Non, madame ; en un mot c’est trop me résister J’ai pesé mes projets, je m’y dois arrêter. Pouvez-vous les blâmer ? Ma fortune est bornée. On offre à votre fils un brillant hyménée, L’espoir d’un régiment et d’un rang à la cour. Dois-je seul m’opposer au bonheur de Melcour ? Le premier pas suffit, tout en dépend peut-être, Et le point important est d’approcher du maître. Mais de notre maison l’avancement prochain Exige quelque effort : je m’y résous enfin. Ce n’est pas après tout un si grand sacrifice. Mélanie au couvent depuis deux ans novice, Formée à la retraite en ses plus jeunes ans, Semblait en avoir pris les goûts, les sentiments. Au plan que j’ai suivi se prêtant par avance, Elle nous demandait le voile avec instance, Et dans le cloître alors trouvant tous ses plaisirs, Y voulait pour jamais enfermer ses désirs. D’où naît le changement qu’aujourd’hui l’on m’annonce, À ses premiers desseins d’où vient qu’elle renonce ? S’il faut vous déclarer ce que j’en crois ici, Votre parent Monval la fait changer ainsi. Devant elle jamais il n’aurait dû paraître. C’est grâce à vos bontés qu’il a pû la connaître, Et c’est bien malgré moi, je le dis entre nous, Que Montval au couvent la voyait avec vous. Je n’ai pu refuser cette faveur légère À la tendre amitié qui m’attache à sa mère, Au sang qui nous unit : ce jeune homme d’ailleurs A le coeur noble et droit, a des vertus, des moeurs. Il est impétueux, aisément il s’enflamme, Et toujours sans contrainte il laisse agir son âme. Qui n’a rien de honteux dans le fond de son coeur Ne craint point de l’ouvrir, et parle avec candeur. C’est toujours devant moi qu’il a vu Mélanie, Et dans tous ses discours règne la modestie. Mais quant à votre fille, à ne vous rien cacher, Je crois que son état a droit de vous toucher. Soyez de vos enfants également le père, N’immolez point la soeur pour agrandir le frère. Si dans ses premiers ans les soins des jeunes soeurs Lui firent du couvent envier les douceurs, C’est une illusion qui passe avec l’enfance, Et j’ai pu voir depuis toute sa répugnance. Je vous en informai ; ce changement léger, N’était rien, disiez-vous, qu’un dégoût passager ; Vous avez en tout temps combattu mes alarmes ; De Mélanie enfin j’ai vu couler les larmes. J’ai gémi de son sort : vous l’aviez décidé, Et lorsqu’à vos désirs malgré moi j’ai cédé, Qu’à prononcer ses voeux j’ai voulu la résoudre, Ce formidable arrêt fut comme un coup de foudre. Elle resta longtemps sans voix et sans couleur ; Elle doit obéir, je le sais ; mais monsieur, Je ne puis vous celer ma douleur maternelle. De mon respect pour vous cette épreuve est cruelle. Notre sang doit avoir de plus grands droits sur nous ; Mon coeur prendra toujours son parti contre vous. Si mon époux enfin, sûr de ma complaisance, Voulait ne point user de toute sa puissance, Tandis qu’il en est temps, s’il voulait consentir, À révoquer l’arrêt dont il nous voit frémir, Ah ! La reconnaissance et durable et sincère, Qui mettrait à ses pieds et la fille et la mère, Lui ferait éprouver un bonheur plus certain, Plus pur, plus légitime, et bien plus doux enfin Que tous ces vains honneurs dont l’image incertaine Offre dans l’avenir une pompe lointaine, Une grandeur frivole et soumise au hasard, Qui souvent nous échappe, et vient toujours trop tard. Tant d’obstination ne peut que me déplaire. C’est combattre longtemps un parti nécessaire, Votre fille aujourd’hui doit prononcer ses voeux. Nos parents, nos amis, sont mandés en ces lieux. Pour la cérémonie ici tout se prépare. Que pourrait-on penser d’un retour si bizarre ? De vos discours pourtant je ne suis point surpris. Je sais vos sentiments, vous n’aimez point mon fils, Vous lui préféreriez le dernier de vos proches. Jamais...         Je dois répondre à de pareils reproches. Melcour m’est cher, monsieur ; si je me suis permis De juger ses défauts, et si par mes avis J’ai voulu quelquefois changer son caractère, Je n’ai pas moins pour lui des sentiments de mère, Je les aurai toujours.         Je ne vous comprends pas : Melcour est estimé : je vois qu’on en fait cas, Et vous permettrez bien qu’un père le seconde. Oui, je crois qu’il pourra réussir dans le monde, Il est dur et poli, c’est beaucoup ; mais pourtant De son coeur jusqu’ici le mien n’est pas content. Je ne le crois, ni vrai, ni noble, ni sensible, À toute émotion il semble inaccessible ; Il agit, parle, écoute avec un front égal, Ne croit jamais le bien et croit toujours le mal. Jamais quand il vous parle, il ne regarde en face. Son coup d’oeil vous évite et son souris menace. D’ailleurs plein de mépris pour tous ses concurrents. Je sais qu’il a tenu des discours imprudents Sur le marquis d’Orcé, qui l’aura su, sans doute ; Pour un mot indiscret, on sait ce qu’il en coûte. Dans l’état qu’il embrasse on ne pardonne rien. Enfin c’est à vos yeux un trésor, un soutien ; Mais quand ce fils, objet de votre amour extrême, Vous aimerait autant que vous l’aimez vous-même, Quand vous n’auriez conçu que l’espoir le plus sûr, Je le redis encore, il doit m’être bien dur De voir ma Mélanie ainsi sacrifiée, Languir dans l’abandon par son père oubliée, Et menée en pleurant jusqu’au pied de l’autel, S’imposer par son ordre un supplice éternel. On affaiblit toujours tout ce qu’on exagère. Je crois sa douleur vive, et la crois passagère. Toujours dans ces moments on verse quelques pleurs, On croit dans l’avenir ne voir que des malheurs. Mais la réflexion, fruit de la solitude, Et la nécessité qui devient habitude, L’entier éloignement des objets séducteurs, Et l’exemple et le temps si puissants sur nos coeurs, Du cloître qui n’offrait qu’horreur et qu’amertume, Font un séjour tranquille où l’âme s’accoutume. Qui n’a joui de rien n’a rien à regretter. Si connaissant le monde il fallait le quitter, Peut-être autant que vous je plaindrais Mélanie, Mais dans cette maison elle a passé sa vie. Son sort est-il plus dur que celui de ces soeurs Qui toujours du couvent nous vantaient les douceurs ? Du malheur en ces lieux avons-nous vû l’image ? Nous parla-t-on jamais de joug et d’esclavage ? Tout ce qui devant moi s’est ici présenté Me peignait le bonheur et la sérénité. N’en croyez pas, monsieur, l’apparence infidèle. La retraite, il est vrai, peut nous paraître belle ; Mais c’est pour un moment, c’est lorsqu’on n’y vit pas. Sous ces lambris sacrés quand nous portons nos pas, Tout semble calme et doux, jusqu’à l’air qu’on respire ; Des paisibles vertus nous ressentons l’empire, L’oubli des passions, des maux et des erreurs, Et l’attendrissement passe au fond de nos coeurs. Mais percez plus avant, pénétrez ces cellules Ces réduits ignorés où des esprits crédules, Désabusés trop tard et voués au malheur Maudissent de leurs jours la pénible lenteur. C’est là que l’on gémit, que des larmes amères Baignent pendant la nuit les couches solitaires, Que l’on demande au ciel trop lent à s’attendrir Ou la force de vivre ou celle de mourir. Peut-être que leurs maux par le temps s’adoucissent, Que dans des yeux éteints les pleurs enfin tarissent. Un morne accablement qui ressemble au trépas Succède au désespoir, à ses bruyants éclats. Mais ce calme perfide est voisin de l’orage. On en sort bien souvent par des accès de rage. C’est le poison trompeur qui promet le sommeil, Et les convulsions sont l’effet du réveil. Sans doute en me traçant cette image effrayante, Vous voulez m’inspirer une fausse épouvante D’un état doux et saint où je vois chaque jour S’engager sans scrupule et la ville et la cour. Ma conduite, je crois, n’a rien de condamnable. Si cet état d’ailleurs était si redoutable, Pourquoi donc verrions-nous ceux qui l’ont embrassé S’efforcer à l’envi dans leur zèle empressé De ranger sous leur loi de nouveaux prosélites ? Ils doivent d’un tel choix connaître bien les suites, Et par quel intérêt peut-on imaginer Qu’ils entraînent au piége au lieu d’en détourner ? Par un sentiment vil, cruel, abominable, Trop indigne de l’homme et pourtant véritable. Il n’existe que trop : l’esclave est sans vertu, Il déteste en autrui tout ce qu’il a perdu. Il se flatte en secret que sa chaîne accablante, Sur d’autres étendue, en sera moins pesante. À force de souffrir souvent on s’endurcit, Et dans sa prison même on aspire au crédit. Voilà ce qui produit ces ardents émissaires Dont le zèle affecté peuple les monastères. Ils veulent commander à d’autres malheureux, Faire porter le joug qu’on a forgé pour eux, Se venger de leurs maux : l’esprit de tyrannie Entre facilement dans une âme flétrie, Et le droit d’opprimer des captifs abattus Est un plaisir encor pour qui n’en connaît plus. Le parti le plus sage et le plus raisonnable Toujours par quelque endroit peut paraître blâmable. Les abus sont partout, je le sais, j’en conviens ; Mais pour un mal léger je produis un grand bien. J’écoute l’intérêt de toute une famille. C’est à vous d’essuyer les pleurs de votre fille. Bientôt notre curé viendra l’entretenir. Ses leçons, ses avis pourront la soutenir. Ma confiance en lui n’est pourtant pas entière. Sa morale, dit-on n’est pas assez sévère. On m’en a dit du mal.         