Puisque nous sommes seuls, nous pouvons sans nous nuire, Sur nos projets d’amour tour-à-tour nous instruire. Célimène est encor dans les bras du sommeil ; En nous occupant d’elle, attendons son réveil. Mais quel mystère ?         En vain vous cachez votre flamme ; Un tendre sentiment s’est glissé dans votre âme. Vous pourriez en douter.         Le doute est éclairci : Vous aimez Célimène, et moi je l’aime aussi. Vous êtes pénétrant.         Ah ! De cette science, Vous n’avez pas, Linval, la longue expérience. Sur tout autre que vous j’aurais pu m’abuser ; Mais le sentimental ne peut se déguiser. Je vois bien que Damis connaît ma maladie. Si c’en est une, hélas ! Je crains pour votre vie ; Vous êtes au plus mal ; mais je puis vous guérir, Et c’est votre rival qui prétend vous servir. Rival trop généreux !         Quand j’étais à votre âge, Je voulais, comme vous, un amour sans partage. J’étais tendre, fidèle, exigeant et jaloux, Un peu gauche, timide ; enfin tout comme vous. Chez moi les soupirs seuls, interprètes de l’âme, Laissaient au bout d’un siècle apercevoir ma flamme. Du plus profond respect j’avais le préjugé ; Les femmes, dieu merci, m’en ont bien corrigé. J’appris à deviner, en changeant de système, Ce que signifiaient ces trois mots : je vous aime. Des femmes sur ce point j’arrachai le secret, Et l’amour, en un mot, m’a paru tel qu’il est ; Un commerce d’intrigue, une aimable folie, Un jeu d’enfant, qui fait le charme de la vie : C’est un fardeau bien lourd s’il devient sentiment, Mais il est fort joli comme un amusement. Voilà tout mon système : il deviendra le votre ; Vous pouvez être heureux et dupe comme un autre ; Je vois que vous avez ce qu’il faut pour cela, Et je vous ouvrirai cette carrière là. Damis, j’admire en vous cette étude profonde, Cet art que vous nommez connaissance du monde ; Mais à vos arguments mon cœur n’a pas cédé : Vous voulez me convaincre, on m’a persuadé. Je n’attaquerai point votre saine logique Par les raisonnements de la métaphysique..... Ah ! Grâce !... Mon esprit ne croit que ce qu’il voit, Et j’aime un argument qu’on touche au bout du doigt ; Mais laissons la logique et suivons notre affaire. Nous aimons tous les deux de diverse manière ; La forme n’y fait rien, nous voulons être heureux ; Voilà l’unique point où s’accordent nos vœux. Célimène attachée à la vieille méthode, En amour seulement n’a pas suivi la mode ; Elle aime les soupirs ; elle croit aux serments ; Elle adore surtout les héros de romans ; Respect, constance, ardeur, sublime verbiage ; Bref, vous lui convenez on ne peut davantage. Mais malgré tout cela, si je ne l’aide un peu, Je vous verrai bientôt sécher à petit feu, Vous aimer tout un mois sans oser vous le dire, Et prolonger encore un antique martyre : C’est ce qu’il ne faut point. Je ne souffrirai pas Qu’on reste, moi présent, dans ce sot embarras. Depuis assez longtemps la vanité des femmes Se fait un jeu malin de tourmenter nos âmes ; Ne leur accordons pas ces petits passe-temps, Qui nous feraient passer pour de trop bonnes gens : Il faut que de nous deux, on prenne l’un ou l’autre ; Mon amour est connu, l’on devine le vôtre ; Nous devons dans ce jour la contraindre à choisir, Et savoir qui des deux doit rester ou partir. Mais si j’ai bien jugé, l’épreuve est inutile, Et le choix entre nous me semble très facile. Vous connaissez si bien le jeu des passions, La cause et les effets de nos sensations, Qu’en vous, avec respect, je reconnais mon maître : C’est vous qu’on choisira.         