Ha ! Laisse moy mourir.         Que moy-mesmes je meure, Si je souffre qu’ainsy vous advanciez vostre heure : Mais encore, Seigneur, qu’ay-je dit, pour vous voir Tomber mort à mes pieds d’un coup de desepoir ? Faut-il que la douleur triomphe d’un courage, Qu’on a veu triompher dans ces champs de carnage ; Où croissent pesle-mesle et Cypres, et Lauriers, Qui degouttent du sang des plus fameux Guerriers ? Vous avez grand sujet de crainte et de tristesse, Mais se desesperer est marque de foiblesse ; Agissez d’un esprit et plus fort et plus doux, Donnez loisir au Ciel de travailler pour vous ; Ses rayons eternels dissiperont la nuë, Par qui la Verité se cache à vostre veuë. Ne viens-tu pas icy pour me la descouvrir ? Ne ferme plus ton cœur à qui tu dois l’ouvrir ; N’est-il pas vray, Fernand, que quelque main barbare A massacré Clarice au milieu de Megare ? Et qu’enfin elle est morte en ce fameux sejour, Où ses premiers regards ont salüé le jour ? Helas ! Lors qu’on donnoit cette Ville au pillage, Qu’à l’envy les Soldats la couvroient de carnage, Qu’ils changeoient chasque ruë en un fleuve de sang Et qu’ils ne respectoient âge, sexe, ni rang ; L’auroient-ils espargnée, et seroit il possible Que je pusse parer à ce coup si sensible ? En la faisant mourir, ces Cruels ont tranché Le nœu qui me tenoit icy bas attaché ; Elle est ensevelie en la perte commune ; Mais malgré tes conseils je suivray sa fortune. Sa fortune, Seigneur, est encore à sçavoir. Ha ! Je n’espère pas de jamais la revoir. Il est vray qu’à Megare en vain je l’ay cherchée. Courons donc au tombeau, c’est là qu’elle est cachée. Ne précipitez point le cours de vostre sort, Attendez ;         Je n’attens que le coup de la mort. Tant qu’un reste d’espoir a consolé mon ame, Je me suis conservé, pour conserver la flame Dont j’ay caché l’esclat assez adroitement, Pour estre creu son Frere, et non pas son Amant. Mais si toute esperance aujourdhuy m’est ravie, En perdant ma Maistresse il faut perdre la vie ; Et que sans differer les cendres du tombeau De tous les feux d’Amour estouffent le plus beau. Pourquoy devant le temps s’affliger de la sorte ? Mourrés-vous sans sçavoir si vrayment elle est morte ? Sur des doutes enfin qui possible sont faux, Devons-nous ressentir de veritables maux ? Il peut estre arrivé qu’une sanglante espée D’une si belle vie ait la trame coupée ; Mais en produirez-vous un tesmoin asseuré ? Le bien qu’on croit perdu n’est souvent qu’esgaré ; Qui sçait si de la mort ce beau corps est la proye ? On ne le treuve point, quelque soin qu’on employe. S’est-il avec son ame envolé dans les Cieux ? Ou s’il est sur la terre invisible à nos yeux ? Elle est peut-estre au port à l’abry de l’orage, Tandis qu’imprudemment vous courez au naufrage ; Elle est encor vivante, et vous voulez mourir ; Mais si vous perissez, on la verra perir. He ! quoy pourroit-on bien l’empescher de vous suivre ? Elle vous ayme trop pour jamais vous survivre. Puis-je de quelque espoir mes craintes adoucir ? Son destin est douteux, il s’en faut esclaircir. Depuis tantost deux mois que Megare est soûmise, Que malgré mes efforts des Barbares l’ont prise, Et qu’enfin sans Clarice ils m’ont conduit icy, Le corps couvert de coups, l’esprit plein de soucy ; Je tente tous moyens pour en avoir nouvelles ; Mais puis-je en recevoir qui ne me soient mortelles ? Le Ciel l’aura peut estre assistée au besoin ; Elle estoit son Chef-d’œuvre, il en aura pris soin. Le Ciel, qui m’est contraire, et se rit de mes larmes, L’auroit-il bien soustraitte à la fureur des armes ? Avant ton arrivée en ce bord estranger, En ces barbares lieux, en ces costes d’Alger, La rigueur de son sort ne m’étoit pas connuë, Et pour m’en esclaircir j’attendois ta venuë : Mais dés que je t’ay veu, ton geste et ta couleur Ne m’ont que trop appris ce funeste mal-heur ; Et je ne doute plus qu’une affreuse advanture Du lieu de son berceau n’ait fait sa sepulture. Seigneur, si j’en sçay rien, que le Ciel en courrous Me face un ennemy d’un Prince comme vous ; J’arrive de Megare, où loin d’avoir la veuë D’une jeune Beauté de tant d’attraits pourveuë, On ne voit plus qu’Objets dont les yeux sont blessés, Qu’hommes et bastimens pesle-mesle entassés ; Ce n’est plus qu’un Chaos de matieres sans formes, Où l’on a peint de sang mille crimes enormes ; Où mesme en la cherchant jusques parmy les morts, Mes mains ont remüé des montagnes de corps. J’ay par vostre ordre enfin avec assez d’adresse Visité ce sejour d’horreur et de tristesse ; Mais j’ay perdu mon temps, et j’en viens d’arriver, Pour vous dire qu’en vain on tasche à l’y treuver ; Elle est vivante ou morte ailleurs qu’en cette Ville, Qui par son grand débris estonne la Sicile ; Et qui n’a plus enfin face que d’un cercueil, Où de tous ses Palais est enterré l’orgueil. Qu’est-ce donc qu’en a fait le destin de la Guerre ? Est-elle dans la mer ? est-elle sur la terre ? Il venoit un Navire où peut-estre flottoit Le seul bien, cher Fernand, qu’au monde il me restoit : Il estoit tout chargé des Beautez les plus rares, Qui tomberent jamais aux mains de ces Barbares. Mais un grand coup de vent contre un roc l’a poussé, Et le roc l’a soudain en pieces fracassé : Du Glaive ou de la Vague elle a senty l’injure, Et la terre ou la mer luy sert de sepulture. Un danger est bien grand, si la vertu n’en sort, Et par fois d’un escueil le Ciel luy fait un port. Cachez doncques toujours avec beaucoup d’adresse, Soubs le doux nom de Sœur cette belle Maistresse ; Autrement ce secret se descouvrant à tous, Le Roy… mais il arrive.         Alphonse, approchez-vous, Mais de quel nouveau mal le trop sensible outrage Vous a depuis tantost si changé de visage ? Pardonnez, grand Monarque, à ma juste douleur, Je viens d’estre adverty de mon dernier mal-heur ; Il ne me restoit plus dans ma Ville natale Qu’une Sœur, que j’aymois d’une ardeur sans esgale ; On ne l’y treuve plus, et c’est mon sentiment, Que le sein de la mer luy sert de monument. Il est vray qu’un Vaisseau d’Esclaves nompareilles, Que mettoit la Sicile au rang de ses merveilles, A fait joug à l’orage, et qu’enfin les Nochers N’ont sceu le garantir des bancs et des rochers : Quelques-unes pourtant du péril sont sauvées ; Et sont mesme desja dans Alger arrivées. Courez donc au Palais, et cherchez à loisir Ce qui peut mettre fin à vostre desplaisir : De toutes ces Beautez qui malgré leurs tristesses, De la terre et du Ciel font briller les richesses, Et des plus Affligez charmeroient le soucy, Je ne veux reserver que celle que voicy. Hé ! celle que voicy c’est ma Sœur elle-mesme. Que voy-je ? est-ce mon Frère ? ha ! ma joye est extréme ;  Mais n’est-il pas perdu ? l’aurois-je retreuvé ? Hé ! qui vous a sauvée ?         Hé ! qui vous a sauvé ? De mille biens, grand Roy, je vous suis redevable, Mais deussay-je passer pour un homme insatiable, Et qui semble vouloir lasser votre bonté, Je demande ma Sœur à vostre Majesté. Il n’est rien que de moy vous ne deviez attendre ; Mais quant à vostre Sœur, pourrois-je vous la rendre ? Des lettres de ma main m’ont engagé d’honneur A la faire conduire en pompe au grand Seigneur ; Il ne m’écrit jamais, qu’il ne me sollicite D’envoyer au Serrail quelque Beauté d’élite ; La pitié de vos pleurs ne m’en peut dispenser, Et frustrer son espoir ce seroit l’offenser. Dieu ! que viens-je d’entendre ? ha ! funeste nouvelle ; Ha ! mon Frere.     Ha ! ma sœur.         Ha ! surprise mortelle ; Nouveau coup de Fortune, et par qui ma vertu Voit malgré ses efforts mon courage abbatu. A peine ma douleur, qui toute autre surpasse, Me laisse assez de voix, pour vous demander grace. J’ay donné ma parole, et ce que j’ay promis On me le voit tenir, mesme à mes ennemis. Mais quoy donc ? le Serrail n’a-t-il pas des merveilles, A ravir en tout temps les yeux et les oreilles ? Des bois et des jardins, que le froid des Hyvers Ne despoüille jamais de leurs ombrages vers ? Le chant de mille oyseaux, le bruit de cent fontaines, Y seront aussi-tost le charme de vos peines ; Et ce Roy qui peut tout ne vous y pourra voir, Sans vous jetter soudain ce glorieux mouchoir, Qui monstre que l’Amour allume dans son ame Les pressantes ardeurs d’une nouvelle flame. Combien d’autres Beautez prises dans vos liens, Brillent-elles d’attraits plus charmans que les miens, Pour donner à son cœur une atteinte amoureuse ? Ha ! je suis la moins belle, et la plus mal-heureuse. Appellez-vous mal-heur l’honneur d’aller ravir Un Roy que tant de Roys font gloire de servir, En combattant pour luy du Couchant à l’Aurore ? Appellez-vous honneur ce qui nous deshonore ? Et nous fait devenir par un crime odieux Le mespris de la terre, et la haine des Cieux ? Ha ! Sire, cét honneur, est pire que la honte, Puis qu’il fait que de nous on ne tient plus de conte : Et s’il faut ou mourir, ou m’en voir couronner, Puissent mille Bourreaux mes destins terminer : En moy la Chasteté seroit donc violée ? A d’infames plaisirs je serois immolée ? Il faudroit contenter un amour vitieux ? Il faudroit renier la Foy de mes Ayeux ? Il faudroit perdre enfin et mon corps et mon ame, Au milieu des ardeurs d’une impudique flame ? Si la crainte ou l’espoir m’y faisoit consentir, La terre s’ouvriroit afin de m’engloutir. Certes je ne sçay pas quelle nuict assez noire Vous cache le chemin qui vous meine à la gloire ; Vous serez adorée, et ce Prince indompté Ne recevra des loix que de vostre beauté. Dieu, que cette beauté me sera cher venduë ! Et que j’aurois gagné, si je l’avois perduë ! Il faut que par un traict de générosité J’immole mes attraits à ma pudicité, Et qu’à l’effort des ans j’oste enfin l’advantage