Nous sommes de Venus les compagnes fidelles, Qui venons presider aux festes solemnelles, Que l’Amour, pour charmer ses regrets infinis, Fait celebrer dans Cypre en l’honneur d’Adonis. De cinq ans en cinq ans, une pompe si belle Par l’ordre de Venus tousjours se renouvelle : Le premier jour on donne un pris à la beauté ; Le second à l’amant qui l’a mieux mérité ; Et le troisiéme jour cette Isle fortunée, Voit descendre du Ciel le pompeux Hyménée, Qui joint de nœuds sacrez & de chaisnes d’aymant, La plus parfaite Nymphe au plus parfaict Amant. Afin qu’heureusement on aborde en cette Isle, Tant que la feste dure, on voit la mer tranquille : Et les petits Amours de roses couronnez, Tiennent dessus les flots tous les vents enchaisnez : Excepté seulement le gracieux Zephiré, Qu’Eole laisse en paix regner dans son Empire, Qui prend soin des Vaisseaux qui voguent vers ce bord, Et d’un soufle amoureux les conduit dans le port. Mais parmi tant d’Amans & d’illustres Amantes, Qui brillent à l’envi de qualitez charmantes, Et de toutes les Cours viennent dans cette Cour, Afin de disputer les Couronnes D’Amour, Ovide avec Corinne, Hyacinthe & Cephise, A qui ce Dieu vainqueur a ravi la franchise, Sont les plus renommez qui vivent sous ses loix Et sont les seuls aussi dont nous avons fait choix, Ce Grec & ce Romain, tous deux d’illustre race, Desguisez en pasteurs auront beaucoup de grace, Et la Mere d’Amour en faveur d’Adonis, Veut que sous ces habits on dispute les prix. Allons donc, donner ordre à la Ceremonie. Pour combler les Amans d’une gloire infinie, De l’élite des fleurs qui naissent dans ces lieux, Allons pour couronner leurs fronts victorieux. Venez, Amans, dans ces beaux lieux, Où par l’ordre de Citherée Les Graces descendent des Cieux, Pour venir presider à la Feste sacrée ; Venez voir Triompher sur les flots applanis Venus & les Amours en faveur d’Adonis. Et bien, que dites-vous de cette Isle sacrée, Des plus beaux feux du jour en tous temps esclairée, Où regnoit Adonis, où Venus tient la Cour ; Où l’on vient disputer des Climats d’alentour, La Pomme d’or qu’Amour donne à la plus parfaite ; Où ce Dieu recompense une flame discrette ; Où celle qu’on couronne icy publiquement, Elle mesme est le prix du plus parfait amant ? La ville des Cesars est-elle plus galante  ? Qu’en croit Ovide enfin ?         Cette Isle est plus charmante ; Ses heureux habitans pour la gloire sont nez, Et de tous les mortels sont les plus fortunez. Rome ne voit les Dieux qu’en statuë, en peinture, Ils sont presens en Cypre, & non pas en figure. La Celeste Venus, & les Graces encor Font dans ce doux climat revoir le siecle d’or. Le soleil n’y produit que d’agreable choses, Les champs y sont couverts de Myrrhes & de Roses ; Des ruiseaux de cristal coulant parmi les fleurs Conservent leur fraicheur & leurs vives couleurs ; Il n’est rien de plus doux que l’air qu’on y respire, Tout y rit, tout y plaist, d’aise l’on y souspire ; Et des bois d’orangers sont des nuits en plain jour, Où l’on peut decider tous les doutes d’Amour. Nos Nymphes à vos yeux sont-elles agreables ? Vos Nymphes à mes yeux sont toutes admirables, La blancheur de la neige éclate sur leur tein Et leur levre est d’un feu qui jamais ne s’esteint ; De leur esprit charmant l’entretien est si rare, Que c’est un labyrinthe où la raison s’égare ; On ne peut sans peril voir souvant tant d’appas. Ovide s’en plaint-il ?         Non, je ne m’en plains pas. Vous sçavez adoucir la beauté la plus fiere, Si je me puis vanter de sçavoir l’art de plaire, Le secret est d’aymer, si l’on veut estre aymé. Quelque Nymphe en ces lieux vous a-t-elle charmé ? La plus belle, Hiacinthe a ravy ma franchise. Mais quelle est-elle enfin ?         C’est l’aymable Cephise. Vous aymeriez Cephise ! ah ! je ne le croy pas. Quoy ! pour se faire aymer, manque-t’elle d’appas ? Elle n’en a que trop, elle n’est que trop belle. Pourquoi doutez-vous donc, que je brulle pour elle ? Mon plus parfait amy seroit-il mon Rival ? L’Amour & l’amitié ne s’accordent pas mal ; Car comme l’amitié naist de la ressemblance, Celle à qui vous pensez, est celle à qui je pense. Afin de destourner ce fatal accident, D’abord de mon Amour je vous fis confident, Et vous dis que mon cœur souspiroit pour Cephise. J’usay vers vous d’abord de la mesme franchise, Et vous dis que Corinne avoit sceu m’enflammer. Mais je ne l’ayme pas.         Vous la pouvez aymer, Sans que pour ce sujet Ovide vous querelle. Je n’ayme que Cephise, & je luy suis fidelle ; Mais mon Amour est grand, il est né dés longtemps. J’ayme autant en un jour, qu’un autre ayme en dix ans. Pour demeurer amis que devons-nous donc faire ? Continuer tous deux de tascher à luy plaire, Et que le moins heureux la cede à son Rival, Sans en estre jaloux, ni luy vouloir de mal ; Puis qu’elle est à nos yeux esgallement aymable, Prenons donc ce party que je croy raisonnable. J’y consens volontiers.         Et moy pareillement. Depuis cinq ans entiers qu’Hyacinthe est amant, Parlons en vrais amis sans user de finesse, A-t’il quelques faveurs de la belle Maistresse ? Nulle.         Je ne la sers pour moy que depuis peu, Et devant ses beaux yeux j’ay fait briller mon feu : Mais malgré sa pudeur & sa vertu severe, A mon ardente Amour elle n’est point contraire, Et pour me tesmoigner qu’elle m’ayme en effet, C’est qu’elle a bien voulu recevoir mon portrait. Je ne puis aisement croire cette nouvelle. Elle porte un miroir dont la glace est fort belle, Mon portrait est derriere, & vous le pourrez voir En tirant le ressort fort facile à mouvoir ; Vous pouvez aisement voir Cephise à toute heure, Puisque nous habitons cette aymable demeure, Et que ceux qu’on choisit pour disputer les prix, Logent durant la feste aux Jardins d’Adonis. L’habit que nous portons donne quelque licence. Des mœurs du premier siecle il fait voir l’innocence ; Encor qu’il soit modeste, il est fort glorieux, L’Amour change en Bergers les Heros & les Dieux. Mais j’apperçoy Cephise & Corinne avec elle. Il faut dissimuler nostre illustre querelle ; Vous ayant en amy descouvert mon secret, Vous sçaurez en user en confident discret. Nous venons admirer vostre rare merite, Et nous avions dessein de vous rendre visite, Mais vos esprits charmants, dont les cœurs sont tentez, Sont des traits dangereux contre nos libertez. L’agreable Cephise & l’aymable Corinne, Par leur majesté douce & leur grace divine, Des deux sexes vaincus triomphans dans ce jour, L’un pleure de despit, & l’autre meurt d’amour. Ovide, à qui vos yeux ont causé tant de peine, Prise la beauté Grecque & la beauté Romaine, Et croit que toutes deux on vous doit couronner ; Les Graces toutesfois n’ont qu’un prix à donner. La parfaite beauté, dont mon sexe se pique, De mesme que le prix, icy bas est unique. Chaque beauté diverse a sa perfection, Selon le goust divers de chaque nation. Le Danube & le Pô vantent dessus leurs rives, Avec les cheveux blonds les couleurs les plus vives, Mais avec un teint brun, l’air & la majesté, Remportent chez les Grecs le prix de la beauté. Celuy qu’avec justice on donne dans cét Isle, A qui veut l’obtenir est assez difficile : Il faut pour meriter un prix si glorieux, Les charmes de l’esprit & la douceur des yeux ; La pomme qu’on reçoit par les mains de Thalie, Est pour la plus aymable & la plus accomplie. Mais il en faudrait deux pour ces rares beautés, Qui brillent à l’envy d’aymables qualitez ; Pour rendre la justice, & plaire à tout le monde, Il faudrait couronner & la brune, & la blonde. S’il n’est qu’une beauté, qu’une Venus aux Cieux, Ovide sur la Terre en peut-il trouver deux ? Je les rencontre en vous par un bonheur extreme, Mon sentiment s’accorde avec le vostre mesme ; Si l’une & l’autre aspire au prix qu’on donne icy, Vous croiez toutes deux le meriter aussi. Cent Nymphes avec nous à cét honneur pretendent, Et de tous les costez à cét Isle se rendent ; Mais les Graces de qui nous recevons la loy, Ont fait choix seulement de Corinne & de moy, Je puis de leurs faveurs m’esbloüir la premiere ; Si cét heureux Climat dont je tiens la lumiere, N’avoit accoustumé de remporter le prix, Jamais ce doux espoir n’eut flatté mes esprits, Sans l’amour du païs, qui dans mon cœur domine, J’aurais voulu ceder cét honneur à Corinne, Voyant en ma Rivale esclatter tant d’appas ; Quoy qu’il puisse arriver, je n’en rougiray pas, Soit que je sois vaincuë, ou que je la surmonte, J’auray beaucoup de gloire, ou j’auray peu de honte. A vos rares beautez on doit tout accorder ; Quoy que jusques icy rien ne m’ait veu ceder, Je n’aurois pas voulu vous disputer la pomme, Pour mon seul interest, sans interest de Rome. Mais ma gloire estant jointe à celle des Romains, Qui se font admirer entre tous les humains, Je dois pour leur honneur faire voir à la terre, Qu’ils triomphent en paix, ainsi que dans la guerre. L’amour de mon païs m’embraze comme vous, Et me flatte l’esprit d’un espoir aussi doux ; Bien que de mille attraits esclatte ma rivale, Qu’au jugement des Grecs, elle soit sans esgalle, Et que de toutes parts on vienne l’admirer, Je crains moins toutesfois que je n’ose esperer ; Soit que je sois vaincuë, ou que je la surmonte, J’auray beaucoup de gloire, ou j’auray peu de honte. Les desirs de la gloire esgaux entre vous deux, Sont pour vostre amitié des escueils dangereux, Nostre amitié n’est pas comme l’amour d’Ovide Sujet au changement, elle est pure & solide. Ouy, nous servons d’exemple aux plus parfaits amans, Nous avons toute deux les mesmes sentiments, Nous n’avons l’une & l’autre & qu’un cœur, & qu’une ame. Vous osez comparer vos froideurs à ma flamme, Vostre amitié de glace à mon ardante amour ? Si je m’expliquois mieux, je ferois mal ma Cour. Achevez, achevez, dites tout sans rien craindre. Croiez-vous que leurs cœurs soient capables de feindre ? Ouy leur sexe jamais ne s’ayme à bien parler, Il y a trop d’interests sans cesse à demesler ; Sa beauté, ses amans, & l’amour de la gloire, Le desir d’emporter en tous lieux la victoire, Et sa grande fierté qui ne veut rien ceder, Avec l’amitié ne peut s’accorder. Pour m’expliquer encor avec plus de franchise, Corinne asseurément ne plaist point à Cephise, Ny Cephise à Corinne, & son cœur en secret Hait ce qu’elle a d’aymable, & le voit à regret. Plus leur merite est grand, plus leur charme est visible, Et plus leur jalousie est grande, est invincible. Mais je sçay un secret admirable pour vous, D’aymer parfaitement.     