De ma voiture nouvelle Est-ce-là  le modèle ? Il est assez bien. Je veux, pour mon mariage, Avoir cet équipage ; Que l’on n’épargne rien. Vite, à  Paris, allez, la France ; Que l’on travaille en diligence, Et rapportez, en revenant, Ces Magots pour le Président. Vous, la Fleur, passez chez Hortense, Chez Cydalise, chez Constance, Dites-leur qu’au premier moment, Je les verrai certainement. Mais qu’on abrège les mystères : De ce tracas, Je suis, si las ! J’ai trop d’affaires, Je n’y tiens pas. Qu’on mette les chevaux.... Lépine, Où donc est ce cocher, qu’on dit des plus adroits ? Le voici, Monsieur.         Quoi ! Tu plaisantes, je crois. C’est un très bon cocher.         Il est petit, sans mine... Peut-être celui ci vous conviendra-t-il mieux ? Ah ! passe encor. Voilà  du moins un homme. Je le retiens.         Il n’est pas trop fameux. Il est grand et bienfait. Sais-tu comme il se nomme ? Brillant.         Le nom est heureux. Là -bas prends soin de le conduire, Et quand tout sera prèt, tu viendras me le dire. Ah ! Voici le Marquis. On le dit mon rival. Sachons s’il est aimé.         Bonjour, mon cher Dainval ; Qui t’amène en ces lieux ?         J’y suis pour quelque affaire ; Mais toi, Marquis, qu’y viens-tu faire ? Tu connais à  Paris la Comtesse Dorgé, Sœur d’un certain Baron, Seigneur de ce village. Pour me donner sa nièce, elle a tout arrangé, Et j’ai, sur sa parole, entrepris le voyage ; Mais je n’ai pu trouver en arrivant ici, Que la mère et la fille avec beaucoup d’ennui, Le Baron, m’a-t-on dit, est un homme sauvage, Amateur de ses prés, de ses eaux, de ses bois, Et qui de son château n’est sorti qu’une fois. Ce doit être, je pense, un plaisant personnage ! C’est un homme sensé, qui ne vit que chez lui. Absent depuis un mois, il arrive aujourd’hui. Sa femme peut passer comme on passe en province ; Car tout est en ces lieux d’un mérite si mince ! Et la fille ? Elle est belle. Épris de ses attraits, Sans doute en arrivant, dès la première vue, Tu fixas tes désirs.         Je ne l’ai pas trop vue. Et tu vas l’épouser ?         Que m’importent ses traits ? Je ne viens point adorer ma bergère, Et filer à  ses pieds les sentiments parfaits. Ma femme me sera toujours fort étrangère. Se marier ainsi, c’est assez l’ordinaire. Sans trop examiner, l’époux, comme un joueur, Des effets du hasard attend tout son bonheur. Le mariage N’est plus un esclavage Dont on redoute les rigueurs. S’il nous offre encore une chaîne, Ce n’est qu’une chaîne de fleurs, On la brise sans peine. La liberté, l’âme de ce lien, Ôte à  présent l’épine de la rose. De soi-même chacun dispose, Et chacun s’en trouve assez bien. Monsieur, votre voiture est prête, on vous attend. Ah ! Ah ! Quelle magnificence ! L’habit de tes valets est tout-à-fait brillant. Il n’est pas des plus mal, je pense. Très bien.     Et le chapeau ?         Tout en est élégant. Cet habit n’est-il pas mille fois plus galant Que les sombres couleurs d’une triste livrée ? Peut-être est-il moins noble.         Aujourd’hui les Seigneurs, Pour de bonnes raisons, ont quitté les couleurs. La Province bientôt, par tes soins éclairée, Va prendre tout un autre ton ; Mème on dit que tu veux, sensible aux ridicules, Sur l’honneur, la vertu, le mépris, la raison, De nos Provinciaux dissiper les scrupules, Et de tout préjugé l’aveuglement fatal. On ne voit tout ici qu’à  travers un cristal. Le mépris est un mot ; l’honneur une chimère ; L’innocence, un beau titre auquel on ne croit guère : La raison, un masque emprunté Pour cacher la difformité : La vertu, le talent de vendre sa défaire : Le sentiment, le fard d’une vieille coquette, Qui de ses yeux éteints veut bien donner avis : Et la fidélité, terme du vieux langage, Un droit fort incertain, vanté par les maris ; Mais dont aucun encor n’a pu trouver l’usage. Quel fat ! Voilà  pourtant nos hommes du bel air. Avec ce persiflage on se fait adorer. Ah ! Vous voilà , belle Julie ! Rassurez un coeur incertain. Que craignez-vous, Dainval ?         