Que les Roys de mon aage ont de trouble en aymant ! Et qu’un Sceptre déplaist en la main d’un Amant ! L’éclat de ma Couronne est contraire à la flame Qu’un Soleil de beautés allume dans mon ame. Et bien que ma fortune esleve mon amour Elle me fait haïr les pompes de ma Cour, J’ayme d’entretenir à des heures secrettes Celuy d’entre les Dieux qu’on adore à cachettes : C’est icy qu’avec luy je confère souvent, Il entend les raisons que je mets en avant : Je luy dy mes secrets, il me preste l’oreille, Et tout Roy que je suis un enfant me conseille. Ce petit Dieu m’apprend que les plus innocens Souffrent quand il luy plaist les peines que je sens. Et lors que je me plains des tourmens que j’endure Il me dit que j’ay tort d’accuser la Nature  Qui sousmet tout le monde à ses divines lois, Et luy fait obeïr les Princes et les Rois, Ainsi contre l’Amour j’esprouve ma constance, Et toutefois en vain je lui fay resistance, Comment luy resister ? Il est armé de traits, Et pour se faire aymer ma belle a tant d’atraits, Que si je ne cedois à la force des armes, Elle me gaigneroit par l’effect de ses charmes. Mais voicy de retour celuy qui tous les jours A l’honneur de la voir.         Sire point de discours On ne la peut gaigner par des belles parolles, Une chaine de prix et du poids des pistolles Pourroit à mon advis.         Ha ! ce traffic aussi Me desplaist.         Si fait on toutes choses ainsi. L’or ne peut enrichir que les Nymphes du Tage, Il faut qu’à celle-cy je donne davantage. O Prince liberal que l’on deût adorer ! Que nous verrons longtemps vostre regne durer ! Si tu me fais jouyr d’une beauté si rare, Outre qu’en ton endroit je ne suis point avare, Sçache qu’en un instant je te puis eslever Jusques où tes souhaits ne sçauroient arriver. J’y fay tout mon pouvoir mais plus je continuë Et plus dans le discours je la voy retenuë. Il n’en faut donc jamais esperer d’amitié ? Jamais qu’elle ne soit vostre chere moitié. Celidor tu sçais bien que c’est chose impossible Sollicite, poursuis et la rends plus sensible, La jeunesse, l’Amour et la simplicité Gaigneront son esprit estant sollicité. Il est vray que l’Amour fond les ames de glace Il faudra que ce feu dans son cœur trouve place, Vis à vis de chez elle un Marchand de tableaux Qui s’entend avec moy, fait monstre des plus beaux. Elle de qui l’esprit aux nouveautés s’applique, Pour les considerer entre dans la boutique. Alors je prens mon temps et la viens accoster Luy monstrant des objets qui la peuvent tenter. Enfin vostre pourtrait dont je dy des merveilles Charme autant ses beaux yeux que je fay ses oreilles, Tu luy parles d’amour.         Je vous laisse à penser. O service qu’un Roy ne peut recompenser ! Tu te peux asseurer que ta fortune est grande, Mais voy la plus souvent et fay qu’elle se rende. ACTE I. Si le mignon du Roy n’est point un suborneur Qui tâche d’abuser une fille d’honneur, Ce nom de Masjesté m’esblouyt et me tente Et celuy de l’amour me peut rendre contente, Mais quoy ! c’est me flatter d’esperances en l’air Qui passent devant moy plus viste qu’un esclair, Encore que les Rois cherissent les plus belles Ils n’espousent jamais de simples Damoiselles. Et pour moy j’ayme mieux vivre sans vanité Que de perdre la fleur de ma pudicité : C’est tousjours le plus seur. Mais les belles figures He Dieu ! que ce Flaman a de riches peintures ? Je m’en vay l’aborder pour les voir de plus prés. Monsieur asseurement vous les faites exprés, Vous nous monstrés tousjours quelques pieces nouvelles. Le monde qui les voit les estime plus belle Quand elles ont receu quelques traits de vos yeux ; En effect il est vray qu’elles s’en vendent mieux. Ha ! ne me gaussés point en me voulant complaire Excusez j’ay là haut quelques comptes à faire. Page tiens mon espée et m’attends là devant, Vrayment j’eusse mal fait de passer plus avant Voyant des raretés où l’art de la Peinture Compare tous ses traits à ceux de la Nature. Monsieur, je vous entends : mais de tous ces pourtraits Vous ne voyés en moy que les plus rudes traits. J’estime que l’amour n’acheva cet ouvrage Qu’aprés vous avoir veuë en la fleur de votre âge. Pensés-vous ? et l’on dit que l’amour n’a point d’yeux. On en peut dire autant de tous les autres Dieux. Mais laissent ils de voir ce qu’on fait dans le monde ? Je ne sçay donc sur quoy le vulgaire se fonde. Passons outre, parlons de ce que nous voyons Et disons librement ce que nous en croyons. Bien que ce soient icy des peintures prophanes Monsieur, que dites vous de ces deux courtisanes ? Si leurs rares tableaux se perdoient une fois On treuveroit en vous les beautés que j’y vois. Ha ! vous ne dites pas tout ce qu’il vous en semble Je ne croy point avoir tant de beautés ensemble. Vous les avez pourtant et ne les semblez pas Car ceste belle gorge a bien d’autres appas. Dites mieux que de loin je parois estre telle, Mais à me voir de prés que je ne suis plus belle. Je ne feray jamais ceste comparaison, Ce seroit proprement dementir la raison, Et délors ces pourtraits qui manquent de parole En auroient pour reprendre une personne fole. Vous ne serés jamais par leurs bouches repris. Pourquoy ? de leurs beaux yeux je me sens bien espris, Ils font dedans mon cœur ce qu’au vostre peut faire Ceste image du Roy capable de vous plaire. Pour me parler du Roy vous me dites cela. Comment ! négligés vous la passion qu’il a ? Il est si liberal, si vaillant, et si sage. Vrayment ce sont bien là de beaux traits de visage, Mais une autre que moy le pourra contenter. Dieux ! tout ce que je voy vous y deut inviter, Voyés ce beau Printemps où l’amour s’est luy mesme Representé par tout comme sur un Embléme. Il n’est trait là dedans qui ne vous face voir Des chef-d’œuvres entiers de son divin pouvoir. Alors que ces peupliers à la Vigne se lient Leurs feüilles tremblent d’aise et leurs branches s’en plient, L’esprit qui les produit d’un soin perpetuel, Nourit entre leurs troncs un amour mutuel : Ainsi le Grenadier et le Myrthe se baisent, Et parmy les Citrons les Oranges se plaisent, Cette Palme profite et se charge de fruits, Passant près de son masle et les jours et les nuits, Ces arbres où l’on prend des poires et des pommes Ont chacun leurs moitiés aussi bien que les hommes, Et sans nous arrester à tant de vegetaux La nature marie encore les metaux, L’or avecques le plomb sur le feu se r’assemble Et dedans ce creuset ils se meslent ensemble, Sçavés vous bien pourquoy l’on a peint ce cailloux ? C’est pour monstrer qu’il a plus d’amitié que vous, Car le jaspe s’engendre au cœur de ceste pierre, Et rien de vostre cœur ne germe sur la terre, Certes sans y penser nous tombons dans la mer, Où mesme les poissons nous enseignent d’aymer, Dans ce froid element, les Sepches s’entrelassent Les Dauphins font l’amour, et les Poulpes s’embrassent. Ceux-cy qui sont plongés au fonds de ce tableau N’esteignent point le feu qui les brusle dans l’eau. On diroit à les voir qu’ils se meurent de joye Et que dedans du laict l’un et l’autre se noye, Ou que bien à propos en la saison des fleurs Le peintre les a faits de diverses couleurs, Car c’est la verité qu’aprochans du rivage Ils prennent la couleur de tout un paysage, En la mesme façon que vous prenés en vous Tout l’esclat des pourtraits qui sont autour de nous. Mais c’est trop vous mener à la mercy des ondes     Retournons maintenant dans les plaines fecondes ; Que pensez vous que fait dedans ce chaume sec Cette belle Perdris qui nous monstre son bec : Elle en conçoit une autre à la moindre parole Qu’elle entend prononcer à son masle qui vole, Il ne faudroit que voir ces Ramiers accouplés, Pour sçavoir en quel temps les desers sont peuplés, Quoy ! ne direz-vous pas que ces deux Tourterelles R’appellent leurs maris pour coucher avec elles, Regardés ces Lapins, ces Lievres, ces Chevreux Ce sont des animaux qui sont tous amoureux. Sur tout considerez que ce boccage sombre Où l’ouvrier a caché deux personnes à l’ombre, N’empesche point de voir ces deux jeunes amans Qui sont venus au but de leurs contentemens, Il n’en faut point mentir cette piece merite Il n’y manque rien plus que l’amour d’Agarite. Mon cœur ne s’est esmeu non plus de ce discours Que mes yeux en voyant tant de sortes d’amours, Le papier souffre tout et la toile de mesme. Quoy ! n’aymerez vous pas un Prince qui vous ayme ? Serez vous seule au monde en qui la cruauté Ait de l’intelligence avecque la beauté. Qu’est-ce que ce mignon peut tant dire à ma fille ? Sur la fleur de ses ans je crains cette chenille. Monsieur retirez-vous, hé Dieu ! j’entens parler Mon Pere à la fenestre.         Il faut donc s’en aller. Agarite ma fille.         Escoutez il m’appelle ! Adieu c’est trop causer.         Adieu doncque cruelle Ha ! qu’il est mal aisé de la solliciter En passant par icy je ne puis m’arrester  Qu’ aussitost d’elle et moy son pere ne soupçonne ; Ce viellard ne veut pas qu’elle parle à personne, Et la tient de si prés, que mesme de chez luy Il voit ce qu’elle fait en la maison d’autruy. Allons trouver le Roy, mais faignons que l’affaire S’est passée autrement affin de luy complaire, Il faut payer les Grands d’esperance et de vent Car de mesme monnoye ils nous payent souvent. ACTE I. Agarite parfois pour estre trop civile On fait courre de soy de faux bruits dans la ville ; Que te monstroit là bas le favory du Roy ? Un tableau du Printemps.         