. Oui ; mais cela va d’une belle dégaine, quand je ne suis pas de la partie. Allez. Vous n’êtes qu’un libertin. Et vous, qu’un vil esclave. Écoutez ce que dit l’Opéra : L’Hymen vient quand on l’appelle, L’Amour vient quand il lui plaît. L’Opéra met entre nous bien de la différence comme vous voyez. L’Opéra dit bien d’autres sottises. C’est un impertinent, et vous aussi. Et vous, vous êtes un sot. À qui en veut donc ce brutal ? Hé-bien, hé-bien... Cela finira-t-il ; bientôt ? On vient ici pour se réjouir, et... Allons, mon fils, soyez sage. Je veux que vous vous raccommodiez avec l’Hymen : Tout en ira mieux. Au contraire. Sans mes petits tours de passe-passe, tout irait sans-dessus-dessous. Voulez-vous que je vous le prouve. Voyons. Si d’une pudique flamme Le Magistrat, le Marquis Brûlait toujours pour sa femme, Que deviendraient cent belles à Paris ? Il a raison. L’Enfant dit vrai. Très souvent d’un père à béquille, Qui se voit sans espoir d’enfants, Je fais recruter la famille , Et faire honneur à ses vieux ans. Cela est véritable. Oh, pour cela, oui. Ce Procureur à mine austère Pourrait-il, par sa maigre chère, Garder jamais de clercs chez lui, Si Madame la Procureuse, En secret plaignant leur ennui, Ne leur devenait gracieuse. C’est pourtant mon ouvrage, cela. Mais, mais, il a raison. L’Enfant dit vrai. Sans moi, que deviendraient la Villette, Passy, les Bois de Boulogne et de Vincennes, Charenton, la Râpée, etc. Ces doux asiles des époux mal-assortis, ces correctifs de la nonchalance des maris deviendraient d’affreux déserts. Tout cela est le mieux du monde, mon enfant ; mais fais quelque chose pour Thétis et Pelée. Soit : Mais, ce sera sans tirer à conséquence. Voilà qui est bien. Dansons présentement. Que signifie donc cette vapeur-là ? Qui diable fait un si grand sabat ? Ah, morbleu ! C’est cette vilaine Discorde ! Voila bien du rabat-joie. Jarni ! Ah ! Ha ! Je vous y atrape ! Dianche ! Comme vo z’y âllez ! Hé, d’où vient donc que vous né m’avez pas priée de la noche ? On a grand tort, assurément. Peste de Normande, ta présence m’afflige. Va-t-en au Diable. Hé ! Vas y tey-même, grand Chenapan. Morguienne de vous. Quell’ femme, quell’ femme, Morguienne de vous, Quell’ femme êtes vous. J’aurais été de trop ichit, apparemment. No valons pourtant bien toutes ces Pinbéches-là. Demandez à ces deux Normands Combien j’ai fait d’amants Donn’ z’au Guiéble, tout notre pais En va pour ses attraits. Domfront reconnoît ma puissance, Ainsi que Valogne et Guibray ; L’on m’adore à Vire, à Coutance, Tout Caen ne jure que par mey. Oh ! Vére, mâ fey. Plaisante puissance. All est aussi pissante que vo, si pus n’est. Vére, Guieume dânne ! Pat la sang-Guiêble ! Il me prend envie de vo galvauder tretons, et de jeter par les fernêtres les Dieux, les Diesses ry les violons z’aussi. Ma Comète, ne te fâche point. Si nous ne t’avons pas mise de la partie, ce n’a point été par mépris. Tu sais que je t’ai toujours aimée. On nous a dit que tu avais affaire aujourd’hui. Cela est vrai. On a besoin de mey dans l’Université de Paris, où l’on va procéder ; à sélection d’un Recteur : mais, item, il fallait tréjours me semoncer de lâ noche. Tu n’aurois rien perdu pour cela, mon enfant, nous t’aurons gardé une part de gâteau. Ah ! Que vo z’êtes de braves femmes ! Tenez par reconnaissance via un petit présent que je vo fais. Voyons, voyons. C’est une poume de Vire z’en Normandie. Que Junon, Pallas et Venus se la disputent. Ah ! donne-la moi, ma mignonne. Avec quel plaisir je la vois 1 Non, s’il vo pglaît, je ne la donne Qu’à la plus belle de vo trois. C’est donc pour moi, c’est donc pour moi. Tenez, vieux Grigou. C’est en vos mains que je lâ remets, pour en faire l’adjudication comme adviserez bon être. Que voulez-vous que j’en fasse, moi ? Ce qu’il vo pglaira. Adieu. Réjouissez-vo bien , mez’efans. Cette poume vo bâillera du tintoin, comptez là-dessus. Peste de la Carogne, avec sa chienne de pomme. Hé, pourquoi la preniez-vous ? En vous la donnant on vous avertit qu’elle sera fatale, vous êtes assez sot pour la recevoir. Oui, j’ai tort, il est vrai, j’ai tort. Ah ! Maudite Discorde ! Ça, ça, qu’on nous donne cette pomme. Ne différons point. C’est le plus pressé. Hé bien, hé bien, ne voilà-t-il pas déjà le commencement du branle ? Ah ! Que je prévois de maux à l’heure qu’il