Serait-ce déjà lui.         C’est bien à l’escalier Dérobé.     Vite, ouvrons.         Bonjour, beau cavalier. Quoi ! Seigneur Hernani, ce n’est pas vous ! - Main forte ! Au feu !         Deux mots de plus, duègne, vous êtes morte ! Suis-je chez doña Sol ? Fiancée au vieux duc De Pastraña, son oncle, un bon seigneur, caduc, Vénérable et jaloux ? Dites ! La belle adore Un cavalier sans barbe et sans moustache encore, Et reçoit tous les soirs, malgré les envieux, Le jeune amant sans barbe à la barbe du vieux. Suis-je bien informé ?         - Vous répondrez peut-être. Vous m’avez défendu de dire deux mots, maître. Aussi n’en veux-je qu’un. - Oui, non. - Ta dame est bien Doña Sol De Silva ? Parle.     Oui. - Pourquoi ?         Pour rien. Le duc, son vieux futur, est absent à cette heure ? Oui.     Sans doute elle attend son jeune ?     Oui.         Que je meure ! Oui.         Duègne, c’est ici qu’aura lieu l’entretien ? Oui.     Cache-moi céans.     Vous ?     Moi.     Pourquoi ?         Pour rien. Moi, vous cacher !     Ici.     Jamais.         Daignez, madame, Choisir de cette bourse ou bien de cette lame. Vous êtes donc le diable ?     Oui, duègne.         Entrez ici. Cette boîte ?         Va-t’en, si tu n’en veux pas.         Si ! Serait-ce l’écurie où tu mets d’aventure Le manche du balai qui te sert de monture ? Ouf !     Un homme ici !         C’est une femme, est-ce pas, Qu’attendait ta maîtresse ?         Ô ciel ! j’entends le pas De doña Sol. - Seigneur, fermez vite la porte. Si vous dites un mot, duègne, vous êtes morte. Qu’est cet homme ? Jésus mon Dieu ! si j’appelais ?... Qui ? Hors madame et moi, tout dort dans le palais. Bah ! l’autre va venir. La chose le regarde. Il a sa bonne épée, et que le ciel nous garde De l’enfer !         Après tout, ce n’est pas un voleur. Josefa !     Madame ?         Ah ! je crains quelque malheur. Hernani devrait être ici. - Voici qu’il monte. Ouvre avant qu’il ne frappe, et fais vite, et sois prompte. Hernani !         Doña Sol ! Ah ! c’est vous que je vois Enfin ! et cette voix qui parle est votre voix ! Pourquoi le sort mit-il mes jours si loin des vôtres ? J’ai tant besoin de vous pour oublier les autres ! Jésus ! Votre manteau ruisselle. Il pleut donc bien ? Je ne sais.     Vous devez avoir froid ?         Ce n’est rien. Ôtez donc ce manteau.         Doña Sol, mon amie, Dites-moi, quand la nuit vous êtes endormie, Calme, innocente et pure, et qu’un sommeil joyeux Entr’ouvre votre bouche et du doigt clôt vos yeux, Un ange vous dit-il combien vous êtes douce Au malheureux que tout abandonne et repousse ? Ami, vous avez bien tardé ! Mais dites-moi Si vous avez froid.         Moi ? Je brûle près de toi. Ah ! Quand l’amour jaloux bouillonne dans nos têtes, Quand notre coeur se gonfle et s’emplit de tempêtes, Qu’importe ce que peut un nuage des airs Nous jeter en passant de tempête et d’éclairs ? Allons ! Donnez la cape et l’épée avec elle ! Non. C’est mon autre amie, innocente et fidèle ! Doña Sol, le vieux duc, votre futur époux, Votre oncle est donc absent ?         Oui, cette heure est à nous. Cette heure ! Et voilà tout. Pour nous, plus rien qu’une heure, Après, qu’importe ? Il faut qu’on oublie ou qu’on meure. Ange ! Une heure avec vous ! Une heure, en vérité, À qui voudrait la vie, et puis l’éternité ! Hernani.         Que je suis heureux que le duc sorte ! Comme un larron qui tremble et qui force une porte, Vite, j’entre, et vous vois, et dérobe au vieillard Une heure de vos chants et de votre regard, Et je suis bien heureux, et sans doute on m’envie De lui voler une heure ; et lui me prend ma vie ! Calmez-vous.         Josefa, fais sécher son manteau. Venez là.         Donc le duc est absent du château ? Comme vous êtes grand !     Il est absent.         Chère âme, Ne pensons plus au duc.         Ah ! Pensons-y, madame ! Ce vieillard ! Il vous aime, il va vous épouser ! Quoi donc ! Vous prit-il pas l’autre jour un baiser ? N’y plus penser !         C’est là ce qui vous désespère ! Un baiser d’oncle ! Au front ! Presque un baiser de père ! Non ; un baiser d’amant, de mari, de jaloux. Ah ! Vous serez à lui ! Madame. Y pensez-vous ? Ô l’insensé vieillard, qui, la tête inclinée, Pour achever sa route et finir sa journée, A besoin d’une femme, et va, spectre glacé, Prendre une jeune fille ! ô vieillard insensé ! Pendant que d’une main il s’attache à la vôtre, Ne voit-il pas la mort qui l’épouse de l’autre ? Il vient dans nos amours se jeter sans frayeur ! Vieillard, va-t’en donner mesure au fossoyeur ! Qui fait ce mariage ? On vous force, j’espère ! Le roi, dit-on, le veut.         Le roi ! Le roi ! Mon père Est mort sur l’échafaud, condamné par le sien. Or, quoiqu’on ait vieilli depuis ce fait ancien, Pour l’ombre du feu roi, pour son fils, pour sa veuve, Pour tous les siens, ma haine est encor toute neuve ! Lui, mort, ne compte plus. Et tout enfant, je fis Le serment de venger mon père sur son fils. Je te cherchais partout, Carlos, roi des Castilles ! Car la haine est vivace entre nos deux familles. Les pères ont lutté sans pitié, sans remords, Trente ans ! Or c’est en vain que les pères sont morts, La haine vit. Pour eux la paix n’est point venue, Car les fils sont debout, et le duel continue. Ah ! C’est donc toi qui veux cet exécrable hymen ! Tant mieux. Je te cherchais, tu viens dans mon chemin ! Vous m’effrayez.         Chargé d’un mandat d’anathème, Il faut que j’en arrive à m’effrayer moi-même ! Écoutez. L’homme auquel, jeune, on vous destina, Ruy de Silva, votre oncle, est duc de Pastrana, Riche-homme d’Aragon, comte et grand de Castille. Ô défaut de jeunesse, il peut, ô jeune fille, Vous apporter tant d’or, de bijoux, de joyaux, Que votre front reluise entre des fronts royaux ; Et pour le rang, l’orgueil, la gloire et la richesse, Mainte reine peut-être enviera sa duchesse ! Voilà donc ce qu’il est. Moi, je suis pauvre, et n’eus Tout enfant, que les bois où je fuyais pieds nus. Peut-être aurais-je aussi quelque blason illustre Qu’une rouille de sang à cette heure délustre ; Peut-être ai-je des droits, dans l’ombre ensevelis, Qu’un drap d’échafaud noir cache encor sous ses plis, Et qui, si mon attente un jour n’est pas trompée, Pourront de ce fourreau sortir avec l’épée. En attendant, je n’ai reçu du ciel jaloux Que l’air, le jour et l’eau, la dot qu’il donne à tous. Or du duc ou de moi souffrez qu’on vous délivre, Il faut choisir des deux, l’épouser, ou me suivre. Je vous suivrai.         Parmi mes rudes compagnons ? Proscrits dont le bourreau sait d’avance les noms, Gens dont jamais le fer ni le coeur ne s’émousse, Ayant tous quelque sang à venger qui les pousse ? Vous viendrez commander ma bande, comme on dit ? Car, vous ne savez pas, moi, je suis un bandit ! Quand tout me poursuivait dans toutes les Espagnes : Seule, dans ses forêts, dans ses hautes montagnes, Dans ses rocs où l’on n’est que de l’aigle aperçu, La vieille Catalogne en mère m’a reçu. Parmi ses montagnards, libres, pauvres et graves, Je grandis, et demain, trois mille de ses braves, Si ma voix dans leurs monts fait résonner ce cor, Viendront... vous frissonnez, réfléchissez encor. Me suivre dans les bois, dans les monts, sur les grèves, Chez des hommes pareils aux démons de vos rêves ; Soupçonner tout, les yeux, les voix, les pas, le bruit, Dormir sur l’herbe, boire au torrent, et la nuit Entendre, en allaitant quelque enfant qui s’éveille, Les balles des mousquets siffler à votre oreille. Être errante avec moi, proscrite, et, s’il le faut, Me suivre où je suivrai mon père, - à l’échafaud. Je vous suivrai.         Le duc est riche, grand, prospère. Le duc n’a pas de tache au vieux nom de son père. Le duc peut tout. Le duc vous offre avec sa main Trésors, titres, bonheur...         Nous partirons demain. Hernani, n’allez pas sur mon audace étrange Me blâmer. êtes-vous mon démon ou mon ange ? Je ne sais, mais je suis votre esclave. écoutez, Allez où vous voudrez, j’irai. Restez, partez, Je suis à vous. Pourquoi fais-je ainsi ? Je l’ignore. J’ai besoin de vous voir, et de vous voir encore, Et de vous voir toujours. Quand le bruit de vos pas S’efface, alors je crois que mon coeur ne bat pas ; Vous me manquez, je suis absente de moi-même ; Mais dès qu’enfin ce pas que j’attends et que j’aime Vient frapper mon oreille, alors il me souvient Que je vis, et je sens mon âme qui revient ! Ange !         À minuit. Demain. Amenez votre escorte. Sous ma fenêtre. Allez, je serai brave et forte. Vous frapperez trois coups.         Savez-vous qui je suis, Maintenant ?         Monseigneur, qu’importe ! Je vous suis. Non, puisque vous voulez me suivre, faible femme, Il faut que vous sachiez quel nom, quel rang, quelle âme, Quel destin est caché dans le pâtre Hernani. Vous vouliez d’un brigand, voulez-vous d’un banni ? Quand aurez-vous fini de conter votre histoire ? Croyez-vous donc qu’on soit si bien dans une armoire ? Hernani recule étonné. Doña Sol pousse un cri et se réfugie dans ses bras, en fixant sur don Carlos des yeux effarés. Quel est cet homme ?     Ô ciel ! Au secours !         Taisez-vous, Doña Sol ! Vous donnez l’éveil aux yeux jaloux. Quand je suis près de vous, veuillez, quoi qu’il advienne, Ne réclamer jamais d’autre aide que la mienne. Que faisiez-vous là ?         Moi? Mais, à ce qu’il paraît, Je ne chevauchais pas à travers la forêt. Qui raille après l’affront s’expose à faire rire Aussi son héritier !         Chacun son tour, messire ! Parlons franc. Vous aimez madame et ses yeux noirs, Vous y venez mirer les vôtres tous les soirs, C’est fort bien. J’aime aussi madame, et veux connaître Qui j’ai vu tant de fois entrer par la fenêtre, Tandis que je restais à la porte.         En honneur, Je vous ferai sortir par où j’entre, Seigneur. Nous verrons. J’offre donc mon amour à madame. Partageons, voulez-vous ? J’ai vu dans sa belle âme Tant d’amour, de bonté, de tendres sentiments, Que madame, à coup sûr, en a pour deux amants. Or, ce soir, voulant mettre à fin mon entreprise, Pris, je pense, pour vous, j’entre ici par surprise ; Je me cache, j’écoute, à ne vous celer rien ; Mais j’entendais très mal et j’étouffais très bien ; Et puis je chiffonnais ma veste à la française. Ma foi, je sors !         Ma dague aussi n’est pas à l’aise, Et veut sortir.         Monsieur, c’est comme il vous plaira. En garde !     Hernani ! Ciel !         Calmez-vous, Señora. Dites-moi votre nom.         Hé ! Dites-moi le vôtre ! Je le garde, secret et fatal, pour un autre Qui doit un jour sentir, sous mon genou vainqueur, Mon nom à son oreille, et ma dague à son coeur ! Alors, quel est le nom de l’autre ?         Que t’importe ? En garde ! Défends-toi !         Ciel ! On frappe à la porte ! Qui frappe ainsi ?         Madame ! Un coup inattendu ! C’est le duc qui revient !         Le duc ! Tout est perdu ! Malheureuse !         Mon dieu ! L’inconnu ! Des épées ! On se battait. Voilà de belles équipées !         Que faire ? On frappe.     Doña Sol, ouvrez-moi !         N’ouvrez pas. Saint Jacques monseigneur ! Tirez-nous de ce pas ! Cachons-nous.     Dans l’armoire ?         Entrez-y, je m’en charge. Nous y tiendrons tous deux.         Grand merci, c’est trop large. Fuyons par là.         Bonsoir. Pour moi, je reste ici. Ah ! Tête et sang ! Monsieur, vous me paierez ceci ! Si je barricadais l’entrée ?         Ouvrez la porte. Que dit-il ?     Ouvrez donc, vous dis-je !         