Indiscrets mouvemens d’une Amour insensee Ne sortirez vous point de ma triste pensee ? Le funeste entretien de mes feux criminels Ne me doit-il donner que des maux eternels ? Estoit-il arresté qu’une beauté fatale M’eschaufferoit le sang d’une flame brutale ? Et qu’en fin mon esprit infidelle à son tour Trahiroit l’amitié pour se rendre à l’amour ? Cruelles passions qui mettez dans mon ame Les froideurs du respect, et l’ardeur de la flame, Formez de vos pensers froids et chauds en effet Un foudre necessaire à punir mon forfait. Puis je aymer d’un amy la moitié legitime Sans meriter un feu qui punisse mon crime ? Amour que mon destin se fait bien detester ! Je ne te puis souffrir, et ne te puis quitter : Termine donc les jours du malheureux Lisandre, Laisse toy desormais estouffer dans ma cendre, Et souffre que je meure avecque ce plaisir D’avoir eu sans effet un si lasche desir. Mais helas c’est en vain que je conçoy l’envie De finir dans mes feux ma miserable vie, Ils tiennent en ce point de celuy de l’enfer Qu’ils me bruslent tousjours sans pouvoir m’estouffer. Caliste est dans mon cœur, Cleandre est avec elle En danger de perir dans ma flame immortelle, Tantost l’amour l’emporte, et tantost l’amitié, Quelques fois leur accord le divise à moitié : Mais en fin l’amitié n’y doit plus rien pretendre, Les charmes de Caliste en ont chassé Cleandre, Non, non, le seul amour, et les brasiers ardans Ont bruslé son pourtrait que j’avois là dedans, Et bien que tous les jours l’amitié le refasse, L’amour beaucoup plus fort à toute heure l’efface, Et me donne des loix où je voy tant d’appas Qu’il faut y consentir ou bien ne vivre pas. Pourquoy voudrois-je aussi retirer ma franchise De ces belles prisons où Caliste l’a mise ? Elle sçait mon martyre, et ses chastes discours Ne travaillent jamais qu’à me donner secours, C’est toutes fois en vain que sa voix me console, Mon mal n’est pas de ceux que guerit la parole. Qu’ay-je fait insensé de songer à guerir Où l’honneur outragé me condamne à mourir ? Où la raison employe un remords legitime A me peindre par tout la grandeur de mon crime ? Mais bien qu’elle m’accuse au fort de mes ennuis Et condamne l’exceds des transports où je suis, Les attraits de Caliste à qui rien n’est semblable Autorisent mon crime, et le rendent aymable. Que je sois insensé, que je sois criminel Et digne mille fois d’un tourment eternel, Si dedans mes desseins mon amour est un vice, Son feu qui fait mon crime est aussi mon supplice. Ne puis-je pas enfin sans me rendre suspect Unir à mon Amour l’honneur et le respect, Et sans m’abandonner à mes longues tristesses Aymer tant de beautez comme on fait les Deesses ? Mais qu’il est mal-aisé pres d’un bien si charmant D’avoir un cœur humain sans l’aymer autrement ! Sa divine douceur veut que je persevere Et sa pudicité ne veut pas que j’espere, Sa beauté me contente et me rend malheureux ; Mais quelqu’un interromp mes pensers amoureux. Cloridan outragé de la seule memoire, Qui met devant ses yeux sa honte et votre gloire, Vous donne ce cartel où sa main a tracé Tous les ressentiments d’un esprit offencé. Cloridan se fait tort de croire la vengeance Qui promet à son mal une fausse allegeance , J’accepte toutes fois le deffit qu’il me fait, Et me voila tout prest d’en venir à l’effet , C’est parmy les combats où la gloire se fonde. Trouvez donq un amy dont le bras vous seconde. Pour avoir trop d’amis qui soutiennent mes droits La raison me deffend d’en faire icy le choix, Je ne puis employer un bras à ma deffence Que l’autre mal content aussitost ne s’offence. Ce n’est pas la raison qu’estant avecques vous Je ne sois employé qu’à juger de vos coups ; J’ayme mieux que mon sang colore un paysage Que la honte s’en serve à rougir mon visage. Je sçais bien sans second terminer un combat ; Mais si vous desirez paraistre en cét esbat, Alors que Cloridan aura perdu la vie Je pourray contenter vostre loüable envie. Je suis donc en estat d’attendre bien long temps, Et vous et votre amy je vous rendray contens. Clarinde je sçay bien que mon ame asservie Doit à ton amitié le bonheur de ma vie, Je sçay bien que tes yeux sans feinte et sans rigueur N’ont jamais approuvé de me voir en langueur ; Mais tu sçais bien aussi, beau subjet de mes flames Que le consentement a marié nos ames, Et qu’Hymen apres luy nous permet de gouster Les plus secrets plaisirs, qu’on puisse souhaiter. Tu me les a promis, et pour moy je confesse Que tout mon bien consiste en ta seule promesse, Mille difficultéz te semblent arrester Mais si tu m’aymes bien tu les peux surmonter ; Chasse donq loing de toy tout ce qui te resiste. Leon, comment cela demeurant chez Caliste ? Le debuoir qui m’oblige à la suivre tousjours Est le seul ennemi qui choque nos Amours. Mais sans plus nous flatter par de vaines attentes Je puis rendre bien tost nos deux ames contentes. Que dis tu mon soucy, quand viendra ce moment Que reserve l’amour à mon contentement ? Caliste doibt passer la nuit avec Cleandre, Et me laissera seule où je te veux attendre, Où mon cœur ?         En sa chambre, et pour y parvenir Escoute les chemins qu’il te faudra tenir. Alors que le soleil cachera la lumiere J’ouvriray du jardin la porte de derriere, Et par la cette nuit tu viendras avec moy Reconaistre en effet que Clarinde est à toy. Y pourras tu venir ?         J’y viendrois ma chere Ame Me fallut-il passer les ondes et la flame, Mon amour est extreme, et tu merites bien Que pour te posseder on n’apprehende rien. Ainsi je t’attendray.         Tu ne m’attendras guere ; Mais j’attendray beaucoup une faveur si chere. Clarinde.     L’on m’appelle, adieu.         N’est-il pas nuit, Puis que je voy desja mon soleil qui s’enfuit ? Mais que voudroit Beronte ?         Amy je viens d’apprendre Que quelques malcontents ont appellé Lisandre, Mais allons tesmoigner que l’honneur glorieux Ne fait pas moins d’amis qu’il fait voir d’envieux. Où se fait le combat ?         Derriere la montaigne Qui separe le bois d’avecques la campagne. Allons donq sans remise, en pareils mouvemens Un moment differé fait de grands changemens. Ha Cloridan est mort ! Son corps qui se consomme N’est plus rien maintenant que le reste d’un homme, Mais son sang espanché ne m’accuse-il pas D’estre si paresseux à vanger son trespas ? O mal’heur ! mon espée au besoing desmontee Refuse son secours à ma force arrestee. Mais de quelque peril qui me puisse assieger Celle de Cloridan me pourra desgager. Crisante ne croy pas dedans cette entreprise Pour venir d’un amy quelle te favorise, Mais as tu bien pour luy tant de ressentiment Que tu vueilles en fin le suivre au monument ? Lisandre les discours sont des armes de femme, Aux hommes genereux l’usage en est infame. J’ay fait voir des effets avecques mes discours. Je te suy Cloridan, la mort finit mes jours. Va dire à ton amy dans les nuits infernales, Qu’il n’avoit pris pour toy que des armes fatales Et que le mesme bras qui sceut en triompher T’a fait son compagnon au voyage d’enfer. Mais apres tant de morts ma seureté consiste A prendre un bon conseil de Cleandre et Caliste. Ce sang qui fait changer à l’herbe de couleur Me fait apprehender quelque insigne malheur. Cherchons de tous costez ne laissons point de place Où nos pieds diligens n’impriment quelque trace. Mais n’entendez vous pas quelques tristes soupirs Qui me semblent venir d’ailleurs que des Zephirs ? Passans qui visitez des lieux si deplorables En achevant mes jours soyez moy favorables. C’est Crisante, Bons Dieux ! amy quel attentat A reduit vostre vie en ce fascheux estat ? Le bon-heur de Lisandre aydé de son courage. Dites nous le subjet d’un si cruel ouvrage, Si toutesfois le sang, que nous voyons couler, Vous laisse assez de force afin de nous parler. Le ciel juste ennemy des desseins de l’envie N’a voulu prolonger les restes de ma vie, Que pour vous asseurer par mon sang respandu Que Lisandre attaqué s’est fort bien deffendu. L’attainte de ce coup ne peut estre mortelle, Mais faites nous sçavoir d’où vient vostre querelle. Il vous souvient encor qu’en ces fameux tournois Qui resveillent souvent la vigueur des François, Où la troupe des grands et des belles s’assemblent, Lisandre et Cloridan s’esprouverent ensemble, Et vous scavez aussi que Lisandre plus fort Rencontra le laurier au bout de son effort. Cloridan offencé d’une telle victoire Se resolut d’oster cette tache à sa gloire, Si bien qu’à son appel Lisandre nous fait voir Que jamais le bon droit ne manque de pouvoir. Quel chemin a-t-il pris ?         Je ne vous le puis dire. Dites nous pour le moins où Cloridan expire. Cloridan icy pres hors d’espoir de guerir Se noyant dans son sang acheve de mourir. Je m’en vay le chercher.         Et moy qui sors du monde, Je m’en vay le treuver dedans la nuit profonde. Crisante ; je luy tiens des discours superflus, Les ames qui s’en vont ne nous entendent plus. Mais n’aperçoy-je pas icy pres une espee Du sang de l’un des deux jusqu’aux gardes trempee ? Cette lame est si bonne et si belle à mes yeux Qu’elle peut contenter un guerrier curieux, Il faut que je m’en serve, et je veux faire en sorte Que l’on ne puisse pas sçavoir que je l’emporte, Une heure de travail luy peut rendre aysément Ce qu’elle vient de prdre en cét evenement. Amy je l’ay treuvé moins sensible qu’un arbre, Et mille fois plus froid que ne seroit un marbre. Il semble que son sang sur qui nage son corps Luy serve de ruisseau pour passer chez les morts. Mais leur corps nous demande apres cette advanture La derniere prison où nous met la nature. Puis qu’il faut obéïr à la necessité Qui borne en vous chassant nostre felicité, Et puis que la rigueur trop aveugle au merite Ne vous peut asseurer si ce n’est par la fuite, Cognoissant le danger qui vous suit maintenant Je serois criminel en vous y retenant. Mais ressouvenez vous en ce malheur extreme Que vous laissez icy la moitié de vous mesme, Si bien qu’en obtenant vostre grace du Roy Je faits esgallement et pour vous et pour moy. Cleandre si vos soings travaillent à mon ayde Je n’ay point de douleur qui ne treuve un remede, Et les plus grands dangers qui me sont apprestez Seront bien tost vaincus si vous les combattez. L’amitié qui nous joint par des chaisnes communes M’oblige à me roidir contre vos infortunes : Mais je vay de ce pas vous faire preparer Tout ce qu’un prompt départ permet de desirer. Cher amy cependant l’entretien de Caliste Chassera les soucis d’un visage si triste. Vous me rendrez ingrat en m’obligeant ainsi. Vous voulez de la sorte augmenter son soucy. Je reviendray bien tost.         