Ma fille je te croy. Mais dans mon cabinet j’en ay bien un plus rare, Celuy de qui je l’ay l’acheta d’ un Barbare. Hé ! mon pere voyons ce tableau pretieux. Il faut bien contenter ton esprit curieux, Voy comme là dedans toutes choses finissent, Comme les unes font que les autres perissent, Et de quelle façon la nature reduit Aux termes du neant tout ce qu’elle produit. D’abord tu cognois bien qu’à l’entour de la vigne, Ce Laurier est tousjours une plante maligne, Que ce jeune Olivier un vieux chesne destruit, Et que tous deux mourans ils ne font aucun fruit, L’or l’argent et l’estain dans ce fourneau de pierre Se font comme tu vois une cruelle guerre, Et tu peux bien juger que ce fin diamant Empesche tout à fait la vertu de l’Aymant. Ce Congre dans la mer devore une Lamproye, Et cet autre poisson est des Poulpes la proye. Sur terre nous voyons qu’il n’est point d’animal Qui ne nuise à quelque autre, ou ne luy veuille mal, Ainsi cette Perdris deux ou trois fois remise Sous la main de l’Autour, enfin se trouve prise, L’Aigle dessus les bois va prendre des Ramiers Et les Cerfs sont dedans deschirez des limiers. O Dieux ! que voy-je là ? non loin de ce fueillage Une Bergere meurt à la fleur de son aage, C’est un jeune Seigneur qui feignant de chasser Luy vient oster la vie en la voulant forcer. Agarite prens garde où sa rage le porte Et songe que l’on peut te traiter de la sorte. Las ! Pourvoyez y donc car c’est la verité Qu’on attente desja sur ma pudicité, Le Favory du Roy tous les jours m’importune Il voudroit que l’amour gouvernast ma fortune. Ha ! ma fille l’Amour est un mauvais Enfant Il se plaist à des jeux que l’honneur luy desfend, Garde que ce Mignon. Mais il est difficile D’empescher son dessein demeurant dans la ville ; Il faut. Attends un peu que je songe à cecy, Il faut que sur le soir tu t’en ailles d’icy, Et qu’aussitost après en déplorant ma vie Je vienne dire au Roy que quelqu’un t’a ravie, Qu’en dis-tu mon enfant il n’est pas mal aisé, De sauver ton honneur par un rapt supposé, Je te feray mener en un lieu de plaisance Esloigné de la Cour et de la medisance, Et je pourray sous-main te trouver un espoux, Dont le Roy quelque jour ne sera point jaloux. On ne sçauroit trouver une fourbe meilleure. Non, mais il faut aussi l’accomplir de bonne heure. ACTE I. Quand je pense, Madame, au bon-heur qui vous fuit, Il me semble de voir un beau jour qui me luit. Soit que je vous regarde ou que je considere, Le grand bien pour l’estat que de vous on espère, Il n’est point de Princesse, en qui sans vanité, On puisse remarquer tant de prosperité. Outre que tout le monde à bon droit vous honore, Tant de nobles partis vous regardent encore, Qu’il ne vous reste plus.         Phenice taisez vous, Je sçay que vous allez me parler d’un espoux, Mais ne me flattés point d’une esperance vaine, Et ne me parlés plus de ce tiltre de Reine. J’ay bien assés de cœur pour regner quelque jour, Si j’estois creature à donner de l’amour, Encore que le Roy, quelque fois me caresse, Une moindre beauté luy tient lieu de maistresse, Mais il entre au Conseil, allez-y vistement Tandis je me retire en mon apartement. Je reviendray bien tost.         Les affaires civiles, Nous tiennent prisonniers dans les plus belles villes, Les Sceptres dont les Rois gouvernent les humains, Sont d’un Cedre pesant qui suë entre leurs mains, Ceux qui sont eslevés au faiste d’un Empire, Tiennent à mon advis le timon d’un Navire, Dont le fonds est d’Ebene et le reste d’un bois, Que l’orage et la foudre enflament comme poix, Et puis en leur endroit tous les vents sont propices Ils nagent dans les biens et dedans les delices. Erreur de loüer tant la fortune des Roys, En mon particulier je me contenterois Si quelqu’un sans toucher à l’interest des Princes, Pouvoit mettre un bon ordre en toutes mes provinces. Si la teste n’agit, tout les membres du corps, En matiere d’Estat sont de foibles ressors. Sire, pardonnez-moy, je le dis d’un bon zele, A peine trouvez-vous un seul homme fidelle, Il est temps desormais de ne croire que vous, Puisque vos Conseillers vous trompent quasi tous. Les Roys sur leurs sujets ne sont pas tousjours maistres, On voit en tous estats des meschans et des traistres ; Si mon Conseil n’est bon, pour le moins je n’eslis Que des hommes de bien lors que je l’establis. C’est aussi dans ce choix que les sages vous trompent Car dedans les honneurs les hommes se corrompent. Et tels que de bienfaits vous pensez obliger, Ont de l’intelligence avecques l’estranger. Monsieur quand on a sçeu de semblables cabales, On a tousjours puny ces ames desloyales. Quiconque sert les Rois, et ne vit comme il faut, Est mené tost ou tard dessus un Eschaffaut. Oüy, quand les Magistrats ne se laissent corrompre. Que me veut cet Exempt qui nous vient interrompre ? Sire, un pauvre Vieillard, et fort inquieté, Desire de parler à vostre Majesté. Et bien faites le entrer, ma clemence m’oblige D’avoir pitié de ceux que la Fortune afflige. C’est le Pere, escoutez à l’oreille.         Tant mieux. Sire, si ce discours ne vous est ennuyeux, Je demande justice, et me plains d’une injure, Qui trouble en mes vieux ans le cours de la Nature. On a ravy ma fille (Helas ! en ce penser Mille traits de douleur me viennent traverser.) Console-toy, Bon-homme, en des crimes semblables, Il se faut informer des personnes coupables. Sçachons les Ravisseurs, afin de les punir  Et voyons quel chemin ils auront pu tenir. Celidor, c’est de toy que j’attens la vengeance, Te chargeant tout exprés de ceste diligence. Quiconque soit l’Autheur de ceste lascheté Je respons de sa teste à vostre Majesté. Je pense qu’autrefois en ceste solitude, Quelque Esprit amoureux s’occupoit à l’estude, Et je croy que celuy qui fit bastir ce lieu, Faisoit icy des vers à la gloire d’un Dieu. Pour le moins j’ay trouvé sur de vieilles Armoires, Ce Recueil où l’Amour a rangé ces memoires. Il semble que l’Autheur ne les fit imprimer Que pour me faire voir comme je dois aimer. Dans ce livre tout plein d’agreables meslanges, La Flatterie enseigne à donner des loüanges. On apprend à parler avec des complimens Capables de tromper les meilleurs jugemens. Il est un peu meslé de Sonnets Satyriques : Mais c’est pour condamner ces Amans frenetiques, Qui ne veulent jamais recevoir d’autre loy, Encore qu’on rejette et qu’on blasme leur foy. Tel est en mon endroit cet obstiné Lyzene, Dont l’Amour s’est rendu coulpable de ma haine, Tant il est déplaisant, et tant j’ayme celuy Que je dois par dessein obliger aujourd’huy. J’ay choisi dans ces Vers une sorte de style, Où Lyzene verra sa recherche inutile : En un mesme fueillet j’ay trouvé ce qu’il est, Et combien en son lieu Policaste me plaist : Mais les voicy tous deux à propos.         C’est merveilles De voir une Beauté qui n’a point de pareille. Vous pouvez bien aussi vous tromper en ce point. Ha ! nous sommes d’accord, que vous n’en avez point. Peu s’en faut que tous deux je ne vous desadvouë. Si vous ne voulez pas que personne vous louë, Je ne sçay comme il faut vous faire un compliment. Lisez où j’en estois, et vous sçaurez comment. Sonnet, d’un Gentilhomme aymé de sa Maistresse. Celuy-là meritoit d’estre mis sur la Presse, Acheve Policaste, il semble que l’Autheur Eut dessein là dedans de parler du Lecteur. Celle que je cheris ne rougit point de honte, Quand je prens sur sa bouche un amoureux baiser, Et si quelque rougeur sur sa face luy monte Elle provient d’un feu que je sçais attiser. Souvent entre ses bras, il faut que je luy conte, D’où peut naistre ce feu qui nous vient embraser, Et quand c’est tout de bon que l’Amour nous surmonte, Ceste flame s’accroist au lieu de s’appaiser. Alors pour adoucir mes amoureuses peines Et rafraischir le sang qui me boult dans les veines, Elle me fait presser la neige de son sein. Mais en cette action elle a beau me complaire, La Nature a formé ses Tetons à dessein Qu’il en sorte du laict, et non pas de l’eau claire. Je meure, ce Sonnet en sa pointe me plait, L’eau m’en vient à la bouche, avec ce goust de laict. De grace, permettez que j’en trouve un semblable. Tournez donc le fueillet, sans chercher à la Table. Je suis d’un beau sujet espris si follement, Que je prens à faveur le desdain et la haine, Celle que je poursuis me hait mortellement Et si je n’oseroy l’appeller inhumaine. Je fay ce que je puis pour son contentement, Elle ce qu’elle peut pour rengreiger ma peine, Et si je la veux voir une heure seulement, Elle ne me veut voir de toute la semaine. Jamais je n’en auray le plaisir que j’attens : Un autre jouyra du bien que je pretens, Car alors qu’elle voit mon ame a la torture, Elle irrite mon mal au lieu de le guerir, Et dit en se mocquant des tourmens que j’endure, Qu’elle m’aymeroit bien, si j’en pouvois mourir. Cela s’addresse à moy, je trouve en ceste page Pour sortir de chez vous un honneste passage. Adieu la belle Adieu : vous avez de l’esprit De me donner ainsi mon congé par escrit. Policaste va voir, je ne croy pas qu’il sorte, Il nous peut escouter sur le sueil de la porte. Il est desja bien loing,         laisse le donc courir, Ce n’est pas avec luy que je veux discourir. Je crains que de colere il descouvre la vie Que nous faisons tous deux,         Il crevera d’envie Plustost que d’en parler : car un sot amoureux Espere tost ou tard de se voir bien heureux  Et ne s’offense point quelque mal qu’on luy fasse. Je serois bien fasché si j’estois à sa place. Je n’ay garde, mon cœur de te desobliger, Ce seroit le moyen de me bien affliger. Que jamais ce penser n’interrompe nostre aise, Pour n’y penser jamais, permets que je te baise. Pourveu qu’en tout honneur.         Je ne demande rien. Autre chose, d’honneur, je ne veux que le tien. Tu t’émancipes trop de parler de la sorte. Ha ! que tu cognois mal l’amour que je te porte. Apres un doux baiser ne demande rien plus, Je hay plus que la mort ces plaisirs dissolus. Je ne veux point passer ou le sein ou la bouche. Mignarde ne crains point qu’autre part je te touche. C’est trop recommencer : ha ! je me fascheray. Je n’en veux plus qu’un autre, et puis je m’en iray. Despeschez-vous : je crains que Lyzene revienne. Adieu, je prens ton livre, afin qu’il t’en souvienne. Agreable maison mon honneur est chez toy, Beaucoup plus seurement qu’à la ville où j’estoy. Il est vray qu’en ce lieu je suis comme captive, Mais l’Amour encourage une fille craintive ; Et ce qui me console en ma captivité, Est de voir Policaste en toute liberté : Son entretien me plaist en ce lieu solitaire, Plus que tous les honneurs qu’un Roy me pouvoit faire. Et certes desormais l’amour qu’il a pour moy Me fait hair la Cour autant que je l’aymoy. ACTE II. Malgré ses cruautez je luy seray fidelle, Ma sœur ne parle point de son pere, ny d’elle, Peut-estre qu’à la fin.         