On vous trompe, monsieur. Je le crois digne en tout du saint nom de pasteur. On ne le vit jamais affectant le scrupule, Crier à l’hérétique, au schisme, à l’incrédule, À signaler son nom vainement empressé, Et prompt à déployer un zèle intéressé. Il ne se borne pas à tonner dans les temples, Et s’il combat l’erreur c’est par de bons exemples. C’est des infortunés et le guide et l’appui. Il prend sur ses besoins pour aider ceux d’autrui. Rien n’échappe à ses soins ; sa tendre prévoyance Sous des toits dépouillés va chercher l’indigence ; Au soin de la servir tout entier attaché, Il parcourt les réduits où le pauvre est caché, Et s’il ne peut toujours soulager la misère, Au moins il la console, il lui fait voir un père. Dans l’église souvent je l’ai vu prêt d’entrer ; J’ai vu les malheureux en foule l’entourer. Il ressemblait au dieu dont il était le prêtre. Mais on n’en parle pas, il s’est peu fait connaître. Ah ! Lorsqu’on est sensible, il est toujours bien doux De servir les humains sans qu’ils parlent de nous. On agit pour son coeur. Le voici qui s’avance. Monsieur, nous implorons ici votre assistance. Nous en avons besoin : ma fille en ce grand jour Éprouve vers le monde un moment de retour. Il faut d’un jeune coeur corriger la faiblesse Lui montrer ses devoirs : c’est à votre sagesse Que j’ai dû me fier et j’attends tout de vous. Vous vaincrez sûrement ces injustes dégoûts. Vous savez trop...         Je sais ce qu’ici je dois faire Et je ne trahirai vous ni mon ministère. Avant de vous répondre et de promettre rien, Il me faut avec elle avoir un entretien. Je veux lire en son coeur, je veux le bien connaître. Sur ses devoirs alors, sur les vôtres peut-être, Je pourrai vous parler avec sincérité. Vous entendrez de moi la simple vérité. N’espérez rien de plus.         C’est ce que je désire. On va vous l’amener, monsieur, je me retire, Et vais avec madame assembler nos amis Qui bientôt dans ces lieux seront tous réunis. Allons... je vais encor voir une infortunée Qu’un intérêt cruel au cloître a condamnée ; Que l’on ensevelit de peur de la doter ; Qui pousse des soupirs que l’on craint d’écouter, Et donne, en détestant sa retraite profonde, Au ciel des voeux forcés et des regrets au monde. Ô ! Dieu ! Changez mon coeur ou bien changez mon sort ! Dieu ! Fléchissez mon père ou m’envoyez la mort ! Approchez, mon enfant, et soyez sans alarmes. Si je viens près de vous, c’est pour sécher vos larmes. Ne me les cachez point et laissez les couler. Sans témoins, sans réserve on peut ici parler. Nul n’osera troubler cette sainte entrevue. Vous frémissez... eh ! Quoi ! Redoutez-vous ma vue ? Je ne sais où je suis... ayez pitié de moi. Tout dans un pareil jour doit inspirer l’effroi. D’un père rigoureux n’êtes-vous pas complice ? Venez-vous m’annoncer l’instant du sacrifice ? C’est celui de mes jours... C’est celui de mon coeur... Il est affreux, barbare... Il me glace d’horreur... Ah ! Qu’on l’achève au moins, qu’on l’achève sur l’heure... Traînez-moi vers l’autel... Traînez-moi... Que j’y meure. C’est tout ce que l’on veut et j’y consens.         Hélas ! Au but qui me conduit ne vous méprenez pas. J’apporte à vos douleurs l’intérêt le plus tendre. Je puis les adoucir, si vous voulez m’entendre. Donnez-leur avec moi ce libre épanchement Qui pour les malheureux est un soulagement. Les consoler, ma fille, est tout mon ministère ; Vous me devez enfin regarder comme un père. Un père !... Il m’en faut un... Que n’ai-je un père, hélas ! Il plaindrait mes tourments, il m’ouvrirait ses bras. Ce nom doit consoler... ce nom me désespère. Faut-il éterniser mes tourments, ma misère, Livrer à la douleur le reste de mes jours, Promettre de souffrir et de pleurer toujours ? Je n’en ai pas la force et ma raison s’égare. La nature et le ciel, tout me semble barbare. C’est que tous deux, ma fille, ont été méconnus. Commandez un moment à vos sens éperdus, Et d’un consolateur écoutez le langage. Tout doit m’intéresser, votre état et votre âge. De m’employer pour vous je me fais un devoir. L’emporter sur un père est hors de mon pouvoir Mais je lui parlerai contre la violence... Est-il vrai ? Vous ! Ô ! Ciel ! Vous prendrez ma défense ! Vous me le promettez !... L’aurais-je pu prévoir ! Vous éloignez de moi l’horrible désespoir. Vous me l’aviez bien dit, oui, vous êtes mon père. Oui, vous me restez seul dans la nature entière. J’offre ce que je puis, des soins et des souhaits. Je réponds de mon zèle et non pas du succès. Il dépendra surtout de votre confiance. Faites de vos secrets l’exacte confidence. Permettez que ce coeur vous ose interroger ; Aux sentiments du vôtre il n’est point étranger. Placez-vous près de moi ; venez, ma chère fille. Je chéris dès longtemps votre noble famille. On m’a dit qu’élevée en ces paisibles lieux Vous y passiez des jours qui paraissaient heureux. Et que du voile saint à seize ans revêtue, D’aucun regret encor vous n’étiez combattue. Votre état vous plaisait : souvent on m’a vanté Votre zèle naissant, votre félicité. M’a t’on dit vrai ? Parlez.         Oui, je vous le confesse ; Cette maison, Monsieur, fut chère à ma jeunesse. Je m’y voyais fêtée, on s’occupait de moi. Chacun de m’amuser se faisait un emploi. On détournait mes yeux de tout devoir pénible. À tant d’empressement pouvais-je être insensible, Dans un âge où le coeur est si prompt à s’ouvrir Aux premiers sentiments qui se viennent offrir, Où les jours sont si purs, le bonheur si facile ? Je crus qu’il habitait au sein de cet asile. Je ne trouvais partout que des soins complaisants, Des égards recherchés et des yeux caressants. Ce plaisir si flatteur d’intéresser les autres, Les préjugés d’autrui qui deviennent les nôtres, Tout ce que j’entendais du monde et de ses moeurs, Les discours séduisants, les tendresses des soeurs, Le penchant qui nous lie au séjour de l’enfance, Enfin l’amitié même et la reconnaissance, Tout me fit une loi d’attacher pour toujours, À ce qui m’entourait, mes destins et mes jours. De semblables motifs n’ont rien que d’estimable. Eh ! Bien, qui pût troubler cet état désirable ? Qui produisit en vous un si grand changement ? Vous allez le savoir ; c’est un événement Qui décida dès lors du destin de ma vie, Et dont en vous parlant j’ai l’âme encor remplie. Je veillais près du lit où l’une de nos soeurs D’une lente agonie éprouvait les horreurs. Cherchant à signaler les soins d’une novice, J’avais brigué moi-même un si lugubre office. Un prêtre l’exhortait, et ses pieux discours De la religion prodiguaient les secours. Mais la voyant garder un obstiné silence, Et commençant peut-être à perdre l’espérance, Il s’éloigna de nous pendant quelques instants, Alors levant ses yeux baissés depuis longtemps, Elle parut gémir sur moi plus que sur elle, Quelques larmes mouillaient sa murante prunelle ; Elle fit un effort pour pouvoir me parler. Et m’adressa ces mots qui me firent