Il vient de m’échapper, je ne sais où le prendre ; On ne peut l’habiller. Ah ! quel homme étonnant ! Le tonnerre est moins prompt, un volcan, moins bouillant ; Mais taisons-nous, je crois l’entendre. Ces marauds-là ne finissent jamais ! Votre épée.     Abrégeons.     Votre mouchoir.         Achève. Auprès de vous on n’a ni paix ni trêve : Il faudrait quatre bras...     Mon chocolat.         J’y vais. Il est tard : et Julie ou doucement sommeille, Ou devant son miroir s’occupe gravement, Moi seul dans cet hôtel je veille : Lafleur, Lafleur.     Monsieur, monsieur.         Il dort aussi. Viendras-tu ?     Dans l’instant.     Si tu ne viens...         Je vole. Maraud.     Ah ! Patience !     Insolent.         Grand merci. Nous allons voir, sur ma parole. Je faisais votre chocolat. Je vous l’ai dit cent fois, je ne veux point attendre. Il faut donc tout briser.         Eh ! vous n’êtes qu’un fat ! Il est brûlant ; je ne saurais le prendre. Hier il était froid : on ne peut vous comprendre. Encore ; apprenez à servir. Avec un peu de patience Il aurait pu se refroidir. Quelle heure est-il ?         Mais, neuf heures, je pense, Vous pensez comme un sot : il doit être midi. Le soleil aura tort. Pour en être éclairci, Regardez votre montre. Eh bien ! Lorsque j’avance... Quelle montre, morbleu, qui retarde toujours ! Mais vous pouvez hâter son cours : Mettez-la sur midi.         Demandez chez Julie Si je peux y monter.     À présent ?         Quel discours ! Mais elle dort, je le parie. Que l’on t’annonce de ma part. Hier, elle se coucha tard. Tant pis.         Osez-vous bien d’une veuve si belle Troubler le doux sommeil ?         Comment, logé chez elle, Je n’aurai pas le droit de lui parler ? C’est bien le moins ; et je cours l’éveiller. Mon plan est arrêté. Ce soir, oui, ce soir même, Si vous m’aimez autant que je vous aime, Il faut, Madame, enchaîner votre coeur Des noeuds d’hymen et du bonheur. Chaque jour semble un siècle à mon âme sensible ; Et trop longtemps j’ai différé. Elle n’est pas encore visible. Visible ou non, je la verrai. Trop heureux qui pourra le gagner de vitesse ! Chacun a ses défauts : tel est le coeur humain. Moi, n’ai-je pas les miens ? D’abord, j’aime le vin : C’est qu’il est bon. Le jeu m’occupe, m’intéresse ; Mais tout homme d’esprit doit fuir L’oisiveté. De plus, je ne hais pas les femmes : Mais c’est un beau défaut, celui des grandes âmes. On ne saurait la voir, et le jour va finir. Elle m’ordonne de l’attendre. De l’attendre ! Ah ! C’est trop souffrir. Une autre fois, sans doute....         Y peut-on rien comprendre ? Une Belle, vraiment, n’est pas toujours d’humeur.... Si vous dites un mot....         Je me tairai, Monsieur. Elle est à sa toilette, et là, dans son ivresse, Oubliant l’univers et le temps qui nous presse, Elle sourit à sa beauté. Pauvres amants ! Avec quelle facilité Ce sexe vous abuse ! Il s’abuse lui-même : Et dupe de son propre coeur, Il croit aimer l’amant, ce n’est que soi qu’il aime. Mais enfin, dès ce jour, j’assure mon bonheur. As-tu vu mon futur beau-père ? Parle donc.     Oui, Monsieur.         De belle humeur, j’espère ? Non, Monsieur.         Son procès le tourmente déjà. Oui, Monsieur.         Mais, pour moi crois-tu qu’il s’humanise ? Eh !...     Quoi ?     Mais...         Parle donc. Le traître se taira. Monsieur, excusez ma franchise, On ne peut, à la fois, et se taire et parler. Moi, je le veux, réponds.         Pour ne vous rien celer, Monsieur Borchamp.... Mais, puis-je être sincère ? Oui, oui.     Monsieur Borchamp... je crains....         Parle, ou je vais.... Vous n’avez pas le talent de lui plaire. Le ciel vous refusa, parmi tant de bienfaits, Cet air tranquille et doux qui flatte, nous attire.... Il ne sait ce qu’il dit.         Ma foi, je m’en doutais. Mais j’aperçois Julie.         À la fin, je respire. Je brûlais de vous voir, et loin de vos attraits Je m’abandonne à la tristesse. Pour vous que nul souci ne presse, Vous coulez vos beaux jours dans le sein de la paix. Mais, d’où vient cette humeur ? Qu’avez-vous qui vous blesse ? Voulez-vous exiger ?...         