est ! Mon Papa, dépêchez-vous. Considérez ma figure. Allons, mon fils, jugez-nous. Turelure. J’aurai le prix, je vous jure. Robin, turelure lure. Oh ! Que je me garderai bien de prononcer entre vous. Décidez en Maître des Dieux. Il ne faut avoir que des yeux ; Pour bien décider cette affaire. Laire la, laire lan-laire, Laire la, Laire lan-la. Je n’en ferai rien, vous dis-je. Rapportez-vous-en à quelque mortel qui ait du discernement. J’ai votre fait, Mesdames. Qui ? Pâris. C’est un Berger de Charenton, un Virtuose, qui fait arrêter les carrosses, et nouer l’éguillette. J’ai entendu parler de ce drôle-là. C’est lui qui juge les querelles De tous les Bergers d’alentour. Qu’il juge donc trois Immortelles ; Qu’il ait cet honneur en ce jour. Portez vite cette pomme à Pâris : Qu’il la donne à qui elle appartient. Pour nous, que cela ne regarde plus, continuons de nous réjouir. Gardons nos moutons, Lirette , liron, Liron, lire, lirette. Apprends à quel sort glorieux T’élève le Maître des Dieux ; Il met en tes mains la querelle De Junon, Pallas et Venus ; Donne ce prix à la plus belle. Voilà ses ordres absolus. Jupiter me gonfle d’honneur. Vous pouvez, mon ami Mercure, Aller dire à ce bon Seigneur Qu’il doit compter sur ma droiture. Quel bruit fait retentir ces lieux ? C’est Pallas qui s’offre à tes yeux. Suis, Pâris mes étendards, Si tu veux, briller dans l’histoire ; Viens dans les nobles hasards Chercher une immortelle gloire, La fière Pallas, Suivra tes pas Dans les combats ; Tu deviendras Un fier-à-bras. Hoïmé ! Je suis mort. Ne crains rien. C’est Junon qui s’approche. Morbleu, Madame Junon, vous m’avez fait grand-peur ! Ne sauriez vous m’aider d’une manière moins bruyante ? Berger, ce qui cause ta peur N’était que pour te faire honneur : Le Dieu des Cieux et de la Terre A bien voulu te régaler De ce petit coup de tonnerre, Que tu viens d’entendre rouler. Beau régal, ma foi. De toi dépend toute ma gloire, Aurai-je le don précieux ? Oui, Berger, je lis dans tes yeux Ma prochaine victoire. Tudieu ! Quel essaim d’appas ! Peut-on voir un plus beau bras ? Plus blanc, plus mignon Plus ferme et plus rond ? Ah ! Quelle main jolie ! Ces petits doigts d’un moribond Rappelleraient la vie, Loula, Rappelleraient la vie. Mon ami, juge en ma faveur. Je compte sur la préférence. Je connais bien son tendre coeur ; Je ferai pencher la balance. Mais voulez-vous sur l’apparence Que je prononce ma sentence ? Puisqu’il s’agit de vos attraits, Il faut, Mesdames les Déesses, Qu’à fond de ce fameux procès J’examine toutes les pièces. Le petit badin ! Charmant Berger, accepte l’abondance. Je te promets des plaisirs à ton choix. C’est moi, mon cher, qui donne la prudence, Et la valeur mère des grands exploits. Laisse-là les armes ; Les travaux guerriers, Pour de vains lauriers Causent mille alarmes : Ce sont les Amours Qui font les beaux jours. Ne vantez point les combats, Je n’en tâterai pas. De la valeur je suis la source. Il n’est rien de bon que la bourse ; Et l’amant comme le héros N’est jamais en repos. Pâris, sois plus sage, Méprise son or ; Le plus grand trésor Offre un esclavage ; Ce sont les Amours Qui font les beaux jours. Cela mérite réflexion. Tu ne choisis point les richesses ! La valeur ne te touche pas ! Je penche fort vers les espèces ; Mais l’Amour a bien des appas. Je te donne le bras d’Ulysse. Et moi, des biens et des honneurs. Moi, la main d’une jeune actrice, Qui doit ruiner vingt seigneurs. Oh, parbleu, attendez. Je vais vous accorder toutes trois. Que veux-tu faire ? Partager la pomme entre vous ! Et pour mes trois pièces, vous me donnerez chacune un peu de votre marchandise. Je veux tout ou rien. Eh bien, elle est à vous, belle Vénus. Au diable l’argent et les armes ; À vos promesses je me rends. Tu décides sur les présents, Au lieu de juger sur nos charmes ? Est-ce là juger sainement ? L’Opéra fait-il autrement ? Tu méprises la gloire ! Tu mourras dans l’histoire Comme un lâche soldat. Va. Je me donne au Diable, Tu seras, Misérable, Toujours gueux comme un rat, Je pourrais bien être un sot homme, D’avoir ainsi livré la pomme. Junon m’annonce un sort fatal : Vous l’avez entendu, Madame. Bon. Peux-tu craindre l’hôpital ? Je te donne une belle femme. Et vogue la galère, Tant qu’elle, tant qu’elle, Et vogue la galère, Tant qu’elle pourra voguer.