D’effacer les couleurs qui peignent mon visage. Si je ne viens à bout de me défigurer A force de gémir, à force de pleurer, Ma main, ma propre main secondant ma tristesse, Arrachera ces fleurs qui parent ma jeunesse ; Tost ou tard aussi bien cét éclat passera ; Le Temps me l’a donné, le Temps me l’ostera. Monarque genereux, la Pitié vous convie A sauver de sa main ses beautez et sa vie. Laissez-vous emporter au torrent de ses pleurs, Ou noyez dans mon sang ma vie et mes douleurs. Aussi bien desormais quel rang tiendray-je au monde ? Moi qui traisne une vie en mal-heurs si feconde ; Qui ne possede pas mesme la liberté, A qui de tout bon-heur tout espoir est osté. Je ne suis plus qu’un poids inutile à la terre, Qu’un joüet de Fortune, un rebut de la Guerre, Qu’un mal-heureux Esclave, à qui rien aujourdhuy Ne reste qu’une Sœur qu’on separe de luy. Je sçay qu’ayant cent fois triomphé des plus Braves, Vous avez esté mis au nombre des Esclaves ; Mais à quoy se connoist vostre captivité ? Vous estes, peu s’en faut, en pleine liberté ; Et je vous ay laissé par honneur vostre espée, Quoy que du sang des miens elle ait esté trempée. Quel Vainqueur cependant vous eut esté si doux, Apres avoir receu tant d’outrages de vous ? Ayant osé vingt fois venir dans mes tranchées ; D’armes et de corps morts vous les avez jonchées : Et tout autre que moy vous auroit fait sentir, Que d’un bel acte mesme on se peut repentir. Ne vous pleignez donc plus de vostre servitude, Alphonse, elle n’a rien de honteux ny de rude ; Et vous voir tant chery d’un Roy tel que je suis, Devroit bien adoucir l’aigreur de vos ennuis. Il est vrai que jamais Vainqueur n’aura la gloire D’avoir sceu mieux que vous user de la Victoire : Mais pour moy, grand Monarque, ayez moins de douceur, Et ne refusez pas quelque grace à ma Sœur ; Le plus Clement des Roys est-il sourd à sa plainte ? Qui n’en ressentiroit quelque sorte d’atteinte ? J’ay pitié de ses pleurs.         Helas ! quelle raison Vous fait donc à mon mal refuser guerison ? Auriez-vous bien pour moy de ces pitiez cruelles, Qui pleignent nos douleurs, et ne font rien pour elles ? Leur donnent des souspirs, mais non pas du secours, Et peuvent toutesfois en arrester le cours ? Ne trompez point, grand Roy, l’attente que me donne Vostre bonté qui luit plus que vostre Couronne ; Qui tire à soy les cœurs par de nouveaux appas, Et fait plus de Captifs que n’en fait vostre bras. Il n’est point d’affligez qu’enfin elle n’assiste. Et nul d’auprès de vous ne s’en retourne triste ; Puiseray-je du mal d’une source de bien ? Et pour moy la Pitié n’obtiendra-t’elle rien ? La générosité de vostre Ame est trop grande, Pour ne m’accorder pas le bien que je demande ; Et si pour mon mal-heur je m’en voy refuser, C’est le Ciel, non pas vous, que j’en dois accuser ; C’est le Ciel qui se plaist à me voir miserable, Et qui seul à mes vœux vous rend inexorable. Mais n’est-ce pas assez que le Glaive en fureur Ait fait de nostre Vile un spectacle d’horreur ? Renversé les Palais ? désolé les Familles ? Tüé jusqu’aux enfans ? enlevé tant de filles ? Et qu’en un mesme jour la Guerre m’ait osté Père, parens, amis, richesse, liberté ? Helas ! ne rendez point mon destin plus funeste Conservez mon honneur, c’est tout ce qui me reste. J’en augmente l’esclat, je dissipe vos nuits, Et l’espoir de regner doit calmer vos ennuis : Vous avez tant d’appas, jeune et belle Princesse, Que du Maistre des Roys vous deviendrés maistresse ; Il sera vostre Esclave, et peut-estre qu’un jour L’Hymen achevera l’ouvrage de l’Amour. Que ne devez-vous point attendre de ces charmes, Dont l’esclat brille mesme au travers de vos larmes ? Un Royaume est petit, pour enfermer l’espoir De qui se fait aymer si tost qu’il se fait voir. L’espace d’un cercueil enclost mon esperance ; A la porter plus haut je voy peu d’apparance, Et je sçay trop combien de la Captivité On conte de degrèz jusqu’à la Royauté. Mais se peut-il jamais qu’un tel Prodige avienne, Que le Prince des Turcs espouse une Chrestienne ? Et dans Constantinople, au mépris de ses Loix, Face ensemble briller le Croissant et la Croix ? Vous changerez de foy, pour avoir son Empire. On me verra plustost marcher droit au Martyre, Et plustost me coucher, sans crainte des douleurs, Sur des charbons ardens, ainsi que sur des fleurs. Il est dans le Serrail mille Esprits de lumiere, Qui sçauront dissiper vostre erreur si grossiere ; Mais la Reine vous mande, et veut voir vos appas : Belle Esclave, allez donc la treuver de ce pas, Et puis vous partirez, si les vents sont propices, Pour aller au sejour de toutes les delices. Et puis je partiray pour aller à la mort : Mais avant que j’en vienne à ce dernier effort, J’arracheray la vie à qui prendra licence De faire à mon honneur la moindre violence. Ouy, quand pour me contraindre à quelque lascheté, Je verrois devant moy le supplice appresté, Je ne respecteray Sceptre ny Diadesme ; J’ay vescu chastement, et je mourray de mesme. Hé ! Sire, à ce discours ne connoissez-vous point Quel excez de courage à sa vertu se joint ? Ha ! si le grand Seigneur se porte à la contraindre, Il verra qu’une fille est quelquefois à craindre ; Et pourra justement un jour vous reprocher, Que vos presens sont beaux, mais qu’ils coustent trop cher. Ne m’en parlez jamais, vous pourriez me desplaire, Devenir importun, et mesme temeraire, Je vous le dis encore pour la derniere fois, J’en veux faire un présent au plus puissant des Roys. Que feray-je Fernand ?         La seconde priere Recouvre quelquefois l’honneur de la premiere ; Ne vous desgoustez pas pour un premier rebut, Et tirez tant de traits, que quelqu’un frappe au but. Les Roys comme il leur plaist reglant nostre fortune, Sont semblables à Dieu, qui veut qu’on l’importune. Accablé de douleur, desesperé, confus, J’auray la honte encor de souffrir un refus : Mais l’estat où je suis à tout me fait resoudre ; Allons donc recevoir ce second coup de foudre. FIN DU PREMIER ACTE. Que faites-vous, Madame, helas ! à quel dessein De tant de rudes coups plomber un si beau sein ? Vous outrager ainsi par un effort extréme, C’est du tort qu’on vous fait vous vanger sur vous méme. Mais si vous ne cessez d’offenser vos appas, Les fers, fussiez-vous Reyne, arresteront vos bras. Je dois respondre au Roy d’un si charmant visage ; Madame, plaignés-vous, mais sans vous faire outrage. A qui faut-il me plaindre, ou demander secours ? Les bontez de la Reine estoient mon seul recours ; Mais vous mesme avez veu comme en oyant ma plainte, Il sembloit que parfois elle fremist de crainte ; Ma fortune l’effroye ; et de peur de me voir, Au devant de ses yeux elle a mis un mouchoir. Peut-estre a-t’elle mis ce mouchoir sur sa veuë, Pour pleurer en secret la douleur qui vous tuë. Jugez donc de l’espoir qui reste à mes mal-heurs, Si la Reine ne peut me donner que des pleurs. D’un excez de pitié ses pleurs prennent naissance. Non, non, j’ay vainement reclamé sa puissance ; S’estendroit-elle bien jusqu’à me secourir ? On pleure rarement le mal qu’on peut guerir : Le mien est sans remede, et l’on se fait accroire Qu’à me couvrir de honte on aura de la gloire. C’en est fait, on s’en va me livrer malgré moy A ce puissant Barbare, à ce superbe Roy, Qui se fait appeler le Dompteur des Provinces, Le Seigneur des Seigneurs, et le Prince des Princes ; Mais perdant contre moy le tiltre de vainqueur, Quand il auroit le monde, il n’auroit pas mon cœur. Ce discours monstre un cœur plus grand que son Empire ; Mais Alphonse parest.         Mais Alphonse souspire ; Qui vous a si long-temps loin de moy retenu ? Que vous a dit le Roy ? Qu’avez vous obtenu ? Ha ! cruelle demande.         Ha ! response trop claire. Il faut mourir, ma Sœur.         Hé bien, mourons, mon Frere. Un roc est plus esmeu par les vents et les flots, Que le Roy par les cris, les pleurs, et les sanglots. Puis-je à tant de rigueur faire encor resistance ? La Fortune veut voir jusqu’où va ma constance ; Son desir curieux sera bien-tost contant. Que la Fortune monstre un visage inconstant ! Il n’est rien si fragile, et j’en fais bien l’espreuve, Puis qu’ainsi je vous pers dés que je vous retreuve : Que l’espoir en mon cœur meurt si tost qu’il est né, Et qu’on m’oste un tresor dés qu’on me l’a donné. Il faut donc que je parte ?         Ouy, sans nulle remise ; Le vouloir destourner d’une telle entreprise, C’est vouloir en son cours arrester un torrent, Esteindre en sa fureur un brasier devorant, Et surmonter enfin d’invincibles obstacles. Pour moy je ne sçay point faire tant de miracles, Mais je sçay bien mourir.         Que seroit vostre sort, Si de vostre vertu le prix estoit la mort ? La Reine m’a promis de m’estre favorable, Mais je crains qu’elle prie un Prince inexorable. Le Destin quelquefois se plaist à decevoir La crainte des mortels, aussi bien que l’espoir ; Je l’apperçoy venir, et lis en son visage De quelque bon succez un asseuré presage. Hé bien ! Madame, enfin faut-il vivre ou mourir ? Avez-vous quelque mal qu’on ne puisse guerir ? Le plus cruel de tous a déjà son remede. Après tant de mal-heur que tant d’heur me succede, Toute autre qu’une Reine auroit beau m’en jurer, Avant que sur sa foy je m’en pûsse asseurer. La raison me deffend de croire ce miracle, Mais de la verité vostre bouche est l’Oracle, Et ne demande rien qu’avecque tant d’appas, Qu’on ne peut l’escouter, et ne l’exaucer pas. Je ne vous flate point d’une fausse nouvelle, Vostre fortune change, et devient moins cruelle, Ce superbe Palais d’où vous n’osiez partir, N’est plus vostre prison, vous en pouvez sortir, Et croire qu’à ce poinct le Roy vous favorise, Qu’il rompt tous vos liens, et vous rend la franchise. Mais en vain vostre sœur tasche de le fléchir, Il ne m’a point donné d’espoir de l’affranchir ; Et devant que la nuit ait sa course bornée, Je crains qu’elle ne parte.         