Faut-il que je vous quitte ? Helas ! je fuy le mal, et je m’y precipite, J’abandonne ces lieux affin de m’assurer, Mais vous abandonnant quel bien doy-je esperer ? Vous pouvez de l’absence esperer un remede Contre tous les accez du mal qui vous possede, Et de vostre mal’heur vous tirerez ce bien Que le temps deffera vostre amoureux lien. Les plus puissants efforts du temps et de l’absence Contre ma passion n’auront point de puissance. Quand je m’esloigneray des beautez que je sers, J’auray tousjours au cœur la cause de mes fers. Ne parlez point d’amour, quelqu’un vous peut entendre, Et vous rendre suspect à l’esprit de Cleandre. J’ay tant de bons desirs pour Cleandre et pour vous, Qu’il le peut bien sçavoir sans en estre jaloux. J’en doubte neantmoins : Mais il vaut mieux me croire Que de mettre au hazard vostre amour et ma gloire. Merveilleuse beauté, dont le charme vainqueur Nous peut laisser la vie en nous ostant le cœur, Lisez donq dans mes yeux un discours qui vous touche Que l’esprit n’ose pas confier à la bouche, La vous verrez un feu plus juste que suspect Qui ne sçauroit passer les bornes du respect, Vous vous estonnerez, doux Soleil de mon ame, De me voir sans mourir si long-temps dans la flame, Et vous croirez qu’Amour m’ostant la liberté Me donne avec ses feux son immortalité. Tant que l’honneur rendra vos passions discrettes Unissant le respect à vos flames secrettes, L’aymable souvenir de vos perfections Partagera le soing de mes affections, Et puis que mon Amour est le prix de Cleandre, Mon amitié sera le loyer de Lisandre. Si jamais mon esprit entretient un penser Qui touche vostre honneur, et le puisse offencer, Je demande à l’amour dont j’adore les traces Qu’il ne se lasse point de m’offrir des disgraces : Je veux que soubs mes pas mille gouffres ouverts Donnent l’ame à l’enfer et mes membres aux vers ; Ou que jamais le ciel ne s’arme d’aucun foudre Qui ne serve au dessein de me reduire en poudre. Si vostre cœur s’accorde avecque ces propos Au milieu de vos feux vous serez en repos, Et bien que vostre amour n’ayt rien de legitime Et qu’en la permettant ce soit commettre un crime, J’aymeray tousjours mieux faillir en l’endurant Que d’estre criminelle en vous desesperant. Si la saincte amitié que vous m’avez juree Reçoit de mon respect son terme et sa duree, Et si vous ne blasmez mon dessein vertueux Que quand je cesseray d’estre respectueux, Je suis desja certain que mon ame asservie Jouïra d’un bon-heur aussi long que ma vie. Soyez en assuré, mais que je crains pour vous Que vostre esloignement soit plus facheux que doux. Puisque vous permettez à mon ame captive D’adorer aujourd’huy la plus belle qui vive, J’emporte assez de force et de contentement Pour vaincre les ennuis de mon esloignement. Lisandre tout est prest, et le temps desja sombre Donne à vostre départ la faveur de son ombre. Helas ! si j’ay commis un crime en combattant, J’en souffre dans l’esprit la peine en vous quittant. Ou courrez vous si tard ?         Je m’en vay chez Cleandre M’instruire du combat de nostre amy Lisandre, Desja le bruit commun fatal à son renom Obscurcit làchement la gloire de son nom, L’on dit que l’artifice et non pas son courage Luy donne en ce duel un honteux avantage. Je sçay ce qu’il a fait, et je puis au besoing Contre ses ennemis en estre le tesmoing : Tousjours le bruit commun est le fils du mensonge, Et bien souvent il est moins croyable qu’un songe. Mais allons chez Cleandre, et je vous feray voir Ce que la verité fera par tout sçavoir. En fin sans estre veu me voicy sur la place Où j’esprouve qu’Amour ne manque point d’audace. Clarinde n’est pas loing ; mes veuz, et ses desirs S’accordent à chercher de semblables plaisirs. Lors qu’il fault desméler une affaire pareille Je ne sçaurois penser qu’une fille sommeille, Elle ne peut dormir avec beaucoup d’amour Et la plus sombre nuict luy plaist mieux que le jour. Leon.         Hà je te tiens, tu ne t’en peux dédire Icy ma volonté finira mon martyre. La Fortune contraire à nos feux mutuels Nous fait servir de but à ses traits plus cruels, Léon retirez vous, evitez la poursuite Et sauvez promptement nostre Amour par la fuite. Que dites vous Clarinde ?         Adieu j’entends du bruit, Caliste vient icy pour y passer la nuit. Coment puis-je sortir sans me faire cognaistre ? Choisiray-je la porte, ou plustost la fenestre ? Qui vous a fait entrer ? au secours.         furieux, Nous sçaurons le subjet qui t’ameine en ces lieux, Ou de ta propre espee : hà le traistre me tuë, Et son mauvais dessein dessus moy s’effectue. Arrestez ce cruel, helas ! je parle en vain, L’on diroit que la nuict approuve son dessein, Et que pour en monstrer la poursuite impossible Son voile tenebreux nous le rende invisible. Cleandre ouvre ces yeux si charmans et si forts Et voy qu’un mesme coup a percé nos deux corps ; Mais ce dernier souspir contraire à mon envie Emporte en mesme temps son Amour et sa vie, Dieux avecque ses jours disposez de mon sort, Ne doy-je pas mourir puisque mon cœur est mort ? Há mon frere n’est plus ! cette funeste espee Ne fut pas sans subjet à sa mort occupee ; C’est celle de Lisandre.         Hé Dieux que dites vous ? Que l’on seme à dessein tant de maux parmy nous. Clarinde vous direz cette tragique histoire Où le vice rencontre une lâche victoire : Ou la geyne obtiendra par une autre façon Ce que vostre silence apprend à mon soupçon. Joindrez vous aux douleurs d’une perte incroyable Le sanglant desplaisir de m’en croire coupable ? Ce n’est pas d’aujourd’huy que nous avons appris Qu’une impudique Amour enflammoit vos esprits, Clarinde qui receut vos secrettes pensees Me sceut bien descouvrir vos ardeurs incensees, J’empeschay toutefois qu’on en mit rien au jour Croyant que le remords esteindroit cette Amour, Mais je ne jugeois pas que telles resveries Dans un esprit mal fait se changent en furies. Ne pensez pas enfin que cet étonnement Fournisse à vostre crime un bon desguisement. Les crimes descouverts pour derniere deffense Ont tousjours emprunté le front de l’innocence. Parlez parlez Clarinde, et soulagez mon mal En me montrant l’auteur d’un acte si brutal, Dites, ou la rigueur .         Il est vray c’est Lisandre. Aupres de ce tesmoing je ne le puis deffendre. O perfide Lisandre, ô cœur formé de fer Qu’une rage anima sur les bords de l’enfer. Que l’innocence est foible, où preside la rage ! Mais craindrois-je la mort apres un tel outrage ? Ces pleurs que vous versez aveq trop de raison Ne vous peuvent sauver d’une estroite prison, Et n’empescheront pas qu’une prompte justice Ne travaille pour vous aux rigueurs d’un supplice. Où courez vous Beronte, escoutez mes discours ; Mais je luy parle en vain, la fureur nous rend sourds, Et nous faisant de feu, soubs ombre d’allegeance, Elle nous rend legers à suivre la vengeance. Ne craignez rien, Madame, et croyez que les Dieux Prendront vostre party contre ce furieux, Lisandre par moy mesme adverty de vos peines Coupera le chemin à ses poursuites vaines. Et bien que son duel l’engage en un danger Je sçay que sa vertu vous viendra soulager, Il est avecques vous dedans un mesme gouffre, Et son renom patit où votre gloire souffre, Si bien que son retour, qui vous doit contenter, Vous gardera l’honneur que l’on veut vous oster. Destins qui disposez la malice des Astres A verser dessus moy ce qu’ils ont de desastres, Je tireray ce bien de mes maux apparans Que je ne sçaurois pas en craindre de plus grands. Depuis le triste jour que tu me vins apprendre Qu’on m’avoit accusé de la mort de Cleandre, Et que pour ce subjet sans aucune raison L’on arrestoit Caliste aux fers d’une prison, J’ay tant fait par mes soings et par ma vigilance Que nous viendrons à bout de cette violence. Autrefois un mortel instruit à triompher Retira son ami d’un fabuleux enfer, Mais mon effort plus juste et moins espouvantable Tirera mon amour d’un enfer veritable ; Et malgré les dangers je recognois encor Que l’on passe par tout par le moyen de l’or. J’ay gaigné le geolier, l’argent, et les pistoles Pour le persuader ont esté mes paroles, Si bien qu’il m’a promis de me rendre ce soir Cet aymable subjet où j’ay mis mon espoir. En rompant les prisons vous confessez le crime Dont l’on ne peut avoir de preuve legitime. Parroissez à la cour, allez y de ce pas. La colere du Roy ne me le permet pas. Quand j’auray mis Caliste en lieu de sauve garde, Je pourray mieux songer à ce qui nous regarde. Lors qu’on veut se purger d’un crime supposé Rarement par la fuite on en est excusé. Lors qu’il s’agit d’un crime où la haine et l’envie Par cent moyens divers poursuivent nostre vie, Soit que l’on soit coupable, ou qu’on soit innocent Il est toujours moins seur d’estre present qu’absent. Approuve mon dessein, Amy, je t’en conjure, M’en vouloir divertir c’est me faire une injure. Puisque c’est un dessein où je vous voy porté Je ne resiste point à vostre volonté. Mais avez-vous par fois Caliste entretenuë Depuis qu’au Chastelet on la voit retenuë ? Quand je luy veux parler le chemin m’est ouvert. Comment le pouvez-vous sans estre descouvert ? Aupres de la prison demeure une bouchere Qui me fait posseder une faveur si chere. Je ne puis concevoir par quelle invention Elle donne secours à vostre passion. Sa fenestre est si pres de celle de Caliste Que je luy puis parler sans que l’on me resiste. En fin je vous entends : mais quelle extremité Vous contraint de vestir cét habit emprunté ? Le Geolier m’a donné le conseil de le prendre De peur d’estre cognu s’il me falloit attendre. En voyant ces habits inconus parmy nous Qui s’imagineroit que Lisandre est dessous ? Vous voila fort bien fait, à vous voir de la sorte Vous gaigneriés du pain allant de porte en porte. Si je tire aujourd’huy Caliste de tourment Je gaigneray ma vie avec ce vestement. Mais il est desja tard, l’obscurité m’invite À donner au boucher encore une visite. Allons donq.         En allant je vous feray sçavoir La place destinee où je vous doy revoir. Dy ce que tu voudras, que ton esprit s’en pique, Je ne veux plus souffrir qu’il vienne en ma boutique, Il fait beau voir entrer un gentilhomme icy, Ses visites enfin me donnent du soucy. Il dit qu’il vient parler à cette prisonniere Qu’on mit au Chastellet la semaine derniere ; Mais que sçay je aujourd’huy que le monde est sans foy Si ce jeune muguet n’y viendroit point pour toy ? Alors qu’ il vous donna de si belles pistolles, Que ne luy teniez vous de semblables paroles. Si j’ay pris son argent, je l’ay fort bien servy, J’ay tousjours son vouloir entierement suivy, Lors qu’il a desiré de parler à sa dame J’ay tousjours là dessus satisfait à son ame, Cette seule faveur qu’il estime sans prix Merite bien l’argent que nous en avons pris. S’il pouvoit reüssir dedans son entreprise Nous pourrions quelque jour avoir sa chalandise. Je ne veux point avoir de chalans comme luy Qui me peuvent donner moins de bien que d’enuy. Vous rendant de la sorte à ses desirs contraire Voulez vous d’un amy vour faire un aversaire ? Quoy que vous me puissiez la dessus repartir Evitons les moyens de nous en repentir. Alison, il vaut mieux à ce point se reduire Que de se conserver un amy qui peut nuire. Qui peut nuire, coment ?         Si quelqu’un s’apperçoit Que nous favorisions le dessein qu’il conçoit, Je crains d’en recevoir du reproche et du blasme, Et qu’on mette au cachot gros guillaume et sa femme : A ne t’en point mentir et sans en rien celer C’est la le vray moyen d’aller mourir en l’air, Quelque somme d’argent qui nous soit asseurée Bon renom vaut bien mieux que ceinture dorée. Mais faites retirer ce pauvre que voyla. Mon amy Dieu vous ayde, et tirez vous de la, Il a bien la façon de quelque tirelayne. L’on parle à mon habit, soyez moins inhumaine, Cognoissez vos amis.         Nous les cognoissons bien, Retirez vous d’icy vous n’y gaignerez rien. Cette chayne de prix.         Nous en avons veu d’autres Qui nous ont bien appris ce que valent les vostres. Allez vendre aujourd’huy vos coquilles ailleurs. Ayez à mon subjet des sentimens meilleurs. Soignez à vostre bourse, et prenez y bien garde, Ce mignon d’hospital fixement la regarde. Recognoissez Lisandre.         Hé monsieur excusez, On ne cognoist pas bien ceux qui sont desguisez. Nous souffririons pour vous toute sorte de geyne. Pour vostre chastiment recevez cette chayne. Je vay voir si Caliste est tousjours en soucy. Disposez du logis et de son maistre aussy. Cet homme a dans l’humeur je ne say quoy d’aimable Qui me charme l’esprit et me rend plus traitable. Mais dites qu’il avoit dans ses mains enfermé Plustost qu’en son humeur ce qui vous a charmé. Caliste.     