Excusez, mais enfin Il y va du bien de ma vie. Le Marquis vous voit tous les jours, Peut-être est-il fait pour séduire. Pouvez-vous me tenir un semblable discours, Et dans mes yeux ne savez-vous plus lire ? Les dehors les plus séduisants Ne touchent pas toujours une âme. Ce n’est que pour les cœurs constants Que l’Amour fait briller sa flamme. Je ne connais point l’art trompeur D’abuser l’Amant que j’engage ; Et je laisse parler mon cœur. C’est mon plus cher langage. Bannissez tout soupçon jaloux : Ne suis-je pas toujours la même ? Pour moi, c’est un plaisir bien doux De vous dire que je vous aime. Mon bonheur serait assuré Si je pouvais faire le vôtre. Le bonheur d’un objet aimé Devient toujours le nôtre. Ah, ah.         Qu’avez-vous donc, Marton ? Pardonnez ; mais je ris de Monsieur le Baron. Les grands airs à  la mode ont peu l’art de lui plaire. Est-il de retour ?         Oui, vraiment. À faire grand tapage il s’occupe à  présent. Qui peut attirer sa colère ? Vous savez qu’il est surprenant À quel point la Baronne au Marquis s’intéresse : Ce qu’il dit, ce qu’il fait, tout lui paraît charmant. Monsieur n’a point la même politesse. Madame, à  certains changements Que le Marquis nommait des embellissements, S’est prêtée avec complaisance. Monsieur a peu goûté toute cette élégance, Et d’abord en entrant s’est mis fort en courroux. Maraud, je te rouerai de coups. Morgué, je n’y pouvais que faire. Ah ! Mon père, Que j’ai de joie à  vous revoir ! Je vais t’apprendre ton devoir. Baron, calmez votre colère. Eh ! mais, Monsieur, y pensez-vous ? Laissez-moi l’assommer de coups. Continuez, Monsieur ; de votre humeur bourrue Faites sentir les traits à  toute la maison. Les femmes ont toujours raison. Tu connais, mon ami, cette belle avenue Qui conduit à  mon bois par trois chemins égaux. Madame, sur l’avis d’un fat rempli d’audace, L’a fait jeter en bas, pour en faire une place Où Monsieur à  présent exerce ses chevaux. Ma maison aujourd’hui me paraît étrangère. Ma basse-cour n’est plus qu’un manège à  présent. Ma grange une remise, et d’un clos excellent On a pris la moitié pour en faire un parterre. C’est ce coquin.         C’était bien malgré moi, Monsieur. Nous avions là  des choux d’une si bonne meine ! Quand je les arrachais, ça me fendait le cœur. On voudrait embellir votre triste domaine. Mais vous avez si peu de goût ! Trêve à  vos ornements. Pensons au nécessaire. Corbleu, si l’on vous laissait faire, Nous pourrions avant peu manquer ici de tout. Je ne prends point, pour me conduire, L’avis d’un élégant si pressé de détruire. Dans ma maison Ce Petit-Maître Prétend-il être En droit de donner le ton ? Pour former des salles nouvelles ; Il fait abattre mes tourelles, Et changer mon pavillon. Ici tout est au pillage : Des valets insolents, Pour dresser leurs chevaux fringants, Sans penser au dommage, Courent à  travers champs, Et portent par-tout le ravage. Mes prés sont écrasés ; Mes bleds sont renversés. Morbleu, quatre tonnerres, Poussés par un vent orageux, Pour mes terres Seraient moins dangereux. Osez-vous regretter deux mauvaises tourelles, D’une antique chaumière enseignes éternelles. Votre nouveau Château pourra vous faire honneur. Voulez-vous avoir l’air d’un campagnard stupide, De ses fossés bourbeux défenseur intrépide, Et de son pont-levis superbe admirateur ? Comment donc ! ce petit Monsieur, Que je ne connais point et ne connaîtrai guère, Dans ces lieux adressé par ma folle de sœur, Chez moi de prime abord fait le réformateur ; Et prétend corriger une province entière !.... Mais j’entends des chevaux ; je pense que c’est lui. Je vais lui parler net, et je saurai lui dire Sans façon ma pensée.         