Cela pourrait bien être. Cependant il me reste un certain embarras ; On me parle beaucoup, on ne vous parle pas. On m’écrit une page, on vous écrit deux lignes. On me cherche, on vous fuit ; ce sont de très bons signes, Et j’en déciderais que je dois vous céder, Si de rien sur la femme on pouvait décider. Bonne conclusion.         Célimène s’avance ; Je m’en vais l’attaquer.         Comment ! En ma présence ? Sans doute, restez donc ; cela sera plaisant. Non, le trio pour moi n’aurait rien d’amusant. Fuyez, timide amant. Sa candeur me fait peine. Pauvre enfant ! Mais voici l’aimable Célimène. C’est Linval qui s’éloigne ?         Oui, vous lui faites peur. Eh ! Pourquoi donc ?         C’est-là le secret de son cœur. Est-il fou ?         Le jeune homme, hélas ! N’est que trop sage. Vous allez revenir à votre persiflage ? Point du tout ; il vous aime.         En est-il criminel ? Moi je ne vois rien là que de très naturel. Linval est bien.     Très bien.         D’un esprit agréable. Ce n’est pas de sa faute au moins s’il est aimable. Mais il l’est beaucoup plus que vous ne le pensez. Je pense comme vous, et vous vous offensez ! Non, Damis, sur Linval vous n’êtes pas sincère, Et vous voudriez bien qu’il eût l’art de déplaire. Je sais qu’un esprit fort, un froid observateur, Traite d’enfantillage un sentiment du cœur. Vous méprisez l’amour qui veut de la tendresse : Eh bien, méprisez-moi, car j’ai cette faiblesse. Je veux de la magie au commerce amoureux ; Je crois qu’il faut aimer enfin pour être heureux. Pour un corps plein d’attraits, lorsque notre œil s’enflamme, Il faut, dût-on mentir, lui supposer une âme ; Le bandeau de l’amour, et les ailes du temps, Et du sot âge d’or le bienheureux printemps, Sont pour nous une sage et douce allégorie, Et j’appelle cela de la philosophie. Non, jamais en amour le calcul ne vaut rien, Et l’erreur qui nous charme est le souverain bien. L’imagination, le délire, l’ivresse, Doublent notre bonheur en doublant la tendresse ; Soupirs, serments, transports et si courts et si doux, Vous êtes tous menteurs, mais je vous croirai tous : Vous faites supporter le poids de l’existence ; Vous ressemblez enfin à la douce espérance, Vous nous trompez souvent, nous vous croyons toujours, Et vous semez de fleurs le cercle de nos jours. Je n’en ai jamais tant entendu de ma vie. Je ne m’étonne pas que l’amour vous ennuie. Revenons à Linval, je le trouve fort bien : En grâces, en esprit, il ne lui manque rien ; Linval est en un mot tel que je le désire. Eh bien, vous m’épargnez la peine de le dire. Comment donc ?         Je ne suis que son ambassadeur ; Je venais vous presser de hâter son bonheur. Du dépit ?...         Point du tout. Linval a su vous plaire, Et je serais charmé d’arranger cette affaire. Tous deux nous vous aimons. Linval cachait son feu ; Moi, dès le premier jour, je vous ai fait l’aveu. Sur votre choix longtemps je vous crus indécise, Aujourd’hui résolu de brusquer l’entreprise, Je voulais vous presser ; je croyais vous servir En aidant doucement votre cœur à s’ouvrir. Mais votre choix est fait ; je l’approuve, il est sage ; Linval est votre amant, Linval a mon hommage. Linval est mon amant, monsieur : qui vous l’a dit ? Vous m’impatientez...         Vous parliez de dépit ; Le vôtre est assez clair, si je sais m’y connaître. Ah ! L’on ne paraît pas toujours ce qu’on veut être. La femme se trahit en voulant trop ruser. On s’abuse souvent en voulant abuser. Qu’on plaisante un rival, qu’on prenne sa défense ; Qu’on dise blanc ou noir, toujours on vous offense. Aimez-vous Linval ?     Non.         En ce cas, c’est donc moi. Oui, monsieur ; je vous autant que je le dois. Le dépit dure encor ; c’est moi qu’elle préfère. Allons, décidez-vous ; terminons cette affaire. Voyons. Qui de nous deux vous plaît-il ? Répondez. Linval attend là-bas. Parlez.         