Le jour paraît, déjà l’Aurore A rougi la cime des monts : L’Écho devrait déjà retentir de nos sons ; Qu’attendons-nous encore ? Prenez vos flèches, vos carquois ; Diane au fond des bois, Diane nous appelle ; Mais avant de partir, que nos coeurs et nos voix S’élèvent vers les Cieux pour chanter l’Immortelle . Jurons d’obéir à ses lois. Ô Diane, chaste déesse, Viens nous combler de tes bienfaits, Toi seule as des plaisirs parfaits, Ils ne coûtent point de faiblesse, Ils ne coûtent point de regrets. Ô Diane, chaste déesse, Viens nous combler de tes bienfaits, Toi seule as des plaisirs parfaits, Ils ne coûtent point de faiblesse, Ils ne coûtent point de regrets. Si ta bonté prit soin de ma jeunesse, Si dans mon coeur tu conservas la paix; Fille du Ciel, fait que dans ma vieillesse Je puisse encor jouir des biens que tu nous fais. Ô Diane, chaste déesse, Viens nous combler de tes bienfaits ; Arme nos bras, anime notre ivresse, Nous te suivons dans les forêts. Ô grand Thésée, ô mon auguste père, Tandis que des brigands tu délivres la terre, Je poursuis les monstres des bois; Et la chasse Me retrace Et ta valeur, et tes exploits. Quel beau jour ! Quel air pur ! Le Ciel est sans nuages, Tout nous offre d’heureux présages, Tout s’embellit au gré de nos désirs. Déesse des boccages, Appelle les Zéphyrs; Défends aux noirs orages De troubler nos plaisirs. Seigneur, avec sa Cour, Phèdre en ces lieux s’avance ; Par des voeux qu’elle y vient offrir, Elle y va de Vénus implorer la clémence, Du seul nom de Vénus ces lieux vont retentir. Vénus !         Rassurez-vous, Prêtresse: Nous ne troublerons pas Les mystères de la Déesse ; Et de ces lieux bientôt nous éloignons nos pas. Ô Diane, chaste déesse, Viens nous combler de tes bienfaits ; Arme nos bras, anime notre ivresse ; Nous te suivons dans les forêts. Divine Cithérée, Déesse des beaux jours, Descends de l’Empirée, Avec tous les amours. D’une reine chérie Viens calmer les douleurs : Doux charme de la vie, Viens régner sur nos coeurs. Rends-lui la paix qui l’abandonne. Voeux superflus ! Inutiles efforts ! Au milieu des plaisirs le trouble m’environne. Le calme renaîtra :         Du calme ! chère oenone, Il n’en est plus pour moi que sur les sombres bords. Ne cesserez-vous pas de répandre des larmes ? La gloire d’un époux, l’amour d’un peuple heureux, Tout doit suspendre vos alarmes. Les plaisirs de la terre ont-ils assez de charmes Pour appaiser les maux qui nous viennent des Dieux ? Reine de Gnide, âme de la nature, Change en un doux repos les tourments qu’elle endure. Vénus ! Du haut des Cieux Tu souris à La terre, Et la nature entière S’embellit à tes yeux. Vénus ! Du haut des Cieux Tu souris à La terre, Et la nature entière S’embellit à tes yeux. La volupté te devance Le plaisir te suit ; Devant toi l’indifférence S’anime, ou s’enfuit. Vénus ! Du haut des Cieux Tu souris à La terre, Et la nature entière S’embellit à tes yeux. Plaignons ceux qui de ton ivresse N’ont jamais connu la douceur : Dans le repos ils perdent leur jeunesse ; Pour le repos ils perdent le bonheur. Vénus ! Du haut des Cieux Tu souris à La terre, Et la nature entière S’embellit à tes yeux. Ô toi, dont la présence allume Le feu qui dévore mon coeur ! Vénus ! Adoucis la rigueur Du mal secret qui le consume. Si les maux des mortels peuvent toucher les Dieux, Qui plus que moi mérite ta clémence ? Ah ! Dissipe, par ta puissance, Le trouble affreux qui me suit en tous lieux. Prends pitié de ma souffrance, Sois sensible à mes tourments : À mon coeur rends l’espérance, Et rends le calme à mes sens. Prends pitié de sa souffrance; Sois sensible à ses tourmens. De douleurs, de désirs, de frayeurs agitée, J’appelle ce repos que je ne sens jamais ; D’un objet qui me suit sans cesse tourmentée, Au pied de tes autels je demande la paix, Et je tremble d’être écoutée. Ah ! Du moins s’il m’était permis, Dans mes voeux insensés, d’en espérer le prix, Je chérirais mon infortune. Que ne puis-je échapper à la foule importune, M’envelopper de l’ombre de la nuit, M’éloigner, m’égarer