Oui, je vous le soutiens, et je vous le répète : Si Monsieur faisait bien, il ferait maison nette. Mais dites-nous pourquoi, Patriote enragé ? Tenez, ce mot-là seul mérite le congé. Si l’on vous écoutait, on en verrait de belle : Avec chacun ici vous êtes en querelle. C’est que je sais servir sans faire le flatteur ; Vous ne rentrez jamais sans prédire un malheur. Que l’on tremble à Paris, ou que l’on assassine, L’Etat est, selon vous, tout prêt de sa ruine ; Et si l’on vous croyait, Monsieur Modérantin Serait déjà parti.         Mais il part dès demain. N’est-il pas plus heureux de rester en campagne, Où de ses bons amis la foule l’accompagne, Gens suspects comme lui, ne se mêlant de rien ? Qu’à flatter ses travers, pour attraper son bien. Vous approuvez cela, car vous êtes docile. Approuvez-vous aussi l’amour de Lestanville ? Sa cousine à Duval devait s’unir un jour ; Son père, avant sa mort, appuyait son amour, Et mon maître devait au trépas de son frère D’exécuter du moins sa volonté dernière. Le fils de la maison doit être préféré : Pour terminer bientôt, l’on a tout préparé, Il ne partira pas, si Monsieur le marie. Je l’avais élevé pour servir sa Patrie. Il faut bien à l’État faire des défenseurs. Quoi ! De ces deux amants vous verriez la douleur ! Ils se consoleront, l’affaire est décidée. Monsieur Modérantin ne l’a pas terminée. Pour établir sa nièce, il prendra vos avis. On l’estimerait plus, s’il les avait suivis ; D’un bon Républicain prenant le caractère, Il pourrait éviter quelque fâcheuse affaire. Comme vieux serviteur, c’est d’après vos sermons Qu’il faudrait se conduire, et suivre vos leçons ? Vous ne feriez pas mal.         Je ne suis pas si sotte, J’ai mon opinion ; vous êtes Patriote, Et vous avez raison, si c’est votre plaisir. On est libre, à présent, de penser ou d’agir ; Monsieur Modérantin vit à sa fantaisie, De le contrarier vous avez la manie : Mais quand on a besoin de rester en maison, On doit toujours trouver que son maître a raison. Vous avez de l’humeur d’entendre ce langage ? Je sais que vous avez du goût pour l’esclavage, J’ai le goût de rester oú je me trouve bien. Je vais à mon devoir. Adieu, bon Citoyen. Je veux me retirer. Ma foi, la servitude, En quelqu’état qu’on soit, paroît toujours trop rude. Monsieur Modérantin ne sera pas content ; Mais je dois prévenir un triste événement. On vient de m’avertir que son patriotisme, Aux yeux des gens sensés, n’est que charlatanisme ; Il est très-suspecté, ceci finira mal. Je l’ai bien averti ; c’est un original Qui se fera coffrer, et de qui les sornettes Le conduiront un jour droit aux Madelonnettes. TE voilà seul, Dufour : pourrois-je dire un mot À l’objet de mes vœux ?         Eh ! vous n’êtes pas si sot De saisir le moment où son oncle est en ville ; Il est allé chercher Monsieur de Fablenville ; Il reviendra bientôt, car il donne à souper A de vrais intrigans que je n’ose nommer. Tu connois mon amour pour l’aimable Julie ; Il égale en mon cœur celui de la Patrie : C’est t’en dire l’excès ; mais j’ai fait mon devoir. A Grandpré, l’an dernier, cette belle a pu voir Que pour la Liberté j’ai su courir aux armes ; Mais mon cœur gémissoit d’abandonner ses charmes. Vous voilà de retour, et vous serez heureux. L’on est toujours plus sûr de plaire à deux beaux yeux, Quand on sait allier, dans son ardeur guerrière, Le myrthe de l’amour au laurier militaire. Je me suis distingué pour avoir ses appas. Quels efforts, cher Dufour, ne tenterois-je pas ? Dis-moi, quel est son oncle ?         