Un amour plus ardent. Vous connaissez mon coeur ; vous avez lu souvent... Ah ! Votre coeur, calme dans sa tendresse, Avec art chaque jour prolonge mon tourment. Oui, j’aurais dû, sans consulter personne, Vous épouser dès le premier instant. Que je vous ai connu.         Cela serait charmant. Vous seriez toute à moi : ce ciel qui m’environne Me semblerait plus pur ; je vous verrais toujours : Vous m’aimeriez alors, me le diriez peut-être ; Et chaque jour que je verrais renaître ; Me paraîtrait le plus beau de mes jours. Si vous m’aimez, si vos discours.... Si je vous aime, hélas ! Mon âme trop sensible Reconnut son vainqueur en voyant vos attraits. Séduit d’abord par un charme invincible, Je ne vis plus que vous, je brûlais, j’adorais ; Je répétais le doux nom de Julie, Et cherchais dans vos yeux mon bonheur et ma vie. Trop malheureux depuis ce jour, Votre absence, l’espoir, le doute, tout m’agite : Dans la nuit, le sommeil m’évite ; Ou, trente fois, éveillé par l’amour, Je me lève pour voir l’aurore D’un jour qui ne paraît jamais. Vainement le sommeil ferme mes yeux encore, Je ne rêve qu’à vos attraits. Voilà mon coeur, et voilà comme on aime. Mais en tout vous êtes extrême. Je ne puis vous dissimuler.... Ah ! Permettez-moi de parler Très volontiers.         Pourquoi briser mon âme ? Pourquoi, si vous m’aimez, reculer sans pitié Le terme de mes voeux, le bonheur de ma flamme ? Je vous l’ai dit.     Eh ! Quoi ?         Cultivez l’amitié, Les bontés de mon père ; obtenez son suffrage : Alors peut-être je m’engage... Et dans un siècle je verrai L’hymen couronner ma constance. Le temps dépend de vous ; soyez plus modéré : Réprimez cette impatience... Je veux me corriger, m’attacher votre coeur, Et mériter de vous un regard d’indulgence. Mais un terme si court borne notre existence, Et je suis dévoré d’une si vive ardeur. Eh ! De grâce, que puis-je faire ? Fixer l’instant de mon bonheur. Terminer.     Quand ?     Ce soir.         Sans l’aveu de mon père ? Son père !... Avoir toujours un père à m’opposer !... Et vous vous modérez ?         Oui, oui, je me modère. Mais cependant on ne peut m’abuser. N’êtes-vous pas veuve ?     Oui.         Depuis plus d’une année ? Par conséquent libre de m’épouser ? Non. Car je jure ici, telle est ma destinée, De renoncer aux plus tendres amours, D’abjurer à jamais les noeuds de l’hyménée, Si je n’obtiens l’aveu de l’auteur de mes jours. Eh bien ! Adieu, Madame.         Où courez-vous ?         Je cours.. Chercher une âme plus sensible. Allez, Monsieur : non, il n’est pas possible Que jamais la raison....         Rien ne peut l’excuser. Quoi sitôt ?         Oui, je reste ; et pour vous épouser. Malgré moi ?     Nous verrons. Je veux....         Votre folie Me fait pitié. Pardon : je suis si malheureux : je demande à vos pieds le bonheur de ma vie. Soyez plus raisonnable.         Oui, ma chère Julie. Et mon père bientôt pourra combler vos voeux. Aujourd’hui ?         Non. Son procès le tourmente ; Et lui parler d’hymen dans ces moments, c’est le contrarier, c’est mal prendre son temps : Mais vous pouvez, dit-il, et cet espoir m’enchante, Lui rendre un bon office, et hâter son succès. Moi ? Quel bonheur ! Quoi je pourrais... J’ai répondu de vous...         Oui, oui, soyez tranquille. Et du zèle...         N’en doutez pas ; Et je vais remuer et la Cour et la Ville ; Visiter juges, avocats. Adieu, Madame.         Où portez-vous vos pas ? Je vais chez mes amis, chez le Comte d’Ermonde, Chez le Marquis d’Alban ; je verrai tout le monde. Et que leur direz-vous ?         De presser, de hâter.... Connaissez-vous le fond de cette affaire ? Mais à-peu-près.         Voyez, interrogez mon père ; Il vous en instruira ; mais daignez l’écouter. Songez, songez surtout à plaire. Oh ! je plairai, Madame, et comptez là-dessus. Dans ses discours il est parfois diffus ; Mais il faut respecter son âge et sa manie. Je sais ce que je dois au père de Julie. Il vient, je crois. Je vous laisse avec lui. Rappelez-vous.....         