Estes vous là ?         Prest à vous faire entendre Le dessein du bonheur, que vous devez attendre. Le Geolier me l’a dit, mais helas ! son effet Nous chargera du mal que nous n’avons pas fait. Mais un trop long discours enfin nous pourroit nuire. Quand je seray dehors, où m’irez vous conduire ? Où pourrons nous aller ? Le monde a-t-il des lieux Où mon mauvais destin ne jette point les yeux ? Vous trouverez tousjours apres tant de misere Un favorable asile auprés de vostre pere. Dieux ! que puis-je esperer d’un pere rigoureux Qui nous croit aujourd’huy justement malheureux ? Si vous n’esperez rien de la rigueur d’un pere Vous pouvez esperer des douceurs d’une mere. Mais que deviendrez vous ?         J’iray chez mes parens Nourrir aveq mon feu mille soings differens. La mille traits d’amour me peindront ma Caliste. Helas ! qu’ils la peindront soubs un visage triste. Madame, descendons, il est temps de partir. Trouves tu le temps propre à la faire sortir. Tout le monde est couché ; la nuict nous est propice Et je suis disposé de vous rendre service. Mais dites moy, monsieur, les vostres sont ils prests ? Alcidon et les miens m’attendent icy prés. Monsieur descendez donq, attendez à la porte Que j’ouvre le guichet, et que Madame sorte. Que je suis glorieux de t’obeyr ainsy. Le voicy qui descend, il faut l’attendre icy. Que l’amour ce me semble est une chose amere ! Et que c’est un mestier où l’on ne gaigne guere ! Fermez vostre boutique, adieu.         Tout est à vous Soit de jour soit de nuit soyez libre chez nous. O favorable nuit redouble un peu tes voiles Desrobe à l’univers la clairté des étoiles. Mais il faut retourner dessoubs le chastellet. Amy reçoy de moy ce petit brasselet. Ha Madame !         Monsieur faisons ce qu’il faut faire, Cherchons la seureté qui nous est necessaire. Nous sommes tous perdus si quelqu’un nous entend. Allons donc, le carosse icy prés nous attend. Quelques difficultez, que tout le monde fasse J’obligeray Lisandre en obtenant sa grace, Et malgré Lucidan qui poursuit contre luy Mon travail assidu finira sonennuy. Ce n’est pas toutesfois pour la mort de Cleandre Que je veux obtenir la grace de Lisandre, Je poursuy seulement la grace du duel Où Lisandre parust plus juste que cruel. J’espere apres cela qu’en despit de l’envie Nous serons asseurez du repos de sa vie, Et que dans peu de temps il viendra s’excuser De l’autre assacinat qu’on luy veut imposer. En mille occasions ayant veu ta prudence Je te dis mon dessein en toute confidence ; Mais afin d’en parler avec plus de loisir Allons chercher un lieu selon nostre desir. O Deplorable fille ! et moy plus deplorable D’avoir produit le mal qui me rend miserable ! Helas ! que n’es-tu morte au moment que tes yeux Pour la premiere fois regarderent les Cieux. Grands Dieux, que je voy bien au travers de mes geynes Qu’en donnant des enfans vous nous donner des peynes, Et que le plus souvent pour espargner vos mains Vous punissez ainsi les fautes des humains : Vos secrets jugemens qui surpassent les nostres En font le prix des uns et la peyne des autres. J’attendois de Caliste un visible support Et c’est elle aujourd’huy qui me donne la mort. Quoique la passion vous suggere contre elle, Je n’ay jamais pensé qu’elle fut criminelle. Encore si le Ciel contraire à mon bonheur M’avoit permis de voir ce traistre suborneur , J’irois aveq son sang reparer cet outrage. Vous changeriez bien tost d’humeur et de courage. Au charme presenté de ses perfections Vôtre cœur s’ouvriroit à d’autres passions. Monsieur un messager qui semble estre assez triste Desire vous donner des lettres de Caliste. Qu’on le fasse monter, verray-je sans fureur Les marques d’un esprit, qui cause tant d’horreur ? Non, non, mais que le sang a de puissantes armes ! Ce qu’il ne peut par force il le fait par ses charmes, Et la sainte amitié qu’il fait naistre en nos cœurs S’y conserve tousjours des mouvemens vainqueurs. Caliste infortunee autant qu’elle est aymable, Qui n’a que le seul bien de n’estre pas coupable, Provoque la pitié d’un pere sans esgal À voir dans ce papier l’image de son mal : Et vous aussi, Madame, à qui le nom de mere Ne permet pas d’avoir des transports de colere, Recevez cette lettre, et voyez si le Ciel Peut traiter un esprit avecques plus de fiel. Qu’elle n’espere rien de ma douceur extreme Tant qu’elle excusera l’homicide qu’elle ayme. Lisandre espouvanté d’un soupçon si puissant Fera voir quelque jour son courage innocent. S’il n’est pas criminel, quel dessein legitime L’empesche de venir se purger de son crime ? Son düel, et la mort de ces deux cavaliers Que le Roy mit au rang de ses plus familiers. Mais j’ay sçeu le subjet, dont l’injuste apparence Fait naistre tant de bruits contre son asseurance, J’ay sçeu d’où ce soupçon prit ses commencemens Et coment il trompa les meilleurs jugemens. Vostre discours m’estonne, et mon ame confuse Par les yeux du penser descouvre quelque ruse. Mon amy poursuivez, achevez ce propos D’où nos cœurs affligez esperent du repos. Et puisque les discours en sont assez capables Faites deux innocens de deux esprits coupables. Vous sçavez que Lisandre assez cognu de tous Fit tomber Cloridan soubs l’effort de ses coups ; Mais vous ne sçavez pas qu’il laissa son espée Dessus le mesme pré qui la vid occupée, Et que quelqu’un depuis d’une rage enflammé En a commis le mal dont Lisandre est blasmé. Je n’en puis que juger, ô deitez supremes Donnez quelque relàche à mes ennuis extremes. Mais de peur qu’en lisant ce pitoyable escrit Mais yeux ne fassent voir ce que j’ay dans l’esprit, Il me faut retirer ; je reviens tout à l’heure, Dieux que l’instinct est fort en voulant que je pleure ! Que cét evenement a troublé ma raison ! Quoy Lisandre a tiré Caliste de prison ! Elle est donq de ses pas la compagne fidelle ? S’il n’est pas dans son cœur, il n’est plus avec elle. Mais quand elle suivroit ses pas et ses desseins, Pourroit-elle montrer des sentimens plus sains ? Puis qu’il sera tousjours en despit de l’envie L’appuy de son honneur et celuy de sa vie. Il ne l’appuyra pas, comme il l’a ruiné. A cela toutesfois les Cieux l’ont destiné, S’il destruit son honneur ce n’est qu’en apparence, Mais il est en effect sa meilleure asseurance ; Et son bras et le temps tesmoigneront un jour Que l’on peut accorder l’honneur avec l’amour. Mais si vous vous plaignez de ce qu’elle veut suivre Celuy qui la deffend, et qui la fera vivre, Montrez en luy donnant un asile chez vous Que vous estes sa mere, et son espoir plus doux : Ce sont là ses desirs, et l’effort de Lisandre La tira d’un enfer affin de vous la rendre, Voudriez vous laisser perdre un bien si pretieux Qu’il peut rendre des Rois jaloux et glorieux, Et que la pieté laissast à vostre exemple Outrager les vertus et destruire leur temple ? Non, non, si la nature a fait voir en son corps La parfaite union de ses plus beaux tresors, Le Ciel qui ne veut pas, que l’injure l’offence, A fait naistre icy bas Lisandre à sa deffence. Je croy que c’est Lisandre.         Ouy, Madame, c’est luy. C’est de vostre bon-heur le veritable appuy. Que vous me remplissez de soing et de merveille ! Qu’en cela vostre amour se montre sans pareille  ! Ne vous estonnez pas de voir un changement Qui ne peut reussir qu’à vostre allegement, Caliste et ses vertus divinement escloses Font bien dedans les cœurs d’autres metamorphoses, Et comme ses beautez sont sans comparaison Il faut l’aymer de mesme ou perdre la raison. Helas ! que cette amour en misere feconde Contre elle et contre vous fera parler de monde. L’innocence plus forte a tousjours des clairtez Qui descouvrent par tout ses divines beautez. Les discours outrageux de l’humaine malice Pour perdre la vertu l’habillent comme un vice, Quelque vive clairté qui la puisse asseurer Elle trouve des nuits qui la font esgarer. Un astre enveloppé des voiles d’un nuage Ne perd rien des clairtez qui sont en son visage ; Le soleil, qui se cache, est tousjours sans pareil, En despit de l’orage il est tousjours soleil, Et la vertu cachée où regne l’injustice Est encore vertu dessoubs l’habit du vice ; On vomit tant de maux contre sa pureté Que l’on peut aysément alterer sa beauté. En vain pour obscurcir les estoiles plus claires La terre pousse en l’air ses vapeurs ordinaires , Son dessein sans pouvoir ne luy sert seulement Qu’à destruire l’honneur de son propre element Puisque de ses vapeurs le Ciel forme un tonnerre Qui retombe sur elle, et luy porte la guerre. La langue en produisant mille discours trompeurs A bien plus de pouvoir, que n’ont pas des vapeurs, Elle tuë, elle brusle, et son feu trop à craindre Ne rencontre point d’eaux qui le puissent esteindre, Le moindre vent l’allume, et le fait voir si fort Que des torrens entiers cedent à son effort. La langue variable aussi bien que nostre ame Apres beaucoup de maux esteints ce qu’elle enflamme, Et lors qu’elle a destruit le temple des vertus Elle peut restablir ses honneurs abatus, Faisant voir aux esprits qu’elle auroit pû seduire Que le mesme pouvoir sçait bastir et destruire. Elle destruit l’honneur, ou du moins l’affoiblit Bien plus facilement qu’elle ne l’establit. Selon qu’elle est propice ou qu’elle est ennemie Elle engendre icy bas l’honneur ou l’infamie, Si bien que nos amis nous peuvent conserver Ce que nos ennemis tacheroient d’enlever. Mais sans perdre le temps à parler d’avantage Songez que vostre fille est proche du naufrage, Et que vostre faveur, qui la doibt secourir, La peut facilement empescher de perir : Souvenez-vous enfin que vous estes sa mere. Hà que ce mot me donne une atteinte severe ! Vostre demande est juste, et pour moy je consens A terminer icy des malheurs si puissans. Gardez que Dorilas descouvre vostre ruse Que son ressentiment trouveroit sans excuse ; Le voicy qui revient, gouvernez vous si bien Que par vostre discours il n’en cognoisse rien. Caliste est donq sortie, et cette miserable A rompu les prisons pour estre plus coupable. Que le ciel ennemy de mes contentemens A la fin de mes jours reservoit de tourmens ! Qu’avez vous resolu ?         