dans un lieu solitaire, Au silence des bois confier ma misère !... Peut-être y trouverais-je un bonheur qui me fuit ! Ah ! Suivons le Dieu qui m’entraîne, Oublions mes douleurs. De monts en monts, de plaine en plaine, Suivons un essaim de chasseurs. Déjà je ne sens plus ma peine ; De la trompe le son bruyant Rassure ma marche incertaine ; Je le vois... je l’entends... voilà le plus vaillant Des satellites de Diane... Diane ! Ô délire profane ! Où suis-je ? Qu’ai-je dit? Ô fatal abandon ! Pardonne-lui, Déesse tutélaire ; De longs chagrins ont troublé sa raison. Tout mon crime c’est la colère, C’est toi qui trouble ma raison. Fuyez, éloignez-vous.         Le destin nous rassemble, Pourquoi vous séparer de nous ? Du Ciel évitez le courroux. Nous le prirons ensemble, Nous le prirons pour vous. Accable-moi de ta colère, Ô Vénus, je m’offre à tes coups. Déesse tutélaire, Appaise ton courroux. Je vous l’ordonne, éloignez-vous. Qui peut de la Déesse exciter la vengeance ? Auriez-vous de Vénus méprisé la puissance ? Hélas !         Parler, rompez ce funeste silence. Cesse, cesse de rechercher De mes douleurs la source impure : Dis-moi plutôt de les cacher, Dis-moi de me soustraire à toute la nature. D’où vient ce désespoir affreux ? Pourquoi le juste ciel est-il sourd à vos voeux ? Des voeux ! Hélas ! Dans ma misère, Il m’est défendu d’en former. Du mal dont je rougis cesse de t’informer. Achevez d’éclaircir ce terrible mystère, Au nom de l’amitié, laissez-vous attendrir. Laisse-moi me taire, et mourir. Mourir ! Dieux ! Songez-vous qu’en perdant la lumiére, Vous abandonnez vos enfants. Que dis-tu?         Voulez-vous qu’? la fleur de leurs ans, Soumis au fils de l’Étrangère.... Dieux ! De quel souvenir viens-tu frapper mes sens? Vous faites éclater une juste colère : Ce prince qui longtemps mérita vos rigueurs, Sans doute cause encor vos nouvelles douleurs. Ce superbe Hippolite....         Ah, si je te suis chère, Ne me dis plus ce nom qui me glace d’effroi. Vivez pour lui ravir le sceptre qu’il espère, Vivez pour votre époux, pour vos enfants, pour moi. Les malheurs font-ils donc oublier qu’on est mère ? Si vous résistez à mes pleurs: Cédez au moins à la nature ; Ne me cachez plus vos douleurs, A vos pieds je vous en conjure; Ne résistez plus à mes pleurs, Cédez, cédez à la nature. Tu le veux, apprends donc le comble des horreurs ; Un désir criminel... Dieu ! Que vais-je lui dire ? Vous aimez.         Laisse-moi me dérober au jour. Vous aimez.         J’ai tout le délire, Toute la fureur de l’amour. Quel est celui qui vous l’inspire ? Je n’en ai que trop dit.         Est-il dans votre cour ? Sans cesse je le vois. Esclave infortunée Toujours vers mon tyran je me sens entraînée. En vain j’ai résisté : présageant mes malheurs, J’ai voulu dans leur source étouffer mes fureurs. Vains efforts ! J’ai voulu contre celui que j’aime Détourner les tourments que j’endurais moi-même ; J’ai voulu lui prescrire un exil éternel, J’ai voulu l’accabler du courroux paternel... Ô ciel ! C’est Hippolite ! D’où le sais-tu ? Qui te l’a dit ? Les Dieux Gravent-ils sur mon front le trouble qui m’agite ? Ce nom, ce nom fatal se lit-il dans mes yeux ? Étouffez de coupables feux. Les étouffer ! Ma fureur s’en augmente. Au matin, dans le jour, dans l’horreur de la nuit, Je revois cette image, et terrible et charmante ; Je l’évite, elle me poursuit, Je veux l’atteindre, elle me fuit. Ô Vénus !         Je le vois encore. Oui, cest lui... Les voilà ces funestes attraits. Je l’entends ; il me dit : coupable, je te hais ; Je lui réponds : je t’adore. N’a-t-il point pénétré le feu qui vous dévore ? L’insensible ! Sait-il ce que peut un regard Que sur moi malheureuse il jetta par hasard ? Fatale destinée ! Ô jour cher et terrible, Où je vis, où j’aimai ce farouche vainqueur ! L’orage s’éleva dans mon âme paisible, Un feu.... l’amour.... Vénus s’empara de mon coeur ; Je connus le malheur en devenant sensible. J’ai voulu dans mon sein renfermer mes douleurs, Hélas ! Mes maux avaient pour moi des charmes ; Victime de l’amour je chérissais mes pleurs, Et je craignais de voir tarir mes larmes. Dieux ! Si dans ce moment d’alarmes Votre époux...         