Et moi, je me retire. Je ne veux point rougir de votre air impoli. Tant mieux. Toi, prends le soin d’observer aujourd’hui Ma fille, et le Marquis.         Il suffit ; laissez faire, Je vous rendrai de tout un compte fort sincère. Ces chevaux sont si vifs qu’on craint de les toucher. Il est avec son cocher. Il faut encor par déférence Ne lui rien dire en sa présence. Monsieur, votre humble serviteur. Mon ami, laissez-nous.         Passez donc, je vous prie. Ah ! Monsieur.         Sans cérémonie. Ah !     Point de façons.         Ah ! Monsieur. Ce Cocher m’a tout l’air d’un insolent rieur. Faites ainsi que moi, mettez-vous à  votre aise. Laissez-nous donc.         Voulez-vous une chaise ? Vous vous trompez, Baron.     Quoi ?         Voilà  le Marquis. Le Marquis !     Oui, vraiment.         Cette erreur est divine ! Et ce Monsieur ?         Ce Monsieur, c’est Lépine, Un Valet.         Un Valet ! Je me suis bien mépris. Sous un tel attirail qui pourrait vous connaître ? Cet homme porte donc les habits de son maître ? Non. C’est le sien.     Le sien !         C’est le goût d’à  présent. Je ne m’étonne plus s’il a l’air insolent. La raison lutte en vain, la mode est la plus forte. Tout vous surprend ici.         Sans se rendre indiscret Peut on demander qui vous porte A vous masquer ainsi sous un dehors peu fait Pour un homme de votre sorte ? Le plaisir.     Le plaisir ?         Je viens dans le moment D’essayer six bidets, qui font un attelage À se mettre à  genoux devant. C’est donc un plaisir bien charmant Que de conduire un équipage ? Un plaisir ! je dis plus, un devoir. A présent Paraître sur les Cours dans un diable élégant ; Tout droit, et sans appui, d’un air fier, avec grâce, De cent détours nouveaux tracer le court espace, Modérer ses chevaux, les presser faiblement, Animer tout-à -coup leur fougue impatiente, Serrer le fantassin culbuté d’épouvante, Dans un passage étroit courir rapidement, Près d’un char renversé voltiger d’un air libre, Et malgré les cahots soutenir l’équilibre, D’un jeune homme éduqué c’est le premier talent. J’aperçois d’un coup d’œil que ces gens que l’on cite, Qui dans Paris sont des héros, Doivent souvent tout leur mérite A la vigueur de leurs chevaux. J’ai connu longtemps, je vous jure, Une femme charmante, et d’un esprit divin, Qui pour Amant jamais ne voulut d’un Robin, Quoiqu’il fût très-bien de figure : Mais il ne savait pas conduire une voiture, Et surtout il tenait ses guides et son fouet Comme une pièce d’écriture. Que m’importent les torts d’un petit freluquet ? Traitons ensemble un fait de plus grande importance. Je veux vous montrer un chef-d’œuvre d’élégance, Le plus joli diable chinois. Écoutez-vous les gens par fois ? Paris ne forme pas des tètes bien parfaites. Excusez, je suis franc, un Campagnard tout rond. Je le vois bien, Monsieur.         Pour plaire à  des caillettes On immole à  l’éclat ses biens et sa raison. Le seul homme du jour jouit de l’avantage De fixer tous les yeux.         Le brillant apanage À troquer contre du bon sens ! Nous savons en Province employer mieux le temps. Dans le monde veut-on paraître un personnage : Il faut par les dehors subjuguer les esprits, Prendre un ton décisif, l’afficher sans scrupule, Pour se faire admirer parcourir tout Paris, Sur chacun en passant jeter un ridicule, Au Spectacle du jour arriver à  grand bruit, Dans chaque loge entrer, quoiqu’on n’ait rien à  dire, N’y rester que le temps de montrer un habit, Au milieu des foyers ameuter la satyre, Tout haut sur l’escalier confier ses secrets, D’un ton impatient appeler ses valets, Annoncer en partant quelque réduit commode, Où l’on voit tour à  tour les Beautés à  la mode ; Les jouer, les