Je suis morte ! Des hommes chez ma nièce à cette heure de nuit ! Venez tous ! Cela vaut la lumière et le bruit. Par saint Jean d’Avila, je crois que, sur mon âme, Nous sommes trois chez vous ! C’est trop de deux, Madame. Mes jeunes cavaliers, que faites-vous céans ? Quand nous avions le Cid et Bernard, ces géants De l’Espagne et du monde allaient par les Castilles Honorant les vieillards et protégeant les filles. C’étaient des hommes forts et qui trouvaient moins lourds Leur fer et leur acier, que vous votre velours. Ces hommes-là portaient respect aux barbes grises, Faisaient agenouiller leur amour aux églises Ne trahissaient personne, et donnaient pour raison Qu’ils avaient à garder l’honneur de leur maison. S’ils voulaient une femme, ils la prenaient sans tache, En plein jour, devant tous, et l’épée, ou la hache, Ou la lance à la main. - Et quant à ces félons Qui le soir, et les yeux tournés vers leurs talons, Ne fiant qu’à la nuit leurs manoeuvres infâmes, Par derrière aux maris vol l’honneur des femmes, J’affirme que le Cid, cet aïeul de nous tous, Les eût tenus pour vils et fait mettre à genoux, Et qu’il eût, dégradant leur noblesse usurpée, Souffleté leur blason du plat de son épée ! Voilà ce que feraient, j’y songe avec ennui, Les hommes d’autrefois aux hommes d’aujourd’hui. Qu’êtes-vous venus faire ici ? C’est donc à dire Que je ne suis qu’un vieux dont les jeunes vont rire ! On va rire de moi, soldat de Zamora ? Et quand je passerai, tête blanche, on rira ? Ce n’est pas vous du moins qui rirez !...     Duc...         Silence ! Quoi ! Vous avez l’épée, et la bague, et la lance, La chasse, les festins, les meutes, les faucons, Les chansons à chanter le soir sous les balcons, Les plumes au chapeau, les casaques de soie, Les bals, les carrousels, la jeunesse, la joie, Enfants, l’ennui vous gagne ! à tout prix, au hasard, Il vous faut un hochet : vous prenez un vieillard ! Ah ! Vous l’avez brisé, le hochet ! mais Dieu fasse Qu’il vous puisse en éclats rejaillir à la face ! Suivez-moi !     Seigneur duc...         Suivez-moi! Suivez-moi ! Messieurs, avons-nous fait cela pour rire ? Quoi ! Un trésor est chez moi ; c’est l’honneur d’une fille, D’une femme, l’honneur de toute une famille ; Cette fille, je l’aime, elle est ma nièce, et doit Bientôt changer sa bague à l’anneau de mon doigt ; Je la crois chaste et pure, et sacrée à tout homme, Or il faut que je sorte une heure, et moi qu’on nomme Ruy Gomez De Silva, je ne puis l’essayer Sans qu’un larron d’honneur se glisse à mon foyer ! Arrière, jeunes gens ! Ah ! Ce sont là vos fêtes ! Des bâtards rougiraient d’agir comme vous faites ! Non. C’est bien. Poursuivez. Ai-je autre chose encor ? Tenez, foulez aux pieds, foulez ma toison d’or! Arrachez mes cheveux, faites-en chose vile ! Et vous pourrez demain vous vanter par la ville Que jamais débauchés, dans leurs jeux insolents, N’ont sur plus noble front souillé cheveux plus blancs ! Monseigneur...         Écuyers ! Écuyers ! À mon aide ! Ma hache, mon poignard, ma dague de Tolède ! Et suivez-moi tous deux !         Duc, ce n’est pas d’abord De cela qu’il s’agit. Il s’agit de la mort De Maximilien, empereur d’Allemagne. Raillez-vous ?... Dieu ! Le roi !     Le roi !         Le roi d’Espagne. Oui, Carlos. Seigneur duc, es-tu donc insensé ? Mon aïeul l’empereur est mort, je ne le sais Que de ce soir. Je viens, tout en hâte, et moi-même, Dire la chose à toi, féal sujet que j’aime, Te demander conseil, incognito, la nuit, Et l’affaire est bien simple, et voilà bien du bruit ! Mais pourquoi tarder tant à m’ouvrir cette porte? Belle raison ! Tu viens avec toute une escorte ! Quand un secret d’état m’amène en ton palais, Duc, est-ce pour l’aller dire à tous tes valets ? Altesse, pardonnez, l’apparence...         Bon père, Je t’ai fait gouverneur du château de Figuère ; Mais qui dois-je à présent faire ton gouverneur ? Pardonnez...         Il suffit. N’en parlons plus, seigneur. Donc l’empereur est mort.         L’aïeul de votre altesse Est mort ?         Duc, tu m’en vois pénétré de tristesse. Qui lui succède ?         Un duc de Saxe est sur les rangs. François Premier, de France, est un des concurrents. Où vont se rassembler les électeurs d’empire ? Ils ont choisi, je crois, Aix-La-Chapelle, ou Spire, Ou Francfort.         Notre roi, dont Dieu garde les jours, N’a-t-il pensé jamais à l’empire ?         Toujours. C’est à vous qu’il revient.     Je le sais.         Votre père Fut archiduc d’Autriche, et l’empire, j’espère, Aura ceci présent, que c’était votre aïeul, Celui qui vient de choir de la pourpre au linceul. Et puis, on est bourgeois de Gand.         Dans mon jeune âge Je le vis, votre aïeul. Hélas! Seul je surnage D’un siècle tout entier. Tout est mort à présent. C’était un empereur magnifique et puissant ! Rome est pour moi.         Vaillant, ferme, point tyrannique. Cette tête allait bien au vieux corps germanique ! Que je vous plains ! Si jeune, en un tel deuil plongé ! Le Pape veut ravoir la Sicile, que j’ai ; Un Empereur ne peut posséder la Sicile, Il me fait empereur ; alors, en fils docile. Je lui rends Naples. Ayons l’aigle, et puis nous verrons Si je lui laisserai rogner les ailerons. Qu’avec joie il verrait, ce vétéran du trône, Votre front déjà large aller à sa couronne ! Ah ! Seigneur, avec vous nous le pleurerons bien, Cet empereur très grand, très bon et très chrétien ! Le Saint-Père est adroit. - Qu’est-ce que la Sicile ? C’est une île qui pend à mon royaume, une île. Une pièce, un haillon, qui, tout déchiqueté, Tient à peine à l’Espagne et qui traîne à côté. - Que ferez-vous, mon fils, de cette île bossue Au monde impérial au bout d’un fil cousue ? Votre empire est mal fait : vite, venez ici, Des ciseaux ! et coupons ! - Très saint-père, merci ! Car de ces pièces-là, si j’ai bonne fortune, Je compte au saint-empire en recoudre plus d’une. Et, si quelques lambeaux m’en étaient arrachés. Rapiécer mes états d’îles et de duchés ! Consolez-vous ! il est un empire des justes Où l’on revoit les morts plus saints et plus augustes ! Ce roi François premier, c’est un ambitieux ! Le vieil empereur mort, vite il fait les doux yeux À l’empire ! A-t-il pas sa France très chrétienne ? Ah ! La part est pourtant belle, et vaut qu’on s’y tienne ! L’empereur mon aïeul disait au roi Louis : Si j’étais Dieu le père, et si j’avais deux fils, Je ferais l’aîné dieu, le second roi de France. - Crois-tu que François puisse avoir quelque espérance? C’est un victorieux.         Il faudrait tout changer. La bulle d’or défend d’élire un étranger. À ce compte, seigneur, vous êtes roi d’Espagne? Je suis bourgeois de Gand.         La dernière campagne A fait monter bien haut le roi François premier. L’aigle qui va peut-être éclore à mon cimier Peut aussi déployer ses ailes.         Votre altesse Sait-elle le latin ?     Mal.         Tant pis. La noblesse D’Allemagne aime fort qu’on lui parle latin. Ils se contenteront d’un espagnol hautain, Car il importe peu, croyez-en le roi Charles, Quand la voix parle haut, quelle langue elle parle. - Je vais en Flandres. Il faut que ton roi, cher Silva, Te revienne empereur. Le roi de France va Tout remuer. Je veux le gagner de vitesse. Je partirai sous peu.         Vous nous quittez, altesse, Sans purger l’Aragon des rebelles maudits Qui partout dans nos monts lèvent leurs fronts hardis. J’ordonne au duc d’Arcos d’exterminer la bande. Donnez-vous aussi l’ordre au chef qui la commande De se laisser faire ?         Hé ! Quel est ce chef ? Son nom ? Je l’ignore. On le dit un rude compagnon. Bah ! Je sais que pour l’heure il se cache en Galice, Et j’en aurai raison avec quelque milice. De faux avis alors le disaient près d’ici. Faux avis ! Cette nuit tu me loges.         Merci, Altesse !         Faites tous honneur au roi mon hôte. Demain, sous ma fenêtre, à minuit, et sans faute. Vous frapperez des mains trois fois.     Demain.         Demain ! Souffrez que pour rentrer je vous offre la main. Mon bon poignard !         Notre homme a la mine attrapée. Je vous ai fait l’honneur de toucher votre épée, Monsieur ; vous me seriez suspect pour cent raisons, Mais le roi don Carlos répugne aux trahisons. Allez. Je daigne encor protéger votre fuite. Qu’est ce seigneur ?         Il part. C’est quelqu’un de ma suite. Oui, de ta suite, ô roi ! De ta suite ! - J’en suis. Nuit et jour, en effet, pas à pas, je te suis ! Un poignard à la main, l’oeil fixé sur ta trace, Je vais ! Ma race en moi poursuit en toi ta race ! Et puis, te voilà donc mon rival ! Un instant, Entre aimer et haïr je suis resté flottant, Mon coeur pour elle et toi n’était point assez large, J’oubliais en l’aimant ta haine qui me charge ; Mais puisque tu le veux, puisque c’est toi qui viens Me faire souvenir, c’est bon, je me souviens ! Mon amour fait pencher la balance incertaine, Et tombe tout entier du côté de ma haine. Oui, je suis de ta suite, et c’est toi qui l’as dit ! Va, jamais courtisan de ton lever maudit, Jamais seigneur baisant ton ombre, ou majordome Ayant à te servir abjuré son coeur d’homme, Jamais chiens de palais dressés à suivre un roi, Ne seront sur tes pas plus assidus que moi ! Ce qu’ils veulent de toi, tous ces grands de Castille, C’est quelque titre creux, quelque hochet qui brille, C’est quelque mouton d’or qu’on se va pendre au cou ; Moi, pour vouloir si peu je ne suis pas si fou ! Ce que je veux de toi, ce n’est point faveurs vaines, C’est l’âme de ton corps, c’est le sang de tes veines, C’est tout ce qu’un poignard, furieux et vainqueur, En y fouillant long-temps peut prendre au fond d’un coeur. Va devant, je te suis. Ma vengeance qui veille Avec moi, toujours marche et me parle à l’oreille ! Va, marche, je suis là, je te pousse, et sans bruit Mon pas cherche ton pas, et le presse et le suit ! Le jour tu ne pourras, ô roi, tourner la tête, Sans me voir immobile et sombre dans ta fête ; La nuit tu ne pourras tourner les yeux, ô roi, Sans voir mes yeux ardents luire derrière toi ! Voilà bien le balcon, la porte... mon sang bout. Pas de lumière encor !         Des lumières partout Où je n’en voudrais pas, hors à cette fenêtre Où j’en voudrais.         Seigneur, reparlons de traître. Et vous l’avez laissé partir !...         Comme tu dis. Et peut-être c’était le major des bandits ! Qu’il en soit le major ou bien le capitaine, Jamais roi couronné n’eut mine plus hautaine. Son nom, Seigneur ?...         Munoz..., Dernan..., un nom en i. Hernani, peut-être ?     Oui.     C’est lui.         C’est Hernani ? Le Chef !         De ses propos vous reste-t-il mémoire ? Hé ! Je n’entendais rien dans leur maudite armoire ! Mais pourquoi le lâcher lorsque vous le tenez ? Comte de Monterey, vous me questionnez. Et d’ailleurs ce n’est point le souci qui m’arrête. J’en veux à sa maîtresse et non point à sa tête. Rien de plus.         Pourquoi pas à toutes deux, Seigneur ? Comte ! Un digne conseil ! Et qui vous fait honneur ! Vous allez droit au but ! Vous avez la main prompte ! Sous quel titre plaît il au roi que je sois comte ? C’est méprise.     Le roi m’a nommé comte.         Assez ! Bien !         J’ai laissé tomber ce titre... Ramassez. Merci, seigneur.         Beau Comte ! Un Comte de surprise ! Mais que fera le roi, la belle une fois prise ? Il la fera comtesse, et puis dame d’honneur ; Puis, qu’il en ait un fils, il sera roi.         Seigneur, Allons donc ! Un bâtard ! Comte, fût-on altesse, On ne saurait tirer un roi d’une comtesse ! Il la fera marquise alors, mon cher marquis. On garde les bâtards pour les pays conquis, On les fait vicerois. C’est à cela qu’ils servent. Dirait-on pas des yeux jaloux qui nous observent ?... Enfin, en voilà deux qui s’éteignent !... Allons ! Messieurs, que les instants de l’attente sont longs ! Qui fera marcher l’heure avec plus de vitesse ? C’est ce que nous disons souvent chez votre altesse. Cependant que chez vous mon peuple le redit. - La dernière est éteinte.         Ô vitrage maudit ! Quand t’allumeras-tu ? Cette nuit est bien sombre. Doña Sol ! Viens briller comme un astre dans l’ombre ! Est-il minuit ?     Minuit bientôt.         Il faut finir Pourtant ! À tout moment l’autre peut survenir. Mes amis ! Un flambeau ! Son ombre à la fenêtre ! Jamais jour ne me fut plus charmant à voir naître. Hâtons-nous ! Faisons-lui le signal qu’elle attend : Il faut frapper des mains trois fois. Dans un instant, Mes amis, vous allez la voir ! Mais notre nombre Va l’effrayer peut-être... Allez tous trois dans l’ombre Là-bas, épier l’autre. Amis, partageons-nous Les deux amants ; tenez, à moi la dame, à vous Le brigand.     