Écartez tout souci. Reposez-vous sur ma prudence. J’y compte.         Enfin je sens renaître l’espérance : Son père va venir ; il me tarde déjà Qu’il m’ait en quatre mots expliqué tout cela. Alors, au gré de mon impatience, Je sors, je vais dans tout Paris, Je fais agir tous mes amis ; J’assure son succès ; et ce soir, ce soir même, Mon beau père enchanté m’accorde ce que j’aime. Bon le voici.         Monsieur, serai-je assez heureux, Pour vous rendre un léger service Dans ce procès fastidieux Qu’osent vous intenter la fraude et l’avarice ? Oui, le sort qui m’opprime....         Ah ! J’en suis enchanté. On m’assure, et j’en suis flatté.... Et je n’épargnerai ni mes pas ni ma peine. On m’a dit aujourd’hui comme chose certaine, Que votre oncle, le Président, Est lié très intimement Avec mon Rapporteur, Monsieur de Lauvamaine. Ils sont amis d’enfance, il pourra vous servir, Et d’avance je goûte un sensible plaisir. Je vais donc m’étayer de votre complaisance, Et vous conter de point en point exactement, L’histoire du procès, du jour de sa naissance. On peut sur les détails passer rapidement. Auriez-vous quelque affaire ?         Un long récit, je pense, Peut vous fatiguer.         Non, ma poitrine est de fer. Tant pis, morbleu !         Mais le temps nous est cher : Asseyons-nous.     Souffrez...         Ah ! Point de résistance. Je ne parle qu’assis.     Soit, asseyons-nous         Bon. Vous connaissez la Comtesse d’Érolle ? Depuis cent ans.         Cette femme frivole, Qui veut parler, c’est-là sa passion ; Cite tous les Auteurs dont elle sait le nom, Et jamais n’écoutant personne, Bavarde le matin, et le soir déraisonne. Laissons les portraits.         Soit. Au décès du Baron, La Comtesse hérita de la terre d’Alienne ; Elle est, pour mon malheur, contiguë à la mienne. Dès ce moment fatal survinrent les procès, Et tout ce que l’enfer put inventer jamais Pour agiter le repos de la terre. Mais avec ce Baron, objet de mes regrets, Uni par les doux noeuds d’une amitié sincère.... Fort bien.     Vous souvient-il encore de lui ?         Ma foi.. C’était....     Un petit homme.         Il était, au contraire, Plus grand que vous, au moins....         De trois pieds, je le crois. Je le trouvais diffus ; certes, c’était dommage : Mais quand sa tête s’échauffait, Il commençait cent contes, s’égarait, Et se perdait dans un long verbiage. De ses récits il m’excédait souvent ; Mais je le supportais en ami complaisant. Quoi, vous le supportiez ? Ah ! Monsieur quel courage ! Peut-être vous auriez été moins indulgent ? Mais revenons, je vous conjure, A ce procès qui vous amène ici. Il m’a causé, je vous l’assure, Jusqu’à présent bien du souci. Et moi, Monsieur, j’en ai ma part aussi. Vous êtes trop honnête. Or écoutez.         J’écoute. Certain papier que l’esprit infernal, Pour mes péchés, a déterré sans doute, De la discorde a donné le signal. J’ai voulu transiger : en homme raisonnable, Je lui fis proposer, encore l’autre jour, Par son cousin, le Marquis de Frémour, Homme d’esprit, d’un caractère affable, Mais entre nous trop pétulant, Trop vif, et vous donnant au diable, Lorsqu’il est obligé d’écouter un moment. Il veut qu’on aille au fait ; j’aime assez sa méthode. Sans doute. Cependant, de peur d’être incommode, Il faut savoir....         Mais brisons là-dessus. Je lui fis proposer....         En homme raisonnable ? De terminer à l’amiable. Le croiriez-vous à mes soins furent perdus. Elle me refusa.         Cette femme est damnable ! Tout serait arrangé ; quelle félicité ! Nous n’en parlerions plus.         Vous connaissez les femmes ? Oui, vraiment.         Leur humeur et leur mobilité ? Il est trop vrai, ce sont des âmes... Mais discutons avec tranquillité Sans perdre notre temps à médire des femmes. J’en étais donc à ce papier fatal... Oui, déterré par l’esprit infernal. Or donc, son Procureur, homme plein d’artifice... Qu’avez-vous ?         