Elle se resoudra De prendre le party que son Pere voudra, Medon depuis long temps cognoist nostre famille. En tout cas je m’en vay luy demander sa fille : Adieu, si je l’espouse on te viendra querir. Je ne sçay quoy, me dit qu’on le fera mourir, Mais je n’oserois pas luy conter ce presage : Et d’ailleurs pour le croire, il n’est pas assez sage : Dieu vueille qu’aucun mal ne luy puisse arriver. Cependant Celidor me doit venir trouver, Et pourveu qu’à chasser il ne s’arreste guere, Nous sçaurons mesnager l’absence de mon Frere. Courage, le voicy, j’entends un Cor d’argent, Son Veneur ce matin est assez diligent, Afin qu’aucun des siens ne le puisse distraire, Je m’en vay luy monstrer le signal ordinaire. Quand je mets un bouquet sur ma fenestre, alors Il est bien asseuré que mon Frere est dehors. O qu’heureuse me fut sa premiere visite ! Il me trouva n’aguere en cherchant Agarite, Et je luy pleus si fort qu’à la faveur des bois, Il est venu depuis me revoir plusieurs fois. Beaux yeux qui m’arrestez le matin quand je passe, Et me faites quitter le plaisir de la Chasse, C’est icy que de vous je reçois le bon jour, Et non pas du Soleil qui luit sur ceste Tour. Si comme le Soleil je reglois les journées, Celles-cy croyez-moy dureroient des années. Celle par qui je compte et les jours et les nuicts, Peut bien croistre ma joye, et finir mes ennuis. Ne vous en mocquez pas une personne absente Pourra rendre vostre ame et la mienne contente. Hé Dieu ! seroit-ce bien vostre Frere ?         C’est luy. Mais quoy ! ne doit-il pas retourner d’aujourd’huy ? Possible de huict jours.         O favorable absence ! Donne nous desormais un peu plus de licence. Il faut croire qu’un Dieu nous procure ce bien, Pour unir à ce coup vostre cœur et le mien. Vous sçavez que mon ame est unie à la vostre, Il n’est point d’amitié qui ressemble la nostre. En ce parfait amour une difficulté M’empesche de gouster nostre felicité. Quelle difficulté vous empesche de rire ? Je n’ose descouvrir ce que mon cœur desire. Me taire tel secret, c’est me faire un affront. Il se fait voir assez lisez-le sur mon front. Vrayment, puisque l’Amour se lit en vostre face Comme une vive flame en une belle Glace, Je vay parler si haut de vos rares beautez Que je vous raviray si vous les escoutez. Ceste Gorge d’appas, et de graces pourveuë, Est le plus bel object qui contente ma veuë. Voire, si la Beauté s’appelle proprement Une chose que l’œil cognoist parfaictement, Il faut avec les yeux m’oster la cognoissance, Ou croire que de vous mon amour prend naissance. Au reste, qui ne voit que vos yeux ravissans Pour attirer les cœurs ont des charmes puissans ? Ils jettent dans les miens de petites bluettes, Et des langues de feu qui ne parlent muettes : Les astres prennent tous leur clairté de la leur : C’est d’eux que le Ciel emprunte sa couleur. Mais nul à mon advis ne doit trouver estrange Qu’ils soient de bleu celeste au visage d’un Ange. Que vous estes flatteur !         Voila trop m’offenser De parler autrement que vous n’osez penser. Ha ! vous le payerez,         Tout beau je vous supplie. Il faut,         Arrestez-vous : Hé Dieu ! quelle folie. Quand l’ame par les yeux exprime ses desirs Pourquoy priver le corps de ses menus plaisirs ? Ha ! que vous estes fin.         Quelle grande finesse Trouvez -vous en l’humeur d’une simple jeunesse ? Vous taschez de venir,         Achevez sur un poinct. Où sans doute (Beau-fils) vous n’arriverez point. Possible qu’au jardin dessous un beau fueillage, Vous laisserez la fleur de vostre Pucelage. Ha ! vous ferez beaucoup d’obtenir un baiser. Allons, je ne suis plus en humeur de causer. ACTE II. Celuy qui n’ayme pas n’est pas digne de vivre, J’ay marqué ce beau traict fueilletant vostre Livre. Où l’avez-vous laissé ?         Dedans mon Cabinet. Vous ne lirez donc point maintenant de Sonnet. Non, mais je pourray lire en plus beaux caracteres Les merveilles d’Amour et ses divins mysteres. Où sçaurois-je mieux voir sa puissance qu’en vous ? Elle y paroist escrite en un stile si doux, Qu’il n’est Esprit humain qui me la puisse apprendre Comme un si beau sujet me la peut faire entendre. Tout-beau vous me feriez entrer en vanité Reprenez le discours que vous avez quitté. Je disois que ceux-là sont indignes de vivre Qui censurent l’Amour, ou ne l’osent pas suivre ; Si je suis amoureux, ne vous en estonnez, Ce n’est que pour aymer que nous sommes tous nez, Et je croy que les Dieux seroient ce que nous sommes, Si l’on aymoit au Ciel à la façon des hommes. Vous voulez donc conclure, afin de me charmer, Qu’il n’est point de plaisir         Plus grand que de s’aymer. C’est le souverain bien des personnes bien nées. Passons donc en aymant nos meilleures années. Vivons, vivons contents, mais que mal à propos Celuy-cy vient troubler nostre amoureux repos. Ha ! c’est nostre Cocher : et bien quelle nouvelle A la ville ?         Il me faut retirer d’aupres d’Elle. Monsieur m’a commandé de vous venir querir, Et depuis mes chevaux n’ont cessé de courir : Il vous escrit ce mot.         monstre que je le voye. O le mauvais conseil que mon Pere m’envoye ! Cocher, fay tout le moins repaistre tes chevaux. Dieux, tousjours les Amans auront-ils des Rivaux ? Entendez-vous parler de Lyzene ?         mon Pere Me le fait espouser, cela me desespere. L’apparence qu’absente on vous puisse obliger ? Un Pere ne le peut, mais il y faut songer. Si je n’ay qu’un lourdaut, le moyen que je l’ayme. Lyzene, couvert d’or sera tousjours luy-mesme : Il sera tousjours tel que je l’ay recogneu, Ha ! j’ayme mieux avoir Policaste tout nu. Escoutez le conseil que l’amour me suggere J’ay trouvé le moyen de tromper vostre Pere : Mais il faut que ce soit bien avant dans la nuict, Et lors qu‘és grands chemins on n’entend plus de bruit : En sortant de la ville on voit sur la Riviere Un Clocher ruineux dedans un Cymetiere, C’est le lieu plus commode où peut s’executer Le glorieux dessein que je viens d’inventer. Tousjours vous inventez quelque ruse gentille. Vous sçavez comme on danse aux nopces d’une fille. Le soir estant venu qu’espere mon Rival, Il vous faut esquiver de la Presse du Bal. Quand vous serez venuë à la rive du fleuve, Où dans le mesme temps il faut que je me treuve, Vous lairrez vos habits, où durant les chaleurs Ceux qui se vont baigner se despoüillent des leurs. Le monde qui verra cet indice funeste, Pourra s’imaginer facilement le reste, Et croira que d’ennuy, de rage et desespoir, Vous vintes vous noyer à quelque heure du soir. Tandis à la faveur de l’Ombre et des Estoilles, Je vous auray conduit à rames et à voiles, Jusques dans une Place, où mon Pere autrefois, A souffert des assauts, et des sieges de Rois, Là nous pourrons tous deux finir nos destinées, Ou du moins nous aymer durant longues années. Je trouve aucunement ce dessein hazardeux Toutesfois l’entreprise est heureuse à tous deux. Mon cœur asseurez-vous que l’affaire est concluë, Adieu, c’est assez dit, m’y voilà resoluë. ACTE II. Je ne m’estonne pas si tes gens n’ont rien fait Et si tu n’as pas mis ta promesse en effect, Tu n’avois pas moyen de trouver ceste Belle, Puisque son Ravisseur est en ville avec elle. Or bien que ta poursuitte ait fort mal reüssi, Tu peux sçavoir le bruit qu’on en fait courre icy : On dit que le Seigneur qui la tenoit n’aguere, Afin de l’espouser est venu vers le Pere, Et que du rapt commis luy demandant pardon, Il a flechy le cœur du bon-homme Medon Tellement que bien-tost la nopce se doit faire, Pour couvrir ce forfaict d’un amour volontaire. En ce rapt vous avez le plus grand interest C’est un crime public, Sire, je suis tout prest D’exterminer l’Autheur d’une faute si grande. Celidor, c’est aussi ce que je te commande, Quand tu verras le soir de la nopce approcher, Une heure auparavant qu’on s’en aille coucher, Il le faut.     C’est tout dire.         Et ravir l’Espousée. Sire je voy desja l’affaire bien aisée. Escoute, si tu fais ce coup là dextrement, Juge que peut un Roy qui t’ayme uniquement. Pourveu que ses faveurs soient un peu de durée, Je verray pour long temps ma fortune asseurée. Tandis qu’un Gentil-homme a l’oreille d’un Roy, A tous ses courtisans il impose la Loy, Mais au premier revers de la moindre disgrace Chacun la luy veut faire et se mettre en sa place, De sorte qu’à la Cour, dés la premiere fois, Il se faut bien servir de la bonté des Rois. Le sacré mariage unit l’homme et la femme, D’un nœud comme celuy qui joint le corps et l’ame, Et l’anneau conjugal qui les serre est si fort Que leur chaste amitié dure jusqu’à la mort. Ainsi de temps en temps le monde multiplie Et la loy de nature est tousjours accomplie, Par elle on voit tousjours les peres rajeunir, Et l’on ne voit jamais les familles finir, Mais il vaut mieux entrer dans quelque Monastere, Et mourir tous les jours dans une vie austere Que d’estre mal ensemble et de s’injurier, Pour avoir un sujet de se demarier. Depuis que la discorde entre dans un mesnage, On y passe à regret le reste de son âge, Et le contentement qu’on y devroit avoir Se change en une horreur que l’on a de se voir. Agarite je croy que vous estes bien aise, Que Lyzene aujourd’huy vous caresse et vous baise. Mais il luy faut monstrer un visage gaillard, Prenez exemple à moy qui ne suis qu’un vieillard, De l’aise que j’en ay, j’ay quitté la callotte, Et bien-tost pour danser je vay prendre la botte, Afin de tesmoigner aux hommes de mon temps Que je retourne encore à l’aage de vingt ans. Est ce que vous craignez quelque trait de malice, Quand nous serons tous deux en l’amoureuse lice ? Il n’en faut pas rougir, et cet œil rigoureux Ne se doit offencer d’un langage amoureux. Excusez mon humeur, je suis ainsi nourrie. Je vous adouciray.         