tromper toutes également, D’un changement heureux se réserver la gloire, D’un jaloux que l’on dupe éterniser l’histoire, Forger même au besoin un triomphe saillant ; Le plaisir est un Dieu que la contrainte atterre. À de brillants succès l’aimable homme attendu, Doit chercher le grand jour, doit rougir de se taire. Il est anéanti, perdu, Si dans la foule une fois confondu On peut le forcer au mystère. Adieu, Monsieur. Je vois que vos gens merveilleux, S’ils étaient moins connus, en vaudraient beaucoup mieux. L’Aimable Seigneur ! ah ! j’enrage ! Qu’on doit être flatté de vivre en un village ! On assure pourtant que, follement épris, Tu viens dans ce canton filer l’amour champêtre. Je ne te croyais pas aussi dupe.         Marquis, S’attacher en ces lieux, c’est éviter de l’être. Un objet raisonnable et des Grâces chéri Apporte à  son époux le bonheur de la vie. Tu la prends donc un peu jolie ? Elle est belle.     Tant mieux.     Comment ? Tant mieux.         Eh ! oui. Abondance de bien est l’âme du commerce. Propos d’avantageux dont la langue s’exerce. Tu crois aux feux constants. Je ne te savais point Novice encore à  pareil point. Badinons la tendresse, C’est le vrai moyen de jouir ; Le plaisir Toujours intéresse. On rit des époux amants : Toutes nos Belles Savent depuis long-temps Que l’Amour porte des ailes. Je rends plus de justice à  ce sexe charmant. Du monde, en ces beaux jours, le premier ornement. La vertu, la douceur, forment son caractère, Et l’air décent pare encor sa beauté. La femme vertueuse, avec le don de plaire, Est un rayon de la Divinité. Adieu.     Quoi donc ?         Je fuis, pour sauver ma défaite. Si je restais encor quelques instants, Tu me déciderais à  prendre une houlette. Ne crains rien ; je ne puis demeurer plus longtemps. La Baronne paraît. Je lui cède la place. Marquis, irons-nous promener ? Vous obéir, pour moi c’est une grâce ; Et c’est à  vous, Madame, d’ordonner. Ferons-nous quelque visite ? Comme il vous plaira. Mais...         Ah ! Je vous en tiens quitte. Nos Campagnards ne sont pas amusants. Pardonnez ; quelquefois ils sont assez plaisants. J’aime l’air affairé, les manières discrètes D’un conteur suranné, qui des vieilles gazettes Daigne dix fois par jour vous détailler les faits : Ou le feu d’un Chasseur qui vous dira l’histoire De ses lévriers, de ses bassets, Et vous donnera le mémoire De tous les exploits qu’ils ont faits. Il est charmant ! Surtout rien n’est plus admirable, Que l’air et sublime et capable D’un Bel-esprit l’honneur du nom provincial, Par quelque logogriphe arrivant à  la gloire, Et se croyant inscrit au Temple de Mémoire, Quand il est enterré dans un triste Journal. Et les femmes, Marquis ? J’en connois d’excellentes, D’insipides beautés, des graces nonchalantes : L’éternelle Clarice aux yeux tendres et doux, Qui veut à  quarante ans ètre encor adorée ; Laure, qui vit très-bien avec son cher époux, Depuis qu’elle en est séparée ; La précieuse Eglé, qui dit Que les hommes bien faits sont toujours pleins d’esprit ; Et la bigote Arténice, De tous nos jeunes gens la bonne protectrice. Vous riez ! Il est vrai pourtant Qu’à  parler mal d’autrui, j’ai très peu de penchant... Ah ! voici le Baron.         Souffrez que je vous quitte. Par amitié pour moi, sauvez-moi sa visite ; Je reviendrai bientôt en habit plus décent. Il me fuit. Ah ! tant mieux ; je serais trop content S’il pouvait pour toujours éviter ma présence. À ma fille, surtout, il ne faut plus qu’il pense. En faveur d’un ami, je vais en disposer. Quoi ! Monsieur, dans l’instant que prêt à  l’épouser... Pour relever son nom, s’il compte sur Julie, Il peut bien renoncer à  sa postérité : On pourrait à  bon droit me taxer de folie, Si j’acceptais pour gendre un pareil éventé. Et moi, Monsieur, je vous déclare Que ma fille jamais n’aura que le Marquis. Ah ! Ah ! Ce procédé me paraît neuf et rare. Le fait sera pourtant comme je vous le dis. Ne vous figurez pas que votre ton m’arrète. C’est ce que nous verrons.         