Encore ici, Manette ! Puisque vous aimez tant qu’on fasse maison nette, Il faut venir m’aider à ranger le salon, Où l’on soupe aujourd’hui : de toute la maison J’ai seule le tracas.         Ma soi, j’en ai ma dose. Qui ? Lui ? De tout le jour il ne fait autre chose Que de censurer tout, sans rime ni raison. Il ne rangeroit rien dans toute la maison. Suis-je ici le frotteur ?         Et moi, suis-je frotteuse ? Non, vous avez l’emploi d’être toujours grogneuse. Allons, mes bons amis, ne vous disputez plus, Et supprimons ici des discours superflus. Je desire savoir quel est le caractère De l’oncle de Julie ; il m’est nécessaire De le connoître bien, pour pouvoir en ce jour Lui déclarer enfin mes vœux et mon amour. Pour moi, je ne sais pas médire de mon maître. Sans médisance, moi, je le ferai connoître. Vous avez le talent de faire des portraits. Voyons : de celui-ci connoissez-vous les traits ? Mon maître est de ces gens dont tout Paris fourmille, Et qui, sous le manteau de père de famille, Ne se mêlent de rien pour n’avoir aucun tort, Et se rangent toujours du côté du plus fort ; Qui, pour se dispenser de servir leur Patrie, Abandonnent leur ame à la vile inertie De se neutraliser dans un gouvernement, Pour n’avoir jamais part au moindre événement ; Blâmant tout ce qu’on fait, suivant la circonstance, Et sont des étrangers dans le sein de la France. Cet homme est fort utile à la société. Si chacun comme lui, restoit de son côté, On verroit moins de gens prêcher la République, Et qui n’entendent rien à la chose publique. Mais d’après vos discours, c’est donc un modéré ? Il ne l’est pas à table ; il est sort altéré, Sable le meilleur vin dont sa cave est remplie, Possède tous les goûts de bonne compagnie. Le spectacle, le jeu, les fêtes, les repas : On ne le voit jamais où le plaisir n’est pas. Au moindre petit bruit, il court à sa campagne, Où de nos malveillans la foule l’accompagne ; Faisant monter sa garde, et payant ses impôts, Il dit que tout Paris n’est peuplé que de sots ; Que notre Liberté n’est rien qu’une chimère, Et que l’Égalité ne fut jamais sur terre ; Qu’il ne s’oppose point à tout ce qu’on fera, Mais que dans aucun tems il ne s’en mêlera. De ce plan bien suivi, jamais il ne s’écarte, Et n’a du Citoyen, en un mot, que la carte. Que lui faut-il de plus pour rester en repos ? Je sors, et ne veux point partager vos propos ; J’aurois dû m’en aller, je ne suis qu’une sotte. Monsieur Modérantin est très-bon Patriote, Et vous avez grand tort de redire aujourd’hui, Le mal que chaque jour on dit par-tout de lui. ELLE en dit beaucoup plus par cette répartie ; La vérité l’emporte, enfin elle est partie ; Nous pouvons tous les deux parler en liberté : A voir des gens suspects mon maître est entêté, Quoi ! De nos malveillanTs connoîtroit-il la clique ? Il en voit très-souvent par pure politique ; Il prétend, si jamais ils avoient le dessus, Qu’ils diroient que céans ils étoient bien reçus ; Il croit, par ce moyen, conserver l’avantage De préserver ainsi sa maison du pillage. Morbleu ! voilà l’erreur qui corrompt tout Paris. Le vrai Républicain n’est point de cet avis, Le Peuple est plus puissant que ces froids égoïstes ; De tous les malveillans on connoît les gagistes, Et quant aux modérés.....         Ils ne changeront pas. Allez, ne craignez rien, nous les mettrons au -. Lit-il quelques journaux ?         