Vous m’obsédez. Pour un moment du moins dépouillez l’artifice ; Il faut entre nous deux que votre cœur choisisse : Pour mon ami Linval, je tombe à vos genoux. Mais, monsieur !...         Vainement vous feignez du courroux ; Il faut que le vainqueur connaisse sa victoire. Ô ciel !         Laissez tomber la palme de la gloire. Il faut m’en amuser.         Nous attendons la loi : À genoux pour Linval, j’y restai pour moi... Eh bien, oui, c’est Linval. Son amour seul me touche : Mais j’aurais mieux aimé l’apprendre de sa bouche. L’oracle cette fois a parlé clairement. Approchez donc, monsieur ; venez, heureux amant. C’est à votre profit qu’a tourné le message. Damis, je suis lassé de votre persiflage. Quels que soient vos succès, quel que soit mon malheur, Épargnez-moi du moins ce langage moqueur. Vous vous fâchez aussi ? Je devine sans peine Pour quoi vous convenez si sort à Célimène ; L’on aime ses pareils.         Qu’on me haïsse ou non, Vous voudrez bien changer de sujet et de ton. Mais vous perdez l’esprit ; c’est vous que l’on préfère. Monsieur, c’en est assez.         D’où vient cette colère ? Cèlimène vous aime, et m’en a fait l’aveu. De me désespérer, vous faites-vous un jeu ? Mais calmez-vous, Linval. Consentez à m’entendre. J’ai tout vu, je sais tout, et j’ai bien su comprendre, Que vous êtes d’accord tous deux pour m’offenser : C’est à vous....         Mais vraiment vous m’y faites penser. Quand elle m’a, pour vous, fait l’aveu de sa flamme, Cet aveu me semblait ne pas partir de l’âme. Elle avait du dépit...J’ai cru voir du courroux, Lorsque je m’avisai d’intercéder pour vous. Elle vous a nommé : mais bon ! Quelle méprise ! Ne m’admirez-vous pas de croire a sa franchise ? Ma foi, mon cher Linval, j’ai cru que c’était toi ; Mais tout bien réfléchi, ce pourrait être moi. J’ai cru qu’elle t’aimait, je l’ai dit sans malice, Et j’ai fait de mon mieux pour te rendre service. Vous ne m’en rendrez plus de pareils désormais, Et je me souviendrai, monsieur, de vos bienfaits. Bonjour... Ma foi l’amour est une chose étrange ; Il fléchirait un diable ; il damnerait un ange. Ce Linval est changé... C’est à faire pitié ! Je ne veux pourtant pas perdre son amitié ; Je vais le retrouver et calmer sa souffrance, Par ce qu’on peut nommer baume de l’espérance. Enfin il est sorti. Son ton froid et railleur, Je n’ai pu le cacher, m’a donné de l’humeur. Mais pour la dissiper revoyons mon ouvrage : Par l’étude des arts notre cœur se soulage. Voilà les deux portraits de Damis, de Linval, J’ai fait l’un assez bien ; j’ai fait l’autre assez mal, Et je le gâte encore en voulant le refaire. Ah ! Je crois dans ceci découvrir du mystère. Lorsque de deux amis je crayonne les traits, Je veux me partager entre ces deux portraits. Mais pour l’un d’eux, ma main plus lente et plus rebelle, Dans son expression constamment infidèle, Atteste que l’ouvrage est fait péniblement, Quand l’autre s’est formé tout naturellement. Si je réfléchis bien sur cette différence, J’en saurai la raison. Ah ! Je la sais d’avance ; Si ma main me trahit, ce n’est point par erreur, Et mon crayon m’apprend le secret de mon cœur. Le voilà ce portrait qui dit plus que moi-même... Le portrait de Linval ! Ah ! C’est lui que l’on aime : Courrons le consoler.         