Corbleu, tout est tout vû. Vous croyez donc, Monsieur, que je n’ai pas de tète ? Je ne me suis que trop du contraire apperçu. Monsieur, je vians charcher mon congé tout à  ç’t’heure. Pourquoi donc ?         Y n’est pas moyen que je demeure : Votre Marquis me fait trop enrager. Que dit donc ce nigaud ?         C’est bian pis qu’un parterre. Y va, si l’on le laisse faire, Ranvarser tout le potager. En voici bien d’un autre !         Y s’est mis dans la tète Certain micmac auquel je n’entends rien, tout net ; Il vient de m’assurer qu’il faut que je m’apprête À travailler demain afin d’en voir l’effet. J’aime mieux m’en aller.         Quel est donc ce projet ? Morgué, pour moi c’est un grimoire : De mon esprit j’use eu vain les ressorts. Je ne sais ce que j’en dois croire ; Il faut qu’il ait le diable au corps. Il prétend que je lui donne Des pèches dans le Printemps, Des cerises en Automne, Et des fraises en tout temps. J’ai beau lui faire entendre, Qu’il faut attendre La saison de chaque fruit : Il en rit. Quelque jour il mettra le jardin dans la cave. Le Soleil, selon son dicton, Pour mûrir n’est pas assez bon. Pour faire pousser une rave, Une asperge, un melon, Il ne lui faut que du charbon. Enfin tant est qu’il dit que les fruits de l’Automne Ne sont faits que pour un manant, Et que toute honnête personne Doit en manger six mois devant. Vous voyez.         Oui, je vois que le travail étonne Un lâche, un paresseux.         Pargué, suis-je sorcier ? Approchez un instant, Julie.... Ce soir avec Dainval vous devez être unie. À recevoir sa main il faut vous disposer. Le Marquis est celui que mon cœur vous destine. Il faut vous préparer, ma fille, à l’épouser. Prétendez vous, au gré de votre humeur mutine, Me conduire ?         Selon vos vœux extravagants, Avez-vous cru pouvoir me mener plus longtemps ? Madame la Baronne. Monsieur le Baron. Prenez-le sur un autre ton. Je vous ordonne D’épouser Dainval dès ce soir. Je vous ordonne D’épouser le Marquis ce soir. C’est ce qu’il faudra voir, Ah ! Mon père ! Ne me mettez point en colère, Je vous en ferais repentir. Ah ! Ma mère ! C’est à  moi qu’il faut obéir. Ah ! Voilà  pour le coup du bien en abondance. Deux maris au lieu d’un ! Mais rien n’est plus heureux. Ah ! Ne plaisante point ; je perds toute espérance. Pour les mettre d’accord, épousez-les tous deux. Il n’est qu’un seul moyen pour me tirer de peine ; Employons-le. Va-t-en.         Ah ! Oui-dà  ! Jarniguenne, De nous on se méfie ! Observons-les de loin, Allons nous mettre dans ce coin. L’Amour, à notre âge, N’est qu’un vrai tourment. C’est pourtant grand dommage, Car il est bien charmant. Sitôt quelle aime, une fillette A toujours lieu d’être inquiète. Par les désirs, Par les soupirs, La pauvre enfant achète Fort souvent Le faux espoir d’un bon moment. L’Amour, etc. Tiens, Marton ; au Marquis tu rendras cette lettre. Le voici justement.         Paix. Ne la montre pas. Mais quand il sera seul, tu la lui remettras. Peut-on vous interrompre, et voulez-vous permettre Qu’on vous fasse sa cour ?     Monsieur.         Eh ! Quoi ! Déjà. Vous rougissez. Mais pourquoi donc cela ? Quittez ces manières bourgeoises ; On ne rougit que dans le tiers-état. Ces airs déconcertés, antiquités Gauloises, De deux beaux yeux éteignent tout l’éclat. Encor !... Depuis un mois que je vous gronde, Quand prendrez-vous le ton du monde ? Ce monde, selon vous, est donc bien merveilleux ? Certainement.         