Jamais. Point de nouvelles. Il dit que ces papiers font naître des querelles, Qu’on peut aller ailleurs, si l’on en veut avoir : Mais nous nous cotisons pour le journal du soir. Me voilà bien au fait. Mais parlons de Julie. Depuis votreretour, je la trouve embellie ; Son caractère heureux chérit la Liberté ; Près d’elle on sent le prix de cette Egalité Qui nous fait supporter le dégoût du service ; Aussi dans la maison chacun brigue l’office De prévenir toujours son goût et son desir, Et pour nous le devoir est près d’elle un plaisir. Elle doit ses vertus à celles de son père. Il vous choisit pour fils, partant pour la frontière. On ne prévoyait pas que son fat de neveu, D’un amour indiscret serait un jour l’aveu, Et briguerait la main qui vous fut destinée ; Il croyait esquiver la première levée. Son père l’avait fait inspecteur des charrois. Mais on l’a mis dehors. Pour la première fois Il saura ce que c’est de monter une garde, Car il n’a jamais mis les pieds au corps-de-garde. À quoi s’occupe-t-il ?         À dissiper son bien, Faisant comme son père, et ne songeant à rien, De ces sots ci-devant voulant singer l’espèce, Et ne ressemble en rien à la brave jeunesse Que l’on vit de tout temps préférer à Paris L’honneur de se montrer en face aux ennemis. La réquisition changera sa cervelle. Il ne pourra jamais manger à la gamelle. Mais on entre au logis, c’est un cabriolet ; Voici votre rival, écoutez son caquet. Ma parole d’honneur, la chose est effroyable ! Moi, m’aller caserner ! Mais je me donne au diable, Si l’on me voit servir avec tous ces gens-là, Ma parole d’honneur.         Ah ! Bonjour : vous voila ? De quels gens parlez-vous ?         Mais de la populace ; Avec mon perruquier que veut-on que je fasse ? Mon porteur d’eau, mon nègre, et puis le ramoneur : Vraiment je suis outré, ma parole d’honneur ! Ils en ont plus que vous.     De l’honneur !         Sur mon âme, Je ne puis retenir le courroux qui m’enflamme, Je devrais être fait à tous ces sots discours. ............................. Respectez dans le peuple une importante masse, Que vous qualifiez du nom de populace ; C’est votre souverain ; et votre ramoneur Vaut cent fois mieux que vous, ma parole d’honneur ! Ne vous fâchez donc pas.         Dans cette classe immense, Mon père me l’a dit, tu reçus la naissance : Tu défends ton parti ; mais voici mon refrain : Mon cocher ne sera jamais mon souverain. Il ne l’est pas non plus, mais il en fait partie. Mais j’ai tort contre vous de faire une sortie ; Et si l’on m’en croyait, les gens de votre ton Seraient tous casernés demain à Charenton. Je ne puis m’en fâcher, l’apostrophe est gaillarde, Car auprès de Bercy, ce soir je suis de garde : Tu vois, mon cher ami, qu’on t’a bien écouté. Je te crois du crédit dans quelque Comité, Ma parole d’honneur !         Cessez ce persiflage : Votre père paraît, prenez un ton plus sage. Accrochez tout cela, Dufour, dans le salon. Quand l’écriteau civique est devant la maison, Il faut bien que chez moi tout le reste réponde. Ce changement subit surprendra bien du monde. Bonnet de Liberté, les piques, le drapeau, Ma foi, l’intérieur répond à l’écriteau. Je ne passerai plus pour un aristocrate ; ........................ Qu’en dites-vous, mon fils ? Car vous avez du goût. Arthur, depuis longtemps, a mis cela partout. Et toi, qu’en pense-tu ?         