Grand merci.         S’il vient, de l’embuscade Sortez vite, et poussez au drôle une estocade. Pendant qu’il reprendra ses esprits sur le grès, J’emporterai la belle et nous rirons après. N’allez pas cependant le tuer ! C’est un brave Après tout ; et la mort d’un homme est chose grave. Est-ce vous, Hernani ?         Diable ! Ne parlons pas ! Je descends.     Hernani !         Dieu ! Ce n’est point son pas ! Doña Sol !         Ce n’est point sa voix ! Ah ! Malheureuse ! Eh ! Quelle voix veux-tu qui soit plus amoureuse ? C’est toujours un amant, et c’est un amant roi ! Le roi !         Souhaite, ordonne. Un royaume est à toi ! Car celui dont tu veux briser la douce entrave C’est le roi ton seigneur ! C’est Carlos ton esclave ! Au secours, Hernani !         Le juste et digne effroi ! Ce n’est pas ton bandit qui te tient ; c’est le Roi ! Non ! Le bandit, c’est vous ! N’avez-vous pas de honte ! Ah ! Pour vous au visage une rougeur me monte ! Sont-ce là les exploits dont le roi fera bruit ? Venir ravir de force une femme, la nuit ! Ah ! Qu’Hernani vaut mieux cent fois ! Roi, je proclame Que si l’homme naissait où le place son âme, Si le coeur seul faisait le brigand et le roi, À lui serait le sceptre et le poignard à toi. Madame...         Oubliez-vous que mon père était comte ? Je vous ferai Duchesse.         Allez, C’est une honte ! Il ne peut être rien entre nous, don Carlos. Mon vieux père a pour vous versé son sang à flots. Moi, je suis fille noble, et, de ce sang jalouse. Trop pour la favorite et trop peu pour l’épouse ! Hé bien !... Partagez donc et mon trône et mon nom. Venez. - Vous serez reine, impératrice...         Non. C’est un piège. Et d’ailleurs, altesse, avec franchise, S’agit-il pas de vous ? S’il faut que je le dise, J’aime mieux avec lui, mon Hernani, mon roi, Vivre errante, en dehors du monde et de la loi, Ayant faim, ayant soif, fuyant toute l’année, Partageant jour à jour sa pauvre destinée, Abandon, guerre, exil, deuil, misère et terreur, Que d’être impératrice avec un empereur. Que cet homme est heureux !         Quoi ! Pauvre, proscrit même ! Qu’il fait bien d’être pauvre et proscrit, puisqu’on l’aime ! Moi je suis seul !... Un ange accompagne ses pas ! Donc vous me haïssez ?         Je ne vous aime pas. Eh bien ! Qu’importe ?         Ô ciel ! Quoi ! Vous êtes altesse, Vous êtes roi ! Duchesse, ou Marquise, ou Comtesse, Vous n’avez qu’à choisir. Les femmes de la cour Ont toujours un amour tout prêt pour votre amour ; Mais mon proscrit ! Qu’a-t-il reçu du ciel avare ? Ah ! Vous avez Castille, Aragon et Navarre, Et Murcie et Léon, dix royaumes encor, Et les Flamands, et l’Inde avec les mines d’or ! Vous avez un empire auquel nul roi ne touche, Si vaste que jamais le soleil ne s’y couche ! Et quand vous avez tout, voudrez-vous, vous, le roi, Me prendre, pauvre fille, à lui qui n’a que moi ? Viens, je n’écoute rien, viens ! Si tu m’accompagnes, Je te donne, choisis, quatre de mes Espagnes ! Dis, lesquelles veux-tu ? Choisis !         Pour mon honneur Je ne veux rien de vous, que ce poignard, Seigneur ! Avancez maintenant ! Faites un pas !         La belle ! Je ne m’étonne plus si l’on aime un rebelle. Pour un pas je vous tue et me tue...         Hernani !... Hernani !...     Taisez-vous.         Un pas, tout est fini. Madame, à cet excès ma douceur est réduite ! J’ai là pour vous forcer trois hommes de ma suite. Vous en oubliez un !         Ah ! Le ciel m’est témoin Que volontiers je l’eusse été chercher plus loin ! Hernani ! Sauvez-moi de lui !         Soyez tranquille. Monterey ! Que font donc mes amis par la ville ? Avoir laissé passer ce chef de bohémiens ! Monterey !         Vos amis sont au pouvoir des miens. Et ne réclamez pas leur épée impuissante : Pour trois qui vous viendraient, il m’en viendrait soixante. Soixante dont un seul vous vaut tous quatre. Ainsi, Vidons entre nous deux notre querelle ici. Quoi ! Vous portiez la main sur cette noble fille ! C’était d’un imprudent, Seigneur Roi de Castille, Et d’un lâche !         Seigneur bandit, de vous à moi Pas de reproche !         Il raille !... Oh ! Je ne suis pas roi ; Mais quand un roi m’insulte et pour surcroît me raille, Ma colère va haut et me monte à sa taille ! Et prenez garde ! On craint, lorsqu’on me fait affront, Plus qu’un cimier de roi la rougeur de mon front ! Vous êtes insensé si quelque espoir vous leurre. Savez-vous quelle main vous étreint à cette heure ? Écoutez : votre père a fait mourir le mien, Je vous hais. Vous avez pris mon titre et mon bien, Je vous hais. Nous aimons tous deux la même femme, Je vous hais, je vous hais ; oui, je te hais dans l’âme. Monsieur !         Ce soir pourtant, toute haine avait fui ! Tout ce que je cherchais, c’est elle... ah Dieu ! C’est lui ! Don Carlos, te voilà pris à ton propre piège, Ni fuite ni secours : je te tiens et t’assiège ! Seul, entouré partout d’ennemis acharnés, Que vas-tu faire ?         Allons ! Vous me questionnez ! Va, va, je ne veux pas qu’un bras obscur te frappe. Il ne sied pas qu’ainsi ma vengeance m’échappe. Tu ne seras touché par un autre que moi. Défends-toi donc.         Je suis votre Seigneur le Roi. Frappez : mais pas de duel.         Seigneur, qu’il e souvienne Qu’hier encor ta dague a rencontré la mienne. Je le pouvais hier. J’ignorais votre nom, Vous ignoriez mon titre. Aujourd’hui, compagnon, Vous savez qui je suis et je sais qui vous êtes. Peut-être.         Pas de duel. Assassinez moi : faites ! Crois-tu donc que pour nous il soit des noms sacrés ? Ah, te défendras-tu ?         Vous m’assassinerez. Ah ! Vous croyez, bandits, que vos brigades viles Pourrons impunément s’épandre dans mes villes ? Que teint de sangs, chargés de meurtres, malheureux ! Vous pourrez, après tout, faire les généreux ! Et que nous daignerons, nous, victimes trompées, Anoblir vos poignards du choc de nos épées ?... Non, Le crime vous tient. Partout vous le traînez. Nous, des duels avec vous ! Arrière ! Assassinez.         Va-t’en donc. Nous aurons rencontres meilleures. Va-t’en.     Mon Hernani !         C’est bien : dans quelques heures Je serai, moi le roi, dans le palais ducal. Mon premier soin sera de mander le fiscal ! A-t-on fait mettre à prix votre tête ?     Oui.         Maître, Je vous tiens de ce jour sujet rebelle et traître. Je vous en avertis. Partout je vous poursuis, Je vous fais mettre au ban du royaume.         J’y suis. Déjà.     Bien !         Mais la France auprès l’Espagne, C’est un port.         Je vais être empereur d’Allemagne. Je vous fais mettre au ban de l’Empire.         À ton gré. J’ai le reste du monde, où je te braverai. Il est plus d’un asile où ta puissance tombe. Et quand j’aurai le monde?         Alors j’aurai la tombe. Je saurai déjouer vos complots insolents. La vengeance est boiteuse, elle vient à pas lents, Mais elle vient.         Toucher à la dame que j’adore Ce bandit !         Songes-tu que je tiens encore ? Ne me rappelle pas, futur César romain, Que je t’ai là, chétif et petit dans ma main, Et que si je serrais cette main trop loyale, J’écraserais dans l’oeuf ton aigle impériale ! Faites.         Va t’en, va t’en ; Car, dans nos rangs, pour toi, je crains quelquecouteau. Pars tranquille à présent ! Ma vengeance altérée Pour tout autre que moi fait ta tête sacrée. Monsieur, vous qui venez de me parler ainsi, Ne demandez un jour ni grâce, ni merci. Maintenant, fuyons vite.         Il vous sied, mon amie, D’être dans mon malheur toujours plus raffermie, De n’y point renoncer, et de vouloir toujours Jusqu’au fond, jusqu’au bout, accompagner mes jours. C’est un noble dessein, digne d’un coeur fidèle ! Mais, tu le vois, mon Dieu, pour tant accepter d’elle, Pour l’entraîner, sans honte encore et sans regrets, Il n’est plus temps ! Je vois l’échafaud de trop près ! Que dites-vous ?         Ce roi que je bravais en face, Va me punir d’avoir osé lui faire grâce. Il fuit ; déjà peut-être il est dans son palais ; Il appelle ses gens, ses gardes, ses valets, Ses seigneurs, ses bourreaux...         Hernani ! Dieu ! Je tremble ! Eh bien ! Hâtons-nous donc alors, fuyons ensemble ! Ensemble ! Non, non ; l’heure en est passée ! Hélas ! Doña Sol, à mes yeux quand tu te révélas, Bonne, et daignant m’aimer d’un amour secourable, J’ai bien pu vous offrir, moi, pauvre misérable, Ma montagne, mon bois, mon torrent ; - ta pitié M’enhardissait, - mon pain de proscrit, la moitié Du lit vert et touffu que la forêt me donne ; Mais t’offrir la moitié de l’échafaud ! Pardonne, Doña Sol ! L’échafaud, - c’est à moi seul !         Pourtant Vous me l’aviez promis !         Ange ! Ah ! Dans cet instant Où la mort vient peut-être, où s’approche dans l’ombre Un sombre dénouement pour un destin bien sombre, Je le déclare ici, proscrit, traînant au flanc Un souci profond, né dans un berceau sanglant, Si noir que soit le deuil qui s’épand sur ma vie, Je suis un homme heureux et je veux qu’on m’envie ! Car vous m’avez aimé ! Car vous me l’avez dit ! Car vous avez tout bas béni mon front maudit. Souffre que je te suive.         Ah ! Ce serait un crime Que d’arracher la fleur en tombant dans l’abîme ! Va ; j’en ai respiré le parfum ! C’est assez ! Renoue à d’autres jours tes jours par moi froissés ! Épouse ce vieillard ! C’est moi qui te délie ; Je rentre dans ma nuit. Toi, sois heureuse, oublie ! Non, je te suis, je veux ma part de ton linceul ! Je m’attache à tes pas.         Oh ! Laisse moi fuir seul. Hernani ! Tu me fuis. - Ainsi donc, insensée, Avoir donné sa vie et se voir repoussée ! Et n’avoir, après tant d’amour et tant d’ennui, Pas même le bonheur de mourir près de lui ! Je suis banni, je suis proscrit ! Je suis funeste! Ah ! Vous êtes ingrat !         Eh bien ! Non, non, je reste. Tu le veux ; me voici. Viens ! Oh viens dans mes bras ! Je reste et resterai tant que tu le voudras ! Oublions-les : restons. Sieds-toi sur cette pierre. Des flammes de tes yeux inonde ma paupière : Chante-moi quelque chant comme parfois le soir Tu m’en chantais, avec des pleurs dans ton oeil noir. Soyons heureux ! buvons, car la coupe est remplie, Car cette heure est à nous et le reste est folie. Parle-moi ! Ravis-moi. N’est-ce pas qu’il est doux D’aimer et de sentir qu’on vous aime à genoux ? D’être deux ? D’être seuls ? Et que c’est douce chose De se parler d’amour, la nuit quand tout repose ? Oh! Laisse-moi dormir et rêver sur ton sein, Doña Sol ! Mon amour !... Ma beauté !...         Le tocsin. Entends-tu ? Le tocsin !         Eh ! Non, c’est notre noce Qu’on sonne.         Lève-toi ! Fuis ! Grand Dieu ! Saragosse S’allume !         Nous aurons une noce aux flambeaux ! C’est la noce des morts ! La noce des tombeaux ! Viens dans mes bras.         Seigneur ! Les sbires, les alcades Débouchent dans la place en longues cavalcades ! Alerte, monseigneur !         Ah ! Tu l’avais bien dit. Au secours !...     Me voici ! C’est bien !         Mort au bandit ! Ton épée...         Adieu donc !         C’est moi qui fais ta perte ! Où vas-tu ?         Viens, fuyons par cette porte ouverte ! Dieu ! Laisser mes amis ! Que dis-tu ?         Ces clameurs. Me brisent. Souviens-toi que si tu meurs, je meurs ! Un baiser !         Mon époux ! /on Hernani ! Mon maître ! Hélas ! C’est le premier !         C’est le dernier peut-être. Enfin ! C’est aujourd’hui ! Dans une heure on sera Ma duchesse ! Plus d’oncle ! Et l’on m’embrassera ! Mais, m’as-tu pardonné ? J’avais tort, je l’avoue. J’ai fait rougir ton front, j’ai fait pâlir ta joue : J’ai soupçonné trop vite, et je n’aurais point dû Te condamner ainsi sans avoir entendu. Que l’apparence a tort ! Injustes que nous sommes ! Certe, ils étaient bien là, les deux beaux jeunes hommes ! C’est égal. Je devais n’en pas croire mes yeux. Mais que veux-tu, ma pauvre enfant ? Quand on est vieux ! Vous reparlez toujours de cela, qui vous blâme ? Moi ! J’eus tort. Je devais savoir qu’avec ton âme On n’a point de galants, quand on est doña Sol, Et qu’on a dans le coeur de bon sang espagnol. Certes, il est bon et pur, monseigneur ; et peut-être On le verra bientôt.         