O dure destinée ! Helas ! me sauveray-je alors que je la pers ? Et pourray-je estre libre, et la voir dans les fers ? Les siens plus que les miens me causent de martyre ; J’ay deux maux à guerir, on me laisse le pire. Le Roy n’est-il cruel que pour moy seulement ? J’ay contre sa rigueur combatu vainement. Vous aviez quelque chose à surmonter encore De plus que sa rigueur.         Qu’est-ce donc ? je l’ignore. C’est mon malheur, Madame, il est grand, il est tel ; Que le vaincre n’est pas l’ouvrage d’un mortel. Vous avez combatu ce Monstre épouventable, Et vous l’auriez dompté, s’il n’estoit indomptable : Mais pourquoy par vos soins ne sçaurois-je éviter Le gouffre d’infamie, où l’on va me jetter ? Souffrez que loin d’icy sans bruit je sois conduite, Et que je doive enfin mon honneur à ma fuite. Ha ! sauvez-moy, Madame, et me faites cacher Dans le sein tenebreux de quelque affreux rocher. Est-il contre les Roys des cavernes si sombres, Qu’un seul de leurs regards n’en penetre les ombres ? Ils ont pour voir par tout un nombre infiny d’yeux, Et des bras assez longs, pour atteindre en tous lieux. Par quel charme nouveau seroit-il donc possible De tromper tant d’Argus, sans se rendre invisible ? Je ne puis à leurs soins vous cacher un moment, Ny retarder l’effet de vostre partement. Il n’est plus desormais d’obstacle qui l’empesche, A l’heure que je parle on écrit la despesche, Et des plus belles fleurs on s’en va couronner La superbe Galere où l’on doit la mener. Ha ! qu’elle soit plustost de Cyprés couronnée, Cette infame Galere à ma mort destinée ; Puisse-t’elle, en fendant les humides sillons, Espreuver la fureur de mille tourbillons ; Que les vents et les flots à sa perte s’irritent, L’eslevent dans le Ciel, du Ciel la precipitent ; Et tombant sur un roc qui la brise en morceaux, Puisse-t’elle avec moy s’abysmer dans les eaux. Le Ciel n’exauce point une injuste requeste. Le Ciel m’a conservée au fort de la tempeste ; Mais ne devois-je pas m’élancer dans les flots, Plustost que d’implorer l’aide des Matelots ? Ha ! si je n’eusse esté Princesse sans courage, J’eusse alors pris mon temps, couru droit au naufrage, Et monstré qu’un grand cœur ayant bien combatu, Fait gloire d’immoler sa vie à sa vertu. O Ciel ! si tu n’es sourd à de justes demandes, Rends nos maux plus petits, ou nos forces plus grandes. Tandis que vous pleurez, le temps passe, il est tard, Et je dois travailler aux apprests du depart. Hé ! du moins permettez qu’en ce malheur extresme, Je prenne congé d’elle, ou plustost de moy-mesme. Nous vous en laisserons le funeste loisir, Et donnerons des pleurs à vostre déplaisir. Haly, retirez-vous, sans les perdre de veüe. Ha ! malheureux depart.         S’il vous blesse, il me tuë, Au prix de mon destin le vostre est-il pas doux ? Vous ne perdez que moy.         Qu’ay-je à perdre que vous ? Je vous perds, et de plus, ô perte sans seconde ! Je perds ce qui vaut mieux que moy, que tout le monde, Enfin je perds l’honneur.         Moy l’esprit et les sens ; Mais qui resisteroit aux douleurs que je sens ? Quoy, perdre de la sorte une sœur adorable ? Ha ! nommez-la plustost infame et miserable, Et dans l’estat qu’elle est, au lieu de la loüer, Commencez déjà mesme à la desavoüer. Moy, je desavoürois un Objet que j’adore ? Ha ! ne descouvrez point un secret qu’on ignore, Dieu ! que diroit le Roy, s’il sçavoit qui je suis ? Redoubleroit-il pas ma honte et mes ennuis ? Et vous est-il si doux, qu’il vous seroit severe ? Cachons-luy ma naissance, évitons sa colère, Parlons bas.         A quoy plus déguiser nostre cœur, Sous ces noms empruntez et de frere et de sœur ? Agissons franchement, il n’est plus temps de feindre, Nous n’espérons plus rien, qu’avons-nous plus à craindre ? Rien, si ce n’est de vivre, et de ne pouvoir pas Rachepter mon honneur au prix de mon trespas. Mon frere… mais helas ! si vous m’estiez si proche, Qui de ma honte un jour ne vous feroit reproche ? C’est à vos déplaisirs quelque soulagement, Que je ne vous sois sœur que de nom seulement. La fussiez-vous d’effet, Merveille de nostre âge, Vous ne m’estes pas tant, et m’estes davantage : Le sang touche beaucoup, mais je fais assez voir, Qu’Amour plus que Nature a sur nous de pouvoir ; Les ennuis d’un Amant passent bien ceux d’un frere, La perte d’une sœur à porter est legere, Celle d’une Maistresse accable de soucy, Et comme on vit pour elle, on meurt pour elle aussi. Non, non, ne mourez point, rien ne vous y convie : Mais en vous exhortant de garder vostre vie, Je sens bien que la mienne est preste à s’envoler, Et je console enfin qui me doit consoler, Est-il quelque malheur que le mien ne surmonte, Puis qu’il faut que je meure, ou vive avecque honte ? Ha ! plustost… mais Haly vient-il pas m’emporter L’espoir de tous les biens que je puis souhaiter ? Hé de grace, Seigneur, accordez-nous encore Un moment à pleurer le mal qui nous devore ; N’éloignez pas si tost le frere de la sœur ; Il rentre, et ce Barbare a beaucoup de douceur : Mais quelle cruauté pourroit estre endurcie, Jusqu’à voir nos malheurs, sans en estre adoucie ? Hélas ! que dois-je faire en si grand desespoir ? Il faut vivre, m’aimer, et cesser de me voir : Mais j’espere aux ennuis dont je suis affligée, C’est par eux que déjà je suis toute changée, Je ne me connois plus, et mes gemissemens Vont troubler du Serrail tous les contentemens ; Enfin le grand Seigneur regardant mon visage, Croira qu’on n’en a fait qu’une infidele image ; Me verra sans désir, et mesme avec dédain, Et touché de mes pleurs m’éloignera soudain. Dieu ! que malgré vos pleurs il vous treuvera belle, Il bruslera d’abord d’une ardeur criminelle, Et s’il veut vous contraindre à le favoriser, A ce torrent de feu quelle digue opposer ? La Mort.         Ha, d’un grand cœur grande et chaste pensée ! Celle qui sçait mourir ne peut estre forcée. Ha ! vous ne mourrez point, non, je vous tireray D’un si grand precipice, ou bien j’y periray : Ouy, l’espée à la main j’iray sans nulle crainte, Percer vos Conducteurs d’une mortelle atteinte. Les pourrez-vous choquer sans en estre abattu ? Le nombre aura bien tost accablé la vertu. Combatant devant vous, vostre seule presence Me sera-t’elle pas un renfort de puissance ? Pour combien de Guerriers contez-vous ces regards, Dont vous m’animerez au milieu des hazards ? Ha ! je vous sauveray d’un si honteux naufrage. Hé comment ? sans la force à quoy sert le courage ? Mais Haly s’en revient.         Quoy, déja nous quitter ? Diferer son malheur, ce n’est pas l’éviter : Il faut partir Madame, et votre plainte est vaine ; Adieu mon frere, adieu, pour jamais on m’emmeine ; On m’arrache de vous sans aucune pitié. On retranche de moy la plus belle moitié. Il faut que je vous laisse.         Il faut donc que je meure. Voicy mon dernier jour.         Voicy ma derniere heure. Au moins pensez à moy.         Peut-on vous oublier ? Peut-on rompre les nœux qui nous ont sceu lier ? C’est vouloir separer le feu d’avec la flame, L’ombre d’avec le corps, et l’esprit d’avec l’ame, Que vouloir separer ma sœur d’avecque moy. Prodige d’amitié, seul comparable à soy ! Encore un coup adieu, je ne puis plus rien dire : Mais pourrois-je parler, à l’heure que j’expire ? Qu’un Barbare, un Tyran tienne esclave un objet Dont tout le Monde entier devroit estre sujet ! Que la Vertu soit mise entre les bras du Vice ; Ha Dieu ! quelle advanture ; ha Dieu ! quelle injustice. De quelle foy l’Esprit se peut-il remparer, Pour voir un tel desordre, et n’en point murmurer ? Je pardonne à qui croit qu’en toute la Nature, Il ne se treuve rien qui n’aille à l’advanture. Que l’eternel Autheur de la Terre et des Cieux, Ne les daigne éclairer d’un regard de ses yeux, Et que le Monde enfin n’est qu’un Vaisseau qui flote, Et parmy les éceuils voit dormir son Pilote. Mais, ô mon cher Fernand ! vien tost me seconder : Pour sauver ce qu’on aime on doit tout hazarder. Je voy bien le peril, mais je brûle d’envie, Ou de l’en retirer, ou d’y laisser la vie ; J’ay fait quelques Amis, courons les amasser, Sçachons par quel endroit on la fera passer, Et pressons de si prés tous ceux qui la conduisent, Qu’à nous l’abandonner nos armes les réduisent. Mais quand bien aujourdhuy vos efforts plus qu’humains Auront sceu la tirer de leurs barbares mains, Où la cacherez-vous, qu’elle ne soit treuvée ? Vous la perdrez soudain que vous l’aurez sauvée ; Vous vous perdrez vous-mesmes, et perdrez vos amis, Tel acte impunement ne s’est jamais commis. Tu me refuses donc ? ha ! c’est un témoignage De peu d’affection, ou de peu de courage. Allez où vous voudrez, et deussay-je y perir, Les armes à la main on m’y verra courir. Mais quel autre que moy vous ozant faire escorte, A l’oster du peril vous prestera main forte ? Où sont ceux qui pour vous feront un si beau coup ? Vous imaginez-vous d’en rencontrer beaucoup ? Ne vous repaissez point d’un espoir chimerique, La Franchise n’est pas une vertu d’Afrique, Les Mores pour tromper font joüer cent ressorts, Et ne sont pas moins noirs de l’ame que du corps. Ne vous y fiez pas, leur amitié fardée Sur leur propre interest d’ordinaire est fondée ; Et par l’espoir du gain foulant aux pieds leur foy, Ils iront découvrir vostre entreprise au Roy. Que feray-je ? il faut donc… mais quelle barbarie ! Comme en se promenant il entre en resverie ! Et cherche en son esprit quelque effort genereux, Pour retirer sa sœur d’un pas si dangereux. Enfin, cher Confident, le Ciel mesme m’inspire Un moyen d’arriver au bonheur où j’aspire, Je cours faire un effort, pour obtenir du Roy Que Clarice aujourdhuy ne parte point sans moy, Que je sois du voyage, et soûpire avec elle Jusqu’à tant qu’elle arrive où son malheur l’appelle ; Peut-estre par mes pleurs le pourray-je gaigner ; De son consentement j’iray l’accompagner, Et si ton bras alors vaillamment me seconde, J’espere de sauver tout ce que j’aime au monde. Hé comment ?         