L’on dira, je vous jure, Qu’on ne voit le civisme en ces lieux qu’en peinture. Ma foi, c’est bien assez : allons, retire-toi. Ah ! Ah ! C’est vous, Monsieur, que faites-vous chez moi ? Faut-il le demander ? Duval vient, je parie, Présenter ses respects à l’aimable Julie. Voilà le vrai motif qui conduisait mes pas ; Devant son oncle ici je ne m’en défends pas ; Mais j’espérais de plus dans cette circonstance, Vous faire, Citoyen, mon humble révérence. Je vous sais gré, Monsieur, de parler franchement, Et répondrai de même à votre compliment. Vous eûtes, je le sais, l’aveu de feu mon frère Pour épouser Julie ; et moi, tout au contraire, Je vis de mauvais oil cet établissement, Et j’ai pris pour ma nièce un autre arrangement. Je respectai toujours vos droits sur votre nièce, Mais la Loi les rend nuls ; et si j’ai sa tendresse, Elle peut à son gré se choisir un époux ; Mais je mets mon bonheur à l’obtenir de vous. Vous ne l’obtiendrai point. La Loi, ce mot me pique ; Ils narguent les parents avec leur République. Mais moi, qui n’entends rien à ce nouveau jargon, Je serai maître ici, si vous le trouvez bon. Je vous entends fort bien, ce mot doit me suffire. En bon Républicain, pourtant je dois vous dire De ne plus vous piquer pour ce mot de la Loi. Soyez plus circonspect ; car tout autre que moi Vous serait repentir du peu de politique Qui règne en vos discours sur notre République. Nous sommes dans un temps où le Peuple irrité, Punit les détracteurs de notre Liberté. Conçois-tu ce ton là ?         C’est d’une impertinence !... J’aime la Liberté.         Mais non pas la licence. Mais on ne pourra plus dire un seul mot chez soi. Il faut se prosterner au seul nom de la Loi. Ou bien vous encourez qu’un intrus vous semonce. Ou qu’à sa Section le soir il vous dénonce. Il en est fort capable ; et c’est ta faute aussi : Avec cet enragé, pourquoi rester ici ? J’arrivais dans l’instant. Quoi ! Cela vous chagrine ? Tu sais bien que ce fat en veut à ta cousine, Et tu vois ton rival de sang-froid au logis, Et causes avec lui comme avec tes amis : Tu vois pourtant, tu vois à quoi ceci m’expose : Mais son père paraît, va-t-en vite, et pour cause. Eh ! Bonjour, mon ami : mais on ne vous voit plus ? Au comité civil nous sommes assidus. Tout comme un autre aussi je sers bien ma Patrie, Mais sans fuir cependant la bonne compagnie. Mais je ne la fuis point, car j’y passe mes jours : Vous entendez le Peuple en tenant ce discours. Le Peuple ! Non, ma foi, j’admire ta folie. C’est qu’il est maintenant la bonne compagnie ; C’est lui seul qui défend et qui soutient nos droits, Combat nos ennemis, fait respecter nos lois ; S’éloigne des plaisirs pour voler aux frontières, Et ne s’enrichit point aux dépens de ses frères : Il se prive de tout, et ne se plaint jamais ; C’est pour la Liberté, l’Egalité, la Paix, Que le Peuple aujourd’hui donne jusqu’à sa vie ; Et votre frère est mort en bonne compagnie. Vous jouez sur le mot : ne se mêlant de rien, Nous le verrions encor vivre en bon citoyen. Comme on n’en voit que trop dans une République : Chacun doit son tribut à la chose publique, Et voilà le sujet qui m’amène en ces lieux. Vous recevez chez vous des gens très dangereux, Qui seront arrêtés ; et vous pourriez bien l’être Puisqu’avec eux toujours chacun vous voit paraître. Votre fils à l’instant m’a tenu ces propos ; On ne pourra donc plus fréquenter ses égaux ? Si ce sont vos égaux que ces gens mercenaires, Qui par de vils calculs augmentent nos misères ; Si ce sont vos égaux que ces perturbateurs, De notre République infâmes détracteurs, Qui savent à nos lois apporter des entraves, Et qui seraient ravis de nous revoir esclaves ; Ne soyez plus surpris qu’il est très avéré Que vous