Écoute, on n’est pas maître De soi-même, amoureux comme je suis de toi, Et vieux. On est jaloux, on est méchant ! Pourquoi ? Parce que l’on est vieux. Parce que beauté, grâce, Jeunesse, dans autrui, tout fait peur, tout menace. Parce qu’on est jaloux des autres, et honteux De soi. Dérision ! Que cet amour boiteux Qui nous remet au coeur tant d’ivresse et de flamme, Ait oublié le corps en rajeunissant l’âme ! Quand passe un jeune pâtre, - oui, c’en est là ! - souvent, Tandis que nous allons, lui chantant, moi rêvant, Lui, dans son pré vert, moi dans mes noires allées, Souvent je dis tout bas : Ô mes tours écroulées, Mon vieux donjon ducal, que je vous donnerais ! Oh ! Que je donnerais mes blés et mes forêts, Et les vastes troupeaux qui tondent mes collines, Mon vieux nom, mon vieux titre et toutes mes ruines ; Et tous mes vieux aïeux qui bientôt me verront, Pour sa chaumière neuve, et pour son jeune front ! - Car ses cheveux sont noirs ; car son oeil reluit comme Le tien. Tu peux le voir et dire : ce jeune homme ! Et puis, penser à moi qui suis vieux. - Je le sais ! Pourtant, j’ai nom Silva, mais ce n’est plus assez. Oui, je me dis cela. Vois à quel point je t’aime ! Le tout, pour être jeune et beau comme toi-même ! Mais à quoi vais-je ici rêver ? Moi, jeune et beau ! Qui te dois de si loin devancer au tombeau ! Qui sait ?         Mais, va, crois-moi, ces cavaliers frivoles N’ont pas d’amour si grand qu’il ne s’use en paroles. Qu’une fille aime et croie un de ces jouvenceaux, Elle en meurt ; il en rit. Tous ces jeunes oiseaux, À l’aile vive et peinte, au langoureux ramage, Ont un amour qui mue ainsi que leur plumage. Les vieux, dont l’âge éteint la voix et les couleurs, Ont l’aile plus fidèle, et, moins beaux, sont meilleurs. Nous aimons bien. Nos pas sont lourds ? Nos yeux arides ? Nos fronts ridés ? Au coeur on n’a jamais de rides. Hélas ! Quand un vieillard aime, il faut l’épargner ; Le coeur est toujours jeune et peut toujours saigner. Ah ! Je t’aime en époux, en père ! Et puis encore De cent autres façons, comme on aime l’aurore, Comme on aime les fleurs, comme on aime les cieux ! De te voir tous les jours, toi, ton pas gracieux, Ton front pur, le beau feu de ta douce prunelle, Je ris, et j’ai dans l’âme une fête éternelle ! Hélas !         Et puis, vois-tu ? Le monde trouve beau, Lorsqu’un homme s’éteint, et, lambeau par lambeau S’en va, lorsqu’il trébuche au marbre de la tombe ; Qu’une femme, ange pur, innocente colombe, Veille sur lui, l’abrite, et daigne encor souffrir L’inutile vieillard qui n’est bon qu’à mourir. C’est une oeuvre sacrée, et qu’à bon droit on loue, Que ce suprême effort d’un coeur qui se dévoue, Qui console un mourant jusqu’à la fin du jour, Et, sans aimer peut-être, a des semblants d’amour ! Ah ! Tu seras pour moi cet ange au coeur de femme, Qui, du pauvre vieillard réjouit encor l’âme, Et de ses derniers ans lui porte la moitié, Fille par le respect et soeur par la pitié. Loin de me précéder, vous pourrez bien me suivre, Monseigneur ! Ce n’est pas une raison pour vivre Que d’être jeune. Hélas ! Je vous le dis, souvent Les vieillards sont tardifs, les jeunes vont devant, Et leurs yeux brusquement referment leur paupière, Comme un sépulcre ouvert dont retombe la pierre. Oh ! Les sombres discours ! Mais je vous gronderai, Enfant ! Un pareil jour est joyeux et sacré. Comment à ce propos, quand l’heure nous appelle, N’êtes-vous pas encor prête pour la chapelle ? Mais, vite ! Habillez-vous. - Je compte les instants. La parure de noce !         Il sera toujours temps. Non pas.     Que veut Iaquez ?         Monseigneur, à la porte, Un homme, un pèlerin, un mendiant, n’importe, Est là qui vous demande asile.         Quel qu’il soit, Le bonheur entre avec l’étranger qu’on reçoit, Qu’il vienne. - Du dehors a-t-on quelques nouvelles ? Que dit-on de ce chef de bandits infidèles Qui remplit nos forêts de sa rébellion ? C’en est fait d’Hernani ; c’en est fait du lion De la montagne.     Dieu !     Quoi ?         La troupe est détruite. Le roi, dit-on, s’est mis lui-même à leur poursuite. La tête d’Hernani vaut mille écus du roi, Pour l’instant ; mais on dit qu’il est mort.         Ah ! Sans moi, Hernani ?         Grâce au ciel ! Il est mort, le rebelle ! On peut se réjouir maintenant, chère belle ! Allez donc vous parer, mon amour, mon orgueil ! Aujourd’hui, double fête.         Oh ! Des habits de deuil. Fais-lui vite porter l’écrin que je lui donne. Je veux la voir parée ainsi qu’une madone, Et, grâce à ses yeux noirs, et grâce à mon écrin, Belle à faire à genoux tomber un pèlerin. A propos, et celui qui nous demande un gîte ? Dis-lui d’entrer, fais-lui mes excuses ; cours vite. Laisser son hôte attendre !... ah ! C’est mal !         Monseigneur, Paix et bonheur à vous !         À toi paix et bonheur, Mon hôte !...     N’es-tu pas pèlerin ?     Oui.         Sans doute Tu viens d’Armillas ?         Non, j’ai pris une autre route. On se battait par là.         La troupe du banni, N’est-ce pas ?     Je ne sais.         Le chef, le Hernani, Que devient-il ? Sais-tu ?         Seigneur, quel est cet homme ? Tu ne le connais pas ? Tant pis ! La grosse somme Ne sera point pour toi. Vois-tu, ce Hernani, C’est un rebelle au roi, trop longtemps impuni Si tu vas à Madrid, tu le pourras voir pendre. Je n’y vais pas.         Sa tête est à qui veut la prendre. Qu’on y vienne !     Où vas-tu, bon pèlerin ?         Seigneur, Je vais à Saragosse.         Un voeu fait en l’honneur D’un saint ? De Notre-Dame ?...         Oui, Duc, de Notre-Dame. Del Pilar ?     Del Pilar.         Il faut n’avoir point d’âme Pour ne point acquitter les voeux qu’on fait aux saints. Mais, le tien accompli, n’as-tu d’autres desseins ? Voir le pilier, c’est là tout ce que tu désires ? Oui, je veux voir brûler les flambeaux et les cires, Voir Notre-Dame au fond du sombre corridor, Luire en sa châsse ardente, avec sa chape d’or ; Et puis m’en retourner.         Fort bien ! Ton nom, mon frère ? Je suis Ruy De Silva.     Mon nom ?...         Tu peux le taire Si tu veux. Nul n’a droit de le savoir ici. Viens-tu pas demander asile ?     Oui, duc.         Merci. Sois le bienvenu. Reste, ami ! Ne te fais faute De rien. Quant à ton nom, tu te nommes mon hôte. Qui que tu sois, c’est bien ! Et, sans être inquiet, J’accueillerais Satan, si Dieu me l’envoyait. Voici ma Notre-Dame, à moi ! L’avoir priée Te portera bonheur.         Ma belle mariée, Venez. - Quoi ! Pas d’anneau ! Pas de couronne encor ! Qui veut gagner ici mille carolus d’or ? Je suis Hernani !     Ciel ! Vivant !         Je suis cet homme Qu’on cherche. Vous vouliez savoir si je me nomme Perez ou Diégo ? Non ! Je me nomme Hernani ! C’est un bien plus beau nom, c’est un nom de banni, C’est un nom de proscrit. - Vous voyez cette tête ? Elle vaut assez d’or pour payer votre fête ! Je vous la donne à tous ! Vous serez bien payés ! Prenez : liez mes mains, liez mes pieds, liez ! Mais, non : c’est inutile ; une chaîne me lie Que je ne romprai point.     Malheureuse !         Folie ! Ah, mon hôte est un fou !         Votre hôte est un bandit. Oh ! Ne l’écoutez pas.         J’ai dit ce que j’ai dit. Mille carolus d’or, monsieur ! La somme est forte Et je ne suis pas sûr de tous mes gens.         Qu’importe ? Livrez-moi !     Taisez-vous.     Hernani !         Oh ! Tais-toi. On se marie ici ! Je veux en être, moi. Ma fiancée aussi m’attend.         Elle est moins belle Que la vôtre, seigneur ; mais n’est pas moins fidèle : La mort ! - Aucun de vous ne fait un pas encor ? Par pitié...!         Mes amis, mille carolus d’or ! C’est le démon !         Viens, toi ; tu gagneras la somme. Riche alors, de valet tu redeviendras homme ! Vous aussi vous tremblez ! Ai-je assez de malheur ! Frère, à toucher ta tête ils risqueraient la leur. Fusses-tu Hernani, fusses-tu cent fois pire, Pour ta vie, au lieu d’or, offrît-on un empire, Mon hôte ! Je te dois protéger en ce lieu, Même contre le roi, car je te tiens de Dieu ! S’il tombe un seul cheveu de ton front, que je meure ! Ma nièce, vous serez ma femme dans une heure. Rentrez chez vous. Je vais faire armer le château, J’en vais fermer la porte.         Oh ! Pas même un couteau ! Je vous fais compliment ! Plus que je ne puis dire La parure me charme, et m’enchante, et j’admire ! Sans doute tout est vrai, tout est bon, tout est beau ! Il n’oserait tromper, lui, qui touche au tombeau. Rien n’y manque ! Colliers, brillants, pendants d’oreille, Couronne de duchesse, anneau d’or... - à merveille ! Grand merci de l’amour sûr, fidèle et profond ! Le précieux écrin !         Vous n’allez pas au fond. C’est le poignard, qu’avec l’aide de ma patronne, Je pris au roi Carlos lorsqu’il m’offrit un trône, Et que je refusai pour vous qui m’outragez ! Oh ! Laisse, qu’à genoux, dans tes yeux affligés J’efface tous ces pleurs amers et pleins de charmes, Et tu prendras après tout mon sang pour tes larmes ! Hernani ! Je vous aime et vous pardonne, et n’ai Que de l’amour pour vous.         Elle m’a pardonné, Et m’aime ! Qui pourra faire aussi que moi-même, Après ce que j’ai dit, je me pardonne et m’aime ?... Oh ! Je voudrais savoir, ange au ciel réservé, Où vous avez marché, pour baiser le pavé ! Croire que mon amour eût si peu de mémoire ! Que jamais ils pourraient, tous ces hommes sans gloire, Jusqu’à d’autres amours, plus nobles à leur gré, Rapetisser un coeur où son nom est entré ! Hélas ! J’ai blasphémé !... si j’étais à ta place, Doña Sol, j’en aurais assez ; je serais lasse De ce fou furieux, de ce sombre insensé Qui ne sait caresser qu’après qu’il a blessé ! Ah ! Vous ne m’aimez plus !         Oh ! Mon coeur et mon âme C’est toi ! L’ardent foyer d’où me vient toute flamme, C’est toi ! Ne m’en veux pas de fuir, être adoré !... Je ne vous en veux pas, seulement j’en mourrai. Mourir ! Grand Dieu ? Pour moi ? Se peut-il que tu meures ? Pour qui sinon pour vous ?         Oh ! Tu pleures ! Tu pleures ! Et c’est encor ma faute ! Et qui me punira ? Car tu pardonneras encor ! Qui te dira Ce que je souffre au moins, lorsqu’une larme noie La flamme de tes yeux, dont l’éclair est ma joie ! Oh ! Mes amis sont morts ! Oh ! Je suis insensé ! Pardonne ! Je voudrais aimer, je ne le sai. Hélas ! J’aime pourtant d’une amour bien profonde ! Ne pleure pas ; mourons plutôt ! Que n’ai-je un monde ! Je te le donnerais ! Je suis bien malheureux ! Vous êtes mon lion, superbe et généreux ! Je vous aime.         Ah ! L’amour serait un bien suprême Si l’on pouvait mourir de trop aimer !         Je t’aime ! Monseigneur ! Je vous aime, et je suis toute à vous. Oh ! Qu’un coup de poignard de toi me serait doux ! Ah ! Ne craignez-vous pas que Dieu ne vous punisse De parler de la sorte ?         Eh bien ! Qu’il nous unisse, Tu le veux !... qu’il en soit ainsi ! J’ai résisté ! Voilà donc le paiement de l’hospitalité ! Voilà ce que céans notre hôte nous apporte ! Bon Seigneur, va-t’en voir si ta muraille est forte, Si la porte est bien close et l’archer dans sa tour ; De ton château pour nous, fais et refais le tour ; Cherche en ton arsenal une armure à ta taille ; Ressaie, à soixante ans, ton harnais de bataille ! Voici la loyauté dont nous paierons ta foi ! Tu fais cela pour nous, et nous, ceci pour toi. Saints du ciel ! J’ai vécu plus de soixante années ; J’ai vu bien des bandits aux mains empoisonnées, J’en ai vu qui mouraient sans croix et sans pater ; J’ai vu Sforce, j’ai vu Borgia, je vois Luther ; Mais je n’ai jamais vu perversité si haute Qui n’eût craint le tonnerre en trahissant son hôte ! Ce n’est pas de mon temps ! - Si noire trahison Pétrifie un vieillard au seuil de sa maison, Et fait que le vieux maître, en attendant qu’il tombe, A l’air d’une statue à mettre sur sa tombe ! Maures et castillans ! Quel est cet homme-ci ? Ô vous ! Tous les Silva qui m’écoutez ici, Pardon si devant vous, pardon si ma colère Dit l’hospitalité mauvaise conseillère ! - Oh ! Je me vengerai !         