Il faut sans différer, Et le mettre sous verre et le faire encadrer. Un cadre de bois noir et de simple stature, Jean-Jacques l’a prescrit ; l’autre aura la dorure. Oui, tout autre que moi, sans partialité, Aurait à ce portrait donné la primauté, Qu’on ne m’accuse pas s’il me plaît davantage ; Je puis le préférer, c’est mon meilleur ouvrage. VENEZ, elle est sortie. Avancez donc, monsieur : Montrerez-vous encor de la mauvaise humeur ? J’ai vu votre portrait tracé par Célimène, Et caressé des yeux de la belle inhumaine. On semblait se mirer dans chacun de vos traits ; J’en jouissais pour vous : triomphe plein d’attraits ! Mais au moins sentez-vous toute votre victoire ? Elle est grande en effet... si je pouvais y croire. Quoi ! Vous doutez encore ? Ah ! Le tour serait beau ! Allons, timide amant, soulevez ce rideau ; Admirez ce portrait...         Que vois-je ? C’est le vôtre ! C’est le mien ; c’est le mien ! En voici bien d’une autre. Mes yeux me trompent-ils ? Non, c’est moi ; me voilà. Je vous reconnais bien, monsieur, à ce trait là. Vous pouvez m’en vouloir et me donner au diable ; Mais je ne vous ai dit rien que de véritable : J’ai vu....         Mais je vous crois ; je n’ai point de courroux, Damis, et je prendrai le même ton que vous. Prendre un portrait pour l’autre, ah ! C’est bien pardonnable. Nous nous ressemblons tant, l’erreur est excusable. Mais j’étais donc aveugle ?         Ah ! Vous y voyez bien, Monsieur, et sur ce point il ne vous manque rien. Pour moi cette aventure est encore un mystère. La preuve cependant me paraît assez claire. Oui, cela paraît clair, j’en conviens.         C’est heureux. Mais au lieu d’un portrait, si nous en trouvions deux, Le fait s’expliquerait....         Épargnez-vous la peine. Ma foi, j’y suis tout seul.         Le cœur de Célimène, Me disiez vous, Monsieur, n’est point à dédaigner. Oui, c’est moi que l’on aime ; il faut m’y résigner. Il ne me reste plus qu’à vous céder la place. Je le crois comme vous : mais tout chagrin s’efface ; Le vôtre passera.         Comme votre bonheur. Mais avouez au moins que j’ai bien du malheur ; J’ai voulu vous donner ce cœur que je vous ôte, Et si je plais enfin, ce n’est pas de ma faute. Mais si nous nous trompions ?... Car... Attendez-moi là ; Je veux que Célimène explique tout cela. Voilà donc mon vainqueur ! Serait-il bien possible Qu’il eût l’art de toucher un cœur aussi sensible ? Lui ! Les femmes, grands dieux !... Les femmes ! Ah ! Je crois Que Damis en effet les connaît mieux que moi ; J’en gémis, je l’avoue. Elle avait ma tendresse ; J’estimais sa raison et sa délicatesse : Quelle était mon erreur ! Je pense en vérité Qu’il ne faut estimer qu’avec sobriété. On vient : contraignons-nous ; tâchons que Célimène Ne puisse pas au moins triompher de ma peine. Ah ! Vous voilà, monsieur ; mais on ne vous voit pas : Où donc vous cachez-vous ?         On me voit trop, hélas ! On vous voit trop, Linval ; je vous rends mieux justice. Moi, madame ! Dans peu je vous rendrai service. Comment donc ?         Je m’en vais retourner à Paris. Eh ! Pourquoi nous quitter ?         Pourquoi ? C’est qu’entre amis, Un tiers est importun, et j’ai raison de croire Que je suis ce tiers là.         Si j’ai bonne mémoire, Je ne vous ai rien dit qui le fasse penser. Madame, tout ici semble me l’annoncer. Je ne recherche pas ce qu’on a pu vous dire. Je veux que vous restiez, cela doit vous suffire. Vous voulez ?...         Oui, je veux ; et si je prends ce ton, Vous me devinerez et le trouverez bon. Comment à tant d’attraits mêler tant d’artifice ! D’artifice, monsieur ?         Je sens mon injustice, Madame ; je devrais, en comblant mon erreur, Savoir interpréter le tout en ma faveur. Vous le pourriez souvent, sans craindre de méprise. Autrefois Célimène avait de la franchise.... Ne vous contraignez plus, quittez cet embarras ; Soyez claire....         Ce ton ne vous appartient pas, Linval ; vous copiez : Damis est de l’affaire. Si je limitais bien, je saurais mieux vous plaire. Quoi ! C’est de ce motif que vient votre courroux ? Les voilà ! Sans aimer, les hommes sont jaloux. Sans aimer ?         