Laissez moy je vous prie. Volontiers qu’elle songe aux prises qu’à ce soir Vous aurez avec elle et vous le pouvez voir. Est-il vray.     Je ne sçay.         Tu ne l’oses pas dire. Elle a bien de la peine à s’empescher de rire. Je n’en ay point d’envie, au moins avecques vous. C’est que vous me craignez en qualité d’époux, Mais ne vous arrestez sur de telles pensees, Vos apprehensions seront bien-tost passees. Causeur promettez moins et la payez comptant. Faites-en davantage et n’en dites pas tant. Ces rencontres gaillards abbregent les journees Et pourroient de beaucoup prolonger mes annees. Sus allons de bon cœur recevoir nos amis, Et leur donnons le bal que je leur ay promis. ACTE II. Nymphes ne trouvés point ce changement estrange, Ce n’est qu’en vestemens que j’affecte le change, Et puis je suis de ceux que vous favorisez, Vos amoureux Bergers sont ainsi deguisez, Et je croy que ceux-là ne sçavent pas leur monde, Qui ne font le mestier que je fay dessus l’onde, Icy vos claires eaux me servent de miroir Pour plaire à vos beautez que je suis venu voir, Mais quoy sans y penser je caresse des Fées Couvertes de roseaux et de saules coiffées, Nymphes je m’en dédis je ne vous puis flatter, Agarite croiroit que je la veux quitter, Elle en seroit jalouse, et diroit à part elle, Que je serois espris d’une flame nouvelle, Ou du moins que le feu qui me brûle en aimant Se pourroit amortir dedans vostre élement, J’aime mieux vous laisser que de la mettre en peine, Tandis courez tousjours afin que je l’emmeine, Ou plutost retenez pour un temps mon batteau, Je m’en vay la treuver sur la rive de l’eau, Dieux ! qu’il fait desja noir, la campagne deserte En un crespe de dueil change sa robbe verte : Il fait clair dessus l’eau, mais ce petit faux jour Ne me peut enseigner les chemins d’alentour. Je rencontre à tastons des murailles de brique, C’est je pense la tour de ce clocher antique, Où j’estois obligé de me rendre à ce soir ; Voicy les monumens où je me dois asseoir. Tombeaux, où les Defuncts sont pourris de vermine, Sepulchres démolis que la Riviere mine, Reliques du vieux Temps où les flots courroucez Deterrent quelquesfois les pauvres Trespassez. Piliers d’Antiquitez, vieilles Poutres, Masures : Je vous remarqueray dedans mes advantures, Et sur vos fondemens j’esleveray des Tours, Que l’on verra durer autant que mes Amours, Dans l’horreur de la nuit je vous rendray celebres Et vous feray paroistre au milieu des tenebres : Vos pierres parleront de ma fidelité, Je les feray cognoistre à la Posterité. Et bien que leur hauteur ne surpasse les arbres, Elles dureront plus que les Palais de marbres, Mais qu’Agarite est longue à me venir trouver Elle est cause qu’icy je m’amuse à resver. O Ciel ! si les flambeaux ne percent le nuage Qui s’estend sur la terre et te couvre d’ombrage, Le moyen qu’elle vienne en ces lieux escartez ? Toutesfois si tes feux nous monstroient leurs clartez Quelqu’un la pourroit voir en passant dans les rues. Donc ô flambeaux des Cieux ne dissipez les nuës, Ne chassez de la nuict que les spectres hideux, Qui peuvent à present nous effrayer tous deux. Sorciers, allez bien loing allumer vos bougies, Et courez autre part faire voir vos magies. Vous Fantosmes errans qui n’avez point de corps, N’en prenez point icy dans les bieres des morts. Et toy Dieu du repos et des songes nocturnes, Afin de m’assoupir en ces lieux taciturnes, Sur mes yeux languissans fay glisser le sommeil, Et puis en t’en allant fay venir mon Soleil. Las ! pour ce que la nuict est mere du Silence, Il semble qu’en parlant je luy fay violence, Ou que je veux forcer ceste fille de l’Air, Que les murs seulement peuvent faire parler. Et bien, c’est pour le mieux que je voy toute chose Se taire en ce quartier, afin que je repose. Agarite en ce lieu je vay penser à toy. Encore que desja tu me manques de foy. Je voy que tes sermens se tournent en mensonge : Mais je m’efforceray de te baiser en songe. Et si de ce tombeau je ne me leve pas, Dy qu’au lieu du sommeil j’ay trouvé le trépas. On n’entend plus de bruit dans les places publiques, Tous les Gens de Mestiers ont fermé leurs boutiques. Le Guet ne marche plus chacun est en repos. Pouvois-je de chez nous sortir plus à propos ? Non certes : mais pourtant une chose m’attriste, A trouver les chemins ma Fortune consiste, Et le Ciel est si plein de brouïllards, que la nuit En me favorisant de son Ombre me nuit. O Dieux ! que la campagne est pleine de Tenebres ! Que d’images affreux, et de songes funebres ! J’ay peur à chaque pas de l’ombre qui me suit, Et je crains en parlant de faire trop de bruit : Si je ferme les yeux, mon ame est offensée, De celle d’un Defunt qui m’entre en la pensée. Amour, vas-tu la nuit sans prendre ton flambeau ? Voy-tu pas que la peur me va mettre au Tombeau ? Je te prie ayde moy d’un rayon de lumiere. A ce coup je cognois qu’il entend ma priere : Ces petits Feux Ardens qui font un peu de jour, Ne peuvent estre nez que du flambeau d’Amour : On dit que ces Feux-là menent vers les Rivieres, Quand pour se faire suivre ils charment nos paupieres. Mais je le sçauray bien, je m’en vay l’esprouver Sur la rive du Fleuve, où je dois arriver. Toutesfois en suivant ces bluettes errantes, Si je me laissois choir dans les ondes courantes, Qui pourroit dedans l’eau me venir secourir ? Ma flame seroit lors en danger de mourir, Et l’on verroit icy tous les jours Polycaste, Qui me reprocheroit d’estre morte si chaste. Ne suivre point aussi le chemin où je suis, Ce n’est pas m’esloigner de la mort que je fuis : Puis que celuy que j’ayme est sur le bord des ondes, Où me veulent mener ces flame vagabondes, Sans doute si je veux me rendre sur le port, Je trouveray ma vie où je crains tant la mort. Ha ! c’est trop consulter une affaire pressée, La crainte que j’avois est à demy passée. Mais j’entens sous mes pieds des os s’entrechoquer. La mort en cet endroit me veut-elle attaquer ? Je ne m’estonne point de son images blesme, Par les fléches d’Amour elle meurt elle-même. Cependant, quand j’y pense il semble que j’ay peur ? Helas ! c’est de trouver Policaste trompeur. Qu’est-ce à dire ? vrayment pourveu que je le treuve ; De sa fidelité je ne veux autre preuve. La Mort et le sommeil n’ont qu’un lict pour tous deux, Aupres de quelque tombe il repose avec eux. Il le faut appeler. Dieux ! tout nous favorise Et tous les elemens consultent de ma prise. J’entends pour mon sujet les vents se quereller A qui repoussera les injures de l’air. Le Ciel en ma faveur est couvert d’un grand voile, Il ne voit que d’un œil, je ne voy qu’une estoile. Les flots disent entr’eux qu’ils me veulent servir, Et la terre consent qu’ils me viennent ravir. Paresseux es-tu sourd es-tu mort sur la rive Si tu l’es, c’en est fait, il faut que je te suive. Neantmoins un baiser te peut resusciter. La riviere s’arreste afin de l’escouter. C’est elle mais je veux la tenir en haleine Le plaisir est plus grand avec un peu de peine. Policaste, respons tu n’es point endormy. Ou pour le moins sans moy tu ne l’es qu’à demy Ingrate, desloyale, et cruelle maistresse. He ! mauvais à la fin j’ay tenu ma promesse. Tu ne viens qu’en esprit et pour me faire peur. Je reduiray bien-tost cette crainte en vapeur. Tu visites les morts pour en croistre le nombre. Resveur, asseurément, tu me prens pour une Ombre : Mais je vay te heurter au rencontre si fort, Que tu diras.         Hé Dieu ! je croyois estre mort. Au moins jusques icy tu ne m’as pas cognuë. C’est que je n’ay pas creu que tu fusses venuë. Et moy, bien que le jour ne soit pas arrivé, J’ay cognu Policaste et si je l’ay trouvé. Il nous reste mon cœur de prevenir l’Aurore Nous sommes asseurez qu’elle sommeille encore. J’entends comme tu sçais luy donner mes habis, Et ne me veux laisser ny perles ny rubis. Que le jour sera beau si l’Aurore se pare Des habis somptueux d’une beauté si rare. Mais laisse là ta coiffe et ton masque ennuyeux, Ceste nuit le serain ne fait point mal aux yeux. Puisque tu me previens en ce loüable office, Ayde à me devestir, mais ne songe malice. Mon ame le moyen de t’ayder à tastons ? La main en ce devoir est si prés des tetons, Qu’on ne peut.     Laisse moy.         Pourquoy te laisseray-je ? Miracle ! j’ay trouvé sur deux pommes de neige Deux petits glands de feu.     Sois sage.         En cet endroit. Comme peux-tu sentir plus de chaud que de froid ? Mon Dieu ! que faisons nous si long temps sur la rive, J’apprehende le jour.         Ne crain point qu’il arrive. Les eaux ne coulent pas si viste que le temps. Tu verras à la fin que nous serons contens. Despeschons.     As-tu fait.         Allons me voila preste. Afin que le serein ne te nuise à la teste, Entre dans la cabane et laisse-moy ramer. Au moins que ce basteau n’aille point dans la mer. Peureuse nous n’irons que dans la place forte, Où le vent est d’accord que ce fleuve nous porte. J’ay peur que cet accord ne tienne.         Pour le moins En le voulant passer ils ont pris deux tesmoins. Je meure… la riviere est bonne larronnesse. Comment.         Pour me ravir elle use de finesse, Je n’entends plus le bruit de son flus et reflus. Ayant ce qu’elle veut elle n’en parle plus. ACTE II. Il faut voir ce Balet.         Je commence d’entendre Le son des instrumens.         