êtes suspect, étant très modéré. Voilà vos sots propos, et ceux de vos semblables : Vous me feriez, Monsieur, donner à tous les diables. Depuis quatre-vingt-neuf sédentaire à Paris, N’ai-je pas soutenu les droits de mon pays ? Jamais à mon district on ne me voit paraître, Mais pour bon citoyen je me suis fait connaître. Est-ce de pérorer ou de crier bien fort ? L’honnête homme, Monsieur, pour n’avoir aucun tort, En révolution, en trouble populaire, S’il ne fait pas le bien, du moins le laisse faire ; Et c’est ce que j’ai fait. Qu’on me cite à présent, Si l’on m’a jamais vu dans un rassemblement. Et lorsque du tocsin et de la générale On entendait partout la rumeur infernale, Je rentrais au logis : la nuit comme le jour, J’avais soin de fermer ma porte à double tour. Ai-je fait comme vous quand on prit la Bastille ? M’a-t-on vu renfermer et mon fils et ma fille, J’étais à l’Arsenal, mon fils dessus le pont, Et ma fille au logis faisait fondre du plomb. Entend-on le canon quand on est dans la cave ? J’ai fait tout ce qu’il faut pour n’être point esclave ; J’ai donné pistolets, espingoles, fusils, Deux uniformes neufs, n’ayant jamais servis ; J’ai prêté mon serment pour l’État monarchique, Et je m’enroue en criant vive la République ; Je fais monter ma garde, et paie mes impôts, Le quart patriotique ; et l’on tient des propos ! Enfin, à ma façon je sers bien ma Patrie ; Je ne suis point l’ami de ceux qui l’ont trahie ; D’après tous ces faits-là, peut-il être avéré Que l’on dise partout que je suis modéré ? On ne le dirait pas, vous le dites vous-même. Si chacun, comme vous, eût suivi ce système, Et de se renfermer eût suivi le parti... Vous conviendrez du moins que tout serait fini. Que tout serait fini ! Vous êtes en démence ; Mais nous aurions encor le despotisme en France. J’ai vécu cinquante ans sans connaître ce nom. En raisonnant ainsi, parlez-vous tout de bon ? Vous n’avez point connu le pouvoir arbitraire, Ni les atrocités d’un affreux ministère ? J’étais libre autrefois d’aller et de venir. L’État est en danger, et vous voulez partir ! Eh ! Que faire à Paris quand tout se bouleverse ? Servir votre pays.         J’ai quitté mon commerce. Mais soutenez du moins le régime nouveau. Je n’ai pas, comme vous, le transport au cerveau ; Je suis réduit à rien.         Vingt mille écus de rente. Mais en quatre-vingt-huit j’en possédais quarante : Pour trouver cela beau, vous avez vos raisons : On a coupé mes bois, on mange mes pigeons, Et pour me consoler de mon fils qu’on emmène, Je n’ai pas un lapin dans toute ma garenne. Sont-ce donc des lapins qui consolent d’un fils ! N’est-il pas plus heureux de servir son pays ? Vous n’êtes pas charmé que votre fils répare Le tort qu’il se faisait, la conduite bizarre Qu’il avait à Paris ?         Il était aux charrois. Il est plus glorieux de défendre les lois. On les défendra bien avec cette jeunesse ; C’est un très beau décret, ma foi ! Belle prouesse. Vous serez étonné d’entendre ses succès : J’augure mieux que vous de nos jeunes Français ; Dans Paris corrompu, quelques modes nouvelles, De tout temps, je le sais, occupent leurs cervelles ; Mais pour servir l’État, sitôt qu’ils sont requis, Voyez-les pleins d’ardeur pour venger leur pays, Les yeux étincelants, pleins de vertus guerrières, Se disputer l’honneur de voler aux frontières, Jemappes a confirmé qu’il n’est point de remparts Qui ne soient emportés par ces jeunes Césars : Ils ne consultent pas la force ni l’adresse, L’honneur est l’aiguillon qui les pousse sans cesse ; Ils savent tout braver, et le froid et la faim ; Chacun marche au combat entonnant ce refrain, Cher à tous les Français, cet hymne à la Patrie, Et lui donne en chantant et son sang et sa vie. Sentez donc tout le prix des droits du citoyen : Pour être libre, moi, je donnerais mon bien. Et si l’on me prend tout, n’est-ce pas même chose ? Mon ami, savez-vous à combien l’on m’impose ? À quatre mille francs ?         