Rien. Continuez toujours. Personne, hélas ne vient à mon secours ! Loup dévorant, dont l’avarice S’engraisse de procès, et qui sous un air doux Cache un franc scélérat qu’il faudra que j’assomme. Fort bien. Mais pourquoi voulez-vous Qu’un Procureur soit honnête homme ? Pourquoi ?     Quant au procès ?         Mon procès et mes droits.... Sont embrouillés ?         Non, non, ma cause est claire : Il s’agit entre nous du partage d’un bois. Eh ! Faites-le couper pour terminer l’affaire. Parbleu ! Je m’en garderais bien. Me croyez-vous donc en démence ? Pour vous servir j’imagine un moyen. Est-ce quelqu’autre extravagance ? Je vous présenterai chez mon oncle aujourd’hui ? Vous le verrez, lui parlerez vous-même ; Et j’aurai le bonheur d’obliger un ami, Un véritable ami que j’honore, que j’aime. Fort bien, Monsieur ; j’adopte ce plan-là. Je vais chercher là-haut des papiers d’importance : Vous voulez bien m’attendre ?         Oh, tant qu’il vous plaira. Je viens dans le moment.         Qu’il faut de patience ! Au diable et plaideurs et procès ! J’avais mille et mille projets. Mon Notaire, je crois, connaît cette Comtesse : J’y veux aller. Je bénirai les cieux, Si de Borchamp prévenant tous les voeux, J’arrangeais un procès fâcheux pour sa vieillesse. Que le temps aujourd’hui se traîne lentement ! Lafleur.     J’accours.         Demandez ? Borchamp.... Non, rien. Dites-lui que j’espère.... Vous lui direz que je l’attend : Et revenez soudain.         Cet avis nécessaire Hâtera de ses pas la lenteur ordinaire. Il faut se résigner : personne ne paraît. Lafleur lui-même y passe la journée ! Flamand.     Monsieur ?         Sachez donc ce qu’il fait. Et qui ?     Lafleur.         Je vous assure Qu’il était là tantôt.         L’original ! Allez savoir quelle aventure Le retient si long-temps.     Où, Monsieur ?         L’animal ! Là, là, là, là.         J’y vais, j’y vais.         Je pense Que, pour me tourmenter, valets, maîtresse, ami, Tout est ici d’intelligence. Mon éternel beau-père, ou bien s’est endormi, Ou l’âge éteignant sa mémoire, Il oublie à coup sûr que je l’attends ici. Mais Flamand, mais Lafleur ; on ne pourra le croire : Je sers d’exemple à la postérité. Lisons. Ciel ! Et Borchamp ! Où s’est-il arrêté ? Oh, pour finir, enfin, je vais chez mon Notaire. Monsieur Borchamp. Quoi donc, il est parti ! Ma foi, que dira le beau-père ? Mais je le vois qui court, courons vite après lui. Tu viendras avec nous, et c’est moi qui t’en prie. Mais....         Tu seras présente à l’entretien : Les Juges te verront, cela ne gâte rien. Une femme jeune et jolie Imprime un charme à la raison. Mais qu’est-il devenu ? Damon. Damon. Vainement je l’appelle. Monsieur s’est évadé : l’aventure est nouvelle. Vous l’offensez par ce soupçon. Cherche le donc.     Lafleur.         Le tour est très honnête. Lafleur.         Je crois encore me tromper. Que fait ton maître ?         Il vient de s’échapper. Par quel motif ?         Il des brouillards dans la tête : Ennemi juré du repos, Il va, dit-il chez son notaire. Comme rien n’était prêt, maudissant les marauds, C’était moi, le cocher, d’assez brusque manière Il s’est sauvé.         Qu’entends-je ! À quel propos ! Il n’a pas son carrosse ?         Ah ! vraiment ; au contraire, Il chasse et cocher et chevaux, Et dit qu’à pied, tout seul, il ira bien plus vite. Ô la pauvre cervelle !     Il suffit : sors.         Voilà, Je te l’avoue, une étrange conduite ! Je me hâte, j’arrive, et l’on me laisse là ! Et tu m’en répondais ?         Ce grand feu qui l’agite.... Et l’autre jour encore, il m’en ressouviendra, Nous étions à la promenade ; Je marchais doucement, je respirais le frais : " Monsieur, dit-il, seriez-vous point malade ? Moi, non ; pourquoi cela ? Rien, rien : je le craignais. Nous poursuivons : l’instant d’après Monsieur me quitte, Prétextant, en plein jour, qu’il craignait le serein. Que penses-tu de cette fuite ? Qu’on ne peut l’excuser, et tel est son destin.... Allons, n’en parlons plus ; c’est un fou qui me lasse. Peut-être, avec le temps, plus calme et réfléchi.... Un cerveau détraqué, qui m’ose dire, en face, De couper tous mes bois !         