Que dis-tu ? Cet époux menaçant À mes yeux effrayés est sans cesse présent. Je crois voir... Ciel ! Je vois le père d’Hippolite ; Tout mon sang se glace d’effroi. Un dieu vengeur l’accompagne et l’irrite, Avec lui tout l’enfer est armé contre moi. Et cependant l’amour déchire encor mon âme ; En vain l’époux que je trahis Me menace; malgré le courroux qui l’enflamme, Je cherche dans ses traits, tous les traits de son fils. Un Dieu vengeur l’accompagne et l’irrite. Tout mon sang se glace d’effroi, Tous les enfers sont à sa suite, Tous les enfers sont armés contre moi. Ô Destin déplorable ! Ô malheur effroyable ! D’où partent ces sombres clameurs ? Ô Reine, il n’est plus temps de cacher nos douleurs : Vous demandez en vain le retour de Thésée. Ciel !         Par un vain espoir cessez d’être abusée ; Secondant d’un ami les dangereux efforts, Thésée est descendu sur les rivages, sombres ; Pour le punir, le roi des morts Le retient pour jamais dans l’empire des ombres. Un nouveau trouble encore ajoute à vos chagrins, On chérit Hippolite, et le peuple peut-être Osera balancer sur le choix de son maître ; Opposez-lui vos ordres souverains. Au nom de votre fils reprenez la puissance Que votre époux a remise en nos mains. Vous pouvez étouffer un trouble à sa naissance ; Daignez voir Hippolite, et daignez l’avertir Qu’il doit perdre à l’empire une injuste espérance. Qui mieux que vous peut lui faire chérir Le devoir et l’obéissance. Oubliez, s’il se peut, d’anciens ressentiments, Ah ! Sacrifiez-les au salut de l’empire. Le terme de vos maux expire ; Vénus se lasse enfin de causer vos tourments. Grands Dieux ! dans quels moments Me laissez-vous le soin de mon empire ? Dans le malheur qui menace l’empire, Rassurez-nous, Dieux justes, Dieux puissants ! En vous seule Trézène espère, Trézène obéit à vos lois ; Auguste Reine, tendre mère, Veillez sur le fils de nos Rois. Le sort ne vous est plus contraire, Prenez le sceptre de nos rois : En vous seule Trézène espère, Le Ciel applaudit à son choix. Ô toi qui nous ravis un père, Écoute nos plaintives voix ; Dieu terrible, Dieu du tonnerre, Veille sur le fils de nos rois. Enfin les Dieux sont touchés de vos larmes. Tout vous obéit en ces lieux ; Dans le tombeau Thésée emporte vos alarmes, Vous ne rougirez plus d’un soupir amoureux, Pour vous enfin la vie aura des charmes. Je ne m’en défends pas. Je vois avec plaisir Briller un rayon d’espérance. Si je ne puis retrouver l’innocence, C’est un soulagement d’avoir moins à rougir. À calmer vos ennuis aujourd’hui tout conspire, Ce jour vous sauve un crime, et vous donne un empire. Ah ! Qu’il me sera doux, si je puis le donner ! Qu’il sera doux de couronner Celui pour qui seul je respire ! Quoi ! Lorsque votre fils est reconnu pour roi, Hippolite obtiendra le trône qu’il espère ? Puis-je lui refuser l’héritage d’un père ? Puis-je régner sur lui quand il règne sur moi ? Mais n’as-tu point, OEnone, entendu de murmure ? Le peuple consent-il à recevoir mes lois ? Ne craignez rien, votre puissance est sûre, Votre fils est nommé d’une commune voix. Et qu’a dit Hippolite en recevant un maître ? S’il regrette l’Empire, il n’en fait rien connaître; Quand il a su qu’à votre fils Tous les États étaient soumis, Il n’a point murmuré. Dans sa douleur profonde, La mort seule d’un père occupe ses esprits ; Il semble oublier tout le monde, Pour ne songer qu’à son malheur. Et j’irais porter la fureur Dans cette âme innocente et pure ! Le doux accent de la nature Est encore muet dans son coeur. Et moi criminelle et parjure, Je pourrais troubler son bonheur ! Non.         Devant vous il doit bientôt paroître. Ô ciel !     Le craignez-vous?         Ah ! c’est moi que je crains. Espérez tout, et vous verrez peut-être, Succéder le bonheur à de si longs chagrins. Le bonheur ! En est-il pour un coeur trop sensible. On n’est pas à l’amour pour toujours inflexible. Il le sera toujours.         