Quel est-il ?         Aymez nous, Aymez, aymez Ovide, & l’aymable Hyacinthe, Car pour vostre amitié ce n’est rien qu’une feinte, L’on la verra finir avant la fin du jour, Quand les Graces seront au Tribunal d’Amour, Et que l’on vous verra briller en leur presence, Vous n’aurez plus alors aucune complaisance ; Mais pour joüir d’un bien plus durable & plus doux, Ne dissimulez plus, l’une & l’autre aymez nous. Il y faudra penser.         Et vous belle Corinne J’y veux penser aussi.         Ne faites point la fine, Mais pensez tout de bon, sans croire les flatteurs, Que la beauté n’est rien sans les adorateurs ; Les Dames ont raison d’apprehender leur perte, L’Amante sans Amans n’a qu’une Cour deserte : Et les yeux les plus beaux, sans le flambeau d’Amour Sont aussi mal-heureux que des peuples sans jour. Où voulez-vous aller ?         Au bord de la fontaine. Je vais vous y conduire, agreable inhumaine. Ovide ne sçauroit la quitter un moment, Il tesmoigne par là, comme il l’ayme ardemment. Il ne l’ayme pas seule, & quelqu’autre l’engage. Je connois son humeur, il est un peu volage ; Bien qu’il ayme à changer, Corinne a des appas Qui peuvent l’arrester.         Elle n’en manque pas. Pour elle il a laissé la Princesse Julie, Et pour la suivre en Cypre il quitte l’Italie. Il ne vient en ces lieux que pour voir les beautez, Que cette feste attire icy de tous costez. Je sais qu’il est galand, qu’à chacune il en conte ; Depuis un mois au plus qu’il est dans Amathonte, Pour diverses beautez on l’a veu souspirer, Et son cœur à plus d’une ose se declarer ; Lors que de quelque appas une Nymphe est pourveuë, Dés qu’il la voit, il l’aime.         Ovide vous a veuë. Il me vient visiter, sans qu’il me soit suspect, Je sçais à qui m’approche inspirer le respect. Si vos grandes vertus font que l’on vous admire, Vostre merite aussi fait que chacun souspire. Vos appas sont si doux, vos regards si charmans, Qu’ils donnent de l’esclat aux moindres ornemens, De ce miroir sur vous la glace paraist belle. La bordure en est riche, & la façon nouvelle, Et le Preteur m’en fit present hier au soir. Le peut-on voir de pres ?         Oüy, vous le pouvez-voir. Un present si galand ne vous doit pas desplaire. Il falut l’accepter par l’ordre de mon pere, Et sans son ordre expres je l’aurois refusé, Il eut peû s’offenser, & je n’ay pas osé. Dieux, qu’est-ce que je voy ! ma surprise est extréme ! Que regardez-vous tant ?         Regardez-le vous mesme ? C’est le portrait d’Ovide.         Ah ! n’en rougissez pas ; Et si l’original a pour vous des appas, Contentez vos desirs, gardez-en la peinture : Il faut bien me resoudre à souffrir cette injure ; Puisque vous le voulez.         N’en soiez point jaloux. Je suis plus estonnée & surprise que vous ; J’ignorois qu’un portrait…         N’en soiez point confuse, Et vers un mal-heureux ne cherchez point d’excuse. Faut-il qu’un Estranger arrivé sur ces bords, Qui n’a point ressenty mes amoureux transports. Rende par son bonheur mes esperances vaines, Me ravisse en un jour le fruit de tant de peines, Et m’oste pour jamais l’objet de mes desirs, Sans qu’il lui couste helas ! ni larme, ni souspirs ? Avant que mon Rival acheve mes disgraces, Nous paraistrons tous deux au Tribunal des Graces ; Et si leur juste Arrest ne me vient secourir, J’auray du cœur assez pour vaincre, ou pour mourir. Il s’en va sans m’oüir, & me laisse confuse, Et malgré ma vertu mon silence m’accuse. Aminte ; cours apres, vas t’en le rappeller, Dis luy mes desplaisirs, que je luy veux parler. Mais ce seroit en vain ; que luy puis je respondre ? Sa presence ne peut servir qu’à me confondre. Vas t’en plutost chercher Ovide promptement, Qu’il me vienne trouver sans tarder un moment Il se promene au parc ; vas, cours en diligence. De ce perfide Amant je veux prendre vengeance, Luy seul asseurément m’a fait ce lasche trait ; Par addresse au miroir il a joint son portrait, Et veut persuader avec cette imposture, Que l’original plaist dont on a la peinture. Ah ! si je le convainc de ce crime, ô Dieux ! Je le veux pour jamais eloigner de mes yeux ; Ovide sentira jusqu’où va ma colere.    265 Mais puis-je le bannir sans irriter mon pere ? Il prend son interest, parce qu’il est Romain, Et voudroit m’obliger à luy donner la main. Bien qu’aux plus grands de Cypre il doive sa naissance, D’un simple Chevalier il cherche l’alliance Afin d’avoir l’appuy de Rome & du Preteur. Un crime est-il si grand, dont l’amour est autheur ? Mais puis-je le souffrir après un tel outrage ? Ovide est un trompeur, un perfide, un volage. D’une fausse faveur s’il s’est desja vanté, Que ne diroit-il point, s’il estoit mieux traité ? Je veux pour m’en vanger, & montrer mon addresse, A qui m’oste un Amant, oster une Maistresse. Mais je le voy paroistre, il faut l’entretenir, Et cacher le dessein que j’ay de le punir. De vostre procedé je suis fort en colere. Si je n’ay jamais eu dessein que de vous plaire, Je ne puis deviner d’où naist vostre courroux. Ce pourtrait-là vient-il du Preteur, ou de vous ? Ce pourtrait vient de moy, n’en soyez pas surprise ; M’estant donné moy-mesme à la belle Cephise, Je pouvois bien encor luy donner mon pourtrait. Pouviez-vous m’offenser par un plus lasche trait ? Par cette invention, par ce beau stratageme, Vous voulez faire croire à chacun qu’on vous ayme. Si l’on vouloit m’aymer, je serois fort discret, Et je n’en parlerois non plus que mon pourtrait. Vous n’en avez pas fait confident Hyacinthe. C’est donc-là le sujet qui cause vostre plainte ; Vous ne craignez donc pas, à parler franchement, La perte de l’honneur, mais celle d’un Amant; Vous estes de l’humeur dont sont toutes les belles, Qui faisant tous les jours des conquestes nouvelles, N’ayment pas à rien perdre, & veulent chaque jour Augmenter leur Empire, & voir grossir leur Cour. Pour nuire à mon rival, si mon pourtrait le chasse Cephise n’y pert rien, car je remplis la place ; Sans faire trop le vain je pourrois me vanter, D’en estre moins indigne & la mieux meriter : Vous n’emportez sur luy qu’une obscure victoire ; Je puis plus noblement servir à vostre gloire. Et mon ardent amour connu de toutes pars, Qui m’a rendu fameux à la Cour des Cesars, Pour vous adorer seule & vivre dans vos chaines, Veut mespriser pour vous les plus belles Romaines, Ces superbes beautez qui troublent le repos Des plus sages mortels & des plus grands heros ; Pour faire plus d’honneur à Cephise, à la Grece, Je quitteray pour vous une Auguste Princesse, De qui tout l’Univers doit recevoir la loy, Et vous triompherez & de Rome & de moy. Vous mesprisez pour moy ces illustres Amantes, Vous me les immolez lors qu'elles sont absentes, Ces superbes beautez ; mais à vostre retour Vous me sacrifirez tout de mesme à mon tour. Qu’à croire mon Amour vous estes difficile ! Vous en faut-il donner des preuves dans cette Isle ? Voulez-vous que pour vous j’abandonne Phriné, Breseïs, Celimene, Amarante, & Daphné ? Ces Nymphes apres vous sont dans Cypre vantées. Vostre esprit inconstant les a desja quittées. Que dois-je faire donc ? commandez librement. Il faut abandonner Corinne seulement. Entre tant de beautez pourquoi choisir Corinne ? Parce qu’en vostre cœur je croy qu’elle domine. C’est vostre illustre amie.         Et vostre amante aussi. Apres avoir fait voir mes respects jusqu’icy, Je ne puis me resoudre à luy faire un outrage. Et moy je ne veux point d’un cœur qui se partage De cet ordre cruel je suis un peu surpris. On ne peut toutesfois m’aspaiser qu’à ce prix. Un billet luy dira ce que je n’ose dire. Au sortir de ces lieux vous le pourrez escrire. Je le feray tenir apres fort seurement. J’en prendray bien le soin, n’en doutez nullement. Non, non, je veux le voir, & l’envoyer moi-mesme. C’est trop se deffier d’un Amant qui vous ayme. Je le veux.         Je rendray vos desirs satisfaits. Vous me l’envoyrez donc.         Ouy, je vous le promets. Mais puis-je m’assurer sur de telles promesses, Vous seule l’emportez sur toutes mes Maistresses Et mon esprit touché d’un charme si puissant. Si c’estoit trop peu d’une en immoleroit cent. Tu dis qu’on a rendu le billet à Corinne, N’a-t-on point observé qu’elle eut l’humeur chagrine ? On n’a rien remarqué dans tout son entretien. Corinne a de l’esprit, & dissimule bien ; Pour ne luy plus laisser aucun sujet de plainte, As-tu desabusé le constant Hyacinthe ? Du trait qu’on m’a joüé, sçait-il la verité ? Daphnis m’est venu voir, à qui j’ay tout conté, C’est le meilleur amy qu’il ait dans toute l’Isle. C’est assez.         Mais ce soin me paroist inutile De le desabuser, si vous ne l’aymez pas, Si ce fidel Amant est pour vous sans appas. J’ay destourné l’effet de son dessein funeste, Quand on a de l’esprit, l’on devine le reste. Il a fort constamment adoré vos beautez ; Mais Ovide fait voir cent rares qualitez, Il a l’air fort galand, & l’esprit admirable. S’il estoit moins changeant, il seroit plus aymable. Duquel des deux Rivaux recevez-vous les vœux ? Je ne t’en diray rien, devine si tu peux ; Je ne ressemble point à ces faibles Amantes, Qui dans leurs passions veulent des confidantes ; Et si jamais d’aymer je prenois quelque soin, Je ne voudrois avoir que mon cœur pour tesmoin. Avec ce noble orgueil vous estes fort à plaindre, S’il faut aux yeux de tous sans cesse vous contraindre. Et mal traiter souvent un Amant qui vous plaist. Finissons ce discours, car Corinne paraist, Et vient confidemment me dire une nouvelle, Dont je suis l’origine, & que je sçais mieux qu’elle. Qu’avez-vous fait d’Ovide ? où l’avez-vous laissé ? A vous suivre partout il fait fort l’empressé. Depuis qu’il m’a conduite au bord de la fontaine, Je ne l’ay point reveu, ny n’en suis point en peine. Quand il ne vous suit pas, c’est un fort grand hazard. Je viens de recevoir un billet de sa part. Où sans doute il vous peint son ardeur amoureuse. Je veux vous le montrer.         