L’orgueil seul peut maîtriser leurs âmes. Avec plus de justice on le dirait des femmes. Retournez à Paris.         Oui, demain au matin. Quoi ! Vous nous accordez alors jusqu’à demain ? En quittant ces beaux lieux, je n’aurai, je vous jure, Pas même le bonheur d’y rester en peinture. Qu’entends-je ? Vous avez découvert ce portrait ? Oui, Madame.         Linval, cela n’est pas discret. Ce qu’a dit le portrait, je le savais d’avance. Eh bien, mon cher Linval, vous êtes en démence : Allez, je vous pardonne, et j’aime votre erreur. Mais je puis d’un seul mot dissiper votre humeur. Madame, j’en sais trop...         Vous savez des chimères. Un jaloux ne voit pas les choses les plus claires ; Mais il voit clairement ce qui n’existe pas. Vous ne partirez point, je vous le dis tout bas. Ah ! Que vous savez bien user de votre empire ! Vous jouissez, cruelle ; et vous semblez me dire : Restez pour contempler le bonheur d’un rival ; Soyez l’ombre au tableau ; s’il est bien, soyez mal. Un amant préféré n’a qu’une faible gloire, Si quelque infortuné n’ajoute à sa victoire. L’un des deux est chez vous sous le titre d’amant, Et l’autre y restera pour votre amusement. L’un des deux, dites-vous ? Cela pourrait bien être, Et celui-là, dans peu, vous saurez le connaître. Ah ! Madame, le choix sera bientôt dicté. Eh bien, restez au moins par curiosité ; Vous verrez si ce choix mérite qu’on l’approuve. Il ne ferait qu’aigrir la douleur que j’éprouve : Non, non, je ne veux pas le connaître à ce prix. C’en est fait.         En ce cas, retournez à Paris. Oui, Madame, je pars, et j’emporte dans l’âme Le cruel souvenir de la plus vive flamme ; La honte et le regret d’une trop douce erreur. Oui, je parts ; mais le trait restera dans mon cœur : Et ce qui rend surtout ma peine plus affreuse, C’est de savoir qu’ici vous n’êtes pas heureuse ; Car enfin ce rival qui sut vous enflammer, N’eut que l’art de vous plaire, et je savais aimer. En ce cas restez donc.         Ô ciel ! Quelle ironie ! Vous m’impatientez par votre modestie, Vous ne devinez rien.         Est-ce donc un secret ? Le portrait...         Eh bien, oui, je chéris un portrait. Avec un tendre soin je l’ai tracé moi-même ; Il présente à mes yeux le seul homme que j’aime ; Et s’il faut m’expliquer, incrédule Linval, De ce portrait chéri....         Voici l’original. Je ne puis pas venir plus à propos.         Sans doute. On n’entend pas toujours du mal quand on écoute. Eh bien, mon cher Linval, on vous fait donc mourir ? Linval a du malheur, il faut en convenir. Madame, le malheur est une bonne école. Vous sortez ?     Oui, je sors.         Et moi, je le console. Oui, consolez, Damis ; Linval en a besoin, Je vois avec plaisir que vous prenez ce soin ; Mais ne profitez pas de tout votre avantage, Et de votre ascendant faites un noble usage. À calmer ses ennuis j’aurais pu vous aider ; Mais vous aurez mieux l’art de le persuader. J’ai fait aux grands débats succéder le silence. Eh bien, mon cher ami, vous vous taisez ? Je pense.         Diable ! C’est bien penser. La raison et le temps Sont le meilleur remède aux chagrins des amants. Je le crois comme vous.         Oui, la philosophie Nous aide à supporter les dégoûts de la vie. Je suis très philosophe.         Eh bien, dans tout ceci, Êtes-vous décidé ? Prenez-vous un parti ? Il est pris.     Je le sais.         Vous lisez dans les âmes. C’est que je connais bien les hommes et les femmes. On ne vous a rien dit, et vous n’avez rien vu ; Il n’est rien arrivé que je n’eusse prévu. Vous saviez tout ?         