trembler. "On vous trompe, on vous perd, ma chère Mélanie. À votre âge on sent peu ce que l’on sacrifie, En se faisant esclave et prenant cet habit, Vous l’apprendrez trop tard : je sais qu’on vous a dit, Je sais que vous croyez que dans nos saints asiles Tous les jours sont sereins, tous les coeurs sont tranquilles ; Mais pour vous abuser sachez qu’on est d’accord. On ne vit en ces lieux qu’en désirant la mort, Et l’on n’y meurt jamais qu’en détestant sa vie. Que mon exemple au moins détrompe Mélanie. " Elle m’apprit son sort : un malheureux amour, Qu’il fallut dans ce cloître étouffer sans retour, Avait rempli son âme et consumé sa vie. Du récit de ses maux je demeurai saisie. C’étaient les derniers cris et les gémissements D’un coeur que ses chagrins ont oppressé longtemps C’était d’un long malheur l’histoire attendrissante, Que l’accent de la mort rendait plus déchirante. Je n’y pus résister : pleine de ses douleurs, Je tombai sur son lit en l’arrosant de pleurs. Un si juste intérêt pouvait-il se contraindre ? Pour la première fois elle s’entendit plaindre, Et ma pitié parut adoucir son trépas. L’infortunée alors me serra dans ses bras. Je sentis que ses pleurs inondaient mon visage, De mes sens trop émus je perdis tout usage, Et quand je les repris, elle ne vivait plus. Ses bras déjà glacés sur ma tête étendus, Ses yeux de la douleur gardant le caractère, Et vers le ciel encor élevant leur paupière, Semblaient lui demander d’épargner à mon coeur Tous les maux dont sa mort m’avait tracé l’horreur. Ô ! Parents inhumains ! Voilà donc votre ouvrage ! J’eus toujours devant moi cette effroyable image. Elle me poursuivait : mes esprits agités N’entrevoyaient partout que d’affreuses clartés. Je ne pouvais penser que cette infortunée, Sans raison, sans motif eut plaint ma destinée. Qui peut vouloir tromper à ses derniers moments ? Mais si je l’en croyais, quels tristes sentiments S’élevaient dans mon âme et la glaçaient de crainte ! "Eh ! Quoi ! De tous côtés l’artifice et la feinte ! On séduit ma candeur, on veut m’en imposer ! Et tout ce que j’aimais conspire à m’abuser " : Ces soupçons m’inspiraient une sombre tristesse, L’effroi, l’abattement flétrissaient ma jeunesse. Le cloître m’effrayait : je rencontrais partout L’odieuse contrainte et l’importun dégoût. Je détestai dès lors cet habit de novice, J’abjurai dans mon coeur mon fatal sacrifice. Je n’osais cependant avouer mes chagrins, De mon père sur moi je savais les desseins, J’espérais quelquefois pouvoir le satisfaire. Je songeais pour charmer mon ennui solitaire, Qu’au moins les passions ne rongeaient point mon coeur, Que de l’amour encor le poison séducteur, Dont j’avais une fois contemplé la furie, À des maux plus cuisants ne livrait point ma vie. Mais ce repos hélas ! Ne dura pas longtemps... Malheureuse !         Achevez ces aveux importants. Parlez, ne craignez rien.         Ô ! Mon guide ! Ô ! Mon père Qu’aisément avec vous je puis être sincère ! Que mon âme à la vôtre aime à se confier ! Ah ! C’est de mes plaisirs peut-être le dernier. Ma consolation dans ces lieux, la plus chère C’était de voir souvent ma respectable mère, Ma mère qui toujours m’aima si tendrement ! Elle vit dans mon zèle un refroidissement. Mais je lui dérobai ma profonde tristesse, Qui pouvait sur mon sort alarmer sa tendresse. Un parent (c’est Monval) voulut un jour me voir. Il arrive avec elle en ce même parloir. On m’avertit, j’accours... ma surprise à sa vue, Sur son front, dans ses traits la grâce répandue, Son maintien, de ses yeux la touchante douceur, Et le son de sa voix, encor plus enchanteur, Tout à mes sens troublés dût faire reconnaître Qu’en ce moment mon coeur venait de voir son maître. Il s’assit, parla peu, me regarda toujours. J’ai retenu de lui jusqu’au moindre discours. Il parut de mon sort pénétrer le mystère, Je vis qu’il me jugeait beaucoup mieux que ma mère. Des mots perdus pour elle il sentait la valeur, Et tout ce qu’il disait répondait à mon coeur. Je feignis malgré moi de ne le pas entendre. Que je lui savais gré d’un intérêt si tendre ! J’entrevis quelques pleurs qu’il voulait dévorer, Il semblait à la fois me plaindre et m’adorer. Ô ! Que cet entretien est gravé dans mon âme ! Il ne m’avait rien dit qui déclarât sa flamme, Rien qui pût ressembler aux discours des amans, Mais ses derniers regards valaient tous les serments, Et moi-même en secret de lui toute remplie Je jurai qu’à lui seul appartiendrait ma vie. Dans ce premier moment je fus loin de prévoir. Tous les maux que prépare un amour sans espoir, Et mon âme, embrassant un sentiment si tendre S’élança vers l’objet qu’elle semblait attendre, Et crut en lui livrant un pouvoir absolu, Satisfaire un besoin jusqu’alors inconnu. Hélas ; j’en jouissais sans trouble et sans alarmes, Et sans affliction je répandais des larmes. Mon coeur s’applaudissait d’échapper à l’ennui, D’avoir un sentiment, de trouver un appui. Contre l’amour sans doute il n’est point de défense ; Mais que la solitude ajoute à sa puissance ! Que ses traits pénétrants ailleurs trop émoussés Descendent plus avant au fond des coeurs blessés ! Je n’ai du monde encore aucune expérience, Mais s’il faut sur ce point dire ce que je pense, Dans ce monde bruyant comment peut on souffrir, Que les distractions, les soins et le plaisir, De l’âme à tout moment éloignent ce qu’on aime ? Peut-on se voir ainsi séparé de soi-même ! Ah ! Lorsque tant d’objets ont partagé le jour, Ce qui doit en rester, est bien peu pour l’amour. Mais ici tout le sert et rien ne le balance. Le coeur de son penchant s’entretient en silence. Rien ne s’offre à nos yeux qui le fasse oublier ; Chaque instant à l’amour appartient tout entier. Je l’ai bien éprouvé : Monval dans ces demeures Monval m’occupait seul et remplissait mes heures. Lorsque tout sommeillait, dans l’ombre de la nuit, Je répétais souvent tout ce qu’il m’avait dit. Seule durant le jour, craignant d’être obsédée, Craignant qu’on m’arrachât à cette douce idée, Rappelant ses regards, ses gestes, ses soupirs, Mon âme autour de soi recueillait ses plaisirs. Monval n’a-t-il pas su tout ce qu’il vous inspire ? Ô ! Combien j’aimerais à pouvoir le lui dire ! Mais jamais à ma bouche un mot n’est échappé, Qui pût trahir ce coeur ainsi préoccupé. Qu’il m’en coûtait. Ô ! Ciel ! Surtout en sa présence, Que je me reprochais ce rigoureux silence ! Loin de lui je cherchais à l’en dédommager ; Je lui parlais alors sans crainte et sans danger, Et dans cet entretien qu’il ne pouvait entendre, J’exprimais beaucoup plus qu’il n’eut osé prétendre. Cependant je songeai quel serait mon destin, Mes yeux longtemps distraits s’y fixèrent enfin. L’effrayant avenir où s’égarait ma vue Ne m’offrait qu’un abîme où j’étais attendue. Je vis que j’y tombais sans espoir d’en sortir, Et j’entendis la voix de l’affreux repentir. Je vis que dès l’enfance au cloître destinée, Moi-même par mon choix je m’étais enchaînée, Que mon père affermi dans ses engagements, Ne consulterait pas mes nouveaux sentiments, Qu’à son ambition j’allais être immolée ; Je me sentis alors de mes maux accablée, Alors je m’indignai du fardeau de mes fers, Et je tendais les mains à des liens plus chers. J’aurais voulu franchir la terrible barrière, Et me réfugier dans le sein de ma mère. Au moins j’y déposai mes plaintes, mes douleurs, Mes feux longtemps secrets, mes funestes ardeurs. Elle a vu de ce coeur la cruelle blessure, Elle a versé sur moi les pleurs de la nature, Promis de tout tenter pour adoucir mon sort, Mais que me sert hélas ! Un inutile effort ? Que peut-elle ? Elle-même est dans la dépendance, Son époux a sur elle une entière puissance. Enfin vous le voyez, on a marqué ce jour Pour prononcer des voeux, et des voeux sans retour, On m’impose une loi que je ne peux plus suivre ; On ne s’informe pas si j’y pourrai survivre. Qu’ai-je donc fait hélas ! Pour tant de cruauté ! Et j’irais aux autels trahir la vérité ! J’irais mentir au dieu qui lira dans mon âme ! Lui consacrer un coeur