Prenons place mon Gendre. Les voicy j’entrevoy la clairté d’un flambeau. Chacun dit que la Cour n’a rien veu de si beau. A propos il faudroit appeller l’espousée. La mauvaise me fuit de peur d’estre baisée. Les Dames maintenant parloient de la coucher. Possible que pour rire elles la font cacher. Prenez garde Monsieur ils sont tous à la porte. N’ont-ils point de cartel.         Le voicy qu’on l’apporte. Mon frere je les voy.         Lyzene je ne puis En faire la lecture à la place où je suis. Donnez-moy.         Quel plaisir en auroient les Poëtes Si pour lire des Vers je prenois mes lunettes. Des quatre coins de l’Univers, Où chacun de nous quatre a choisi sa demeure, D’habits tous differens et de plumes couvers, Nous sommes venus dans une heure. Par nostre souffle seulement Nous esprouvons en quoy nostre force consiste, Remuant toute chose aussi facilement Que le moulin qui nous resiste. En cette Province arrivans, Nous monstrons que c’est nous qui possedons les Dames, Car puisque leurs esprits se tournent à tous Vents, Nous pouvons tout dessus leurs Ames. Pour nous garantir du trespas Que nous pourroient causer leurs œillades mortelles, Nous n’allons que la nuict et pour ne les voir pas Nous tuons toutes les chandelles. Les pistollets que nous avons Representent l’esclair, la foudre et le tonnerre Et nos vases pleins d’eau monstrent que nous pouvons Faire pleuvoir dessus la terre. AUX DAMES. Beaux sujets paroissez hardiment, Les Vents que vous voyez n’enrhument point les Dames, Ils les couvrent fort bien et souflent seulement Dans leur sein amoureux des souspirs et des flames. Ce sont les Quatre-vents que nous verrons danser, C’est assez taisons-nous, car ils vont commencer. Amis le coup est fait, avant qu’il resuscite Un autre jouyra des amours d’Agarite. Cependant sauvons-nous puisqu’on ne peut trouver La belle qu’à ce soir je voulois enlever. Ce balet sur la fin me deplaist de ses feintes, Quelqu’un rallumez nous les chandelles esteintes, O Dieux ! ce n’est pas feinte.         O Ciel ! tout est perdu, Mon frere aupres de nous est tout roide estendu. O scandaleuse danse !         O nopce infortunée ! O malheureuse nuict !         O funeste journée ! Helas ! je vay sçavoir.         Ha ! je meurs de douleur. Ce que l’on aura fait de ma fille.         O malheur ! Ou plustost perfidie horrible à la memoire ! Execrable homicide et dificile à croire, Mon frere ay-je perdu ce nom plein de douceur ? Ne sçaurois-je pour tout m’appeller vostre sœur ? Mon frere encore un mot, un soupir, une œillade. Hé Dieu ! peut-on mourir que l’on ne soit malade, O Cieux ! l’horible coup ! c’en est fait il est mort, O coup de trahison ! que tu me fais de tort. Bons Dieux ! que ferons nous ma fille est enlevée, Las ! j’ay cherché par tout et ne l’ay point trouvée. Amis emportés nous dans un mesme cercueil, Venez m’ayder.         Allons nous revestir de dueil. Tant que dessus les eaux nous voyons la bonasse, Les poissons clairvoyants n’entrent point dans ma Nasse, Mais apres que les vents ont troublé nos marets, Et que l’egout du Ciel inondant nos guerets, A coulé dans ce fleuve une espaisse lécive C’est alors qu’il est bon de pescher à la rive. Hier soir il fit un temps qui coucha nos moissons. Il aura dans l’eau trouble estourdy les poissons. Prenons chacun un Croc qui nous serve de sonde, Pour trouver mon Panier, jusques au fond de l’Onde. Faisons tout bellement pour le tirer dehors, L’adresse fait autant que la force du corps. Sens-tu dans le profond nostre nasse ?         Courage ! Nous allons voir bien-tost des Anguilles en cage. O la belle ! Compere apprestez nostre seau. Donne-moy ce poisson qui se bat hors de l’eau. Il est froid comme glace, et luisant comme verre. Prenez garde, il eschappe à celuy qui le serre. Meschante, je m’en vay te percer le gosier Et passer à travers une branche d’Osier. L’autre jour en raillant, je disois qu’une Anguille Passeroit aisément par le trou d’une aiguille, Et ma femme disoit qu’elle n’en croyroit rien. Pauvre sot, tu devois la passer dans le sien. Je vous prie allons boire, et changeons de langage. Je le veux, allons voir l’Hostesse du Village. Tu mangeras ta part de la pesche         Vrayment Je l’entens bien ainsi mon Parrain, autrement, Garson, voicy de quoy s’estonner         Au contraire Il se faut resjouyr d’une si bonne affaire. Ces habits que tu vois si riches et si beaux, Me font apprehender sur la rive des eaux Quelque Dame imbecille ou d’amour transportee Pour finir ses ennuis dans les flots s’est jettée. Et quoy ! laisserons-nous ces vestemens tous neufs ? Ils nous vaudront l’argent de vingt paires de bœufs, Prenons les.         Si tu veux que l’on te mene pendre. Ho ! Ho ! que dites vous je ne veux pas les prendre. Sçay-tu que nous ferons, retourne à la maison. Il vaut mieux s’y tenir que d’aller en prison. Cependant.         N’ayez peur que l’on m’en divertisse. Je m’en vay de ce cas advertir la justice. ACTE IIII. Un desir violent me presse de la voir, Où croy-tu qu’elle soit  ?         On ne le peut sçavoir. Je l’auray morte ou vive, ou ma juste colere Dans le fonds d’un cachot fera mourir son pere. Qu’on le fasse venir se voyant mal traité, Il sçaura bien trouver cette jeune beauté. Sire, si je sçavois ce qu’elle est devenuë. Ta bonne volonté ne m’est que trop cognuë, Il faut que ce viellard qui la fit esquiver En quel lieu qu’elle soit me la fasse trouver. Escoutons ces raisons, le voicy. Miserable. Est-il vray que tu sois de deux meurtres coupable ? Pour celuy de ton gendre il n’en faut plus douter Sur un autre plus grand je te veux escouter, Qu’as-tu fait de ta fille ?         O noire calomnie ! On n’est pas deschargé des crimes que l’on nie : Confesse qu’elle est morte ou me la fais venir, Autrement ton bon droit ne se peut soustenir. O Cieux ! de quel forfait l’innocence est chargée. Barbare je cognoy que tu l’as esgorgée, N’osant venir au point qui te presse le plus Tu nous veux abuser de propos superflus. Sire, pour me purger d’une telle imposture Il ne faudroit qu’ouyr la voix de la nature. On a ravy ma fille et fait un assassin Mais je n’ay point trempé dans ce mauvais dessein. C’est trop dissimuler, qu’on le mene au supplice, Toutefois attendez, que j’escoute Phenice, C’est peut estre un tesmoin qu’il nous ameine icy, Afin que sur le tout je sois mieux esclaircy. Sire, ce bon Pescheur sur une conjecture Desire vous conter une estrange advanture. Dépesche, que veux-tu nous dire de nouveau. Sire, que j’ay trouvé dessus le bord de l’eau Des vestemens.         Voicy de mauvaises nouvelles. Tels qu’on en voit porter aux jeunes Damoiselles. Las, peut-estre ma fille, haissant son espoux Au soir pour se noyer se dérobba de nous. Je suspens ma colere et veux que la justice Examine à son tour de plus prés cet indice, Pescheur viens nous mener au rivage.         Les Cieux N’influent dessus moy que la haine des Dieux. ACTE IIII. Encore qu’en ce lieu tu sois en ma puissance, Je crains de te parler avec trop de licence, J’ay peur de te déplaire, et croy faire un larcin De toucher seulement l’albastre de ton sein. Je n’ose mesurer ceste main à la mienne. Ma bouche n’ose prendre un baiser sur la tienne, Il semble que je sors des bornes du devoir Depuis que je conseille à mes yeux de te voir. Enfin dirois-tu pas en cet amour extréme Que je suis trop discret ou jaloux de moy-mesme. Si tes deportemens ressemblent tes discours Vrayment j’auray sujet de le dire tousjours, Et jamais avec toy je n’auray de divorce. Mon Ame, le moyen que je prenne par force Des faveurs que l’Honneur me permet librement. Que tu sçais obtenir un baiser finement, Agarite, j’entens demeurer un quart d’heure Sur ceste belle gorge.         Ha ! tu veux que je meure, C’est trop en voilà plus que je ne t’ay promis. Dieux ! que ne m’en as-tu davantage permis ? Pourquoy ne passons-nous jusqu’à la jouyssance. Amour ne seroit plus à l’aage d’innocence. Estant comme je suis à l’aage de raison, Il ne te pourroit faire aucune trahison. Les Amans font tousjours tant de belles promesses. Je ne suis point de ceux qui changent de Maistresses. Si tu veux en ce point des marques de ma foy, Je ne t’en puis monstrer autre part que chez moy. Considere ces Tours dont l’assiette guerriere, Resiste fortement au cours de la riviere, Et de grace dy moy, si tu vois ce Chasteau Se bouger tant soit peu pour la vague de l’eau. Quand les flots raviront ceste forte muraille, Tout ainsi qu’ils feroient une loge de paille, Jure que Policaste est un esprit leger, Et dy que pour une autre il t’a voulu changer. Lors qu’on demandera ceste Roche perduë, Comme si dans ce fleuve elle s’estoit fonduë, Appelle-moy volage, et sur le bord de l’eau Accuse d’inconstance un debile cerveau. Bien que nous ayons tous le cerveau fort humide, Amour n’a point en moy de siege plus solide : Et pourtant je n’obtiens que le simple baiser Que mesme aux inconstans on ne peut refuser. C’est tout ce que je puis te donner à cette heure, En attendant tousjours quelque saison meilleure. Ainsi nous esperons que les fleurs du Printemps Feront naistre des fruicts au bout de quelque temps. Les Dieux nous ayderont, allons je te supplie Passer en quelque lieu nostre melancholie. Dans ce Parc où les Dains se promenent parfois Nous pouvons faire un tour à l’ombrage des bois. ACTE IIII. Nous voicy sur le lieu.         Ha ! je cognoy ma perte. De ces mesmes habits ma fille estoit couverte : Amis soustenez-moy, je tombe en pasmoison. La douleur en ce corps fait l’effect du poison, Pescheur cours vistement au bord de la Riviere, Tes mains en un besoin te serviront d’Aiguiere. Tenez voila de l’eau tant qu’il en peut tenir Dans le creux de ma main.         