Consentez à le voir. Je tremble d’y songer. Ne songez qu’à l’espoir. D’obéir à vos lois il ne peut se défendre; Esclave, s’il vous perd, s’il vous aime, il est roi. Au penchant de son coeur que l’on aime ? se rendre ! Tu me perds... mais mon coeur est complice avec toi. Pardonne lui ciel qui vient de l’entendre. Toi qui te plais à l’enflammer, Rends sensible un héros qu’elle aime ; De son erreur n’accuse que toi-même Glace son coeur, ou permets lui d’aimer. Ô toi, que je n’ose nommer, N’accable pas un coeur qui taime De mon erreur n’accuse que toi-même, Fais-toi haïr, ou laisse-moi t’aimer. OEnone m’a quittée ; elle fuit, que fait-elle ? Il va venir... c’est Phèdre qui l’attend. Soumise, je verrai ce superbe rebelle ; Je n’oserai l’aborder qu’en tremblant ; Mon front va se couvrir d’une rougeur mortelle, Ma honte, tout va me trahir. Épouse, mère criminelle, L’aspect de la vertu va me faire frémir. Il va venir... je tremble, je frissonne, Dieu cachez-lui mon trouble et mon effroi ; Toi qui me perds ; ah ! cher prince, pardonne ; Vois mes tourments, ils viennent tous de toi. D’un fol amour déplorable victime, L’espoir même me fait horreur ; Malheureuse ! C’est dans le crime Que je vais chercher le bonheur. Il va venir... ma force m’abandonne. Non, je ne puis. Fuyons loin de ces lieux ; Cachons-nous... Le voici ! Soutenez-moi, grands Dieux ! Hippolite se rend aux ordres de la Reine. Oui, Prince ; en ce moment de pleurs, Phèdre veut partager le poids de vos douleurs ; Approchez,         Je respire à peine. Vous savez que Thésée aux Enfers descendu, Aux voeux de ses sujets ne peut être rendu. Hélas ! Il est trop vrai que le destin contraire Au plus tendre des fils ravit le meilleur père. Ô Diane, aujourd’hui quand tu reçus mes voeux, Tu ne m’annonçais pas un sort si malheureux. Ô divine candeur !         La fortune ennemie De toutes ses rigueurs vous accable à la fois ; Et malgré vos vertus, et malgré tous vos droits, La couronne vous est ravie. Mon père ne vit plus, et mon coeur accablé D’aucun malheur plus grand ne peut être troublé. Vous avez votre fils, et n’êtes pas ma mère... Ah ! Prince, je sens bien que je ne la suis pas ; Mais mon coeur s’y méprend, et cette erreur m’est chère ; Dans ce moment terrible, hélas ! Que je serais tranquille, et que je serais fière, Si le Dieu qui m’accable oubliant son courroux, M’avait donné pour fils un prince tel que vous ! Qui peut vous inspirer des sentiments si doux Pour moi, qui si longtemps ai paru vous déplaire ? Phèdre, il est vrai, Seigneur, vous a persécuté ; Pour m’éloigner de vous, je vous ai tourmenté. Je tremblais, je fuyais au seul nom d’Hippolite ; Mais vous n’avez pas su ce qu’il m’en a coûté, On ne hait pas toujours l’objet que l’on évite. Puisse tous les tourmenTs que je vous ai causés Par l’amour le plus tendre être tous effacés ! Connaissez le dessein qu’un Dieu puissant m’inspire, En vain de vos aïeux on vous ravit l’empire, Je prétends réformer une odieuse loi ; C’est vous, Seigneur, c’est vous, que j’ai choisi pour roi. Quel Dieu vous intéresse au fils d’une étrangère. On peut aimer, Seigneur, sans être mère. Eh ! Quoi ! Je ravirais la couronne à mon frère ? Il sera votre fils ; mon unique plaisir Sera de lui montrer comme il faut obéir. Qui mieux que vous peut lui servir de père ! Moi ! Songez-vous ?...         Ô Ciel ? Qu’ai-je fait ? Qu’ai-je dit ? Ah ! Seigneur, les malheurs égarent mon esprit ; D’un trouble en vous voyant je ne puis me défendre. Je ne sais quelle erreur, fatale à mon repos, Sans cesse offre à mes yeux l’image d’un héros. C’est en vain qu’aux enfers le sort l’a fait descendre, Je crois toujours le voir, je crois toujours l’entendre ; Puisque vous respirez, il voit encor le jour, Un Dieu consolateur le rend à mon amour. Vivez, régnez pour lui. Que ne puis-je vous rendre Tout le plaisir que je goûte à vous voir, Et que je goûte à vous entendre ! Sur le trône allez vous asseoir. Venez : à vos sujets je veux donner l’exemple De l’amour qu’on doit à ses Rois. Phèdre à l’instant va les conduire au temple, Nous allons tous jurer d’obéir à vos lois. Tout vous sera soumis, et mon coeur, et Trézène. Je range sous vos lois et l’Empire, et la reine, Plus fière d’obéir que de vous commander. Venez ; qui peut vous retarder ? À vous comme à mon roi tout mon coeur s’abandonne ; Plus que vous je croirai régner, Si de ma main vous prenez la couronne ; Ah ! Pourriez-vous la dédaigner ! Le ciel vous la destine, et l’amour vous la donne. Ô ciel, vous oubliez le nom de votre époux ! Thésée !... Eh ! Sur quoi jugez-vous Qu’aux mânes d’un époux Phèdre fait une injure ? Pardonnez...         