Les Forçats de ce vaisseau fatal, Où se doit embarquer tout mon bien et mon mal, Sont presque tous Chrestiens, sont de Sicile mesme, Ils presteront l’oreille à nostre stratagéme ; Et nous n’en aurons pas destaché quelques-uns, Qu’ils feront avec nous des efforts non communs. Ouy, leurs chaines, Fernand, ne seront pas coupées, Que nous voyant tirer nos trenchantes espées, A terrasser leurs Chefs ils nous seconderont, Et de leurs propres fers ils les assommeront : Après, nous aurons peu de cœur et d’industrie, Si nous n’allons revoir nostre chere patrie ; Ce moyen est estrange, et te semble d’abord Venir d’un insensé qui mesprise la mort. Mais n’est-ce pas ainsi qu’il faut que j’y procede ? Il ne reste à mes maux que ce sanglant remede. Mais…     Ha ! ne me dis rien.         Nous y demeurerons, Il y faudra mourir.         Hé bien, nous y mourrons. FIN DU SECOND ACTE. Ouy, se disant adieu tous deux versoient des larmes, Qui de la rigueur mesme arracheroient les armes : J’ay senty tous les traits dont ils estoient blessez ; J’ay meslé quelques pleurs à ceux qu’ils ont versez ; Et d’un cuisant regret je sens mon ame atteinte De n’avoir pû finir le sujet de leur plainte, Ny dans vostre pitié sceu rencontrer de quoy M’acquitter dignement de ce que je leur doy. Hé ! que leur devez-vous ?         Leur dois-je pas mon frère ? Alphonse pouvait perdre une teste si chere ; Et l’ayant en ses mains, il n’a tenu qu’à luy De me donner sujet d’un eternel ennuy. Je scay qu’à la première et sanglante sortie, Qu’il fit hors des rempars de sa ville investie, Vostre frere avec luy disputant le laurier, Tomba soubs les efforts de ce fameux Guerrier, Qui respectant en luy mon royal Diadesme, Au lieu de l’achever le releva luy-mesme ; Qu’à le faire guerir ses soins il employa, Et qu’apres sans rançon il nous le renvoya ; Mais dés que ma valeur justement animée, M’eut fait dans cette ville entrer à main armée, Ce que vous luy deviez luy fut-il pas rendu ? Ne le sauvay-je pas ? n’estoit-il pas perdu, Si voyant tout son corps n’estre qu’une blessure, Je n’eusse fait agir et l’Art et la Nature ? Il a par un excés de generosité, A ce jeune Heros rendu la liberté, La sienne estoit aux fers, je l’en ay degagée ; De quoy luy pouvez-vous estre encore obligée ? Mais le voicy luy-mesme ; ô Dieu qu’il est changé ! Se verra-t’il jamais esprit plus affligé ? Grand Roy, puisque mes vœux, mes soûpirs, et mes larmes Pour obtenir ma Sœur sont de trop foibles armes, Et que vostre dessein, qui me tient lieu de loy, Est qu’eternellement on l’esloigne de moy, Ne me refusez pas le funeste advantage, Qu’au moins je l’accompagne en ce triste voyage, Afin de la remettre, et de la consoler, D’un malheur, dont ses pleurs ne cessent de parler. A quoy vous serviroit de partir avec Elle, Qu’à rendre sa douleur encore plus cruelle ? Laissez-la donc aller où la Gloire l’attend, Et luy disant adieu, monstrez vous plus constant. Elle ne peut pretendre à plus haute fortune, Et la vostre bien tost ne sera pas commune : Je vous ayme, et des fruicts de mon affection Vous ferez un remede à vostre affliction. Rendez-vous le vainqueur de la terre et de l’onde, Et me donnez, grand Roy, tous les tresors du monde ; Avec tout ce qu’il a de gloire et de douceur, Vous ne me donnez rien, si vous m’ostez ma Sœur. Contez-vous donc pour rien le don de la franchise ? Pour elle quelques-fois les Sceptres on mesprise, Et telle est sa valeur que les plus grands esprits Ont fait voir que la vie estoit de moindre prix ; J’ay long-temps contre vous la mienne deffenduë, En l’estimant beaucoup je l’ay beaucoup venduë ; Mais vous m’avez rendu ce tresor precieux, Sans qui tous les plaisirs nous semblent ennuyeux ; Et mon cœur n’auroit pas un seul souhait à faire, Si celle de ma Sœur n’estoit plus tributaire. Mais pensez-vous m’oster tout entier des liens, Si vos bontez, grand Roy, ne rompent tous les siens ? Vous y laissez de moy la meilleure partie, Mon cœur n’en peut sortir qu’elle n’en soit sortie ; Et ne voulant ainsi me guerir qu’à moitié Qu’est-ce prendre de moy qu’une foible pitié ? Vous couppez seulement un des bouts de ma chaisne, Vous soulagez le corps, laissant l’ame à la gesne ; Et cét heureux malheur fait qu’un pied sur le bord, Et l’autre dans la mer, je finiray mon sort. A quelques sentimens que la Nature oblige, Se peut-il qu’une sœur jusques là vous afflige ? Quels transports sont pareils à ceux où je vous voy ? Puis-je avec liberté dire ce que j’en croy ? Rien ne ressemble mieux à l’amour qui nous presse, Pour les divins appas d’une jeune Maistresse, Que l’ardente amitié qu’Alphonse a pour sa sœur. Hé ! bien, Sire, il est vray, je vous ouvre mon cœur, Ma Maistresse est Clarice, et Clarice est trop belle, Pour ne confesser pas que je brusle pour elle ; Et que depuis cinq ans mes vœux et mes travaux Disputent sa conqueste à cent fameux Rivaux ; L’amour ayant enfin conclu nostre Hymenée, Alloit en celebrer l’agreable journée, Et nous joindre elle et moy de ce lien si fort, Qu’il ne se rompt jamais, si ce n’est par la mort ; Ce n’estoient plus que jeux, que musique et que danse : Mais, ô foibles projets de l’humaine prudence ! La Guerre est arrivée, et l’orage a destruit, Ce qu’un Printemps de fleurs nous promettoit de fruit. Voyant doncque Megare à deux doits de sa perte, Déja par le canon en mille endroits ouverte, Nous convinsmes tous deux de nous nommer ainsi, Afin que si le Sort nous conduisoit icy, Nous pûssions nous parler avec plus de franchise, Si quelque liberté nous en estoit permise. De plus, nous avons crû que votre Majesté La traitteroit peut-estre avec indignité, Si ces noms supposez et de sœur et de frere Ne vous cachoient qu’Alcandre avoit esté son pere. Alcandre qui jamais n’eut d’esprit ny de mains, Que pour les employer contre les Africains ; Mais puisque c’en est fait, et qu’il faut qu’à cette heure La Tombe ou le Serrail luy serve de demeure, Je vous dy de quel lieu cette Merveille sort, A dessein de sauver son honneur par sa mort. Vangez-vous, vangez-vous du Pere sur la fille, Et par elle achevez de perdre la Famille. Il est vray que ce Prince a porté sans raison, Une mortelle hayne à toute ma maison ; Mais quand si fierement un si grand chef-d’armée S’en vint pour secourir vostre Ville affamée, Par moy-mesme ses jours se virent terminer, Et je veux à sa mort ma vangeance borner ; Sa fille est innocente, il estoit seul coupable, Et ne m’auroit pas fait une grace semblable. Mais me laissant tromper aux clartez d’un faux jour, Comment pour l’amitié prenois-je ainsi l’amour ? Ha ! Seigneur, à ce coup est-il quelque justice Qui puisse separer Alphonse de Clarice ? Si les liens du sang sont par tout reverez, Les liens de l’amour doivent estre adorez. C’est par eux que le Ciel s’unit avec la terre, Qui les rompt sans subjet doit craindre le tonnerre. Mais le tonnerre encor est doux pour les rigueurs, Qui separent deux corps dont l’amour joint les cœurs. Je n’en mentiray point, je plains leur advanture, Et j’offense à regret une flame si pure ; Je respecte l’amour, et leur des-union Passe pour barbarie en mon opinion ; Cependant ç’en est fait, me pourrois-je desdire, De donner au Sultan, dont je tiens mon Empire, Cette Beauté parfaite et de corps et d’esprit, Quand je m’y suis moy-mesme engagé par escrit ? Mais avez-vous enclos son portrait dans la lettre ? En liberté, Seigneur, vous pouvez la remettre. Il ne la connoist point, et quelqu’autre Beauté Pourra vous rendre quitte envers sa Majesté. Mais n’est-ce point trop peu que d’une seule Esclave, Pour les jeunes desirs d’un Monarque si brave ? Faites, faites, Seigneur, quelque chose aujourd’huy, Qui soit ensemble digne, et de vous, et de luy : Remplissez son Serrail de toutes vos Captives ; Leur teint est éclatant des couleurs les plus vives, Il n’est rien de si rare, il n’est rien de si beau, Et ce don parestra magnifique et nouveau. Mais mandez luy qu’au lieu d’une de ces Merveilles, Qui brillent a l’envy de lumieres pareilles, Vous luy faites present de toutes à la fois, Ayant eu quelque peur de vous tromper au choix. Mais…         Quoy, sur ce sujet vostre esprit delibere ? Luy donnerez-vous pas beaucoup plus qu’il n’espere ? Grand Roy, suivez l’advis d’une Divinité. Ha ! je voy bien qu’Alphonse émeut vostre bonté ; Vos yeux sont à parler plus prompts que vostre bouche, Et me disent déjà que sa douleur vous touche : Mais, pouvez-vous, Seigneur, si vrayment vous m’aimez, Estre de glace au feu dont ils sont allumez ? Et rompre sans pitié ces beaux liens de flames, Qui font si doucement l’union de leurs ames ? Ha ! vous n’eustes jamais sentiment amoureux, Si d’un amour si saint vous violez les nœux. On y doit moins toucher qu’à ceux des Hymenées, Que forme dans le Ciel la main des Destinées ; Accordez-donc leur grace à mes justes souhaits, Et mon frere verra tous les siens satisfaits : Il n’a jamais en vain vos bontez reclamées ; Et s’il n’estoit encor à revoir vos Armées, Il s’en viendroit pour eux vous prier à genous Par ce sang qu’à Megare il a versé pour vous. Alphonse l’a comblé de faveurs