Eh oui ; j’ai su que Célimène Voudrait nous retenir tous les deux dans sa chaîne. Toute femme est coquette, et l’on aimait en vous L’homme qu’on tenait là, pour me rendre jaloux. Ah !         Mais ce n’est pas moi qu’aisément on abuse ; J’eus l’art de repousser la ruse par la ruse. Il fallait par adresse arracher le secret, La forcer à choisir, et c’est ce que j’ai fait. Célimène croyait n’agir que d’elle-même ; Mais elle n’a rien fait que par mon stratagème. Enfin, ses actions, ses gestes, ses discours, Ses soupirs, ses dédains, ses aveux, ses détours, Son ton sensible et doux, son ton sévère et sage, Sans qu’elle s’en doutât, tout était mon ouvrage. Dans ce moment encor, je vous dirais déjà Et même j’écrirais tout ce qu’elle dira. Je voudrais bien l’entendre.         En voulez-vous la preuve ? Eh bien, mon cher Linval, nous en serons l’épreuve. Mais, monsieur, se peut-il ?...         Eh oui, cela se peut ; Une femme ne fait, ne dit que ce qu’on veut. Un homme qui n’est point à son apprentissage, Avant qu’elle ait parlé, devine son langage : Je vais vous le prouver. Pour être sûr du fait, Il faudra vous cacher là, dans ce cabine t ; Et là, vous entendrez Célimène redire Ce que d’avance ici je m’en vais vous prédire. D’abord je parlerai de mon ardent amour, De mes feux si constants et plus purs que le jour. Elle n’y croira pas. - Tout homme est infidèle ; Pour séduire il en dit autant à chaque belle. Je jurerai, bon ! Bon ! - Vains recours des amants ; Il ne faut écouter ni croire leurs serments. Alors je m’écriai : je le savais, cruelle ; Vous vous faites un jeu de ma peine mortelle. Mai quand je suis en butte à tout votre courroux, Un autre a mérité des sentiments plus doux. Un autre, dira-t-on ? Quoi ! De la jalousie ? Oui, j’en ai, j’en conviens, et pour toute ma vie. Elle en sera charmée ; alors, toujours adroit, Oui, dirai-je, d’un ton plus tranquille et plus froid, Je suis trop convaincu de votre indifférence, Et je dois condamner mon amour au silence ; Et pour faire changer la conversation, Je sais me préparer une transition. Je n’y réussis pas ; l’adroite Célimène, À notre premier point, malgré moi, me ramène ; Et déployant alors le jargon féminin, De grands mots convenus, des lieux communs sans fin, Elle veut méchamment prolonger mon martyre. Eh bien, que ferez-vous ?         De grands éclats de rire. Cela sera plaisant.         Oui, pour vous et pour moi, Mais bien piquant pour elle.         Oui, monsieur, je le crois. Enfin je lui dirai : bannissons la contrainte, Célimène ; quittons et la ruse et la feinte : Je sais que vous m’aimez... Monsieur, qui vous l’a dit ? C’est là que vous verrez éclater son dépit. Elle se fâchera de mon impertinence, Et puis s’apaisera selon la convenance ; Et moi, prenant alors le plus aimable ton, Aux pieds de la beauté j’obtiendrai mon pardon. Les femmes en un mot suivent les même routes, Et quand on en connaît une, on les connaît toutes. Et vous êtes bien sûr qu’on dira tout cela ? Puisque vous en doutez, monsieur, cachez-vous là. Je suis très curieux d’entendre cette scène ; J’en ferai mon profit.         Paix ! Voilà Célimène. Que faites-vous donc seul ?         J’admirais ce portrait. J’y suis un peu flatté...         Mais c’est par intérêt. Combien ce tendre soin me pénètre et me touche ! Ce qu’a dit le pinceau, dites-le moi de bouche : Qu’attendez-vous encor ? Vous savez mon amour ; Il est digne de vous, et pur comme le jour. Ah ! Damis, un amant n’a souvent qu’un faux zèle ; Il est toujours trompeur, ou du moins infidèle. Il prodigue par-tout les mêmes sentiments... Cela commence bien.         Eh quoi ! Tous mes serments... Les serments répétés sont un lien fragile ; J’en pourrais croire un seul, je n’en croirai pas mille. Quand vous jurez tout haut de nous aimer toujours, Le cœur jure tout bas de trahir ses amours. C’est cela, c’est cela.         