Ruy Gomez De Silva, Si jamais vers le ciel noble front s’éleva, Si jamais coeur fut grand, si jamais âme haute, C’est la vôtre, seigneur ! C’est la tienne, ô mon hôte ! Moi qui te parle ici, je suis coupable, et n’ai Rien à dire, sinon que je suis bien damné ! Oui, j’ai voulu te prendre et t’enlever ta femme ; Oui, j’ai voulu souiller ton lit ; oui, c’est infâme ! J’ai du sang ; tu feras très bien de le verser, D’essuyer ton épée, et de n’y plus penser. Seigneur, ce n’est pas lui ! Ne frappez que moi-même !... Attendez, doña Sol ; car cette heure est suprême. Cette heure m’appartient. Je n’ai plus qu’elle. Ainsi, Laissez-moi m’expliquer avec le duc ici. Duc ! Crois aux derniers mots de ma bouche : j’en jure, Je suis coupable ; mais sois tranquille, - elle est pure. Ah ! Moi seule ai tout fait ; car je l’aime.         Oui. Pardon ! Je l’aime, monseigneur !     Vous l’aimez !         Tremble donc. Qu’est ce bruit ?         C’est le roi, monseigneur, en personne, Avec un gros d’archers et son héraut qui sonne. Dieu ! Le roi ! Dernier coup !         Il demande pourquoi La porte est close, et veut qu’on ouvre.         Ouvrez au roi ! Il est perdu !     Monsieur, entrez ici.         Ma tête Est à toi, livre-la, Seigneur, je la tiens prête. Je suis ton prisonnier.         Seigneur, pitié pour lui. Son altesse le Roi !         D’où vient donc aujourd’hui, Mon cousin, que ta porte est si bien verrouillée ? Par les saints ! Je croyais ta dague plus rouillée ! Et je ne savais pas qu’elle eût hâte à ce point, Quand nous te venons voir, de reluire à ton poing ! C’est s’y prendre un peu tard pour faire le jeune homme ! Avons-nous des turbans ? Serait-ce qu’on me nomme Mahom ou Boabdil, et non Carlos, répond ! Pour nous baisser la herse et nous lever le pont ? Seigneur !...         Prenez les clés ! Saisissez-vous des portes ! Ah ! Vous réveillez donc les rébellions mortes ! Pardieu ! Si vous prenez de ces airs avec moi, Messieurs les ducs, le roi prendra des airs de roi ! Et j’irai par les monts, de mes mains aguerries, Dans leurs nids crénelés, tuer les seigneuries ! Altesse, les Silva sont loyaux...         Sans détours, Réponds, duc, ou je fais raser tes onze tours ! De l’incendie éteint il reste une étincelle, Des bandits morts il reste un chef : qui le recèle ? C’est toi ! Ce Hernani, rebelle empoisonneur, Ici, dans ton château, tu le caches !         Seigneur, C’est vrai.         Fort bien ! Je veux sa tête ou bien la tienne. Entends-tu, mon cousin ?         Mais qu’à cela ne tienne ! Vous serez satisfait.         Ah ! Tu t’amendes !... va Chercher mon prisonnier.         Écoutez ! des Silva C’est l’aîné, c’est l’aïeul, l’ancêtre, le grand homme ! Don Silvins, qui fut trois fois consul de Rome. Écoutez-moi : voici Ruy Gomez De Silva, Grand-maître de Saint-Jacques et de Calatrava. Son armure géante irait mal à nos tailles. Il prit trois cents drapeaux, gagna trente batailles, Conquit au roi Motril, Antequera, Suez, Nijar ; et mourut pauvre. Altesse, saluez. Près de lui Juan, son fils, cher aux âmes loyales. Sa main pour un serment valait les mains royales. Don Gaspar, de Mendoce et de Silva l’honneur ! Toute noble maison tient à Silva, seigneur. Sandoval tour à tour nous craint ou nous épouse. Manrique nous envie et Lara nous jalouse. Alencastre nous hait. Nous touchons à la fois Du pied à tous les ducs, du front à tous les rois ! Vasquez, qui soixante ans garda la foi jurée... J’en passe, et des meilleurs ! - cette tête sacrée, C’est mon père ; il fut grand, quoiqu’il vînt le dernier. Les maures de Grenade avaient fait prisonnier Le comte Alvar Giron son ami ; mais mon père Prit pour l’aller chercher six cents hommes de guerre, Il fit tailler en pierre un comte Alvar Giron, Qu’à sa suite il traîna, jurant par son patron De ne point reculer que le comte de pierre Ne tournât front lui-même et n’allât en arrière ; Il combattit, puis vint au comte, et le sauva. Mon prisonnier !         C’était un Gomez De Silva. Voilà donc ce qu’on dit, quand dans cette demeure On voit tous ces héros...         Mon prisonnier, sur l’heure ! Ce portrait, c’est le mien. Roi don Carlos, merci ! Car vous voulez qu’on dise en le voyant ici : « Ce dernier, digne fils d’une race si haute, Fut un traître, et vendit la tête de son hôte ! » Duc, ton château me gêne, et je le mettrai bas ! Car, vous me la paieriez, altesse, n’est-ce pas ? Duc, j’en ferai raser les tours pour tant d’audace, Et je ferai semer du chanvre sur la place. Mieux voir croître du chanvre où ma tour s’éleva, Qu’une tache ronger le vieux nom de Silva. N’est-il pas vrai, vous tous ? Duc ! Cette tête est nôtre, Et tu m’avais promis...         J’ai promis l’une ou l’autre. Je donne celle-ci. Prenez-la.         Ma bonté Est à bout ! Livre-moi cet homme !         En vérité, J’ai dit.         Fouillez partout ! Et qu’il ne soit point d’aile, De cave, ni de tour...         Mon donjon est fidèle Comme moi. Seul il sait le secret avec moi. Nous le garderons bien tous deux.         Je suis le roi. À moins de démolir le château pierre à pierre, D’assassiner le maître, on n’aura rien !         Prière, Menace, tout est vain ! Livre-moi le bandit, Duc ! Ou, tête et château, j’abattrai tout.         J’ai dit. Hé bien donc ! Au lieu d’une, alors j’aurai deux têtes. Jorge, arrêtez le duc.         Roi don Carlos, vous êtes Un mauvais roi !         Grand dieu ! Que vois-je ? Doña Sol ! Altesse, tu n’as pas le coeur d’un espagnol ! Madame, pour le roi, vous êtes bien sévère. C’est vous qui m’avez mis au coeur cette colère. Un homme devient ange ou monstre en vous touchant. Ah ! Quand on est haï, que vite on est méchant ! Si vous aviez voulu, peut-être, ô jeune fille, J’étais grand ! J’eusse été le lion de Castille ; Vous m’en faites le tigre avec votre courroux. Le voilà qui rugit, madame ! Taisez-vous ! Pourtant, j’obéirai.         Mon cousin, je t’estime. Ton scrupule, après tout, peut sembler légitime. Sois fidèle à ton hôte, infidèle à ton roi ; C’est bien ; je te fais grâce et suis meilleur que toi. J’emmène seulement ta nièce comme otage. Seulement !     Moi ! Seigneur !     Oui, vous.         Pas davantage ! Oh ! La grande clémence ! ô généreux vainqueur, Qui ménage la tête et torture le coeur !! Belle grâce !         Choisis : doña Sol, ou le traître. Il me faut l’un des deux.         Ah ! Vous êtes le maître ! Sauvez-moi, monseigneur !         Malheureuse, il le faut ! La tête de mon oncle ou l’autre !... moi plutôt ! Je vous suis.         Par les saints ! L’idée est triomphante ! Il faudra bien enfin s’adoucir, mon infante ! Qu’emportez-vous là ?         Prince, un joyau précieux. Ah ! Voyons.         Vous verrez.         Doña Sol !... Terre et cieux ! Doña Sol !... Puisque l’homme ici n’a point d’entrailles, À mon aide ! Croulez ! Armures et murailles ! Laisse-moi mon enfant ! Je n’ai qu’elle, ô mon roi ! Alors... mon prisonnier !         ... Ayez pitié de moi, Vous tous !         Ah ! Voilez-vous ! Votre regard m’arrête. Tu le veux ?...     Oui.     Dieu !         Non ! Par pitié, prends ma tête ! Ta nièce !         Prends-la donc, et laisse-moi l’honneur. Adieu, duc !     Au revoir !         Dieu vous garde, Seigneur ! Sors.         Choisis. Don Carlos est hors de la maison, Il s’agit maintenant de me rendre raison. Choisis, et faisons vite. Allons donc, ta main tremble ! Un duel ! Nous ne pouvons, vieillard, combattre ensemble. Pourquoi donc ? As-tu peur ? N’es-tu point noble ? Enfer ! Noble ou non, pour croiser le fer avec le fer, Tout homme qui m’outrage est assez gentilhomme. Vieillard !         Viens me tuer, ou viens mourir, jeune homme ! Mourir, oui. Vous m’avez sauvé malgré mes voeux ; Donc, ma vie est à vous. Reprenez-la.         Tu veux ? Ne t’en prends qu’à toi seul ! - c’est bon ! Fais ta prière. Oh ! C’est à toi, seigneur, que je fais la dernière. Parle à l’autre seigneur.         Non, non, à toi ! Vieillard, Frappe-moi. Tout m’est bon, dague, épée ou poignard ! Mais fais-moi, par pitié, cette suprême joie ! Duc ! Avant de mourir, permets que je la voie ! La voir !         Au moins permets que j’entende sa voix, Une dernière fois ! Rien qu’une seule fois ! L’entendre !         Oh ! je comprends, seigneur, ta jalousie. Mais déjà par la mort ma jeunesse est saisie. Pardonne-moi. Veux-tu, dis-moi, que, sans le vouloir, S’il le faut, je l’entende ? Et je mourrai ce soir. L’entendre seulement ! Contente mon envie ! Mais, Oh ! qu’avec douceur j’exhalerais ma vie, Si tu daignais vouloir qu’avant de fuir aux cieux Mon âme allât revoir la sienne dans ses yeux ! - Je ne lui dirai rien. Tu seras là, mon père. Tu me prendras après.         Saints du ciel ! Ce repaire Est-il donc si profond, si sourd et si perdu, Qu’il n’ait entendu rien !         Je n’ai rien entendu. Il a fallu livrer doña Sol, ou toi-même. À qui livrée ?     Au roi.         Vieillard stupide ! Il l’aime ! Il l’aime !!         Il nous l’enlève ! Il est notre rival. Ô malédiction ! Mes vassaux, à cheval, À cheval ! Poursuivons le ravisseur !         Écoute. La vengeance au pied sûr fait moins de bruit en route. Je t’appartiens, tu peux me tuer. Mais veux-tu M’employer à venger ta nièce et sa vertu ? Ma part dans ta vengeance ! Oh ! Fais-moi cette grâce ! Et s’il faut embrasser tes pieds, je les embrasse ! Suivons le roi tous deux ! Viens, je serai ton bras, Je te vengerai, duc ; après, tu me tueras. Alors, comme aujourd’hui, te laisseras-tu faire ? Oui, duc.     Qu’en jures-tu ?         La tête de mon père. Voudras-tu de toi-même un jour t’en souvenir ? Écoute, prends ce cor. Quoi qu’il puisse advenir, Quand tu voudras, seigneur, quel que soit le lieu, l’heure, S’il te passe à l’esprit qu’il est temps que je meure, Viens, sonne de ce cor, et ne prends d’autres soins ; Tout sera fait.     Ta main ?         Aux portraits. Vous tous, soyez témoins.     C’est ici.         C’est ici que la ligue s’assemble ? Que je vais dans ma main les tenir tous ensemble ? Ah ! Monsieur l’électeur de Trèves ! C’est ici ? Vous leur prêtez ce lieu ? Certes, il est bien choisi ! Un noir complot prospère à l’air des catacombes ; Il est bon d’aiguiser les stylets sur des tombes. Pourtant, c’est jouer gros : la tête est de l’enjeu, Messieurs les assassins ! Et nous verrons. - Pardieu, Ils font bien de choisir pour une telle affaire Un sépulcre ! Ils auront moins de chemin à faire. Ces caveaux sous le sol s’étendent-ils bien loin ? Jusques au château fort.         C’est plus qu’il n’est besoin. D’autres, de ce côté, vont jusqu’au monastère D’Altenheim...         Où Rodolphe extermina Lothaire. Bien. Une fois encor, Comte, redites-moi Les noms des conjurés, où, comment et pourquoi. Gotha.         Je sais pourquoi le brave duc conspire. Il veut un allemand d’Allemagne à l’empire. Hohenbourg.         Hohenbourg aimerait mieux, je croi, L’enfer avec François que le ciel avec moi. Don Gil Tellez Giron.         Castille et Notre-Dame ! Il se révolte donc contre son roi, l’infâme ? On dit qu’il vous trouva chez Madame Giron, Un soir que vous veniez de le faire baron. Il veut venger l’honneur de sa tendre compagne. C’est donc qu’il se révolte alors contre l’Espagne ? Qui nomme-t-on encore ?         On cite avec ceux-là Le révérend Vasquez, évêque d’Avila. Est-ce aussi pour venger la vertu de sa femme ? Puis Guzman De Lara, mécontent, qui réclame Le collier de votre ordre.         Ah ! Guzman De Lara ! Si ce n’est qu’un collier qu’il lui faut, il l’aura. Le duc de Lutzelbourg. Quant aux plans qu’on lui prête... Le duc de Lutzelbourg est trop grand de la tête. Juan De Haro, qui veut Astorga.         Ces Haro Ont toujours fait doubler la solde du bourreau. C’est tout.         Ce ne sont pas toutes mes têtes. Comte, Cela ne fait que sept, et je n’ai pas mon compte. Oh ! Je ne nomme pas quelques bandits, gagés Par Trève ou par la France...         