sans mesure ; Vous les pouvez pourtant payer avec usure. Vous me rendez confus, vos charmes, vos raisons Peuvent servir de clefs à toutes les prisons ; Vous le voulez, Madame, hé bien, je la delivre. Elle est morte, autant vaut, vous la ferez revivre ; Mais je cours, ou plustost je vole l’avertir Que d’un si grand peril vous l’avez fait sortir. Je crains dans le bon-heur que le Ciel vous envoye, Qu’en la voyant trop tost vous ne mouriez de joye ; Moderez donc un peu ces violens desirs, Pour revoir sans danger l’objet de vos plaisirs ; Quelqu’autre l’instruira de tout ce qui se passe, Et cependant au Roy vous pourrez rendre grace. Déja de tant de biens vous m’avez sceu combler, Que ce dernier tout seul suffit pour m’accabler ; Mais ayant soûtenu le siege de Megare, Me pouvois-je promettre une faveur si rare ? Me recompensez-vous au lieu de me punir, De quoy vingt mois entiers j’ay bien osé tenir ? Et se peut-il enfin qu’un effort temeraire Attire vostre estime, et non vostre colere ? Ce miracle m’estonne, et la Posterité Le tiendra quelque jour pour un conte inventé. Qui ne sçait cependant qu’à grands coups de tonnerre Ayant jetté nos murs et nos peuples par terre, Vous avez fait chercher en ces lieux pleins d’horreur, Où m’avoit emporté ce torrent de fureur, Et que m’ayant treuvé tout sanglant sur la poudre, Tout noir et tout brisé de cent éclats de foudre, Couché parmy les morts, froid et défiguré, Par vos soins genereux on m’en a retiré ; Et qu’abaissant pour moy vostre grandeur suprême, Vous avez bien daigné me visiter vous-mesme ; Et me donner des pleurs, qui sembloient reservez A ceux dont mon espée a les jours achevez ; Qui donc vous fut jamais plus que moy redevable ? Seray-je pas contraint de mourir insolvable ? Certes, quoy que je face, il est visible à tous, Que rien ne peut jamais m’acquitter envers vous. Alphonse en me loüant m’apprend bien que la gloire Est le fruit le plus doux qu’apporte la Victoire ; Ce qui m’a fait pourtant si puissamment armer, N’est point un vain desir de me faire estimer, D’agrandir ma fortune, et la voir enrichie Par le fameux débris de quelque Monarchie ; Je fuis l’Ambition, ce monstre factieux, Qui, s’il avoit la Terre, écheleroit les Cieux, Qui ne sçauroit souffrir, ny Compagnon, ny Maistre, Qui jamais ne vieillit, et ne cesse de crestre ; Aussi ne m’a-t’on veu sur la terre et les eaux Mettre un nombre infiny d’hommes et de vaisseaux, Que pour tirer raison de vostre injuste Prince, Qui nouveau Conquerant envahit ma Province ; Et m’a déjà surpris des villes et des forts, Où sa main a couvert la campagne de morts. Il n’est rien de pareil aux peines qu’il se donne, A dessein d’entasser couronne sur couronne ; Mais je treuve la mienne assez lourde à porter, Sans y vouloir encor des brillans adjouster ; Et si j’ay mis à sac sa Ville capitale, C’est afin qu’à l’affront la vengeance s’égale, Et que nous le forçions d’esteindre le flambeau, Dont la guerre conduit nos peuples au tombeau. Un Sceptre sans la Paix vaut moins qu’une houlette ; Elle est l’unique bien qu’au monde je souhaitte ; Mais qui vous jette, Alphonse, au trouble où je vous voy ? Je frissonne de crainte, et je ne sçay pourquoy ; Mais que le juste Ciel rende vain le presage, Qui fait trembler mon cœur, et paslir mon visage. Haly tout effrayé vers vous dresse ses pas, Qu’a-t’il fait de Clarice ? il ne l’ameine pas. Sire, je suis coupable, et j’apporte ma teste ; Au supplice mortel la voicy toute preste. Clarice estoit un bien qu’il falloit conserver ; Mais pouvais-je prevoir ce qui vient d’arriver ? Dieu ! je tremble d’effroy.         Furieuse, insensée, D’une haute fenestre elle s’est eslancée Au milieu d’un abysme, où la rage des flots, Abboyant aux rochers fait peur aux Matelots, Et ce mot de sa main vous rendra manifeste La cause d’une mort si prompte et si funeste. Helas !         Vostre malheur ne peut estre assez plaint ; Mais lisons ce billet, où son sort est dépeint, Mille troubles me font la guerre, Et je me jette dans les flots, Afin d’y treuver le repos, Qu’en vain je cherche sur la terre ; La crainte d’estre au grand Seigneur, A mourir ainsi me convie ; Je tiens la perte de la vie Moindre que celle de l’honneur. Ha ! je m’en doutois bien qu’elle auroit le courage D’éviter par la mort un infame servage ; Voila son escriture, il n’en faut plus douter. Dans un trouble si grand deviez-vous la quitter ? Vous l’aviez en vos mains, treuvez-la morte ou vive, Mais je crains que bien tost Alphonse ne la suive : Fernand prenez-en soin, il est au desepoir, Et dans ce triste estat je ne sçaurois le voir. Elle a donc de ses jours terminé la carriere, Et les flots ont esteint mon unique lumiere : J’avois pour la sauver fait un heureux effort, Et cette infortunée a fait naufrage au port ? Dois je vivre un moment après cette avanture ? Allons où tost ou tard nous conduit la Nature, Et rendons luy ce corps qu’elle nous a donné, Ce corps qui porte un cœur à tous maux destiné. Armez-vous de constance.         Ha ! conseil qui me tuë, A quoy sert de s’armer, quand la playe est receuë ? Quiconque est animé d’une haute vertu, Se releve aussi-tost qu’il se treuve abbatu ; Fait force à la Nature, et d’un courage extréme, Sçait vaincre son vainqueur, s’estant vaincu soy-méme. Aussi me veux-je vaincre, en me faisant mourir. Quoy, pour aller au port au naufrage courir ? Pleurer, si ce remede à vos maux est utile, Mais espargnez des jours si chers à la Sicile. Crois-tu donc que je sois de ces lasches Amans, Qui font ouyr par tout de vains gemissemens ; Et n’osant par la mort terminer leurs tristesses, La honte sur le front survivent leurs Maistresses ? La mienne a bien monstré par ce coup genereux, Quel chemin meine au port les Amans malheureux. J’iray la retreuver, moy qui suis de ce nombre, Et joindray pour jamais mon ombre avec son ombre. Faire contre vous-mesme un effort inhumain ! Mourez, s’il faut mourir, mais non de vostre main ; Imitez vostre Père ; et comme ce grand Prince, Qui versa tant de fois son sang pour la Province ; Mourez sur une bréche, et qu’un coup de canon Face voler au Ciel vostre ame, et vostre nom. Pleust au Ciel que mon nom fust encore à connestre, Que jamais aux combats on ne m’eust veu parestre, Et que le desespoir, qui va borner mes jours, N’eust pas si tost des siens precipité le cours. Encore si sa mort eût esté naturelle, Les exemples rendroient ma douleur moins cruelle. Les objets les plus beaux ont le plus court destin, Et nous voyons des fleurs ne durer qu’un matin : Mais elle a prevenu le coup des Destinées, Esteignant le beau feu de ses jeunes années, Et donnant aux poissons un corps à devorer, Que sans idolatrie on pouvoit adorer. Cette belle Insensée a mis fin à sa vie, Ignorant le bon-heur dont elle estoit suivie. O tragique ignorance ! et qui fait qu’au moment Qu’on la tire des fers, elle entre au monument ; Mais, c’est trop, malheureux, demeurer dans le monde ; Va donc la retreuver aux abysmes de l’onde, Et fais par ton trespas ton amour éclater. Suivons-le promptement, il pourroit s’y jetter. FIN DU TROISIEME ACTE. Où dois-je encore aller ? prenons un peu d’haleine, Mon cœur tout halletant ne respire qu’à peine ; Mais je pense qu’aussi ce bois n’a point de lieux, Où ne se soient portez, ou mes pieds, ou mes yeux ; C’est fait d’un si grand Prince, une rage insensée De ses mal-heureux jours a la fin advancée ; La douleur l’a vaincu, les Destins ont permis Qu’elle seule ait plus fait que tous ses ennemis. Mais le Ciel qui prend soin des vertus de la terre, L’a-t’il donc garanty des fureurs de la guerre, De tant d’hommes armez et de flame et de fer, Pour le donner en proye aux monstres de la mer ? Il n’est plus sur la terre, une mesme tourmente A jetté dans les flots et l’Amant et l’Amante : O perte que mes yeux ne sçauroient trop pleurer ! Et que jamais aussi je ne puis reparer. Mais que vois-je, hé ! mon Prince, est-ce vous ou vostre ombre ? N’avez-vous point des morts accreu le triste nombre, Et suivy dans les flots ce qui vous fut si cher ? Ce n’est plus dans les flots que je la doy chercher, Cette Beauté naissante est encor sur la terre, Et qui me la retient est digne du tonnerre, Mais sçache que le Ciel de tant d’Astres ne luit, Que pour mieux esclairer les crimes de la nuit ; Et que ceux de Haly, couverts de tant de voiles, Viennent de m’apparoistre aux clartez des Estoilles. Ouy, ces feux eternels m’ont retiré d’erreur, Et remply tous les sens de merveille et d’horreur ; Mais doit-on s’estonner de sa noire pratique ? Il se voit tous les jours des Monstres en Affrique. Haly retient Clarice, Haly trompe son Roy, Vole un dépost illustre, et commis à sa foy ! Cét Astre de mon cœur roule encor sa carriere, Et j’en viens d’entrevoir la brillante lumiere ; Ne me demande point en quel lieu, ny comment ; A peine ay-je loisir de parler un moment. La Reyne est à sçavoir cette estrange imposture, Et je cours luy conter quelle est mon avanture : Mais vois-je pas le Traistre ? il faut…         Tout beau, Seigneur, Mesnagez prudemment un si rare bonheur : Suivez vostre dessein.         D’où vient donc sa furie ? Est-ce à moy qu’il en veut ? sçait-il ma tromperie ? Pour en tirer raison vouloit-il m’aborder ? Je ne sçay là-dessus que me persuader. Mais, ô nouvel objet qui redouble ma peine ! Selim, mon cher Selim, qui si tost te rameine ? Qui te rend si tremblant, et te trouble si fort Tu sembles interdit, et presque à demy mort. Sommes-nous découverts ?         Ha ! j’en ay quelque doute : Mais gardons qu’en ce lieu quelqu’un ne nous écoute. Qui peut m’avoir trahy ? nul ne sçait mon amour. Les Astres de la nuict ont mis le crime au jour. Ce discours est obscur, et j’en attens la suitte ; Mais Clarice en lieu seur n’est-elle pas conduitte ? Non.         