Je le vois, trop cruelle ; Vous vous faites un jeu de ma peine mortelle : Mais quand je suis en butte à tout votre courroux, Un autre a mérité des sentiments plus doux. Un autre ? Quoi ! Damis connaît la jalousie ? Madame, ce n’est point une plaisanterie. Je ne l’aurais pas cru.         La friponne sourit. À parler franchement, j’aime votre dépit. Je le crois bien.         Certain de votre indifférence, Il faudra condamner mon amour au silence. Espérez-vous bientôt retourner à Paris ? Non, j’aime la campagne.         Ah ! J’en suis peu surpris. Un esprit bien pensant, une âme douce et pure Préfère à tout plaisir l’aspect de la nature. Un cœur tendre surtout aime à la contempler. Elle y revient...         Eh bien, pourquoi dissimuler ? Chaque mot vous trahit ; votre cœur est sensible. Eh ! Qui peut se vanter de l’avoir inflexible ? Quiconque vous connaît ne s’en vantera pas. Mais vous, pourriez-vous l’être avec autant d’appas ? Vous me pressez, Damis.         Bannissons la contrainte ; Ouvrez-moi votre cœur, et quittons toute feinte. Vous m’aimez, n’est-ce pas ?         Et d’où le savez-vous, Monsieur ? Qui vous l’a dit ?         Modérez ce courroux. Tout parle en ma faveur ; il est temps de vous rendre. On perd plus qu’on ne gagne en voulant trop attendre. J’aurais droit de montrer de la mauvaise humeur, Monsieur ; mais non, je sais excuser votre erreur. Vous nous connaissez mal.         Je connais mal les femmes ? Quoique vous vous flattiez de lire dans leurs âmes, Vous les connaissez mal.         Ma foi, cet entretien Prouve assez clairement que je les connais bien. De ce rire moqueur ma surprise est extrême. Ah ! Si vous saviez tout, vous en ririez vous-même. C’est qu’ici vous n’avez rien dit et rien pensé, Que d’avance à Linval je ne l’eusse annoncé. Vous saviez ?...         Mot pour mot. Jugez si j’ai dû rire. J’ai cependant encor quelque chose à vous dire Que vous ne savez pas.     C’est ?...         Que mon choix est fait. Et ce choix, quel est-il ?         Il part du cabinet. Quoi !         Dans ce cabinet, Linval m’a remplacée ; J’avais tout entendu.         Vous étiez bien placée. Quoi ! Madame ?...         Linval, vous serez mon époux. Mais je l’avais bien dit, Linval, que c’était vous. Ah ! Pouvais-je espérer que j’aurais su vous plaire ? Oui, Linval, car mon choix était facile à faire. Pour vous, ne rusez plus ; les plus fins y sont pris. Eh bien, qu’en dites-vous ?         Ma foi, ce que j’en dis, C’est qu’un homme jamais ne connaît une femme. Moi, je vous connais bien.         Mais je le vois, madame. Oui, je m’explique enfin, et vous aurez, je crois, Consolé votre ami pour la dernière fois. Dorénavant, Damis, si vous voulez m’en croire, Prenez un autre ton, cherchez une autre gloire ; Le babil indiscret et la méchanceté Ne donnent plus un air d’originalité, Car rien n’est si commun. Qu’une femme légère Soit la dupe une fois d’un pareil caractère, Cela ne prouve rien ; et cette exception Donne un faible triomphe à l’indiscrétion. Entre Linval et vous, voyez la différence : Tandis que vous cherchiez une vaine apparence, Il aime, il est heureux. L’un de vous deux dira Qu’il est l’homme chéri, mais l’autre le sera. La morale, monsieur, vous paraîtra sévère ; Mais vous la méritez. Vous avez de quoi plaire ; Ne vous déguisez point. En suivant mes avis, Vous pouvez être encore au rang de mes amis. Ah ! Que la vérité me pénètre et me touche ! La vérité surtout qui sort de votre bouche : Me voila corrigé. Le précepte est bien doux Quand nous le recevons d’un maître tel que vous.