Faisons-le revenir. Oyseaux qui vous cachez dans les vieilles masures, Et cherchez vostre vie auprés des sepultures, Quittez ces monumens. Venez tristes hibous Sur la rive des eaux vous plaindre comme nous : Agarite est perduë et les Ondes coupables M’ont privé de l’object de ses beautez aymables ; J’esperois de la voir au lever du Soleil, Et l’horreur de la nuict m’a caché son bel œil. O Ciel ! ô Terre ! ô Mer ! ô Ciel devois-tu luire De tant d’astres malins ce soir-là pour me nuire ? O Terre devois-tu priver de monument Celle que je demande à ce traistre Element ? O Mer ! devois-tu pas engloutir tout ce fleuve Qui d’un si beau sujet fait la nature veufve. Et vous tristes Rochers d’où naissent les ruisseaux, Qui vont perdre leur nom dans l’abysme des eaux, Pourquoy d’un frein glacé n’arrestiez-vous leurs courses, Ou ne les faisiez-vous remonter à leurs sources ? Ha ! c’est qu’en ceste nuict si pleine de malheurs Vous n’aviez pas moyen de retenir vos pleurs, Mesme il semble à present que vostre dueil redouble, Et que de vos torrents la Riviere se trouble. Mais ce n’est pas à vous, ô Rochers ! de pleurer, Et ce n’est pas à vous, ô Vents de souspirer, La tristesse n’agit qu’en un sujet passible Et c’est aux hommes seuls que le mal est sensible. Qu’on ne me peigne plus Amour comme un oyseau, Depuis cet accident il nage dessous l’eau, Si jadis il sortit d’une conque marine Il est allé trouver sa premiere origine. Et dans ce desespoir se jettant sous les joncs Il a voulu donner ses aisles aux plongeons. Pescheur en cet endroit ne jette plus ta ligne : Purge plustost les eaux de toute herbe maligne, Et croy que les poissons qui vivent dans leurs cours Desormais en ce lieu seront autant d’amours, Pour toy n’afflige point ce vieillard davantage, Ne baigne plus son front de l’eau de ce rivage, Oblige moy Phenice : Ha ! tu le fais mourir. Si sa fille en est morte on ne peut le guerir. O riches vestemens ! dont l’ornement superbe De honte et de regret se cache dessous l’herbe. Je veux qu’à mon exemple on arrouse de pleurs Ce fertile gazon qui vous couvre de fleurs. Je vous tiendray tousjours ainsi que des reliques, Et vous feray monstrer en nos festes publiques, Je vous enchasseray dans un riche metal, Et vous feray baiser à travers un christal. Qu’on prenne ces habits qu’on les parfume d’Ambre, Et que tout de ce pas on les porte en ma chambre, J’y veux voir Agarite, et là de tous costez, En sa belle Effigie adorer ses beautez. Je veux que l’on luy dresse un beau lict de parade, Où de dueil et d’ennuy je devienne malade : Mais le pauvre Medon est enfin revenu. Dieux que ce mal de cœur vous a long temps tenu ? Ha ! Sire, commandez s’il vous plaist qu’on m’emporte. Qu’on l’emmeine, pour moy la douleur me transporte. ACTE IIII. Quel jour peut amener le Soleil qui nous luit Qui ne soit obscurcy de l’ombre de la nuit ? L’air peut-il estre calme où mes pleurs continues Versent plus de Torrens qu’il n’en tombe des nuës ? Le moyen qu’en ce lieu s’exhalent mes souspirs Sans troubler à l’entour le rire des zephirs, Les champs qui sont ailleurs tapissez de verdure, Souffrent icy leur part des peines que j’endure, Et les fleurs que mes yeux regardent par mespris, Contractent la couleur des atours que j’ay pris. Ce Boccage attristé du crespe que je porte, D’un vestement de dueil couvre sa fueille morte. La mort d’un voile obscur ombrage les buissons, Et pare les chemins de ses noirs Escussons : En quel lieu je passe une image tremblante Me fait voir comme en songe une teste sanglante, Aux champs et dans la ville un Esprit me poursuit Lizene massacré m’apparest chaque nuict Et sçachant que l’amour a commis cette offense Contre mon propre sang, j’excuse son enfance. Triste dueil falloit-il que ta noire couleur Accusast un Amant d’avoir fait ce malheur ? Si d’un drap si pesant je n’eusse esté chargée Celidor là dessus ne m’eut interrogée. Et je n’eusse pas sceu le crime qu’il a fait. Crime, helas ! dont ses yeux m’ont plus que satisfait. Il faudroit qu’il eust eu la poitrine de Roche Pour tuer celuy-là qui m’estoit le plus proche. Mais jamais par malheur il ne l’avoit cognu, Encore que chez nous il fut souvent venu. Pour ce que ma beauté luy fut tousjours si chere, Qu’il sembloit acheter l’absence de mon Frere. Or bien que l’ignorance excuse tout peché, Il pense que le sien ne peut estre caché. Sçachant que les Amans ne souffrent qu’en l’absence, Il veut aller bien loing en faire penitence. Hé Dieu ! n’est-ce pas luy, qui tenant un bourdon, Vient encore une fois me demander pardon ? En fin ce dessein est d’aller en Terre saincte. C’est là que j’ay conclu d’aller cueillir l’absynthe Qui par son amertume efface les pechez. Ha ! je vous retiendray.         Helas ! ne me touchez Que je ne sois purgé d’un meurtre detestable. L’ignorance et l’amour l’ont rendu pardonnable. Tousjours est-ce commettre un enorme forfait De rompre le sainct vœu qu’une personne a fait. Accomplir celuy-cy c’est un crime bien pire. Ne blasmes le conseil qu’un bon Ange m’inspire. S’il faut que sur l’Amour un Ange soit vainqueur, Vous ferez donc encore un meurtre dans mon cœur. Cet Archer qui n’aguere y faisoit quelques bresches, Par dessous mon habit ne tire plus de flèches, Ce Chasseur qui souvent m’est venu visiter, Encore par les champs se fait-il redouter. Croyez-moy ce Bourdon que j’ay pour toutes armes Ne me sert qu’à passer les ruisseaux de mes larmes. Les miennes que vous seul pouvez faire cesser, Font icy des Torrents que l’on ne peut passer. Adieu, vous ne pouvez m’empescher le passage, Me deussé-je noyer commençant mon voyage. Tu n’iras guere loing sans m’avoir prés de toy, Ton remords ne sçauroit te separer de moy. Cruel ! pourrois-tu faire une plus grande offense Que me priver ainsi de ta chere presence ? Ne croy pas que je vueille attendre ton retour, Je me sçauray servir des conseils de l’Amour. Si je me déguisois ? Dieux comme les pensées, Nous viennent promptement aux affaires pressees. Je recevray dans l’ame un plaisir singulier De le suivre par tout en jeune Cavalier, J’esveilleray par fois son humeur solitaire, Et puis en temps et lieu je luy diray l’affaire, C’est le meilleur moyen que je puisse trouver : Au reste d’accident il n’en peut arriver : Je puis en peu de temps dresser mon equipage, Et sans estre cognuë entreprendre un voyage. Allons, je me resous de partir promptement, Et ne veux differer ce dessein d’un moment. ACTE IIII. Traistres sortez d’icy, mes fureurs, et mes rages Me servent-elles pas d’Officiers et de pages ? Voulez-vous par despit irriter vostre Roy ? Laissez faire l’amour, je ne suis plus à moy. Je deteste, j’enrage. Ha ! Dieux ! je desespere, Que le Ciel contre moy ne se met en colere ? Que la Terre ne s’ouvre, et qu’au bruit de mes cris Je ne fay souslever tous les malins Esprits ? Engeance de Sorciers ! Fantosmes effroyables, Qui nous faites haïr les objects plus aimables, Venez m’empoisonner de fiel et de rancœur, Et chassez le Tyran qui regne dans mon cœur. Faites moy confesser en l’ardeur qui m’enflame, Que je n’ay plus d’amour qui ne soit tout de flame ! Demons, ouvrez le sein d’un Monarque amoureux, Et faites y l’Enfer d’un Prince malheureux. Tenez, le voilà prest, accourez je vous prie ; Mais ces Monstres cruels ont peur de ma furie. Foudre, Gresles, Esclairs, Quoy ! n’estes vous là haut, Que pour faire combattre et le froid et le chauld ? N’osez-vous me frapper ? faut-il que mes blasphemes, Et mes cris insolens irritent les Dieux mesmes ? Faux Dieux que les Mortels ont formé de leurs doigts Là haut comme icy bas ils vous ont fait de bois. Puisque pas un de vous n’est sensible à l’outrage Que vomit contre luy ma furie et ma rage… Ha ! c’est icy le trosne où la Divinité Ne souffre que je vive avec impunité. Mais, ô saincte Beauté, que seule je reclame, Contente toy du corps, et ne puny mon ame. Helas ! que te sert-il de me voir insensé, Te suffiroit-il pas de me voir trespassé, Si du mal que je sens tu n’es pas satisfaite, Puny, puny de mort la faute que j’ay faite Traite moy, je te prie, avec plus de rigueur, Et ne me laisse plus si long temps en langueur. Las ! je me plains en vain, celle que je regrette, Animeroit plustost cette idole muette, Et je verrois plustost son corps ressuscité Que je ne flechirois son esprit irrité. Cruelle, si faut-il que je te tesmoigne encore, Quel pouvoir a sur moy ton ombre que j’adore, Ma bouche baisera ce chef-d’œuvre parfaict, Et benira la main de l’ouvrier qui l’a fait : Mes yeux contempleront cette belle effigie, Où l’art semble avoir fait quelques traicts de magie, Figurant ma Deesse avec tant de rapport Qu’on croit mesme de prés que c’est elle qui dort. O divine Beauté ! depuis que tu reposes On n’a point veu mourir les œillets ny les roses, Ton front majestueux, ton visage vermeil Conservent leur beau teint en dépit du sommeil, Et je croy que l’amour n’a fermé ses paupieres Que pour mieux eviter leurs œillades meurtrieres, Quand ma belle perdit la lumiere des Cieux Il fit cette figure aggreable à mes yeux, Croyant que son idée emprainte en cette image Pourroit aucunement reparer ce dommage. Autre qu’Amour n’a fait un ouvrage si beau, Il suivit tout exprés Agarite sous l’eau, Afin de rapporter sa chevelure blonde, Que naguere en plongeant il a sauvé de l’onde. Beaux cheveux qui sçauroit que vous fustes jadis Les cheveux du Soleil croiroit ce que je dis, Qui verroit en ce lieu comme je vous adore, Verroit idolatrer les atours de l’Aurore, Il seroit amoureux de tout ce que je voy, Mais ce mol entretien est indigne d’un Roy, O paroles de femme, un homme de courage Se deut-il eschaper a tenir ce langage ? Brise là ce discours et monstre que tu peux Disposer ta raison à tout ce que tu veux. Ne souffre ce tiran qui regne sur la terre Et tasche desormais de luy faire la guerre. Pauvre Prince desja ton courage abbatu Pour complaire à l’amour a trahy ta vertu. Tu n’avois dans l’esprit qu’une bonne pensée Et le meilleur remede à ton ame blessée, C’est de perdre le soin de venir tous les jours T’entretenir icy de tes folles amours. Tant de braves Seigneurs que le Roy tient à gages, Et que l’on voit suivis d’une troupe de