Ah ! Seigneur, je n’ai pas de courroux. Ayez pitié des tourments que j’endure ; Et si de mes transports vous êtes offensé, C’est vous qui me troublez, Seigneur ; et la nature A trompé mon coeur insensé. Pour ne pas prolonger une erreur dangereuse, Je vais m’éloigner à jamais. Non, tu ne fuiras point. Connais la malheureuse Qu’un fol amour condamne à d’éternels regrets. Thésée est mon époux, et c’est son fils que j’aime. Cet amour qui me fait horreur, Si longtemps étouffé, s’echappe de mon coeur ; Ainsi que ta fierté, ma faiblesse est extrême ; Je t’aimais en secret, je t’aime avec fureur, Et j’ose le dire à toi-même ; Tu détournes les jeux, tu frémis : ah ! Seigneur, Pardonnez, ma raison s’égare ; Vous êtes tant aimé, ne soyez pas barbare, N’accusez que les Dieux, et plaignez le malheur. Ô funeste mépris ! Inflexible rigueur ! Crois-tu que pour mes feux lâchement complaisante, Je vienne t’implorer d’une voix suppliante, Te presser d’écouter d’épouvantables voeux ? Non, c’est Phèdre mourante Qui veut expirer à tes yeux. Frappe toi-même, venge un père ; Un monstre ne doit pas échapper à tes coups. Tremblez, le ciel dans sa colère, S’arme pour venger votre époux. Frappe, ravis-moi la lumière ; Pour moi le trépas est doux. Des Dieux redoutez la vengeance. Ah ! Je succombe à ma souffrance. Des Dieux redoutez la vengeance, Ils sont prêts à tonner sur nous. Je m’offre à leur juste vengeance, Seigneur, tous mes Dieux sont en vous. Ô coup inattendu ! Thésée est dans ces lieux. Thésée !         Il va bientôt se montrer à vos yeux. Mon père !     Mon époux !         Son peuple est dans l’ivresse, Et pousse jusqu’aux cieux mille cris d’allégresse. Bienfaisante Diane !         Ô mortelles douleurs ! Volons dans les bras de mon père ! Mais cachons-lui, grands Dieux ! cet horrible mystère. De quel front aborder son père ! Comment vais-je cacher mes honteuses fureurs ? Dieux ! Qu’ai-je fait ? Ô Ciel ! Écarte les malheurs. Malheureuse ! Tu m’as perdue. Ah ! Ciel !         Il sait mon crime, et je lui fais horreur. Ah ! Quel bonheur ! Quels cris affreux viennent percer mon coeur ? Grands Dieux ! Ma honte est déjà répandue ! Fuyons.....         Vous n’allez pas recevoir le vainqueur? Je ne veux m’offrir à sa vue, Que pour y mourir de douleur. Ah ! Quel bonheur ! Quel beau jour pour Trézène ! Le Ciel rend à nos voeux un héros adoré. Oui, c’est le Ciel qui le ramène, Quel plaisir ! Quel beau jour ! Qui l’aurait espéré ! Aux sombres bords il avait pénétré, Des sombres bords la gloire le ramène. Ah ! Quel bonheur ! Quel beau jour pour Trézène ! Le Ciel rend à nos voeux un héros adoré. Hélas ! Combien de larmes Nous fit verser le bruit de son trépas ! Son courage et ses armes Sont vainqueurs du trépas. Ah ! Que le plaisir a d’appas Quand il suit les alarmes ! Ah ! Quel bonheur ! Quel beau jour pour Trézène ! Le Ciel rend à nos voeux un héros adoré. Je les revois, ces lieux chers à mon coeur ; Ce plaisir est pour moi la plus douce victoire ; D’un peuple heureux le spectacle enchanteur De tous mes maux passés efface la mémoire. De cent brigands j’ai purgé l’univers. J’ai vu de près la mort ; d’un regard intrépide J’ai pénétré jusqu’aux enfers ; Et le Tartare avide N’a pu retenir dans les fers Le compagnon d’Alcide. Mais la gloire à mes yeux a bien moins de douceur Que le plaisir de revoir ma patrie ; Par des exploits on illustre sa vie, Mais être aimé, voilà le vrai bonheur. Braver la mort d’un regard intrépide, Pénétrer