Qu’apres tant de contraintes Elle arreste chez nous et ses pas et ses plaintes. Mais le moyen de suivre un dessein si fatal Sans se rendre aujourd’huy complice de son mal. Le devoir paternel vous servira d’excuse Si quelque médisant vous blasme et vous accuse. Le devoir paternel, qui doibt suivre les loix, Ne nous excuse pas du mespris de leurs droits. Mais les plus saintes loix n’apprenent pas au monde Qu’un pere doibt laisser sa fille vagabonde. Faites que de ce pas ses veuz soient satisfaits, Et que tous ces désirs se changent en effets. Que je suis glorieux d’obtenir la licence De ramener chez vous la grace et l’innocence ; Un pere fait mieux voir les soings de son amour A conserver l’enfant qu’à luy donner le jour, Que cette malheureuse a reçeu de traverses ! Qu’elle remplit mon cœur de passions diverses ! Elle devoit mourir, et se percer le sein Plustost que de songer à ce làche dessein. Les fers d’une prison et la crainte des flames A d’estranges effets font resoudre nos ames, Le desir de la vie est si doux et si fort Qu’il resiste tousjours à celuy de la mort, Et quelque vanité qui nous en fasse à croire Il est plus naturel que l’honneur et la gloire. Non pas aux vertueux, mais aux lâches esprits Qui pour un jour de vie ont l’honneur à mespris, Apprenez que sans luy c’est peu que nostre vie, Sans luy c’est une mort de mille autres suivie, Quelque possession que l’on ayt du bonheur C’est estre plus que mort que vivre sans honneur. Qui ne sort pas des maux, voyant la porte ouverte, A tousjours merité son malheur et sa perte. Il vaut mieux expirer au milieu du tourment Que de suivre un moyen d’en sortir lâchement. Quand l’on void le plaisir que le beau temps appreste Pourroit on se resoudre à suivre la tempeste ? Et lors qu’on void la vie aveq tous ses attraits. Et le trespas armé de ses plus rudes traits, Quelque dessein d’honneur, que l’ame veuille faire, Il est bien malaisé que la mort puisse plaire : Ceux qui l’ont preferée aux celestes clairtez Ne pouvoient plus sortir de leurs aversitez. N’estoit ce pas assez qu’un espoir veritable Luy parlast de la fin d’un sort si lamentable ? Et que ma diligence en l’asseurant du port Eust desja desarmé la justice et la mort ? Elle vid des faveurs presentes et certaines Que l’espoir incertain n’offroit pas à ses peynes. Mais d’un crime douteux, son esprit esgaré En forme à son malheur un forfait asseuré, Quand l’on verroit parler l’innocence pour elle Cette fuitte l’accuse et la rend criminelle. La voicy, suivez moy ; qu’elle vienne aveq vous, Que l’amour des enfans a de pouvoir sur nous ! Mon fils, unique appuy du bonheur de ma vie, Que vostre longue absence a mille fois ravie , Apres tant de tourmens et d’outrages soufferts Qui vous ont en vivant descouvert les enfers, Il est temps de finir mes peynes sans pareilles, Pour avoir du repos j’ay fait assez de veilles ; Vous avez trop bruslé dans des feux dissolus, Ils ont esté sur vous trop long temps absolus, Il faut enfin souffrir que la raison vous range Aux termes desirez d’un favorable change, Et que ce doux soleil qui luit sur les esprits Vous descouvre les fers où l’amour vous a pris : Alors que ce tirant conçoit nostre ruine Il nous monstre la rose, et nous cache l’espine, Et la flame est semblable à l’esclair, qui ne luit, Que pour nous annoncer le foudre qui le suit. Ne pensez pas pourtant que ma froide vieillesse M’oblige à condamner ce Dieu de la jeunesse, Ou que mon impuissance autorise un discours A qui ceux de vostre aage ont tousjours fait les sourds, Non, non, il faut aymer d’un amour necessaire Qui reçoive des loix et n’en puisse pas faire, Il faut que la raison luy serve de flambeau, Qu’elle le fasse naistre, et le mette au tombeau ; Alors que nous croyons sa deffaite impossible, C’est nostre lâcheté qui le rend invincible. Quittez donq ces transports, et ce honteux dessein Que les yeux de Caliste ont mis dans vostre sein, Et puisque nous devons de l’amour au merite, Rendez vous sans contrainte aux vertus d’Hyppolite, Son cœur que la nature avait fait d’un Rocher A vostre seul aspect est devenu de chair, De tant de cavaliers qui l’avoient entreprise Vous avez sans travail desrobé sa franchise ; Et vous me mespriseriez de captiver vos jours Soubs les plus beaux liens que fassent les Amours ! Si les attraits vainqueurs de tant de belles ames Ne pouvoient rien sur moy par leurs divines flames, Vos seules volontez qui me peuvent charmer Auroient assez d’appas pour me la faire aymer. Pourquoy donq au mespris d’une beauté parfaite Vous monstrez vous si froid au bien qu’on vous souhaite ? Mon honneur offencé des discours qui se font Vous fait voir malgré moy ces froideurs sur mon front, Et mon renom blessé deffend à mon courage De sentir d’autre mal que celuy qui l’outrage ; Souffrez donq que je voye une autre fois la Cour Et que je monstre ainsi mon innocence au jour. Brisez là ce discours ; voulez vous que je souffre Que vous alliez encor vous jetter dans un gouffre ? Nous avons des amis, dont les soings assidus Vous rendront les plaisirs que vous avez perdus. Quelquefois l’on s’y trompe, et les amis extremes Ont affaire souvent d’eux mesmes pour eux mesmes. Nous vivons en un temps où l’amitié s’endort Quand la moindre disgrace a changé nostre sort, Et ne s’éveille point des liens qui la tiennent Qu’au bruit delicieux des faveurs qui reviennent. La terre, qui porta des amis si parfaits, En peut produire encor les merveilleux effets. Pour les revoir encor dans le siecle où nous sommes, Il faudroit que son dos portast les mesmes hommes. Ne me contestez plus, et suivez mes conseils Qui sont de vostre mal les meilleurs appareils, Tous les amis que j’ay, le temps les a fait naistre Et l’un et l’autre sort me les a fait cognaistre. Pour craindre touteffois qu’ils changent à leur tour C’est assez de sçavoir qu’ils sont nez à la cour. Gardez que ce discours n’ajouste à vostre peine Le honteux desplaisir de tomber dans ma haine. Le respect, que je doibs au nom que vous portez, M’exemptera des maux dont vous m’espouvantez ; Et pour vous asseurer que mon obeissance Ne fléchira jamais soubs une autre puissance, J’iray voir Hyppolite avecques des discours Dont l’ardeur fera voir celle de mes Amours. Tenez vous donq ainsi dans le soing de me plaire, Et mon affection en sera le salaire. O pere sans pitié, tu n’as jamais appris Ce que peut un bel œil sur les jeunes esprits, Quelques vives raisons, qui nous donnent des armes, On ne peut eviter la force ny ses charmes : Si tu voyois Caliste, ou ses moindres attraits, Tes beaux enseignemens cederoient à ses traits ; L’amour te feroit dire en te venant contraindre Qu’il n’est pas dans ses yeux comme tu le veux peindre, Et sans prendre le soing de cognoistre mon mal Tu serois malgré toy mon pere et mon rival. Mais porte contre moy l’horreur et la menace, Emprunte des fureurs l’imperieuse audace, Et que le Ciel propice à tes veuz inhumains Te preste son tonnerre, et le mette en tes mains, Pour abatre aysement tout ce qui me resiste Je ne veux qu’opposer les attraits de Caliste, Ou si tu veux enfin en paroistre vainqueur, Pour m’arracher l’amour, arrache moy le cœur. En vain pour m’affoiblir le feu que j’ay dans l’ame Tu me viens commander d’aymer une autre Dame, Tous les commandemens que l’on nous fait d’aymer En esteignent l’envie au lieu de l’enflammer. Há frivoles desseins des cruautez d’un pere, Qui s’aveugle luy mesme, et qui me desespere ! Il veut que son pouvoir, que le ciel a borné, Passe jusqu’a l’esprit qu’il ne m’a pas donné, Et que ce vain respect, dont j’abhorre l’usage, Se loge dans mon cœur comme sur mon visage ; Non, non, je veux ceder à mes ressentimens, Ce respect n’est pas fait pour les parfaits amans, Quiconque sçait aymer, sçait mespriser les craintes, Et d’un fàcheux devoir les severes contraintes. Qu’ay-je enfin resolu ? La nature à son tour Me parle de respect, et Caliste d’amour : Dieux ! quelle seureté finira mes allarmes ? Un pere a des conseils, et Caliste a des charmes. Le Ciel asseure ici le repos de mes jours, Et le cruel y met en danger mes amours, Mais pour monstrer l’exceds de mon ardeur extreme J’ayme mieux asseurer mes amours, que moy mesme. J’iray chez Hyppolite afin de tesmoigner Que je n’en approchay que pour m’en esloigner. Ne dis plus que ton cœur a triomphé des charmes Qui font vivre l’amour, et luy donne des armes, Ne dis plus que les traits, dont il blesse les Dieux, Ont vainement touché ton esprit glorieux : Je cede à ses efforts, et j’ayme le servage Où depuis peu de jours sa puissance m’engage; Ce Dieu s’estant instruit que sa forme d’enfant N’obtiendroit pas sur moy le nom de triomphant, Apres avoir usé ses liens pour me prendre Prit pour me surmonter la forme de Lisandre. Helas ! ce fut un jour, que le Ciel plus riant Ouvrit à la clairté les portes d’orient, Et que les champs couverts d’une nouvelle grace Nous avoient invitez au plaisir de la chasse, Comme si le soleil en donnant un beau jour Eust voulu s’accorder au dessein de l’amour. Lisandre s’y fit voir plus parfait que les graces, Je suivois en tous lieux ses amoureuses traces, L’estonnement de tous fut alors sans pareil De voir mars sur son front plus beau que le Soleil, Ses yeux tousjours charmans, et tousjours redoutables Me tendirent par tout des rets inévitables, Je chassay quelque temps avecques ce vainqueur Mais je cognus bien tost, qu’on ne prit que mon cœur : Je voulus millefois éviter cette prise     Ma raison s’efforçoit de garder ma franchise, Et mesme tous les jours un reste de ses droits S’oppose dans mon ame aux amoureuses loix, Elle me dit encor alors que je l’irrite Que je porte le nom du premier Hyppolite ; Mais à tant de discours je réponds à mon tour, Que je n’ay pas son cœur pour surmonter l’amour, Et que pour demeurer dans des prisons si belles La mesme liberté se couperoit les ayles. Mais voicy mon Lisandre. Hé Dieux que de plaisir En le voyant icy succede à mon desir ! D’où vient que la tristesse a peint vostre visage Des plus pasles couleurs qu’elle met en usage, J’en touche le subjet, et je l’ay dans le sein. Que vous estes sçavant à cacher un dessein. Vous me voulez montrer que si je me sçay plaindre Vous sçavez en Amour encores mieux vous feindre. C’est assez que vos yeux me blessent tous les jours Sans me blesser encor aveques vos discours. Mon discours sans dessein est tesmoing de la crainte Qui n’abandonne point l’amitié la plus sainte. Un amant souffre en l’ame un tourment sans esgal Alors qu’on ne croid pas ce qu’il dit de son mal . Croyez que dans l’exceds de l’ennuy qui me dompte, Je ne vous sçaurois voir sans amour et sans honte. Et sans honte ! il est vray, vous pourriez faire un choix Ou vous eussiez vescu soubs de plus belles loix, Mais.         Vous m’expliquez mal, ma honte ne procede Que d’un injuste outrage à qui ma gloire cede. L’on m’accuse à la cour de tant de làchetez Que les moins genereux en seroient irritez : Les envieux discours d’une rage ennemie Pour tacher mon renom, me chargent d’infamie, Vous en sçavez la cause ; estant donq odieux Pourrois-je bien sans honte approcher de vos yeux ? Helas ! ce desplaisir m’auroit l’ame ravie, Si vos attraits plus forts ne conservoient ma vie. Ce bruit injurieux ne peut il s’etouffer ? Ma presence suffit affin d’en triompher. Mon pere, qui le sçait, est sourd à mon envie, Il veut que la paresse asseure icy ma vie, Et que j’attende enfin du soing de ses amis La gloire et le repos que je m’estois promis. Vous pouvez mon soucy me donner un remede , Vous pouvez me tirer du mal qui me possede, Et bien que mon Amour soit certain de vos feuz Vous pouvez en donner cette preuve à mes veuz. Il n’est rien que pour vous je ne voulusse faire. Feignez donq d’avoir à la Cour quelque affaire, Et mandez à celuy qui me donna le jour Que vostre occasion y presse mon retour. L’apparence, qu’il souffre apres tant de tristesse Que je mette au hazard sa plus grande richesse. Vos seules volontez, qui lui servent de loy, Luy rendront mon départ moins sensible qu’à moy. Quand il le souffriroit, j’aurois tousjours le blasme De ravir de son sein la moitié de son ame. J’endure assez pour vous, pour en avoir ce bien. Enfin vostre desir l’emporte sur le mien. Mais quoy ! pourray-je vivre où mon ame me quitte ? Je vous laisse la mienne, adorable Hyppolite, Et pour la retrouver dedans un si beau lieu Je veux que mon retour soit plus prompt que l’adieu. Que le mal qui surprend a de puissantes armes, Et que vos volontez sont fertiles en charmes ! Adieu donq, cher objet de mes contentemens. Há que ce triste mot a pour moy de tourmens ! La crainte d’augmenter la douleur qui me touche M’empesche de tirer un adieu de ma bouche. En fin malgré les soings de tous les envieux Vostre fils satisfait paroistra glorieux. Cher amy Lidian, que venez vous m’apprendre ? Nous avons obtenu la grace de Lisandre. Há que cette nouvelle est selon mes desirs, Et que vostre discours fait naistre de plaisirs ! A la charge pourtant qu’apres sa longue absence Il viendra dans un mois prouver son innocence. Coment ?         