Pages, Ne s’imaginent pas, me voyant à la Cour, Que je mene avec toy la prudence et l’amour, Si mon desseinestoit seulement de paroistre, La sottise et l’orgueil me feroient mieux connoistre, Le vice a plus de train que non pas la vertu, Chacun de ses couleurs desire estre vestu, Tel pour faire le brave en bonne compagnie, Engage sa Noblesse et vend sa Baronnie, Et souvent la plus part de tous ceux que tu vois Se vient faire de feste à la suitte des Rois : Mais c’est pitié de voir que tant de volontaires, Au lieu de s’advancer y font mal leurs affaires, Je ne m’estonne pas si le monde s’en rit, Il n’est parmy les grands que d’avoir de l’esprit, J’ay par tout des ressors dont je fay des merveilles, Et si je ne fay rien que tu ne me conseilles. Amour en soit loüé, c’est luy qui dans tes yeux Me monstre les moyens de passer en tous lieux, N'agueres qu’ avec toy j’estois à la Campagne, Dedans ce beau Chasteau, que la Riviere bagne, Le Dieu que nous servons me montroit les détours, Et les chemins secrets pour sortir de nos tours. Il m’a dit le premier cette nouvelle heureuse, Que le Roy languissoit d’une fiévre amoureuse, Et m’a fait esperer, qu’en luy donnant secours, Je verrois à la fin réussir mes amours : Tant est que j’ay songé cette noble furie, Par quelque beau secret pouvoir estre guerie. J’ay pensé qu’arrivant dans la chambre du Roy, Il nous pourra tous deux regarder sans effroy, Et qu’il perdra l’amour d’une muette idole, Si je puis seulement luy dire une parole. Qu’en dis-tu ? Si je puis le remettre en santé. Vous serez plus heureux que vous n’avés esté. La plus grande faveur que le Roy me peut faire, Dépend de t’espouser.         C’est le juste salaire Que j’attends d’un Seigneur de vostre qualité. Page, vous m’alleguez vostre fidelité. Quoy que le vermeillon vous monte sur la face, Encore en ce discours vous avez bonne grace. Me voulez-vous long temps gausser de la façon A cause qu’à present je ressemble un garçon. Agarite, chacun fait l’amour à sa guise, Et l’on doit trouver bon qu’ainsi je te déguise. Mais direz-vous au Roy qui je suis ?         Je diray, Si je m’y voy contraint, ce que j’adviseray. Ce pendant je voudrois avoir trouvé Phenice, Je suis bien asseuré que sçachant l’artifice Dont je me veux servir, il nous feroit entrer. Cet honneste Escuyer nous le pourra montrer. Dieux ! faites réussir cette haute entreprise. C’est luy-mesme, il conduit la Princesse Amelise : Allons le salüer.     Je vous suis.         Monseigneur. J’interprete déja ce rencontre à bon-heur, En ce Palais Royal, le dessein qui m’ameine, Est de guerir le Roy, vous donnant une Reine Si vous avez moyen de le desabuser, Voicy bien la Beauté qu’il pourroit espouser, On ne sçauroit trouver un party plus sortable Pour un Roy si puissant, mais, chose epouvantable ! Il est si furieux qu’on ne le peut tenir. Dites-moy, s’il vous plaist, d’où son mal peut venir. D’un amour déreglé, maudite resverie, Qui par aucun secret ne peut estre guerie. Cet amour déreglé, qui luy passe en fureur, D’ordinaire provient d’une divine erreur, Et ne se guerit point comme une maladie, Dont l’assoupissement rend nostre ame étourdie. Les fièvres, dans nos corps, s’engendrent des humeurs, Mais telles passions s’engendrent de nos mœurs: De sorte que ce mal, que vous nommez furie, Procede d’une belle, et noble intemperie. Et jamais il ne faut estimer insensé Celuy-là que l’Amour de ses traits a blessé. Veu qu’un mal qui provient d’une cause divine Comme un bien souverain, porte sa medecine. Si le Roy vous oyoit quelque temps discourir, Pour le seur vos raisons le pourroient bien guerir. Encore pour venir à bout de cette cure, Quel secret sçavez-vous en toute la Nature ? Il nous le pourra dire en un lieu moins suspect, Où nous le traitterons avec plus de respect. On ne sçauroit icy recevoir la Noblesse, Selon qu’elle merite, à cause de la presse. Entrons dans le Palais.         Venez m’entretenir, Du loüable dessein qui vous a fait venir. ACTE V. Mon Amant doit passer au coin de ce Boccage, En ce lieu je pourray le guetter au passage, Cet Ormeau que je voy, de Lambrusches couvert, Me peut mettre à l’abry de son fueillage vert. En fin, m’accoustumant à baiser les fontaines, J’étancheray ma soif de leurs eaux souveraines. Et me desalterant de leur fraische liqueur, J’amortiray le feu que je sens dans le cœur. Je me trompe, les eaux n’augmentent que ma braise, Et mon amour renaist des Nymphes que je baise. Demeure, Pelerin, dans ce bois écarté, Un jeune homme se plaint que tu l’as maltraitté. Genereux Cavalier, à tort on me soupçonne, Croyez-moy, dans ce bois je n’ay trouvé personne. Je te croy, Celidor, et je te parle ainsi, Afin tant seulement, de t’arrester icy. Ne fay pas l’étonné, tu cheris Corintie, Ta flame dans cette eau ne s’est point amortie, Tu ne t’en peux dédire.         Il est vray, je l’ay dit A l’Echo.         Tu voulois qu’elle te respondit, Mais en cet entretien ma voix l’a prevenuë. Helas ! pourquoy dés lors ne vous ay-je cogneuë ? Pourveu que je t’emmeine, il n’importe.         Vrayment. Je vous suivray par tout en qualité d’Amant, Ainsi j’ay le pouvoir de rompre ce voyage, Où tu voulois passer le meilleur de ton aage : Tu confesses qu’Amour n’exauce point de vœux Contraires à celuy que nous fismes tous deux. Que vous m’avez surpris d’une façon estrange, Il faut que mon humeur à la vostre se range, Un pauvre Pelerin ne peut aller plus loing, Voyant un Cavalier qui vient l’épée au poing. Ta volonté suffit, les Dieux pour une offense, Sont déja satisfaits aussi tost qu’on y pense. Helas ! vous dites vray, les Dieux ont eu pitié, Et de nostre fortune, et de nostre amitié : Mais que vous me plaisez d’estre ainsi déguisee. Pour rompre ton dessein, je me suis advisee D’errer à l’advanture, ainsi que ces guerriers Que nos vieux Amadis couronnent de lauriers. Donc pour les imiter, icy tout nous convie De gouster les douceurs d’une paisible vie : Sans passer plus avant il nous faut reposer, Et prendre l’un de l’autre un amoureux baiser : Ha ! que je sens de mal en cette solitude ! Tout ce mal ne sera qu’un peu de lassitude, Vous avez beu trop chaut, vous avez trop marché, Mais vous ne serez pas demie heure couché, Que vous serez guery.         Soustenez-moy, je pasme. Hé, Dieux ! entre mes bras voulez-vous rendre l’ame. Il ne tient pas à moy de vous bien secourir, Pourquoy, sans me tuer, vous laissez-vous mourir ? Ne vous effrayez point.             D’où vient cette foiblesse, Qui vous rend si defait ?         Peu de chose me blesse, Et toutefois mes sens me vont abandonner, Si je n’ay le plaisir de vous deboutonner. Je vous entends, vos yeux meurent de jalousie. Pour ne vous point mentir, j’ay dans la fantaisie De vous prendre au collet, et d’ouvrir ce pourpoint Pour voir à découvert ce que je ne voy point. Est-ce que vous doutez que je sois Corintie ? Non, mais vous m’en cachez la plus saine partie. Pelerin, je connois quel est vostre dessein. Suis-je pas bien devot, d’aimer tant vostre sein ? Alors qu’il sera temps d’entrer en jouïssance, Des biens que la Nature a mis en ma puissance, Et lors qu’en mesme lict on nous fera coucher, Je t’abandonneray ce que j’ay de plus cher, Ce pendant aimons-nous.         Ha ! que ce temps me dure ? Et qu’il fait bon icy nous coucher sur la dure. Nous n’avons point de droit sur les terres d’autruy. Debout, il nous faut rendre à la Cour aujourd’huy. Las ! sans vous obeïr, le moyen que je vive ? Allons, puis qu’il vous plaist, il faut que je vous suive. Sans toy, mon cher Amant, je pourrois m’égarer, Avec toy le chemin ne me sçauroit durer. ACTE V. En fin cette Beauté, dont je suis idolatre, A changé ma fureur en une humeur folastre, Je ne sens plus en moy ce transport furieux, Qui me venoit de voir son pourtrait glorieux, Ma passion n’est plus dans la melancolie, Et mon amour n’est plus qu’une douce folie, Qui porte mon esprit à parler seulement, A des choses qui n’ont, ny sens, ny mouvement. Ainsi dessus ce lict mon ame s’imagine Qu’elle adore en essence une Beauté divine, Et tout autour de moy je ne voy point d’objet, Que pour m’entretenir sur un si beau sujet. O Divine Effigie, où l’humaine industrie A fait ce qu’elle a pû pour mon idolatrie, Trouve bon qu’un Pecheur, et qu’un pauvre Mortel T’esleve sur ce lict, comme sur un Autel. Et toy, divin Esprit, belle Ame que j’honore, Puissance que je crains, Deesse que j’adore, Cependant qu’à genoux j’admire ton Pourtrait, Fay que d’aucun des miens je ne sois point distrait. Icy puisse le Ciel respandre tant de Baume, Qu’il soit en Orient pl us cher qu’en mon Royaume : Icy brusle tousjours tant de Myrrhe et d’Encens, Que l’on flaire du Ciel les odeurs que je sens, Comme si l’on avoit parfumé toutes choses De l’essence des lys, et de celle des roses. O beau visage aimé d’un Prince malheureux, Ha ! vraiment ton bel œil ne m’est plus rigoureux. Je te trouve aujourd’huy plus beau que de coustume ; Une plus noble flame en mon ame s’allume, Et mon cœur est épris de tant de Majesté Que je voy sur le front d’une Divinité. En toy je ne croy plus adorer une idole : Et si tu me respons une seule parole, Je croiray qu’à ce coup, pour m’oster de soucy, Une belle Deesse est descenduë icy. Je croiray que l’Amour anime cet albastre, Et n’invoqueray plus une image de plastre. Ha ! si tu me disois un seul mot, je pourrois M’en prevaloir beaucoup dessus les autres Rois : Mais, helas ! t’en prier, c’est faire une insolence, Ta Majesté veut estre adorée en silence. Il est temps de parestre.         