Je suis peu curieuse De sçavoir vos secrets.         Je n’en ay point pour vous, Vous aurez du plaisir à voir ce billet doux. Puis que vous le voulez, je m’en vais donc le lire C’est ce que par vostre ordre Ovide vient d’escrire. PREMIER BILLET. à Corinne. Corinne, si vostre merite Est dans Rome admiré de tous, La Nymphe pour qui je vous quitte, Brille dans ces lieux plus que vous ; Sans m’accuser d’estre infidelle, Pour aymer ce que Cypre a de plus glorieux, Accusez seulement la nature & les Dieux, Qui vous firent naistre moins belle. Ovide. Le procedé d’Ovide & bien vous surprend-il ? Il est fort peu galand, & beaucoup incivil. Il me donne congé d’assez mauvaise grace. Ah ! je m’en vengerais estant en vostre place, Et quoy qu’il me pût dire apres de pareils traits Avecque moy jamais il ne feroit la paix : On a de mauvais yeux alors qu’on vous mesprise. De ce second billet vous serez plus surprise, Que luy mesme m’avoit escrit auparavant. S’il est du mesme stile, il escrit trop souvant. Vous verrez. SECOND BILLET A Corinne. Quand je vous escriray que je manque de foy, De ce billet forcé ne soyez point surprise, Imputez ce crime à Cephise, Et n’en blasmez l’Amour, ny moy ; Plaignez un mal-heureux dans cette conjoncture, Et de vostre Rivale accusez la rigueur ; Je luy prestay ma main pour vous faire une injure, Mais pour vous en vanger je vous donne mon cœur. Ovide.         Il nous joüe, & la galanterie, A ne rien desguiser, passe la raillerie ; Il faut pour le punir, nous vanger toutes deux, Si Corinne y consent.         De bon cœur je le veux ; Mais pour bien reüssir comment faudra-t’il faire ? Il faut dissimuler nostre juste colere, Et luy dire en raillant, pour tromper ce trompeur, Que nous voulons sçavoir qui des deux a son cœur ; Et que prisans beaucoup un merite si rare, Pour l’une de nous deux il faut qu’il se declare. S’il s’explique pour vous ?         S’il s’explique pour moy, Vous pourrez l’accuser de vous manquer de foy, S’il s’explique pour vous, je pourray tout de mesme Le blasmer justement d’une inconstance extreme ; Ainsi lors qu’il pretend nous joüer aujourd’huy, Toutes deux de concert nous nous joüerons de luy. Il vient tout à propos, l’occasion est belle. De peur qu’il n’imagine une ruse nouvelle, Ne perdons point de temps, & le poussons à bout, Raillons cet inconstant qui se raille de tout. Il n’est pas à propos que je les voye ensemble, Il faut me retirer.         Il s’en va ce me semble ; De peur qu’il ne s’echappe, il faut le rappeler ; Ovide, revenez, où vouliez-vous aller ? Et quoy ? nous fuyez-vous.         Vous sçavez le contraire, Et que mon plus grand soin est celuy de vous plaire ; J’ay creû que vous vouliez vous parler en secret, Et je me retirois.         Vous estes trop discret. Je puis une autre fois vous rendre ma visite. Non, il faut demeurer, vous n’en estes pas quitte. Ah ! tout est découvert.         Il change de couleur. Il a quelque soupçon, & prevoit son mal-heur. Nous voulons vous parler de chose d’importance. Ne retenez donc point mon esprit en balance. Ces billets obligeans, dites, sont-ils de vous ? Que leur diray-je, ô Dieux !         Parlez, respondez nous ? C’est par galanterie…         Elle est un peu trop forte ; Vostre inconstante humeur en use de la sorte, Mais vos billets nous font un trop sensible affront. Que l’une ait le premier, & l’autre le second ; Vous les lirez tous deux sans en avoir de honte, L’une & l’autre loüée y trouvera son conte, Car chacune y verra preferer sa beauté. Et chacune y verra vostre infidelité. Ovide en nous joüant a montré trop d’audace ; Mais pour luy son merite a demandé sa grace, Et nous luy pardonnons pour la premiere fois, Pourveû que sur le champ son amour fasse un choix. De deux objets charmans le choix est difficile ; Celuy que je ferois pourroit estre inutile,     Ne pouvant deviner laquelle de vous deux Veut m’estre favorable & recevoir mes vœux ; Mais faites choix de moy plustost ou l’une ou l’autre, Puis que ma volonté se regle par la vostre ; Sans faire le cruel, je donneray mon cœur     A celle qui pour moy quittera sa rigueur ; Elle ne risque rien, fort seure d’estre aymée. Vous contez donc pour rien, l’honneur, la renommée ? Pour un esprit galand c’est mal faire la Cour, Que de nous obliger à vous parler d’amour ;     Mon sexe en doit donner, & le vostre en doit prendre, Rendez-nous le respect que vous nous devez rendre, Quittez cette humeur vaine, & nepretendez pas. Que mon sexe orgueilleux fasse les premiers pas. J’en ay déjà fait deux d’une importance extrême, Alors qu’à toutes deux j’ay declaré que j’ayme, Sans avoir dans vos cœurs excité la pitié. En vouloir aymer deux, c’est trop de la moytié. Je vous l’ay dê-ja dit, ce chois n’est pas facile. Pour vous en exempter, la ruse est inutile. Et quoy ? Corinne aussi parle donc contre moy ? Ovide à toutes deux ayant manqué de foy, Nous voulons aujourd’huy malgré son inconstance, Sçavoir a qui son cœur donne la preferance. Vous tenez toutes deux mes esprits suspendus, Aux merites pareils mesmes respects sont deus, Rien n’esgalle icy-bas mes divines Maistresse ; Et celuy qui fut Juge entre les trois Deesses, Avec tout son esprit n’eust pas peû decider Entre vos deux beautez laquelle doit ceder ; Si je vous parle donc sans aucun artifice, Ne me contraignez pas à faire une injustice, Dont l’une de vous deux se pourroit repentir. Nous sommes dans un doute, & voulons en sortir. Au lieu de persister dans cette injuste envie, Partagez toutes deux les heures de ma vie, Comme vous partagez mes desirs & mon cœur ; Je veux bien avoüer que j’ay plus d’un vainqueur, Mon ardeur sans pareille à vos beautez ressemble, Et j’ayme plus moy seul, que deux constans ensemble ; Je sçay m’accommoder à divers sentimens, Et deux Amours parfaits valent bien deux Amans. Puis que nous condamnons vostre humeur inconstante, Il ne faut qu’un Amour, & qu’une seule Amante. Aymer celle où vos yeux rencontrent plus d’appas. Qui sera celle ô Dieux ! que je n’aymeray pas ? Helas !         Par cet helas ! il va monstrer sa flamme. Il s’en va descouvrir les secrets de son ame. Il me fait les yeux doux.         Il me serre la main. Il faut vous expliquer, vous l’evitez en vain. Je ne puis dire rien, ayant trop à vous dire, Et je m’explique assez, alors que je souspire. A laquelle de nous addressez-vous vos vœux ? Pour qui sont ces souspirs, dites ?         Pour toutes deux. Sans nous entretenir d’une flame importune, Pour n’en pas perdre deux, il en faut choisir une. Ainsi l’une de vous m’oblige à la trahir. Et bien, nous le voulons.         Il faut vous obeïr, Puis qu’à me conserver vous prenez quelque peine, Si vos rares beautez n’ont point pour moy de haine, Pour vous mieux meriter, & pour se rendre heureux, Ovide doit agir en Amant genereux ; Mais si ma passion suivoit icy la vostre, Si je preferois l’une en presence de l’autre, Et si j’osois luy faire un affront esclattant, Je serois incivil pour paraistre constant : Pour ne rien faire donc contre la bienseance, Et d’un pas dangereux sortir avec prudence, Sans blesser mon honneur, ny vous faire rougir, Voyez comme l’Amour me conseille d’agir : Celle à qui je rendray la premiere visite, Sera celle où mon cœur trouvant plus de merite, Jusqu’au dernier souspir fait dessein d’adorer, Adieu, pour ce beau choix je vais me preparer Si nous habitons tous cette belle demeure, Nous nous rencontrerons aisément à toute heure. J’iray voir tout expres dans son appartement, Celle que j’aymeray le plus parfaitement. Que son addresse est grande !         Elle n’a point d’esgalle. Il sort adroitement d’un amoureux dédalle. Nous sçaurons malgré luy, lors qu’’il fera le choix, De laquelle des deux il veut prendre des loix. Ovide ayme Cephise, & l’ingrat la respecte. Sa maniere d’agir me doit estre suspecte, De concert avec moy de Rome il est party, Des raisons l’obligeoient à prendre mon party. Un serment mutuel l’un à l’autre nous lie, Nous avons fait des loix en partant d’Italie, Sur les sacrés Autels en presence des Dieux, Qu’il devoit observer jusques dedans ces lieux. Plus de ces belles lois vous faites un mystere, Plus je brusle d’oüir ce que vous voulez taire. Vous avoit-il promis d’estre un jour vostre Espoux ? Non, & ce sont des loix secretes entre nous. Si c’est d’estre constant, il en tient peu de conte, Tel qu’il estoit dans Rome, il est dans Amathonte. Je le cheris pourtant, tout volage qu’il est ; Qui l’escoute, l’admire, & des qu’il parle, il plaist. D’ordinaire l’amour naist de la ressemblance. Voudrais-tu, comme luy, m’accuser d’inconstance ? De l’air dont bien souvant on vous en voit user, On a grande raison de vous en accuser ; Un amant vous suffit dans Rome, ou dans cette Isle ? L’Amour n’en voudroit, qu’un, mais la gloire en veut mille ; Une ame ambitieuse en a tousjour trop peu, Pour orner son Triomphe.         