Par un combat, qu’un nommé Lucidan Vint demander au Roy pour vanger Cloridan. L’accuse-t-on encor de la mort de Cleandre ? Personne la dessus ne le sçauroit deffendre, Mais apres ce combat il s’en pourra purger, Et delivrer ma sœur de peine et de danger. Pour moy j’ay tousjours dit qu’il estoit incapable De cette lácheté dont on le croid coupable, Ses belles actions, que tout le monde sçait, Ont esté les tesmoings qui m’en ont satisfait Ne le verray je point ?         Il est chez Hyppolite, Desja passionné d’avoir veu son merite. Ce n’est pas tant l’amour, que la civilité, Qui le fait visiter cette jeune beauté, Vous sçavez mieux que moy le subjet qui l’engage. Mais sans doubte Hyppolite envoye icy ce page. Je vous viens apporter la lettre que voicy De la part d’Hyppolite, et de Lisandre aussy. Que faict Lisandre ?         Il vient de partir tout à l’heure. Pour aller ?     Je ne sçay.         Veut il donq que je meure ? Permettez moy de voir cet escrit seulement. Lidian est à vous, usez en librement. Cette lettre m’apprend qu’une petite affaire A rendu de mon fils le départ necessaire, Il s’en retourne en cour, on me le mande ainsi. Cela vous doibt oster de peine et de soucy, Je ne plaindrois jamais sa mauvaise fortune Si je ne cognoissois qu’elle vous importune. J’irois pour un amy jusque dans les enfers Au mespris de la mort le retirer des fers. Mais puisqu’il est party je ne puis d’avantage Differer le dessein d’un assez beau voyage : Si vous ne m’arrestez pour vous servir de moy J’iray voir l’Angleterre où se fait un tournoy, Où de tous les costez on verra la noblesse Exercer à l’envy sa force et son adresse. Si vous n’aviez pas pris ce genereux dessein Moy mesme je voudrois le mettre en vostre sein, Allez et que le ciel seconde vostre envie. Et qu’il prene tousjours le soing de vostre vie. Page va retrouver ta maistresse et luy dis Qu’elle a pû disposer et du pere, et du fils. Si je doibs m’asseurer aux lettres d’Hyppolite, C’est pour aller en cour que Lisandre me quitte ; Que sçay-je toutesfois si son premier amour Ne l’empeschera point de retourner en cour ? Et si l’aveugle erreur où son ame persiste Ne l’arrestera point dans les bras de Caliste ? Car enfin j’ay cognu sur son visage feint Que ce premier amour n’est pas encore esteint. Que feray-je, immortels, pour finir mes allarmes ? J’iray voir à la cour ce que peuvent ses armes, Et si contre mes veuz, l’excez de son malheur Retenoit autrepart sa guerriere valeur , La mienne fera voir au combat qu’on propose Que le Pere et le Fils sont une mesme chose. Helas ! qu’ay-je entendu qui porte dans mon sein Les premiers mouvemens d’un tragique dessein ? L’on nous vient d’asseurer que Lisandre infidelle Suit les nouveaux liens d’une amante nouvelle, L’on nous asseure encor que dedans peu de jours Un mal’heureux hymen unira leurs Amours ; Tant de temps escoulé sans flater mon martire Du moindre des discours que l’amour nous inspire, Et la triste longueur de ses retardemens Me descouvrent assez ses parjures sermens. Perfide, qui n’as rien de l’amour que ses ayles, Que ne differois tu tes desseins infidelles, Jusqu’à ce que le Ciel justement irrité M’eust rendu le renom que tu m’avois osté ? Cette infidélité, qui te rend si coupable, Estant plus paresseuse, eust esté moins blasmable, Et pour me consoler, mon honneur de retour Eust tenu dans mon cœur le lieu de ton Amour. Viens voir, traistre, viens voir sans m’offrir d’assistance, Que ta seule malice esgale ma constance ; Viens voir encor un coup si mes longues douleurs Ont espargné pour toy des soupirs et des pleurs, Toutesfois ne viens pas, tu dirois que ma bouche Ne donne que du vent à l’amour, qui me touche, Tu dirois que mes yeux en te donnant de l’eau Te font voir l’inconstance ou du moins son tableau, Ou bien qu’ayant donné ma raison à tes charmes C’est te donner trop peu que de donner des larmes ; Mais si des pleurs sont peu je verseray du sang, Je t’ouvriray mon sein, je t’ouvriray mon flang, Je ne dis pas mon cœur, car helas ! ton image L’a des long temps ouvert au malheur qui m’outrage. Que me servent ces pleurs, dont j’arrouse mes pas ? En pleurant aujourd’huy, je ne m’allege pas, Et les maux ont pour moy de trop vives attaintes Pour guerir par des pleurs ou finir par des plaintes. Je quitteray pour toy le logis paternel, Je veux suivre tes pas et ton feu criminel, L’espoir de te trouver me rendra vagabonde Par tout où le soleil preste le jour au monde, Et lors, devant tes yeux, la rigueur de mon sort Signera de mon sang ma sentence de mort ; Ces mains si láchement par les tiennes pressées Deschireront ce cœur qui reçeut tes pensées, Ce corps qui fut jadis l’idole de tes veuz Esteindra dans son sang les restes de ses feuz : Et ma mort fera voir par ce sanglant spectacle Que tes nouveaux desseins ne trouvent plus d’obstacle. Non, non, je veux changer au mespris des hazards Les fureurs de l’amour en celles là de Mars : Je sortiray des bras et du sein d’une mere Non pas pour suivre encor ton amour trop legere, Mais pour perdre la vie à la face du Roy Dans l’injuste combat, qui se fera pour toy. Qu’on appelle imprudent le dessein que je tente, Il ne m’importe pas, pourveu qu’il me contente ; Si mon honneur est mort dans mes feuz indiscrets J’auray ce dernier bien de le suivre de prés, Et je tesmoigneray que ma force abatuë Deffendit constamment le traistre qui me tuë, Non pas pour l’obliger à me rendre son cœur Mais pour y mettre ver , qui s’en rendra vainqueur, Pour y mettre un remords, dont les forceneries Augmenteront chez luy le nombre des furies, Et qui convertiront en faveur de mes maux Les feuz de son amour en des feuz infernaux. Mais n’appercoy-je pas le valet de Lisandre ? Il faut sçavoir de luy ce que j’en doibs attendre. Que viens tu faire icy ?         Mon maistre m’a chargé De vous donner ce mot.                         1120         Ce traistre a donq changé ? Et par ce mot d’escrit le perfide m’invite D’assister à sa noce et de voir Hyppolite. Que je lis de transports sur son front irrité ! Que tu desguises bien ton infidelité ! Ce murmure est tesmoing de quelque jalousie, Qui regne injustement dedans sa fantaisie. Láche et perfide auteur de tous mes desplaisirs Que tu t’es bien instruit à cacher tes desirs ! A quelle extremité vous portez vous, Madame ? Quel injuste soupçon refroidit vostre flame ? Cependant qu’il m’escrit et se rit de mes veuz N’est il pas assuré qu’il brusle en d’autres feuz ? Il est vray.     Pourquoy donq ?         Non pas ce que vous dites, L’amour qu’il a pour vous est un feu sans limites ; Il est vray que par tout ses parens rigoureux Le pressoient de changer ses desseins amoureux, Et que sa prompte fuite a trompé leurs attentes Au point qu’ils pensoient voir leurs volontez contentes. Jugez de son amour par de si grands effets. Que ne vient il guerir tant de maux qu’il a faits ? N’avez vous pas appris devant vostre venuë Coment tous ses amis ont sa grace obtenuë ? Nous ne l’avons point sceu.         C’est ainsi que les Dieux Ferment à mes travaux et l’oreille et les yeux, Qu’ils ne m’espargnent pas me voyla toute preste A servir de visée aux coups de la tempeste ; Mais je demande en vain qu’ils me privent du jour Je dépends moins des Dieux que des traits de l’amour. Qu’est devenu Lisandre ?         Il a changé de terre, Le grand bruit d’un tournoy l’appelle en Angleterre, Et je veux m’exposer à mille cruautez     Si ma bouche est ouverte à quelques faussetez. Tes raisons, paraitroient plus fortes que ma flame Devant que d’arracher le soupçon de mon ame. S’il avoit plus d’amour pour mes feuz vehemens Il en auroit bien moins pour ses contentemens ; Et sans chercher ailleurs la gloire qui l’attire, Il deffendroit icy la sienne qu’on deschire. Je respondray pourtant à son perfide esprit, Non pas aux faussetez du discours qu’il m’escrit. Tu seras le porteur de ma triste pensée Et des ressentiments de ma gloire offensée : Mais je veux que ton œil cognoisse auparavant Que ma foy ne prend rien des qualitez du vent, Et qu’un peu de raison me force de deffendre La gloire de mes jours, et l’amour de Lisandre. Madame quel dessein prenez vous ?         Il est pris , Mes transports poursuivront ce qu’ils ont entrepris, Et le seul desespoir de mon ame confuse Me donnera la paix que l’amour me refuse. Ce bras sans habitude au travail des guerriers Obtiendra des cyprés s’il n’obtient des lauriers. Le Ciel n’a pas formé tant de beautez en terre Pour les faire servir aux fureurs de la guerre. Approuve mon dessein, j’en viendray bien à bout, Et sçache que l’amour nous rend propres à tout. En fin voicy le jour où le Ciel equitable Nous fera voir Lisandre innocent ou coupable, Les combats sont douteux soubs l’enseigne de Mars, Mais souvent la justice en chasse les hazards. Et quelque vaine peur qui nous en fasse accroire Les dangers sont tousjours les chemins de la gloire. Une ame genereuse establit son bon heur Dans la possession d’un veritable honneur, Pour garder ce tresor plus cher qu’un diadesme Elle doit se porter au mespris d’elle mesme, Et comme un autre Alcide aux travaux indompté Monter par les perils dans l’immortalité . La mort n’est pas un mal qui ne trouve point d’ayde, L’honneur qui fait revivre en est le vray remede : C’est luy qui vous appelle aux combats solennels Où l’equité départ des lauriers eternels. Grand Roy victorieux sur la terre et sur l’onde, Dont la gloire remplit et l’un et l’autre monde, La justice, et l’honneur vrays soleils des humains, Ont armé tout ensemble et mon cœur et mes mains : Me voila disposé de tirer l’allegeance Que l’on peut esperer d’une juste vengeance, Ou je suis resolu de suivre au monument Crisante et Cloridan outragez láchement. Mais je suis estonné de sçavoir que Lisandre Paresseux à son bien ne vient pas se deffendre. L’on diroit aujourd’huy qu’il craigne le malheur Et qu’un juste remords endorme sa valeur. Sire son innocence a des charmes visibles Qui conduisent icy nos armes invincibles ; Puisque pour satisfaire à la rigueur des loix Sans nous estre cognus nous paraissons tous trois, Qu’il nous soit accordé de vanger tant d’outrages Et que trois opposez exercent nos courages. Crisante et Cloridan qui vivent dans mon cœur M’ayderont aysement à me rendre vainqueur, Ou si de ces seconds les offres genereuses Ne peuvent contenter vos ames valeureuses, Sans chercher autrepart de plus braves guerriers Ce bras est mon second, et ce fer est mon tiers. C’est ainsi que souvent au martial orage L’on perd le jugement pour garder son courage. Le sort tousjours aveugle en ses eslections Doit contenter icy toutes vos passions, Que chacun de ses trois que l’honneur nous amene Apporte dans ce casque une marque certaine. Bien qu’un mesme dessein anime nos desirs, Sire, nos volontez cedent à vos plaisirs. Et celuy dont la marque en sera retirée Rendra de sa valeur la preuve desirée. Si Lucidan luy cede, et s’il fléchit dessoubs, Lisandre glorieux doibt demeurer absoubs ; Ou bien si le destin ordonne le contraire, Nous aurons de son crime une preuve assez claire. Qu’on amene un enfant, qui borne ce debat, Et tire sans soupçon la marque du combat, Ainsi pour l’innocence on verra l’innocence Disposer du combat plustost que ma puissance. Le Ciel est si subjet à rejetter mes veuz Qu’il n’accordera point le trespas que je veux. La crainte d’un effet contraire à mon envie Est le mal plus cruel qui traverse ma vie. Tirez.         