Commandes-tu pas à ces petits vaisseaux, Qui sont prests à toute heure à voguer sur les eaux ? Tu pouvois bien commettre à la foy de Neptune, La Beauté dont dépend ma vie, et ma fortune. De vostre appartement vous n’estiez pas sorty, Que j’en suis en cachete avec elle party ; Mais par quelques sentiers connûs de peu de monde, Comme je la menois pour l’embarquer sur l’onde, J’ay de loin entreveu parmy l’obscurité Le port noircy de peuple, et brillant de clarté ; Differens sons de voix ont frappé mon ouye, L’éclat de cent flambeaux a ma veüe éblouye ; Et la peur de me voir surpris et reconnû De passer plus avant m’a soudain retenu ; J’ay ramené Clarice.         Ainsi ce grand courage, Qui n’aime que le sang, le meurtre, et le carnage, Et n’a pour me servir jamais rien redouté, A rebroussé chemin, et s’est épouvanté ; Mais nos sens sont trompeurs, et peut-estre la crainte, Qui souvent pour l’effet nous fait prendre la feinte, T’a deceu, cher Selim, en cette occasion. Non, non, ce que j’ay veu n’est point illusion, Non, c’estoit tout un peuple accouru sur la rive, Pour y chercher le corps de la belle Captive. O fascheuse recherche ! ô comble de malheur ! Je mourray de deux morts, de crainte, et de douleur. Ce n’est pas encor tout ; mais je crains de vous dire Un second accident, qui me semble bien pire. A m’ouvrir le tombeau n’as-tu pas commencé ? Acheve ton ouvrage, il est bien avancé. D’un pied mal asseuré revenant avec elle, Et tremblant à tous coups d’une crainte mortelle, J’ay passé par des lieux où je ne pense pas Qu’on imprime jamais la trace d’aucun pas ; Cependant je ne sçay par quel coup de fortune, J’ay veu de loin Alphonse aux clartez de la Lune, Qui faisant à longs traits les ombres retirer, S’est levée à l’instant comme pour m’éclairer. Ne te trompes-tu point ?         Non, c’estoit luy sans doute, Il couroit où jamais ne fut chemin ny route, Il passoit où jamais personne n’a passé, Et dans le bois enfin marchoit en insensé : Mais estant déja prés de la porte secrete, J’ay fait avec prudence une prompte retraite. L’a-t’il veüe avec toy ?         Je n’en puis rien sçavoir ; Mais l’Amour, quoy qu’on die, a des yeux à tout voir. Ha ! sans doute il l’a veüe, et transporté de rage, Tantost sans un des siens il m’eut fait quelque outrage ; Pour s’oster de ses mains il a fait un effort, Et ses yeux m’ont parlé de vengeance et de mort. Ha ! malheureuse veüe ; ha ! fatale advanture ; Mais courons droit au Roy confesser l’imposture, Nous n’y sçaurions aller d’un pied trop diligent, Il est juste, il est vray, mais il est indulgent. O ! que pour un grand cœur ce mouvement est lasche. Hé ! quoy donc, de vous perdre avez-vous pris à tasche ? Quoy, vous-mesme exposer vostre artifice au jour ? Pour qui passerez-vous apres ce lasche tour ? Pour un homme imprudent, foible, simple, infidelle, A qui la moindre peur renverse la cervelle ; Et qui, loin de cacher sa honte avecque soin, Luy-mesme contre luy va servir de tesmoin. Qui jamais est venu reveler son offense ? Doit-on pas la nier ? en prendre la defense ? Qui confesse la sienne a peu de jugement, Faillir et s’accuser, c’est pecher doublement. Certes trahir son Maistre est aux Lois faire injure, Mais se trahir soy-mesme est blesser la Nature ; Non, non, il faut porter la ruse jusqu’au bout. Pour suivre tes conseils j’executeray tout : Mais, si chez moy Clarice est encore cachée, Doutes-tu que bien-tost elle n’y soit cherchée ? Il me semble déja d’y voir comme un torrent, Une foule de peuple entrer en murmurant ; Et s’il faut qu’une fois on découvre la ruse, L’excès de mon amour n’en sera pas l’excuse. Faisons-donc sous l’effort d’une mortelle main Tomber plustost Clarice aujourdhuy que demain ; Et pour cacher à tous ce meurtre profitable, Changeons secretement en Histoire la Fable ; Jettons-la dans la mer.         Quoy, la faire mourir ? Vous pouvez-vous sauver, sans la faire perir ? Toute l’eau que la mer enferme en son abysme, Ne pourroit pas suffire à laver vostre crime. A la vie, à l’honneur preferez-vous l’amour ? Non, mais je l’ayme trop pour la priver du jour : Depuis que j’ay le soin d’une chose si belle, Mes yeux incessamment sont attachez sur elle : Je l’ayme, je l’adore, et tu veux cependant La tuër, ou plustost me perdre en la perdant. De qui ne sera point vostre amour condamnée ? Si tost que dans ces lieux vos soins l’ont amenée, N’avez-vous pas apris que ses attraits charmans L’avoient fait destiner au Roy des Ottomans ? A l’instant vostre feu devoit devenir glace, Et l’amour au respect abandonner la place. Vous n’avez pas pourtant laissé de l’adorer ; De nourrir un serpent qui vous va devorer ; Et d’oser feindre encor une mort effroyable, Pour faire un vol secret de ce Monstre agreable : Mais puis qu’un accident qu’on ne pouvoit prevoir A découvert la ruse, et trahy vostre espoir, Sa mort à vostre vie est un mal necessaire, Et sans plus consulter il vous en faut desfaire. Je deplore son sort, que je m’en vay finir ; Mais il faut jetter bas ce qu’on ne peut tenir ; Causer la mort d’autruy, pour éviter la nostre, Et faire un crime enfin pour en cacher un autre, J’immoleray sa vie à nostre seureté ; Cependant de ce pas voyez sa Majesté, Sans qu’espoir de pardon, ny crainte de supplice, Vous facent confesser un si grand artifice. Pour feindre, n’espargnez ny sermens ny sanglots ; Et treuvez s’il se peut des larmes à propos. Qui dissimule bien n’a pas peu de science, Et rien n’est plus semblable à la mesme Innocence, Qu’est semblable le Crime estant bien déguisé. Mais je cours accomplir le dessein proposé, Mettre fin à sa vie, et la jetter dans l’onde Pour mieux cacher sa mort aux yeux de tout le monde. Ainsi chez vous Alphonse en vain la cherchera, Ainsi sans vous convaincre il vous accusera, Et passera par tout pour homme à resverie. Puis-je bien me resoudre à cette barbarie ? Cher Selim…         Taisons-nous, le Roy s’en vient icy, Je vous quitte.         O malheur ! Alphonse arrive aussi, Et je voy dans ses yeux mon crime, et mon supplice ; Feignons bien toutesfois.         Sire, Sire, justice ; Clarice n’est point morte, et le traistre Haly Tient ce jeune Soleil dans l’ombre ensevely. Moy !     Vous.         Seriez-vous homme à nous en faire accroire ? On debite souvent la Fable pour l’Histoire ; Et la langue a tüé force gens que je voy Se porter aussi bien, et que vous, et que moy. Est-elle morte enfin ailleurs qu’en vostre bouche ? O Dieu ! que ce discours sensiblement me touche. Faire de l’estonné par cent gestes divers, Se reculer ainsi, regarder de travers, Lever les yeux au Ciel, joindre les mains ensemble, Jurer qu’à vostre foy nulle autre ne ressemble, Et que nous avons tort de nous en défier, Sont de foibles moyens pour vous justifier. Les propos médisans, dont ma foy l’on outrage, Au lieu de l’obscurcir, la font voir davantage ; Et les ombres ainsi peintes dans un tableau En relevent l’éclat, et le rendent plus beau : Mais de sa propre main sa mort mesme est signée. Elle n’a point pourtant finy sa destinée. Eclaircissez-nous donc quelles ombres, quels corps Vous ont dit que le sien n’est point au rang des morts ? La Lune en se levant sur ce petit bois sombre, M’a fait voir ce beau corps, qui passe pour une ombre, Et dont la feinte mort a bien eu le pouvoir De me livrer aux mains d’un affreux desespoir, Croyant que dans les flots Clarice estoit perie, J’y courois transporté d’une aveugle furie ; Quand frappé tout à coup d’un éclat nompareil, J’ay veu durant la nuict éclairer mon Soleil ; O nouvelle avanture ! ô rare descouverte ! J’ay treuvé mon salut, en courant à ma perte ; J’ay rencontré la vie, allant chercher la mort, Et le nauffrage enfin m’a jetté dans le port. Vous avez veu Clarice ?         Ouy, Sire, je l’ay veuë, A la taille, à l’habit je l’ay bien recognuë, Et j’ay pour la sauver couru l’espée au poing ; Mais, helas ! mon mal-heur m’en avoit mis trop loin. D’un homme seulement la Belle estoit conduite, Je ne sçay s’il m’a veu, mais il a pris la fuitte ; Est rentré chez Haly par un petit destour, Et m’a fait éclipser ce jeune Astre d’Amour. Que suis-je devenu ? La fureur qui m’emporte M’en a voulu cent fois faire enfoncer la porte, Pour laver dans le sang l’énorme trahison, Qui la retient aux fers d’une estroite prison. Mais, helas ! tout à coup une peur fremissante, Qu’on allast à ce bruit esgorger l’Innocente, Ou la faire évader par quelque lieu secret, D’enragé que j’estoit m’a fait estre discret. Quelle histoire, bon Dieu, la Reine la sçait-elle ? Je viens de luy conter cette estrange nouvelle ; Et son commandement à vos pieds m’a porté, Pour demander justice à vostre Majesté. Mais quelle impatience en mes veines s’allume ? Le desir de la voir me brusle, et me consume ; Souffrez donc que des fers je l’aille desgager, Son honneur et ses jours chez luy courent danger : Mais s’il faut pour s’y rendre employer un quart-d’heure Quel espoir gardera qu’en chemin je ne meure ? Garde, suivez Alphonse, allez y de ma part, Et cherchez-y par tout, avant qu’il soit plus tard ; Vous, Haly, demeurez.         