J’en connais peu l’usage. Je voudrais cependant que l’on pût à  mes yeux, Sous des traits ressemblants en présenter l’image. On peut vous satisfaire. Ah ! Passe pour cela : J’approuve fort ce désir-là . Vous devenez intéressante. Des Dames de Paris la vie est si charmante, Si l’on en juge d’après vous, Que je voudrais peser leur destin et le nôtre, Sans avoir pourtant lieu d’en souhaiter un autre : Le mien me paraît assez doux. La Nature, Chez nous simple et pure, Méconnaît tout art, Abjure le fard, Et fuit l’imposture. La Nature, Chez nous simple et pure, Sans réserve assure D’un tendre cœur Le bonheur. Non, non, la vaine apparence, N’est pas un bien : On ne compte pour rien Tout l’éclat de l’opulence : Et l’on pense Que la félicité Est dans la vérité. La Nature, etc. Cette vie uniforme, entre nous, est peu faite Pour fixer les désirs ; mais daignez un instant M’écouter, et bientôt une leçon complète Saura vous mettre au fait des grands airs d’à présent. Les premiers moments d’une belle Sont dits au plaisir de se voir. La gaieté doit briller chez elle ; L’ennui fuit devant un miroir : A tout ce qu’alors on peut dire, Elle répond par un sourire : Femme qui sourit joliment, A de l’esprit infiniment. Dès que la toilette est finie, On prend un air plus nonchalant. Quand on reçoit la compagnie, On est malade absolument. Une petite maladie Sied toujours à femme jolie. Quelque mode, un petit chien, Font tous les frais de l’entretien. Dans le souper, vive et légère, Elle prend tous les tons pour plaire. Les liqueurs, dans tous les yeux, De l’Amour font passer les feux ; Les plus laides sont embellies : C’est l’instant des bonnes folies. On parle, on badine, on rit, On boit, on chante, et l’on médit. Le Bal enfin devient pour elle Le moment heureux du plaisir. Elle y paraît toujours nouvelle, Et l’air mutin sait l’embellir. Partout sous le masque elle obsède, Raille, poursuit, lutine, excède ; Chacun fuit en l’admirant. Est-il un plaisir plus charmant ? De vos bontés, Monsieur, je suis reconnaissante. Je vous en remercie, et je sors très contente. Rien ne m’a paru si plaisant. Que dites-vous de son air d’innocence ? C’est un enfant.         Voici ce que cet enfant-là  M’a donné pour vous rendre.         Ils sont d’intelligence. J’ons bian fait d’acouter.         Elle se formera. Appelons notre maître ; il n’est pas loin, je pense. Voyons ce que dit le Billet. La Nature, Monsieur, vous forma très aimable. Ah !     Vous n’achevez pas.         Bon ! Bon ! Je suis au fait. Vous en avez tant vu !... Il serait raisonnable... Je ne finirais pas, si je les lisais tous. Parlons de toi. Sais-tu que ta beauté m’étonne ? Eh bien ! Morgué, qu’en dites-vous ? Cours vite chercher la Baronne. Je l’aperçois.         Il faudra qu’avec nous Tu viennes à  Paris. Je te trouve jolie : Je t’y ferai bientôt le destin le plus doux. Au moment d’épouser Julie, Pouvez-vous me tenir un semblable discours ? Va, va ; l’Hymen n’est plus l’ennemi des Amours. Mais laissons-là  ce badinage : Est-ce donc avec un Seigneur De ma figure et de mon âge, Que l’on doit avoir de l’humeur ? Votre façon d’aimer est tout-à-fait commode ; Mais croyez-vous, Monsieur, qu’en suivant cette mode, Vous plairez à  Julie ainsi qu’à ses parents ? De plaire à son épouse on a toujours le temps. Quant au Baron, que m’importe ? Un franc Provincial.     Comment ! Morbleu.         Paix donc. Faut-il, pour un seul mot, se cabrer de la sorte ? Un campagnard épris de son petit canton, Ayant pour ses lapins une estime profonde, Et surtout admirant, d’un air toujours surpris, Le goût de son Château bâti sous Charles-VI. Je vais...     Écoutez donc ?         Sans usage du monde, Tout fier de sa récolte et par-tout étranger Hors de sa ferme et de son potager. Doucement ; ce qu’il dit est assez véritable. Pour sa chère moitié, qui veut faire l’aimable, C’est une folle.     Ah ! Bon.     Comment !     Paix.         