Hà je voy bien que l’injure du sort Pour allonger mes maux a differé ma mort. La fortune sans yeux quelquesfois secourable En a pris aujourd’huy pour m’estre favorable, Et le Ciel qui sçait bien ce que j’ay merité Accorde le hazard avecque l’equité. Suivez donq le destin dont la force immortelle Voulut que vostre bras finît cette querelle. Cheres ombres jadis l’ornement des mortels Si l’on ne vous fait pas des veuz et des autels, Vous aurez pour le moins une juste victime Que ce guerrier apporte à mon deuil legitime. Puisque tu cheris tant des ombres sans pouvoir Pour faire un trait d’amy tu les doibs aller voir. Quelle fureur les porte, et quelle violence Accompagne les coups que chacun d’eux eslance. Le tonnerre fondant d’un nuage escarté Choque aveq moins d’effort le monde espouvanté. Ton sang est mon espoir, et le prix de ma peine. Le travail les contraint de reprendre l’haleine. Ne te repose point, la force de ce bras Te fera reposer plus que tu ne voudras. Mais qui sont ces guerriers plains d’ardeur et d’audace, Qui d’un pas orgueilleux mesurent cette place. Cavaliers, quel dessein vous arme maintenant, Et quel des deux partis allez vous soustenant ? A dessein de finir une longue querelle Nous paraissons ensemble où l’honneur nous appelle, Et je me voy contraint d’opposer mon effort Aux injustes rigueurs de la hayne et du sort : La passion aveugle alors qu’ elle est extreme Donne à ces cavaliers des mouvemens de mesme. Seul de tous vos subjets de cette affaire instruit Je restablis l’honneur qu’un soupçon a destruit, Et malgré les assauts que l’innocence souffre Je puis seul retirer la verité d’un gouffre. On ne l’en peut tirer si ce n’est par le fer. Elle peut aysement sans armes triompher. Alors que Cloridan eust appellé Lisandre, Mille murmures sourds me le vindrent apprendre : Aussi tost l’amitié me pressa de courir Ou pour les separer ou pour les secourir, Mais j’arrivay trop tard, Cloridan sur la place N’estoit plus dans son sang qu’un homme tout de glace, Et Crisante pressé d’un semblable malheur Loüoit mesme en mourant Lisandre et sa valeur. Que si quelqu’un vouloit avancer le contraire Voicy de quoy prouver ce que je ne puis taire. Quel indice avez vous que Lisandre ayt commis Un si láche attentat envers vos deux amis ? Quel ? je n’en sçache point, mais l’honneur me convie De vanger mes amis, ou de perdre la vie. Ce discours nous fait voir l’injuste passion Qui vous porte aujourd’huy dedans cette action. On ne peut conserver le tiltre d’equitable Et croire en mesme temps que Lisandre est coupable. Aussi comme son Roy propice à son bon-heur Je luy donne sa grace, et luy rend son honneur. Apres avoir icy descouvert vos courages Genereux cavaliers descouvrez vos visages. Et vous cher Lucidan embrassez ce guerrier Qui vient de disputer aveq vous le laurier. Hé Dieux c’est Hyppolite !         Há je suis sans remede Et j’ay plus de fureurs que l’enfer n’en possede. Il me faut retirer.         Un tel evenement Ne met en mon esprit que de l’estonnement. Est ce mars ou venus ? la force de ses armes Me descouvre le Dieu qui preside aux allarmes, Et tant d’attraits divins m’apprenent à leur tour Qu’on void en cet habit la mere de l’amour, Ou je croiray plustost que la nature assemble Dedans un mesme corps Mars et l’Amour ensemble. Invincible Amazonne, adorable en tous lieux, Et dont la main sçait vaincre aussy bien que les yeux, Qui vous a pû contraindre à monstrer que la gloire Vous réservoit icy des palmes de victoire ? Genereuse beauté quel glorieux dessein Vous a mis aujourd’huy les armes en la main ? Les vertus de Lisandre accusé sans offence M’obligent maintenant à sa juste deffence. Les cieux, de qui les yeux ne sont jamais fermez, Font voir à sa faveur les deux sexes armez, Et sa seule innocence est si forte et si belle Qu’ils n’ont mis qu’une fille à combattre pour elle. Ainsi sans y songer le monde glorieux Possede une Minerve aussi bien que les Cieux, O merveille sans pair, dont l’effet incroyable N’ayant pas esté veu sembleroit une fable ! Qui ne s’estonneroit apres tant de hazards De voir un corps de fille aveq un cœur de Mars ! Jadis les cavaliers prodïgues de leurs armes Deffendoient les beautez, et la gloire des dames, Mais malgré les perils aux armes familiers Les dames aujourd’huy vangent les cavaliers. Mais qui peut empescher qu’on ne voye Lisandre ? Lors que vous eustes dit qu’il se viendroit deffendre, Le dessein de le voir me fit aller aux lieux Ou je croyois jouïr de l’aspect de ses yeux ; Mais j’appris que le soing de combattre l’outrage Ramenoit à la Cour ce genereux courage, Certain de son retour je perdis le soucy De le suivre plus loing, et de venir icy, Et ce fameux tournoy que vantoit l’Angleterre Appella mon courage à cette douce guerre, Là je trouvay Beronte, et je fus bien surpris De voir aussi Lisandre y disputer un prix, Aussi tost je luy dis qu’elle estoit l’assurance Que vostre majesté luy redonnoit en France, Et dés le mesme instant nous nous mismes sur mer Qu’un vent impetueux fit soudain escumer, Et toucha nos esprits d’un si triste presage Que le pilote mesme en changea de visage ; La peur luy fit quitter le soing de son vaisseau Et pousser son esquif à la mercy de l’eau, Il se jette dedans, Lisandre fait de mesme Non pas pour nous laisser en ce danger extreme, Mais affin de forcer ce pilotte insensé De reprendre le soing du vaisseau tout cassé. Cependant la tempeste augmente ses attaintes, Sa violence croist et fait croistre nos craintes, Et les flots complaisans aux vents imperieux Esloignerent Lisandre et l’esquif de nos yeux : Ce fut là que le Ciel fit tomber sur nos testes Le plus sensible coup de toutes ses tempestes, Et comme si la mer dedans son lit mouvant N’eust pas eu pour nous perdre assez d’eaux et de vent, Reduits à la mercy de si vives allarmes Nous luy donnions encor nos soupirs et nos larmes. Où fustes vous portez ?         L’aveuglement du sort Nous pensant abysmer nous jetta dans le port. Helas ! mon fils n’est plus !         Le Ciel nostre vray pere Conserve ses enfans lors qu’on en desespere. Mais un des combattans s’est retiré de nous, C’est celuy qui parust en mesme temps que vous. Que l’on suive ses pas.         C’est Lisandre peut estre, Que la mort de Cleandre empeche de paraistre. Je ne sçaurois penser qu’il soit si pres d’icy Sans nous venir oster de peine et de soucy. En est il donq coupable ? a-on quelques indices Qu’il ayt pû mettre au jour de si noires malices ? Autrefois un soupçon injustement conçeu Imprima ce penser dans mon esprit deçeu, Mais enfin je confesse en ce lieu venerable Que je suis criminel de l’avoir crû coupable. J’ay sceu qu’au mesme instant qu’un rigoureux effort Fit trouver à mon frère une subite mort, Lisandre aveq Tirsis estoit hors de la ville Et contre vos fureurs, il cherchoit un asile. Nous sçaurons à loisir tant d’accidens divers Que le temps a cachez, et qu’il a descouverts, Mais puis qu’on void Lisandre en un estat si triste Je veux estre son juge et celuy de Caliste, Et suivant les conseils que donne la raison Leur faire de ma cour une belle prison. Amis retirons nous apres tant de merveilles Que le Ciel fit expres pour estre sans pareilles. Pauvre pere attaqué des plus sensibles coups Que la rigueur du Ciel descharge dessus nous, Mal voulu desormais des puissances divines Le bien ne me vient voir qu’avecque des espines ; Le retour de Caliste appaisa mes souspirs Mais sa fuitte a produit de nouveaux desplaisirs ; Au point qu’on veut l’ayder, helas ! elle se tuë. Dieux que reservez vous à mon ame abatuë ? Sa douleur me contraint de l’ayder au besoing. Amy que dites vous ?         Caliste n’est pas loing. Ne me viens point flatter, puisque la flatterie Ne peut rien sur un mal, qui se change en furie. Vous la venez de voir en armes parmy nous, C’est elle que l’on cherche, et qui s’enfuit de vous. O merveilleux effet d’une desesperée ! Dis nous en quel endroit elle s’est retirée. Dans le bois de Boulogne un petit logement Luy fournit de retraite en son desguisement. Mon fils sans differer cherchez cette insensée Qu’un furieux amour a vivement blessée. Pour moy sans retarder selon sa volonté Je chercheray Lisandre où les eaux l’ont jetté. En fin tous mes soupçons changez en assurance M’ostent ce peu de bien que donne l’esperance, Et mon œil vray tesmoing assure mon esprit De la desloyauté que l’oreille m’apprit : J’ay veu cette rivale, et mes mains trop humaines N’ont pas mis au tombeau ce subjet de mes peines ! Je n’ay pas arraché de son sein entrouvert Et l’amour et le cœur du traistre qui me perd Mais comme si ses yeux en me venant surprendre Avoient vaincu Caliste aussi bien que Lisandre, A son premier aspect mon courage s’abat Et je quitte ma force et le lieu du combat : La honte qui me suit, et qui me sollicite, Me monstre malgré moy les vertus d’Hyppolite, Et me dit qu’un départ si peu premedité Est l’effet de sa gloire, et de ma lácheté ; Cette seule action aussi láche qu’infame Monstre qu’en cet habit je suis encore femme, Dont les desseins conçeus aveq beaucoup d’ardeur Au moindre empeschement ne font rien que froideur, Ce sont des flots naissans sur les ondes ameres Dont le moindre rocher affoiblit les coleres. Que j’ay sur ce subjet des sentimens peu sains ! Ha si le moindre obstacle arrestoit nos desseins, L’honneur et la raison opposez à ma flame, Eussent vaincu l’amour qui regne dans nos ames. Je tirerois ce bien du malheur où je suis Qu’une infidelité finiroit mes ennuis ; Mais Lisandre me quitte, et pourtant je fais gloire De conserver encor sa funeste memoire ! Il n’y faut plus penser, il est temps de perir, Mon honneur negligé me condamne à mourir, Aussi la seule mort est le bien où j’aspire, Elle tient dans ses mains la fin de mon martire ; Creve toy donq les yeux, acheve ainsi ton sort Par où l’amour injuste a commencé ta mort, Arrache toy le cœur, qui receut une peste, Et qui ne cogneut pas sa blesseure funeste ; Mais pourquoy destinay-je, ô favorable mort, Ou mes yeux, ou mon cœur à ton premier effort ? Frappe frappe à ton gré ce corps abominable, Ne choisis point d’endroits, il est partout coupable. C’est sans doute en ce lieu, qu’elle vient se cacher, Voyla le logement, où je la doy chercher. Qu’ay-je veu ! c’est mon frere.         Arrestez vostre fuite, Recompensez ainsi les soings de ma poursuite. Laissez moy disposer du reste de mes jours, Puisque la seule mort a pour moy du secours. Qui vous fait sans subjet discourir de la sorte ? Les malheurs eternels où le destin me porte. Relevez vostre espoir, ma seur, assurez vous Que le Ciel pitoyable a perdu son courroux, Et que malgré les traits du mal qui vous offence Il vous suffit qu’un Roy soit à vostre deffence. Helas ! qu’avez vous dit ?         