que tant d’amour enflamme ! Non, j’abhorre un serment trompeur, injurieux. Ma voix s’arrêterait en prononçant mes voeux. Avant de les former, ciel ! Fais que Mélanie Exhale à tes autels sa malheureuse vie ! Écoutez, mon enfant : votre ingénuité. Sans doute a droit de plaire au dieu de la bonté. Il ne veut point de nous d’offrande involontaire. Je n’irai point non plus par un langage austère, Joindre encor à vos maux un effroi douloureux, Qui, loin de les guérir, les rendrait plus affreux. Ainsi sans m’élever contre un amour profane Que la religion dans votre état condamne, Je m’occupe avec vous de vos seuls intérêts. On m’appelle bien tard : vous savez quels projets, Pour avancer son fils, a formé votre père, Et quand on a conclu l’hymen de votre frère, Quand tout est décidé, lorsque le jour est pris Où vos engagements doivent être remplis ; Revenir sur ses pas, renverser son ouvrage, (excusez un moment ce sinistre langage) Est un effort pénible, et dont il faut douter ; Les obstacles pourtant ne sauraient m’arrêter. Je dirai ce qu’il faut pour fléchir votre père, Mon devoir me l’ordonne, et j’y vais satisfaire. Ce n’est que par degrés qu’on le peut ramener : Le péril est pressant, il le faut détourner. D’abord votre santé qui parait affaiblie, Exige le délai de la cérémonie, Et si j’obtiens ce point, nous pouvons espérer, Mais dans tous ses desseins s’il veut persévérer, S’il brave mes discours et votre résistance, Ma fille, contre lui, quelle est votre défense ? On vous opposera votre consentement, Pourquoi, vous dira-t-on, ce soudain changement ? Pourquoi faire si tard éclater vos murmures, Pour nous ravir le fruit des plus justes mesures ; Tout sera contre vous. Pardonnez ce discours. Je dois vous protéger, je le veux et j’y cours. Mais n’attendez pas tout des soins où je m’engage, Comptez plus sur vous même et sur votre courage. Le ciel voit vos chagrins, il pourra les calmer, Il veille sur ce coeur qu’il se plût à former. Vous vaincrez un amour qui peut être excusable, Mais qui fait vos tourments et vous rendrait coupable. Allez, rassurez-vous, vous êtes sous les yeux Du dieu consolateur qui reste au malheureux. Comptez sur mes secours : souffrez que ma présence Vous porte quelquefois une faible assistance. Vous aurez en tout temps contre un sort ennemi Le ciel et vos vertus, une mère, un ami. Hélas ! Ma destinée est donc bien déplorable ! Avec tant de soutiens est-on si misérable ? Cependant il m’est doux de confier du moins Mes secrets à votre âme et mon sort à vos soins. Seconde, Dieu clément, mes efforts et mon zèle. L’intérêt qui dégrade une âme paternelle Ose emprunter ton nom pour consacrer ses lois ; Contre sa tyrannie ô ! Dieu ! Soutiens ma voix. Daigne de cet enfant protéger l’innocence. Dieu ! Je crois te servir en prenant sa défense. Le malheur corrompt tout dans les coeurs abattus, Et la rendre au bonheur, c’est la rendre aux vertus. C’est vous qui dans ce lieu m’avez fait demander ! Monval, en un tel jour qu’osez-vous hasarder ! Votre visite ici me semble téméraire ; À Monsieur De Faublas elle ne saurait plaire. Vous le savez ; il va rentrer dans un instant. Chez l’abbesse avec nous notre curé l’attend. N’appréhendez-vous pas ? ...         Et pourquoi me contraindre ? Qui n’a plus rien à perdre a-t-il encore à craindre ? L’aspect de votre époux ne peut m’intimider ; Je n’ai plus avec lui de mesure à garder. Non, je ne lui saurais pardonner de ma vie ; Il va sacrifier l’aimable Mélanie ! Et vous l’avez souffert ! Et vous l’avez permis ! Il faudra que livrée à d’éternels ennemis... Toujours votre douleur est trop impétueuse. Supposez-vous, ma fille, à ce point malheureuse ? Qui vous l’a dit, monsieur ? Et quel penchant si cher Au monde qu’elle ignore aurait pu l’attacher ? Son coeur avec le vôtre est-il d’intelligence ? Vous abusez, Monval, de mon trop d’indulgence. Vous m’avez confié votre amour, vos projets. J’en aurais désiré de plus heureux effets. Vos sentiments sont purs ; ils n’ont pu me déplaire, Et ma fille sans doute ainsi qu’à vous m’est chère. Mais vous la connaissez ; elle sait son devoir, Et son père a sur elle un absolu pouvoir. Quand elle aurait enfin aperçu votre flamme, Vous êtes-vous flatté d’avoir fait sur son âme Assez d’impression pour croire qu’en ces lieux Son destin loin de vous soit à jamais affreux ? Pouvez-vous me traiter avec tant d’injustice ? Quand je suis au moment du plus cruel supplice, Pensez-vous que j’embrasse avec présomption Du bonheur d’être aimé la douce illusion ? Rien ne m’occupe ici, non, rien que Mélanie. Il s’agit de son sort, il s’agit de sa vie, Et non pas d’un amour trop inutile hélas ! Je n’en parlerai plus, vous ne le voulez pas ; Mais qu’elle ne soit point esclave, infortunée ; Sans raison, dites-vous, je plains sa destinée. Croyez que sur ce point on ne peut me tromper ; Que rien à mes regards ne pouvait échapper ; Que j’ai vu de ses maux les secrètes atteintes, Et qu’au fond de mon coeur j’entends toujours ses plaintes. Je n’en suis que trop sur ; elle souffre et gémit. Vous même, pardonnez, quoique vous ayez dit, Vous-même, je le vois, vous gémissez comme elle. Vous étouffez en vain la douleur maternelle. Pourquoi vouloir tromper votre coeur et le mien ? Réunissons nos maux, qu’ils soient notre entretien. Un tyrannique époux vous défend d’être mère. Eh ! Soyez-le avec moi.         Que prétendez-vous faire ? Vous voyez mes chagrins ; pourquoi donc les aigrir. Monval, mon cher Monval, ils me feront mourir. De Monsieur De Faublas l’humeur est inflexible. À la fortune seule il se montre sensible ; Elle est le seul objet dont il paraisse épris, Et le coeur est un mot qu’il n’a jamais compris. Non qu’il soit né méchant ; il est dur et sévère. Il l’est par son état et par son caractère. De calculs d’intérêt il est tout occupé Et de tous nos chagrins il est bien peu frappé. Il n’y voit rien qu’erreur, que faiblesse, qu’enfance ; Ce n’est qu’à ses projets qu’il voit de l’importance. Autant qu’on le pouvait, je les ai combattus ; Je m’y suis opposée ; et que puis-je de plus ? Faut-il que la discorde entre nous se signale ? Que je donne au public des scènes de scandale ? Que je me fasse en vain un monde d’ennemis Dans un parti puissant qui protége mon fils ? Mon fils ! à quel effort la douleur m’a forcée ! Devant lui sans succès je me suis abaissée. Je l’avais conjuré de parler pour sa soeur. Sa réponse équivoque et sa fausse douceur, Ses protestations de zèle et de tendresses, Ses regrets affectés et ses froides promesses, M’ont inspiré pour lui dans cette occasion Plus de mépris encor que d’indignation. Je n’ai rien obtenu, ni du fils ni du père. Le plus coupable encor c’est cet indigne frère. Lui seul jouit du mal que pour lui l’on commet ; Son hymen, sa fortune est le prix d’un forfait. Il s’enrichit des pleurs de sa soeur qu’on opprime ; Il s’en repaît ; il boit le sang de la victime. Et c’est un frère. Ô ! Ciel ! Lui que vous implorez !... Existe-t-il des coeurs ainsi dénaturés ? Et... Vient-il contempler cette fête cruelle ? Ah ! Vous me rappelez une alarme nouvelle. D’Orcé doit s’y trouver, D’Orcé qui de mon fils A senti d’autant plus les orgueilleux mépris, Que lui-même a longtemps brigué cet hyménée, Qui de l’heureux Melcour fonde la destinée. On doit haïr sans doute un rival, un vainqueur Qui joint à ses succès l’insulte et la hauteur. Leur rencontre en ces lieux pourrait être funeste. Mais vous qui vous amène et quel espoir vous reste ? Pourquoi venir chercher ce spectacle odieux ? Je veux de mon malheur m’assurer par mes yeux, Voir l’affreux sacrifice et tout ce qu’il m’enlève ! Vous le dirai-je enfin ? Je doute qu’il s’achève. On le prépare en vain ; je ne puis concevoir Qu’on soit assez barbare et qu’on puisse vouloir... Que dis-je ? Il est trop sur que tout est sans remède. À deux coeurs endurcis il faut donc que tout cède ! Que tant d’amour s’exhale en regrets superflus ! ... Mais j’ai pris mon parti ; vous ne me verrez plus. J’y suis déterminé ; je l’ai dit