Je ne me plaindrais pas. On m’en demande cinq, je suis dans l’embarras. Mais en déduction il faudrait vous inscrire. Est-ce au département ? Il n’en fera que rire. Quatre mille avant moi n’en ont rien obtenu ; L’on connaît de chacun, mon cher, le revenu ; On dira : « Citoyen, votre plainte importune, Et l’on vous a taxé selon votre fortune. Vous avez en bien-fonds, six maisons à Paris, Cent arpents cultivés auprès de Montargis Marais dans les faubourgs, une terre superbe, Et vous ne mangez pas tout votre blé en herbe. On sait que vous avez des billets au porteur », Et c’est la vérité, ma parole d’honneur. Ne vous plaignez donc pas, afin qu’on vous estime, Et ne décriez plus notre nouveau régime. Pour la dernière fois je viens vous avertir ; Et même, si chez vous l’on me voit revenir, C’est que je veux unir mon fils avec Julie : Car un Républicain doit fuir la compagnie De ces êtres glacés, égoïstes rampants, Qu’on voyait s’enrichir sous le joug des tyrans ; On devrait éviter les gens de cette espèce, Les vouer au mépris ainsi que leur richesse, Et n’admettre jamais dans la société Que les amis du Peuple et de la Liberté. Vous parlez maintenant une langue étrangère, On fréquente toujours ceux qui font bonne chère ; Sur ce chapitre-là vos cris sont superflus, Nous sommes trop gourmands pour avoir ces vertus. Vous devriez rougir de tenir ce langage. Je me rendrais coupable en restant davantage Mais prenez garde à vous.         Vous me faites frémir. Ah ! Si pour m’arrêter quelqu’un allait venir, Vous parleriez pour moi, je suis bon patriote ; Mais de vos enragés je n’ai pas la marotte. Allons, mon cher Duval, prête-moi ton appui ; Je ferai le bonheur de ton fils aujourd’hui, Ma nièce lui plaît fort, je lui donne Julie ; Mais à la Section il faudra qu’il m’appuie, Et je consentirai...         Non, ne l’espérez pas : Il ne peut à ce prix vous tirer d’embarras. J’aime trop votre fils, et c’est le compromettre, De vous justifier il ne peut se permettre ; Il aime son pays, chérit l’Égalité, Il a versé son sang pour notre Liberté : Vous vous vantez toujours d’avoir fait le contraire : Vous insultez aux pleurs que je donne à mon père, Et Duval ne saurait, sans mentir à son coeœur, Du faux patriotisme être le protecteur. Vas donc me dénoncer avec de tels reproches ; On n’est jamais trahi, dit-on, que par ses proches ; Et l’on a bien raison.         Ne vous emportez pas, Je vais voir si je puis vous tirer d’embarras. Parlez à votre fils, je l’ai mis en colère ; Il est nouveau soldat révolutionnaire ; Ces Messieurs font la chasse à tous les modérés ; Je ne le serai plus désormais, vous verrez. Je veux dès aujourd’hui réformer ma conduite. Je vais trouver mon fils.         Mais revenez bien vite. Et vous, loin d’adoucir ma peine et mon chagrin, Qui venez me narguer avec un air hautain, Apprenez que de moi dépend votre fortune, Et que depuis longtemps vous m’êtes importune, Et que votre civisme et vos beaux sentiments, Ne m’en imposent pas ; que vos engagements Qui jadis avaient eu l’aveu de votre père, Ne pourront s’accomplir qu’en cherchant à me plaire. Mon oncle, vous pouvez garder tout votre bien ; En m’accordant Duval, je ne demande rien. En ce cas, vous l’aurez.         