Ah Dieux ! l’estrange aveu ! Quand vous parlez ainsi, j’ay bien peine à vous croire. Tu ne sçais pas encor ce que c’est que la gloire : D’un double honneur mon sexe a l’esprit combattu, L’un naist de la beauté, l’autre de la vertu ;     La vertu s’est acquise une estime assez forte, Mais tousjour la beauté dans le monde l’emporte ; L’une en fort petit nombre a ses admirateurs, Mais l’autre fait la foulle & les Adorateurs. Mais cette foulle aussi perd nostre renommée. La honte vient d’aymer, & l’honneur d’estre aymée, L’on conte nos attraits en contant nos Amans, Leur perte ou leur mesprit fait nos secrets tourmens ; C’est la raison qui fait que je souffre avec peine    585 Qu’Ovide qui m’aimoit ose rompre la chaisne. Mais pour le rengager, il faut le traiter mal. Quel Amant pourriez-vous luy donner pour Rival, Qui peust avec sujet luy donner de la crainte ? Je veux pour son Rival luy donner Hyacinthe. Vous ne sçauriez jamais faire un plus digne choix, Mais si Cephise aussi le range sous ses loix, Ce dessein hazardeux vous doit rendre timide. Je ne luy tens des retz que pour reprendre Ovide, Et ne hazarde rien. Mais il vient à propos ; Voy si j’entens bien l’art d’enchaisner le Heros. Je viens vous annoncer une heureuse nouvelle. Rien de facheux ne sort d’une bouche si belle ; Mais mon Astre à me nuire est si fort obstiné, Que je n’ose esperer de me voir fortuné. Hyacinthe en la fleur de ses jeunes années, Par ses hautes vertus vaincra les destinées. Si mon sort se pouvoit changer par la valeur, Mon amour est si grand qu’il vaincroit mon mal-heur ; Mais le cruel destin m’oste toute esperance. Hyacinthe est cent fois plus heureux qu’il ne pense ; Une jeune beauté, l’ornement de ces lieux, Qui parmi ces Captifs conte des Demy-Dieux. Connoissant vos vertus n’a point pour vous de hayne. L’excés de mes ennuis, la grandeur de ma peine, M’ostent avecque l’espoir la curiosité. Si vous sçaviez le nom de l’illustre beauté, Qui m’oblige à vous faire un glorieux message, Vous changeriez bientost d’humeur & de langage. Puis que de son estime elle fait un secret, Vouloir sçavoir son nom c’est paraistre indiscret. Sa pudeur cache un feu que sa raison fait naistre, J’en avois dit assez pour la faire connaistre, Lors que j’ay dit qu’elle est l’ornement de ces lieux ; Mais je m’en vais encore vous la depeindre mieux. C’est celle qui pretend de remporter la pomme     Sur toutes les beautez de la Grece & de Rome ; Qui connoist vos vertus, mais qui jusqu’à ce jour N’a point encore voulu vous montrer son amour, Et s’est tousjour fait voir aussi fiere que belle. Je reconnois Cephise, à ces marques, c’est elle, Seule elle peut causer ma joye & mon ennuy, Qu’avez-vous de sa part à me dire aujourd’huy ? Ah ! de grace achevez, pour finir mon martire. A Dieu, je me raillois, & n’ay rien à vous dire. Je ne puis rien connaistre à cet obscur discours, Elle dit qu’elle vient pour me donner secours. Et tourne, en me quittant, ma peine en raillerie, De son dessein Amour, instruis moy je te prie ? Cette fiere beauté m’a descouvert ses feux, Ovide est son Amant, en voudroit-elle deux, Que puis-je imaginer, non Corinne m’abuse, De ce stille trompeur je reconnois la ruse, Elle agit de concert avecque mon Rival, Et veut que son amour me devienne fatal : Elle feint de m’aymer, & de parler pour elle, Pour faire soubçonner que je suis infidelle : Afin qu’apres Cephise avec quelque équité Me puisse reprocher cette infidelité. Mais sans qu’Ovide ait part au mal qu’on me veut faire, L’intrigue du portrait me doit assez deplaire,     Pour luy faire sentir les traits de mon courroux. Et pour m’abandonner à des transports jaloux. Sans pousser un Rival ny marcher sur ses traces, Attendons un arrest de la bouche des Graces, Qui brilleront demain sous ces ombrages vers.     Pour me faire Justice aux yeux de l’Univers. Apres si ce perfide excite encore ma haine, Malgré l’orgueil du Tybre & la grandeur Romaine, Je luy feray santir dans mon ressentiment, Que rien n’est à couvert des fureurs d’un Amant. Dieux, j’aperçois Corinne ! esvitons sa presence ; Puisque c’est par rencontre, elle est sans consequence. Alliez vous me chercher dans mon appartement ? Puis que vous en sortez, ce seroit vainement, Corinne, escoutez moy, sans faire la cruelle ; Où voulez vous aller ?         Où la gloire m’appelle, Je vais chercher le prix que vous me refusez, Ingrat.         Je ne sçay pas dequoy vous m’accusez. Que m’aviez vous promis au rivage du Tybre, D’adorer vos beautez, sans cesser d’estre libre. N’avons-nous pas tous deux fait de secrettes loix, Qui ne nous laissent plus la liberté du choix ? Pour les mieux observer apres les avoir faites, Je les porte avec moy toûjours sur des tablettes, Et n’en ay violé pas une asseurement.     Pour estre convaincu lisez-les seulement. Puis que vous l’ordonnez, je vais vous satisfaire, Et vous n’aurez aprez nul reproche à me faire, ARTICLES SECRETS Accordez entre Ovide & Corinne, en partant de Rome pour aller en l’Isle de Cypre. I. ARTICLE. Avant que de partir de cette Auguste Cour, Nous jurons sur l’Autel d’Amour, De garder l’un pour l’autre une foy mutuelle, Et d’avoir de nous plaire un desir violent, Tant qu’Ovide sera galand, Et que Corinne sera belle. II. ARTICLE. Nous voulons pour joüir du plus parfait bonheur, Que chacun suive son humeur, Sans Jalousie & sans murmure, Que l’on ne parle point du facheux nom d’espoux, Et que tousjours l’Hymen soit banni d’avec nous, Comme un oiseau funeste & de mauvais augure. Pour esloigner tous les soucis, Qui troublent les Amans transis, Nous voulons un amour qui soit exempt d’allarmes, Qui n’ait ny prisons ny liens, Et ne mesle en ses entretiens Jamais de regrets ny de larmes. Sans nous piquer d’estre constants, Nous voulons tous deux en tous temps Offrir & recevoir des vœux & des caresses ; Et que tousjour en liberté,     Chacun puisse de son costé, Faire divers Amans & diverses Maistresses. Pour laisser un champ libre à nos jeunes Amours, Et dans la fleur de nos beaux jours Voir couronner nos fronts de plus d’une victoire, Sans que des liens de l’un, l’autre soit envieux, Ovide peut chercher les plaisirs en tous lieux, Et Corinne par tout la gloire. De violer ces lois puis-je estre convaincu ? Non, mais vous le ferez, quand vous aurez tout leû. Tournez donc le feüillet, pour voir la principale, Qui parle en ma faveur & contre ma Rivale ; Cet article important sert à mes interests. Je l’avois oublié.         Vous l’oubliez exprés. VI. & dernier ARTICLE. Alors que nous serons dans l’Isle de Venus, Où mille charmes inconnus Ont une secrette puissance ; De quelque aymable objet, qu’Ovide soit tanté, Pour l’interest de la beauté, Corrine sur toute autre aura la preference. Et bien n’avez-vous pas violé cette loy ? Non, & Corinne a tort de se plaindre de moy. Ne me deviez-vous pas preferer à Cephise ? N’est-il pas temps encore ?         Parlons avec franchise, Vous l’aymez fort.         Nos loix ne me defendent pas De porter en tous lieux mes desirs & mes pas : Je cherche le plaisir & vous cherchez la gloire. Je dois sur ma Rivale emporter la victoire ; Dites donc la raison qui vous fait differer De me tenir parole & de me preferer, Vous me l’avez promis, & cét écrit vous lie. Attendez que le prix soit donné par Thalie, Et si son jugement dans des lieux si charmans Ne s’accorde pas bien avec vos sentimens, Si Thalie aujourd’huy vous fait une injustice,     Quand Cephise avec vous paroistra dans la lice, Je jure par vos yeux dont les traits sont si doux, Que mon cœur aussi-tost s’expliquera pour vous, Et se declarera devant toute la Grece. De ce discours subtil je reconnois l’adresse, Vous voulez que le Ciel couronne nos appas. Avant vous declarer, pour ne me tromper pas. Mais si j’obtiens le prix avec cet avantage, Je verray si je dois recevoir vostre hommage. Un Dieu sçaura pour moy flechir vostre rigueur, Vous allez remporter & la pomme & mon cœur, Avec juste raison vous y pouvez pretendre. Dans la place des jeux les Graces se vont rendre, Et vostre Char est prest.         La place n’est pas loing ; Je fais des vœux pour vous, l’Amour m’en est tesmoin. Je vais voir quel succez aura mon entreprise ; Adieu, fidel Amant de la belle Cephise. Je fais des vœux pour elle, afin qu’elle ait le prix, Sa Rivale pourtant regne sur mes esprits ; Et bien qu’aux yeux de tous Corinne soit plus belle, Cephise a pour me plaire une grace nouvelle ; Et ce qu’elle a d’aymable avec la nouveauté, Est un charme assez grand pour en estre tenté : Corinne est plus coquette & plus ambitieuse, Mais Cephise est plus prude & bien plus amoureuse. Celle qui dans son sein estouffe ses soupirs, Accroist par ses refus l’ardeur de ses desirs ; Moins on parle d’amour, plus on le sent dans l’ame ; La plus chaste en son cœur a des sources de flamme, Que l’on void desborder apres comme torens, Quand les desirs vainqueurs deviennent ses tyrans. C’est ce qui rend Cephise à mes yeux plus charmante. D’autre costé Corinne a l’humeur plus galante, Elle a milles attraits pour r’allumer mes feux, Je les veux si je puis, conserver toutes deux, Et s’il faut faire un choix, je veux suivre les traces De celle qu’aujourd’huy vont couronner les Graces. Mais mon Rival paroist, escoutons ce jaloux, Sans avoir contre luy ny haine, ny courroux. Je vous rends l’amitié que vous m’aviez jurée. La vostre à ce discours est de courte durée ; Mais lors qu’on fait dessein de rompre avecque moy, Il est juste du moins qu’on me dise pourquoy. De ce que l’on a fait, on garde la memoire, L’intrigue du portrait n’est pas à vostre gloire, Daphnis m’en a donné tout l’esclaircissement. Et vous le croiez donc ?         N’en doutez nullement. Si je perds un amy pour avoir trop d’adresse, J’iray m’en consoler aupres de ma Maistresse, Sans que cet accident me cause aucun soucy. Et j’iray comme vous me consoler aussi. Puis-je encore vous parler avec quelque franchise ? Vous perdez vostre temps de penser à Cephise, Je plains vostre malheur de m’avoir pour rival. Mais vous mesme craignez que je vous sois fatal. Si mes Escrits dans Rome enseignent l’art de plaire, Me disputer un cœur, c’est estre temeraire. Je sçay que l’art d’aymer fait bruit de toutes parts, Et qu’il vous rend fameux à la Cour des Cezars ; Mais l’on doit avoüer, à moins que d’estre injuste, Que la Cour de Venus vaut bien celle d’Auguste. L’air qu’on respire en Cypre, est si pur, si charmant, Qu’on n’y peut estre un jour sans devenir Amant, Et selon vostre aveû, cette Isle a l’avantage : Des Dieux au bord du Tybre on ne voit que l’image, Au lieu que nous voyons dans cet heureux sejour Converser parmi nous les Graces & l’Amour. Enfin ce doux Climat ne voit point naistre d’homme, Qui ne fit des leçons au plus galand de Rome ; Les dances & le chant, la coiffure & le fard, Au lieu de la vertu sont presque tout vostre Art. C’est estre peu galand, sçavoir peu l’art de plaire, Que d’apprendre à ce sexe à se monstrer severe ; Qui luy veut enseigner la vertu qui nous nuit, Aux mysteres d’amour est assez mal instruit : Il faut devant ce Dieu que les sages se taisent, Il n’est point Philosophe, & les erreurs luy plaisent, Il inspire toujours d’agreables desirs, Et bannit la raison qui banit les plaisirs : De mesme que l’Amour, chacun sçait que les belles Craignent cette raison qui n’est jamais pour elles ; Et pour en triompher par leurs attraits puissants, Elles sçavent user de l’adresse des sens, Elles mettent leurs soins & toute leur estude A causer des soucis & de l’inquietude, Leurs souris affectez, leurs regards seducteurs,     Sont pour nous engager d’aymables imposteurs, Leur accueil, leurs dedains, leurs amoureuses plaintes, Leurs reproches secrets & leurs coleres feintes, Et ce je ne sçay quoy qu’on ne peut exprimer,     De ce sexe galand composent l’art d’aymer.     