D’un souris La Belle quelquefois veut flatter ses amis ; Mais par malheur se trompe, et fait une grimace. Peut-on plus loin pousser l’audace ? À votre tour, parbleu.         Qui, d’un coup de pinceau, Pense sur ses voisins jeter un ridicule, Et ne s’aperçoit pas, tant la Dame est crédule, Qu’elle-même devient le sujet du tableau. Doucement ; ce qu’il dit est assez véritable. Oh ! c’est un couple admirable ! L’un est un bavard éternel ; L’autre, un esprit tortu.     Sortez, Marton.         Ah ! Ciel ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Vous nous peignez de la belle manière. Ah ! ah ! quoi ! vous étiez donc là  ? Rien n’est si plaisant que cela. Votre crayon ne flatte guère. Ah ! Vous n’aurez pas de chalands ; Vos portraits sont trop ressemblants. Ah ! L’aventure est singulière ! Je pense encor qu’il en rira ! Rien n’est plaisant que cela. Laissez-moi lui parler. Il faut qu’on se décide. Vous m’arrêtez en vain et rien ne m’intimide. Baron, vous connaissez les désirs de mon cœur ; J’adore votre fille, et j’en fais mon bonheur. Mais toute incertitude est pour moi trop pesante ; Je n’en puis soutenir l’amertume accablante. Du Marquis ou de moi, choisissez à l’instant. Tu deviens mon rival. Le trait est excellent ! J’ai cette audace.         Bon ! Pure plaisanterie ! Non. J’aime et c’est pour la vie. Tant pis, et je te plains.     Comment ?         Sans contredit. Prends ton parti, crois-moi ; quelque espoir qui te flatte. Tiens, lis, je te remets ton congé par écrit. Ah ! Ciel ! Qui l’aurait cru ?     Quoi ! Vous osez.....         Ingrate ! Lisons : je veux assurer mon dépit. La Nature, Monsieur, vous forma très aimable. Très aimable !     Eh ! Mais oui.         Ce style est admirable ! Embellissez Paris, qui sans vous plairait moins. Fort bien.         Continuez à  lui donner vos soins. De mieux en mieux. Lis donc ?     Oui, oui.         Sois raisonnable. Continuez à  lui donner vos soins ; Mais de les partager je me sens incapable. Par des nœuds plus chers à  mon cœur En ces lieux mon âme est liée ; Et je vous devrai mon bonheur, Si de vous je suis oubliée. Ah ! Julie ! Ah ! Marquis, je te suis obligé. Vous nommez cela son congé. En termes clairs et nets ce billet-là  s’explique. Voilà , sur ma parole, un tour charmant, unique ! Tu me connais altéré J’ai tant vu de ces traits ! Par humeur on écrit ce qu’on dément après. Sans adieu, belle Dame. Au premier jour j’espere Recevoir de vos mains un billet plus sincère. Je lui conseille encor de faire le plaisant ! Dainval, ma fille a su vous plaire. Avec plaisir à  l’aveu de son père, Pour vous voir son époux, je joins mon agrément. Un fat peut quelquefois nous séduire un moment ; Mais il n’obtient jamais un aveu légitime Et l’honnête homme seul a droit à notre estime. L’éclat est le moyen de plaire Dans ce siècle colifichet ; La raison semble roturière, Et devant le faste se tait : Un brillant, un leste équipage; D’un sot fait un grand personnage ; Rien de vrai, beaucoup de clinquant ; Voi-là  les hommes d’à pré-sent. Le petit Marchand, le Dimanche, En cabriolet se fait voir. A rendre la peau fine et blanche Le Médecin met son savoir. Le Vieillard donne à  des Grisettes, Et l’homme à  talents fait des dettes. Rien de vrai, beaucoup de clinquant ; Voilà  les hommes d’à  présent. Le joli Robin en épée Siffle la petite chanson. L’Abbé, droit comme une poupée, Chante à  son tour sur plus d’un ton. Tous deux s’annoncent sans mystère Pour les vrais héros de Cythère. Rien de vrai, beaucoup de clinquant, Voilà  les hommes d’à  présent. L’Avocat Babille babille ; L’homme de cour promet beaucoup ; Sans cesse le Savant compile : Le Journaliste écrit sur tout. Par le crédit brille un Notaire ; Un Juge par son sécretaire. Rien de vrai, beaucoup de clinquant : Voilà  les hommes d’à  présent.