Malgré votre rudesse, Je saurai vous chérir, vous respecter sans cesse ; Mais pour flatter en vous des principes affreux, Qui rendraient à jamais les Français malheureux, Je ne puis m’y résoudre, et j’aurai votre estime, Malgré tous vos regrets pour votre ancien régime. Elle a du caractère, et j’en suis peu surpris ; Mais je me garderai de suivre ses avis : Je veux pour la punir, qu’elle ait son Patriote, Elle aura des enfants qui seront Sans-culottes, Et nous verrons comment, dans sa belle union, Elle dira sans bien, vive la Nation ! Vous sentez du bonnet, Monsieur, l’effet magique, Et vous crierez bientôt vive la République ! Que venez-vous chercher ? Cessez vos sots discours. Il ne changera pas, il bavarde toujours. Vos ordres pour souper.         Qu’elle est officieuse ! Elle ne changera pas, elle est toujours flatteuse. On mettra le couvert, Monsieur, dans le salon, Du linge damassé, tous les vins en flacon ; Vous indiquerez ceux qu’il faut mettre à la glace. Laissez parler Monsieur, et finissez, de grâce. Avez-vous le menu ?         Vous l’avez oublié. Nous serons six, ce soir, et chacun est prié. Vous direz au portier que pour aucune affaire, On ne laisse monter de la soirée entière. Je m’en vais donner l’ordre, et vienne qui voudra ; Hors ceux qui sont priés, personne n’entrera. J’ai déjà prévenu, n’en prenez pas la peine. Mettez votre couvert, ce soir, en porcelaine. Vous serez satisfait, et j’y vais de ce pas. Je suis prêt : dictez-moi, Monsieur, votre repas. Cette carpe du Rhin, un buisson d’écrevisses, Mon pâté, mon turbot ; j’oubliais mes délices ; Quatre entremets choisis : prenez-les chez Meau ; La truite saumonnée, une longe de veau. Vos perdreaux ?         En salmis, un autre de bécasses ; Dites chez Veloni qu’on apporte des glaces. On peut, après cela, se passer de dessert. Trois ananas bien mûrs, choisis chez Wouesmert. Pour un tas de fripons faire autant de dépense ! Montez du marasquin, du vin en abondance. En boirez-vous, Messieurs, comme ces jours derniers ? Ma foi, vous étiez tous comme des templiers. Que veulent ces Messieurs ?         Ce sont des Commissaires De notre Section.         Allez à mes affaires. Allez dire à Duval qu’il vienne dans l’instant, Que j’ai besoin de lui : courez-y promptement. Puis-je savoir, Messieurs, pourquoi votre présence ? Le Comité, Monsieur...     Lequel ?         De bienfaisance Nous députe vers vous.         Comme un bon Citoyen, L’on a compté sur vous.         Moi, je n’ai plus de bien, Ce qui m’en reste, hélas ! n’est plus qu’une vétille, Et je n’ai pas de quoi soutenir ma famille ; Je me prive de tout, j’ai mis carrosse à bas. Demandez au portier, je ne fais qu’un repas ; J’ai donné, tant donné, que je suis à la gêne, Et je suis bien fâché, Messieurs, de votre peine. Nous avons, Citoyen, rempli notre devoir. Dans un autre moment nous reviendrons vous voir. Non ! Ne revenez pas, ce soin serait frivole. Je ne puis de longtemps vous donner une obole. On nous avait trompé, Monsieur ; et je vois bien Que vous serez toujours un pauvre citoyen. Je puis faire un effort pour sauver la Patrie, Prenez ces deux corsets, c’est mon économie, Le bon temps reviendra...         De quel temps parlez-vous ?... J’Arrive le premier, mon cher, au rendez-vous. Chez toi, l’on fait toujours chère très délicate ; Tu le nourris toujours comme un aristocrate. Taisez-vous, pour raison.         