Ces maximes d’Amour & ces jolis preceptes. Ne sont que pour Ovide, & que pour les Coquettes. Et vous faites grand tort à ce sexe charmant, De luy vouloir ravir son plus rare ornement, Vous le faites combatre avec de foibles armes ; Sans l’eclat des vertus la beauté perd ses charmes, Et qui veut retenir tous les cœurs en prison, Doit accorder les sens avecque la raison. Lors que vous banissez l’amour du cœur des belles, Que vous leur enseignez à paraistre cruelles, C’est faire à leurs Amans negliger leurs appas, Puis qu’on les ayme en vain, quand elles n’ayment pas. Par l’esclat dangereux de vos raisons subtiles,     Les charmes de leurs yeux deviennent inutiles ; Rendre une Amante ingrate, est la vouloir trahir, Ce n’est pas l’art d’aymer, mais c’est l’art de hayr. Les faveurs bien souvent ne font qu’un infidelle, Mais la vertu retient ceux qu’un bel œil appelle ; Et ce sexe sçavant à troubler le repos,     En fuyant seulement sçait vaincre les Heros. Avez-vous enseigné ce bel art à Cephise ? Elle n’a pas besoin que personne l’instruise. Vous vous mettez vous mesme au rang des demy-Dieux, Quand vous osez servir cet objet glorieux. Je puis bien aspirer à cet honneur insigne, Quand je vois un Rival qui n’en est pas plus digne. Un Chevalier Romain n’est pas à refuser. Et le sang des Heros n’est pas à mespriser ; Et si vous vous vantez d’estre aymé des Princesses, Ceux de ma race sont favoris des Deesses. Les Amours d’Adonis me sont assez connus ; Mais il ne s’agit pas des Amans de Venus, Il s’agit seulement de la belle Cephise, Et vous faites pour elle une vaine entreprise !     Pour sçavoir qui de nous la merite le mieux, Voyons ce que demain ordonneront les Dieux. Jusques là le respect nous oblige à nous taire, Apres au mescontent on pourra satisfaire. Je vous satisferay lors que j’auray le prix, Nos maistresses en vain irritent nos esprits. Si nostre sort dépend du destin de ces belles, Il faut auparavant en sçavoir des nouvelles. S’il m’eust esté permis d’assister à ces jeux, On n’eust point veû languir mes desirs curieux, Et l’on n’eust pas donné le prix en mon absence. Moy j’estois fort tanté, malgré cette defence, D’aller ouïr l’Arrest qu’on devoit prononcer. Mais Maxime paroist, qui vient nous l’annoncer ; Corinne pourroit bien avoir eu l’avantage. A Cephise vaincue, irez-vous rendre hommage ? Il est d’un vrai Romain & d’un cœur genereux, D’estre pour les vaincus & pour les mal-heureux. Et bien Maxime, & bien, qui remporte la pomme ? Est-ce Cypre & Cephise, ou bien Corinne & Rome ? Parle ?         L’arrest n’est pas encore prononcé, Mais je vais vous conter tout ce qui s’est passé, Car je viens d’assister à la ceremonie, Où de gens curieux une foule infinie, Dans la place des jeux se rend de tous costez, Pour y voir disputer le prix à ces beautez.     Jamais Rome, jamais dans ses plus grandes festes, Lors qu’elle a triomphé pour d’illustres conquestes N’a fait voir à la fois tant de peuples divers. Il semble que l’on ait assemblé l’univers,     Afin de decider dans cette douce guerre, A qui demeurera l’Empire de la Terre. Un si grand bruit s’espand dans cet heureux sejour, Que l’on oit retentir les echos d’alentour : Mais dés qu’on apperçoit & Cephise & Corinne, Ces deux charmans objets dont la grace est divine, Qui comme deux Soleils descendent de leurs Chars, Le silence succede au bruit de toutes parts. Ce grand peuple ravy de ces rares marveilles, N’est plus qu’un Corps plein d’yeux, sans voix & sans oreilles, Que dans ces lieux à peine on entend respirer, Et qui ne fait plus rien que voir & qu’admirer. Sur un haut Tribunal les Graces eslevées, D’un souris negligeant les ayant saluées, Pour mieux considerer leur visage & ses traits,     Elles font approcher ces Nymphes de plus prés. Lors d’un secret dépit leur grande ame saisie, Ne peut voir tant d’appas sans quelque jalousie ; Et la vive couleur qui paroist sur leur tein, Descouvre ce dépit qu’elles cachent en vain. Pour ses deux sœurs Thalie ayant pris la parolle D’un air civil pourtant leur parle & les cajolle : Mais pour diminuer un peu de leur orgueil, Apres leur avoir fait un favorable accueil, Elle dit hautement à ces belles Rivales ; Que bien que leurs attraits les rendent sans egales, Que leur charme puissant dont leurs yeux sont surpris, Ne suffit pas encore pour remporter le prix, Ni pour voir de sa main leur Teste couronnée, Si de quelqu’autre don leur beauté n’est ornée. Elle ordonne aussi-tost que pour le meriter, L’une & l’autre ait le soin de leur faire eclater, Et pour rendre leur gloire ou leur honte publique, Thalie enfin choisit la Dance & la Musique. Ces Arts en ce beau sexe ont beaucoup d’agréments. Et Thalie en fait choix avec grand jugement. Par son ordre Cephise en mesme temps s’avance, Sur un riche Tapis preparé pour la dance, Aux yeux des spectateurs cette Illustre beauté Paraist à sa demarche une Divinité. Le jeune Iphidamas que dans Cypre on admire, De sa sçavante main touche à sa douce Lire, Et respand dans les airs un son melodieux, Dont l’agreable bruit monte jusques aux Cieux. La Nimphe qui fait voir une grace infinie, Pour accorder ses pas avec cette harmonie, D’un mouvement leger du Tapis fait le tour, Et trace de son pied mille chiffres d’amour, Tout le monde loüant sa merveilleuse adresse, D’une victoire seure elle flatte la Grece,     Qui pense voir bien-tost couronner ses desseins,     Mais un reste d’espoir flate encore les Romains. Chacun avec raison pour son pais incline. Les Graces cependant font avancer Corinne, Qui dispute le prix à Cephise à son tour, Et le disputeroit à la mere d’Amour. Le noble orgueil qu’au front cette Romaine estalle, Fait voir qu’elle craint peu sa superbe Rivalle. Pour faire triompher ses glorieux appas, Cette beauté sçavante en l’art d’Iphidamas, Chante d’un ton plaintif sur sa Lire dorée Les Amours d’Adonis bruslant pour Cithérée. Par sa voix ravissante & ses divins accords, Elle exprime si bien sa gloire & ses transports, Que tous les assistans charmez par les oreilles, Sentent dans leurs esprits des passions pareilles, Elle fait plaindre l’air avec tant de douceur, Qu’on croit oüir encore cet amoureux Chasseur, Qui bravant le destin meurt pour une Immortelle, Et Corinne en Venus rend la douleur si belle, Qu’elle excite en chacun les mesmes déplaisirs,     Et fait de tous les cœurs un concert de soupirs. Ainsi Corinne, ainsi charme au son de sa Lire. C’est un enchantement que j’ay peine à descrire, Et si de l’assemblée eut dependu le choix, Sa voix melodieuse eût eû toutes les voix. Que pense à ce recit le constant Hyacinthe ? Pour la belle Cephise a-t’il pas quelque crainte ? Car Corinne fera couronner ses appas. Il faut attendre encore, pour ne se tromper pas. Nous eussions, comme toi, veu la ceremonie, Si nostre passion n’en eût esté bannie ; Mais nous n’ignorons pas que dans ces jeux sacrez, On ne souffre jamais les Amans declarez, De crainte que l’amour qu’ils ont pour leur Maistresse, Ne perdit le respect que l’on doit aux Deesses, Et ne s’accordât pas avec leur jugement. Les Intendants des jeus agissent prudemment. Mais Daphnis vient icy, qui paroist hors d’haleine. Hyacinthe, je viens pour vous tirer de peine, La divine Cephise a remporté le prix. Ah ! que j’en ay de joye !         Ah ! que j’en suis surpris ! Cephise a triomphé de Corinne & de Rome ! Ouy, la belle Cephise a remporté la pomme, Et tous les spectateurs en sont d’aize ravis. Ces esprits inconstans ont donc changé d’avis. Ils ont changé d’avis aussi-tost qu’ils l’ont veüe Dans un Char Triomphant de mil attraits pourveüe, La pomme d’Or en main, le front orné de fleurs, Et le teint éclatant des plus vives couleurs Qu’une sage pudeur apres cette victoire, Faisoit naistre à propos pour croistre encor sa gloire. Mais que disoit Corinne apres un tel affront ! N’a-t’on point veu monter la rougeur sur son front ? Cette fiere beauté n’en avoit nulle honte, Et de ce jugement elle fait peu de conte ; Dit que de ses appas les charmes sont connus, Et ne veut recevoir pour juge que Venus. Cephise cependant en Triomphe est menée, Sa superbe beauté dans Cypre est couronnée, Et l’on fait retentir son beau nom jusqu’aux Cieux. Puis que Cephise emporte un prix si glorieux, Allons donc rendre hommage à sa beauté divine. Non non, allez plus-tost pour consoler Corinne, Il est d’un vrai Romain & d’un cœur genereux,     D’estre pour les vaincus & pour les mal-heureux. Il est d’un vrai Romain, d’une ame genereuse, D’aymer la plus parfaite & la plus glorieuse : Et tout homme galand malgré vos feux constans, Veut ce que veut l’amour & s’accomode au temps. Je ne viens pas vous voir ainsi qu’une Rivale, Dont la nouvelle gloire à la mienne est fatale ; Car j’ay veu de mes yeux l’honneur qu’on vous a fait, Sans vous porter envie, & sans aucun regret ; Sans temoigner aussi du chagrin ny de honte, Je vous vois triompher dans les murs d’Amathonte. Si vous sçavez si bien l’art de dissimuler, Vous m’espargnez le soin de vous en consoler. Je venois dans ces lieux vous consoler vous-mesme, Vous donner un advis d’une importance extresme. Les gens conseillent mal qui sont interessez. Ah ! vous n’en estes pas encore où vous pensez. Lors que pour decider nostre illustre querelle, Thalie eût ordonné que l’on s’approchât d’elle, Et que ce vif esclat que nous tenons des Cieux, De tous les spectateurs eut attiré les yeux, Dites, n’avez-vous pas observé que les Graces, Comme l’ont remarqué ceux qui suivoient nos traces, N’ont peû nous regarder sans despit, sans douleur ? Oüy, j’ay veu que leur tein a changé de couleur. L’on sçait que leur dépit n’estoit que trop visible, Et que nous leur causions un déplaisirs sensible. Quand les Graces auroient un sentiment jaloux, Leur dépit pourroit-il descendre jusqu’à nous ? Leur indignation, leur colere divine, Ne va pas jusqu’à vous & s’arrete à Corinne ; On ne fait pas du bien à qui l’on veut du mal, C’est à moy seulement que l’Arrest est fatal ; Et leur jaloux despit vous ayant negligée, Contre moy seulement leur beauté s’est vangée ; M’ostant la pomme d’or qu’on me devoit donner, Elles vous dedaignoient vous faisant couronner ; Ainsi quand vous pensiez me ravir la victoire, Vous en aviez la honte, & moy seule la gloire. Vous estes satisfaite, & je la suis aussi ; Mais rendez sur un point mon esprit esclaircy.     