au fond des enfers ; Par ses exploits étonner l’univers, Marcher sur les traces d’Alcide, C’est pour la gloire un triomphe enchanteur, Mais être aimé, voilà le vrai bonheur. Pour un héros, quel triomphe enchanteur ! Son peuple heureux jouit de son bonheur. Peuple, je suis sensible aux preuves de tendresse Dont vous flattez un roi qui veut vous rendre heureux, Mais un plaisir me manque au milieu de vos jeux. Pourquoi dans ce jour d’allégresse, Phèdre n’est-elle point avec vous dans ces lieux ? Je brûle d’embrasser une épouse si chère : Hippolite, répondez-moi, Vous ne me dites rien. Quel silence !         Mon Père, Je ne sais quel motif.....         Vous me glacez d’effroi: Mon fils, suivez-moi chez la reine. Seigneur, dispensez-moi de paraître à ses yeux. Qu’entends-je ? Quoi ! Le temps, ni le Ciel, ni mes voeux, De Phèdre contre vous n’ont pu calmer la haine. Ah ! Seigneur, permettez qu’éloigné de ces lieux, Je ne lui montre plus un objet odieux. Permettez que marchant sur les traces d’un père, J’imite les héros, et j’apprenne à la terre Que vous avez un fils digne de vos aïeux. Eh ! Quoi ! Vous me quittez, vous, mon cher Hippolite ! Juste Ciel ! Quel présage affreux ! Pour consoler votre cher Hippolite, Il lui reste partout votre exemple et les Dieux. Ô père infortuné ! Tout me fuit, tout m’évite : Juste Ciel ! Quel présage affreux ! Les lieux que votre épouse habite, Ne doivent plus revoir votre fils malheureux. Souverain maître du tonnerre, Exauce les voeux que je fais. J’ai rendu le calme à la terre, Fais qu’il renaisse en mon palais. Chaste Déesse des forêts, Protège un roi, protège un père ; Cache-lui cet affreux mystère. Ah ! Fais qu’il l’ignore à jamais. Diane, écoute ma prière, Et mets le comble a tes bienfaits. Souverain maître du tonnerre, D’un héros comble les souhaits : Il donna la paix à la terre, Qu’il la retrouve en son palais, Protège un roi, protège un père ; Rends-lui les biens qu’il nous a faits. Ô jour affreux ! Ô destin déplorable ! Quelle horreur a souillé ces lieux ! Tout retrace à mes yeux un crime détestable ; Dieu ! Pouvais-je prévoir qu’un fils si vertueux, Pourrait former un jour un dessein si coupable. Grands Dieux ! Sauvez la Reine.         Ô père malheureux ! Lorsqu’après une longue absence, Je viens dans mes états jouir de mes succès, Les murs de mon palais semblent crier vengeance, Je cherchais le bonheur, je trouve des forfaits. Quand je cours l’embrasser, mon épouse m’évite ; Hippolite lui seul, le coupable Hippolite À mes yeux outragés n’a pas craint de s’offrir. Mais qui force la Reine à fuir de ma présence ? Loin d’un époux qui peut la retenir ? Hélas ! Seigneur, malgré son innocence, La reine croit son honneur outragé, Et votre épouse attend que vous ayez vengé, Ou pardonné le crime qui l’offense. Pardonner ! Ah ! Plutôt par un juste trépas, D’un perfide ennemi délivrons mes États. Ah ! Seigneur, modérez une fureur soudaine. Le monstre ! Au nom de Phèdre il pâlit devant moi : Son trouble m’a glacé d’effroi. Traître, de ton forfait tu subiras la peine ; Comme j’ai su t’aimer, je saurai te haïr, Je te donne toute ma haine. Allez, et dites à la Reine Que le ciel va bientôt punir Le monstre qui la fait rougir. Neptune, seconde ma rage, Punis un fils incestueux, Arme-toi, viens venger l’outrage D’un roi, d’un père malheureux. Ah ! Si pour prix de mon courage, Tu promis d’exaucer mes voeux. Arme-toi, viens venger l’outrage D’un roi, d’un père malheureux. Hélas ! Quand je suivis un ami téméraire, Dieux ! Au fond des enfers vous deviez m’arrêter : Dieux ! Fallait-il me rendre la lumière, Pour me la faire détester ? Qu’il est horrible pour un père De se voir accablé de la honte d’un fils ! Hippolite, mon fils, est un vil adultère, Ah ! D’horreur, à ces mots, tous mes sens sont saisis. Neptune, seconde ma rage, Punis un fils incestueux, Arme-toi, viens venger l’outrage D’un roi, d’un père malheureux. Le voici. Qui croirait à cet air d’assurance, Qu’il ait pu se souiller du plus noir des forfaits ! Ne distinguera-t-on jamais Sur le front des mortels le crime ou l’innocence ? Quel nuage fatal se répand sur vos yeux ? Mon père, d’où vous vient cette sombre tristesse ? Je ne suis plus ton père.         