Que cét affront me pique ! Mais sur les visions de ce Melancolique, Se desfier de moy ? visiter ma maison, Et me charger enfin de cette trahison ? Ha ! je suis tout couvert d’illustres cicatrices, Où le fer et le plomb ont marqué mes services. Quoy ! traitter de la sorte un homme de mon rang, Qui tant de fois pour vous a respandu son sang ? A si fidelement agy dans vostre armée, Et fait voler pour vous si loin la Renommée ? Ce traittement me tuë, et me témoigne assez, Qu’on oublie aisément les services passez ; De ceux que j’ay rendus on ne tient plus de conte, Et j’ay couvert d’honneur qui me couvre de honte. Mais pardon, je m’eschape, et la discretion Ne peut plus retenir ma juste affliction ; Je sçay bien cependant, quoy qu’un Roy puisse faire, Qu’un sujet comme moy doit souffrir, et se taire. Quoy, vous me reprochez de m’avoir secondé, Aux perils où cent fois je me suis hazardé ? Quand vous m’auriez gaigné des Provinces entieres, Défait mes ennemis, reculé mes frontieres, Et par tout l’Univers fait ma gloire voler, Avecque plus d’orgueil pourriez-vous me parler ? De mes palmes vos mains n’ont guere accru le nombre, Et vous en recueillés et du fruit et de l’ombre ; A des charges d’esclat vous estes parvenu, Si vous m’avez servy, je vous ay recognû ; Et de vos actions cette recognoissance, Se doit nommer faveur, et non pas recompense. Un Sujet doit servir de son bras, de son bien ; Il doit tout à son Roy, son Roy ne luy doit rien, Et vous faites à tort dans vostre fantaisie Passer vostre devoir pour une courtoisie. Doit-on pas recompense à qui fait son devoir ? J’ay toujours fait le mien, et vous l’avez pû voir. Toutes mes actions enfin sont legitimes, Et ce n’est que de nom que je cognoy les crimes ; Cependant on m’accuse, et vous me soupçonnez ; Mais j’en appelleray, si vous me condamnez. Vous en appellerez ? Hé ! dans quelle Province ? A qui peut un Subjet appeller de son Prince ? A Celuy qui des Roys juge en dernier ressort ; Dieu cognoist de ma cause ou le droit ou le tort ; Je l’ay mise en ses mains, qui lancent le tonnerre ; Il l’oyt plaider au Ciel, il l’oyt plaider en terre ; Il est Juge équitable, et j’espere aujourd’huy, La perdant devant vous, la gaigner devant luy. Enfin si l’on vous croit, une douleur amere Fait qu’Alphonse n’est plus qu’un Esprit à chimere, Qui voit ce qui n’est pas, et prend le plus souvent Pour un solide corps, un corps d’air et de vent. Qui ne sçait le pouvoir de la melancolie, Qui tient profondement son ame ensevelie ? Quiconque comme luy s’en treuve travaillé, Parfois parle tout seul, réve tout esveillé, Et selon les vapeurs qu’à la teste elle envoye, Il croit voir des objets de tristesse ou de joye. Auroit-il veu Clarice en esprit seulement ? Se peut-il que jamais il la voye autrement ? Si sans elle il revient, à tort il vous accuse ; Mais s’il l’ameine aussi, vous n’avez point d’excuse : Vostre sort est douteux, et bien tost son retour Vous doit rendre l’honneur, ou vous oster le jour. FIN DU QUATRIEME ACTE. Ha ! je l’y cherche en vain, on l’en a retirée, Et je la tiens déja morte ou des-honorée ; Le Traistre ayant ravy ce qu’elle a de plus cher, Sous le cousteau mortel la fera trébucher ; O Ciel ! à ce penser ma crainte se redouble, Et comme tout mon sang tout mon esprit se trouble ; Je fremis tout ensemble et de rage et d’horreur, Ma patience cede, et se tourne en fureur ; Mais à la retrouver devois-je tant attendre ? Où l’on trouve son bien, doit-on pas le reprendre ? Dieu ! que n’ay-je suivy mon premier mouvement ? Que n’ay-je entré de force en son appartement ? Et fait pour recouvrer ce Miracle de charmes, Couler autant de sang que je verse de larmes ? Me pouvoit-il jamais rien de pis advenir, Que de la perdre alors que je la croy tenir ? Aveugle Deité, qui du monde disposes, Fortune, qui te plais à changer toutes choses, Et des plus doux plaisirs laissant un goust amer, As ton flus et reflus aussi bien que la mer ; Tu m’as osté Clarice, et tu me l’as rendüe, Je la retreuve enfin, quand je la croy perdüe : Mais l’ayant retreuvée, aussi-tost je la pers, Et tombe en un moment du Ciel dans les Enfers. Tenez-vous de vos sens le rapport bien fidele ? Estoit-ce elle, Seigneur ?         Comment, si c’estoit-elle ? Ne connoistrois-je pas ce que j’aime le mieux, Ce qui seul est la joye et le jour de mes yeux ? Si tout œil est trompeur, vous fiez-vous au vostre ? Vous pourriez bien pour elle en avoir pris une autre. Prendre une autre pour elle, à qui rien n’est pareil ? De tant d’Astres aucun n’est semblable au Soleil ; Je l’ai veüe en effet, et non point en idée ; Et cette heureuse veüe a ma fin retardée : Ne me traitte donc plus comme un esprit blessé ; Et tiens-moy malheureux, mais non pas insensé. A quel sujet Haly feindroit-il qu’elle est morte ? Ozeroit-il au Roy mentir de cette sorte ? Et s’il n’estoit fidele, auroit-il cet honneur, De garder des Deposts voüez au grand Seigneur ? De loger au Palais, d’en estre Capitaine ? A vous croire, Seigneur, je n’ay pas peu de peine. Mais qui donc l’a contrainte à signer de sa main, Que l’honneur l’a portée à cét acte inhumain ? Si mourir dans les flots n’eut esté son envie, Plustost que de l’escrire elle eut perdu la vie, Sçachant que ce billet vous venant de sa part, Vous eust percé le sein de cent coups de poignard. Que pour moy ce billet est un profond mystere ! Dans ce noir labyrinte aucun jour ne m’éclaire, Je ne voy point de fil pour nous en delivrer, Et ce que j’ay perdu ne se peut recouvrer. Le Roy s’en vient icy.         Que luy pourray-je dire ? Je crains que devant luy de honte je n’expire. Qui de vous deux enfin treuveray-je Imposteur ? Celuy qui vous dit vray va passer pour menteur, Et celuy qui vous ment sera creu veritable ; Le coupable innocent, et l’innocent coupable ; Mais que mon dernier jour arrive à son couchant, Si je n’ay veu Clarice entrer chez ce Meschant, Et si cet Imposteur, cet Esprit de finesse, Afin de l’en oster n’a fait un coup d’adresse. Qui sur tous ces discours peut asseoir jugement ? Il est tantost son frere, et tantost son amant ; Il jure que chez moy je la tiens enchainée, Il ne l’y treuve pas, je l’en ay destournée ; Ainsi divers endroits la cachent à ses yeux, Comme si mesme corps pouvoit estre en deux lieux. Sire, sa calomnie enfin n’a plus de voile, Elle esclate à vos yeux, il est pris en sa toile, Il croyait me convaincre, il m’a justifié, Et doit à mon honneur estre sacrifié. La verité, grand Roy, mal aysement se treuve, Mais au sort du combat remettez en la preuve ; Et le Ciel n’estant pas moins juste que puissant, Fera choir le Coupable aux pieds de l’Innocent. Dans le Champ des combats la Fortune preside, Et se plaist à defendre une action perfide ; La cause la meilleure en ce lieu peu nous sert, La mauvaise s’y gaigne, et la bonne s’y perd. Un aveugle hazard y couronne le crime, Une injuste victoire y paroist legitime ; Et la decision d’un soupçon important, Ne se doit pas remettre à ce sort inconstant. A quoy donc recourir, pour vous faire connestre La fourbe d’un esprit si menteur et si traiste ? Qui la rendra visible à vostre œil comme au mien, Et me fera raison du voleur de mon bien ? Ha ! Sire, c’est trop dit, et cette calomnie Ne doit pas un moment demeurer impunie. Mais un sacré respect fait que je me contrains ; Les lieux où sont les Roys nous doivent estre saints ; Et n’estoit que du mien le Palais m’est un Temple, Aux faux Accusateurs il serviroit d’exemple. Il blesse mon honneur de mots injurieux, Et de melancolique il devient furieux. Mais suis-je raisonnable alors que je me pique Des injures qu’à tort me dit un frenetique ? Je me ris de le voir parler sans jugement, Et souffrir sa folie est faire sagement. De quel trait ce discours a mon ame frapée ! Me traitter de la sorte ? ha ! Sire, mon espée, N’estoit le seul respect de vostre Majesté, Iroit jusqu’en son cœur chercher la verité, Et pourroit la contraindre à sortir par sa bouche. Alphonse, je pardonne à l’ennuy qui vous touche, Et qui par un Phantosme ayant trompé vos sens, Vous fait en Criminels traitter les Innocens. On feint, ce dites-vous, le trepas de Clarice : Et comme la douleur vous meine au precipice, Le Ciel mesme, à pitié se laissant émouvoir, Allume des flambeaux pour vous la faire voir. Certes cét accident est purement celeste, Et quiconque le croit a de la foy de reste. Celeste ou naturel, l’éclat de ces flambeaux M’a fait voir qu’elle estoit ailleurs que dans les eaux. Mais doutez-vous, grand Roy, de cette Providence, Qui pour faire venir le crime en évidence, Attache quelques fois des lumieres aux Cieux, Qui de l’aveugle mesme illuminent les yeux ? Le Ciel vous a sauvé d’une estrange manière, Au poinct que vous couriez à vostre heure derniere ; Mais pour vous secourir en cette extremité, Dieu devoit un miracle à vostre pieté. Et plus d’un coup de foudre à vostre tromperie. Mais la Reyne s’avance.         Estrangeréverie ! Le croiriez-vous, Madame, à moins que de le voir, Qu’un Amant jusques-là se laissast decevoir ? Alphonse est-il muët ?         Hé ! que puis-je respondre, Quand tout ce que je dis ne sert qu’à me confondre, Et que mille sanglots sortant tous à la fois, Ferment comme à l’envy le passage à ma voix. Au deffaut de sa voix, ses pleurs vous rendent conte, D’une recherche vaine, et qui tourne à sa honte. Mais où donc la treuver ? Il n’est lieu dans les flots, Que n’ait déja sondé le plomb des Matelots. Elle n’est point ailleurs, mais la chambre escartée, D’où cette Mal-heureuse en la mer s’est jettée, Respond sur un abysme entouré de rochers, Qui font paslir d’effroy les plus hardis Nochers ; Là, l’aigu sifflement des vagues mugissantes, Les fait prendre de loin pour des voix gemissantes ; Et d’énormes poissons de carnage affamés, Engloutissent les corps qui s’y sont abysmez, Quelque monstre marin peut l’avoir devorée. Et vostre cœur aussi peut l’avoir desirée. Mais pour la bien chercher en vostre appartement, A-t’on où vous sçavez guidé ce jeune Amant ? Vous changez de couleur, la rougeur du visage Est du trouble de l’ame un brillant témoignage. La treuveroit-il point, s’il y portoit ses pas ? O Ciel ! cet infidelle espris de ses appas, L’auroit-il bien cachée en ces grottes secrettes, Qui sous ce grand Palais autresfois furent faites, Pour y tenir aux fers ceux dont quelque attentat Avoit osé troubler le calme de l’Estat ? Moy, j’aurois, aveuglé d’amour illegitime, Enfermé l’innocence en la prison du crime, Confondu la lumiere avec l’obscurité, Et caché sous la terre un tresor de beauté ? Ha ! si j’ay fait descendre en cette Grotte obscure L’objet le plus brillant qu’ait produit la Nature, Que moy-mesme enchainé de cent liens de fer Je sois precipité dans ce nouvel Enfer ; Et si dans l’onde enfin elle n’a rendu l’ame, Que je la puisse rendre au milieu de la flame. Hé bien, vous l’y rendrez, si vous le meritez. Mon innocence est claire, et si vous en doutez… Connoissez vous Selim ?         