Puis que vous pretendez estre victorieuse, De quoy vous plaignez-vous, si vous estes heureuse ? Si vos charmans attraits dans Cypre sont connus, Pourquoy donc implorer la faveur de Venus ?     Pour convaincre d’erreur ceux qui m’ont condamnée, Pour me faire juger à Rome où je suis née, Où Venus a son Temple, ainsi que dans ces lieux, Où brille un Empereur plus juste que vos Dieux. Les Graces chez les Grecs avec excés vantées, Sont du grand Jupiter des filles adoptées, Qui furent autrefois mortelles comme moy, De ces injustes sœurs je ne prends pas la loy : Pour juger qui des deux estoit la plus aymable, L’autre sexe eut paru beaucoup plus équitable ; Au lieu d’une Rivalle il faloit un Amant, Et l’Amour en auroit jugé tout autrement. Je voudrois que le Dieu que cette Isle revere, Empruntast pour nous voir les beaux yeux de sa mere, Ou que pour nous juger il ostat son bandeau,      Je n’appellerois point d’un Jugement si beau. Les Graces vont encor pour causer quelque plainte, Juger les differens d’Ovide & d’Hyacinthe, Pour l’interest d’Amour l’un & l’autre Rival, Vont disputer le prix devant leur Tribunal. J’iray faire rougir encor ces Immortelles. Qui perdent devant moy la qualité de belles, Pour venger mon injure, & braver leur pouvoir, Corinne seulement n’a qu’à se faire voir. Quelle presomption ! qu’elle a l’humeur hautaine ! Pour tout dire en un mot, Madame, elle est Romaine. J’aperçois un Romain qui vient encor icy. Il a l’esprit plus doux, & n’agit pas ainsi. Je viens vous temoigner que j’aime vostre gloire, Je viens vous rendre hommage apres vostre Victoire, Je viens pour admirer vos rares qualitez,     Qui se font couronner par des Divinitez. Je ne suis pas surpris, que la sage Talie Vous ait fait triompher de la fleur d’Italie, Elle ne pouvoit pas vous refuser le prix. Corinne dit pourtant que l’on s’est fort mépris, Et veut estre jugée en presence d’Auguste. La honte & le dépit la font paroistre injuste ; Ovide l’abandonne à son transport jaloux ; Et tout Romain qu’il est, se declare pour vous. Mais à Corinne ainsi vous estes infidelle. Qu’elle se pleigne aux Dieux qui vous firent plus belle. Peut-elle me blasmer de la vouloir quitter, Sans blasmer ses appas qui n’ont peû m’arrester ? Mais pour se consoler, elle a quelque compagne     A Rome, dans la Gaule, en Affrique, en Espagne. Comme je suis touché des rares qualitez, Je fais par tout ma cour aux plus grandes beautez, Et je veux quelque jour vous en donner la liste. Nous y verrons les noms d’Olimpe, de Caliste, D’Albine, d’Emilie.         Et cent autres encore, Dans l’Almanach d’Amour je marque en Lettres d’or Les noms de mes vainqueurs au jour de leur conqueste, Et de ces jours heureux je fais des jours de feste. Le beau nom de Corinne est le premier de tous, Quoy que vous me disiez.         Elle n’est qu’apres vous, Et lors que je vous rends la premiere visite, Je m’explique en faveur d’un si rare merite. Vous me la deviez rendre en mon appartement. Pour vous y rencontrer, j’en viens presentement ; Mais sans trop m’arrester à cette circonstance, Je vous puis en ce lieu donner la preference. Mais vous vous contraignez en me traictant ainsi. Je ne me contrains point, ny ce que j’ayme aussi, Je vis en liberté.         C’est estre fort commode. Les Amoureux transis ne sont plus à la mode, On se rit des constans parmy les beaux esprits, Et tout Amant qui pleure est digne de mespris. N’est-ce pas faire injure aux charmes d’une belle, De paroistre chagrin lors qu’on est auprés d’elle ? Il faut sans se montrer ny triste ny jaloux, Estre tel que je suis, quand je suis avec vous. C’est dire son humeur avec grande franchise. J’ay beaucoup de respect pour l’aymable Cephise, Et j’abandonne tout pour servir sa beauté, Qui fait seule ma gloire & ma felicité.     Hyacinthe paraist, ce Rival haissable M’oste l’occasion qui m’estoit favorable ; N’en témoignons pourtant ny chagrin ny soucy. Hyacinthe, à propos vous arrivez icy, Vostre rare merite a fait nostre querelle ; Mais pour nous accorder, montrez vous moins cruelle, Vous pouvez d’un seul mot vider nos differens. Puis que vous les causez, ils doivent estre grands J’ignore quels ils sont.         Cela pourroit-il estre ? Et peut-on ignorer des feux qu’on a fait naistre ? Puis que vous vous trouvez entre vos deux Amans, Vous devez declarer quels sont vos sentimens, Mais vous en rougissez ? Amour, je te rends grace, D’avoir mis aujourd’huy cette Nymphe en ma place ; Elle est dans l’embarras où tantost on m’a veu, De choisir l’un des deux vostre tour est venu ; Mais vous en sortirez avecque moins de peine, Car nous avons pour vous plus d’amour que de haine ; Et de quelque costé que penchent vos esprits, Vous n’apprehendez point ny froideur ny mépris. Nos humeurs à tous deux sont assez differentes, Je ne veux point d’Amans, vous vouliez deux Amantes. Si deux sont trop pour vous, ne faites choix que d’un, Prenez le plus galand & le moins importun. Vous figurez l’amour d’une humeur si legere, Qu’elle croit que vos feux ne sont qu’une chimere. Et vous representez ce Dieu si peu charmant, Que vous faites hayr & l’amour & l’amant. Voyez qui de nous deux avec plus juste titre Merite vostre estime, & soyez nostre arbitre, Prononcez nostre Arrest, daignez nous obliger. Je n’ay ny volonté ny droit de vous juger ; Celles qui font ma gloire, & qui m’ont couronnée, Vont faire de vous deux aussi la destinée ; Sur ce haut Tribunal les Graces vont monter, Pour donner la Couronne à qui doit l’emporter. Mais desja dans ces lieux ces Deitez paraissent, Sous leurs pas glorieux je voy des fleurs qui naissent. Pour meriter le prix que pretendent vos feux, Allez leur adresser vos respects & vos vœux ; Pour faire rendre hommage à ces trois Immortelles, Les intendans des jeux font place devant elles, Corinne aussi les suit, & vous la pouvez voir. Vostre exemple aujourd’huy m’enseigne mon devoir. De tant d’Amans divers dont cette Isle est remplie, Que de tous les costez de Grece & d’Italie, L’on voit venir en foule en cet heureux sejour, Afin de disputer les Couronnes d’Amour, Tous à ces deux Rivaux ont cedé cette gloire ;     Et puis que l’un & l’autre aspire à la victoire,     Apprenons de quels traits leurs deux cœurs sont blessez. Pour faire honneur à Rome, Ovide, commencez. Pour d’un Myrrhe amoureux voir couronner ma teste, Assiste moy, Venus, dans cette belle feste ; Mesle dans mes discours ces entretiens charmans, Que tes divins regards inspirent aux Amans : Et vous qui presidez dans Cypre & dans Cythere, Graces, filles du Ciel, sans qui rien ne peut plaire, Declarez vous pour moy dans ce celebre jour, Et me favorisez pour la gloire d’Amour ; Pour l’interest d’un Dieu prenez celuy d’un homme, Qui l’a fait triompher dans la superbes Rome, Et veut qu’il regne encor, en tous lieux, en tout temps, Malgré ces froids esprits qu’on appelle constans. Il faut dans les desirs imiter la nature,     Qui ne peint pas les champs d’une mesme peinture, Et par ses changements & ses diversitez, Fait briller à nos yeux differentes beautez. Chaque Dame a ses dons & remplit bien sa place, L’une a la majesté, l’autre a la bonne grace, L’une a tous les traits beaux, l’autre un teint delicat, L’une a de l’agrément, l’autre beaucoup d’éclat, Enfin le Ciel a fait, pour charmer tout le Monde     La belle, l’agreable, & la brune, & la blonde ; Mais jusques à present nul n’a peu decider, Entre tant de beautez laquelle doit ceder. Quand on n’est pas aveugle, & qu’on est raisonnable, On doit aymer par tout tout ce qu’on voit d’aymable : Et qui n’est pas sensible où brillent les appas, S’en croit lui-mesme indigne, ou ne les connoit pas. L’Amour est un Tribut que l’on doit au merite. Tousjours civillement l’inconstant s’en acquitte, Et pour n’attirer pas la colere d’un Dieu, Il est prest à payer à toute heure, en tout lieu. Mais jamais le constant n’agit que par caprice, Aux belles tous les jours il fait quelque injustice, A plus d’une il fait voir un cœur indifferent, Vers un sexe si fier c’est un crime bien grand. Pour de ces deux Amans mieux voir les differences, Il faut peser leurs mœurs dans de justes balances : L’inconstant a l’esprit doux, civil, complaisant, Le constant est resveur, chagrain & mesprisant, Je croy que ces remords & ces peines cruelles, Viennent de n’avoir pas aymé toutes les belles. Sourire est mal respondre en faveur des constans. Et bien, j’y respondray quand il en sera temps. Mon esprit esclairé de ces belles lumieres, S’en va vous en donner de nouvelles matieres.     