Et qu’ai-je fait, grands Dieux ! Pour perdre un nom si cher à ma tendresse ? Tu feins de l’ignorer, infâme incestueux ! Espérais-tu qu’un coupable silence Laisserait impuni l’attentat qui m’offense ? Ciel !         Phèdre a révélé tes desseins odieux. Phèdre !         Ton crime éclate au trouble qui t’agite. Dieux, qui me connaissez, Phèdre accuse Hippolite ! Quoi ! Monstre, à ce nom seul tu ne meurs pas d’effroi ! Fuis, malheureux, ton audace m’irrite ; Cache dans un désert tes forfaits et ta fuite : Puisse tout l’océan te séparer de moi ! Ô Thésée, ô mon père ! Ne précipitez pas une injuste colère. Je ne t’écoute plus. Fuis un Dieu menaçant. Ces Dieux me sont témoins que je suis innocent. C’est sur les fils ingrats que gronde leur tonnerre. Seigneur, Hippolite est d’un sang Qui ne fut point souillé d’inceste et d’adultère. Avant de m’accuser d’un crime monstrueux, Phèdre devoit songer à ses aïeux: Il ne m’est pas permis d’en dire davantage. Le perfide au forfait ose mêler l’outrage ! Crains, malheureux...         Frappez, qui retient votre bras ! Si votre amitié m’est ravie, Qu’ai-je besoin de conserver la vie ? Mourant de votre main, je ne me plaindrai pas. Non, non, j’attends que ton sort s’accomplisse, Un Dieu s’arme pour ton supplice. Fuis....         À quels maux faut-il me préparer ? Fuis, et que l’univers puisse nous séparer? Dans quels lieux m’arrêter, si je suis loin d’un père? Partout des justes Dieux te suivra la colère. Voyez un fils à vos genoux. Neptune, accomplis ta promesse, Je livre ce monstre à tes coups. Souvenez-vous, souvenez-vous Qu’il mérita votre tendresse. Je fus extrême en ma tendrese, Je le serai dans mon courroux. Retenez la main vengeresse. Neptune, accomplis ta promesse. L’innocence est à vos genoux. Je livre ce monstre à tes coups. Grands Dieux ! Quelle est ma destinée ! Justes Dieux ! Dans une journée, Que de malheurs... et de forfaits ! Je pleurais aujourd’hui la mort du meilleur père, Je croyais ne pouvoir survivre à mes regrets ; Et le ciel me le rend enflammé de colère Pour me le ravir à jamais. Mais quand la vérité viendra se faire entendre, Combien ce père aimé va gémir sur mon sort ! Ah ! Tous les pleurs qu’il va répandre, Ne vengeront que trop ma mort. Restez pour détromper mon père ; Il faut me dévouer, recevez mes adieux. Nous, vous abandonner !         Votre amitié m’est chère, Mais je dois subir seul un exil rigoureux. Nous le supporterons.         Laissez-moi, je le veux. Justes Dieux, qui voyez mes peines, D’un père appaisez la fureur. Justes Dieux, qui voyez les peines, D’un père appaisez la fureur. Adieu mon père, adieu Trézène ! Adieu tout mon bonheur. Père cruel, malheureuse Trézène, Tu perds tout ton bonheur. Je vais m’exposer à Neptune ; Puisse-t-il par ma mort terminer mon malheur. Au nom des Dieux, laissez-nous la douceur De partager votre infortune. Recevez mes adieux.         Partout nous vous suivrons. Je ne dois pas vous charger de mes chaînes. Nous les partagerons. Ô céleste amitié ! Que tu calmes de peines ! Partout nous vous suivrons, Nous vous consolerons, Et s’il nous faut mourir, ensemble nous mourrons. D’un époux menaçant la voix s’est fait entendre, Sans doute il dictait mon arrêt. Son fils de m’accuser n’aura pu se défendre, Il n’a pu renfermer cet horrible secret. Où suis-je ?... Tout se tait... Je ne vois point OEnone ; Ce silence accablant redouble mon effroi. Je suis seule, tout m’abandonne ; Tout semble fuir le crime et s’éloigner de moi. Je suis seule avec moi pour souffrir davantage : Ah ! C’est trop prolonger une trame d’horreurs, De vivre plus longtemps je n’ai plus le courage; Mes tourments vont finir....         Dissipez vos frayeurs; Votre ennemi succombe et finit vos malheurs. Pour vous rendre l’honneur, pour vous sauver la vie, OEnone n’a point vu de route trop hardie. Que dis-tu?         