Hommes sans préjugés Dont le poignard, toujours prêt à jouer son rôle, Tourne aux plus gros écus, comme l’aiguille au pôle ! Pourtant j’ai distingué deux hardis compagnons, Tous deux nouveau-venus ; un jeune, un vieux.         Leurs noms ? Leur âge ?     Le plus jeune a vingt ans.         C’est dommage. Le vieux, soixante au moins.         L’un n’a pas encor l’âge, Et l’autre ne l’a plus. Tant pis. J’en prendrai soin, Le bourreau peut compter sur mon aide au besoin ! Mais... serai-je empereur, seulement ?         Le collège, À cette heure assemblé, délibère.         Que sais-je ? Ils nommeront François premier, - ou leur saxon, Leur Frédéric-Le-Sage ! - Ah ! Luther a raison, Tout va mal ! Beaux faiseurs de majestés sacrées ! N’acceptant pour raisons que les raisons dorées ! Un saxon hérétique ! Un comte Palatin Imbécile ! Un primat de Trèves, libertin ! - Quant au roi de Bohême, il est pour moi. - des princes De Hesse, plus petits encor que leurs provinces ! De jeunes idiots, des vieillards débauchés ! Des couronnes, fort bien ! Mais des têtes ?... Cherchez. Des nains ! Que je pourrais, concile ridicule, Dans ma peau de lion, emporter comme Hercule ! Et qui, démaillotés du manteau violet, Auraient la tête encor de moins que Triboulet ! - Il me manque trois voix, Ricardo ! Tout me manque ! Ah ! Je donnerais Gand, Tolède et Salamanque, Mon ami Ricardo, trois villes à leur choix, Pour trois voix, s’ils voulaient ! Vois-tu, pour ces trois voix ; Oui, trois de mes cités de Castille ou de Flandre, Je les donnerais ! - Sauf, plus tard, à les reprendre ! Vous vous couvrez ?         Seigneur, vous m’avez tutoyé, Me voilà grand d’Espagne.         Ah ! Tu me fais pitié, Ambitieux de rien ! Engeance intéressée ! Comme à travers la nôtre, ils suivent leur pensée ! Pour un titre ils vendraient leur âme, en vérité ! Vanité ! Vanité ! Tout n’est que vanité ! Dieu seul, et l’empereur sont grands, - et le Saint-Père ! Le reste, rois et ducs ! Qu’est cela ?         Moi, j’espère Qu’ils prendront votre altesse.         Altesse ! Altesse ! Moi ! J’ai du malheur en tout. - S’il fallait rester roi ! Baste ! Empereur ou non, me voilà grand d’Espagne. Sitôt qu’ils auront fait l’empereur d’Allemagne, Quel signal à la ville annoncera son nom ? Si c’est le duc de Saxe, un seul coup de canon ; Deux, si c’est le français ; trois, si c’est votre altesse. Et cette doña Sol ! Tout m’irrite et me blesse ! Comte, si je suis fait empereur, par hasard, Cours la chercher. Peut-être on voudra d’un César ! Votre altesse est bien bonne...         Ah ! Là-dessus, silence ! Je n’ai point dit encor ce que je veux qu’on pense. - Quand saura-t-on le nom de l’élu ?         Mais, je crois, Dans une heure au plus tard.         Oh ! Trois voix ! Rien que trois ! Mais écrasons d’abord ce ramas qui conspire, Et nous verrons après à qui sera l’empire. Va-t’en. C’est l’heure où vont venir les conjurés. Ah !... la clef du tombeau !...         Seigneur, vous songerez Au comte de Limbourg, gardien capitulaire, Qui me l’a confiée et fait tout pour vous plaire. Fais tout ce que j’ai dit ! Tout.         J’y vais de ce pas, Altesse.         Il faut trois coups de canon, n’est-ce pas ? Charlemagne, pardon ! Ces voûtes solitaires Ne devraient répéter que paroles austères. Tu t’indignes sans doute à ce bourdonnement Que nos ambitions font sur ton monument. - Ah ! C’est un beau spectacle à ravir la pensée, Que l’Europe, ainsi faite, et comme il l’a laissée ! Un édifice, avec deux hommes au sommet. Deux chefs élus auxquels tout roi né se soumet. Presque tous les états, duchés, fiefs militaires, Royaumes, marquisats, tous sont héréditaires ; Mais le peuple a parfois son pape ou son César, Tout marche, et le hasard corrige le hasard. De là vient l’équilibre, et toujours l’ordre éclate. Électeurs de drap d’or, cardinaux d’écarlate, Double sénat sacré, dont la terre s’émeut, Ne sont là qu’en parade, et Dieu veut ce qu’il veut. Qu’une idée, au besoin des temps, un jour éclose, Elle grandit, va, court, se mêle à toute chose, Se fait homme ; - saisit les coeurs, creuse un sillon ; - Maint roi la foule aux pieds ou lui met un bâillon ; Mais qu’elle entre un matin à la diète, au conclave, Et tous les rois soudain verront l’idée esclave, Sur leurs têtes de rois que ses pieds courberont, Surgir, le globe en main, ou la tiare au front ! - Le pape et l’empereur sont tout. Rien n’est sur terre Que par eux et pour eux. Un suprême mystère Vit en eux, et le ciel, dont ils ont tous les droits, Leur fait un grand festin des peuples et des rois. Le monde, au-dessous d’eux, s’échelonne et se groupe. Ils font et défont. L’un délie et l’autre coupe. L’un est la vérité, l’autre est la force. Ils ont Leur raison en eux-même, et sont parce qu’ils sont. Quand ils sortent, tous deux égaux, du sanctuaire, L’un dans sa pourpre, et l’autre avec son blanc suaire, L’univers ébloui contemple avec terreur Ces deux moitiés de Dieu, le pape et l’empereur ! - L’empereur ! L’empereur ! Être empereur ! - Ô rage, Ne pas l’être-et sentir son coeur plein de courage ! Qu’il fut heureux celui qui dort dans ce tombeau, Qu’il fut grand ! De son temps c’était encor plus beau ! Ô quel destin ! - pourtant cette tombe est la sienne ! Tout est-il donc si peu que ce soit là qu’on vienne ? Quoi donc, avoir été prince, empereur et roi ! Avoir été colosse et tout dépassé ! Quoi ! Vivant, pour piédestal avoir eu l’Allemagne ! Quoi ! Pour titre César et pour nom Charlemagne ! - Avoir été plus grand qu’Annibal, qu’Attila, Aussi grand que le monde !... - Et que tout tienne là ! Ah ! Briguez donc l’empire et voyez la poussière Que fait un empereur ! Couvrez la terre entière De bruit et de tumulte. - Élevez, bâtissez Votre empire, et jamais ne dites : « c’est assez ! » Si haut que soit le but où votre orgueil aspire, Voilà le dernier terme !... - Oh ! L’Empire ! L’Empire ! Que m’importe ? J’y touche et le trouve à mon gré. Quelque chose me dit : « tu l’auras ». Je l’aurai ! Si je l’avais !... - ô ciel ! être ce qui commence ! Seul, debout, au plus haut de la spirale immense ! D’une foule d’états l’un sur l’autre étagés être la clef de voûte, et voir sous soi rangés Les rois, et sur leur tête essuyer ses sandales ; Voir au-dessous des rois les maisons féodales, Margraves, cardinaux, doges, ducs à fleurons ; Puis, évêques, abbés, chefs de clans, hauts barons ; Puis, clercs et soldats ; puis, loin du faîte où nous sommes, Dans l’ombre, tout au fond de l’abîme, - les hommes. Les hommes ! - c’est-à-dire une foule, une mer, Un grand bruit ; pleurs et cris : parfois un rire amer. Ah ! Le peuple ! - océan ! Onde sans cesse émue, Où l’on ne jette rien sans que tout ne remue ! Vague qui broie un trône et qui berce un tombeau ! Miroir où rarement un roi se voit en beau ! Ah ! Si l’on regardait parfois dans ce flot sombre, On y verrait au fond des empires sans nombre, Grands vaisseaux naufragés, que son flux et reflux Roule, et qui le gênaient, et qu’il ne connaît plus ! Gouverner tout cela ! Monter, si l’on vous nomme, A ce faîte ! Y monter, sachant qu’on n’est qu’un homme ! Avoir l’abîme là ! - Malheureux ! Qu’ai-je en moi ? être empereur ! Mon dieu ! J’avais trop d’être roi. Certes, il n’est qu’un mortel de race peu commune Dont puisse s’élargir l’âme avec la fortune. Mais moi ! Qui me fera grand ? Qui sera ma loi ?... Qui me conseillera ?         Charlemagne ! C’est toi ! Ah ! Puisque Dieu, pour qui tout obstacle s’efface, Prend nos deux majestés et les met face à face, Verse- moi dans le coeur, du fond de ce tombeau, Quelque chose de grand, de sublime et de beau ! Oh ! Par tous ses côtés fais-moi voir toute chose ! Montre-moi que le monde est petit, car je n’ose Y toucher ; apprends-moi ton secret de régner, Et dis-moi qu’il vaut mieux punir que pardonner, N’est-ce pas ? - ombre auguste ! Empereur d’Allemagne, Oh ! Dis-moi ce qu’on peut faire après Charlemagne ! Parle, - dût en parlant ton souffle souverain Me briser sur le front cette porte d’airain ! Ou, si tu ne dis rien, laisse, en ta paix profonde, Carlos étudier ta tête comme un monde. Laisse qu’il te mesure à loisir, ô géant ! Car rien n’est ici-bas si grand que ton néant ! Que la cendre, à défaut de l’ombre, me conseille !... Entrons ! - Dieu ! S’il allait me parler ! S’il s’éveille ! S’il était là, debout et marchant à pas lents ! Si j’allais ressortir avec des cheveux blancs ! - Entrons toujours.         On vient ! Qui donc ose, à cette heure, Hors moi, d’un pareil mort éveiller la demeure ? Qui donc ?... le bruit s’approche. Ah ! J’oubliais ! Ce sont mes assassins ! Qui vive ?     Ad augusta.     Per angusta.         Les saints Nous protègent !     Les morts nous servent !         Dieu nous garde ! Qui vive ?     Ad augusta.     Per angusta.         Regarde. Il vient encor quelqu’un.     Qui vive ?         Ad angusta. Per angusta.         C’est bien, nous voilà tous. Gotha, Fais le rapport. Amis, l’ombre attend la lumière. Amis, Charles D’Espagne, étranger par sa mère, . . . . . . . . . . . . . Prétend au Saint-Empire.         Il aura le tombeau. Qu’il en soit de son front comme de ce flambeau ! Que ce soit !     Mort à lui.     Qu’il meure !         Qu’on l’immole ! Son père est allemand.         Sa mère est espagnole. Il n’est plus espagnol et n’est pas allemand. Mort !         Si les électeurs allaient en ce moment Le nommer empereur ?     Lui ! Jamais !         Dans la tombe, Amis, jetons la tête, et la couronne y tombe. S’il a le saint empire, il devient, quel qu’il soit, Très auguste, et Dieu seul peut le toucher du doigt. Le plus sûr, c’est qu’avant d’être auguste, il expire ! On ne l’élira point.         Il n’aura pas l’empire... Combien faut-il de bras pour le mettre au linceul ? Un seul !     Combien faut-il de coups au coeur ?         Un seul. Qui frappera ?     Nous tous.         La victime est un traître. Ils font un empereur, nous, faisons un grand-prêtre. Tirons au sort.     Prions.         Que l’élu croie en Dieu ! Frappe comme un romain, meure comme un hébreu ! Il faut qu’il brave roue et tenailles mordantes, Qu’il chante aux chevalets, rie aux lampes ardentes, Enfin, que, pour tuer et mourir, résigné, Il fasse tout.     Quel nom ?     Hernani !         J’ai gagné ! Je te tiens, toi que j’ai si longtemps poursuivie, Vengeance !     Oh ! Cède-moi ce coup !         Non, sur ma vie ! Oh ! Ne m’enviez pas ma fortune, seigneur ! C’est la première fois qu’il m’arrive bonheur ! Tu n’as rien. Eh bien, tout, fiefs, châteaux, vasselages, Cent mille paysans dans mes trois cents villages, Pour ce coup à frapper, je te les donne, ami ! Non !         Ton bras porterait un coup moins affermi, Vieillard !         Arrière, vous ! Sinon le bras, j’ai l’âme. Aux rouilles du fourreau ne jugez point la lame. Tu m’appartiens !         Ma vie à vous, la sienne à moi. Eh bien, écoute, ami : je te rends ce cor !         Quoi ! La vie ! - Eh, que m’importe ! Ah ! Je tiens ma vengeance. Avec Dieu, dans ceci je suis d’intelligence ! J’ai mon père à venger... peut être plus encor ! - Elle, me la rends-tu ?         Jamais ! Je rends ce cor. Non !     Réfléchis, enfant.         Duc ! Laisse-moi ma proie. Eh bien ! Maudit sois-tu de m’ôter cette joie ! Frère, avant qu’on ait pu l’élire, il serait bien D’attendre dès ce soir Carlos... Ne craignez rien ! Je sais comment on pousse un homme dans la tombe. Que toute trahison sur le traître retombe, Et Dieu soit avec vous ! Nous, comtes et barons, S’il périt sans tuer, continuons ! Jurons De frapper tour à tour et sans nous y soustraire, Carlos qui doit mourir.     Jurons !         Sur quoi, mon frère ? Jurons sur cette croix !         Qu’il meure impénitent ! Messieurs, allez plus loin ! L’empereur vous entend. Silence et nuit ! - L’essaim en sort et s’y replonge. Croyez-vous que ceci va passer comme un songe ? Frappez, c’est Charles-Quint ! Frappez, faites un pas ! Voyons, oserez-vous ? Non, vous n’oserez pas. Vos torches flamboyaient sanglantes sous ces voûtes ; Mon souffle a donc suffi pour les éteindre toutes ! Mais voyez, et tournez vos yeux irrésolus, Si j’en éteins beaucoup, j’en allume encor plus. Accourez, mes faucons ! J’ai le nid, j’ai la proie ! J’illumine à mon tour. Le sépulcre flamboie, Regardez !         