Chacun connaist assez que ce sexe charmant, Tire de sa beauté son plus grand ornement, Un amant qui ne veut aymer qu’une maistresse, Quand la beauté s’enfuit avecque la jeunesse, Que ses regards esteints inspirent la froideur, Doit-il estre constant pour aymer la laideur ? Il rend par ces raisons le constant ridicule. Qui cherit les defaux, se trompe, ou dissimule. Un esprit inconstant agit plus prudemment, Et pour fuir la laideur, il court au changement. Dans ce riche Univers où tout se renouvelle, Quand la nature change, il faut changer comme elle, En d’agreables lieux, ramener ses desirs, Et chercher la beauté par tout & les plaisirs. C’est estre plus changeant, mais non pas plus aymable. C’est imiter les Dieux, c’est estre leur semblable. Les actions des Dieux parlent en ma faveur, Ou les Dieux immortels sont sujets à l’erreur. Vous sages Deitez, mes trois aymables Juges, Chez qui les vrais amans ont d’assurez refuges, Pour vostre propre gloire & pour vostre interest, Donnez en ma faveur un équitable Arrest, Au plus parfait Amant donnez la preference, Condamnez mon Rival dont l’amour vous offense ; Une seule ne peut recevoir tous ses vœux, Puis que vous estes trois, qu’il n’en offense deux ; Et puis que toutes trois je vous crois adorables, Pour moy donc toutes trois monstrez vous favorables. Vous dont le cœur constant brusle d’un autre Amour, Hyacinthe, parlez, car c’est à vostre tour. De mon Rival subtil j’admire l’Eloquence,     Et me condamnerois à garder le silence,     N’ayant pas comme Ovide apris cet art charmant, Qui pour seduire un cœur trompe le jugement. Mais quand je vois icy pour mes juges les Graces, Qui des Vertus leurs sœurs suivent par tout les traces, Que ne sçauroit corrompre un langage flateur, Je ne redoute plus ce fameux Orateur. Pour commancer par vous, Déesses adorables, Ovide pour vous rendre à ses vœux favorables, Dit qu’il veut partager l’estime entre vous trois,     De peur d’en blaisser deux par un unique choix. Bien loin d’avoir pour vous d’obligeantes pensées, Les Nymphes de ces lieux en seroient offensées ; Partager ses desirs ce n’est pas faire honneur, Car la moindre beauté croit meriter un cœur. Il n’est rien de mieux dit.         La responce est jolie Je passe à ces raisons, belle & sage Thalie. Le Genie amoureux qui bastit l’Univers, L’orna, dit-il, expres de cent charmes divers, Et fit pour enchaisner les cœurs de tout le monde, La belle, l’agreable, & la brune & la blonde. Mais il fit pour reigler tant de diversitez, Tout autant de desirs, qu’il a fait de beautez. Qui peut plaire à plusieurs & n’en veut aymer qu’une, Est un grand ennemy de sa bonne fortune. Les plaisirs sont legers, estant si limitez ; Mais on en reçoit mille, ayant mille beautez. D’un esprit divisé les desirs s’afoiblissent, Ils ne sont jamais grands, s’ils ne se réunissent ; Qui prend divers partis ne reüssit pas bien, Et qui veut aymer tout, à la fin n’ayme rien. L’inconstant est au bout de ses ruses galantes, Lors qu’il est rencontré par deux de ses Amantes ; Recevant de leur part des ordres differens, Il ne peut obeyr à deux en mesme temps : Si d’en servir plus d’une il est si difficile, Comment pretendez-vous qu’on en puisse aymer mille ? On peut fort aisement les aymer tour à tour, Les aymer par quartier, comme on sert à la Cour. Ce sera pis encor, car celle que l’on quitte, Se plaindra que l’on fait injure à son merite, Et celle qu’il choisit, doit s’attendre qu’un jour Un esprit si leger luy joüra mesme tour. Sur la fidelité l’amante se repose ; Aymer, estre fidelle, est une mesme chose.     Les desirs inconstans, & qui changent toujours,     Ce sont des feux folets, & non pas des amours. Un trompeur qui s’engage à diverses maistresses ; Pour les mieux abuser par de feintes promesses, Et trouver une excuse à l’infidelité, Dit qu’il fuit la laideur, & cherche la beauté ; Mais la beauté du corps d’un volage adorée, N’est pas à dire vray, de si courte durée ; Quoy que l’on la compare aux roses du Printemps, Qu’elle ne dure assez pour voir des feux constans : L’espace est assez long du regne d’une belle, Pour obliger un cœur à demeurer fidelle ; Et l’esprit n’a t il pas des charmes eclatans, Qui ne sont point sujets à l’injure du temps ? Fort bien, mais dites moy, les Amans de cette Isle, Auroient-ils soupiré pour la vieille Sybille ? Elle avoit l’esprit beau.         C’est railler galamment. Ovide ne sçait pas ce que c’est qu’estre Amant. Lors que d’un mesme trait deux ames sont blessées, Qu’elles n’ont toutes deux que les mémes pensées, Elles ont des plaisirs qu’on ne peut exprimer, Et qu’on sent seulement lors qu’on sçait bien aymer ; Leurs soucis amoureux, qu’il appelle humeur noire, Ne sont pas des remords, mais des desirs de gloire ; Les grandes passions ravissent le repos, Et de mesme que Mars, l’Amour a ses Heros. La plus illustre vie est de soins toujours pleine, Au feste du bonheur nul n’arrive sans peine ; Mais ce Dieu favorable au plus fidelle Amant, Paye un siecle d’ennuis par un heureux moment. De vos Amans transis avez-vous des exemples, De ceux à qui la gloire a fait bastir des Temples  ? Il en est d’assez beaux & d’assez éclatans, Pour convaincre d’erreur les esprits inconstans. Le Dieu qui fait aymer, & qui sçait comme on ayme, Qui des parfaits Amans est l’exemple luy mesme, L’Amour d’un seul objet a veu son cœur touché, Et n’ayma jamais rien que la belle Psiché. Si j’ay pour moy l’Amour, la Vertu, la Nature En faveur des Constans je puis donc bien conclure, Que n’ayans tous qu’un cœur & qu’une volonté, Nous ne devons aymer qu’une seule beauté. Cephise desormais expliquez vous sans fainte. Pour lequel estes-vous, d’Ovide, ou d’Hyacinthe ? L’un & l’autre a fait voir un amour sans pareil. Les Graces sur ce point tiennent desja conseil. On va vous condamner, tremblez donc Hyacinthe. Mais vous mesme écoutez avec respect & crainte. Nous voudrions pouvoir tous deux vous couronner, Mais nous n’avons qu’un prix seulement à donner ; Vos differends d’ailleurs sont de telle importance, Qu’ils tiennent justement nos esprits en balance, Car vos deux passions, vos divers sentimens, De l’empire d’amour sont les seuls fondemens : Et puisqu’enfin Venus sur ce point s’interesse, Afin de consulter cette grande Deesse, Nous allons toutes trois remonter dans les Cieux, Attendez cependant ses ordres dans ces lieux. RECIT. Sous ces ombrages vers, troupe illustre & fidelle, Attendez nous en paix ;     Venus, cette aymable immortelle,     A nostre heureux retour unira pour jamais, Le plus parfait Amant avecque la plus belle. Allons sacrifier à ces belles Deesses, Qui doivent mettre fin à toutes nos tristesses. J’attendray leur retour sans craindre & soupirer ; Quand on aime par tout, on doit tout esperer. STANCES. L’Amour & la Vertu sont deux grandes puissances, Qu’on revere dans l’Univers ; A leurs adorateurs divers, Chacun offre des recompenses :     L’une & l’autre a pouvoir d’allumer nos desirs, Et voudroit sur nos cœurs remporter la victoire ; L’Amour nous promet les plaisirs, Et la Vertu promet la gloire. Mon sexe d’une humeur severe, Trouve en la Vertu des appas ; L’autre d’Amour suivant les pas, Met tout son bonheur à nous plaire ; Pour nous vaincre il fait ses efforts, Nostre fierté paraist visible ; On sauve toujours le dehors ; Mais souvent au-dedans on n’est pas insensible. La Vertu par fois elle-mesme, Nous trahit en faveur d’Amour ; Lors qu’un Heros nous fait la cour, Nous courons un danger extréme, Il flechit nos cœurs glorieux, Et l’ame la plus genereuse Croit, pour aymer les vertueux N’en estre pas moins vertueuse. C’est l’estat où je suis reduite, Depuis cinq ans que dans ces lieux, Un Grec égal aux demi-Dieux, Fait marcher l’Amour à sa suite ; En vain contre ce Dieu vainqueur, Ma pudeur differe à se rendre, Lors qu’il est entré dans un cœur, Il est trop tard de s’en deffendre. Depuis le jour fatal que j’ayme, Mon orgueil accroist mon tourment ; Je ne combats plus mon Amant, Mais je combats contre moy-mesme, J’esprouve en mon sort rigoureux, Que la sagesse qu’on admire, Fait quelque fois des malheureux, Puis que c’est un grand mal que d’aymer sans le dire. Pour finir ma dure contrainte Sans ternir mon nom glorieux, En ma faveur, ô justes Dieux ! Venez couronner Hyacinte,     Afin que mon cœur combatu, Puisse accorder par sa victoire, L’Amour avecque la Vertu, Et les plaisirs avec la gloire. Mais Aminte paraist, pour finir mes tourmens, Elle vient m’annoncer le sort de deux Amans. Dy les Graces du Ciel sont-elles revenuës ? Oüy leur superbe Char a traversé les nuës, Elles sont de retour, l’on a donné le prix : Mais helas !         Ne tiens point en suspens mes esprits, Dis qui l’a remporté, d’Hyacinte, ou d’Ovide. Je crains de vous fascher.         