Mais il est votre ami ? Le tien. J’en conviendrai sans peine, Je l’aimais, l’estimais, j’approuvais votre chaîne. Mais le voile est tombé : j’en appelle aujourd’hui. Crois-moi, ma chère, enfant, étouffe dans ton âme, Il en est temps encore, une funeste flamme Qui troublerait tes jours. Oui, l’amour trop souvent A payé de ses pleurs l’erreur d’un seul moment. Mais je songe à l’affaire ? Mon repos fatal ; Et pour sortir de ce dédale, Je visiterai, seul, Conseillers, Présidents : Cependant réfléchis, et pèse ma morale. Il paraît irrité de ses écarts fréquents. Hélas, quel fâcheux caractère ! De défauts, de vertus, quel contraste étonnant ! Agité sans motifs, toujours plus imprudent ; Et cependant jaloux de plaire, Il blesse les égards, repousse l’amitié : L’amour même, l’amour, dont il chérit la chaîne, Sur lequel son bonheur paraît être appuyé, A gémi bien souvent de ce feu qui l’entraîne. Mais comme il sait aimer ! Quelle fidélité ! Jamais son coeur, simple dans sa tendresse, N’a d’un mot captieux voilé la vérité. MON Maître, accablé de tristesse, Demande un entretien du ton le plus touchant. Il est vif, mais son coeur est si bon !         Quel amant ! Hélas ! que dois-je faire ? Oui, je sens ma faiblesse : La raison lutte en vain contre le sentiment. Qu’il m’attende.         Mon Maître ?         Allons trouver mon père, Et tâchons, si je puis d’appaiser sa colere. Qu’il vous attende ! Oh, j’en doute vraiment : On fixerait plutôt le feu, le vent, Le coeur d’une coquette....         Eh bien, qu’a dit Julie ? Elle va revenir.     Bientôt ?         Probablement. Mais quand ? Ce soir, demain, dans la semaine ? Que sais-je ? L’avenir est chose peu certaine. Ce qu’il faut pour écrire. Oui, pour plaire à Borchamp, Lui rendre le repos qu’il regrette sans cesse, Je vais au Président écrire en sa faveur, Et j’y mettrai de la chaleur. Mon oncle comprendra combien il m’intéresse. Le calme enfin succède à ce grand mouvement : Je vois briller sur son visage. Les traits heureux de l’enjouement. Mais la scène varie, il s’élève un nuage. Quelle maudite plume !     Elle a tort.         Si mes soins. Pour tracer chaque mot, il faut près d’un quart-d’heure, Supprimez quelque lettre : un mot de plus, de moins, Qu’importe. En effet, que je meure S’il ne trouve les mots trop longs de la moitié. Cette encre est détestable !         Il est contrarié. Une bougie.         Il est toujours le même. Eh bien ?         Et le repos n’est pas son élément. Par ses vivacités il m’amuse souvent. Ah, quels valets !         Toujours courant, toujours extrême, Il se fâche, il me gronde, et cependant je l’aime. Ah ! ah ! Je l’ai perdu ! Comment ? Où donc est-il ? À merveille ! J’entends. Pour être bien servi, c’est-là le vrai système. Peut-on voir votre Maître ?         Oui, Monsieur, aisément. Je me flatte, Monsieur Borchamp, Qu’un pareil procédé pourra vous satisfaire. Monsieur, voilà votre Notaire. Ah, vous voilà ! Je viens de chez vous.         Je le sais. On ne vous rencontre jamais. J’étais sorti pour une affaire. Vous avez tort. Lafleur...         Vous daignez le permettre, À mon oncle soudain qu’on porte cette lettre. Ma voila délivré d’un pénible fardeau ! Ce procès finira ; cet espoir me console. Je voulais vous parler de Madame d’Érole : On vous dit très-liés.         Je l’ai vue au berceau, Et l’on s’attache à ceux qu’on a vu naître. Vous savez son procès ?         Oui, je dois le connaître. Eh bien, qu’en pensez-vous ?         Tantôt, à ce sujet, La Comtesse vient de m’écrire : J’ai même encore son billet. Peut-on le voir ?         Oui, je vais vous le lire. Voyons-le donc.         Un moment, s’il vous plaît. Notre Comtesse a contracté des dettes. Mais tout le monde doit : c’est l’usage à présent. Ah ! Le voici.         Lisez donc promptement. Que cherchez-vous encor ?         Je cherche mes lunettes. Lisez toujours, vous chercherez après. Vous êtes un peu prompt. M’y voilà.... Je désire.... Oui, quelque jour... de mes projets... À l’avenir....         