Suivez moy seulement, Et j’en diray bien plus pour vostre allegement. Mais pourray-je paraistre, où la raison m’accuse ? L’amour est vostre mal, l’amour est vostre excuse. L’amour est le bourreau, qui me fera mourir. Si vous avez du mal, laissez vous secourir. Helas ! au mesme instant qu’une belle esperance Me presentoit le bien qui m’attendoit en France, Au point mesme qu’un Roy finissoit mes travaux Les fureurs de la mer recommencent mes maux, Et Neptune envieux de ma bonne fortune La contraint de changer et de m’estre importune, Ainsi quand j’ay trouvé la grace des humains La disgrace des dieux me l’arrache des mains : Alors que j’espérois le repos de la terre Les autres Elemens m’ont declaré la guerre, Et se sont rencontrez dans le mesme dessein De combattre le Dieu que j’ay dedans le sein; La mer enfla les eaux, l’air se couvrit d’orages Et le foudre et le feu nasquirent des nuages, Et parmy les assauts, dont nous fusmes pressez Tant d’eau douce tomba sur les flots courroucez, Que Neptune insensible à ma longue misere Perdit son amertume et non pas sa colere, Tous les vents deschainez n’observoient plus de loy L’horreur sort aveq eux des prisons de leur Roy, Et les rochers esmeus au bruit de ces tempestes En baisserent de peur leurs orgueilleuses testes ; Les flots nous eslevoient où nous portions nos veuz, Et les Dieux s’estonnoient de nous voir si prés d’eux ; Transportez dedans l’air par les vents et les ondes Nous ne trouvions par tout que flames vagabondes, Si bien qu’il nous sembloit que la fureur de l’eau Dans la sphere du feu portast nostre vaisseau, Ou que pour adjouter de la crainte à nos ames Le sort nous fit voguer sur l’element des flames. Ce fut là malgré nous le chemin malheureux Qui nous fit arriver en ce desert affreux. Aveq tant de soupirs et de pleurs inutiles Dont j’arrouse sans fin ces terres infertiles. Je ne perds pas le mal dont je me sens attaint. N’entends-je pas la voix de quelqu’un qui se plaint ? Miserable Leon crois tu que ton courage Resiste plus longtemps aux efforts d’une rage ? Et qu’il puisse eviter ces renaissantes morts Que te donne sans cesse un trop juste remords ? Helas ! depuis le jour que ma main criminelle Precipita Cleandre en la nuit eternelle. Bons Dieux qu’ay-je entendu ?         Mille et mille vautours Me devorent le cœur qui renaist tous les jours, Et parmy les douleurs où mon ame est portée Je suis sur ces rochers un autre Promethée ; En vain j’ay fait le choix d’un si triste sejour Affin de me cacher des hommes et du jour, En vain je fuy le monde en ma misere extreme Puisque je ne puis pas me cacher à moy-mesme : Tout l’enfer me poursuit aveques ses flambeaux Et mes propres pensers me servent de bourreaux. Par tout un criminel trouve qui le travaille, Et porte son enfer en quelque lieu qu’il aille. Puis-je croire aysement au milieu de mes fers Qu’on trouve tant de bien en des lieux si desers ? Conduits par la faveur des bonnes destinées N’aurons nous point pris terre aux isles fortunées ? Vents, Neptune, tempeste, effroyables tourmens Combien doy-je de veuz à tous vos mouvements ? Penetrons plus avant en cette solitude. Leon tu finiras ma longue inquietude, Resous toy maintenant ou de suivre mes pas Ou d’esprouver icy les rigueurs du trespas. Helas ! j’avois jugé que ces lieux effroyables Estoient faits seulement pour les esprits coupables. Responds moy.         Si le Ciel ne m’avoit destiné A finir le tourment que je vous ay donné, Hà Lisandre mon bras armé contre ma vie Eust desja mille fois prevenu vostre envie, J’iray j’iray par tout, où vos pas tourneront Et si vous le voulez les enfers me verront. Paris te reverra, ta voix et ta presence Briseront tous les fers, qui chargent l’innocence. Rentrons dedans l’esquif, les ondes et les Cieux N’ont plus qu’un front riant qui rasseure nos yeux. Jamais tant de beautez ne forcerent mon ame A fléchir soubs les loix d’une amoureuse flame, Hyppolite sçait vaincre avecques tant d’attraits Que le vaincu se plaist à mourir de ses traits ; Mon esprit attiré par ses douces amorces A plustost ressenty que recognu ses forces, Mais je voy cette belle, et je sens que mon cœur Veut aller au devant d’un si noble vainqueur. En fin j’ay veu Caliste, et j’ay fait aveq elle Une ferme alliance au lieu d’une querelle, Et pour vous tesmoigner coment elle me void Elle m’a fait present des armes qu’elle avoit. Elle peut bien vous craindre, et vous ceder les armes, Puisque les plus parfaits les cedent à vos charmes. Par tout où nous voyons des hommes comme vous La mesme flatterie a du poison bien doux. La loüange est bien juste alors que l’on la porte, Où la force est si belle, et la beauté si forte ; Mais apres tant d’effets, qui rendent en ces lieux La terre glorieuse, et le ciel envieux, L’amour est estonné de vous voir sous ces armes Sçachant que pour tout vaincre il ne faut que vos charmes, Et que vostre œil divin sans le secours de Mars Attire autant de cœurs qu’il jette de regards. Si l’amour eust jugé ma puissance assez forte, Il ne m’eust pas donné les armes que je porte. Ce ne fut qu’à dessein d’apprendre à nos esprits Que de toutes façons vous remportez un prix, Et que le fer en main, et les yeux plains de flames Vous captivez les corps dont vous avez les ames. Vos armes n’ayant pû triompher de mes jours Vous voulez faire icy triompher vos discours. Que j’aurois triomphé si mes premieres plaintes Portoient jusques à vous de legeres attaintes, Et si vos yeux vainqueurs pouvoient voir dans les miens Que mon ame captive adore vos liens : Mais que sçay-je indiscret en vous donnant de larmes Si vostre cœur n’est pas aussi dur que vos armes. Que vous empruntez bien le visage d’Amant ! Que vous vous plaignez bien sans avoir de tourment ! Le temps vous fera voir, et vous fera comprendre Ce que vostre beauté vous pourroit mieux apprendre, Cependant je vous laisse, et j’espère qu’un jour On vous verra sensible au feu de mon Amour. Puis-je estre sans transports ou ma triste pensée Entretient les douleurs de mon ame insensée ? Puis-je estre sans fureur, où l’amour me fait voir L’astre de mon malheur et de mon desespoir ? J’ay veu j’ay veu Caliste, et mon sort redoutable M’a monstré dans ses yeux ma perte inévitable. Pourquoy veux-je accuser ses attraits glorieux ? Lisandre a fait le mal dont j’accuse ses yeux, Le traistre languissant pour une feinte playe Dans mon cœur amoureux en a fait une vraye, Et ce perfide auteur de mon premier ennuy Me vint offrir un cœur qui n’estoit plus à luy, Ce n’estoit qu’un miroir où je ne pûs cognaistre Que l’amour n’y parût qu’afin de disparaistre, Ou c’estoit une terre avecques ce deffaut Que le dedans est froid quand le dessus est chaud : Mais je blasme Lisandre, et je ne puis moy mesme Me deffendre des traits de la beauté qu’il ayme, Mon œil en la voyant demeuroit enchanté, Et si j’eusse eu mon cœur elle me l’eust osté. Mon ame millefois de sa grace ravie Luy consacroit desja le reste de ma vie, Et croyant cet habit que mon sexe dement J’allois sans y songer devenir son amant. Je cherche les attraits que j’ay pardessus elle Pour rendre à ma faveur Lisandre plus fidelle, Et je ne trouve rien dans mes soins superflus Sinon que je suis fille, et qu’elle ne l’est plus : Mais dans ceste recherche, où l’amitié me porte, Ce qui me desespere, et qui la rend plus forte, C’est que malgré mes vœux ses superbes appas Ont l’amour de Lisandre, et que je ne l’ay pas. Que fais-je donq icy toute pleine d’allarmes ? Je veux quitter ensemble et la cour et mes armes, Et prendre celles là que Caliste vestit Alors qu’elle parût, et que l’on combattit ; Qu’on blasme mon dessein, que chacun s’en offence, Je n’ay que mon caprice aujourd’huy pour deffence. Ainsi je chercheray par un chemin de pleurs L’infidelle subjet de mes longues douleurs, Conduite par l’espoir de le revoir encore J’irois où le soleil fait renaistre l’Aurore, J’irois ou la vigueur de ses quatre chevaux Precipite le jour au bout de ses travaux, Et l’effet sans pareil d’une amour sans pareille S’il ne l’emplit de feu, l’emplira de merveille. Apres tant de soucis, et des maux si puissans Que ta rencontre plaist à mes yeux languissans, Jamais le jour naissant n’obligea d’avantage Les desirs de celuy, que la douleur outrage, Et jamais un pilotte apres de longs souspirs Ne rencontra le port avec plus de plaisirs : Toutesfois le discours que tu me viens de faire M’estonne tout autant qu’il m’a pû satisfaire, Hyppolite et Caliste au mespris de la mort Ont fait pour mon Amour ce genereux effort ! Ha si les beaux effets de ces douces merveilles Eussent touché mes yeux plustost que mes oreilles, J’eusse crû que mes yeux eussent esté charmez Me voyant deffendu par deux anges armez, Ou plustost que Pallas, et Venus sans envie Eussent fait leur accord pour deffendre ma vie. Mais il faut par ce mot que Caliste m’escrit Adoucir les langueurs qui me chargent l’esprit, L’amour vray medecin du mal qui me possede En met dans ce papier le souverain remede. Qu’ay-je veu ! qu’ay-je leu ! que ce triste discours Est contre mon espoir, et loing de mon secours ! Où je pensois trouver des plaisirs tous celestes J’y trouve les enfers, et des maux plus funestes ; Où mon espoir trompeur me promettoit des fleurs Un veritable mal y fait naistre des pleurs ; Au lieu de rencontrer cette douce justice Qui fait la recompense, et la joint au service, J’y treuve celle là qui n’a point d’autre effet Que d’inventer la peine et la joindre au forfait : Aussi suis-je coupable, et mon crime consiste En ce que j’ay causé les soupçons de Caliste, J’ay fait autant de maux en vivant sous sa loy, Qu’Hyppolite receut de paroles de moy. Monsieur, voicy Caliste avec les mesmes armes Qui couvrirent pour vous ses beautez et ses charmes. O l’heureuse rencontre ! Amour faits voir icy Que la fidelité fut tousjours mon soucy. Je voy mon desloyal, il s’avance le traistre, C’est sans doute en ce lieu que je le doy cognaistre, Ses esprits esgarez dans le ravissement Se laissent abuser par mon desguisement, Et ses yeux où la feinte est sans cesse occupee Le tromperont luy mesme apres m’avoir trompée. Belle que la valeur, les graces, et le jour Firent la seur de Mars, et la mere d’Amour, Puisque le ciel plus doux vous fait revoir Lisandre, Ne le condamnez pas avant que de l’entendre ; Les soupçons plus puissans n’ont jamais le pouvoir De faire criminel, mais de nous decevoir, Et la fidelité que garde mon courage Peut ceder à la mort, et non pas à l’ouvrage, Les Cieux m’en sont tesmoings, et les Dieux sont jaloux D’avoir dans mon cœur moins de place que vous : Je sçay que le rapport des amours d’Hyppolite A remply vostre esprit du soupçon qui l’irrite, Et ma voix aujourd’huy ne sçauroit pas nier D’avoir feint que mon cœur estoit son prisonnier. Há traistre.         Mais jugez pour ma flame eternelle Que ce fut un effet de la voix paternelle, Et sans rendre mon cœur ou volage ou suspect Voyez ce que l’on doibt à la loy du respect : Hyppolite a des traits dont la grace apperceuë Limite son pouvoir à contenter la veuë, Mais Caliste plus forte a des attraits vainqueurs Qui contentent les yeux, et captivent les cœurs. Apres avoir souffert de si sanglans outrages A quoy me resoudront mes fureurs et mes rages ? De qui doy-je esperer la fin de mes tourmens ? Vous la devez trouver dans mes embrassemens. Que l’on croid aysément tout ce que l’on desire ! Cruel ne pense plus que Caliste respire, Tu vois son homicide.     Helas !         