Je le dois bien connestre ; Je l’ay fait ce qu’il est, et suis encor son Maistre. Et si ce Serviteur, si zelé, si discret, Nous avoit revelé cét important secret ? Quel secret ?         Que par vous l’innocente Captive, Dans cét Antre s’est veüe enterrer toute vive : Mais s’il vous accusoit d’un crime encor plus grand ? De tout ce que j’ay fait je l’appelle à garand ; Il sçait mon innocence, et dans tout vostre Empire, Nul ne sçait mieux que luy s’empescher de mesdire. C’est parler dignement d’un homme qui vous perd. Luy, perdre un Innocent !         Il a tout découvert, Et monstré de quel fil est la sanglante toile, Que vos mains ourdissoient, pour nous servir de voile. A cét Enigme obscur quel sens faut-il donner ? Je suis fort peu sçavant en l’art de deviner. Mais vous l’estes beaucoup en celuy de mal-faire, Et de dissimuler un acte sanguinaire. Emporté par la peur d’un juste chastiment, N’avez-vous pas, Cruel, consenty laschement, Que Selim, ce Brutal, fist mourir cette Belle, Dans ce Gouffre où preside une nuict eternelle ? Il a sçeu, le Perfide, en secret y passer, Et fume encor du sang qu’il y vient de verser. Le Ciel durant ce meurtre estoit-il sans tonnerre ? Mais cherchons l’Assassin au centre de la terre ; Il a d’un bras sanglant pour jamais abattu Le Temple, où la Beauté servoit à la Vertu. Mais toy seul en es cause, et tu mourras Barbare. O Dieu ! que faites-vous ? vostre raison s’égare ; Oser tirer l’espée en presence du Roy ! Ce Traistre oser encor parestre devant moy ! Ha ! si vos Majestez ne me rendent justice, Je seray le bourreau des bourreaux de Clarice ; Quel Buzire en rigueur n’ont-ils point surpassé ? Tous deux fument encor du sang qu’ils ont versé, Et ce sang est sorty des blesseures mortelles, Dont ils ont tout couvert la merveille des belles ; Et ce sang est sorty de mon cœur, non du sien, Puis qu’elle en avoit fait eschange avec le mien ; Mais soit-elle en des lieux où se forme la peste, Soit-elle en un sejour encore plus funeste, Soit-elle dans l’Enfer, si l’Enfer peut avoir Un Ange le plus beau que le Ciel face voir ; Ne me refusez point, souffrez que j’y descende, Et des derniers devoirs les honneurs je luy rende ; Je fermeray ses yeux, qui seuls luisoient aux miens, Et faisoient d’un regard ou mes maux ou mes biens ; Je fermeray sa bouche à nulle autre semblable, Qui fut de mes destins l’Oracle veritable, Et j’enseveliray d’une tremblante main, Ce corps, qui paroissoit plus celeste qu’humain. Apres souffrez, grand Roy, qu’au tombeau je la porte, Et m’enterre tout vif aupres de cette morte : Mais la Parque s’appreste à terminer mon sort, Je vivois en sa vie, et je meurs en sa mort. Sa mort sera vangée ; Ouy tu mourras perfide, Qui merites le nom de l’Amant homicide, Pour avoir fait tuër l’objet de ton amour. Je vous aurois plustost mis cette Histoire au jour, N’estoit que mon esprit taschoit par artifice, A forcer ce menteur d’avoüer sa malice : Escoutez donc, Seigneur, un tragique accident, Qui du courroux celeste est un signe évident, Capable d’effroyer cette aveugle impudence, Qui nous dépeint là haut un Dieu sans providence, Un Dieu qui des mortels ne daignant s’offenser, Ne prend soin de punir, ny de recompenser, Et qui les bras croisez laisse aux causes secondes La conduite des Cieux, des terres, ou des ondes. Quand Alphonse tantost m’a dit sa vision, Je l’ay prise d’abord pour une illusion : Mais de quelques transports qu’il eust l’ame comblée, Voyant que sa raison n’en estoit point troublée, Que Clarice estoit belle à pouvoir tout charmer, Que Haly n’estoit pas incapable d’aymer, Et que l’endroit du bois, où si tost à sa veüe Ce Prince m’asseuroit qu’elle estoit disparuë, Menoit soubs ce Palais dans cét antre escarté, Quels soupçons n’ay-je pris de sa fidelité ? Certes il m’est d’abord tombé dans la pensée, Que peut-estre d’amour la sienne estoit blessée, Qu’il adoroit Clarice, et cachoit à nos yeux, Dans ces lieux soûterrains un chef-d’œuvre des Cieux : Aussitost desirant d’esclaircir tous mes doutes, J’ay fait à petit bruit par de secrettes routes, Descendre là dedans quelques hommes armez, Et d’autres qui tenoient des flambeaux allumez : Mais comme apercevant ce Miracle du monde, Ils couroient pour l’oster de la Grotte profonde, Selim s’approchoit d’elle, et sans un prompt secours, Ou la corde, ou le fer eût terminé ses jours. Quoy, n’est-elle pas morte ? ô preuve nompareille Que sur les Innocens l’Eternel toujours veille : Mais croiray-je un miracle, à moins que de le voir ? A peine celuy-cy se peut-il concevoir ; Il a voulu fuyr, en les voyant parestre ; Mais au mesme moment ils ont saisi le traistre, Qui craignant de mourir par la main d’un bourreau, Par la sienne est tombé sanglant sur le carreau ; S’est laissé dans le corps la dague meurtriere, S’est debatu long-temps, en mordant la poussiere, A maudy son destin, injurié les Cieux, Et ce grand Criminel est mort en furieux. Donc Celuy qui voit tout, et rend à tous justice, A sauvé la Vertu des embusches du Vice ! Donc le sang du Coupable a le fer arrosé, Que contre l’Innocente il avoit aiguisé : Un Meschant, dont la rage à ce point est venuë, Ne fait rien de meilleur qu’à l’heure qu’il se tuë : Mais avant que mourir n’a-t-il rien confessé ? S’estant luy-mesme ainsi mortellement blessé ; Je peris, a-t’il dit, mais Haly, mon cher Maistre, Quelque belle à tes yeux que Clarice puisse estre, Devois-tu pas d’abord, te voyant découvert, Immoler ton amour, perdant ce qui te perd ? J’ay demeuré long-temps à pouvoir t’y resoudre, Et cependant sur moy j’oyois gronder la foudre ; Enfin elle est tombée, et ton retardement, Comme à moy te prepare un sanglant monument. Là cessant de conter cette effroyable Histoire, Que pour ces nouveautez on aura peine à croire, Il a voulu tirer le poignard de son flanc, Mais l’asme en est soudain sortie avec le sang. Se verra-t’il jamais d’avanture semblable ? Pensez-vous que Haly la tienne veritable ? On ne luy peut sans crime aucun crime imposer. Mais paroissez, Clarice, et venez l’accuser. O Ciel ! c’est elle-mesme.         Est-ce un charme ? est-ce un songe ? Estes-vous à ce coup convaincu de mensonge ? Voyez-la de plus prés, la connoissez-vous bien ? Vous changez de visage, et ne respondez rien. Le silence vaut mieux que tout ce que peut dire Ce Fourbe, à qui l’Enfer ses mensonges inspire. Hé Sire !         Qu’on le traisne au fonds d’une prison, Qui combatte d’horreur avec sa trahison, Et que publiquement la main de la Justice, A son crime nouveau donne un nouveau supplice : Qui ne se vange point a le cœur abbatu, Et qui pardonne au Vice offense la Vertu. Roy, le meilleur des Roys, la meilleure des Reynes Vous a fait à la fin briser toutes mes chaines ; Et changer pour jamais mes douleurs en plaisirs, Qui passent de bien loin l’espoir de mes desirs : Mais si vostre bonté proche de la divine, Ne veut qu’à tant de fleurs il se mesle une espine, Sauvez qui m’a sauvée, espargnez-le, ô grand Roy ! S’il est vray que sans luy ce seroit fait de moy. Quel Dédale est-cecy ! ses destours sont sans nombre, Et la nuict où j’estois a redoublé son ombre : Haly vous a sauvée !         Ouy Sire, il est ainsi, Et bien tost sur ce point vous serez esclaircy. A moy-mesme le Ciel m’ayant abandonnée, Pour avoir murmuré contre ma destinée, J’ay voulu, sans respect pour la foy que je tiens, En me precipitant rompre tous mes liens ; Mais comme ayant à force une fenestre ouverte, Je m’allois eslancer à ma derniere perte ; Il m’en a retenuë, arrivant par bon-heur, Au poinct que j’immolois ma vie à mon honneur. Pour perdre vostre honneur il sauvoit vostre vie, Mais d’où vient ce billet ? contentez mon envie ; Vous l’a-t’il fait tracer cét infidelle Esprit ? Avant qu’il arrivast, ma main l’avoit écrit, Pour le justifier d’un trepas si funeste ; O ! de vostre bonté preuve trop manifeste ! Mais qu’il a bien par là caché sa trahison ! Qui n’eust dans cette coupe avalé le poison ! Un mensonge amoureux est faute bien legere, Quoy que je sois Amant, je me suis nommé frere ; Et si tous les menteurs estoient punis de mort, Il faudroit me resoudre à voir finir mon sort. Si je luy pardonnois, je serois peu sensible. Est-il crime d’amour qui ne soit remissible ? Le sien meriteroit un supplice eternel. N’estes-vous pas clement plus qu’il n’est criminel ? Vostre bonté, Seigneur, sa malice surpasse. Puisque les Offensés me demandent sa grace, Qu’il vive, et qu’à jamais ces deux jeunes Amans Soient libres, et comblez de tous contentemens. Quel bon-heur arrivant contre toute apparence, Pouvoit de tant de biens me donner esperance ? O clemence adorable !         O Prince genereux ! Qui de vostre vertu ne seroit amoureux ? FIN DU DERNIER ACTE.