De grâce, daignez lire Sans épeler.     J’y suis.         À l’égard du procès, Dont vous.... ah, ma lunette ! Elle sera brisée. J’en suis bien aise. Après ?         Vous êtes obligeant. Sa tête est mal organisée. Enfin, pour abréger ; car c’est probablement Le moyen de vous plaire....         Oui, singulièrement. Apprenez donc qu’elle projette De vendre cette terre.         Eh bien, moi, je l’achète. Qui, vous ?         Oui, moi. Par cet expédient, J’abandonne les bois, et Borchamp est tranquille. D’accord. Observez cependant.... Non, rien. Allez, volez, courez toute la ville, Et terminez sans nuls délais. Quel feu ! Mais de sang froid combinons vos projets ; Et sachez qu’en perdant ces bois où tout abonde, Cette terre, Monsieur, déchoit de sa valeur. Eh ! je renonce de bon coeur À l’argent, au procès, à tous les biens du monde : M’entendez-vous ?         Oui, très distinctement. Mais, aussi-tôt l’affaire terminée, Faites-moi l’amitié de prévenir Borchamp Que sa cause est enfin gagnée, Qu’il peut dormir tranquillement. Volez, mon cher ami, daignez me satisfaire. Quoi vous restez pétrifie ! Mais en effet, je suis extasié. Il faut cependant vous complaire, Et je me hâte d’obéir. Gardez-vous bien de trop courir. Encore un mot. Cachez à mon futur beau-père Le nom de l’acquéreur. J’exige le secret ; J’ai mes raisons.         Comptez sur mon silence. Oui, qui veut obliger doit taire le bienfait. Il s’imaginerait que je suis en démence, Ou que mon zèle prétendu N’est qu’un moyen adroit, un piège convenu, Pour m’assurer son alliance. Ah, c’est vous ! Quel bonheur ! Je volais sur vos pas. Vous devenez tous les jours plus aimable. Mille pardons, j’ai tort ; mais ne me grondez pas. Oui, l’on doit supporter votre humeur agréable. Oui, je suis un peu vif.     Un peu !         Beaucoup, d’accord. Puisque j’ai le malheur d’offenser ce que j’aime. Quelle preuve d’amour, lorsque mon père même Vient, Monsieur, d’essuyer encor !... J’ai longtemps attendu : perdant toute espérance.... Longtemps !     Pas mal.         Mais, daignez m’écouter : Vous m’aimez, dites-vous !         Mes voeux, mon existence... Je le crois. Mais comment osez-vous vous flatter De mériter qu’un jour les noeuds de l’hyménée.... Par un culte....     Allez-vous m’interrompre ?         Non, non. Oserai-je moi-même, abjurant la raison, Et de l’amour victime infortunée, M’exposer....     Ah ! croyez....     Encore !         Je me tais. Vous dont l’humeur, dont les voeux inquiets... L’amour adoucit tout, le bonheur rend aimable. Oui, je le sais. L’amour d’un voile favorable Sait couvrir ses défauts : souple avant le succès, Il ne semble agité que du désir de plaire ; Mais, tôt ou tard, il cesse. Alors le caractère, S’irritât d’autant plus qu’il fut plus comprimé.... Ne craignez rien. Ah ! si je suis aimé, Si jamais j’entrevois l’aurore Du jour qui doit éclairer mon bonheur, Vous me verrez soumis, plus amoureux encore, Obéir à vos lois, réprimer mon humeur, Et chercher tous vos goûts au fond de votre coeur. Un tel effort me paraît difficile. Vous verrez si, quand je promets.... Voici le Peintre ; il vient finir votre portrait. Fais-toi peindre toi-même, et laissez-moi tranquille. Moi, Monsieur !         Un moment. Ce n’est pas mon avis, Voyons si j’ai sur vous cet empire suprême : Faites entrer. Ce portrait est promis Depuis longtemps : enfin, plus maître de vous-même, Aujourd’hui, prouvez-moi que vous m’êtes soumis. Ordonnez : trop heureux !....         Bonjour, Monsieur Dorlis, Allons, asseyons-nous, et peignez à votre aise. Je suis à vous. Approchez ; plus avant... Eh ! Non ; vous reculez.         Apportez une chaise ; Je suis très mal assis.         Inclinez... doucement, Fort bien ; gardez cette attitude. Il me tourne à son gré.         L’épreuve est un peu rude. Il faut que je m’attache, et c’est-là le grand art, A bien saisir chaque nuance, L’expression, la ressemblance, Et le jeu de vos traits.         