Allons l’entretenir. O Dieux ! elle se leve , elle me veut punir, Méchant ! j’ay prophané ce beau lict de parade. Quoy ! Sire, craignez-vous de mourir d’une œillade, Où courez-vous ainsi ? cette chaste beauté Ne deut pas faire peur à vostre Majesté. Sire, me voicy preste à tout ce que vostre ame Peut jamais desirer d’une pudique Dame. L’image que vos yeux adoroient cy devant, Fut-il jamais si beau que ce portrait vivant ? Confus d’étonnement, et ravy de merveille, Je ressemble à celuy qui d’un songe s’eveille : Ha ! quand elle dormoit, je disois bien alors Que la Grace et l’Amour animoient ce beau corps. Apres l’evenement d’une feinte subtile, Celle qui sur un lict paroissoit immobile, A repris la parole, et vous offre à present Ce que le cœur disoit, la langue se taisant. Sire, qu’en dites-vous, de pareilles Princesses Feroient-elles pas honte aux plus belles Deesses ? Phenice, as-tu trouvé ce merveilleux secret Pour chasser de mon cœur un amour indiscret, Et pour éteindre en moy cette flame illicite Qui n’a pû s’amortir en la mort d’Agarite ? Sire, ce Gentil-homme a luy-mesme trouvé Le secret que sur vous nous avons éprouvé : Mais afin de vous dire encore mieux sa feinte, Pour vous oster l’amour d’une figure peinte, Et pour vous faire aimer Amelise en son lieu, Il a fait ce qu’à peine auroit pû faire un Dieu : Il nous a conseillez de vous faire connoistre Qu’il ne faut se troubler de ce qui ne peut estre ; Et vous me permettrez de vous representer, Qu’Agarite icy bas ne peut ressusciter : Mesmes pour ne frustrer cette amour excessive Qui vous est demeurée en l’imaginative, Nous avons trouvé bon de surprendre vos yeux Par un autre sujet qui vous plaist déja mieux. Sire, pensez à vous, et quand bien Agarite Retourneroit au monde avec plus de merite, Songez que sur vous-mesme il faut estre absolu Pour éteindre le feu d’un amour dissolu. En fin, puis qu’on a mis Amelise en sa place, Avec autant d’appas, avec autant de grace, Ne l’éconduisez point par un honteux refus. Las ! tu m’en as trop dit pour me rendre confus, Je reconnois ma faute, et j’en porte la peine, De n’oser voir en face une si belle Reine : Car, à ne point mentir, j’ay deu considerer Qu’aux plus belles du monde on la doït preferer ; De ma part je consens que la foy mutuelle Confirme l’amitié que je nouë avec elle. C’est le commun souhait de tous les gens de bien, Les Dieux vueillent unir vostre cœur et le mien. Madame, le party vous est-il agreable, Pour moy je n’en sçay point qui me soit plus sortable. Sire, le bon plaisir de vostre Majesté Agit absolument dessus ma volonté. Ha ! que cette parole a de grace en la bouche D’une belle Princesse, et digne de ma couche. Peuple, resjouy toy, l’allegresse, et la paix Font un nœud que la mort ne defera jamais  Pour toy, qui m’as guery, je te donne parole, Mais parole d’un Roy plus ferme que le Pole, De te recompenser ainsi que tu voudras, Et mesmes si tu veux un Sceptre, tu l’auras. De charges, et d’honneurs, mon ame est assouvie, Je voudrois contenter mon amoureuse envie. Parle donc, et choisi quelque noble party : On passera par tout où j’auray consenty. Si quelqu’un d’entre nous vous montroit tout à l’heure Cette jeune Beauté que tout le monde pleure, En qualité d’époux, la pourroit-il avoir. Il faudroit que les Dieux nous la fissent revoir. Cette affaire pourtant, n’est pas fort malaisee : Car la belle Agarite est ainsi deguisee. O Cieux ! qu’auparavant ne m’en suis-je apperceu ? Toutefois je me suis heureusement déceu, Et je me resjouïs qu’une amitié si forte, Face ressusciter une personne morte. Sire, je le cheris d’un amour conjugal, Et luy ne trouve point de party plus egal. O merveille d’Amour ! ô joyeuse nouvelle ! Le Ciel vueille benir vostre couple fidelle. Finissez avec moy vos amoureux tourmens, Jouïssant du repos qu’attendent les Amans. Qu’on appelle Medon, que mon peuple la voye, Et que toute la ville en fasse feu de joye. Ha ! vraiment dans ma Cour il n’est point de Seigneur, Qui ne voulut avoir un tel Page d’honneur. Sire, je vous promets qu’elle fut tousjours sage, Et qu’elle l’est encore en cet habit de Page : Cent fois entre ses bras j’ay demeuré vaincu ! Mais le frere et la sœur n’auroient pas mieux vécu. Agarite en sera davantage estimee, En cela tu fais voir comme tu l’as aimee. Un amour débauché ne sçauroit prosperer, Les plaisirs dissolus ne peuvent pas durer, Et sont comme des fruits que par force l’on cueille, Ou que le vent abbat auparavant la fueille ; Au contraire l’amour qui cede à la raison, Ne craint point la rigueur de l’arriere saison, Semblable à l’oranger, dont la fueille ne tremble Que pour donner des fleurs, et des fruicts tout ensemble. Ha ! Sire, montrez-moy ma fille.         La voicy. Hé ! mon Pere, prenez vostre fille à mercy. Mon Enfant, leve-toy, j’excuse ta jeunesse, Qu’a voulu gouverner mon avare viellesse. Ce n’est pas tout, il faut la pourvoir promptement, Ce brave Gentil-homme est son fidel Amant. Les Dieux en soient loüez.         Je meurs d’impatience, De passer avec vous cette heureuse alliance. J’approuve cet accord, mais je pense tousjours Aux effets arrivez dans vos longues amours, Ami, je m’en étonne, il faut que je medite Sur ce qu’ont fait les Dieux pour l’Amour d’Agarite. Je veux penser comment nous fusmes tous déceus ; Laissez-moy quelque temps ruminer là dessus. Je pense que ces gens qui heurtent à la porte, Sont de ceux qui croyoient qu’Agarite fut morte. Estrangers, nous venons pour voir sa Majesté. Entrez, et vous tenez seulement à costé. Il nous faut demeurer en un profond silence. La fortune et l’amour sont en juste balance, Je ne sçay que juger de tant d’évenemens Qui traversent ainsi les plaisirs des Amans, Pourtant, puis que je voy que les Dieux nous benissent, Et que pour mesme fin nos volontez s’unissent, Ma Reine, de rechef je vous donne ma foy. Sire, dessus mon cœur vous serez tousjours Roy. Dites qu’en vos beautés je conqueste un Empire, Et qu’en terre il n’est plus de Couronne où j’aspire. Escoute voyageur, possible tu verras Tout ce que l’Ocean renferme de ses bras, Quand tu feras le tour de la terre et de l’onde, Vante toy d’avoir veu le plus grand Roy du monde. Sire, pardonnez-moy, je seray prés de vous, Celidor se plaist trop en un regne si doux. Ravy d’étonnement, croiray-je ce miracle, Ay-je oüy Celidor, ou la voix d’un Oracle ? Hé, Dieux ! en quel habit te viens-tu presenter ? Je serois trop long temps à vous le raconter, Vous sçaurez à loisir toutes mes advantures, Cependant, si je suis entre vos Creatures, Celuy que dessus tous vous avez plus chery, Donnez ce Cavalier à vostre favory. Sire, sous tel habit vous voyez une Amante. Dieux ! mon étonnement de plus en plus s’augmente, Je croy qu’en ma faveur le Ciel fait tout cecy, Et que tous les Amans se trouveront icy. Que vostre Majesté, s’il luy plaist, me permette D’espouser aujourd’huy celuy que je souhaite. Approche, Cavalier. Pelerin, le sainct noeu Que je fais entre vous, t’excuse de ton vœu. Or sus, que tout mon peuple, et toute ma Noblesse Prepare un Carrousel à ma Belle Princesse, Que l’on nous mene tous dans un Char triomphant, Où l’Amour soit assis, non pas comme un enfant : Mais comme un jeune Roy que la presse environne, Lors qu’en ceremonie on luy met la Couronne. FIN Louis, par la grace de Dieu, Roy de France & de Navarre, A nos amez & feaux Conseillers les Gens tenans nos Cours de Parlement de Paris, Roüen, Tholoze, Bordeaux, Rennes, Aix, Dijon, Grenoble, Metz, Prevost dudit Paris, Seneschaux de Lyon, Poictou, Anjou, Baillifs, Prevosts & tous autres nos justiciers & Officiers qu’il appartiendra, Salut. Nostre bien amé François Targa, Marchand Libraire de nostre bonne ville de Paris, nous a fait remontrer qu’il a nouvellement recouvré un Livre, intitulé, Agarite, Tragi-Comedie, faite par le sieur Durval, lequel il desireroit imprimer & mettre en vente. Mais il craint qu’aprés les frais qu’il a déja faits, & qu’il luy convient faire pour la perfection dudit Livre, quelques autres Imprimeurs & Libraires ne se voulussent ingerer de l’imprimer, & mettre en vente, & le frustrer par ce moyen du fruict qu’il espere de son travail, Nous requerant tres-humblement nos Lettres à ce necessaires. A ces causes, Nous avons audit exposant, permis & permettons par ces presentes, de faire imprimer, vendre, & distribuer ledit Livre pendant le temps & espace de six années à compter du jour qu’il sera parachevé d’imprimer. Pendant lequel temps Nous avons fait tres-expresses inhibitions & defenses à tous Imprimeurs & Libraires de nostre Royaume, & à toutes autres personnes, de quelque qualité & condition qu’ils soient, d’imprimer, ou faire imprimer, vendre, ou distribuer ledit Livre, sans le congé de l’exposant, Sur peine aux contrevenans, de cinq cents livres d’amende, & confiscation des exemplaires qui se trouveront imprimez, & mis en vente au prejudice des presentes. Voulons en outre qu’en mettant au commencement, ou à la fin de chacun desdits livres autant de cesdites presentes, ou l’extraict d’icelles, qu’elles soient tenuës pour signifiées et venuës à la cognoissance de tous. A la charge de mettre deux exemplaires de chacun dudit livre en nostre Bibliotecque, gardée aux Cordeliers de nostre bonne ville de Paris, & une autre és mains de nostre tres-cher et feal le Sieur Seguier, Chevalier, Garde des Sceaux de France, avant les exposer en vente, à peine d’estre décheu du present Privilege. Si vous mandonsque de ces presentes vous ayez à faire jouïr plainement, & paisiblement ledit exposant, et au premier nostre Huissier, ou Sergent sur ce requis, faire pour l’execution desdites presentes, tous exploicts requis & necessaires sans pour ce demander aucun congé & permission et nonobstant Clameur de Haro, chartres Normande, prise à partie, & lettres à ce contraires. Car tel est nostre plaisir. Donné à Paris, le treiziesme jour de Mars, l’an de grace mil six cens trente cinq, et de nostre regne le vingt-cinquiesme. Par le Roy en son Conseil. Signé FARDOIL. Achevé d’imprimer le deuxiesme jour de juin mil six cens trente-six. Les Exemplaires ont esté fournis en la Bibliotheque du Roy, & à Monseigneur le Chancelier.