Respirez, rendez grâces au ciel. Je n’ai pas craint d’accuser Hippolite ; J’ai dit que consumé d’un amour criminel... Ah ! Dieux !         Et votre époux, dans sa fureur subite, Lui prescrit loin d’Athènes un exil éternel. Juste ciel ! Quelle horreur !         Craignez peu sa colère ; Moi-même je l’ai vu partir, Chargé de la haine d’un père, Et de tous les tourments qu’il vous a fait souffrir. Monstre ! Et qui t’avait dit de noircir l’innocence ? Est-ce moi ? Parle ! Hélas ! Peut-être il va périr. C’est sur toi que des Dieux doit tomber la vengeance; Fuis : Je te hais.     Ô ciel !         Fuis, malheureuse, fuis. Toute coupable que je suis, Tu m’indignes par ta présence. Au plus affreux des forfaits C’est toi qui m’as fait descendre ; Va ! Puisse le ciel te rendre Tous les maux que tu m’as faits ! Hippolite succombe, et c’est moi qui l’opprime. D’un amour criminel innocente victime, Il gémit accablé de toutes mes fureurs. Dans ce jour détesté chaque instant est un crime, Ce jour luit sur tous les malheurs. Il ne m’est plus permis de vivre, Et je dois trembler de mourir, Tous mes forfaits vont me survivre, Je laisse un nom qui fait frémir. Je souille l’air que je respire, Mon aspect inspire l’horreur, Un affreux remords me déchire, L’enfer est déjà dans mon coeur. Toi qui vois à tes pieds ta fille criminelle, Soleil, dont je ternis l’éclat majestueux, Obscurcis-toi, ta splendeur immortelle Ne doit plus briller ? mes yeux. Dieux ! Quelle affreuse nuit se répand en ces lieux ! Où suis-je !... C’est ici qu’on punit les perfides... Arrêtez, arrêtez, terribles Euménides... Neptune, appaise ton courroux, Écoute nos voix gémissantes, Vois à tes pieds des victimes tremblantes, Dieu terrible, suspends tes coups ! Neptune, épargne la victime, J’abjure d’homicides voeux. Grands Dieux, qui tonnez sur le crime, Épargnez des coeurs vertueux. Vous que favorise Néptune, Appaisez ce Dieu courroucé. Ô funeste faveur !         Écartez l’infortune Dont votre peuple est menacé. Neptune, épargne la victime, J’abjure d’homicides voeux. Grands Dieux, qui tonnez sur le crime Épargnez des coeurs vertueux. Les cieux sont appaisés. Ô Dieux consolateurs, Mettez le comble à vos faveurs. Affreuse destinée ! Malheureuse journée ! Me rendez-vous mon fils ?         Ô père infortuné, À des pleurs éternels vous êtes condamné ! Hippolite !         Le ciel le ravit à son père. Malheureux ! Achevez...     Il est mort.         Il est mort ! Ô comble de misère ! Jeune héros, quel est ton sort ? Accablé de votre colère, Ce fils obéissant s’éloignait de ces lieux, Quand tout-à-coup un monstre furieux, Du sein des flots s’élançant sur la terre, Entraîna votre fils, et l’enlève à nos yeux. Ses amis, mais en vain, ont voulu le défendre ; Un Dieu nous écartait, un Dieu..... Vous frémissez, Seigneur : ah ! tous les pleurs que vous voyez répandre Vous en disent assez. Dieux ! Je lui pardonnAis, et vous le punissez ; Lorsque j’étais barbare, ah ! Deviez-vous m’entendre ? Malheureux Hippolite ! Hélas ! Plus que jamais, Malgré ton crime affreux, je sens que je t’aimais. Enfin à l’innocence il faut rendre justice, Seigneur, il faut percer un mystère d’horreur ; Votre fils n’avait pas mérité son supplice. Ciel !         De tous ces forfaits la source est dans mon coeur. Mon épouse !         Des Dieux la vengeance cruelle Mit dans mon sein un feu que lien ne put calmer. À cet horrible amour Hippolite rebelle, Par sa haine pour moi ne fit que m’enflammer. Mais mon coeur ne sut point armer Contre un fils vertueux la haine paternelle, OEnone l’a perdu, je n’ai fait que l’aimer, Et je suis malheureuse autant que criminelle. Il était innocent ! Ah ! Pouvez-vous penser Par un vain repentir expier un tel crime ! Non, Thésée, et les dieux vont frapper la victime ; Mon supplice va commencer. J’échappe à ta vengeance, Implacable Vénus; Et toi que mon aspect offense, Soleil, je ne te verrai plus. Fiers enfants du Soleil, race illustre et coupable, Ton sort est-il inévitable ? Ô terrible destin ! Tout fléchit sous tes lois ; Tes aveugles décrets n’épargnent pas les rois.