Venez tous, car le crime est flagrant. À la bonne heure ! Seul, il me semblait trop grand. C’est bien. J’ai cru d’abord que c’était Charlemagne, Ce n’est que Charles-Quint !         Connétable d’Espagne ! Amiral de Castille, ici ! Désarmez-les. Majesté ! Je te fais alcade du palais. Deux électeurs, au nom de la chambre dorée, Viennent complimenter la majesté sacrée ! Qu’ils entrent.     Doña Sol !         Sire ! Roi des romains ! Majesté très sacrée ! Empereur ! Dans vos mains Le monde est maintenant, car vous avez l’empire. Il est à vous, ce trône où tout monarque aspire ! Frédéric, duc de Saxe, y fut d’abord élu ; Mais, vous jugeant plus digne, il n’en a pas voulu. Venez donc recevoir la couronne et le globe. Le saint empire, ô roi, vous revêt de la robe ; Il vous arme du glaive, et vous êtes très grand ! J’irai remercier le collège en rentrant. Allez, messieurs ; merci, mon frère de Bohême, Mon cousin de Bavière ; allez ! J’irai moi-même. Vivat ! Vivat ! J’y suis ! - Et tout m’a fait passage. Empereur ! - Au refus de Frédéric-Le-Sage. Des soldats ! L’Empereur !... Ô ciel ! Coup imprévu ! Hernani !...     Doña Sol !         Elle ne m’a point vu ! Madame...     J’ai toujours son poignard !         Mon amie ! Silence tous. - Votre âme est-elle raffermie ? Il convient que je donne au monde une leçon. Lara le castillan et Gotha le saxon, Vous tous ! Que venait-on faire ici ? Parlez !         Sire, La chose est toute simple ; et l’on peut vous la dire. Nous gravions la sentence au mur de Balthazar ; Nous rendions à César ce qu’on doit à César. Bien ! - vous traître, Silva ?         Lequel de nous deux, sire ? Nos têtes et l’empire !... il a ce qu’il désire. Le bleu manteau des rois pouvait gêner vos pas. Le pourpre vous va mieux, le sang n’y paraît pas ! Mon cousin de Silva, c’est une félonie À faire du blason rayer ta baronnie ! C’est haute trahison, don Ruy, songes-y bien. Les rois Rodrigue font les comtes Julien. Ne prenez que ce qui peut être duc ou comte. Le reste !...     Il est sauvé !...         Je prétends qu’on me compte ! Puisqu’il s’agit de hache ici ; puisqu’Hernani, Pâtre obscur, sous tes pieds passerait impuni ; Puisque son front n’est plus au niveau de ton glaive ; Puisqu’il faut être grand pour mourir, - je me lève ! Dieu, qui donne le sceptre et qui te le donna, M’a fait duc de Ségorbe et duc de Cardona, Marquis de Monroy, comte Albatera, vicomte De Gor, seigneur de lieux dont j’ignore le compte. Je suis Jean D’Aragon, grand-maître d’Avis, né Dans l’exil, fils proscrit d’un père assassiné Par sentence du tien, roi Carlos de Castille. Le meurtre est entre nous affaire de famille. Vous avez l’échafaud, nous avons le poignard. Donc le ciel m’a fait duc, et l’exil montagnard. Mais puisque j’ai sans fruit aiguisé mon épée Sur les monts, et dans l’eau des torrents retrempée, Couvrons-nous, grand d’Espagne.         Oui, nos têtes, ô roi, Ont le droit de tomber couvertes devant toi ! Silva, Haro, Lara, gens de titre et de race, Place à Jean D’Aragon ! Ducs et comtes, ma place ! Je suis Jean D’Aragon, roi, bourreaux et valets ! Et si vos échafauds sont petits, changez-les ! Ciel !         En effet, j’avais oublié cette histoire. Celui dont le flanc saigne a meilleure mémoire. L’affront que l’offenseur oublie en insensé, Vit, et toujours remue au coeur de l’offensé ! Donc, je suis, c’est un titre à n’en point vouloir d’autres, Fils de pères qui font choir la tête des vôtres ? Sire ! Pardon ! Pitié, sire ! Soyez clément ! Ou frappez-nous tous deux, car il est mon amant, Mon époux. En lui seul je respire ! Oh ! Je tremble !... Sire ! Ayez la pitié de nous tuer ensemble ! Majesté ! Je me traîne à vos sacrés genoux ! Je l’aime ! Il est à moi comme l’empire à vous !... - Oh ! Grâce !         Quel penser sinistre vous absorbe ? Allons, relevez-vous, duchesse de Ségorbe, Comtesse Albatera, marquise de Monroy... Tes autres noms, don Juan ?         Qui parle ainsi ? Le roi ? Non, l’empereur.     Ô ciel !         Duc ! Voilà ton épouse. Juste dieu !         Mon cousin, ta noblesse est jalouse, Je sais ; mais Aragon peut épouser Silva. Ce n’est pas ma noblesse.         Oh ! Ma haine s’en va ! Ô mon Duc !         Je n’ai plus que de l’amour dans l’âme, Doña Sol !         Éteins-toi, coeur jeune et plein de flamme ! Laisse régner l’esprit que long-temps tu troublas. Tes amours désormais, tes maîtresses, hélas ! C’est l’Allemagne, c’est la Flandre, c’est l’Espagne. L’Empereur est pareil à l’aigle, sa compagne : À la place du coeur il n’a qu’un écusson ! Ah ! Vous êtes César !         De ta noble maison, Don Juan, ton coeur est digne... Il est digne aussi d’elle. - À genoux, duc !     Reçois ce collier ;         Sois fidèle ! Par saint Étienne, duc, je te fais chevalier. Mais tu l’as, le plus doux et le plus beau collier ! Celui que je n’ai pas, qui manque au rang suprême, Les deux bras d’une femme aimée et qui vous aime ! Ah ! Tu vas être heureux ; moi, je suis empereur. Je ne sais plus vos noms, messieurs ; haine et fureur, Je veux tout oublier. Allez : je vous pardonne ! C’est la leçon qu’au monde il convient que je donne. Gloire à Carlos !         Moi seul, je reste condamné. Et moi !         Mais, comme lui, je n’ai point pardonné ! Qui donc nous change tous ainsi ?         Vive Allemagne ! Honneur à Charles-Quint ! Honneur à Charlemagne ! Laissez-nous seuls tous deux.         Es-tu content de moi ? Ai-je bien dépouillé les misères du roi ? - Ah ! J’étais seul, perdu, seul devant un empire ; Tout un monde qui hurle, et bouillonne, et conspire ; Le danois à punir ; le saint père à payer ; Venise, Soliman, Luther, François premier ; Mille poignards jaloux, luisant déjà dans l’ombre ; Des pièges, des écueils, des menaces sans nombre, Vingt peuples dont un seul ferait peur à vingt rois, Tout pressé, tout pressant, tout à faire à la fois ; Je t’ai crié : « par où faut-il que je commence ? » Et tu m’as répondu : « mon fils, par la clémence ! » Ma foi ! Vive la joie et vive l’épousée ! Saragosse ce soir se met à la croisée... Et fait bien ! On ne vit jamais noce aux flambeaux Plus gaie, et nuit plus douce, et mariés plus beaux ! Bon empereur !         Marquis, certain soir qu’à la brune Nous allions avec lui tous deux cherchant fortune ; Qui nous eût dit qu’un jour tout finirait ainsi ? J’en étais.         Écoutez l’histoire que voici : Trois galants, un bandit que l’échafaud réclame, Puis un duc, puis un roi, d’un même coeur de femme Font le siège à la fois. L’assaut donné, qui l’a ? C’est le bandit.         Mais rien que de simple en cela. L’amour et la fortune, ailleurs comme en Espagne, Sont jeux de dés pipés : c’est le voleur qui gagne. Moi, j’ai fait ma fortune à voir faire l’amour. D’abord comte, puis grand, puis alcade de cour, J’ai fort bien employé mon temps, sans qu’on s’en doute. Le secret de monsieur, c’est d’être sur la route Du roi...         Faisant valoir mes droits, mes actions. Vous avez profité de ses distractions. Que devient le vieux duc ? Fait-il clouer sa bière ? Marquis, ne riez pas ! Car c’est une âme fière. Il aimait doña Sol, ce vieillard ! Soixante ans Ont fait ses cheveux gris, un jour les a faits blancs. Il n’a pas reparu, dit-on, à Saragosse ? Vouliez-vous pas qu’il mît son cercueil de la noce ? Et que fait l’empereur ?         L’empereur aujourd’hui Est triste. Le luther lui donne de l’ennui. Ce luther ! Beau sujet de soucis et d’alarmes ! Que j’en finirais vite avec quatre gens d’armes ! Le Soliman aussi lui fait ombre.         Ah ! Luther, Soliman, Neptunus, le diable et Jupiter, Que me font ces gens là ? Les femmes sont jolies, La mascarade est rare, et j’ai dit cent folies. Voilà l’essentiel.         Garcie a raison : - moi, Je ne suis plus le même un jour de fête, et croi Qu’un masque que je mets me fait une autre tête, En vérité !         Que n’est-ce alors tous les jours fête ! Messeigneurs, n’est-ce pas la chambre des époux ? Nous les verrons venir dans l’instant.         Croyez-vous ? Hé ! Sans doute.         Tant mieux ! L’épousée est si belle ! Que l’empereur est bon ! - Hernani, ce rebelle, Avoir la toison d’or ! -marié, pardonné ! Loin de là, s’il m’eût cru, l’empereur eût donné Lit de pierre au galant, lit de plume à la dame. Que je le crèverais volontiers de ma lame, Faux seigneur de clinquant ! Parvenu lâche et vil ! Pourpoint de comte, empli de conseils d’alguazil ! Que dites-vous là ?         Comte, ici, pas de querelle ! Il me chante un sonnet de Pétrarque à sa belle. Avez-vous remarqué, messieurs, parmi les fleurs, Les femmes, les habits de toutes les couleurs, Ce spectre, qui, debout contre une balustrade, De son domino noir tachait la mascarade ? Oui, pardieu !     Qu’est-ce donc ?         Mais, sa taille, son air... C’est don Francasio, général de la mer. Non.     Il n’a pas quitté son masque !         Il n’avait garde. C’est le duc de Soma qui veut qu’on le regarde. Rien de plus.     Non. Le duc m’a parlé.         Qu’est-ce alors Que ce masque ? - Tenez, le voilà.         Si les morts Marchent, voici leur pas.     Beau masque !...         - Sur mon âme, Messeigneurs, dans ses yeux j’ai vu luire une flamme. Si c’est le diable, il trouve à qui parler, pardieu ! Je vous jure qu’il a deux prunelles de feu ! Le masque reprend sa marche et disparaît par L’escalier ; tous le suivent des yeux avec effroi. La vision est sombre autant qu’on le peut dire. Baste ! Ce qui fait peur ailleurs, au bal fait rire. Quelque mauvais plaisant !         Ou si c’est Lucifer Qui vient nous voir danser, en attendant l’enfer, Dansons !         C’est à coup sûr quelque bouffonnerie. Nous le saurons demain.         Regardez, je vous prie, Que devient-il ?         Il a descendu l’escalier. Plus rien.         C’est un plaisant drôle !... c’est singulier. Marquise, dansons-nous celle-ci ?         Mon cher comte, Vous savez, avec vous, que mon mari les compte. Raison de plus ! Cela l’amuse apparemment. C’est son plaisir ; il compte, et nous dansons.         Vraiment C’est singulier !         Voici les mariés... silence ! Chers amis !         Ton bonheur fait le nôtre, excellence ! Saint Jacques, monseigneur ! C’est Vénus qu’il conduit. Soyez Heureux, seigneur.         Partons, il est minuit. Ils s’en vont tous, Enfin ! C’est qu’il est tard, ce me semble. Ange ! Il est toujours tard pour être seuls ensemble. Ce bruit me fatiguait. N’est-ce pas, cher seigneur, Que toute cette joie étourdit le bonheur ? Tu dis vrai. Le bonheur, amie, est chose grave ; Il veut des coeurs de bronze et lentement s’y grave. Le plaisir l’effarouche en lui jetant des fleurs ; Son sourire est moins près du rire que des pleurs ! Dans vos yeux, ce sourire est le jour.         Tout à l’heure ! Oh ! Je suis ton esclave ! Oui, demeure, demeure. Fais ce que tu voudras, je ne demande rien. Tu sais ce que tu fais ! Ce que tu fais est bien. Je rirai, si tu veux, pour te plaire... - Mon âme Brûle ? Eh ! Dis au volcan qu’il étouffe sa flamme, Le volcan fermera ses gouffres entr’ouverts, Et n’aura sur ses flancs que fleurs et gazons verts. Oh ! Que vous êtes bon pour une pauvre femme, Hernani de mon coeur !...         Quel est ce nom, Madame ? Oh ! Ne me nomme plus de ce nom, par pitié ! Tu me fais souvenir que j’ai tout oublié ! Je sais qu’il existait autrefois, dans un rêve, Un Hernani dont l’oeil avait l’éclair du glaive, Un homme de la nuit et des monts, un proscrit, Sur qui le mot vengeance était partout écrit, Un malheureux traînant après lui l’anathème ! Mais je ne connais pas ce Hernani. - Moi, j’aime Les jeux et les festins, je suis noble espagnol, Je suis Jean D’Aragon, mari de doña Sol ! Je suis heureux !     Je suis heureuse !         