Ces Messieurs vont sortir. L’abbé ne viendra pas : on vient de m’avertir Qu’on l’a fait arrêter.         Que le diable l’emporte ! Nous le ferons sortir, mais par la belle porte. Tu me perds, mon ami ; je suis désespéré. Toi, tu trembles toujours, tu n’es qu’un modéré, Et dans un tour de main, c’est une chose unique, On lui ferait crier vive la République. Soupez-vous avec nous ?         Pourquoi les retenir ? Ces Messieurs sont pressés.         Pour vous faire plaisir, Nous pourrons augmenter la bonne compagnie Que l’on trouve chez vous.         C’est par plaisanterie... Je ne plaisante pas. C’est chez toi, mon enfant, Où l’on peut, tu le sais, parler ouvertement ; Tout changera bientôt, et nos gens en campagne Mettront à la raison messieurs de la Montagne. Demain nous partirons pour aller à Passy. Allez vite avertir : pour moi je reste ici. Dufour vient au portier de donner un contre-ordre ; Il laisse entrer, sortir, il n’en veut point démordre ; Duval fils est resté, Monsieur, dans la maison, Chez votre nièce enfin : trouvez-vous cela bon ? Tu reçois un Soldat révolutionnaire ? C’est mon neveu futur, je n’en fais pas mystère. Le Citoyen Duval ?         Je l’avais invité. Serait de vos amis ?...         Et j’en fais vanité ! Vous tairez-vous enfin ? Sentez-vous l’importance... Vas-tu me dénoncer ?         Ayez de la prudence. Oh ! Devant les Duval je ne dirai plus mot ; Sois tranquille à présent ; je ne suis pas si sot. Ce Duval n’est pas sûr, usons de politique, Et devant lui surtout, vantons la République. Monsieur, je suis surpris que vous osiez chez moi Tenir de tels discours.     Paix donc.         De par la Loi. Quoi ! Vous m’avez trahi.         Ah ! La cruelle affaire ! Cher Duval, vous savez... Citoyen Commissaire.         Citoyen Commissaire, Vous connaissez Duval, Patriote excellent... Je doute que de vous il puisse en dire autant. Vous m’aviez bien promis de changer de conduite, Eh bien, de vos travers voyez quelle est la suite ; Fablenville chez vous, c’est vous rendre suspect. J’eus toujours pour la Loi le plus profond respect. Ceux qui sont au salon sont de la compagnie. Monsieur en est le chef.         Il est fou, je parie. Y pensez-vous, Dufour ?         Je dis la vérité. Conduisez ces Messieurs à notre Comité. Pour le salut public, il faut qu’on vous arrête. Quelques jours de prison, lui remettront la tête. Il n’est d’aucun complot, il n’était qu’égaré. Oui, j’ai tort, j’en conviens ; j’étais trop modéré. Lui-même en fait l’aveu : son repentir sincère... Ah ! N’oubliez jamais qu’il m’a servi de père. J’en serai digne un jour : venez, Républicain, Mon frère, avant sa mort, vous a promis sa main, Et je confirme ici sa volonté dernière. Si je n’étais goutteux, j’irais à la frontière ; Je veux me corriger, je suis de bonne-foi. Sortez de ma maison...         Dufour, reste avec moi. Je vous l’avais prédit, votre modérantisme A causé bien des maux.         Je veux par mon civisme, Quand je serai sorti, faire tout oublier. Et servir de modèle à tout notre quartier. Les scellés sont posés.         Dufour a la consigne, Il est bon citoyen.         Allons, je me résigne. Dans ces bons sentiments soyez donc affermi ; L’honnête homme n’est point Patriote à demi. Il est un vrai principe en saine politique : Sans la sévérité, l’on perd la République. Vous avez bien raison. Dufour, et mon repas ? Nous allons le manger : allez vous mettre au pas.