Il est déjà bien tard. Quoi ! vous vous déplacez !         C’est que.... Souffrez, Madame.... Lorsque vous serez là, je verrai mieux Monsieur. La bouche sera bien.         S’il lisait dans mon coeur, Il me peindrait avec des traits de flamme. Et le front ?     Il s’avance.         Oui, j’achève à présent. Ah ! Vous avez fini. Bon ! Vous êtes charmant. Y songez-vous ?         Cet homme est différent des autres. Nous commençons à peine.         Où donc en êtes-vous ? J’en suis aux yeux. Prenez un regard doux. Si je lisais mon bonheur dans les vôtres, Les miens respireraient le feu du sentiment. Malgré votre contrainte ?         Oui, songez à Madame ; Mais attachez les yeux sur moi.         Quoi ! Constamment ? Le teint s’anime, l’oeil s’enflamme Auprès de la beauté.         Quand comptez-vous finir ? Ce moment est fâcheux.         Près d’un objet aimable, Tout s’embellit des couleurs du plaisir. Il doit donner le Peintre au diable. Que peignez-vous ?         Je peins vos yeux. Je crois que vous serez au mieux. Hâtez-vous seulement : il n’est pas nécessaire De me faire si beau.         Mais vous voulez, j’espère, Un portrait qui ressemble ?         On me fait trop d’honneur. J’aimerais mieux, pour mon bonheur, Que la main de l’Amour m’eût gravé dans votre âme. Cela serait plus court.         Permettez-moi, Madame.... Je veux voir ce qu’il fait.     Un moment.         Eh ! Monsieur, Je ne pourrai jamais vous peindre. Quel homme !         Mon pinceau, ma verve s’échauffait. M’y voilà ; calmez-vous.         Vous êtes, en effet, Si calme !     Il y paraît.         Sachez donc vous contraindre. Que peignez-vous ?     Les yeux.         Encor les yeux ! Eh mais, Combien m’en faites-vous ?         Un ou deux, à-peu-près. Vous les ferez sans moi.     Y songez-vous ?         De grâce. Monsieur jamais ne finira. Mais, Madame, un moment, mettez-vous à ma place. Quoi ! Pour avoir votre portrait ? Voilà Qui me paraît nouveau. Quelle bizarrerie ! De votre oncle le Président, J’apporte la réponse.         Ah ! Voyons promptement. Sortons d’ici. Cet homme est atteint de folie. Ah ! Je suis trop heureux : mon cher oncle est charmant. Allez prier Monsieur Borchamp De paraître un moment de la part de Julie. Mais de quoi s’agit-il ?         Vous allez le savoir. Ah ! Quel bonheur ! Mon oncle a rempli mon espoir. Il peut compter sur ma reconnaissance. Que me veux-tu ? Qu’est-ce ?         C’est moi, Monsieur. Rassuré par votre indulgence.... Excusez-moi : je suis votre humble serviteur. Ah ! Daignez m’écouter ! Mes torts involontaires.... Je ne saurais, Monsieur, chacun a ses affaires. Vous êtes irrité : j’entrevois mon malheur. Mais sachez ce qu’il veut.         Votre bonté se lasse. Mais n’imputez rien à mon coeur. Votre intérêt m’anime : écoutez-moi de grâce. Le Président, mon oncle, à qui j’avais écrit, Me répond qu’il a vu Monsieur de Lauvamaine ; Qu’on peut tout espérer, qu’il n’est rien qu’il n’obtienne D’un vieux ami qui le chérit. Mais jusqu’au bout je n’ai pas lu la lettre ; Daignez vous-même la finir. « Mon cher neveu, lorsque j’ai reçu votre billet, j’avais précisément Monsieur de Lauvamaine à dîner chez moi. Soyez tranquille sur les suites de vos démarches dans tout ce qui dépendra de lui. Il n’a rien, m’a-t-il dit, refuser à notre ancienne amitié. » Vous concevez, par-là, ce qu’on peut se promettre Du zèle de mon oncle.         Il nous sert à ravir. Vous voyez que du moins il sait rendre service. Oui, je le vois, et je lui rends justice. « Mais, selon, votre coutume, vous écrivez avec tant de précipitation que vous oubliez la moitié des mots ; et vos phrases sont si embrouillées, que ce n’est pas sans effort qu’on devine votre pensée. » Je le reconnais bien. « Je vous renvoie votre lettre, prenez la peine de la relire. »         Ceci sera nouveau. Oui, lisez ; vous verrez si je sais être utile. « Mon cher oncle, il faut, en ma faveur, crever tous vos chevaux, et me rendre un service très important pour le plus maudit des..... La Comtesse. » Des procès.         