à ma mère. J’abandonne un pays à mes voeux si contraire. Le lieu de mon exil est au-delà des mers. Je vais servir mon roi dans un autre univers. Je cours m’y renfermer et je renonce au nôtre. Ce n’est pas qu’en effet j’augure mieux de l’autre. Les humains sont partout à l’intérêt livrés Et les coeurs vertueux sont partout déchirés. J’en ai douté longtemps ; j’en ai l’expérience. Mais je fuirai du moins des lieux où tout m’offense, Et je n’entendrai point les lamentables cris... Malheureux ! Quelle erreur et qu’est-ce que je dis ? Ah ! Je croirai partout voir la pompe funeste, Entendre prononcer le voeu que je déteste ; Je trouverai partout ce parloir où mes yeux... Vous vous en souvenez... ces lieux, ces mêmes lieux Pour la première fois l’ont offerte à ma vue ; Là je crus sur son front voir cette âme ingénue : J’entendis ces accents à mon coeur si nouveaux ! ... Elle passait ses mains à travers ces barreaux... C’est ici... C’est ici... La rage est dans mon âme. Je sens mon désespoir s’accroître avec ma flamme. C’est de ce lieu fatal l’inévitable effet ; Pourquoi m’y meniez-vous ?... Que vous avais-je fait !... Ciel ! Ai-je mérité ce reproche barbare ? Pouvez-vous oublier ? ...         Pardonnez ; je m’égare. Pardonnez à ce coeur ; il vous est bien connu ; Il ressent vos bontés ; combien il eut voulu !... Je n’ose me fier à votre impatience. Écoutez. Nous avons encore quelque espérance. Comment ! Que dites-vous ? N’abusez point mon coeur ! Ne vous trompez-vous pas ? Parlez... par quel bonheur Tous mes sens sont saisis et de crainte et de joie. Il nous reste un secours que le ciel nous envoie. Notre digne pasteur, ce mortel révéré, À servir l’infortune en tout temps préparé, Est instruit en secret du chagrin qui m’accable ; Il prête à mes desseins son crédit secourable. Il vient de voir ma fille ; il a lu dans son coeur. Comme moi de son père il blâme la rigueur. Il pense que hâter les voeux de Mélanie, C’est vouloir hasarder son salut et sa vie. Il prétend obtenir au moins quelques délais, Qui pourraient nous conduire à de plus grands succès. Peut-être que son nom et son saint ministère, Le poids de ses discours, sa vertu qu’on révère, Sur Monsieur De Faublas auront quelque pouvoir ; Cependant...         Ah ! Du moins c’est un rayon d’espoir. N’allez pas me l’ôter ; souffrez que je respire ; Que...         L’on vient. Sur vous-même ayez donc plus d’empire, C’est notre bon curé. Sans doute mon époux Va le joindre bientôt ; allez et laissez-nous. Que faudra-t-il, hélas ! Qu’aujourd’hui je devienne ? Je sors, mais permettez que du moins je revienne... Quand je le défendrais, ce serait bien en vain. Éloignez-vous.         Allons attendre mon destin. Votre fille a besoin des secours de sa mère. Ne l’abandonnez pas. J’attends ici son père. Je m’en vais lui parler.         Vous voyez mes terreurs. Tout dépend de ce dieu qui dispose des coeurs. Je n’épargnerai rien.         C’est en vous que j’espère. Défendez bien la fille et vous sauvez la mère. Hélas que votre sort n’est-il entre mes mains ! Que ne puis-je extirper ces abus inhumains ! Faut-il longtemps ?...         Eh ! Bien, vous avez vu ma fille. Se rend-elle aux souhaits de toute sa famille ? Est-elle résignée ?         Écoutez-moi, monsieur. Quand le ciel sur vos jours signalant sa faveur, Pour la première fois offrit à vos caresses Le gage heureux et cher de vos pures tendresses, N’avez-vous pas alors promis à votre coeur De chérir cet enfant, de faire son bonheur, D’assurer sous l’abri de votre expérience À son âme, à ses jours la paix et l’innocence ? Il est vrai, c’est aussi...         Répondez seulement. Voulez-vous en effet respecter ce serment ? Le croyez-vous sacré ?         Je le tiendrai sans doute. Eh ! Bien, il n’est plus rien que de vous je redoute. Il suffit qu’à vos yeux brille la vérité. J’annonce au nom du ciel et de l’humanité Qu’on dicte à votre fille en cet instant funeste Des voeux que Dieu réprouve et que son coeur déteste, Et si dans ce dessein vous persistez toujours, Vous mettez en danger son salut et ses jours. Son salut ?         Votre bouche à ce mot se récrie. Vous semblez moins frappé du danger de sa vie. Tous deux pourtant sont chers, tous deux également Dépendent aujourd’hui du même évènement. Ne vous y trompez pas : le temps, le péril presse. Souffrez que l’amitié qui pour vous m’intéresse Retrace à vos regards ce que vous oubliez. C’est votre fille, hélas ! Que vous sacrifiez. Je viens de lui parler : cette âme douce et pure Épanchait ses chagrins sans fiel et sans murmure Et sans vous accuser déplorait son malheur, De toutes les vertus le germe est dans son coeur. Sous les yeux paternels ce germe s’en va croître ; Ah ! Ne l’étouffez pas dans les ennuis du cloître. Pourquoi vous refuser la douceur d’en jouir ? Loin de le cultiver, pourquoi l’ensevelir ? Votre fille en naissant enlevée à son père, Si vous la connaissiez, vous deviendrait plus chère. Elle va devant vous paraître toute en pleurs ; Vous ne soutiendrez point l’aspect de ses douleurs. Elle a pour le couvent une invincible haine ; Et n’imaginez pas que le temps la ramène. Cette horreur est trop forte, et c’est un sentiment Dans le fond de son coeur gravé profondément. Ce zèle qui du monde à jamais nous sépare, Est peut-être du ciel le présent le plus rare. Quand vous verrez ses jours au désespoir livrés, Vous en serez la cause, et vous en gémirez. Il ne sera plus temps.         Je ne saurais comprendre Les soins inopinés qu’ici vous daignez prendre. Je vous avais prié de raffermir un coeur Dont j’ai vu tout à coup s’affaiblir la ferveur, Et non de m’occuper de ses douleurs timides. Il faut entre nous deux des discours plus solides. Il faudrait des raisons...         Des raisons ! Vous pensez Que je puis contre vous n’en pas avoir assez ! Vous ! Ministre des lois, dont l’autorité sainte Annule tous les voeux formés par la contrainte, Organe des arrêts de leur temple émanés, Osez-vous faire ici ce que vous condamnez ? À votre tribunal que tout autre en appelle ; Il trouvera dans vous un magistrat fidèle, Contre l’oppression vous serez son appui, Vous agirez en juge, et jusques aujourd’hui Vous avez soutenu ce caractère auguste, Pour votre fille seule allez vous être injuste ? De tous vos jugements comptable à l’équité, Croyez-vous de ce droit votre sang excepté ? Si les lois ont aux voeux mis un frein salutaire, Croyez-vous donc le ciel moins juste que la terre ? Pensez-vous qu’il reçoive un hommage forcé ? Qu’il bénisse un tribut dont il est offensé ? Eh ! Le voeu le plus libre et le plus volontaire Au dieu qui prévoit tout, peut sembler téméraire ; Peut-être qu’il faudrait que l’homme, le chrétien Demandât tout au ciel, et ne lui promît rien. Dans nos livres sacrés, la céleste vengeance Confond deux fois des voeux la coupable imprudence. Dans Jephté, dans Saül nous la voyons punir Ce souhait orgueilleux d’enchaîner l’avenir. Leur voeu devient un crime, et leur succès un piége. L’un se rend parricide, et l’autre sacrilège. Tant le ciel veut apprendre aux aveugles humains, À ne point prononcer sur leurs propres destins. Ces héros des déserts, ces premiers cénobites Vivaient unis entre eux sous des règles prescrites. Le travail, la prière occupaient leurs instants. Ils étaient des forêts les libres habitants. Libres, ils préféraient leur retraite profonde, Leur cabane rustique aux voluptés du monde, Et rien ne cimentait cette société, Que les liens du zèle et de la piété. Eh ! Bien, qu’à cet exemple on forme des asiles ; Qu’on ouvre, si l’on veut, des demeures tranquilles Au mortel gémissant que le sort a frappé ; Au repentir qui pleure, au vieillard détrompé. Mais loin de nous des voeux la chaîne dangereuse. Tombez, portes de fer, barrière injurieuse ; Et que l’homme épurant son hommage et son coeur, Par l’amour des vertus, s’élève à son auteur. Vous condamnez les voeux, je le vois, et peut-être Ce langage surprend dans la bouche d’un prêtre ; Mais l’église du moins me défend contre vous. L’église ! Je la prends pour arbitre entre nous. Il est, je le confesse, et je dois y souscrire, Des voeux qu’elle autorise, et qu’un pur zèle inspire ; Mais elle veut toujours qu’on soit libre en son choix. Elle veut, quand du cloître on embrasse les lois, Que le ciel, le salut soient nos motifs augustes ; Mais les erreurs du siècle et les projets injustes ! Mais d’une faible enfant se rendre l’oppresseur ; Lui commander des voeux qui lui sont en horreur, Que l’avarice attend, et que la crainte souille ! Offrir son âme à Dieu pour ravir sa dépouille ! Faire entre deux enfants qu’on a reçus des cieux, De l’amour, de la haine un partage odieux ! Grand dieu ! Que de l’orgueil cet horrible édifice S’écroule et disparaisse aux yeux de ta justice ! C’est l’église, monsieur, qui parlerait ainsi : Vous osiez l’attester, et je l’atteste aussi. Craignez de mériter son terrible anathème, Craignez le ciel vengeur, craignez votre coeur même ; Le remords vous attend : soyez père et chrétien. Faites votre devoir, j’ai satisfait au mien. Ce discours menaçant est au moins inutile. Ne me reprochant rien, je dois être tranquille, Monsieur, de ce couvent le sage directeur, Qui conduit Mélanie et connaît bien son coeur, Approuve à son égard ma fermeté sévère. Il veut que l’on combatte une erreur passagère, Et non pas que l’on cède aux premiers mouvements D’une jeunesse aveugle en tous ses sentiments. Il a de son état les moeurs et le langage, Et ne les blâme pas pour avoir l’air d’un sage. Je blâme les excès, je blâme les abus. Il n’est que trop d’esprits lâches et corrompus Qui vivent sans principe et pensent sans courage, Sourds à la vérité, mais soumis à l’usage, Et qui, dans un état lorsqu’ils sont engagés, Au rang de leurs devoirs comptent ses préjugés. Je suis loin d’adopter ce mérite stérile. Ma règle est d’être vrai, mon état d’être utile. Quant au titre de sage en nos jours prodigué, Dénigré par la haine et par l’orgueil brigué, Celui qui le mérite honore la nature. L’ignorance et l’envie en ont fait une injure, L’hypocrite, un forfait, l’honnête homme, un devoir. Je vois que mes discours sont sur vous sans pouvoir, Et que du directeur l’avis et le suffrage, Flattant vos passions, ont sur moi l’avantage. Les formes sont pour vous, je le sais, mais, monsieur, Vous ne séduirez point le ciel ni votre coeur. C’est assez, votre fille attend sa destinée, Vous allez à jamais la rendre infortunée, Vous dédaignez ses pleurs, vous la désespérez. C’est un crime, Monsieur et vous en répondrez, Pesez ces derniers mots.         Ces mots sont un outrage, Et...         Vous vous en direz quelque jour davantage ; Pour vous tirer d’erreur je n’ai rien ménagé, C’est sur notre entretien que vous serez jugé. Adieu, monsieur.         Je vois où l’on veut me conduire. Contre mon fils et moi je vois que tout conspire, C’est un parti formé ; je n’en saurais douter. Nous verrons si sur moi quelqu’un doit l’emporter ; Si d’un zèle offensant l’amertume indiscrète Doit...         Approchez, Madame, et soyez satisfaite. Vous êtes bien servie, il le faut avouer, Et de votre pasteur vous devez vous louer. Il signale pour vous l’amitié la plus vive, Il a tout employé jusques à l’invective, Je dois tout à vos soins et je les reconnais ! Et vous allez en voir la suite et le succès. Ma volonté, ma fille, est assez annoncée. La moitié de ce jour n’est pas encor passée, Il vous reste un moment, il faut en profiter ; Pour recueillir vos sens et pour les surmonter. Pour soumettre à la voix d’un dieu qui vous appelle, Ce coeur qui fut longtemps et docile et fidèle. S’il a cessé de l’être et semble chanceler, Moi, je ne change point, rien ne peut m’ébranler. Vous-même avez choisi cette sainte demeure, Et pour vous y fixer, le ciel a marqué l’heure, Vous devez désormais y borner tous vos voeux. Je conçois quel dessein vous amène en ces lieux. Malgré tous vos efforts rien n’a changé de face, Vous pouvez à l’église aller prendre une place. Monval !... Ma mère !         Hélas ! Ma fille ! Tu gémis ! Madame... Et c’est donc là ce que l’on m’a promis ? Mon père, votre voix m’accable et m’épouvante, Pardonnez... devant vous vous me voyez tremblante, Votre ton, vos discours m’inspirent plus d’effroi, Que ces voeux si cruels qu’on exige de moi. Je vois trop qu’à vos yeux je suis une étrangère, Ce coeur qui m’est fermé, ne s’ouvre qu’à mon frère. Qu’il me soit préféré, je ne demande rien, Ma dépouille est à lui, donnez lui tout mon bien, Qu’il soit, puisqu’on le veut, l’espoir de sa famille ; Mais pourquoi loin de vous exiler votre fille ? Des droits de ma naissance, à mon frère transmis, Qu’un seul me reste au moins, et qu’il me soit permis D’habiter près de vous le toit où je suis née. Pourquoi de mes parents serais-je abandonnée ? Je n’ai jusqu’ici que trop vécu loin d’eux, Hélas ! De tous mes maux le principe odieux, C’est cet éloignement qui depuis ma naissance, À vos yeux, à vos soins déroba mon enfance. Votre sang aujourd’hui ne peut plus vous toucher. Faut-il que de vos bras on ait pû m’arracher ? Faut-il que cette absence et si longue et si dure, Ait effacé les traits qu’imprime la nature ! Que ma voix, que mes pleurs les rappellent en vous. Ô ! Mon père ! Mon père ! ... eh ! Quoi ! Ce nom si doux, Pour moi seule à jamais doit-il être terrible ? Au cri de ma douleur êtes-vous insensible ? ... J’embrasse vos genoux... ne m’en repoussez pas. Recevez-moi chez vous : daignez, daignez hélas ! Ne point y rebuter les soins de ma tendresse ; Que ma mère avec vous les partage sans cesse, Eh ! Vos yeux à me voir pourront s’accoutumer ; Vous pourrez me souffrir ; et peut-être m’aimer ; Oui, m’aimer... Est-ce donc un effort pour un père ? Levez-vous. En tout temps vous m’avez été chère, Vous pourrez adoucir ce chagrin passager ; Mais mon sort tient au vôtre, et ne peut plus changer, Calmez-vous et cessez de vouloir l’impossible. Monval;     Ah ! Barbare !...         À ce point vous seriez inflexible : Ses larmes, sa candeur n’ont pu vous émouvoir ! Vous voulez la réduire au dernier désespoir ! Eh, pourquoi donc, monsieur, prenez-vous sa défense ? Quels titres avez-vous ? ...         Tous ceux de l’innocence, Tous ceux de la justice et de l’humanité. N’affectez point ici de générosité, Je sais quel intérêt vous parle et vous anime. J’oserai l’avouer, oui, ce n’est point un crime, Oui, je l’aime, monsieur, je le dois, je le veux, Je suis sûr de sentir un penchant vertueux, J’avais su le contraindre, et malgré ma tendresse. J’ai toujours respecté son état, sa jeunesse, Je le déclare à vous qui croyez m’imposer, Qui croyez à la fois répondre et m’accuser, Je le dis au moment de perdre ce que j’aime ; Mais je parle pour elle et non pas pour moi même. Je ne suis rien ici qu’un témoin étranger, Qu’un homme, et c’est assez, monsieur, pour vous juger ; C’est assez pour vous dire au nom de la nature, Que vous abusez trop d’une autorité dure, Que vous êtes armé d’une injuste rigueur. Et quel droit avez vous d’ordonner son malheur ? Nul être, quel qu’il soit, n’a ce droit sur un autre ; Ce droit, fût-il fondé, doit-il être le vôtre ? Et contre votre sang devez vous l’exercer ? Si c’était votre fils, l’oseriez vous forcer À fléchir malgré lui sous le joug monastique ? Il braverait bientôt une puissance inique, Il fuirait loin de vous, réclamerait les lois. Mais ce sexe est sans force, on étouffe sa voix, On l’opprime sans crainte... Ah ! L’innocence aimable, Pour être désarmée, en est plus respectable, Les larmes du malheur sont un objet sacré. Si ce sexe en nos mains sans secours est livré, La nature dans nous préparant sa défense, Prit soin de lui donner contre la violence Ce qui de tous les coeurs fléchit la dureté, Ce qui désarme tout, les pleurs et la beauté. Vous seul y résistez.         Quoi ! Jeune téméraire, Vous osez m’insulter ! Vous outragez un père ! Un père ! Vous ! Soyez-le et je tombe à vos pieds, Non, vous ne l’êtes pas.         