C’est estre trop timide : Si tu ne connois pas le secret de mon cœur, Pourquoy redoutes-tu de nommer le vainqueur ? Je crains fort que Venus n’ait esté favorable, A celuy qui pour vous n’est pas le plus aymable. Ovide seroit-il cét Amant fortuné ? Non, vous voyez celuy que l’on a couronné. Je viens pour vous offrir cette Illustre couronne, Que l’Amour a conquise, & que le Ciel me donne, Sur mon fameux Rival je viens de l’emporter, Sans par un vain orgueil croire vous meriter : Pour la mettre à vos pieds je l’oste de ma teste, Et bien que du vainqueur vous soyez la conqueste, De ce bon-heur trop grand je n’abuseray pas,     Je veux rendre l’honneur qu’on doit à vos apas, Pour monstrer mon amour par un respect extrême, Cephise peut encor disposer d’elle mesme : Je me croy son Captif, & non son Souverain, Et ne puis la contraindre à me donner la main, Quoy-que Venus l’ordonne, & le Ciel l’authorise, Car je ne veux devoir Cephise qu’à Cephise. Ce procedé me plaist dont vous usez vers moy, Et d’un si doux vainqueur je veux prendre la loy. Apres tant de respects je dois enfin me rendre, Contre vous ma raison ne peut plus se defendre : Et mon superbe esprit par l’amour combatu, Ne sçauroit resister contre tant de vertu: Pour n’estre pas ingrate aux yeux de tout le monde, Il faut que mon estime à la vostre responde, Si j’ose l’avouer sans blesser la pudeur, Je n’eus jamais pour vous ny mespris ny froideur, L’Amour seul excepté, tout vous estoit contraire, Mon sexe, la pudeur, un Rival & mon pere : Mais pour me declarer aujourd’huy contre tous,     J’attendois que le Ciel se declarast pour vous ; Et puis qu’à vos desirs il s’est monstré propice, Cephise avec le Ciel vous veut rendre justice ; Avec ma main encor je vous donne mon cœur, Et ne veux plus cacher sa gloire à mon vainqueur. Quoy ? la belle Cephise à ma peine est sensible, Et me donne son cœur ! ô Dieux, est-il possible ! Hyacinthe n’a rien qu’il n’ait sçeu meriter, Et ma reconnoissance enfin doit éclater. Je suis tout transporté d’oüir cette nouvelle ; C’est un plaisir d’aymer une amante si belle ; Mais de s’en voir aymé, c’est un si grand honneur, Que rien dans l’Univers n’egale ce bonheur. Vous superbes Cezars, qui triomphez en guerre, Que la fortune aveugle a faits Dieux sur la terre,     Qui de vostre grandeur rendez les Roys jaloux, Venez voir un Amant plus satisfait que vous, Et qui sans commander à tout cét hemisphere, Est heureux & n’a plus aucun souhait à faire. Ce grand transport me plaist dont il est agité, Puis qu’il fait voir son zele & sa fidelité. Je voudrois que le Dieu qui lance le tonnere, Nous voulut oublier dans un coin de la terre ; Et que dans un desert jusqu’à mon dernier jour, Je ne visse plus rien que Cephise & l’Amour. Mais Daphnis vient icy troubler nostre alaigresse, Il fait voir sur son front une sombre tristesse, Et l’on voit dans ses yeux éclater la douleur. Je viens vous annoncer un sensible malheur, Et vous aurez besoin de tout vostre courage ; Vostre amour dans le port est proche du naufrage. Puis que le Ciel prend soin de nous favoriser, Quelqu’un à son Arrest ose-t’il s’opposer ? Ovide.     Et bien, Ovide…         O dieux ! que j’ay de crainte ! Acheve donc.         Jaloux du bonheur d’Hyacinthe, Pour braver la Déesse au milieu de la Cour, Veut mespriser les loix de la mere d’Amour ; Et ce subtil Romain dit que cette Immortelle, Peut juger seulement des charmes d’une belle : Mais que ce droit divin n’appartient qu’à son fils, De juger des Amans, & de donner le prix ; Il imite Corinne, & veut à son exemple, Estre jugé dans Rome où l’Amour a son Temple. Son pere ambitieux approuvant ses desseins, Veut en despit du Ciel s’allier aux Romains,     Et luy mesme dans peu la veut conduire à Rome. Cephise donc en vain a remporté la pomme, Et les Graces en vain aussi m’ont couronnée, Puis que de mon Rival l’orgueil trop obstiné Jusque dans Cypre mesme a bravé la Deesse, Et voudroit me ravir ma divine Maistresse : On la conduit à Rome, helas ! que m’as-tu dit ? Quoy ? par cette nouvelle estes-vous interdit ? O dieux ! qu’en un moment la fortune est changeante ! Tout sembloit dans ces lieux respondre à mon attente, Par un Arrest du Ciel mes desirs satisfaits, Eslevoient mon bonheur au dessus des souhaits ; Les Graces & Venus, tout m’estoit favorable, J’aymois, j’estois aymé d’une Amante adorable, Qui me vouloit donner & sa main & son cœur, Et l’Amour d’un Rival m’avoit rendu vainqueur : J’estois égal aux Dieux, lors qu’un coup de tempeste Du haut du Capitole a menacé ma teste : Et l’aveugle destin par ce coup rigoureux, Du plus heureux Amant fait le plus malheureux. Mais malgré l’Empereur, malgré l’Aigle Romaine, Ovide sentira les effets de ma haine : Entre les bras des siens je luy veut faire voir, Ce que peut un Amant qu’arme le desespoir. Arreste les transports d’une aveugle colere, Et calme tes fureurs, si Cephise t’est chere ; Ne m’abandonne pas aux cruels desplaisirs, De voir ta derniere heure & tes derniers soupirs. Mais n’as-tu pas assez de bonheur & de gloire, Quand ton cœur sur le mien remporte la victoire, Sans vouloir malgré moy chercher un autre prix, Aux despens d’un Rival pour qui j’ay du mespris ? Je redoute Alcidon à mon amour contraire. Quand le Ciel est pour nous pourquoy craindre mon pere ? Mais l’orgueil des Cezars peut m’imposer la loy. Craindre Rome & Cezar, c’est douter de ma foy, Car la vertu partout est triomphante & libre, La mienne va briller au rivage du Tybre : Et je me rejoüis malgré tout ton effroy, Que cette occasion se soit offerte à moy.     Qu’Auguste redouté sur la terre & sur l’onde, Par l’ordre des destins, soit le Maistre du monde, Que trente legions l’en rendent le vainqueur, Ce Tyran qui peut tout, ne peut rien sur mon cœur : Si sa grandeur s’oppose à mon ardeur fidelle, Ma constance est plus grande, & triomphera d’elle, Plus il est redouté, plus il a de pouvoir, Et plus j’auray de gloire à faire mon devoir. Puis que je veux agir en genereuse Amante, Bannis de ton esprit tout ce qui t’espouvante, Et crois avecque moy pour braver les hazards, Que l’Amour est un Dieu qui commande aux Cesars. Puis que vostre vertu, vostre beauté divine Fait voir des sentimens dignes d’une Heroïne, Je suis prest de vous suivre, & traineray mes fers     Des rivages de Cypre aux bouts de l’Univers, Sans craindre que jamais les Tyrans ny l’envie Puisse troubler le cours de nostre illustre vie. Mais Ovide paraist, dans mon transport jaloux J’ay peine à moderer l’ardeur de mon couroux.     Mais il le faut dompter, encor qu’il soit extréme, Et qui veut vaincre autruy, se doit vaincre soy mesme, Je m’en vais luy parler.         Venez-vous dans ces lieux, Afin de nous braver encor apres nos Dieux ? De quoy vous plaignez-vous ? d’où naissent vos tristesses ? N’avez-vous pas trahy dans un jour deux Maistresses, Et ce parfait amy ?         L’Amour rend tout permis, Et quiconque est Amant ne connaist plus d’amis : Je suis pour accorder la raison & mes flammes, Fort fier à mes Rivaux, & fort civil aux Dames, Corinne qui le sçait, ne se plaint pas de moy. Quoy ? vous pardonnez donc à cet amant sans foy ? Vostre pere vouloit par le nœud d’Himenée Et d’Ovide & de vous unir la destinée : Mais luy qui craint sur tout de si facheux liens,     Neglige vos attraits pour rendre hommages aux miens. Il faut s’en consoler, & j’ay l’ame assez belle, Pour le loüer encor lors qu’il m’est infidelle, Je prends vos interests dans cette occasion. Vous en avez pourtant de la confusion, Et vous en rougissez.         Elle en est peu surprise. J’ay beaucoup de respect pour l’aymable Cephise, Je prise infiniment cette rare beauté, Mais j’ayme cherement aussi ma liberté. Quoy Cephise n’a plus nul charme qui vous touche ? Dés qu’on parle d’Hymen, mon amour s’effarouche : Ce Dieu vous peut tous deux enchaisner dès demain, Pour moy de ce peril je retire la main. Moy j’y fais consister le bonheur de ma vie. Je verray ce bonheur sans vous porter envie. Et pour n’estre jamais ny facheux ny jaloux, Chagrin, ny pire encor, je fuis le nom d’espoux. Mais l’Hymen des Amans assure la conqueste. Il ne vient dans ces lieux que pour troubler la feste, C’est le plus importun de tous les Immortels, Et si l’on me croyoit, il n’auroit point d’Autels ; Les Amans & l’Hymen s’accordent mal ensemble, Il divise les cœurs que l’on croit qu’il assemble, Il ne plaist tout au plus que trois jours seulement, Et veut que son pouvoir dure éternellement. Si vous le mesprisez & lui faites la guerre, Pourquoy remuez-vous & le Ciel & la terre, Pour empescher encor que nous soyons unis ? C’est vous seul qui troublez la feste d’Adonis, Lors que vous pretendez que l’on nous juge à Rome. Lors que j’agis ainsi, j’agis en galant homme, Et je ne puis souffrir qu’on veüille injustement Me disputer le nom du plus parfait Amant, Je veux sur Hyacinte emporter la victoire, Triompher d’un Rival qui veut ternir ma gloire. Ainsi qu’Ovide, aussi je pretens remporter Le prix que dans cette Isle on me vouloit oster. Les prix estoient donnez justement ce me semble, Mais je voy que tous deux vous cabalez ensemble. En despit de Venus & de l’ordre des Cieux, Vous voulez contenter vos cœurs ambitieux, Mais je jure l’Amour & les Dieux de la Grece, De servir contre tous mon illustre Maistresse.     Et moy je jure aussi par les Dieux des Romains, Plus forts que ceux des Grecs, & Maistres des humains, Sans que dans mes sermens la fureur me domine, De prendre contre tous l’interest de Corinne. Ne sçauroit-on enfin vous accorder tous deux ? Mais d’où vient que le Ciel est tout remply de feux ? Je voy de longs esclairs qui percent le nuage, Ces signes que je croy sont de mauvais presages. Peut-estre que l’Hymen va descendre des Cieux. Mais j’entends dans les airs un son harmonieux. Escoutons. RECIT. Bannissez toutes vos haines, Amour, le plus beau des Dieux, Pour mettre fin à vos peines, Va faire un Ciel de ces lieux, Et couronner de fleurs sur ces rives charmantes, Et les Amans, & les Amantes.         C’est l’Amour dans le Char de sa mere. Que son visage est beau !         Qu’il a d’attraits pour plaire ! Je viens mettre la paix dans cet heureux sejour, Et mon empire est doux, puis que je suis l’Amour. Vous fidelles Amans, Hyacinthe & Cephise. A qui mes traits puissans ont ravi la franchise, Pour augmenter vos biens j’ay fait croistre vos maux, Mais je vais desormais couronner vos travaux, Pour voir de vos beaux jours la course fortunée, Je fais venir du Ciel le pompeux Hymenée : Joüissez donc en paix de la felicité, Dans des liens plus doux que n’est la liberté. Je vais changer l’Arrest prononcé par les Graces, Et veux que dans mon Temple & dans toutes les places, Le peuple d’Amathonte entende publier Celuy-cy que l’Amour lui deffend d’oublier. Je veux que desormais on puisse dans le monde, Aymer esgallement & la brune & la blonde, Sans que pas un Amant ait droit de decider, Entre ces deux beautez laquelle doit ceder ; Ovide retournez au rivage du Tybre, Soyez tousjours Amant, & soyez tousjours libre, Que Corinne vous suive, & vous imite aussi, Vivez dans mon Empire exempts de tout soucy : Bien que dans l’Univers vous serviez à ma gloire, Cedez aux plus constans le prix de la Victoire, Et pour sortir d’erreur, aprenez aujourd’huy, Qu’Hymen n’est point facheux quand je suis avec luy. FIN.