et Lucidan Prest à sacrifier ton sang à Cloridan. Si ce bras a vaincu celle qui te surmonte, Juge combien ce fer te prepare de honte. Qu’une divinité soit morte à mon secours ! Ses armes que je porte asseurent mon discours. Tu trouves son amant et son vangeur ensemble, Et pour ton chastiment le destin les assemble. Le malheur me renverse, et non pas ta valeur. Ce dernier coup t’immole à ma juste douleur. Traistre voy l’ennemy, que le sort t’abandonne, Suy tous les mouvemens que la rage te donne , Et si tu veux plustost accomplir ton dessein Je quitteray ce fer qui me couvre le sein, Desloyal ne feins plus, acheve ton envie, M’ayant osté le cœur tu peux m’oster la vie, Et j’ayme autant mourir par ton bras irrité, Que par les traits sanglans de ta desloyauté. Tu t’estonnes perfide, et tu quittes les armes, Lors que tu dois m’ayder et finir mes allarmes ; Tiens, tiens, reprens ce fer, et le cache en mon flanc, Mes feux le rougiront bien plustost que mon sang ; L’atteinte de ce fer me sera moins nuisible Que l’infidelité, que tu rends si visible. Insensible rocher aux tourmens que tu vois Tu demeures encor sans effet et sans voix, Et les cris superflus de mes peines cognues Ne vont pas jusqu’à toy bien qu’ils percent les nuës. Ha traistre c’est en vain que ton bras rigoureux Me refuse la fin de mes jours malheureux, Apres avoir acquis le tiltre de perfide Tu ne peux eviter celuy là d’homicide, Je m’ayderay moymesme, et j’obtiendray de moy La douceur du repos que j’attendois de toy. Qu’avez vous resolu ? que faites vous Madame ? Perfide je te rends les preuves de ma flame, Et puis que ta rigueur a refusé mes veuz, Je les donne à la mort aussi bien que mes feuz. Convertissez sur moy ce dessein effroyable, Si vous voulez du sang, que ce soit d’un coupable, Ou si je suis indigne au milieu de mon dueil Qu’une si belle main me conduise au cercueil, Voyez moy recevoir sans malice et sans feinte Le libre chastiment d’une offence contrainte. Ha ! Lisandre vivez tant que voudra le sort, J’ayme bien mieux vous voir infidelle que mort, Sans rendre contre vous vostre main criminelle Contentez vous en fin du crime d’infidelle. Si mon Amour se plaint, croyez que ce n’est pas De vous voir engagé dessous d’autres appas ; Caliste est trop aymable, et son visage d’Ange Semble avoir esté fait pour excuser un change, Et sans autre pouvoir sa divine beauté Feroit changer de nom à l’infidélité ; Mais l’effet outrageux de vostre seule feinte Qui croiroit que l’amour estant Dieu si puissant Voulut prester son nom à tromper l’innocent ? Lisandre, la nature esgalle en ses merveilles Donne tousjours deux mains, deux yeux, et deux oreilles, Mais sçachant vostre feinte, et voyant mes langueurs Qui ne voudra juger qu’elle donne deux cœurs. L’on me doit reprocher que mon ingratitude Est un triste loyer de vostre inquietude, Mais lors que la raison vous forcera de voir Que ceux qui sont liez ont bien peu de pouvoir, Tous vos ressentimens excuseront mon crime, Qu’une amour violente a rendu legitime. J’accuseray tousjours vos discours criminels Dont la feinte me plonge en des maux eternels, Et qui ne peuvent rendre à mon ame asservie La douce liberté que vous m’avez ravie. Accusez les desseins d’un pere rigoureux, De qui la volonté nous a fait mal-heureux ; Accusez le respect et ses loix inhumaines, Puis qu’il a seul causé vos tourmens et mes peines. Vostre infidelité ne se peut excuser, Vous pouviez bien me voir et non pas m’abuser ; Sans estre obeissant à mon desadvantage Vous pouviez d’un regard refroidir mon courage, Et les loix du respect ne vous obligeoient pas A feindre que l’amour accompagnoit vos pas. Il est vray que j’ay tort, et mon ame confuse Feroit un autre crime en cherchant une excuse, Mais croyez que vos pleurs diviseroient mes feux, Si le cœur sans mourir se divisoit en deux : Mon Amour tient si fort de l’ame raisonnable Qu’il ne peut diviser sa flame incomparable. Et le mien tient si fort de la Divinité Qu’il ne se peut changer par l’infidelité ; La rigueur, le mespris, la fortune, et le blasme N’ont point d’empeschemens qui retiennent ma flame ; Mon Amour est un feu qui brusle dans les eaux, Mes souspirs eternels allument ses flambeaux, Et j’apprends aujourd’huy de ma perseverance Qu’il peut vivre aysément où se perd l’esperance. He Dieux peut-on aymer la cause de son mal ! C’est en quoy mon malheur ne treuve point d’esgal, C’est en quoy je cognois, esclave malheureuse, Qu’il n’est point d’autre enfer que la peine amoureuse. Ne pensez pas pourtant que mon ressentiment Invite vostre esprit à quelque changement, J’ayme trop la constance, et ma franchise advouë Que vostre eslection merite qu’on la louë, Ce point seul me console et finit mes souspirs Qu’une Deesse en terre engage vos desirs ; Mais voyez mes tourmens d’un œil plus equitable Qu’autrefois vostre Amour ne parût veritable, Les grands maux ont ce bien qu’ils font naistre en tous lieux La pitié dans les cœurs, et les larmes aux yeux. Si Caliste adorable autant qu’elle est fidelle Ne peut rien dans mon cœur endurer avec elle, Elle s’accordera de vous entretenir Et de vivre avec vous dedans mon souvenir, Et je promets en fin au secours de vostre ame Tout autant d’amitié que vous avez de flame. Mais un homme incognu s’avance devers nous, Il s’en faut informer, Amy d’où venez vous ? Je reviens de la Cour,         Hé bien quelles nouvelles ? Qui tient le premier rang au nombre des plus belles ? Chacun selon l’amour qui le tient arresté Prodigue librement le prix de la beauté, L’un le donne à Caliste, un autre s’en irrite, Et le donne par force aux attraits d’Hyppolite. Que dit-on de Caliste ?         On dit communement Que Lucidan la voit en qualité d’amant. En qualité d’amant !         Puis au siecle où nous sommes La verité se trouve aux paroles des hommes. Et je croy que l’Hymen uniroit leurs amours Si Varasque n’eut pas interrompu leurs cours. Comment cela ?         Varasque ennemy de Lisandre Vange par un combat le trespas de Cleandre : La volonté du Roy permet à son effort De monstrer que Lisandre est l’auteur de sa mort, Si bien que Lucidan et sa nouvelle amante Moderent par la peur le feu qui les tourmente. Voila ce que l’on dit.         Adieu. Que les malheurs M’ont en fin réservé de cruelles douleurs ! Que je voy desormais dans le cours de mes peines Un remede incertain et des pointes certaines ! Caliste changeroit ! elle sur qui le ciel Avoit en vain versé tout ce qu’il a de fiel ; Elle dont les sermens fonderent mon attante, Et qu’Amour et le mal trouverent si constante. Si je n’avois un cœur appris à resister, Pourrois-je sans mourir tant d’ennuis supporter ? Son desplaisir me touche, et sa douleur extreme Me force maintenant à me trahir moy-mesme. Ce captif ayant mis son innocence au jour. Je veux prendre le soing d’y monstrer vostre amour, Et je tesmoigneray par ce dernier office Que pour vous secourir je m’expose au supplice. Vous monstrez vostre force, et vos perfections A surmonter ce Dieu qui fait nos passions. Je tesmoigne combien mon ardeur est extreme, Et qu’amour ne peut plus en produire de mesme. Allons, Lisandre, allons, et souffrez de ce pas Que ma voix vous deffende, aussi bien que mon bras. Aussy tost que le Ciel eut fait naistre les princes Qui tiennent dans leurs mains le destin des Provinces, Il fit naistre icy bas la Justice et les loix A dessein de garder les peuples et les Rois. Le peuple est sans justice une rage mutine, Le sceptre est sans les loix un arbre sans racine, Et s’il n’est soustenu des mains de l’equité Il tombe en un instant de sa prosperité : Sa cheute nous fait voir des miseres certaines, Et le prince et le peuple en partagent les peines. Jadis nos premiers Rois tousjours victorieux Ne portoient sur leur front qu’un bandeau glorieux, Et c’estoit pour monstrer que leurs braves courages Estoient de l’equité les vivantes images ; Aussy pour tesmoigner que les loix ont tousjours Limité ma puissance et gouverné mes jours, Mon jugement permet ce combat legitime Qui doit montrer au jour l’innocence ou le crime : Quiconque sçait regner sçait observer les loix Et soustenir par tout la force de leurs droits. Adraste, la raison te defend d’entreprendre Ce que ton amitié te permet pour Lisandre. Varasque, mon effort fera voir à son tour Que je sçay conserver ce que j’ay mis au jour. Et la justice mesme au combat occupée Pour vanger l’innocent me preste son espée ; Le tiltre d’innocent, non pas celuy de fils M’oblige à soustenir tes orgueilleux deffis. Cessez de prodiguer vos jours et vos courages Au point que le repos triomphe des orages. L’on diroit que Pallas en ces habits cognus Vient disputer encor la pomme de Venus. Leon approchez vous, et finissez la peine Dont vous avez esté l’origine certaine. Grand Roy, dont le renom vole en autant de lieux Que le Soleil en void sous l’espace des cieux, Ce bras seul a produit les effets deplorables Qui de deux vertueux ont fait deux miserables ; Jusqu’icy le soupçon s’est rendu trop puissant, Caliste est innocente, et Lisandre innocent. Cette main criminelle au desceu de Lisandre A rempli le tombeau des cendres de Cleandre, Et si quelque coupable a le feu mérité L’on doit ce chastiment à ma meschanceté. Que cét evenement me trouble et me console ! Que je tire de bien d’une seule parole ! Saisissez vous de luy, cette confession Merite que l’on songe à sa punition. Mais n’apprendrons nous rien du destin de Lisandre. Sire ce Cavalier vous le peut bien apprendre. Doy-je croire aujourd’huy le rapport de mes sens, Qui trompa si souvent mes esprits languissans ? Prince, de qui la gloire est l’objet des Monarques Où les Dieux ont laissé leurs plus visibles marques, J’esprouve apres les maux, qui m’ont fait une loy, Que le souverain bien consiste à voir son Roy : Mais puisque le malheur n’a plus rien qui m’outrage Et que mon innocence a surmonté l’orage, Souffrez que je m’oppose à ces láches esprits Qui foulent mon renom d’un orgueilleux mespris, Et dont la violence à mon aspect captive Alloit mettre au tombeau Caliste toute vive. Permettez une fois à mon cœur allegé De vanger nostre honneur mille fois outragé. Le honteux repentir d’une telle injustice Vous vange en mesme temps qu’il leur sert de supplice. Mais pour finir des maux si cuisans et si forts Que les embrassements estouffent vos discords. Adraste, Dorilas, mon imprudence extreme Cherchant un criminel le fait voir en moymesme ; Caliste, et vous Lisandre ordonnez en effet La reparation du crime que j’ay fait. Ne parlons plus de crime où paroist l’innocence. Et qu’un parfait accord prenne icy sa naissance. Mon fils que je t’embrasse apres tant de soupirs Que ton heureux retour convertit en plaisirs. Ma fuite m’a rendu digne de mille geynes Alors qu’elle a causé vos souspirs et vos peines. Lisandre voy Caliste assuré de ton Roy, Et vous et Dorilas approchez-vous de moy. Adorable prison des libertez des ames, Vous pour qui tant de cœurs se sont changez en flames, Et de qui les vertus et les divins appas Triomphent bien souvent que vous n’y pensez pas, Arrestez d’un regard mon bonheur, ou ma perte, Faites moy voir le port, ou bien la tombe ouverte, Je ne descendray pas dans l’horreur des enfers Sans sçavoir endurer des flames et des fers. Lisandre assurez vous, qu’une jalouse flame Laisse aujourd’huy l’amour paisible dans mon ame. Donq apres tant de maux Hymen doit à son tour Allumer son flambeau de celuy de l’amour, Et je veux que ses loix donnent sans plus attendre Et Lisandre à Caliste, et Caliste à Lisandre. De vostre volonté dépendent nos desirs, Et de vostre vouloir nous tirons des plaisirs. Grand Roy juste par tout, que sans peyne et sans guerre Le ciel charge vos mains du sceptre de la terre. Et pour rendre ce jour plus luisant et plus beau Il faut qu’un autre Hymen y monstre son flambeau, Lucidan dont la race est esgalle au merite Doibt joindre ses vertus à celles d’Hyppolite, Si toutesfois leurs veux d’accord avec les miens Aspirent librement à de si doux liens. Que ces liens plairont à mon ame asservie. Si la belle Hyppolite y veut joindre sa vie. Le respect que je doibs à vostre Majesté M’a fait tousjours flechir sous vostre volonté. Et le bien qui finit les ennuis de Caliste Rend mon cœur plus content, qu’il n’avoit esté triste. Si nous avons du bien, Madame, nous devons A vos rares vertus celuy que nous avons. Rendez aux immortels les premieres loüanges Du bien-heureux succez de tant d’effets estranges, Apres avoir fait voir qu’au mespris des douleurs L’innocence et l’amour triomphent des malheurs. FIN