Que m’importe Les haillons qu’en entrant j’ai laissés à la porte ? Voici que je reviens à mon palais en deuil. Un ange du seigneur m’attendait sur le seuil ! J’entre, et remets debout les colonnes brisées, Je rallume les feux, je rouvre les croisées, Je fais arracher l’herbe au pavé de la cour ; Je ne suis plus que joie, enchantement, amour ! Qu’on me rende mes tours, mes vassaux, mes bastilles, Mon panache, mon siège au conseil des Castilles, Vienne ma doña Sol, rouge et le front baissé, Qu’on nous laisse tous deux, et le reste est passé ! Je n’ai rien vu, rien dit, rien fait. Je recommence, J’efface tout, j’oublie ! - ou sagesse ou démence, Je vous ai, je vous aime et vous êtes mon bien ! Que sur ce velours noir ce collier d’or fait bien ! Vous vîtes avant moi le roi mis de la sorte. Je n’ai pas remarqué. Tout autre, que m’importe ? Puis, est-ce le velours ou le satin encor ? Non, mon duc, c’est ton cou qui sied au collier d’or. Vous êtes noble et fier, monseigneur... - tout à l’heure ! Un moment ! Vois-tu bien, c’est la joie ! Et je pleure ! Viens voir la belle nuit, - mon duc, rien qu’un moment ! Le temps de respirer et de voir seulement ! Tout s’est éteint, flambeaux, et musique de fête. Rien que la nuit et nous. Félicité parfaite ! Dis, ne le crois-tu pas ? Sur nous, tout en dormant, La nature à demi veille amoureusement. Pas un nuage au ciel ! Tout, comme nous, repose. Viens, respire avec moi l’air embaumé de rose ! Regarde : plus de feux, plus de bruit. Tout se tait. La lune tout à l’heure à l’horizon montait Tandis que tu parlais ; - sa lumière qui tremble Et ta voix, toutes deux m’allaient au coeur ensemble, Je me sentais joyeuse et calme, ô mon amant ! Et j’aurais bien voulu mourir en ce moment. Ah ! Qui n’oublierait tout à cette voix céleste ! Ta parole est un chant où rien d’humain ne reste. Ce silence est trop noir, ce calme est trop profond. Dis, ne voudrais-tu point voir une étoile au fond ? Ou qu’une voix des nuits, tendre et délicieuse, S’élevant tout-à-coup, chantât ?...         Capricieuse ! Tout à l’heure on fuyait la lumière et les chants ! Le bal ! Mais un oiseau qui chanterait aux champs ! Un rossignol perdu dans l’ombre et dans la mousse, Ou quelque flûte au loin...! Car la musique est douce, Fait l’âme harmonieuse, et comme un divin choeur, Éveille mille voix qui chantent dans le coeur ! Oh ! Ce serait charmant !         - Dieu ! Je suis exaucée ! Ah ! Malheureuse !         Un ange a compris ma pensée... - Ton bon ange, sans doute ?     Oui, mon bon ange !         Encor !... Don Juan ! Je reconnais le son de votre cor ! N’est-ce pas ?         Seriez-vous dans cette sérénade De moitié ?     De moitié, tu l’as dit.         Bal maussade ! Ah ! Que j’aime bien mieux le cor au fond des bois !... Et puis, c’est votre cor ; c’est comme votre voix. Ah ! Le tigre est en bas qui hurle et veut sa proie ! Don Juan, cette harmonie emplit le coeur de joie !... Nommez-moi Hernani ! Nommez-moi Hernani ! Avec ce nom fatal je n’en ai pas fini ! Qu’avez-vous ?     Le vieillard !         Dieu ! Quels regards funèbres ! Qu’avez-vous ?         Le vieillard qui rit dans les ténèbres !... - Ne le voyez-vous pas ?         Où vous égarez-vous ? Qu’est-ce que ce vieillard ?     Le vieillard !         À genoux Je t’en supplie, oh ! Dis ! Quel secret te déchire ? Qu’as-tu ?     Je l’ai juré...!     Juré !         Qu’allais-je dire ? Épargnons-la...         Moi, rien ! De quoi t’ai-je parlé ? Vous avez dit...         Non, non ; j’avais l’esprit troublé... Je souffre un peu, vois-tu ! N’en prends pas d’épouvante. Te faut-il quelque chose ? Ordonne à ta servante ! Il le veut ! Il le veut ! Il a mon serment. - Rien ! Ce devrait être fait !.. - ah !...         Tu souffres donc bien ? Une blessure ancienne, et que j’ai cru fermée, Se rouvre...     Éloignons-la.         - Doña Sol, bien aimée, Écoute : ce coffret qu’en des jours moins heureux Je portais avec moi...         Je sais ce que tu veux. Eh bien, qu’en veux-tu faire ?         Un flacon qu’il renferme Contient un élixir qui pourra mettre un terme Au mal que je ressens... va !         J’y vais, Monseigneur. Voilà donc ce qu’il vient faire de mon bonheur. Voici le doigt fatal qui luit sur la muraille ! Oh ! Que la destinée amèrement me raille ! Hé bien ?... mais tout se tait. Je n’entends rien venir. Si je m’étais trompé !...         « Quoi qu’il puisse advenir, Quand tu voudras, vieillard, quel que soit le lieu, l’heure, S’il te passe à l’esprit qu’il est temps que je meure, Viens, sonne de ce cor, et ne prends d’autres soins ! Tout sera fait. » - Ce pacte eut les morts pour témoins : Hé bien ! Tout est-il fait ?     C’est lui !         Dans ta demeure Je viens, et je te dis qu’il est temps. C’est mon heure. Je te trouve en retard.         Bien. Quel est ton plaisir ? Que feras-tu de moi ? Parle.         Tu peux choisir Du fer ou du poison. Ce qu’il faut, je l’apporte. Nous partirons tous deux.     Soit.     Prions-nous ?         Qu’importe ! Que prends-tu ?     Le poison.         Bien ! Donne-moi ta main. Bois, pour que je finisse.         Oh ! Par pitié ! Demain ! - Oh ! S’il te reste un coeur, duc, ou du moins une âme ; Si tu n’es pas un spectre échappé de la flamme ; Un mort damné, fantôme ou démon désormais ; Si Dieu n’a point encor mis sur ton front : « jamais ! » Si tu sais ce que c’est que ce bonheur suprême D’aimer, d’avoir vingt ans, d’épouser quand on aime ; Si jamais femme aimée a tremblé dans tes bras, Attends jusqu’à demain. - Demain tu reviendras ! Simple qui parle ainsi ! Demain ! Demain ! - tu railles ! Ta cloche a ce matin sonné tes funérailles ! Et que ferais-je, moi, cette nuit ? J’en mourrais. Et qui viendrait te prendre et t’emporter après ? Seul descendre au tombeau ! Jeune homme, il faut me suivre ! Eh bien, non ! Et de toi, démon, je me délivre ! Je n’obéirai pas.         Je m’en doutais. - Fort bien. Sur quoi donc m’as-tu fait ce serment ? Ah, sur rien. Peu de chose après tout ! La tête de ton père. Cela peut s’oublier, la jeunesse est légère. Mon père ! - mon père !... ah ! J’en perdrai la raison !... Non, ce n’est qu’un parjure et qu’une trahison. Duc !...         Puisque les aînés des maisons espagnoles Se font jeu maintenant de fausser leurs paroles, Adieu !...     Ne t’en va pas.     Alors...         Vieillard cruel ! Revenir sur mes pas à la porte du ciel !... Je n’ai pu le trouver, ce coffret !         Dieu ! C’est elle ! Dans quel moment !         Qu’a-t-il ? Je l’effraie, il chancelle À ma voix ! - Que tiens-tu dans ta main ? Quel soupçon ! Que tiens-tu dans ta main ? Réponds. - C’est du poison !     Grand dieu !         Que t’ai-je fait ? Quel horrible mystère !... Vous me trompiez, don Juan !...         Ah ! J’ai dû te le taire. J’ai promis de mourir au duc qui me sauva. Aragon doit payer cette dette à Silva. Vous n’êtes pas à lui, mais à moi. Que m’importe Tous vos autres serments.         Duc, l’amour me rend forte. Contre vous, contre tous, duc, je le défendrai. Défends-le, si tu peux, contre un serment juré ! Quel serment ?     J’ai juré.         Non, non ; rien ne te lie ; Cela ne se peut pas ! Crime, attentat, folie ! Allons, duc !         Laissez-moi, doña Sol, il le faut. Le duc a ma parole, et mon père est là haut ! Il vaudrait mieux pour vous aller aux tigres même Arracher leurs petits, qu’à moi celui que j’aime. Savez-vous ce que c’est que doña Sol ? Long-temps, Par pitié pour votre âge et pour vos soixante ans, J’ai fait la fille douce, innocente et timide ; Mais voyez-vous cet oeil de pleurs de rage humide ? Voyez-vous ce poignard ? Ah ! Vieillard insensé, Craignez-vous pas le fer, quand l’oeil a menacé ? Prenez garde, don Ruy ! - Je suis de la famille, Mon oncle ! Ecoutez-moi, fussé-je votre fille, Malheur si vous portez la main sur mon époux !... Ah ! Je tombe à vos pieds ! Ayez pitié de nous ! Grâce ! Hélas ! Monseigneur, je ne suis qu’une femme, Je suis faible, ma force avorte dans mon âme, Je me brise aisément... je tombe à vos genoux ! Ah ! Je vous en supplie, ayez pitié de nous ! Doña Sol !         Pardonnez !... nous autres espagnoles, Notre douleur s’emporte à de vives paroles, Vous le savez. Hélas ! Vous n’étiez pas méchant ! Pitié ! Vous me tuez, mon oncle, en le touchant ! Pitié ! Je l’aime tant !...     Vous l’aimez trop !         Tu pleures ! Non, non, je ne veux pas, mon amour, que tu meures ! Non, je ne le veux pas. à don Ruy. faites grâce aujourd’hui ; Je vous aimerai bien aussi, vous.         Après lui ! Allons.         Oh ! Pas encor ! Daignez tous deux m’entendre. Le sépulcre est ouvert, et je ne puis attendre. Un instant, monseigneur !... mon don Juan ! Ah ! Tous deux Vous êtes bien cruels ! - Qu’est-ce que je veux d’eux ? Un instant ! Voilà tout... tout ce que je réclame !... Enfin on laisse dire à cette pauvre femme Ce qu’elle a dans le coeur !... - oh ! Laissez-moi parler... J’ai hâte.         Messeigneurs ! Vous me faites trembler ! Que vous ai-je donc fait ?         Ah ! Son cri me déchire. Vous voyez bien que j’ai mille choses à dire. Il faut mourir.         Don Juan, lorsque j’aurai parlé, Tout ce que tu voudras, tu le feras.         Je l’ai. Puisque je n’ai céans affaire qu’à deux femmes, Don Juan, il faut qu’ailleurs j’aille chercher des âmes. Tu fais de beaux serments par le sang dont tu sors, Et je vais à ton père en parler chez les morts !... - Adieu !...         Duc, arrêtez.         Hélas ! Je t’en conjure, Veux-tu me voir faussaire, et félon, et parjure ? Veux-tu que partout j’aille avec la trahison Écrite sur le front ? Par pitié, ce poison, Rends-le-moi ! Par l’amour, par notre âme immortelle... Tu veux ?     Tiens maintenant.         Ah ! C’était donc pour elle ! Prends, te dis-je.         Vois-tu, misérable vieillard ? Ne te plains pas de moi, je t’ai gardé ta part. Dieu !         Tu ne m’aurais pas ainsi laissé la mienne, Toi !... tu n’as pas le coeur d’une épouse chrétienne, Tu ne sais pas aimer comme aime une Silva. Mais j’ai bu la première et suis tranquille. -va ! Bois si tu veux !         Hélas ! Qu’as-tu fait, malheureuse ? C’est toi qui l’as voulu.         C’est une mort affreuse !... Non. - Pourquoi donc ?         Ce philtre au sépulcre conduit. Devions-nous pas dormir ensemble cette nuit ? Qu’importe dans quel lit !         Mon père, tu te venges Sur moi qui t’oubliais !         Ciel ! Des douleurs étranges !... Ah ! Jette loin de toi ce philtre !... ma raison S’égare. - Arrête ! Hélas ! Mon don Juan ! Ce poison Est vivant, ce poison dans le coeur fait éclore Une hydre à mille dents qui ronge et qui dévore ! Oh ! Je ne savais pas qu’on souffrît à ce point ! Qu’est-ce donc que cela ? C’est du feu ! Ne bois point ! Oh ! Tu souffrirais trop !         Ah ! Ton âme est cruelle ! Pouvais-tu pas choisir d’autre poison pour elle ? Que fais-tu ?     Qu’as-tu fait ?         Viens, ô mon jeune amant, Dans mes bras.         Est-ce pas qu’on souffre horriblement ? Non !         Voilà notre nuit de noce commencée ! Je suis bien pâle, dis, pour une fiancée ? Ah !     La fatalité s’accomplit.         Désespoir ! Ô tourment ! Doña Sol souffrir, et moi le voir ! Calme-toi. Je suis mieux. - Vers des clartés nouvelles Nous allons tout à l’heure ensemble ouvrir nos ailes. Partons d’un vol égal vers un monde meilleur. Un baiser seulement, un baiser !         Ô douleur ! Oh ! Béni soit le ciel qui m’a fait une vie D’abîmes entourée et de spectres suivie, Mais qui permet que, las d’un si rude chemin, Je puisse m’endormir, ma bouche sur ta main ! Ils sont encore heureux !         Doña Sol, tout est sombre... Souffres-tu ?     Rien, plus rien.         Vois-tu des feux dans l’ombre ? Pas encor.     Voici...     Mort !         Mort ! Non pas !... nous dormons. Il dort ! C’est mon époux, vois-tu, nous nous aimons, Nous sommes couchés là. C’est notre nuit de noce... Ne le réveillez pas, seigneur duc de Mendoce !... Il est las...         Mon amour, tiens-toi vers moi tourné... Plus près... plus près encor...         Morte !... Oh ! Je suis damné.