Ah ! J’entends, et rien n’est plus facile. « La Comtesse d’Érolle plaide, depuis un siècle, contre Monsieur de Borchamp, père... dont je suis éperdument amoureux, qui réunit l’esprit à la beauté. » Je n’imaginais pas être encore si beau. Mais, Monsieur, père de Julie, Qui réunit l’esprit aux attraits les plus doux. Fort bien. « C’est un être processif, et sa cause est injuste. L’essentiel est d’obliger Lauvamaine ? Rapporter cette affaire dès demain ; il s’agit d’un malheureux bois de famille que Monsieur de Borchamp porte.... à un prix considérable. Je suis, etc. Voilà, mon cher neveu, votre billet, c’est une véritable énigme. Heureusement, j’ai quelque sagacité et quelque expérience, et j’ai compris que vous vous intéressez vivement à La Comtesse d’Érolle ; je ne vous connaissais pas cette belle passion ; mais comme vous m’assurez d’ailleurs que la cause de Monsieur de Borchamp est injuste, que c’est un être processif, j’ai fortement prévenu Lauvamaine contre lui, et il m’a promis d’appuyer votre belle Comtesse de tout son crédit. »         Vraiment, il n’appartient qu’à vous ! Votre amitié plaide avec énergie ; Et maintenant j’ai l’esprit en repos. Eh bien, que penses-tu de ce rare service ? Quelque démon, sans doute, a supprimé les mots. De ses écarts son coeur n’est point complice ; Il voulait obliger.         Je le crois ; en effet... Vous voyez ma surprise : échauffé par mon zèle, Avec vivacité j’ai tracé ce billet. Des vrais amis Vous êtes le modèle. Je cours tout réparer.         Non, c’est trop de bonté. À l’égard de l’hymen entre nous projeté, Il ne se fera point, Julie... Il ne se fera point ?     Non.         Quelle cruauté ! J’en suis fâché ; mais, malgré mon envie.... Vous que j’aimais....         Monsieur... Julie !... Ah, quel malheur ! Monsieur, j’ai tort si j’ai pu vous déplaire. Je le sais.         Mais enfin, ouvrez-moi votre coeur ; Je vous chéris, je vous révère, Et vous êtes si bon.         Bon : oh ! Comme cela, Suivant l’heure et le temps.         Toujours. Ah, vous voilà ? Je vous apporte une heureuse nouvelle. La Comtesse, en ce jour, a changé de projets, Vous cède tous les bois, et renonce au procès. Voilà l’écrit signé.         Comment ? Donnez. C’est elle ! C’est son seing ! Quel prodige !         Au prix qu’elle a voulu Elle vient de vendre sa terre ; Et l’acquéreur, plus débonnaire, Renonce à tout droit prétendu. Cet homme-là, ne lui déplaise, Est pressé de jouir : les procès lui font peur : Et vous nommez cet honnête acquéreur, Ne me trahissez pas.         Souffrez que je me taise. Pourquoi ? Quel intérêt ?...         Eh ! qu’importe pourquoi Daignez vous occuper du bonheur de ma vie. Monsieur, un moment, je vous prie : Je veux savoir son nom.         Eh bien, Monsieur,... c’est moi. La terre me convient, et j’ai conclu l’affaire. Vous l’entendez ; c’est lui, mon père. Oui, ma fille, je vous entends. Vous le voyez ; si la tête est bouillante, Au moins le coeur est excellent ; Et vous devez, au gré de notre attente, Récompenser les soins d’un si fidèle amant. Non, Monsieur, appuyé d’un si faible service, Je ne réclame point un prix aussi flatteur : Non, consultez avec plus de justice Et vos bontés et son bonheur. Son bonheur !... Tourmenté d’un pareil caractère, Osez-vous vous flatter de rendre un être heureux ? Oui, Monsieur, animé du désir de lui plaire, J’irai, je volerai au devant de ses voeux. Je réponds de son coeur, du zèle qui le presse : Sensible à l’amitié, plein de respect pour vous, Il fera, croyez-moi, son bonheur le plus doux De mériter votre tendresse, De consoler vos jours, d’aider votre vieillesse. Tu le veux ?     Oui, Monsieur.         Épouse, j’y consens. Ah, Julie ! ah, Monsieur, les plus vifs sentiments.... Signons-nous le contrat ? On souffre dans l’attente. Il faudrait qu’il fût fait.     Qu’attendez-vous ?         J’attends.... La question est plaisante ! Pour dresser un contrat, Monsieur, il faut du temps. Entrons chez moi ; je veux le satisfaire. Quand pourra-t-on, morbleu ! S’épouser sans notaire ?