Monval, vous oubliez... Vous l’arrêtez trop tard, il n’est plus tems, madame. Vous avez enhardi son audace et sa flamme, Vous voyez les affronts qu’il me faut supporter. C’en est trop, à vous seul il faut les imputer, Êtes-vous étonné d’essuyer des murmures, De voir gémir nos coeurs et saigner nos blessures ? Défendez-vous la plainte en nous immolant tous ? En ai-je assez souffert ? ... je ne m’en prends qu’à vous, Mélanie, il est tems d’apaiser ma colère, Craignez-en les effets : j’ordonne, je suis père, Je veux qu’on m’obéisse et sans plus différer. Si vous n’y consentez, il faut nous séparer, Madame, je renonce à la mère, à la fille, Et je romps pour jamais avec votre famille. J’attendais plus d’égards et de soumission. Vous seule aurez causé notre désunion, Ma fille, vous aurez allumé nos querelles. La malédiction suit les enfants rebelles, Et la mienne à la fin pourrait tomber sur vous, Craignez ce dernier trait de mon juste courroux. Craignez...         Qu’entends-je ? Ô ! Ciel ! Ah ! Ce comble d’injure De mon coeur révolté fait sortir la nature. Le vôtre dès longtemps avait su la bannir, Et j’apprends de vous seul à ne la plus sentir. Vous en avez détruit jusqu’à la moindre trace, Un affreux désespoir en mon sein la remplace, Vous osez insulter à mes sens effrayés ! Vous menacez encor, quand je meurs à vos pieds ! Et qu’ajouteriez-vous aux maux que vous me faites ? Je puis vous défier, tout cruel que vous êtes. Si je peux vous haïr, qu’ai-je à craindre de plus ? Mes jours étaient maudits quand je les ai reçus, La malédiction a tonné sur ma tête, À l’instant où ma mère...         Ô ! Mélanie, arrête. N’achève pas...         Non... Non... Je ne me connais plus. Je cède à des transports qui m’étaient inconnus. Vous ! Oser attester le ciel qui vous condamne ! Qui ! Vous ! De son courroux vous vous croyez l’organe, En joignant l’injustice à l’inhumanité ! Ah ! Vous-même tremblez que ce cri redouté Qu’élève vers les cieux d’une voix désolée Sous les pieds des tyrans l’innocence foulée, Ce cri qu’un dieu vengeur n’a jamais repoussé, Ne sorte de mon âme et ne soit exaucé. Ma fille ! ...         Qu’ai-je dit ! Je m’emporte... ma mère ! Cet assaut douloureux, soutenu contre un père, Vient d’épuiser ma force... elle succombe... hélas ! Si je pouvais mourir ! ... recevez dans vos bras... Je me meurs.         Ciel ! Ô ! Ciel ! Je tremble pour sa vie. Ah ! Ma fille ! Ah ! Monval !         Malheureux ! ... Mélanie ! ... Elle ne m’entend plus... du secours... venez tous. Non, arrêtez, monsieur ; il suffira de nous. Voulez-vous donc ici répandre l’épouvante ? Et qu’importe grand dieu ! Mélanie est mourante ; Et je cours...         Non, Monval ; elle r’ouvre les yeux. Elle reprend ses sens. Ma fille ! ...         Où suis-je ? Ô ! Cieux ! Que vois-je ?         Regardez ces objets lamentables ; Regardez... quoi ! Vos yeux, vos yeux impitoyables Soutiennent froidement cet horrible tableau ! Vous êtes un tyran ; vous êtes un bourreau. Sortez d’ici, monsieur : la fureur vous égare. Vous me ferez raison...         Ah ! D’un pouvoir barbare Elle peut après tout braver les cruautés. Elle peut s’affranchir...         Cher Monval, écoutez... Rien ne me retient plus : mon sang bout dans mes veines. Va, tu peux te soustraire à des lois inhumaines, Ô ! Chère infortunée ! Écoute ton amant. Ne crois rien que l’amour dans un pareil moment. Crois que dans l’univers il n’est point de puissance Qui jamais contre toi porte la violence Jusques à t’arracher d’involontaires voeux. Le courage suffit pour nous sauver tous deux. Approche sans trembler de l’autel qu’on prépare, Et loin de prononcer ce serment si barbare Que Dieu rejetterait, que dément notre amour, Atteste l’éternel présent dans ce séjour, Prends-le, dis-je, à témoin contre la tyrannie, Et si j’ai quelque droit sur ton coeur, sur ta vie, Ajoute, il en est tems, que des feux mutuels Nous enchaînent tous deux par des noeuds immortels ; Qu’on impose à ton âme un effort impossible ; Tout ce qui sut aimer, tout ce qui fut sensible, Doit en notre faveur s’émouvoir à la fois ; Moi pour te seconder j’élèverai ma voix, Je volerai vers toi sans craindre aucun obstacle. Tes larmes, nos malheurs et ce touchant spectacle, Nos cris et nos transports, la sainteté du lieu, Et ce nom si sacré dans le temple d’un dieu, L’humanité, voilà ce qui doit nous défendre ; Père injuste, voilà ce que j’ose entreprendre. Croyez que de ces lieux rien ne peut m’arracher. Je dirai ce qu’en vain vous voudriez cacher, Ce qui n’a point ému votre coeur implacable. Je la retracerai cette scène effroyable, Votre fille expirante et votre épouse en pleurs, Votre épouse à vos yeux contraignant ses douleurs, Que vous faites mourir par de lentes atteintes, Que vous assassinez en étouffant ses plaintes ; J’attendrirai les coeurs, je les remplirai tous D’horreur pour un barbare et de pitié pour nous. D’un vieillard désarmé vous bravez la faiblesse. Mais j’ai du moins un fils et sa main vengeresse... Qui ! Lui ! De vos fureurs le complice odieux ! Melcour ! Malheur à lui s’il s’offrait à mes yeux. Que dites-vous ! Monval ! Quelle fougue imprudente ! ... Ne craignez point, madâme, une audace impuissante. On peut la réprimer. Suivez-moi toutes deux. Et moi jusques au bout je vous suis dans ces lieux. Dans mes justes desseins s’il faut que je succombe, Sous l’autel où je cours puisse s’ouvrir ma tombe. Que ce temple fatal où l’on nous attend tous, S’écroule sur ma tête et m’écrase avec vous. Il suffit ; nous verrons ce que vous pourrez faire. Tant de témérité recevra son salaire. Allons.         Ô ! Mélanie !... On me l’arrache !... Ô ! Cieux ! Du moins vengez mes maux ; ils seront moins affreux. Pour la dernière fois il consent à m’entendre. Que sert cet entretien ? Que puis-je encore attendre ? Il a pris son parti. Je dois prendre le mien. Un père ! Quoi ! Son sang ! Quoi ! Je n’obtiendrai rien ! Ainsi l’on foule aux pieds la faiblesse éplorée ! Ah ! D’indignation mon âme est pénétrée ; Mon âme se soulève. Ô ! Monval ! C’est en toi Que j’ai cru voir un coeur qui sentit comme moi. Le mien t’appelle en vain... quelle est mon espérance ? ... Avec quelle chaleur il a pris ma défense ! Quel feu dans ses discours ! Et que mon coeur saisi S’applaudissait tout bas d’avoir si bien choisi ! Hélas ! Ce transport même à tous deux est contraire. Monval est à jamais l’ennemi de mon père. On ne pardonne point à qui nous fait rougir ; Et d’après ses conseils quand j’oserais agir, Quel en serait l’effet ? ... non, jamais Mélanie Au sort de son amant ne peut se voir unie. Que dis-je ? On veut armer mon frère contre lui ; Mon père réclamait un vengeur, un appui. Quelle horreur se répand sur ma famille entière ! Mon frère est exposé, je désole ma mère. Je perds ce que j’adore ! Il faut se décider. Mon père me méprise et croit m’intimider. Il ne voit rien en moi qu’une esclave tremblante ; Il verra si j’ai l’âme intrépide et constante. Je le vois ; la retraite et la réflexion, D’un sentiment contraint la longue impression, Donne aux sens recueillis un courage tranquille. Allons, pour Mélanie il n’est qu’un seul asile. Il est tems d’y courir. On nous dit qu’autrefois, La vierge de Vesta que condamnaient les lois, Calmant par son trépas la publique épouvante, Vers la tombe entraînée y descendait vivante. De cette horrible mort qui fait frémir les sens, Peu d’heures après tout achevaient les tourments. Mais alors qu’une fois on a courbé sa tête Sous le voile effrayant que pour moi l’on apprête, Lorsque l’on a promis d’oublier les vivants, La tombe se referme et l’on y meurt longtemps. Quel sort ! Et toi Monval, hélas ! Sans Mélanie, (Si je connais ton coeur) souffriras-tu la vie ? Je l’abhorre sans toi : l’on vient. Il faut parler. Son aspect malgré moi me fait toujours trembler. Vous m’avez demandé : qu’avez-vous à me dire ? J’ai cru que le devoir reprenait son empire, Que vous alliez enfin obéir à ma voix. J’ai voulu vous redire une seconde fois Que le joug du couvent à mes yeux est horrible ; Que la mort - oui, la mort - me semble moins terrible ; Que s’il faut à ce joug que mon sort soit livré, On peut attendre tout d’un coeur désespéré ; Que de ce désespoir qui de tout est capable, D’avance devant Dieu je vous rends responsable. Allez, quand vous aurez rempli sa volonté, Lui-même il bénira votre docilité. Lui-même il vous rendra le calme et le courage. Le courage ! J’en ai, J’en saurai faire usage. Je n’ajoute qu’un mot : si vous étiez certain Que l’heure où dans le temple un serment inhumain Aurait à ce couvent enchaîné ma misère, De mes jours dévoués serait l’heure dernière. Si vous en étiez sûr, pourriez-vous le vouloir ? On ne meurt point, ma fille, et l’on fait son devoir. Eh ! Bien, je le ferai, souffrez que je vous quitte. Je sens qu’il faut encore au trouble qui m’agite, Un moment de repos dans ces lieux retirés ; vous allez voir bientôt ce que vous désirez. Un aussi long combat devient enfin pénible. Plus que je ne pensais, ce jour paraît terrible. Ce n’est pas sans effort que mon coeur s’affermit. Ici, de tous côtés on m’accuse, on gémit. D’un jeune audacieux j’endure les outrages ; Ne pourrai-je à la fin apaiser tant d’orages ? Et d’où vient que j’éprouve un serrement de coeur, Cet effroi que produit l’approche du malheur ? Courez, monsieur, courez ; on les a vus ensemble. Votre fils et D’Orcé sont aux mains. Ciel ! Je tremble.         Ils se sont rencontrés assez près de ces lieux. Peut-être il n’est plus tems... Allez, volez.         Ô ! Cieux ! Que de maux à la fois ! Ma fille ! Que fait-elle ? Non, l’on ne verra point cette pompe cruelle. L’enfer la préparait, et ces tristes apprêts Vont peut-être aujourd’hui finir par des forfaits. Que ce coeur maternel rassemble de souffrances ! Mes enfants ! Mes enfants ! Je me meurs dans les transes. Je la vois.         Mon aspect semble t’épouvanter. Voilà le seul moment que j’ai dû redouter. Quels adieux ! Je croyais trouver ici...         Ton père ! Mon père ! Dites-vous ? Non, votre époux, ma mère, Votre ennemi, le mien, mon barbare oppresseur. Tous mes noeuds sont rompus en ce moment d’horreur. On le commande, on veut que je m’ensevelisse ! J’obéis.         Que dis-tu ? Suis-je donc leur complice ? Vous êtes leur victime hélas ! Ainsi que moi. Je vous connais ; je sais tout ce que je vous dois. C’est là mon seul regret.         Tu ne sais pas encore Jusqu’où vont mes malheurs ! Mais non, non, qu’elle ignore Les désastres nouveaux qui nous menacent tous, Elle me plaindrait trop...         De quoi me parlez-vous ? Pourriez-vous m’annoncer quelque nouveau supplice ? L’adieu que je vous dis finit mon sacrifice. Il est d’autres adieux où je n’ose penser Si j’avais pu pourtant ! Il y faut renoncer. Parlez-lui quelque fois, parlez de Mélanie. Ce n’est que pour vous deux que j’eusse aimé la vie. Qu’il apprenne de vous à quel point je l’aimais ! De cette bouche hélas ! Il ne l’apprit jamais. Vous le savez trop bien. Dieu ! Quel sort est le nôtre ! Allons, il faut, il faut nous quitter l’un et l’autre. Non, je viendrai toujours partager ta douleur. On ne t’ôtera point de mes bras, de mon coeur. Tu me verras toujours, fille innocente et chère. Ne veux-tu plus me voir ?         Jamais, jamais, ma mère. Ma mère, cet adieu, vous ne l’entendez pas. Tu me glaces d’effroi... Que veux-tu dire hélas ! Pourquoi me présenter cette funeste idée ? De quel sombre transport tu sembles possédée ! Oses-tu m’annoncer cet entier abandon ? Et quoi ! Ta mère aussi ne te verrait plus ?         Non. On n’a plus de parents dans ma froide demeure. Il en est que j’abhorre, il en est que je pleure, Vivez du moins, vivez, plus heureuse que moi. Heureuse ! Quand tu veux me séparer de toi ! Ciel ! Je perds un enfant, et je tremble pour l’autre : On ne vient point encor.         Mais quel trouble est le vôtre : Vous détournez de moi vos regards et vos pas ? Il n’est plus temps de craindre, et qu’avez-vous ?         Hélas ! Je ne puis résister à mon inquiétude. De ce double tourment le poids devient trop rude. Je vois ton front pâlir et tes traits s’altérer ! Ciel ! Ô ! Ciel, de quel feu je me sens dévorer ! Toute ma fermeté cède au mal qui me tue, J’espérais dérober ma mort à votre vue... Que celui qui la cause en serait seul témoin. Le poison...     Dieu ! Je cours...         Non, demeurez. Ce soin Ne me sauverait pas, il n’est plus de remède. Il n’en est plus.         Venez, ah ! Venez à mon aide. Ah ! Monsieur !         Ah ! Madame, on ne les trouve pas. Vainement j’ai cherché la trace de leurs pas. Mes amis avec moi partageant mes alarmes, Courent de tous côtés... je vois couler vos larmes. Apprenez, apprenez un malheur plus certain, Que vous avez causé, que j’ai prédit en vain. Votre fille est mourante, elle est empoisonnée. Ciel ! Ma fille !         Oh ! Monsieur ! Oh ! Mère infortunée ! Je n’ose vous parler, je respecte vos pleurs. C’est le ciel qui vous frappe, offrez-lui vos douleurs. Que je vous plains tous deux.         Plaignez-nous davantage. Regardez nos malheurs, regardez son ouvrage. Elle meurt, elle touche à ses derniers instants. Ma fille ! Le poison a coulé dans ses flancs. Vous me faites frémir, et ce coup est horrible. Faut-il vous en porter un autre aussi sensible ? Pourrai-je vous apprendre...         Ah ! Je n’ai plus de fils. Hélas ! Il est trop vrai.         Grand dieu ! Tu me punis ! Monval cherchait Melcour, et que sais-je ? Peut-être De ses premiers transports il n’eut pas été maître. Il voit leur choc de loin, il court les séparer ; Mais il est arrivé pour le voir expirer. Je perds tout.         Ah ! Quels maux accablent votre vie ! Le ciel a trop vengé les pleurs de Mélanie. J’ai voulu vainement...     Ô ! Monval !         Quelle voix ! Elle m’appelle encor !... Ah ! Qu’est-ce que je vois ? Ton amante qui meurt pour te rester fidèle. Je vivais pour t’aimer. Ma mort est moins cruelle, Puisque je puis du moins, justifiant ton choix, T’avouer mon amour pour la première fois. Tu m’aimes et tu meurs ! Ô ! Mélanie ! Ô ! Rage ! Un breuvage mortel m’arrache à l’esclavage, Du jour où je t’ai vu, je jurai d’être à toi, L’amour à tous les deux dicta la même loi, Ma mère y souscrivait, si le ciel en colère Ne m’eut fait rencontrer un tyran dans un père, Il versa dans mon sein le poison des douleurs, Plus cruel mille fois que celui dont je meurs, Cet homme injuste et dur accabla Mélanie Du pouvoir qu’il reçut pour protéger ma vie. Il vit mon désespoir avec tranquillité, La nature en son coeur n’a jamais habité. La mort est dans le mien, des serpents le déchirent. Ô ! Vous, que mes malheurs à ce spectacle attirent, Et vous qui ressentiez les feux dont j’ai brûlé, Qui dormez sous ce marbre où mes pleurs ont coulé, Levez-vous à ma voix, victimes malheureuses. Levez-vous, entendez mes plaintes douloureuses, Accablez avec moi l’oppresseur abhorré, Dont je n’ai pu fléchir le coeur dénaturé. Dieu ! Que le dernier cri de sa fille expirante, Retentisse à jamais dans son âme tremblante, Et s’il t’ose implorer au jour de son trépas, Rejette sa prière et ne pardonne pas. Ô ! Ma fille ! Abjurez ces sentiments coupables. Dieu ! Dieu ! N’entendez pas ces souhaits exécrables, Le désespoir, la mort ont exhalé ces voeux, Tout mon coeur les dément, pardonnez, justes cieux ! Pardonnez à mon père aussi bien qu’à moi-même, Cher Monval, cher amant, toi que j’aimai... que j’aime... Vous qui m’avez rendu des soins si généreux ! Et vous, ma mère, vous, venez fermer mes yeux, Venez, ces yeux éteints vous distinguent à peine, Que mon dernier soupir ne soit point pour la haine Qu’il soit pour la nature hélas ! Et pour l’amour ! Serrez-moi dans vos bras, Monval, c’est sans retour ! Cher Monval.         Non, attends, que rien ne nous sépare... Elle n’est plus ! Eh ! Bien, es-tu content, barbare ? Tigre, d’un tel objet viens te rassasier ; Contemple tous tes coups, et jouis du dernier. Arrêtez ! Ah ! C’est trop multiplier les crimes, Ce jour infortuné compte assez de victimes. D’un repentir tardif je vous vois déchiré. Dieu vengeur ! À quel prix vous m’avez éclairé !